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L’expertise médicale

en responsabilité médicale
et en réparation du préjudice
corporel
Chez le même éditeur

Du même auteur :
Atlas de techniques chirurgicales du genou, par D. Poitout. 1993, 240 pages, 340 figures
en couleurs.

Autres ouvrages :
Autoroutes de l’information et déontologie médicale, par l’Ordre national des médecins.
1997, 128 pages, 2 dessins.
Éthique et déontologie médicale, par B. Hoerni. Collection Abrégés de Médecine. 1996,
136 pages.
Évaluation du handicap et du dommage corporel. Barème international des invalidité,
par L. Melennec. Collection Précis de Médecine. 1991, 360 pages, 4 figures, 143 tableaux.
Expertises médicales. Dommage corporel, assurances de personne, organismes sociaux,
par G. Creusot. Collection Abrégés de Médecine. 1997, 4e édition, 192 pages.
Réparation du dommage corporel en ophtalmologie, par J. Jonquière, A. Foels. 1990,
208 pages, 7 figures, 10 tableaux.
L’expertise médicale
en responsabilité
médicale
et en réparation
du préjudice corporel

J. HUREAU et D. POITOUT

Préface de P. SARGOS

Publié sous la direction de J. HUREAU

3e édition
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© 1998, 2005, Masson, Paris,


© 2010, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
ISBN : 978-2-294-70819-0

Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


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“Tout homme qui dirige,
qui fait quelque chose,
a contre lui
Ceux qui voudraient
faire la même chose,
Ceux qui font précisément
le contraire, et surtout
la grande armée des gens
beaucoup plus sévères,
qui ne font rien.”

Jules CLARETIE (1840-1913)


Chroniqueur, romancier et auteur dramatique
“Fais ce que dois et n’attends rien.”
Liste des collaborateurs

Alnot J.Y, professeur des Universités, chirurgien Cordier P, professeur d’université, membre du
consultant des Hôpitaux de Paris, chirurgien Conseil national de l’ordre des médecins.
orthopédique et traumatologique, membre de Corman P, docteur en médecine, expert près la
l’Académie nationale de chirurgie, expert près cour d’appel, médecin conseil de victimes,
de la Cour d’appel de Paris. président de l’ANAMEVA.
Archambault J.C, psychiatre des hôpitaux, méde­ Demarez J.P, directeur du département de la
cin chef de service à l’hôpital Robert Ballanger à sécurité du médicament aux laboratoires Pierre
Aulnay-sous-Bois, président d’honneur de la Fabre. Praticien consultant au service de
compagnie des experts médecins près la cour pharmacologie de l’Hôpital Saint Antoine, Paris.
d’appel de Paris, expert agréé par la Cour de Doutremepuich Ch, professeur des universités,
Cassation. expert agréé par la Cour de cassation, Labora­
Ausset L, biologiste. toire d’hématologie médico-légale (accrédité
Bannwarth B, professeur de thérapeutique, ISO 17025), Bordeaux.
Université Victor Segalen Bordeaux 2, praticien Dupuydauby M, directeur général du groupe
hospitalier de rhumatologie, hôpital Pellegrin, MACSF
CHU de Bordeaux. Esponda A, qualiticien.
Bresson L, avocat à la Cour d’appel de Paris. Fabre H, avocat à la Cour d’appel de Paris.
Bondeelle D, docteur en médecine, médecine De Fontbressin P, avocat à la Cour d’appel de
générale, médecine légale, médecin conseil, Paris, maître de conférences à l’université Paris XI,
membre du bureau de l’ANAMEVA.
Guigue J, président du TGI de Bobigny,
Cals E, avocat honoraire au barreau de Marseille. président des CRCI d’Ile de France et de Haute
Campocasso J, médecin conseil, chef de service Normandie.
de la sécurité sociale. Guillaume-Hofnung M, professeur des facultés
Carpentier F, professeur des universités (théra­ de droit, vice-présidente du Comité des Droits
peutique, pneumologie, réanimation), médecin de l’Homme et des Questions Ethiques CNF/
des hôpitaux de Grenoble. UNESCO, présidente de l’Union Professionnelle
Casanova G, professeur agrégé, expert agréé Indépendante des Médiateurs, présidente de
par la Cour de cassation, responsable de l’Unité l’Institut de Médiation Guillaume-Holnung.
de chirurgie orthopédique – traumatologie, Heyvang N, biologiste.
hôpital américain, Neuilly. Hubinois Ph, docteur en médecine,
Chanzy M, docteur en médecine, chirurgien chirurgien, AIHP, ACCA, praticien hospitalier,
orthopédiste, AIHP, ACCA, expert agréé par la docteur en droit, docteur en philosophie,
Cour de cassation, expert près la Cour d’appel de expert près la Cour d’appel de Paris et près la
Paris, expert près la Cour administrative d’appel CAA de Paris.
de Paris, président d’honneur de la CNEM. Hureau J, professeur des universités, chirurgien
Clarac J.P, professeur des universités (chirurgie honoraire des hôpitaux de Paris, membre de
orthopédique et traumatologique), chirurgien l’Académie nationale de médecine, membre
honoraire des hôpitaux de Poitiers, ancien expert honoraire de l’Académie nationale de chirurgie,
près la Cour d’appel de Poitiers. expert honoraire agréé par la Cour de cassation,

VII
Liste des collaborateurs

expert honoraire près la Cour administrative Pourriat J.L, professeur des Universités - praticien
d’appel de Paris. hospitalier, anesthésiste réanimateur, chef de
Isambert J.L, médecin rééducateur, CRF de service des urgences médico-chirurgicales de
l’Arche, Saint Saturnin. l’Hôtel Dieu de Paris - SMUR Hôtel Dieu, expert
Kiegel P, chef de pôle urgences-gériatrie, près la Cour d’appel de Paris et près la Cour
hôpital d’Aix en Provence, expert près la Cour administrative d’appel de Paris.
d’appel. Queneau P, membre de l’Académie nationale
Kierzek G, praticien hospitalier, service des de médecine, professeur des universités en
urgences médico-chirurgicales de l’Hôtel Dieu thérapeutique, doyen honoraire de la faculté de
de Paris - SMUR Hôtel Dieu. médecine de Saint-Étienne, médecin honoraire
des hôpitaux.
Lachamp J.Ch, médecin expert, Président de
l’AMEDOC Provence. Roca I, docteur es Sciences, expert près la Cour
d’appel de Bordeaux.
Lubrano-Lavadera J.L, avocat à la Cour d’appel
de Paris, docteur en médecine, DESS Droit de la Rogier A, président d’honneur de l’AMEDOC,
santé. médecin expert près la Cour d’appel d’Angers.
Maria C, expert près la Cour d’appel d’Aix- Rosemblum J, médecin-expert, praticien en
en-Provence, médecin chef du centre APF, Le dommage corporel, président honoraire de
Cannet. l’AMEDOC Provence.
Merrien Y, professeur, chef de service de Roussiere D, responsable du service hauts
chirurgie orthopédique et traumatologie, hôpital enjeux, sinistres Responsabilité Professionnelle
militaire Laveran, Marseille. du groupe MACSF
Mireur O, médecin légiste agréé, médecin de la Sargos P, président de chambre à la Cour de
police nationale de la zone sud, chargé de cours cassation - Président du conseil d’administration
à la Faculté. de la FIVA
Morales V, biologiste. Savornin C, professeur agrégé, expert agréé par
la Cour de cassation, ancien chef du service de
Peckels B, docteur en médecine, médecine géné­
chirurgie orthopédie-traumatologie de l’hôpital
rale et rhumatologie, médecine légale, expert
Bégin, Saint Mandé, consultant national de
honoraire près la-Cour d’appel de Versailles,
chirurgie orthopédique traumatologie.
expert honoraire agréé par la Cour de cassation,
rédacteur en chef de la revue Experts. Simard M, pharmacien, Centre médical de
Forcilles.
Pellerin D, professeur émérite des universités,
chirurgien chef de service honoraire de chirur­ Steinbach G, psychiatre, médecin légiste, Le
gie infantile, membre honoraire du Comité Mans.
consultatif national d’éthique, membre de ­l’Aca­ Taccoen M, médecin légiste, expert agréé par la
démie nationale de médecine, président Cour de cassation, expert près la Cour admini­
d’honneur de l’Académie nationale de chirurgie, strative d’appel de Paris, médecin inspecteur
Paris. adjoint de l’IML de Paris, Président de la
Poitout D.G, professeur des universités, chirur­ CNEM.
gien chef de service d’orthopédie traumatologie Tiertart Frogé M.P, Maître de conférences à
des hôpitaux de Marseille, membre de l’Université de Versailles – Saint-Quentin, avocat
l’Académie nationale de chirurgie, membre à la Cour d’appel de Paris, docteur en médecine.
correspondant de l’Académie nationale de Vayre P, Professeur émérite des universités,
médecine, expert Commission nationale des chirurgien honoraire des hôpitaux de Paris,
accidents médicaux, chevalier de la Légion membre de l’Académie nationale de médecine,
d’honneur. membre honoraire de l’Académie nationale de

VIII
Liste des collaborateurs

chirurgie, expert honoraire agréé par la Cour de de Paris, expert près la Cour administrative
cassation. d’appel de Paris.
Vendrely E, professeur des universités, biolo­ Vincenti B, avocat à la Cour d’appel de Paris.
giste honoraire des hôpitaux de Paris, biologie Vives G, médecin rhumatologue, expert près la
de la reproduction, expert près la Cour d’appel Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

IX
Préface

À la 3e édition
Dans son avant-propos, le professeur Jacques Hureau met fort juste-
ment l’accent – car seule la mise en perspective historique, sociologique
et juridique d’une question permet de la comprendre en profondeur – sur
l’ancienneté des fonctions d’expert judiciaire en matière médicale, qui
furent organisées dès 1601. C’est dire si, plus qu’en toute autre matière de
l’activité humaine, l’expert médecin et son expertise sont consubstantiels à
l’appréciation de la responsabilité des membres de professions médicales et
des établissements de santé. Sauf cas relevant presque de l’hypothèse d’école,
il ne peut y avoir de réparation d’un dommage d’origine médicale – que ce
soit par la voie de la conciliation, de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique
ou du procès civil, pénal ou administratif – sans expertise préalable.
L’expertise apparaît ainsi au xixe siècle dans l’un des grands arrêts fonda-
teurs de la responsabilité médicale, l’arrêt Hyacinthe Boulanger rendu par
la chambre des requêtes le 21 juillet 18621. Hyacinthe Boulanger était un
garçon de 13 ans qui se fractura un avant-bras en janvier 1860. Un officier
de santé (il s’agissait d’un médecin à compétence réduite dont la catégo-
rie a été supprimée en 1892) lui appliqua un appareil pour réduire la frac-
ture. À la suite de cette intervention, les doigts et la main tout entière de
l’enfant se gangrenèrent et finirent par se détacher complètement 135 jours
après l’accident. Les parents engagèrent une action en justice d’abord pour
faire nommer des experts chirurgiens ayant pour mission de rechercher
les causes qui ont occasionné la maladie de la main et de dire si sa perte
provenait de la faute de l’officier de santé dans la compression des artères
de l’avant-bras. C’est sur la base de cette expertise que le tribunal civil de
Rouen, le 30 avril 1860, puis la cour d’appel, le 14 août 1861, ont retenu que
la gangrène était consécutive à une constriction trop forte et trop prolongée
de l’appareil posé, dont l’officier de santé n’avait pas tenu compte malgré des
signes alarmants présentés par le patient, tels que douleur, lividité, gonfle-
ment et écoulement. La chambre des requêtes a rejeté le pourvoi en approu-
vant les juges du fond d’avoir retenu, en se fondant notamment sur l’opinion
émise par les experts, que le traitement avait été « contraire aux règles de
l’art et de la science » et en énonçant, dans un « chapeau » aussi solennel que
didactique, que les articles 1382 et 1383 du code civil « contiennent une
règle générale, celle de l’imputabilité des fautes, et de la nécessité de réparer
le dommage que l’on a causé non seulement par son fait, mais aussi par sa
négligence ou son imprudence ; que toute personne, quelle que soit sa situ-
ation ou sa profession, est soumise à cette règle… ; que, sans doute, il est

1 Sirey 1862.I.818.

XI
Préface

de la sagesse du juge de ne pas s’ingérer témérairement dans l’examen des


théories ou des méthodes médicales, et prétendre discuter des questions de
pure science ; mais qu’il est des règles générales de bon sens et de prudence
auxquelles on doit se conformer, avant tout, dans l’exercice de chaque pro-
fession, et que, sous ce rapport, les médecins restent soumis au droit com-
mun, comme tous les autres citoyens ».
L’arrêt Thouret-Noroy de la même chambre du 18 juin 18352 avait certes
déjà décidé qu’un médecin pouvait être responsable, sur le fondement des
articles précités du code civil, des fautes commises dans les soins qu’il donne
à un malade, mais c’est l’arrêt Hyacinthe Boulanger qui a réellement fixé par
la formule ci-dessus la doctrine de la Cour de Cassation.
L’arrêt Mercier du 20 mai 19363 devait donner à la responsabilité médicale
un fondement contractuel – observation étant faite que, lorsqu’il n’y a pas de
contrat entre le patient et un médecin, la faute est toujours appréciée sur le
terrain délictuel des arrêts Thouret-Nauroy et Hyacinthe Boulanger –, mais
l’importance de la notion de science, évoquée dans ce dernier arrêt, devait
y être consacrée de façon encore plus éclatante. L’arrêt Mercier énonce en
effet que le contrat formé entre le patient et son médecin comporte, pour
ce dernier, l’engagement de lui donner des soins « conformes aux données
acquises de la science », la violation de cette obligation contractuelle étant
sanctionnée par une responsabilité également contractuelle.
On peut d’ailleurs se demander si le choix particulièrement heureux du
terme « acquis » n’est pas inspiré par Claude Bernard qui, à propos de la gly-
cogénie des animaux et des végétaux, soulignait qu’il s’agissait d’un « résultat
acquis de la science »4. Cette formulation de « données acquises de la science »
a été consacrée par le code de déontologie médicale, maintenant codifié
dans la partie réglementaire du code de la santé publique (art R. 4127-32) et
des chirurgiens-dentistes (art R 4127-233).
La Cour de cassation la maintient fermement, comme en témoigne, par
exemple, son rapport annuel 1970–1971 (p. 55 à 59), qui consacrait une
étude substantielle à la responsabilité des médecins et des chirurgiens
en insistant à propos d’un arrêt5 sur l’importance de la notion de don-
nées acquises de la science. Un autre arrêt6 précise, à propos d’un moyen
reprochant à une cour d’appel de n’avoir pas recherché si des soins étaient
conformes aux « données actuelles » de la science, que « l’obligation pesant
sur le médecin est de donner des soins conformes aux données acquises de la
science à la date des soins», la notion de données actuelles étant « erronée ».
Il ne s’agit pas là d’une simple querelle de mots, car le concept de données

2 Dalloz périodique 1835.1.300. Sirey 1835.1.401, conclusions d’anthologie du procureur


général Dupin.
3 Dalloz périodique, 1936, 1. p 88. Rapport Josserand, concl. Matter, note signée E.P.
(Eustache Pilon). S.1937.1.321, note Breton. Gazette du palais 1936.2.41. RTD.civ.1936.
p. 691, obs. Demogue.
4 Claude Bernard, morceaux choisis et préfacés par Jean Rostand. Gallimard, 1938,
p. 129.
5 Civ. I, 27 novembre 1970, Bull n° 283.
6 Civ. I, 6 juin 2000, Bull. n° 176. JCP G 2001 II 10447 note G. Mémeteau.

XII
Préface

acquises de la science renvoie à des normes validées par l’expérimentation


et un large consensus médical, alors que la notion de « données actuelles »
est plus contingente même si, bien entendu, les données acquises doivent
s’apprécier à la date des soins et non par référence à des connaissances qui
se révéleront par la suite. Ce concept de « données acquises de la science »,
qui est la clé de la responsabilité de tous les professionnels de santé, n’est
pas remis en question par le nouvel article L 1110-5 du code de la santé
publique, issu de la loi du 4 mars 2002, faisant état du droit des patients de
recevoir des soins conformes aux « connaissances médicales avérées », car
cette notion recoupe entièrement celle de données acquises de la science.
Au demeurant les dispositions réglementaires précitées n’ont pas été modi-
fiées et ont toujours force obligatoire.
Le rôle de l’expert médecin moderne, plus encore que ceux qui officièrent
dans l’affaire du malheureux Hyacinthe Boulanger, est capital pour déter-
miner si des soins ont été ou non conformes aux données acquises de la
science ou connaissances médicales avérées. Le bon expert – et le présent
ouvrage est essentiel pour le devenir eu égard à son caractère très complet
et pluridisciplinaire – est celui qui est capable de déterminer quelles sont
les données acquises de la science dans les faits dont il est saisi. Les sources
sont multiples et complexes, parfois même contradictoires. Il faut aussi
tenir compte de terminologies spécifiques (par exemple, les « recommanda-
tions de bonne pratique », les « standards, options, recommandations », plus
communément désignés par l’acronyme SOR) ; mais toutes doivent avoir
pour base les données acquises de la science, y compris les très controver-
sées « références médicales opposables » ou RMO. On signalera à cet égard
un important arrêt7 du Conseil d’État décidant que les données acquises de
la science résultent notamment des recommandations de bonnes pratiques
élaborées par les institutions compétentes et qu’un médecin qui n’a pas
respecté des recommandations de bonne pratique en matière de prescrip-
tion de dépistage systématique du col utérin chez certaines femmes peut
faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
Cette allusion au disciplinaire renvoie à une autre donnée fondamen-
tale pour l’appréciation de la responsabilité des professionnels de santé,
à savoir le code de déontologie médicale auquel cette troisième édi-
tion consacre avec bonheur d’importants développements. Le code de
déontologie médicale de 1995 – repris aux art.4127-1 et s. du code de
la santé publique –, élaboré sous l’impulsion des professeurs Glorion et
Hoerni – auxquels on ne rendra jamais assez hommage – qui furent tous
deux présidents de l’Ordre des médecins, est devenu un véritable code
des devoirs des médecins envers les patients. Une jurisprudence main-
tenant constante fonde donc de plus en plus la responsabilité médicale
sur la méconnaissance de dispositions déontologiques8. Un arrêt récent9

7 C.E. 12 janvier 2005 n° 256001 ; AJDA 2005 p. 1008, note Jean Paul-Markus.
8 JCP E 2002 p. 17, Emmanuel Terrier « Protection juridique du patient : pour une consécra-
tion du modèle déontologique ». D.2007. p chron. P.Sargos À La révolution éthique des codes
de déontologie des professions médicales et ses conséquences juridiques et judiciaires.
9 Civ. I, 27 novembre 2008, n° 0715963. JCP G 2009.10067 note Laurent Mordefroy.

XIII
Préface

est à cet égard particulièrement ­significatif, puisque, sur le fondement


des articles 32 et 33 du code de déontologie (actuels art. R 4127-32 et
4127-33 du CSP), il énonce qu’en présence d’un doute diagnostique ces
articles obligent le médecin de recourir à l’aide de tiers compétents ou de
concours appropriés. Le code de déontologie médicale doit être le livre de
chevet des médecins experts.
Fondamental est aussi le rôle des médecins experts en ce qui concerne
le lien entre la faute reprochée et le préjudice, largement abordé dans le
présent ouvrage. Ce domaine est marqué par une très grande confusion de
la terminologie et des concepts10. Comme l’avait magistralement illustré
l’arrêt Teyssier rendu le 28 janvier 1942 par la chambre des requêtes de
la Cour de cassation11, il convient de distinguer entre l’origine du dom-
mage, notion essentiellement matérielle, et la causalité juridique, notion
de pur droit qui concerne l’imputabilité du dommage à un agent. L’expert
doit se prononcer sur l’origine, par contre la causalité juridique, c’est-à-
dire l’imputabilité de la responsabilité à quelqu’un, relève du seul office
du juge. Là encore, un arrêt récent12 marque une heureuse illustration de
cette distinction entre l’origine et la causalité qui est de nature à dissiper
bien des équivoques . Les doutes sur l’origine peuvent aussi faire apparaître
l’épineuse question de la perte de chance dans laquelle le poids de l’avis
des experts sera déterminant (cf. le rapport annuel de la Cour de cassation
2007 p. 267 à 271).
Née au cours du xixe siècle avec les grands arrêts qui ont été évoqués,
­confortée au xxe siècle par d’autres décisions majeures, tant de la Cour de
cassation que du Conseil d’État, « consolidée » sur la base de la faute par la
loi du 4 mars 2002 – qui a aussi institué la réparation de l’aléa thérapeu-
tique –, la responsabilité des professionnels de santé reste une matière à la
fois riche et complexe même si, contrairement à des affirmations un peu
trop hâtives de certains, le nombre de procès reste – et c’est heureux – limité.
Nul doute qu’une part essentielle de cette limitation est due à la qualité des
médecins experts, qualité à laquelle cette attendue troisième édition apporte
une contribution majeure.
Pierre SARGOS
président de chambre à la Cour de cassation
(7 mai 2009)

10 Cf. les actes du colloque des 15 et 16 décembre 2006 de la faculté de droit et de sciences
de Rennes consacrés aux « distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité »,
publiés en 2007 par la revue Lamy droit civil. Cf. également la chronique de Pierre Sargos
« La causalité en matière de responsabilité ou le droit Schtroumpf » D.2008 p. 1935.
11 Dalloz 1942 p. 63, et l’analyse qui en est faite au n° 6 et s. de la chronique précitée sur
le « droit Schtroumpf ».
12 Civ I 22 janvier 2009 n° 0716449 JCP G II 10031, note P. Sargos.

XIV
Préface

À la 2e édition
« Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des
constatations, par une consultation ou par une expertise sur une ­question de
fait qui requiert les lumières d’un technicien. » Ainsi s’exprime l’article 232 du
Nouveau code de procédure civile. La métaphore sur les lumières qui éclairent
peut surprendre dans un texte juridique. Mais la surprise s’estompe rapide-
ment lorsqu’on prend conscience que le terme lumière est un terme de droit.
Il n’est, par exemple, que de se référer à des formules de la Cour de cassation,
du Conseil d’État ou encore du Tribunal des conflits, qui, lorsque la portée
d’un texte législatif est difficile à apprécier, l’interprètent « à la lumière des
travaux préparatoires ». Et en matière de Directives ­européennes qui n’ont
pas été transposées dans le délai imparti, la Cour de cassation – comme le
recommande d’ailleurs la Cour de justice des communautés européennes –
n’hésite pas à interpréter un texte « à la lumière » de la Directive non encore
transposée. On citera, à cet égard, la célèbre Directive 85/374 du 24 juillet
1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, dont le
délai de transposition dans le droit national expirait le 30 juillet 1988 et que
la France n’a transposée que dix ans après avec la loi no 98-389 du 19 mai
1998. Par un arrêt rendu le 28 avril 199813, la première chambre civile de la
Cour de cassation, à propos d’un litige ­concernant une contamination par
le virus de l’immunodéficience humaine, a visé « les articles 1147 et 1384,
alinéa premier du code civil, interprétés à la lumière de la Directive CEE
no 85/374 du 24 juillet 1991 » et énoncé que « tout producteur est respon­
sable des dommages causés par un défaut de son produit, tant à l’égard des
victimes immédiates que des victimes par ricochet, sans qu’il y ait lieu de
distinguer selon qu’elles ont la qualité de partie contractante ou de tiers ».
Et peu de temps avant, par un arrêt du 3 mars 199814 la même chambre de
la Cour de cassation avait retenu la responsabilité d’un fabricant de médica-
ments, dont l’enveloppe non digestible avait provoqué un dommage chez un
patient, en retenant la définition objective du produit défectueux issue de la
Directive précitée, c’est-à-dire un produit n’offrant pas la sécurité à laquelle
on peut légitimement s’attendre.
L’évocation de ces arrêts concernant la responsabilité du fait des produits
de santé et des médicaments n’est pas neutre au regard du présent ouvrage
qui comporte justement des chapitres consacrés aux médicaments et autres
produits médicaux. Ce simple exemple – et de nombreux autres le confor-
tent – illustre le fait que l’ambition des auteurs, animés et coordonnés par
les professeurs Hureau et Poitout, n’a pas été de se borner à faire un livre
plus ou moins technique sur l’expertise appliquée au domaine médical, mais
d’apporter aux experts médicaux les lumières les plus éclairantes sur le vaste
continent du corps détruit ou abîmé et de l’âme souffrante, et sur le rôle du
médecin expert quant à la recherche de la vérité sur la réalité, l’origine et
« l’intensité » des atteintes à la personne humaine.

13  Civ I, bull no 158, Rapport annuel 1998, p. 277, JCP 1998 II 10 088.
14  Civ I, Bull no 95, Rapport annuel 1998, p. 277.

XV
Préface

L’expert médecin, chargé de faire la lumière sur les faits en discussion ou en


litige, ne peut en effet le faire que s’il est lui-même suffisamment éclairé sur
des questions qui vont de l’éthique, au droit, à la procédure et, bien entendu,
à la science médicale. Ce livre s’y emploie avec hauteur de vue – on pense
ainsi aux contributions sur l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, la
recherche sur les cellules embryonnaires humaines ou encore l’aléa – et
rigueur – on renverra notamment aux développements précis et didac-
tiques sur les infections nosocomiales et sur l’orthopédie-traumatologie
avec le drame, que l’expert doit appréhender avec humanité, des grands
handicapés.
On appréciera aussi l’actualité de cet ouvrage qui tient compte des nouvelles
dispositions de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité
du système de santé, laquelle, avec en particulier l’institution d’un système
d’indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections
nosocomiales, ouvre aux experts médecins un nouveau champ où leur rôle
sera capital et partant leur éventuelle responsabilité, qui fait aussi l’objet
d’une étude.
Le domaine purement juridique est naturellement analysé en profondeur et
de façon pertinente, tant en ce qui concerne les règles de base de toute exper-
tise – convocations, « dires », principe d’impartialité et du contradictoire, rela-
tions avec la juridiction, sapiteur, rédaction du rapport etc. – que celles plus
spécifiques et délicates tenant en particulier aux interférences du principe
fondamental du secret médical avec l’accomplissement de la mission exper-
tale, qui ne peut aboutir à la manifestation de la vérité que si elle s’appuie sur
toutes les données médicales utiles. À cet égard, un arrêt récent du 15 juin
2004 de la première chambre civile de la Cour de cassation (arrêt no 1001 P,
pourvoi no N0102338) illustre cette difficulté qui peut aller jusqu’à un constat
de carence. Pour les besoins d’une expertise judiciaire portant sur l’origine
d’un décès, l’expert médecin avait demandé et obtenu du juge une ordonnance
enjoignant à un médecin du travail de lui communiquer le dossier médical du
défunt. Mais les ayants droit de ce dernier s’étaient opposés à ce que le méde-
cin du travail transmette le dossier médical. Le juge ayant refusé de rétracter
son ordonnance, le médecin du travail a formé un pourvoi en cassation et
a obtenu gain de cause quant à son refus de communiquer le dossier, l’arrêt
de la Cour de cassation posant pour principe, au visa des articles 226-13 du
code pénal, 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code déontologie des
médecins et 243 du nouveau code de procédure civile, que « si le juge civil a
le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents
nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de dis-
positions législatives spécifiques, contraindre un médecin à lui transmettre
des informations couvertes par le secret lorsque la personne ­concernée ou
ses ayants droit s’y sont opposé ; qu’il appartient alors au juge saisi sur le fond
d’apprécier si cette opposition tend à faire respecter un intérêt légitime ou à
faire écarter un élément de preuve et d’en tirer toute ­conséquence ». Cet arrêt
se situe dans la ligne de la conception générale et absolue du secret médi-
cal de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cas. 8 avril 1998, Bull
Crim no 138, p. 368), étant précisé qu’il ne faut pas se méprendre sur la portée
de cette règle qui signifie seulement qu’un médecin – sauf disposition légale

XVI
Préface

expresse – ne peut jamais être contraint de témoigner ou de donner des infor-


mations concernant une personne sur laquelle il a accompli des actes médi-
caux. Par contre, il peut parfaitement, comme le prévoit l’article 50 du code
de déontologie médicale, délivrer des informations, comme des certificats
médicaux, nécessaires à la défense des intérêts de son patient, ou de ses ayants
droit, lorsque ceux-ci le demandent ou l’autorisent.
L’ampleur et la diversité des thèmes abordés, dont les lignes qui précédent
ne peuvent donner qu’un aperçu limité, font de L’expertise en responsabilité
médicale et en réparation du préjudice corporel une quasi-encyclopédie –
avec des renvois à une bibliographie permettant d’approfondir les recher-
ches sur tel ou tel point – qui permet à l’expert médecin de trouver la réponse
à la plupart de ses questions et de faire ainsi de lui un expert éclairé. Et les
assureurs, avocats et juges auront aussi profit à s’y référer.
Pierre SARGOS
président de chambre à la Cour de cassation
(28 juin 2004)

XVII
Avant-propos

« Rendre la lumière suppose d’ombre une morne moitié. »


Paul Valéry
L’expert, instruit par l’expérience, est une personne que l’on charge de donner
son avis sur un point contesté et qui concerne l’art qu’elle connaît.
Dans la France des temps modernes, une lettre patente du 14 mars 1601, puis
un édit de janvier 1606 que l’on doit à Henri IV instituent pour la première fois
des experts judiciaires en discipline chirurgicale « pour assister aux visites et
rapports qui se feraient par ordonnance de justice et autrement ». Deux ordon-
nances de Louis XIV mettent fin à la prééminence des juridictions corporati-
ves : en avril 1667 en matière civile et en août 1670 en matière pénale. Un édit
de février 1692 crée les offices de « Médecins et chirurgiens jurés ». Leur pou-
voir fut codifié pour la première fois en 1699 : « Ad quaestionem facti ­respondent
juratores, ad quaestionem juris respondent judices» (Ph. Bornier, Conférences
des Nouvelles Ordonnances de Louis XIV, MDCXCIX Paris, tome Ier, art. XVI,
tit. XXI, p. 169). La procédure de désignation des experts est alors assez proche
de la «Common law » actuelle. Au décours de la Révolution, la procédure fran-
çaise flotte un temps entre l’accusatoire anglo-saxon et l’inquisitoire de la
« Continental Law » qui prend le pas. La forme procédurale actuelle de l’exper-
tise judiciaire a été fixée par la loi du 29 juin 1971 modifiée par la loi du 11
février 2004 et par le décret du 23 décembre 2004. Elle est codifiée dans le
CPC. L’ensemble de ces textes constitue ce que d’aucuns auraient tendance à
appeler le « statut » de l’expert de justice.
Toutes les qualités exigées de l’expert sont résumées dans cet ensemble de tex-
tes : compétence théorique et pratique, objectivité, impartialité, indépendance,
disponibilité. Auxiliaire du magistrat qui le désigne, l’expert participe aux
activités juridictionnelles durant le temps de sa mission. À ce titre, il est sou-
mis à quelques grands principes procéduraux dont l’obligation de réserve,
équivalent au civil du secret de l’instruction pénale, et le respect du caractère
contradictoire des opérations. Ce dernier principe, intangible, a été brutale-
ment rappelé à l’État français et aux experts par l’arrêt Mantovanelli, Cour
européenne des droits de l’Homme, du 18 mars 1997. Cette exigence de la pro-
cédure est un élément de convergence entre la « Common law » et la « Continental
law ». C’est un des éléments d’ouverture sur un espace expertal européen en
attendant la création à plus long terme d’un espace judiciaire européen.
L’expertise en règlement des conflits s’ouvre au contentieux extrajudiciaire et
aux modes alternatifs de règlement des conflits sous réserve d’une déontologie
aussi exigeante que celle des experts judiciaires. La France, dans ce domaine,
reste timide. Le juge ne peut donner au technicien mission de concilier les
parties. Pourtant la loi du 8 février 1995 a bien assoupli certaines dispositions
de procédure civile. Son décret d’application du 22 juillet 1996 ne précise

XIX
Avant-propos

t­ outefois pas si le médiateur institué est juriste ou expert. Les conditions de


son intervention paraissent voisines de celles de l’expert. Dans le domaine par-
ticulier des procédures d’indemnisation des victimes d’accident de la circula-
tion terrestre, la loi du 5 juillet 1985 a profondément modifié le cours des
règlements. À peine 5 % des litiges atteignent le stade du contentieux judi-
ciaire. Il pourrait en être de même dans l’indemnisation des préjudices liés à
l’aléa médical, mais le problème de la responsabilité médicale reste plus com-
plexe. La loi du 4 mars 2002 et plus particulièrement son titre IV, complétée
par la loi du 30 décembre 2002, a profondément bouleversé le paysage des
contentieux médicaux. Elle a atteint son but : l’indemnisation des préjudices
les plus graves lorsque le dommage est la conséquence d’un aléa médical.
Toutes ces évolutions justifiaient déjà en 1998 un nouvel ouvrage sur l’exper-
tise en discipline médicale, domaine où, durant les dernières années, tant de
compétences s’étaient exercées. Nous écrivions à cette date : « Les lecteurs en
jugeront. Ce sera l’heure de vérité des auteurs. » Le succès de la première édi-
tion a incité notre éditeur à une deuxième édition corrigée, revue et augmentée
au gré de l’évolution du droit médical et de la réglementation intervenue de
1998 à fin 2004.
Il semble, à écouter ce qui en est dit, que l’un des intérêts de ce livre soit la richesse
de la documentation à laquelle les auteurs se sont attachés. Aussi, dans une
matière encore en constant renouvellement, suivant en cela le rythme des nou-
veautés en médecine, n’est-on pas étonné que de 2005 à 2009 la nécessité d’une
troisième édition se soit imposée aussi bien à l’éditeur qu’aux auteurs. Tous ont
revu leur copie pour mettre à jour les chapitres qu’ils avaient pris en charge.
Nous nous sommes tous efforcés, tant dans les éditions précédentes que dans
cette importante remise à jour, de traiter de façon la plus impartiale possible le
concept de responsabilité médicale. Il est souhaitable, pour que le tableau des
relations entre soignants et soignés n’apparaisse pas exagérément noir, de rap-
peler quelques chiffres concernant l’activité médicale et le contentieux en res-
ponsabilité médicale en France. Il y a chaque année :
• 400 millions d’actes médicaux pratiqués ;
• 13 à 14 millions de malades hospitalisés dans les établissements de soins ;
• 20 000 déclarations « d’insatisfaction » auprès des assureurs :
– 5 000 à 6 000 d’entre elles au maximum sont traitées en contentieux juri-
dictionnel, toutes juridictions confondues,
– en procédure civile, la plupart des affaires sont d’abord traitées en référé
pour demande d’expertise : 80 % d’entre elles ne vont jamais en jugement
au fond, car les parties, demandeurs et leurs conseils et défendeurs soi-
gnants avec leurs assureurs et conseils, trouvent un terrain de transaction
sur les bases du rapport d’expert,
– les CRCI (Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation) et
l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux) ont
pour mission première l’indemnisation des préjudices liés aux aléas (donc
non fautifs) de la pratique médicale selon des critères de prise en charge
très précis. Le nombre de dossiers reçus est, bon an mal an, de 3 000 envi-
ron. 18 à 20 % entrent dans les normes définies par la loi.
Il y a encore une grande majorité de malades satisfaits qui doivent leur retour
à la santé, voire leur survie, aux soins reçus, en dépit des contraintes budgétai-

XX
Avant-propos

res qui pèsent sur les dépenses de santé en milieu hospitalier. Merci à l’ensem-
ble du corps des soignants dont nous serons tous un jour les clients.
La vindicte contre la médecine et les médecins à laquelle nous assistons depuis
quelques années traduit la déception des malades qui, instruits des prouesses
de la chirurgie et du merveilleux de la biologie médicale, n’acceptent plus l’im-
perfection ou l’échec. L’humanisme médical a fait place au consumérisme de
la société. La médecine est réputée totipotente. Le médecin qui échoue ne peut
qu’être coupable.
C’est là qu’intervient l’expert médecin avec toutes les qualités exigées de lui. Il
lui faudra, avec tact et souvent beaucoup d’humilité, faire comprendre au
demandeur que l’utopique droit à la santé n’est qu’un prosaïque droit à des
soins de qualité, et au défendeur qu’il doit ces soins de qualité même si, face à
une véritable demande d’immortalité, il ne peut apporter que le meilleur de
nos connaissances au moment des faits. Faute de cette éthique, l’expert lui-
même sera l’objet de l’incompréhension des deux parties.
C’est l’un des buts de cet ouvrage que de tenter de remettre à leur juste place la
responsabilité médicale et son évaluation par l’expert, auxiliaire indispensable
du juge, en dépit des dérives dont notre société fait trop souvent preuve.
Ce livre est né, à l’origine, de la volonté de l’un de nous de rassembler, sur le
thème de l’expertise en orthopédie et traumatologie, un groupe de juristes et
de médecins qui tous y ont acquis des savoirs particuliers. Le moment était
venu de ne pas laisser se perdre leur expérience.
Très vite, la matière a pris du volume. De simple rédacteur de quelques chapi-
tres spécifiques, un deuxième coauteur s’est vu solliciter pour étoffer le thème
de la responsabilité médicale. Rien n’est exhaustif dans cette somme, mais,
actualité et évolution de la Société aidant, mises au point et réflexions généra-
les ont trouvé leur place. Compassionnelle puis humaniste, la médecine est
atteinte par le consumérisme. Cette réalité de fait, l’expert ne peut que la
constater. Ses états d’âme transparaîtront. Un dialogue était devenu nécessaire
entre juristes et médecins. Patients potentiels et justiciables en sursis se sont
parlés. Cela aussi il fallait l’écrire.
Comment faire l’assemblage de tous les thèmes évoqués ? Le lecteur s’y per-
drait s’il n’y avait, dans le courant de la pensée, un fil conducteur et un souci
de synthèse sous-tendu par une déjà longue pratique de l’expertise judiciaire
en discipline médicale. L’ouvrage est divisé en trois grandes parties conservées
dans cette troisième édition corrigée, mise à jour et augmentée :
1. les bases juridiques et l’organisation générale de l’expertise médicale permet-
tent d’exposer quelques grands principes généraux de droit, de rappeler
qu’ils sont appliqués à et par des médecins, que l’activité expertale s’est for-
tement structurée depuis l’édit du bon Roi Henri IV ; ainsi sont successive-
ment traités :
– les grands principes et l’organisation qui sous-tendent l’activité expertale,
– les avancées législatives qui régissent l’indemnisation du dommage corpo-
rel en accidentologie de la voie publique ou permettent l’indemnisation des
préjudices graves en rapport avec un évènement indésirable aléatoire donc
non fautif,
– l’éthique et la déontologie expertale sous leurs divers aspects règlementai-
res, d’application pratique et même philosophiques,

XXI
Avant-propos

– les différents types d’expertises qui conditionnent la posture de l’expert


face à sa mission, encore qu’il eut été vain de vouloir être exhaustif ;
2. la responsabilité médicale a pris bien du corps depuis qu’un certain arrêt du
18 juin 1835 a fait disparaître la quasi-immunité juridique du médecin.
Mais pouvait-on, auparavant, lui reprocher ses insuccès ? La jurisprudence,
longtemps seule base du droit médical, a bien évolué depuis. Elle est dou-
blée et étayée dans bien des domaines par une réglementation de plus en
plus contraignante. Les médecins, de plus en plus efficaces au prix d’une
agressivité croissante, se voient reprocher les défauts de leurs résultats ; il
fallait :
– situer la responsabilité médicale par rapport à l’environnement dans les-
quels elle s’exerce,
– connaître de l’aléa, de la preuve scientifique, du risque nosocomial ou
iatrogène selon celui qui l’assume, de la prévention du risque,
– suivre l’évolution du droit de la responsabilité médicale,
– mais à côté de cette responsabilité traitée dans sa globalité, bien des aspects
particuliers méritaient des éclairages plus focalisés que le lecteur décou-
vrira au fil de ses centres d’intérêt,
– enfin le médecin et la médecine utilisent des produits, des matériels et des
dispositifs médicaux susceptibles de créer des risques ; le choix sélectif s’est
porté sur le médicament, les matériels médicaux et les biomatériaux ; ce n’est
pas pour autant qu’il faille négliger d’autres contraintes souvent très pré-
gnantes comme nous l’évoquerons à propos de l’architecture et des struc-
tures hospitalières ;
3. l’objet de leurs soins, l’Homme, est en soi matière périssable et à tout le
moins fragile. Est-il l’objet d’une agression, il demande réparation de ses
préjudices, ceux du corps et ceux de l’âme. Les sévices nosocomiaux comme
ceux de l’accidentologie ont depuis longtemps alerté les juristes, les magis-
trats et les assureurs. Là encore le rôle de l’expert-médecin, technicien du
corps humain, est indispensable à un juste règlement des conflits, que la
procédure soit juridictionnelle ou non. C’est ce domaine devenu très com-
plexe qui est abordé dans la dernière partie du travail ; la réparation des
préjudices liés à un dommage corporel passe par deux phases :
– l’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences ; elle
nécessite quelques guides de nomenclature et de référentiels mais égale-
ment quelques règles de principes concernant en particulier l’état antérieur
du patient et l’imputabilité du dommage au fait mis en cause ; sans être
exhaustif là encore, il a paru nécessaire de développer certains tableaux
particuliers du dommage corporel parmi les plus complexes,
– l’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel est l’aboutis-
sement du travail de l’expert mais n’est plus directement de son ressort. Il
nous a paru toutefois utile de faire développer ce chapitre en droit com-
mun et en réparation des faits dommageables militaires, enfin d’ouvrir la
porte sur l’Europe.
Cet ouvrage doit beaucoup à monsieur le Président Pierre Sargos qui nous
a tant instruits sur la jurisprudence, son interprétation et sa portée dans le
milieu très fermé de la médecine que nous nous sommes efforcés de lui
faire connaître. Il a accepté de préfacer à nouveau cette troisième édition

XXII
Avant-propos

profondément remaniée. Nous l’en remercions en toute reconnaissance et


amitié.
Nous tenons à remercier également tous nos coauteurs pour l’aide compétente
qu’ils ont accepté de nous apporter dans les domaines les plus divers. Cette
mise à jour fut pour beaucoup une lourde tâche.
Nos remerciements vont à toute l’équipe des éditions Elsevier-Masson qui a
sollicité cette troisième édition et l’a menée à bien, et tout particulièrement à
Madame Harbulot-Blondeau et Madame Agnès Aubert, nos éditrices fidèles et
attentives, qui nous ont suivis, ainsi que Monsieur Tarik Oulehri directeur
éditorial, dans toutes nos suggestions et exigences d’auteurs.
Enfin, je tiens à exprimer à Madame Claude Sambourg Hureau, mon épouse,
toute l’admiration que j’ai pour l’aide constante qu’elle m’a apportée depuis si
longtemps et sans laquelle aucun de mes travaux n’aurait pu être mené à bien,
en particulier cette troisième édition d’un si gros ouvrage dont elle a assuré,
comme à l’habitude, outre le secrétariat, le contrôle de la syntaxe et de la forme
grammaticale.
Présomption ou conscience de la nécessaire humilité de notre rôle, ne s’agis-
sait-il pas de faire laisser par chacun le témoignage de son expérience de juriste
ou de médecin ? Nous souhaitons que ce livre trouve un auditoire attentif
auprès de tous ceux qui, acteurs, témoins ou spectateurs du drame des conflits,
n’y voient pas seulement un « jeu de rôles » mais des réponses concrètes ou plus
philosophiques aux questions qu’ils se posent. Les sujets ne sont pas pour
autant épuisés.
André Chamson n’écrit-il pas, dans un essai intitulé Devenir ce qu’on est, à
propos du destin des œuvres dans le monde : « Le meilleur ? C’est ce que cha-
cun de nous peut donner et qui ne peut être donné par un autre. »
En bon protestant cévenol, André Chamson, fin connaisseur des écritures, ne
traduit-il pas là, consciemment ou non, l’Apocalyspe de Jean (14 -13) : « Heureux
les morts qui meurent dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, que dès à présent ils se
reposent de leurs travaux car leurs œuvres les suivent ». Johannes Brahms en a
fait le 7e et dernier verset de son magnifique requiem.
J. Hureau – mars 2009

XXIII
Abréviations

ACCA Ancien chef de clinique-assistant CCNE Comité consultatif national


des hôpitaux d’éthique,
ACOSS Agence centrale des organismes CDDC Centre de documentation sur
de sécurité sociale le dommage corporel
ACVG Anciens combattants et victimes CDM Code de déontologie médicale
de guerre CE Conseil d’état
ADN Acide désoxyribonucléique CEACC Compagnie des experts agréés
AEXEA Association des experts européens par la Cour de cassation
agréés CEDH Cour européenne des droits
AFSSAPS Agence française de sécurité de l’homme ou Convention
sanitaire des produits de santé européenne des droits de l’homme
AFSSET Agence française de sécurité CEE Communauté économique
de l’environnement et du travail européenne
AIHP Ancien interne des Hôpitaux CEMCAP Compagnie des experts médecins
de Paris près la cour d’appel de Paris
AIPP Atteinte à l’intégrité physique CEREDOC Confédération européenne d’experts
et ­psychique en réparation et évaluation
ALD Affections de longue durée du dommage corporel
AMCAP Association des médecins conseils CIDADEC Confédération internationale des
en assurance de personnes associations d’experts et de conseils
AMEDOC Association des médecins en CIM Classification internationale des
­dommage corporel troubles mentaux
AMM Autorisation de mise sur le marché CIRCI Commission interrégionale
AMP Assistance médicale à la procréation de conciliation et d’indemnisation
ANAES Agence nationale d’accréditation et CIVEM Centre de visites et d’expertises
d’évaluation en santé médicales (UAP)
ANAMEVA Association nationale des médecins CIVI Commission d’indemnisation
de victimes d’accidents avec des victimes d’infraction
­dommage corporel CLIN Comité de lutte contre les infections
ANPE Agence nationale pour l’emploi nosocomiales
APT Amnésie post-traumatique CMI Classification internationale
AREDOC Association pour l’étude de la des maladies
­réparation du dommage corporel CMU Capacité de médecine d’urgence
ARH Agence régionale d’hospitalisation CNAF Caisse nationale des allocations
AT/MP Accidents de travail/Maladies familiales
­professionnelles CNAM Commission nationale des accidents
ATNC Agents transmissibles non médicaux
conventionnels CNAMTS Caisse nationale d’assurance
AVIAM Association des victimes d’accidents maladie des travailleurs salariés
médicaux CNAV Caisse nationale d’assurance
CA Cour d’appel vieillesse
CAA Cour administrative d’appel CNAVTS Caisse nationale d’assurance
CAMU Capacité d’aide médicale urgente vieillesse des travailleurs salariés
CC Code civil ou Cour de cassation CNDM Commission nationale des
CCLIN Centre interrégional de coordination dispositifs médicaux
de la lutte contre les infections CNEM Compagnie nationale des experts
nosocomiales médecins près les tribunaux
CCM Commission consultative CNESSS Centre national d’études supérieures
médicale de sécurité sociale

XXX
Abréviations

CNIL Commission nationale informatique EHPAD Etablissement d’hébergement


et liberté pour personnes âgées dépendantes
CNITAAT Cour nationale de l’incapacité EOHH Equipe opérationnelle d’hygiène
et de la tarification de l’assurance hospitaliére
accident du travail EPP Evaluation des pratiques
CNM Commission nationale professionnelles
de matériovigilance ES Etablissement de santé
CNOM Conseil national de l’ordre ESST Encéphalite subaiguë spongiforme
des médecins transmissible
COMPAQH Coordination pour la mesure FFAMCE Fédération française des associations
de la performance et l’amélioration de médecins conseils experts
de la qualité hospitalière FIV Fécondation in vitro
CP Code pénal FIVA Fond d’indemnisation des victimes
CPAM Caisse primaire d’assurance maladie de l’amiante
CPC Code de procédure civile FNC Formation médicale continue
CPP Code de procédure pénale FNCEJ Fédération nationale des
CPT Capacité pulmonaire totale compagnies d’experts judiciaires
CRA Commission de recours amiable GAMM Groupe des assurances mutuelles
CRAM Caisse régionale d’assurance maladie médicales
CRCI Commission régionale de GCS Glasgow Coma Scale (Score
conciliation et d’indemnisation de Glasgow)
CRU Commission de relation avec GEDIM Groupe d’étude des dispositifs
les usagers ­médicaux
CSCP Commission spéciale de cassation GEMME Groupe européen des magistrats
des pensions pour la médiation en Europe
CSHP Conseil supérieur d’hygiène GERES Groupe d’études sur le risque
­publique d’exposition des soignants
CSP Code de la santé publique GOS Glasgow Outcome Scale
CSS Code de la sécurité sociale GP Gazette du Palais
CTIN Comité technique des infections HAS Haute autorité de santé
nosocomiales IAD Invalidité absolue définitive
CTINILS Comité technique des infections IAS Infections associées aux soins
nosocomiales et des infections liées ICALIN Indice composite des activités
aux soins de lutte contre les infections
CV Capacité virale ­nosocomiales
CVC Cathéter veineux central ICATB Indice composite de bon usage
DDASS Direction départementale des antibiotiques
des affaires sanitaires et sociales ICSHA Indice de consommation des
DEM Débit expiratoire moyen produits hydro-alcooliques
DES Diplôme d’études spécialisées ICSI Injection intracytoplasmique
DESC Diplôme d’études spécialisées d’un spermatozoïde
­complémentaires IJ Indemnités journalières
DFPD Déficit fonctionnel personnel IML Institut médico-légal
définitif IN Infection nosocomiale
DFPT Déficit fonctionnel personnel InVS Institut de veille sanitaire
­temporaire IPP Incapacité permanente partielle
DGS Direction générale de la santé IRM Imagerie par résonance magnétique
DHOS Direction de l’hospitalisation ISO Infection du site opératoire
et de l’organisation des soins ITNS Transfert intracytoplasmique
DPC Développement professionnel d’une cellule somatique
continu ITP Incapacité temporaire partielle
DPI Diagnostic pré-implantatoire ITT Incapacité temporaire totale
DPN Diagnostic prénatal IVG Interruption volontaire de grossesse
DRASS Direction régionale des affaires JCP Jurisclasseur périodique - Semaine
sanitaires et sociales juridique
EBLSE Entérobactéries productrices MARC Mode alternatif de règlement
de bêta-lactamase à spectre élargi des conflits

XXXI
Abréviations

MARL Mode alternatif de règlement SMUR Service mobile d’urgence


des litiges et de réanimation
NCP Nouveau code pénal SOFCOT Société française de chirurgie
NHS National Health Service orthopédique et traumatologique
NNISS National Nosocomial Infection SURVISO Surveillance des infections
Surveillance System du site opératoire
NSU Négligence spatiale unilatérale SRLF Société de réanimation de langue
NYHA New York Heart Association française
OMS Organisation mondiale de la santé STR Short Tandem Repeat ou
ONIAM Office national d’indemnisation Microsatellites ou Unités
des accidents médicaux répétitives
PA Préjudice d’agrément TA Tribunal administratif
PaCO2 Pression partielle de gaz carbonique TASS Tribunal des affaires de sécurité
dans le sang artériel sociale
PaO2 Pression partielle d’oxygène TC Tribunal des conflits, Traumatisme
dans le sang artériel crânien
PD Pretium doloris TCI Tribunal du contentieux
PE Préjudice esthétique de l’incapacité
PFA Préjudice fonctionnel d’agrément TDM Tomodensitométrie
PFP Préjudice fonctionnel permanent TDP Tribunal départemental des
PFT Préjudice fonctionnel temporaire pensions
PMA Procréation médicalement assistée TGI Tribunal de grande instance
QD Quantum doloris TLCO/DA Mesure de la capacité de transfert
RAISIN Réseau d’alerte, d’investigation de monoxyde de carbone par
et de surveillance des infections rapport au volume alvéolaire.
nosocomiales TM Ticket modérateur
RCP Responsabilité civile professionnelle UCANSS Union des caisses nationales
RICP Règlement intérieur des caisses de sécurité sociale
primaires UCECAAP Union des compagnies
RMO Références médicales opposables d’experts près la cour d’appel
RTDH Revue trimestrielle des droits d’Aix-en-Provence
de l’homme UCECAP Union des compagnies d’experts
Samu Service d’aide médicale en urgence près la cour d’appel de Paris
SaO2 Saturation en oxygène de UE Union européenne
l’hémoglobine dans le sang UHCD Unité d’hospitalisation de courte
SARM Staphylococcus aureus résistant durée
à la méticilline URSSAF Union pour le recouvrement
SAU Service d’accueil et de traitement des cotisations de sécurité sociale
des urgences et d’allocations familiales
SFAR Société française d’anesthésie URCAM Union régionale des caisses
et de réanimation d’assurance maladie
SFMU Société francophone de médecine URML Union régionale des médecins
d’urgence libéraux
SHAM Société hospitalière d’assurances VIH Virus immunodépresseur
mutuelles humain

XXXII
Quelques principes Chapitre  1
généraux
Le système juridictionnel français
J.L. Lubrano Lavadera, mise à jour J. Hureau

Ordre administratif et ordre tiers, civilement responsable, qui assurera la répa-


ration du dommage causé par l’auteur de l’infrac-
judiciaire tion.
Le système juridique français se caractérise par Le droit civil règle les problèmes qui occupent les
deux systèmes totalement indépendants l’un membres de notre société entre eux, qu’il s’agisse
de  l’autre : l’ordre administratif et l’ordre de personnes physiques ou de personnes morales :
judiciaire. sociétés, associations…
L’ordre administratif a pour objet de traiter les pro- Il convient de préciser ici que les personnes mora-
blèmes qui touchent l’État et/ou l’administration, les occupent aujourd’hui dans notre droit une
qu’il s’agisse de problèmes internes (contentieux position sans cesse plus grande, car elles sont de
de carrières, disciplinaires…) ou externes occu- plus en plus souvent mises en cause dans les
pant alors tous ceux qui ne font pas partie de l’État conflits, qu’elles les initient ou qu’elles y soient
ou de l’administration, mais qui sont en conten- impliquées.
tieux avec eux ; il en ira ainsi, par exemple, du Un pas décisif a été franchi avec le nouveau
contentieux en responsabilité occupant un malade Code pénal, qui reconnaît aujourd’hui la res-
avec un hôpital public. ponsabilité pénale des personnes morales elles-
L’ordre judiciaire, lui, se décompose en système de mêmes.
droit pénal et système de droit civil. Un tel engagement de responsabilité trouvera sans
Le droit pénal a pour objet de sanctionner les man- doute une grande place en médecine, au regard
quements que le législateur a répertoriés sous les des obligations qui pèsent sur les établissements
vocables de contraventions, délits et crimes, et qui de soin.
sont tenus pour autant de troubles causés à la Il existe donc trois types de juridiction :
société.
• administrative, qui traite des problèmes dans
La finalité du droit pénal est de sanctionner les lesquels sont impliqués l’administration et ses
infractions, mais les infractions qui constituent agents ;
les contraventions, crimes et délits, sont souvent à
• civile, qui traite des problèmes qui ne concer-
l’origine d’un dommage : la procédure pénale per-
nent pas l’administration ;
mettra alors à la victime d’obtenir réparation de
son dommage, le juge pénal opérant alors sanc- • pénale, qui sanctionne les infractions commises
tion et réparation. par quiconque, agent ou non de l’administration
ou de l’État.
Le droit pénal est un droit qui s’applique à celui
qui a personnellement commis l’infraction : c’est Juridiction pénale et civile constituent l’ordre judi-
lui et lui seul qui sera puni. ciaire et traitent de ce qui s’appelle le droit commun.
Si celui qui a fauté a commis un dommage et qu’il Chacun de ces systèmes connaît trois niveaux
se trouve être lui-même préposé d’un tiers, c’est ce de juridiction (tableau 1.1) : 1er et 2e degrés, qui

3
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Tableau 1.1
Organismes judiciaires dont relève en France la responsabilité médicale
Degrés de Ordre judiciaire (droit commun) Ordre
juridiction administratif
Juridictions civiles Juridictions pénales
(droit
Instruction Jugement au fond Parquet administratif)
(défense
de la société)
1er degré – Tribunal d’instance Juge – Tribunal – Procureur Tribunal
(1er jugement) – Tribunal de grande d’instruction correctionnel (délits) e la République administratif
instance : chambre des – Cour d’assises – Substituts
référés, chambre civile (crimes)
2e degré Cour d’appel Cour d’appel Cour d’appel – Procureur Cour
(appel) Chambres civiles Chambre – Chambre général administrative
d’accusation correctionnelle (délits) – Avocats d’appel
– Cour d’assises généraux
(crimes) – Substituts
généraux
3e degré Cour de cassation (Premier Président – Procureur Général) – Jugement en droit Conseil d’État
(pourvoi Jugement sur
5 Chambres civiles Chambre Parquet (compétences
en cassation) le fond
– 1 , 2 et 3 Ch. Civ.
re e e criminelle civiles et pénales)
– Procureur général – Questions
– Ch. Commerciale et
de droit
financière (4e) – Avocats généraux
– Questions
– Ch. Sociale (5e)
de fait

constituent les juridictions de fond (qui jugent ou mauvaise, mais simplement que l’application
donc l’affaire dans ses éléments de fait et de droit) ; du droit a été bonne ou mauvaise.
3e degré qui, pour la Cour de cassation, juge uni- Il s’agit là du 3e degré de juridiction.
quement en droit et, pour le Conseil d’État (sec-
tion du contentieux), sur les questions de faits et
de droit. Les différentes juridictions
En matière administrative, le 1er degré est constitué
par le tribunal administratif ; en matière civile, c’est La juridiction administrative
le tribunal de grande instance ou d’instance ; en
matière pénale, c’est le tribunal correctionnel. Principes
La partie mécontente du résultat peut demander La juridiction administrative a pour objet, rappe-
que l’affaire soit rejugée : elle la porte alors devant lons-le, de traiter les problèmes dans lesquels sont
la cour d’appel, administrative, civile ou pénale. impliqués l’État et/ou l’administration.
La cour d’appel constitue la juridiction du 2e degré. Dès lors qu’un conflit existe entre un sujet qui ne
Enfin, une partie peut estimer que le droit n’a pas relève pas de la fonction publique et une adminis-
été respecté, et former un pourvoi contre la déci- tration ou l’un de ses membres, seule la juridiction
sion rendue, devant le Conseil d’État (administra- administrative est compétente pour connaître du
tif) qui peut juger sur les questions de fait et/ou de litige.
droit, ou la Cour de cassation (civil ou pénal) : Il existe à ce principe quelques rares exceptions,
cette dernière n’appréciant la décision déférée telle celle des accidents de voiture, qui seront trai-
qu’en droit et non en fait. Ainsi ne dira-t-elle pas tés par l’ordre judiciaire même si l’un des véhicu-
que telle chose a été, à tort ou à raison, jugée bonne les impliqués appartient à l’administration ; mais

4
Chapitre 1. Quelques principes généraux

ce type d’exception reste très limité, et tient à une administrative d’appel, le Conseil d’État, organe
histoire procédurale qui n’a pas lieu d’être déve- suprême de cassation en matière administrative.
loppée ici. La durée de la procédure est très variable : habi-
Une règle, il n’existe pas de responsabilité person- tuellement longue, elle dépasse généralement 5 à
nelle de l’agent de l’administration (sauf cas d’in- 6 ans entre l’introduction de la demande et la
fraction, où est alors encourue une responsabilité décision finale du Conseil d’État en cas de
pénale) et l’agent de l’administration s’efface pourvoi.
devant l’administration elle-même.
C’est l’administration qui sera poursuivie du fait La juridiction civile
de son agent, pas l’agent lui-même. Ainsi poursui-
vra-t-on l’hôpital pour la faute d’un de ses méde- Principe
cins et non le médecin lui-même. La juridiction civile traite de tous les problèmes
liés à la vie civile et qui occupent tant les person-
Mode de fonctionnement nes physiques que les personnes morales. L’objet
du droit civil est multiple : droit des personnes
La nature des conflits pouvant exister avec une
(famille, nom…), droit des obligations, des
administration est de deux types :
affaires…
• celui qui découle d’un acte, ou décision, qui est
pris par l’administration dans le cadre normal
de son exercice, mais qui fait grief à celui qu’il
Mode de fonctionnement
concerne : mutation d’un agent, modification La procédure civile nécessite ou pas, selon les
d’une réglementation, par exemple ; matières l’intervention d’un avocat.
• celui qui découle d’un acte accidentel de l’admi- Ainsi, l’avocat est nécessaire devant le tribunal de
nistration ou d’un de ses agents : accident médi- grande instance, mais pas devant le tribunal
cal, par exemple. d’instance ; devant le juge aux affaires de la famille
en matière de divorce, mais pas dans le cadre
Ces deux types de conflit relèveront de ce qui s’ap-
d’une requête.
pelle le contentieux de l’excès de pouvoir, d’une
part, et du plein contentieux, d’autre part. La procédure est écrite et orale (par les plaidoi-
ries) devant le tribunal de grande instance, orale
De cette classification découlent des règles spéci-
devant le tribunal d’instance.
fiques pour saisir le tribunal administratif.
La procédure devant le tribunal administratif est Organisation
écrite. Elle consiste à saisir le tribunal par un
mémoire introductif qui expose les griefs et les La juridiction civile s’organise en :
moyens de droit que l’on soutient, et l’administra- • juridiction de premier degré, constituée du tribu-
tion répond de la même façon jusqu’à ce que les nal de grande instance ou tribunal d’instance ;
échanges soient suffisants pour que l’affaire puisse
• juridiction du deuxième degré : cour d’appel ;
venir en jugement.
• juridiction de pourvoi : Cour de cassation
Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire : cha-
(5 Chambres civiles).
cun peut mener seul sa procédure, sans avocat.
Enfin, le caractère écrit de la procédure fait qu’il La direction d’une affaire devant le tribunal de
n’est pas nécessaire d’être présent à l’audience, il grande instance ou d’instance dépend du mon-
est permis d’y être et de présenter des observa- tant du litige, mais aussi de sa nature : les textes
tions, mais la décision sera rendue sur les seuls prévoient en effet que le choix entre ces deux juri-
mémoires échangés. dictions s’opère (c’est la règle commune) unique-
ment en fonction du montant de l’enjeu, mais il
est également prévu que le tribunal d’instance soit
Organisation seul compétent pour connaître certains types de
La juridiction administrative connaît trois niveaux conflits : le montant de l’enjeu n’est plus alors à
de juridictions : le tribunal administratif, la cour prendre en compte, le choix ne se pose plus.

5
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Les affaires jugées par le tribunal d’instance ou le ordonnance de non-lieu s’il estime que les charges
tribunal de grande instance peuvent être jugées à sont insuffisantes, ou une ordonnance de renvoi
nouveau par la juridiction de deuxième degré, s’il estime que le prévenu doit être jugé.
c’est-à-dire la cour d’appel. Depuis la loi du 15 juin 2000 a été institué un « juge
Devant la cour d’appel, il faut constituer obliga- des libertés et de la détention » qui est désormais
toirement (sauf dérogations pour certaines matiè- seul à pouvoir décider, dans le cadre des disposi-
res) un avoué, qui représente la partie en cause. tions du Code de procédure pénale, du placement
C’est l’avoué qui suit la procédure. en détention provisoire d’une personne mise en
Habituellement, c’est l’avocat choisi qui rédige les examen et de la prolongation de cette mesure.
conclusions, mais l’avoué peut le faire lui-même Parallèlement aux juges d’instruction, qui sont
également. indépendants, se trouvent des magistrats spécifi-
Enfin, la décision rendue peut être portée par la quement chargés de défendre les intérêts de la
voie du pourvoi devant la Cour de cassation, société, et groupés au sein de ce que l’on appelle le
devant laquelle il faut prendre un avocat au parquet : procureur de la République, parfois un
Conseil d’État et à la Cour de cassation : le corps procureur adjoint, un ou plusieurs substituts sont
des avocats du Conseil d’État et Cour de cassation des magistrats du parquet.
possède le monopole de l’intervention devant la Le deuxième degré de juridiction est représenté
Cour de cassation. au sein de la Cour d’appel par la Chambre correc-
Il n’est, par contre, pas possible à ses membres tionnelle, qui statue sur les délits, et par la Cour
d’intervenir hors ces deux juridictions ; il ne leur d’assises, qui statue sur les crimes.
est ainsi pas possible de plaider devant la cour La Chambre d’accusation est une formation de la
d’appel. Cour d’appel statuant principalement sur appel
La procédure devant la Cour de cassation est des ordonnances du juge d’instruction ou comme
écrite, par échange de mémoires. second degré d’instruction en matière criminelle.
Le Parquet de la Cour d’appel est dirigé par le
Procureur général près la Cour d’appel. Il est assisté
La juridiction pénale
d’avocats généraux et de substituts généraux.
Principe Le troisième degré, juridiction de pourvoi, est la
Elle sanctionne les infractions répertoriées comme Cour de cassation, qui comprend une chambre
telles dans le Code pénal et classées par ordre de criminelle.
gravité croissante : contravention, délits, crimes. Au niveau de la Cour de cassation, les décisions
Elle punit l’auteur de l’infraction, et répare le peuvent être prises par une chambre seule ou en
dommage causé si la victime le lui demande. chambre mixte, voire pour une affaire particulière-
ment importante en Assemblée plénière de la Cour.
Le Parquet général de la Cour de cassation est
Organisation dirigé par le Procureur général près la Cour de
Le premier degré de juridiction est le tribunal cor- cassation. Il est assisté d’un Premier avocat géné-
rectionnel au sein du tribunal de grande instance. ral et d’avocats généraux. Ses prérogatives sont
civiles et pénales.
Le tribunal correctionnel juge les prévenus qui lui
sont déférés.
Procédure
Pour qu’un sujet prévenu d’avoir commis une
infraction arrive devant le tribunal, encore faut-il L’ouverture d’une instruction s’appelle mise en jeu
que quelqu’un l’y envoie. de l’action publique. Elle peut se faire directement
par la victime ou à l’initiative du parquet lui-même.
Tout débute habituellement par une plainte, qui
sera instruite par la juridiction d’instruction : un La victime peut porter plainte auprès du parquet, qui
juge d’instruction est désigné, qui fait procéder décide ou non de l’ouverture d’une information.
aux enquêtes nécessaires par l’intermédiaire d’un Elle peut aussi porter plainte auprès des juges
expert et qui, à l’issu de son travail, rend une d’instruction avec constitution de partie civile ;

6
Chapitre 1. Quelques principes généraux

un juge d’instruction est alors désigné et une En droit administratif comme en droit civil, le
information, obligatoirement ouverte. juge apprécie souverainement, ce qui veut dire
Le parquet peut, lui-même, décider d’ouvrir une qu’il n’est pas tenu de disposer d’une expertise
information s’il a par lui-même eu connaissance pour fixer le montant de la réparation.
des faits qu’il considère comme répréhensibles. Ainsi, dans un petit traumatisme sans séquelles,
La plainte peut se faire par simple courrier de la le juge s’estime souvent capable de fixer le mon-
victime, le ministère d’avocat n’étant pas obliga- tant du dommage.
toire en matière pénale, que ce soit pour la victime Mais le plus fréquemment, il fait appel à une
ou pour le délinquant. expertise, confiée à un ou plusieurs experts.
La réparation du dommage se fait par le juge pénal La demande d’expertise peut se faire :
selon les règles du droit civil. • soit devant le juge du fond, dans une assignation
Donc, la juridiction pénale se compose, à ce jour, dans laquelle on lui demande, avant dire droit
de juges d’instruction qui instruisent les dossiers, (c’est-à-dire avant de juger) de désigner un expert ;
de magistrats du parquet qui transmettent aux • le plus souvent par voie de « référé », procédure
juges d’instruction les plaintes à instruire et d’un juridique non contentieuse (il n’y a pas de déci-
tribunal correctionnel qui juge les prévenus ren- sion au fond) qui se contente de donner un
voyés devant lui1. caractère officiel à l’expertise ordonnée.
Les procédures de mise en œuvre en appel et en
En droit civil, l’expert décomposera le préjudice :
pourvoi sont proches des procédures en juridic-
pretium doloris, préjudice esthétique, préjudice
tions civiles.
d’agrément, incapacité partielle permanente
(IPP), incapacité totale temporaire (ITT).

La réparation du préjudice Le juge statuera sur ces différents points.


En droit administratif, le juge accorde une réparation
corporel globale sans tenir compte des différents postes sus-
évoqués, même s’ils sont quantifiés dans l’expertise.
Le système de réparation s’avère être globalement
Ainsi, sous une apparente cohérence, notre sys-
le même, quel que soit le système.
tème de droit présente parfois des disparités très
sensibles qui amènent, contre toute logique, le
1 Le « Rapport du comité de réflexion sur la justesse même fait à être jugé fort différemment selon la
pénale » – P. Léger rapporteur – a été remis le 1er sep- juridiction à laquelle il est soumis ; ainsi le même
tembre. Il prévoit la transformation du juge d’ins- accident médical sera-t-il jugé souvent différem-
truction en juge de l’enquête et des libertés, et de la ment selon qu’il est soumis au juge administratif,
chambre de l’instruction (2e degré) en chambre de au juge civil ou au juge pénal.
l’enquête et des libertés.. Le parquet dirige l’enquête.
Le projet de loi découlant de ce rapport devrait être Une certaine harmonisation des systèmes paraît
discuté à partir de l’été 2010. souhaitable.

Les litiges, définition et origine


É. Cals

L’étymologie du mot litige se trouve dans le latin Romains prévoir une réparation forfaitaire des dom-
litigium qui signifie « querelle », également dans mages corporels par le responsable. Au fil des temps,
litigiosus, « celui qui aime la contestation » ou « qui le législateur a souhaité voir se développer le principe
prête à contestation ». de la réparation des préjudices subis par une victime,
Les litiges existent depuis la nuit des temps. Au et les philosophes, dont Kierkegaard dans In vino
début, leur résolution passait par la loi du talion ; veritas, ont encouragé toute victime à demander
puis, avec le développement de la société, on voit les réparation, d’où le développement des litiges.

7
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Ce besoin de réparation entraîne, d’une part, la la première manifestation du litige ; viendra


recherche d’un responsable et, d’autre part, la ensuite le différend sur l’évaluation des séquelles
recherche d’une satisfaction, le plus souvent pécu- dommageables constatées par l’expert, voire la
niaire, destinée à compenser le préjudice subi. Pour contestation sur les conclusions de ce dernier. Il
ce qui est de la recherche du responsable, les tribu- ne sera pas rare cependant qu’un accord inter-
naux se doivent d’appliquer la loi aux faits domma- vienne dès l’instant que des conseils compétents
geables. C’est la naissance de la jurisprudence, et avisés pourront parvenir à une évaluation satis-
résultat de l’analyse par le juge des textes législatifs faisante pour tous.
et des faits qui leur sont soumis. Cependant, le litige participe aussi du domaine de
En ce qui concerne l’évaluation et la réparation du la communication, ce qui entraîne la possibilité
préjudice, il existe une disproportion dans l’esti- d’aspects psychologiques. En effet, la communica-
mation par la victime et par le responsable depuis tion est un des processus essentiels de la psycholo-
que la loi du talion ne s’applique plus. Le législa- gie de l’humain, et elle est le véhicule primordial de
teur a toujours cherché à éviter le litige, tant en ce l’information, laquelle est indispensable à l’indi-
qui concerne la recherche de la responsabilité que vidu pour connaître le milieu ambiant. Le litige,
pour l’évaluation du préjudice. C’est ainsi que quant à lui, se trouve au carrefour, à voies multi-
sont nées les présomptions de responsabilité et, ples, des déviances de la communication : l’infor-
plus récemment, en matière d’accidents mettant mation ne passe plus, elle est manipulation. L’autre
en jeu des véhicules automobiles terrestres, la loi a tort et il faut l’en convaincre, ou avoir recours à
Badinter de 1985 qui oblige à réparation dès l’ins- un tiers pour qu’il soit jugé. Avoir raison, ce n’est
tant qu’un véhicule est impliqué dans un accident, pas tant avoir le bon droit pour soi, mais c’est aussi,
sauf quelques rares exceptions. et peut-être surtout, ne pas avoir tort. Il y a donc
De nos jours, en matière d’accidents de la circula- dans cette démarche une recherche de l’affirmation
tion, les litiges sur la responsabilité sont peu nom- du moi, et c’est ainsi que l’on trouve le rapport
breux. Demeurent cependant les litiges concernant dominant/dominé.
l’évaluation du dommage, quoique la loi de 1985 Il est évident que le processus de contestation se
impose aux compagnies d’assurances de faire une produit sur des personnalités à moi rigide ou
offre d’indemnisation. hypertrophié (chicaniers, procéduriers, plai-
En l’absence d’un principe de réparation forfai- deurs). Le litige qui prendra alors son véritable
taire, le litige naîtra souvent en matière de préju- sens étymologique, à savoir le procès, sera bien
dice corporel d’un désaccord entre la victime et le souvent plus une manifestation psychologique
responsable. Le recours à l’expertise médicale sera qu’un véritable différend.

Le lien de causalité – imputabilité médicale,


causalité juridique
H. Fabre

« Felix qui potuit rerum cognoscere causas ! » notion de droit, exerce un contrôle quant à son
Virgile, Les Géorgiques existence.
Il est de principe que la responsabilité civile, qu’elle Par principe encore, le lien de causalité doit être
soit contractuelle ou délictuelle, ne peut donner direct et certain, mais, ici, une très large liberté
lieu à indemnisation que s’il existe un lien de cause d’appréciation est laissée aux tribunaux.
à effet entre le préjudice et le fait dommageable Dans le domaine corporel, puisque tel est l’objet de
encore appelé cause génératrice. cette étude, le juge ou l’assureur se voit dans l’obli-
Le lien causal doit être établi par le deman- gation, pour indemniser équitablement le dom-
deur, et la Cour de cassation, s’agissant d’une mage, ni trop ni trop peu, de rechercher avec le
8
Chapitre 1. Quelques principes généraux

plus de justesse possible la nature et l’étendue quérir la certitude de la réalité du traumatisme :


exacte du seul préjudice découlant de l’événement certificat initial, dossier médical, examens, radio-
générateur de responsabilité ou de garantie. graphies et tout document permettant de mieux
Cette appréciation, fort technique et nécessitant cerner les circonstances dans lesquelles est survenu
des connaissances médicales particulières, ne peut le traumatisme.
être confiée qu’à un médecin expert dont la démar- L’ensemble de ces éléments permettra d’apprécier le
che objective et scientifique, fondée sur l’examen degré de cohérence existant entre les circonstances
clinique du patient et le dossier, aboutira à admet- de l’accident, la réalité du traumatisme, son intensité
tre ou refuser partiellement ou totalement l’impu- et ses conséquences (physiques ou psychiques).
tabilité médicale du dommage au fait générateur.
Telle est la tâche du médecin expert. La vraisemblance scientifique
Le juriste pourra ensuite conduire son propre rai- du diagnostic étiologique
sonnement quant à la causalité juridique entre fait Ce critère est déterminant : l’analyse du fait médi-
générateur et dommage, pour accorder ou refuser cal, l’examen du dossier médical, du certificat ini-
l’indemnisation. tial, l’examen clinique du blessé, peuvent conduire
le médecin expert à admettre la vraisemblance
scientifique de la causalité médicale, ou au contraire
Le médecin expert l’invraisemblance de cette causalité.
à la recherche de l’imputabilité
La concordance de siège entre
médicale le traumatisme et les lésions
En présence d’une causalité complexe, où s’enche- séquellaires
vêtrent différents événements, le médecin expert Ce critère rejoint le critère de vraisemblance du
doit rechercher si le dommage corporel allégué par diagnostic étiologique évoqué ci-dessus.
le plaignant est ou non, de manière certaine ou
hypothétique, en totalité ou partiellement, de façon Le délai entre l’événement initial
directe ou indirecte, la conséquence physiopatho-
logique de l’événement dommageable. L’analyse à
et l’apparition des troubles
laquelle doit se livrer le médecin expert comporte Les connaissances médicales et l’expérience du
deux temps : examen des différents critères d’impu- médecin expert lui permettront d’apprécier là
tabilité classiquement admis au regard du cas par- encore la cohérence du délai écoulé entre l’acci-
ticulier, déductions et conclusions à tirer de cet dent et l’apparition des troubles, ce délai variant,
examen dans l’analyse du lien causal. bien entendu, selon la nature des troubles.

Critères d’imputabilité Continuité évolutive


classiquement admis au regard ou enchaînement clinique
du cas particulier soumis Il s’agit d’apprécier ici la continuité de l’enchaîne-
au médecin expert ment causal des troubles : le cheminement du mal…
Il est possible de rattacher à un accident des trou-
Ces critères ont été dégagés au fil du temps par bles diagnostiqués beaucoup plus tard, mais à la
différents auteurs pour guider le médecin expert condition que des signes cliniques ou des troubles
dans une tâche aussi fondamentale que délicate. subjectifs se soient manifestés rapidement à la suite
Ils sont au nombre de sept : de l’accident et aient ensuite évolué jusqu’au
moment où le diagnostic aura été fait.
La réalité et l’intensité
du traumatisme Certitude du diagnostic actuel
Il appartient au plaignant de fournir au médecin Le médecin expert ne peut conduire utilement son
expert les éléments de preuve lui permettant d’ac- analyse de l’imputabilité médicale s’il ne dispose pas
9
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

d’une certitude quant au diagnostic de la pathologie Pour parvenir à un tel résultat, encore faut-il connaî-
dont le patient est, en définitive, atteint. tre l’état de santé de la victime, d’une part, avant l’ac-
Ainsi, par exemple, dans le domaine de la respon- cident, puis les séquelles subsistant après l’accident.
sabilité médicale, en obstétrique, il est parfois La recherche et l’analyse de l’état antérieur
impossible au médecin expert de déterminer avec concernent les anomalies, pathologies, accidents,
certitude la cause d’un handicap présenté par l’en- opérations ayant affecté la victime auparavant, de
fant à la naissance : plusieurs hypothèses sont même que l’examen des prédispositions de la vic-
envisageables (origine génétique, maladie méta- time à une maladie ou à un trouble.
bolique, souffrance chronique anténatale, souf- Bien entendu, seuls les éléments de l’état antérieur
france pernatale…), dont aucune ne peut être ou les prédispositions en rapport avec l’événement
retenue avec certitude. litigieux et ses conséquences doivent être pris en
Il est alors impossible, même en présence d’une compte.
faute commise par l’équipe obstétricale, d’imputer L’état antérieur ou les prédispositions peuvent
la survenue du handicap de l’enfant à cette faute en jouer un rôle déclenchant d’une pathologie anté-
l’absence de certitude quant à l’étiologie de ce rieure latente, ou un rôle simplement aggravant
handicap. d’une incapacité fonctionnelle antérieure qui
La déontologie du médecin expert lui impose de devra être évaluée et prouvée.
faire part au juge de ce doute et de cette incerti- Le médecin expert devra fournir au juriste toutes
tude avec humilité et impartialité, car tout man- les données objectives lui permettant de connaître
que de rigueur à ce stade de l’expertise peut et d’évaluer très concrètement la part de préjudice
pervertir le raisonnement juridique que devra corporel ou le taux d’incapacité découlant d’un
conduire ultérieurement le juge. état préexistant à l’accident et existant de manière
Comme le souligne Monsieur le Président Pierre autonome et indépendante.
Sargos dans sa chronique « La causalité en matière Une fois, l’analyse des critères d’imputabilité réa-
de responsabilité ou le Droit Stroumph » [5] publiée lisée, le médecin expert sera en mesure de formu-
à l’occasion du colloque organisé par la Cour ler ses déductions et conclusions concernant le
de Cassation le 29 mai 2008 : « Il s’agira toujours de lien causal.
déterminer d’abord quelle est l’origine du dommage
dont se plaint un cocontractant ou un tiers avant
de rechercher si quelqu’un peut en répondre au titre Déductions et conclusions
de la responsabilité pour faute ou sans faute ou à du médecin expert tirées
raison d’un produit… Assez souvent, la question de l’examen des critères
de  l’origine du dommage se pose en quelque sorte
comme un préalable à toute discussion sur la faute
d’imputabilité médicale
même si la logique de la démarche juridique n’est En substance, le médecin expert peut aboutir à
pas toujours respectée, ce qui contribue d’ailleurs à trois sortes de conclusions.
entretenir des confusions… La démonstration de
l’origine du sinistre est une question purement maté-
rielle de preuve. En cas de succès de cette démonstra-
L’origine du dommage sur le plan
tion, on passe alors à la recherche de la cause de la médical est, ou n’est pas établie,
responsabilité du sinistre qui, en l’espèce, est une avec certitude
cause de pur droit… »
Le médecin expert ne nourrit aucun doute :
• soit il a acquis la certitude que l’accident a bien
Analyse des antécédents (état causé de manière directe le préjudice corporel
antérieur et prédispositions) allégué dans sa totalité ;
Le préjudice s’apprécie in concreto sans perte ni • soit il a acquis la certitude contraire : les déficits
profit pour la victime dont l’indemnisation doit fonctionnels et le préjudice allégués ne peuvent
réparer l’entier préjudice constituant la suite être scientifiquement rattachés à une origine
nécessaire du fait dommageable. traumatique découlant de l’accident invoqué.

10
Chapitre 1. Quelques principes généraux

L’origine du dommage sur le plan • soit le traumatisme n’a joué qu’un rôle accélé-
médical est incertaine, rant dans un processus irréversible lié à l’état
antérieur, lequel aurait abouti, indépendam-
hypothétique ment de tout traumatisme, au même résultat
Le médecin expert n’a pas de certitude quant à la dans un délai différent ;
réalité du lien causal entre le dommage et l’événe-
• soit le traumatisme a joué un rôle aggravant
ment générateur, mais ne peut pas l’exclure en
(dans quelle proportion) d’une incapacité ou
fonction d’une analyse scientifique rigoureuse et
d’une pathologie qui existait mais dont les effets,
des données de la science : il estime que le dom-
en l’absence d’accident, auraient été moindres :
mage « n’est pas incompatible » avec le fait généra-
le médecin expert devra alors chiffrer le taux
teur mais qu’il « n’est pas incompatible » avec
des déficits imputables à l’accident correspon-
d’autres causes.
dant à la différence entre la capacité antérieure
Le médecin expert doit alors proposer une ana- et la capacité actuelle.
lyse des arguments favorables et défavorables,
assortie de la littérature scientifique susceptible
Causalité médicale indirecte
d’éclairer le juge dans la conduite de son raison-
nement sur la causalité juridique. La continuité de l’enchaînement causal peut être
rompue par un ou plusieurs événements indépen-
À partir de cette analyse très fouillée, le juriste sera
dants, tel un autre accident ou une initiative arbi-
en mesure de rechercher s’il existe des présomp-
traire et spontanée de la victime elle-même qui,
tions graves, précises et concordantes l’autorisant à
par exemple, se suicide quelque temps après
admettre l’existence d’un lien de causalité.
l’accident.
Il y a alors rupture du lien de causalité direct par
L’origine du dommage suite du novus actus.
est plurifactorielle Ici deux cas sont à envisager :
Causalité médicale partielle Soit un accident considéré comme indépendant du
On se trouve ici dans l’hypothèse où l’accident et premier survient dans un second temps : l’analyse
ses conséquences sont une des causes parmi plu- menée par le médecin expert consistera à déter-
sieurs autres ayant contribué au préjudice corpo- miner ce que sont les séquelles de chaque accident
rel final. pour les différencier.
Le mécanisme plurifactoriel se rencontre fré- Imaginons le cas de la victime d’un accident de
quemment en présence d’un état antérieur patho- circulation banal qui, excédée, poursuivra l’auteur
logique ou de prédispositions. de l’accident de manière effrénée et mourra d’un
infarctus du myocarde.
Il appartient alors au médecin expert de se poser
trois questions : La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a
répondu par la négative dans un arrêt du 2 décem-
• Quelle aurait été l’évolution du traumatisme sans
bre 1965 (GP 66.1132) estimant le rapport de cau-
l’état antérieur ou sans les prédispositions ?
salité beaucoup trop indirect.
• Quelle aurait été l’évolution de l’état antérieur ou
De même, le suicide qui survient à distance plus
des prédispositions sans le traumatisme ?
ou moins longue dans le temps d’un accident ini-
• Quelle a été l’évolution du complexe « état anté- tial, peut être ou n’être pas rattaché à celui-ci selon
rieur – accident » ? que la victime présentait ou non avant l’accident
Ayant répondu à ces trois questions, le médecin une prédisposition à la dépression…
expert pourra, sans trop de difficultés, exposer les Soit le premier accident et ses conséquences corpo-
arguments qui l’amènent à formuler l’un des trois relles jouent un rôle causal à l’occasion de la surve-
avis suivants : nance d’un accident subséquent.
• soit le traumatisme n’a joué qu’un rôle déclen- Il en est ainsi, par exemple, de la victime d’un
chant conduisant à la décompensation d’un état accident de la voie publique qui décédera ou
antérieur ; verra son état aggravé du fait d’un accident

11
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

t­ hérapeutique, d’une infection nosocomiale ou Pour ce faire, le juriste a, à sa disposition, des


d’une faute médicale secondaires lesquels ne se théories de la causalité élaborées par la doctrine,
seraient jamais produits en l’absence de l’accident dont deux retiennent particulièrement l’attention
initial amenant à l’hospitalisation. en France : celle de l’équivalence des conditions et
L’exemple tragique de ces dernières années, en ce celle de la causalité adéquate.
domaine, nous fut donné par les patients transfu- Une troisième théorie, dite de la causa proxima,
sés à l’occasion d’un accident ou d’une opération selon laquelle le dommage doit être rattaché à la
et qui ont été contaminés par le virus du syn- cause la plus proche dans le temps, n’est guère
drome d’immunodépression acquise (sida) ou de utilisée.
l’hépatite C.
Il appartient alors au médecin expert d’analyser
les éléments permettant d’établir (ou de contes- Les théories de la causalité
ter) le fait que, sans la survenance du premier
accident, l’accident subséquent n’aurait pas eu La théorie de l’équivalence
lieu. des conditions
Le médecin expert doit également analyser et dis- Selon cette théorie élaborée par les auteurs alle-
tinguer les éléments du préjudice découlant de mands, en 1855, tous les événements ayant
l’accident initial et ceux découlant de l’accident concouru au dommage sont équivalents et cha-
subséquent. cun des éléments en l’absence duquel le dom-
En prenant appui sur l’analyse du médecin expert mage ne serait pas survenu est la cause du
concernant l’imputabilité médicale, le juge sera dommage.
alors en mesure d’apprécier, en droit, les caractè- A contrario, les conditions indifférentes à la pro-
res du lien de causalité. duction du dommage doivent être éliminées. La
cause est dans toute condition sine qua non.
Cette théorie permet donc, en cas de pluralité de
La causalité juridique faits dommageables, de retenir la responsabilité
de l’auteur de tout fait sans lequel le dommage
En présence d’une faute et d’un dommage établis, final ne se serait pas produit.
reste à analyser le lien de causalité, en droit. « Dès lors que plusieurs causes produites successi-
À partir de renseignements techniques que lui vement ont été les conditions nécessaires du dom-
fournit le médecin expert, le juge ou l’assureur mage, toutes sont les causes de la première à la
comprend et mesure le rôle exact du traumatisme dernière. » (cour d’appel de Paris, 7 juillet 1989,
dans l’évolution de l’état médical actuel de la vic- GP 92-2752)
time : Le recours à cette théorie est fréquent lorsque,
• soit la relation de causalité est suffisamment dans les suites d’un accident initial, la victime
directe et établie pour admettre que le dommage connaît des déboires à l’occasion des soins médi-
n’aurait pas eu lieu sans la faute : l’indemnisa- caux qui lui sont prodigués.
tion sera accordée ; C’est ainsi que parfois l’on voit une cascade de
• soit la situation est inverse et le dommage se complications médicales, accidentelles ou fauti-
serait produit même en l’absence de toute faute : ves, subséquentes à un accident plus ou moins
la réparation n’interviendra pas ; bénin.
• soit, enfin et là est toute la difficulté, le lien de Si tous les événements successifs (ou certains
causalité est incertain, indirect ou complexe et d’entre eux) ont incontestablement concouru à la
implique une analyse beaucoup plus fine de l’en- réalisation du dommage final, le juge se pronon-
chaînement causal, en fonction des règles juri- cera sur les pourcentages respectifs de responsa-
diques applicables au cas d’espèce et d’un tri que bilité imputables aux uns et aux autres de ces faits
réalisera le juriste avec raison, bon sens et intui- dommageables dont les auteurs pourront être
tion entre les différents phénomènes ayant l’objet d’une condamnation in solidum à l’égard
concouru à la création du dommage. de la victime.

