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M.

Pierre-Henri Imbert

La France et les traités relatifs aux droits de l'Homme


In: Annuaire français de droit international, volume 26, 1980. pp. 31-43.

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Imbert Pierre-Henri. La France et les traités relatifs aux droits de l'Homme. In: Annuaire français de droit international, volume
26, 1980. pp. 31-43.

doi : 10.3406/afdi.1980.2379

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1980_num_26_1_2379
LA FRANCE ET LES TRAITES

RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

Pierre-Henri IMBERT

Le 4 novembre 1980, la France a adhéré aux deux Pactes des Nations Unies
qui, avec la Déclaration universelle des droits de l'homme, constituent la « Charte
internationale des droits de l'homme » : le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (1), adoptés tous deux par l'Assemblée générale des Nations
Unies le 16 décembre 1966 et entrés en vigueur en 1976, respectivement le
3 janvier et le 23 mars (2).
Il s'agit d'une décision importante, qui devrait permettre à la France de
tenir enfin la place qui aurait dû toujours être la sienne dans l'entreprise de
protection et de promotion des droits de l'homme au niveau international.
Notre satisfaction est toutefois fortement tempérée par les conditions dans
lesquelles cette adhésion s'est effectuée. Ce goût d'amertume est le même que
celui que beaucoup ont ressenti lorsque la France a ratifié la Convention européenne
des droits de l'homme. Nous pouvons d'ailleurs reprendre, pour les Pactes, le même
schéma qui avait été utilisé par plusieurs commentateurs à cette occasion :
l'adhésion de la France est à la fois tardive et limitée (3).

**
Intervenant quatorze ans après l'adoption des Pactes, l'adhésion française peut
être qualifiée de tardive, même si ce délai apparaît bien modeste, comparé à celui
qui fut nécessaire pour la Convention européenne (vingt-quatre ans...). Pourtant, la
participation de la France avait été envisagée dès 1969(4) et, lors du débat, en

{.") Pierre-Henri Imbert, Agrégé des Facultés de Droit.


(1) Ce dernier est complété par un « protocole facultatif », mais, comme nous le verrons,
la France n'y a pas adhéré.
(2) J. Mourgeon, « Les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme », A.F.D.I.
1967, p. 326-363; « L'entrée en vigueur des Pactes internationaux relatifs aux droits de
l'homme », A.F.D.I. 1976, p. 290-304.
(3) A. Pellet, « La ratification française de la Convention européenne des droits de
l'homme », Revue du droit public, 1974, p. 1319-1379; R. Goy, « La ratification par la France
de la Convention européenne des droits de l'homme », Netherlands International Law
Review, 1975, p. 31-50. Voir aussi, avec une autre présentation, J.F. Viixevieille, « La ratif
ication par la France de la Convention européenne des droits de l'homme », A.F.D.I. 1973,
p. 922-927.
(4) A. Pellet, op. cit., p. 1379, n. 131.
32 LA FRANCE ET LES TRAITES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

1973, sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention européenne,


M. Michel Jobert avait déclaré, devant l'Assemblée nationale, qu'il avait décidé,
quelques semaines auparavant, de proposer au Gouvernement que la France adhère
aux deux Pactes des Nations Unies. Il est vrai qu'il ajoutait : « nous n'avons pas
à nous hâter, car nous ne sommes pas les derniers. Le texte n'est pas encore
entré en vigueur, parce que les adhésions ne sont pas assez nombreuses » (5) . Le
ministre des Affaires étrangères semble avoir alors oublié que c'était la France
qui avait demandé avec le plus de force que le nombre d'instruments nécessaires
pour l'entrée en vigueur des Pactes soit supérieur à vingt, chiffre initialement
retenu par la Commission des droits de l'homme. Le délégué français avait en
particulier déclaré, devant la Troisième Commission :
« Si l'Assemblée générale s'en tient aux dispositions adoptées par la
Commission des droits de l'homme, il risque d'en résulter une stagnation fâcheuse
pendant les nombreuses années où un nombre limité d'Etats seraient liés par
les Pactes. Cette situation serait grave, car elle pourrait tuer dans sa fleur
une idée dont la vocation est de se propager à travers le monde et de devenir
la loi commune à toutes les nations. La délégation française ne confond pas
universalité et unanimité, mais elle pense que les Pactes, pour rayonner sur le
monde, doivent être très largement ratifiés (...)» (6).
Le moins qu'on puisse dire est que, par la suite, la France n'a pas manifesté
une très grande ardeur pour favoriser ce « rayonnement ».
Malgré ce long délai de plusieurs années, qui aurait dû permettre toutes les
études et consultations nécessaires, la procédure, devant le Parlement, a été
particulièrement laborieuse : près de deux ans se sont écoulés entre le dépôt des
projets de lois et les débats en séances publiques (7) ; à la dernière minute, le
ministre des Affaires étrangères a adressé au Rapporteur de l'Assemblée nationale
une lettre en date du 28 avril 1980 pour lui faire part, à la demande du ministre de
la Justice, de son intention d'ajouter aux réserves déjà présentées, une déclaration
interprétative portant sur l'article 14 paragraphe 5 du Pacte relatif aux droits
civils et politiques (8) .
**
Tardive, l'adhésion de la France a aussi une portée limitée car elle est assortie
d'un assez grand nombre de réserves et déclarations mais surtout parce que le

(5) J.O., Débats, A.N., 21 décembre 1973, p. 7279.


(6) Déclaration de M. Monod, Doc. off. A.G., dix-huitième session (1963), Troisième
Commission, A/C. 3/SR. 1274 § 21. Le nombre d'instruments requis pour l'entrée en vigueur
a été finalement porté à trente-cinq. Précisons que la France est la soixante-sixième Partie
contractante au Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la soixante-
cinquième au Pacte relatif aux droits civils et politiques.
(7) Les documents parlementaires sont les suivants, respectivement pour le Pacte relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et pour le Pacte relatif aux droits civils et
politiques :
Assemblée nationale :
Projets de lois n° 787 et 788 (annexes au P.V. de la séance du 13 décembre 1978).
Rapports de MM. Bordu (n° 1471) et Chandernagor (n° 1470) (annexes au P.V. de la
séance du 6 décembre 1979) .
Discussion et adoption le 22 mai 1980 (J.O., Débats, A.N., 23 mai 1980, p. 1179-1183 et
1183-1189).
Sénat :
Projets de lois, adoptés par l'A.N., n °261 et 262 (1979-1980).
Rapports de M. Palmero, n° 294 et 297 (1979-1980).
Discussion et adoption, sans débat, le 17 juin 1980 (J.O. Débats, Sénat, 18 juin 1980,
p. 2761-2762 et 2762-2765) .
Les lois n° 80-460 et n° 80-461; du 25 juin 1980, autorisant l'adhésion aux deux Pactes,
ont été publiées au Journal Officiel du 26 juin 1980, p. 1569.
Lorsque, dans la suite de cette étude, nous ferons référence à ces documents, nous
n'indiquerons que les pages.
LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 33