12
Chapitre 1. Quelques principes généraux

La théorie de la causalité Cette preuve peut être faite par tous moyens, y
adéquate ou objective compris par présomptions à condition que ces pré-
somptions soient graves, précises et concordantes
Cette théorie est utilisée par les tribunaux au selon la formule consacrée par les dispositions de
même titre que la précédente, au gré des espèces l’article 1353 du Code civil. Un exemple récent du
de manière assez souple, la jurisprudence étant recours aux présomptions dans le cadre de l’ana-
très pragmatique. lyse du lien de causalité en présence d’une incerti-
Elle découle de l’idée que tous les antécédents tude scientifique a été fourni par le revirement de
d’un dommage n’ont pas joué le même rôle et que, la jurisprudence de la Cour de Cassation en
dans l’enchaînement des causes et des effets, il matière de vaccination non obligatoire contre
peut y avoir des circonstances exceptionnelles à l’hépatite B et de sclérose en plaques, à travers ces
l’occasion desquelles un événement va provoquer cinq arrêts du 22 mai 2008 [6].
un dommage sans en être vraiment la cause mais Il existe, en différents domaines, des régimes spé-
seulement l’occasion. ciaux d’indemnisation, fondés sur la présomption
Il convient donc de distinguer les causes détermi- de faute ou la présomption d’imputabilité ou encore
nantes et les causes secondaires, seules les premiè- sur le risque, qui évitent à la victime d’avoir à rap-
res étant admises pour ouvrir droit à réparation. porter une preuve bien difficile parfois à établir.
Cette théorie tend à faire une application plus stricte Ainsi, en matière d’indemnisation des victimes
du caractère direct que doit présenter le lien causal : de contamination par le virus du sida suite à une
par exemple, n’a pas été admise la responsabilité de transfusion, la loi (art. L 3122.2 CSP) a établi, en
l’auteur d’un accident de la circulation survenu en faveur des victimes, une présomption simple de
1971, dont la victime est décédée 10 ans plus tard, en causalité entre l’atteinte par le virus d’immuno-
1981, de brûlures provoquées par l’incendie du lit dépression humaine (VIH) et la transfusion ou
dans lequel elle était immobilisée depuis lors (Cass., l’injection de produits dérivés du sang : la victime
Civ., 8 février 1989, JCP 90-21544). doit justifier de l’atteinte par le virus et de la réa-
Dans un autre ordre d’idée, point n’est besoin lité des transfusions de produits sanguins ce qui
d’aller rechercher l’origine d’un infarctus du myo- autorise son indemnisation par l’ONIAM sauf à
carde dans un choc émotionnel ou dans toute autre rapporter la preuve que la contamination provient
explication, alors que cet infarctus trouve une expli- d’une autre cause.
cation scientifique et directe dans une insuffisance L’article 102 de la loi Kouchner du 4 mars 2002 a
coronarienne de la victime, suivie de thrombose. institué une présomption légale de causalité au
Les tribunaux utilisent l’une ou l’autre de ces profit des transfusés contaminés par le VHC sur
théories et parfois les deux, lorsqu’il y a pluralité qui pèse simplement l’obligation « d’apporter des
de causes et d’auteurs : il est parfois tentant de éléments qui permettent de présumer que cette
retenir la théorie de l’équivalence des conditions contamination a pour origine une transfusion
au stade de la poursuite exercée par la victime de produit sanguin », à charge pour le défendeur
pour faciliter son indemnisation, tout en revenant de prouver que cette transfusion n’est pas à l’ori-
à la théorie de la causalité adéquate pour régler la gine de la contamination, la loi ajoutant que « le
question de la contribution personnelle de chaque doute profite au demandeur ».
auteur. En matière d’infection nosocomiale, la loi du
4 mars 2002 consacre le principe d’une responsa-
bilité de plein droit à la charge des établissements
La preuve du lien de causalité d’hospitalisation publics et privés dont ceux-ci ne
juridique et le recours à la notion peuvent s’exonérer qu’en rapportant la preuve
de perte de chance d’une cause étrangère assimilable à un cas de force
majeure (art. L 1142.1.I al. 2 CSP).
La preuve par tous moyens Cependant la loi About du 30 décembre 2002 a
Rappelons que la preuve du lien causal direct doit transféré à l’ONIAM la charge d’indemniser les
être établie par le demandeur et que de simples conséquences des infections nosocomiales
hypothèses ne peuvent suffire. lorsqu’elles consistent en un « décès » ou en une

13
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

« incapacité permanente partielle supérieure à son aggravation… lorsqu’il apparaît qu’en l’ab-
25 % » – selon le barème institué par le décret du sence de faute le préjudice final aurait probable-
4 avril 2003 – (art. L 1142.1.I CS), sauf si l’infec- ment été moins grave ou n’aurait peut-être pas
tion découle d’une faute dont la preuve peut être existé du tout… la jurisprudence civile et admi-
rapportée. nistrative admet l’indemnisation d’un préjudice
spécifique, distinct du dommage corporel final et
découlant de la perte de chance de guérison ou de
La notion de perte de chance survie.
La notion de perte de chance de guérir ou de survi- C’est ainsi que le défaut d’information du patient
vre est parfois utilisée de manière dévoyée comme n’est pas la cause de la complication médicale ou
s’il s’agissait d’une véritable présomption de cau- chirurgicale, mais peut être considéré comme
salité de nature à supprimer le fardeau de la générateur d’une perte de chance d’éviter le dom-
preuve. mage s’il est établi que « mieux informé » le patient
Dans le domaine de la responsabilité médicale, on aurait pu choisir de n’être pas opéré ou de l’être
a assisté à certains dérapages explicables aussi selon une autre technique… ou en un autre
bien par la complexité de la matière que par une établissement…
volonté pro-indemnitaire ou sécuritaire. Ce préjudice spécifique et virtuel ne peut donner
Traditionnellement, la notion de perte de chance lieu à une indemnisation totale du dommage cor-
se rattache à celle de préjudice (perte de chance porel, mais c’est par référence à la réalité du dom-
d’éviter tout ou partie du dommage si la faute ne mage final que le juge considérera l’élément
s’était pas produite), mais il est vrai qu’elle est imaginaire que constitue la chance perdue de gué-
intimement liée aussi à celle de causalité. rison ou de survie et lui donnera valeur juridique
Il est important de rappeler que l’infirmité ou le et pécuniaire.
décès dont la cause est incertaine et ne peut pas, La valeur pécuniaire de ce préjudice spécifique
raisonnablement, être rattachée à la faute ou à dépendra de l’importance de la chance perdue : le
l’accident, parce qu’une pathologie préexistait ou médecin expert doit fournir, aussi difficile cela
parce que le doute entre plusieurs hypothèses soit-il, au juriste les éléments lui permettant d’ap-
étiologiques est trop important, ne doit pas, par précier la nature et l’importance de la perte de
principe, donner lieu à indemnisation, même sur chance par rapport au dommage final, lequel doit
le fondement de la perte de chance de guérison ou être analysé par l’expert dans toutes ses compo-
de survie. santes selon les règles de droit commun.
En revanche, en présence d’une faute dûment La logique veut en effet que le juge évalue l’inté-
établie dont on peut raisonnablement admettre, gralité du préjudice selon les règles habituelles
même si la preuve n’en est pas rapportée de puis l’affecte d’un pourcentage correspondant à la
manière certaine, qu’elle a été à l’origine d’une seule perte de chance.
perte de chance d’éviter un préjudice, la Cour Selon la formule consacrée par la Cour de
de Cassation admet le principe de la réparation Cassation dans le cadre d’une jurisprudence bien
de cette perte de chance à condition qu’elle établie, « la réparation d’une perte de chance doit
constitue « un préjudice actuel, direct et cer- être mesurée à la chance perdue et ne peut être
tain » [7], ou encore qu’elle « présente un carac- égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si
tère réel et sérieux » [8]. elle s’était réalisée » [10].
La 1re Chambre Civile de la Cour de Cassation par Le Conseil d’État suit le même raisonnement en
un arrêt de principe du 21 novembre 2006 a défini soulignant que « le préjudice résultant directe-
la perte de chance en des termes qui méritent ment de la faute commise et qui doit être égale-
d’être rappelés : « Attendu que seule constitue une ment réparé n’est pas le dommage corporel
perte de chance réparable la disparition actuelle et constaté mais la perte de chance d’éviter que ce
certaine d’une éventualité favorable » [9]. dommage soit advenu ; que la réparation doit alors
Lorsque les médecins experts admettent comme être évaluée à une fraction du dommage corporel
une probabilité raisonnable le fait que la faute ait déterminée en fonction de l’ampleur de la chance
pu contribuer à la réalisation du dommage ou à perdue » [11].
14
Chapitre 1. Quelques principes généraux

Ajoutons que le recours à la notion de perte de seillant d’attribuer « la cause d’un effet à une chose
chance n’est pas admis pour fonder une condam- qui n’en est point la cause, et le tout parce que ces
nation pénale du chef d’homicide ou de blessures deux choses-là auront été faites en même temps ou
involontaires, selon la jurisprudence constante de l’une incontinent après l’autre… ».
la chambre criminelle de la Cour de Cassation
[12] basée sur le caractère absolu de la présomp- Bibliographie
tion d’innocence : en matière pénale, le lien de
causalité entre le dommage et l’infraction doit [1] Bessières-Roques I, Fournier C, Hugues-Bejui H,
être établi avec une certitude qui ne laisse pas Riche F. Précis d’évaluation du dommage corporel,
place au moindre doute, lequel profitera toujours 2e édition. Dalloz, Paris, 2001.
au prévenu comme le rappelait le Professeur [2] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel.
Systèmes d’indemnisation. 5e édition. Dalloz, Paris,
Michel Veron « si l’on est privé d’une chance, la
2004.
chance n’est pas une certitude, elle n’a pas sa place
[3] Le Tourneau P, Cadiet L. Droit de la responsabilité.
en matière pénale ». Dalloz, Paris, 1996.
[4] Malicier D. La responsabilité médicale. Données
actuelles. Eska, Paris, 1999.
Conclusion [5] Sargos P. La causalité en matière de responsabilité ou
le droit stroumph. Recueil Dalloz 2008 no 28.
L’analyse de l’imputabilité médicale et de la cau- [6] Grynbaum L. Le lien de causalité en matière de santé :
salité juridique est rarement simple : elle constitue un élément de la vérité judiciaire. Colloque Cour de
l’étape essentielle de toute démarche tendant à Cassation du 29 mai 2008. Dalloz 2008 no 28.
l’indemnisation d’un dommage corporel. [7] Cass.Civ. 1re 05/02/09 no 07-20030.
Pour mener à bien cette tâche délicate, il est indis- [8] Cass.Civ. 2e 22/01/09 no 08-106673.
pensable que le médecin expert et le juge, impré- [9] Cass.Civ. 1re 21/11/06 no 05-15674.
gnés des connaissances spécifiques qui sont les [10] Cass.Civ. 2e 19/06/08 no 07-16295.
leurs dans leur domaine respectif, des théories et [11] Conseil d’État 21/03/08 no 266154.
des critères divers… fassent œuvre de bon sens en [12] Cass.Crim. 20/11/96 Bull.Crim. no 417 p. 1211 et
se souvenant de la mise en garde d’Aristote décon- Cass.Crim. 14/05/08 no 08-80-202 F.

Les modes alternatifs de règlement des conflits


M. Guillaume-Hofnung

Principes généraux De son côté, le Conseil d’État (section 23 juin


1989, recueil Lebon 146, conclusions M. Lévis,
AJDA, 1989 ; 424) a décidé qu’aucun devoir de
Avant de les traiter dans leur diversité, il convient
conciliation ne s’impose au juge administratif.
d’exposer certains principes généraux des modes
alternatifs de règlement des conflits (MARC).
Leur valeur au regard
Leur caractère strictement de l’article 6 de la CEDH
volontariste
S’ils permettent un évitement du juge, ils ne per-
Le TGI de Paris (2 octobre 1989, JCP, 1990, II, mettent pas celui de l’ordre public. On ne peut éva-
21518, note J. Beauchard) a fermement rappelé cuer une interrogation corollaire en évitant le
que « la désignation d’un mandataire de justice recours à la justice étatique et, en l’état actuel des
refusée par l’une des parties en cause ne peut lui incertitudes sur leur régime juridique, ils n’offrent
être imposée ; que la justice ne peut déléguer à un pas aux parties toutes les garanties du procès équi-
tiers des pouvoirs qu’il ne détient pas lui-même ». table que l’article 6 de la Convention européenne
15
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

des droits de l’homme (CEDH) impose au juge sairement unilatéral. Il en résulte qu’on ne peut
étatique. l’envisager que si les parties peuvent invoquer des
prétentions réciproques. Elle a toujours un objet
Leur qualité de concept pécuniaire. L’article 2052 du code civil lui confère
ou de simple notion autorité de chose jugée. Elle règle définitivement
le litige qui ne peut plus être porté devant un tri-
Si on veut préserver le caractère opérationnel de la bunal. Elle existe aussi en droit pénal. La transac-
terminologie juridique, il faut en revenir à une tion est un contrat qui produit à la fois des effets
rigueur scientifique totalement négligée en extinctifs en ce qu’il emporte renonciation à por-
matière de MARC, surtout à propos de la média- ter le conflit devant un juge, mais qui crée de nou-
tion. La méthode juridique repose sur une hié- velles obligations. La transaction va plus loin que
rarchie entre ses outils, que reflète la distinction le simple protocole d’accord qui n’éteint pas le
entre les notions et les concepts. Les concepts droit d’agir en justice, tout en témoignant d’un
donnent leur sens aux notions. Les notions doi- accord, certes, mais provisoire.
vent donc respecter les concepts, outils supérieurs, D’une manière générale, la transaction est le point
communs à la philosophie, à l’histoire des scien- d’aboutissement vers lequel tendent les modes de
ces ou celle des religions, voire aux trois comme règlement amiable.
pour la Médiation [5]. La médiation est un concept
L’arbitrage, auquel le code civil consacre son titre
de rang comparable à la Justice, les MARC corres-
XVI, et le code de procédure civile son livre IV (arti-
pondent à des simples notions. La médiation est
cle 1442 à 1507), tient une place particulière puis-
un concept multiséculaire aux critères stables et
que, contrairement aux autres MARC, il est quand
clairs, quelles que soient les disciplines qui s’y
même un mode juridictionnel mais non étatique. Il
réfèrent. Le droit aurait dû lui aussi, par rigueur
constitue une dérogation partielle au monopole de
scientifique, s’appuyer sur ces constantes dans sa
la justice de l’État. C’est une procédure par laquelle
transposition du concept à la notion.
les parties à un litige conviennent de le porter devant
un arbitre que le code de procédure civile désigne
Présentation générale sous l’expression tribunal arbitral.
Elle débouche non sur un simple avis mais sur une
Une présentation générale s’avère indispensable sentence arbitrale à valeur juridictionnelle.
pour permettre au praticien de se repérer dans le Cependant elle ne tirera force contraignante que
maquis d’une terminologie défaillante. par la procédure d’exequatur devant le président
La terminologie classique, principalement issue du TGI (ordre d’exécution donné par l’autorité
du Code civil, ne pose pas de problème. L’approxi­ judiciaire). L’article 1460 du code de procédure
mation commence avec la vague alternative. civile (CPC) dispense les arbitres du respect des règles
établies pour les tribunaux. On distingue plusieurs
catégories d’arbitrage selon le degré de liberté des
Définitions parties dans le recours à ce mode et dans le choix de
Il faut distinguer des notions et un concept clair. l’arbitre. Entre l’arbitrage de nature contractuelle et
l’arbitrage obligatoire dans la plupart de ses étapes, il
existe une large gamme de procédures. Si, en règle
Les notions générale, les arbitres doivent appliquer le droit, ils
Ce sont la transaction, l’arbitrage et la conciliation. peuvent tenir compte de l’équité quand les parties
La transaction occupe le chapitre XV du code leur ont confié la mission de statuer en amiables
civil. L’article 2044 la définit comme un contrat compositeurs.
par lequel les parties, au moyen de concessions La conciliation ne bénéficie pas d’une définition
réciproques, terminent une contestation née ou législative, mais la doctrine la définit comme un
préviennent une contestation à naître. Il impose la mode de règlement des litiges grâce auquel les
forme écrite. La transaction fait partie des contrats parties s’entendent directement pour y mettre
synallagmatiques, la réciprocité des concessions fin, au besoin avec l’aide d’un tiers (conciliateur).
la distingue du désistement, de caractère néces- La conciliation peut être un mode alternatif,

16
Chapitre 1. Quelques principes généraux

mais il ne faut pas oublier qu’il peut être aussi troisième, par manque d’extériorité par rapport
juridictionnel, car « il entre dans la mission du à une des parties (l’hôpital, la compagnie d’assu-
juge de concilier les parties » (article 21 du CPC). rance), n’est qu’une apparence de tiers, et qui, de
Depuis 1986, cela vaut aussi pour les cours admi- plus, reposent sur une procédure informelle, dis-
nistratives d’appel et pour les tribunaux adminis- pensée de certaines lourdeurs de la procédure
tratifs (article L. 3, nouvel alinéa 2 du Code des classique, tout en lui empruntant son langage,
tribunaux administratifs et des cours administrati- donc son esprit, mais non sur un processus
ves d’appel). original.
Deux différences notables distinguent les modes
amiables de la médiation :
Un concept, la médiation • Le tiers est facultatif dans la conciliation, la négo-
Globalement, la médiation se définit comme un ciation, la transaction, alors que la médiation –
processus de communication éthique reposant comme le jugement ou l’arbitrage – est ternaire
sur la responsabilité et l’autonomie des partici- dans sa structure. En revanche, à la différence des
pants, dans lequel un tiers – impartial, indépen- modes juridictionnels, binaires en ce qu’ils tran-
dant, sans pouvoir de trancher ou de proposer chent, la médiation est aussi ternaire dans son
(sans pouvoir décisionnel ou consultatif) avec la processus ;
seule autorité que lui reconnaissent les médieurs • La recherche de l’accord en est l’essence. La
– favorise par des entretiens confidentiels l’établis- conciliation met l’accent sur l’accord amiable.
sement, le rétablissement du lien social, la préven- Le terme conciliation désigne à la fois le résul-
tion ou le règlement de la situation en cause. tat, l’accord amiable et le moyen d’y parvenir.
Jean-François Six, dans un ouvrage pionnier Le L’homonymie entre la fin et le moyen éclaire la
temps des médiateurs (Le Seuil), faisait remar- logique de la notion. L’accord amiable est
quer dès 1990 que la médiation assume quatre ontologiquement inscrit dans le procédé. La
fonctions. La médiation créatrice suscite des fin justifiant le moyen, celui-ci mettra moins
liens ; la médiation réparatrice les améliore ; la l’accent sur la qualité de l’expression des par-
médiation préventive devance les conflits ; la ties que sur leur accord. Dans les MARC, on
médiation curative aide à les résoudre. Le carac- pourra éviter d’aborder les aspects délicats du
tère visible des conflits explique que l’on ait plus conflit que le processus de médiation essaie au
facilement perçu la fonction curative de règle- contraire de faire émerger pour pouvoir aller
ment des conflits que les trois autres. Il faut plus loin.
cependant relever nettement que le conflit ne Malgré la fiabilité des définitions qui précèdent, on
constitue pas le critère indispensable de la média- retrouve la médiation dénaturée par son insertion
tion, dont les seuls critères restent le processus et dans la nébuleuse des MARC [2]. Il s’agit d’un
le tiers. flou terminologique et non d’un flou conceptuel.
Pour qu’on puisse utiliser le terme médiation, il L’ignorance et la négligence du législateur confor-
faut et il suffit que ses deux critères se trouvent tées par la désinvolture de certains juristes peu
rigoureusement respectés, à savoir le tiers et le soucieux de préserver la qualité de leur outil de
processus. Elle bénéficie d’une autonomie travail, à savoir la rigueur du langage juridique
conceptuelle résultant de la réalité du tiers et du ont nourri un flou terminologique qui finit par
caractère ternaire de son processus. Elle se dis- entraver leur développement. Le primat de l’ur-
tingue des modes alternatifs, simples notions gence pratique invoqué par les décideurs se
pouvant se passer du tiers ou dans lesquelles le croyant réalistes, le désir des institutions tant pri-
vées que publiques de capter l’image positive de la
médiation conduisent à sa dénaturation et à son
instrumentalisation. Elle passe pour une équiva-
Michèle Guillaume-Hofnung, « La médiation » PUF, 2007,
définition reprise par la délégation européenne de l’Assem­
lence de la conciliation quand ce n’est pas pour
blée Nationale, rapport FLOCH no 3696, page 16, et l’étude son auxiliaire. Le contentieux de la santé partage
­internationale sur la médiation hospitalière du Professeur avec les autres contentieux cette regrettable
A. Jacquerye (Fondation Roi Baudoin, décembre 2007). confusion.

17
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

La nébuleuse des MARC • elle s’y trouve amputée de 3 de ses 4 fonctions


et des MARL pour n’être perçue que dans la fonction de règle-
ment des conflits ;
Sans chercher à surmonter toutes les approxima- • cette amputation permet une dénaturation,
tions qui entourent les modes alternatifs de règle- puisque, de concept cohérent, elle passe au rang
ment des conflits (MARC) ou des litiges (MARL), de notion floue que le législateur confond avec la
quelques mises au point s’imposent. conciliation2.
Plus grave, on réduit la médiation à un moyen au
Modes alternatifs à la justice service des MARC. Ainsi la médiation serait « le
étatique, le modèle américain moyen qui doit conduire à un règlement du conflit
Dans les années récentes, des préoccupations par une entente entre les parties, c’est-à-dire une
managériales de prévention du contentieux, de conciliation » [16].
désencombrement des juridictions, d’économie de Enfin, alors qu’à première vue il ne devrait pas
temps et d’argent, ont conduit à regrouper sous exister de confusion entre l’arbitrage, qui
l’expression trompeuse de « modes nouveaux » les confère à l’arbitre le pouvoir de trancher, et la
notions classiques présentées ci-dessus. Leur ter- médiation, qui stimule la totale autonomie des
minologie pose problème. Unis sous la bannière partenaires, dans la dérive terminologique qui
qui caractérise leur raison d’être : l’évitement du fait appeler l’expert « médiateur » il arrive que
juge, ils s’appellent modes alternatifs, ce qui devrait les parties s’en remettent par avance à l’avis du
exclure l’arbitrage, puisque l’arbitre reçoit qualité médiateur, coinçant ce dernier dans un rôle
de juge. Il en est de même si on tente de les définir d’arbitre. La seule qualité de tiers, pour indis-
en positif par la notion de règlement amiable. pensable qu’elle soit à la médiation, ne suffit pas
Selon la fine analyse présentée par Richer L. (in à caractériser un médiateur, encore faut-il qu’il
AJDA op. cit., p. 3), on les qualifie en référence au mette en œuvre un processus exempt du pou-
modèle américain comme des modes alternatifs à voir de trancher.
la justice étatique. Le Doyen Carbonnier raille avec Dans l’exemple décrit, le « médiateur » ne rencon-
pertinence cette « sorte d’acharnement, non pas thé- tre pas les parties ; les procédures se font sur dos-
rapeutique mais conciliatoire » [1]. sier ; la dose d’équité qu’il introduira ne transforme
On les présente un peu rapidement comme trans- pas une procédure allégée en véritable processus.
posés des USA, alors qu’exception faite de la La confiance des parties à l’égard d’un tiers pré-
médiation on les trouve dans le code civil. senté comme un spécialiste les conduit à le traiter
comme un arbitre ; il y a là abandon et non codi-
rection dans la recherche de solution. En 2008, une
La médiation, le modèle organisation syndicale, l’Union Professionnelle
européen Indépendante des Médiateurs, et dix associations
ont rédigé un code national de déontologie des
La médiation a surgi de la société civile de nom- médiateurs3 qui devrait garantir les partenaires de
breux pays européens à peu près simultanément, la médiation contre les contrefaçons que nourris-
sans référence au modèle américain, soit comme sent ces dérives terminologiques.
MARC soit dans une de ses autres fonctions1, bien
avant que les pouvoirs publics ou les compagnies
s’en emparent. Sans s’enfermer dans une longue 2 Le laxisme terminologique du législateur fait légi-
discussion pour savoir si on doit parler de MARL timement écrire que la différence entre médiation
ou de MARC, il faut quand même expliquer la dif- et conciliation est bien plus de degré que de nature,
férence : un litige est un conflit porté devant une ou avec une voie pénale alternative. Cf. Vincent J
et al. Institutions judiciaires (5e éd., Dalloz, 1999) ou
juridiction. Les MARC forment une nébuleuse Jarrosson Ch. Les modes alternatifs de règlement des
dont seule la médiation pâtit : conflits : présentation générale.
3 dont le texte est disponible auprès de l’Union pro-
fessionnelle indépendante des médiateurs : upim@
1 Note MGH, Créteil. orange.fr

18
Chapitre 1. Quelques principes généraux

Dans le domaine La conciliation et la médiation


judiciaires (art. 21 et art. L 127
de la responsabilité médicale
à 131 CPC)
et de la réparation du préjudice
Le juge civil qui peut concilier les parties peut
Comment éviter le paradoxe apparent entre un aussi leur proposer de soumettre leur différend à
système de soin de plus en plus performant et la un tiers, conciliateur ou médiateur.
conflictualité accrue qu’il semble engendrer ? Le
recours au MARC répond au besoin d’apaiser le La médiation pénale (art. 41 CPP)
règlement des conflits et de permettre le maintien
Le Procureur de la République, quand la culpabilité
ultérieur des relations entre les parties. La néces-
du prévenu ne fait aucun doute, avant toute décision
sité de préserver la relation de confiance entre le
sur l’action publique peut, avec l’accord des parties,
malade et les soignants fonde l’intérêt pour des
décider de recourir à une médiation « s’il lui appa-
modes amiables de droit commun en ce qu’ils
raît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la
favorisent la discussion, l’information, et évitent
réparation du dommage causé à la victime, de met-
le caractère public de la scène juridictionnelle,
tre fin au trouble résultant de l’infraction et de
avec les inévitables atteintes à la réputation du
contribuer au reclassement de l’auteur de l’infrac-
professionnel de santé. La spécificité des relations
tion ». Pour ce dernier, elle peut s’analyser comme
de confiance caractérisant le rapport malade-­
une mesure conditionnelle. Même si elle constitue
soignant a conduit à compléter ce dispositif par
en réalité un mécanisme de conciliation judi-
des pistes plus spécifiques. Le rapport 16/99 de
ciaire déléguée, elle offre une piste intéressante en
l’IGAS sur la responsabilité et l’indemnisation de
matière médicale, avec certaines précautions [2].
l’aléa thérapeutique y invite [10]. Pour critiquable
que soit la terminologie véhiculée par les MARC,
la présentation qui suit s’y soumet. La médiation conventionnelle
En dehors de toute incitation juridictionnelle, de
Le droit commun des MARC la simple initiative des personnes concernées, elle
et le contentieux médical permet une communication favorisant la compré-
hension, une écoute mutuelle permettant de sortir
En dehors de l’arbitrage plus prisé dans le domaine par le haut d’une situation douloureuse et souvent
des affaires, la plupart des MARC contribuent au de maintenir la relation que l’accident médical
règlement amiable des conflits en responsabilité aurait pu compromettre. Il faut tenir compte de
médicale. Dans la mesure où le litige résulte sou- tout le potentiel de la médiation pour apprécier le
vent d’un manque de communication entre le rôle qu’elle pourrait tenir en matière de risque
patient ou sa famille avec les professionnels de santé thérapeutique. Elle peut contribuer à les prévenir
ou les institutions de soin, ils cherchent à éviter le ainsi qu’à régler d’une manière intéressante les
recours direct et systématique aux juridictions. conflits résultant de la réalisation du risque. Dans
ces deux rôles, la médiation conserve son unité, à
La transaction savoir son processus permettant la communica-
tion entre les acteurs grâce à l’entremise d’un tiers.
Depuis 25 ans, l’Assistance publique – Hôpitaux
Une médiation avant le conflit, en particulier au
de Paris – recourt à la transaction chaque fois que
stade du consentement éclairé, aurait probable-
cela lui est possible. En matière de responsabilité
ment plus d’intérêt qu’une intervention au stade
délictuelle hospitalière, « elle constitue un outil
plus crispé et plus douloureux du conflit [6].
privilégié » [11,14]. Les compagnies d’assurances
recourent à la transaction en cas de condamna-
tion prévisible. Le système d’indemnisation amia- Les textes spécifiques
ble instauré par la section IV du chapitre II de la
loi du 4 mars 2002 laisse une large place à la tran-
Genèse et précédents [13]
saction entre la victime et l’assureur et même Le décret no 81-582 du 15 mai 1981 instituait un
l’ONIAM. conciliateur médical dans chaque établissement de

19
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

santé. Il devait favoriser l’information des patients Une double influence apparaît à l’issue de ce bref his-
ou de leurs ayants droit, ainsi que le règlement torique expliquant les tiraillements terminologiques :
amiable des conflits résultant de l’activité d’un une inspiration humaniste permettant au patient
médecin. Le Conseil d’État l’ayant annulé, les hos- d’être entendu, et une inspiration managériale faisant
pices de Lyon, l’AP-HP et certains établissements rechercher un mode de traitement discret et rapide
de province mirent empiriquement au point des des réclamations. Les commissions de conciliation,
solutions variées. organismes hybrides aux missions équivoques, ne
Parallèlement, la réflexion sur les droits des patients, peuvent se prévaloir que d’un bilan modeste.
traduite tant par des textes internationaux comme
la Déclaration de l’OMS sur la promotion des droits L’indemnisation des accidents
des patients en Europe4 (1994) que nationaux médicaux
comme la Charte du patient hospitalisé annexé à la
Le mode d’indemnisation de l’aléa prévu par la loi
circulaire ministérielle no 95-22 du 6 mai 1995, pré-
du 4 mars 2002 mêle des considérations multiples,
conisait une meilleure écoute du patient.
souvent assez proches de celles qui ont favorisé
L’application de son article 10 trahit particulière-
l’émergence des MARC comme le suggère la litté-
ment bien les approximations terminologiques qui
rature européenne.
obscurcissent encore aujourd’hui le sujet. Alors
qu’il annonçait la mise en place d’une fonction de Les pays bénéficiant d’une technologie médicale
médiation entre les établissements et les patients, il avancée recherchent un juste équilibre entre la
fut suivi par la mise en place de Commissions de judiciarisation à outrance et la nécessaire indem-
conciliation. L’article L 710-1-2, alinéa 2 CSP issu nisation des victimes d’accidents médicaux [8,12].
de l’ordonnance du 24 avril 1996 sur la réforme de La loi du 4 mars 2002 prévoit, au chapitre II de
l’hospitalisation publique et privée prévoyait en son titre IV, une procédure de règlement amiable
effet l’institution, dans chaque établissement, d’une en cas d’accidents médicaux, d’affections iatrogè-
commission de conciliation chargée d’assister et nes ou d’infections nosocomiales, survenus aussi
d’orienter toute personne s’estimant victime d’un bien dans le secteur privé que public (articles
préjudice du fait de l’activité de l’établissement, et L.  1142-4 à 8). Elle permet d’indemniser la réa­
de lui indiquer les voies de conciliation et de recours lisation d’un risque sanitaire, au titre de la
à sa disposition. Elle n’avait donc pas un rôle de ­solidarité nationale. Le système mobilise trois
conciliation, le directeur conservait seul le droit de organismes de nature administrative : l’Office
se prononcer sur les réclamations et les recours gra- national d’indemnisation des accidents médicaux
cieux des patients. En complément, un médecin (ONIAM), la Commission nationale des acci-
conciliateur recevait les réclamations relatives à dents médicaux (CNAM) et des Commissions
l’activité médicale. Il rencontrait le patient, éven- régionales de conciliation et d’indemnisation
tuellement ses proches, et s’efforçait de faciliter la (CRCI), pièces centrales d’un dispositif fort peu
communication avec l’équipe médicale en cause. respectueux des missions juridictionnelles
L’appartenance du médecin conciliateur à l’établis- comme des garanties qu’elles seules peuvent assu-
sement concerné était souvent perçue comme un rer aux justiciables. En effet, non seulement les
frein à son indépendance. commissions émettent un avis sur les circons­
tances, les causes, la nature et l’étendue des dom-
La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 les supprime et
mages, ainsi que sur le régime d’indemnisation
instaure des commissions des relations avec les
applicable (article L 1142-8), mais encore,
usagers et de la qualité de la prise en charge (CRU),
lorsqu’elles estiment qu’un accident médical n’est
dont les missions énoncées à l’article L. 1112-3
que pour partie la conséquence d’actes de pré­
CSP diffèrent profondément. Mais c’est du côté
vention, de diagnostic ou de soin engageant la
des instances chargées de l’indemnisation des
­responsabilité d’un professionnel ou d’un établis-
accidents médicaux qu’il faut chercher la référence
sement de santé, elles déterminent la part du pré-
au règlement amiable.
judice imputable à la responsabilité et celle
relevant d’une indemnisation au titre de l’ONIAM
4 Reproduite in [4]. (article L 1142-18). La loi confère aux CRCI des

20
Chapitre 1. Quelques principes généraux

pouvoirs d’appréciation des éléments de droit et • de conciliation, siégeant en formation spécifique


de fait pour qu’elles en tirent des conséquences (article R. 1149-19). Elles sont présentées comme
juridiques que leur nature administrative ne légi- reprenant le rôle des anciennes commissions de
time pas [3]. La nécessaire indépendance des sys- conciliation, à ceci près que ces dernières,
tèmes de médiation en matière de responsabilité comme on l’a vu et en dépit de leur appellation,
médicale avait déjà été soulevée en 1989 par ne conciliaient pas ! Les CRCI sont saisies par
l’Académie nationale de chirurgie [15]. lettre recommandée avec AR du patient.
Dans le détail : la CNAMed (articles 1142-10 à La présentation du système issu de la loi du 2 mars
11), placée auprès des ministres chargés de la 2002 laisse une impression de bonne volonté des-
justice et de la santé, composée de 25 membres, servie par la baisse constante de la qualité de notre
a des missions d’organisation générale de l’ex- production normative. Rongé par un faux réalisme
pertise et de la mise en place d’un certain nom- et une conception dévoyée de l’efficacité, le législa-
bre de garanties de formation et de conduite des teur néglige la rigueur terminologique et le respect
experts, de contrôle du fonctionnement des des missions du juge judiciaire, dont le rappel passe
CRCI, de propositions en vue de la création trop souvent pour des scrupules de théoricien.
d’un corpus homogène sur la conduite des L’introduction intempestive, dans un amendement
expertises à l’intention des CRCI. Un rapport mal informé, de possibilités au profit des CRCI de
annuel d’évaluation de l’ensemble du dispositif, déléguer un médiateur laisse pantois. L’évitement
remis chaque année avant le 15 octobre au systématique du juge au profit d’organismes admi-
Gouvernement et au Parlement, épaulera cette nistratifs hétéroclites rend illusoire la référence à la
mission. démocratie sanitaire, car peut-on concevoir une
L’ONIAM, établissement public à caractère admi- démocratie fuyant la garantie que représente l’in-
nistratif de l’État, sous la tutelle du ministre tervention du juge judiciaire [7] ? La dérive regret-
chargé de la santé, est administré par un conseil table vers le consumérisme médical n’autorise pas
de 22 membres, son président et son directeur tout [9].
nommés par décret. L’article L. 1142.22 le char- L’Académie de médecine a fort opportunément
gent d’une mission d’indemnisation dans deux réagi contre les approximations terminologiques
séries de cas, celui des préjudices résultant d’un de la loi du 4 mars 2002 dans un rapport
aléa thérapeutique au titre de la solidarité natio- « Harmonisation de la réparation des préjudices
nale (sous la réserve d’un seuil de gravité), celui corporels dans l’Union européenne » (Paris, 2008)
des fautes médicales non couvertes par une sous la direction du Professeur Hureau)
assurance. Il est bien difficile de trouver un juste milieu entre
Les CRCI, composées de 20 membres, présidées le droit fondamental des victimes d’accéder à un
par un magistrat de l’ordre judiciaire ou adminis- juge, reconnu par l’article 6 de la Convention euro-
tratif (articles L. 1142-6, et R. 795-41), occupent péenne des droits de l’Homme, que viole l’article 1
un rôle central dans les procédures de règlement de la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002
amiable des accidents médicaux, d’origine fautive adopté en réponse à l’arrêt Perruche du 17 novem-
ou non. L’article L. 1142-5 leur confie des missions bre 2000, et le besoin de sécurité juridique des
hétérogènes : ­professionnels de santé. La création d’un aléa de
• de règlement amiable des litiges. Le législateur a diagnostic fœtal constituerait une solution
souhaité instaurer un « guichet unique » de l’in- d’apaisement.
demnisation des dommages médicaux (accidents La création du Pôle Santé à la Médiature de la
médicaux, affections iatrogènes, infections noso- République introduit un élément de complexité
comiales) « ainsi que des autres litiges entre usa- supplémentaire dans le système d’indemnisation
gers et professionnels de santé, établissements de des préjudices de santé. On ne peut considérer
santé, services de santé ou organismes ou pro- qu’il mette en œuvre les critères de la médiation
ducteurs de produits de santé mentionnés aux classique, mais il constitue une initiative intéres-
articles L. 1142-1 et L. 1142-2 » ; sante.

21
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Bibliographie [8] Hubinois Ph, Lunel P, Hureau J. L’indemnisation des


accidents médicaux et essai de droit comparé euro-
[1] Carbonnier J. Regard d’ensemble sur la codification de péen. Revue Experts, 2003, no 59, 8–16.
la procédure civile. In : Le nouveau code de procédure [9] Hureau J, de Fontbressin P. Le droit de la responsabi-
civile, vingt ans après. La documentation française. lité médicale. Les nouveaux enjeux. Bull. Acad. Nat.
1998. Méd 2003 ; 187(1) : 161–73.
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IXe Colloque de la CNEM, sous la présidence de Systèmes d’indemnisation. 4e édition. Dalloz, Paris,
C.  Huriet et M. Guillaume-Hofnung, Expert éd., 2000.
Paris : Expert éd ; 2003.
[11] Levasseur A. Les transactions : l’exemple de l’AP-HP.
[3] de Fontbressin. P, Hureau J. L’indemnisation de In, Les modes alternatifs de règlement des litiges.
l’aléa médical. Titre IV de la loi du 4 mars 2002. AJDA ; 1997.
Confusions, imperfections, non dits. In : Revue
[12] Sugarman SD. Les projets de réforme de la responsabi-
Experts, 2002, no 56, 11–15.
lité médicale aux États-Unis. Risques, 1993 ; 16 : 17.
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[13] UNAF. Le règlement des conflits dans les établisse-
de l’Homme et pratiques soignantes. Les dossiers de
ments publics de santé. UNAFOR.
l’AP-HP, Doin, 1998.
[14] Vayre P. Transactions extra-juridictionnelles : le règle-
[5] Guillaume-Hofnung M. La médiation. In Les modes
ment amiable des complications des actes médicaux-
alternatifs de règlement des litiges. AJDA, 1997 ;
chirurgicaux. GP 2002 ; 170–1, 71 : 27-30.
1 : 39.
[15] Vayre P. Conclusions de l’Académie Nationale de
[6] Guillaume-Hoffnung M, Sicard D et al. Hôpital et
chirurgie sur le risque chirurgical et son indemnisa-
médiation. L’Harmattan, Paris, 2001.
tion. Chirurgie, 1989 ; 115(9) : 620.
[7] Guillaume-Hofnung M. Droits des malades. Vers une
[16] Vincent J, Guinchard S. La justice et ses institutions,
démocratie sanitaire ? La documentation française,
4e édition. Dalloz, Paris, 1996.
2003.

22
Les modes Chapitre  2
extra-juridictionnels
selon les lois
La loi Badinter – no 85-677 du 5 juillet 1985

Exposé des motifs, réalisation procédurale et résultats


C. Herman, J. Hureau

Cette loi maintenant mieux connue des citoyens


sous le nom de loi Badinter régit les rapports entre
Philosophie de la loi
les accidentés que nous fûmes, que nous sommes La loi a pour motif d’améliorer la situation des
ou que nous serons vis-à-vis des compagnies victimes d’accidents de la circulation, d’accélérer
d’assurances. des procédures d’indemnisation et de favoriser les
Comme l’intitulé du texte le précise, cette loi transactions, qui restent une faculté offerte à la
tend à l’amélioration de la situation des victi- victime, rien ne l’empêchant de recourir à la voie
mes d’accident de la circulation et à l’accéléra- juridictionnelle.
tion des procédures d’indemnisation. Elle Elle concerne exclusivement les accidents de la
concerne la victime qui a subi une atteinte à sa circulation dans lesquels sont impliqués un ou
personne. Elle vise à lui épargner des délais sup- plusieurs véhicules terrestres à moteur. Le concept
plémentaires, mais elle exclut la réparation des d’accident est bien défini. Il s’agit d’un événement
atteintes matérielles. Elle sanctionne les compa- fortuit et soudain. Le terme de circulation a été
gnies d’assurances qui, dans un délai précis, soit interprété d’une façon plus large par un arrêt de la
ne proposent pas d’offre d’indemnisation, ne Cour de Cassation du 24 juin 1998 qui précise :
serait-ce qu’à titre provisionnel, soit proposent « La loi du 5 juillet 1985 est applicable à tout acci-
une offre manifestement insuffisante qui, dans dent de la circulation dans la survenance duquel
ce cas, sera assimilée par les juridictions à une un véhicule terrestre à moteur est intervenu à
absence d’offre. quelque titre que ce soit. »
L’acceptation des propositions de la Compagnie La circulation, de ce fait, n’implique pas obligatoi-
d’Assurances n’est que facultative pour la vic- rement un mouvement. Le véhicule à l’arrêt entre
time, qui n’est nullement engagée dans un pro- dans le champ d’application de cette loi si son
cessus de négociation bilatérale. Cette liberté immobilisation est fortuite et imposée par des cir-
de la transaction en amont est également proté- constances inhérentes à la circulation routière. Par
gée en aval. Cette dénonciation de la proposi- exemple, un véhicule immobilisé sur la bande d’ar-
tion par l’accidenté laisse des alternatives rêt d’urgence en raison d’une panne est considéré
nouvelles : comme ayant été en circulation au moment où un
• soit agir judiciairement contre la compagnie incendie s’est propagé à la forêt jouxtant l’autoroute.
d’assurances ; Par contre, un véhicule régulièrement stationné
• soit s’engager dans une autre négociation, tran- n’est pas considéré comme étant en circulation.
sactionnelle cette fois, située en dehors des En fait, la jurisprudence a évolué, n’opérant plus
règles de l’offre obligatoire. aucune distinction entre le véhicule à l’arrêt et le

23
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

véhicule en stationnement (sur une voie ouverte à Le rapport du médecin-conseil de l’assurance


la circulation publique), ni entre le véhicule doit donc être complet et surtout rédigé en
immobile et le véhicule en mouvement. Tous sachant qu’il sera lu. La rédaction du rapport doit
ces véhicules sont considérés comme étant en en tenir compte. Il convient d’éviter certaines
circulation. phrases qui pourraient heurter la sensibilité des
Du cadre de cette loi, il convient d’exclure les che- victimes, d’exposer parfaitement et clairement
mins de fer et les tramways circulant sur des voies les problèmes d’imputabilité ou de non-imputa-
qui leur sont propres. bilité de telle ou telle lésion en rapport avec l’acci-
dent, d’éviter toute phrase pouvant donner lieu à
Si cette loi paraît logique en ce qui concerne les
une interprétation défavorable (certains termes
véhicules en mouvement en contact avec la vic-
médicaux, surtout en psychiatrie, n’ont pas le
time ou même les véhicules à l’arrêt ou en station-
même sens que dans l’opinion publique). Le rap-
nement en contact avec la victime, elle peut
port doit pouvoir être lu et compris par des non-
s’appliquer aussi à une victime à condition qu’elle
médecins.
établisse que le véhicule impliqué à quelque titre
que ce soit a joué un rôle quelconque dans l’acci- Tout ce qui précède peut se résumer par le terme
dent et qu’il est intervenu dans l’accident. La de transparence. Auparavant, la victime avait par-
charge de la preuve pèse sur la victime. fois l’impression que certaines informations
transmises par le médecin-conseil à sa compagnie
Sans rentrer dans les détails jurisprudentiels, on
d’assurance entraînaient ce qu’on pouvait appeler
peut affirmer que la loi du 5 juillet 1985 a profon-
une asymétrie de l’information.
dément modifié les rapports entre assureurs et
blessés, rapports qui souvent étaient noués par La loi Badinter a eu le mérite d’avoir supprimé
l’intermédiaire d’un médecin-conseil dans les cas cette espèce d’asymétrie, le blessé recevant les
de dommage corporel. conclusions et le rapport du médecin-conseil en
même temps que la compagnie d’assurances. La
loi Badinter a modifié, par les sanctions qu’elle
Rôle du médecin-conseil impose aux assureurs, le mode de gestion des dos-
siers. Les assureurs ont désormais besoin d’un
d’assurances rapport objectif pour pouvoir proposer une
indemnisation sur des conclusions fiables. Cette
Dès reçu de la mission, lors de la convocation au fiabilité du rapport était déjà exigée antérieure-
cabinet du médecin-conseil, existe déjà une obli- ment par les compagnies d’assurances, qui en fai-
gation d’information claire de la victime, une obli- saient la base de leur provisionnement. Tout
gation de diligence avec un calendrier imposant « amateurisme » est plus que jamais exclu de l’éva-
un délai pour le versement de provisions ou un luation des dommages corporels et des préjudices
règlement définitif par l’assureur. Ce délai apparaît liés à l’accident qui en résultent.
au public comme étant un progrès. Le médecin-conseil d’assurances, bien formé, se
Le médecin-conseil intervient alors dans un cadre doit donc non seulement d’être particulièrement
prévu par la loi, le blessé étant informé par l’assu- objectif, mais aussi impartial. Il n’a plus le senti-
reur de son intervention, de sa mission, de la pos- ment d’avoir pour mission de défendre les intérêts
sibilité de se faire assister lors de cet examen par matériels et financiers de la compagnie d’assuran-
un médecin de son choix. La convocation devra ces qui le mandate, mais bien de proposer les bases
donc préciser les titres et les qualités du médecin- d’une indemnisation acceptable pour les deux
conseil, la compagnie qui est à l’origine de la mis- parties. La mission doit être menée avec la même
sion, et la possibilité pour le blessé d’une assistance rigueur qu’une expertise judiciaire. Les mêmes
médicale (médecin-conseil privé). règles déontologiques médicales et expertales s’y
Une fois l’examen pratiqué, copie du rapport du appliquent.
médecin-conseil de l’assurance sera transmise au Rappelons que les conclusions émises par le méde-
blessé. Elle pourra, par ses soins, être communi- cin-conseil et transmises par la compagnie d’as-
quée à qui bon lui semble, médecin traitant, autre surances ne s’imposent pas aux parties, et que
médecin-conseil, avocat… l’arbitrage ou la voie judiciaire restent ouverts.

24
Chapitre 2. Les modes extra-juridictionnels selon les lois

Résultats et critiques des zones d’ombre de l’interprétation jurispruden-


tielle de la loi » et « de ses apports majeurs sur la
mise en œuvre du droit à l’indemnisation ». Ces
Le résultat difficilement chiffrable est que le nom-
chapitres sont l’occasion d’exposer le foisonne-
bre d’expertises judiciaires en réparation du dom-
ment bibliographique et jurisprudentiel sur les
mage corporel en accidentologie de la voie
sujets, prouvant, s’il en était besoin, l’importance
publique a très nettement diminué. La plupart des
mais aussi les insuffisances du texte. Un riche
transactions se font sur une base amiable. Le
exposé de droit comparé étudie les expériences
recours aux procédures d’arbitrage reste une des
étrangères. Ce sujet est enrichissant. Il a donné
voies préférentielles tant des blessés que des com-
lieu à un rapport de l’Académie Nationale de
pagnies d’assurances.
Médecine le 4 avril 2006 [5] ainsi qu’au XIIIe col-
Dans le cadre de cette loi, le rôle du médecin-­ loque médico-juridique de la CNEM le 25 novem-
conseil est donc d’éclairer la compagnie d’assu- bre 2006 [6]. Rappelons que la loi du 1er août 2003
rance sur la nature et l’importance des dommages de sécurité financière (art. 83) a transposé la
corporels. Les dispositions de la loi qui prévoient IVe  directive européenne relative à l’assurance
une proposition d’indemnisation dans les huit automobile [7] modifiée par la Ve directive [8]. Elle
mois qui suivent imposent aux compagnies d’as- introduit dans le code des assurances un article
surances de ne mandater à cet effet qu’un méde- L. 211-9 qui précise les obligations de l’assureur.
cin-conseil compétent.
Quelques chiffres situent à ce jour l’impact de la
Le rôle du Médecin-conseil se voit donc officialisé loi Badinter. Ils n’ont pas varié depuis les 10 der-
et revêt un caractère légal compte tenu des dispo- nières années. La loi a réduit les procédures judi-
sitions de la loi Badinter qui impose un cadre ciaires qui ne représentent plus que 6 % des
réglementaire aux différents intervenants. dossiers (taux de transaction 94 %). La durée
L’immense majorité des « petits dossiers » (95 %) moyenne d’un règlement selon la loi de 1985 est
est transigée sans expertise judiciaire et sans passée de 20 à 14 mois. Par contre, les dossiers
référé. Cinquante à soixante pour cent (50 à 60 %) judiciaires, les plus lourds avec une consolidation
des gros dossiers sont transigés par voie trans­ plus tardive, se règlent en moyenne en 48 mois
actionnelle. Le contentieux judiciaire en réparation contre 30 mois avant 1985. Il en résulte la persis-
du dommage corporel des accidents de la voie tance d’un encombrement judiciaire. La loi n’a pas
publique ne représente plus guère que 5 à 10 % de permis l’harmonisation des montants des répara-
l’ensemble de ce contentieux. La loi Badinter a tions. Le lissage entre transactions et décisions
atteint son but. judiciaires est imparfait (−10 % à −15 % en tran-
Telles étaient les conclusions d’un premier collo- sactions). Mais il y a également des écarts considé-
que tenu par la CNEM le 2 décembre 1994 [1]. rables entre Cours d’appel (de 1 à 3).
Optimistes, elles étaient confirmées au cours d’un Les conclusions en demi-teinte de Geneviève
colloque tenu en avril 1996 sous la présidence de Viney, en septembre 2005, sont particulièrement
R. Badinter [2], mais déjà, 10 ans après, quelques intéressantes. En dépit de son succès, la loi montre
sérieux bémols se faisaient entendre sur des des lacunes et des imprécisions, qui ont d’emblée
imperfections que la jurisprudence de la Cour de (dès 1985) été dénoncées par A. Tunc et R. Badinter,
cassation s’efforçait de corriger [3]. les pères d’une loi qu’ils ne maîtrisaient plus face
Vingt ans après, le colloque de Chambéry du au parlement. La Cour de cassation s’efforce d’y
30  septembre 2005 a remarquablement fait le remédier. Espérons qu’elle obligera, comme en
point sur cette loi majeure de notre arsenal légis- d’autres domaines, le législateur à remanier sa
latif en matière de droit de la réparation des préju- copie.
dices liés à un dommage corporel. Le lecteur qui Des réformes sont à apporter :
souhaite aller au-delà des quelques lignes qui vont • Concernant les principes définissant le droit à
suivre ne pourra mieux faire que de se reporter à l’indemnisation des victimes d’accident de la
ce colloque [4]. circulation établis par les articles 1 à 6 de la loi et
Après un rappel de la philosophie politique de la la jurisprudence qui en découle, trois questions
loi, les orateurs successifs ont traité «des acquis et ont été retenues :

25
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

– Convient-il de maintenir en dehors du système totalité de l’indemnité qui répare l’atteinte à


les accidents de chemin de fer et de tramway ? l’intégrité physique de la victime. Le rapport
S’ils mettent en jeu un autre type de véhicule d’Y.  Lambert-Faivre [9], conscient du risque
à moteur ils appartiennent à la circulation de spoliation de la victime par le tiers payeur,
routière ; a établi une nomenclature des chefs de préju-
– Doit-on pérenniser la différence faite entre dices non limitative. Elle distingue, à côté des
les victimes quant à l’étendue de leur droit à préjudices économiques et professionnels, les
réparation selon qu’elles appartiennent à la préjudices non économiques et personnels
catégorie des conducteurs ou à celle des non dont un « préjudice fonctionnel permanent »
conducteurs ? La faute inexcusable n’est prati- exclu du recours des tiers payeurs. La Cour de
quement plus jamais retenue. Il s’agirait donc, cassation dans son arrêt en assemblé plénière
à l’instar d’autres états, de réparer le dom- du 19 décembre 2003 a cassé une décision
mage dans une logique de garantie, indépen- de cour d’appel ayant appliqué ce distinguo
damment de la faute ; au motif « qu’en excluant du recours du tiers
payeur les indemnités réparant l’atteinte objec-
– La situation privilégiée des victimes de dom-
tive à l’intégrité physique de la victime, la cour
mages corporels âgées de moins de 16 ans, de
d’appel avait violé les articles 31 de la loi du
plus de 70 ans ou handicapées se justifie-t-elle
5 juillet 1985, L. 316-1, al. 3, et L. 454-1, al. 3 du
encore ? Rappelons que, sauf faute intention-
Code de la sécurité social ». Y. Lambert-Faivre,
nelle, même la Cour de cassation ne retient
dans son rapport, avait proposé une nouvelle
pratiquement plus la faute inexcusable cause
rédaction législative de ces textes. Conscient
exclusive de l’accident qui motivait cette prise
du problème posé, Monsieur G.  Canivet,
de position de la loi.
Premier Président, a suscité une commis-
• Concernant les règles présidant à l’évaluation et sion présidée par Monsieur J.P.  Dintilhac,
à la réparation des sommes destinées à indem- Président de la 2e Chambre civile de la Cour
niser tous les dommages corporels quelle que de cassation, avec pour mission d’établir une
soit leur origine, plusieurs mesures doivent être nomenclature des chefs de préjudices indem-
prises. Elles concernent toutes les procédures de nisables. Le rapport [10] rendu en juillet 2005
réparation d’un dommage corporel, quelle qu’en aboutit à une classification très proche de celle
soit la cause : du rapport précédent. Il isole en particulier un
– une application plus « saine » de l’article 26 déficit fonctionnel permanent, frère jumeau du
de la loi de 1985 qui dit : « Sous le contrôle de préjudice personnel permanent et classé dans
l’autorité publique, une publication périodi- les préjudices extrapatrimoniaux. Il « préconise
que rend compte des indemnités fixées par que ces postes de préjudices corporels soient
les jugements et les transactions ». Le fichier désormais indemnisés poste par poste » ;
de l’AGIRA (Association pour la gestion des – une réforme de l’imputation des recours des tiers
informations sur le risque automobile), géré payeurs sur les sommes allouées pour ­compenser
par les assureurs, a été maintes fois critiqué l’ensemble du dommage corporel. Souhaitée le
tant dans sa forme et son fond que dans son 30 septembre 2005 par G. Viney, rédigée par
accessibilité [4-6]. Il paraît souhaitable qu’un Y. Lambert-Faivre dès octobre 2003, rendue
décret d’application de la loi attribue la ges- incontournable par l’arrêt de l’Assemblée plé-
tion de ce fichier à un organisme adminis- nière de la Cour de cassation du 19 décem-
tratif indépendant des parties concernées bre 2003 considéré abusif bien que justifié
(assureurs – victimes). Les assureurs seraient en droit, énoncée dans ses grands principes
tenus de fournir l’exhaustivité des renseigne- en conclusion du rapport J.P. Dintilhac, la
ments qu’ils sont seuls à détenir ; nécessité d’une réforme de la loi sur l’établis-
– l’élaboration d’une liste des chefs de préjudices sement de l’assiette du recours subrogatoire
indemnisables. Elle est rendue indispensable des tiers payeurs sur la réparation allouée aux
par l’article 31 de la loi de 1985 qui fait por- victimes de dommages corporels, quelle qu’en
ter le recours subrogatoire des tiers payeurs soit ­l ’origine, s’est imposée au législateur. a loi
(sécurité sociale au premier chef) sur la no 2006-1640 du 21 décembre 2006 du finan-

26
Chapitre 2. Les modes extra-juridictionnels selon les lois

cement de la sécurité sociale pour 2007, dans Cette loi a, en ce qui concerne les médecins-­
son ­article  25, modifie l’alinéa 3 de l’article conseils d’assurances, modifié profondément le
L. 376-1 du Code de la sécurité sociale et l’ar- mode de pensée, le mode de travail et confirmé la
ticle 31 de la loi de 1985, et pour ce dernier nécessité absolue d’une stricte neutralité et d’une
dans les termes suivants : « Les recours subro- indépendance y compris vis-à-vis de son man-
gatoires des tiers payeurs s’exercent poste par dant. On peut penser, comme le soulignait le
poste sur les seules indemnités qui réparent Docteur Claude Thevenin citant Bossuet [1], que
des préjudices qu’elles ont pris en charge, à désormais « le chemin de la justice ne sera plus de
l’exclusion des préjudices à caractère person- ces chemins tortueux qui semblables à des labyrin-
nel. Conformément à ­l ’article 1252 du Code thes, nous font toujours craindre de nous perdre ».
civil, la subrogation ne peut nuire à la victime Le rôle du médecin-conseil d’assurances peut être
subrogeante, créancière de l’indemnisation, un adjuvant utile de l’expertise judicaire, comme
lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; l’indiquait le Docteur Alain Leclercq lors du col-
en ce cas, elle peut exercer ses droits contre loque en 1994. Le médecin-conseil, ayant examiné
le responsable, pour ce qui lui reste dû, par la victime relativement précocement après le
préférence au tiers payeur dont elle n’a reçu sinistre, a pu colliger un certain nombre de faits et
qu’une indemnisation partielle. Cependant, de documents qui, quelques années après, ont été
si le tiers payeur établit qu’il a effectivement égarés ou simplement perdus dans le gouffre de
et préalablement versé à la victime une pres- l’oubli.
tation indemnisant de manière incontestable
Le médecin-conseil d’assurances souhaite, comme
un poste de préjudice personnel, son recours
cela est défini dans sa mission, que le patient soit
peut s’exercer sur ce poste de préjudice. » Ainsi
accompagné d’un médecin de son choix, de préfé-
se trouve enfin tarie de façon équitable une
rence rompu aux techniques médico-légales et à la
source de contentieux trop souvent réglée au
réparation du dommage corporel, ceci afin de
détriment de victimes de dommages séquellai-
mieux cerner les problèmes et d’aboutir à une
res graves. Souhaitons que les autres amende-
solution technique acceptable par toutes les par-
ments suggérés par G. Viney pour la loi de 1985
ties. Ainsi il sera mis fin à « l’asymétrie de l’exa-
finissent également par être pris en compte.
men », productrice de frustrations ou de refus de
la part des victimes.
Mieux protégées par la loi, les victimes de graves
Conclusions pratiques dommages corporels rejoindront peut-être la voie
de la conciliation et de la transaction pour alléger
La loi Badinter a contribué a amélioré le sort des vic- d’autant le contentieux judiciaire.
times en désignant clairement le meneur de jeu de
l’instruction, le payeur du dossier, les délais accordés Bibliographie
à chaque partie pour le dépôt de ses conclusions et
[1] Le médecin expert judiciaire au service de la justice.
requêtes, en accélérant l’estimation du préjudice et Rôle et perspectives d’avenir – sous la direction de
en pénalisant les offres insuffisantes ou les règle- J. Hureau. Paris : CNEM édit ; 1994.
ments trop tardifs. Les délais de règlement ont été [2] Dixième anniversaire de la loi Badinter sur la protec-
réduits de moitié, tous sinistres confondus. tion des victimes d’accidents de la circulation : bilan
Il est certain que cette loi constitue pour les assu- et perspectives. Resp. Civ. et Ass., avril. 1996, no 4bis,
hors série.
reurs une réforme onéreuse mais, néanmoins,
tous les assureurs jouent parfaitement le jeu. [3] Rapport annuel de la Cour de cassation. La Docu­
mentation française, édit. 1994 Paris 1995.
Malgré les dispositions de la loi Badinter, il restera
toujours un volume incompressible d’indemnisa- [4] Loi Badinter. Le bilan de 20 ans d’application – sous
la direction de. In : Brun P, Jourdain P, editors.
tions par voie judiciaire, d’autant que le conten- Jourdain. Paris : Bibliothèque de l’Institut André
tieux de l’indemnisation est souvent lié aux Tunc, tome 10, LGDJ, EJA édit ; 2007.
poursuites pénales engagées contre le conducteur [5] Harmonisation de la réparation des préjudices cor-
fautif. Ce taux de contentieux restera élevé en ce porels dans l’Union européenne. Application au
qui concerne les dossiers lourds ou très lourds. contentieux de la responsabilité médicale – rapport

27
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

de l’Académie Nationale de Médecine sous la direc- [8] Directive 2005/14/CE du Parlement européen et
tion de J. Hureau. Cachan : Éditions Médicales et du Conseil du 11 mai 2005 modifiant la directive
internationales, Lavoisier édit ; 2007. 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil
[6] Dommage corporel. Évolution, perspectives – sous sur l’assurance de la responsabilité civile résultant de
la présidence médicale de D. Pellerin et juridique de la circulation des véhicules automoteurs. JO de l’UE,
J.P.  Dintilhac – directeur de publication J. Hureau. L149/14-21 du 11/06/2005.
Paris : Revue Experts, édit; 2007 hors série. [9] Lambert-Faivre Y. Rapport : l’indemnisation du
[7] Directive 2000/26/CE du Parlement européen et du dommage corporel. Ministère de la justice. Conseil
Conseil du 16 mai 2000 concernant le rapproche- national de l’aide aux victimes ; octobre 2003.
ment des législations des États membres relatives à [10] Dintilhac JP. Rapport du groupe de travail chargé
l’assurance de la responsabilité civile résultant de la d’élaborer une nomenclature des préjudices cor-
circulation des véhicules automoteurs et modifiant porels – rendu le 27 juillet. à G. Canivet, Premier
les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE du Conseil. Président de la Cour de cassation, et remis à N. Guedj,
JO des CE, L181, 65-74 du 20.7.2000. Secrétaire d’État au droit des victimes ; 2005.

Les lois de 2002 – Indemnisation


de l’aléa médical

Assurance obligatoire – prescription en responsabilité


médicale
J. Guigue et J. Hureau

La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux procédure gratuite de règlement amiable rapide,
droits des malades et à la qualité du système de extra-judiciaire, pour régler des situations socio-
santé, dans son Titre IV traitant de la réparation ­économiques parfois insoutenables. Elle sou-
des conséquences des risques sanitaires, et la loi haite, dans le non écrit, désengorger le contentieux
no 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la juridictionnel de la responsabilité médicale.
responsabilité civile médicale ont apporté une Enfin, elle traite sur le même pied les affaires en
réponse à la grande interrogation posée depuis droit privé et en droit administratif. Tous ces
1966 par l’indemnisation de l’aléa médical (cf. les objectifs sont louables.
sous-chapitres Aléa médical et autres concepts et
Évolution du droit civil en responsabilité médi-
cale. La jurisprudence). Ces deux lois sont codi- Principes généraux
fiées dans le Titre IV du Livre Ier de la première
partie du Code de la santé publique (CSP) ainsi Elle exclut la responsabilité encourue en raison
que dans les articles R. correspondants du même d’un défaut d’un produit de santé. Celle-ci est
code. traitée par la loi no 98-389 du 19 mai 1998.
Elle concerne les professionnels de santé pris à titre
individuel et les établissements, services ou orga-
nismes de soins en qualité de personnes morales.
Objectifs et principes généraux Elle couvre la responsabilité encourue au cours
Objectifs des actes individuels de prévention, de diagnostic
et de soins.
La loi met en place un processus d’indemnisa- Elle réaffirme que la responsabilité médicale n’est
tion rapide de l’aléa médical. Elle veut dédrama- engagée sur les conséquences dommageables d’ac-
tiser sans déresponsabiliser. Elle propose une tes qu’en cas de faute.

28
Chapitre 2. Les modes extra-juridictionnels selon les lois

Elle tempère d’emblée ce rappel : les établisse- ambiguïté quant au taux d’incapacité permanente
ments, services ou organismes de soins restent retenue : > 25 % ou ≥ 24 %. Dans la loi du
responsables des dommages résultant d’une infec- 30  décembre 2002 appliquée par les CRCI, les
tion nosocomiale sauf à apporter la preuve d’une « circonstances exceptionnelles » ne sont pas
cause étrangère (cf. le chapitre Infection nosoco- explicitées. Sont-elles les mêmes que dans le décret
miale p. 240). du 4 avril 2003 ?
Elle veut résoudre l’indemnisation des préjudices
graves liés à l’aléa médical. Elle ne cite pas le mot
d’aléa. Elle ne définit pas directement le concept. Organismes créés par la loi
Il est écrit : « Lorsque la responsabilité… n’est pas
engagée, un accident médical, une affection iatro- Pour atteindre ses objectifs, la loi institue trois
gène [le terme nosocomial serait préférable, cf. le types d’organismes : une Commission natio-
paragraphe Risque nosocomial médicamenteux nale des accidents médicaux (CNAM), un
p. 256] ou une infection nosocomiale ouvre droit à Office national d’indemnisation des accidents
la réparation des préjudices du patient au titre de médicaux (ONIAM) et des Commissions régio-
la solidarité nationale. » nales de conciliation et d’indemnisation 5
Elle fixe les critères d’entrée dans ce dispositif : (CRCI).
• les critères généraux sont établis pour tous les
types de faits préjudiciables par le décret La Commission nationale
no 2003-314 du 4 avril 2003 pris en application des accidents médicaux (CNAM)
de l’article L. 1142-1 du CSP :
– incapacité permanente ≥ 24 %, Elle est composée de 25 membres : 5 experts pro-
fessionnels de santé (liste nationale de la Cour de
– ou incapacité temporaire (de travail) de 6 mois
cassation ou listes des Cours d’appel conformé-
consécutifs ou de 6 mois non consécutifs sur
ment à la loi de 1971 modifiée par la loi du
une période de 12 mois,
11  février 2004) ; 4 représentants des usagers ;
– ou, à titre exceptionnel, en cas d’inapti- 16  personnalités qualifiées dont 8 pour leur
tude définitive à l’activité professionnelle ­compétence en droit de la responsabilité médicale
antérieure­ment exercée ou lors de troubles dont 1 magistrat président et 8 pour leur compé-
particulièrement graves, y compris d’ordre tence scientifique.
économique, dans les conditions d’existence
Ils sont assistés d’un Commissaire du Gouverne­
de la victime ;
ment. Les missions de la commission sont les sui-
• les critères spécifiques en matière d’infection vantes : elle établit et gère une liste nationale
nosocomiale contractée dans les établissements, d’experts en accidents médicaux ; elle assure la
services ou organismes de soins sont fixés par formation de ces experts ; elle contrôle les
l’article L. 1142-1-1 du CSP (loi no 2002-1577 du ­conditions de réalisation des expertises et adresse
30 décembre 2002) : ses recommandations aux CRCI ; elle contrôle le
– incapacité permanente > à 25 %, fonctionnement des CRCI ; elle fait des proposi-
– décès, tions visant à une application homogène du dis-
– ou en cas de circonstances exceptionnelles ; positif de réparation des conséquences des risques
sanitaires.
• les accidents médicaux, affections iatrogènes
et infections nosocomiales peuvent entrer La CNAM siège au sein de la Direction Générale
dans le dispositif s’ils se sont réalisés à comp- de la Santé, au Ministère de la santé, 8 avenue de
ter du 5 septembre 2001, mêmes s’ils font l’ob- Ségur, 75007 Paris.
jet d’une instance en cours, à moins qu’une
décision de justice irrévocable n’ait été 5 Le décret no 2004-775 du 29 juillet 2004 relatif à la
prononcée. réparation des conséquences des risques sanitaires a
regroupé les 22 CRCI en 7 commissions interrégiona-
Note : En matière d’infection nosocomiale, la les de conciliation et d’indemnisation des accidents
superposition des deux textes de loi crée une médicaux (CIRCI).

29
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

L’Office national d’indemnisation ments de santé, services de santé ou organismes


des accidents médicaux (ONIAM) ou producteurs de produits santé.
Elle siège en formation de règlement amiable et en
C’est un établissement public à caractère adminis- formation de conciliation.
tratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la Elle doit être informée par la personne qui la saisit
santé. Il gère un budget public. des procédures juridictionnelles relatives aux
Son conseil d’administration est composé d’un mêmes faits éventuellement en cours.
président assisté d’un directeur de l’Office, et de La saisine de la CRCI suspend les délais de pres-
22 membres : 11 représentants de l’État ; 1 repré- cription et de recours contentieux jusqu’au terme
sentant de la CNAMTS ; 2 représentants du per- de la procédure introduite auprès d’elle.
sonnel de l’Office ; 2 personnalités qualifiées ;
2  représentants des usagers ; 2 représentants des La Commission émet un avis sur les circonstan-
établissements de santé (publics et privés) ; ces, les causes, la nature et l’étendue des domma-
2 représentants des professionnels de santé (1 hos- ges ainsi que sur le régime d’indemnisation
pitalier et 1 libéral). applicable.
Ses missions d’indemnisation sont les suivantes : Leur mode de fonctionnement mérite d’être rap-
porté : les décisions sont prises au vote, à la majo-
• au titre de la solidarité nationale, en l’absence de rité absolue des membres présents avec un quorum
faute et pour un préjudice présentant le degré de minimal de 7 membres en première séance, sans
gravité requis ; obligation de quorum en deuxième séance au
• lorsqu’il y a responsabilité fautive, en substitu- terme d’un délai de 15 jours.
tion aux assureurs en cas de non-assurance, de L’avis émis ne peut être contesté que devant la
dépassement du plafond de l’assurance ou de juridiction compétente.
défaillance de l’assureur.
La CRCI d’Île-de-France siège Tour Gallieni II,
L’ONIAM siège Tour Gallieni II, 36 avenue du 39 avenue du Général de Gaulle, 93175 Bagnolet
Général de Gaulle, 93175 Bagnolet cedex. cedex.

Les Commissions régionales


de conciliation et d’indemnisation Le processus d’expertise
(CRCI)
Ce processus fait l’objet du sous-chapitre L’expertise
Présidées par un magistrat, judiciaire ou adminis- pour une commission régionale de conciliation et
tratif, elles comprennent 20 membres : 6 représen- d’indemnisation. Il est enclenché par la demande
tants des associations d’usagers ; 3 représentants faite par le plaignant, son représentant légal ou les
des syndicats des professionnels de santé dont ayants droit en vue de l’indemnisation du dom-
2 médecins (1 libéral et 1 hospitalier) ; 4 person- mage. Cette demande, présentée sur le formulaire
nalités qualifiées dans le domaine de la réparation réglementaire de l’ONIAM, est envoyée à la CRCI
des préjudices corporels sans précision sur leur par lettre recommandée avec accusé de réception
qualité ; 3 représentants des établissements de ou déposée auprès du secrétariat de la CRCI contre
soins (publics, PSPH, privés à but lucratif) ; accusé de réception. Elle doit être accompagnée
2 représentants de l’ONIAM ; 2 représentants des des pièces justificatives dont la liste figure dans le
entreprises. formulaire.
Les missions d’une CRCI dans le règlement des
conflits sont les suivantes : dans chacune des
régions, la CRCI est chargée de faciliter le règle- L’indemnisation des victimes en
ment amiable des litiges relatifs aux accidents procédure de règlement amiable
médicaux, aux affections iatrogènes et aux infec-
tions nosocomiales, ainsi que les autres litiges Le processus d’indemnisation ne saurait être
entre usagers et professionnels de santé, établisse- mieux résumé que par le schéma reproduit au

30
Chapitre 2. Les modes extra-juridictionnels selon les lois

­sous-­chapitre L’expertise pour une commission l’ONIAM 15 % au maximum de la somme qu’il


régionale de conciliation et d’indemnisation. Il alloue lui-même, sans préjudice des dommages et
aboutit soit à l’indemnisation par l’ONIAM ou intérêts dus de ce fait à la victime.
l’assureur, soit au recours devant le juge. L’État en position de responsable est soumis aux
Le dispositif d’indemnisation peut paraître sim- obligations incombant à l’assureur.
ple. Le malade qui s’estime victime d’un dommage En cas de silence ou de refus explicite de l’assureur,
imputable à une action médicale saisit la CRCI. d’absence d’assurance du responsable ou couver-
Celle-ci, dans un délai de 6 mois, prend avis d’un ture d’assurance insuffisante, l’ONIAM est substi-
expert ou d’un collège d’experts puis, réunie en tué à l’assureur. Une réserve sera faite concernant
formation de règlement amiable, elle délibère sur l’article L. 251-2 du Code des assurances.
trois points :
L’acceptation de l’offre de l’Office par la victime
• la recevabilité du dossier au regard de la date de vaut transaction.
survenue du fait générateur ;
L’ONIAM est alors subrogé dans les droits de la
• le niveau du préjudice pour statuer sur l’entrée victime contre le responsable ou son assureur.
ou non du dossier dans le système de la solida-
Le juge saisi dans le cadre de cette subrogation
rité nationale ;
condamne l’assureur ou le responsable non assuré
• le caractère fautif ou non des responsabilités invo- à verser à l’ONIAM 15 % au plus de l’indemnité
quées et leur lien de causalité avec le préjudice que lui-même alloue à la victime.
prouvé. L’état antérieur et l’évolutivité ­propre de la
Une transaction passée entre l’ONIAM et la vic-
pathologie en cause sont pris en compte comme
time est opposable à l’assureur ou au responsable,
dans tout litige en responsabilité médicale.
sauf à eux de contester devant le juge le principe de
L’application de ce processus peut devenir beau- la responsabilité ou le montant des sommes récla-
coup plus complexe, comme le laissent présumer mées. Les indemnités allouées restent de toute
les multiples voies de recours judiciaires et actions façon acquises à la victime.
subrogatoires croisées qu’il autorise et/ou engen- Les tiers payeurs (autres que les caisses de sécurité
dre (fig. 4-2 page 125). sociale) ont un recours contre la victime si celle-ci
n’a pas informé la CRCI des prestations reçues ou
Lorsque la responsabilité fautive à recevoir. La prescription de ce recours est de
deux ans à compter de la demande de versement
de l’acteur des soins est retenue des prestations.
par la CRCI
L’assureur du responsable considéré dispose Lorsque la CRCI considère
d’un délai de quatre mois pour faire une offre que le dommage est indemnisable
d’indemnisation visant à la réparation intégrale
des préjudices dans la limite du plafond de
au titre de l’aléa médical
garantie du contrat. Les différentes modalités par la solidarité nationale
de cette offre sont détaillées dans l’article L.
L’ONIAM dispose d’un délai de quatre mois pour
1142-2 du CSP.
faire une offre d’indemnisation. Les différentes
L’acceptation de l’offre par la victime ou ses ayants modalités de cette offre sont détaillées dans l’article
droit vaut transaction. Le paiement de l’indemni- L. 1142-17 du CSP. Sont également envisagés les
sation intervient dans le délai d’un mois. cas plus complexes de responsabilité partagée (cf.
Si l’assureur estime que le dommage n’engage pas le sous-chapitre L’expertise pour une commission
la responsabilité de son assuré, il dispose d’une régionale de conciliation et d’indemnisation –
action subrogatoire contre le tiers responsable ou Rapport d’activité de l’ONIAM 2002-2003, et le
contre l’ONIAM. Rapport annuel de la CNAM au Parlement et au
La victime peut refuser l’offre de l’assureur. Elle Gouvernement 2003-2004).
saisit le juge compétent. Celui-ci, s’il estime l’offre En l’absence d’offre de l’ONIAM ou d’offre consi-
insuffisante, condamne l’assureur à verser à dérée insuffisante, la victime ou ses ayants droit

31
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

disposent du droit d’action en justice contre 2002 – art. L. 1142-28 du Code de santé publique).
l’Office. La loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme
Lorsque la juridiction compétente saisie d’une de la prescription en matière civile n’a pas modifié
demande d’indemnisation estime que les dom- ce délai. Dans sa rédaction de l’article 2226 du
mages subis relèvent de l’aléa médical, Code civil, il est écrit : « L’action en responsabilité
l’ONIAM, appelé dans la cause, devient née à raison d’un événement ayant entraîné un
défendeur. dommage corporel, engagée par la victime directe
ou indirecte des préjudices qui en résultent, se
prescrit par dix ans à compter de la date de la
Dispositions diverses consolidation du ­dommage initial ou aggravé ».
Des remarques s’imposent.
Assurance obligatoire La date de consolidation du dommage n’est pas
toujours une notion aussi précise qu’il y paraît de
Les professionnels de santé exerçant à titre libé- prime abord.
ral, les établissements de santé, services de santé En ce qui concerne les mineurs, la prescription de
et organismes déjà susvisés et toute autre per- dix ans s’applique à partir de l’âge de la majorité. Il
sonne morale, autre que l’État, exerçant les acti- en résulte qu’un dommage subi par un nourrisson
vités à caractère médical et de soins déjà décrites, et révélé seulement à l’âge adulte peut n’être pres-
sont tenus de souscrire une assurance garantis- crit que 18 + 10, soit 28 ans au moins après la date
sant leur responsabilité civile ou administrative. de consolidation si, en particulier, des réinterven-
Le manquement à cette obligation entraîne des tions sont intervenues.
sanctions pénales tant pour les personnes physi-
ques que pour les personnes morales. Une déro- En cas de cessation définitive d’activité, le médecin
gation à l’obligation d’assurance peut être devra tout particulièrement veiller au libellé de son
accordée par le Ministre chargé de la santé aux contrat d’assurance, compte tenu d’une certaine
établissements publics de santé disposant des complexification du code des assurances (art. 4 et
ressources financières leur permettant d’indem- 5 de la loi no 2002-1577 du 30 décembre 2002 rela-
niser les dommages dans des conditions équi­ tive à la responsabilité civile médicale qui introduit
valentes à celles qui résulteraient d’un contrat un article L. 251-2 dans le code des assurances).
d’assurance. Nous renvoyons le lecteur à ce texte. Il résulte de ce
texte que, sauf clause contractuelle stipulant une
Les membres du corps médical exerçant à titre de période de garantie plus longue, un praticien qui
salariés dans un établissement public de soins, arrête définitivement ses activités professionnelles
bien que couverts par l’assurance administrative médicales n’est garanti que durant les cinq premiè-
de leur établissement dans l’exercice de leurs acti- res années de sa cessation d’activité. Au-delà, de six
vités (hors exceptionnelle faute détachable du à dix, voire vingt-huit ans ou plus, l’ONIAM assu-
service) et bien que cela ne figure pas dans le texte rera la prise en charge d’une indemnisation éven-
de la loi, ont néanmoins intérêt à souscrire per- tuelle conformément à l’article 1/XI de la loi du 30
sonnellement une assurance de responsabilité décembre 2002 ­sus-citée qui a modifié le quatrième
civile professionnelle (RCP) avec protection alinéa de l’article L. 1142-15 du CSP. La rédaction
­juridique. Rappelons en outre que, comme pour en est maintenant la suivante : « Sauf dans le cas où
tout citoyen, leur responsabilité pénale reste atta- le délai validé de la couverture d’assurance garantie
chée à leur personne. Ils en sont entièrement par les dispositions du cinquième alinéa de l’arti-
redevables. cle L. 251-2 du code des assurances est expiré, l’Of-
fice est subrogé… ». C’est donc bien l’ONIAM qui
Prescription en matière prendra en charge la couverture d’un préjudice
de responsabilité médicale nosocomial révélé plus de cinq ans après la cessa-
tion définitive d’activité du professionnel et ce sans
Elle est dorénavant de dix ans à compter de la recours possible contre le responsable éventuel ou
consolidation du dommage (dans la loi du 4 mars son assureur.

32
Chapitre 2. Les modes extra-juridictionnels selon les lois

Conclusion plète. Les problèmes proprement expertaux font


l’objet d’un chapitre spécifique de l’ouvrage.
L’avenir dira dans quelle mesure les objectifs
La loi est extrêmement complexe. Seul son Titre ambitieux de cette loi sont atteints : allègement du
IV a été étudié ici. Cette analyse s’est voulue aussi contentieux judiciaire et rapidité d’indemnisation
schématique que possible au risque d’être incom- qui doit rester équitable.

33
Éthique et déontologie Chapitre  3
expertale
Le secret médical
P. Cordier, mise à jour J. Hureau

Généralités suite, cette obligation n’interdit pas davantage au


médecin, lorsqu’il en est spécialement requis par
son client, de délivrer à celui-ci des certificats,
Tout médecin a prononcé devant ses maîtres le
attestations ou documents destinés à exprimer
serment d’Hippocrate, dans le texte dit de
lesdites constatations » (arrêt du Conseil d’État
Montpellier et fait solennellement ce serment :
du 12 avril 1957).
« Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne
verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les Le secret médical est la propriété du malade. Lui
secrets qui me sont confiés. » seul peut en disposer. C’est ainsi que l’arrêt du
Conseil d’État du 11 février 1972 précise : « Les
Ce secret médical est général et absolu, comme le
secrets que les médecins ne peuvent révéler sont
dit l’arrêt fondamental de la Cour de cassation
ceux qu’en raison de leur état, de leur profession
du 8 mai 1947 : « L’obligation du secret profes-
ou des fonctions qu’ils exercent, on leur confie.
sionnel s’impose aux médecins comme un devoir
C’est du malade seul que dépend le sort des secrets
de leur état. Elle est générale et absolue, et il n’ap-
qu’il a confiés à un médecin et que celui-ci a pu
partient à personne de les en affranchir. Ils sont
déduire de son examen. »
dès lors fondés à s’en prévaloir pour refuser de
déposer en justice sur des faits dont ils n’ont eu
connaissance qu’à l’occasion de l’exercice de leur Les moyens
profession. »
Le Code pénal
Le principe Les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal por-
tent sur l’atteinte au secret professionnel.
Le secret médical, droit du malade, ne lui est pas
Art. 226-13 : « La révélation d’une information à
opposable : le malade est le maître du secret. Ce
caractère secret par une personne qui en est dépo-
principe selon lequel le malade est le seul maître
sitaire soit par état ou par profession, soit en raison
du secret, qui a pour but de le protéger, est
d’une fonction ou d’une mission temporaire, est
reconnu aussi bien par la Cour de cassation selon
punie d’un an d’emprisonnement et de l00 000 F
laquelle « l’obligation au secret, édictée dans l’in-
d’amende. »
térêt du malade, ne saurait être opposée à celui-ci
quand la détermination de ses droits dépend des Art. 226-14 : « L’article 226-13 n’est pas applica-
renseignements recherchés », que par le Conseil ble dans les cas où la loi impose ou autorise la
d’État selon lequel « L’obligation de respecter le révélation du secret. En outre, il n’est pas appli-
secret professionnel qui est imposée au méde- cable :
cin… n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet • à celui qui informe les autorités judiciaires,
d’interdire au médecin de faire connaître à son médicales ou administratives de sévices ou pri-
client lui-même les constatations médicales qu’il vations dont il a eu connaissance et qui ont été
est en mesure de faire sur sa personne ; que, par infligés à un mineur de quinze ans ou à une

35
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

p­ ersonne qui n’est pas en mesure de se protéger Le code de procédure pénale


en raison de son âge ou de son état physique ou
psychique. Différents articles abordent les questions en rap-
port avec le secret professionnel :
• au médecin qui, avec l’accord de la victime,
porte à la connaissance du Procureur de la Art. 156, al. 3 : « … Les experts procèdent à leur
République les sévices qu’il a constatés dans mission sous le contrôle du juge d’instruction ou
l’exercice de sa profession et qui lui permettent du magistrat que doit désigner la juridiction
de présumer que des violences sexuelles de toute ordonnant l’expertise… » (art. 156, al. 3).
nature ont été commises. » Art. 158 : « La mission des experts qui ne peut
avoir pour objet que l’examen des questions d’or-
dre technique, est précisée dans la décision qui
Le code de procédure civile ordonne l’expertise. » (art. 158)
Concernant les difficultés éventuelles soulevées Art. 164 : « Les experts peuvent recevoir, à titre de
par le secret professionnel, il paraît utile de rappe- renseignement et pour le seul accomplissement de
ler trois articles : leur mission, les déclarations de personnes autres
• Art. 243 : « Le technicien peut demander com- que la personne mise en examen, le témoin assisté
munication de tous documents aux parties et ou la partie civile.
aux tiers, sauf au juge à l’ordonner en cas de Toutefois, si le juge d’instruction ou le magistrat
difficultés. » désigné par la juridiction les y a autorisés ils peu-
• Art. 247 : « L’avis du technicien dont la divulga- vent à cette fin recevoir, avec l’accord des intéres-
tion porterait atteinte à l’intimité de la vie pri- sés, les déclarations de la personne mise en examen,
vée ou à tout autre intérêt légitime ne peut être du témoin assisté ou de la partie civile nécessaires
utilisé en dehors de l’instance si ce n’est sur à l’exécution de leur mission. Ces déclarations sont
autorisation du juge ou avec le consentement de recueillies en présence de leur avocat ou, celui-ci
la partie intéressée. » dûment convoqué dans les conditions prévues par
• Art. 275 : « Les parties doivent remettre sans délai le 2e alinéa de l’article 114, sauf renonciation écrite
à l’expert tous les documents que celui-ci estime remise aux experts. Ces déclarations peuvent être
nécessaire à l’application de sa mission. également recueillies à l’occasion d’un interroga-
toire ou d’une déposition devant le juge d’instruc-
En cas de carence des parties, l’expert en informe tion en présence de l’expert. Les médecins et les
le juge qui peut ordonner la production des docu- psychologues experts chargés d’examiner la per-
ments, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien le cas sonne mise en examen, le témoin assisté ou la par-
échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer tie civile peuvent dans tous les cas leur poser des
son rapport en l’état. La juridiction de jugement questions pour l’accomplissement de leur mission,
peu tirer toute conséquence de droit du défaut de hors la présence du juge et des avocats. »
communication des documents à l’expert. »
L’article 11, dans ses deux alinéas, fait état de
règles générales d’importance : Le code administratif
• Art. 11 al. 1 : « Les parties sont tenues d’apporter Il ne traite spécifiquement dans aucun article du
leurs concours aux mesures d’instruction sauf secret professionnel. Ce sont les règles du code de
au juge à tirer toute conséquence d’une absten- déontologie médicale qui s’appliquent : articles
tion, ou d’un refus. » 105 à 108 transposés dans les articles R. 4127-105
• Art. 11 al. 2 : « Si une partie détient un élément à R 4127-108 du code de santé publique.
de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre
partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à Le code de déontologie médicale
peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une
Décret no 95-1000 du 6 septembre 1995 portant
des parties, demander ou ordonner, au besoin
code de déontologie médicale.
sous la même peine, la production de tous docu-
ments détenus par des tiers s’il n’existe pas Quatre articles imposent le secret professionnel :
d’empêchement légitime. » Titre Ier : Devoirs généraux des médecins

36
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Art. 4 : « Le secret professionnel, institué dans pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection
l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dont il est atteint expose les tiers à un risque de
dans les conditions établies par la loi. contamination.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connais- Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec cir-
sance du médecin dans l’exercice de sa profession, conspection, mais les proches doivent en être pré-
c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, venus, sauf exception ou si le malade a
mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. » préalablement interdit cette révélation ou désigné
Titre IV : De l’exercice de la profession les tiers auxquels elle doit être faite. »
Art. 72 : « Le médecin doit veiller à ce que les per- Quatre articles traitent de l’exercice de la méde-
sonnes qui l’assistent dans son exercice soient ins- cine d’expertise.
truites de leurs obligations en matière de secret Titre IV : Exercice de la médecine d’expertise.
professionnel et s’y conforment. Art.105 : « Nul ne peut être à la fois médecin expert
Il doit veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée et médecin traitant d’un même malade.
par son entourage au secret qui s’attache à sa cor- Un médecin ne doit pas accepter une mission
respondance professionnelle. » d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres
Art. 73 : « Le médecin doit protéger contre toute intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses pro-
indiscrétion les documents médicaux concernant les ches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui
personnes qu’il a soignées ou examinées, quels que fait habituellement appel à ses services. »
soient le contenu et le support de ces documents. Les articles 106 à 108 traitent du secret
Il en va de même des informations médicales dont professionnel.
il peut être le détenteur. Art. 106 : « Lorsqu’il est investi d’une mission, le
Le médecin doit faire en sorte, lorsqu’il utilise son médecin expert doit se récuser s’il estime que les
expérience ou ses documents à des fins de publi- questions qui lui sont posées sont étrangères à la
cation scientifique ou d’enseignement, que l’iden- technique purement médicale ; à ses connaissan-
tification des personnes ne soit pas possible. À ces, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à
défaut, leur accord doit être obtenu. » contrevenir aux dispositions du présent code. »
Art. 104 : « Le médecin chargé du contrôle est tenu Art. 107 : « Le médecin expert doit, avant d’entre-
au secret envers l’administration ou l’organisme prendre toute opération d’expertise, informer la per-
qui fait appel à ses services. Il ne peut et ne doit lui sonne qu’il doit examiner de sa mission et du cadre
fournir que ses conclusions sur le plan adminis- juridique dans lequel son avis est demandé. »
tratif, sans indiquer les raisons d’ordre médical Art. 108 : « Dans la rédaction de son rapport, le
qui les motivent. médecin expert ne doit révéler que les éléments de
Les renseignements médicaux nominatifs ou nature à apporter la réponse aux questions posées.
indirectement nominatifs contenus dans les dos- Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu’il a pu
siers établis par ce médecin ne peuvent être com- connaître à l’occasion de cette expertise.
muniqués ni aux personnes étrangères au service Il doit attester qu’il a accompli personnellement
médical ni à un autre organisme. » sa mission. »
Un article déroge au secret professionnel : Commentaires : L’expert n’a pas de secret pour le
Art. 35 : « Le médecin doit à la personne qu’il exa- juge, dans les limites de sa mission. Mais il est
mine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une informa- seulement chargé de répondre aux questions
tion loyale, claire et appropriée sur son état, les (d’ordre médical) de cette mission. Il doit taire
investigations et les soins qu’il lui propose. Tout tout ce qu’il a pu apprendre ou ce qui lui a été
au long de la maladie, il tient compte de la person- confié hors des limites de cette mission. Il ne doit
nalité du patient dans ses explications et veille à pas faire état des aveux d’un inculpé, ni d’une
leur compréhension. Toutefois, dans l’intérêt du dénonciation qui lui aurait été faite.
malade et pour des raisons légitimes que le prati- Le médecin expert se trouve souvent dans des
cien apprécie en conscience, un malade peut être situations délicates. Car si, son expertise faite, il est
tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un cité comme témoin — par exemple aux assises, il

37
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

prêtera serment de dire « toute la vérité » — il peut L’arrêt princeps de la Cour de cassation du 19
se demander s’il a le devoir de livrer des confiden- décembre 1955 l’atteste : « En imposant à certaines
ces. Et si sa mission le charge de recueillir « tous personnes, sous une sanction pénale, l’obligation
renseignements », doit-il tout dire ? Un médecin du secret comme un devoir de leur état, le législa-
expert chargé de faire l’autopsie d’une jeune femme teur a entendu assurer la confiance qui s’impose
morte dans un accident et qui découvre, en plus du dans l’exercice de certaines professions. »
traumatisme crânien responsable de la mort, les
traces d’un avortement récent, doit-il consigner ce
dernier élément dans son rapport ? Le but
Le Professeur Raymond Villey, ancien président En effet, le secret médical répond à une double
du Conseil de l’Ordre répondait : « on peut penser nécessité.
que non ».
À ces questions difficiles il faut répondre que le L’intérêt personnel du malade
médecin expert, pour respecter le secret profes-
sionnel, n’a jamais à déborder sa mission, et qu’il La finalité du secret médical est la protection du
ne doit pas accepter une mission qui va au-delà de malade dans l’intérêt duquel il est constitué. On
l’appréciation des éléments médicaux de l’affaire pourrait donc en conclure qu’il est une préroga-
pour laquelle il a été commis. tive du malade, qui en est et doit en rester le maî-
Cette précision vise en particulier les antécédents tre ; que le secret a donc un caractère relatif, ainsi
du sujet examiné. Parmi ceux-ci, l’expert doit se que le reconnaissent la plupart des pays euro-
limiter aux antécédents qui constituent un « état péens ; et que, maître du secret, le malade peut en
antérieur » par rapport au dommage qui fait l’ob- délier le médecin.
jet de l’expertise, c’est-à-dire ceux qui ont subi une
Le droit du malade aux informations
influence du fait de l’accident ou marqué l’évolu-
le concernant
tion des conséquences dudit accident.
Être malade, ce n’est pas être frappé d’incapacité
Bien entendu, c’est seulement au juge ou à l’admi-
juridique. On a pu observer des attitudes médica-
nistration qui l’a désigné que le médecin répond.
les en contradiction avec l’obligation d’informa-
Il ne doit rien divulguer au-dehors, à aucun tiers
tion qu’impose la déontologie.
et notamment à la presse. Il ne peut publier son
expertise ni donner à son sujet une conférence de La communication avec le médecin
presse, ni accepter d’interview. traitant
Note : Le respect du secret professionnel médical À propos du secret professionnel dans l’expertise,
est une valeur absolue et constamment répétée se pose la question de savoir si le médecin expert
depuis les premières manifestations de l’organisa- peut interroger le médecin traitant et si celui-ci
tion morale et éthique de la médecine : serment peut lui répondre. Cette question a été très
d’Hippocrate, prière de Maïmonide, serment de controversée.
Montpellier… Les deux remaniements récents du
code de déontologie médicale de 1995 (décret Se pose en effet le problème de la légitimité éven-
no  2005-481 du 17 mai 2005 et « Mise à jour » du tuelle, pour le médecin traitant, d’opposer le secret
14 décembre 2006) n’ont rien changé aux articles professionnel au médecin expert qui souhaiterait
concernant le secret tels qu’exposés ci-dessus. Les prendre connaissance, dans le cadre de sa mis-
grands principes qui régissent le « secret médical » sion, d’un dossier médical ou de toute autre pièce
sont rappelés dans l’article L. 1110-4 du Code de relevant du secret.
santé publique – loi du 4 mars 2002. S’il estime pouvoir répondre (il ne peut y être
obligé), le médecin traitant doit s’en tenir stricte-
La raison ment aux seuls points soumis à expertise. Sa
position est particulièrement délicate dans le
Le secret médical est indispensable pour assurer domaine psychiatrique, car, ici, ce que connaît le
la confiance nécessaire à l’exercice de la fonction médecin traitant est presque uniquement fait de
médicale. confidences.