Gouvernement n'a pas cru devoir souscrire deux engagements de nature


facultative.
Les réserves et déclarations, dont les textes sont reproduits en annexe,
concernent essentiellement le Pacte relatif aux droits civils et politiques.
D'après le projet de loi (p. 6 et 7), elles ont été motivées par deux soucis.
Il s'agissait en premier lieu de tenir compte de la participation de la France à
la Convention européenne des droits de l'homme et d'éviter tout conflit entre deux
accords, qui traitent très largement des mêmes droits sans toujours les définir de
la même manière (9) . Ainsi, plusieurs déclarations et réserves correspondent à celles
qui ont déjà été faites sur des dispositions analogues de la Convention euro
péenne (10). Par ailleurs, le Gouvernement a estimé qu'il était nécessaire de
« préciser la portée du Pacte ou (de) remédier à ses lacunes ou imperfections » (11) .
Des motifs à peu près semblables ont été avancés pour le Pacte relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels : il fallait, d'une part, « éviter toute erreur
d'appréciation sur la portée du Pacte» et, d'autre part, harmoniser les obligations
découlant du Pacte avec celles souscrites par la France en vertu de la Charte
sociale européenne.
L'adhésion de la France au Pacte relatif aux droits civils et politiques est par
ailleurs incomplète dans la mesure où le Gouvernement a décidé, « tout au moins
dans un premier temps » est-il précisé dans l'exposé des motifs, de ne pas faire
la déclaration facultative prévue à l'article 41 et de ne pas adhérer au Protocole
facultatif se rapportant à ce Pacte.
L'article 41 concerne les plaintes interétatiques. Il offre à tout Etat partie
la possibilité de déclarer à tout moment qu'il reconnaît la compétence du Comité
des droits de l'homme pour recevoir et examiner des communications dans
lesquelles un Etat partie prétend qu'un autre Etat partie ne s'acquitte pas de ses
obligations au titre du Pacte. Les communications ne peuvent être reçues et
examinées que si elles émanent d'un Etat partie qui a fait une déclaration
reconnaissant, en ce qui le concerne, la compétence du Comité.
Nous savons que la procédure est très souple, discrète et finalement dépourvue
de sanction. Quelles sont donc les raisons qui ont amené la France à ne pas
l'accepter ? L'exposé des motifs contient l'explication suivante (p. 8) :
« cet article n'est pas encore en application, seuls des Etats d'Europe occident
ale avec lesquels, hormis la Finlande, nous sommes liés par la Convention
européenne des droits de l'homme, ont fait cette déclaration. Comme il a
été convenu au sein du Conseil de l'Europe que les Etats parties à la convention
de 1950 devraient donner la préférence au système de contrôle qu'elle institue,
le Gouvernement ne voit pas, pour l'instant, d'intérêt à faire la déclaration
dans l'immédiat ».
Il est vrai que, dans le cadre de l'examen des difficultés pouvant résulter de la
coexistence du Pacte et de la Convention européenne, le Comité des Ministres

(8) Bulletin de l'Assemblée nationale n° 64, du 27 mai 1980, p. 29.


(9) Voir à ce sujet G. Cohen- Jonathan, « Les rapports entre la Convention européenne
des droits de l'homme et le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques » in
« Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain », Paris, A. Pedone,
1977, p. 313-337 et les références bibliographiques qui y sont indiquées; Jan de Meyer, « Le
mécanisme international de contrôle », Actes du Colloque sur la Convention européenne des
droits de l'homme par rapport à d'autres instruments internationaux pour la protection des
droits de l'homme (Athènes, 21-22 septembre 1978), publication du Conseil de l'Europe,
p. 243-297) .
Les problèmes pouvant naitre de l'application simultanée des deux traités avaient toujours
été présentés, auprès des parlementaires, comme le seul motif expliquant pourquoi la France
n'était pas encore en mesure d'adhérer au Pacte.
34 LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

du Conseil de l'Europe a adopté le 15 mai 1970 la Résolution (70) 17 relative


à la procédure applicable aux plaintes interétatiques. Toutefois, le texte complet
du passage pertinent montre bien que ses auteurs ne voulaient pas dissuader
les Etats de faire la déclaration prévue par l'article 41 :
« en attendant que le problème de l'interprétation de l'article €2 de la
Convention européenne soit résolu, les Etats parties à cette convention qui
ratifient le Pacte de TO.N.U. relatif aux droits civils et politiques ou adhèrent
à celui-ci, et qui souscrivent à la déclaration facultative prévue à l'article 41
de ce Pacte, ne devraient normalement avoir recours qu'à la procédure
instituée par la Convention européenne en ce qui concerne les plaintes dirigées
contre une autre Partie Contractante liée par la Convention européenne et
alléguant la violation d'un droit couvert, en substance, tant par la Convention
européenne (ou ses Protocoles) que par le Pacte de 1'O.N.U. relatif aux droits
civils et politiques, étant entendu que la procédure de 1'O.N.U. pourra être
utilisée lorsqu'il s'agira de droits non garantis dans la Convention européenne
(ou ses Protocoles) ou à l'égard d'Etats qui ne sont pas parties à cette
convention ».
D'ailleurs, comme l'indique le Gouvernement lui-même, ce sont essentiellement
des Etats parties à la Convention européenne qui ont fait cette déclaration.
L'argument ne peut donc justifier à lui seul la position particulière de la France.
D'autant plus que, entre la rédaction de l'exposé des motifs et le débat en
Commission, le nombre des Etats ayant accepté le mécanisme de l'article 41 est
passé de six à douze (12) et que ces dispositions sont entrées en vigueur le
28 mars 1979 (dix acceptations étaient nécessaires). En raison de ces changements,
le Rapporteur a demandé des explications complémentaires au ministère des
Affaires étrangères. Ce dernier lui a fait savoir qu'il persistait à penser qu'il
serait prématuré d'envisager la formulation de la déclaration en cause, pour deux
raisons essentielles. D'une part, il faut tenir compte des Etats qui ont souscrit cette
déclaration; on semble, par là, faire référence au fait que si ces Etats ne sont pas
tous parties à la Convention européenne, ils appartiennent au « groupe occidental ».
D'autre part, la procédure instituée par l'article 41, n'a pas encore eu l'occasion
de fonctionner, de sorte que l'on ne pourrait pas en apprécier les incidences.
Avec le Rapporteur (p. 18), nous considérons cette argumentation comme fort
peu convaincante et révélatrice de l'absence d'une réelle volonté de s'engager. A

(10) II s'agit des déclarations et réserves relatives aux articles 4, 9 et 14, 19, 21 et 22.
Pour les déclarations et réserves faites à la Convention européenne, voir les études indiquées
supra, note 3 et V. Coussirat-Coustère, * La réserve française à l'article 15 de la Convention
européenne des droits de l'homme », J.D.I. 1975, p. 269-293 ; M.-A. Eissïn, « La France et le
Protocole n° 2 à la Convention européenne des droits de l'homme » in « Studi in onore di
Giorgio BaUadore Pallieri », Milan, 1978, vol. 2, p. 249-279.
(11) Comme le débat sur la Convention européenne, l'examen par l'Assemblée nationale
du projet de loi autorisant l'adhésion de la France au Pacte relatif aux droits civils et poli
tiques, a donné l'occasion de préciser les prérogatives du Parlement à l'égard des réserves que
le Gouvernement entend formuler (Rapport de M. Chandernagor, p. 20, 21, 23 et 24; inter
ventions de M. J.P. Cot, p. 1185 et 1186, et de M. François-Poncet, p. 1188) . Devant maintenir
notre étude dans des limites strictes, nous ne traiterons pas de cette question mais signalerons
seulement que l'idée d'une obligation juridique, à la charge du Gouvernement, de présenter
au Parlement l'ensemble des éléments d'un engagement international semble avoir été
abandonnée. Un accord s'est établi sur la base d'un droit d'information du Parlement. La
lettre du 28 avril 1980, à laquelle nous avons déjà fait allusion, confirme bien que le
Gouvernement n'a pas l'intention de formuler des réserves nouvelles après un débat de
ratification. Voir sur ce sujet : J. Dhommeaux, « La conclusion des engagements internationaux
en droit français: dix-sept ans de pratique», A.F.D.I. 1975, p. 815-858; P.-H. Imbert, «Les
réserves aux traités multilatéraux », Paris, Pédone, 1979, p. 393-394; L. Saïdj, « Le parlement
et les traités », Paris, L.G.D.J., 1979 (spec. p. 14-24 et 101-130) ; C. Zanghi, c Le riserve italiane
al Patto sui diritti civili e politici délie N.U. », La Communità internazionale 1979, p. 358-382.
(12) République fédérale d'Allemagne, Autriche, Canada, Danemark, Finlande, Islande,
Italie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède.
LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 35

moins qu'elle ne soit un prétexte masquant la raison véritable qu'a laissé entrevoir
M. Bernard -Reymond dans son intervention devant le Sénat (p. 2765) : « En ce
qui concerne les recours interétatiques, je dirai tout à fait franchement que,
jusqu'à présent, nous ne croyons pas qu'il soit particulièrement opportun de
donner à un comité des Nations Unies un droit d'intervention dans les différends
— du reste fort hypothétiques — que nous pourrions avoir avec ces Etats en
matière de droits de l'homme » (13).
La décision de ne pas adhérer au Protocole facultatif instituant un droit de
recours individuel des particuliers devant le Comité des droits de l'homme (14) n'a
pas nécessité autant d'explications. L'exposé des motifs se contente d'indiquer (p. 8)
que «la question ne sera éventuellement envisagée qu'après celle de l'acceptation
du droit de recours individuel dans le cadre de la Convention européenne des
droits de l'homme, pour lequel le Gouvernement a estimé nécessaire, comme le
sait le Parlement, de nous laisser un temps de réflexion permettant de mesurer
les implications de l'introduction de ce texte dans notre droit».
Cette réponse n'est logique qu'en apparence car les deux procédures de
contrôle sont totalement différentes et celle prévue par le Protocole est particu
lièrement respectueuse de la souveraineté des Etats. Il n'en reste pas moins, comme
l'a souligné le Rapporteur du Sénat (p. 26) , qu'elle « constitue assurément la
garantie la plus tangible de la protection et de l'essor des droits affirmés par le
Pacte ».
Ainsi, encore une fois, la France s'isole par un refus (15).
Pour compenser cette attitude particulièrement regrettable, le Gouvernement
affirme avec force qu'en adhérant au Pacte relatif aux droits civils et politiques,
la France « apporte son concours à l'immense et diiïicile entreprise internationale au
service des droits de l'homme », de même que l'adhésion à l'autre Pacte permet de
« marquer, sur le plan mondial, notre attachement à ces valeurs ». Ces actes
seraient d'autant plus méritoires que gratuits :
«Le Gouvernement considère que notre droit correspond très largement
aux obligations inscrites dans le Pacte sur les droits économiques, sociaux et
culturels. (...) Il ne pense pas que cet engagement soit indispensable pour
assurer aux citoyens français la pleine jouissance des droits économiques,
sociaux et culturels » (p. 5) .
«En tout état de cause, les garanties judiciaires qui existent dans notre
droit assurent de façon satisfaisante le respect des libertés inscrites dans le
Pacte (...). Le Pacte sur les droits civils et politiques ne doit pas apporter
de modification à notre droit, puisque celui-ci lui est déjà conforme» (p. 8).
#♦
Les pages qui précèdent évoquent irrésistiblement les débats qui ont eu lieu
devant le Parlement, en 1973, à l'occasion de la ratification de la Convention
(13) Quelques jours auparavant, le 11 juin 1980, un Etat ni européen ni « occidental »,
le Sri Lanka, avait reconnu la compétence du Comité des droits de l'homme en vertu de
l'article 41.
(14) Tout Etat partie au Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir
et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui
prétendent être victimes d'une violation, par cet Etat partie, de l'un quelconque des droits
énoncés dans le Pacte.
(15) Au 31 décembre 1980, les Etats suivants étaient parties au Protocole : Barbade,
Canada, Colombie, Costa Rica, Danemark, Equateur, Finlande, Islande, Italie, Jamaïque,
Madagascar, Maurice, Nicaragua, Norvège, Panama, Pays-Bas, Pérou, Rép. Dominicaine,
Sénégal, Suède, Suriname, Trinité-et- Tobago, Uruguay, Venezuela, Zaïre.
La France n'a pas non plus reconnu le droit de recours individuel prévu par l'article 14
de la Convention sur la discrimination raciale, un tel système pouvant être < le prétexte
d'immixtions abusives dans nos affaires intérieures» (Projet de loi, A.N.. n° 1617 (1970), p. 5).
36 LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