38
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

La communication du dossier hospitalier faveur de la communication des dossiers au méde-


En matière civile, l’article L. 1111-7 du code de cin expert régulièrement désigné. Elle s’y est éga-
santé publique (loi no 2002-303 du 4 mars 2002) a lement opposée dans le principe comme dans
remplacé tous les textes précédents (cf. le sous- l’arrêt du 15 juin 2004 (cf. préface de P. Sargos)
chapitre Le secret professionnel au cours de l’exper- sans toutefois interdire formellement au juge du
tise). Retenons ici que « Toute personne a accès à fond d’appliquer l’article 275 du code de procé-
l’ensemble des informations concernant sa santé dure civile s’il l’estime justifié.
détenues par des professionnels et établissements Dans tous les cas, l’expert doit prendre toutes
de santé… directement ou par l’intermédiaire mesures utiles pour que les documents qui ont pu
d’un médecin qu’elle désigne ». Ce texte n’a pas lui être confiés soient protégés contre toute
profondément modifié l’esprit de la communica- indiscrétion.
tion médiate instituée par les lois et décrets précé- En matière pénale, le dossier, saisi à la demande du
dents. Il l’a précisé et renforcé. juge d’instruction, a été placé sous scellés fermés.
Cette réglementation pose problème : certes, les Il appartient à l’expert, après en avoir pris connais-
médecins confrontés à la maladie et à la mort sance, de refermer les enveloppes et de reconsti-
savent d’expérience que certains malades ne sont tuer les scellés, en mentionnant son intervention,
pas prêts psychologiquement à affronter un diag­ attestée par la signature et la date (cf. le sous-cha-
nostic fatal : explicitement ou implicitement pitre Le secret professionnel au cours de l’exper-
« ceux-ci ne veulent pas savoir ». Cela aussi est leur tise). Il n’en faut pas moins rester vigilant.
liberté et, s’ils ont le droit de connaître la vérité L’application de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004
lorsqu’ils la demandent, ils ont aussi le droit de se portant adaptation de la justice aux évolutions de
la cacher ou de se la faire cacher s’ils le souhaitent la criminalité (dite loi Perben II) appelle quelques
expressément ou tacitement : dire qu’ils sont les remarques. Elle prévoit aux articles 60-1 (concer-
maîtres du secret ne contredit nullement cette nant les crimes et les délits flagrants) et 77-1-1
liberté, et laisse au médecin la possibilité d’une (concernant l’enquête préliminaire) du code de
approche plus feutrée de la vérité conformément à procédure pénale la possibilité pour le Procureur
l’article 35 du nouveau code de déontologie6 ; la de la République ou l’Officier de Police judiciaire
même prudence s’impose dans les maladies psy- (en fonction des cas) de requérir de toute per-
chiatriques. Cependant ces exceptions ne doivent sonne physique ou morale susceptible de détenir
pas affecter le sens profond du secret et le retour- des documents intéressant l’enquête de lui remet-
ner pour en faire une prérogative du médecin. tre ces documents « sans que puisse lui être oppo-
Les dossiers médicaux sont-ils à la disposition des sée, sans motif légitime, l’obligation au secret
experts ? À plusieurs reprises, à propos des dos- professionnel ». Ces articles précisent cependant
siers hospitaliers et des dossiers de Sécurité que lorsque les réquisitions concernent certaines
sociale, la Cour de cassation s’est prononcée en professions et notamment les médecins, la saisie
de documents ne peut intervenir qu’avec leur
6 Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soi- accord. Le Conseil de l’Ordre des médecins rap-
gne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et pelle qu’il convient donc d’opposer le secret pro-
appropriée sur son état, les investigations et les soins fessionnel à ces réquisitions. Les règles concernant
qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient le secret professionnel n’ont pas été modifiées par
compte de la personnalité du patient dans ses expli- ce texte et restent toujours en vigueur et opposa-
cations et veille à leur compréhension. Toutefois, dans
l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que
bles à toutes réquisitions. La remise de documents
le praticien apprécie en conscience, un malade peut médicaux ne peut avoir lieu qu’en cas de saisie ou
être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un de perquisition en présence d’un membre du
pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont Conseil de l’Ordre des médecins et non sur sim-
il est atteint expose les tiers à un risque de contami- ple réquisition policière. Les médecins qui remet-
nation. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec traient des documents médicaux en dehors de ce
circonspection, mais les proches doivent en être pré-
venus, sauf exception ou si le malade a préalablement cadre et accepteraient de déférer à ces réquisi-
interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels tions s’exposent à des sanctions ordinales et
elle doit être faite. pénales (art. 226-13 du code pénal et R. 4127-4 du

39
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

code de santé publique) pour violation du secret jurisprudence française, peut se résumer ainsi,
médical (Bulletin du Conseil départemental de comme l’exprimait le Professeur Villey : « Ou bien
l’Ordre des médecins de la Ville de Paris – juin le secret médical n’est qu’une clause dans une
2006 – no 97, p. 6). convention tacite individuelle, clause facultative
au gré du patient. Il n’a qu’un intérêt privé. Le
Le droit au secret et les héritiers patient peut alors en décharger son médecin. En
La seule véritable difficulté relative au secret médi- cas de divulgation, le médecin ne sera poursuivi
cal surgit lorsque, le malade étant décédé, les héri- que sur plainte. Un intérêt social peut être jugé plus
tiers invoquent un certificat médical à l’appui de important que le secret.
leurs propres droits. Ériger le secret médical en un Ou bien on attache du prix à la portée générale et à
droit personnel du malade et intransmissible à ses l’intérêt public du secret. L’obligation de discrétion
héritiers, c’est peut-être priver ceux-ci des moyens s’applique à l’état de médecin. C’est toute une pro-
de faire la preuve de leurs droits légitimes. Mais fession qui s’engage à ce que tout malade ou blessé
faire du secret médical un droit totalement trans- puisse avoir confiance et ne soit jamais trahi. Alors
missible à ses héritiers, cela peut aussi soit porter à le secret médical ne doit pas s’incliner devant n’im-
leur propre connaissance des informations dont le porte quel « intérêt supérieur », ni se laisser oublier
de cujus désirait que ses proches continuent de les dans les réglementations médico-sociales ». C’est ce
ignorer (impuissance, stérilité, aliénation men- que la Cour de cassation, ne suivant pas l’évolu-
tale, maladies vénériennes, sida…), soit leur per- tion de la juridiction civile, avait encore clairement
mettre d’étaler contre sa mémoire ces mêmes exprimé le 22 décembre 1966 : « L’obligation du
informations qu’il eût voulu garder secrètes. secret n’est pas contractuelle mais légale et d’ordre
Placée devant un tel dilemme, la jurisprudence public ; il n’appartient ni à l’intéressé ni à son héri-
semble d’une souplesse toute pragmatique. En tier de délier le médecin de son obligation. »
principe, la Cour de cassation, estimant que le de L’avenir du secret médical dépend du choix entre
cujus n’avait pas voulu priver ses héritiers de la ces deux conceptions. C’est le choix entre le droit
possibilité de faire valoir leurs droits, admet que le du malade et le devoir du médecin. Tout en réaf-
malade « peut transmettre le dépôt du secret, firmant l’intangibilité du secret médical dans l’ar-
lorsqu’il laisse aux siens, à sa mort, des droits dont ticle L. 1110-4 du CSP, la loi du 4 mars 2002 a
la preuve suppose la communication du dépôt de clarifié quelques ambiguïtés (art. L. 1110-4,
vérité confié par lui à un médecin ». L. 1111-6, L. 111-7 du CSP).
La loi du 4 mars 2002 édicte, dans l’alinéa 7 de
l’article L. 1110-4 du code de santé publique que :
« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les
informations concernant une personne décédée
Les aspects juridiques du secret
soient délivrées à des ayants droit, dans la mesure professionnel
où elles leur sont nécessaires pour leur permettre
de connaître les causes de la mort, de défendre la Les éléments constitutifs
mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, de l’infraction
sauf volonté contraire exprimée par la personne
avant son décès ». Les personnes assujetties
au secret professionnel
Le droit du malade à divulguer le secret Il s’agit de toute personne touchant à l’acte médi-
L’idée selon laquelle le malade, maître du secret, cal et plus généralement de toute personne dépo-
peut en délier le médecin et en permettre la divul- sitaire d’un secret par état, par profession ou par
gation est assez controversée, comme nous l’avons fonction.
vu. Les applications en sont nombreuses dans la
diversité des certificats médicaux exigés par notre
société. L’essentiel du débat doctrinal, permettant
L’objet
de comprendre les différences existant entre les Il faut un secret, c’est-à-dire une information à
législations, aussi bien que les fluctuations de la caractère confidentiel (même s’il s’agit de faits

40
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

susceptibles d’être connus) soit à caractère profes- 1. Les services du médecin légalement requis par
sionnel, en d’autres termes confié au médecin, soit l’autorité judiciaire et la mission du médecin
découvert fortuitement, à l’occasion de l’exercice expert désigné par le tribunal : dans ces deux
de la profession. Ce secret peut concerner un fait cas, le médecin, en qualité de mandataire de
soit positif, soit négatif. justice, doit rendre compte à celle-ci des consta-
tations médicales de sa mission, compte tenu
Le délit toutefois de l’article 108 du Code de déontolo-
gie médicale.
Il est constitué par la révélation de ce secret, c’est-
2. Deux certificats particuliers en matière d’assu-
à-dire sa divulgation intentionnelle et quel qu’en
rance-vie, soit en cas de suicide (article 62 de la
soit le mobile. Il n’est pas nécessaire que l’inten-
loi du 13 juillet 1930), soit en cas de décès par
tion soit malveillante.
maladie dans les vingt premiers jours du
contrat de rente viagère (article 1975 du Code
Les faits justificatifs de la civil) : le certificat médical peut attester qu’il ne
violation du secret professionnel s’agit pas d’un suicide ou que la maladie exis-
tait déjà à la date de signature du contrat, sans
Le consentement en donner le diagnostic. L’alinéa 7 de l’article
Le consentement de la personne que concerne le L. 1110-4 du CSP a apporté un certain assou-
secret ne justifie pas de violer le secret profession- plissement (cf. ci-dessus).
nel à sa place ; seul l’intéressé peut en disposer et 3. Les médecins assermentés et leurs certificats,
le médecin ne peut pas en être dégagé par lui, concernant les emplois publics ainsi que les
notamment pour déposer en justice, fût-ce même naturalisations, qui doivent faire mention
dans l’intérêt du patient. Le médecin n’est pas le d’une anomalie éventuelle (article 13 du
fondé de pouvoir de son malade. décret du 14 février 1959 et arrêté du 19 juillet
1973).
Le problème du témoignage
en justice des personnes tenues Dérogations jurisprudentielles
au secret professionnel (arrêts de la Cour de cassation
Il y a contradiction entre d’une part, l’obligation au secret professionnel)
de comparaître en justice et de témoigner (article
En effet, on peut rappeler que seule la jurispru-
109 du Code de procédure pénale) et d’autre part
dence de la Cour suprême a valeur impérative
l’obligation de se taire (articles 226-13 et 226-14
pour les autres juridictions, car la Cour de cassa-
du Code pénal).
tion dit le droit. Il importe toutefois de souligner
Ces personnes convoquées par la justice sont que les décisions de la Cour de cassation ont cha-
tenues de comparaître (sous peine de sanction), que fois un caractère ponctuel et ne sauraient
mais elles peuvent toujours se retrancher, s’il y a souffrir d’extrapolation.
lieu, derrière le secret professionnel (arrêt de la
Ces huit arrêts concernent :
Cour de cassation du 8 mai 1947), sauf si elles sont
personnellement mises en cause et que seule la • La révélation de l’état mental de l’auteur décédé
violation du secret est susceptible de les disculper d’un testament (arrêt du 26 mai 1964) – dans le
(arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1964) (en cas considéré, par un médecin et deux infirmiè-
ce cas, sous condition de désignation d’un expert res – est indispensable aux juges pour savoir si
judiciaire mandaté pour en connaître). un testament est valable. Il faut, en effet, être
sain d’esprit pour faire un testament, et l’infrac-
tion du secret médical est le seul moyen d’ap-
L’ordre de la loi, les dérogations porter la preuve exigée par la loi.
légales au secret professionnel • Le fait que le secret médical « n’est pas opposa-
Je ne retiendrai que les dérogations pouvant avoir ble au malade lui-même » (arrêt du 28 janvier
trait à l’expertise médicale : 1966). C’est ainsi qu’une Caisse de Sécurité

41
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Sociale ne peut pas refuser la communication conformer à l’article 1315 al. 1 du Code civil :
d’un dossier médical à un expert judiciaire. « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation
• La défense du médecin inculpé en justice (arrêt doit la prouver ». Cette preuve est apportée par
du 20 décembre 1967). Un médecin dont la bonne l’expertise médicale soit à un expert judiciaire
foi a été abusée pour établir un certificat médical dans le cadre d’une procédure, soit dans le cadre
obtenu par une machination, et accusé de com- de l’application de la loi du 5 juillet 1985 dite loi
plicité d’escroquerie, peut expliquer comment Badinter.
son diagnostic a été induit en erreur. En effet, « Le
trompeur n’a aucun droit au respect du prétendu L’expert judiciaire et le secret
secret, né de sa simulation frauduleuse ». médical
• La procédure pénale en matière d’instruction
L’expert judiciaire est mandaté pour établir la
criminelle (arrêt du 24 avril 1969). Le secret
véracité des faits allégués dans l’action en justice
médical ne saurait faire obstacle à la saisie par le
qui établira la responsabilité de l’auteur du dom-
juge d’instruction d’un dossier médical, notam-
mage et le montant de l’indemnité due par son
ment hospitalier ; cette saisie nécessite toutefois
assureur de responsabilité. Il convient seule-
pour sa régularité la présence d’un membre du
ment de rappeler que, conformément à l’article
Conseil de l’Ordre des médecins.
108 du code de déontologie médicale, le méde-
• De même : « Les juridictions pénales ont le droit de cin expert ne doit révéler dans son rapport que
donner mission aux experts judiciaires par elles les éléments de réponse aux questions posées
commis de prendre connaissance des documents par la mission d’expertise. Hors de ces limites, il
médicaux à l’hôpital » (arrêt du 20 janvier 1976). doit taire ce qu’il a pu apprendre lors de sa
• Le secret partagé par les médecins entre eux mission.
(arrêt du 28 octobre 1970) en matière de méde- Bien entendu si le blessé fait obstacle à la trans-
cine collective. mission de ces dossiers, ceux-ci ne doivent pas
• Le secret en médecine du travail (arrêté du 6 juin être communiqués contre sa volonté. Mais ce
1972). Le médecin du travail a qualité pour refus de transmission sera consigné dans le rap-
signaler à l’employeur les troubles de santé d’un port d’expertise, et le tribunal en tirera les conclu-
salarié, sans toutefois en indiquer le diagnostic. sions. En pratique, on constate que les victimes
• Le patient, dans un procès civil, a le droit de tiennent davantage à leur indemnisation qu’au
produire un certificat médical le concernant et secret de leur intimité.
peut faire produire des documents médicaux le
concernant (arrêt du 1er mars 1972), car le secret Le médecin-conseil d’assurance
médical ne saurait être opposé au malade lors- et le secret médical
que la détermination de ses droits dépend des
renseignements fournis. Si l’expert judiciaire apparaît neutre, les médecins
conseils mandatés par les compagnies d’assurance
Là encore, la loi du 4 mars 2002 a apporté un cer- respectives de la victime et du responsable peu-
tain éclairage nouveau sur la plupart de ces cas vent sembler moins impartiaux. C’est devenu
d’espèce. quasi impossible dans le cadre de l’application de
la loi Badinter (cf. ce chapitre).
Il suffit ici de rappeler le principe d’indépendance
Secret médical et dommage du médecin vis-à-vis de la compagnie d’assurance
corporel qui l’a choisi comme expert ; au surplus le méde-
cin-conseil doit clairement informer le blessé en
Secret médical et responsabilité quelle qualité il agit.
civile Du côté du médecin d’assurance, le respect des
règles de la déontologie médicale doit être parti-
On sait que la victime d’un dommage corporel qui culièrement scrupuleux, et toute fraude, toute
réclame la réparation d’un préjudice doit se manœuvre occulte doit être sanctionnée.

42
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

À cet égard, la Chambre Criminelle de la Cour de sanction par un arrêt de la Cour de cassation du
cassation a rendu un arrêt célèbre le 17 mai 1973, 20  décembre 1967 : après des accidents bénins,
dans une affaire où, la victime d’un accident de la les « blessés » membres d’une même tribu présen-
circulation étant décédée, le médecin-conseil de taient des symptômes de démence post-trauma-
l’assureur de responsabilité avait établi officieuse- tique, ou étaient réduits à l’état végétatif,
ment que le de cujus ne jouissait que d’une brève nécessitant l’assistance d’une tierce personne…
espérance de survie, étant atteint d’un cancer : or Mais ils menaient une vie parfaitement normale
il s’était procuré le dossier hospitalier du malade hors des séances d’expertise. Les médecins trom-
de manière occulte et assez confuse, sans l’autori- pés par la simulation purent en établir les cir-
sation ni du patient, ni de ses proches. Condamné constances et se dégager de toute involontaire
pour violation du secret professionnel par la Cour « complicité », quoique les escrocs n’aient pas
de Lyon, son pourvoi fut rejeté par la Chambre hésité à invoquer à leur encontre une violation
Criminelle. Dans cette pénible affaire, le méde- du secret professionnel…
cin-conseil avait commis une triple faute : il n’avait
pas demandé l’autorisation du blessé, ou de ses Secret médical et assurances
proches, pour consulter son dossier hospitalier ; il
avait obtenu ce dossier par des relations officieu-
de personnes
ses et personnelles, et enfin il avait mentionné Dans les assurances des personnes, le médecin-
dans son rapport des faits étrangers à l’accident. conseil de la compagnie d’assurance peut avoir un
Du côté du malade7, la transmission de ses dos- rôle d’expertise et de contrôle de la santé de l’as-
siers médicaux doit permettre l’établissement de suré, soit lors de la souscription du contrat (assu-
ses droits ; le médecin traitant ne saurait y faire rance maladie, assurance décès…), soit lors du
obstacle en invoquant un secret médical absolu. sinistre lui-même (assurance accident corporel,
Cependant, les droits du malade doivent évidem- assurance maladie…).
ment être établis dans la clarté et la bonne foi En principe, le problème du secret médical est
nécessaires à la vie juridique : or, de la réticence à résolu par des clauses expresses de la police d’as-
la simulation, il n’y a souvent que des différences surance en vertu desquelles l’assuré « maître du
de degré. secret » s’engage à transmettre tous les certificats
Le malade doit transmettre l’intégralité de son médicaux nécessaires et à se prêter à tous les
dossier médical utile à l’affaire, faute de quoi il contrôles et examens effectués par le médecin-
n’établit pas la preuve requise pour l’établisse- conseil ainsi délié du secret médical à l’égard de la
ment de ses droits ; il n’est pas admissible qu’il compagnie d’assurance.
opère un tri dans son dossier médical, ne trans- Il convient cependant de garder présent à l’esprit
mettant que les certificats favorables à sa cause et que la divulgation exigée de l’assuré doit demeu-
scellant ceux qui lui sont défavorables ; un dossier rer limitée à son objectif : établir ses droits.
tronqué, partiel et partial constitue une fraude À cet égard, l’arrêt rendu par la Première
évidente ou un abus de droit. Chambre civile de la Cour de cassation le 18 mars
A fortiori, le secret médical ne doit pas servir de 1986 est symptomatique de certaines difficultés :
couverture à de véritables escroqueries, et la en l’espèce, une agence de voyages avait souscrit
célèbre « affaire des gitans » a trouvé sa légitime une police collective permettant à ses clients
(assurés pour compte) d’obtenir le rembourse-
ment de divers frais d’annulation de voyage et de
7 Bonne foi du malade : Affaire des Gitans, Cass. frais de retour ou de prolongation de séjour,
20  décembre 1967, D. 1969.309 ; TGI Paris, référés, occasionnés par une maladie ou un accident
18 décembre 1989, Gaz. Pal. 18 novembre 1990 p. 10, grave ; une clause précisait qu’en de tels cas les
note HM et JN (souscription de multiples assurances intéressés devaient fournir à l’assureur un certi-
sur la vie, décès à bref délai, recherche de la sincérité ficat médical précisant la nature et la gravité de la
lors de la souscription ; le secret médical ne peut s’op-
poser à la communication par le médecin traitant à maladie ou de l’accident ainsi que ses conséquen-
l’expert judiciaire des éléments permettant d’établir ces prévisibles. Or, l’agence de voyages avait pré-
la bonne ou la mauvaise foi de l’assuré). senté quarante-huit dossiers d’annulation de

43
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

voyages dont certains étaient rédigés en termes Contre l’abus des certificats de complaisance par
généraux, sans les ­précisions requises. La cour les médecins, les assureurs tentent de se prémunir
d’appel estima que, par ces certificats médicaux par des clauses elles-mêmes abusives : cercle
généraux établissant seulement que l’état de vicieux qu’il faudrait pouvoir combattre à son ori-
santé ne leur permettait pas d’entreprendre le gine… La compétence des médecins experts et le
voyage prévu, les assurés avaient valablement strict respect de la déontologie devraient leur évi-
établi leur droit à indemnisation. La Cour de ter ces fautes et ces erreurs qui leur sont trop sou-
cassation rejeta le pourvoi présenté par les assu- vent imputables et qui peuvent engager leur
reurs, et ceci contre les conclusions de l’Avocat responsabilité.
général. L’objet du rapport d’expertise doit permettre au
À notre sens, la Cour de cassation a eu raison, car juge ou au régleur de compagnie d’assurances de
il suffisait à l’objet du contrat qu’un médecin cer- disposer d’un instrument fiable d’évaluation des
tifie que l’assuré ne pouvait pas voyager pour rai- préjudices.
sons de santé ; exiger la divulgation de la nature de En conclusion, je citerai les propos du Professeur
la maladie paraît en l’espèce superfétatoire et Villey, dans sa remarquable Histoire du secret
même constituer une clause abusive. médical, parue en 1986 : « Le fait d’oublier que le
Il y a cependant un problème que le nombre des secret médical est d’ordre public lui fait perdre l’un
annulations laisse deviner ; il se situe hors de la de ses caractères essentiels, celui qui inspire en la
sphère du contrat d’assurance dans la conception matière à tout un corps professionnel un sentiment
très laxiste que les médecins ont de leur devoir en constant de responsabilité. … Le secret profession-
ce qui concerne la délivrance des certificats médi- nel ne représente qu’un petit chapitre dans l’ensem-
caux de complaisance : il faut donc rappeler l’arti- ble de la déontologie médicale, mais il est un
cle 28 du Code de déontologie médicale8 qui les symbole : le symbole du respect que le médecin doit
interdit. avoir pour son malade… Enfin, l’assise légale du
secret, en tant que valeur d’intérêt public, est, elle
8 La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un cer- aussi un symbole : celui du respect de la société
tificat de complaisance est interdite. pour l’individu, donc de toute une philosophie. »

Le secret professionnel au cours de l’expertise

Le respect du principe de la contradiction


J. Hureau

« La vérité n’est admissible que là où elle est sup- Expert judiciaire, il doit révéler tout ce qui est
portable. On la connaît très bien ici, mais on n’en utile à la manifestation de la vérité, mission qui lui
veut point ; la mauvaise volonté est positive, est confiée par le juge.
constante et inhérente. Il n’y aura que l’abus qu’on Médecin, il est soumis au secret professionnel
en fera qui pourra la détruire9. » « institué dans l’intérêt des patients ». Il doit pour-
Comme la chauve-souris, l’expert judiciaire tant révéler au juge « ce qui lui a été confié, mais
médecin est un étrange personnage. C’est un être aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
hybride. « Alors, comment concilier ces impératifs antino-
miques qui sont, par nature, inconciliables ? »
9 Lettre adressée le 7 mai 1785 par D. V. Denon, chargé (Henri Le Gall).
d’affaires à la cour de Naples, à C. Gravier, comte de
Vergennes, ministre des affaires étrangères de Louis Au-delà des grands principes énoncés et ana-
xvi. lysés dans le chapitre précédent, seront abor-

44
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

dées ici les applications pratiques en mission • Art. 242. Le technicien peut recueillir des infor-
d’expertise. mations orales ou écrites de toutes personnes,
sauf à ce que soient précisés leurs nom, prénoms,
demeure et profession ainsi que, s’il y a lieu, leur
Rappel des conditions légales, lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de
subordination à leur égard, de collaboration ou
réglementaires ou juridiques de communauté d’intérêts avec elles. Lorsque le
Outre le code de déontologie médicale, dont les technicien commis ou les parties demandent que
principaux articles intéressant l’expertise ont été ces personnes soient entendues par le juge,
rapportés et argumentés dans le précédent chapi- ­celui-ci procède à leur audition s’il l’estime utile.
tre, différents codes détaillent les conditions de • Art. 243. Le technicien peut demander communi-
l’exercice de cette activité en contentieux juridic- cation de tous documents aux parties et aux tiers,
tionnel. Du Vademecum, édité de façon exhaus- sauf au juge à l’ordonner en cas de difficulté.
tive par le Conseil national des experts de justice, • Art. 244. Le technicien doit faire connaître dans
sont sélectionnés ci-après quelques-uns des prin- son avis toutes les informations qui apportent
cipaux articles. un éclaircissement sur les questions à examiner.
Il lui est interdit de révéler les autres informa-
Code de procédure civile (CPC) tions dont il pourrait avoir connaissance à l’oc-
casion de l’exécution de sa mission. Il ne peut
• Art. 9. Il incombe à chaque partie de prouver, faire état que des informations légitimement
conformément à la loi, les faits nécessaires au recueillies.
succès de sa prétention.
• Art. 245. Le juge peut toujours inviter le techni-
• Art. 14. Nulle partie ne peut être jugée sans avoir cien à compléter, préciser ou expliquer, soit par
été entendue ou appelée. écrit, soit à l’audience, ses constatations ou ses
• Art. 15. Les parties doivent se faire connaître conclusions. Le technicien peut à tout moment
mutuellement en temps utile les moyens de fait demander au juge de l’entendre. Le juge ne peut,
sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les sans avoir préalablement recueilli les observa-
éléments de preuve qu’elles produisent et les tions du technicien commis, étendre la mission
moyens de droit qu’elles invoquent, afin que de celui-ci ou confier une mission complémen-
chacune soit à même d’organiser sa défense. taire à un autre technicien.
• Art. 16. (décret no 81-500 du 12 mai 1981). Le • Art. 247. L’avis du technicien dont la divulgation
juge doit en toutes circonstances faire observer porterait atteinte à l’intimité de la vie privée ou
lui-même le principe de la contradiction. Il ne à tout autre intérêt légitime ne peut être utilisé
peut retenir, dans sa décision, les moyens, les en dehors de l’instance si ce n’est sur autorisa-
explications et les documents invoqués ou pro- tion du juge ou avec le consentement de la partie
duits par les parties que si celles-ci ont été à intéressée.
même d’en débattre contradictoirement. Il ne • Art. 268. Les dossiers des parties ou les docu-
peut fonder sa décision sur les moyens de droit ments nécessaires à l’expertise sont provisoire-
qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable ment conservés au secrétariat de la juridiction
invité les parties à présenter leurs observa- sous réserve de l’autorisation donnée par le juge
tions. aux parties qui les ont remis d’en retirer certains
• Art. 237. Le technicien commis doit accomplir sa éléments ou de s’en faire délivrer copie. L’expert
mission avec conscience, objectivité et impartia- peut les consulter même avant d’accepter sa
lité. mission. Dès son acceptation, l’expert peut,
• Art. 238. Le technicien doit donner son avis sur contre émargement ou récépissé, retirer ou se
les points pour l’examen desquels il a été com- faire adresser par le secrétaire de la juridiction
mis. Il ne peut répondre à d’autres questions, les dossiers ou les documents des parties.
sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais • Art. 275. Les parties doivent remettre sans délai à
porter d’appréciation d’ordre juridique. l’expert tous les documents que celui-ci estime

45
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

nécessaires à l’accomplissement de sa mission. • Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux


En cas de carence des parties, l’expert en informe droits des malades et à la qualité du système de
le juge qui peut ordonner la production des docu- santé.
ments, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas • Décret no 2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l’ac-
échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer cès aux informations personnelles détenues par
son rapport en l’état. La juridiction de jugement les professionnels et les établissements de santé
peut tirer toute conséquence de droit du défaut de en application des articles L. 1111-7 et L. 1112-1
communication des documents à l’expert. du code de santé publique.
• Art. 276. L’expert doit prendre en considération
les observations ou réclamations des parties, et,
lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si Code civil
les parties le demandent. Toutefois, lorsque l’ex-
• Art. 1315. Celui qui réclame l’exécution d’une
pert a fixé aux parties un délai pour formuler
obligation doit la prouver.
leurs observations ou réclamations, il n’est pas
tenu de prendre en compte celles qui auraient
été faites après l’expiration de ce délai, à moins
qu’il n’existe une cause grave et dûment justi-
Code pénal
fiée, auquel cas il en fait rapport au juge. • Art. 226-13. La révélation d’une information à
Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observa- caractère secret par une personne qui en est
tions ou réclamations des parties doivent rappe- dépositaire soit par état ou par profession, soit
ler sommairement le contenu de celles qu’elles en raison d’une fonction ou d’une mission tem-
ont présentées antérieurement. À défaut, elles poraire, est punie d’un an d’emprisonnement et
sont réputées abandonnées par les parties. de 100 000 francs d’amende.
L’expert doit faire mention, dans son avis, de la
• Art. 226-14. L’article 226-13 n’est pas applicable
suite qu’il aura donné aux observations ou récla-
dans le cas où la loi impose ou autorise la révéla-
mations présentées.
tion du secret. En outre, il n’est pas applicable à
celui qui informe les autorités judiciaires, médi-
Textes législatifs et réglementaires cales ou administratives, de sévices ou privations
dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à
• Loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’infor- un mineur de 15 ans ou à une personne qui n’est
matique, aux fichiers et aux libertés. pas en mesure de se protéger en raison de son âge
• Loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses ou de son état physique ou psychique ; au médecin
mesures d’amélioration des relations entre l’ad- qui, avec l’accord de la victime, porte à la connais-
ministration et le public. sance du procureur de la République les sévices
qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et
• Loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme
qui lui permettent de présumer que des violences
hospitalière, codifiée, notamment dans les arti-
sexuelles de toute nature ont été commises.
cles L. 710-1, L. 710-2, L. 710-3, L. 711-1 à L. 711-4
du code de la santé publique.
• Décret no 92-329 du 30 mars 1992 relatif à la com-
munication du dossier médical et à l’information La nature de l’activité d’expert
des personnes accueillies dans les établissements judiciaire en médecine
de santé publics et privés (art. R. 710-2-1 à R. 710-
2-10 du code de la santé publique.) C’est une activité d’expert
• Décret no 94-666 du 27 juillet 1994 relatif aux judiciaire au sens général
systèmes d’informations médicales.
du terme
• Décret no 95-234 du 1er mars 1995 relatif au dos-
sier de suivi médical et au carnet médical insti- L’expert devant les tribunaux est une spécificité du
tués par l’article 77 de la loi no 94-43 du 18 janvier droit français. Son activité était encadrée par trois
1994. textes : la loi du 29 juin 1971, no 71-498, relative aux

46
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

experts judiciaires ; le décret du 31 décembre 1974, Le médecin expert judiciaire ne soigne pas, n’a pas
no 74-1184, relatif aux experts judiciaires ; la circu- le droit de participer aux soins de la partie exper-
laire du ministère de la justice no 75-9 du 2  juin tisée, pas plus que l’ingénieur expert ne peut être
1975, mise à jour le 22 août 1975, relative aux maître d’œuvre en bâtiment ou en travaux publics
modalités d’application des textes concernant les par exemple.
experts judiciaires. Ces textes ont subi un profond Le médecin expert judiciaire n’est pas consulté
remaniement à la suite du vote de la loi no 2004-130 volontairement par le patient demandeur. Il n’est
du 11 février 2004 réformant le statut de certaines médecin traitant à aucun titre.
professions judiciaires ou juridiques, des experts
Il agit néanmoins en qualité de médecin et, à ce
judiciaires et des conseils en propriété industrielle,
titre, conformément à l’article L. 381 du code de la
et du décret no 2004-1463 du 23  décembre 2004
santé publique, il doit être inscrit au tableau de
relatif aux experts judiciaires.
l’Ordre des médecins (une exception est faite pour
Les différents codes de procédure détaillent les les médecins militaires d’active).
conditions de cette activité.
Ceci traduit simplement le fait qu’un médecin
L’expertise judiciaire n’est pas une profession. quelle que soit son activité, reste toute sa vie
C’est une activité exercée à titre accessoire. soumis au serment d’Hippocrate, en particulier
L’expert est, ou a été un temps suffisamment long, en ce qui concerne le secret professionnel
un professionnel de sa spécialité. Il n’est pas un médical.
professionnel de l’expertise.
Cette clause d’inscription à l’ordre n’est d’ailleurs
L’expert participe aux activités juridictionnelles pas spécifique aux médecins, elle s’applique à tou-
ou assimilées par des missions temporaires qui tes les professions organisées relevant d’un ordre
commencent avec l’acceptation de la mission et se professionnel institué en vertu d’une loi.
terminent avec le dépôt du rapport. L’expertise est
Ce n’est pas l’acte d’expertise qui est médical mais
une fonction d’auxiliaire de justice en prolonge-
celui qui l’accomplit lorsque, dans une affaire
ment logique des compétences scientifiques et
intéressant la médecine, le juge a désigné un
techniques de celui qui l’exerce (arrêt du Conseil
expert-médecin.
d’État du 26 février 1971 – loi du 31 mai 1983
no  83-430 – circulaire du ministère des affaires Il en résulte que les normes d’application du secret
sociales et de la solidarité nationale du 4 juillet médical sont jugées différemment pour un méde-
1984 portant application du titre I de l’ordon- cin traitant ou un médecin-conseil de compagnie
nance no 82-290 du 30 mars 1982 relative à la limi- d’assurances agissant pour un tiers privé, que
tation des possibilités de cumul entre pensions de pour un expert judiciaire médecin agissant dans
retraite et revenus d’activité). le cadre de sa mission judiciaire (cf. ci-après l’arrêt
de la Cour de cassation – chambre criminelle du
17 mai 1973).
L’expert judiciaire en discipline
médicale est en règle un médecin
L’expertise judiciaire en discipline médicale n’est Le respect du secret médical
pas pour autant un acte médical au sens du droit pose-t-il un problème particulier
commun, c’est-à-dire une démarche visant à poser
un diagnostic dans le but d’établir une thérapeu- dans l’expertise médicale
tique et d’en suivre les résultats. judiciaire ?
L’expertise médicale judiciaire est l’apport de
connaissances scientifiques ou techniques en exé- Il s’impose à l’expert-médecin pour tout ce qui
cution de la mission temporaire confiée par un concerne sa mission d’expertise.
juge ou une juridiction (4e colloque juridique Il pose des problèmes spécifiques pour la constitu-
international, Trieste, 7 au 9 octobre 1965, inter- tion du dossier médical d’expertise, au cours de la
vention particulière de monsieur le procureur réunion expertale contradictoire et au moment de
général Aydalot). la rédaction du rapport.

47
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Le respect du secret médical, lors que certaines choses ne soient pas dissimulées si
de la constitution du dossier elles concourent à la manifestation de la vérité.
d’expertise, ne pose pas Les obligations des lois et décrets sur les règles de
protection et de communication du dossier médi-
de problème en soi cal d’un patient apportent les solutions réglemen-
taires à ces problèmes.
Au pénal, tous les éléments du dossier médical
sont saisis par la justice selon une procédure qui La réalité est complexe dans la pratique.
assure le respect du secret professionnel médical. La communication médiate d’un dossier médi-
Ensuite, le secret de l’instruction s’applique à l’ex- cal à travers un médecin désigné par le patient
pert comme au juge qui l’a commis (cf. Le secret ou ses ayants droit a été instituée dans l’article
médical – La communication du dossier hospita- L. 710-2 du Code de la santé publique issu de la
lier – règle applicable à toute saisie du dossier loi du 31  juillet 1991 portant réforme hospita-
médical, quelle qu’en soit l’origine). La procédure lière et dans le décret du 30 mars 1992 relatif au
expertale n’est pas contradictoire, sauf en ce qui dossier médical et à l’information des personnes
concerne l’action civile (art. 10 du code de procé- accueillies dans les établissements de santé
dure pénale, CPP) sur les seuls intérêts civils (loi publics et privés.
81-82 du 2 février 1981) qui obéit aux règles de la Cet article instituait le personnage du « médecin
procédure civile. La loi no 2007-291 du 5 mars informateur ». Pour la CNIL et le conseil national
2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procé- de l’Ordre des médecins, ce médecin informateur
dure pénale n’a pas modifié la non-application du ne peut être qu’un médecin défendant les intérêts
principe de la contradiction au cours de la mis- légitimes du patient, qualifié en pratique de méde-
sion de l’expert judiciaire. Ce principe n’intéresse cin traitant ou de médecin-conseil du patient.
que quelques modifications procédurales dans le
La loi no 2002-303 du 4 mars 2002, en son article
cabinet du juge d’instruction.
14-I, a remplacé l’article L.710-2 du CSP par l’arti-
Au civil, le respect de la procédure contradictoire cle L. 1112-1. La communication du dossier médi-
dans l’administration de la preuve impose que les cal par un établissement de santé publique peut
différentes pièces du dossier soient intégralement être faite directement à la personne ayant reçu les
communiquées à toutes les parties. soins et sur sa demande selon les modalités préci-
Ce n’est pas à l’expert de constituer les dossiers sées à l’article L.1111-7 du CSP ou par l’intermé-
d’expertise des parties, pas plus celui du deman- diaire d’un médecin qu’elle désigne. Ce médecin
deur que celui du défendeur. n’est pas forcément un médecin traitant (cas du
La règle générale est énoncée dans les articles médecin-conseil privé dit de recours).
15-243 et 275 du Code de procédure civile Ont également accès à ce dossier « les praticiens
(CPC). qui ont prescrit l’hospitalisation…, les médecins
C’est dire que, dans notre droit, la charge de la membres de l’inspection générale des affaires
preuve incombe au demandeur. Toutefois, un sociales, le médecin inspecteur de santé publique
arrêt de la Cour de cassation (1re civ. 25 février et les médecins-conseils des organismes d’assu-
1997) a établi qu’en application de l’article 1315 du rance maladie… lorsque ces informations sont
Code civil, alinéa 2, il incombe au médecin de nécessaires à l’exercice de leurs missions. »
prouver qu’il a exécuté son obligation particulière Dans l’esprit, la loi du 4 mars 2002 (article L.111-2.1
d’information vis-à-vis de son patient. Les moda- et L.1111-7 du CSP) n’a pas modifié profondément
lités de cette obligation et les preuves de son exé- la loi du 30 juillet 1991 et son décret du 30 mars
cution sont exposés au sous-chapitre Le devoir 1992. Elle a toutefois considérablement facilité
médical d’information, le consentement ou le refus l’accès du malade à son dossier d’hospitalisation.
éclairé. L’expert judiciaire médecin est toujours exclu de
Se plaçant dans le cadre judiciaire, le malade ou le cette transmission directe du dossier. Il n’est pas
blessé plaignant qui demande qu’une opération considéré comme médecin soignant. La prise de
vérité soit faite doit fournir à l’expert tous les ren- position de la CNIL et du conseil national de l’Or-
seignements nécessaires à sa mission et admettre dre des médecins et le texte issu de la loi du 4 mars

48
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

2002 confirment bien que l’activité juridiction- no 2002-303 du 4 mars 2002 et son décret d’appli-
nelle d’expertise en médecine n’est pas considérée cation no 2002-637 relatif aux informations per-
comme un acte médical de soins au profit du sonnelles détenues par les professionnels et les
patient. établissements de santé devraient grandement
Les parties et en particulier le plaignant deman- simplifier la constitution du dossier par l’avocat-
deur d’une réparation sur un préjudice allégué conseil du plaignant et ne plus contraindre l’ex-
n’ont plus aucune raison de ne pas fournir à l’ex- pert à une recherche laborieuse des pièces,
pert judiciaire toutes les pièces originales à l’appui c’est-à-dire des preuves, comme cela est encore
de leur demande et toutes les pièces que l’expert trop souvent le cas.
jugera indispensables à l’accomplissement de sa
mission. Le respect du secret médical
Devant un refus de communication de ces piè- au cours d’une réunion expertale
ces, l’expert judiciaire bénéficie heureusement contradictoire
d’autres dispositions des codes de procédure
pour se faire communiquer par le demandeur ou La réunion se fait en présence des parties et de
par le juge les éléments de dossier indispensables leurs conseils. Les documents produits avant la
à sa mission. réunion ou au cours de la réunion doivent être
En juridiction pénale, tout document peut être communiqués au moins oralement et mieux par
saisi par le juge sur demande de l’expert. un bordereau écrit à toutes les parties présentes.
Il est en pratique exceptionnel en expertise médi- Là encore l’expert exerce un contrôle sur le bien-
cale en matière civile d’avoir à recourir à l’article fondé de la divulgation de telle ou telle pièce ou
275, alinéa 2, du CPC, c’est-à-dire à l’astreinte par information. Il ne doit les retenir qu’en fonction
voie judiciaire. Cela peut se révéler utile et rapide- de leur utilité dans la cause et avec l’accord des
ment efficace. parties, spécialement celle qui pourrait faire obs-
tacle à cette divulgation d’une information médi-
Il en serait tout autrement si, par une quelconque cale la concernant.
aberration de notre droit, se produisait une inver-
sion de la charge de la preuve10. Le défendeur qui Le problème particulier posé par l’examen médical
n’aurait pas accès au dossier médical ou le méde- est en règle générale facilement résolu, dans le
cin attaqué qui, pour des raisons de secret profes- respect de l’intimité du corps humain. Seuls
sionnel, ne pourrait faire état des arguments en sa assistent à cet examen des médecins, encore que
possession, serait en grande difficulté de prouver l’examiné ait le droit de s’opposer à la présence de
le bien-fondé de sa défense. toute personne autre que le ou les experts méde-
cins. Dans ce cas, seuls les résultats de l’examen
Le secret médical n’est pas une substance ontolo- sont communiqués aux parties présentes et à
gique. Il ne s’impose qu’à l’expert-médecin qui leurs conseils.
doit se mettre, conformément aux textes en
vigueur, en position de ne jamais le transgresser.
Il ne s’impose pas au plaignant qui a tout intérêt à Le respect du secret médical
fournir les preuves de ses prétentions. dans le rapport
Dans les faits, et compte tenu de ce qui vient d’être
dit de l’intérêt bien compris du demandeur, la loi Il implique plus directement l’expert-médecin.
N’agissant pas dans le cadre soignant mais dans le
cadre judiciaire, l’expert qui peut avoir connais-
10 Il ne s’agit pas d’une aberration du droit, mais de son
application. L’inversion de la charge de la preuve est, sance, au cours de sa mission, d’un certain nom-
dans l’état actuel de la jurisprudence, limitée à l’obli- bre de confidences, a parfaitement la possibilité et
gation d’information. Rappelons qu’elle est de fait en doit taire de telles informations si elles sont sans
ce qui concerne la constitution du dossier médical par rapport avec la mission.
les parties. En raison du secret médical auquel il est
tenu, le médecin défendeur est souvent en situation Il faut se rappeler que le rapport d’expertise est
difficile de prouver sa bonne foi, même en tenant divulgué à des personnes étrangères au corps
compte des droits de la défense. médical, à des avocats qui l’utiliseront dans leur

49
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

plaidoirie, à des magistrats qui en retranscriront forte amende, cf. article 109 du Code de procédure
des passages dans la rédaction de leur jugement, la pénale).
chose jugée devenant publique. Dans le premier (arrêt du 16 décembre 1992, Bull
Si un recours en justice d’un patient nécessite une Crim ; 424 : 1 189), il a été reconnu que le médecin
telle divulgation de renseignements médicaux le était libre de ne pas témoigner sur les résultats et
concernant, il est souhaitable qu’elle soit réduite décisions prises à la suite d’un examen médical
au minimum, sur autorisation du juge ou avec le pratiqué sur une mineure victime d’un viol.
consentement de la partie intéressée. Dans le second (arrêt du 8 avril 1998, Bull Crim ;
Pierre Sargos écrit : « Au demeurant, il n’y a prati- 138 : 368), il a été reconnu qu’un médecin traitant
quement pas d’exemple d’un médecin expert judi- appelé à témoigner devant une Cour d’assises
ciaire condamné pour violation du secret médical n’était pas délié de son secret professionnel par la
lorsque son rapport se situe bien dans le cadre de sa simple demande de son patient en dépit de l’arti-
mission et que bien évidemment il ne l’a pas divul- cle 4 du Code de déontologie médicale, qui insti-
gué à l’extérieur. » (La responsabilité de l’expert tue ce secret dans l’intérêt des patients. Une telle
médecin, réunion médico-légale de l’Association jurisprudence est constante devant une Cour
régionale de médecine légale, Collioure, 14 sep- d’assises (P. Sargos, loc. cit.). Elle constitue, pour
tembre 2002. Communication personnelle.) les médecins, une « excuse juridique » vis-à-vis de
l’obligation de témoigner en justice, même si leur
client le leur demande.
Cas particuliers
L’abandon de ce caractère quasi
Ils ont donné lieu à un droit prétorien, décisions sacré du secret est exceptionnel
jurisprudentielles que H. Le Gall, conseiller à la
Cour de cassation-chambre criminelle, a analy- Ce peut être une situation
sées dans son exposé au 2e colloque annuel de la véritablement ubuesque
compagnie nationale des experts-médecins près
des tribunaux, à Lille le 2 décembre 1995. La chambre criminelle de la Cour de cassation, le
20 décembre 1967, a fait preuve d’une grande
mansuétude, « pour autoriser des médecins, com-
Le respect du secret médical est plices involontaires d’un escroc, à pouvoir révéler
une obligation légale de caractère dans quelles conditions ils avaient été amenés à
« général et absolu » établir des certificats dont l’escroc s’était servi
pour tenter de toucher d’énormes indemnités
Toute infraction tombe sous le coup de l’article d’une compagnie d’assurances.
226-13 du Code pénal, sauf à correspondre à l’ar- C’est la fameuse affaire dite du « roi des gitans »
ticle 226-14 qui, dans certaines circonstances très dont la belle-fille et la cousine avaient été victimes
précises, relève le médecin du secret médical. d’un accident de la circulation aux conséquences
Ainsi en a jugé la chambre criminelle de la Cour bénignes et qui imagina de leur faire jouer le rôle
de cassation le 18 juillet 1984 : « Un médecin qui de grabataires gâteuses, impotentes et mutiques
avait porté plainte contre l’un de ses patients qui pour obtenir une solide indemnisation.
l’assaillait de coups de téléphone importuns s’est Plusieurs médecins et même un collège de trois
vu condamné, sur plainte de ce malade, pour vio- experts, dupés par l’habile mise en scène, avaient
lation du secret professionnel, parce qu’il avait conclu à une incapacité partielle permanente, IPP
révélé à la police que son agresseur était un malade de 100 % avec assistance constante d’une tierce
mental, éthylique profond… » personne. Mais l’enquête privée de la compagnie
C’est dans ce cadre du respect absolu du secret d’assurances ayant révélé que les prétendues gra-
professionnel médical que se situent les deux bataires vaquaient gaillardement à leurs occupa-
arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cas- tions, l’inculpé dut s’expliquer et tenta, pour sa
sation concernant le refus par un médecin de défense, d’accréditer la thèse d’un miracle qui
témoigner en justice (obligation passible d’une avait brutalement amélioré l’état des deux pau-

50
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

vres femmes. Pour établir la vérité, les médecins Dès lors qu’une disposition légale subordonne un
furent appelés à témoigner, mais l’inculpé leur en acte à une condition dont la vérification implique
contesta la possibilité en arguant qu’ils étaient des investigations médicales, il y a autorisation
astreints au secret professionnel. » faite au médecin de révéler un secret médical de
La Cour de cassation a rendu la parole aux méde- nature à établir que cette condition était remplie.
cins ainsi muselés. Elle a précisé que : « si stricte P. Sargos (loc. cit.) poursuit : « On peut penser que
que soit l’obligation qui découle du secret profes- le même raisonnement devrait s’appliquer en
sionnel, elle ne saurait interdire à un médecin que matière de réponse à des questions qu’un assureur
l’on a tenté d’associer à une escroquerie, de justi- pose sur l’état de santé de la personne qui veut
fier de sa bonne foi en témoignant, au cours d’une s’assurer. L’article L.113-2 du Code des assurances
instance judiciaire relative à cette escroquerie, sur impose en effet à l’assuré de « répondre exactement
les manœuvres qui, faussant son examen et pre- aux questions posées par l’assureur »… à peine de
nant en défaut son jugement, l’ont amené à déli- nullité du contrat d’assurance s’il y a fausse décla-
vrer des certificats. » ration intentionnelle de nature à changer l’objet
Le secret médical est une arme à double tran- du risque ou l’opinion que peut en avoir l’assureur
chant. Ce peut être parfois un retranchement (article L. 113-8 du même code) ». (cf. également :
pour le professionnel. Ce peut être une contrainte P. Sargos, Assurance et secret professionnel : de
de mutisme préjudiciable à un médecin de bonne l’opposition à la conciliation. Lamy assurances,
foi en position de défense. Heureusement, la no 68, décembre 2000).
charge de la preuve incombe encore, en France et
pour le moment, au demandeur. Une inversion de La remise du dossier médical
cette charge rendrait délicates certaines défenses en expertise judiciaire civile
en responsabilité médicale (cf. notes 10 et 11
concernant l’obligation d’information). La remise volontaire du dossier à l’expert par le
C’est un risque du métier. patient demandeur ne soulève en règle aucune
difficulté.
Ce peut être l’application Il appartient au demandeur « d’apprécier l’oppor-
tunité de fournir à l’expert les documents et les
d’une disposition légale informations qu’il souhaite ». Lorsque le deman-
Moins anecdotique est en effet l’arrêt « Conseil deur est incapable, son tuteur s’en charge.
départemental de l’Ordre des Médecins de Loire La première chambre civile de la Cour de cassation
Atlantique » rendu le 22 mai 2002 (CC., 1re Ch. eut à trancher d’un cas qui, pour être particulier,
civ., Bull Civ, I, no 144). Dans une instance en peut n’être pas exceptionnel (1re civile, 3  janvier
annulation de donation, le médecin expert com- 1991).
mis avait pour mission de consulter le dossier
« Le malade avait fourni certains documents à des
médical du donateur auprès du médecin traitant.
médecins contrôleurs et refusait ensuite de les
Celui-ci a opposé le caractère absolu du secret
communiquer aux experts, s’étant sans doute
médical. La mission du Tribunal de grande ins-
rendu compte, après consultation d’un avocat je
tance, confirmée en appel, a fait l’objet d’un pour-
suppose, que ces documents étaient contraires à
voi en cassation par l’Ordre des Médecins. Ce
ses intérêts.
pourvoi a été rejeté à raison « qu’aux termes de
l’article 901 du Code civil, pour faire une dona- La Cour décide qu’il ne peut s’opposer à la com-
tion il faut être sain d’esprit ». Appliquant l’article munication de ces documents aux experts, car, en
226-14 du Code pénal, la Cour a déchargé le pro- les remettant volontairement à des médecins
fessionnel de son obligation de secret « décidant contrôleurs, il avait renoncé à se prévaloir à leur
que l’expert ne devait communiquer le dossier sujet du secret médical. »
médical à aucune personne mais seulement le Rappelons à ce propos que le secret médical ne
consulter afin de pouvoir répondre aux questions peut, par essence même, être opposé qu’à un
de sa mission » selon les modalités exactement médecin et non à un patient, même s’il cherche à
fixées par les juges du fond. cacher des éléments qui lui seraient défavorables.

51
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

La remise du dossier à l’expert agissant comme tel et non comme expert judiciaire,
par un médecin considéré comme a obtenu d’un service hospitalier la communica-
tion du dossier médical complet d’un accidenté
médecin traitant dont il a révélé le contenu à sa mandante ; que B.
Elle ne pose aucun problème si elle se fait avec n’a pu avoir communication de ce dossier que
l’accord du patient ou de son tuteur, ce qui ramène parce qu’il s’était présenté comme médecin et que,
au cas précédent. Encore est-il préférable pour le dès lors, il avait l’obligation de ne pas révéler ce
médecin de conserver la preuve écrite et signée de qu’il avait ainsi connu… » (chambre criminelle,
cet accord. 17 mai 1973).
Ces deux arrêts sont d’importance : pour les
Elle peut donner lieu à contestation si elle est experts judiciaires qui, a contrario dans le second
effectuée malgré l’opposition du patient, voire à arrêt, sont exclus de la violation du secret profes-
son insu, ce qui est encore fréquent. sionnel lorsqu’ils font état d’un dossier médical
Deux arrêts de la Cour de cassation illustrent ces qui leur a été remis par un médecin traitant ; pour
cas de figure. les médecins-conseils de compagnie d’assurances
« Le premier cas concernait une expertise médi- qui, sous l’autorité de leur état de médecin, ont pu
cale diligentée (ce qui est assez rare) dans une pro- obtenir communication par un médecin traitant
cédure de divorce. L’expert avait obtenu pour le d’un dossier médical dont ils feront état au profit
compte de la femme des renseignements d’ordre d’une seule des parties, la compagnie d’assuran-
strictement médical des services d’un hôpital où ces, organisme privé qu’ils servent et dont ils
elle avait été hospitalisée en 1963 et qui révélaient dépendent. Ils seront condamnés ; pour le médecin
qu’elle avait subi précédemment un avortement. traitant détenteur du dossier et du secret
La femme ayant porté plainte pour violation du médical.
secret professionnel, le juge d’instruction (dont la Dans le premier cas, le médecin traitant a été
décision devait être confirmée par la chambre directement mis en cause pour « renseignements
d’accusation) avait refusé d’informer au motif que d’ordre médical communiqués à l’expert par
l’infraction n’était pas constituée, car le chef de celui-là même à qui la loi interdit d’en faire révéla-
service appelé à fournir des renseignements à l’ex- tion ». Il n’a pas été retenu qu’il puisse être consi-
pert judiciaire devait être tenu pour une personne déré comme personne citée en justice. Sauf cas
citée en justice. très particulier, cela ne l’aurait d’ailleurs pas relevé
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement automatiquement du secret médical (art. 226-14
et casse la décision attaquée au motif que les ren- du Code pénal).
seignements d’ordre médical ont été communi- Dans le second cas, le médecin traitant pourrait être
qués à l’expert par ceux-là mêmes à qui la loi poursuivi en application de l’arrêt du 28 mai 1968
interdit d’en faire la révélation (chambre crimi- de la chambre criminelle pour avoir fourni à un
nelle, 28 mai 1968). médecin-conseil d’assurance lui-même condamné
Le second cas concerne un médecin-conseil de (ou à un médecin expert judiciaire exclu du cadre de
compagnie d’assurances qui, chargé d’examiner la violation du secret) des renseignements dont il est
une personne blessée dans un accident de la cir- détenteur mais qui sont couverts par le secret
culation, avait obtenu la possibilité de consulter le médical.
dossier hospitalier du blessé et avait ainsi pu révé- Monsieur le conseiller H. Le Gall conclut : « Le
ler à la compagnie que celui-ci souffrait d’un can- procédé qui consiste à solliciter des services hos-
cer. La Cour de cassation (sous la présidence du pitaliers la consultation du dossier médical de la
premier président) a confirmé la condamnation personne à expertiser, s’il est commode, rapide,
de ce médecin pour violation du secret profes- pratique et souple et s’il est sans risque pour l’ex-
sionnel par des motifs qui sont d’importance pour pert judiciaire, n’apparaît pas, en revanche, sans
l’activité des médecins-conseils et des médecins risque pour le médecin traitant qui accepte de
experts. » faire la communication. »
La Cour se prononce ainsi : « attendu que B., Au cas où le patient ne veut ou ne peut remettre
médecin-conseil d’une compagnie d’assurances, son dossier, le juge peut toujours requérir des ser-

52
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

vices ou du médecin qui détient ce dossier sa ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté
remise à la justice (art. 243 et art. 275 du Code de contraire exprimée par la personne avant son
procédure civile, CPC). décès ». La rédaction de certains certificats
La même procédure pourrait être mise en œuvre médicaux et certaines activités de contrôle, en
lorsqu’un expert ne peut obtenir les renseigne- particulier en matière d’assurances, s’en trou-
ments ou documents contenus dans un dossier vent facilitées.
médical jalousement gardé par le service médical
d’un organisme public à caractère social, la La complicité de l’avocat dans
Sécurité sociale par exemple. la violation du secret médical
(Me L. Bresson et Me B. Vincenti)
Le respect du secret médical Le secret professionnel de l’avocat est évidemment
après la mort de portée générale et absolue. Mais qu’en est-il
lorsqu’il défend une cause dans laquelle le secret
La position dogmatique veut qu’il s’impose. médical est en jeu ?
Pourtant la première rédaction du code de déonto- Dans l’affaire du médecin qui révèle à la police que
logie médicale (décret no 47-1169 du 27 juin 1947) son agresseur est un malade mental, éthylique pro-
n’en fait pas état et précise simplement dans l’arti- fond, l’avocat de ce médecin, qui ne fait que défen-
cle 4 : « Le secret professionnel s’impose à tout dre son client, ne peut être considéré comme
médecin, sauf dérogations établies par la loi. » complice de la violation du secret professionnel
Cette même formule est reprise dans l’article 7 du par le médecin.
décret no 55-1591 du 28 novembre 1955. Toutefois,
Cette question du défenseur de celui qui viole le
un commentaire précise : « La mort du malade ne
secret médical est depuis longtemps résolue : les
relève pas le médecin du secret, et les héritiers ne
règles les plus élémentaires conduisent à écarter
peuvent l’en délier » (« Le secret professionnel », in
toute complicité (en dernier lieu : cas du docteur
Guide d’exercice professionnel de l’Ordre national
Gubler).
des médecins, Masson édit. Paris 1971).
Dans le cas des gitans, supposons qu’ils soient
Dans le décret no 95-1000 du 6 septembre 1995, la
venus sur leurs jambes au cabinet de l’avocat alors
formule (art. 2, al. 2) est modifiée : « Le respect dû
que celui-ci soutenait qu’ils étaient grabataires, les
à la personne ne cesse pas de s’imposer après la
tribunaux n’auraient pu, sous aucun prétexte, for-
mort. » Cette formule se veut plus générale en rai-
cer l’avocat à témoigner de ce fait. L’avocat est
son de l’évolution de nouvelles pratiques médica-
fondé à refuser de communiquer toute informa-
les concernant une dépouille mortelle, don
tion, médicale ou non, qui concerne ses relations
d’organes par exemple. Concernant le secret
avec son client.
médical, il est précisé dans les commentaires qu’il
ne s’éteint pas avec la mort du patient. L’avocat reste seul avec sa conscience. Acceptera-
(Commentaires du Code de déontologie médicale t-il de soutenir devant les tribunaux que ses clients
– Conseil national de l’Ordre des médecins, édit. sont grabataires alors qu’il sait qu’ils sont en
Paris 1996). La rédaction de cet article n’a pas été bonne santé ? Notons qu’il peut refuser de les
modifiée depuis. défendre alors qu’un médecin ne peut refuser de
soigner.
Prenant conscience des difficultés qu’une inter-
prétation rigoureuse peut poser dans certaines Un arrêt récent et critiqué de la chambre crimi-
circonstances, le législateur a formulé ainsi l’ar- nelle de la Cour de cassation a posé une limite à la
ticle L. 1110-4, al.7 du CSP dans la loi du 4 mars portée pour l’avocat du secret professionnel : ce
2002 : « Le secret médical ne fait pas obstacle à dernier ne serait général et absolu que dans un
ce que les informations concernant une per- cadre de procédure ouverte et pour assurer le
sonne décédée soient délivrées à ses ayants strict respect des droits de la défense.
droit, dans la mesure où elles leur sont néces- On peut observer que, même dans ce cadre nou-
saires pour leur permettre de connaître les cau- veau, les principes que nous avons développés res-
ses de la mort, de défendre la mémoire du défunt tent pleinement applicables.

53
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Dans un troisième cas de figure, l’avocat d’une par- nication au médecin de la partie adverse des
tie, de l’assureur par exemple et évidemment pas conclusions de l’expertise ne relève que de la cour-
celui du patient, qui produit en justice un rapport toisie confraternelle et elle ne peut s’admettre que
médical fourni par un détective privé commet une si le secret est respecté de part et d’autre11… ». De
complicité de violation du secret médical. quel secret s’agit-il ? Du secret d’avoir commis une
Note J.H. : rappelons que l’avocat a le droit de violation de la procédure contradictoire ? Ce serait
mentir par omission pour défendre utilement son vite le secret de Polichinelle ! Aucune courtoisie
client ; l’expert doit la vérité sur tout ce qu’il sait confraternelle ne peut justifier un tel procédé.
concernant l’affaire en cause et dans le strict cadre Une telle « confraternité » risque de confiner au
de sa mission. compérage. Il ne doit pas, en matière civile, y avoir
de communication ou de discussion unilatérale
hors la présence de toutes les parties. Ce serait en
La discussion en fin de réunion violation flagrante du principe de la contradic-
expertale contradictoire tion. En fin de réunion expertale, tous les partici-
pants doivent quitter ensemble le cabinet de
Il est bon qu’après une réunion expertale contradic- l’expert sans qu’il y ait le moindre aparté.
toire sur un dossier délicat, en particulier en res-
ponsabilité médicale dont, à côté des conséquences Il n’est pas d’expertise judiciaire possible sans
financières, les conséquences humaines ne sont pas indépendance absolue de l’expert. L’objectivité et
moindres pour les deux parties, l’expert puisse dis- l’impartialité sont à ce prix. La confraternité hon-
poser, comme les parties, d’un délai de réflexion. nête n’a pas à en souffrir.
Ce n’est pas l’équivalent de la mise en délibéré par
les magistrats, puisque le délibéré est toujours Le médecin traitant, le médecin-
secret. conseil de compagnie d’assurances
C’est au contraire une véritable poursuite de la et le médecin expert judiciaire face
procédure contradictoire au-delà de la réunion au secret médical et au principe
expertale. de la contradiction
Malgré sa lourdeur, la procédure du prérapport
trouve là sa justification lorsque l’importance de La Cour de cassation ne place pas ces trois méde-
l’affaire le demande. Raisonnablement utilisée, cins sur un pied d’égalité face à l’obligation géné-
elle permet aux parties d’établir des dires en toute rale et absolue du secret médical. Par ailleurs le
connaissance de cause, auxquels l’expert devra principe de la contradiction, conséquence du
répondre dans son rapport définitif. caractère accusatoire de la procédure en juridic-
Lorsque le prérapport n’est pas ordonné, il peut tion civile, oblige les parties et le juge à respecter
être utile que les grandes lignes des conclusions les articles 15 et 16 du Code de procédure civile. Il
du rapport soient évoquées oralement et avec des y a échange des éléments de preuve, donc partage
réserves par l’expert en fin de réunion expertale de certains secrets médicaux.
contradictoire. L’expert ne doit toutefois pas se Comment peut-on concilier le respect du principe
lier par des conclusions péremptoires et trop hâti- de la contradiction et le respect du secret médi-
ves s’il souhaite réfléchir. Cette façon de procéder cal ? Il faut rétablir un équilibre dans l’assistance
donne également aux parties un temps de réflexion et la représentation scientifique et technique des
nécessaire, raisonnable et suffisant et la possibilité parties. Il devient de plus en plus habituel que
d’adresser à l’expert et de transmettre aux autres chacune des parties soit assistée, outre de son avo-
parties, dans ces mêmes délais raisonnables, des cat (assistance juridique), d’un médecin-conseil
dires écrits auxquels il sera répondu par l’expert. (assistance technique).
Cette pratique est codifiée dans l’article 276 du Pour le demandeur, ce médecin-conseil est quali-
CPC rapporté ci-dessus. fié, au sens large du terme, de médecin traitant.
Par contre, une pratique malheureusement répan-
due est totalement à proscrire, bien qu’elle ait pu 11 B. Glorion. L’institution ordinale et l’expertise en res-
être défendue oralement et par écrit : « La commu- ponsabilité chirurgicale. Chirurgie, 1996 ; 121 (7) : 519.

54
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Celui-ci agit pour le malade ou le blessé « en tenant Mais ne risque-t-on pas de voir la fonction même
compte des seuls intérêts du patient » (art. 46 du d’expert judiciaire remise en cause. Chaque partie
code de déontologie médicale). Ce médecin, dit étant obligatoirement assistée d’un technicien, « le
traitant, peut être le médecin de famille s’il se sent juge forgerait son opinion sur les explications four-
la capacité d’une telle activité en assistance tech- nies par les avocats, eux-mêmes imprégnés des
nique de son patient, ou tout autre médecin dit observations de leur conseil (technique)… »
« de recours », choisi par le patient pour ses com- (Président J. Guigue, Colloque de la CNEM du
pétences, voire le médecin-conseil de la compa- 2  décembre 1994). Ce serait institutionnaliser en
gnie d’assurances du demandeur lorsque celui-ci France l’expert témoin (witness) de la Common Law.
a souscrit un contrat comportant une clause d’as- La justice rendue serait-elle la même ? Après le ris-
sistance juridique. que d’une médecine à deux vitesses, ne verrait-on
Pour le défendeur, c’est en règle le médecin-­conseil pas s’ébaucher une justice économiquement
de sa compagnie d’assurances qui assure son inégalitaire ?
assistance technique. L’expert judiciaire impartial et indépendant com-
Dans ces conditions, la réunion expertale contra- mence à nous être envié. Faut-il s’en défaire ?
dictoire met en présence trois médecins à même Monsieur le président J. Guigue a lui-même
de conférer sur un pied d’égalité technique. De ces répondu récemment à cette inquiétude : « L’expert
trois médecins, seul l’expert judiciaire a une posi- joue un rôle fondamental en matière de responsa-
tion de totale impartialité et d’indépendance. Les bilité médicale… le Juge ne peut se passer de l’avis
médecins-conseils ne représentent et ne défendent du technicien pour se faire une opinion sur le pro-
chacun les intérêts que de la partie dont ils sont blème qui lui est soumis… » (Qui est le véritable
dépendants. Ceci ne doit d’ailleurs rien retirer à juge en matière de responsabilité médicale ?
leur objectivité scientifique et technique. Gazette du Palais, 1996, no 196 à 198, p. 31 à 33 et
Cet usage de plus en plus répandu d’un véritable no Spéciale Santé, juin 1996, p. 6 à 8).
contradictoire médical est implicite dans l’arti- Le respect du secret médical en expertise judi-
cle 276 du CPC. La note no 5 adjointe à cet article ciaire n’est qu’un aspect particulier du respect du
précise : « Le principe de la contradiction n’exige secret expertal en général, très codifié et qui s’im-
pas que la personne qui représente les parties pose à tout expert judiciaire, quelle que soit sa dis-
devant l’expert soit un avocat constitué devant la cipline. Sous cet aspect, l’expertise judiciaire en
juridiction saisie du litige, Civ. 1re, 18 mai 1989, médecine ne se différencie pas des autres experti-
Bull civ ; I : 136 ; D. 1989.IR.182 ; Rev trim dr civ ses judiciaires.
1989 : 617, obs. Perrot… ». Aucun des médecins, l’expert lui-même, acteur à
Y a-t-il lieu, dans ces conditions, de sortir l’exper- quelque titre que ce soit dans une affaire en répa-
tise judiciaire en discipline médicale des disposi- ration du dommage corporel, en responsabilité
tions générales applicables à toute expertise médicale ou dans tout autre litige relevant de la
judiciaire, même si la spécificité de la médecine et juridiction civile, n’a de raison de contrevenir à
du secret professionnel qui lui est attaché appa- quelque moment que ce soit au secret profession-
raît, plus qu’en d’autres disciplines, justifier, nel médical et au principe de la contradiction qui
comme certains le proposent, une codification doivent être respectés conjointement.
particulière de ce contradictoire médical ? Seul le ou les médecins défendeurs dans une
En d’autres termes, ne faut-il pas, comme pour les affaire en responsabilité médicale peuvent parfois
avocats (art. 751 et 973 du CPC), faire une obliga- se trouver en porte à faux et ne pouvoir produire
tion de « constituer » une assistance technique de certains documents ou faire état directement de
l’une et l’autre partie dans le but d’éviter un désé- certains faits même s’ils sont favorables à leur
quilibre de la représentation devant l’expert entre défense. Il appartient alors à l’expert judiciaire
un demandeur non assisté par un médecin et la médecin d’apprécier si tel renseignement est utile
compagnie d’assurances toujours représentée par ou non à la cause et à la manifestation de la vérité
son médecin-conseil ? La question mérite d’être et d’user des possibilités qui lui sont offertes par
posée. les codes de procédure civile et pénale.

55
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Règles et code de déontologie applicables à l’expertise


médicale judiciaire

L’indépendance de l’expert
J. Hureau

« Science sans conscience n’est que ruine de tion du 27 janvier 2005 est disponible auprès de
l’âme. » la CNCEJ, dans son vademecum et sur son site
Rabelais, Pantagruel, 1532 internet. Elles ne seront donc pas intégrale-
La déontologie, théorie des devoirs, impose des ment reproduites ci-après. Seules les plus mar-
règles qui sont très souvent de simple bon sens et quantes d’entre elles seront transcrites,
de bienséance dans une activité sociale de complètement ou partiellement, sans aucun
responsabilité. commentaire, renvoyant pour cela le lecteur au
L’expert-médecin est, à un double titre, soumis à sous-chapitre suivant de l’ouvrage sur « La res-
deux déontologies qui ne sont pas contradictoires ponsabilité et la déontologie de l’expert judi-
et se complètent aisément. ciaire médecin ».
• Art. 1 : « L’expert inscrit sur une liste officielle ou
l’expert honoraire participe, pendant l’exécu-
tion des missions qui lui sont confiées, au ser-
Les règles de déontologie vice public de la justice. Il a la qualité d’expert
judiciaire. »
de l’expert de justice • Art. 2 : « L’expert inscrit sur une liste officielle
n’exerce pas en cette qualité une profession
« Le technicien commis doit accomplir sa mission
mais, dans les limites de sa compétence défi-
avec conscience, objectivité et impartialité » (art.
nie, une activité répondant à la mission qu’il a
237 du Code de procédure civile, CPC).
reçue. »
L’expert judiciaire prête serment « d’apporter son
• Art. 3 : « L’expert ne doit en aucun cas concevoir
concours à la Justice, d’accomplir sa mission, de
aux lieux et place des parties des travaux ou
faire son rapport et de donner son avis en son
traitements, les diriger ou en surveiller
honneur et sa conscience ».
l’exécution… »
Au-delà des textes, le fondement d’une déontolo-
gie qui impose réside dans le respect d’une éthi- • Art. 4 : « L’expert qui a accepté une mission est tenu
que rigoureuse qui propose, voire d’une morale de la remplir jusqu’à complète exécution… »
qui s’impose. • Art. 5 : « L’expert est tenu d’entretenir les connais-
C’est aux Présidents Stéphane Touvenot et sances techniques et procédurales nécessaires au
Eugène Sage que l’on doit la première édition en bon exercice de son activité expertale. »
1978 des règles de déontologie rédigées par la • Art. 6 : « L’expert doit remplir sa mission avec
Fédération nationale des compagnies d’experts impartialité… »
judiciaires (FNCEJ), devenue le 24 janvier 2008 • Art. 7 : « L’expert doit conserver une indépen-
Conseil National des Compagnies d’Experts de dance absolue, ne cédant à aucune pression ou
Justice (CNCEJ), reconnue d’utilité publique le influence, de quelque nature qu’elle soit. Il doit
31 mars 2008. s’interdire d’accepter toute mission privée de
L’évolution des mentalités, les modifications conseil ou d’arbitre, à la demande d’une ou de
apportées aux textes et une jurisprudence plus toutes les parties, qui fasse directement ou indi-
rigoureuse de la Cour de Justice Européenne rectement suite à la mission judiciaire qui lui a
sur l’indépendance ont rendu nécessaire l’ac- été confiée, tant que l’affaire n’a pas été définiti-
tualisation de ces règles dont la quatrième édi- vement jugée. »

56
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

• Art. 9 : « En cas de controverse doctrinale ou d’influence. La rédaction actuelle de l’article 35


technique, l’expert doit en faire état et indiquer peut donner autant d’insatisfaction aux tenants
la ou les solutions qu’il retient en motivant son d’une rigueur absolue qu’aux tenants d’une cer-
avis… » taine souplesse. Les circonstances locales ou
• Art. 11 : « L’expert dans le cadre de sa mission pro- professionnelles font que des techniciens ins-
cède lui-même aux opérations d’expertise… » crits sur les listes de Cours d’appel sont égale-
ment appelés de façon plus ou moins fréquente,
• Art. 12 : « Dans les limites de la mission et sauf voire permanente, par de tels organismes sans
obligation plus stricte découlant de la déontolo- pour autant qu’un lien de dépendance puisse
gie propre à sa profession, l’expert n’est lié à être invoqué.
l’égard du juge qui l’a commis par aucun secret
professionnel… » La base fondamentale de la règle est que l’expert
ne doit jamais se trouver en lien de subordination
• Art. 13 : « L’expert s’interdit toute publicité en ou d’influence prépondérante qui lui ôterait iné-
relation avec sa qualité d’expert judiciaire… » vitablement toute impartialité.
• Art. 15 : « L’expert conserve toujours son entière De la même manière, l’expert inscrit sur une liste
indépendance et donne son opinion en toute de Cour d’Appel qui est appelé à conseiller une
conscience, sans se préoccuper des apprécia- partie avant tout procès, ou même en cours
tions qui pourraient s’en suivre. » de procédure, ne peut s’affranchir de la déontolo-
• Art. 19 : « L’expert doit se déporter s’il est nommé gie qu’il s’engage à respecter en qualité d’expert
dans une affaire où l’une des parties l’a déjà judiciairement désigné.
consulté, et dans tous les cas où il estime que Le respect d’une déontologie ne pourra que
son impartialité peut être contestée, directe- contribuer à renforcer le modèle français de l’ex-
ment ou indirectement ». pertise judiciaire. Elle ne pourra que s’appliquer à
• Art. 25 : « Sauf à tenir compte des dispositions toutes les interventions d’un expert dans la réso-
particulières propres à certaines juridictions, ou lution des litiges.
dans les cas où le secret s’impose, l’expert res- La Compagnie des experts agréés par la Cour de
pecte le principe du contradictoire. » cassation (CEACC) a rédigé ses propres Règles
• Art. 30 : « L’expert commis ne peut recevoir d’éthique qui ne sont pas fondamentalement dif-
aucune somme ni avantage, sous quelque forme férentes des Règles de déontologie de la CNCEJ.
que ce soit, qui ne soient précisés dans une déci- Elle a toutefois introduit un article 32 ainsi libellé :
sion préalablement rendue ou prévue dans les « L’expert agréé par la Cour de cassation, interve-
textes. » nant à la demande d’un justiciable, quelles que
soient la nature et la destination des travaux qui
• Art. 35 : « L’expert adhérant à une Compagnie
lui sont confiés, n’est pas, pour celui-ci, un “défen-
membre de la Fédération s’interdit d’accepter,
seur”, mais un “technicien”, tenu de donner un
sauf à titre tout à fait exceptionnel et hors toute
avis en toute indépendance. » Elle a renforcé la
notion de dépendance et de permanence, des
portée de l’article 7 (identique dans les deux tex-
missions de quelque nature que ce soit des orga-
tes) par un alinéa supplémentaire : « L’expert agréé
nismes d’assurances agissant en tant qu’assureur.
par la Cour de cassation doit, d’une manière géné-
En outre il s’engage à respecter des dispositions
rale, s’abstenir d’accepter toute mission suscepti-
plus strictes de la Compagnie dont il est membre
ble de porter atteinte à son indépendance et
ou des juridictions dont il dépend. »
notamment s’interdire d’exécuter des missions
Cet article a fait l’objet d’âpres discussions. d’expertise pour le compte d’une ou plusieurs
L’une des difficultés de présentation des règles compagnies d’assurances. » Cet alinéa correspond
de déontologie dans leur nouvelle version a été à l’article 35 des règles de la CNCEJ. En dépit
de clarifier les relations de l’expert désigné judi- d’une volonté affichée de renforcer la rigueur de
ciairement avec des organismes véritables don- l’article 35 des règles de la CNCEJ, l’article 33 des
neurs d’ordre, particulièrement en ce qui règles d’éthique de la CEACC dit : « Dès lors
concerne les missions confiées aux experts par qu’aucune instance n’est ouverte en matière civile
des compagnies d’assurances ou des groupes ou en matière pénale, l’expert agréé par la Cour de

57
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

cassation, appelé par toute personne physique ou l’arrêt de la Cour de cassation a été faite par L.
morale, peut accepter d’examiner toute question Morlet-Haïdara – « L’indépendance de l’expert
soumise à son appréciation et d’exprimer, sous sa judiciaire en question » – recueil Dalloz, 2008, no
signature, son avis impartial dans un rapport. Cet 37, 2635-2639. Elle conclut entre autres : « la Cour
avis pourra ne déboucher sur aucune suite judi- de cassation semble donc faire preuve de réalisme
ciaire ou, au contraire, conduire à l’ouverture en considérant que la justice ne peut plus s’offrir le
d’une procédure civile ou pénale. » Cet alinéa luxe de se priver d’experts compétents sous pré-
semble donner plus de souplesse dans la fourni- texte que certains d’entre eux collaborent plus ou
ture d’avis à une partie hors instance judiciaire moins régulièrement avec des compagnies d’assu-
ouverte. rances. » Le problème de l’indépendance de l’ex-
Certaines grandes cours sont particulièrement pert est largement traité tout au long des chapitres
sensibles à cet aspect spécifique de l’indépen- de cet ouvrage.
dance de l’expert (Paris, Lyon…). De plus petites • Art. 36 à 40 : « Ils précisent les conditions très
cours de région montrent plus de tolérance en strictes dans lesquelles les experts inscrits sur
raison d’une pénurie d’experts compétents, éga- les listes officielles des juridictions peuvent
lement très sollicités par les assureurs. La « polé- être appelés en consultation à titre privé. « Les
mique » jurisprudentielle a été relancée depuis le consultations privées faites dans les conditions
décret du 23 décembre 2004 qui soumet tout définies ci-dessus ne doivent jamais avoir
expert à un renouvellement quinquennal de son qu’un caractère exceptionnel. Il est en tout cas
inscription sur les listes de cour d’appel (tous les impératif qu’elles ne soient ni recherchées, ni
7 ans pour la Cour de cassation) [cf. « Les chroni- sollicitées. »
ques de jurisprudence » dans la revue Experts].
Note : De la même manière, les articles 34 à 41 des
Les deux arrêts de la Cour de cassation, civ. 2,
Règles d’éthique de la CEACC précisent les condi-
Po 08.10.314 et Po 08.10.840 du 22 mai 2008 ont
tions et la portée des avis donnés à titre privé à
largement relancé le débat. Le 5 novembre 2007,
une partie hors instance lorsqu’à la suite de cet
la cour d’appel de Paris avait refusé la réinscrip-
avis une instance est ouverte.
tion de deux experts médecins sur la liste au
motif qu’ils accomplissaient des expertises pri-
vées pour des compagnies d’assurances, « activité
de nature à générer des conflits d’intérêt entre Les articles du code
[leur] activité privée et [leur] activité au service
des missions d’expertise ». La Cour de cassation
de déontologie médicale
arrête « qu’en statuant ainsi alors que [MM… ont]
• Art. 105 : « Nul ne peut être à la fois médecin
réalisé des missions pour des sociétés d’assuran-
expert et médecin traitant d’un même malade.
ces, ne constitue pas, en soi, l’exercice d’une acti-
Un médecin ne doit pas accepter une mission
vité incompatible avec l’indépendance nécessaire
d’expertise dans laquelle sont en jeu ses pro-
à l’exercice de missions judiciaires d’expertise,
pres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de
l’assemblée générale [de la cour d’appel] a violé le
ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupe-
texte [de l’article 2, 6° du décret du 23 décembre
ment qui fait habituellement appel à ses
2004] ». La Cour de cassation, conformément à
services. »
l’article 35 du décret du 23 décembre 2004, a un
droit de regard sur l’établissement des listes par • Art. 106 : « Lorsqu’il est investi d’une mission, le
les Cours d’appel. Cet article reprend l’article médecin expert doit se récuser s’il estime que les
R.  121-7 du Code de l’organisation judiciaire dans questions qui lui sont posées sont étrangères à la
les termes suivants : « La Cour de cassation technique proprement médicale, à ses connais-
connaît des recours formés contre les décisions sances, à ses possibilités ou qu’elles l’expose-
prises par les autorités chargées de l’établisse- raient à contrevenir aux dispositions du présent
ment des listes d’experts dans les conditions pré- code. »
vues aux articles 20, 29 et 31 du décret no 2004-1464 • Art. 107 : « Le médecin expert doit, avant d’en-
du 23 décembre 2004 ». Une excellente analyse de treprendre toute opération d’expertise, informer

58
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

la personne qu’il doit examiner de sa mission et Il serait souhaitable que ces règles de déontologie
du cadre juridique dans lequel son avis est expertales et médicales les plus fondamentales
demandé. » soient appliquées par tout médecin acceptant une
mission dans une procédure de résolution d’un
• Art. 108 : « Dans la rédaction de son rapport, le
conflit, à quelque titre qu’il intervienne (cf. le
médecin expert ne doit révéler que les éléments
sous-chapitre L’expert médecin, essai de classifica-
de nature à apporter la réponse aux questions
tion) tout en tenant compte, bien sûr, des particu-
posées. Hors de ces limites, il doit taire tout ce
larités attachées à la position qu’il occupe vis-à-vis
qu’il a pu connaître à l’occasion de cette exper-
des autres acteurs du psychodrame qui se joue.
tise. Il doit attester qu’il a accompli personnelle-
C’est encore là une question de bon sens et de
ment sa mission. »
savoir vivre.