européenne. La même impression demeure : la France accomplit un geste dont on


ne peut sous-estimer l'importance pour les efforts entrepris par la communauté
internationale pour mieux préciser les normes que les Etats doivent respecter dans
le domaine des droits de l'homme; mais la portée de ce geste est fortement amoindrie
par toutes les réticences et la prudence extrême (16) qui l'entourent. Nous retrou
vons les mêmes ambiguïtés d'une attitude empreinte à la fois de timidité et
d'autosatisfaction, les mêmes contradictions dans les arguments et surtout la même
propension à opposer, face aux critiques ou aux événements, des justifications sans
cesse renouvelées.
Il semble toutefois que, sur ce dernier point, le Gouvernement soit sur le point
de lever le voile qui cache ses véritables motivations ou plus exactement les craintes
qu'il ressent face à de tels engagements internationaux. Cette évolution est apparue
au cours du débat sur l'adhésion aux Pactes des Nations Unies mais concerne
essentiellement la Convention européenne des droits de l'homme et le refus de la
France de reconnaître le droit de requête individuelle prévu par son article 25.

**
Dans l'exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification de la
Convention européenne, le Gouvernement expliquait en ces termes pourquoi il
n'envisageait pas, « tout au moins dans un premier temps », de faire la déclaration
d'acceptation du droit de requête individuelle :
«Tout d'abord, en effet, il est préférable que, comme plusieurs de nos
partenaires — étant noté que tous n'ont pas encore fait cette déclaration — nous
puissions apprécier les implications de l'introduction de la Convention dans
notre droit avant de permettre aux individus de mettre en cause devant la
Commission l'application qu'en feront les institutions nationales, et notamment
nos tribunaux. Ensuite et surtout, la France est sans doute le pays d'Europe où
les libertés individuelles bénéficient des plus grandes garanties judiciaires, et
l'ouverture aux individus d'une possibilité de recours à des mécanismes inte
rnationaux ne paraît pas indispensable» (17).
Au cours des débats, M. Michel Jobert apportera certaines précisions - en
déclarant, au Sénat, que le Gouvernement «pense que notre droit interne est
suffisamment parfait pour que les individus puissent être défendus. Il pense aussi
que peut-être les tribunaux ont besoin d'un délai, que vous jugez inutile, mais que
nous jugeons nécessaire, pour s'adapter au droit de la Convention. Au fond, nous
vous demandons une période de réflexion (...) » (18). Devant l'Assemblée nationale
il soulignera, pour la première fois, les conséquences de l'introduction des disposi
tionsde la Convention dans le droit interne français : « après sa ratification et dès
sa publication, la Convention entrera directement dans notre droit où, en appli
cation de l'article 55 de la Constitution, elle aura une autorité supérieure à celle
des lois. Autrement dit, et contrairement à ce qui se passe chez certains de nos
partenaires, la Convention s'appliquera, en France, directement, dans toutes ses
dispositions, et tout citoyen pourra — cela est important — s'en prévaloir devant nos
juridictions » (19).
Il est aisé de relever le caractère contradictoire de la plupart de ces objections :
si vraiment le droit français est parfait et déjà conforme aux dispositions de la
Convention, pourquoi les tribunaux auraient-ils besoin d'un délai d'adaptation de

(16) Ce terme a été utilisé par M. M. Jobert, devant le Sénat : « Le Gouvernement est
simplement prudent... » (J.O., Débats, Sénat, 31 octobre 1973, p. 1547).
(17) Sénat, n° 2 (1973-1974) , p. 7-8.
(18) J.O., Débats, Sénat. 31 octobre 1973, p. 1547.
(19) J.O., Débats, A.N., 21 décembre 1973, p. 7278.
LA FRANCE ET LES TRAITES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 37

plusieurs années ? pourquoi redouter des requêtes individuelles qui ne sont


recevables qu'après épuisement des voies de recours internes ? Prises isolément,
les raisons avancées ne sont pas non plus très convaincantes. N'insistons pas sur
la nécessité de permettre aux tribunaux français « de se 'roder' un peu » (20) , alors
qu'ils sont souvent amenés à appliquer, dès leur publication, des textes législatifs
beaucoup plus complexes que la Convention européenne. Quant à la perfection
du droit français, peu d'Etats — et certainement pas ceux qui sont parties à la
Convention et ont reconnu le droit de requête individuelle — ont une opinion
différente de leur propre droit national (21) . Dans ces conditions on peut se demand
er pourquoi on a élaboré une convention européenne pour protéger les droits de
l'homme dans des pays où ces droits sont largement respectés. Mais précisément,
trente ans d'application de cette Convention ont révélé un nombre surprenant de
violations. Comme, par exemple, les droits britannique, autrichien, belge ou
néerlandais, le droit français doit bien receler quelques imperfections et «vices
cachés» (22). H convient à ce sujet de souligner que la Commission européenne des
droits de l'homme — comme d'ailleurs le Comité du Pacte des Nations Unies —
peut être saisie par une personne, quelle que soit sa nationalité, donc même par
des étrangers (23).
Conscient, peut-être, de la faiblesse de ses arguments, le Gouvernement a très
vite renoncé à ce qu'ils avaient de plus discutable. Dans la réponse à la première
question écrite posée par un parlementaire au sujet de la non-acceptation du droit
de requête individuelle, il n'est invoqué que la nécessité d'analyser encore plus
profondément les implications des dispositions de la Convention sur le droit interne
et le fait qu'en raison de l'article 55 de la Constitution, les justiciables peuvent
se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales (24).
Cette utilisation de l'article 55 de la Constitution (25) pour expliquer le caractère
peu préjudiciable de l'absence de recours auprès d'un organe international, mérite
quelques commentaires. Il est vrai qu'à la différence de ce qui se passe en France,
la Convention européenne ne fait pas partie du droit interne de pays comme, par
exemple, le Royaume-Uni ou les Etats Scandinaves (26). Mais, outre le fait que

(20) Expression employée par M. G. Monnervxzxe, devant le Sénat (p. 1543) .


(21) Dans les rapports qu'ils adressent au Comité des droits de l'homme, pratiquement
tous les Etats affirment avoir la conviction qu'ils respectent déjà les engagements contractés
au titre du Pacte relatif aux droits civils et politiques. Voir à ce sujet, O. Schachter, "The
Obligation of the Parties to give Effect to the Covenant on Civil and Political Rights",
A.J.I.L., 1979, p. 462-465 et 1980, p. 155-156. La France a adhéré à la Convention sur la discr
imination raciale le 28 juillet 1971. L'exposé des motifs du projet de loi autorisant cette
adhésion déclarait : « la législation française est très largement conforme à la convention (...) .
De nouvelles mesures législatives ne paraissent donc pas nécessaires à l'heure actuelle pour
son application ». Mais dès le 1er juillet 1972 a été adoptée une loi relative à la lutte contre
le racisme.
(22) F. Batailler-Demichel, « Y a-t-il des c vices cachés » dans la Convention ? », R.D.H.
1970, 687-717. Voir aussi : R. Errera, c Les libertés à l'abandon », Paris, Seuil, 1975, 320 p.;
A. Pellet, op. cit., p. 1373-1378; J. Rivero, < Les libertés publiques », Paris, P.U.F., 1978,
Tome I, p. 252-259.
(23) Dans toutes les réponses aux questions écrites des parlementaires invitant le Gou
vernement à faire la déclaration prévue à l'article 25, il est dit que cette absence de formul
ation « n'engendre aucun préjudice pour les citoyens français », (voir références infra, n. 24,
32 et 33) .
(24) Réponse à la question écrite de M. J.P. Cox, n° 11259, J.O., AM., 24 juillet 1974,
p. 3674 et Chronique de J. Charpentier, A.F.D.I. 1974, p. 1039.
(25) « Les traités ou accords régulièrement ratifies ou approuvés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord au traité, de son
application par l'autre partie ».
(26) A. Drzemczewski, "The domestic status of the European Convention on Human
Rights : a new dimensions'*, Legal Issues of European Integration, 1977, p. 1-85, et "The
European Human Rights Convention and French Law : recent developments", Rivista di
diritto europeo, 1978, p. 299-311.
38 LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

plusieurs Etats qui ont reconnu le droit de requête individuelle ont un régime
semblable à celui de la France, cette opposition entre deux systèmes juridiques
est moins absolue qu'il ne paraît. Tout dépend en effet de l'attitude des tribunaux.
Or, en France, s'il n'y a pas de difficulté pour admettre l'appréciation de validité
des actes administratifs par rapport aux traités, il n'en va pas de même lorsqu'il
s'agit d'une loi (27) . Nous connaissons la divergence qui existe sur ce point entre
la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, dans les cas où la loi est postérieure au
traité : le juge judiciaire fait prévaloir le traité alors que le juge administratif adopte
la solution inverse (28) . Certes, si un amendement récemment adopté par l'Assem
blée nationale est définitivement retenu, cette divergence disparaîtra... mais au
profit de la thèse retenue par le Conseil d'Etat (29). Ce résultat serait d'autant plus
paradoxal qu'au Royaume-Uni une évolution est en cours qui pourrait bouleverser
la situation juridique actuelle. Nous pensons en particulier à la proposition d'établir
un Bill of Rights, catalogue de droits fondamentaux identiques à ceux découlant
de la Convention et ayant une force juridique liant même le Parlement, ainsi
qu'à diverses déclarations faites au cours d'audiences devant la Chambre des
Lords (30).
L'invocation de l'article 55 de la Constitution est beaucoup moins déterminante
qu'il pourrait sembler à première vue. A cela s'ajoute le fait qu'au fur et à
mesure que les années passent (bientôt sept ans...) et que les décisions par lesquelles
les tribunaux appliquent la Convention européenne deviennent plus nombreu-

(27) Dans des réponses à des questions écrites que nous examinerons plus loin, le
Gouvernement semble limiter les requêtes individuelles prévues par l'article 25 aux décisions
administratives (voir infra n. 33) .
(28) Voir la chronique, dans cet Annuaire, de J.F. Lachaume; H. Thierry, J. Combacau,
S. Sur, Ch. Vallée, « Droit international public », Paris, Montchrétien, 1979, p. 177-191;
Nguyen Quoc Dinh, P. Dailler, A. Pellet, « Droit international public », Paris, L.G.D.J.,
1980, p. 253-259; G.A. Bermakn, «French treaties and French Courts : two problems in
supremacy», I.C.L. Q. 1979, p. 458-490.
(29) M. M. Aurillac, rapporteur pour le projet de loi complétant le Code de l'Organi
sationjudiciaire, a proposé un amendement tendant à modifier l'article 10 de la loi des
16-24 août 1790 qui dispose : « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirect
ement aucune part à l'exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l'exécution
des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture ». L'amendement
se lit ainsi : « Les juridictions ne pourront, directement ou indirectement, prendre part à
l'exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l'exécution des lois régulièrement
promulguées, pour quelque cause que ce soit. Le tout à peine de forfaiture ». Lors des débats,
il n'a été question que du Traité du Marché Commun et du droit communautaire dérivé
mais, par sa généralité, un tel texte empêcherait la Cour de cassation d'écarter l'application
d'une loi contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Même si finalement
cet amendement n'est pas retenu, il est à la fois significatif et inquiétant qu'il ait été adopté
par l'Assemblée nationale sans qu'aucun député ait émis des objections de principe, bien
au contraire. Seuls ont pris la parole MM. R. Forni (Parti socialiste) et G. Ducoloné (Parti
communiste). Le premier aurait souhaité avoir la possibilité de revenir ultérieurement sur
ce sujet, tout en précisant qu'il aurait plutôt tendance à se rapprocher à la position du
Rapporteur; le second a déclaré que son parti voterait l'amendement. (Rapport n° 1948; J.O.,
Débats, A.N., 10 octobre 1980, p. 2636-2637 et 2643-2645) .
(30) Les plus récentes sont celles de Lord Fraser et de Lord Scarman dans l'affaire
Attorney General v B.B.C.; ce dernier a en particulier affirmé : "I do not doubt that, in
considering how far we should extend the application of contempt of court, we must bear
in mind the impact of whatever decision we may be minded to make on the international
obligations assumed by the United Kingdom under the European Convention. If the issue
should ultimately be, as I think in this case it is, a question of legal policy, we must have
regard to the country's international obligation to observe the European Convention as
interpreted by the European Court of Human Rights" ([1980] 3 All England Law Reports,
p. 178). Voir A. Drzemczewski, "The implementation of the United Kingdom's obligations
under the European Convention on Human Rights : recent developments", R.DM. 1979,
p. 95-133.
LA FRANCE ET LES TRAITES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 39

ses (31), la nécessité de prolonger le délai pour examiner les implications de la