Responsabilités de l’expert judiciaire médecin


J. Hureau et P. de Fontbressin

Des actions en justice au règlement desquelles l’ex-


pert judiciaire médecin est appelé à participer, les
La nature de l’activité
affaires en responsabilité médicale sont humaine- d’expert devant les tribunaux
ment les plus délicates. en médecine
La meilleure morale est celle qui s’applique aux
autres. Cette fin de siècle ne déroge pas à l’adage. C’est un expert judiciaire au sens général du terme.
Elle n’incline pas vers la mansuétude. La jalousie, L’expert devant les tribunaux est une spécificité du
le désir de vengeance ou le simple souci du dédom- droit français. Son activité était encadrée par trois
magement financier, attisés par un ressentiment textes : la loi du 29 juin 1971, le décret du 31 décem-
d’injustice devant le sort, guident parfois la bre 1974 et la circulaire de la chancellerie du 2 juin
conduite de ceux que la médecine ou les médecins 1975, mise à jour le 22 août 1975. La loi no 2004-130
ont déçus. Mais la démarche des plaignants n’est du 11 février 2004 a modifié ces textes et défini un
très souvent qu’un désir d’information renforcé véritable « statut » de l’expert judiciaire précisé
par une incompréhension, voire un refus face à la dans le décret no 2004-1463 du 23 ­décembre 2004.
maladie ou à la mort. Les différents codes de procédure détaillent les
Les médecins, les chirurgiens sont des citoyens conditions de cette activité.
comme les autres. Tant que le droit français sera L’expertise n’est pas une profession. C’est une acti-
ce qu’il est, il n’est quiconque qui ne puisse un vité exercée à titre accessoire. L’expert est ou a été
jour être amené à répondre devant les juridictions un professionnel de sa spécialité. L’expert parti-
judiciaires ou administratives des actes qu’il a cipe aux activités juridictionnelles ou assimilées
accomplis. par des missions temporaires qui commencent
Dans l’état actuel des textes (art. 232 et 156 du avec l’acceptation de la mission et se terminent
Code de procédure civile, CPC, art. R. 158 du avec le dépôt du rapport. L’expertise est une fonc-
code des tribunaux administratifs), les juges ont tion d’auxiliaire du juge en prolongement logique
« la possibilité de commettre toute personne de des compétences scientifiques et techniques de
leur choix pour les éclairer par des constatations, celui qui l’exerce.
par une consultation ou par une expertise sur une En règle, l’expert judiciaire dans un conflit en res-
question de fait qui requiert les lumières d’un ponsabilité médicale est un médecin. L’expertise
technicien ». médicale judiciaire n’est pas une activité médicale
Le juge a le libre choix de l’expert qu’il commet. au sens propre du terme, mais l’apport de connais-

59
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

sances scientifiques ou techniques en exécution l’une des raisons d’être est le contrôle de la déon-
de la mission confiée par un juge ou une juridic- tologie expertale.
tion. Il peut arriver que, conjointement, soit dési-
gné un co-expert non-médecin, technicien dans
La responsabilité scientifique
une autre branche d’activité.
et technique
Le médecin expert judiciaire ne soigne pas, pas
plus que l’ingénieur expert n’est maître d’œuvre L’expert judiciaire médecin doit être un prati-
en bâtiment ou en travaux publics, par exemple. Il cien au contact des réalités de l’exercice médical
agit néanmoins en qualité de médecin et, à ce (art. 2-4/5 du décret du 23 décembre 2004).
titre, conformément à l’article L.4121-1 du Code L’expert doit rester dans la stricte interprétation
de la santé publique, il doit être inscrit au tableau des faits scientifiques et techniques. Il doit ren-
de l’Ordre des médecins (une exception est faite dre des faits complexes intelligibles à des non
pour les médecins militaires d’active). Ceci tra- techniciens.
duit simplement le fait qu’un médecin, quelle que Il doit être et rester compétent dans sa profession et
soit son activité, reste toute sa vie soumis au ser- dans sa discipline. Des contrôles de cette compé-
ment d’Hippocrate, en particulier en ce qui tence sont exercés à divers niveaux : inscription
concerne le secret professionnel médical. Cette sur les listes d’experts, désignation par le magis-
clause d’inscription à l’ordre n’est d’ailleurs pas trat, acceptation de la mission par l’expert, forma-
spécifique aux médecins, elle s’applique à toutes tion continue scientifique au plus haut niveau.
les professions relevant d’un ordre professionnel
institué en vertu d’une loi.
L’inscription sur les listes
Si l’activité d’expert-médecin devant les tribu-
naux était considérée depuis longtemps comme
d’experts par les différentes
une activité libérale, ce n’était pas non plus une juridictions
spécificité des professions soumises à un ordre. Conformément aux termes des textes jusque-là en
Depuis la loi du 23 décembre 1998 et son article vigueur, les critères définis à l’attention de tous les
15-1 (art. L. 311 3 21° du Code de la sécurité premiers présidents et procureurs généraux sont
sociale) qui soumet au régime général les collabo- éloquents : « Pour que (le) concours (apporté à la
rateurs occasionnels du service public, le décret, justice) soit de qualité, il est souhaitable qu’il soit
l’arrêté et la circulaire d’application ont rendu la apporté par un professionnel resté en étroit
loi quasi inapplicable et inappliquée. Voir sur le contact avec l’évolution de sa spécialité… Il est
sujet G. Rousseau et P. de Fontbressin [14]. nécessaire que les candidats (experts) soient d’ex-
cellents professionnels. Cette exigence est d’autant
plus indispensable qu’ils sont parfois amenés à
La responsabilité de l’expert émettre un avis technique sur les travaux et com-
portements de ceux qui exercent la même activité
judiciaire médecin qu’eux. » C’étaient les termes de la circulaire de la
Chancellerie du 2 juin 1975. La loi du 11 février
Cette responsabilité est protéiforme. Elle est fonc-
2004 réformant le statut des experts judiciaires a
tion de la nature même de l’activité expertale, de
pour première motivation « d’améliorer les condi-
la discipline dans laquelle elle est exercée, de son
tions de recrutement des experts judiciaires ».
caractère juridictionnel, des impératifs déontolo-
Cette exigence est confirmée dans le décret du
giques auxquels elle est soumise, des implications
23 décembre 2004.
financières des avis techniques fournis, des consé-
quences morales et humaines des conclusions Ceci est particulièrement important dans les
énoncées, toutes conditions et circonstances qui expertises en responsabilité médicale.
rendent l’expert judiciaire médecin responsable C’est dire toute l’importance que revêt l’inscrip-
dans le cadre de sa mission devant les instances tion sur les listes d’experts par les tribunaux [5, 11],
judiciaires, devant la juridiction ordinale profes- même si les juges peuvent encore désigner le cas
sionnelle pour la déontologie médicale, devant ses échéant en qualité d’expert toute personne de leur
pairs réunis au sein de compagnies d’experts dont choix ne figurant sur aucune de ces listes. La pro-

60
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

cédure d’inscription sur les listes doit être garante est présidée par un magistrat du siège de la Cour
des exigences de compétence formulées. d’appel. La Commission émet un avis consultatif
L’inscription initiale à titre probatoire pour une motivé sur la candidature. Il est transmis au
durée de deux ans est à l’entière discrétion des tri- Procureur général, et in fine c’est l’assemblée géné-
bunaux. La demande d’inscription est instruite rale présidée par le président de la Cour d’appel
par le procureur de la République du tribunal de qui se prononce, après audition du rapport d’un
grande instance du ressort qui transmet au pro- magistrat, sur chaque candidat. L’inscription sur
cureur général pour les listes de cour d’appel, et la liste nationale ne fait pas intervenir de commis-
par le procureur général de la Cour de cassation sion consultative mixte (cf. le texte du décret).
pour la liste nationale. Le premier président et Les juridictions de l’ordre administratif utili-
l’assemblée générale de la cour d’appel sollicitée, saient jusqu’à un passé récent les listes des cours
ou le premier président et le bureau de la Cour de d’appel. Seul, le tribunal administratif de Paris
cassation pour la liste nationale dressent la liste procédait à l’établissement du tableau de ses
pour chacune de ces juridictions. L’ensemble des experts (art. R. 10 du code des tribunaux admi-
juridictions de l’ordre judiciaire est concerné. nistratifs et des cours administratives d’appel).
Au cours de l’instruction de la demande auprès Une liste est maintenant établie par les Cours
d’une cour d’appel, le procureur procède à un administratives d’appel de Paris et de Versailles.
contrôle des diplômes, titres et travaux scientifi- Il en est de même à Marseille. Il est possible que
ques et du cursus professionnel du demandeur cette procédure fasse école dans d’autres cours
ainsi qu’à une vérification de sa qualification dans administratives d’appel.
la spécialité sollicitée.
Le procureur recueille en général l’avis strictement La désignation par le magistrat
consultatif de deux organisations ­professionnelles : le C’est une étape délicate dont dépend l’adéquation
conseil de l’Ordre des médecins et les compagnies de la compétence de l’expert vis-à-vis de la mis-
d’experts judiciaires auprès de la cour d’appel ou sion qui lui sera confiée. La constitution des listes
agréés par la Cour de cassation. d’experts selon la loi de 1971 modifiée par la loi de
Le conseil de l’ordre vérifie que le candidat expert 2004 a été faite pour aider le juge. Tout a été dit sur
est inscrit. Il pourrait, si cela lui était demandé, leur valeur et leurs insuffisances. Basées sur le
donner un avis sur la qualification ou la compé- volontariat sous contrôle d’une sélection des com-
tence reconnue par l’ordre, sur la validité des pétences, elles ont leur limite. L’application de la
diplômes présentés et sur l’ancienneté souhaitable loi de 2004 ne peut que les améliorer en instituant
de l’exercice médical du praticien. Il ne peut exer- la période probatoire d’inscription de deux ans
cer aucun contrôle sur la valeur scientifique ou avec formation initiale et le processus de réins-
technique du candidat. Ce contrôle a été, est ou cription sur évaluation de l’expert tous les cinq
serait du seul ressort d’un jury d’universitaires ans par une commission mixte de magistrats et
seul souverain en la matière. d’experts.
Les compagnies multidisciplinaires d’experts près Comme l’a écrit S. Thouvenot [16], expert hono-
les Cours d’appel sont de simples associations. La raire agréé par la Cour de cassation, « elles ne ras-
loi du 11 février 2004 (art. 2 II) leur confère un semblent jamais qu’une partie des spécialistes
rôle réglementaire. Elles n’ont aucune compétence ayant dans leur discipline une qualification tech-
scientifique. Elles concourent à la formation des nique éprouvée et l’on ne sait jamais si quelques-
experts en matière de technique expertale. uns des meilleurs ne sont pas absents… ».
Elles participent avec les représentants des juri- Je rappellerai les conséquences qu’en tire
dictions aux commissions d’inscription initiale G.  Dumont [1] : « Pour le magistrat, le progrès
après la période probatoire et de réinscription technique a rendu beaucoup plus difficile et délicat
ultérieure. La loi et son décret du 23 décembre le choix de ses experts : il peut faire un mauvais
2004 précisent qu’à ce stade le Procureur de la choix ; il peut ignorer l’existence d’experts parfai-
République instruit la demande d’inscription tement adaptés aux problèmes posés ; il peut dési-
définitive ou de réinscription et transmet à la gner un expert unique “très pointu” mais qui, de
commission mixte (magistrats, experts). Celle-ci ce fait, aura peu l’expérience expertale. Il s’expose
61
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

alors à quelques déboires sur le plan procédu- tion de la formation initiale et continue des
ral… ». experts est au centre même des débats qui ont pré-
Le juge qui désigne doit pouvoir s’informer direc- cédé le vote de la loi. Le rôle des compagnies d’ex-
tement auprès de l’expert. C’est en règle le cas en perts y est primordial. Le Conseil national des
juridiction pénale par le juge d’instruction ou compagnies d’experts de justice (CNCEJ) s’est
administrative par le greffe du président. C’est beaucoup investi pour leur venir en aide.
rarement le cas en juridiction civile où la pratique
de la conférence (art. 266 du CPC), extrêmement La responsabilité juridique
rare, mériterait d’être repensée.
L’expert judiciaire médecin ne peut ignorer le
L’acceptation de la mission droit au risque de perdre sa fiabilité et sa crédibi-
lité et de ne pas rendre à la justice le service auquel
par l’expert désigné
il s’engage. Parmi les aspects de cette responsabi-
C’est une véritable auto-évaluation. L’expert est lité, trois sont à retenir : le respect des règles de
souvent le seul à pouvoir apprécier sa compétence, procédure auxquelles l’expertise est astreinte, le
quelquefois après avoir pris connaissance de la rôle juridique de l’expert, les conséquences juridi-
mission et du dossier. Si, dans la même rubrique ques des avis d’experts.
disciplinaire que lui, un spécialiste plus apte s’im-
pose, il doit savoir s’effacer (se déporter) et propo- Les règles de procédure
ser au magistrat la nomination de son confrère.
S’il y a nécessité de faire appel à un technicien Elles sont toutes édictées par les codes de procé-
d’une autre spécialité, les codes de procédure pré- dure en quelques articles clairs dont la lecture
voient les modalités d’adjonction d’un technicien indispensable n’est pas aussi rébarbative que la
associé. réputation qui leur est faite [17].
Par une telle attitude de probité intellectuelle et Être expert judiciaire n’est pas un titre pour carte
d’humilité, au sens noble du terme, l’expert se de visite, c’est une activité qui engage celui qui y
grandira aux yeux du magistrat et servira une prétend. L’achat des codes de procédure doit être
meilleure justice. le premier réflexe du nouvel inscrit, s’il n’a pas
préalablement subi la formation en droit néces-
Il doit également s’assurer qu’il ne se trouve pas en
saire. La phase probatoire d’inscription de deux
position d’être récusé par l’une ou l’autre des par-
ans sera là pour l’y aider.
ties, les causes de récusation de l’expert étant les
mêmes que pour le juge. Devant une juridiction civile (de même qu’en
matière administrative ou de Sécurité sociale), il y
a un principe fondamental à ne pas méconnaître :
La formation continue de l’expert le caractère contradictoire des opérations exper-
Après la formation initiale, la rapidité d’évolution tales. Combien voyons-nous de rapports d’ex-
des connaissances veut que cette formation soit perts, par ailleurs fort pertinents quant au fond,
continue. C’est une nécessité constante pour tout être entachés de nullité par le non-respect du
médecin, a fortiori lorsqu’il a une activité exper- principe de la contradiction (art. 16 du CPC) ?
tale. Il n’est pas besoin d’en dire plus en ce qui Tout est dit dans l’article 14 du CPC : « Nulle par-
concerne sa responsabilité scientifique et techni- tie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou
que. Cette formation continue doit être également appelée… ».
juridique, psychologique préparant à la fonction, À côté du principe, la pratique expertale s’ac-
déontologique et comporter une information sur quiert. Ce sont des recettes et des coups de main
les obligations sociales et fiscales [12]. que l’on apprend avec le temps grâce à une sorte
Qui doit la dispenser ? À quel moment doit-elle de compagnonnage sous formes diverses, à défaut
intervenir ? Sous quelle forme ? Doit-elle être obli- d’un véritable enseignement organisé préalable-
gatoire ? Toutes ces questions commencent à rece- ment à toute inscription sur les listes. Celui-ci
voir une réponse dans le cadre de la loi de 2004 et n’interviendra qu’au cours de la période d’ins-
de ses décrets d’application, puisque l’améliora- cription probatoire de deux ans.

62
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Rappelons que la Suisse élève au rang des forma- L’expert doit rester dans la stricte interprétation
tions universitaires l’enseignement juridique des des faits scientifiques et techniques. Il n’a pas d’in-
futurs experts [4]. time conviction. Il ne juge pas. « Le juge ne peut
L’article 143 du CPC pose le principe des mesures donner au technicien mission de concilier les par-
d’instruction nécessaires à l’établissement des ties » (article 240-CPC). « Le juge n’est pas lié par
faits. Elles sont exécutées sous le contrôle du juge les constatations ou les conclusions du techni-
qui les a ordonnées lorsqu’il n’y procède pas lui- cien » (article 246-CPC).
même (art. 155), ce qui est le cas lorsqu’elles sont L’expert doit à la justice des réponses claires aux
confiées à un technicien. C’est à ce titre d’auxi- questions qu’elle pose, rien qu’aux questions, à
liaire de justice que s’accomplit la mission d’ins- toutes les questions. C’est toute la difficulté de
truction dont est investi l’expert. Le respect du l’exercice intellectuel que représente la rédaction
principe de la contradiction s’impose à lui à toutes du rapport. C’est également pour le juge toute la
les étapes de ses opérations expertales. difficulté de la rédaction de la mission dont dépen-
Devant une juridiction pénale, les règles de pro- dent les réponses.
cédure sont différentes. L’expert agit à la demande « Qui est le véritable juge ? » demandait encore
du juge dans le cadre de l’information pénale. Il récemment, lors d’un de nos colloques, un haut
est à ce titre soumis à l’exigence du secret de magistrat de l’ordre judiciaire [6]. Volontairement
l’instruction. En conséquence, les opérations provocateur, il proposait la suppression de l’ex-
d’expertise ne sont pas contradictoires. Sur le pertise médicale. « Le juge forgerait son opinion
fond, son rôle reste identique, celui d’un techni- sur les explications fournies par les avocats, eux-
cien auxiliaire de justice. Il est dit que l’expert mêmes imprégnés des observations de leurs
« doit réserver son avis au juge ». Une seule excep- conseils (médecins) ». C’est une transposition de
tion, lorsqu’il y a constitution de partie civile, la procédure utilisée dans le domaine de la contre-
celle-ci « peut toujours se faire représenter par façon des brevets à celui de la responsabilité médi-
un avocat. Dans ce cas, le jugement est contra- cale. N’est-ce pas déjà là un passage de notre droit
dictoire à son égard » (article 424 du CPP). inquisitoire français au droit accusatoire anglo-
« Lorsqu’il a été statué sur l’action publique, les saxon ? Aussi ajoutait-il : « Puisqu’il nous faut un
mesures d’instruction ordonnées par le juge expert, encore faut-il que ce dernier ne se substi-
pénal sur les seuls intérêts civils obéissent aux tue pas au magistrat. »
règles de la procédure civile » (Loi no 81-82 du
2 février 1981 – art. 10 du CPP). La loi du 5 mars Les conséquences juridiques
2007 n’a pas modifié les obligations de l’expert des avis d’experts
(cf. le sous-chapitre Le secret professionnel au
cours de l’expertise). Elles justifient tout ce qui a été dit au chapitre pré-
cédent. Maître H. Fabre [3] les a particulièrement
bien évoquées lors d’un récent colloque en parlant
Le rôle juridique de l’expert du « rôle des guides éclairés des juges et de la
Les faits sont de la compétence de l’expert. Le jurisprudence ».
droit est de la compétence du juge. L’interprétation « La somme des travaux réalisés par les experts
des faits est un domaine plus partagé : au juge, dans les affaires de responsabilité médicale repré-
d’apprécier certains concepts de droit tel que la sente dans chaque spécialité une sorte de code de
causalité adéquate ou l’équivalence des condi- bonne ou mauvaise pratique médicale sur lequel
tions ; à l’expert, de rendre des faits complexes les juges se fondent pour créer à leur tour la juris-
intelligibles à des non techniciens. prudence de la bonne ou mauvaise pratique médi-
Restent des appréciations plus délicates, tels l’éta- cale, le tout évoluant au fil du temps et des
blissement d’un lien de causalité factuelle, l’éva- connaissances nouvelles. »
luation d’une perte de chance, le dosage d’un Elle ajoute : « Sans jamais se substituer au juge, les
consentement éclairé – toutes notions sur lesquel- experts ont la lourde tâche de dissocier la faute de
les l’expert engage les concepts de faute, impru- l’aléa et de délimiter par là même le territoire de la
dence, maladresse, inattention ou négligence. responsabilité médicale. L’autorité qui s’attache à

63
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

leur fonction se transforme en un véritable pou- de contrôle (article 103 du Code de déontologie
voir qui, comme tout pouvoir, doit être exercé médicale), il peut même, sous peine de poursuite
avec une extrême prudence et une réflexion à long en responsabilité, faire part au médecin traitant
terme. L’exercice de ce pouvoir n’est pas sans de son désaccord sur un diagnostic ou un traite-
conséquence à la fois sur le comportement des ment inadapté [15].
médecins dans leur pratique quotidienne et sur
l’inflation du contentieux judiciaire. » La responsabilité déontologique
L’expert ne doit jamais oublier qu’il est plus un
réducteur d’incertitudes qu’un dispensateur de Elle s’établit dans les deux domaines, médical et
certitudes. expertal.
Ce rôle ainsi dévolu à l’expert médecin dans l’éta-
blissement des normes, c’est-à-dire des données La responsabilité déontologique
acquises de la science au moment des faits, ou médicale
pour reprendre l’expression récente de « médecine Un avis de « moralité » peut être demandé à l’ordre
fondée sur les preuves » (traduction acceptable de au moment de l’inscription sur les listes [5].
Evidence Based Medicine12), comporte la nécessité
En matière d’expertise judiciaire médicale, la
énoncée d’une sélection sérieuse à l’inscription
déontologie médicale générale s’applique aux
sur les listes et d’une formation continue contrô-
relations humaines qui mettent en présence expert
lée sur le plan scientifique et technique.
médecin et médecin traitant ; expert médecin et
Comme tout médecin, l’expert peut voir sa res- médecin-conseil ; expert médecin et patient.
ponsabilité en droit commun mise en cause dans
Le secret médical s’impose à l’expert médecin pour
des circonstances diverses [15]. La plupart des
tout ce qui concerne sa mission d’expertise (art.
expertises comportent d’établir ou de contrôler
108 du code de déontologie médicale) lors de la
un ou des diagnostics. Comme dans l’exercice
constitution du dossier médical, au cours de la
de la médecine de soins, la jurisprudence tient
réunion expertale contradictoire et au moment de
compte de la difficulté en la matière et incrimine
la rédaction du rapport.
essentiellement la persistance non justifiée dans
un diagnostic dont le caractère erroné pouvait Le respect du secret médical lors de la constitu-
être justifié dans un premier temps (CC., 2e Ch. tion du dossier ne pose pas de problème en soi.
civ., 24 novembre 1966, Bull ; 920 : 642. CC., Au pénal, tous les éléments du dossier médical sont
1re Ch. civ., 2 arrêts du 8 juillet 1997, Bull ; 238 et saisis par la justice selon une procédure qui assure
239. Rapp Ann C Cass, 1997 : 274). Toutefois le respect du secret professionnel médical. Ensuite,
l’expert, investi de la compétence particulière le secret de l’instruction s’applique à l’expert
qui lui a été reconnue, n’a pas droit à l’erreur ini- comme au juge qui l’a commis.
tiale de diagnostic si celle-ci est tellement fla- En juridiction civile ou en tribunal administratif, le
grante pour un médecin spécialiste qu’elle est principe de la contradiction impose que les diffé-
manifestement fautive (CC., 1re Ch. civ., 16 juin rentes pièces du dossier soient communiquées aux
1999, Bull ; 210). parties. Ce n’est pas à l’expert de constituer les dos-
De même, le médecin expert, bien que non soi- siers des parties, pas plus celui du demandeur que
gnant, engagerait sa responsabilité si, à l’occa- celui du défendeur. La règle générale est énoncée
sion d’un examen de personne ou d’une étude de dans l’article 243 du CPC : « le technicien peut
dossier, il n’avisait pas cette personne, son méde- demander communication de tous documents aux
cin traitant ou, selon les circonstances, des pro- parties et aux tiers, au juge à l’ordonner en cas de
ches d’une pathologie passée inaperçue et difficultés » et dans l’article 275 du CPC : « les par-
nécessitant des soins. Devenu véritable médecin ties doivent remettre sans délai à l’expert tous les
documents que celui-ci estime nécessaires à l’ac-
12  JB. Paolaggi. Place des nouvelles méthodes basées complissement de sa mission. En cas de carence
sur l’apport de « preuves » dans la prise en charge des des parties, l’expert en informe le juge qui peut
patients. Acad. Natle. Med., séance du 9 avril 2004. ordonner la production des documents, s’il y a lieu
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, n° 5, 803-811. sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à

64
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

passer outre ou à déposer son rapport en l’état. La que certaines choses ne soient pas dissimulées si
juridiction de jugement peut tirer toute consé- elles concourent à la manifestation de la vérité.
quence de droit du défaut de communication des Les obligations de la loi du 4 mars 2002 et son
documents à l’expert ». décret d’application du 29 avril 2002 sur les règles
S’agissant de documents médicaux certaines par- de communication du dossier médical d’un
ticularités s’imposent. « Il incombe à chaque par- patient résolvent facilement ces problèmes. Il est
tie de prouver, conformément à la loi, les faits exceptionnel en matière médicale d’avoir à recou-
nécessaires au succès de sa prétention. » (art. rir à l’article 275, alinéa 2 du CPC, c’est-à-dire à
9-CPC). l’astreinte par voie judiciaire.
C’est dire qu’en droit commun la charge de la Il en serait tout autrement si, par une quelconque
preuve incombe au demandeur. L’arrêt du 25 aberration de notre droit, se produisait une inver-
février 1997 (Cour de cassation, 1re chambre sion généralisée de la charge de la preuve. Le défen-
civile, no 426) a modifié la jurisprudence en deur qui n’aurait pas accès au dossier médical ou
matière de charge de la preuve en droit médical le médecin attaqué qui, pour des raisons de secret
concernant l’obligation contractuelle du méde- professionnel, ne pourrait faire état d’arguments
cin à l’information du patient et à l’obtention de en sa possession, serait en grande difficulté de
son consentement éclairé. Il a appliqué dans son prouver le bien-fondé de sa défense. Nous n’en
intégralité l’article 1315 du Code civil. Cet arrêt sommes pas encore là.
stipule que « celui qui est légalement ou contrac- Le secret médical n’est pas une substance ontologi-
tuellement tenu d’une obligation d’information que. Il ne s’impose qu’à l’expert médecin qui doit
doit apporter la preuve de l’exécution de cette se mettre, conformément au CPC, en position de
information ». ne jamais le transgresser. Il ne s’impose pas au
Si l’application de la loi ne se discute pas, l’exi- plaignant qui a tout intérêt à fournir les preuves
gence qu’elle établit pose plus de problèmes prati- de ses prétentions.
ques qu’elle n’en résout. Quelle information faut-il Le respect du secret médical dans le rapport impli-
donner ? Les termes d’information simple, que plus directement l’expert médecin. L’article
approximative, intelligible et loyale ont-ils encore 108 du code de déontologie médicale est précis sur
un sens ? Jusqu’où faut-il informer ? Quels sont les ce sujet : « Dans la rédaction de son rapport, le
meilleurs moyens d’information ? Quelles peu- médecin expert ne doit révéler que les éléments de
vent être, dans le dialogue singulier du médecin et nature à apporter la réponse aux questions posées.
de son malade, les preuves tangibles que « toutes » Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu’il a pu
les informations ont bien été données ? Faut-il les connaître à l’occasion de cette expertise. »
donner « toutes » au risque de transgresser les Le respect du secret médical au cours d’une réu-
règles de l’humanisme le plus élémentaire ? nion expertale contradictoire existe également.
Comment peut-on contrôler que l’information N’agissant pas dans le cadre soignant mais dans le
donnée a bien été reçue ? Ne risque-t-on pas une cadre judiciaire, l’expert qui peut avoir connais-
perte de la confiance indispensable ? sance, au cours de sa mission, d’un certain nom-
Chacune de ces questions est l’objet d’un débat bre de confidences, a parfaitement la possibilité et
permanent au sein des communautés médicales, doit taire de telles informations si elles sont sans
juridique, philosophique et morale, débat bien rapport avec la mission. Il faut se rappeler que le
antérieur à l’arrêt du 25 février 1997 et qui n’a, rapport d’expertise est divulgué à des personnes
jusqu’à ce jour, reçu que des réponses partielles, étrangères au corps médical, en particulier aux
vagues ou floues et éminemment variables comme avocats qui l’utiliseront dans leur plaidoirie. Si un
en atteste la jurisprudence en la matière (cf. le recours en justice d’un patient autorise une telle
sous-chapitre Le devoir médical d’information, le divulgation de renseignements médicaux le
consentement ou le refus éclairé). concernant, il est souhaitable qu’elle soit réduite
Se plaçant dans le cadre judiciaire, le malade ou le au minimum.
blessé plaignant qui demande qu’une opération La réunion se fait en présence des parties et de
vérité soit faite doit fournir à l’expert tous les ren- leurs conseils. Les documents produits avant la
seignements nécessaires à sa mission et admettre réunion ou au cours de la réunion doivent être

65
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

communiqués au moins oralement dans leur Dans l’art. 105 du code de déontologie médicale, il
teneur à toutes les parties présentes. Là encore, est écrit : « Nul ne peut être à la fois médecin
l’expert exerce un contrôle sur le bien-fondé de la expert et médecin traitant d’un même malade. Un
divulgation de telle ou telle pièce ou informa- médecin ne doit pas accepter une mission d’ex-
tion. Il ne doit les retenir qu’en fonction de leur pertise dans laquelle sont en jeu ses propres inté-
utilité dans la cause et avec l’accord des parties, rêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches,
spécialement celle qui pourrait faire obstacle à d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait
cette divulgation d’une information médicale la habituellement appel à ses services. »
concernant. L’article I-7 des règles de déontologie de l’expert
Le problème particulier posé par l’examen médi- judiciaire stipule : « L’expert doit conserver une
cal est en règle facilement résolu. Seuls assistent à indépendance absolue, ne cédant à aucune pres-
cet examen des médecins, encore que l’examiné sion ou influence de quelque nature qu’elle
ait le droit de s’opposer à toute personne étrangère soit. »
à celle de l’expert. Dans ce cas, seuls les résultats C’est dire que l’expert doit avoir une double
de l’examen sont fournis aux parties présentes et méfiance [2] à l’égard de lui-même et des organis-
leurs conseils. mes auxquels il est lié professionnellement et à
l’égard de tous les acteurs du procès. Il est de la
La responsabilité déontologique responsabilité propre de l’expert de savoir se récu-
expertale ser (cf. Note in « Règles et code de déontologie
applicables à l’expertise médicale judiciaire »).
Elle a donné lieu à l’établissement de règles de
déontologie de l’expert judiciaire par le Conseil
national des compagnies d’experts de justice.
La responsabilité morale
Quelques aspects retiendront notre attention.
Le serment, sa finalité a été parfaitement analysée L’expert, dans sa mission, est amené à être garant
par M. Rémy, président honoraire à la cour d’ap- de cette science du bien et du mal. Il est amené à
pel de Versailles [13] : « Il est de règle que tous théoriser des actions humaines tant qu’elles sont
ceux qui contribuent à l’œuvre de justice prêtent soumises au devoir et ont pour but le bien. Il doit
serment avant leur entrée en fonction… Les tenir compte de règles de conduite considérées
experts inscrits sur une liste de cour d’appel ou comme valables de façon absolue.
sur la liste nationale (s’engagent) à accomplir leur L’éthique, science de la morale, n’est alors que l’art
mission, de faire leur rapport et de donner leur de diriger cette conduite. Ceci est particulière-
avis en leur honneur et conscience… telles sont ment vrai dans le domaine de la responsabilité
les valeurs dont l’État exige le respect de la part médicale. À travers la jurisprudence et malgré lui,
(des experts) qui le se rvent dans le domaine l’expert devient censeur et gardien d’une méde-
judiciaire… ». cine de qualité [3].
De l’honneur, Alfred de Vigny a dit : « C’est la poésie Combien de remises en question personnelles
du devoir ». Pour l’expert, ce devoir a de multiples ou professionnelles après le vécu d’un procès !
facettes : l’intégrité, l’objectivité, l’impartialité. Les médecins impliqués, fautifs ou non, l’expert
En conscience, c’est, dit P. Robert : « en vérité, en lui-même n’exercent plus la médecine comme
toute franchise, honnêtement ». Le corollaire de ils le faisaient auparavant. Continueront-ils à
cette exigence sacramentelle est l’indépendance prendre certains risques nécessaires et bénéfi-
de l’expert. ques pour le patient ? Le corps professionnel se
De l’indépendance de l’expert, tout est dit dans les tient de plus en plus informé de l’évolution de la
textes. Le décret du 31 décembre 1974 précisait : jurisprudence.
« n’exercer aucune activité incompatible avec l’in- Faut-il inclure, même partiellement, le risque
dépendance nécessaire à l’exercice de mission médico-légal dans la réflexion qui décide de l’atti-
judiciaire d’expertise ». Cette formule a été reprise tude thérapeutique la plus favorable à l’intérêt
dans le décret du 23 décembre 2004. d’un patient ?

66
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

La déontologie impose. L’éthique propose. La allège la charge de conservation des preuves des
morale s’impose. diligences accomplies, mais crée des obligations
procédurales de prudence remarquablement
argumentées par D. Lencou auquel le lecteur a
La responsabilité financière
intérêt à se reporter [9].
Elle est d’une telle évidence que personne ne s’y Il semble que la controverse sur les fondements de
trompe. Si le médecin expert n’est pas l’évaluateur la responsabilité civile des experts commis par les
direct des conséquences financières du dommage juridictions n’ait plus actuellement qu’un intérêt
expertisé, il en est le premier maillon. historique. Elle s’appuie sur l’article 1382 du Code
Rappelons qu’en aucune façon son indépendance civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui
d’expert ne doit en souffrir. Dans ces conditions, cause à autrui un dommage, oblige celui par la
peut-être est-il préférable qu’il ignore, dans la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». La respon-
grande majorité des cas, le coût financier de ses sabilité civile de l’expert judiciaire est donc de
conclusions. nature délictuelle et non contractuelle dès lors
Encore faut-il que, dans son rapport, les éléments que sa désignation et sa mission procèdent d’une
d’appréciation qu’il fournit soient clairement expri- décision juridictionnelle [16].
més et ne comportent aucune erreur grossière dont L’expert est chargé de donner un avis sur les points
il ne manquerait pas d’être personnellement tenu pour l’examen desquels il a été commis (article 238
pour responsable. Sa responsabilité civile finan- du CPC) et doit, pour cela, agir avec « conscience,
cière personnelle pourrait alors être engagée. objectivité et impartialité » (article 237 du CPC).
Dans quelle mesure cet avis peut-il engager sa
responsabilité ?
La responsabilité devant
Depuis l’arrêt « Jolivet » (CC., 1re Ch. civ., 9 mars
les juridictions 1949, Bull ; 87 : 229), il est exclu que cet avis, éla-
C’est un chapitre que le médecin ne doit pas boré dans le strict respect du principe de la
méconnaître lorsqu’il demande son inscription contradiction, nécessairement discuté par les
sur une liste d’experts judiciaires [8]. parties et alors que le juge n’est pas lié par les
constatations ou conclusions de l’expert (article
246 du CPC), que cet avis puisse faire mettre en
Responsabilité civile
cause la responsabilité de l’expert du seul fait
ou responsabilité administrative d’avoir retenu certains éléments dont la contes-
– la prescription tation relève de l’exercice normal par les parties
La situation paradoxale de l’expert judiciaire doit de leur droit de critique et de l’appréciation éga-
d’emblée être soulignée [10]. Agit-il pour une juri- lement critique de la juridiction. Ce serait une
diction administrative, il est collaborateur occa- atteinte à l’indépendance de l’expert. Il faudrait,
sionnel du service public de la justice et, comme pour retenir une telle mise en cause, que l’avis
tel, son action pourrait engager la responsabilité de l’expert repose sur une erreur fautive. Cette
de l’État. Agit-il pour une juridiction judiciaire jurisprudence est constante (arrêt  Maillard,
civile ou pénale, cette qualité de collaborateur CC., Ch. Com., 5 février 1968, Bull ; 50 : 27 et
occasionnel du service public de la justice lui est arrêt de la cour d’appel de Versailles du 29 mai
refusée de façon péremptoire, y compris dans la 1988).
loi de 2004. Sa responsabilité civile profession- La responsabilité civile de l’expert ne peut être
nelle pourrait donc être engagée. La prescription retenue que si son avis a eu une influence détermi-
était trentenaire. Cette prescription, ramenée à nante sur la décision du juge et repose sur des
dix ans à compter de la fin de la mission par les inexactitudes ou des erreurs fautives ne relevant
lois du 29 juin 1971 et du 11 février 2004, s’établit pas de la discussion et de l’appréciation normale
maintenant à 5 ans selon le délai de droit commun du rapport de l’expert (arrêt Ruellan, CC., 1re Ch.
de la prescription extinctive (loi du 17 juin 2008). civ., 6 avril 1967, pourvoi no 6 611 194 et Affaire du
L’application de cette loi à l’expertise judiciaire « pain empoisonné de Pont-Saint-Esprit », arrêt de

67
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

la cour d’appel de Nîmes 18 février 1959, JCP, du 20 décembre 1993, art. L. 161-22 et L. 634-6
1959 ; II : 11 374, note R. Vienne). du Code de la Sécurité sociale).
Cette responsabilité civile peut être financière si Pourtant, lorsque l’expert reçoit la mission du
elle est liée à une erreur fautive matérielle dans la juge judiciaire, c’est à celui-ci qu’appartient le
rédaction du rapport. Un expert qui avait malen- pouvoir de décision (tribunal des conflits
contreusement laissé passer une coquille de frappe 27 novembre 1952, Cour de cassation 23 novem-
dans son rapport : une IPP de 30 % au lieu de 3 %, bre 1956) entre responsabilité de l’État seul
s’est vu condamner au règlement de la différence. pour faute de l’expert ou option offerte à la vic-
Mieux vaut écrire le chiffre avec des lettres (arrêt time de rechercher la responsabilité de l’État
Redaud, CC., 2e Ch. civ., 8 octobre 1986, GP, 1986 ; ou de l’expert en cas de faute personnelle de
2, Som : 281). celui-ci.
La juridiction, dont dépend la responsabilité civile À notre connaissance, le Conseil d’État ne
de l’expert judiciaire, est fonction de l’instance semble pas avoir été saisi d’une action en res-
qui l’a commis. ponsabilité contre l’État en raison des fautes
L’expert judiciaire est reconnu comme un colla- imputées à un expert commis par une juridic-
borateur occasionnel du service public de la jus- tion administrative. En revanche, pour la Cour
tice par le code de la sécurité sociale et par les de cassation qui s’est déjà prononcée à plusieurs
juridictions de l’ordre administratif. Il n’agit pas reprises, la responsabilité de l’expert peut être
pour son compte mais pour celui de la juridic- recherchée selon les règles de droit commun de
tion qui l’a désigné. Cela lui assure une couver- la responsabilité civile. Il existe au moins un
ture par l’État en cas de mise en cause. Son exemple de responsabilité reconnue (Cour de
activité engage la responsabilité de l’État. S’il est cassation, 2 e  chambre civile, 8 octobre 1986,
condamné, l’État ne pourra pas se retourner GP, 1986 ; 2 : 281). Jusque là, la doctrine était
contre lui. En cas de faute personnelle (par exem- loin d’être fixée.
ple, volonté de nuire ou faute d’une gravité Un arrêt récent de la Cour de cassation (Civ., I, 19
exceptionnelle), l’expert peut être personnelle- mars 2002, Bull ; 102 : 79) a pris position : « La
ment poursuivi devant le juge judiciaire, car la compétence pour connaître d’une action en res-
nature de sa faute lui fait perdre sa qualité d’agent ponsabilité contre un expert judiciaire appartient
public. La décision de renvoi appartient au tribu- à la juridiction de l’ordre judiciaire, alors même
nal administratif. qu’il serait mis en cause à l’occasion d’une exper-
Il n’a pas la qualité de collaborateur occasionnel tise ordonnée par un juge administratif, dès lors
du service public de la justice devant les juridic- que c’est sa propre responsabilité et non celle de
tions de l’ordre judiciaire. La loi de 2004 n’a pas l’État qui est recherchée [15]. »
modifié cette situation. Ajoutons que la responsabilité administrative de
A-t-il qualité d’agent public ? Il n’a, en fait, aucun l’expert ne peut être invoquée que s’il accomplit sa
contrat avec celui qui l’a commis. Il n’est pas mission pour le compte d’une juridiction. Ce n’est
rémunéré par lui. pas le cas pour les expertises amiables qui, comme
toute autre expertise médicale privée, relèvent de
Malgré cela, le Conseil d’État, dans un arrêt du
l’exercice libéral de la médecine.
26 février 1971, reconnaît à l’expert judiciaire la
qualité de participant au service public de la
justice. Responsabilité pénale
Cette expression a été reprise dans les divers lois, Elle peut être engagée dans le cadre de l’activité
codes et textes réglementaires ultérieurs où il est expertale. Elle ne revêt aucun caractère particu-
traité de l’expert judiciaire (loi no 83-430 du lier. Certains délits seraient plus spécifiques : faux
31 mai 1983, circulaire du 4 juillet 1984 du minis- en écriture, faux témoignage, falsifications de
tère des affaires sociales et de la solidarité natio- documents… Si de tels délits étaient commis par
nale, loi no 84-575 du 9 juillet 1984 prorogée des experts judiciaires sous serment, que justice
jusqu’au 31 décembre 1998 par la loi no 93-1313 soit faite ! La jurisprudence est peu fournie [15].

68
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Rappelons enfin que le médecin expert a les Bibliographie


moyens de ne pas se mettre en position de vio-
lation du secret professionnel médical sanc- [1] Dumont G. L’expertise judiciaire et l’évolution
technique. In Congrès de la FNCEJ, Poitiers, 1993.
tionné par l’article 226-13 du nouveau Code
pénal. [2] Dumont G. L’indépendance de l’expert. Bulletin de
liaison de la FNCEJ, 1992 ; 2 : 55–61.
[3] Fabre H. Le point de vue de l’avocat conseil. In
Colloque de la CNEM : L’expertise face à l’évolu-
Conclusions tion du concept de responsabilité médicale, Sénat,
2 décembre 1994.
Les responsabilités de l’expert sont multiples et [4] Fombonne J. Vers une réforme de l’expertise : le
importantes par les seuls avis scientifiques et contrôle des experts judiciaires. La Vie Judiciaire,
1994 ; 2.
techniques qu’il fournit à la demande de la justice.
[5] Grunwald D, Sauquet J, Vincent P. La pratique médi-
Elles méritent d’être considérées et reconnues.
cale et l’action judiciaire. Bulletin de l’Ordre des
Elles rendent nécessaire une protection de l’acti- médecins, 1990 ; 11 : 231–244.
vité expertale. Non obligatoire, l’assurance en res- [6] Guigue J. Qui est le véritable juge ? Rôles respectifs
ponsabilité civile de l’expert médecin pour son du juge et de l’expert. In Colloque de la CNEM :
activité expertale judiciaire est pour le moins très L’expertise face à l’évolution du concept de respon-
fortement conseillée. À chacun de vérifier cette sabilité médicale, Sénat, 2 décembre 1994.
clause dans son contrat d’assurance en responsa- [7] La protection de l’expert judiciaire. Biennale de
bilité civile professionnelle ou de souscrire l’assu- Poitiers 1999. Revue Experts, hors série no 2. 2000.
rance groupe de la compagnie d’experts constituée [8] La responsabilité de la puissance publique dans la
dans le ressort de la cour d’appel auprès de laquelle mise en œuvre de l’expertise judiciaire. Biennale de
il est inscrit. Poitiers 2003. Revue Experts, hors série no 8. 2004,
[9] Lencou D. Les experts de justice et la prescription
En contrepartie, les qualités exigées de l’expert civile. Revue Experts, 2008, no 81, 20–23.
émaillent tous les textes qui régissent son activité.
[10] Mégier H. La responsabilité civile de l’expert judiciaire.
C’est un véritable poème à la Prévert qui décrit ce Bulletin de liaison de la FNCEJ, 1991 ; 1 : 13–15.
que devrait être « l’honnête homme du xxie ­siècle » : [11] Olivier M. La liste nationale des experts, son origine,
compétence, conscience, objectivité, impartialité, son établissement, son usage. Les cahiers de l’exper-
disponibilité, intégrité, indépendance, en somme tise judiciaire, 1993 ; 5 (2) : 47–61.
probité intellectuelle et morale, une certaine forme [12] Peckels B. La formation des experts judiciaires.
de courage et beaucoup d’humilité. Revue Experts, 1994, no 24, 3.
N’est-ce pas le portrait de tout homme ou de toute [13] Rémy M. Le serment. Revue Experts, 1994,
femme qui prétend à des responsabilités, si hautes no 24, 16.
soient-elles ? D’un personnage aussi rare, nos ins- [14] Rousseau G, de Fontbressin P. L’expert et l’expertise
titutions finiront-elles par se passer ? judiciaire en France. Bruylant édit. Bruxelles 2008,
2e édition.
Retenons cette note finale moins pessimiste de [15] Sargos P. La responsabilité de l’expert-médecin.
Pierre Sargos : « Ces obligations [de l’expert] sont Réunion médico-légale de l’Association régionale de
lourdes, mais la jurisprudence de la Cour de cas- médecine légale, Collioure, 14 septembre 2002 (com-
sation est très nuancée pour tenir compte de la munication personnelle).
difficulté des missions d’expertise médicale. On [16] Thouvenot S. De la place des techniciens français
peut ainsi penser, et c’est l’honneur des médecins dans la future Europe. Bulletin de liaison de la
experts, que l’heureuse rareté des condamnations FNCEJ, 1993 ; numéro spécial Congrès de Poitiers :
44–48.
les concernant tend à démontrer à la fois leur par-
faite maîtrise de ces obligations et leur compé- [17] Vademecum de l’expert de justice. FNCEJ édit.
Paris en préparation par le CNCEJ.2006, 2e édition
tence [15]. » – 3e édition.
Sur l’ensemble de ce sous-chapitre, lire également [18] Hureau J, de Fontbressin P. La responsabilité de l’ex-
G. Rousseau et P. de Fontbressin [14] et J. Hureau pert de justice. Revue Lamy droit civil, décembre 
et P. de Fontbressin [18]. 2009 (sous presse).

69
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Caractéristiques juridiques de l’activité d’expert


judiciaire en médecine

Histoire et droit
J. Hureau

« Le médecin désigné comme expert conserve son jour (cf. le sous-chapitre Responsabilité de l’expert
indépendance et reste soumis aux règles générales judiciaire médecin, G. Rousseau et P. de
énoncées par le code de déontologie [médical]… Fontbressin [7]).
l’accomplissement de mission judiciaire d’exper-
tise… constitue une activité… relevant du régime
des professions libérales. Ces dispositions confir-
ment bien la notion d’un acte médical [2]. » Une L’expertise judiciaire
telle affirmation est pour le moins étonnante. en discipline médicale
Depuis Aristote, ce type de raisonnement s’ap- est-elle d’essence juridictionnelle
pelle un syllogisme. C’est un discours dans lequel,
certaines choses étant posées, quelque chose ou médicale ?
d’autre que ces données en découle nécessaire-
ment par le seul fait de ces données (Topiques I, 1, « Ad quaestionem facti respondent juratores, ad
100 à 125 et Premiers Analytiques I, 1, 24b quaestionem juris respondent judices » (L’expert
18-20). dit les faits, le juge dit le droit) [1].
Une traduction s’impose : toute expertise judi- L’expert instruit par l’expérience est une personne
ciaire est une activité libérale (art. 9-1 de la loi que l’on charge de donner son avis sur un point
no  88-16 du 5 janvier 1988 et art. L. 622-5, 2° du contesté et qui concerne l’art qu’elle connaît.
Code de la Sécurité sociale) ; l’activité libérale L’expertise judiciaire existait déjà chez les
caractérise l’acte médical (art. L. 622-5, 1° du Romains. Elle est codifiée par l’empereur Justinien
même code) ; toute expertise judiciaire est un acte Ier de Hortulanis (482-565) (Nouvelles). C’était à
médical. Constantinople.
C’est un syllogisme apodictique dont les prémis- La chirurgie est nommément désignée dans les
ses sont des évidences de droit. C’est une syllogis- Capitulaires de Charlemagne, où il est conseillé
tique axiomatisée dans laquelle, conformément à au juge de solliciter l’assistance de chirurgiens et,
la pensée aristotélicienne du passage de l’univer- de façon générale, de recourir à des gens connus
sel au particulier et selon C.S. Peirce, la première savants et non-suspects.
prémisse énonce la loi, la seconde fait état d’un cas Au mois de février 1580, l’article 184 de la Coutume
particulier, tandis que la conclusion applique la loi de la Prévôté et Vicomté de Paris précisait : « En
au cas particulier. Nous avons tous à l’esprit la toutes matières sujettes à visitation, les parties
conclusion absurde du syllogisme du vieux cheval doivent convenir en jugement des jurés ou
rare et cher. Le raisonnement syllogistique a des Experts, ou gens à connaissans, qui font le ser-
limites que la logique formelle n’a pas fini de ment par-devant les Juges ; et doit être le rapport
discuter. apporté en Justice, pour, en plaidant ou en jugeant
À petite cause, grand effet. Après bien des contro- les procès y avoir tel égard que de raison, sans
verses, ce raisonnement, faussé dans son essence, qu’on puisse demander amendement : peut néan-
a abouti à l’article 15 de la loi du 23 décembre moins le Juge ordonner autre ou plus ample visi-
1998 modifiant l’article L. 311-3 du Code de la tation être faite s’il y échet ; et où les parties ne
sécurité sociale. En dépit des espérances [5], les conviennent de personne, le Juge en nomme d’of-
textes d’application l’ont rendue inapplicable à ce fice. » Comme l’écrit Maître H. Marganne [6], ce

70
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

texte dégageait déjà, à l’époque, les grands princi- Elle est accomplie par un médecin qui, à ce titre,
pes de l’expertise. reste soumis au cours de cette activité expertale
Henri IV, par lettre patente du 14 mars 1601 et édit judiciaire au serment d’Hippocrate et à son pro-
de janvier 1606, charge son premier médecin de longement actuel, le code de déontologie médicale
commettre dans les villes, bourgs et lieux du (décret no 95-1000 du 6 septembre 1995).
royaume un ou deux chirurgiens pour assister Ce n’est pas pour autant un acte médical au sens
aux visites et rapports qui se feraient par ordon- du droit commun, c’est-à-dire une démarche
nance de justice et autrement. visant à poser un diagnostic dans le but d’établir
Une ordonnance de Louis XIV donnée à Saint- une thérapeutique et d’en suivre les effets et l’évo-
Germain-en-Laye en avril 1667 réglemente l’ex- lution. L’expert judiciaire en médecine n’a pas le
pertise civile. Une ordonnance d’août 1670 droit de participer aux soins de la partie experti-
réglemente les expertises en matière pénale. Elles sée. Il n’est pas « maître d’œuvre ». C’est comme
mettent fin à la prééminence des juridictions cor- pour toute expertise devant les tribunaux une
poratistes. Un édit de février 1692 crée des offices mesure d’instruction destinée « à éclairer le juge
de médecins et chirurgiens jurés. par des constatations, par une consultation ou par
une expertise sur une question de fait qui requiert
Depuis ces ordonnances de Louis XIV, l’activité
les lumières d’un technicien » (art. 232 du Code de
d’expert judiciaire, quelle que soit la discipline
procédure civile, CPC).
dans laquelle elle s’exerce, ressort aux mêmes
règles, même si celles-ci ont évolué dans le temps. Ce n’est pas l’acte d’expertise qui est médical, mais
celui qui l’accomplit lorsque, dans une affaire
Selon l’ordonnance de 1667, ce sont les parties
intéressant la médecine, le juge a désigné un
qui choisissent les experts, les juges ne les dési-
expert médecin [3].
gnant que par défaut. Ainsi, la France expéri-
mente le système anglais. Après un temps de
flottement lié à la suppression des offices de jurés
en 1791 (loi Le Chapelier du 17 juin 1791), le L’activité d’expert devant
Code de procédure civile de 1806 reprend les les tribunaux est une activité
mêmes dispositions. L’article 27 de la loi du
13  Ventôse an XI (4 mars 1803) fixe les formes
libérale
dans lesquelles sont reçus les docteurs auxquels
Cette caractéristique est affirmée dans la loi
sont réservées les fonctions d’expert près des tri-
no 88-16 du 5 janvier 1988, art. 9-1, reprise dans
bunaux. La loi du 30 novembre 1892 établit les
l’article L. 622-5 du Code de la Sécurité sociale.
premières listes officielles d’experts devant les
L’arrêt Quesnel pris par la chambre sociale de la
tribunaux. La loi de 1971 et le décret de 1974 en
Cour de cassation le 6 juin 1991 ne fait que rappe-
ont fixé la forme actuelle. La loi du 29 janvier
ler l’application de ces deux textes fondamentaux.
2004 sur « le statut de l’expert judiciaire » y
Ce caractère libéral de l’activité d’expert judiciaire
apporte quelques modifications de fond complé-
est général. Ce n’est pas une spécificité de l’exper-
tées dans le décret d’application.
tise judiciaire en discipline médicale. Toutes les
Le caractère inquisitoire du droit français étant activités d’experts judiciaires, même celles exer-
affirmé (en opposition au droit accusatoire anglo- cées dans des disciplines ne relevant pas d’un
saxon), l’expert, dans notre code actuel, est dési- ordre professionnel institué en vertu d’une loi,
gné par le juge. Il est chargé d’une mission précise sont rattachées aux professions libérales. Cela ne
d’enquête sur des faits techniques ou scientifi- veut pas dire que toute expertise judiciaire, quelle
ques. que soit la discipline dans laquelle elle est exercée,
L’activité d’expert judiciaire en discipline médi- est un acte médical. À vouloir trop démontrer,
cale a donc une double caractéristique. l’absurde est vite atteint.
C’est une participation aux activités juridiction- Qui peut être expert en responsabilité médicale ? La
nelles (arrêt du Conseil d’État du 26 février personne consultée sur un dossier médical sera-
1971 – loi du 31 mai 1983 – circulaire du 4 juillet t-elle toujours un médecin ? Pour les juristes, l’ex-
1984). pertise est une partie d’une mesure d’instruction.

71
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Ce n’est pas un acte médical. Elle pourrait être


confiée à un non-médecin.
L’indépendance de l’expert
Le juge peut désigner un expert en dehors de la
judiciaire médecin vis-à-vis
discipline, voire de la branche d’activité stricte du juge et des parties face
dont relève le litige à résoudre s’il estime qu’un au code de déontologie médicale
autre technicien est plus apte à lui apporter la
réponse aux questions qu’il se pose et qu’il pose. Le médecin ne peut aliéner son indépendance
Une telle éventualité n’est pas impossible en méde- professionnelle sous quelque forme que ce soit
cine du fait de la part de plus en plus grande de la (art. 5 du Code de déontologie médicale).
technologie. Elle a ses limites. L’article 234 du
Code de procédure pénale (CPC) ouvre toutes les Il n’y a aucune raison pour que l’indépendance de
possibilités de récusation de l’expert. Toutefois, l’expert judiciaire en médecine soit plus aliénable
quelques brèches restent ouvertes. que celle d’un autre expert judiciaire.
Vis-à-vis du juge, il n’est lié que par la mission.
Le Code civil de 1804 reprenait à son compte l’or-
Il doit répondre aux questions, à toutes les
ganisation « à l’anglaise » de l’expertise judiciaire.
questions, rien qu’aux questions. En contre-
C’est encore le cas actuellement en matière de
partie, le juge n’est pas lié par les constatations
contrefaçon de brevet. Dans notre code actuel, la
ou les conclusions du technicien (art. 246 du
désignation d’un expert par le juge n’est pas une
CPC).
obligation, même en procédure pénale (art. 156
du Code de procédure pénale, loi no 93-2 du 4 jan- Vis-à-vis des parties, l’expert ne peut voir sa res-
vier 1993). Des « conciliateurs médicaux » ont ponsabilité civile recherchée en justice pour l’avis
même été institués par le décret no 81-582 du qu’il a émis dans l’exécution de sa mission. La
15 mai 1981. Cette fonction bénévole ne pouvait cour d’appel de Versailles l’a encore rappelé dans
être exercée que par des magistrats honoraires, son arrêt du 29 mai 1988.
non par des médecins. Cette disposition est Quant aux honoraires et frais de l’expert, ils sont
conforme à l’article 21 du CPC : « il entre dans la taxés avec mesure par le magistrat sous forme
mission du juge de concilier les parties » ; à l’arti- d’une provision (art. 269 du CPC) et de façon
cle 238 : « le technicien ne doit jamais porter d’ap- définitive sur présentation d’un mémoire après
préciation d’ordre juridique » ; à l’article 240 : « le dépôt du rapport. Malgré le caractère libéral de
juge ne peut donner au technicien mission de l’activité, la rémunération et la prise en charge
concilier les parties ». En vertu de ce décret, il était des frais de l’expert judiciaire sont très enca-
établi qu’un litige intéressant des faits médicaux drées et contrôlées par les textes du CPC.
pouvait être concilié par un non-médecin, mais L’article 53 du code de déontologie médicale ne
non indépendamment de tout avis technique. La risque pas d’être transgressé, puisque l’expert
loi no 95-125 du 8 février 1995 a considérablement n’est pas véritablement maître du sort réservé au
assoupli ces dispositions de procédure civile en mémoire qu’il soumet au magistrat taxateur.
créant des conciliateurs ou des médiateurs nom- Par habitude déontologique, il l’établit avec tact
més par le juge et agissant sous son autorité. Le et mesure.
décret d’application no 96-652 du 22 juillet 1996 L’expert judiciaire est un homme libre de ses
ne précise pas si le médiateur est juriste ou expert. avis dans le strict respect de certaines règles. Il
Par contre, ses conditions d’intervention parais- doit être libre face à quelque pression extérieure
sent voisines de celles de l’expert. que ce soit, familiale, amicale, d’intérêt finan-
Ce n’est pas être provocateur que de demander cier, syndical, corporatiste, voire politique ou
« par qui serez-vous jugé ? » : par le juge, bien sûr, d’ambition personnelle. L’objectivité de l’expert
informé par l’expert. S’agissant du droit des per- est à ce prix. Sa confraternité n’a pas à en
sonnes, souhaitons-le. L’expert médecin doit veiller souffrir.
à ne pas être écarté des modes de règlement extra- Il n’est pas d’expertise judiciaire possible sans
juridictionnels des conflits en médecine [4]. indépendance absolue de l’expert.

72
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Bibliographie [4] Hureau J.  Médiation et conciliation. Analyse séman-


tique, application au contentieux en responsabilité
[1] Bornier P. Conférences des Nouvelles ordonnances médicale. Revue Experts, 2008, no 81, 24–27.
de Louis XIV. Tome premier, Article XVI, Tit. XXI. [5] Hureau J, Pütz A. Le statut social des experts judiciai-
Paris, 1994. res. Le décret d’application de l’article 15–1 de la loi du
[2] Glorion B. L’institution ordinale et l’expertise en 23 décembre 1998. Revue Experts, 2000, no 46, 11–12.
responsabilité médicale. Chirurgie, 1996, 121 : [6] Marganne H. La désignation de l’expert devant les juri-
519–521. dictions de l’ordre judiciaire et devant les juridictions
[3] Hureau J. Note sur la nature de l’activité d’expert de l’ordre administratif. Colloque de la Compagnie des
judiciaire en général et en discipline médicale en experts près la Cour administrative d’appel de Paris :
particulier. Chirurgie, 1996, 121 : 564–565. Spécificités de l’expertise administrative au regard de
l’expertise civile, 7 janvier 2004. Sous presse.

Les missions et leurs analyses


É. Cals

Tout médecin peut être appelé occasionnellement celui-ci, qui tient son pouvoir de la loi, doit non
ou habituellement à remplir une mission seulement respecter celle-ci, mais également, les
d’expertise. règles de procédure appropriées.
Il en est ainsi pour l’expertise officieuse, l’exper- De surcroît, la mission donnée à l’expert devra
tise amiable et pour l’expertise judiciaire en être remplie par ce dernier dans le respect, non
matière civile, pénale ou administrative. seulement des règles de procédure, de la loi pénale,
Le recours au médecin expert a pour but d’obtenir de la responsabilité civile, de la déontologie et, s’il
un avis donné par un homme de l’art dans un est expert inscrit sur une liste d’une cour d’appel
domaine où il est particulièrement spécialisé. ou de la Cour de cassation, dans le respect du droit
disciplinaire.
L’avis sollicité sera une réponse à la mission qui
est donnée par la personne qui souhaite obtenir Il y a donc lieu d’analyser les missions du médecin
ledit avis. expert : face à la loi pénale, face aux règles de pro-
cédure, face à sa responsabilité civile, au regard de
La mission peut être simple et vague, dans une la déontologie et de la discipline propres aux
expertise officieuse ou privée. C’est le cas pour experts judiciaires.
une victime demandant à un médecin si elle reste
atteinte de séquelles, suite à un accident dont elle
a été victime.
Dans le cas de l’expertise amiable, la mission trouve La mission du médecin expert
sa source dans un accord conclu librement entre les face à la loi pénale
parties avant ou après la naissance d’un litige. Elle
est essentiellement destinée à les informer. Elle fait Dans l’ancien Code pénal, il n’existait pas de délit
l’objet d’un chapitre qui lui est consacré. propre aux experts dans l’exercice de leur mission.
En matière judiciaire, la mission du médecin Quoiqu’il y ait peu de jurisprudence concernant
expert naît du fait que le juge, habile à donner des des condamnations pénales d’expert dans l’exer-
solutions juridiques à des litiges, a souvent besoin cice de leurs fonctions, le législateur a cru devoir
de l’avis d’un spécialiste pour être éclairé sur une dans le nouveau Code pénal, applicable à compter
question de fait qui échappe, à l’évidence, à sa du 1er mars 1994, créer des délits applicables aux
compétence. Mais, la mission d’origine judiciaire experts à l’occasion de l’accomplissement de leur
n’est pas laissée à la libre appréciation du juge, car mission.

73
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Certes, le sens de l’honneur de chaque médecin De même, pour ce qui concerne la corruption pas-
fixera ce qui doit être fait au cours d’une expertise, sive et le trafic d’influence, l’article 432-11 pré-
mais le citoyen, qui est censé ne pas ignorer la loi, voit : « Est puni de 10 ans d’emprisonnement et de
doit connaître celle-ci d’autant mieux que le 150 000 euros d’amende le fait, par une personne
rédacteur du Code pénal a prévu une répression dépositaire de l’autorité publique chargée d’une
propre aux experts. mission de service public ou investie d’un mandat
Voici les textes du nouveau Code pénal applica- électif public, de solliciter ou d’agréer sans droit,
bles aux experts : directement ou indirectement, des offres, des pro-
messes, des dons, des présents ou des avantages
• l’article 226-13 : « La révélation d’une informa-
quelconques […] soit pour accomplir ou s’abstenir
tion à caractère secret par une personne qui en
d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission
est dépositaire soit par état ou par profession,
de son mandat, ou faciliter par sa fonction, sa
soit en raison d’une fonction ou d’une mission
mission ou son mandat. »
temporaire, est punie d’un an d’emprisonne-
ment et de 15 000 euros d’amende. » ; Ces articles qui traitent de la concussion, diffé-
rente de la corruption, s’appliquent à l’expert qui
• son corollaire, l’article 226-14 : « L’article 226-13
est chargé d’une mission de service public dans le
n’est pas applicable dans les cas où la loi impose
cadre de l’expertise judiciaire.
ou autorise la révélation du secret, en outre, il
n’est pas applicable : à celui qui informe les auto- En ce qui concerne les entraves à l’exercice de la
rités judiciaires, médicales ou administratives justice, l’article 434-20 est ainsi rédigé :
de sévices ou privations dont il a eu connais- « Le fait, par un expert, en toutes matières, de fal-
sance et qui ont été infligés à un mineur ou à sifier, dans ses rapports écrits ou ses exposés
une personne qui n’est pas en mesure de se pro- oraux, les données ou les résultats de l’expertise,
téger en raison de son âge ou de son état physi- est puni selon les distinctions des articles 434-13
que ou psychique ; au médecin qui, avec l’accord et 434-14 de 5 ans d’emprisonnement et 75 000
de la victime, porte à la connaissance du procu- euros d’amende ou de 7 ans d’emprisonnement et
reur de la république les sévices qu’il a constatés 100 000 euros d’amende. »
dans l’exercice de sa profession et qui lui per- Les articles 434-13 et 434-14 distinguent, dans le
mettent de présumer que des violences sexuelles premier, le témoignage mensonger fait sous ser-
de toute nature ont été commises. Lorsque la ment et, dans le second, le témoignage mensonger
victime est mineure, son accord n’est pas lorsqu’il est provoqué par la remise d’un don ou
nécessaire. » d’une récompense quelconque ou lorsqu’il est fait
• La fonction ou la mission temporaire concer- contre ou en faveur d’une personne passible d’une
nant le médecin réalisant une expertise judi- peine criminelle.
ciaire, l’article 432-10 qui traite de la concussion Enfin, l’article 434-9 réprime « le fait par un
édicte : magistrat, un juré ou toute autre personne sié-
« Le fait, par une personne dépositaire de l’auto- geant dans une formation juridictionnelle, un
rité publique ou chargée d’une mission de service arbitre ou un expert nommé soit par une juridic-
public, de recevoir, exiger ou ordonner de perce- tion, soit par les parties ou une personne chargée
voir à titre de droit ou contribution, impôt ou par l’autorité judiciaire d’une mission de concilia-
taxe publics une somme quelconque qu’elle sait tion ou de médiation, de solliciter ou d’agréer sans
ne pas être due ou excéder ce qui est dû, est puni droit, directement ou indirectement, des offres,
de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros des promesses, des dons, des présents ou des avan-
d’amende. Est puni d’une même peine le fait, par tages quelconques pour l’accomplissement ou
les mêmes personnes, d’accorder sous une forme l’abstention d’un acte de sa fonction, est puni de
quelconque ou pour quelque motif que ce soit 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros
une exonération, franchise un droit ou contribu- d’amende. »
tion, impôt ou taxe publics en violation des textes Est-il besoin pour être complet de citer l’article
légaux ou réglementaires. La tentative des délits qui réprime la violation du secret professionnel
prévus au présent article est punie des mêmes que le médecin connaît pour avoir prêté le ser-
peines. » ment d’Hippocrate ?
74
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

L’article 378 de l’ancien Code pénal punit la viola- médicale, mais bien les dispositions contenues
tion du secret professionnel d’un mois à 6 mois dans le jugement.
d’emprisonnement et d’une amende de 500 francs C’est ainsi qu’un tribunal correctionnel, statuant
à 15 000 francs (cf. ci-dessus l’article 226-13 du sur des blessures involontaires et désignant un
NCP). médecin expert, afin de connaître la durée de l’in-
Voici donc les limites répressives qui entourent la capacité totale de travail de la victime qui fixe,
mission du médecin expert. selon la durée de celle-ci, la frontière entre la
contravention et le délit et le même tribunal, ayant
statué sur la culpabilité de l’auteur de blessures
La mission de l’expert-médecin involontaires, désignera un médecin expert afin
d’être renseigné sur l’importance du dommage
face aux règles de procédure corporel subi par la victime. Dans ce dernier cas,
ce seront les règles de la procédure civile qui s’ap-
Il existe différents codes de procédure : pliqueront et dans le premier celles du Code de
Le Code de procédure pénale, issu de la loi du 4 jan- procédure pénale.
vier 1993 modifié par la loi du 24 août 1993, et
deux Codes de procédure civile : l’un, promulgué
en 1806, fréquemment modifié depuis plusieurs Face aux règles de procédure
décennies et dont l’appellation demeure Code de pénale
procédure civile, et l’autre, le nouveau Code de pro-
cédure civile, issu du décret no 75-1123 du 5 décem- Le respect des règles
bre 1975 et du décret no 81-500 du 12 mai 1981. de procédure pénale
Selon la matière pénale ou civile, l’expertise sera Le Code de procédure pénale traite de l’exper-
réglée de façon différente. tise dans ses articles 156 à 169. L’origine de la
Les expertises concernant les victimes d’accidents mission de l’expert est dans l’article 156 : « Toute
de la circulation, d’infractions et d’attentats, le juridiction d’instruction ou de jugement, dans
contentieux de la Sécurité sociale, les pensions le cas où se pose une question d’ordre technique
militaires, les contrats d’assurances et la juridic- peut, soit à la demande du ministère public soit
tion administrative, sont traités dans d’autres d’office ou à la demande des parties, ordonner
chapitres. une expertise… Les experts procèdent à leur
Bien souvent se produit une confusion dans l’esprit mission sous le contrôle du juge d’instruction
de certains experts qui mélangent en toute bonne ou du magistrat que doit désigner la juridiction
foi les dispositions des uns et des autres codes, par- ordonnant l’expertise. »
fois sans prendre conscience des conséquences de Pour l’interprétation de cet article, il est bon d’ex-
nature à engager leur responsabilité civile. traire la circulaire générale du 1er mars 1993 ainsi
Bien souvent cette confusion résulte de la mécon- rédigée : « L’article 156 pose le principe en même
naissance de l’article 10 du Code de procédure temps que les limites du recours à l’expertise.
pénale ainsi rédigé : « L’action civile se prescrit Cette mesure n’est en effet justifiée que dans le cas
selon les règles du Code civil. Toutefois cette où se pose une question technique que la juridic-
action ne peut plus être engagée devant la juridic- tion d’instruction ou de jugement n’est pas à
tion répressive après l’expiration du délai de pres- même de trancher. »
cription de l’action publique » et la loi 81-82 du L’article 158 du code de procédure pénale le pré-
2  février 1981 a apporté une précision d’impor- cise bien : « La mission des experts qui ne peut
tance : « Lorsqu’il a été statué sur l’action publi- avoir pour objet que l’examen pour des questions
que, les mesures d’instruction ordonnées par le d’ordre technique est précisée dans la décision qui
juge pénal sur les seuls intérêts civils obéissent aux ordonne l’expertise. »
règles de la procédure civile. » Il ne peut donc y avoir mission d’expertise que
Ce qui veut dire que ce n’est pas obligatoirement la dans la mesure où le juge, après avoir examiné
juridiction pénale ou civile qui détermine le code attentivement tous les éléments du dossier,
de procédure applicable à une mission d’expertise entendu les parties, confronté celles-ci, entendu

75
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

les témoins, s’être éventuellement transporté sur la rédaction dactylographiée de son rapport, est
les lieux, se rend compte qu’il ne peut résoudre dans l’obligation de faire appel à des collabora-
seul une question qui échappe à sa compétence teurs et ceux-ci sont également tenus au même
alors que la réponse est indispensable à la mani- respect du secret.
festation de la vérité. Il est souhaitable de ne confier ces travaux qu’à
Le juge d’instruction, instruisant à charge et à des collaborateurs de confiance et, éventuelle-
décharge afin d’établir s’il existe des charges suffi- ment, de leur demander un engagement écrit
santes à l’encontre d’un auteur présumé d’un délit qu’ils respecteront le secret professionnel ou de
ou d’un crime, ne peut jamais demander au méde- l’instruction.
cin expert commis de donner un avis sur un pro- Lorsque le médecin expert judiciaire est égale-
blème de droit. ment enseignant, pourra-t-il faire profiter ses
Il ne peut pas non plus charger les experts-méde- étudiants d’éléments en rapport avec sa mission
cins désignés de concilier les parties, par exemple et peut-il faire des communications au sujet de
en matière de coups et blessures, alors qu’il a dési- ce qu’il a constaté au cours de ses travaux
gné un expert pour connaître l’étendue du préju- d’expertise ?
dice subi par la victime. La réponse est affirmative à une seule condition,
La mission de l’expert judiciaire en matière pénale que l’article 73 du décret du 6 septembre 1995
ne doit pas se confondre avec des constatations portant sur le Code de déontologie médicale soit
qui sont parfois demandées à des médecins. respecté, à savoir, « le médecin doit faire en sorte,
Ainsi, la recherche du taux d’alcoolémie d’une lorsqu’il utilise son expérience ou ses documents
victime, ne comportant pas d’interprétation des à des fins d’explications scientifiques d’enseigne-
résultats, est une simple constatation, non une ment, que l’identification des personnes ne soit
expertise (chambre criminelle de la Cour de pas possible. À défaut, leur accord doit être
cassation 2 septembre 1986 no 251, 6 octobre obtenu. »
1986 no 270). Dans l’exercice de sa mission en matière pénale,
Il en est de même pour la recherche d’un groupe d’autres obligations pèsent sur le médecin expert.
sanguin soit d’une victime, soit de l’inculpé (cas- En effet, il procède à sa mission sous le contrôle du
sation criminelle 7 juin 1988 no 258). juge d’instruction ou du magistrat désigné par la
juridiction ayant ordonné l’expertise.
La mission du médecin expert en matière pénale
est soumise à des obligations qui doivent être L’article 161 précise que « les experts doivent rem-
rigoureusement respectées. plir leur mission en liaison avec le juge d’instruc-
Les ignorer peut entraîner l’annulation de l’exper- tion ou le magistrat délégués ; ils doivent le tenir
tise avec des conséquences graves pour le mis en au courant du développement de leurs opérations
examen ou pour la victime qui verrait ainsi retardé et le mettre à même de prendre à tout moment
le cours de la justice ou encore, dans certains cas, toutes mesures utiles. »
de se trouver dans l’impossibilité de refaire l’ex- Il en résulte que l’expert doit révéler au juge tout
pertise annulée dans le cas, par exemple, du décès ce qu’il apprend au cours de sa mission.
de la personne examinée. Il ne viole pas le secret professionnel s’il révèle ce
L’expert désigné en matière pénale ne bénéficie qu’il a pu découvrir à l’occasion de l’expertise et,
pas dans l’exercice de sa mission d’une totale en particulier, des faits nouveaux.
liberté d’action. En faisant cela, il demeure dans les limites de sa
Il doit en effet remplir sa mission en respectant mission.
l’article 11 du Code de procédure pénale, à savoir On peut donner un exemple simple : un expert
le secret de l’instruction dans les conditions et désigné par un juge d’instruction afin de détermi-
sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du ner la durée d’une incapacité de travail s’aperçoit
Code pénal précités. que la victime présente des documents médicaux
Tenu au secret professionnel et à celui de l’ins- manifestement faux, il lui appartient d’attirer l’at-
truction, le médecin expert, ne serait-ce que pour tention du juge sur ces faits et, ce faisant, il demeure

76
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

dans les limites de sa mission et ne viole ni le secret faire appel à un médecin particulièrement compé-
professionnel, ni le secret de l’instruction. tent dans une spécialité ne figurant pas sur les lis-
Il en serait de même s’il apprenait que le mis en tes prévues à l’article 157 du Code de procédure
examen qu’il doit examiner avait l’intention de pénale.
prendre la fuite ou de faire disparaître des preu- Dans ce cas, il devra veiller à prêter le serment,
ves. La révélation s’imposerait alors conformé- chaque fois qu’il sera commis, d’apporter son
ment aux dispositions de l’article 161, alinéa 3, concours à la justice en son honneur et en
précédemment rapportées. conscience.
Le médecin expert peut être confronté à des situa- Ce serment sera prêté soit devant le juge d’ins-
tions liées à sa propre compétence. truction, soit devant le magistrat désigné par la
En recevant une mission, le médecin doit s’inter- juridiction de jugement et le procès-verbal de
roger sur sa propre compétence à remplir la mis- prestation de serment sera signé par le magistrat
sion qui lui est confiée. compétent, l’expert et le greffier.
En cas d’empêchement dont les motifs doivent
En effet, si l’expertise n’est pas bonne, la justice ne
être précisés, le serment peut être reçu par écrit et
l’est pas non plus. Mais, sans aller jusqu’à se
la lettre de serment est annexée au dossier de la
déporter, l’article 162 du Code de procédure
procédure.
pénale prévoit que « si les experts demandent à
être éclairés sur une question échappant à leur Le médecin désigné dans ces conditions devra
spécialité, le juge peut les autoriser à s’adjoindre être particulièrement attentif aux formalités.
des personnes nommément désignées, spéciale- Certes, l’article 160 du Code de procédure pénale
ment qualifiées pour leur compétence », c’est-à- n’exige pas une prestation de serment préalable au
dire qu’il n’appartient pas au médecin expert commencement des opérations, surtout si le
judiciaire en matière pénale de s’adjoindre spon- médecin est désigné exceptionnellement vu l’ur-
tanément un sapiteur ou de solliciter l’avis d’un gence, mais cette prestation de serment doit inter-
confrère dont il ferait état dans son rapport. venir à brefs délais et au moins plusieurs jours
Pratiquer ainsi entraînerait une nullité d’ordre avant le dépôt de son rapport (cassation crimi-
public, c’est-à-dire à laquelle aucune des parties nelle 17 juin 1976 no 220).
au procès pénal ne pourrait renoncer et que la Il ne suffira pas à l’expert de mentionner dans son
juridiction devrait soulever d’office. rapport que la prestation de serment a eu lieu s’il
ne figure au dossier de la procédure soit un pro-
Il en est ainsi lorsque l’expert n’a pas prêté ser-
cès-verbal constatant la prestation de serment,
ment, lorsqu’il n’a pas mis de date ou de signature
soit la lettre de serment conforme aux prescrip-
sur le procès-verbal de serment ou sur le rapport,
tions de l’article 160.
ou encore en cas d’absence d’autorisation dans le
choix du sapiteur. Ce formalisme étroit doit être scrupuleusement
respecté, faute de quoi la mission de l’expert serait
Enfin, pour être complet, la mission de l’expert en frappée d’une nullité absolue dite substantielle.
matière pénale impose au médecin d’autres
obligations. Le médecin expert doit enfin ne pas faire preuve
de négligence dans l’exécution de sa mission.
S’il n’est pas inscrit sur l’une des listes prévues à
L’article 161 prévoit que toute décision commet-
l’article 157, c’est-à-dire soit la liste nationale éta-
tant un expert doit lui impartir un délai pour
blie par le bureau de la Cour de cassation, soit sur
remplir sa mission.
une des listes dressées par les cours d’appel, il peut
cependant être, à titre exceptionnel, désigné par Il est souvent difficile de respecter les délais
décision motivée. impartis.
Dans ce cas, le médecin désigné devra bien véri- Si, en pratique, en matière civile certains retards
fier que, ne figurant pas sur une liste prévue, sa sont admis, il n’en est pas de même en matière
désignation est motivée, c’est-à-dire, en pratique, pénale.
que, vu l’urgence, aucun expert figurant sur les En effet, la convention européenne de sauvegarde
listes n’est disponible ou qu’il est nécessaire de des droits de l’homme et des libertés ­fondamentales

77
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

individuelles prévoit que « toute personne a droit posent d’un délai de 10 jours pour demander au
à ce que sa cause soit entendue équitablement, juge d’instruction de modifier ou de compléter les
pratiquement et dans un délai raisonnable par questions posées à l’expert ou d’adjoindre à l’ex-
un tribunal indépendant et impartial, établi par pert ou aux experts déjà désignés un expert de
la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses leur choix figurant sur une des listes mentionnées
droits et obligations de caractère civil, soit du à l’article 157. Cependant, cet article n’est pas
bien-fondé de l’acte d’accusation, soit du bien- applicable aux expertises dont les conclusions
fondé de l’acte d’accusation en matière pénale n’ont pas d’incidence sur la détermination de la
dirigé contre elle. » culpabilité de la personne mise en examen et dont
Il appartient donc au médecin expert désigné en la liste est fixée par décret.
matière pénale d’effectuer dans les plus brefs délais
sa mission tout en respectant le formalisme qui l’en- Le déroulement de la mission
toure. Il ne devra pas faire une confusion avec l’ex- Après avoir respecté les dispositions du Code de
pertise civile, où il n’est saisi que sur avis du greffier procédure pénale relatives à l’expertise, le méde-
l’informant que la consignation ordonnée à valoir cin expert va procéder à sa mission en examinant
sur ses honoraires, a été effectivement réglée. soit le mis en examen, soit la victime.
Si pour des raisons particulières le rapport ne peut S’il s’agit d’un mis en examen placé en détention
être déposé dans les délais prescrits, l’expert doit provisoire, ou d’un détenu purgeant une peine de
solliciter du magistrat ou de la juridiction qui l’a privation de liberté, l’examen aura lieu dans le
désigné une prorogation ; car les experts qui ne centre de détention : soit à l’infirmerie de l’éta-
déposent pas leurs rapports dans le délai peuvent blissement, soit au parloir des avocats et des visi-
être immédiatement remplacés et doivent rendre teurs, où l’expert pourra s’entretenir librement
compte des investigations auxquelles ils ont déjà avec l’intéressé.
procédé.
L’examen devra avoir lieu dans des conditions res-
Ils doivent aussi restituer dans les quarante-huit pectant la dignité de la personne.
heures les objets, pièces et documents qui leur ont
été confiés en vue de l’accomplissement de leur Doit-on en déduire que d’autres parties, en parti-
mission. Ils peuvent en outre être l’objet de mesu- culier des parties civiles et, a fortiori, des person-
res disciplinaires allant de l’omission à la radia- nes totalement étrangères à la procédure assistent
tion de la liste sur laquelle ils sont inscrits. à leurs opérations ?
La radiation d’une liste empêche le médecin d’être En effet, dans la mesure où l’examen médical est
à nouveau inscrit avant le délai de trois ans. destiné à établir les éventuelles responsabilités
pénales du mis en examen, celui qui est protégé
L’expérience démontre qu’après une radiation il par le secret de l’instruction, bénéficiant aussi du
est rarissime de voir un expert à nouveau inscrit secret médical, ne peut être entendu en présence
sur une quelconque liste. de tiers.
Le médecin expert judiciaire en matière pénale Cela est particulièrement souligné par monsieur
doit également éviter de faire une confusion avec le conseiller Viennois dans son commentaire des
l’expertise en matière civile. articles 156 à 169-1 au juris-classeur pénal : « le
Il n’a pas à aviser les avocats des parties, puisque Code de procédure pénale, dans le 4e alinéa de
l’article 164 du Code de procédure pénale stipule : l’article 164, a pris une disposition spéciale rela-
« toutefois les médecins et les psychologues experts tive aux expertises médicales. Elle est justifiée tant
chargés d’examiner l’inculpé peuvent lui poser les par le caractère absolu du secret médical que le
questions nécessaires à l’accomplissement de leur “secret de l’information”, qui serait insuffisant à
mission, hors la présence du juge et des avocats ». sauvegarder, que par les difficultés présentées par
La loi du 5 mars 2007 a modifié l’article 161-1 du l’expertise réalisée en présence de tiers, devant
code de procédure pénale a renforcé les droits de lesquels les inculpés pourraient éprouver de légi-
la défense. times réticences à se confier au médecin.
En effet, la décision ordonnant une expertise est Les expertises psychiatriques, surtout, seraient
adressée sans délai aux avocats et parties qui dis- techniquement impossibles dans de telles condi-

78
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

tions. Aussi a-t-on maintenu le système tradition- Face au code de procédure civile
nel du tête à tête entre le médecin et la personne
examinée… » Le respect des règles
Cependant, admettre lors d’une expertise pénale, de procédure civile
la présence de médecins représentant les parties Dans une instance, le juge peut avoir besoin d’ob-
civiles lors de l’examen de l’intéressé, peut entraî- tenir les lumières d’un technicien sur une ques-
ner des demandes de nullité des opérations d’ex- tion de fait qui échappe à ses connaissances.
pertise médicale ; encore qu’un arrêt récent de la
C’est alors l’application de l’article 232 du Code de
chambre criminelle de la Cour de cassation
procédure civile (CPC) : « Le juge peut commettre
(21 avril 1996 no 2075 X/M.P.) a décidé : « Attendu
toute personne de son choix pour l’éclairer par
que, pour rejeter l’exception de nullité des opéra-
des constatations, par une consultation, par une
tions de l’expertise médicale du prévenu qu’ils
expertise sur une question de fait qui requiert les
avaient ordonnée, les juges du second degré énon-
lumières d’un technicien. »
cent que la présence de médecins représentant les
parties civiles lors de l’examen de l’intéressé n’était Rares sont les cas où un médecin peut être amené
pas contraire aux règles en la matière, aucune nul- à procéder à des constatations prévues aux arti-
lité substantielle ni textuelle n’est établie. cles 249 à 255 du nouveau Code de procédure
civile.
Attendu qu’en prononçant ainsi, et dès lors que,
d’une part, selon l’article 164, alinéa 1 du Code de Plus souvent lorsque la question purement techni-
procédure pénale alors applicable, les experts que ne requiert pas d’investigations complexes, le
peuvent entendre à titre de renseignement et pour juge en application de l’article 256 du nouveau
l’accomplissement strict de leur mission des per- Code de procédure civile peut charger la personne
sonnes autres que le prévenu et que d’autre part, il qu’il commet de lui fournir une simple consulta-
n’a pas été procédé à une confrontation entre le tion. En matière médicale, la consultation est le
prévenu et les médecins présents, la cour d’appel plus souvent écrite et le juge impartit un délai
n’a méconnu aucun des textes invoqués. pour son dépôt au secrétariat de la juridiction.
En ce qui concerne l’examen de la victime, il en Les articles 256 à 262 du nouveau Code de procé-
sera de même mais l’on ne pourra admettre la pré- dure civile réglementent la consultation qui est
sence du mis en examen ou de son médecin-­ différente de l’expertise mais qui est régie par les
conseil puisque celui-ci, a priori, ne peut connaître dispositions communes aux constatations, consul-
la victime. » tations et expertises dont les principes essentiels
sont les suivants :
Critique de l’expertise pénale • le technicien doit remplir personnellement la
mission qui lui est confiée (art. 233) ;
L’accès à l’expert en matière pénale est unique-
• le technicien peut être récusé pour les mêmes
ment contrôlé par les juridictions répressives.
causes que les juges et ce sera le cas lorsque le
Par ailleurs, la mission en matière pénale se heurte médecin expert a été le médecin traitant de la
à la distinction entre questions d’ordre technique personne à examiner (art. 234) ;
et questions d’ordre juridique. Selon le sens donné
• le technicien commis doit accomplir sa mis-
à ces notions, il peut y avoir des difficultés pou-
sion avec conscience, objectivité et impartialité
vant aller jusqu’au refus de l’expertise. Notons que
(art. 237) ;
l’expertise est souvent nécessaire pour éviter l’er-
reur judiciaire. • le technicien doit respecter les délais qui lui sont
impartis pour remplir sa mission (art. 239) ;
On peut critiquer également le défaut de libre
choix de l’expert, quoique les modifications de • le juge ne peut donner au technicien mission de
l’article 161-1 du code de procédure pénale lais- concilier les parties (art. 240) ;
sent augurer d’une amélioration des droits de la • le technicien peut recueillir des informations
défense (à ce sujet, cf. l’ouvrage de Y. Arnoux : « Le orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce
recours à l’expertise en matière pénale », Presses que soient précisés leur nom, prénom, demeure
Universitaires Aix-Marseille édit 2004). et profession ainsi que, s’il y a lieu, leur lien de

79
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

parenté ou d’alliance avec les parties, de subor- En effet, l’article 269 du nouveau Code de procé-
dination à leur égard, de collaboration ou de dure civile prévoit que le juge qui ordonne l’exper-
communauté d’intérêts avec elle (art. 242) ; tise fixe, lors de la nomination de l’expert ou dès
• le technicien peut demander communication de qu’il est en mesure de le faire, le montant d’une
tout document aux parties ou aux tiers, sauf au provision à valoir sur sa rémunération aussi pro-
juge à l’ordonner en cas de difficulté (art. 243) ; che que possible de sa rémunération définitive
prévisible.
• le technicien doit faire connaître dans son avis
toutes les informations qui apportent un éclair- En matière médicale, dans le ressort d’une même
cissement sur les questions examinées. Il lui est cour d’appel, la provision est fixée d’une manière
interdit de révéler les autres informations dont il uniforme, parfois différente selon qu’il s’agit d’une
pourrait avoir connaissance à l’occasion de consultation ou d’une expertise, ou encore de la
l’exécution de sa mission. Il ne peut faire état qualité de l’expert désigné.
que des informations légitimement recueillies Le greffier invite les parties qui ont la charge de
(art. 244). régler la provision fixée par le juge de le faire et,
C’est là que se situe la grande différence qui existe dès que cette consignation a été effectuée, il en
entre la matière pénale, où le technicien est dans informe l’expert. Sans avoir reçu l’avis de la consi-
l’obligation de tout révéler sur ce qu’il apprend au gnation, l’expert, même si la mission existe, n’est
cours de sa mission, et la matière civile, où il n’a ni légitimement saisi ni dans l’obligation d’effec-
qu’à répondre aux questions qui lui sont posées. tuer celle-ci. Même requis par l’une des parties, il
doit attendre l’avis de consignation adressé par le
Enfin, et c’est un élément commun à la matière greffier.
civile et à la matière pénale, le juge n’est pas lié par
les constatations ou les conclusions du technicien En effet, selon l’article 271 du nouveau Code de
(art. 246). procédure civile, à défaut de consignation dans le
délai et selon les modalités imparties, la désigna-
En ce qui concerne l’expertise, elle est différente
tion de l’expert est caduque à moins que le juge, à
de la consultation et de la constatation, puisque
la demande de l’une des parties, se prévalent d’un
seules les dispositions communes s’appliquent à la
motif légitime de décider une prorogation du délai
constatation et à la consultation, alors que l’exper-
ou un relevé de la caducité. L’expert doit alors
tise est réglementée par les articles 263 à 284-1.
accomplir sa mission sans oublier l’existence des
Avant d’examiner la mission d’expertise en parties à l’instance afin d’assurer le caractère
matière civile, il est bon de rappeler que l’exper- contradictoire à celle-ci.
tise est un mode de preuve au cours de l’instance
et que conformément à l’article premier du nou- C’est pour cela, et c’est encore une différence fon-
veau Code de procédure civile, seules les parties damentale avec une expertise en matière pénale,
introduisent l’instance, hors les cas où la loi en que l’expert doit prendre en considération les
dispose autrement ; qu’elles ont la liberté d’y observations ou réclamations des parties et,
mettre fin avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les
jugement ou en vertu de la loi. Les parties parties le demandent.
conduisent l’instance sous les charges qui leur Il doit alors faire mention dans son avis de la suite
incombent. Il leur appartient d’accomplir les qu’il leur aura donnée.
actes de la procédure dans les formes et délais Afin d’assurer le contradictoire en matière civile,
requis (art. 2). l’expert doit convoquer par lettre recommandée
C’est-à-dire que si les parties se concilient au cours avec demande d’avis de réception les parties et
de l’expertise avant le dépôt du rapport, la mission les tiers qui doivent apporter leur concours à
donnée à l’expert-médecin devient sans objet et il l’expertise.
n’y a pas lieu de déposer le rapport d’expertise. Cette obligation de convoquer entraîne la nullité
En outre, l’expertise en matière civile ne débute de l’expertise lorsque l’expert a procédé à ses
que lorsque la consignation de la provision desti- investigations sans avoir convoqué les parties.
née à rémunérer les honoraires de l’expert a été Cette nullité est relative, car elle doit être deman-
versée. dée par une des parties à l’instance.