Convention sur le droit interne, est de moins en moins justifiée. Pressentant,
semble-t-il, cette objection, le Gouvernement a modifié le texte de sa réponse aux
questions des parlementaires. La phrase habituelle : « l'examen des conséquences du
droit de recours individuel doit encore être poursuivi », est devenue : « II est (...)
nécessaire, pour apprécier les incidences que pourrait avoir une acceptation du droit
de recours individuel, d'étudier le développement progressif de l'application de la
Convention tant sur le plan national que par les institutions créées par ladite
Convention. Le Gouvernement estime que cet examen doit encore être pours
uivi » (32) .
Mais, là encore, cet argument est apparu, aux yeux mêmes de ses auteurs,
comme bien fragile, le temps ne pouvant jouer que contre lui. Il a alors été décidé
d'opposer à ceux qui pressent le Gouvernement de reconnaître le droit de requête
individuelle, un motif qui ne devrait pas être victime des contingences. Cette
rupture avec l'approche suivie jusqu'à présent apparaît dans le discours prononcé
par le ministre des Affaires étrangères devant l'Assemblée nationale, à l'occasion
du débat sur le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Pour expliquer les
raisons du refus du Gouvernement d'adhérer au Protocole facultatif se rapportant
à ce Pacte, M. François-Poncet a rappelé les dispositions de l'article 55 de la
Constitution et que les tribunaux français « ont été fréquemment conduits, au
cours des dernières années, à interpréter et à appliquer la Convention européenne
des droits de l'homme », avant de poursuivre en ces termes (p. 1188-1189) :
« Dès lors, la question ne se pose pas de savoir si la France doit reconnaître
aux citoyens et aux administrés un droit de recours individuel contre des
décisions qui seraient en contradiction avec les dispositions des instruments
internationaux applicables. En effet, ce recours existe devant les tribunaux
qui rendent la justice au nom du peuple français. La seule question est de
savoir si les décisions rendues par ces tribunaux doivent être soumises à
l'examen et à la censure d'organes internationaux.
Sur ce point, je dirai très franchement les choses : compte tenu de la
composition de ces organismes et des conditions de désignation de leurs
membres — et je vous demande de consulter la liste des pays qui en sont
membres pour voir quels sont ceux qui, dans leur droit interne, respectent
les droits de l'homme au sens où nous l'entendons — compte tenu de cette
composition et des conditions de cette désignation, disais-je, la question de
savoir si nous entendons soumettre les décisions de nos tribunaux à l'appréciation
d'un tel organisme mérite à tout le moins réflexion ».

(31) Voir les études indiquées supra, n. 26. Dans son rapport sur le Pacte relatif aux
droits civils et politiques, M. Palmero mentionne (p. 26) plusieurs arrêts de la Cour de
cassation et l'arrêt du Conseil d'Etat, Winter, du 15 février 1980, Rec. p. 87. (Nous pouvons
aussi citer l'arrêt Debout, du 27 octobre 1978, avec les conclusions très intéressantes de
M. Labetoulle, Rec, p. 395). Devant l'Assemblée nationale, M. François-Poncet a indiqué
(p. 1188) que « dans plus de la moitié des pourvois devant la chambre criminelle de la Cour
de cassation, (la) Convention est aujourd'hui invoquée ». Pour des exemples d'arrêts rendus
par des juridictions inférieures, voir la chronique précitée de J.F. Lachaume.
(32) Réponse à la question écrite de M. Le Pensec, n° 28778, J.O., A.N., 12 mai 1980,
p. 1905. En ce qui concerne la jurisprudence des organes de contrôle, nous rappelons que
la Commission européenne des droits de l'homme fonctionne depuis vingt-six ans et la
Cour depuis vingt-et-un ans.
40 LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

Le premier paragraphe de cette déclaration a été immédiatement introduit


dans les réponses aux questions des parlementaires (33).

**
Ces affirmations du ministre des Affaires étrangères ne sont pas, à proprement
parler, une révélation. Mais c'est la première fois que le véritable motif de la
non-reconnaissance du droit de requête individuelle est indiqué officiellement par
une autorité gouvernementale (34) . C'est en fait le même motif qui a été la
cause du retard mis par la France à ratifier la Convention européenne et qui
explique le caractère incomplet de l'adhésion au Pacte des Nations Unies (35) : une
conception très rigoureuse de la souveraineté nationale qui engendre une méfiance
à l'égard de la moindre éventualité d'une intrusion dans les affaires françaises
d'une juridiction étrangère et qui s'efforce de sauvegarder le caractère traditionnell
ement interétatique du droit et des rapports internationaux (36) .
La situation est donc maintenant plus claire. Mais elle est peut-être aussi plus
inquiétante : il était assez aisé, nous l'avons vu, de contester les objections de
caractère technique avancées par le Gouvernement; par contre, à présent, on est
confronté à une position de principe qui laisse une large part à l'irrationnel,
comme c'est souvent le cas en France lorsqu'il est question des atteintes à la
souveraineté nationale et de la redoutable « supranationalité » (37) .
C'est la raison pour laquelle, personnellement, nous avons peu d'espoir de
voir la France faire, dans un avenir assez proche, la déclaration prévue par l'article

(33) Réponses aux questions écrites de MM. E. Hamel (n° 29618, J.O., A.N., 30 juin 1980,
p. 2685), G. Peronnet (n° 30765, id., p. 2688), Y. Tondon (n° 35634, J.O., A.N., 10 novembre
1980, p. 4734) . Voir aussi la réponse à la question orale posée par M. Jager devant le Sénat
(Débats, 11 octobre 1980, p. 3857). Il convient de noter que dans le texte retenu pour ces
réponses on a ajouté l'adjectif « administratives » après le mot « décisions », dans la
première phrase.
En ce qui concerne le deuxième paragraphe de la déclaration de M. François-Poncet,
nous osons espérer que le ministre ne pensait qu'au Comité des droits de l'homme et que
ses critiques sur la composition des organes de contrôle et les conditions de désignation
de leurs membres ne concernaient ni la Cour ni la Commission de Strasbourg.
(34) Un tel motif avait bien entendu déjà été avancé dans la plupart des études écrites
à l'occasion de la ratification par la France de la Convention européenne et au cours des
débats parlementaires. A ce sujet, il est intéressant de rappeler les justifications qui, aux
yeux du Rapporteur pour avis de l'Assemblée nationale, M. Rivierez, pouvaient expliquer
le refus de la France de faire la déclaration prévue par l'article 25 de la Convention : la
Commission et la Cour européenne des droits de l'homme pourraient contrôler — à la
différence du juge administratif français — les actes de Gouvernement; « les décisions de la
Cour de cassation et du Conseil d'Etat ont, aux yeux des Français, un caractère presque
sacré qui rend dans l'immédiat presque inadmissible l'idée que les décisions de ces
juridictions pourraient être remises en question par une autre instance »; « on peut craindre
que les lois françaises fassent l'objet de requêtes de la part des citoyens français » (Avis
n° 850 (1973-1974), p. 14).
(35) Dans son rapport pour le Sénat, M. Palmero écrit, au sujet des deux procédures
facultatives ouvertes par le Pacte relatif aux droits civils et politiques : « conformément &
l'habitude prise en la matière, le Gouvernement n'a pas jugé bon, pour l'instant, d'accepter
de se voir engagé par les deux procédures » (p. 25) . Pour la Convention sur la discrimination
raciale, v. supra, n. 15.
(36) Lors du débat, à l'Assemblée nationale, sur l'adhésion au Pacte relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, M. François-Poncet a terminé son intervention par ces
mots, qui avaient d'autant plus de poids que, dans ce contexte, ils s'apparentaient à un
obiter dictum : « Les organisations internationales ne sont et ne peuvent être un tribunal.
Mais elles doivent être un carrefour et une tribune où s'élabore progressivement une morale
que chacun de leurs membres se sent tenu de respecter » (p. 1183) .
(37) R. Goy a bien montré le mélange, dans l'attitude française, entre un < complexe
de supériorité » et un « complexe d'infériorité » : d'une part, la France n'a rien à apprendre
en matière de droits de l'homme, d'autre part, elle serait menacée par la Convention
européenne (étude précitée (supra n. 3) , p. 37) .
LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 41

25 de la Convention européenne (38). D'autant plus que, un peu comme dans le


débat actuel sur l'abolition de la peine de mort, il risque toujours d'y avoir un
élément nouveau qui rendra la décision inopportune, soit un événement intérieur
soit l'évolution même de la jurisprudence des organes de contrôle de la Convention
(39). De même la non-reconnaissance du droit de requête individuelle pourra être
utilisée pour bloquer des projets qui n'ont pas l'agrément du Gouvernement, comme
par exemple l'adhésion des Communautés à la Convention européenne des droits
de l'homme (40).
Il convient toutefois de bien apprécier la portée de ce refus. Le problème
n'est pas uniquement juridique, de procédure; il ne s'agit pas simplement d'accor
der aux individus un échelon juridictionnel supplémentaire. C'est le sens même
de la Convention qui est en jeu, puisqu'elle trouve son origine dans l'idée qu'il
ne faut plus laisser la seule juridiction nationale régir les rapports entre l'individu
et l'Etat. Les Etats qui ont adopté cette Convention étaient tous persuadés que la
protection qu'ils assuraient à leurs justiciables était largement satisfaisante; mais
en même temps ils ont admis que dans toute communauté humaine — même les
leurs — les droits de l'homme sont chose fragile, qu'aucune collectivité ne peut
être totalement sûre d'avoir définitivement triomphé des menaces qui mettent
constamment ces derniers en péril. Assurer la jouissance des droits de l'homme
est un processus sans fin. Telle est la raison d'être des organes de contrôle qui
seuls peuvent permettre les efforts de promotion et d'harmonisation nécessaires
dans cette entreprise (41).
Bien évidemment, un tel mécanisme implique la confiance réciproque et
l'abandon de certaines susceptibilités de l'Etat (42).
Il est certain que c'est à cause de tout cela que le Gouvernement français
hésite à s'engager. Mais c'est aussi tout cela qu'il refuse. Nous ne saurions trop

(38) En 1973, M. M. Jobert avait déclaré devant le Parlement qu'après « un délai


normal de quelques années, quelques années pas trop longues et pas trop nombreuses, nous
pourrons accepter cette disposition » (J.O., Débats, Sénat, 31 octobre 1973, p. 1547 et A.N.,
21 décembre 1973, p. 7278). La réponse à la question écrite de M. JP. Cot (supra, n. 24)
faisait référence à cette déclaration, mais ce ne sera plus le cas par la suite. Bien au
contraire, en septembre 1980, M. R. Barre a clairement affirmé, devant l'Assemblée du
Conseil de l'Europe, que « le problème soulevé [au sujet du droit de requête individuelle]
n'a jamais eu. en particulier sous l'actuelle Constitution, le caractère aigu que l'on voudrait
parfois lui conférer » (Assemblée parlementaire, trente-deuxième session, quinzième séance,
30 septembre 1980).
(39) Dans une étude récente, M. G. de Lacharriere a rappelé les critiques de la France
à l'égard des « tribunaux préconstitués », critiques engendrées en particulier par « l'expé
rience de l'interprétation « téléologique » de la Cour de Justice des Communautés» («La
réforme du droit de la mer et le rôle de la Conférence des Nations Unies », R. G.D.I. P.
1980, p. 239). Le rapprochement avec le débat sur la peine de mort est d'autant plus justifiée
que, sur le plan parlementaire, la même technique est utilisée pour amener le gouvernement
à modifier son attitude : lors de l'examen, par le Sénat, du projet de loi de finances pour
1981, M. Mercier a présenté un amendement tendant à supprimer la contribution de la France
au fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'homme (J.O., Débat, Sénat,
8 décembre 1980, p. 5985).
n° 3,(40)p. Voir
161) laet réponse
l'avis émis
à lalequestion
10 décembre
écrite 1980
de M.
parM.le Dsbre
Comité(n°économique
15752; J.O.,et A.N.,
social 1980,
des
Communautés européennes sur le mémorandum de la Commission (Doc. CES 1355/80).
(41) Nombre d'Etats qui ont été « condamnés » par les organes de Strasbourg n'avaient
pas, au sens propre du terme, commis de « fautes », les violations de la Convention provenant
en fait de lacunes dans la loi ou de procédures archaïques.
(42) Le Gouvernement français semble particulièrement sensible à la publicité qui
entourerait les affaires soumises à la Commission européenne. Il convient de préciser que
les communiqués de presse émanant du Secrétariat de la Commission reçoivent toujours
l'accord préalable des deux parties concernées.
42 LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

insister sur le véritable préjudice que cette attitude négative presque solitaire (43)
cause à la France. On attend d'elle un geste, un geste politique qui confirmera son
attachement à une Europe digne des idéaux qu'elle veut défendre (44).