80
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Les défenseurs des parties sont avisés par lettre tuée dans le délai, selon les modalités fixées par le
simple. juge et sauf prorogation de ce délai, l’expert dépo-
Il ne suffit pas que le rapport ait été communi- sera son rapport en l’état (art. 280). Bien entendu,
qué aux parties et que ces dernières aient été il appartiendra à l’expert d’aviser par lettre recom-
mises à même d’en débattre à l’audience dès mandée avec accusé de réception les parties sur
l’instant qu’une des parties n’a pas été convo- les conséquences d’un défaut de consignation.
quée régulièrement. Pratiquer autrement ferait courir à l’expert un ris-
L’expert a donc l’obligation de convoquer les par- que financier, car, conformément aux dispositions
ties par lettre recommandée avec accusé de récep- de l’article 269 du nouveau Code de procédure
tion et d’adresser aux défenseurs de celles-ci un civile, ce sont les parties qui font l’avance et qui
avis par lettre simple. règlent l’expertise.
Donc, commencer une expertise ou la poursuivre
S’il y a plusieurs réunions d’expertise, l’obligation
alors que des frais vont exceptionnellement dépas-
de convoquer les parties à nouveau pèse sur l’ex-
ser le montant de la provision fixée, entraîne le
pert selon les mêmes formes, sauf si la nouvelle
risque qu’elle ne soit pas honorée.
date a été convenue avec toutes les parties présen-
tes ou représentées. Celui-ci pourrait en effet voir les parties débitrices
de l’expertise contester le coût de celle-ci même
Le médecin expert en matière civile a la possibilité
après fixation de l’ordonnance de taxe rendue par
de prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un
le juge, car les examens médicaux complémentai-
autre technicien, mais seulement dans une spécia-
res et les analyses nécessaires peuvent être parti-
lité distincte de la sienne.
culièrement coûteux et la partie débitrice
Bien souvent, alors que l’article 278 du nouveau prétendre qu’elle aurait renoncé si elle en avait
Code de procédure civile ne le prescrit pas, le juge connu préalablement le coût.
n’oublie pas d’inclure cette possibilité dans la mis- S’agissant d’une expertise civile et si la victime est
sion donnée à l’expert. couverte par un régime de Sécurité sociale, l’ex-
Bien mieux, aucun texte n’exige que le spécialiste pert ne peut en aucun cas, pas plus que le médecin
consulté soit lui-même inscrit sur la liste des traitant, prescrire lesdits actes en vue d’un rem-
experts près la cour d’appel ou la Cour de cassa- boursement par les caisses centrales d’assurance
tion. Dans le cas où l’avis d’un spécialiste a été maladie, l’expertise qui constitue un avis sur un
recueilli, il est indispensable que l’expert le porte point médical précis ne peut être considérée
à la connaissance des parties afin de leur permet- comme étant nécessaire à un diagnostic ou consti-
tre d’en discuter. tuant des soins de la personne examinée.
La mission de l’expert doit être remplie dans les Il en est de même des frais de transport de la per-
délais qui ont été fixés par le juge. sonne se rendant à la convocation de l’expert : ils
Certes, si l’expert se heurte à des difficultés qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme
font obstacle à l’accomplissement de sa mission ou devant être remboursés par la caisse de Sécurité
si une extension de celle-ci s’avère nécessaire, il en sociale. Le remboursement de ces frais ne peut
fait rapport au juge et celui-ci peut, en se pronon- être compris que dans le cas d’une réclamation au
çant, proroger le délai dans lequel l’expert doit titre de l’article 700 du nouveau Code de procé-
déposer son rapport (art. 279). De même, si l’ex- dure civile.
pert justifie avoir fait des avances, par exemple en Celui-ci permet en effet au juge qui condamne la
matière médicale : pour des analyses ou des exa- partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie per-
mens qu’il a personnellement commandés, il peut dante, à payer à l’autre partie la somme qu’il
être autorisé à prélever un acompte sur la somme détermine au titre des frais exposés et non com-
consignée à titre de provision. pris dans les dépens.
En outre, si la provision allouée devient insuffi- L’expert pouvant avoir une satisfaction person-
sante, il doit demander au juge d’ordonner la nelle à la lecture du jugement rendu au vu de son
consignation d’une provision complémentaire ; et rapport, l’article 284-1 précise que, s’il le demande,
dans le cas où la consignation ne serait pas effec- une copie du jugement rendu au vu de son avis lui

81
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

est adressée ou remise par le greffier de la L’article 162 du nouveau Code de procédure civile
juridiction. leur donne la qualité de suivre l’exécution de la
mission d’expertise, de présenter des dires et tou-
Le déroulement de l’expertise tes les demandes relatives au déroulement de l’ex-
pertise et ce, même en l’absence de la partie qu’ils
En matière civile, après avoir respecté les disposi- représentent.
tions du Code de procédure civile en ce qui
Les assistants techniques, médecins-conseils ou
concerne les convocations, l’expertise se dérou-
« médecins recours » peuvent lors de l’expertise
lera soit au cabinet du médecin, soit dans l’établis-
intervenir oralement, mais leurs dires écrits doi-
sement hospitalier où se trouverait la victime hors
vent pour leur validité être contresignés, soit par
d’état de se déplacer.
la partie elle-même, soit par l’avocat ou l’avoué à
Dans un arrêt du 12 janvier 1999, la 1re chambre la Cour.
civile de la Cour de Cassation a rendu une déci-
Certains experts judiciaires croient pouvoir écar-
sion de principe qui prévoit tout ce qu’un expert
ter les parties de la discussion qui s’instaure après
doit faire et ne doit pas faire dans le déroulement
l’examen de la victime entre le médecin expert et
d’une expertise.
les autres médecins assistant les parties.
Désigné par décision judiciaire, l’expert médecin
Cette façon de procéder est strictement contraire
est investi par l’article 233 du Nouveau Code de
aux dispositions de l’article 4 du Décret du 6 sep-
procédure civile d’une mission de service public
tembre 1995 portant code de déontologie médi-
de la justice.
cale qui dispose que le secret professionnel est
Il doit donc respecter les dispositions du Code de institué dans l’intérêt des patients.
procédure civile, entre autres.
Cet argument ne peut être retenu, puisque le secret
Il faut tout d’abord éclaircir la situation des méde- professionnel est institué en faveur des patients et
cins-conseils des compagnies d’assurances qui interdire à celui-ci, à son avocat ou à son avoué de
assistent à l’expertise. participer à la discussion fait perdre à l’expertise le
Leur existence n’est pas consacrée par la Loi. caractère contradictoire nécessaire.
La loi ne connaît que les « assistants techniques » L’argumentation soutenue par ces médecins
prévus à l’article 161, alinéa 1er du Nouveau Code experts concernant le secret professionnel ne
de procédure civile et également mentionnés en résiste pas non plus à l’examen, puisque l’avocat
matière amiable à l’article 16 du Décret numéro ou l’avoué est également tenu au secret profes-
86-15 du 6 janvier 1986 pris en application de la sionnel.
loi Badinter. L’article 16 du nouveau Code de procédure
L’expert judiciaire ne devra pas conférer un rôle civile précise que l’expert investi d’une mission
procédural à ceux que l’on appelle « médecins- par le Tribunal « ne peut retenir dans sa déci-
recours », car ils n’ont aucune existence légale. sion les moyens, les explications et les docu-
Il ne s’agit donc là encore que d’un médecin assistant ments invoqués ou produits par les parties que
technique qui peut apporter un rapport d’expertise si celles-ci ont été à même d’en débattre contra-
privé, éventuellement communiqué à l’expert judi- dictoirement ».
ciaire à l’appui des dires de la victime. Il est évident que si le patient et ses mandataires
Il faut donc à l’expert judiciaire ne pas donner un avocats ou avoués sont exclus de la discussion
rôle procédural aux médecins recours ou méde- médicale, le caractère contradictoire de l’exper-
cins-conseils qu’ils n’ont point. tise sera vicié.
En effet, ne peuvent représenter la victime en En outre, lors de la rédaction de son rapport, le
matière judiciaire, lorsqu’il s’agit d’affaires avec médecin expert peut être tenté de mentionner que
représentation obligatoire (devant le Tribunal de ses conclusions sont faites en accord avec les
grande instance, par exemple), que les avocats et les médecins-conseils des parties.
avoués à la Cour d’Appel. Ils assistent leurs clients Il faut observer que les médecins-conseils des par-
au cours des opérations de l’expert judiciaire, car ils ties ne peuvent donner un accord, puisqu’ils ne
sont les mandataires légaux des parties. sont pas mandataires de celles-ci.

82
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Il semble que cette façon de procéder se heurte pas nécessairement inscrit sur les listes de la cour
aux dispositions de l’article 240 du Code de pro- d’appel ou de la Cour de cassation.
cédure civile qui interdit au juge de donner au Il n’y aura généralement pas de difficulté à déter-
technicien mission de concilier les parties. miner une spécialité distincte, sauf en matière
La mention d’un accord des médecins-conseils d’odontologie.
des parties ressemble fort à une conciliation entre En effet, la directive 78/687 de la communauté
celles-ci dont le caractère est critiquable et provo- économique européenne (CEE) du 25 juillet 1978
que ultérieurement des discussions qui auraient précise : « Les États membres assurent que, dès la
pu être évitées par une meilleure rédaction du mise en application de la présente directive, la for-
rapport. mation du praticien de l’art dentaire lui confère
L’accomplissement de la mission du médecin avec les compétences nécessaires pour l’ensemble des
confiance, objectivité et impartialité se suffit à elle activités de prévention, de diagnostic et de traite-
seule et il n’est nullement besoin de l’accord ou de ment concernant les anomalies et maladies des
l’agrément des parties ou de leurs conseils. dents, de la bouche, des mâchoires et des tissus
attenants. »
La communication Par rapport à l’article L. 373 du Code de la santé
des documents publique, cette directive élargit le champ d’activité
des chirurgiens dentistes aux tissus attenants aux
Le médecin, conformément à l’article 243, peut
mâchoires ; c’est-à-dire que le chirurgien-dentiste
demander communication de tous documents
est compétent pour le traitement des mâchoires,
aux parties ou aux tiers pour les besoins de sa
gencives, langue, lèvres, palais, luette, le plancher
mission.
de la bouche situé sous la langue, les nombreux
L’expert se verra généralement remettre l’ensem- muscles et ligaments s’insérant sur les mâchoires,
ble des documents médicaux, des examens et ana- l’os temporal, les os propres du nez, l’articulation
lyses qu’il se devra de restituer à la fin de sa temporo-mandibulaire…
mission.
Il y aura là matière à discussion en ce qui concerne
Il risque cependant de rencontrer des difficultés la compétence du médecin stomatologiste et du
pour obtenir des tiers la communication de ces chirurgien-dentiste, celle de ce dernier, étendue
documents, par exemple pour la remise d’un dos- par la directive européenne, recouvrant partielle-
sier médical hospitalier où un refus pourra être ment l’activité du médecin stomatologiste.
opposé.
Une certaine prudence sera donc indispensable
Or le médecin expert est investi d’une mission de dans le choix du sapiteur en ces matières.
justice et agit en tant que tel.
En cas de difficulté, il peut saisir le juge qui rendra
une ordonnance faisant injonction, voire sous La formulation des missions
astreinte au tiers, de communiquer les documents En matière civile
réclamés. Ce dernier ne pouvant pas exciper du
secret médical auquel il est tenu par ailleurs. Il existait une grande disparité dans les formula-
tions de missions d’expertise en matière civile.
Sur le plan pratique, les tiers se satisferont bien
Chaque juge avait sa propre formule qu’il utilisait
souvent d’un accord écrit de la victime autorisant
habituellement, de telle sorte que cette disparité
la communication des documents médicaux la
entraînait pour les victimes une certaine inéga-
concernant, à l’expert.
lité, allant même pour certains à choisir, dans la
mesure du possible, une juridiction plutôt qu’une
Le choix des sapiteurs
autre. Des propositions d’harmonisation ont été
Le médecin expert en matière civile a la possibilité faites et l’on peut citer les travaux d’Y. Lambert-
de prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un Faivre (Recueil Dalloz mai 1994, p. 516),
autre technicien, mais seulement dans une spécia- L’harmonisation de la réparation des préjudices
lité distincte de la sienne. Il peut donc, sans auto- corporels dans l’Union européenne sous la direc-
risation du juge, choisir un spécialiste qui ne sera tion de J. Hureau (rapport de l’Académie ­nationale

83
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

de médecine, Lavoisier édit. Cachan 2007) et enfin sauvegarde ou de rééducation particulière, un


le rapport de la Commission Dintilhac : Rapport traitement, des soins spéciaux, ou s’ils compor-
du groupe de travail chargé d’élaborer une nomen- tent des contre-indications professionnelles ou
clature des préjudices corporels – Cour de cassa- autres ;
tion – Documentation Française édit. Paris 2005. • déterminer son quotient intellectuel ;
À partir de ce rapport, de nombreux projets de • faire toutes observations estimées utiles.
mission d’expertise ont été proposés, en particu-
lier la mission type de la CNAMed, extrêmement Les questions classiques en ce qui concerne l’ex-
complète (cf. l’annexe du sous-chapitre L’expertise pertise pénale, psychiatrique et médico-psycho-
pour une commission régionale de conciliation et logique des victimes d’agressions sexuelles
d’indemnisation). demandent qu’il soit répondu sur l’état actuel de
la personnalité, le niveau intellectuel, les élé-
En matière pénale ments de tempérament, de personnalité, de
caractère, l’influence des facteurs familiaux et
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code sociaux. Mais comme le précise R. Ropert, psy-
pénal, la mission qui relevait de l’application de chiatre des hôpitaux, il peut y avoir une série de
l’article 64 du Code pénal à savoir : qu’il n’y a ni questions complémentaires de nature plus spéci-
crime ni délit lorsque le prévenu était en état de fique qui portent, les unes, sur les conséquences
démence au temps de l’action, va se trouver psychologiques et psychiques à terme de l’agres-
modifiée. sion sexuelle et, les autres, sur la crédibilité des
En effet, l’article 122-1 alinéas 1 et 2 du nouveau victimes.
Code pénal prévoit que « n’est pas pénalement res- Ainsi, il pourrait y avoir des formulations
ponsable la personne atteinte au moment des faits variées, telles que « définir le degré de crédibilité
d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant qu’il y a lieu d’accorder aux déclarations de la
aboli son discernement ou le contrôle de ses victime, dire s’il s’agit d’un sujet anormalement
actes ». suggestif ou influençable ou si, au contraire ses
L’alinéa 2 précise que « la personne qui était déclarations sont dignes de foi » et, parfois,
atteinte au moment des faits d’un trouble psychi- « dire s’il s’agit d’une personne vicieuse, per-
que ou neuropsychique ayant altéré son discerne- verse, portée à fabuler, à mentir, ou au contraire
ment ou entravé le contrôle de ses actes demeure une personne aux déclarations de laquelle il y a
punissable », mais la juridiction tient compte de lieu d’ajouter foi ».
cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine
et en fixe le régime.
La mission sera donc nouvelle et, si l’état de La mission de l’expert face
démence tel que prévu à l’article 64 était rarement
constaté, l’avenir nous dira si l’existence de trou- à la déontologie
ble psychique ou neuropsychique ayant aboli le
discernement ou le contrôle des actes est plus sou- Si les missions en matière d’accident ne présentent
vent retenue. aucune difficulté particulière pour être remplies
par le médecin expert compte tenu de ses connais-
Les autres missions en matière pénale concerne- sances, ce dernier doit également tenir compte du
ront le mis en examen, il sera alors donné une Code de déontologie médicale (décret du 6 sep-
mission médico-psychologique du type suivant : tembre 1995).
• procéder à l’examen médical, l’examen psycho- Les articles 105 à 108 traitent de l’exercice de la
logique du sujet ; médecine d’expertise. Il n’est pas inutile de les
• dire si ce sujet présente des troubles ou déficien- rappeler :
ces physiques ou psychiques susceptibles d’in- • Art. 105 : « Nul ne peut être à la fois médecin
fluencer son comportement ; expert et médecin traitant d’un même malade.
• dire si les troubles ou déficiences constatés ren- Un médecin ne doit pas accepter une mission
dent nécessaire une mesure de protection, de d’expertise dans laquelle sont en jeu ses pro-

84
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

pres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un ponsabilités encourues. Le médecin expert devra
de ses proches, d’un de ses amis ou d’un grou- donc, en recevant une mission d’expertise en
pement qui fait habituellement appel à ses matière de responsabilité médicale, analyser les
services. » questions qui lui sont posées, vérifier si elles ne
• Art. 106 : « Lorsqu’il est investi d’une mission sont pas étrangères à la technique proprement
le médecin expert doit se récuser s’il estime médicale, à ses propres connaissances, à ses pro-
que les questions qui lui sont posées sont étran- pres possibilités et également si elles ne sont pas
gères à la technique proprement médicale, à ses contraires à la déontologie réglant les rapports des
connaissances, à ses possibilités ou qu’elle l’ex- médecins entre eux et avec les autres professions
poserait à contrevenir aux dispositions du pré- de santé.
sent code. » Il est vrai que le médecin investi d’une mission de
• Art. 107 : « Le médecin expert doit, avant d’en- justice pourra toujours prétendre que, lorsqu’il
treprendre toute opération d’expertise, informer agit en tant qu’expert, il est un auxiliaire de justice
la personne qu’il doit examiner de sa mission et et non soumis aux règles de la profession de
du cadre juridique dans lequel son avis est médecin.
demandé. » Il semble cependant plus prudent que le médecin
• Art. 108 : « Dans la rédaction de son rapport, le expert chargé d’une mission de ce type et ne pou-
médecin expert ne doit révéler que les éléments vant répondre à certaines questions fasse appel
de nature à apporter la réponse aux questions aux dispositions de l’article 236 du nouveau Code
posées. Hors de ces limites il doit taire tout ce de procédure civile qui prévoit : « Le juge qui a
qu’il a pu connaître à l’occasion de cette exper- commis le technicien ou le juge chargé du contrôle
tise. Il doit attester qu’il a accompli personnelle- peut accroître ou restreindre la mission confiée au
ment sa mission. » technicien », plutôt que se récuser.

L’article 106 peut poser au médecin expert un


problème qu’il lui est difficile de résoudre : en
effet, il lui est fait obligation de se récuser s’il
estime que les questions qui lui sont posées l’ex- La mission de l’expert face
poseraient à contrevenir aux dispositions du pré- à la responsabilité civile
sent code. Or, le titre III du décret du 6 septembre
1995 règle les rapports des médecins entre eux et Chargé d’une mission, l’expert-médecin habi-
avec les membres des autres professions de santé tuellement soumis aux risques de la responsabi-
par l’article 56 qui précise : « Les médecins doi- lité en matière médicale va se trouver en face
vent entretenir entre eux des rapports de bonne d’une responsabilité civile propre aux opérations
confraternité… Les médecins se doivent assis- d’expertise.
tance dans l’adversité. » La responsabilité de l’expert-médecin dans l’exer-
Peut-on penser que l’article 106 pourrait permet- cice de sa mission est soumise aux règles du droit
tre à un médecin au cours d’une mission d’exper- commun à savoir, une responsabilité qu’on appelle
tise d’être recherché pour une infraction au Code celle « du bon père de famille » qui relève de l’arti-
de déontologie médicale, en particulier lorsqu’il cle 1382 du Code civil, « tout fait quelconque de
s’agit de mettre en jeu la responsabilité médicale l’homme qui cause à autrui un dommage oblige
d’un confrère ? celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »,
Cela n’est pas douteux et c’est pour cela que la et l’article 1383, « qu’il a causé non seulement par
mission de l’expert-médecin chargé d’une affaire son fait mais encore par sa négligence ou par son
de nature à mettre en jeu la responsabilité d’un imprudence ».
confrère ou d’un membre d’une autre profession Mais, avant d’examiner la responsabilité de l’ex-
de santé devra être particulièrement précise et ne pert-médecin en matière judiciaire, il ne faut pas
poser que des questions d’ordre strictement médi- oublier qu’il existe une responsabilité contrac-
cal. Cela sera d’autant plus facile que le juge ne tuelle du médecin dans le cadre de l’expertise offi-
peut en aucun cas charger l’expert de fixer les res- cieuse ou de l’expertise amiable.

85
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Dans l’expertise officieuse, le médecin fournit un commise et le préjudice subi par la victime Les
avis à son patient sur un point médical pour lequel notions de fautes que peuvent commettre les
il est compétent. experts-médecins résultent des obligations qui
Bien souvent, le médecin accomplit une mission pèsent sur eux tant dans le cadre de la loi pénale
d’expertise sans même s’en rendre compte. que des règles de procédures.
C’est le cas quand il lui est demandé si les séquel- Les principes de la responsabilité du médecin
les d’un accident entraînent une incapacité per- expert existeront donc lorsque trois éléments
manente partielle. Il s’agit là d’une véritable seront réunis :
expertise, puisque la victime, si son médecin lui • une faute qui peut être délictuelle lorsqu’il s’agit
délivre un certificat mentionnant l’existence d’une infraction à la loi pénale, ou à l’applica-
d’une incapacité permanente partielle, va pou- tion de règles de procédure, tant en matière
voir – ayant obtenu l’avis d’un homme de l’art – pénale que civile ;
introduire une instance en réparation de son • un préjudice subi, en matière pénale par une des
préjudice. parties, le mis en examen ou la partie civile
La victime va intenter un procès, forte d’obtenir la constituée, et en matière civile par les parties à
réparation de son incapacité permanente partielle l’instance.
que son médecin traitant constate (même s’il
prend la précaution d’ajouter que le taux de celle- L’expert ne peut être condamné à des dommages
ci devra être fixé par expertise). et intérêts que si le plaignant a subi un préjudice,
Il est possible que la surprise vienne de ce et dans la mesure de ce seul préjudice conformé-
qu’une expertise judiciaire étant ordonnée elle ment au droit commun.
conclut qu’il n’y a pas d’incapacité permanente Il a été longtemps soutenu que le rapport du méde-
partielle. cin expert ne liant pas le juge, le plaideur ne pou-
Ne serait-il pas alors possible pour le patient vait jamais faire état d’un préjudice résultant de la
ayant obtenu un avis d’un homme de l’art, de lui faute commise par l’expert.
reprocher d’avoir donné un mauvais avis qui l’a En effet, de deux choses l’une : ou bien le juge
entraîné dans une instance judiciaire qu’il avait suivi l’avis de l’expert en homologuant le
n’aurait pas introduite si le médecin consulté rapport et alors c’était la décision judiciaire qui,
avait soit refusé de donner son avis faute de com- ayant l’autorité de la chose jugée, occasionnait le
pétence en la matière, soit refusé de faire état préjudice ; ou bien le juge n’avait pas suivi l’avis
dans son certificat d’une incapacité permanente de l’expert et, dans ce cas, le préjudice était
partielle. inexistant.
La jurisprudence semble muette à ce sujet, mais il La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 mars
n’est pas impossible que le droit de la responsabi- 1965 a exprimé sa réaction à une telle position.
lité amène, un jour, un patient ayant obtenu un Elle juge : « Il serait immoral d’admettre qu’un
avis officieux d’un médecin sur l’existence d’une expert serait fondé à se retrancher derrière les
incapacité permanente partielle à reprocher avec mérites du juge pour prétendre qu’il n’a pas à être
succès à ce dernier de lui avoir donné un avis fau- recherché pour sa faute. »
tif engageant sa responsabilité pour le préjudice Cela présuppose un lien de causalité : conformé-
subi découlant d’une procédure judiciaire ayant ment au droit commun, il faut qu’il y ait une rela-
échoué. tion de cause à effet entre la faute commise et le
L’expert judiciaire, auxiliaire temporaire de jus- préjudice subi par la victime. C’est pour cela qu’en
tice n’étant lié à aucune des parties à l’instance matière judiciaire il est souvent difficile d’établir
qui a donné lieu à sa décision, verra sa responsabi- avec certitude que la décision du juge a été déter-
lité engagée de manière délictuelle ou quasi minée par le rapport d’expertise.
délictuelle. De nombreux exemples démontrent la difficulté
L’expert ne peut être déclaré responsable que s’il y de mettre en jeu la responsabilité du médecin
a relation de cause à effet entre la faute qu’il a expert :

86
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

La cassation civile du 24 novembre 1966 rap- décret du 31 décembre 1974, outre une circulaire
porte l’absence de responsabilité d’un médecin du 2 juin 1975 qui précise la perte de la qualité
expert ayant conclu à un internement d’une vic- d’expert.
time, il a été jugé que l’expert n’avait pas commis Un médecin expert inscrit sur une liste a vocation
de faute. à être maintenu l’année suivante sur ladite liste,
Le cas d’une mise en détention en matière pénale sauf cas de non-réinscription décidée par l’assem-
où il était reproché au médecin expert d’avoir fait blée générale des magistrats.
une analyse du corps de la victime avec légèreté, Cette non-réinscription provient soit de la démis-
mais, comme il avait agi dans la rapidité, le lien sion, soit de l’éloignement du domicile situé hors
de causalité n’était pas établi avec la mise en de la cour d’appel, soit un empêchement pour rai-
détention. son de santé ou professionnel, soit en raison de
Par ailleurs, le non-respect des dispositions du l’âge ou du décès.
nouveau Code de procédure civile peut entraîner En effet, les experts inscrits le sont jusqu’à l’âge de
la responsabilité du médecin expert. 70 ans.
C’est le cas de l’incompétence notoire ou la négli- Il existe une seule mesure disciplinaire : la radia-
gence dans le respect des délais pour déposer le tion qui interdit pendant trois ans, selon l’article
rapport, dans le cas d’une perte des pièces d’un 33 de la loi, de solliciter son inscription à nouveau
dossier qui lui ont été remises, ou encore si l’ex- sur la liste des experts.
pert ne répond pas parce qu’il ne veut pas mettre
En cas d’urgence, le premier président de la cour
en cause un confrère, ou s’il ne fait pas preuve
d’appel peut prendre une mesure à l’encontre d’un
d’objectivité en ne mettant pas en cause un autre
expert inscrit sur la liste lorsqu’il s’agit, par exem-
médecin.
ple, de mise en examen ou de condamnation.
Ce point particulier a été évoqué plus haut et il
Au cours de sa mission, le médecin expert peut
appartient au médecin recevant une mission pou-
commettre des manquements qui sont sanc­
vant mettre en jeu son objectivité et son impartia-
tionnés.
lité soit de se récuser, soit de demander au juge de
restreindre sa mission. Les fautes professionnelles suivantes sont prévues
à l’article 26, alinéa 2 du décret du 31 décembre
Évidemment, une pareille attitude peut être de
1974 : l’expert qui n’accepte pas de remplir sa mis-
nature à faire perdre au juge la confiance qu’il met
sion sans motif légitime ; l’expert qui n’exécute
dans l’expert et de le priver ainsi pour l’avenir de
pas dans les délais sa mission après une mise en
nouvelles désignations.
demeure.
Note de J. Hureau : la loi no 2004-130 du
11 février 2004 réformant le statut de certaines
La mission d’un médecin expert professions judiciaires ou juridiques, des
inscrit sur une liste face experts judiciaires… par son article 51 modifie
la loi du 29 juin 1971 dans laquelle elle insère les
aux mesures disciplinaires articles 6-2 et 6-3. Ces articles établissent une
gradation des sanctions qui peuvent être infli-
Dans chaque cour d’appel, il existe deux magis- gées aux experts, plus conforme au droit pénal
trats, un président de chambre et un procureur que la seule radiation prévue par la loi de 1971 :
général, qui sont chargés du contrôle des experts avertissement, radiation temporaire pour une
judiciaires figurant sur la liste dressée tous les ans durée maximale de trois ans et radiation défini-
par la Cour, qui la rend publique par une ordon- tive en sont les termes. En outre, l’action en res-
nance, dont on peut obtenir la délivrance moyen- ponsabilité contre l’expert est prescrite par dix
nant un timbre fiscal dont le coût est celui fixé ans à compter de la fin de la mission. Le décret
pour l’obtention des pièces en matière judiciaire. d’application no 2004-1463 du 23 décembre
Il existe deux textes essentiels pour la désignation 2004 précise les modalités d’application de ces
des experts, à savoir la loi du 29 juin 1971 et le sanctions

87
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Les rapports entre les acteurs du procès :


le juge, l’expert, les parties et leurs conseils
P. de Fontbressin, J. Hureau

Aborder la question des rapports entre les acteurs La Justice aura besoin d’un « verre qui grossit les
du procès, le juge, l’expert, les parties et leurs objets et sert au juge à examiner en toute liberté si
conseils suppose liminairement de partir d’un les images qu’on lui présente sont nettes » [3]. Le
constat : l’expertise judiciaire constitue le point de législateur et les tribunaux en sont conscients dans
rencontre d’hommes et de femmes d’univers pro- des domaines de plus en plus nombreux où le pro-
fessionnels différents en un instant de doute en grès scientifique impose désormais de recourir
quête d’une découverte du vrai. avant dire-droit à une expertise [4]. La nécessité de
Il ne s’agit pas là d’une parenthèse technique cloi- faire coïncider la réalité et le Droit au regard de
sonnée dans le procès. l’état des personnes, qu’il s’agisse de leur sexe ou
de leur filiation a donné lieu à des arrêts retentis-
Bien au contraire, c’est au cœur du procès un
sants [5]. Outre l’émergence du biodroit [6], l’em-
moment d’échange et un lieu d’ouverture.
prise tentaculaire du principe de précaution et de
Mieux, au-delà du procès, c’est aussi une sphère de ses trop fréquentes dérives [7] place et placera
convergence de valeurs. demain chaque jour davantage, le juge devant un
impératif expertal au nom de la qualité de la vie,
voire du droit à la vie lui-même [8].
L’expertise judiciaire, un Dans le contexte actuel qui apparaît comme celui
moment d’échange et d’ouverture du temps des experts [9], bien au-delà de l’échange
au cœur du procès d’arguments et de pièces entre les parties à l’occa-
sion de la recherche ponctuelle d’une faute, se
L’expertise judiciaire un moment superpose ainsi, d’une manière plus générale, un
échange d’un autre type entre le juge et l’expert :
d’échange celui de l’apport de la science à la décision de
Entre le juge, l’expert et les parties, l’expertise est Justice.
par essence le temps de l’échange. Investi d’une En éclairant le juge au terme de son rapport, l’ex-
mission historiquement liée au sacré, celle de la pert fait œuvre d’interprète. Sans porter de juge-
découverte du juste et institutionnellement chargé ment en droit, ce qui lui serait interdit, il offre au
de dire le Droit au nom du peuple français, le juge juge la traduction d’une expérience scientifique
doit, avant tout, tenter de découvrir le vrai. ou technique dans un langage qu’il est susceptible
Chacune des parties aux termes des principes fon- de comprendre.
damentaux du procès doit apporter sa contribu- Dès lors, on perçoit immédiatement combien
tion à la recherche de la vérité [1]. Pour ce faire, s’avère indispensable une formation à la technique
sans pousser le devoir de production de docu- expertale distincte de la « technique technicienne »
ments jusqu’à l’extrême, à l’instar de la procédure [10] pour que, sans jamais franchir la frontière du
de discovery [2], l’obligation de communiquer ses Droit, l’expert puisse apporter au juge une contri-
pièces à la partie adverse et les pouvoirs d’injonc- bution à la mesure d’une telle mission
tion du juge s’ensuivant participent d’une obliga- À l’heure où, selon les vœux de la Fédération
tion d’échange de documents à partir de laquelle nationale des compagnies d’experts judiciaires, la
le tribunal pourra forger sa conviction. loi du 11 février 2004 consacre officiellement
Toutefois nonobstant la mise en œuvre la plus scru- l’obligation de formation de l’expert judiciaire
puleuse de telles règles, celle-ci sera parfois insuffi- [11], on ne saurait trop souligner à quel point l’in-
sante, dans des situations où la spécificité technique telligibilité du rapport pour le juge, les parties et
ne peut permettre à la juridiction de juger sans leurs conseils est indissociable de l’effectivité du
l’éclairage préalable d’un homme de l’art. contradictoire [12].

88
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Au même titre que la Cour européenne des droits d’ouverture à une vérité autre. À l’occasion de la
de l’homme (CEDH) a pu sanctionner une viola- recherche d’une vérité scientifique objective en
tion des règles du procès équitable dans des cir- présence de l’expert apparaissent fréquemment
constances où les requérants n’avaient pas eu la les limites de la vérité subjective des parties : c’est
possibilité « de commenter efficacement » le rap- le chemin de la vérité médicale à la vérité judi-
port d’un médecin expert faute de convocation ciaire, ce qu’André Comte Sponville a fort bien
[13], il semble permis de douter du respect de exprimé : « L’expert se prononce entre le certaine-
l’égalité des armes en présence d’un rapport qui ment faux et le possiblement vrai. » [16]
serait inaccessible à l’entendement d’un non- La révélation en cours d’expertise de certains
spécialiste comportements ou de données occultées peut
Au cœur même du contradictoire, l’expertise doit, conduire à un changement total d’attitude ou de
sous toutes ses formes, être l’instant d’un échange stratégie des acteurs. Convaincus de « leur droit »
réel au sens le plus étymologique, c’est-à-dire à dont ils n’avaient cessé de persuader leurs conseils,
propos de choses ou de faits… les plaideurs vont soudain se trouver confrontés à
Si Pierre Lazareff pouvait dire qu’un journal « est un constat d’erreur ou à un flagrant délit de
d’abord fait pour être lu », un rapport d’expertise mensonge.
est d’abord fait pour être compris. Lieu d’ouverture à l’Autre, l’expertise deviendra
Débiteur du vrai, comme le juge pour sa part alors le lieu d’ouverture forcée à son raisonne-
est débiteur du juste [14], l’expert doit avoir le ment, à peine de défier la raison…
souci constant de demeurer l’homme du savoir À l’esprit de vindicte du client réfractaire à toute
partagé. transaction au nom d’une « question de principe »,
Il ne saurait se satisfaire de cette formule de pourra alors faire place, sous l’effet de l’instinct de
Nietzsche : « Ce que nous faisons est toujours loué conservation, une position moins extrémiste et
ou critiqué, jamais compris. » plus conforme aux conseils de prudence que l’avo-
cat s’efforçait de prodiguer jusqu’alors sans être
L’expertise judiciaire, un lieu entendu.
d’ouverture Le jugement des faits techniquement appréciés,
sans prendre pour autant la dimension d’une
C’est tout naturellement sous le premier aspect de ordalie, favorisera la restauration d’une commu-
décryptage de notions étrangères à la formation nication présumée impossible.
des juristes que l’expertise judiciaire apparaît Par sa psychologie et son comportement, l’expert
comme lieu d’ouverture. jouera un rôle central dans le rétablissement de
Le juge (et il en va de même des avocats) découvre celle-ci. Doté de l’impartialité du juge sans être
un monde qui lui est souvent totalement étranger juge, vecteur de l’éloquence technique des faits à
culturellement. Hors de la sphère du Droit, mais l’égard du tribunal, sans être avocat pour autant,
au service du Droit, par l’expertise, le juge et l’avo- le bon expert pourra faire naître chez les parties
cat s’enrichissent d’une autre expérience. une critique de leur premier jugement capable
De la même manière au cours de l’expertise, la d’éviter, à terme, la décision de justice.
recherche des faits transportera vers des domai-
nes inattendus à l’origine.
Qu’il s’agisse de l’extension de la mission, de la co- L’expertise judiciaire, une sphère
expertise ou du recours au sapiteur [15], l’évolu- de convergence de valeurs
tion de l’expertise sera parfois propre aux
prémisses d’une évolution du litige de nature à Parvenir à dissiper le conflit et conduire les par-
entraîner l’intervention de nouveaux acteurs du ties sur le chemin d’une transaction n’entre pas
procès. dans le cadre de la mission judiciaire de l’expert.
Mais outre la découverte d’autres horizons tech- Une telle faculté lui a même été contestée dans la
niques, voire d’autres intervenants potentiels, procédure civile. Au pénal, elle serait à l’évidence
l’expertise est aussi avant tout un lieu privilégié sans effet au regard d’une action publique, qui,

89
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

une fois mise en œuvre, survit, malgré le désiste- contrées ou de la carence des parties dans la pro-
ment de la partie civile. duction de documents [18]. Elle justifiera le droit
Il n’en demeure pas moins qu’en règle générale, de demander au juge d’être entendu à tout moment
l’expertise constitue par essence une aire privilé- [19]. Entre l’expert et les parties, elle expliquera
giée de pacification. l’assimilation des cas de récusation de l’expert à
ceux du juge. Elle présidera à la manière dont l’ex-
Au cœur même du conflit ou avant le procès [17],
pert recueillera des informations.
elle apparaît comme un moment où la partialité
de l’argumentation juridique doit s’effacer au pro- De la capacité de l’expert à maintenir cette
fit d’une coopération ordonnée par l’expert sous le confiance, dans toutes ses formes de communica-
contrôle du juge aux fins de découvrir le vrai. tion contradictoire avec les avocats et les parties,
tout comme de son « autorité » [20] dépendra la res-
À cet égard, elle apparaît comme une sphère de
tauration ou la disparition totale d’une confiance
convergence des valeurs indispensables à l’œuvre
des justiciables en présence, à l’égard du monde
de Justice, au premier rang desquelles figurent le
judiciaire.
respect de l’égalité des armes et la loyauté dans
l’administration de la preuve. De même que le respect des délais impartis ou
celui du contradictoire au cours de l’expertise
Mais elle revêt aussi une exemplarité véritable au
mettent en cause le procès équitable tout entier,
plan social : celle du respect de l’Autre.
l’impartialité, l’indépendance et l’objectivité de
Si le respect du juge s’impose aux parties, aux avo- l’expert contribueront à faire de la parenthèse
cats et à l’expert, le respect de l’expert s’impose expertale un réceptacle des valeurs du procès.
aux parties aux avocats et au juge.
L’éclaireur du juge, à qui l’on continue de contes-
ter, dans la procédure civile, le titre de collabora-
teur occasionnel du service public, à la différence
L’expertise judiciaire, réceptacle de ce qui existe dans la procédure administrative,
des valeurs du procès sera occasionnellement dépositaire de valeurs qui
impliquent l’Institution judiciaire tout entière
Dans un monde où la méconnaissance de l’insti- Dans le domaine médical, sans doute plus que
tution judiciaire est chaque jour aggravée par les nulle part, le climat de confiance entretenu par
déformations médiatiques, l’appel à l’expert pré- l’expert revêtira une intensité toute particulière.
cède fréquemment l’appel au juge pour faire Son tact et sa psychologie s’exerceront sur fond de
triompher le « bon droit ». déontologie et de secret pour découvrir le vrai
Même si l’expert n’a pas pouvoir de dire le droit, dans l’antichambre du Droit [21].
dans la conscience populaire la confiance dans la Espérons que l’évolution des mentalités ne lui
science l’emporte communément sur celle en fera pas perdre cette position privilégiée
une Justice, dont le péché originel est de toujours ­indispensable.
mécontenter au moins l’un des plaideurs. Alors
que le prétoire est le théâtre de la vindicte et de la
défiance, le cabinet de l’expert offrira le décor
d’une confiance honorée par le juge et partagée L’expertise judiciaire,
par les parties. Sans jamais pénétrer sur le ter- un exemple à valeur sociale
rain du droit, l’expert devra se poser en gardien
des règles d’un procès équitable auquel il Si l’on tente un instant de prendre quelque recul à
participe. l’égard du ponctuel, au-delà du procès, pour
Entre l’expert et le juge, outre la foi dans la quali- rechercher le sens, on ne peut manquer de mesu-
fication du technicien à l’origine de la désignation rer la valeur d’exemplarité offerte par les relations
de celui-ci, la confiance devra sans cesse demeu- entre le juge, les parties, leurs conseils et l’expert,
rer au cœur des relations pour un bon déroule- au niveau de la société globale.
ment de l’expertise. Elle sera le fondement du En des temps où la flatterie publicitaire ou média-
devoir d’informer le magistrat des difficultés ren- tique entretient le public dans la certitude de

90
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

droits dont il ignore complaisamment les corollai- [5] Notamment les arrêts de l’assemblée plénière de la
res, en désignant l’expert, le juge élève le doute au Cour de Cassation du 11 décembre en matière de
transsexualisme ainsi que l’abondante jurispru-
rang de valeur judiciaire.
dence relative aux actions en recherche de pater-
La conscience du devoir anime l’expertise, qu’il nité, médiatiquement illustrées par l’affaire Yves
s’agisse du devoir de l’expert à l’égard du juge et Montand. 1992.
des parties ou du devoir de celles-ci à l’égard de [6] Sur cette question, cf. notamment RTDH, avril 2003,
l’expert. op. cit.
Or, très précisément, la multitude de risques aux- [7] Peckels B. Le principe de précaution. Revue Experts,
2001, no 52, 2–5.
quels le monde moderne confronte l’individu
impose de faire renaître chez chaque citoyen une [8] Cf. affaire Oneryildiz c/ Turquie, CEDH 30 novem-
bre 2004, obs. Patrick de Fontbressin RTDH 2006,
conscience des devoirs pour réduire le danger ou p. 87ss.
le prévenir.
[9] de Fontbressin P. Le droit des experts. Revue Experts,
À l’heure où le principe de participation et le prin- 2003, no 59, 6–7.
cipe de précaution ont été intégrés dans la [10] Le livre blanc de l’expertise judiciaire, élaboré par la
Constitution par la Charte de l’environnement FNCEJ. Experts éd., Paris, 2003, p. 11.
[22], au carrefour des devoirs et du doute, l’exper- [11] Cf. [10] op. cit. et les travaux de l’UCECAP sous la
tise judiciaire peut faire figure d’exemple à valeur présidence de J.-B. Kerisel : La formation de l’expert
sociale. judiciaire, mars 2001.
Inspirée de la technique de l’article 145 du CPC, le [12] Le contradictoire et ses applications à l’expertise.
Numéro spécial de la revue Experts, 1992, 44.
recours à une « expertise de précaution » lors d’un
référé, précaution fondée sur une volonté com- [13] Affaire Mantovanelli. France CEDH, 18 Mars 1997,
JCP 1998. I-107 obs Sudre.
mune d’approche de certains risques potentiels
[23], pourrait être la voie de la substitution d’une [14] La protection de l’expert judiciaire. Biennale de
Poitiers 1999. Revue Experts, 2000, hors série no 2.
culture de participation en amont à celle de
[15] Rousseau G, Brisac M. Recherche sur le sapiteur.
recherche a posteriori d’un coupable.
Revue Experts, 1997, no 37, 19–21.
Ce faisant, à partir de l’expertise judiciaire et spé- [16] XVIIe congrès national des experts judiciaires
cialement des liens entre l’expertise environne- (FNCEJ pst J. B. Kerisel 22–24 octobre, 2004,
mentale et l’expertise médicale orientées vers Marseille).
l’information et la participation des citoyens, [17] Au cœur des conflits : l’expertise. XVIe Congrès natio-
pourrait naître le sens du devoir partagé et d’une nal des experts judiciaires (FNCEJ, Prd G.  Sagnol)
responsabilité sociale, pour le respect d’un droit à 20–22 octobre 2000, Toulouse. Experts éd., Paris,
la vie d’une qualité conforme aux objectifs de la 2001.
Convention européenne des droits de l’homme [18] Articles 279 alinéa 1 et 275 alinéa 2 du CPC.
[24], dont chacun d’entre nous se doit d’assurer le [19] Article 245 alinéa 2 du CPC.
respect dans les relations interindividuelles [25]. [20] L’autorité de l’expert, XVIIIe congrès national des
experts judiciaires (FNCEJ, pst Pierre Loeper,
Bordeaux, 2008).
Bibliographie [21] Hureau J. Le secret médical au cours de l’expertise
médicale en matière civile. Revue Experts, 1997,
[1] L’article 10 du code civil dispose que « chacun est
no 35, 43–48.
tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la
manifestation de la vérité ». [22] de Fontbressin P. La Charte de l’environnement :
[2] Baker WR. L’expertise comparée. Les États-Unis et la Un nouveau champ pour l’expertise. Revue Experts
France. Revue Experts, 1999, no 43, 13–16. 2004, no 65.
[3] Monnier E. Traité théorique et pratique des preu- [23] de Fontbressin P. L’approche du risque : une redécou-
ves en droit civil et criminel. Joubert, Paris, 1843, verte des valeurs. Revue Experts 2003, no 61.
p. 33. [24] de Fontbressin P. Devoir d’information, devoir de par-
[4] Sur l’ensemble de la question, cf. Progrès scientifiques ticipation et éthique. Revue Experts 2003, no 58.
ou techniques et droits de l’homme, numéro spé- [25] de Fontbressin P. L’Entreprise et la Convention euro-
cial de la Revue trimestrielle des droits de l’homme péenne des droits de l’homme, Préface de Michel
(RTDH), avril 2003. Franck, éd. Bruylant. Nemesis 2008.

91
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Les associations d’experts près des tribunaux


J. Hureau

« Je jure : d’apporter mon concours à la Justice, monodisciplinaires auprès de la cour d’appel. Elles
d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, sont néanmoins regroupées au sein d’une Union
et de donner mon avis en mon honneur et en chargée d’homogénéiser l’action des compagnies
ma conscience. » pour tous les grands problèmes généraux se posant
Liés par le serment qu’ils ont prêté lors de leur ins- dans le ressort géographique de la cour d’appel. Tel
cription sur une liste de cour d’appel et/ou sur la est le cas à Aix-en-Provence avec l’union des com-
liste nationale établie par la Cour de cassation, les pagnies d’experts près de la cour d’appel d’Aix-en-
experts devant les tribunaux ont depuis long- Provence (UCECAAP) et à Paris avec l’union des
temps éprouvé le besoin de s’unir pour mieux compagnies d’experts près de la cour d’appel de
appréhender les différents aspects de leur partici- Paris (UCECAP). Pour préserver le principe fon-
pation aux activités juridictionnelles. damental de l’unicité de compagnie pluridiscipli-
Toutes les associations ainsi créées sont régies par naire par cour d’appel, de telles unions restent une
la loi du 1er juillet 1901. Ce sont des compagnies exception.
pluridisciplinaires constituées près des différents
tribunaux et des compagnies monodisciplinaires La compagnie des experts agréés
nationales, toutes regroupées au sein du Conseil
par la Cour de cassation
national des compagnies d’experts de justice
(CNCEJ) représentant plus de 8300 experts judi- Pluridisciplinaire, elle joue le même rôle d’inter­
ciaires français, toutes disciplines confondues. locuteur privilégié auprès de la Cour de cassation
pour tous les experts inscrits sur la liste nationale.

Les compagnies Les compagnies d’experts près


pluridisciplinaires les Cours administratives d’appel
Les compagnies d’experts près Elles sont actuellement au nombre de trois : Paris-
des cours d’appel Versailles, Marseille et Douai.
Les tribunaux administratifs (fig. 3-2) choisis-
Un premier regroupement s’est effectué auprès de saient habituellement mais non obligatoirement
chacune des cours d’appel (fig. 3-1). Il existe donc leurs techniciens experts sur les listes établies par
34 compagnies pluridisciplinaires dont rend compte les tribunaux judiciaires.
la carte judiciaire de la France. Chacune d’elles est le À l’instar de Paris rejoint par Versailles, les pré-
reflet des différentes techniques répertoriées sur la sidents des Cours administratives d’appel de
liste de la cour d’appel intéressée. Marseille et de Douai établissent annuellement
La médecine est subdivisée selon ses grandes spé- un tableau des experts, tous regroupés dans une
cialités conformément à la nomenclature des compagnie pluridisciplinaire d’experts près leur
rubriques expertales adoptée par la Chancellerie cour (fig. 3-3 et 3-4), conformément à l’article
(arrêté du 10 juin 2005). R. 10 du Code des tribunaux administratifs et
Les compagnies d’experts près des cours d’appel des cours administratives d’appel. L’exception
sont l’interlocuteur privilégié de celles-ci pour le parisienne était ancienne.
traitement des questions expertales du ressort.
Lorsque, auprès d’une cour d’appel, le nombre Rôles et missions des compagnies
total des experts et l’individualité des disciplines pluridisciplinaires
sont tels qu’une compagnie pluridisciplinaire uni-
que ne serait ni gérable ni représentative des spéci- Ils sont énoncés dans les statuts de chacune d’elles
ficités, il a été constitué des compagnies d’experts de façon assez semblable. Nous en donnerons

92
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Figure 3.1
Carte judiciaire de la France.

93
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

pour exemple les termes principaux de l’article 3 Apporter à l’administration de la justice son entier
des statuts de la compagnie des experts-médecins concours et rester en contact étroit avec les magis-
près la cour d’appel de Paris (CEMCAP) : trats pour le bon fonctionnement du service des
« Conserver et transmettre les traditions d’hon- expertises. Elle se tient en particulier à la disposi-
neur, de conscience, de probité et d’impartialité qui tion de la Cour de cassation et de la cour d’appel de
doivent être la règle de conduite des auxiliaires de Paris pour leur donner tous les renseignements
la justice. nécessaires sur les médecins candidats aux listes
d’experts judiciaires [en liaison avec les représen-
Soumettre à cet effet ses membres à une discipline
tants locaux de la compagnie nationale monodis-
librement acceptée.
ciplinaire pour la discipline concernée et avec la

Figure 3.2
Siège des tribunaux administratifs.

94
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

Figure 3.3
Ressort des cours administratives d’appel.

compagnie des experts agréés par la Cour de Les compagnies d’experts près des cours d’appel
cassation]. constituent une division que l’on peut qualifier
Résoudre par l’arbitrage amiable les différends qui d’horizontale de la masse des experts judiciaires
pourraient survenir, soit entre les experts eux- en France. Elles ont une compétence géographi-
mêmes, soit avec des tiers. que dans le ressort de la Juridiction auprès de
laquelle elles sont constituées.
Étudier, le cas échéant en liaison avec la fédération,
toutes les questions intéressant la fonction d’expert Leur rôle est reconnu par la loi no 2004-130 du
judiciaire. 11 février 2004 relative au statut des experts judi-
ciaires et son décret du 23 décembre 2004, qui
Assurer les défenses des intérêts moraux et maté-
précisent qu’à l’issue de la période probatoire
riels des experts inscrits.
d’inscription initiale de deux ans sur une liste de
Assurer, en toutes circonstances, la représentation cour d’appel, l’inscription ou la réinscription de
et la défense de la fonction d’expert judiciaire. » l’expert pour une durée de cinq années est pro-
Il faut y ajouter le souci de la formation juridico- noncée « après avis motivé d’une commission
expertale des experts en général, commun à tou- associant les représentants des juridictions et des
tes les compagnies d’experts. experts ».

95
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

du service technique et juridique (procédure)


rendu à la justice.
Il existe à ce jour 23 compagnies nationales d’ex-
perts judiciaires dans chacune des principales
disciplines représentées sur les listes établies par
les tribunaux. Elles constituent une division que
l’on peut qualifier de verticale de la masse des
experts judiciaires en France. Elles ont une com-
pétence nationale liée à une discipline. Leur inter-
dépendance avec les compagnies pluridisciplinaires
et avec le Conseil national a été soulignée.

Figure 3.4 La nomenclature des rubriques


Ressort des cours administratives d’appel de expertales [9]
Paris et de Versailles. (Depuis le 23 juin 2004,
une CAA a été créée à Versailles qui dégage Elle a retenu huit grandes branches d’activités
de la CAA de Paris les TA du 78 et du 95) (arrêté du 10 juin 2005) :
• Agriculture, agroalimentaire, animaux et forêts ;
• Arts, culture, communication et médias ;
• Bâtiment, travaux publics et gestion immobilière ;
Les compagnies nationales • Économie et finances ;
d’experts judiciaires • Industries ;
• Santé ;
À la différence des compagnies instaurées auprès
• Médecine légale, criminalistique et sciences cri-
des cours d’appel, elles sont monodisciplinaires.
minelles ;
Elles doivent tendre à regrouper tous les experts
d’une même discipline dans l’ensemble des ressorts • Interprétariat et traduction.
des cours d’appel ou des juridictions administrati-
ves. Elles assurent, en concertation préalable avec
le Conseil national, les contacts avec la Chancellerie
La branche santé et la CNEM
et les plus hautes autorités judiciaires et adminis- La branche santé pèse par le nombre et la diversité
tratives françaises ainsi qu’avec les instances com- de ses experts, par le poids moral et éthique qu’elle
munautaires et internationales pour la technique représente dans le domaine du droit de la per-
qu’elles représentent. sonne et par le poids économique des avis que les
Pour traiter des problèmes techniques spécifiques à experts-médecins sont amenés à émettre (beau-
leur discipline, elles sont le représentant de leurs coup plus que par le coût même de l’expertise
membres auprès des instances réglementaires judiciaire médicale).
concernées lorsqu’elles existent, ou auprès des auto- Ce sont les raisons qui ont fait souhaiter, au sein
rités spécifiques à la discipline. Elles tiennent le du Conseil national, la constitution de la Com­
Conseil national informé, cette obligation étant pagnie nationale des experts-médecins près les
assortie d’une information réciproque, en vue d’har- cours d’appel et/ou les juridictions administra-
moniser les points de vue pour préserver l’unité du tives (CNEM) qui se doit de regrouper, parmi les
monde expertal. De même, les compagnies pluridis- 2 000 médecins experts inscrits dans les compa-
ciplinaires entretiennent à leur échelon la communi- gnies pluridisciplinaires de cours d’appel, auprès
cation avec les représentants des compagnies de la Cour de cassation et des juridictions admi-
nationales monodisciplinaires. nistratives, tous ceux qui, soucieux de l’indé-
Les compagnies nationales contribuent à la recher- pendance nécessaire de l’expert, pratiquent
che et à la formation permanente dans la techni- l’expertise dans les litiges en contentieux judi-
que considérée dans le souci d’améliorer la qualité ciaire ou extrajudiciaire et/ou cette activité bien

96
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

particulière à la médecine qu’est la médecine L’article 1 des statuts du CNCEJ (adoptés en AGO
légale au sens strict du terme. du 24 janvier 2008) marque bien l’importance
Les rôles et missions de la CNEM sont résumés prise au fil des ans par les instances représentati-
dans l’article 2 de ses statuts (20 avril 1993) : ves des experts de justice et l’organisme national
qui les regroupe :
« Représenter ses membres auprès des instances
nationales, européennes et/ou internationales ayant « L’association dite Conseil National des Com­
à traiter de l’expertise médicale judiciaire, repré- pagnies d’Experts de Justice – CNCEJ – ci-après
sentation faite en liaison avec le CNCEJ et par son Conseil national, fondée en 1931, groupe des
intermédiaire avec toute organisation européenne Compagnies d’experts et des unions de compagnies
et internationale d’experts. d’experts, associations régies par la loi de 1901,
Veiller, dans une discipline librement consentie, à ayant pour but la représentation, la formation et
la qualité de la technique expertale. la promotion de la déontologie de leurs membres,
experts inscrits auprès des juridictions des ordres
Conserver et transmettre les traditions éthiques et judiciaire ou administratif en vue de développer et
déontologiques médicales expertales. de maintenir à un haut niveau le service public de
Faciliter à ses adhérents l’accomplissement de leurs la justice.
missions en prenant toutes mesures utiles à cet effet
Elle a pour but de contribuer, dans le cadre de l’in-
en sa qualité de compagnie nationale et en liaison
térêt général, au service public de la justice par les
avec les compagnies agréées près les cours d’appel.
actions suivantes :
Organiser et/ou créer tous moyens de formation et
d’information pour ses membres. 1 – apporter son concours à l’élaboration des textes
législatifs et réglementaires, afin d’améliorer les
Réaliser, au niveau national et/ou international, conditions de l’intervention des experts et ses effets,
toutes études de fond ou d’harmonisation intéres- dans les processus administratifs et juridictionnels
sant l’activité d’expertise médicale. français et européens,
Participer à toute étude nationale, européenne ou 2 – contribuer au développement et au rayonne-
internationale intéressant le statut de l’expert ment de l’État de droit en France, en Europe et
judiciaire. dans le monde et, dans ce cadre, de participer à la
Veiller à la défense de ses membres dans leur acti- promotion du droit français, notamment en
vité d’expert judiciaire. matière de droit procédural,
Promouvoir le développement de l’activité des 3 – promouvoir et organiser des actions d’échange
experts judiciaires dont la compétence et l’indé- et de coopération avec des systèmes juridictionnels
pendance sont reconnues. » autres et s’associer à de telles actions,
4 – promouvoir les valeurs morales et éthiques et le
respect des règles de déontologie applicables aux
Le conseil national des experts,
compagnies d’experts de justice 5 – étudier l’ensemble des questions concernant
l’expertise en vue de parvenir à une harmonisation
Le CNCEJ est né de la Fédération nationale des au plus haut niveau de la doctrine et des
experts de justice (FNCEJ). La FNCEJ a vu le jour méthodes,
en 1931 à l’initiative d’André Bac, Président-
6 – développer et renforcer les formations initiale et
fondateur la même année de la Chambre des
continue des experts, dans le souci de la qualité de
experts judiciaires du sud-ouest devenue la
leurs travaux au service de la justice et des
Compagnie des experts près la Cour d’appel de
justiciables,
Bordeaux. L’historique de la FNCEJ, de sa création
à sa transformation en association reconnue d’uti- 7 – mettre son fond documentaire à la disposition
lité publique sous le nom de Conseil national des des experts, de tous les acteurs du procès et du
compagnies d’experts de justice (décret du 31 mars public ;
2008), est accessible sur le site du CNCEJ (http : 8 – répondre aux questions d’ordre général concer-
//www.cncej.org/vfr/historique.htm). nant l’expertise posées par les experts, les acteurs

97
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

de la justice et les justiciables et participer à la dif- toire. La Common Law est caractérisée par sa
fusion de l’information relative à l’expertise ». procédure accusatoire, menée devant des hom-
mes libres. Elle est de caractère oral, public et
contradictoire [7].
Les organisations d’experts La deuxième difficulté est liée à la définition même
en Europe du terme d’expert. Schématiquement on peut
opposer (cf. le sous-chapitre L’expert médecin,
Depuis de nombreuses années, les associations et essai de classification) :
compagnies d’experts des États membres de l’Union • l’expert conseil qui, intervenant soit dans le cadre
européenne ont cherché à se rapprocher « en vue d’une étude technique de projet, soit à propos
de réfléchir à l’élaboration de procédures et de d’un litige, est l’expert d’un seul mandant, d’une
textes communs à tous, visant à définir l’expertise seule partie à laquelle il est lié par contrat écrit ou
et l’expert à travers des référentiels communs » [8]. oral ;
Diverses initiatives ont été prises en ce sens, qui • l’expert de conflit ou expert litige (le terme
ont abouti à la constitution de regroupements d’« Expert litis » a été déposé par la FNCEJ) qui
internationaux plus ou moins élargis et en règle à intervient indépendamment des parties, soit sur
caractère privé. Deux d’entre elles avaient connu mission d’un juge (contentieux juridictionnel),
un certain développement. L’AEXEA, Association soit à la demande conjointe des parties, dans un
des experts européens agréés, fondée en juin 1990, mode de règlement extrajuridictionnel du
était un organisme de droit luxembourgeois à but conflit. Il peut même intervenir avant la phase
non lucratif, composé à son origine de douze conflictuelle. Il est, dans tous les cas, caractérisé
organisations d’experts européens et qui regrou- par son indépendance. Il n’est lié à aucune des
pait des experts de toutes disciplines reconnus parties [1].
dans les États membres de l’Union européenne.
La CIDADEC, confédération internationale des Ces difficultés, dont deux d’entre elles seulement
associations d’experts et de conseils, était une ont été soulignées, sont peut-être plus apparentes
association de caractère plus largement interna- que réelles tant que l’on reste dans le domaine de
tional. l’expert de conflit ou expert-litige.
Les difficultés rencontrées par de tels organismes Les procédures françaises (Continental Law), par
sont de causes multiples. Deux d’entre elles retien- l’application du principe de la contradiction, trou-
nent l’attention. vent un moyen terme entre une procédure stricte-
ment inquisitoire et la procédure accusatoire de la
La première est l’opposition entre la Continental Common Law anglo-saxonne. Certains magis-
Law où l’expert, à quelques différences près selon trats britanniques ne sont pas loin d’envier l’ins-
les législations, a un rôle d’auxiliaire du juge dans truction des dossiers (au civil ou au pénal) telle
le procès, et la Common Law où les parties dési- qu’elle est pratiquée sur le continent.
gnent des experts-témoins [7]. La Continental
« Des propositions ont été faites, dans certains
Law a historiquement pour base une procédure
cas, par des juges (du Royaume-Uni de Grande-
inquisitoire écrite, secrète et non contradictoire,
Bretagne), de nommer directement un seul expert,
dans laquelle le juge obéit à son intime convic-
sans droit systématique pour les parties de nom-
tion. En droit français contemporain, elle est
mer leurs propres experts (expert-témoin) [7]. »
appliquée à la phase d’instruction d’un procès
pénal. La loi du 5 mars 2007 a apporté quelques Quelle différence y a-t-il entre la définition idéale
assouplissements. En droit civil, l’application du de l’expert-témoin de la Common Law et les qua-
principe de la contradiction (art. 14 à 17 du Code lités exigées de l’expert judiciaire français qui
de procédure civile, CPC) a permis de trouver des émaillent tous les textes qui régissent son
compromis entre procédure inquisitoire et procé- activité ?
dure accusatoire, le caractère contradictoire étant Une décision de la haute Cour de Londres (équi-
la garantie nécessaire de la liberté de la défense valent du tribunal de grande instance de Paris) a
[2]. Malgré son caractère écrit, la procédure défini les principes qui font de l’expert-témoin un
administrative respecte également le contradic- expert qualifié [1] : indépendance ; impartialité ;

98
Chapitre 3. Éthique et déontologie expertale

rôle purement technique ne se substituant pas à représentés. Trois autres se sont joints à eux. Sous la
l’avocat ; intégrité dans la relation des faits, quel présidence de M. le premier Président de la Cour de
que soit leur impact sur les conclusions ; recon- cassation, le 6 mars, et de Mme la ministre de la
naissance des limites de sa compétence ; objecti- Justice et Garde des Sceaux, le 9 mars, les travaux
vité dans le rapport si, faute de certains documents, ont débouché sur la rédaction, l’adoption et la lec-
l’opinion émise ne peut être que provisoire ; hon- ture de « Recommandations » devant être présen-
nêteté intellectuelle vis-à-vis du rapport adverse si tées à la Communauté européenne. Elles ont été
celui-ci apporte des éléments susceptibles de le entendues.
faire changer d’opinion ; communication inté- EUROEXPERT a été constitué par les associations
grale à la partie adverse de tous les documents à d’experts représentatives des différents pays mem-
l’appui du rapport, quelle qu’en soit la forme ; réfé- bres. L’association est dotée de statuts depuis le
rences complètes sur toute personne autre que 23 septembre 1998. Son siège est à Luxembourg.
l’expert et son équipe et dont l’opinion écrite ou Ses objectifs ont été précisés dans l’article 1 des
orale est utilisée à l’appui des conclusions, et ce statuts :
afin de permettre l’audition de ladite personne en « EuroExpert, is not for profit organization, which
contre-interrogatoire. shall not pursue ancy party political objectives. Its
Nous retrouvons dans cette profession de foi tous objects are :
les termes qui définissent l’expert judiciaire de la
1. The development, promotion and convergence of
Continental Law, véritable poème à la Prévert qui
and education in common ethical and professio-
décrit, à travers lois et règlements, ce que devrait
nal standards for experts within the European
être « l’honnête homme du xxi e siècle » : compé-
Union, based upon the principles of high qualifi-
tence, conscience, objectivité, impartialité, dispo- cation; personal integrity; independence; impar-
nibilité, intégrité, indépendance, en somme probité tiality : objectivity and respect for confidentiality.
intellectuelle et morale, une certaine forme de cou-
rage et beaucoup d’humilité [3], comme cela a déjà 2. The provision of a point of contact between
été exprimé précédemment. experts and the European Commission : the
European Parliament, the European Court and
Le pragmatisme britannique en matière de preuve
other institutions of the European Union as well
rejoint l’éthique et la déontologie expertales fran-
as any other institution which deals at European
çaises. Ce qui compte ce sont les hommes et non
or international levels with tasks and issues
les procédures.
concerning the type of work which experts do.
La commission européenne de Bruxelles, sou-
3. Cooperation and relations with judicial and legal
cieuse d’accélérer l’harmonisation des méthodes
authorities, government departments, official
et des procédures dans l’ensemble des États mem-
and private bodies and other appropriate tribu-
bres de l’union, a pris acte d’une déclaration d’in-
nals and organisations for the purposes of accre-
tention signée conjointement par The Academy of
ditation and certification of experts and other
Experts du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
matters relevant to the work which experts do.
par la Fédération nationale des compagnies d’ex-
perts judiciaires de France le 21 avril 1997 à 4. The provision of a forum for experts worldwide. »
Paris. Les choses ont bougé dans le domaine expertal au
Le colloque européen organisé les 6 et 9 mars 1998 sein de la Communauté européenne [6]. Ce qui se
au Sénat à Paris par la FNCEJ et la compagnie des met prioritairement en place, c’est une liste d’ex-
experts agréés par la Cour de cassation, avec la par- perts au plan pénal. Son élaboration est déjà en
ticipation de la direction générale 22 (éducation, cours à l’incitation de la Commission Européenne
formation, jeunesse) de la Commission européenne, sans que soit encore précisé devant quelle juridic-
avait pour thème « L’expertise judiciaire en Europe » tion elle sera compétente. Une liste d’expert près
[5]. Il a largement contribué à définir ce que peut la Cour Pénale Internationale existe déjà.
être l’« Espace expertal européen », en attendant En octobre 2006, s’est créé l’IEEE, Institut euro-
l’ouverture du futur « Espace judiciaire européen ». péen de l’expertise et de l’expert, association loi
Huit des États membres de la Communauté euro- 1901 qui regroupe des magistrats, des avocats et
péenne y ont pris la parole. Quinze au total étaient des avoués, des universitaires et des experts de

99
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

toute l’Union Européenne. Il a pour vocation [2] Guillien R, Vincent J. Lexique de termes juridiques,
d’être un laboratoire d’idées, un cadre de recher- 8e édition. Dalloz, Paris, 1990.
che, une force de proposition et d’analyse dans le [3] Hureau J. Responsabilité et déontologie de l’expert
domaine de l’expertise. Il a également pour objec- judiciaire médecin. Chirurgie, 1996, 121 : 507–514.
tif la promotion de l’expertise judiciaire « à la [4] Jauffret-Spinosi C. L’expertise médicale en droit com-
française » dans la nécessaire harmonisation des paré. Actes du Colloque de la CNEM, Paris-Sénat,
2 décembre 1994.
pratiques européennes.
[5] L’expertise judiciaire en Europe. Colloque européen,
Toutes ces volontés d’action se rejoignent, du niveau 6 au 9 mars 1998, Paris. Actes du colloque édités par la
français le plus local jusqu’aux ambitions d’effica- FNCEJ.
cité européennes, pour assurer à la justice, donc au [6] Les perspectives de rapprochement des procédures judi-
justiciable, une qualité des experts et des expertises ciaires expertales en matière civile au sein de l’Union
la meilleure possible. C’est toute l’activité expertale, Européenne. 2e colloque européen, 3 décembre 1999,
judiciaire ou non, qui doit en bénéficier. Paris. Actes du colloque édités par la Compagnie des
Experts agréés par la Cour de cassation.
[7] Stevenson R. L’expertise en Angleterre et au Pays de
Bibliographie Galles. Revue Experts, 1997, no 34, 6–8.
[1] FNCEJ. L’évolution du règlement des conflits. Congrès [8] The Academy of Experts et la FNCEJ. Déclaration
national des experts judiciaires, Lille, 11 au 13 octobre d’intention du 21 avril 1997.
1996. [9] Vademecum de l’expert de justice. CNCEJ Paris 2006.

100
Différents types Chapitre  4
d’expertises
et d’experts
L’expert médecin, essai de classification
B. Peckels et J. Hureau

Comme tout autre expert, l’expert médecin est sion et au donneur d’ordre. Précisons enfin que le
une personne particulièrement compétente dans tableau ci-dessous qui illustre cette classification ne
sa discipline, reconnue apte à mener à son terme doit pas être interprété comme une tentative de
une mission d’expertise dans son domaine de cloisonnement entre les diverses catégories d’ex-
compétence. Dans le cadre d’une mission, il perts qui s’y trouvent individualisées. Le passage
répond à des questions précises à l’aide de consta- d’une fonction à l’autre est possible et pratiqué. Y
tations, d’investigations, d’évaluations et/ou d’avis a-t-il des incompatibilités entre l’une ou l’autre
ou recommandations motivés. Il peut également fonction ? Ceci est un autre problème dont la
assister la personne concernée par la mission s’il réponse sera apportée par la jurisprudence à la suite
est expert d’une partie. Il agit toujours sans mis- de l’arrêt (no 823 FS – P+B) rendu le 22 mai 2008
sion proprement médicale de diagnostic, de trai- par la 2e chambre civile de la Cour de cassation,
tement et/ou de suivi. Il ne peut en aucune façon selon lequel « avoir réalisé des missions pour des
être considéré comme maître d’œuvre dans la sociétés d’assurance ne constitue pas en soi l’exer-
pathologie en cause. Son action se fait en toute cice d’une incompatibilité avec l’indépendance
indépendance et transparence, dans le respect de nécessaire à l’exercice de missions judiciaires
la déontologie médicale et expertale, avec tou- d’expertise ».
jours pour but essentiel de participer à la recher-
che de la vérité médicale, sans tromperie ni
omission.
L’expert médecin est considéré apte à toute acti- L’expert, conseil d’une partie
vité médico-légale dans les limites de ses compé-
tences ainsi que le lui rappellent les codes et la Aujourd’hui il est le plus souvent nommé expert
réglementation en vigueur. C’est en fait pour lui de partie et parfois, mais beaucoup plus rarement,
un problème de conscience. expert d’assuré.
En l’absence de classification officielle ou unanime- Il ne doit être confondu ni avec le médecin consul-
ment reconnue des experts médecins, les responsa- tant qui, en médecine de soins, donne un avis,
bles de cet ouvrage ont souhaité, à juste titre mais ne suit pas le patient, ni avec le médecin qui,
d’ailleurs, y faire figurer un essai de classification en matière d’expertise, donne un avis technique, le
des experts afin de clarifier, si faire se peut, les plus souvent à un avocat qui n’en utilisera que
besoins et les pratiques des expertises dans le l’utile à la défense de son client, sans assister
domaine de la santé. Cet essai de classification qui ensuite la personne examinée, en particulier lors
nous semble correspondre aux pratiques actuelles d’une audience, sauf à s’engager à dire toute la
fait référence, à la fois, à la fonction, au type de mis- vérité, c’est-à-dire à devenir expert de partie, ce

101
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

qui semble un exercice difficile dans une même • enfin, en cas de litige, dans le cadre d’une exper-
affaire. tise contradictoire amiable ou non, il représente
Il intervient pour des affaires de nature médico- les intérêts d’un blessé (ou d’un malade) s’il est
légale, à l’occasion ou en dehors d’un conflit, en en recours et ceux de la compagnie s’il est en
recours (le plus souvent) ou en défense. défense.
Il est missionné directement par une personne, ou
dans le cadre d’un contrat d’assurances de protec-
tion juridique prévoyant son libre choix. Le tiers-expert
Il établit conformément à la vérité, c’est-à-dire
sans tromperie ni omission, un rapport d’exper- Le parangon en est l’expert nommé judiciaire-
tise, conseille et assiste son « client » lors d’une ment, mais c’est aussi, dans le cadre d’une exper-
expertise contradictoire s’il y a lieu, à l’exclu­- tise amiable-contradictoire, l’expert choisi par
sion de tout autre suivi, en particulier théra­- deux ou plusieurs parties dont l’une ou plusieurs
p­eutique. sont des compagnies d’assurance.
Il doit enfin être soumis aux règles communes de Il intervient dans le cadre d’un litige, respecte le
compétence et de déontologie de tout expert. contradictoire et jouit d’une totale indépendance
vis-à-vis des parties.
Ainsi que rappelé ci-dessus il peut être missionné
en dehors ou dans le cadre d’une juridiction
L’expert, conseil de compagnie étatique.
d’assurances « Dans le premier cas (négociation, transaction,
conciliation ou médiation conventionnelles, arbi-
Parfois nommé, à juste titre d’ailleurs, expert d’as- trage), le choix de l’expert est à la discrétion des
surance, c’est en fait un expert de partie. Le seul parties ou du tribunal arbitral ; il établit un rap-
problème est que sa qualité soit clairement rappe- port d’expertise amiable. Dans le second cas, l’ex-
lée dans chaque affaire afin d’écarter toute possi- pert est imposé par le juge. Il peut intervenir
bilité de conflit d’intérêts. indistinctement en matière civile, sociale, commer-
Il est soumis aux règles communes de l’expert. ciale, administrative ou pénale et dans cette der-
Il existe un certain lien de subordination entre lui nière seulement s’il est inscrit sur une liste de cour
et la compagnie qui le missionne et le paie. d’appel ou de la Cour de cassation. » (in Revue
Experts, no 57 : 3).
Il intervient :
Les experts aujourd’hui sont obligatoirement ins-
• soit à titre préventif dans le cadre d’une assu- crits sur une liste ad hoc pour accomplir les
rance de personnes ; expertises suivantes : expertises au pénal, exper-
• soit en cas de sinistre sans tiers responsable tises en accidents médicaux, expertises en
pour l’exécution des termes d’une police d’assu- Sécurité sociale et expertises en matière d’em-
rances ; preintes génétiques.
• soit dans le cadre de la loi Badinter (5 juillet
1985), en cas de sinistre automobile avec tiers Les expertises au pénal
responsable. L’expertise est alors confiée à un
expert unique choisi par l’assureur de l’auteur Toutes les missions provenant du parquet, d’un
de l’accident, voire même faite sur pièces dans le juge d’instruction ou d’une juridiction correc-
cadre de la convention IRCA du 1er avril 2002 tionnelle doivent, sauf exception et avis motivé du
qui prévoit lorsqu’un examen médical est néces- magistrat prescripteur, être confiées à un expert
saire, que l’expert soit désigné par l’assureur de figurant sur une liste de cour d’appel ou sur la liste
la victime ; de la Cour de cassation.

102
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

EXPERTS MÉDECINS

Expert-Conseil Expert-Conseil Expert


Tiers-Expert
d’une partie d’une Cie d’assurances obligatoirement listé

préalablement expertise expertises


à une assurance amiable pénales
de personnes

dommage médiation LN - EAM


sans Tiers responsable conciliation

Loi Badinter Arbitrage S.S.

Expertise amiable procès Empreintes


contradictoire génétiques

civil

pénal

administratif
Figure 4.1
Classification des différents concepts du terme « expert ».

Les expertises en accidents Les expertises en matière


médicaux d’empreintes génétiques
Au terme d’un délai de deux ans consécutif à la Elles sont extrêmement encadrées, la preuve bio­
promulgation de la loi du 4 mars 2002 sur les logique étant devenue irréfutable. Un décret du
droits des malades, les personnes qui auront choisi 6 février 1997 rend obligatoire l’agrément des labo-
de porter leur demande d’indemnisation devant ratoires d’empreintes génétiques par le Ministère
les Commissions régionales de conciliation et de la Justice selon des critères stricts. L’agrément
d’indemnisation (CRCI) devront avoir affaire à est délivré pour 5 ans. Le responsable de l’analyse
un expert inscrit sur la Liste nationale en acci- doit lui-même être expert judiciaire inscrit sur une
dents médicaux (LN-EAM). liste de cour d’appel ou sur la liste nationale.
L’expert ne peut effectuer les analyses d’empreintes
génétiques en dehors du cadre d’une mission au
Les expertises en Sécurité sociale pénal ou au civil13.
La figure 4-1 résume cet essai de classification.
Elles sont effectuées par les médecins inscrits sur
les listes de Cours d’appel sous la rubrique
13 Depuis la rédaction de cet article, la loi n˚ 2004-800
« Experts spécialisés en matière de sécurité du 6 août 2004 relative à la bioéthique a été pro-
sociale », conformément à l’article R. 141-1 du mulguée. Voir en particulier le titre III : « Droits de
Code de la sécurité sociale (décret no 86-658 du la personne et caractéristiques génétiques », article
18 mars 1986). L. 1131-3 du CSP.

103
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

L’expertise en droit commun

L’expert face à sa mission – Le rapport


J. Hureau

Le rapport médical en expertise judiciaire est • identification et qualité du ou des experts, éven-
l’aboutissant de l’enquête, de l’inquisition faite tuellement du ou des techniciens associés ;
pour établir des faits et des réalités techniques et • retranscription complète de la mission, ce qui
scientifiques dont la connaissance est nécessaire à permet d’en prendre à nouveau l’exacte connais-
la manifestation de la vérité médicale qui permet- sance. Elle sera intégralement rappelée lors de la
tra de fonder la vérité judiciaire. réunion expertale ;
Ce rapport écrit est représentatif, aux yeux du juge, • date et lieu de l’exécution de la mission (date de
des avocats et des parties, du travail effectué par la ou des réunions expertales) ;
l’expert. Il est représentatif de l’expert lui-même. Il
• identification, qualité et adresse des personnes
assure sa crédibilité. Ce rapport doit donc être
présentes à l’expertise en précisant à quel titre
irréprochable dans la forme et dans le fond.
elles ont été convoquées ;
Il doit préciser que toutes les règles de procédure
• rappel de la date à laquelle les parties ont été
inhérentes à l’expertise, quelle que soit la juridic-
convoquées par lettre recommandée avec
tion, ont été scrupuleusement respectées. Le res-
accusé de réception et leurs conseils (avocats-­
pect de ces obligations évitera le rejet du rapport
médecins) par courrier simple. Un délai de trois
pour vice de forme, même si le fond n’est pas
semaines à un mois est justifié par la nécessité
critiquable.
de laisser aux parties la possibilité d’organiser
Il est dans la mission même de l’expert technicien leur emploi du temps. Ceci évite des demandes
de rendre intelligible à des non-initiés à la méde- de report toujours désagréables. Il faut particu-
cine et/ou au droit des faits souvent complexes, lièrement se méfier des périodes de vacances
traduits dans un vocabulaire spécifique qu’il faut scolaires ;
expliquer, rendre compréhensible à des non-
médecins ; le rapport doit être clair ; rien ne doit se • le ou les experts attesteront qu’ils ont personnel-
cacher derrière un vocabulaire abscons ; le rap- lement accompli leur mission (art. 233 du Code
port doit être logique et ne pas comporter d’inco- de procédure civile, CPC) ;
hérences entre ses différents chapitres. • le rapport doit être daté (date de sa rédaction
définitive) et signé.

Le rapport en juridiction civile La liste des documents


communiqués
En procédure civile, le procès appartient aux par-
ties qui en gardent la maîtrise sous contrôle du Elle doit être complète. Elle doit, en matière
juge. d’expertise médicale, ne retenir que les pièces
ayant un intérêt pour établir des faits médicaux
en rapport avec la cause. Il peut s’agir de pièces
Le préambule non médicales comportant des renseignements
C’est là qu’il faut veiller au respect de la procédure médicaux.
dominée par le principe de la contradiction et en Elle mentionne l’origine des documents et leur
faire état : référence de procédure si elles en ont une.
• rappel précis de l’autorité judiciaire qui a Elle précise que tous ces documents ont fait l’objet
ordonné la mission et des références complètes d’une communication aux parties et d’un échange
de l’ordonnance ou du jugement ; entre les parties, soit avant la réunion expertale,

104
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

lors de la constitution du dossier médical par les infirmiers ou encore dans les résultats d’examens
parties, soit au cours même de la réunion exper- de laboratoires, d’imagerie médicale ou d’exa-
tale contradictoire. mens anatomo-pathologiques, de nombreux ren-
Une bonne pratique est de les classer par ordre seignements que le raccourci d’un compte rendu
chronologique et de leur attribuer un numéro d’hospitalisation, un compte rendu opératoire ou
d’ordre (bordereau) dans le rapport, ce qui permet une lettre d’information à un médecin ne trans-
de les utiliser dans l’ordre logique au chapitre des crit pas toujours. Certains de ces détails d’impor-
faits et de les y mentionner par leur numéro d’ap- tance peuvent avoir été oubliés de l’une ou l’autre
pel, ce qui allège le rappel des faits. C’est en quel- partie.
que sorte la référence à laquelle le lecteur du À côté des éléments du dossier médical propre-
rapport se reportera s’il veut contrôler l’authenti- ment dit, le rappel chronologique des faits doit
cité d’un document cité. également tenir compte de tous les comptes ren-
Les règles de procédure, les lois et règlements dus, rapports d’interrogatoire, certificats médi-
sur la communication des dossiers médicaux, caux ou non établis par les parties ou à leur
les exigences des codes évitent qu’à aucun demande.
moment l’expert judiciaire médecin ne soit mis S’il existe des divergences, elles doivent être signa-
en situation de trahir le secret médical (cf. sous- lées mais non encore interprétées et discutées à ce
chapitres). stade du rapport.
Il importe d’établir des faits bruts dans toute leur
Le rappel des faits exactitude, leur précision et leur sécheresse.
Cette partie du rapport doit établir scrupuleuse-
ment tous les faits médicaux qui ont abouti à la Les troubles allégués et l’examen
situation de litige, objet de la mission. Il ne faut du patient
pas hésiter à retranscrire intégralement certains
documents ou leurs passages essentiels. Il ne faut Ils décrivent l’état actuel du patient. Ils sont le
rien laisser dans l’ombre qui pourrait servir à la résultat d’un examen médical habituel mais exclu-
manifestation de la vérité médicale. sivement centré sur ce qui est directement ou
indirectement en rapport avec la cause du litige.
Par contre, l’expert ne doit « révéler que les élé-
ments de nature à apporter la réponse aux ques-
tions posées. Hors de ces limites, il doit taire tout Des antécédents pathologiques
ce qu’il a pu connaître à l’occasion de cette exper- et de l’état antérieur
tise » (art. 107 du code de déontologie médicale). Il faut taire ce qui est sans rapport avec les faits,
L’article 244 du Code de procédure civile précise même si tel ou tel document médical en fait état
cette règle générale à toute activité expertale, dans (art. 108 du code de déontologie médicale). À l’ex-
quelque discipline que ce soit. Cette règle n’est pas pert d’en juger.
spécifique à l’expertise en discipline médicale.
Elle y prend simplement une importance encore La divulgation d’un fait ou d’un avis qui paraîtrait
plus grande. nécessaire à la manifestation de la vérité, mais qui
porterait atteinte à l’intimité de la vie privée, ne
Il est bon d’adopter un ordre chronologique qui peut être autorisée que par le juge ou avec le
permette de suivre de façon logique l’évolution consentement de la partie intéressée (art. 247 du
des faits et de la pathologie en cause. Les préci- CPC).
sions de dates, d’horaires, voire de minutage sont
souvent capitales pour apprécier les responsabili-
tés respectives. Les troubles allégués
L’expérience montre que l’expert découvre fré- Comme dans tout examen médical, il faut savoir
quemment dans un dossier médical, en particu- écouter. Il ne faut pas induire ou provoquer les
lier dans les dossiers de prescriptions d’examens réponses.
complémentaires et de thérapeutiques, ainsi que Il ne faut pas perdre de vue que la personne objet
dans les dossiers de soins et de transmissions de l’expertise n’est pas dans l’intimité du cabinet

105
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

d’un médecin qu’elle consulterait de son propre Les dires des parties
chef. Elle est impressionnée, à son corps défen-
dant, par « un certain cérémonial procédural » de Les dires oraux
l’expertise. Il est indispensable que, dès l’ouver- Ils sont recueillis au cours de la réunion expertale.
ture des opérations, l’expert lui explique en ter-
mes simples les nécessités de cette procédure Il ne faut pas laisser s’installer une discussion
contradictoire que souvent elle n’imaginait pas. agressive entre les parties. Toutes proportions
Faute de quoi elle pourrait, à tort, se sentir agres- gardées, à l’instar d’un président de tribunal et en
sée avec toutes les réactions de reploiement ou de usant d’une autorité qui ne se départira jamais des
manifestations incontrôlées qu’un tel sentiment règles de la courtoisie déontologique, l’expert doit
peut engendrer. faire transiter toutes les questions, toutes les
réponses, toutes les précisions, remarques et argu-
Il faut établir d’emblée un climat de confiance et mentations par son canal.
d’impartialité.
Ces dires doivent être notés avec exactitude.
À côté de patients bien équilibrés, sincères et hon- Certaines phrases énoncées par l’une ou l’autre par-
nêtes, il y a les quasi muets, ils ne sont pas nom- tie peuvent être d’importance capitale. Il faut les
breux, il faut les faire parler ; mais il y a aussi les retranscrire intégralement dans le rapport après les
diserts, voire les agressifs qui confondent respect avoir fait confirmer par celui qui les a prononcées.
du principe juridique de la contradiction et
contradiction systématique de tout ce qui se dit au Il peut paraître efficace, dans une affaire particu-
cours de la réunion expertale. lièrement délicate, d’enregistrer les propos. C’est
un peu lourd à gérer mais parfois utile. Ce n’est
Dans tous les cas, les dires doivent être intégrale- pas sans inconvénient. Il faut en informer au préa-
ment consignés, si possible dans les termes exacts lable les participants à la réunion et recueillir leur
où ils ont été énoncés, après les avoir fait répéter accord. Le fait de parler sous contrôle d’un enre-
par leur auteur. À l’expert ensuite, au cours de la gistrement peut intimider certaines personnes.
discussion de son rapport, de faire la part des allé- Il  faut savoir également que la retranscription
gations fonctionnelles véritablement liées à la d’un tel enregistrement est longue et parfois volu-
pathologie en cause. mineuse. Enfin, elle n’a pas plus de valeur dans le
corps du rapport que les notes prises par l’expert
L’examen clinique et contrôlées en cours d’expertise. Cette pratique
Il ne comporte rien de particulier. Il rappelle l’âge peut éviter des oublis toujours possibles. Je ne suis
et les mensurations du patient. Ce doit être un pas sûr qu’elle soit recommandable.
examen aussi complet que possible, intéressant les Enfin, un tel enregistrement pourrait inciter l’une
grandes fonctions et les organes qui peuvent être ou l’autre des parties à utiliser le même procédé
atteints directement ou indirectement par la vis-à-vis de l’expert ou de la partie adverse. Cela
pathologie incriminée. ne peut être toléré en raison des risques toujours
Dans certaines spécialités (oto-rhino-­laryngologie, possibles de manipulations secondaires sur l’enre-
ophtalmologie), il peut être nécessaire de le com- gistrement magnétique. Ce serait en outre une
pléter par des investigations instrumentales non marque de défiance vis-à-vis de l’expert.
agressives avec l’accord du patient. Il faut s’assurer auprès de chacune des parties et de
Les renseignements recueillis permettront de dif- leur conseil que chacun s’est librement et complè-
férencier ce qui revient à une pathologie initiale et tement exprimé sur les faits avant de clore ce véri-
à son évolution, des conséquences dommageables table « tour de table ». Au cours de cette réunion, il
éventuelles de l’accident ou de la faute incri­ faut éviter, voire maîtriser toute velléité de déra-
minée. page en plaidoirie, qui est réservée au prétoire.
L’examen doit fournir tous les éléments bruts
nécessaires à l’évaluation d’un dommage indé-
Les dires écrits
pendamment de toute conclusion sur un lien de Des dires écrits peuvent être fournis au cours de
causalité entre une faute ou un aléa éventuel et le l’expertise, en général par un demandeur peu
dommage. habitué à l’expression orale. Ils font alors partie

106
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

des documents immédiatement communiqués à dans son rapport, mentionner l’identité et les
l’ensemble des parties présentes ou représentées. qualités du technicien, résumer les constatations
Le plus souvent, les dires écrits sont adressés à de celui-ci et retranscrire son avis. Le rapport
l’expert par le canal des conseils, après la réunion séparé du technicien associé sera joint en annexe
expertale. Ils font suite à une réflexion des parties au rapport de l’expert désigné.
sur les échanges qui ont eu lieu au cours de la En conclusion, plus la mission est précise, plus les
réunion. réponses aux questions doivent être courtes, sans
Il en va de même des dires adressés après commu- ambiguïté et en parfaite concordance avec les faits
nication d’un pré-rapport lorsque cette procédure établis et l’interprétation qui en est donnée à la
est ordonnée. Comme le rapport final, le pré-­ discussion.
rapport doit être daté et signé avant son envoi au Une bonne pratique est de rappeler le libellé de
conseil de chacune des parties. chacune des questions de la mission et d’y répon-
Dans les deux cas, ces dires, outre d’être adressés dre au fur et à mesure, de façon franche, en termes
à l’expert, doivent l’être aux autres parties par identiques. Nous allons voir que cela n’est pas tou-
l’intermédiaire des conseils juridiques, un temps jours aussi aisé qu’il peut y paraître.
suffisant mais raisonnable étant laissé par l’expert Enfin rappelons qu’en juridiction civile, le rapport
pour l’élaboration de ces dires (3 semaines à un est déposé au secrétariat de la juridiction qui l’a
mois) avant le dépôt du rapport. L’expert doit ordonné (art. 282 du CPC) et est expédié à toutes
répondre, dans son rapport, aux différents points les parties, c’est-à-dire leur conseil, ceci dans le res-
soulevés par ces dires. Il faut éviter que cette pra- pect de la procédure contradictoire. L’application de
tique des dires écrits n’aboutisse à un échange la loi du 17 juin 2008 sur la prescription en matière
polémique et répétitif entre les parties par expert civile incite à conseiller les envois au tribunal
interposé. L’expert n’est là que pour établir des comme aux parties par voie de recommandé avec
faits, terrain en général solide, et pour en donner accusé de réception.
des interprétations scientifiques ou techniques Une fois le rapport déposé, l’expert se trouve ipso
sans état d’âme personnel. facto dessaisi de sa mission. Il ne peut rien y chan-
ger de son propre chef.
La discussion et les conclusions Pendant toute la durée de sa mission comme
après le dépôt de son rapport, l’expert peut, en
Ce sont les deux chapitres qui seront lus en prio- cas de difficultés particulières, en référer au
rité après le dépôt du rapport. Ils sont le résultat magistrat qui l’a commis dans le cadre d’un juge-
du travail de réflexion de l’expert. Ils doivent s’ap- ment, ou au magistrat chargé du contrôle des
puyer sur tous les faits précédemment établis et expertises dans le cas très fréquent d’une procé-
rester parfaitement cohérents avec eux. dure en référé (art. 167, 168, 242, 243, 245, 273,
La discussion doit expliquer les réponses faites 275 et 279 du CPC).
aux questions posées par le juge, à toutes les ques-
tions, rien qu’aux questions.
Quant à ce dernier point de l’adage, la discussion Le rapport en juridiction pénale
doit garder une certaine souplesse, une certaine
liberté, si l’on veut que des faits parfois complexes La grosse différence avec la procédure civile tient
soient compris par des non-initiés. C’est ce qui est dans le fait que les opérations ne sont pas contra-
exprimé dans nombre de missions élargies qui dictoires du moins en ce qui concerne la mission
demandent que « soient faites toutes observations de l’expert.
utiles à la manifestation de la vérité ». L’expert ne doit ses conclusions qu’au magistrat
Lorsque l’expert a pris l’initiative de recueillir qui l’a commis (art. 166 du Code de procédure
l’avis d’un autre technicien dans une spécialité pénale, CPP).
distincte de la sienne (art. 278 du CPC) (avec l’ac- L’expertise appartient à la juridiction ou au juge
cord des parties en raison des frais que cela engage d’instruction qui l’a ordonnée (GP, 2004 ; 124 :
et après en avoir informé le magistrat), il doit, 226-230, p. 2 à 7). La loi du 5 mars 2007 n’a apporté

107
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

que quelques assouplissements destinés au juge Quelles sont les limites que l’expert va rencontrer
dans l’application du principe de la contra­ dans l’exécution d’une mission destinée à éclairer
diction. le juge sur une question de fait (art. 232 du NPC),
Rappelons toutefois que : « lorsqu’il a été statué sachant que l’expert ne doit jamais porter d’appré-
sur l’action publique, les mesures d’instruction ciation d’ordre juridique, mais qu’il doit donner
ordonnées par le juge pénal sur les seuls intérêts son avis sur les points pour l’examen desquels il a
civils obéissent aux règles de la procédure civile » été commis (art. 238 du CPC) ?
(art. 10 du CPP).
La procédure de l’expertise en juridiction pénale a Les limites techniques
ses obligations qu’il importe de bien connaître.
Elles concernent en particulier le traitement des L’expert doit se baser sur les données actuelles de
scellés (art. 163 et 166 du CPP), les conditions la science.
d’auditions de témoins, de témoins assistés ou de Il dispose pour cela de ses connaissances et de
personnes mises en examen (art. 164 du CPP). toute la littérature médicale et, depuis quelques
L’expert « remplit sa mission en liaison avec le juge années, en certains domaines, des références
d’instruction ou le magistrat délégué » (art. 161 médicales opposables (RMO) et des conférences
du CPP). De ce fait, la communication avec la juri- de consensus élaborées sous l’égide de l’Agence
diction est immédiate et peut prendre un carac- nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
tère personnalisé. Ceci permet de résoudre plus (ANAES), à laquelle a succédé la Haute autorité de
facilement certains problèmes intéressant les ter- santé (HAS). Ces différentes sources de références
mes mêmes de la mission lorsqu’au cours de l’en- doivent être utilisées avec l’esprit critique du
quête apparaissent des faits que ni le juge ni médecin dont l’une des qualités majeures doit être
l’expert ne pouvaient connaître initialement. la méfiance vis-à-vis de lui-même mais également
des autres. Les sources proprement scientifiques
Malgré les contraintes s’attachant à la juridiction
doivent être confrontées les unes aux autres pour
pénale, l’expertise au pénal bénéficie de plus de
n’en retenir que ce qui est acquis au moment des
souplesse d’exécution qu’au civil. Rappelons tou-
faits. Elles font jurisprudence médicale.
tefois les règles très précises qui s’attachent à
l’audition des personnes mises en examen (art. Pour l’expert judiciaire médecin confronté à la
164 du CPP). responsabilité médicale, les références à caractère
économique sont un filet à grosses mailles pour la
Pour le reste, la conduite même des opérations
pêche au thon, les références à caractère scientifi-
d’expertise et la rédaction du rapport qui en est
que et technique sont un filet à petites mailles
l’aboutissant obéissent aux mêmes règles que
pour la pêche à la sardine. Le souci sécuritaire de
détaillées précédemment.
plus en plus grand dans le domaine médical oblige
à utiliser le filet à mailles fines.
L’évaluation du risque en dépend. Où commence
Les réponses aux questions – le risque (pudiquement dénommé aléa), où com-
leurs limites mence la faute ? Nous tenterons dans un autre
chapitre de répondre à cette question. C’est déjà,
« Ad quaestionem facti respondent juratores, ad par certains aspects, un problème juridique.
quaestionem juris respondent judices » : L’expert Ajoutons que, dans une nation qui s’achemine
dit les faits, le juge dit le droit. (Philippe Bornier. vers une organisation à deux vitesses de la méde-
Conférences des Nouvelles Ordonnances de cine, il ne serait pas tolérable pour les experts
Louis XIV. M. DC. XCIV, Paris, Tome I, Art. XVI, judiciaires médecins de choisir le niveau des exi-
Tit. XXI, p. 169). gences scientifiques et techniques en fonction des
Les exposés précédents ont montré la genèse d’une moyens mis à la disposition du médecin incri-
désignation d’expert et de l’établissement de la miné. Quel que soit son mode d’exercice, le méde-
mission, c’est-à-dire du choix et de la rédaction cin doit fournir ou faire fournir au malade qui se
des questions qui vont constituer le cadre des opé- confie à lui ou qui lui est confié les moyens les plus
rations du technicien. adaptés aux soins dont il a besoin.