**
*
H serait excessif de penser que la France est la seule à manquer d'enthousiasme
à l'égard des traités relatifs aux droits de l'homme. Comme le soulignait à juste
titre M. Palmero dans son rapport sur le Pacte relatif aux droits civils et politiques,
« si la volonté de promouvoir les droits de l'homme est une chose, la méfiance
profonde de la quasi totalité des Etats à l'égard de toute procédure juridique ou
politique qui pourrait, de près ou de loin, paraître entamer quelque peu leur libre
arbitre et leur souveraineté nationale est une autre réalité bien tangible » (p. 5) .
Ce n'est pas sans raison que les mécanismse de contrôle sont presque toujours
facultatifs.
Mais — peut-être par contraste avec son attitude passée — la France donne
de plus en plus l'impression d'avoir, en ce domaine, mauvaise conscience, d'oublier
que jusqu'à présent c'est elle qui prenait les initiatives. Si elle veut vraiment
apporter son concours « à l'immense et difficile entreprise internationale au service
des droits de l'homme » (45) , elle devra faire preuve de plus d'audace.

Annexe

DECLARATIONS ET RESERVES FORMULEES PAR LA FRANCE (46)

Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels :


1. Le Gouvernement de la République considère que conformément à l'article 103
de la Charte des Nations Unies, en cas de conflit entre ses obligations en vertu du
Pacte et ses obligations en vertu de la Charte (notamment des articles 1er et 2 de
celle-ci) ses obligations en vertu de la Charte prévaudront.
2. Le Gouvernement de la République déclare que les articles 6, 9, 11 et 13 ne
doivent pas être interprétés comme faisant obstacle à des dispositions réglementant
l'accès des étrangers au travail ou fixant des conditions de résidence pour l'attribution
de certaines prestations sociales.
3. Le Gouvernement de la République déclare qu'il appliquera les dispositions de
l'article 8 qui se rapportent à l'exercice du droit de grève conformément à l'article 6
paragraphe 4 de la Charte sociale européenne selon l'interprétation qui en est donnée
à l'annexe de cette Charte.

(43) Sur vingt Etats parties à la Convention, seuls n'ont pas souscrit la déclaration
au titre de l'article 25 : Chypre, Espagne, France, Grèce, Malte et Turquie. Le gouvernement
espagnol a informé le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qu'il souscrira cette
déclaration à partir du 1er juillet 1981 (l'Espagne est devenue membre du Conseil de
l'Europe le 24 novembre 1977) .
(44) La ratification de la Convention était déjà, comme l'a souligné M. M. Jobxbt,
c la manifestation d'une volonté politique » (voir A. Pellet, op. cit., p. 1344) .
(45) Exposé des motifs du projet de loi autorisant l'adhésion au Pacte relatif aux
droits civils et politiques, p. 8.
(46) Décrets portant publication des deux Pactes, J.O., 1" février 1981, p. 404 et 408.
LA FRANCE ET LES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 43

Pacte relatif aux droits civil» et politiques :


1. Le Gouvernement de la République considère que, conformément à l'article 103
de la Charte des Nations Unies, en cas de conflit entre ses obligations en vertu du
Pacte et ses obligations en vertu de la Charte (notamment des articles 1er et 2 de
celle-ci), ses obligations en vertu de la Charte prévaudront.
2. Le Gouvernement de la République émet une réserve concernant le paragraphe 1
de l'article 4 en ce sens, d'une part, que les circonstances énumérées par l'article 16
de la Constitution pour sa mise en œuvre, par l'article 1er de la loi du 3 avril 1878
et par la loi du 9 août 1849 pour la déclaration de l'état de siège, par l'article 1er
de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 pour la déclaration de l'état d'urgence et qui
permettent la mise en application de ces textes, doivent être comprises comme
correspondant à l'objet de l'article 4 du Pacte, et, d'autre part, que, pour l'interprétation
et l'application de l'article 16 de la Constitution de la République française, les termes
« dans la stricte mesure où la situation l'exige » ne sauraient limiter le pouvoir
du Président de la République de prendre « les mesures exigées par les circonstances ».
3. Le Gouvernement de la République émet une réserve concernant les articles 9
et 14 en ce sens que ces articles ne sauraient faire obstacle à l'application des règles
relatives au régime disciplinaire dans les armées.
4. Le Gouvernement de la République déclare que l'article 13 ne doit pas porter
atteinte au chapitre IV de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative à
l'entrée et au séjour des étrangers en France, ni aux autres textes relatifs à
l'expulsion des étrangers en vigueur dans les parties du territoire de la République
où l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'est pas applicable.
5. Le Gouvernement de la République interprète l'article 14 paragraphe 5 comme
posant un principe général auquel la loi peut apporter des exceptions limitées. Il
en est ainsi, notamment, pour certaines infractions relevant en premier et dernier
ressort du tribunal de police ainsi que pour les infractions de nature criminelle. Au
demeurant, les décisions rendues en dernier ressort peuvent faire l'objet d'un recours
devant la Cour de cassation qui statue sur la légalité de la décision intervenue.
6. Le Gouvernement de la République déclare que les articles 19, 21 et 22 du
Pacte seront appliqués conformément aux articles 10, 11 et 16 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en date
du 4 novembre 1950.
Toutefois, le Gouvernement de la République émet une réserve concernant
l'article 19, qui ne saurait faire obstacle au régime de monopole de la radiodiffusion-
télévision française.
7. Le Gouvernement de la République déclare que le terme « guerre » qui figure
à l'article 20 paragraphe 1 doit s'entendre de la guerre contraire au droit international
et estime, en tout cas, que la législation française en ce domaine est adéquate.
8. Le Gouvernement français déclare, compte tenu de l'article 2 de la Constitution
de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui
concerne la République.

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