108
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Il arrive que des divergences entre les avis des En matière de responsabilité médicale, les ques-
experts ne soient que des divergences d’écoles. tions qui sont posées à l’expert sont souvent beau-
L’expert, face à la discussion de son rapport, n’a coup plus insidieuses, ou au contraire très
pas à trancher entre deux conduites qui seraient directes.
tout aussi actuelles et acquises. Il n’a pas à tran- À côté des questions purement scientifiques ou
cher entre Hippocrate et Gallien (procureur techniques destinées à instruire le juge sur des
Général Dupin, arrêt de la Cour de cassation du faits totalement étrangers à des non initiés, le
18 juin 1835). Il doit tout exposer, tout discuter magistrat pousse souvent le technicien à préciser
sans faire état exclusivement de sa prise de posi- son interprétation de telle sorte qu’il en fait le
tion personnelle dans un débat en faveur de telle véritable juge du caractère fautif des actes
hypothèse ou de telle technique. Il est autorisé à pratiqués.
faire part de ses préférences liées à son expérience. Voici quelques questions dont la gradation est
Face à ses limites personnelles, sur un point parti- exemplaire. Imaginons 3 dossiers.
culièrement spécialisé du dossier, l’expert doit
Dans la première affaire, le juge se garde une
savoir s’adjoindre le technicien associé le plus à
marge d’appréciation. C’est la traduction de l’arrêt
même de lui apporter la réponse scientifique
Mercier de 1936 sur la base du contrat médical de
recherchée. Il ne doit rendre son rapport de tech-
moyens : « Les experts indiqueront… si les soins
nicien qu’en s’entourant de toutes les garanties
apportés le… au soir, à la suite de la chute de ten-
indispensables. Face aux limites des connaissan-
sion de… X, ont été conformes aux règles de l’art
ces elles-mêmes, il doit savoir en faire état après
généralement admises dans le milieu médical.
s’être, là aussi, entouré de toutes les garanties
Dans la négative, les experts préciseront ce qu’ils
requises. Lorsque des hypothèses scientifiques,
auraient dû être… ».
des techniques nouvelles n’ont pas encore fait la
preuve de leur fiabilité, il doit les éliminer des Dans la deuxième affaire, les termes des articles
données actuelles et acquises de la science, sans des codes civil et pénal apparaissent en clair,
pour autant les occulter. Vérité scientifique, vérité même s’il n’y est fait qu’une référence implicite :
expertale, vérité judiciaire ? Cela méritera un « Les experts… plus généralement procéderont à
court exposé. toutes constatations au plan médical pour appré-
cier l’existence de négligences, imprudence, mala-
dresse ou inattention susceptibles de révéler
Les limites juridiques l’existence de responsabilités… ».
La faute, le dommage, le lien de causalité de l’un à Dans la troisième affaire, la question finale de la
l’autre, tels sont les trois termes qui sous-tendent mission est sans nuance : « Déterminer s’il y a eu
la mission donnée par le juge. de la part du docteur… X, le…, une faute relevant
Dans le domaine de la réparation du dommage de l’article 221-6 du Code pénal, dans le fait de
corporel, l’expert n’est appelé que pour constater n’avoir pas retenu le diagnostic de… Si oui, déter-
la réalité du dommage, pour fournir les éléments miner le lien de causalité entre la faute retenue et
d’évaluation du dommage allégué, établir une le décès de… Y. Effectuer toutes observations
relation entre l’accident invoqué et le dommage utiles… ».
constaté, dire éventuellement si la causalité porte Il ne reste plus à l’expert qu’à ouvrir le Code pénal
sur l’entier dommage. Il n’est pas interrogé sur les pour s’informer, s’il ne le savait déjà, ce qu’énonce
responsabilités même des acteurs de l’accident. l’article 221-6 (atteinte involontaire à la vie) et les
Dans le domaine des assurances privées (assurance- sanctions encourues par son confrère. Ce n’est
vie, assurance décès/invalidité), l’expert judiciaire, bien sûr pas à l’expert de répondre à une telle
en cas de litige porté en justice, n’a encore là qu’un question de droit aussi directe.
rôle technique bien que la part d’interprétation y Lorsque les faits concordent sans ambiguïté avec
soit plus importante. Il doit en règle établir un lien le caractère direct de la question, qui est le juge ?
de causalité entre les prétentions contractuelles du C’est le juge lui-même, bien sûr, puisqu’il n’est pas
demandeur et les faits d’ordre médical qu’il est lié par les constatations ou les conclusions du
appelé à constater et à discuter. technicien (art. 246 du CPC). Mais comment

109
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

irait-il contre un avis qui sera forcément formulé


aussi brutalement que le veut une question trop
La position de l’expert face
directement posée. à sa mission est claire
Les conséquences juridiques des avis d’experts
sont grandes, comme l’a souligné maître H. Fabre S’il l’accepte, il doit la remplir personnellement
en parlant « du rôle de guides éclairés des juges et (art. 233 du CPC) avec conscience, objectivité et
de la jurisprudence », de l’établissement « d’une impartialité (art. 237 du CPC).
sorte de code de bonne ou mauvaise pratique médi- La rédaction du rapport est un art difficile qui
cale » qui crée « la jurisprudence de la bonne ou demande une réflexion et prend beaucoup de
mauvaise pratique médicale » évolutive au fil du temps. N’oublions pas qu’il sera diffusé à des non-
temps et des connaissances nouvelles. médecins qui devront pouvoir l’utiliser.
On voit mal comment, dans un domaine aussi L’utilisateur sera, par principe, un être pressé qui
complexe que la médecine et dans l’état actuel du cherchera le plus rapidement possible la réponse
droit français, les magistrats pourraient ne pas aux questions qu’il se pose.
pousser les experts jusque dans leurs derniers On ne saurait mieux comparer un rapport judi-
retranchements. À ceux-ci de s’exprimer en ter- ciaire qu’à une thèse de doctorat dans laquelle
mes clairs, précis mais suffisamment nuancés thèse, antithèse et synthèse se déroulent en toute
pour ne pas être accusés de faire du droit. logique et cohérence. Corps du rapport, discus-
Mais alors où est la frontière entre la technique et sion et conclusions jouent le même rôle.
le droit lorsque, pour souscrire à une tendance Un rapport d’expertise judiciaire est fait pour être lu
pro-indemnitaire parfois compréhensible, appa- à l’envers. Chacun se précipite sur les conclusions.
raissent dans les questions posées à l’expert : Puis il ira chercher dans la discussion le bien-fondé
• le dosage subtil d’un comportement éclairé sur des réponses fournies. Peut-être éprouvera-t-il le
le risque thérapeutique ou les solutions alternatives ; besoin de se remémorer les faits ou certains faits.
Dès lors, si son esprit critique est exacerbé, il en
• la théorie de la perte de chance qui modifie la cherchera la preuve dans la liste classée des docu-
problématique du lien de causalité ; ments consultés. Si enfin le rapport n’est pas favora-
• l’évocation de la causalité adéquate, notion ble à sa thèse mais que le fond lui paraît difficilement
purement juridique qui s’oppose à l’équivalence réfutable, il cherchera, dans les éléments procédu-
des conditions et par laquelle seul le juge peut raux détaillés au préambule, le biais qui lui permet-
opérer un choix entre les conditions nécessaires trait de faire écarter le rapport par le juge.
du dommage. Ce tableau n’est qu’à peine grossi. Il doit être dans
Ce ne sont là que quelques-unes des distorsions l’esprit de tout expert naïf (expertus nativus) qui a,
infligées au dogme de la faute prouvée, qui ne per- un jour, demandé son inscription sur la liste d’un
mettait pas, en droit civil ou pénal, l’indemnisation tribunal. Il ne saura que plus tard à quoi il s’est
de l’aléa médical, c’est-à-dire du dommage sans faute engagé. Il ne faut pas regretter un tel engagement,
si important soit le dommage. La loi du 4 mars 2002 car il apprend beaucoup sur la médecine et sur les
y a pourvu (cf. sous-chapitres p. 28 et 124). hommes qui la pratiquent ou en dépendent.

La réforme de l’instruction, la convention européenne


des droits de l’homme et l’expert judiciaire
P. de Fontbressin, J. Hureau

La perspective d’une réforme de l’instruction Les défenseurs de celui qui durant des années a pu
pénale suscite les réactions les plus diverses. être qualifié « d’homme le plus puissant de France »

110
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

dénoncent la mise à mort d’un symbole de l’indé-


pendance dont les mesures et la qualité de l’en-
Les victoires du contradictoire
quête sont soumises au contrôle de la chambre de au nom de la convention
l’instruction dans le respect des règles du procès européenne des droits
équitable.
Les partisans du changement mettent en évidence
de l’homme
les dérives résultant d’informations à charge
Dès lors que l’on accepte de dépasser [3] toutes
conduites par certains juges inexpérimentés, psy-
formes de querelles partisanes, on constate que
chorigides ou doctrinaires.
l’exigence doit être d’assurer le respect des droits
Ils insistent aussi sur la pratique croissante du de la défense et l’égalité des armes dans le procès.
recours à l’enquête préliminaire du parquet, le ren-
Partant d’une tradition essentiellement inquisitoire,
forcement du rôle du Procureur de la République
qui au xviiie siècle permettait encore de recourir à la
dans le procès pénal au fil des réformes et le fait
torture, si nécessaire, pour interroger l’accusé, puis
qu’en l’état, la saisine du Juge d’instruction dans
du code d’instruction criminelle de 1808 où l’avocat
moins de 5 % des procédures pénales impose de
était ignoré au cours de l’instruction, l’accusatoire a
redéfinir la place des acteurs de l’enquête pénale
pénétré progressivement dans le procès pénal [4].
pour mieux garantir le respect des droits de la
défense et des libertés. À cet égard, l’article préliminaire du code de pro-
Il peut être tentant de réduire le débat à un « juge- cédure pénale introduit par la loi du 15 juin 2000
ment des juges ». en son alinéa 1er est suffisamment éloquent
lorsqu’il dispose : « La procédure pénale doit être
Il est aussi dangereux de le ramener sur le terrain équitable, contradictoire et préserver l’équilibre
des diverses sensibilités politiques. des droits des parties. »
L’honneur d’une démocratie est qu’elles puissent De la même manière, les dispositions issues de la
toutes s’exprimer. loi du 5 mars 2007 en matière d’expertise pénale
Avant tout, la Justice exige la sérénité. confortent dans l’exigence d’une « expertise équi-
À l’abri des idées reçues et des passions, il faut table » de l’essence « d’un procès équitable » sou-
mesurer les enjeux. cieux de l’égalité des armes [5].
En l’espèce, ceux-ci ne sont autres que le respect Or, si une réforme qui pourrait être de nature à
des règles du procès équitable et par là même de la ouvrir dans certaines hypothèses un débat contra-
Convention européenne des droits de l’homme, dictoire devant un juge de l’instruction ou un juge
dont il n’est pas utile de rappeler qu’elle prévaut de l’enquête et des libertés [6] disposant de pouvoirs
sur toutes autres dispositions de droit interne en importants paraît a priori soucieuse d’un renforce-
vertu du principe de primauté. Elle doit être un ment du respect des droits et libertés individuelles
repère permanent, le phare d’une société démo- dans la phase préparatoire du procès pénal, les diffi-
cratique [1]. cultés relatives à la définition de la place du parquet
Or, l’application de la Convention européenne des au regard de l’article 6 de la Convention mais aussi à
droits de l’homme permet de constater une évolu- celle de l’expert méritent une attention particulière.
tion significative de notre procédure pénale au
cours de ces dernières années. Aussi la grande Les difficultés au titre du respect
réforme envisagée ne saurait prospérer qu’à la de la convention européenne
lueur de ses exigences.
des droits de l’homme
Si, après les victoires du contradictoire dans le
procès pénal déjà amorcées, il existe une volonté La difficulté évidente relative à la condition du
de parvenir à « substituer la culture de la preuve à parquet tient au principe de subordination hiérar-
la culture de l’aveu » [2], il va de soi que le rôle du chique qui ressort de l’article 30 du code de
parquet doit être redéfini. ­procédure pénale dans les termes suivants : « Le
Une telle démarche ne saurait être sans d’impor- ministre de la justice conduit la politique d’action
tantes conséquences pour l’expert. publique déterminée par le Gouvernement, il

111
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

veille à la cohérence de son application sur le ter- Comment dès lors ne pas penser que la contesta-
ritoire de la République. tion de l’indépendance du parquet au regard de
À cette fin il adresse aux magistrats du ministère l’article 6 n’aura pas un effet irradiant au titre de
public des instructions générales d’action publique. l’impartialité de l’expert ?
Il peut dénoncer au procureur général les infrac- Désormais expert du parquet et non plus expert
tions à la loi pénale dont il a connaissance et lui du juge, ne deviendra-t-il pas, par la force des cho-
enjoindre par instructions écrites et versées au ses, un expert de partie ?
dossier de la procédure d’engager ou de faire enga- On mesure ainsi combien il appartient aux experts
ger des poursuites ou de saisir la juridiction com- d’être attentifs au projet en cours pour ne pas un
pétente de telles réquisitions écrites que le ministre jour risquer de devenir, à l’instar du « médecin
juge opportunes ». malgré lui », des experts « partiaux malgré eux » en
Quelle que puisse être l’indépendance d’esprit du violation des règles de la Convention européenne
parquetier ou la liberté de parole dont disposera le des droits de l’homme.
ministère public à l’audience, en vertu de l’article Il convient d’attirer l’attention du législateur sur
33 du code de procédure pénale qui consacre le les effets secondaires et parfois pervers initiale-
principe « la plume est serve, la parole est libre », ment insoupçonnés de tout texte, surtout lorsqu’il
on perçoit immédiatement l’handicap de la subor- « révolutionne » une situation établie. Ne peut-on
dination hiérarchique au regard des exigences comparer ce risque diokétique au risque médica-
d’apparence, d’indépendance et d’impartialité menteux, le produit ayant pourtant reçu son
formulées par la Cour de Strasbourg [7]. autorisation de mise sur le marché après le « par-
En l’état du droit positif, peut-être serait-il possi- cours du combattant » que l’on sait ? La pharmaco­
ble au demeurant d’objecter que de telles condi- vigilance s’est imposée comme une nécessité
tions ne s’imposent pas au parquet, dès lors qu’il sécuritaire dans le suivi du médicament. La
apparaît comme une partie au procès investie du « juridicovigilance » s’imposera au même titre.
droit d’exercer toutes voies de recours. Une fois de plus, au-delà du ponctuel, de l’événe-
Sa qualité de partie le mettant à l’abri de la récusa- mentiel et des querelles partisanes, la participa-
tion devrait en effet faire obstacle à ce qu’il puisse tion [10] et la concertation de tous les hommes de
lui être fait grief de manquements à l’indépen- bonne volonté s’imposent.
dance ou l’impartialité… Il en va de l’avenir du combat pour le juste et le
Toutefois, à ce problème vient récemment de s’ajou- droit auquel, tout comme le juge et l’avocat, parti-
ter celui de la mise en cause de la qualité « d’autorité cipent, pour leur honneur, les experts de Justice.
judiciaire » des magistrats du parquet au sens de la
Convention européenne des droits de l’homme aux Bibliographie
termes d’un arrêt de chambre de la Cour de
Strasbourg à l’allure de « séisme » [8] à propos de [1] La Convention européenne des droits de l’homme
(commentaire article par article). Éd. Economica,
l’application de l’article 5 de la Convention. 2e édition, sous la direction de Louis-Edmond Pettiti,
Outre l’émotion légitime que pourra susciter chez les Emmanuel Decaux et Pierre-Henri Imbert.
membres du parquet, une contestation de leur « qua- [2] Extrait du discours du Président Nicolas Sarkozy lors
lité de magistrat au sens européen du terme » [9] si la de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cas-
grande chambre de la Cour européenne des droits de sation du 7 janvier 2009.
l’homme, d’ores et déjà saisie, se conforme à l’analyse [3] de Fontbressin P. La démocratie-dépassement. Éd.
des premiers juges, on imagine déjà quels seront les Bruylant-Nemesis, Bruxelles, 1997. Préface de Pierre
effets sur les projets de réforme en cours… Lambert et Louis-Edmond Pettit.
[4] Laingui A, Lebigre A. Histoire du droit pénal, la pro-
Pour sa part, bien qu’apparemment ignoré, l’ex- cédure criminelle. Éd. Cujas.
pert est lui aussi mais au second degré entraîné
[5] Renucci JF. L’expertise pénale et la Convention euro-
dans le tourbillon de la réforme. péenne des droits de l’homme. JCP 2000, I–227.
Si tous les actes de recherches et d’investigations [6] Pradel J. Tous les péchés du juge d’instruction méri-
sont effectués sous la direction du ministère tent-ils sa mise à mort ? Dalloz 2009, no 7.
public, il paraît évident que l’expert ne sera plus [7] Rousseau G, de Fontbressin P. L’expert et l’expertise
désigné par un juge mais par celui-ci. judiciaire en France. 2e édition, Bruylant-Nemesis 2008,
112
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Bruxelles, p. 193ss préface de Jean-Paul Costa, Président en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan,
de la Cour européenne des droits de l’homme. éd. Bruylant, Bruxelles, 2004, vol 29 p. 1345ss.
[8] Renucci JF. Un séisme judiciaire pour la CEDH, [10] Sur la portée du principe de participation au titre d’une
les magistrats du parquet ne sont pas une autorité refondation sociétale, cf. de Fontbressin P. L’Entreprise
judiciaire. Note sous CEDH 10 juillet 2008 Dalloz, et la Convention européenne des droits de l’homme.
5 mars. 2009, p. 600. Édition, Bruylant-Nemesis 2008, Bruxelles, préface
[9] Renucci JF. Le procureur de la République est-il un de Michel Franck, Président honoraire de la Chambre
« magistrat » au sens européen du terme ? In Mélanges de Commerce et d’Industrie de Paris.

L’expertise médicale en procédure administrative


M. Chanzy

L’expertise médicale en procédure administrative


garde les grands principes de l’expertise en procé-
À réception de la mission
dure judiciaire et en particulier celui du contradic-
La mission est accompagnée d’un formulaire d’ac-
toire. Elle présente néanmoins certaines spécificités.
ceptation ainsi que d’une prestation de serment
Une réflexion approfondie d’actualisation du code qu’il convient de retourner par retour du courrier.
de justice administrative est en cours devant (Article R. 621-3).
aboutir dans le courant de l’année 2009.
Les thèmes de réflexion seront évoqués dans le
texte sous réserve de la publication finale. L’extension de mission
Il n’appartient pas à l’expert de solliciter une exten-
Avant la mission sion ou une modification de la mission. Seules
les parties peuvent en faire la demande au juge.
La désignation de l’expert est régie par l’article (R. 532-2).
R. 531-1 du C. J. A. La juridiction désigne l’expert Un certain assouplissement est envisagé permet-
en application de l’article R. 621-1 ainsi que l’arti- tant à l’expert ainsi qu’aux parties de solliciter une
cle R. 621-2 permettant de désigner un expert extension de la mission.
isolé ou un collège d’experts et de fixer les délais.
Il est d’usage, d’être contacté par le magistrat
ou l’un de ses collaborateurs avant de se voir L’allocation provisionnelle
confier une mission. Cette prise de contact a (article R. 621-12)
pour but de s’assurer de la disponibilité de l’ex-
pert, ainsi que de l’adéquation entre le problème L’ensemble des éléments constitutifs du dossier de
à résoudre et la compétence de l’expert, ce qui procédure écrite est aussi joint. Son étude prélimi-
permet à un gain de temps et d’efficacité mais naire permet d’avoir une première approximation
aussi parfois d’inclure dans la mission dès le de l’importance des opérations devant être
départ l’adjonction d’un sapiteur parfois direc- conduites et, de ce fait, d’établir une demande
tement désigné. d’allocation provisionnelle sur frais et débours
adressée au président du tribunal. Cette allocation
provisionnelle ne peut être sollicitée qu’après le
La gestion de l’expertise commencement de la mission.
L’expert reçoit donc secondairement une ordon-
Dans le cadre de l’article R. 621-1, il est envisagé la nance d’allocation provisionnelle comportant un
possibilité pour les juridictions de désigner un montant ainsi que la partie devant en assurer le
magistrat chargé du contrôle des expertises. règlement.
113
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Il appartient à l’expert de signifier cette ordon- Les conséquences des carences des parties dans la
nance en précisant que le règlement doit en être communication des pièces feront l’objet d’adjonc-
fait à l’expert lui-même. En l’état actuel, l’ab- tion à l’article R. 621-7.
sence de règlement de l’allocation provisionnelle
ne dispense pas l’expert de poursuivre ses
opérations.
Des modifications sont envisagées permettant de
Pas de pré-rapport
faire un constat de carence. Il n’est habituellement pas demandé à l’expert, en
procédure administrative, de rédaction de pré-
rapport.
Le sapiteur (article R. 621-2)
En cas de nécessité de s’adjoindre un sapiteur (ou La conciliation (article R. 621-7)
technicien associé), l’expert doit en faire la
demande motivée auprès du président du tribu- L’expert ne peut prendre l’initiative d’une conci-
nal administratif en sollicitant une allocation liation. La juridiction a la possibilité d’inclure
provisionnelle complémentaire correspondant dans la mission d’essayer de concilier les parties.
aux honoraires convenus avec le sapiteur. Il pro- En cas de conciliation spontanée des parties, la
pose au président du tribunal administratif le position de l’expert sera redéfinie.
sapiteur de son choix en précisant ses références
et qualifications.
À réception de l’ordonnance du président du tri-
bunal administratif désignant le sapiteur, l’expert Expédition du rapport
notifie cette dernière aux parties en procédant (article R. 621-9)
aux convocations.
Il convient de joindre au rapport définitif une
copie de la demande d’évaluation de rémunéra-
tion de l’expert en sollicitant une allocation provi-
L’empêchement, la récusation sionnelle complémentaire couvrant le solde du
de l’expert et/ou du sapiteur montant global de la facture. (Article R. 621-11).
Les modalités sont envisagées afin de statuer sur les
Les causes d’empêchement de l’expert sont les cas de diminution de la rémunération de l’expert
mêmes qu’en juridictions civiles et sont régis par versus sa demande.
l’article R. 621-5 et R. 621-6.
Le rapport est adressé au président du tribunal
La récusation est régie par l’article R. 621-2. administratif avec un nombre d’exemplaires cor-
Les modalités de récusation vont être affinées avec respondant à celui mentionné dans la mission
des impératifs de motivation. (nombre de parties plus deux exemplaires). Il n’est
pas adressé aux parties ni à leurs conseils.
Les modifications envisagées laisseraient à l’expert
La convocation des parties. le soin d’adresser la copie du rapport aux parties.
La communication des pièces
Les modalités de convocation des parties sont La contestation de l’ordonnance
régies par l’article R. 621-7. de taxes
En cas de difficulté d’obtention des pièces, l’expert
peut solliciter l’appui de la juridiction, la partie La contestation de l’ordonnance de taxe est régie
adverse peut saisir la juridiction (article L. 911-4) par l’article R. 761-5. C’est la juridiction qui va sta-
pouvant même conduire à une astreinte. tuer sur sa propre ordonnance.

114
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Des modifications sont étudiées pour que le Il est envisagé une modification de l’article R. 621-13
recours se fasse devant une juridiction indépen- permettant de prononcer l’exécutoire.
dante. En cas d’insolvabilité, l’expert dispose sur le fonde-
ment de la responsabilité sans faute d’une action
contre l’État en raison de sa qualité de collabora-
Le recouvrement teur du service public de la justice. Il doit alors
prouver qu’il a préalablement accompli toutes les
Actuellement, l’ordonnance de taxes n’est pas diligences nécessaires. Les demandes doivent est
revêtue de la formule exécutoire. adressé au Conseil d’État.

L’expert face à un sinistre sériel


M. Chanzy

Un sinistre sériel est constitué par un ensemble • un impératif majeur : le respect pointilleux du
de sinistres ayant pour caractéristiques commu- code de procédure ;
nes : • une incidence : le coût.
• soit de concerner ou d’impliquer un même pra-
ticien ou une même équipe, au sein d’un même Rapports magistrats - experts
établissement pouvant lui-même faire partie des
acteurs ; Un problème ne peut être résolu que s’il est cor-
• soit de présenter une problématique commune rectement posé et si l’on s’en donne les moyens.
ou apparentée par exemple origine d’une infec- Une expérience réussie a permis de mettre en évi-
tion, défaillance d’implant ou bien le même type dence la nécessité impérative d’une étroite colla-
de pathologie dont la procédure de prise en boration entre magistrats et experts.
charge peut-être contestée. Cette expérience peut servir d’exemple. Les pre-
Le caractère sériel du sinistre peut engendrer des mières missions ont été confiées à des experts dis-
conséquences de « santé publique » impliquant les tincts, car le caractère sériel des affaires n’était pas
tutelles qui ont eu à connaître ou à intervenir. encore apparu. Un rapport technique de l’un d’en-
tre eux (collège expertal d’un ingénieur et d’un
chirurgien) attire dans un premier temps l’atten-
Conséquences du caractère tion du magistrat chargé du contrôle. En effet, il
trouvait surprenant que les divers autres experts
sériel d’un sinistre aient à prendre connaissance du rapport techni-
que de 350 pages alors qu’il eût été plus simple de
1. L’effet de masse du sinistre peut entraîner un missionner l’expert initial.
effet médiatique avec parfois constitution d’as-
Lorsque le caractère sériel est apparu, une réflexion
sociations de défense.
commune a été entreprise avec les magistrats. La
2. La même problématique est à l’origine de la mise mission a été reprise et définie chapitre par chapi-
en œuvre de procédures civiles et pénales. tre, en veillant à laisser la possibilité d’explorer
3. Le nombre des parties en présence est important toutes les voies possibles, car au début nul n’y
avec pour corollaire le nombre des participants comprenait rien. (plus de deux ans peuvent être
aux divers accedits. Dans notre expérience, nos nécessaires pour tout tirer au clair).
réunions comportaient de 15 à 20 participants. Des collèges d’experts sont alors constitués :
L’expert se trouve donc confronté à : • collège d’experts techniques (ingénieurs) ;
• 3 problèmes : gérer, comprendre, prouver ; • collège d’experts médicaux.

115
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Le choix des experts se fait sous l’égide du magis- Les dossiers radiologiques s’évaluent au kilo ou
trat en veillant à la compétence et à l’expérience bien en centaines d’images à analyser.
médico-légale de l’expert mais aussi au facteur Cette étude préliminaire des documents demande
humain qui est la co-optation d’experts souhai- des dizaines d’heures de travail. C’est une étape
tant et sachant travailler ensemble. incontournable et fondamentale de la réussite de
Cette stratégie des magistrats a pour avantage d’ac- la réunion contradictoire.
quérir une connaissance de l’ensemble du phéno-
mène et de ce fait d’en faciliter la compréhension. Les informations générales
Ainsi, une communication efficace entre experts et communes à tous les dossiers
magistrats mais aussi entre experts permet la défi-
On regroupe sous ce terme l’ensemble des don-
nition de missions précises et adaptées, la constitu-
nées qui sont aspécifiques à chaque patient.
tion de groupes de travail homogènes et efficaces.
Lors des premières réunions, l’audition des par-
Il en résulte une méthodologie commune, des cri-
ties donne lieu à des affirmations ou des informa-
tères d’évaluation et d’appréciation communs à
tions contradictoires sur les différentes actions
tous les dossiers, une dialectique identique, empê-
entreprises par les différents intervenants lors de
chant de mettre les différents rapports en opposi-
la prise de conscience de la réalité du sinistre sériel
tion les uns aux autres.
et de certaines de ses causes.
La cohérence d’ensemble ainsi obtenue donne
Les experts se trouvent confrontés à un imbroglio
plus de poids à chaque rapport individuel ainsi
savamment entretenu.
que plus de clarté.
La solution consiste à exiger des parties la rédac-
La tentation sera forte pour certains d’essayer de
tion d’un dire traitant des problèmes généraux,
s’opposer à cette méthodologie d’ensemble. Tous
accompagné des documents factuels permettant
les moyens seront utilisés.
d’accréditer les positions soutenues.
Cette solution a été retenue. Les parties ont ainsi pu
échanger et confronter leurs arguments. Les dires
Les opérations d’expertise généraux ainsi recueillis sont en règles très volumi-
proprement dites neux. Leur recueil est indispensable à la poursuite
des opérations et permet un bon cadrage.
La conduite des opérations d’expertise dans le
cadre de sinistres sériels présente des spécificités Le respect strict de la procédure
de mise en œuvre tant dans la gestion des docu-
ments et des informations que dans l’analyse et la Bien que s’agissant de sinistres sériels, chaque
synthèse permettant de comprendre et d’établir le mission demeure bien individuelle et spécifique.
lien de causalité. Elle a pour corollaire un coût La tentation du conseil des demandeurs est de
pouvant être important. globaliser et d’intriquer les affaires entre elles.
Bien entendu, dans le cadre d’une procédure
Ce qu’il faut gérer civile, il n’en est pas question.

Les documents spécifiques Comprendre


de chaque dossier Comprendre ce qui s’est passé, c’est-à-dire retra-
La masse des documents à analyser pour chaque cer les événements est relativement simple lorsque
dossier est en règle générale considérable et com- tout a été analysé – après des centaines d’heures
porte plusieurs centaines d’examens biologiques, de travail.
de certificats, de multiples dossiers d’hospitalisa- Comprendre pourquoi cela s’est passé n’est possi-
tion, comptes rendus divers dont il faut vérifier la ble qu’après analyse de l’ensemble des dossiers à
pertinence et les affirmations en particulier en laquelle s’ajoutent des recherches bibliographi-
faisant rechercher les résultats originaux sans se ques étendues sur l’état des connaissances à l’épo-
contenter d’interprétation ou de retranscription. que incriminée.

116
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

À ce travail de recherche s’ajoute la collaboration sinistres sériels comportent d’une part les opéra-
et la concertation ainsi que les échanges d’infor- tions habituelles des expertises en matière de res-
mation avec le collège des experts techniques. ponsabilité professionnelle médicale mais aussi
des spécificités liées à la complexité des cofac-
Prouver teurs concourant aux sinistres. Bien souvent, des
tests de laboratoire seront nécessaires et très
Prouver, c’est établir le lien de causalité. C’est aussi coûteux.
faire la part entre ce qui est certainement faux et Une gestion commune des problèmes aspécifiques
ce qui est possiblement vrai. permet de mutualiser les coûts, les rendant ainsi
Chacun des dossiers n’étant pas identique et gar- plus accessibles aux demandeurs.
dant sa propre spécificité, il apparaît rapidement
nécessaire d’établir une grille d’évaluation repo-
sant sur des critères définis.
On peut ainsi, par exemple, établir une qualifica- La mise en application
tion comme : possible, probable ou certaine d’une méthodologie adaptée
(exemple : dans le cadre d’une complication infec-
tieuse, après analyse des modalités possibles de aux sinistres sériels
contamination, des données bactériologiques
cytologiques et anatomo-pathologiques). L’existence d’un pôle santé en juridiction pénale
rend facilement applicable une méthodologie spé-
Dans un autre domaine, par exemple pour le bien- cifique en cas de sinistres sériels.
fondé d’une indication opératoire, la qualification
retenue sera : justifiée, discutable, non justifiée. Par contre, la mise en application d’une méthodo-
logie adaptée aux sinistres sériels peut se heurter à
des difficultés en juridiction civile tenant à la mul-
Le coût des expertises dans tiplicité des juridictions pouvant être concernées.
le cadre de sinistres sériels En effet, le sinistre sériel perd son effet de masse et
devient atomisé rendant ainsi plus difficile et plus
Comme on a pu le voir les diligences nécessaires aléatoire la compréhension du phénomène causal
pour mener à bien une expertise dans le cadre de et de ce fait l’établissement du lien de causalité.

L’expertise psychiatrique au pénal et au civil


J.C. Archambault

L’expertise psychiatrique et médico-psychologi- la Justice suffisamment d’informations pour « la


que devant une juridiction pénale ouvre un autre manifestation de la vérité ».
champ entre l’individuel et le social : celui de l’ap-
préciation de la responsabilité des actes délictueux
et/ou criminels et de la personnalité d’un mis en
examen.
L’expertise psychiatrique
Devant une juridiction civile, les conséquences
au pénal
psychologiques des agressions physiques et/ou
L’expert
sexuelles sont estimées par les expertises psychia-
triques et médico-psychologiques. L’expert, inscrit sur la liste de la cour d’appel ou
La méthodologie de l’entretien semi-structuré, les sur la liste nationale (Cour de cassation), est
repérages de la sémiologie, l’expérience clinique choisi et désigné par le Juge. Cependant, la Loi
et l’esprit d’investigation permettent de donner à no 2007-291 du 5 mars 2007 (décret no 2007.699

117
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

du 3 mai 2007) stipule que le juge d’instruction déroule soit au cabinet du psychiatre, soit en
doit envoyer copie de sa décision ordonnant une maison d’arrêt. Il est rare que l’expertise soit
expertise et désignant un expert, au procureur refusée, quand en est expliqué le sens, et précisé
et aux avocats des parties : ils ont un délai de que c’est un acte médico-judiciaire et non un
10 jours pour modifier ou compléter les questions acte thérapeutique. La clarté est de mise avec le
posées à l’expert, ou pour adjoindre un autre mis en examen en l’informant de cet élément de
expert choisi par les parties – les deux experts procédure.
sont alors tenus de remettre un rapport com- L’expertise psychiatrique au Pénal a cette parti-
mun. Cette mesure, figurant dans l’article 161-1 cularité de retisser les liens psychologiques qui
du Code de procédure pénale, a pour objectif ont immédiatement préludé au passage à l’acte, et
d’introduire le contradictoire dans la procédure au déroulement de celui-ci. La question globale
pénale. posée n’est pas celle du pourquoi, mais plutôt
L’article 64 du code pénal (CP) définissait la place celle du comment a pu se dérouler ce passage à
de l’expert : « il n’y a ni crime, ni délit lorsque le l’acte quelques semaines ou quelques mois aupa-
prévenu était en état de démence au temps de l’ac- ravant. Les réponses aux questions seront claires,
tion, ou lorsqu’il a été contraint par une force à argumentées, afin que la justice puisse en tirer
laquelle il n’a pas pu résister ». informations.
Le nouveau code pénal (NCP) de 1994, introduit
La première question
l’article 122-1, alinéas 1 et 2. Cette fois-ci, de
manière définitive, nous ne sommes plus dans une « L’examen du sujet révèle-t-il chez lui des anoma-
appréciation bipolaire : responsable ou irresponsa- lies mentales ou psychiatriques ? Le cas échéant, les
ble, mais sont prises en compte des perturbations décrire et préciser à quelles affections elles se
psychologiques qui ont pu altérer le discernement rattachent. »
ou entraver le contrôle des actes. Ces appréciations La clinique psychiatrique classique offre suffisam-
faciliteront la tâche du Juge Correctionnel, et celle ment de ressources pour répondre à cette ques-
du jury des Assises au moment de l’établissement tion, en procédant à la recherche éventuelle d’un
de la peine personnalisée. certain nombre d’éléments pathologiques qui
L’expert psychiatre est nommé par le Juge d’Ins- caractérisent la présence d’une pathologie men-
truction. En auxiliaire du juge, il participe aux tale indiscutable.
actes d’instruction. Il devra en rendre compte au La deuxième question
Juge en spécifiant dans son rapport les difficultés
éventuelles devant lesquelles il s’est trouvé pour « Dire si l’infraction reprochée au sujet est en rela-
accomplir sa mission. L’Expert remplit la mission, tion avec de telles anomalies ».
rien que la mission ; et il convient d’emblée de se Si des éléments pathologiques sont évidents, l’ex-
rappeler que « les juges de répression apprécient pert les analyse et repère s’ils s’articulent ou non
souverainement l’état mental de l’inculpé », c’est- avec le passage à l’acte du sujet. Ainsi, un mis en
à-dire que l’expertise psychiatrique n’est qu’un examen reconnu schizophrène, s’il commet un
élément du dossier, certes important. vol pendant une période où il est stabilisé, sa
pathologie initiale ne rentrera pas pleinement en
cause. Mais s’il commet un passage à l’acte au
Sa mission et ses responsabilités moment des faits à cause d’une décompensation
L’expert psychiatre répond à six questions, afin délirante et/ou hallucinatoire, la relation directe
de déterminer si, au moment des faits, le sujet de cause à effet s’établit logiquement.
présentait ou non les signes d’une maladie men-
La troisième question
tale. Les repérages cliniques à partir des décla-
rations du mis en examen, ainsi que les éléments « Le sujet est-il dangereux ? »
du dossier d’instruction, sont autant de paramè- Un sujet est dangereux sur le plan psychiatrique, et
tres qui peuvent donner une appréciation clini- strictement psychiatrique, que si ses actes sont
que aussi fiable que possible. L’expertise, qui est directement influencés par une pathologie men-
obligatoire en cas de procédure criminelle, se tale, délirante, hallucinatoire et/ou mélancolique.

118
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

La quatrième question 1), informe les parties et le procureur. Ils seront


« Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ? » fondés, en cas de contestation, à saisir la cham-
bre de l’instruction qui fera comparaître la per-
Cette question place l’individu en tant que sujet
sonne déclarée irresponsable et, si son état le
potentiellement responsable de ses actes, et en
permet, l’entendra, ainsi que les avocats et les
mesure les conséquences.
experts.
Les cinquième et sixième questions La chambre de l’instruction peut prendre 3 types
de décisions :
« Dire si le sujet était atteint au moment des faits,
d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant • si absence de charges suffisantes, prononcé de
aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, non-lieu ;
ou s’il était atteint au moment des faits d’un trou- • si charges suffisantes et article 122-1 alinea 1,
ble psychique ou neuropsychique ayant altéré son déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause
discernement ou entravé le contrôle de ses actes. » de trouble mental, avec un éventuel prononcé de
« Dans le cas où le sujet présenterait au moment mesures de sûreté ;
des faits, un trouble psychique ou neuropsychique • si la partie civile le demande, l’affaire est renvoyée
ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses devant le tribunal correctionnel compétent, pour
actes, dire si son état mental pourrait compromet- statuer sur les dommages et intérêts, et/ou pro-
tre l’ordre public ou la sûreté des personnes. » noncer une ou plusieurs mesures de sûreté.
Dans cette question centrale de l’expertise psy- Si un accusé ou un prévenu est déclaré irresponsa-
chiatrique, l’expert conclut si le mis en examen, au ble pour cause de trouble mental, il est renvoyé
moment des faits, était envahi par une pathologie devant le tribunal correctionnel, ou les assises. Il
mentale caractérisée, qui nécessite argumen­ ne sera ni acquitté, ni relaxé, mais sera décidée
tation. une déclaration d’irresponsabilité pour trouble
Selon l’article 122-1 du NCP « n’est pas pénale- mental. Ensuite, cette déclaration d’irresponsabi-
ment responsable la personne qui était atteinte au lité pour trouble mental sera inscrite au casier
moment des faits, d’un trouble psychique ou neu- judiciaire.
ropsychique ayant aboli son discernement ou le La réadaptation est un élément important,
contrôle de ses actes » (art. 122-1, al. 1). puisqu’elle place le sujet dans une perspective de
« La personne qui était atteinte au moment des réintégration sociale, lui qui en était momentané-
faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ment marginalisé. Les indications données visent
ayant altéré son discernement ou entravé le à faire la part des choses, en cernant tant les points
contrôle de ses actes demeure punissable ; toute- positifs que négatifs du justiciable.
fois la juridiction tient compte de cette circons- « Dire s’il apparaîtrait opportun sur un plan psy-
tance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le chiatrique, en cas de condamnation ultérieure, de
régime » (art. 122-1, al. 2). prononcer une injonction de soins dans le cadre
En cas d’irresponsabilisation, le juge n’est pas d’un suivi socio-judiciaire. »
obligé d’en tenir compte, même si de facto l’exper- La loi 98-468 du 17 juin 1998, relative à la préven-
tise n’est pas contestée. Toutefois, plusieurs cas tion et à la répression des infractions sexuelles,
peuvent survenir et inciter à demander une stipule que « le suivi socio-judiciaire peut com-
contre-expertise : le manque d’argumentation du prendre une injonction de soins. Cette injonction
rapport, les contestations de la partie civile qui peut être prononcée par la juridiction de jugement
pense que l’irresponsabilité est trop largement s’il est établi après une expertise médicale, ordon-
attribuée, tout en sachant que le nombre de mis en née dans les conditions prévues dans le code de
examen rendus irresponsables est nettement plus procédure pénale, que la personne poursuivie est
faible que la rumeur ne le dit. susceptible de faire l’objet d’un traitement ».
La loi du 25 février 2008 relative à la rétention L’expert donne son avis sur les capacités du sujet à
de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité entrer dans une dynamique de soins. Mais il n’est
pénale impose que le Juge, en cas d’irresponsa- pas l’ordonnateur du soin, c’est le psychiatre
bilité déclarée par les experts, (art 122-1 alinea ­carcéral qui le mettra en œuvre. Quoi qu’il en soit,

119
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

c’est la personne elle-même, ici le délinquant Les expertises prévues par le présent article sont
sexuel, à qui il appartient de se responsabiliser et réalisées par un seul expert sauf décision motivée
de s’engager dans une thérapeutique. du Juge de l’Application des Peines ».

Devant les Assises L’expertise médico-psychologique


L’expert psychiatre, dans les procédures crimi­ Elle est confiée soit à un psychiatre, soit à un psy-
nelles qui vont jusqu’à leur terme, est dans l’obli- chologue. Alors que l’expertise psychiatrique
gation de présenter oralement son rapport devant situait l’individu au moment des faits, l’expertise
la Cour d’Assises qui se tient un an ou deux ans médico-psychologique se place dans une optique
après la rédaction du rapport. Dans cet exercice diachronique afin de repérer comment a évolué
souvent difficile, l’expert explique ce qu’il a cette personnalité, en fonction de ses traits pro-
constaté, et il répond aux questions du Président, pres, de son environnement, de la compréhension
de l’Avocat Général, des avocats des parties, et du mobile du passage à l’acte, afin que le Tribunal
même de plus en plus souvent des jurés. Tant les prenne des décisions pour favoriser la réinsertion.
questions que les réponses se limitent strictement
à la mission qui avait été initialement décidée par
le Juge d’Instruction.
Les expertises psychiatriques
Devant le juge d’application en matière civile
des peines
L’expert psychiatre peut être nommé à l’occasion
L’expert psychiatre est sollicité aussi par le Juge d’une ordonnance de référé, d’un jugement d’un
d’Application des Peines. La Loi du 1er février 1994 Tribunal d’Instance ou de Grande Instance pour
institue une peine incompressible de 30 ans de évaluer les conséquences psychiatriques d’un acci-
prison ferme pour les violeurs et meurtriers de dent. Il s’agit soit d’un accident de la voie publique,
mineur. Lors d’une demande de libération condi- soit d’une agression physique (coups, viols). Ce
tionnelle, le Juge demande un ou deux experts type d’expertise s’effectue en contradictoire, c’est-­
pour évaluer la dangerosité et préconiser la nature à-dire que l’expert, à la demande du Juge, convoque
du suivi médical. les parties et leurs conseils qui, au cours de l’exper-
Ce suivi socio-judiciaire est également cadré par tise, pourront s’exprimer. La personne impliquée,
l’article 763-3 : « le Juge de l’Application des le plus souvent par l’intermédiaire de son avocat,
Peines peut également, s’il est établi par une fournit au préalable les pièces médicales : certifi-
expertise médicale ordonnée postérieurement à cats de suivi psychiatrique, certificats d’arrêt de
la décision de condamnation que la personne travail, ordonnances, etc. L’expert, au terme du
astreinte à un suivi socio-judiciaire est suscepti- dernier rendez-vous d’expertise, fixera avec les
ble de faire l’objet d’un traitement, prononcer parties et leurs conseils un délai pour remettre
une injonction de soins. Cette expertise est réali- éventuellement un dire. Après avoir répondu aux
sée par deux experts en cas de condamnation dires, l’expert remettra son rapport au juge.
pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé La commission d’indemnisation des victimes d’in-
ou accompagné d’un viol, de torture ou d’acte de fraction (CIVI) est pourvoyeuse, depuis la loi du
barbarie ». 6  juillet 1990, d’expertises psychiatriques en
De même dans le cadre de l’article 763-4, « le Juge matière civile.
d’Application des Peines peut en outre, à tout La réunion d’expertise en contradictoire débouche
moment du suivi socio-judiciaire et sans préju- sur un rapport circonstancié sur la symptomato-
dice des dispositions de l’article 763-6, ordonner, logie constatée, qui la plupart du temps sera de
d’office ou sur réquisitions du Procureur de la type post-traumatique, mais il conviendra de
République, les expertises nécessaires pour l’in- déterminer s’il y avait des antécédents psychiatri-
former sur l’état médical ou psychologique de la ques, et si les troubles constatés sont en liaison
personne condamnée. étroite et directe avec l’agression.

120
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

L’incapacité temporaire totale (ITT), la date de Dans les problèmes d’héritage, il arrive que la
consolidation, l’incapacité permanente partielle, Justice sollicite l’expert psychiatre. L’expertise se
et le quantum doloris (souffrances endurées) sont fera alors sur pièces pour déterminer si la per-
estimés à partir des constatations cliniques et des sonne décédée, était capable ou non, de décider en
documents médicaux fournies par la victime. Ce toute liberté des donations figurant dans son
type d’évaluation, particulièrement pour l’IPP, se testament.
fait par référence généralement au barème du Dans les Affaires Familiales, l’ordonnance du
concours médical. 2  février 1945 (relative à l’enfance délinquante),
les expertises psychiatriques et médico-psycholo-
giques trouvent aussi leur place.
Autres circonstances d’expertises Une nouvelle forme d’expertise a été mise en place
psychiatriques par la Chancellerie voici quelques années, à l’oc-
casion de la catastrophe du Mont-Blanc. Il s’agis-
La protection juridique des majeurs est mainte- sait d’évaluer chez les proches des victimes de la
nant régie par la Loi no 2007-308 du 5 mars 2007, catastrophe du Mont-Blanc les conséquences psy-
qui modifie plusieurs dispositions du Code civil. chologiques de ce drame. La nouveauté résidait
Dorénavant, une protection ne peut être ouverte aussi dans le fait que les experts se sont déplacés
sans l’examen d’un médecin spécialiste inscrit sur dans les villes d’Europe où résidaient les membres
une liste spécifique – distincte de la liste des des familles.
experts judiciaires – établie par le procureur. Ce L’expertise psychiatrique est demandée dans de
spécialiste rédige un certificat médical circons- plus en plus de domaines, mais il existe une trans-
tancié attestant des altérations psychiques et/ou versalité intangible dans la réalisation de tels actes
corporelles. Ce certificat est transmis au juge, qui judiciaires : l’indépendance, la clarté, le respect de
prendra ensuite les mesures de protection les plus l’examiné, le souci constant de la vérité et de l’équi-
adaptées. libre, et la loyauté envers la justice.

L’autopsie médico-légale

Une véritable expertise pour conservation des preuves


M. Taccoen

L’autopsie médico-légale a pour indications, les La mort criminelle par intervention d’un tiers est
recherches des causes et du mécanisme de la mort, la suite :
l’identification, la datation de la mort et la réalisation • de coups et blessures (ecchymoses, hématomes,
des prélèvements en vue d’expertises ultérieures. plaies contuses, fractures et traumatismes crâ-
nio-faciaux, fractures de côtes et traumatismes
thoraciques, traumatismes abdominaux et rup-
La recherche de la cause ture d’organes, etc.) ;
et du mécanisme de la mort • de plaies par arme à feu (définition des orifices
d’entrée et de sortie des projectiles, nombre de
Systématique dans la procédure criminelle, elle tirs, recueil des projectiles intracorporels, défini-
est également pratiquée en cas de mort suspecte tion du trajet intracorporel du projectile, méca-
dans l’éventualité de l’intervention d’un tiers, nisme de la mort, estimation de la distance de tir
voire en cas de mort naturelle. en examen conjoint avec le balisticien) ;

121
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

• de plaies par arme blanche, (description de la Il n’existe pas d’autopsie médico-légale partielle et
plaie, de sa profondeur, de son trajet, corrélation c’est un examen médical toujours complet et
entre lésions anatomiques et arme blanche systématique.
utilisée…) ; Elle débute par un examen externe du corps,
• d’asphyxie (suffocation, strangulation, étouffe- recueillant l’ensemble des données de l’identifica-
ment, pendaison…) ; tion, décrivant les phénomènes cadavériques pour
• d’attentats ; une estimation de la date de la mort, les signes
médicaux orientant vers une pathologie et les
• parfois de circonstances extrêmement variées
lésions traumatiques (forme, taille, situation sur le
(pendaison post mortem, défenestration, carbo-
corps avec schéma corporel descriptif…).
nisation du corps après homicide, immersion
du corps après homicide…). Cet examen externe est complété par des incisions
profondes à la recherche d’ecchymoses, d’héma-
La mort est suspecte lorsque : tomes, en particulier aux zones de prises, de
• elle survient dans un lieu particulier (sur la voie maintien, d’appui, d’entrave, de lutte.
publique, sur les lieux du travail, sur un terrain de
Dans un troisième temps, l’examen interne des
sports, dans un hôtel, dans un commissariat de
viscères permet leur description macroscopique
police, dans un hôpital, dans une manifesta-
avec définition des malformations éventuelles et
tion…) ;
des pathologies dont elles sont atteintes ; cet exa-
• elle survient à un âge précoce (le nourrisson, men interne révèle également le bilan lésionnel.
l’enfant, l’adolescent…) ; La reconstitution du corps est systématique après
• elle est inattendue (suicide, prise en charge l’examen autopsique.
médicale…) ;
• elle est accidentelle et de mécanisme inexpliqué,
(rôle d’un état antérieur pouvant être à l’origine
d’un malaise ou d’une perte de connaissance,
L’identification
rôle d’un éventuel toxique comme l’alcool ou les Elle apporte des éléments utiles à l’identification
psychotropes, accident complexe avec plusieurs dans différentes situations : corps altéré, corps
protagonistes et définition de la lésion à l’origine carbonisé, personne retrouvée sur la voie publi-
de la mort…). que sans papier, sans domicile fixe, immigrés
La mort est naturelle si le constat d’absence d’inter- clandestins.
vention d’un tiers est acquis et si la cause de la Ne se limitant pas à la seule identification généti-
mort découle d’une pathologie. L’autopsie médico- que, il doit être décrit, chaque fois que possible, le
légale apporte une information nécessaire en santé sexe, le poids, la taille, le type ethnique, la couleur
publique, tel le diagnostic d’une méningite avec de peau, des cheveux et des yeux, les cicatrices
comme corollaire la prévention du risque dans chirurgicales ou autres, les tatouages, les malfor-
l’entourage, d’une malformation cardiaque avec mations en particuliers génétiques et orthopédi-
dépistage nécessaire dans la fratrie. Elle révèle par- ques, les soins dentaires (examen par stomatologue),
fois une carence de soins, une absence de diagnos- la présence de prothèse, de stimulateur cardiaque,
tic et étaye une mise en cause de la responsabilité de sonde ventriculo-péritonéale ou autre, la pré-
médicale. sence de traumatismes anciens (cals osseux, volet
osseux neuro­chirurgicaux…), sans oublier les recours
aux empreintes digitales après reconstitution.

L’autopsie
La datation de la mort
L’autopsie est demandée sur réquisition du par-
quet dans l’enquête préliminaire ou sur ordon- Elle s’appuie sur l’observation des phénomènes
nance d’un magistrat instructeur lors de l’inst- cadavériques, (rigidité, lividités, température du
ruction. corps, signes de la putréfaction avant arrivée de la

122
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

tache verte abdominale, de la circulation pos- du décès est identifié telles la méningite,
thume, des décollements cutanés, décharnement, l’encéphalite, la gastro-entérite, la pneumopathie,
arrivée des escouades d’insectes…). les affections importées comme le paludisme.
Le contenu gastrique permet une estimation Cette recherche infectieuse est réalisée le plus
approximative de l’heure de la mort par rapport précocement possible.
au repas.
À visée génétique

Les prélèvements et On prélève, au cours de l’autopsie, des cheveux, de


la peau, du muscle et un fragment de fût fémoral à
les expertises complémentaires visée conservatoire sous congélation. Le code
génétique permettra l’identification s’il est réper-
À visée toxicologique torié dans un fichier ou si l’on connaît un membre
de la famille. Au-delà de la simple identification,
C’est la mise en évidence d’un ou plusieurs com-
l’identification génétique est indispensable en
posés chimiques susceptibles d’être à l’origine
procédure criminelle (agressions sexuelles, iden-
d’une mort toxique.
tification des protagonistes à partir des divers pré-
Cette recherche se fait à partir du sang (analyse lèvements effectués sur la scène de crime ou sur le
qualitative et quantitative avec définition d’un corps de la victime).
taux thérapeutique, d’un taux toxique, voire
d’un taux létal d’une substance), de l’urine (ana-
lyse qualitative, produit en voie d’élimination), La radiographie
de l’humeur vitrée, du contenu gastrique (pro-
Elle est pratiquée avant l’autopsie ; elle est systé-
duit ingéré), de la bile, des organes (poumons,
matique sur le corps très altéré, le corps carbonisé,
foie, rate, reins), des cheveux (dosage au fil du
le corps noyé altéré, le corps non identifié, l’enfant
cheveu et historique de la prise toxique dans les
et lors des catastrophes collectives.
mois précédents, prise d’une dose unique d’un
psychotrope ou anesthésique dans le viol sous Elle révélera des éléments d’identification, les
soumission). corps étrangers radio opaques, les lésions trauma-
tiques anciennes (cal osseux, par exemple) ou
récentes.
À visée anatomo-pathologique Il est pratiqué des radiographies corps entier
Des fragments de chaque organe sont prélevés chez les enfants (recherche de lésions d’âge dif-
durant l’autopsie ; après fixation en solution for- férent) et des radiographies spécifiques : plas-
molée, elle permet l’examen sur lames après colo- tron sterno-costal (estimation de l’âge), dents,
ration des différents tissus. larynx…
L’examen permet d’affirmer certaines pathologies La tomodensitométrie et l’imagerie en résonance
peu visibles en macroscopie, telle la myocardite magnétique apportent une iconographie riche du
virale, le caractère vital ou post mortem d’une mécanisme lésionnel, en particulier en balistique,
lésion (par exemple, fracture d’un cartilage du mais elles ne remplacent ni les prélèvements pour
larynx chez un pendu…), la datation d’une lésion les expertises ultérieures, ni le recueil indispensa-
(par exemple, ecchymoses d’âge différent par ble des projectiles.
répétition des traumatismes chez un enfant
maltraité).
Conclusion
À visée infectieuse Le corps humain s’altère après la mort, et l’autop-
À partir de prélèvements de sang, d’urine, de sie permet la préservation de la preuve judiciaire.
poumons, de liquide céphalo-rachidien, du L’autopsie est un examen médical complet et systé-
contenu intestinal, l’agent infectieux responsable matique. Dans un premier temps, c’est un constat

123
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

précis anatomique, clinique, lésionnel ; dans un Références


second temps, c’est une synthèse médicale pour
déterminer l’origine et le mécanisme physiopatho- Code de Procédure Pénale
logique de la mort au vu des expertises complé- Quelques noms clés pour les recherches d’un lecteur histo-
mentaires anatomo-pathologique, radiographique, rien : Pare, Mahon, Fodere, Orfila, Devergie, Tardieu,
toxicologique, de police scientifique, des données Brouardel, Thoinot, Vibert, Simonin…
de la procédure et du dossier médical. Recommandation Européenne no R(99) 3 du Comité
des ministres aux états membres relative à l’harmo-
Cela exige, pour le médecin légiste, de réelles
nisation des règles en matière d’autopsie médico-
connaissances médicales, un apprentissage de la légale. (Adoptée par le Comité des Ministres le
pratique de l’autopsie afin d’acquérir une expé- 2 février 1999, lors de la 658 e réunion des Délégués
rience indispensable à la mission de Justice. des Ministres).

L’expertise pour une commission régionale


de conciliation et d’indemnisation
J. Hureau

L’expert agissant sur mission d’une Commission « Les experts figurant sur une des listes instituées
régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) a par… la loi du 29 juin 1971 relative aux experts
qualité de « Tiers Expert » (cf. le sous-chapitre L’expert judiciaires peuvent demander à être inscrits sur la
médecin, essai de classification). L’expertise pour le liste nationale des experts en accidents médicaux
compte d’une CRCI doit donc répondre aux mêmes s’ils justifient d’une qualification dont les modali-
critères qu’une expertise diligentée pour une juridic- tés, comportant notamment une évaluation des
tion en droit commun civile, pénale ou administra- connaissances et des pratiques professionnelles,
tive. Qu’en est-il dans les faits si l’on s’en rapporte aux sont fixées par décret en Conseil d’État [décret
lois du 4 mars 2002 et du 30 décembre 2002 ? L’exposé no  2002-656 du 29 avril 2002]. Cette inscription
des procédures appliquées, les résultats publiés sur le vaut pour cinq ans et peut être renouvelée. Le
fonctionnement des CRCI et les commentaires qui en renouvellement est subordonné à une nouvelle
découlent vont tenter de répondre à cette question. évaluation de connaissances et pratiques profes-
sionnelles » (art. L. 1142-11 du CSP).
Note : La loi du 29 juin 1971 est modifiée par la loi
Les procédures mises en place no 2004-130 du 11 février 2004 et complétée par le
décret du 23 décembre 2004. Les experts en acci-
par la loi (fig. 4-2) dents médicaux ne sont plus exclusivement choi-
sis dans la discipline médicale. Le mot médecin,
Le choix des experts déjà absent à côté de celui d’expert dans la loi du
La liste nationale des experts 4 mars 2002, disparaît dans l’article L. 1142-11 du
CSP (art. 113 de la loi du 9 août 2004). Des techni-
en accidents médicaux ciens d’autres disciplines peuvent, comme en
« Une Commission nationale des accidents médi- judiciaire, être pressentis dans un dossier en res-
caux (CNAM)… prononce l’inscription des experts ponsabilité médicale si cela est nécessaire.
sur une liste nationale des experts en accidents
médicaux après avoir procédé à une évaluation de La désignation des experts
leurs connaissances. Elle est chargée d’assurer la for-
par la CRCI
mation de ces experts… d’établir des recommanda-
tions sur la conduite des expertises… d’évaluer « Avant d’émettre l’avis prévu à l’article L. 1142-8,
l’ensemble du dispositif… » (art. L. 1142-10 du CSP). la Commission régionale diligente une expertise

124
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

dans les conditions prévues à l’article L. 1142-12 » La mission de l’expert


(art. L. 1142-9 du CSP).
« La Commission régionale désigne aux fins d’ex- « La Commission régionale fixe la mission du col-
pertise un collège d’experts choisis sur la liste lège d’experts ou de l’expert, s’assure de leur accep-
nationale des experts en accidents médicaux, en tation et détermine le délai dans lequel le rapport
s’assurant que ces experts remplissent toutes les doit être déposé. » (art. L. 1142-12 du CSP).
conditions propres à garantir leur indépendance
vis-à-vis des parties en présence. Elle peut toute- La mission en expertise
fois, lorsqu’elle l’estime suffisant, désigner un seul préalable
expert choisi sur la même liste.
À réception de la demande en vue de l’indemni­
À défaut d’expert inscrit sur la liste des experts en
sation d’un dommage imputable à un acte de pré-
accidents médicaux compétent dans le domaine
vention, de diagnostic ou de soins, la CRCI doit
correspondant à la nature du préjudice, elle peut
procéder à l’évaluation du caractère de gravité du
nommer en qualité de membre du collège d’ex-
préjudice ouvrant droit ou non à réparation au
perts un expert figurant sur une des listes insti-
titre de la solidarité nationale.
tuées par l’art. 2 de la loi no 71-498 du 29 juin 1971
précitée ou, à titre exceptionnel, un expert choisi Le décret no 2003-314 du 4 avril 2003 précise :
en dehors de ces listes » (art. L. 1142-12 al. 2 du « Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de
CSP modifié par la loi 2004-806 du 9 août 2004). l’article L. 1142-1 est fixé à 24 %.

VICTIME

COMMISSION RÉGIONALE DE CONCILIATION ET D’INDEMNISATION

6 mois

AVIS APRÈS EXPERTISE

RESPONSABILITÉ FAUTIVE ALÉA MÉDICAL


– défaillante
Assurance – inexistante
ASSUREUR – insuffisante ONIAM

4 mois 4 mois

Offre Offre

Accord Désaccord JUGE Désaccord Accord

1 mois 1 mois

Indemnisation Indemnisation

Figure 4.2
Dispositif d’indemnisation par une CRCI. Place de l’expertise médicale.

125
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Un accident médical, une affection iatrogène ou Cette procédure de « pré-expertise » est peu utili-
une infection nosocomiale présente également le sée : – 2 % des dossiers en 2007 – 4 % au quatrième
caractère de gravité mentionné à l’article L. 1142-1 semestre 2008 [3], voire moins de 2 % pour la
lorsque la durée de l’incapacité temporaire de tra- CNAMed [7].
vail résultant de l’accident médical, de l’affection
iatrogène ou de l’infection nosocomiale est au La mission d’expertise au fond
moins égale à six mois consécutifs ou à six mois dans la procédure de règlement
non consécutifs sur une période de douze mois. À
titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être
amiable
reconnu : Lorsque la CRCI estime que les dommages subis
1. lorsque la victime est déclarée définitivement présentent le caractère de gravité prévu au II de
inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle l’article L. 1142-1 ou de l’article L. 1142-1-1 (ce
exerçait avant la survenue de l’accident médi- dernier concerne les infections nosocomiales ou
cal, de l’affection iatrogène ou de l’infection les interventions d’un professionnel en cas de cir-
nosocomiale ; constances exceptionnelles), elle siège en forma-
tion de règlement amiable (art. L. 1142-5 du CSP)
2. ou lorsque l’accident médical, l’affection iatro-
pour rendre son avis (art. L. 1142-8 du CSP).
gène ou l’infection nosocomiale occasionne
des troubles particulièrement graves, y com- Avant d’émettre cet avis la CRCI diligente une
pris d’ordre économique dans ses conditions expertise (art. L. 1142-9 du CSP). C’est cette exper-
d’existence » tise au fond qui est confiée à un collège d’experts
ou à un expert unique conformément à l’article
Le barème d’évaluation des taux d’incapacité des L. 1142-12 du CSP déjà cité.
victimes d’accidents médicaux, d’affections iatro-
La mission confiée à/aux experts doit permettre à
gènes ou d’infections nosocomiales mentionné à
la CRCI d’étayer son avis. « L’avis de la Commission
l’article L. 1142-1 » [cf. Barème en annexe au sous-
prévu à l’article L. 1142-8 précise pour chaque
chapitre Les préjudices en réparation du dommage
chef de préjudice les circonstances, les causes, la
corporel].
nature et l’étendue des dommages subis ainsi que
Le décret no 2003-140 du 19 février 2003 modi- son appréciation sur les responsabilités encou-
fiant le CSP précise : rues. Il précise également si, à la date où il est
« Afin d’apprécier si les dommages subis présen- rendu, l’état de la victime est consolidé ou non »
tent le caractère de gravité prévu au II de l’article (art. R. 790-52 du CSP).
L. 1142-1, la Commission, ou son président s’il a Dans un souci d’harmonisation du fonctionne-
reçu délégation à cette fin, peut soumettre pour ment des CRCI, la CNAMed a établi et imposé en
observation les pièces justificatives mentionnées à 2006 une rédaction de la mission-type donnée
l’article R. 790-49 à un ou plusieurs experts. aux experts (cf. en annexe à l’article) [7]. Elle est
Les parties concernées sont informées de l’iden- accompagnée d’un « Livret de l’expert » rappelant
tité et des titres du ou des experts » (art. R. 790-50 « les points fondamentaux de l’expertise réalisée à
du CSP). la demande d’une CRCI ». Depuis le 27 novembre
Conformément au décret du 4 avril 2003, « l’ex- 2007 la CNAMed a adopté la « Nomenclature des
pert médical appelé à évaluer l’incapacité de la préjudices corporals » élaborée par le Rapport du
victime d’une lésion à laquelle le barème ne com- groupe de travail dirigé par J.P Dintilhac [8].
porte pas de référence informe, par avis motivé, la Mission et livret de l’expert ont été rédigés en
CRCI des accidents médicaux, des affections fonction de cette nomenclature [7].
iatrogènes et des infections nosocomiales compé- C’est une mission aussi complète, sinon plus com-
tente des références à l’aide desquelles il procède à plète, qu’en juridiction civile, administrative ou
cette évaluation. Cette information est transmise pénale qui est demandée aux experts, statuant sur
à la CNAM ainsi qu’aux parties intéressées et, le la réalité du dommage, ses causes fautives ou non
cas échéant, à leurs assureurs. La Commission et l’imputabilité à établir entre le dommage
régionale fixe un taux d’incapacité sur la base de constaté et les causes éventuellement retenues.
cette évaluation ». Elle est particulièrement développée en ce qui

126
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

concerne les infections nosocomiales et l’évalua- Il n’est pas dit si le ou les médiateurs doivent être
tion des besoins liés à une perte d’autonomie ou pas des experts médecins. A contrario, il n’est
pas dit non plus que l’expert médecin soit exclu de
La mission en procédure la démarche de conciliation. Il n’est pas précisé si,
de conciliation lorsque le médiateur n’est pas médecin, il doit ou
peut prendre un avis technique ou scientifique
Lorsque la CRCI estime que les dommages subis auprès d’un expert médecin. Cette procédure n’est
ne présentent pas le caractère de gravité prévu au pas envisagée.
II de l’article L. 1142-1 ou de l’article L. 1142-1-1
du CSP, elle peut siéger en formation de concilia-
tion (art. L. 1142-5 du CSP). L’ exécution de la mission
« Dans le cadre de sa mission de conciliation, la par l’expert
Commission peut déléguer tout ou partie de ses
Si le ou les experts désignés s’estiment compé-
compétences à un ou plusieurs médiateurs indé-
tents, ils doivent informer la CRCI de l’accepta-
pendants qui, dans la limite des compétences
tion de la mission. Le collège d’experts ou l’expert
dévolues, disposent des mêmes prérogatives et
s’assure du caractère contradictoire des opérations
sont soumis aux mêmes obligations que les mem-
d’expertise (art. L. 1142-12 du CSP).
bres de la Commission ».
La qualité du ou des médiateurs sur lequel ou les-
quels la CRCI se décharge éventuellement de sa La communication des pièces
mission de conciliation n’est pas précisée, mis à du dossier à l’expert
part les cas particuliers mentionnés à l’article et aux parties
R. 790-57 du CSP qui mentionne la commission
Elle se fait par l’intermédiaire de la CRCI.
des relations avec les usagers, l’assemblée inter-
professionnelle régionale ou le conseil départe- La Commission régionale peut obtenir la commu-
mental de l’Ordre des médecins. nication de tout document, y compris d’ordre
médical. Elle peut demander au président du tri-
« La Commission peut déléguer la conciliation à
bunal de grande instance ou à son délégué d’auto-
un membre de la commission ou à un médiateur
riser un ou plusieurs des experts mentionnés à
indépendant qui, en raison de ses qualifications et
l’article L. 1142-12 à procéder à une autopsie ayant
de son expérience, présente des garanties de com-
pour but de rechercher les causes du décès.
pétence et d’indépendance. Le membre de la com-
mission ou le médiateur mène la conciliation dans Chaque partie concernée reçoit copie des deman-
les conditions et formes prévues à l’article R. 790-58. des de documents formulées par la Commission
En cas de conciliation totale ou partielle, ils régionale et de tous les documents communiqués
signent personnellement le document de concilia- à cette dernière. » (art. L. 1142-9 du CSP).
tion dont une copie est communiquée à la Dans le cadre de sa mission, le collège d’experts
Commission » (art. R. 790-59 du CSP). ou l’expert peut effectuer toute investigation et
La mission du ou des « médiateurs-conciliateurs » demander aux parties et aux tiers la communica-
serait donc la même que celle qui serait dévolue à tion de tout document sans que puisse lui être
la CRCI. Le ou les médiateurs entendent les per- opposé le secret médical ou professionnel, s’agis-
sonnes intéressées au litige et s’efforcent de les sant de professionnels de santé ou de personnels
concilier. En cas de conciliation, totale ou partielle, d’établissements, de services de santé ou d’autres
ils constatent la conciliation dont les termes font organismes visés à l’article L. 1142-1. Les experts
l’objet d’un document de conciliation. Ce docu- qui ont à connaître ces documents sont tenus au
ment fait également apparaître les points de désac- secret professionnel, dans les conditions et sous
cord qui subsistent lorsque la conciliation est les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du
partielle. Il est signé par les intéressés et par le ou Code pénal.
les médiateurs. Un exemplaire original du docu- En cas de carence des parties dans la transmission
ment de conciliation est remis ou adressé à chacun des documents demandés, la Commission régio-
des intéressés (d’après l’art. R. 790-58 du CSP). nale peut autoriser le collège d’experts ou l’expert

127
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

à déposer son rapport en l’état. La Commission et le souci de devoir être lu et compris par des
peut tirer toute conséquence du défaut de com- non-médecins. « Lorsque l’expertise est collégiale,
munication des documents » (art. L. 1142-12 du le rapport est établi conjointement par les mem-
CSP). bres du collège d’experts » (art. L. 1142-12 du
Les textes précisent bien que la demande auprès CSP).
de la CRCI doit être accompagnée de pièces justi-
ficatives attestant la consistance précise des dom- La prise en charge des frais
mages dont le demandeur a été ou s’estime d’expertise
victime ou de nature à appuyer sa demande et
notamment à établir que les dommages subis ont L’Office national d’indemnisation prend en charge
le caractère de gravité requis. La CRCI peut, le cas le coût des missions d’expertise. Au regard du tra-
échéant, demander les pièces manquantes dans vail accompli, les experts sont honorés très modes-
les formes et conditions réglementairement pré- tement sur la base d’un contrat de rémunération
vues (art. R. 790-49 du CSP). passé avec l’ONIAM. Le niveau de rémunération
des expertises au fond est fixé à 700 euros pour
L’expert, pour répondre aux questions qui lui sont l’expert et à 300 euros pour un sapiteur. C’est dire
posées, est parfois en pratique contraint de réclamer que la règle est, pour bon nombre d’experts, de
des pièces manquantes aux parties, sauf à tirer les privilégier la demande d’un co-expert par rapport
conséquences du défaut de transmission des pièces à la demande d’un sapiteur. Ces tarifs n’ont pas été
qu’il a réclamées. Il en résulte immanquablement modifiés depuis trois ans. Les expertises préala-
un alourdissement considérable de la charge de tra- bles, réalisées sur dossier et sans convocation des
vail de l’expert, en particulier du fait de la transmis- parties pour renseigner la commission sur l’at-
sion contradictoire des documents en l’absence de teinte ou non du seuil de gravité en terme d’IPP,
conseil juridique auprès de la ou des parties. sont rémunérées 200 euros. Ces « expertises préa-
lables » sont rarement faites par des experts méde-
La convocation des parties à la cins – 2 % en 2007 [3]. Elles sont remplacées par
réunion expertale contradictoire un contrôle administratif et juridique de receva-
Adressée par courrier recommandé avec accusé de bilité du dossier.
réception aux parties et en courrier simple à leurs
conseils juridiques ou médicaux éventuels, cette
convocation n’est pas différente des usages en cours Les résultats de cette procédure
devant une juridiction civile ou administrative.
Ils sont régulièrement évalués dans les rapports
Le déroulement de la réunion semestriels de l’ONIAM [3] et dans le rapport
annuel de la CNAMed [7]. Ils seront analysés à
expertale contradictoire
travers les derniers rapports publiés sur les années
Il ne diffère pas de ce qui se fait en procédure 2006 à 2008.
civile ou administrative.
« Les parties peuvent se faire assister d’une ou des Répartition géographique
personnes de leur choix. Le collège d’experts ou des structures
l’expert prend en considération les observations
des parties et joint, sur leur demande, à son rap- Les 22 CRCI mises en place fonctionnent en
port tous documents y afférents. Il peut prendre régime de croisière. Un regroupement sur 7 pôles
l’initiative de recueillir l’avis d’un autre profes- interrégionaux a été effectué :
sionnel » (art. L. 1142-12 du CSP). • Bagnolet ouest : Basse Normandie/Bretagne/
Pays de Loire/Réunion
Le rapport d’expertise • Bagnolet Ile de France : Haute-Normandie/Ile
Il a la même importance que devant les juridic- de France/Guyane/Guadeloupe/Martinique
tions civiles ou administratives. Il doit donc être • Bagnolet Nord : Centre/Nord-Pas de Calais/
rédigé dans les mêmes formes, avec le même soin Picardie

128
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

• Bordeaux : Aquitaine/Limousin/Midi-Pyrénées/ • Conclusions négatives – absence d’indemnisa-


Poitou-Charentes tion : n = 943/46,2 %
• Lyon : Auvergne/Bourgogne/Rhône-Alpes – Pour gravité insuffisante des dommages : n =
• Lyon Sud : Corse/Languedoc-Roussillon/Provence- 334/35,4 %
Alpes-Côte d’Azur – Pour absence de faute ou d’aléa : n = 301/31,9 %
• Nancy : Alsace/Champagne-Ardennes/Franche – Pour absence de lien de causalité : n = 247/
Comté/Lorraine 26,2 %
Chacun de ces pôles regroupe des populations – Pour abandon ou désistement de la plainte :
comparables en nombre, de 6 641 000 pour Nancy n = 36/3,8 %
à 13 302 000 pour Bagnolet Ile de France (état en – Absence d’acte de prévention, de diagnostic
mars 2007). ou de soin : n = 19/2 % !
– Pour faits générateurs antérieurs au 5 septem-
Activité chiffrée sur l’année bre 2001 : n = 6/0,64 %
CNAMed 2006-2007 (territoire • Conclusions positives – indemnisation propo-
métropolitain) [7] sée par l’ONIAM : n = 1 097/53,8 %
3211 dossiers ont été reçus, dont : – Pour décès : n = 226/20,6 %
• 2988 demandes de règlement amiable en vue – Pour déficit fonctionnel permanent > 24 % :
d’indemnisation – 93 % n = 287/26,2 %
• 41 demandes initiales de conciliation (exclusi- – Pour incapacité temporaire de travail > 6 mois :
vement en indemnisation) – 1,8 % n = 383/34,9 %
• 152 demandes de conciliation après déclaration – Pour troubles particulièrement graves dans
d’incompétence amiable de la CRCI – 4,7 % les conditions d’existence : n = 178/16,2 %
– Pour inaptitude à exercer l’activité profession-
Sur 3 035 demandes d’indemnisation amiable
nelle : n = 22/2 %
traitées dans la même période :
• 679 conclusions négatives sans expertise au fond • Répartition des propositions d’indemnisation
– 22,4 % (sur 1097 dossiers)
• 2 356 désignations d’expert au fond – 77,6 % – Au titre d’une infection nosocomiale : n =
• 56 soumises à expertise préalable par expert – 275/25 %
1,85 % – Hors infection nosocomiale : n = 822/75 %
Motifs des 679 conclusions négatives sans exper- – En responsabilité exclusive d’un professionnel
tise au fond : ou d’un établissement : n = 472/43 %
• Abandon ou désistement de la demande : n = – En solidarité nationale exclusive – aléa : n =
52/7,66 % 560/51 %
• Défaut de pièces : n = 77/11,34 % – Partage entre responsabilité et aléa : n = 55/6 %
• Absence d’acte de prévention, de diagnostic ou In fine, dans le cadre de sa mission de fondation,
de soin : n = 7/1 % ! l’ONIAM (solidarité nationale) a pris en charge
• Seuil de gravité requis par la loi non atteint : en indemnisation amiable :
n = 360/53 % • au titre exclusif de l’aléa médical, 18,5 % des
• Faits générateurs antérieurs à 5 septembre 2001 : dossiers déposés (560 sur 3 035) ;
n = 176/17 % • en partage de responsabilité (solidarité +
• Absence évidente de lien de causalité entre l’acte ­assureur), 1,8 % des dossiers déposés (55 sur
et le dommage : n = 71/10,45 % 3 035).
Conclusions après expertise au fond (sur 2 040 La loi du 4 mars 2002 faite pour indemniser l’aléa
dossiers) : médical remplit son office.

129
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Commentaires du 4 mars 2002 modifiée par la loi du 9 août


2004) ». C’est une ouverture vers une meilleure
harmonisation entre experts loi 2002 et experts
La liste nationale des experts
judiciaires.
en accidents médicaux
C’est l’esprit du décret no 2004-1405 du 23
En responsabilité médicale, l’importance donnée décembre 2004 ainsi rédigé (art. R. 1142-30-1 du
à l’expertise scientifique et technique est une CSP) : « Une personne physique ne peut être ins-
nécessité d’évidence au regard d’une activité crite sur la liste que si elle réunit les conditions
humaine de plus en plus complexe. suivantes :
Il existait déjà trois sortes de listes d’experts judi- 1° - avoir exercé son activité pendant une durée de
ciaires médicaux avant la loi du 4 mars 2002 : les dix années consécutives au moins dans le ou les
listes des Cours d’appel ; la liste nationale de la domaines de compétence à raison desquelles elle
Cour de cassation ; les listes des Cours adminis- demande son inscription ;
tratives d’appel déjà en place à Paris, Versailles, 2° - ne pas avoir cessé d’exercer cette activité
Marseille et Douai. depuis plus de deux ans avant la date de la
La loi no 2004-130 du 11 février 2004 et le décret demande d’inscription ;
du 23 décembre 2004 ont entrepris de fiabiliser 3° - pour tout candidat sollicitant son inscrip-
ces listes à travers une révision de la loi de 1971. tion à raison de ses compétences dans le domaine
Comme l’avait prévu la loi, la CNAMed a choisi de la réparation du dommage corporel, justifier
la majorité de ces experts sur les listes déjà insti- d’une participation à au moins quatre-vingts
tuées par les juridictions civiles pendant les pre- expertises dans ce domaine, dans les cinq der-
mières années. Elle a progressivement institué nières années précédant la demande d’inscrip­
également, au fil du temps, une liste spécifique à tion ;
l’échelon national, avec une obligation de forma- 4° - avoir suivi une formation en responsabilité
tion continue qui est bien organisée depuis médicale ;
2008.
5° - pour les candidats non inscrits sur l’une des
L’expertise en responsabilité médicale est une listes d’experts judiciaires, attester de leur qualifi-
activité qui requiert de la part de celui qui l’exerce cation en accidents médicaux ; … ».
une double compétence, scientifique et technique,
Il s’agit donc, selon ce décret, de prendre de pré-
c’est évident, mais également juridique, ce qui l’est
férence sur les listes d’experts judiciaires ceux qui
moins aux yeux des candidats à cette fonction
sont le plus à même d’être compétents scientifi-
d’auxiliaire du juge.
quement et techniquement et d’être déjà rompus à
l’expertise en responsabilité médicale (du 1° au 4°).
Expert de justice et expert Le 5° laisse la porte ouverte à des experts non
en accidents médicaux listés en judiciaire mais dont la notoriété dans
leur domaine peut être attestée. Les instances
La loi a prévu « une liste nationale des experts en judiciaires n’agissent pas autrement lorsqu’elles
accidents médicaux » (art. L. 1142-10 du CSP) nomment un expert hors liste. Ce décret vient
sélectionnés et formés sous la responsabilité de la compléter et conforter l’article L. 1142-12, al. 2 du
CNAMed. CSP modifié par la loi no 2004-806 du 9 août 2004
Consciente de l’ambiguïté de cette mission, la selon lequel : « À défaut d’expert inscrit sur la liste
CNAMed écrit dans son rapport 2006-2007 [7] : des experts en accidents médicaux compétent
« Pour demander à être inscrit sur la liste, les dans le domaine correspondant à la nature du
experts doivent soit figurer sur une des listes préjudice, elle [la CRCI] peut nommer, en qualité
d’experts judiciaires prévues par la loi no 71-498 de membre du collège d’experts, un expert figu-
du 29 juin 1974 relative aux experts judiciaires rant sur une des listes instituées par l’art. 2 de la
(art. L. 1142-11 du CSP), soit à titre transitoire se loi no 71-498 du 29 juin 1971 précitée ou, à titre
prévaloir d’une qualification particulière en exceptionnel, un expert choisi en dehors de ces
matière d’accidents médicaux (art. - 105 de la loi listes ».

130
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

La nomination hors liste concerne 11 % des dési- existe déjà et les efforts faits pour apporter les
gnations en 2006-2007 (16 % en 2005-2006). améliorations souhaitées par tous. L’expert n’a
pas à être choisi pour son inféodation à un quel-
conque organisme, à une quelconque idéologie
Expertise préalable – expertise pro-indemnitaire à tous crins, si généreuse se
veut-elle.
au fond
La désignation d’un expert médecin par une CRCI La rémunération des experts
n’est pas un passage obligé avant que celle-ci
n’émette son avis sur le dossier médical qui lui est Les présidents de CRCI s’expriment sur ce sujet
soumis. [7]. Ils estiment que la difficulté principale est due
La preuve en est que, sur 3 035 dossiers en phase au caractère forfaitaire du tarif. Leur crainte est
d’instruction, 2 656 ont fait l’objet d’une expertise que les experts particulièrement compétents refu-
au fond et 56 seulement d’une expertise préalable. sent d’accepter de nouvelles missions, faute de
L’expertise préalable est celle qui permet d’accep- prise en considération par l’ONIAM du supplé-
ter ou non le dossier dans le dispositif. Qui a pris la ment de travaux fourni [et de frais] alors qu’il est
décision d’évaluer le niveau de recevabilité des 679 justifié. Certains souhaiteraient l’abandon du sys-
autres dossiers rejetés ? Il s’avère que ce sont des tème actuel de tarif forfaitaire afin de moduler le
juristes non-médecins qui, dans la très grande montant de la rémunération en fonction de l’im-
majorité des cas, remplissent l’office « d’experts portance ainsi que de la qualité du travail fourni.
préalables ». L’expertise au fond est celle qui va Cette pratique se rapprocherait du mémoire
définir la frontière entre aléa, faute et état antérieur « barémisé » et contrôlé par le juge, tel que l’éta-
ou pathologique en cours. Savoir que 22 % des dos- blissent les experts de justice. L’expert médecin
siers instruits ne sont pas passés par ce crible reste médecin en toutes circonstances et soumis à
scientifique et/ou technique ne laisse d’être très son code de déontologie : « Les honoraires du
inquiet. Une telle responsabilité peut-elle être médecin doivent être déterminés avec tact et
purement administrative ou de droit ? Non, puis- mesure, en tenant compte de la réglementation en
que, consciente du problème, la CNAMed propose vigueur, des actes dispensés et de circonstances
de « systématiser le recours à un vacataire médecin particulières » (art 53 du CDM – art. R. 4127-53
pour repérer au sein de l’ensemble des dossiers trai- du CSP).
tés par une CRCI ceux qui sont complexes, cette
mesure se substituant à l’expertise préalable très
La conciliation
peu utilisée ».
L’expertise au fond ne devrait intervenir qu’après Il y a dans le texte de la loi une confusion de
l’expertise préalable ou son équivalent diligenté par ­termes [1]. La CRCI ne peut s’investir dans le
un médecin. C’est une expertise aussi lourde de rôle d’un médiateur pour concilier les parties en
conséquences qu’une expertise judiciaire. L’expert vue d’un règlement amiable sur sollicitation du
doit faire preuve d’autant de compétence, d’objecti- plaignant lorsque le dossier est rejeté pour insuf-
vité, d’indépendance et d’impartialité tant vis-à- fisance de gravité du dommage. Comment pour-
vis des parties que de la Commission qui l’a rait-elle par ailleurs déléguer un pouvoir de
missionné. médiation qu’elle ne peut posséder, n’ayant pas
Il n’est pourtant pas rare de lire [4] ou d’enten- les qualités d’indépendance requises pour cela ?
dre dire [2] que « l’objectif (de la loi) est de Elle n’est pas dépourvue de pouvoirs institu-
défendre les droits des malades et de clarifier le tionnels [9].
fonctionnement de l’expertise médicale ». Ce Faut-il alors s’étonner du petit nombre de
serait la raison de la « mise en place d’une exper- demandes de conciliation reçues depuis l’appli-
tise médicale rénovée fixant les conditions d’ac- cation de la loi ? 193 dossiers en 2006-2007 (41
cès au statut d’expert médical et instituant une en demande initiale : 1,8 %, et 152 après rejet du
expertise spécifique en matière médicale ». On dossier par la CRCI : 4,7 %) et 259 dossiers en
croit rêver si l’on sait de quoi il s’agit, ce qui 2005-2006 !

131
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Quant aux médiateurs indépendants, il y aurait presque totalité à la charge des établissements
pénurie. Ce n’est pas étonnant. Qui sont-ils ? Quel d’hospitalisation via leurs assureurs. Il alourdit
est leur statut vis-à-vis de la CRCI et de l’ONIAM ? d’autant les primes d’assurance. Il représente 25 %
En 2006-2007, ce furent un médiateur extérieur des dossiers indemnisables.
(51 %), un ou des membres de la CRCI (44 %), l’en- Il faut continuer à regretter que l’application de
semble de la CRCI (4 %), le conseil départemental l’article L. 1142-1-1 du CSP oblige l’ONIAM à
de l’Ordre (une fois). Sur 90 dossiers, les résultats publier nominalement la liste annuelle des éta-
sont maigres : 7 accords totaux, 9 accords partiels, blissements concernés par les infections nosoco-
74 constats de non-conciliation. miales indemnisées par la solidarité nationale au
L’Académie nationale de médecine, devant ce plus grand mépris du respect du principe de la
constat d’inefficacité durable reconnue dans tous présomption d’innocence puisqu’il n’est pas pré-
les rapports de l’ONIAM et de la CNAMed, a cisé s’il y avait ou non action fautive. Le rempla-
proposé au législateur un amendement à la loi du cement du terme infections nosocomiales par
4 mars 2002, relayé par l’Assemblée nationale, celui d’infections associées aux soins dépassion-
créant un processus précontentieux obligatoire nera-t-il le débat ? Même si la loi du 4 mars 2002
d’information et de conciliation dans le règlement a introduit une responsabilité de plein droit en
des conflits ou litiges en responsabilité médicale à matière d’infection nosocomiale pour les éta-
l’exclusion de l’aléa médical, à l’instar de ce qui blissements de santé, il revient toujours à l’expert
se fait dans d’autres États d’Europe [10]. Il en médical d’analyser l’imputabilité de l’infection
résulterait un allègement des contentieux CRCI et du dommage au manquement éventuel mis en
et juridictionnels (cf. organigramme en annexe I). cause [11].
À ce jour, la proposition d’amendement, bien
reçue par la Commission des lois, aurait été
refusée par la Commission des finances de l’As- Conclusion
semblée Nationale au motif qu’elle enfreint l’ar-
ticle 40 de la Constitution au regard des dépenses La critique est recevable si elle est constructive.
qu’elle engage. Toutefois, le sujet a paru suffi- Ceci est valable pour cette argumentation de la loi
samment important au Médiateur de la du 4 mars 2002. Les dysfonctionnements dont la
République pour qu’il organise le 27 mai 2009 CNAMed commence à prendre conscience étaient
un colloque à l’Assemblée Nationale sur le thème : prévisibles. Ils ont été dénoncés bien avant le vote
« L’indemnisation, par voie amiable, des victi- définitif de la loi [5] et après [1-6].
mes d’accidents médicaux : faut-il réformer la La victimologie, devenue un véritable secteur éco-
loi Kouchner ? ». Sans suite à ce jour. nomique, ne doit pas se nourrir d’une vindicte
systématique et incontrôlée. La médecine comme
L’indemnisation des préjudices la justice ne peuvent se concevoir que dans un cli-
liés à une infection nosocomiale mat de confiance pour que la vérité médicale s’ac-
corde avec la vérité judiciaire.
Les premiers résultats colligés par le rapport 2002- La loi du 4 mars 2002 a le mérite d’exister. Elle
2003 de l’ONIAM se confirment au fil des ans. Le a fait la preuve de son efficacité dans l’indemni-
nombre d’infections nosocomiales intégralement sation des préjudices liés à un aléa médical. Au
prises en charge par la solidarité (ONIAM), fil de l’usage, elle a déjà subi, dans les procédu-
conformément à l’article L. 1142-1-1 du CSP, varie res, quelques-unes des retouches souhaitées.
peu : en 2004, 19 ; 2005, 48 ; 2006, 60 ; 2007, 74 ; Il  n’y a pas de loi imparfaite qu’on ne puisse
2008 (1er semestre), 38. Les critères de prise en amender.
charge établis par la loi du 30 décembre 2002 sont
Rappelons-nous avec Montesquieu que :
trop haut situés. Ils aboutissent à une quasi non-
prise en charge des préjudices liés à une infection • « Les lois inutiles affaiblissent les lois néces­
nosocomiale au titre de l’aléa et de la solidarité saires » ;
nationale (les rares cas de décès mis à part). Ce • « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi,
contentieux au potentiel très riche reste donc en mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ».

132
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Annexe I

Plainte ou réclamation du malade ou de ses ayants droit


auprès du médecin ou de l’établissement de soins

ALÉA MÉDICAL
le malade ou ses ayants droit
Information le médecin et/ou un représentant de l’établissement
CRCI
(échelon local) un médecin indépendant (expert ou non)
(selon les critères de la loi
du4mars2002) analyser
expliquer
Événement indésirable sans comprendre Événement indésirable avec conséquences
conséquence dommageable informer (dommage, préjudice, imputabilité)
– faits médicaux
– recours éventuels

Accord Désaccord Désaccord Accord

Classement Commission de conciliation (échelon régional) Transaction


sans suite
– Expert ou collège d’experts judiciaires (tiers conciliateur)
– Demandeur + conseils (juridique et médical) Plaignant + conseils
– Défendeur / Assureur + conseils (juridique et médical) Défendeur / Assureur + conseils
Expert ou collège d’experts éventuel

Désaccord Accord Désaccord Accord

CRCI Exequatur éventuel


(exécutoire du juge)
(selon la loi du 4 mars 2002)

Juridiction compétente

Processus précontentieux obligatoire d’information et de conciliation dans le règlement des


conflits ou litiges médecins-malades (à l’exclusion de l’aléa médical).
Mission type de la CNAMed[7]

Annexe II Circonstance de survenue du dommage


La mission d’expertise médicale À partir de ces documents et de l’interrogatoire du
patient et, le cas échéant, de son entourage, des parties
ainsi que de tous sachants :
pour l’évaluation des accidents • préciser les motifs et les circonstances qui ont conduit
médicaux, des affections iatrogènes à l’acte de diagnostic, de prévention ou de soins mis en
et des infections nosocomiales cause,
• prendre connaissance des antécédents médicaux,
Dans le respect des textes en vigueur et notamment • décrire tous les soins dispensés, investigations et
du principe du contradictoire, après s’être assuré de actes annexes qui ont été réalisés, et préciser dans quel-
l’absence d’un éventuel conflit d’intérêt, convoquer les structures et, dans la mesure du possible, par qui ils
et entendre les parties ainsi que tous sachants ; exa- ont été pratiqués,
miner le patient ; sans que le secret médical ou pro- En cas d’infection :
fessionnel puisse être opposé (art. L. 1142-12 CSP), • préciser à quelle(s) date(s) :
prendre connaissance de tous documents remis, – ont été constatés les premiers signes,
relatifs aux examens, soins, traitements, adminis- – a été porté le diagnostic,
tration de produits ou interventions de toutes sortes – a été mise en œuvre la thérapeutique ;
dont le patient a pu être l’objet au sein du système • dire quels ont été les moyens cliniques, paracliniques et
de santé biologiques retenus permettant d’établir le diagnostic ;

133
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

• dire, le cas échéant : • si le diagnostic et le traitement de cette infection ont


– quel acte médical ou paramédical a été rapporté été conduits conformément aux règles de l’art et aux
comme étant à l’origine de cette infection et par qui données acquises de la science médicale à l’époque où
il a été pratiqué, ils ont été dispensés. En cas de réponse négative à cette
– quel type de germe a été identifié ; dernière question :
• rechercher : – faire la part entre les conséquences de l’infection
– quelle est l’origine de l’infection présentée, stricto sensu et les conséquences du retard de dia-
– si cette infection est de nature endogène ou gnostic et de traitement,
exogène, – développer, arguments scientifiques référencés à
– si elle a pour origine une cause extérieure étrangère l’appui, les raisons qui font retenir le caractère noso-
au (x) lieu(x) où a (ont) été dispensé(s) le(s) soin(s), comial de l’infection présentée ou, au contraire, cel-
– quelles sont les autres origines possibles de cette les qui font plutôt retenir une origine étrangère.
infection,
– s’il s’agit de l’aggravation d’une infection en cours La cause et l’évaluation du dommage
ou ayant existé.
L’expert devra s’efforcer de répondre à toutes les ques-
tions, quelles que soient les hypothèses retenues.
Analyse médico-légale
En fonction de tous ces éléments, après avoir examiné
Dire si les soins, investigations et actes annexes ont le patient et recueilli ses doléances, il doit :
été conduits conformément aux règles de l’art et aux • décrire l’état de santé actuel du patient ;
données acquises de la science médicale à l’époque où • dire si cet état est la conséquence de l’évolution pré-
ils ont été pratiqués, en particulier et le cas échéant : visible de la pathologie initiale, en prenant en considé-
• dans l’établissement du diagnostic, dans le choix, la ration les données relatives à l’état de santé antérieur
réalisation et la surveillance des investigations et du présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou
traitement ; soins pratiqués ou si cet état présente un caractère
• dans la forme et le contenu de l’information donnée anormal au regard de l’évolution prévisible de la patho-
au patient sur les risques courus, en précisant, en cas de logie initiale ;
survenue de tels risques, quelles auraient été les possi- • dans ce dernier cas, dire s’il s’agit d’un événement
bilités et les conséquences pour le patient de se sous- indésirable (accident médical, affection iatrogène ou
traire à l’acte effectué ; infection nosocomiale) en indiquant s’il est la consé-
• dans l’organisation du service et de son fonction­ quence d’un non-respect des règles de l’art, en préci-
nement. sant le caractère total ou partiel de l’imputabilité ;
En cas d’infection, préciser : • procéder à l’évaluation des dommages en faisant la
• si toutes les précautions ont été prises en ce qui part des choses entre ce qui revient à l’état antérieur, à
concerne les mesures d’hygiène prescrites par la régle- l’évolution prévisible de la pathologie initiale et aux
mentation en matière de lutte contre les infections conséquences anormales décrites :
nosocomiales ; dans la négative, dire quelle norme n’a – que le patient exerce ou non une activité profes-
pas été appliquée ; sionnelle, prendre en considération toutes les gênes
• si les moyens en personnel et en matériel mis en temporaires, totales ou partielles, subies dans la réali-
œuvre au moment de la réalisation du/des acte(s) mis sation de ses activités habituelles ; en préciser la nature
en cause correspondaient aux obligations prescrites en et la durée ; préciser si une aide (humaine ou matérielle)
matière de sécurité ; a été nécessaire et pendant quelle durée ; en discuter
• si le patient présentait des facteurs de vulnérabilité l’imputabilité à l’événement causal,
susceptibles de contribuer à la survenue et au dévelop- – en cas d’arrêt des activités professionnelles, en pré-
pement de cette infection ; ciser la durée et les conditions de reprise,
• si cette infection aurait pu survenir de toute façon en – fixer la date de consolidation,
dehors de tout séjour dans une structure réalisant des – chiffrer le taux d’atteinte permanente à l’intégrité
actes de soins, de diagnostic ou de prévention (infec- physique et/ou psychique (AIPP) par référence au
tion communautaire) ; « barème d’évaluation des taux d’incapacité des vic-
• si la pathologie, ayant justifié l’hospitalisation times d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes
initiale ou les thérapeutiques mises en œuvre, est ou d’infections nosocomiales » publié à l’annexe 11-2
susceptible de complications infectieuses ; dans l’af- du code de la santé publique (décret no 2003-314 du
firmative, en préciser la nature, la fréquence et les 4 avril 2003) ; au cas où le barème ne comporte pas
conséquences ; de référence informer par avis motivé la commission
• si cette infection présentait un caractère inévitable et régionale des références à l’aide desquelles il a été
expliquer en quoi ; procédé à l’évaluation (article D. 1142-3 du CSP),

134
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

– donner un avis médical sur l’éventuelle répercussion ration les données relatives à l’état de santé antérieur
des séquelles imputables à l’événement causal sur les présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou
activités professionnelles antérieurement exercées, soins pratiqués ou si le décès est une conséquence anor-
– s’il s’agit d’un écolier, d’un étudiant ou d’un élève male au regard de l’évolution prévisible de la patholo-
en cours de formation professionnelle, donner un avis gie initiale ;
médical sur l’éventuelle répercussion des séquelles impu- •  dans ce dernier cas, dire s’il s’agit d’un événement
tables à l’événement causal sur la formation prévue, indésirable (accident médical, affection iatrogène ou
– décrire les souffrances endurées ; les évaluer selon infection nosocomiale) en indiquant s’il est la consé-
l’échelle habituelle de sept degrés, quence d’un non-respect des règles de l’art, en préci-
– évaluer le dommage esthétique selon l’échelle habi- sant le caractère total ou partiel de l’imputabilité.
tuelle de sept degrés,
– dire si les séquelles sont susceptibles d’être à l’origine
d’un retentissement sur la vie sexuelle du patient, Bibliographie
– donner un avis médical sur les difficultés éventuel-
[1] Hureau J, de Fontbressin P. Le droit de la respons-
les de se livrer, pour la victime, à des activités de loi- abilité médicale. Les nouveaux enjeux. Bull. Acad.
sirs effectivement pratiquées antérieurement, Natle Méd., 2003 ; no 187 (1) : 161–173, séance du
– se prononcer sur la nécessité de soins médicaux, 28 janvier 2003.
paramédicaux, d’appareillage ou de prothèse, après
[2] Hureau J, Réponse à JL. Schlienger. Les principes de
consolidation pour éviter une aggravation de l’état
la formation continue des experts médicaux. In 10e
séquellaire ; justifier l’imputabilité des soins à l’ac- Colloque de la CNEM, Colmar, 29 novembre 2003.
cident en cause en précisant s’il s’agit de frais occa- Experts éd., Paris 2004, hors série.
sionnels c’est-à-dire limités dans le temps ou de frais
[3] ONIAM. Rapport d’activité 2007 et 1er semestre
viagers, c’est-à-dire engagés la vie durant.
2008. http://www.oniam.fr
En cas de perte d’autonomie :
• dresser un bilan situationnel en décrivant avec préci- [4] Remarques sur le projet de proposition de loi visant
sion le déroulement d’une journée (sur 24 heures) ; à modifier le Titre IV de la loi no 2002–303 du 4 mars
• préciser les besoins et les modalités de l’aide à la per- 2002. Services juridiques de l’Assemblée Nationale,
doc. 2864/PL/DV/T du 15 janvier 2003.
sonne, nécessaires pour pallier l’impossibilité ou la dif-
ficulté d’effectuer les actes et gestes de la vie courante, [5] Hureau J, Chanzy M. Indemnisation de l’aléa médi-
que cette aide soit apportée par l’entourage ou par du cal et expertise en responsabilité. Titre III du projet
personnel extérieur ; de loi relatif à la modernisation du système de santé.
• indiquer la fréquence et la durée d’intervention de la Comment réformer ? Revue Experts, 2001 ; no 53 :
18–22.
personne affectée à cette aide, en précisant, pour ce qui
concerne la personne extérieure, la qualification pro- [6] de Fontbressin P, Hureau J. L’indemnisation de l’aléa
fessionnelle éventuelle ; médical. Titre IV de la loi du 4 mars 2002. Confusion,
• dire quels sont les moyens techniques palliatifs imperfections, non-dits. Revue Experts, 2002 ; no 56 :
nécessaires au patient (appareillage, aide technique, 11–15.
véhicule aménagé…) ; [7] CNAMed. Rapport au Parlement et au Gouvernement
• décrire les gênes engendrées par l’inadaptation du année 2006–2007 –http://www.cnamed.santé.gouv.fr
logement, étant entendu qu’il appartient à l’expert de se [8] Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une
limiter à une description de l’environnement en ques- nomenclature des préjudices corporals. Direction
tion et aux difficultés qui en découlent. JP Dintilhac, juillet 2005.
Le cas échéant, en cas de séquelles neuropsychologi- [9] Hureau J. Médiation et conciliation. Analyse séman-
ques graves : tique. Application au contentieux en responsabilité
• analyser en détail l’incidence éventuelle des séquel- médicale. Revue Experts, 2008, no 81, 24–27.
les sur les facultés de gestion de la vie et d’insertion [10] Proposition d’un processus précontentieux obliga-
(ou de réinsertion) socio-économique. Si besoin est, toire d’information et de conciliation dans le règle-
compléter cet examen par tout avis technique ment des conflits ou litiges en responsabilité médicale
nécessaire ; à l’exclusion de l’aléa medical. Rapport 07–09 de
• préciser leurs conséquences quand elles sont à l’ori- l’Académie nationale de médecine. Bull. Acad. Natle
gine d’un déficit majeur d’initiative ou de troubles du Med., 2007, 191, no 2, 435–448.
comportement. [11] Hubinois P, Gachot B. Infections nosocomiales
En cas de décès : ou associées aux soins. Problèmes terminologiques
• dire si le décès est la conséquence de l’évolution pré- et juridiques, évolution des responsabilités. Revue
visible de la pathologie initiale, en prenant en considé- Experts, 2008, no 79, 12–18.

135
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Expertises en matière de sécurité sociale


G. Campocasso

Des litiges ont toujours opposé les assurés aux titude au travail lui échappent et relèvent d’un
caisses de Sécurité sociale. Jusqu’à l’immédiat contentieux technique particulier. Cette exper-
après-guerre, ils étaient soumis aux juridictions tise, régie par l’article L. 141-1 du Code de la
de droit commun. Sécurité sociale, fait suite à l’expertise médicale
Les réformes capitales mises en œuvre par les selon le décret du 7 janvier 1959.
ordonnances de 1945 et 1946 ont eu pour effet de L’expertise thérapeutique, relative aux contesta-
leur substituer une organisation judiciaire propre tions en matière d’affection de longue durée, a été
à la Sécurité sociale. Ainsi, le contentieux de la reprise suivant la procédure de l’article L. 141-1
Sécurité sociale, dans sa forme actuelle, a pris par l’article L. 324 du Code de la Sécurité sociale
naissance il y a déjà 50 ans et se divise globale- et bénéficie donc des mêmes règles.
ment en deux entités : le contentieux général, Comme l’expertise médicale en matière d’assu-
essentiellement judiciaire, et les contentieux spé- rances sociales et d’accident du travail que réglait
ciaux, plus précisément médicaux. le décret du 7 janvier 1959, l’expertise selon l’arti-
Les litiges médicaux eux-mêmes vont être tran- cle L. 141-1 du code de la Sécurité sociale reste une
chés selon deux procédures différentes : l’exper- procédure expéditive conformément à la circu-
tise médicale portant uniquement sur un laire ministérielle du 24 juillet 1956.
désaccord d’ordre médical et le contentieux tech- L’intérêt de cette procédure reste, en effet, sa rapi-
nique médical concernant l’appréciation de l’in- dité d’application qui permet de donner une
validité de maladie ou de l’incapacité permanente prompte solution à des litiges portant sur des
en cas d’accident du travail dans le cas de retraite prestations ayant un caractère alimentaire,
anticipée. comme les indemnités journalières, ou un intérêt
Nous envisagerons, dans des chapitres distincts, thérapeutique comme la mise en œuvre d’un
chacune de ces procédures. traitement.
L’article L. 141-1 a, de plus, uniformisé les procé-
dures applicables en matière de risque non profes-
L’expertise médicale en matière sionnel (la maladie) et professionnel (accident du
travail et maladie professionnelle).
de sécurité sociale
Longtemps irréfragable, c’est-à-dire irrécusable
Pour trancher les contestations d’ordre médical aux termes du décret du 7 janvier 1959, l’expertise
susceptibles d’opposer l’assuré et la caisse, une médicale a perdu ce caractère selon la loi no 90/86
procédure d’expertise obligatoire est organisée du 23 janvier 1990 dans la mesure où elle ne s’im-
par l’article L. 141-1 du Code de la Sécurité sociale pose plus à la juridiction compétente. En effet,
qui stipule : « Les contestations d’ordre médical l’article L. 141-2 du Code de la Sécurité sociale sti-
relatives à l’état du malade ou à l’état de la vic- pule : « Au vu de l’avis technique, le juge peut, sur
time, et notamment la date de consolidation en demande d’une partie, ordonner une nouvelle
cas d’accident du travail et de maladie profession- expertise. »
nelle, à l’exclusion des contestations régies par
l’article L. 143-1 donnent lieu à une procédure Déroulement de la procédure
d’expertise médicale dans les conditions fixées de l’expertise L. 141-1
par décret en conseil d’État. »
On voit ainsi que cette procédure s’applique aussi Nous décrirons la procédure de l’expertise de pre-
bien aux contestations en assurance maladie mière intention qui peut être mise en œuvre dans
qu’aux accidents du travail et maladies profes- trois cas de figure.
sionnelles. Par contre, les litiges portant sur l’état L’assuré conteste un refus d’ordre médical ou den-
d’invalidité, d’incapacité permanente ou d’inap- taire émis par un praticien conseil à propos d’une

136
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

prescription le concernant (arrêt de travail, place- En cas de désaccord entre praticien traitant et pra-
ments divers, cure thermale, transport, soins par ticien conseil, l’expert sera désigné par le direc-
auxilliaires médicaux). teur départemental des affaires sanitaires et
La caisse représentée par le service médical peut sociales sur une liste d’experts spécialisés en
déclencher une expertise pour des motifs similai- matière de Sécurité sociale. Il en est de même lors-
res ou pour des motifs d’ordre thérapeutique pour que c’est le président d’un tribunal qui désigne un
une affection de longue durée (expertise entrant expert.
dans ce cadre selon l’article L. 324). En matière de silicose, d’asbestose ou de sidérose,
Le tribunal en cours d’instance peut par l’inter- il en va un peu différemment. Pour ces affections
médiaire du juge recourir à l’expertise pour tran- inscrites au tableau des maladies professionnelles
cher une difficulté d’ordre médical. sous les numéros 25, 30 et 44, l’article D. 461-20
du Code de la Sécurité sociale précise que « l’ex-
pertise est effectuée par un collège de trois méde-
Les étapes de la procédure cins », bien entendu agréés en matière de
pneumoconioses. Aucun de ces médecins ne doit
La demande d’expertise, l’article R. 141-2 modifié
avoir déjà soigné ou examiné le patient.
stipule que « le malade ou la victime qui requiert
une expertise présente une demande écrite, préci-
sant l’objet de la contestation et indiquant le nom Préparation de l’expertise
et l’adresse de son médecin traitant ».
Quelle que soit la partie qui demande l’expertise
C’est l’assuré, dans la majorité des cas, qui va – assuré, service médical, tribunal –, il appartient
demander une expertise. Elle doit donc être for- au praticien conseil de se mettre en rapport dans
mulée par écrit et déposée ou adressée, par pli les trois jours avec le praticien traitant en vue de
recommandé, à la caisse. Elle doit être présen- choisir l’expert. Ce délai peut se compter à partir
tée, à partir de la date de la notification contes- de la date où est apparu le différend (c’est excep-
tée : dans un délai d’un mois en risque maladie, tionnel), à partir de la date de réception par la
de deux ans maximum en risque accident du caisse de la demande d’expertise, à partir de la
travail ou maladie professionnelle. La forme et date de notification du jugement prescrivant
les délais restent les mêmes lorsqu’il s’agit d’une l’expertise.
expertise demandée par la caisse ou le service
L’article R. 141-1 modifié précise que la désigna-
médical.
tion se fasse d’un commun accord entre le prati-
L’article R. 141-2 modifié stipule que la demande cien traitant et le praticien conseil.
doit comporter l’objet de la contestation, formulé
clairement, ainsi que le nom et l’adresse du prati-
cien traitant, étant entendu que, conformément Réalisation de l’expertise
aux textes, nous appellerons « praticien traitant » L’expertise s’effectue dans un cadre strict. Le ser-
le praticien désigné par le malade ou la victime. vice médical adresse au médecin expert l’ensem-
ble des documents nécessaires à sa mission :
La désignation de l’expert demande d’expertise, protocole d’expertise, divers
imprimés (convocations, conclusions motivées,
En principe, tout docteur en médecine, tout
note d’honoraires).
chirurgien-dentiste remplissant les conditions
légales d’exercice, est en mesure de faire une Le protocole, aux termes de l’article R. 141-3 du
expertise. Toutefois, l’article R. 141-1 modifié pré- Code de la Sécurité sociale, comprend : les motifs
cise que l’expert désigné ne doit pas avoir soigné le invoqués par le patient, c’est-à-dire l’objet de sa
malade ou la victime, ne doit pas être attaché à contestation, la mission confiée à l’expert, l’énoncé
l’entreprise de l’assuré et ne doit pas être un prati- précis des questions qui lui sont posées.
cien conseil d’assurance maladie. De plus, il est de L’expert peut ou non accepter la mission. S’il se
règle de choisir un spécialiste ou compétent pour récuse, il en avertit le service médical ou le juge du
l’affection considérée si la contestation porte sur tribunal, et leur retourne l’ensemble des docu-
un diagnostic ou un traitement spécifique. ments qui lui ont été adressés en faisant état de

137
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

son refus. S’il accepte la mission, aux termes de Portée du rapport d’expertise :
l’article R. 141-4 du Code de la Sécurité sociale, un arbitrage médical pouvant
« l’expert doit procéder à l’examen du malade ou
de la victime, dans les cinq jours qui suivent la faire l’objet d’un recours
réception du protocole, à son cabinet ou à la rési-
dence du patient ». En matière de Sécurité sociale, l’expert médical est
un confrère désigné par les parties pour trancher
La convocation informe immédiatement des
un différend d’ordre médical, au cours, répétons-le,
lieu, date et heure de l’examen : le malade ou la
d’une procédure accélérée. C’est en ce sens que
victime, le praticien conseil, le praticien traitant.
cette procédure relève plus de l’arbitrage que de
En effet, ces praticiens peuvent assister à
l’expertise en bonne et due forme, car l’expert
l’expertise.
choisi juge et décide à travers des conclusions clai-
À l’issue de l’examen, l’expert établit sans délai res, précises et dénuées d’ambiguïté. Ces conclu-
les conclusions motivées en double exemplaire, sions s’imposent aux parties (article L. 141-2).
sous 48 heures, l’un des exemplaires à la victime
Toutefois, si l’assuré n’est pas satisfait des conclu-
de l’AT ou de la MP ou au médecin traitant du
sions de l’expertise initiale, il peut contester la
patient s’il s’agit d’une maladie, l’autre exem-
portée de l’avis de l’expert. D’abord devant la CRA
plaire au service du contrôle médical de la
(Commission de recours amiable), ce recours doit
caisse.
être formé dans les deux mois qui suivent la noti-
Le rapport de l’expert doit être déposé au service fication de la caisse au reçu des conclusions de
du contrôle médical avant l’expiration d’un délai l’expertise.
d’un mois à partir de la date de réception du pro-
Si la CRA ne répond pas dans le mois qui suit le
tocole, à défaut de quoi il pourra être pourvu au
dépôt de la demande, l’assuré peut alors saisir
remplacement de l’expert (sauf circonstances par-
directement le tribunal des affaires de Sécurité
ticulières). Ce rapport doit comporter : le rappel
sociale (TASS).
du protocole d’expertise, l’exposé des constata-
tions faites au cours de l’examen, la discussion des Jusqu’à la loi no 90-86 du 23 janvier 1990, les
points soumis, les conclusions motivées telles conclusions de la première expertise s’imposaient
qu’adressées plus haut. à la juridiction compétente. Le juge ne pouvait
annuler l’expertise que pour un vice de forme et
La communication du rapport de l’expertise de
non sur le fond. Actuellement, l’article R. 142.24.1
première intention s’effectue par le service
stipule que « lorsque le différend porte sur une
médical qui adresse, dès réception, la copie
décision prise après mise en œuvre de la procé-
intégrale du rapport : à la victime d’un AT ou
dure d’expertise médicale L. 141.1, le tribunal peut
d’une MP, au praticien traitant du patient en
ordonner une nouvelle expertise si une partie en
maladie.
fait la demande ».
Lorsque l’assuré demande le bénéfice d’une
Rôle de la Caisse primaire deuxième expertise (dite alors expertise de
d’assurance maladie deuxième intention), le délai de saisie du TASS ne
Bien que le service médical soit l’élément moteur doit pas excéder deux mois à compter de la date de
de la mise en œuvre de l’expertise médicale, la réception de la décision rendue par la CRA.
caisse intervient : en recevant et examinant la L’assuré doit joindre à sa requête l’entier rapport
demande d’expertise ; en étant destinataire des de la première expertise dont il est destinataire en
conclusions motivées, lors de l’expertise de pre- AT ou MP. En assurance maladie, l’article R. 142-
mière intention, par l’intermédiaire du service 24-1, troisième alinéa, prévoit que « le rapport
medical ; en notifiant la décision qui résulte des d’expertise est communiqué au tribunal par le
conclusions expertales au malade ou à la victime ; service de contrôle médical de la caisse d’affilia-
en recevant les jugements rendus par les juridic- tion de l’assuré ». Toutefois, les règles concernant
tions compétentes en matière de Sécurité sociale ; la communication des documents médicaux
en gérant le règlement des honoraires des experts nominatifs à des tiers doivent être respectées par
depuis le 1er avril 1992. le service du contrôle médical.

138
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

La procédure de déroulement de l’expertise de de 60 ans), le taux d’incapacité partielle perma-


deuxième intention possède beaucoup de similitu- nente (IPP) en cas d’AT ou de MP lorsqu’il est
des avec celle de première intention. Nous en sou- contesté, par la victime qui l’estime sous-évalué,
lignerons les particularités. Le nouvel expert est par l’employeur quand il l’estime excessif. Le taux
ainsi désigné par le juge lui-même à partir de la peut alors être diminué, mais la victime conserve
liste des experts agréés en matière de Sécurité tout de même le taux initialement accordé.
sociale. La mission de l’expert ainsi désigné et les Cependant ce recours permet à l’employeur de
questions qui lui sont posées sont fixées par déci- voir supprimer les pénalités appliquées sur le taux
sion du tribunal. Celui-ci envoie directement la personnel de cotisation patronale AT ou MP.
mission à l’expert, sans recueillir l’avis préalable Le contentieux technique traite aussi des litiges
du praticien traitant et du praticien conseil. Les relatifs aux taux de cotisation patronale AT ou MP
délais pour procéder à l’examen du patient restent employeur fixés par la Caisse régionale d’assurance
les mêmes. Le rapport de l’expert comporte le rap- maladie, mais de manière collective dans ce cas.
pel de l’énoncé de la mission et des questions fixées
Enfin, le contentieux technique règle les contes-
par le tribunal. Il n’y a pas lieu d’établir des conclu-
tations relatives à des prestations relevant des
sions motivées comme pour l’expertise de pre-
allocations familiales, avec adaptation de la
mière intention. Le rapport doit être transmis par
composition de la juridiction par application
l’expert au secrétaire du tribunal concerné dans le
du décret no 89.854 du 21 novembre 1989. Il
délai d’un mois à compter de la date de notification
s’agit de la carte d’invalidité (loi du 30 juin
le désignant. Le secrétaire du tribunal transmet,
1975, article 6V), l’allocation d’adulte handi-
sous 48 heures, une copie du rapport au service du
capé (article L.  821.5), l’allocation compensa-
contrôle médical de la caisse et à la victime de l’AT
trice (article L.  821.5), la commission
ou de la MP ou au praticien traitant du malade.
départementale d’éducation spécialisée (loi du
Si l’appel est rejeté, l’assuré peut saisir la Chambre 30 juin 1975, article 6V).
sociale de la cour d’appel, cet appel doit être interjeté
dans le mois qui suit le jugement rendu par le TASS.
Enfin, ceci étant d’une extrême rareté, un pourvoi Avertissement en forme
est toujours possible devant la chambre sociale de d’introduction
la Cour de cassation.
Depuis la loi no 94-43 du 18 janvier 1994, les
appellations des diverses commissions constituti-
ves du contentieux technique ont changé.
Les expertises du contentieux Aux mots « commissions régionales » sont substitués
technique les mots « tribunaux du contentieux de l’incapacité »,
aux mots « commission nationale technique » sont
Au terme de l’article L. 143-1 et suivants du Code substitués les mots « cour nationale de l’incapacité et
de la Sécurité sociale, est instituée une organisa- de la tarification de l’assurance des AT ».
tion du contentieux technique. Ce contentieux Nous utiliserons donc les nouvelles dénomina-
spécial est destiné à régler les litiges concernant tions dans ce travail, bien que les décrets d’appli-
l’appréciation du degré d’incapacité de l’assuré. Il cation concernant la composition de ces
règle aussi les contestations concernant les cotisa- juridictions ne soient pas encore parus. Les
tions AT des employeurs. anciennes dispositions dans ce domaine persis-
tent donc pour l’instant.
Rappel de la compétence
matérielle du contentieux Déroulement d’un litige
technique du contentieux technique
Le contentieux technique concerne les contesta- À partir d’une décision notifiée par la Caisse
tions portant sur le degré d’invalidité en assurance ­primaire d’assurance maladie ou la Caisse d’al-
maladie (avant 60 ans), l’état d’inaptitude (à partie locations familiales, la contestation doit être

139
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

p­ résentée par l’assuré d’abord, comme le stipule peut avoir recours à l’avis d’un médecin agréé en
l’article L. 143.2 devant le tribunal du conten- matière de pneumoconioses ou au collège des
tieux de l’incapacité (TCI) (anciennement com- trois médecins.
mission régionale de l’incapacité) en première La décision doit être motivée et notifiée par lettre
instance. recommandée aux parties. Elle va pouvoir faire
Un appel de la décision du TCI peut se faire devant l’objet d’un appel devant la Cour nationale.
la cour nationale de l’incapacité et de la tarifica- Trois éléments particuliers sont à noter. L’avantage
tion de l’assurance des AT (anciennement com- contesté par le requérant ne peut être que maintenu
mission nationale technique) qui est donc le ou augmenté ; il ne peut être réduit, même si le tribu-
second degré (article L. 143-3). Enfin, un pourvoi nal le juge excessif. La mission de l’expert n’est défi-
en cassation est toujours possible. nie par aucun texte. Son rôle est d’éclairer le TCI sur
l’aspect médical de la contestation soulevée. Avec les
Tribunal du contentieux autres membres du tribunal, il dicte les attendus de
de l’incapacité la décision. Les honoraires du médecin désigné par
le requérant sont à la charge de ce dernier.
Il siège à la Direction régionale des affaires sani-
taires et sociales (Drass). La composition est Cour nationale de l’incapacité
définie par l’article R. 143.4. Il comprend 7 mem-
bres ; 4 siégeant suffisent pour statuer : le direc-
et de la tarification de l’assurance
teur régional de l’action sanitaire et sociale ou accident du travail
son représentant, un médecin expert désigné par Elle siège à Paris au ministère chargé de la Sécurité
la Drass, un médecin désigné par le requérant, sociale. L’article R. 143.16 prévoit que la Cour soit
qui n’est pas obligatoirement le médecin traitant, composée de 6 membres : le président, magistrat
un médecin représentant la caisse dont a déci- de l’ordre judiciaire ou du Conseil d’État, deux
sion est contestée, un représentant de la direc- autres membres choisis parmi les magistrats
tion régionale du travail et de l’emploi, un ou les fonctionnaires de niveau A, deux asses-
assesseur représentant les employeurs et tra- seurs (l’un représentant les salariés, l’autre les
vailleurs indépendants, un assesseur représen- employeurs), un médecin qualifié choisi sur une
tant les travailleurs salariés. liste établie par arrêté du ministre chargé de la
Le secrétariat est assuré par un membre du per- Sécurité sociale, chargé du rapport et n’ayant
sonnel de la Drass. Il faut souligner que le rôle qu’une voix consultative. La composition des
important joué par les médecins auprès du TCI du ­t ribunaux du contentieux de l’incapacité et de
fait de la matière médicale mise en jeu. Il est indis- la CNITAAT ayant été jugée contraire à la
pensable que ces médecins connaissent parfaite- Convention européenne des Droits de l’Homme
ment la législation de la Sécurité sociale et les (Cass., Soc., 17 décembre 1998 notamment), la loi
barèmes utilisés, en particulier en AT/MP. du 17 janvier 2002 a réformé cette composition
La procédure est prévue par les articles R. 143.6 et mais les décrets d’application nécessaires n’ont
suivants. La réclamation doit être présentée dans pas été adoptés.
le délai de 2 mois à compter de la décision notifiée Le rôle de la Cour nationale est de statuer en appel
par la caisse. Le requérant doit la faire par lettre des décisions rendues par le TCI et de statuer en
recommandée adressée au secrétariat du TCI. Le premier et dernier ressort sur les contestations des
secrétariat convoque les membres du TCI et les employeurs portant sur le taux des cotisations AT.
parties intéressées 10 jours à l’avance. Les méde- Procédure : le délai d’appel de la décision du TCI
cins de cette instance peuvent prendre connais- est d’un mois. La Cour nationale statue exclusive-
sance du dossier au secrétariat du tribunal. ment sur pièces, mais fait procéder à l’examen du
L’examen de l’intéressé se fait en séance, mais, s’il dossier par le médecin membre de la commission.
ne peut se déplacer, le tribunal statuera sur pièces. Elle peut prescrire toute enquête ainsi que tout
Le TCI peut prescrire tous les examens médicaux examen médical ou analyse qu’elle juge utiles et
et toutes les analyses qu’il juge utile. Pour les qui sont effectués à la diligence de la Drass de la
contestations ayant trait aux pneumoconioses, il région d’origine du requérant.

140
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

La Caisse primaire d’assurance maladie, par l’in- relève de l’expertise L. 141.1. Cette expertise, dite
termédiaire du service médical, établit un de première intention, a un caractère d’arbitrage
mémoire en défense ou en recours. Après examen qui s’impose aux parties. Toutefois, dans les cas
du dossier par le médecin de la Cour nationale et relativement peu fréquents où une partie conteste
avis de ce dernier, la Cour apprécie souveraine- l’avis du premier expert, le juge peut ordonner
ment à la majorité des voix. La procédure est, une expertise de deuxième intention qui prend
comme au niveau de la juridiction précédente, alors le caractère d’une expertise judiciaire.
gracieuse et gratuite. En matière de contestation d’ordre médical concer-
La décision de la Cour peut faire l’objet d’un pour- nant la capacité de travail du malade ou de la vic-
voi en cassation dans un délai de 2 mois près la time, la deuxième intention relève de juridictions
deuxième Chambre Civile de la Cour de cassation. qui font appel à un examen technique gratuit pour
Le pourvoi doit être formé par le ministère d’un l’assuré, rapide et simplifié. Récemment, le décret
avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. no 96-785 du 10 septembre 1996 a instauré une
La chambre spécialisée en droit social examine le expertise technique spécifique prévue à l’article L.
pourvoi et juge en droit : elle vérifie uniquement 141-2-1 quand, en cours d’instance, une difficulté
que les conclusions médicales ont reçu une appli- porte sur l’interprétation par les professionnels de
cation correcte par la Cour nationale. Le deman- santé des nomenclatures d’actes professionnels et
deur peut obtenir une dispense des honoraires d’actes de biologie médicale. Cependant, cette
d’avocat. expertise sort du cadre des contestations d’ordre
Les contestations d’ordre médical relatives à l’état médical stricto sensu entre assuré et caisse d’assu-
du malade ou de la victime d’un AT ou de MP rance maladie.

La médecine d’expertise en assurances de personnes


O. Mireur

L’assurance de personne est un domaine particu- maladie apparaissent de plus en plus comme des
lier de l’assurance qui a pour objet de garantir les risques majeurs face auxquels il faut prévoir une
conséquences d’un événement générateur (acci- sauvegarde ;
dent ou maladie) portant atteinte à l’intégrité • inégale protection des divers régimes de base :
physique d’une personne par le versement d’une certaines catégories socioprofessionnelles ne
prestation contractuellement prévue. sont pas garanties pour tous les risques ou alors
Le développement de la production des risques de façon très insuffisante.
assurance de personne dans les sociétés d’assu-
Le médecin-conseil de la compagnie va intervenir
rance résulte de plusieurs facteurs :
dans deux situations bien différentes :
• transformation des mentalités : les biens possé-
• au moment de la souscription du contrat pour la
dés ne représentent plus la seule valeur à
sélection des risques : en faisant remplir au
protéger ;
souscripteur un questionnaire médical pour
• prise en compte de la personne dans le nouveau identification des risques aggravés, en appli-
contexte économique et social : tout événement quant, en fonction de la nature et de l’impor-
dommageable aura des conséquences diverses tance du risque aggravé, des mesures appropriées
selon la responsabilité de cette personne tant au (surprime, exclusion d’une pathologie, refus
sein de la cellule familiale que de l’entreprise ; d’assurer, ajournement) ;
• appréciations différentes des causes possibles de • au moment de la réalisation du risque, c’est-
dommage : l’accident ne représente plus le seul à-dire du sinistre : en s’assurant de sa réalité, en
aléa ; l’arrêt de travail et l’invalidité suite à une précisant l’éventuelle antériorité d’une maladie

141
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

ou d’un accident, en contrôlant les prescriptions L’assuré qui réclame l’application d’une garantie
d’incapacité temporaire, en évaluant les séquel- doit justifier les raisons de sa demande. C’est ce
les d’un traumatisme ou d’une maladie en cas qu’énonce l’article 1315 du Code civil : « Celui qui
d’invalidité permanente. réclame l’exécution d’une obligation doit la prou-
ver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré
Toutes ces opérations de sélection des risques et
doit justifier le paiement ou le fait qui a produit
de contrôle des sinistres nécessitent l’intervention
l’extinction de son obligation. »
d’un médecin spécialement formé à l’assurance de
personne : Le contrat d’assurance étant légalement un contrat
aléatoire article 1964 du Code civil, l’assureur doit
• pour analyser les réponses du questionnaire
pouvoir apprécier la probabilité de survenance du
medical ;
risque avant de s’engager.
• pour caractériser les désordres de santé pouvant
Le souscripteur qui cache volontairement et
aggraver le risque ;
sciemment la réalité de sa situation personnelle,
• pour évaluer l’importance du risque aggravé au pour empêcher l’assureur d’être valablement
regard de la garantie sollicitée et conseiller informé sur la qualité du risque, commet une
l’assureur ; tromperie constitutive du dol et qui entraîne donc
• pour procéder à l’examen d’un proposant ; la nullité du contrat par application de l’article
• pour réaliser le contrôle médical d’un assuré ; 1116 du Code civil dont le Code des assurances
dans son article L. 113-8 fait une application par-
• pour procéder à l’expertise d’un assuré après ticulière au contrat d’assurance.
consolidation ou après stabilisation.
Le rôle du médecin exige à la fois une excellente Le code des assurances
pratique médicale et expertale, des connaissances
dans le domaine de l’assurance de personne en Plusieurs articles du code des assurances intéres-
matière de contrat et de garantie, des connaissan- sent particulièrement le médecin-conseil en assu-
ces sur le droit spécifique de l’assurance de rances de personnes.
personne.
La déclaration du risque
par le futur assuré
Cadre juridique Jusqu’à un passé récent, l’article L. 113-2-2o du
Code des assurances disposait que l’assuré devait
Le médecin-conseil de sociétés d’assurances doit déclarer spontanément à l’assureur tous les élé-
connaître l’environnement juridique de son tra- ments susceptibles de modifier le caractère aléa-
vail. Il peut ainsi mieux appréhender l’objet de sa toire du risque. « L’assuré est obligé de déclarer
mission ainsi que les conséquences juridiques de exactement, lors de la conclusion du contrat, tou-
son intervention et de ses conclusions médicales. tes les circonstances connues de lui qui sont de
nature à faire apprécier par l’assureur les risques
qu’il prend à sa charge. »
Le droit du contrat (Code civil)
Cette obligation de déclaration spontanée a été
L’assurance de personnes est une assurance modifiée par la loi du 31 décembre 1989 portant
contractuelle : les termes du contrat font la loi des adaptation du Code des assurances à l’ouverture
parties, sous réserve des dispositions d’ordre du marché commun.
public auxquelles les parties ne peuvent déroger. Il en résulte désormais, de l’article L. 113-2-2o
Selon l’article 1134 du Code civil : « Les conven- du Code des assurances, l’obligation pour l’as-
tions légalement formées tiennent lieu de loi à suré : « de répondre exactement aux questions
ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révo- posées par l’assureur notamment dans le formu-
quées que de leur consentement mutuel ou pour laire de déclaration |du risque par lequel l’assu-
les causes que la loi autorise. Elles doivent être reur l’interroge lors de la conclusion du contrat
exécutées de bonne foi. » sur les circonstances qui sont de nature à faire

142
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

apprécier par l’assureur les risques qu’il prend à Dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un
sa charge ». sinistre, l’indemnité est réduite en proportion des
En corrélation avec ces dispositions, l’article 112-3, taux de primes payées par rapport au taux des pri-
alinéa 2 modifié, prévoit : « Lorsque, avant la mes qui auraient été dues si les risques avaient été
conclusion du contrat, l’assureur a posé des ques- complètement et exactement déclarés. »
tions par écrit à l’assuré, notamment par un for- Ainsi, en cas de sinistre, la prestation versée par
mulaire de déclaration du risque ou par tout autre l’assureur est réduite en proportion de la surprime
moyen, il ne peut se prévaloir du fait qu’une ques- qui aurait été payée si le risque avait été correcte-
tion exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une ment déclaré.
réponse imprécise. » À titre d’exemple, si un assuré omet de déclarer
Ces nouvelles dispositions figurent dorénavant dans lors de l’adhésion une affection qui aurait justifié
les nouvelles éditions du Code des assurances. l’application d’une surprime de 30 %, la prestation
auquel il peut prétendre à la suite d’un sinistre
La fausse déclaration sera :
• réduite à néant s’il est établi que la fausse décla-
Le Code des assurances prévoit les sanctions qui
ration faite par l’assuré lors de l’adhésion avait
peuvent être appliquées s’il se révèle qu’il y a eu,
un caractère volontaire ;
de la part de l’assuré, lors de l’adhésion, réticence
ou fausse déclaration intentionnelle ou non • réduite à 23 % (100 divisés par (100 + 30) = 0,23)
intentionnelle. s’il est admis que la fausse déclaration faite par
Les sanctions sont différentes selon que la fausse l’assuré était involontaire.
déclaration résulte ou non de la mauvaise foi de
l’assuré. La loi Évin
En principe, les déclarations de mauvaise foi sont
La loi du 31 décembre 1989 renforçant les garan-
sanctionnées par la nullité du contrat, article
ties offertes aux assurés contre certains risques
L. 113-8 : « Indépendamment des causes ordinai-
(dite loi Évin) a introduit des règles particulières,
res de nullité et sous réserve des dispositions de
lesquelles varient selon les types de contrat :
l’article L. 132-26, le contrat d’assurance est nul en
cas de réticence ou de fausse déclaration inten- Pour les contrats individuels et les contrats collec-
tionnelle de la part de l’assuré, quand cette réti- tifs à adhésion facultative (par exemple, un
cence ou cette fausse déclaration change l’objet du contrat de prévoyance proposé par un assureur à
risque ou en diminue l’opinion de l’assureur alors l’attention des médecins), la loi Évin permet à
même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré l’assureur, comme par le passé, d’exclure indivi-
a été sans influence sur le sinistre. » duellement des garanties (pour les garanties
autres que le décès) un (ou plusieurs) état(s)
Les irrégularités de bonne foi, éventuellement par
pathologique(s) antérieurs(s) à la souscription, à
la réduction proportionnelle, la prestation due par
la condition que l’exclusion en question soit clai-
l’assureur étant réduite en proportion du montant
rement indiquée aux conditions particulières du
de la prime versée par rapport à la prime qui aurait
contrat.
dû être réglée si le risque garanti avait été complè-
tement et exactement déclaré (article L. 113-9) : Par exemple, figurera aux conditions particulières
« L’omission ou la déclaration inexacte de la part du contrat la clause suivante : « Sont exclues des
de l’assuré dont la mauvaise foi n’est pas établie garanties les incapacités et invalidités en rapport
n’entraîne pas la nullité de l’assurance. Si elle est avec les séquelles de l’accident de 1983 » ou
constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit « Exclusion des incapacités ou invalidités en rap-
soit de maintenir le contrat, moyennant une aug- port avec la sclérose en plaques. »
mentation de prime acceptée par l’assuré, soit de Pour les contrats collectifs à adhésion obligatoire
résilier le contrat dix jours après notification (par exemple, le contrat souscrit par un employeur
adressée à l’assuré par lettre recommandée, en pour ses salariés), la loi Évin interdit dorénavant à
restituant la portion de la prime payée pour le l’assureur : toute exclusion ou restriction indivi-
temps où l’assurance ne court plus. duelle de garanties pour un membre du groupe

143
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

déjà malade ou handicapé au moment de la L’invalidité en assurance de personnes


­souscription ; d’exclure (aux conditions générales Elle est définie dans un contrat privé signé entre la
du contrat) les maladies ouvrant droit au service compagnie et l’assuré. Ce contrat fait la loi des par-
des prestations en nature de l’assurance maladie ties. La définition de l’invalidité est celle indiquée
du régime général de la Sécurité sociale. dans les conditions générales du contrat. Chaque
Par contre, l’assureur conserve dans tous les cas la contrat est unique. Chaque contrat a ses critères
possibilité d’appliquer les sanctions prévues en spécifiques d’appréciation avec une sémantique
cas de fausse déclaration (art. L. 113-8 et L. 113-9 propre (invalidité, infirmité, incapacité…).
du Code des assurances). On peut débusquer 3 types de contrats :
• Type 1 : l’invalidité recouvre « l’incapacité abso-
Le concept d’invalidité régimes lue d’exercer une profession quelconque », ou
sociaux et assurances encore « la moindre activité pouvant procurer
gain ou profit » ou enfin « l’incapacité totale
de personnes
définitive de reprendre la profession exercée
Nombreux sont les litiges induits par la divergence avant la date d’arrêt de travail ».
entre le type d’invalidité déterminé par le méde- • Type 2 : l’invalidité appelée souvent absolue
cin expert en assurances de personnes et celui fixé définitive (IAD) où l’assuré est « incapable
par le médecin-conseil de Sécurité sociale. Les d’exercer une profession quelconque et où il est
assurés, en effet, ne comprennent pas qu’étant, obligé de recourir définitivement à l’aide
par exemple, reconnus invalides 2e catégorie par constante d’une tierce personne pour accomplir
la Sécurité sociale, ils ne bénéficient pas des pres- les actes ordinaires de la vie : se nourrir, se laver,
tations « invalidité absolue définitive » garanties s’habiller, se déplacer, pouvoir rester seul sans
par leur assurance privée. être constamment surveillé » (selon les polices,
Une étude des critères différents d’invalidité entre 1 à 3 items sont exigés).
ces 2 types d’assurance paraît nécessaire de façon • Type 3 : l’invalidité fait référence à l’assurance
à en tirer des conséquences pratiques. invalidité de la Sécurité sociale. Plusieurs cas
sont possibles : la prestation invalidité est versée
L’assurance invalidité en matière
par la compagnie si l’assuré est classé invalide
de Sécurité sociale
par la Sécurité sociale (1re, 2e ou 3e catégorie) ;
Elle est précisée dans l’article L. 341 du nouveau elle est accordée s’il est classé invalide 2e catégo-
Code de Sécurité sociale et par sa jurisprudence. rie par la Sécurité sociale ; elle est équivalente à
L’assuré est susceptible d’obtenir une pension la 3e catégorie Sécurité sociale (assistance d’une
d’invalidité lorsqu’il présente une invalidité tierce personne).
réduisant au moins des 2/3 sa capacité de travail
Des barèmes d’invalidité peuvent être annexés aux
ou de gain (c’est-à-dire au moins 66,66 % de cette
contrats. Il est parfois demandé à l’expert d’utiliser
capacité).
un barème spécifique (droit commun, dit barème
La réduction de capacité de l’assuré tient compte du Concours medical), or celui-ci est plus restrictif
des critères suivants : capacité physique et men- que celui, par exemple, des accidents du travail qui
tale restante, âge, aptitudes et formation profes- intègre un coefficient professionnel. Ces barèmes
sionnelle, possibilités d’emploi à un poste adapté, ne traitent que de séquelles traumatiques.
situation socioprofessionnelle et familiale et sur-
La notion d’invalidité en assurance de personnes,
tout état local du marché du travail et directives
très variable selon les contrats, est souvent diffé-
ministérielles.
rente et plus restrictive que l’invalidité définie par
On se rend compte que ce concept d’invalidité est les assurances sociales. Cette différence va être
complexe, car, outre les critères médicaux obliga- source de nombreux litiges.
toires, des critères professionnels et sociaux au
moins équivalents entrent en jeu. Les litiges
Enfin, il faut souligner l’absence de barème en Ils résultent de l’incompréhension par l’assuré de
assurance invalidité. ce qui précède, liée à son ignorance des critères

144
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

spécifiques à chaque type de garantie et dans cha- Cette collecte et ce traitement d’informations
que régime. médicales, indispensables à l’activité d’assurance,
L’appréciation de l’état d’invalidité par le méde- ont toujours tenu compte des impératifs de confi-
cin-conseil en assurance de personnes est donc dentialité de ces informations touchant à la per-
souvent source de litiges. sonne des assurés, ainsi que de la volonté librement
exprimée par ceux-ci quant à l’usage qu’il convient
Ils résultent de l’inadéquation entre les capacités
de faire des informations et documents médicaux
exactes du sujet, appréciées de façon objective par
les concernant.
le médecin de la société d’assurances, et la situa-
tion sociale du sujet. Compte tenu des évolutions législatives récentes
et des réflexions conduites, sous l’égide des pou-
Les tribunaux confirment le plus souvent les
voirs publics, sur les problèmes que pose l’utilisa-
appréciations des médecins des sièges des compa-
tion de ces informations dans des conditions
gnies d’assurances. Celles-ci disposent actuelle-
compatibles à la fois avec les exigences d’un ordre
ment de gammes de contrats très élaborées
éthique et l’exercice de l’activité d’assurance, il est
permettant de couvrir des risques différents
apparu souhaitable d’une part de rappeler les pro-
s’adressant à des statuts allant de la femme au
cédures existantes, d’autre part de formuler un
foyer ou du lycéen jusqu’au travailleur manuel
certain nombre de recommandations de nature à
ultra-spécialisé. Le montant des primes est, bien
renforcer la confidentialité de ces procédures, tant
entendu, adapté à la spécificité du contrat et à la
au stade de la souscription des contrats qu’à celui
référence professionnelle. Un grand nombre de
du règlement des indemnités.
litiges est lié au fait que les assurés, garantis par
des contrats « standard » aux primes les plus fai- L’appréciation du risque, comme le règlement des
bles, souhaiteraient en cas de sinistre bénéficier prestations, nécessite des examens, des contrôles
des garanties sophistiquées de contrats beaucoup et des évaluations faisant appel au concours de
plus onéreux. médecins. Ceux-ci agissent pour le compte de
l’organisme d’assurance concerné dans le respect
de la déontologie médicale.

Service médical des sociétés


Code de bonne conduite d’assurances
concernant la collecte
Le service médical est placé sous la responsabilité
et l’utilisation de données d’un médecin, collaborateur à temps plein ou
relatives à l’état de santé, en vue partiel, auquel doit être garantie l’indépendance
de la souscription ou l’exécution technique et morale. Ce service bénéficie à cet
effet de locaux particuliers et d’un personnel spé-
d’un contrat d’assurance cifique. Le responsable du service médical, sou-
vent qualifié de « médecin chef », coordonne
Les organismes d’assurance sont appelés à recu­ l’activité des autres médecins attachés au service.
eillir et à traiter des informations concernant
l’état de santé d’une personne : En outre, il organise et maintient les contacts
nécessaires avec des médecins correspondants,
• soit dans les assurances de personnes, avant la indépendants de l’entreprise et chargés d’exami-
souscription d’un contrat ou l’adhésion à celui- ner les assurables en vue de la conclusion d’une
ci s’il s’agit d’une assurance de groupe ; assurance, ou d’examiner ou contrôler les person-
• soit dans toutes assurances intervenant en cas nes malades, ou invalides, ou les victimes d’acci-
de décès ou d’atteintes corporelles, lors de la dents, dans le cadre du règlement d’un sinistre ou
déclaration d’un sinistre ou de la déclaration d’une demande de prestations.
d’un sinistre ou de la demande de prestations ; Il procède lui-même ou fait procéder par ses colla-
• soit en vue de la réparation d’un dommage borateurs médecins aux examens et contrôles pré-
­corporel causé à autrui (assurance de respon­ cités lorsque la proximité et l’organisation du
sabilité). service le permettent.

145
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Il donne son avis médical sur les dossiers de sous- lière, l’assureur demande le cas échéant des
cription ou de règlement qui sont soumis au ser- examens complémentaires : analyses, radiogra-
vice médical. phies ou échographies, électrocardiogrammes…
Il conseille l’organisme d’assurance en matière Ces examens peuvent éventuellement être rem-
de sélection médicale des risques, de prévention placés par la communication des pièces faisant
et de règlement. Il participe à ce titre à la défi- partie du dossier médical du proposant.
nition des normes d’acceptation, à l’élaboration Les questionnaires répondent à un souci de clarté
des questionnaires de santé et des formulaires et de concision pour pouvoir être compris par les
de déclaration de sinistre, ainsi qu’à l’infor­ assurables. D’autre part, ils sont suffisamment
mation des services techniques en matière détaillés pour permettre une appréciation cor-
médicale. recte du risque par l’assureur. Ils comportent
Il s’agit donc d’une triple mission de contrôle, généralement deux types de questions portent :
d’expertise et de conseil, qui n’est confondue ni sur des faits matériels (par exemple, avez-vous eu
avec celle de l’expert judiciaire désigné par une un arrêt de travail de plus de X jours durant la
juridiction, ou en exécution d’une convention dernière période d’un an ?) ; sur des maladies (par
d’arbitrage, ni avec celle des médecins contrôleurs exemple, êtes-vous traité pour hypertension ?).
des organismes de Sécurité sociale. Il existe, d’autre part, pour certaines maladies
spécifiques, comme le diabète, des questionnaires
spéciaux que les personnes concernées remplis-
Appréciation des risques sent généralement avec le concours de leur méde-
lors de la souscription cin traitant.
(assurances de personnes) Les assureurs sont soumis, comme tous les profes-
sionnels recueillant des informations confiden-
Description tielles, à une obligation de discrétion.
L’état de santé de l’assurable est un élément essen- Cette obligation est particulièrement forte s’agis-
tiel d’appréciation du risque pour la souscription sant d’informations relatives à l’état de santé
d’une assurance comportant des garanties de pré- d’une personne. En conséquence, l’assureur prend
voyance (décès, invalidité, maladie). L’âge, le les mesures nécessaires pour assurer la confiden-
montant des sommes assurées, la durée et la tialité de ces informations.
nature du contrat, conditionnent le niveau d’in-
En pratique, celles-ci ne sont accessibles qu’aux
formation et de contrôle.
membres du service médical de l’entreprise ainsi
Pour les assurances dont les capitaux ou rentes qu’aux personnes chargées de l’acceptation des
garantis sont faibles, seule une déclaration rela- risques ou du règlement des prestations.
tive à l’état de santé ou un questionnaire succinct
Le personnel affecté à ces tâches reçoit une forma-
est généralement demandé.
tion spéciale concernant la déontologie médicale
Lorsque ces capitaux ou rentes dépassent un cer- et le respect du secret professionnel ; il est égale-
tain montant ou que l’assurable n’est pas en état ment instruit des procédures destinées à assurer
de signer une telle déclaration ou que son âge le respect de la confidentialité des informations
excède la norme fixée, il est demandé de remplir qu’il est amené à traiter.
un questionnaire de risque plus détaillé.
Le rapport du médecin examinateur ainsi que les
L’assureur peut également, si les réponses au ques- résultats des différents examens demandés à l’as-
tionnaire de risque ou le montant du capital le jus- surable sont transmis directement sous pli confi-
tifient, demander à l’assurable de se soumettre à dentiel au service médical de la société d’assurance.
un examen médical. Cet examen peut être pré- Le service médical émet un avis sur les dossiers
cédé ou complété par des analyses biologiques, comportant des documents confidentiels, des rap-
qui comme l’examen lui-même sont, sauf excep- ports médicaux, et, plus généralement, qui soulè-
tion, à la charge de l’assureur. vent un problème d’appréciation médicale. Cet
En fonction des réponses au questionnaire de ris- avis est transmis au service chargé de l’accepta-
que ou de la déclaration d’une pathologie particu- tion des risques.

146
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Plusieurs situations se présentent alors : accepta- risques par le candidat à l’assurance, qui déclare
tion au tarif normal, acceptation avec surprime et dans le formulaire accepter cette communi­
éventuellement limitation de la durée de l’assu- cation.
rance, acceptation avec exclusion d’une patholo- Le candidat à l’assurance est informé que le ques-
gie particulière et de ses conséquences (ce sont les tionnaire est adressé au service d’acceptation sous
maladies qui préexistaient à l’entrée à l’assurance), pli confidentiel et cet envoi lui est facilité.
ajournement (de 1 à 5 ans le plus souvent) ou refus.
Les assureurs ont notamment la faculté de poser
L’assurable est informé de la décision de la société. certaines questions relatives au sida et à la
séropositivité.
Recommandations Les formulaires de déclaration comprenant ces
Tenant compte, d’une part, des nouveaux textes informations doivent être exclusivement adressés
régissant les opérations d’assurance de personnes au service médical.
et, d’autre part, des observations formulées par les Lorsqu’il s’agit de la partie médicale d’un formu-
administrations et les institutions concernées, les laire de déclaration plus large, cette partie médi-
recommandations suivantes ont été élaborées en cale doit être séparable ou protégée (cachetée).
tant que de besoin. Ces informations, et plus généralement celles
relatives à une pathologie chronique grave ou sen-
Suites de maladies antérieures
sible, sont traitées sous la pleine responsabilité du
Le secret médical s’impose aux assureurs comme médecin responsable du service médical de
à toute personne. Toutefois, aux termes de l’article l’entreprise.
3 a/ de la loi no 89-1009 du 31 décembre 1989, les
Il y a lieu en tant que de besoin de réviser les ques-
conditions particulières du contrat doivent men-
tionnaires existants pour les concilier avec les dis-
tionner clairement les exclusions ou restrictions
positions de l’article L. 112-3, 4e alinéa, nouveau
de garanties particulières à la personne assurée en
du code des assurances. Il convient d’écarter les
assurance individuelle ou collective non obliga-
formulations de questions trop générales du type :
toire pour lui permettre d’être couverte contre les
« Vous estimez-vous en bonne santé ? »
suites de maladies antérieures. À cet effet, l’infor-
mation nécessaire est transmise par le service
médical de la société au service d’acceptation des
Les rapports médicaux
risques d’une part, et au service administratif Ces rapports sont généralement établis par des
chargé d’établir le contrat d’autre part. médecins désignés par l’assureur pour examiner
l’assurable. Ils sont transmis directement sous pli
Déclaration du risque confidentiel au service médical de la société
L’assuré doit déclarer exactement le risque, lors de d’assurance.
la conclusion du contrat, sur la base des questions Dans l’hypothèse où le médecin traitant de l’assu-
posées par l’assureur (art. L. 113-2, alinéa 2 modi- rable intervient, il est rappelé que la déontologie
fié du code des assurances). médicale ne l’autorise qu’à remettre à l’assurable
L’assurable est averti que ses déclarations comme lui-même un certificat médical qu’il a rempli en
ses omissions volontaires peuvent lui être oppo- précisant sur celui-ci qu’il s’agit d’un certificat
sées en application de l’article L. 113-8 du code remis en main propre à l’intéressé, lequel est libre
des assurances, qui prévoit la nullité du contrat en de son usage.
cas de réticence ou de fausse déclaration inten-
tionnelle par l’assuré. Les examens complémentaires
Les questionnaires de risque ne doivent compor- Il est souhaitable que l’assurable soit invité par le
ter aucune question concernant le caractère médecin-conseil à désigner un médecin auquel,
intime de la vie privée, et en particulier de vie s’il le demande, et à l’initiative du médecin-­
sexuelle des proposants. conseil, seront adressés les résultats demandés par
Les déclarations et questionnaires de risques sont l’assureur et transmis au service médical de la
transmis directement au service d’acceptation des société.

147
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Lorsqu’un test de dépistage de la séropositivité répondre à un questionnaire s’inscrivant dans le


(VIH) est demandé par l’assureur, cette demande cadre de la déclaration de sinistre. Cette procé-
doit être faite dans les conditions suivantes : l’as- dure administrative légère convient particulière-
surable donne son accord préalable, le médecin- ment à l’assurance de remboursement de frais
conseil veille à ce que les informations nécessaires médicaux qui exige une grande rapidité de
soient données avant et après l’examen biologique, règlement.
le test n’est pas isolé mais doit être intégré à un Le règlement des prestations nécessite le rappro-
examen plus complet. Le test est toujours prescrit chement des déclarations initiales faites lors de la
par un médecin, les résultats sont adressés aux souscription du contrat de celles effectuées à la
médecins que l’assurable est invité à désigner par suite du sinistre ; il en est de même en cas de
le médecin-conseil. constatations médicales ou autres résultant du
Deux cas peuvent se présenter : dossier du règlement.
• l’assurable peut ne pas souhaiter désigner un Les problèmes déontologiques liés à l’établisse-
médecin différent de celui qui est appelé à ment des questionnaires de règlement ou aux rela-
l’examiner en vue de l’assurance. Le résultat de tions de l’assureur avec le corps médical en vue de
l’examen est alors adressé directement à ce ce règlement ne sont pas fondamentalement diffé-
médecin ; rents en assurances de personnes de ceux relatifs à
• l’assurable peut au contraire souhaiter que le la souscription de l’assurance.
résultat de l’examen soit adressé par le labora- Les investigations de l’assureur sont engagées avec
toire au médecin qu’il désigne et informe de son tact et mesure en tenant compte notamment de
choix. Ce médecin assure alors la responsabilité l’importance du sinistre et de la difficulté pour
des conseils qui précèdent et qui suivent le test, l’assuré ou ses ayants droit de produire certains
et particulièrement celle relative à la remise du justificatifs normalement exigibles.
résultat. Le patient, et lui seul, transmet ensuite La loi du 31 décembre 1989, renforçant la garantie
le résultat au médecin-conseil. Dans ce cas, le offerte aux personnes assurées contre certains ris-
patient accepte les délais nécessités par l’obten- ques, prévoit que, dans les contrats collectifs non
tion des entretiens médicaux. obligatoires et dans les contrats individuels cou-
Les rapports médicaux comme les examens com- vrant des risques de prévoyance, l’assureur peut à
plémentaires relèvent des mêmes règles de confi- certaines conditions refuser la prise en charge des
dentialité que les questionnaires médicaux. suites de maladies antérieures à la conclusion du
contrat. Il doit alors apporter la preuve de l’anté-
riorité de la maladie, dans le respect du secret pro-
Exécution du contrat (toutes fessionnel auquel il est tenu.
assurances de personnes
Règlement des prestations
et de responsabilité)
À ces observations générales, et pour le cas parti-
Observations générales culier du règlement des prestations, il peut être
Conformément aux principes généraux de notre ajouté que :
droit, il appartient à l’assuré ou au bénéficiaire de • les questionnaires destinés aux personnes décla-
l’assurance qui en demande l’exécution de justi- rant un sinistre distinguent les rubriques de
fier ses droits. De même, la victime d’une atteinte caractère administratif de celles proprement
corporelle due à l’action fautive d’un tiers doit éta- médicales : lorsque ces dernières doivent être
blir la réalité de son préjudice. remplies par le médecin traitant de l’assuré ou
L’exécution du contrat peut ainsi nécessiter que de la victime, elles font l’objet d’un document
l’assureur subordonne le règlement des presta- distinct ;
tions à la production d’attestations médicales ou • tout document établi par un médecin ayant
au résultat d’examens de contrôle ou d’évaluation donné ses soins à l’assuré est remis à celui-ci ou
effectués par des médecins missionnés à cet effet. à ses ayants droit qui demeurent libres de son
L’assureur peut également demander à l’assuré de usage ;

148
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

• tout médecin intervenant pour le compte d’un la situation particulière de l’assuré, de ses ayants
assureur auprès d’un assuré, d’une victime droit ou de la victime.
demandant réparation d’un dommage corpo-
Par ailleurs, la loi du 5 juillet 1985 relative aux
rel ou de leurs ayants droit précise clairement
accidents de la circulation a créé un cadre adapté
qui l’a missionné et quel est le but de sa mis-
à la procédure d’expertise pour la constatation et
sion afin d’éviter toute confusion, notamment
l’évaluation des atteintes corporelles des victimes
avec les médecins contrôleurs de la Sécurité
de ces accidents. Dans le cadre du décret d’appli-
sociale ;
cation de cette loi, l’intéressé doit être avisé, avec
• l’exigence de justificatifs ou de contrôles médi- un délai minimum de 15 jours, de la date de l’ex-
caux, si elle est nécessaire au respect des engage- pertise et du nom du praticien qui en est chargé.
ments réciproques des parties au contrat Il peut récuser, sans avoir à justifier sa position, le
d’assurance ainsi qu’à la défense des intérêts médecin qui lui est désigné. Dans cette éventua-
légitimes de l’ensemble des assurés constituant lité, un expert est désigné en référé par le tribunal.
la mutualité couverte par l’assureur, est limitée Il doit recevoir un double du rapport médical des-
aux mesures indispensables sans perdre de vue tiné à l’assureur.

Les médecins-conseils
J. Ch. Lachamp et J. Rosenblum

Lorsque la prévention n’a pas permis d’éviter que ce qu’on sait le moins, ni gens si assurés que
l’accident, ceux qui nous comptent des fables, comme alchi-
Lorsque le ramassage a permis de sauver la vie, mistes, pronostiqueurs, judiciaires, chiromanciens,
Lorsque les thérapeutes, malgré les avancées médecins, “id genus omne” » (Montaigne, Les
techniques, n’ont pas permis de guérir,
essais)
Alors vient le temps de l’évaluation du handicap
imputable. C’est dire les nécessités d’une formation continue
Conseiller d’une victime, d’un assureur, du magis- permanente : « Vingt fois sur le métier remettez
trat… un dénominateur commun nous réunit : le votre ouvrage, polissez le sans cesse et le repolis-
respect absolu de la personne humaine. Une seule et sez. » (Boileau, Art Poétique – Chant 2, 1674).
même profession, celle d’expert médical reconnue La connaissance de la technique, impose d’en
en tant que telle et à la disposition de tous les inter- maintenir le niveau, seul argument d’une compé-
venants dans la réparation du dommage corporel. tence particulière : FMC et EPP désormais réunies
« Voyageant un jour, durant nos guerres civiles, n’ont que quelques siècles de retard !
nous rencontrâmes un gentilhomme de bonne « Je pensai que je ne pouvais mieux… que d’em-
façon. Il était du parti contraire au nôtre… mais il ployer toute ma vie à cultiver ma raison et m’avan-
n’en savait rien, car il se contrefaisait autre. Et le cer autant que je pourrais en la connaissance de la
pis de ces guerres, c’est que les chartes sont si mêlées, vérité. » (Descartes, Discours de la Méthode – III,
votre ennemi n’est distingué d’avec vous d’aucune 125)
marque apparente, ni de langage ni de port,
L’importance des accidents corporels en fré-
nourri en mêmes lois, mœurs et mêmes airs… »
quence, en gravité, en coût, la généralisation d’une
(Montaigne, Les Essais – De la Conscience, Livre II,
prévoyance individuelle et de groupe, la multipli-
Chap. V)
cité des actions en responsabilité médicale ont,
Ce dénominateur commun, c’est la médecine, depuis trente ans, contribué au développement de
toute la médecine, car : l’activité professionnelle des médecins conseils.
« Le vrai champ et sujet de l’imposture sont les cho- Ces médecins sont susceptibles d’intervenir dans
ses inconnues car… il n’est rien cru si fermement plusieurs fonctions totalement différentes.

149
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Du médecin-conseil de siège Écouter ce qui est dit, ce que l’on entend, ce que
l’on ressent.
aux médecins examinateurs Examiner : second temps, capital pour le médecin
qui comprend ce qu’on lui dit, qui le traduit en
Le statut du médecin-conseil de siège dépend de termes médicaux, qui analyse de façon objective
l’importance de la société qui l’emploie : salarié à les incapacités, qui mesure, pèse, calcule… tous
temps plein, à mi-temps ou vacataire, son rôle éléments qui ont pour but non pas de disséquer
s’exerce auprès de la direction technique, des ser- l’individu, mais de rendre cet examen reproducti-
vices de règlement, du réseau médical, s’étendant ble et exploitable en cas de demande d’aggrava-
de l’évaluation des risques, des conclusions prévi- tion ou simplement de contestation.
sionnelles aux conclusions définitives, à l’applica-
tion des garanties, à l’acceptation du bien fondé Examiner le dossier dans son intégralité et ne pas
d’une réclamation, des rapports avec les médecins se contenter de reproduire ici ou là certaines let-
des caisses, à la rédaction de rapports critiques. tres ou comptes rendus.
Le médecin régional habituellement questionné La transmission de nos rapports aux victimes et
sur les dossiers les plus importants a les mêmes aux médecins qui les accompagnent nous impose
fonctions que le médecin de siège dans les grandes un langage le plus clair possible. Nous pouvons
sociétés. toujours être critiqués ou contestés sur nos conclu-
sions. Nous ne saurions l’être sur les données de
Chaque compagnie a un réseau de médecins exa- nos examens qui doivent être la référence. De la
minateurs, géographiquement répartis, considé- contradiction naît la Qualité.
rés comme travailleurs indépendants, rémunérés
sous forme d’honoraires, inscrits à l’Ordre des Douter : troisième temps, le doute méthodique :
médecins. Assistants techniques de l’assureur, ils « Je décide de douter… de tout, je fais table rase.
ne sont ni son mandataire ni son représentant et Soyons méfiants à l’excès ». On rappelle que cette
donnent un avis technique aux régleurs (comme pensée survient après le dogme religieux du
d’ailleurs le magistrat dans un cadre judiciaire) Moyen Âge.
celui-ci étant libre de se conformer ou non aux Quid de l’expert ? Après mille ans de dogme théo-
conclusions reçues. Il n’existe aucun contrat entre logique, avec Descartes le corps n’est plus le lieu
ces médecins et les sociétés d’assurance en dehors du péché, l’individu s’impose face au collectif ; le
d’un contrat tacite d’exigence de qualité. « je pense donc je suis » est la signature de cet indi-
vidu, être unique doué de raison, libre de façonner
sa vie, son projet de vie.
Une activité médicale Déjà l’expert pointe son nez… le projet de vie ! Il
fait partie de la Loi Française « pour l’égalité des
très étendue… droits et des chances, pour la participation et pour
la citoyenneté des personnes handicapées » du
Mais un acte, l’expertise : un acte long, difficile,
11 février 2005.
un acte médical à part entière. Le colloque singu-
lier aboutissant dans ce cas à la rédaction d’un Liberté suppose lucidité, elle exclut l’angélisme ;
rapport… et non d’une ordonnance. C’est la seule « de toute évidence je garde à l’idée que cela peut
différence. [Note J.H. : sur ce sujet, la discussion être faux ».
peut être ouverte – cf. le sous-chapitre Caracté­ Douter, c’est différencier le vrai du vraisemblable.
ristiques juridiques de l’activité d’expert judiciaire C’est se comporter vis-à-vis du vraisemblable
en médecine]. Cette expertise permet de retracer comme à l’égard de ce qui est faux. C’est considé-
l’historique certes, de voir les documents bien rer comme fausses les opinions affectées d’un
entendu, mais surtout d’écouter, d’examiner, de doute même léger.
douter, avant de conclure d’accompagner. Ce doute n’est pas une fin en soi. Il est un moyen
Écouter : c’est le premier temps, capital pour la qui permet d’agir, de trancher, de conclure. Il est
victime qui exprime sa souffrance, son histoire, sa la base du raisonnement médico-légal et des affir-
vision du sinistre, des soins, de son handicap. mations de l’imputabilité.

150
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

Ce doute n’est pas le scepticisme stérile. Il est Je puis attester et accompagner. Ceci, quel que soit
« l’antichambre du vrai », confiant dans la valeur le loueur d’ouvrage !
de la raison impartiale. La reconnaissance de l’er- Conclure : cinquième temps, bien entendu capital
reur devient facile à admettre et la modestie n’est pour les régleurs qui proposent une indemnisa-
pas un déshonneur. tion. Ce régleur n’est pas lié aux conclusions. Il s’en
Ce doute permet de parvenir au vrai. Il permet à inspire. Nous sommes ses assistants techniques.
l’expert : Les conclusions sont les réponses aux divers points
• de dépister les causes d’erreur liées les unes à de la mission. Nous avons des « échelles » de réfé-
l’ignorance, d’autres à l’intérêt, d’autres à l’ha- rence, des barèmes qui servent de garde-fou.
bitude ou à la routine ; Mais au-delà… l’expert serait-il juste bon à utili-
• de discerner les liaisons réelles entre les faits : ce ser des échelles ? Non, bien sûr ! Le rapport ne sau-
sont les règles d’analyse et de synthèse ajoutées rait être que le résultat froid du raisonnement
par Descartes dans son Discours de la Méthode à informatique sans humanisme.
la règle de l’évidence ; Conclure sans oublier le doute constructif : « Ce qui
• d’apprécier la valeur des résultats obtenus, ce fait que nous nous trompons ordinairement est que
qui implique l’esprit de finesse. nous jugeons bien souvent, encore que nous n’ayons
pas une connaissance bien exacte de ce dont nous
Par son pouvoir de discerner le vrai d’avec le faux, jugeons » (Descartes, Les principes de la philoso-
ainsi que par les qualités aussi bien intellectuelles phie – 33)
que morales que cela exige, l’esprit critique de Conclure, mais ne jamais juger : seul le juge… juge !
l’expert est la caractéristique la plus fondamentale et encore… « Faut il se garder, qui peut, de tomber
de son esprit et de sa valeur scientifique. entre les mains d’un juge victorieux et armé »
Accompagner : quatrième temps d’un avenir pro- (Montaigne).
che ! Accompagner, c’est respecter le Libre Choix.
Le champ de l’exercice du médecin est très vaste,
« La liberté consiste à pouvoir faire ce que l’on doit
puisqu’il couvre toutes les spécialités. Cela impli­
vouloir, et à n’être pas contraint de faire ce que l’on
que des connaissances médicales approfondies.
ne doit pas vouloir. » (Montesquieu, De l’esprit des
L’expérience montre que près de la moitié des
lois)
séquelles d’accident est d’ordre orthopédique et près
Accompagner le libre choix du projet de vie. Le d’un quart neurologique ; ceci exige la réalisation de
médecin expert doit y participer, soutenir et gui- bilans articulaires et neurologiques très élaborés.
der le projet de cette victime. Force de proposi-
tion, force de réflexion, courroie de transmission De vastes notions médicales et médico-légales
avec le régleur, dans le colloque singulier généra- sont nécessaires dans toutes les spécialités en rai-
teur de la confiance son de pathologies « intriquées », notamment en
oto-rhino-laryngologie (ORL), ophtalmologie et
Accompagner ce projet, c’est participer de façon
psychiatrie.
humaniste à la construction d’une nouvelle vie :
« Être éthique, c’est accepter et vivre le conflit du La saisine des médecins-conseils s’étend de l’éva-
bien à faire et du devoir à accomplir, comme si la luation du dommage corporel en droit commun
destination de l’homme était d’en sortir dans un aux examens en assurance individuelle, voire à
monde meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à l’analyse de garanties de frais médicaux.
construire » (Suzanne Rameix, Fondements philo- Une technique d’expertise éprouvée est néces-
sophiques de l’éthique médicale, Ellipses-Edition saire. De la convocation au déroulement de l’ex-
marketing S.A., 1996). pertise, de la réalisation du rapport au suivi du
Seule la mission que nous recevons compte ; elle dossier, elle doit obéir aux règles habituelles de
est l’architecte de notre rapport. J’ai entendu, procédure et de déontologie et exige en outre un
écouté, ressenti, palpé sans compassion mais avec secrétariat performant.
la neutralité bienveillante du thérapeute. J’ai douté En fonction des différents cadres juridiques (acci-
sans suspicion illégitime. Ce doute a forgé dent du travail, droit commun, domaine contrac-
l’imputabilité tuel, responsabilité médicale), le médecin-conseil

151
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

doit parfaitement manier toutes les doctrines et son mandataire avise la victime, 15 jours au moins
méthodologie de la réparation et leur concept avant l’examen, de l’identité et du titre de méde-
(imputabilité médicale, lien de causalité, état cin chargé d’y procéder, de l’objet, de la date et du
antérieur et prédisposition). lieu de l’examen, ainsi que du nom de l’assureur
Une formation spécifique constamment renouve- pour le compte duquel il est fait ; il informe en
lée est le garant de la confiance des assureurs et même temps la victime qu’elle peut se faire assis-
des victimes ainsi que du crédit des médecins ter d’un médecin de son choix ; (art. 17) dans un
traitants et des experts judiciaires. délai de 20 jours, à compter de l’examen médical,
le médecin adresse un exemplaire de son rapport
Il n’y a pas de déontologie spécifique à l’activité de
à l’assureur, à la victime et, le cas échéant, au
médecin-conseil. Il existe par contre dans cette
médecin qui a assisté celle-ci.
spécialité une responsabilité éthique accrue (secret
médical, confraternité, transparence) nouvelle- La connaissance rapide des conclusions prévision-
ment renforcée par la Loi du 4 mars 2002. nelles est une obligation légale pour l’assurance
(art. 149 du décret du 30 décembre 1983 sur les
Le médecin-conseil est indépendant.
sociétés d’assurances). Il s’agit d’une prévision
Sa mission lui est confiée par les assureurs, le médico-légale et socio-économique essentielle. Elle
fonds de garantie, les avocats, les magistrats, les est parfois sollicitée à moins de 10 jours d’un trau-
victimes elles-mêmes. La démarche rigoureuse est matisme crânien grave avec coma. Elles doivent
la même. Les conclusions seront les mêmes quelle renseigner le régleur sur tous les chefs de préjudice
que soit l’origine de la mission. Une démonstra- prévisibles, sur le pronostic à moyen et long terme.
tion simple, la pérennité de notre activité. Nous
La technicité de cet avis est très exigeante et ne
répondons aux missions que l’on nous confie avec
peut s’acquérir qu’à travers une expérience de plu-
rigueur, sans distorsion.
sieurs années.
Le médecin expert agit en toute indépendance,
L’évaluation des séquelles après consolidation est
prévue par le décret du 31 décembre 1974, et, dans
la base de toute transaction. Il s’agit de l’activité
le même sens, par le Code de Déontologie, qui
principale du médecin-conseil. Celle-ci peut aussi
rappelle en son article 5 : « Le médecin ne peut
s’exercer pour une demande de révision en aggra-
aliéner son indépendance professionnelle sous
vation ou une estimation médicale de frais
quelque forme que ce soit. » et en son article 95 :
futurs.
« En aucune circonstance, le médecin ne peut
accepter de limitation à son indépendance dans Les différents postes de dommage ont été récem-
son exercice médical de la part de l’entreprise ou ment précisés, au terme des travaux confiés à la
de l’organisme qui l’emploie… » commission présidée par M. Dintilhac.
L’indépendance est le garant de sa crédibilité. Le médecin-conseil intervient également dans des
dossiers au titre de la responsabilité profession-
Il refuse tout lien de subordination.
nelle d’un médecin praticien, d’un chirurgien-
dentiste, de professions paramédicales, voire de
centres hospitaliers publics ou privés.
Une activité médico-légale Il assiste également, dans le cadre d’un contrat
« défense-recours », un assuré dans l’action en res-
extrêmement diversifiée ponsabilité médicale.
En droit commun, la loi no 85-677 du 5 juillet La technicité toute particulière de ces dossiers
1985, dite loi Badinter, « tendant à l’amélioration requiert des connaissances médico-juridiques
de la situation des victimes et à l’accélération des particulières et une pratique quotidienne de la
procédures d’indemnisation » dans son décret jurisprudence.
d’application no 86-15 du 6 janvier 1986 chapitre Le protocole organismes sociaux/sociétés d’assu-
III a réglementé les conditions d’intervention du rances du 24 mai 1983 a pour but d’accélérer le
médecin : (art. 16) en cas d’examen médical prati- recouvrement par les organismes de protection
qué en vue de l’offre d’indemnités mentionnée à sociale des créances qu’ils détiennent auprès de
l’article 12 de la loi du 5 juillet 1985, l’assureur ou l’assureur du responsable (victimes d’accidents

152
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

causés par des véhicules terrestres à moteur et par d’informateur devant signaler à son mandant et
des bicyclettes), d’éliminer le contentieux, c’est-à- à l’expert les anomalies éventuelles relevées dans
dire de simplifier les rapports, de permettre aux la forme d’expertise et exprimer son avis sur le
sociétés d’assurances d’indemniser plus rapide- fond. Toute divergence éventuelle de points de
ment les victimes. Les postes de dommage soumis vue avec l’expert sur un problème médico-légal
au recours des organismes payeurs ont évolué avec notamment sur l’imputabilité conduira le cas
la nouvelle nomenclature dite « Dintilhac ». Le échéant à la rédaction d’observations écrites.
médecin-conseil a dû adapter son raisonnement à
Le médecin-conseil participe également à l’ensei-
ces nouvelles demandes.
gnement du dommage corporel, aux travaux de
Les médecins connaissent maintenant bien ce statistiques médico-légales ainsi que, dans le cadre
protocole, dont l’application intervient dans la de la formation permanente, aux journées d’étude,
quasi-totalité des sinistres. C’est le rapport du séminaires et congrès.
médecin-conseil qui sert de base à la discussion
entre l’assureur et l’organisme de protection
sociale. Une activité professionnelle
Le taux d’AIPP est déterminé par référence au
barème fonctionnel indicatif des incapacités en
parfaitement structurée
droit commun.
Les médecins-conseils se retrouvent au sein
La durée des déficits fonctionnels temporaires, d’associations régionales regroupées au sein de
celle de l’arrêt temporaire des activités profession- la fédération française des associations de méde-
nelles doivent être définies avec précision. cins-conseils experts en évaluation du dommage
Le rapport doit comporter en outre l’évaluation corporel (FFAMCE) et de l’association des
des frais médicaux avant consolidation (pharma- médecins-conseils en assurances de personnes
ceutiques, d’hospitalisation, d’appareillage, de (AMCAP). Ils sont également présents au sein
rééducation) ou post-consolidation (inventaire de la revue française du dommage corporel, du
des frais futurs). centre de documentation sur le dommage cor-
En cas de litige, deux solutions sont envisagées : porel (CDDC), ils collaborent avec l’association
soit un rapprochement entre les médecins respec- pour l’étude de la réparation du dommage cor-
tifs, soit une expertise amiable si le litige persiste. porel (AREDOC) et participent aux travaux
d’une Société Savante (SFME).
Les différents niveaux d’intervention du méde-
cin-conseil dans le règlement des litiges sont : Toutes ces structures contribuent à la formation
médicale initiale puis permanente, toute aussi
• l’ examen contradictoire, il s’agit d’une expertise
indispensable que dans d’autres spécialités.
amiable réalisée soit entre deux médecins-­
conseils, soit entre le médecin missionné par la L’expert est médecin à part entière ; comme tous
société d’assurances et le médecin désigné par la les autres, passionné par la démarche médicale,
victime. Cet examen débouche le plus souvent c’est-à-dire celle des diagnostics, du traitement ;
sur des conclusions communes ou dans le cas passionné par la prise en charge humaine de l’in-
contraire à la désignation d’un tiers arbitre ; dividu blessé.
• l’ assistance à expertise amiable, souvent confiée à Sa compétence est le fait de quelques particulari-
un expert désigné par protocole sur lequel figure tés dans sa formation avec des diplômes de
le texte de sa mission. Cette expertise a en prin- Médecine légale, de Droit médical, d’Assurance-
cipe la même portée qu’une expertise judiciaire ; vie, de Sécurité sociale, de Psychiatre légale… et
puis, il faut bien le dire, de l’expérience.
• l’assistance à expertise judiciaire, demandée par
un magistrat ou par une juridiction. Selon l’arti- Dans plus de 90 % des cas, le règlement du sinistre
cle 161 du nouveau Code de procédure civile : corporel est effectué sur la base des conclusions
« les parties peuvent se faire assister lors de l’exé- médico-légales du médecin-conseil.
cution d’une mesure d’instruction », le méde- Lorsque l’on sait le poids économique que repré-
cin-conseil intervient donc au titre d’assistant sente l’indemnisation des préjudices corporels, on
d’une des parties. Il a un rôle d’observateur et réalise donc sa responsabilité.

153
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

Rôle du médecin-conseil de la partie plaignante


D. Bondeelle, P. Corman

Cette fonction est plus connue des experts, des • analyser son argumentation contentieuse en lui
magistrats ou des conseils sous le terme générique traduisant le jargon médico-juridique ;
de « médecin de recours ». La présence d’un méde- • l’aider à recueillir toutes les pièces nécessaires à
cin-conseil aux côtés d’un plaignant, victime d’un l’étude de son dossier ;
accident de droit commun, d’un accident du tra-
• lui conseiller de stopper ou de poursuivre son
vail, d’un fait médical, n’a été que très progressive-
contentieux médical après l’étude de ce dossier.
ment tolérée, puis admise.
Si le principe du contradictoire est un pilier du N’oublions pas que la charge de la preuve incombe
droit français et la base du droit international, il à la victime et que le vrai contradictoire impose la
faut reconnaître que c’est la loi du 5 juillet 1985, représentation de chaque partie, à compétences
dite loi Badinter, qui a défini de façon aussi nette le égales. C’est à travers ces deux grands principes
droit des victimes à être assistées. La loi du 4 mars que se justifient la place et le rôle du médecin-­
2002, dite loi Kouchner, n’a fait que confirmer conseil de victimes.
cette nécessité de la complémentarité des conseils. L’équilibre des conseils, dans leur présence, leurs
qualifications et leur engagement auprès des dif-
férentes parties, correspond à la définition même
Le rôle spécifique d’assistant de ce principe essentiel du droit qu’est le contra­
technique du patient dictoire.
Nous savons tous qu’il est le garant de l’équité,
La technique expertale, l’examen du patient n’ont les références qui y sont faites sont constantes.
certes rien de particulier, mais l’approche est sans Les médecins-conseils de blessés doivent être
doute différente : particulièrement vigilants à l’application et au
• elle suppose d’abord une indépendance totale ; respect de ces dispositions dans l’intérêt des
• elle impose une facilité de contact et d’empathie, victimes.
de respect de la personne blessée ou souffrante, Le médecin-conseil de blessés a la disponibilité, les
la prise en compte du vécu de la victime, et des compétences médico-légales et l’expérience. Mais,
qualités d’écoute attentive ; surtout, le fait qu’il ait été librement choisi par le
• elle implique le rôle très important de modéra- blessé et qu’il soit indépendant de tous organismes
teur : de la clarté des explications données, de la indemnisateurs va créer un climat de confiance
fermeté de la position de refus de la prise en spontané favorable à cette relation médecin-
charge si besoin, dépend l’honneur de cette pro- patient, identique à celle que tout patient espère
fession de conseil ; trouver chez les médecins spécialistes qu’il a l’ha-
bitude de consulter.
• elle nécessite du temps, de la compétence dans
Ce libre choix fait partie intégrante des règles de la
la préparation d’un dossier, la recherche de la
médecine libérale et tout patient sait qu’ainsi le
preuve, l’assistance à expertise et l’évaluation du
praticien choisi doit honorer ce contrat moral. Le
dommage ;
libre choix du médecin par le demandeur contri-
• elle suppose, enfin, un tandem coordonné méde- bue à l’apaisement des conflits. La rigueur éthique
cin-conseil de blessé/avocat-conseil du blessé ou et technique du médecin-conseil de victimes fait
mandataire. sa réputation auprès des mandants.
Qui d’autre qu’un médecin-conseil librement choisi La délocalisation des dossiers de responsabilité
par le plaignant peut : médicale ajoute cette note d’indépendance que
• expliquer à la victime ses droits et ses devoirs recherchent les demandeurs.
selon le cadre juridique de son dossier, droit En matière de responsabilité médicale, une ana-
civil, pénal, administratif, CRCI ; lyse préalable des dossiers par le tandem « méde-

154
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

cin-conseil de victimes – avocat de victimes », Voilà donc pourquoi se justifie pleinement la place
apportera au demandeur des conseils éclairés : des médecins-conseils de blessés, non seulement
• sur la recevabilité de sa demande, tant sur le au côté des patients pendant les diverses experti-
plan médical que juridique ; ses, mais surtout, avant ces expertises pour les pré-
parer et après pour en expliquer les conclusions.
• sur l’orientation de cette requête vers telle ou
telle juridiction ou commission ;
• sur les résultats qu’il pourrait en escompter.
En effet, le trépied faute-dommage-lien de causa-
Le travail technique en amont
lité direct et certain entre la faute et le dommage de l’expertise
reste bien sûr d’actualité dans les dispositions de
la loi du 4 mars 2002. La communication et l’analyse
Le médecin-conseil de victimes avec l’étude du du dossier médical
dossier médical pourra mettre en évidence les élé-
Le premier temps de la mission des médecins-
ments constitutifs d’une éventuelle faute ou man-
conseils de blessés est de les aider à constituer et à
quement aux règles de l’art, car la charge de la
analyser le dossier médico-légal.
preuve de la faute incombe toujours au demandeur.
Le dossier doit contenir toutes les pièces attestant
L’analyse du dommage imputable à cette faute et la
du suivi post-sinistre et toutes celles démontrant
détermination des différents postes de préjudice,
les séquelles imputables. La loi du 4 mars 2002
relatifs à ce dommage spécifique, ainsi que l’ana-
nous a facilité le travail de recherche auprès des
lyse de la causalité entre la faute et le dommage
établissements où a séjourné le patient. Mais cela
apporteront à la victime tous les éléments qui lui
reste néanmoins un travail de fourmi…
permettront :
Que fera le patient ou l’ayant droit recevant un
• d’ester en justice ;
dossier technique de plusieurs kilos ? Pourra-t-il le
• de saisir la commission d’indemnisation créée décrypter ?
par la nouvelle loi du 4 mars 2002 ;
Le médecin-conseil du plaignant restera indis-
• ou tout simplement de ne rien faire… quitte à pensable, car lui seul pourra tirer de ce dossier,
provoquer un entretien amiable avec le respon- essentiellement technique, les éléments propres à
sable de son dommage ou son assureur. retenir ou à éliminer un manquement, une atti-
Avec cette étude préalable des dossiers, nos expé- tude non conforme aux données de la science,
riences réunies de médecins-conseils de victimes une faute, ou à faire la part du simple aléa
nous permettent d’affirmer que seul un très faible thérapeutique.
pourcentage de ces plaignants sont fondés à pour- Cette étape de sélection reste donc indispensable
suivre leur action, évitant ainsi un très grand avant d’orienter le patient ou la famille par le biais
nombre de déclarations de sinistres, et, par ce fait, de leur conseil :
de saisine de la CRCI ou d’expertises « avant dire • soit vers une simple explication du fait ;
droit ».
• soit vers l’avis d’un spécialiste avant l’expertise ;
C’est donc une mission d’explication, d’informa-
• soit vers une démarche auprès de la Commission
tion, de défense, de médiation, d’assistance, et de
Régionale de Conciliation et d’Indemnisation
conseil qui permet au patient de mieux compren-
des accidents médicaux, des affections iatrogè-
dre tous les aspects de son dossier médico-légal et
nes et infections nosocomiales, si les critères de
de l’indemnisation qui va en découler. Combien
saisine sont réunis ;
de contestations inutiles encombrent les rôles des
diverses juridictions en charge du dommage cor- • soit vers les juridictions habituelles : tribunal
porel ou de responsabilité médicale ? administratif ou tribunal de grande instance.
La décision d’introduire un recours appartient au La place du médecin-conseil du patient va donc
plaignant, mais c’est en connaissance de cause, et devenir prépondérante avant toute décision intro-
non à l’aveugle qu’il prendra sa décision. ductive d’un contentieux.

155
Partie I. Bases juridiques et organisation de l’expertise médicale

La préparation du dossier La rédaction d’un rapport ne présente pas tou-


jours beaucoup d’intérêt, sauf cas particulier.
II faut garder à l’esprit que toute pièce produite en Nous lui préférons une assistance vigilante à
expertise doit avoir été communiquée à toutes les l’expertise et des observations à l’expert au cours
parties. de la réunion expertale ou à l’issue de celle-ci, si
Dans de nombreux dossiers, certains aspects du nécessaire par dires écrits, en particulier si un
dommage sont restés très secondaires, voire igno- pré-­rapport est prescrit14.
rés. Le deuxième temps de la préparation de l’ex-
pertise consiste donc à faire réaliser un bilan de
séquelles qui servira à les objectiver, à permettre à
l’expert de pouvoir évoquer les liens de causalité
Conclusion
et tous les aspects du préjudice et pourra servir à Si les règles fondamentales de l’expertise restent
la victime de bilan comparatif pour d’éventuelles les mêmes, si le travail technique en amont est
aggravations ultérieures. encore plus indispensable et plus lourd qu’en droit
Le travail du médecin-conseil concerne également : commun, la position du médecin-conseil du plai-
• la recherche d’un état antérieur ; gnant doit être parfaitement définie, elle s’impose
comme incontournable à une dérive inflationniste
• la préparation de l’expertise avec explication de
des demandes des plaignants.
son déroulement ;
Accepter ou non de prendre en charge un dossier
• le recueil des doléances écrites ;
en responsabilité médicale exige donc éthique,
• l’explication des termes très techniques évaluant déontologie et compétence. Le travail en amont
un dommage : Incapacité temporaire totale est très lourd et chronophage, mais passionnant
(ITT) de travail, Incapacité temporaire partielle au plan de la connaissance médicale.
(ITP) de travail, Consolidation, Incapacité per- Il s’agit d’un véritable travail de modérateur qui ne
manente partielle (IPP), Quantum doloris (QD), peut se faire qu’en tandem parfait avec le conseil
Préjudice esthétique (PE), Préjudice d’agrément du plaignant :
(PA), Préjudice professionnel ; • aider à obtenir le dossier (tâche devenue facile
• la notion de barème doit aussi être clairement dans les textes, mais demeurant compliquée
expliquée. dans les faits) ;
• savoir y trouver les éléments techniques essentiels ;
• analyser les faits ;
L’assistance à expertise • pointer les manquements ;
II nous semble, d’expérience, que les experts sont • analyser ses conséquences ;
le plus souvent satisfaits du travail effectué en • établir le dommage, qui est souvent loin d’être
amont et de la présence du conseil du blessé. aussi important, rapporté à l’état antérieur,
Les plaignants sont plus en confiance lors de cette que ne peuvent l’imaginer le plaignant et son
confrontation très solennelle avec tous les interve- conseil.
nants réunis pour les accédits. La loi du 4 mars 2002, la création de l’ONIAM et
Cette présence sécurisante pour le plaignant des CRCI ne vont pas calmer les ardeurs ni sim-
contribue à la sérénité des débats. plifier notre travail. Mais là encore, il ne serait pas
juste que le plaignant de bonne foi se retrouve seul
devant un ensemble de techniciens dont il ne
Après l’expertise
14 Note de J. Hureau : les dires écrits, peut-être rédigés
La synthèse, la note au juriste-conseil du blessé, le par le médecin-conseil, ne peuvent être transmis à
dire à l’expert sont des éléments techniques indis- l’expert que par l’avocat de la partie qui en assure la
pensables à réaliser. diffusion contradictoire.

156
Chapitre 4. Différents types d’expertises et d’experts

pourrait comprendre ni la démarche rigoureuse, naissance du statut des victimes, il demeure


ni les conclusions retenues. encore très difficile de faire-valoir leurs droits.
Cette démarche expertale incomprise ne ferait Si un médecin opte pour cette fonction de « conseil
que renforcer les amertumes et creuser le fossé de du plaignant », l’aide qu’il apportera, les contacts
la défiance à l’égard du corps médical. qu’il pourra établir, la certitude de remplir son
Si de nombreux progrès sont intervenus au cours rôle médical et humain sont autant de motivations
de la seconde moitié du xxe siècle dans la recon- positives à ce choix.

157
La responsabilité Chapitre  5
médicale
Aléa médical et autres concepts
J. Hureau

Préambule gies qui peuvent affecter la ou une population.


Cela nécessite l’identification de risques « encore
mal identifiés ». Cette démarche est dévolue à
Le terme d’aléa médical doit être préféré à celui
l’Agence française de sécurité sanitaire des pro-
d’aléa thérapeutique en dépit de l’usage qui pré-
duits de santé (AFSSAPS), informée par un
vaut encore trop souvent. La médecine ne se
Comité national de sécurité sanitaire [6]. Les tra-
réduit pas au traitement de quelque nature qu’il
vaux de ces organismes engendrent des lois,
soit.
décrets, arrêtés et circulaires qui, encadrant la
En médecine de soins, la première approche du pratique médicale, engagent la responsabilité des
malade est clinique par l’interrogatoire et l’exa- autorités politiques et administratives.
men. Un ou plusieurs diagnostics sont évoqués.
La recherche médicale doit elle-même, dans son
La confirmation viendra de la mise en œuvre des
étape ultime, se faire sur l’homme, qu’il s’agisse
moyens d’investigation paracliniques judicieuse-
de médicaments nouveaux ou de nouvelles tech-
ment choisis. Certains sont très techniques, voire
niques d’exploration ou chirurgicales. La loi
invasifs. La ou les indications thérapeutiques
Huriet et les lois bioéthiques balisent étroitement
(médicales, chirurgicales ou autres) sont posées
ce type d’activité nécessaire aux progrès de la
selon des critères prenant en compte de multiples
médecine.
paramètres. Le traitement est appliqué avec tout
ce qu’il peut comporter de risques. Tout traite- Il est aisé de concevoir que la médecine de soins,
ment actif donc utile est une agression, puisqu’il a la médecine de santé publique et la recherche
pour but de modifier, de corriger ou de supprimer médicale sont génératrices de risques ou d’aléas,
la structure ou le fonctionnement de tel organe ou risques aléatoires selon une expression utilisée
appareil jugé en état pathologique. C’est une par P. Vayre [38]. Déjà l’imprécision règne. C’est
atteinte à l’intégrité physique ou mentale du corps dire la nécessité de s’arrêter sur un peu de
humain. Le médecin n’y est autorisé qu’en raison sémantique.
des diplômes qu’il a acquis et de ses connaissances
propres, qu’il se doit d’entretenir et de perfection-
ner en permanence. La surveillance de l’évolution,
le suivi des conséquences et le résultat du traite- Sémantique du droit médical
ment sont la démarche ultime, et non la moindre,
de cet exercice de la médecine de soins. Enchaînement du jeu des mots
L’aléa médical n’épargne aucune des étapes de Un paradoxe de notre temps est la dégradation de
cette pratique complexe au cours de laquelle la la communication entre les êtres humains à une
prise de risques s’impose pour répondre à l’obli- époque où fleurissent son apologie et sa véritable
gation de soins qui est faite à tout médecin. professionnalisation, et alors que nous sommes
La médecine de santé publique a, parmi ses mis- dotés pour cela de moyens techniques de plus en
sions, celle de prévoir et de prévenir les patholo- plus étonnants de rapidité et d’efficacité. Pourquoi ?

161
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Il faut y voir le résultat d’une détérioration du des risques, ses risques. C’est aussi calculer un ris-
­dialogue, de cette conversation singulière toute que et, à terme, assumer ce risque, donc en pren-
simple, échange entre deux êtres humains. dre la responsabilité. P. de Fontbressin écrit :
L’Homme est le seul être vivant doté d’un langage « L’approche du risque pourrait bien être l’instant
articulé lui permettant, par des mots, d’exprimer de valeurs retrouvées » [10].
sa pensée au travers de concepts significatifs Ces termes nous rapprochent d’une certaine
­précis. Pour être compris, encore faut-il qu’il soit conception médicale du risque [14]. Chacun res-
le premier à respecter ce don particulier irrempla- sent pourtant une grosse différence subjective
çable qu’est la sémantique, le sens des mots. entre le risque perçu comme un événement néfaste
Philosophes et linguistes se rejoignent. contre lequel on peut se prémunir et l’aléa dont la
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur connotation péjorative n’est pas absolue, mais
du monde » nous dit Albert Camus. contre lequel l’action humaine peut rester
inopérante.
« La pire des choses, pour le langage, est sans doute
de se contenter d’à-peu-près, alors que l’on dispose
de tout un éventail de mots de sens voisin permet- L’aléa c’est l’incertitude
tant de nuancer sa pensée et d’éviter les malenten- due au hasard
dus » écrit Jacqueline de Romilly dans un ouvrage En latin, son sens premier concerne le jeu de dés
joliment intitulé Dans le jardin des mots. puis, par extension, tous les jeux de hasard, mais
La sémantique du droit médical n’échappe pas à tous les auteurs lui accordent son sens second :
l’enchaînement du jeu des mots [41]. hasard, risque, chance.
La langue française qualifie encore ce mot de néo-
logisme dans le Larousse du xixe siècle en 1866 mais
Du risque à l’aléa
ne lui conserve que son sens dérivé : chance incer-
Le mot risque est polysémique taine, bonne ou mauvaise, hasard (P. Robert).
Le risque en droit, nous dit Capitan, c’est « l’éven- J.C. Baste [3] note en 1996 que « le terme d’aléa
tualité d’un événement futur, incertain ou d’un médical ne figure pas dans les missions confiées
terme indéterminé, ne dépendant pas exclusive- aux experts par les magistrats. » Par contre, à tra-
ment de la volonté des parties et pouvant causer la vers la jurisprudence, ce concept est maintenant
perte d’un objet ou tout autre dommage. En adopté par les plus hautes autorités judiciaires : le
matière d’assurances, le terme désigne souvent Conseil d’État et la Cour de cassation.
l’événement même contre la survenance duquel Indirectement il apparaît dans la loi du 4 mars
on s’assure. » 2002. Nous y reviendrons.
C’est une définition de juriste. Elle évoque les
notions suivantes : assurance, couverture du ris-
Le hasard est le frère jumeau
que, limitation du risque, support, voire partage de l’aléa
du risque mais également de dommage, de Le mot est d’origine arabe : az-zahr, jeu de dés,
responsabilité. transposé dans l’espagnol azar.
Le risque en langage courant, c’est « le danger L’Académie française le définit comme « la ren-
éventuel plus ou moins prévisible ». Cette défini- contre imprévisible de séries d’événements indé-
tion de linguiste évoque le danger, le péril, le pendants et ne résultant d’aucune intention ». Un
hasard, voire le jeu, donc l’aléatoire mais aussi tel ensemble d’événements répétitifs semblables a,
l’incertain, le doute antinomique de la notion de en lui-même, des propriétés holistiques (du grec
preuve. holos, ensemble formant un tout). Ces propriétés
Le risque pour le philosophe, c’est « le hasard d’en- sont propres à l’ensemble et n’appartiennent à
courir un mal, avec l’espérance si nous échappons, aucun des éléments de l’ensemble pris séparé-
d’obtenir un bien ». C’est donc l’acceptation du ment. La probabilité que ces propriétés holistiques
risque, le goût du risque. C’est prendre un risque, se manifestent est liée au hasard, cause hypothéti-

162
Chapitre 5. La responsabilité médicale

que invoquée pour expliquer la dispersion des La probabilité d’un événement isolé est indéfinis-
résultats d’essais répétitifs. Le hasard se mesure sable, à moins qu’on ne connaisse parfaitement
par des calculs de probabilité. toutes les conditions et causes qui l’ont déclenché.
Un tel événement est dit « casuel » (à l’encontre de
toute autre acception erronée du terme), car il
Risque aléatoire
dépend des circonstances, du hasard.
N’est-ce pas un pléonasme ? La médecine n’est pas De l’incertitude, découlant de la probabilité, est
un jeu de hasard. Elle se veut de plus en plus scien- né le raisonnement scientifique probabiliste dans
tifique dans ses bases et cartésienne dans son lequel, en application du théorème de Thomas
esprit. Bayes, le possible n’obéit plus à une loi du tout ou
La médecine connaît le risque « avéré », statisti- rien, mais comporte des degrés du « quasi cer-
quement évalué, celui qu’une démarche intellec- tain » au « quasi impossible ». La recherche de la
tuelle ou un acte technique effectué en toute vérité dans les faits médicaux y fait de plus en plus
connaissance peut éviter, celui dont la survenue appel, y compris en recherche clinique médicale.
peut être considérée comme la conséquence d’une C’est la base de l’exploitation statistique des résultats.
faute. [34–35]. Le doute doit conduire au vrai. C’est le rôle de l’ex-
La médecine redoute le risque « potentiel ». De ce pert d’approcher la vérité des faits pour amener le
risque-là, F. Ewald écrit [9] : « Rien en lui-même juge à la vérité judiciaire.
ne fait qu’un risque soit avéré ou potentiel ; tout ris- Une application courante du raisonnement pro-
que peut l’être. C’est une question d’attitude indivi- babiliste est la randomisation, disposition au
duelle ou collective. Nous sommes dans une société hasard des résultats d’observations ou de mesures
du risque dédoublé. Et ce dédoublement tient à ce afin d’éviter de prendre en compte une évolution
que le risque est un rapport social où la science n’a chronologique. Le mot est d’origine francique,
pas, n’a plus (du moins pour le moment) le dessus. » rant, course, qui a donné en vieux français ran-
C’est ce risque qui peut être qualifié de « risque aléa- don, course impétueuse et en français moderne
toire ». Il n’est pas le fruit du hasard, mais la consé- randonnée. Passé en langue anglaise, il devient
quence potentielle de tout ce que nous ignorons au random, fait au hasard, aléatoire. Affublé d’un
moment où la décision est prise, l’acte réalisé. P. « m » malencontreux, il est de retour en français
Kourilsky et G. Viney [21] ont parfaitement résumé avec la randomisation.
ce dédoublement du risque : « La distinction entre La randomisation est stochastique, car elle com-
risque potentiel et risque avéré fonde la distinction porte la présence d’une variable aléatoire (du grec
parallèle entre précaution et prévention. » stochastikos, conjoncturel) comme dans le pile ou
face ou le jeu de dés [42].
Probabilité, événement
casuel, raisonnement De l’erreur à la faute
probabiliste, statistiques
L’erreur
et randomisation [42]
C’est, écrit P. Robert, « l’acte de l’esprit qui tient
La probabilité, en termes mathématiques, c’est
pour vrai ce qui est faux et inversement ». Ce
« l’ensemble des règles d’après lesquelles on peut
terme n’est jamais utilisé dans les textes de droit,
calculer les chances relatives des événements
car il est trop ambigu et susceptible de recouvrir
futurs » (Académie française).
des concepts très divers. En voici quelques exem-
« La probabilité d’un événement est le rapport du ples applicables à la médecine : erreur de juge-
nombre de cas favorables à cet événement au nom- ment, de raisonnement (ce qui, dans ce qui est
bre total de possibilités » (Henri Poincaré). perçu ou transmis comme étant vrai, est retenu
Elle ne peut se calculer que sur un ensemble d’évé- comme faux par celui qui juge ; action regrettable,
nements répétitifs semblables auxquels sont maladroite, déraisonnable), chose fausse, erronée
conférées des propriétés holistiques. par rapport à une norme.

163
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Et pourtant l’on reconnaît l’erreur de fait portant En droit pénal, la faute est le « manquement au
sur une circonstance matérielle, l’erreur de droit devoir, imputable à l’auteur d’une action ou d’une
portant sur l’existence ou l’interprétation d’une omission et en considération duquel cette action
règle juridique, voire l’erreur judiciaire, de fait ou ou cette omission est érigée en infraction »
de droit, commise par le juge. (Capitan), c’est-à-dire en « violation d’une loi de
L’erreur médicale a toujours existé. Elle n’est pas l’État » (Donnedieu de Vabres). C’est une faute qui
synonyme de faute mais elle est toujours culpa- trouble l’ordre public. Le droit pénal réprime la
bilisante. L’erreur peut être utile à condition faute.
d’être reconnue. Évitée, corrigée, elle aboutit à En droit public tout est apparemment différent [14].
une meilleure gestion de qualité dans l’organisa- À l’hôpital public, la responsabilité médicale
tion des soins [7]. « Errare humanum est, sed per- échappe au droit privé. Elle entre dans le champ
severare diabolicum. ». Rappelons que l’erreur de de la responsabilité administrative. Jusqu’à un
diagnostic n’est pas une faute. La faute est de ne passé récent, les définitions de la faute étaient sim-
pas se donner les moyens de redresser cette ples. Leur rappel est nécessaire à une bonne com-
erreur. préhension de l’évolution jurisprudentielle
récente.
La faute La responsabilité administrative admet deux systè-
Le terme (du latin fallere, tromper) est un concept mes : la responsabilité pour faute, commune avec
moins ambigu : tromper, décevoir, trahir, man- les juridictions judiciaires, et la responsabilité
quer à ses promesses, ses engagements, ses ser- sans faute que ne connaissent ni le droit civil ni le
ments, sa parole. C’est aussi induire en erreur. Ce droit pénal.
n’est plus l’erreur elle-même mais provoquer l’er- Une autre distinction est particulière au droit
reur, volontairement ou non. public. La faute est dite détachable du service ou
C’est l’action de faillir, de manquer à ce qu’on doit. non.
Ce peut être un manquement à la règle morale. Le La faute détachable du service met en jeu la res-
sens peut en être très fort : « C’est pire qu’un crime, ponsabilité personnelle du soignant. La jurispru-
c’est une faute ! » se serait exclamé Joseph Fouché, dence administrative lui reconnaît trois motifs : la
duc d’Otrante, connaisseur en la matière… faute commise en dehors de la fonction, la faute
En droit, c’est un acte (ou une omission) consti- intentionnelle commise dans l’exercice de la fonc-
tuant un manquement à une obligation contrac- tion mais avec une intention malveillante, et la
tuelle, à une prescription légale ou encore au faute d’une extrême gravité. La faute détachable
devoir de loyauté envers autrui. du service est de la compétence judiciaire civile ou
pénale.
Le droit civil, définit en effet (Colin et Capitan) :
La responsabilité fondée sur la faute de service dite
• la faute contractuelle qui « consiste […] dans le
non détachable du service est le fondement le plus
fait de la part d’un débiteur de n’avoir pas exé-
fréquent de la responsabilité administrative. La
cuté l’obligation à laquelle il était astreint par le
responsabilité est reportée sur l’établissement
contrat le liant à son créancier… » ;
public de soins.
• la faute délictuelle qui « consiste à causer (inten-
La responsabilité sans faute était, jusqu’à un passé
tionnellement) un préjudice à autrui, préjudice
récent, une conception propre à la juridiction
autre que celui de l’inexécution d’une obligation
administrative.
(contractuelle)… » ;
Sur le mot « faute », le droit appliqué à la médecine
• la faute quasi délictuelle « par simple manque-
est précis. En droit civil, c’est l’imprudence, l’inat-
ment aux précautions que la prudence doit ins-
tention ou la négligence. En droit pénal, c’est la
pirer à un homme diligent. »
maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négli-
C’est alors un fait illicite volontaire mais non gence ou le manquement à une obligation de sécu-
intentionnel, car la volonté concerne l’acte et non rité ou de prudence imposée par la loi ou les
le dommage ou préjudice qui en résulte. Le droit règlements, tous ces termes que l’on retrouve éga-
civil répare le dommage causé par la faute. lement dans les missions civiles et les missions de

164
Chapitre 5. La responsabilité médicale

juridictions administratives qui y ajoutent les même ou l’objet qui le concrétise. On prouve par
manquements dans l’organisation du service des preuves, on démontre par des arguments.
public. Pour Capitant, c’est, en droit, « la démonstration
La recherche de la faute reste la base essentielle de de l’existence d’un fait matériel ou d’un acte juri-
la mise en cause de la responsabilité médicale [39]. dique dans les formes admises par la loi ». C’est
L’article L. 1142-1 du CSP (loi du 4 mars 2002) le dire qu’entre preuve et argument, la distinction
confirme clairement. Cette faute n’obéit pas à une juridique n’est déjà plus si tranchée qu’en séman-
qualification particulière (arrêt clinique Sainte- tique générale.
Clothilde, CC, 1re CH. Civ., 10 décembre 2002,
no 1771) sauf en ce qui concerne les handicaps non L’expert et les cinq formes
décelés au cours d’une grossesse (article 1er de la juridiques de la preuve
loi du 4 mars 2002) et en cas de délit non inten-
tionnel (loi no 2000-647 du 10 juillet 2000). Dans Rappelons les cinq formes juridiques de la preuve :
les deux cas, le concept de faute caractérisée est le serment et l’aveu, rarement utilisés dans une
consacré lorsque la causalité est indirecte. enquête en responsabilité médicale, le témoignage
ou preuve orale (ce sont les sachants qu’il faut
savoir écouter et interroger avec esprit critique), la
Les systèmes de responsabilité – preuve littérale, c’est-à-dire l’écrit dont il faut
de la preuve à la vérité – contrôler l’authenticité (c’est le rôle de l’expert
incertitude expertale médecin vis-à-vis du dossier médical qui lui est
soumis) et, enfin, la preuve par présomptions pré-
Les systèmes de responsabilité [43] cises et concordantes qu’il faut savoir rechercher
Dans notre droit une équation est incontournable : et recueillir.
Faute prouvée + dommage objectivé + lien de cau- La preuve juridique est serve des règles de droit.
salité direct et certain = réparation des préjudices
et/ou pénalité. L’expert et la preuve scientifique
Ce système de la faute s’oppose à certains droits [44–45]
(scandinaves en particulier) basés sur le système L’expert ne peut dire les faits qu’au regard de la
du risque où le fondement de la responsabilité technique et de la science.
médicale est établi sur des critères objectifs ou
pour risque. La loi dispense alors les patients de La preuve sert à établir qu’une chose est vraie. La
prouver l’existence d’une faute à l’origine d’une science est la connaissance exacte et approfondie
éventuelle complication médicale. La loi du 4 fondée sur des relations objectives vérifiables.
mars 2002 relative aux droits des malades et à la La preuve scientifique est libre… dans la limite
qualité du système de santé en France, tout en res- des raisonnements qui y conduisent.
tant dans le système de la faute, a adopté le sys-
tème du risque pour l’indemnisation de l’aléa Vérité scientifique et vérité
médical dans des conditions particulières de gra- judiciaire
vité des préjudices.
L’expert, débiteur du vrai, est sollicité par le juge,
Le système du risque se contente de constater le
débiteur du juste. Ainsi pourrait se résumer ce
fait dommageable.
propos si l’expert comme le scientifique ne devait
Le système de la faute fait appel à la preuve pour démêler le complexe et le compliqué pour en
établir les trois composants du premier membre extraire une vérité.
de l’équation posée.
Le raisonnement scientifique, mécanisme mental
qui permet à l’Homme d’aboutir à une conclu-
La preuve sion, a évolué du dogme au doute au cours des siè-
Selon Le Robert, la preuve est ce qui sert à établir cles [46].
qu’une chose est vraie. La preuve peut être un rai- La science et l’incertitude sont indissociables.
sonnement, la présentation d’un fait, le fait lui- J. B. Paolaggi écrit : « La démarche scientifique est

165
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

f­ ondamentalement critique et ne permet aucune tuelle de réparer une faute, de remplir un devoir,
certitude absolue. Elle s’oppose à la révélation, au une charge, un engagement ». Le responsable
dogme et à l’intuition ». Il faut fiabiliser les connais- répond de ses actes, il endosse ou prend des res-
sances scientifiques si l’on veut les rendre utilisa- ponsabilités, il peut s’en décharger ; en revanche,
bles. Le raisonnement probabiliste y conduit qui, la charge de hautes responsabilités est une promo-
par les degrés de certitude qu’il instaure, permet de tion. Ces expressions courantes font apparaître la
dégager « le possiblement vrai du certainement grandeur et les servitudes de toute responsabilité.
faux » selon la formule de A. Comte-Sponville [47]. En droit, le terme de responsabilité devient à la
Par l’exploitation statistique des observations et fois précis et protéiforme. La définition de la res-
des résultats expérimentaux, le doute doit conduire ponsabilité médicale n’échappe pas à ces difficul-
au vrai. tés. La responsabilité contractuelle du médecin
est basée sur l’article 1147 du code civil qui dit :
La faillibilité scientifique « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paie-
expertale ment de dommages et intérêts, soit à raison de
l’inexécution de l’obligation, soit à raison du
Elle est la conséquence de cette incertitude scien- retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne jus-
tifique constitutionnelle. Pourtant l’expert doit au tifie pas que l’inexécution provient d’une cause
juge la vérité scientifique au moment des faits, étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il
dans la mesure où elle existe, et en faire connaître n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ». Cet article
la relativité en exposant les niveaux de preuves induit toute une jurisprudence dont le but est la
établis. En scientifique éclairé, l’expert est parfois réparation du dommage causé. Celle-ci ne peut
conduit à dire ou écrire qu’il ne connaît pas la résulter que de la sommation d’une faute démon-
réponse à la question posée, non parce qu’il ignore trée, d’un préjudice avéré et d’un lien de causalité
ce qu’il devrait savoir, mais parce que la connais- direct et certain entre la faute et le dommage.
sance scientifique elle-même fait défaut à quelque
niveau de preuve que ce soit. Il lui faut la réflexion Responsabilité, précaution
du sage. À côté du savoir, l’expert doit posséder le
savoir faire, c’est-à-dire l’expérience. Savoir brut et principe de précaution
et expérience constituent sa compétence, la pre- Une telle responsabilité concerne à coup sûr le ris-
mière des qualités exigées de lui. Elle seule lui que « avéré ». Il n’existe pas de risque avéré nul.
donnera l’autorité nécessaire pour apporter les C’est un fait d’expérience. Il est prouvé. Il peut
preuves scientifiques positives, ce qui est facile, être quantifié.
mais surtout pour faire admettre des résultats Un risque « potentiel » peut être nul. Il repose sur
négatifs toujours moins convaincants. En science une hypothèse. Il peut ne jamais se réaliser. Il peut
comme en droit, la preuve négative est très diffi- également avoir une probabilité de réalisation éle-
cile à administrer. vée. Le risque potentiel devient un risque de ris-
que [21]. Il génère une action de précaution
caractérisée par le contexte d’incertitude dans
L’aléa en médecine lequel la décision doit être prise. Rappelons ce
qu’en dit P. Kourilsky : « En l’absence de certitude,
Aléa, précaution et principe la précaution consiste à privilégier la rigueur
de précaution procédurale. »
Le distinguo entre aléa et risque a pu paraître à cer- La précaution apparaît comme une habileté tech-
tains fort ténu. Il n’en est rien. Derrière se cache la nique en raison de cette rigueur qu’elle impose à
notion de responsabilité puis celle de faute. tous les stades de la décision. Les attitudes de pré-
caution invitent à la vigilance en situation d’in-
certitude. C’est en fonction d’un tel raisonnement
Responsabilité n’est pas faute
que la responsabilité médicale fautive est mainte-
Dans le langage courant, la responsabilité est nant recherchée à travers certaines questions de
« l’obligation ou la nécessité morale ou intellec- plus en plus fréquemment posées à l’expert, telles

166
Chapitre 5. La responsabilité médicale

que : « Toutes les précautions ont-elles été pri- acceptable. Plus grave encore est l’exigence de
ses…? ». F. Ewald a dit fort justement : « La précau- preuve d’absence de risque, exigence d’autant
tion naît quand l’objectivité du risque se double de plus inaccessible et irrationnelle pour la méde-
suspicion, de crainte » [9]. « Primum non nocere ». cine que son intervention comporte toujours un
La précaution s’est toujours imposée à la pratique risque. »
médicale. Elle couvre le risque avéré, c’est de la Dans l’étude très documentée de P. Sargos sur
prévention. Elle anticipe le risque potentiel, c’est L’approche judiciaire du principe de précaution en
de la prudence. matière de santé [28], l’auteur conclut : « Le prin-
Depuis l’émergence du concept de principe de pré- cipe de précaution en matière de santé, ou plus
caution, le terme de précaution est devenu trop exactement en matière de responsabilité dans le
ambigu. domaine de la santé, présente donc un aspect en
La précaution en médecine, c’est la prévention et quelque sorte classique en ce qui concerne la
la prudence, règles générales de bon sens, comme médecine curative. » C’est exact. Mais s’agit-il
il est déjà dit dans un arrêt de la Cour de cassation véritablement de l’application du principe de pré-
du 21 juillet 1862. En médecine curative, prendre caution ou, plus prosaïquement, du traitement de
des précautions, c’est avoir une attitude responsa- la responsabilité médicale face au risque avéré qui
ble et réfléchie basée sur des certitudes ou des relève de la prévention ?
hypothèses scientifiques concernant un risque De même, à propos de la médecine de dépistage et
avéré ou un risque aléatoire. Ce n’est pas se lancer de la médecine préventive, domaines de la méde-
dans l’application à la médecine du principe de cine de santé publique, n’aborde-t-on que le risque
précaution, « notion assez délicate à manier si l’on potentiel qui relève de la précaution au mieux de
ne veut pas tarir la recherche, l’expérience et les la prudence. La médecine prédictive, l’identifica-
décisions à prendre dans l’urgence » de l’aveu tion génétique et la recherche génétique » nous
même de J.F. Burgelin [4]. rapprochent plus des exigences du principe de
Sans reprendre tout l’historique de l’émergence du précaution « dans son acception de prévention et
principe de précaution fort bien exposé par de prévision de l’incertain à potentiel nocif.
P. Sargos [28] et par M. Boutonnet et A. Guégan P. Sargos rappelle, à ce propos, une phrase
[40], comparons simplement, avec G. David [5–6], ­attribuée à J. Rostand : « Il faut protéger l’inconnu
l’évolution intervenue dans la définition de ce pour des raisons inconnues. » La formule est
concept entre son application à l’environnement superbe, dit-il, « mais elle est aussi extrêmement
dans la loi Barnier du 2 février 1995 et celle qui en inquiétante si, comme certains paraissent le sou-
est faite à la santé par le Conseil d’État en 1998. haiter, on l’applique au principe de précaution
En 1995, il est écrit par le législateur : « Le principe dans le domaine de la santé, car sa conséquence
de précaution selon lequel l’absence de certitude est l’immobilisme, puis la régression et en ­dernière
ne doit pas retarder l’adoption de mesures effecti- analyse le non-respect de l’essence de la ­précaution
ves et proportionnées visant à prévenir un risque qui est de tenter d’améliorer la santé. »
de dommages graves et irréversibles à l’environne- Cessons de confondre les expressions « prendre des
ment à un coût économiquement acceptable. » précautions » et « appliquer le principe de précau-
En 1998, le Conseil d’État écrit que ce nouveau tion ». L’une est factuelle et l’autre philosophique.
concept est : « l’obligation pesant sur un décideur L’Académie nationale de médecine dans sa séance
public ou privé de s’astreindre à une action ou de du 16 mai 2000 a longuement débattu sur la méde-
s’y refuser en fonction du risque possible. Dans ce cine saisie par le principe de précaution. Il a déjà
sens, il ne suffit pas de prendre en compte les ris- été fait de larges emprunts à différents exposés de
ques connus. Il doit en outre apporter la preuve, cette journée. Une phrase de F. Ewald [9] résume
compte tenu de l’état actuel de la science, de l’ab- assez bien le consensus pratique qui en émane sur
sence de risque ». le plan juridique : « … Il paraît difficile que le
G. David [6] souligne la radicalisation du propos : principe de précaution puisse s’appliquer à la rela-
« On ne parle plus de gravité du risque, de pro- tion individuelle du médecin au malade […]. Le
portionnalité des mesures et du coût économique principe ne saurait être invoqué pour sanctionner

167
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

la responsabilité du médecin. » M. Tubiana [36] confortable possible de chacun des individus de


conclut : « Le principe de précaution doit être l’espèce humaine, la médecine de soins qui
encadré, codifié pour être utilisé et utile. Il ne peut s’adresse à l’homme malade est soumise, par le
pas faire disparaître le risque mais, selon la façon contrat médical, à l’obligation de moyens. Les exi-
dont il sera défini, selon la jurisprudence, il peut gences les plus extrêmes de cette obligation ne
ouvrir la porte à la subjectivité, aux idéologies et doivent toutefois pas entraîner le praticien aux
aux manipulations ou, au contraire, contribuer à limites de l’impossible. Que penser d’un discours
une meilleure compréhension par le public des qui, à la fois, prône l’obligation de résultat, dénonce
problèmes et des solutions. » l’acharnement thérapeutique et impose des
contraintes économiques [16] ?
« La vision magique du monde, dans la mesure où
La société et l’aléa elle existe, s’est réfugiée dans la science. Seuls les
« Le dynamisme, l’essor, la vie, c’est le risque […]. très grands savants la possèdent ou comprennent
Une société qui ne se préoccupe que de se protéger où elle mène : ceux de moindre envergure ne sont
contre les risques est une société tournée vers le que des horlogers distingués, tout comme un si
déclin et une mortelle paralysie. L’État ne sera grand nombre de nos érudits humanistes qui ne
jamais un assureur contre la mort ! » Ainsi s’expri- font que ruminer des idées et moudre des systè-
mait C. Allègre le 16 novembre 2000 [1]. mes. Notre éducation nous a menés à un monde
d’où le merveilleux, la peur, la crainte, la splen-
« La médecine n’est pas l’art de guérir ni l’art de ne pas
deur et la liberté du merveilleux ont été bannis.
nuire […]. Elle est l’art de soigner », J.M. Foidart [13].
Naturellement, le merveilleux coûte cher. Vous ne
Un mythe se promène. Il erre. Il rode. Il hante les pourriez l’incorporer dans un état moderne parce
Hauts Comités nationaux et les colloques médi- que c’est l’antithèse de la sécurité que nous
caux juridiques. Il envahit les prétoires adminis- ­révérons si anxieusement et demandons à l’État
tratifs, voire judiciaires. Il a l’oreille des de nous donner. Le merveilleux est une chose
législateurs. Comment ne retentirait-il pas dans très belle mais il est aussi cruel, très cruel. Il est
les salles de rédaction, sur les ondes ou le petit ­antidémocratique, discriminatoire, impitoyable. »
écran ? Il est grand temps de lui tordre le cou. (R. Davies, Le monde des merveilles, [48]).
Comme Protée, il change de forme et prédit l’ave-
En réalité la société a pris conscience que des ris-
nir si on l’y pousse un peu. Il a pour nom le droit à
ques qu’elle ignore peuvent la menacer [13]. Elle
la santé, avatar d’une idée généreuse et pragmati-
demande une meilleure information. Elle veut
que dans une société civilisée moderne, le droit
avoir le droit de choisir. Elle n’ignore pas l’aléa.
aux soins. Si la loi avait pouvoir de supprimer tou-
Elle veut plus de sécurité. De nouveaux devoirs
tes les maladies, depuis le temps que l’homme
s’imposent aux acteurs sociaux [21]. Le monde
légifère, cela se saurait.
politique, l’institution scientifique, les produc-
Il est à l’origine des recherches sur l’indemnisa- teurs de biens et de services doivent au public une
tion de l’aléa médical. L’aléa est au risque ce que le information fiable. P. Kourilsky aborde alors les
non-voyant est à l’aveugle. Il est enfant de la peur rapports des acteurs sociaux avec l’institution
des mots et des réalités. Il prend alors le masque judiciaire, regrettant « les difficultés pour les juges
utopique du risque zéro dans une société d’hyper- à trouver leurs repères en raison d’un certain fossé
protégés. Il trouve son aboutissant inéluctable culturel entre le droit, la science et la technique. »
dans l’obligation de résultat demandée de plus en Lien entre le public et le magistrat, l’expert
plus couramment à l’acte médical. C’est alors la ­judiciaire en situation d’incertitude scientifi-
demande d’immortalité. que ne peut apporter des conclusions formelles.
De qui se moque-t-on ? De nos concitoyens, bien L’expertise ne fera foi que si elle s’appuie sur un
sûr, ignorants et prêts à croire ; de nos congénères contexte scientifique, fut-il incertain, voire hypo-
à qui l’on cache qu’ils sont, comme toute structure thétique. La médecine n’échappe pas à ces diffi-
vivante, éminemment périssables et d’autant plus cultés. Elle a heureusement une longue tradition
qu’ils sont d’une organisation plus complexe. d’humanisme que ne doit pas obérer une pratique
Garante de la survie la plus longue et la plus de plus en plus scientifique et technique. La

168
Chapitre 5. La responsabilité médicale

r­ elation directe médecin-malade en reste le plus • au sein d’une équipe soignante, l’information
solide garant [15]. est de la responsabilité conjointe de tous les pra-
ticiens concernés ;
L’aléa dans le colloque singulier • en matière de chirurgie esthétique, l’informa-
médecin-malade tion doit porter sur la totalité des risques, des
plus graves à l’incident le plus mineur ;
Attachons-nous ici à la philosophie de ce collo- • l’information doit porter sur les alternatives
que [17]. thérapeutiques envisageables, le médecin don-
H. Le Foyer de Costil résume ainsi son propos [23] : nant les raisons de son choix, le patient pouvant
« En l’absence d’un arsenal juridique réglemen- donner ou non son consentement éclairé au
tant la précaution, faut-il cantonner le principe à choix du médecin consulté ;
la santé publique ? Une réponse négative s’impose • même un risque exceptionnel doit être signalé
à une époque où la responsabilité médicale ne fait dès lors qu’il est connu comme potentiellement
que croître et où l’obligation de moyen glisse vers invalidant ou mortel ou responsable de consé-
une obligation de résultat. Le respect du principe quences esthétiques graves [33].
de précaution se trouve peut-être dans l’obligation
pour le médecin de prouver qu’il a informé très Ces arrêts ont, plus que tous autres, ému, voire
complètement le malade, mais la spécificité de la choqué la corporation médicale peu habituée à la
médecine impose une délimitation des contours transparence totale dans ses rapports singuliers et
de cette obligation. » a priori de confiance avec le malade. C’est un phé-
nomène de société initié par des non-malades
Orfèvre en la matière, P. Sargos confirme : dont le point de vue n’est pas toujours univoque
« L’approche judiciaire du principe de précaution lorsqu’ils sont à leur tour face à la maladie.
appliqué à la médecine se fait par le biais de la
relation médecin-patient [30]. » Sur ce terrain particulièrement sensible, débrous-
saillé par la Cour de cassation, le Conseil d’État a,
C’est là que nous rejoignons le grand public qui pour une fois, joué les suiveurs. Dans l’arrêt du
constitue nos malades potentiels. Il rêve devant une 5 janvier 2000, il est écrit : « Lorsque l’acte médical
médecine idéalisée et futuriste, mais il a peur devant envisagé, même accompli dans les règles de l’art,
les débordements de la technique. Il est temps de comporte des risques connus de décès ou d’invali-
l’informer des réalités, de lui faire partager les dou- dité, le patient doit en être informé dans des condi-
tes, de l’associer aux prises de responsabilités déci- tions qui permettent de recueillir son consentement
sionnelles d’autant qu’il est le premier intéressé. éclairé. Si cette information n’est pas requise en cas
C’est une démarche démocratique à laquelle ni le d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient
médecin ni le malade ne sont préparés. d’être informé, la seule circonstance que les ris-
Depuis le 25 février 1997, plus de dix arrêts rendus ques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dis-
par la 1re chambre civile de la Cour de cassation pense pas les praticiens de leur obligation. »
sont venus les réveiller [26]. Ces arrêts récents La notion de perte de chance de guérison ou de
concernant le devoir médical d’information et survie reste très à part dans l’arsenal de l’indem-
son corollaire essentiel, le consentement éclairé, nisation. La jurisprudence est abondante sur le
sont venus relancer le recours à la perte de chance thème de la chance perdue par faute technique,
lorsque tout autre moyen d’indemnisation pleine telle qu’un retard au diagnostic ou à l’instauration
et entière apparaît hors de portée du plaignant. La d’une thérapeutique. Cette notion est intimement
doctrine complète a pu être développée au fil des liée à celle d’état antérieur. Faut-il encore qu’il ait
arrêts successifs : réellement existé une chance que la faute a fait
• la preuve de l’information est à apporter par le perdre. Ce n’est pas évident en matière d’informa-
médecin ; tion. Tout peut se voir de 0 à 100 % de perte de
• la preuve par présomption grave précise et chance. C’est pourquoi ce moyen d’indemnisation
concordante laissée à l’appréciation du magis- n’est pas aussi efficace et n’est plus aussi recherché
trat est suffisante. Elle doit ressortir au fil d’un qu’on aurait pu le craindre lors de la publication
dossier médical bien tenu ; des arrêts.

169
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Les arrêts ont eu le mérite, il faut le souligner, de pour participer à la prise de décision dont il va
rétablir un dialogue parfois oublié entre le méde- être l’objet. Quoi de plus naturel ? Quoi de plus
cin et son malade. Mais ce dialogue est difficile et, difficile pour le médecin, car le dialogue est désé-
par ses conséquences, il n’est pas lui-même dénué quilibré ? L’un sait, l’autre croit savoir. Le patient
de risque. Fallait-il ce rappel du droit pour que les demande une meilleure écoute. Il n’aspire pas tou-
médecins, hantés par le souci scientifique et tech- jours à une information totale. Ce qu’il veut
nique de leurs actes, redeviennent ces humanistes savoir ? Le mieux est de lui demander.
[15] qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être. Parler Face au « pouvoir médical » les « consommateurs »
demande du temps. Il n’est jamais perdu. Expliquer du système de santé se sont organisés. Les débuts
demande des qualités pédagogiques. Un exposé ont été difficiles. Mû par une vindicte dont beau-
clair et synthétique met en confiance. La fausse coup de plaignants ou leurs conseils ne se sont pas
science et le galimatias n’ont que trop droit de cité encore départis, le public a eu tendance à voir
pour n’être pas combattus par ceux dont c’est le dans tout échec thérapeutique une faute médicale.
devoir. N’est-ce pas la fameuse vocation médicale Les choses bougent. Là encore un dialogue est
qui, pendant si longtemps, a paru indispensable à nécessaire. Des contacts individuels permettent
la profession en sa période purement compassion- de mieux comprendre les problèmes de chacun :
nelle. Communiquer ne s’apprend pas dans les malade, médecin, assureur. J. Catz, président
livres. Il y a des infirmes de la communication. d’honneur de l’AVIAM, écrit : « Les concepts juri-
S’ils veulent soigner, ils doivent se rééduquer. Le diques destinés à faciliter l’indemnisation des vic-
cabinet du médecin exige d’autres qualités que son times (d’accidents médicaux) risquent de nuire à
laboratoire ou sa salle d’opération. la qualité de la médecine de notre pays par leurs
Les utilisateurs des services de santé ne doivent conséquences : pratique d’une médecine défensive
pas perdre de vue que, pour le bon médecin, le et coûteuse pour notre régime de sécurité sociale,
malade reste au cœur des préoccupations d’un coup de frein au progrès médical, augmentation
système de santé bien conçu. La caractéristique du considérable des primes d’assurances de certains
médecin, c’est sa culture du secret, dans l’intérêt praticiens, désaffection des jeunes médecins à
du patient, au sein du dialogue singulier. Cette l’égard des spécialités à haut risque, détérioration
vision humaniste de la médecine s’est accordée de la relation thérapeutique qui rappelle, à cer-
sans problème et pendant des siècles à un art resté tains égards, la dérive américaine. »
contemplatif et compassionnel. La médecine Le risque majeur du principe de précaution est
devenue scientifique tend à s’éloigner de son objet, celui de la régression. En médecine, il impose
l’homme malade, pour ne plus voir que les aspects aussi le devoir de prendre des risques [21]. Encore
techniques posés par la maladie. Insensiblement, faut-il aussi en informer le malade.
elle s’est déshumanisée. Mais plus efficace elle est
devenue à risques, tant avérés que potentiels. L’aléa et la jurisprudence
Le grand public a suivi, dans son ensemble, une
démarche intellectuelle inverse. C’est un phéno- Le juriste s’étonne que notre fin de xxe siècle ait
mène et un constat très général. « Un consensus se cru découvrir la démarche aléatoire de la méde-
dégage pour réclamer […] un élargissement d’un cine [28]. Nous nous en tiendrons à un rappel
espace public de dialogue. Tous les acteurs sociaux historique.
devraient progresser dans la transparence et « Pendant des siècles, la médecine trop souvent
­communiquer plus avant avec le public », dit impuissante devant la souffrance humaine n’en
P. Kourilsky [21]. Il ajoute qu’en matière de santé, était que le témoin compatissant. Elle ne pouvait
le public ne peut se substituer ni aux experts (les être condamnée pour les échecs d’une science bal-
médecins), ni aux décideurs, ni aux politiques, ni butiante » [22]. A. Paré a-t-il dit : « Je le pansai,
aux élus, mais qu’il doit pouvoir faire entendre sa Dieu le guérit » ? Il dut le penser souvent. Le traite-
voix. ment appliqué, médecin et malade vivaient dans
Plus de 50 % des affaires en responsabilité médi- l’attente de l’aléatoire miracle. Certains en réchap-
cale n’auraient jamais vu le jour si les plaignants paient. Le médecin jouissait d’une véritable
« avaient su ». Face à celui qu’il a choisi dans la immunité juridique dans l’exercice de ses activités
confiance, le malade demande à être bien informé professionnelles.
170
Chapitre 5. La responsabilité médicale

Trente ans après l’entrée en vigueur du Code civil, sité d’une responsabilité civile du médecin et le
l’Académie de Médecine en 1834 formulait ainsi respect de la liberté de ses prescriptions. Aucune
son avis : « Le médecin ne reconnaît pour juge, après définition satisfaisante de la faute médicale consti-
Dieu, que ses pairs et n’accepte point d’autre respon- tutive de responsabilité n’est donnée. Depuis le 18
sabilité que celle, toute morale, de sa conscience. » juin 1835, on parle de « négligence inexcusable,
Telle était encore la thèse soutenue par le défen- d’impuissance, de légèreté, de méprise grossière,
seur d’un médecin lors du pourvoi en cassation d’ignorance crasse des choses qu’on devrait néces-
jugé par l’arrêt Thouret-Noroy du 18 juin 1835 : sairement savoir et pratiquer. » Au fil des déci-
« Le médecin dans l’exercice de sa profession n’est sions, la jurisprudence en vient à ne retenir que la
soumis pour les prescriptions, ordonnances, opé- faute lourde. En outre, le caractère délictuel ou
rations de son art à aucune responsabilité. Celle-ci quasi délictuel de la faute civile aussi bien que
ne peut être évoquée contre lui que si, oubliant l’application au pénal des articles concernant le
qu’il est médecin, et se livrant aux passions, aux délit de coups et blessures, voire d’homicide invo-
vices, aux imprudences de l’homme, il occa- lontaire avec atteinte à l’intégrité physique des
sionne, par un fait répréhensible, un préjudice réel personnes, limitent à trois ans le délai de prescrip-
au malade qui se confie à ses soins. En d’autres tion pendant lequel la faute peut être réparée et/ou
termes, la responsabilité s’exercera contre l’infraction sanctionnée pénalement.
l’homme, jamais contre le médecin. » Les conclu- C’est pourquoi l’arrêt Teffaine (Cour de cassation,
sions du Procureur général Dupin furent plus 1re chambre civile, 16 juin 1896) a voulu déperson-
nuancées : « Les articles 1382 et 1383 du Code civil naliser la faute en reportant la responsabilité sur
rappellent le principe général que chacun est res- le matériel par l’application de l’article 1384 du
ponsable des dommages qu’il a causés non seule- Code civil. Il s’agissait de la mort accidentelle d’un
ment par son fait mais encore par sa négligence ou ouvrier blessé dans l’explosion d’une chaudière
son imprudence […]. Du moment que les faits sur un remorqueur. Selon cet article, « on est res-
reprochés aux médecins sortent de la classe de ponsable non seulement du dommage que l’on
ceux-ci qui, par leur nature, sont exclusivement cause par son propre fait, mais encore de celui qui
réservés aux doutes et aux discussions de la est causé par le fait des choses que l’on a sous sa
science, du moment qu’ils se compliquent de garde ». Cet article comporte une présomption de
négligence, de légèreté ou d’ignorance des choses responsabilité quasi délictuelle du fait des choses,
qu’on devrait nécessairement savoir, la responsa- à la charge du « gardien » ; celui-ci ne peut se libé-
bilité de droit commun est encourue et la compé- rer qu’en apportant la preuve « d’un cas fortuit ou
tence de la justice est ouverte. » La responsabilité de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne
médicale est donc délictuelle ou quasi délictuelle, lui soit imputable ».
retenue pour faute médicale prouvée. Mais le Fallait-il appliquer cet article au domaine de la
Procureur général Dupin précise que les faits de responsabilité médicale ? Elle risquait de devenir,
science et de doctrine purement médicaux échap- dans la plupart des cas, une responsabilité auto-
pent à l’appréciation du juge : « Il ne s’agit pas de matique du fait des choses [8]. Le développement,
savoir si tel traitement a été ordonné à propos ou en début du xxe siècle, de technologies dangereu-
mal à propos, si un autre n’aurait pas été préféra- ses et encore mal maîtrisées, comme la radiologie
ble, si une opération était ou non indispensable, si ou la radiothérapie, risquait de multiplier les
avec tel ou tel instrument, d’après tel ou tel pro- recours. Le malade n’avait pas à prouver la faute,
cédé, elle n’aurait pas mieux réussi. Ce sont là des mais simplement le lien de causalité entre le maté-
questions scientifiques à débattre entre docteurs, riel utilisé et le dommage subi. Le médecin était
qui ne peuvent constituer des cas de responsabi- dans la quasi-impossibilité de prouver le « cas for-
lité civile et tomber sous l’examen des tribunaux tuit ou de force majeure » ou la « cause étrangère »
[…] la question est ici entre Hippocrate et Gallien, à son acte. Médecins et juristes protestèrent dans
elle n’est pas judiciaire. » Les données « acquises » le même sens pour aboutir à une jurisprudence de
de la science n’étaient pas encore suffisamment refus de l’article 1384-1 du Code civil sur deux
affermies pour que le juge puisse s’en prévaloir. arguments : l’acceptation supposée, voire de facto,
Pourtant il y a un manifeste désir des tribunaux des risques par le malade qui se soumet volon-
de dépersonnaliser le délit, de concilier la néces- tairement à un acte médical diagnostique ou
171
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

t­ hérapeutique, et l’existence d’un contrat médical Attendu que la réparation des conséquences de
conclu pour cet acte avec responsabilité contrac- l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des
tuelle qui exclut la responsabilité délictuelle [14]. obligations dont un médecin est contractuelle-
Une question se pose : y a-t-il une différence de ment tenu à l’égard de son patient ;
nature entre la responsabilité médicale née d’un Attendu que M. Tourneur, atteint d’une
fait personnel et la responsabilité née d’une acti- hydrocéphalie, a fait l’objet d’une intervention
vité utilisant une chose ? Sans être véritablement chirurgicale réalisée par M. Destandau, neuro-
prémonitoire nous écrivions dans la précédente chirurgien, consistant à dériver le liquide céphalo-
édition : « Est-il certain que la jurisprudence actuelle rachidien suivant la technique lombo-péritonéale ;
ne revienne pas sur l’abandon de l’article 1384-1 qu’immédiatement après l’intervention, il a pré-
sous la pression de la directive européenne du senté une paralysie irréversible des membres infé-
25 juillet 1985 concernant la responsabilité du fait rieurs associée à une incontinence urinaire et
des produits défectueux ? Cette directive est à anale ; que l’arrêt attaqué, après avoir exclu toute
l’origine de la loi du 19 mai 1998. » faute commise par le praticien et constaté que
Exit l’arrêt du 16 juin 1896. La responsabilité l’état de M. Tourneur résultait d’un infarctus
civile du médecin, pour des raisons opportunis- spontané du cône médullaire directement impu-
tes de délai de prescription, devient contractuelle table à l’opération, a, néanmoins, condamné
et fondée sur l’article 1147 du Code civil. C’est M. Destandau à réparer le préjudice résultant de
l’arrêt Mercier du 20 mai 1936 qui en établit défi- la survenance de cet aléa thérapeutique au motif
nitivement les bases. L’utilisation qui a été faite de qu’il était tenu d’une obligation contractuelle de
cette doctrine générale a largement été exposée sécurité dès lors “qu’indépendamment de toute
par d’autres dans les pages précédentes. Elle a faute prouvée de la part du praticien, a été causé
trouvé son sommet de rigueur avec la notion au patient, à l’occasion de l’exécution des investi-
d’obligation de sécurité de résultat [25–27–32] gations ou des soins, un dommage à l’intégrité
qui s’il n’y avait été pris garde [29–31] aurait physique ou mentale du patient qui présente les
abouti pour le médecin à une obligation non plus caractéristiques, d’abord d’être sans relation avec
de moyen mais de résultat. Cela eût été nier la l’échec des soins ou les résultats des investiga-
réalité : le risque zéro n’existe pas, l’aléa médical tions, ensuite d’être sans rapport connu avec l’état
ne peut être ignoré. Il ne l’a jamais été tout au antérieur du patient ou avec l’évolution prévisible
long du droit civil. P. Sargos l’a rappelé à propos de cet état, enfin de découler d’un fait détachable
de l’approche judiciaire du principe de précau- de l’acte médical convenu, mais sans l’exécution
tion en matière de santé. Il en reprend toute l’évo- duquel il ne se serait pas produit, en sorte que ce
lution depuis l’ouvrage de J. Domat (1625–1696) dommage nouveau et hétérogène apparaît comme
sur Les lois civiles dans leur ordre naturel jusqu’à de nature purement accidentelle” ;
la reconnaissance de l’aléa médical dans l’arrêt Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’elle avait
Destandau du 8 novembre 2000 [28]. constaté la survenance, en dehors de toute faute
du praticien, d’un risque accidentel inhérent à
l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, la
L’aléa médical et la loi Cour d’appel a violé les textes susvisés. »
C’est la première reconnaissance jurisprudentielle
Que n’a-t-elle été attendue cette loi sur l’aléa médi-
de l’aléa médical. P. Sargos dans son rapport sou-
cal. Une fois encore les juristes ont précédé le
ligne que « la Cour d’appel de Bordeaux a retenu la
législateur, forts du fait que la jurisprudence est
responsabilité du praticien sur le terrain d’une
plus souple et plus facile à mettre en œuvre qu’un
obligation de sécurité de résultat en matière d’aléa
long travail parlementaire.
thérapeutique […]. Le grief soulève la question de
L’arrêt Destandau rendu le 8 novembre 2000 par la réparation des conséquences de la survenance
la 1re chambre civile de la Cour de cassation [2] a d’un aléa thérapeutique […]. Le Rapport annuel
cassé l’arrêt rendu le 14 décembre 1998 par la cour de la Cour de cassation de 1999 souligne l’état de
d’appel de Bordeaux dans les termes suivants : droit jurisprudentiel de l’obligation de sécurité
« Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil ; de résultat en matière médicale (qui) repose en

172
Chapitre 5. La responsabilité médicale

­ ernière analyse sur une exigence de perfection,


d Nous citerons par ordre chronologique un certain
d’absence de tout défaut des dispositifs médicaux nombre de définitions parvenues à notre
au sens le plus large du terme et des mesures connaissance.
d’asepsie et de prophylaxie […]. Au plan de la Il n’est peut-être pas inutile de rappeler au préala-
technique juridique, il serait parfaitement possi- ble ce qu’écrit Y. Lambert-Faivre [22] à propos du
ble, sur le fondement des articles 1135 et 1147 du principe de précaution, avatar de la notion d’aléa :
Code civil de mettre dans le contrat formé entre « Le principe de précaution exprime la prise de
un patient et son médecin l’obligation pour ce conscience que nos pouvoirs excèdent nos savoirs
dernier de réparer les conséquences de la surve- […]. Il est la sagesse de celui qui mesure ses
nue d’un aléa thérapeutique. » Pourtant le rappor- connaissances à l’aune de ses ignorances. »
teur incite la formation plénière de la 1re chambre N’oublions pas ce rappel d’humilité scientifique
civile à se désolidariser de la jurisprudence dans toute proposition d’une définition de l’aléa
Bianchi du Conseil d’État (9 avril 1993). Il en médical.
expose les motifs et conclut : « N’est-on pas avec la
Pour J.C. Baste [3], « l’aléa médical, c’est-à-dire les
question de l’aléa thérapeutique dans un domaine
conséquences du pur hasard dans la pratique
qu’il n’incombe qu’au législateur de régler […]. La
médicale, n’est que la réalisation d’un dommage
réparation des conséquences de la survenance
dont la possibilité de survenue était méconnue par
d’un aléa thérapeutique n’est pas dans le champ
la communauté médicale au moment de la prati-
des obligations que le contrat médical met à la
que de cet acte. »
charge du médecin. »
Pour P. Vayre [38], « tout acte médical ou chirur-
Tout au plus pouvait-on regretter que le problème
gical à visée diagnostique ou thérapeutique com-
des infections nosocomiales reste, dans l’esprit
porte un risque potentiel d’accident sans relation
du juge, totalement exclu du champ de l’aléa
avec la pathologie initiale ni avec une faute techni-
médical sans tenir compte de la complexité et du
que mais dont la gravité peut conduire au décès ou
coût de la gestion de ce risque. Dans un souci
à l’invalidité. »
pro-indemnitaire, la position de la Cour de cassa-
tion rejoint la rigueur du Conseil d’État qui P. Sargos, avant la prise de position de la Cour de
impose en la matière la présomption irréfragable cassation, aborde ce problème délicat de la défini-
de faute [18]. tion et, sans trancher dans une jurisprudence
pourtant ancienne, retient une définition des
La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
assureurs français : « l’aléa lié au danger (généra-
droits des malades et à la qualité du système de
lement mesurable sur le plan statistique mais non
santé (JO du 5 mars 2002) [24] a comblé un vide
individuellement prévisible) d’un acte médical ou
juridique dénoncé depuis les premiers travaux de
paramédical, susceptible de causer un dommage
A. Tunc et J. Penneau en 1966. Elle a déjà suscité
indépendant de tout état pathologique indivi-
de nombreux commentaires et interrogations
duel. ». Dans son rapport du 8 novembre 2000 [2],
avant même que ses décrets d’application ne soient
il écrit successivement : « l’aléa thérapeutique peut
parus (ils le sont à ce jour) [19]. Elle a le mérite
être défini comme étant la réalisation, en dehors
d’exister. Comme toute loi, elle vaut par l’usage
de toute faute du praticien, d’un risque accidentel
qui en est fait (cf. « Les lois de 2002 - indemnisa-
inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être
tion de l’aléa médical - assurance obligatoire -
maîtrisé » et, un peu plus loin : « L’aléa thérapeuti-
prescription en responsabilité médicale » et
que est en réalité le constat de l’impuissance de
« L’expertise pour une CRCI »).
l’intervention médicale face à un risque non maî-
trisable en l’état des données acquises de la science
Qu’est-ce qu’un aléa médical ? à la date des soins. Il s’agit même, d’une certaine
façon, de la survenance d’un cas fortuit qui est
La jurisprudence comme la loi ne peuvent se normalement exonératoire de la responsabilité. »
­dispenser d’une précision aussi capitale. Cette De lui, retenons également cette phrase [29] : « Le
définition doit résulter d’un consensus entre les risque zéro n’existant pas, l’exigence absolue d’un
plus hautes autorités médicales et les plus hautes produit ou d’une asepsie parfaite introduit l’obli-
autorités juridiques. gation de réparer une forme d’aléa. »

173
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Le texte de loi du 4 mars 2002 traite (titre IV) de la [5] David G. La médecine saisie par le principe de
réparation des conséquences des risques sanitai- précaution. Bull Acad Nat Med 1998 ; 182(6) :
1219–28.
res. Il n’utilise pas l’expression aléa médical. Il
n’en donne pas de définition [19–24]. Il importe [6] David G, Nicolas G, Sureau C. La médecine et le
principe de precaution. Ann. Chir 2001 ; 126 : 731–3.
que la loi sur l’aléa médical ne repose pas sur un
texte aléatoire. Il en va de l’intérêt des justiciables [7] David G. Faire bon usage de l’erreur médicale. Bull
Acad Nat Med 2003 ; 187(1) : 129–93.
et de la crédibilité des experts, quel que soit le type
[8] Dérobert L. Droit médical. Flammarion, Paris :
de contentieux dans lequel ils se retrouveront.
Déontologie médicale ; 1976.
S’essayer à une définition de l’aléa médical, c’est y [9] Ewald F. Le principe de précaution entre responsa-
intégrer un certain nombre de termes qui sont bilité et politique. Bull Acad Nat Med 2000 ; 184(5) :
tous apparus au cours de cet exposé. 881–95.
L’aléa médical réalise un risque potentiel inhérent à [10] de Fontbressin P. L’approche du risque : une redécou-
toute action médicale de soins, de santé publique verte des valeurs. Revue Experts 2003 ; 3–5no 61.
ou de recherche. Identifiable mais incertain, il est [11] de Fontbressin P, Hureau J. L’indemnisation de
généralement statistiquement mesurable mais non l’aléa médical. Titre IV de la loi du 4 mars 2002.
Confusions, imperfections, non dits. Revue Experts
individuellement prévisible. En l’état des données 2002 ; 11–5no 56.
acquises de la science à la date de sa survenue, il
[12] Foidart JM. Le principe de précaution et l’obligation
n’est maîtrisable par aucune des mesures de pré- d’action médicale. Bull Acad Nat Med 2000 ; 184(5) :
vention ou de prudence connues à la date des faits. 937–44.
Il est indépendant de toute faute du praticien. Il [13] Gillot D, Levy G. Principe de précaution, santé
cause un dommage sans rapport avec l’état anté- et décision médicale. Discours d’ouverture de la
rieur ou avec la pathologie propre du malade au Ministre. Bull Acad Nat Med 2000 ; 184(5) : 873–9.
moment des faits. C’est la survenance d’un phéno- [14] Hureau J. Le risque chirurgical. Un concept évolutif.
mène fortuit normalement exonératoire de la res- Chirurgie 1991 ; 117 : 624–33.
ponsabilité [20]. [15] Hureau J. De l’humanisme au consumérisme en
médecine. Paris : Colloque de l’Académie nationale
C’est dire si, intimement liés, le droit et la méde- de chirurgie et de la CNEM ; 2 décembre 1998 Revue
cine doivent parler le même langage et ne peuvent Experts, hors série, juin 1999.
se permettre des imprécisions sémantiques et [16] Hureau J. L’immortalité ? La médecine et le droit
conceptuelles. Elles engendrent l’inefficacité jus- face au vieux rêve humain. Revue Experts 1996 ; 32 :
que dans les lois. 32–5.
Laissons à nouveau la parole au linguiste et au [17] Hureau J. Les nouveaux aspects de la responsabi-
philosophe : lité médicale. La relation médecin-malade face aux
enjeux de la médecine. Prades : GRAO éd ; 2001.
« Le plus grand danger est constitué par l’usage de la
[18] Hureau J. L’infection nosocomiale : la responsabi-
langue de bois. On répète les formules, comme des lité médicale face au droit. Bull Acad Nat Med 2001 ;
clichés, sans tenir compte de leur sens ; et du coup le 185 : 9 1647–58.
désordre s’installe. » (Jacqueline de Romilly) [19] Hureau J. Indemnisation de l’aléa médical et
« Tout a été dit mais comme personne n’écoute il ­expertise en responsabilité. Titre III du projet de
faut toujours recommencer. » (Paul Valéry) loi relatif à la modernisation du système de santé.
Comment réformer. Paris. Revue Experts 2001 ;
Une conclusion n’est jamais définitive. 53 : 18–22.
[20] Hureau J, de Fontbressin P. Le droit de la responsa-
Bibliographie bilité médicale. Les nouveaux enjeux. Bull Acad Nat
Med 2003 ; 187(1) : 161–73.
[1] Allègre C. Principe de précaution, piège à c… [21] Kourilsky P, Viney G. Le principe de précaution.
L’Express. 16 novembre 2000. Paris : Odile Jacob ; 2000.
[2] Arrêt du 8 novembre 2000 (Cour de cassation, [22] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel.
1re chambre civile, no 1815 FP-P +B+R). Systèmes d’indemnisation. 4e édition 2000 Dalloz,
[3] Baste JC. L’expert face à l’aléa médical. Chirurgie, Paris.
1996, 121 : 515–8. [23] Le Foyer de Costil H. Responsabilité civile de l’acti-
[4] Burgelin JF. La médecine saisie par le principe de pré- vité médicale de soins au regard du principe de pré-
caution. Bull Acad Nat Med 1998 ; 182(6) : 1229–30. caution. Bull Acad Nat Med 2000 ; 184(5) : 915–23.

174
Chapitre 5. La responsabilité médicale

[24] Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative au droit des [36] Tubiana M. Le principe de précaution : ses avanta-
malades et à la qualité du système de santé. JO du 5 ges et ses risques. Bull Acad Nat Med 2000 ; 184(5) :
mars 2002. 969–93.
[25] Rapport de la Cour de cassation 2000. Paris : La [37] Vayre P. Le risqué aléatoire en chirurgie et l’in-
documentation française ; 2001. demnisation de son préjudice en procédure civile.
[26] Sargos P. Le devoir d’information des médecins Chirurgie 1998 ; 123 : 206–9.
dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Revue [38] Vayre P. Le risque aléatoire ou aléa thérapeutique en
Experts 1999 ; 42 : 7–11. chirurgie et l’indemnisation de son préjudice en pro-
[27] Sargos P. In : La doctrine jurisprudentielle de la Cour cédure civile. Revue Experts 1998 ; 39 : 22–3.
de cassation en matière d’obligation des établissements [39] Sargos P. L’évolution de la responsabilité civile des
de santé privés et des personnes y exerçant leur acti- médecins et des établissements de santé privés dans
vité. Responsabilité civile et assurances. Éditions du la jurisprudence de la Cour de cassation et les inci-
Juris-classeur, hors série. juillet-août 1999. p. 35–46. dences des lois du 4 mars et du 30 décembre 2002.
[28] Sargos P. In : Actes du Collège. Qualité médicale et École nationale de la magistrature, session de forma-
sécurité sanitaire, principe de précaution. Approche tion continue des magistrats sur la responsabilité des
judiciaire du principe de précaution en matière de médecins. 8–11 juin 2004.
santé. Collège international de médecine et chirurgie [40] Boutonnet M, Guégan A. Historique du principe de
de l’American Hospital of Paris ; 10 décembre 1999. précaution. In : Kourilsky P, Viney G, editors. Le
p. 58–65. principe de Précaution. Paris : Odile Jacob ; 2000.
[29] Sargos P. L’aléa thérapeutique devant le juge judi- p. 253–76 Annexe I.
ciaire. JCP. La Semaine juridique 2000 ; 5 : 189–93. [41] Hureau J. La sémantique du droit médical – Le jeu
[30] Sargos P. Approche judiciaire du principe de précau- des mots. Revue de l’Ophtalmologie française 2008 ;
tion en matière de relation médecin-patient. JCP. La 165 : 83–9.
Semaine juridique 2000 ; 19 : 843–9. [42] Cara M. Communication personnelle
[31] Sargos P. Responsabilité des médecins, aléa théra- [43] Hubinois Ph, Lunel P, Hureau J. L’indemnisation des
peutique et obligation de sécurité de résultat. Revue accidents médicaux. Essai de droit comparé euro-
Experts 2000 ; 25–6 no 49. péen. Revue Experts 2003 ; 59 : 8–16.
[32] Sargos P. Évolution et mise en perspective de la juris- [44] Hureau J. La preuve scientifique appliquée à l’exper-
prudence de la Cour de cassation en matière de respon- tise. Revue Experts 2008 ; 78 : 52–3.
sabilité médicale. Étude actualisée au 15 février 2001 [45] Hureau J. Le chirurgien et le droit – e-mémoires de
et au. 13 mars 2001 (communication personnelle). l’Académie Nationale de Chirurgie 2008 ; 7(2) : 76–8.
[33] Sargos P. L’information du patient et le consentement [46] Paolaggi JB, Coste J. Le raisonnement médical, de la
aux soins. Litec, Droit médical et hospitalier. 2001. science à la pratique clinique. Paris : Estem édit ; 2001.
[34] Sicot C. Responsabilité médicale : l’expérience [47] Comte-Sponville A. Au cœur des conflits l’expertise –
du groupe des assurances mutuelles médicales XVIe Congrès de la FNCEJ 2000. Paris : Experts édit ;
(GAMM). Bull Acad Nat Med 1998 ; 182(3) : 55–7. 2001 hors série.
[35] Sicot C, Gombault N. Rapport du conseil médical du [48] Davies R. Le monde des merveilles. Rivages poche/
GAMM sur l’exercice. 2000. Bibliothèque étrangère ; 1999.

La Preuve scientifique appliquée


à l’expertise en médecine
J. Hureau

« L’ignorant affirme, le savant doute, le sage débiteur du juste [1]. Ainsi pourrait se résumer ce
réfléchit » propos si l’expert, comme le scientifique, ne devait
Aristote démêler le complexe et le compliqué pour en
La preuve sert à établir qu’une chose est vraie. La extraire une vérité.
science est la connaissance exacte et approfondie La preuve scientifique s’oppose à la preuve légale
fondée sur des relations objectives vérifiables. [2]. La preuve légale est fixée et hiérarchisée par
L’expert, débiteur du vrai, est sollicité par le juge, la loi. La preuve scientifique est dite « libre ».

175
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

­ ’ est-elle ? Elle dépend du type de raisonnement


L tout ou rien mais comporte des degrés du « quasi
qui prétend la soutenir. certain » au « quasi impossible ». Ce raisonnement
Le raisonnement scientifique, mécanisme mental probabiliste est l’application directe du théorème
qui permet à l’Homme d’aboutir à une conclu- de Thomas Bayes (1702–1761) à de nombreuses
sion, a évolué du dogme au doute au cours des siè- sciences et depuis peu à la recherche clinique
cles [3]. médicale [3]. Par l’exploitation statistique, le doute
doit conduire au vrai.
Le raisonnement analogique, poussé à son plus
haut degré avec la scolastique à l’époque médié- La science et l’incertitude sont indissociables. Jean
vale, persiste dans l’heuristique. « La scolastique Baptiste Paolaggi écrit : « La démarche scientifi-
veut toujours un point de départ fixe et indubita- que est fondamentalement critique et ne permet
ble… elle l’emprunte à une source irrationnelle aucune certitude absolue. Elle s’oppose à la révéla-
quelconque, telle qu’une révélation, une tradition » tion, au dogme et à l’intuition » [3]. Christian de
– Claude Bernard, 1865. Ce raisonnement sert Duve, prix Nobel de médecine 1974, le confirme le
encore aux tenants d’un principe de précaution 16 septembre 2006, il déclare en dépit de sa foi
dévoyé et mal compris à s’opposer au développe- conservée : « En religion on se base sur ce que l’on
ment de la science. L’ obscurantisme au nom des croit, en science on se base sur ce que l’on sait » [6].
grandes peurs de l’an 2000 a la vie dure. Il faut fiabiliser les connaissances scientifiques si
l’on veut les rendre utilisables. Le raisonnement
Le raisonnement déductif, formalisé par Aristote probabiliste y conduit qui, par les degrés de certi-
sous forme du syllogisme, repose sur la valeur des tude qu’il instaure, permet de dégager « le possi-
postulats ou des axiomes et ne connaît, en logique blement vrai du certainement faux » selon la
bivalente, que deux valeurs : vrai ou faux. En dépit formule de A. Comte-Sponville [7].
des efforts de Descartes, il est inutilisable dans les
La faillibilité scientifique expertale est la consé-
sciences appliquées. Retenons qu’il a généré le rai-
quence de cette incertitude scientifique constitu-
sonnement hypothético-déductif qui ouvre la voie
tionnelle. Pourtant, l’expert doit au juge la vérité
à l’expérimentation pour tester une hypothèse.
scientifique au moment des faits dans la mesure où
Dès 1744, Abraham Trembley, par ses travaux sur
elle existe et en faire connaître la relativité en
la régénération de l’hydre d’eau douce, ouvrait la
exposant les niveaux de preuves établis. L’exemple
voie à la « méthode expérimentale » [4]. Il écrivait
est donné en médecine par l’« evidence-based
déjà : « Il est trop dangereux, en fait d’Histoire
medicine » (EBM), pratique de la médecine basée
naturelle, d’abandonner l’expérience pour se lais-
sur des faits prouvés ou mieux sur « les meilleures
ser conduire par l’imagination ». L’ expérimentation
données acquises de la science », concept qui intè-
doit tester l’hypothèse. Cela a été remarquable-
gre la notion de fiabilité de la connaissance scienti-
ment codifié par Claude Bernard un bon siècle
fique. C’est une méthode de hiérarchisation des
plus tard, en 1865.
connaissances scientifiques brutes, dont on connaît
Parallèlement se développe le raisonnement induc- la progression exponentielle. En scientifique
tif (David Hume, 1711–1776). Il va du particulier, éclairé, l’expert est parfois conduit à dire ou écrire
observations et expériences, au général, élaborant qu’il ne connaît pas la réponse à la question posée,
des lois et théories « provisoires » remises en cause non parce qu’il ignore ce qu’il devrait savoir, mais
par la progression des recherches. Ce mode de rai- parce que la connaissance scientifique elle-même
sonnement n’est pas sans rappeler le droit prétorien fait défaut à quelque niveau de preuve que ce soit.
qui tend à établir des règles générales à partir de cas Les connaissances acquises, même hiérarchisées,
particuliers, démarche inverse des règles législati- actuellement accessibles à tous, ne font pas forcé-
ves. De 1997 à 2000, douze arrêts de la Cour de cas- ment un savant selon Aristote. Rappelons l’apho-
sation ont permis d’envisager toutes les facettes du risme d’Henri Poincaré : « On fait la science avec
devoir médical d’information. Celui-ci n’a été codi- des faits comme on fait une maison avec des pierres ;
fié que dans la loi du 4 mars 2002. Dans l’induc- mais une accumulation de faits n’est pas plus une
tion, la certitude reste impossible. science qu’un tas de pierres n’est une maison. » Un
De cette incertitude est né le raisonnement proba- « Pic de la Mirandole » ne sera pas forcément un
biliste dans lequel le possible n’obéit plus à la loi du bon expert. Il lui faut la réflexion du sage. À côté

176
Chapitre 5. La responsabilité médicale

du savoir, l’expert doit posséder le savoir-faire, cules. Roger Moret, chercheur au CNRS, écrit :
c’est-à-dire l’expérience. Savoir brut et expérience « … L’éc­h elle nanométrique rend [des maté-
constituent sa compétence, la première des quali- riaux déjà existants et utilisés à des tailles plus
tés exigées de lui. Elle seule lui donnera l’autorité grandes] particulièrement attractifs en modifiant
nécessaire pour apporter les preuves scientifiques leurs propriétés physiques, chimiques ou biologi-
positives, ce qui est facile, mais surtout pour faire ques… ; [elle] peut également leur conférer des
admettre des résultats négatifs toujours moins caractères toxiques ou polluants nouveaux, par-
convaincants. fois insoupçonnés. Dans ce domaine, les connais-
En science comme en droit la preuve négative est sances sont encore très incomplètes et le principe
très difficile à administrer. Devant une preuve de précaution est alors approprié » [5].
scientifique négative, l’application du principe de Enfin, dans une actualité brûlante, rappelons les
précaution rend nécessaire la poursuite des déclarations de Stanley Prusiner, prix Nobel de
recherches. médecine, découvreur du « prion », agent de la
Plusieurs exemples viennent immédiatement à maladie de Creutzfeld Jacob. Il a été cité comme
l’esprit. expert-témoin dans le procès dit de « l’hormone
de croissance ». Il s’est comporté comme un expert
Une véritable polémique « scientifique » s’est ins- witness durant un trial. Il n’a pas le droit de men-
taurée autour des risques biologiques qui seraient tir. Après avoir rappelé ses travaux de 1981, publiés
engendrés par les champs électromagnétiques de seulement en 1982 par la revue Science en raison
la téléphonie mobile. Rien n’est à ce jour démontré du scepticisme qui entourait sa découverte, il pro-
[8]. Cette peur resurgit périodiquement. nonce quelques phrases de poids : « … Il est facile
Elle n’a pas encore atteint les sommets politico- aujourd’hui de dire qu’il aurait fallu faire autre-
médiatiques des actions contre les organismes ment… Moi-même, je n’avais pas fait le rapproche-
génétiquement modifiés (OGM). L’affaire du maïs ment… Si vous me demandez si, grâce à nos
transgénique MON 810 est exemplaire, qui a travaux, tout cela aurait pu être évité, je vous
abouti en France à suspendre, sans éléments scien- répondrai que je n’en suis pas sûr… Je suis perplexe,
tifiques nouveaux solidement argumentés, la voire choqué, d’entendre ces gens dire qu’ils
culture d’un OGM qui avait été autorisée par tou- savaient. À l’époque, je n’ai lu aucune publication
tes les instances nommées par le gouvernement dans ce sens… »
lui-même, sauf à les lui faire désavouer par le biais De la vérité scientifique à la vérité judiciaire sera la
d’une « Haute Autorité provisoire française sur les conclusion de cette incursion dans le domaine de
OGM ». Celle-ci s’est chargée, au nom du principe la preuve scientifique. Empruntons-la aux propos
de précaution, de faire jouer unilatéralement une de Monsieur Guy Canivet, alors Premier Président
« clause de sauvegarde » européenne. Pierre Joliot, de la Cour de cassation, en ouverture du colloque
Bernard Le Buanec et Jean Marie Lehn, savants sur « Le droit des preuves au défi de la modernité » :
dont la notoriété ne peut être mise en doute, n’ont « La preuve est le lien du fait au droit, lien néces-
pas manqué de faire remarquer le 12 janvier 2008, saire puisqu’il commande l’application de la règle
que « la parole des scientifiques [a] été totalement de droit à une situation de fait… L’évolution récente
inaudible dans ce débat où la passion l’emporte sur du droit des preuves accrédite l’idée que le juriste
la raison ». La France « doit garder sa recherche disposerait aujourd’hui d’instruments qui lui
agronomique qui est la deuxième au monde », a ­permettraient de passer de la vraisemblance à la
dit Madame Valérie Pécresse, ministre de la vérité scientifique, et de la vérité scientifique à
Recherche, le 18 janvier 2008. La décision prise la vérité judiciaire, accédant ainsi à l’illusion
n’en est que plus incohérente. confortable de la certitude… Le juge est contraint
Autre exemple, le lien supposé entre la vaccination d’accorder foi à la science dont il ne maîtrise ni la
contre l’hépatite B et la sclérose en plaques (SEP). connaissance, ni la méthode, mais il n’est pas
Un travail récent de Marc Tardieu a confirmé que asservi à la preuve scientifique… » [9].
statistiquement rien n’est démontré [11]. L’expert lui-même doit se garder du « faitalisme »
S’il est un domaine où le principe de précau- de Nietzsche (dictature des faits), qui le soumet-
tion peut s’appliquer, c’est celui des nanoparti- trait aux faits « comme si ces derniers relevaient

177
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

d’un ordre ou d’une réalité indépendante de l’es- [5] Moret R. Nanomonde. Des nanosciences aux nano-
prit » [10]. De la quasi-infaillibilité, demandée par technologies. CNRS éditions; 2006.
la loi et la jurisprudence, à l’incertitude scientifi- [6] de Duve Ch. À l’écoute du vivant. : Odile Jacob éd.
que, la marge est parfois étroite. Paris 2005. L’impossible dialogue. p. 396–398
[7] Comte-Sponville A. Au cœur des conflits l’expertise.
L’honnêteté intellectuelle et l’humilité de l’expert XVIe Congrès de la FNCEJ, 2000. Experts édit. Paris
doivent régler sa conduite. p. 19–30.
Conformément à l’adage d’Aristote, Stanley [8] Hureau J, Denis-Laroque B. Téléphonie mobile :
Prusiner ne s’est pas exprimé autrement. existe-t-il des risques biologiques ?. Revue Experts
2007, no 76, 51–56
Références [9] Canivet G. In : Discours d’ouverture du Colloque du
24 mars 2000 à la Cour de cassation sur « Le droit des
[1] de Fontbressin P. In : La protection de l’expert judiciaire. preuves au défi de la modernité ». La Documentation
Biennale de Poitiers 1999. Experts édit. Paris, p. 13–8. française, édit. Paris 2000, p. 7–13.
[2] Lacroix-Andrivet JP. L’administration scientifique de [10] Mezerette JY. Du fait de Droit au Droit de Fait. Revue
la preuve. Experts 2001;50 : 4–6. Experts 2001 no 50, 2–3.
[3] Paolaggi JB, Coste J. Le raisonnement médical, de la [11] Tardieu M, Mikaeloff Y. La sclérose en plaques
Science à la pratique clinique. Estem édit. Paris 2001. de l’enfant : facteurs environnementaux pouvant
[4] Le Douarin N. Les cellules souches, porteuses d’im- influencer son risque de survenue. Bull. Acad. Natle
mortalité. Odile Jacob édit Paris 2007. Méd. 2008;192 no 3, 507–510.

Risque nosocomial – Réflexions


P. Vayre

Il n’est pas de revue médicale ou juridique qui ne effets indésirables des actes médicaux, relevant du
publie régulièrement un article sur le thème même concept sémantique expliquant la modalité
« infection nosocomiale », comme si l’adjectif était de protection sociale. Il s’agit à l’évidence de la
le corollaire obligé du substantif. L’importance du reconnaissance de la notion globale de « patholo-
phénomène retentit considérablement sur le fonc- gie nosocomiale » admise depuis longtemps en
tionnement des systèmes d’assurances en respon- milieu expertal [5].
sabilité des professions de santé. Au point que des Désormais, le terme « nosocomial » dans son contexte
assureurs se sont désengagés de la couverture de sémantique ne doit plus être le corollaire exclusif ni
ce risque. d’infection ni d’hospitalisation. Réciproquement,
Issu de deux racines grecques nosos (maladie) et l’infection, pour l’étude de son étiologie et de sa prise
coumein (soigner), le terme nosocomial concerne en charge, doit être considérée selon les mêmes critè-
étymologiquement les faits pathologiques des res que les accidents médicaux et affections iatrogè-
actes médicaux, ce qui montre bien la double nes. Il s’agit non pas, comme l’a écrit P. Sargos,
méprise consacrée par l’usage à l’avantage exclusif conseiller à la Cour de cassation, de toute infection
de « l’infectiologie hospitalière ». Depuis long- mais uniquement des infections survenues par des
temps, les experts en responsabilité médicale ont actes médicaux [3].
insisté sur ce contre-sens [3]. La pathologie nosocomiale devient ainsi l’expres-
De façon imprévue, la voix législative rétablit la sion médicale du risque sanitaire des juristes. Il
réalité étymologique et sémantique. La loi 2002– s’agit des complications de toutes natures, prévisi-
303 du 4 mars 2002, concernant le risque sanitaire, bles ou non, indépendantes du processus patholo-
inscrit en effet sous la même rubrique « accidents gique initial et de son évolution, mais survenues
médicaux, affections iatrogènes et infections noso- au cours ou au décours d’un acte de prévention, de
comiales » qui sont les trois variétés connues des diagnostic ou de soin et en rapport avec lui, tant

178
Chapitre 5. La responsabilité médicale

au domicile qu’en situation ambulatoire ou en incontrôlable. L’erreur étymologique conduit à la


condition d’hospitalisation. faute sémantique qui entraîne une injustice ! [5]
Entité incontestable, le risque nosocomial est un Le fait nosocomial, quel qu’il soit, doit être consi-
fait médical avéré et non pas un concept médico- déré de la même façon pour la prévention, la thé-
juridique. rapeutique et l’indemnisation du dommage. C’est
D’étiologie plurifactorielle, il correspond à des l’espoir annoncé par la loi du 4 mars 2002 à condi-
preuves anatomopathologiques et physiopatholo- tion de médicaliser d’avantage les commissions
giques. Il peut avoir des conséquences graves, régionales de conciliation et indemnisation
voire mortelles. Le plus souvent, il entraîne une (CRCI), d’homogénéiser la méthodologie de l’ex-
longue incapacité temporaire avec des séquelles pertise et de définir au mieux les limites techni-
plus ou moins invalidantes après des soins péni- ques entre aléa et faute.
bles pour le patient et coûteux pour la société. Il ne doit plus y avoir de distorsion juridique pour
Le terme nosocomial n’a pas de connotation juri- obtenir l’indemnisation à tout prix au nom de la
dique entraînant automatiquement la responsabi- responsabilité sans faute [3]. Cette notion doit
lité médicale. Un esprit compassionnel ne doit pas s’effacer devant celle désormais admise d’aléa
inciter à quitter le chemin du droit, sinon celui de lorsque toutes les obligations légales et réglemen-
la raison. L’expert a le devoir de dire la vérité taires ont été respectées conformément aux règles
concernant l’origine et l’évolution de faits étiopa- de l’art et aux données acquises de la science dans
thogéniques qui ne sont univoques ni pour un le contexte et au moment des faits. Cette orienta-
même patient ni d’un patient à l’autre. La démons- tion concerne les trois variétés de risque nosoco-
tration factuelle et la probabilité statistique orien- mial : accidents médicaux, affections iatrogènes,
tent la réflexion de l’expert. En l’absence de infections nosocomiales [4].
certitude démontrée, l’expert doit savoir exprimer La qualité de la lutte contre le risque nosocomial
son doute. dépend d’une politique pour un choix de société
Quelle que soit sa variété, le risque nosocomial a mettant en balance le coût de la prévention du ris-
deux étiologies possibles : que potentiel et de son évolution en sinistre avec
celui de la prise en charge des méfaits pathologi-
• l’aléa sans faute médico-légale démontrée relève
ques. Les recommandations techniques et organi-
de la solidarité nationale si la gravité est suffi-
sationnelles des sociétés savantes et groupes
samment élevée d’après la loi 2002-303 (IPP 24
corporatifs sont des références utiles pour définir
%, ITT 6 mois, conséquences professionnelles
le comportement estimé adéquat ou non au
ou familiales) ;
moment des faits litigieux. Les données essentiel-
• la faute médico-légale de l’équipe soignante et/ou les sont celles qui sont obtenues par consensus sur-
de l’établissement par mauvaise gestion du risque tout si elles reposent sur des études statistiques
sanitaire incombe à l’assurance en responsabilité confirmées. La pratique d’audit interne rigoureux
civile professionnelle, qui est obligatoire. La faute pour tout fait anormal et l’activité constante et
est en rapport avec un facteur humain dans 20 % régulière des systèmes de vigilance sont les moyens
des cas et avec un dysfonctionnement du système d’alerte conseillés par les assureurs qui ont tout
dans 80 % des cas étudiés [1]. intérêt à réduire le plus possible le pourcentage des
Le classement juridique de l’affaire dépend évi- effets indésirables des actes médicaux.
demment de la démonstration de l’expert désigné Il est notoire que la chirurgie conventionnelle et les
tant en accord amiable qu’en recours juridiction- technologies nouvelles (endoscopie, radiologie
nel, le rapport devant être objectif, réaliste, impar- interventionnelle) sont à l’origine de 70 % des dos-
tial établissant de façon scientifique le lien de siers de risque nosocomial qui est grave dans 10 à
causalité entre les faits incriminés et le préjudice. 15 % des cas ; mais le point essentiel est que la com-
La chimère de la probabilité même statistique ne plication est évitable au moins une fois sur deux !
doit pas être substituée à la preuve réelle, directe, [2] La gestion sécuritaire du risque est la réponse
certaine et déterminante. Le risque nosocomial ne des professionnels de santé à l’ article L. 1110-5 : « les
doit pas orienter vers l’illogique responsabilité de actes de prévention, d’investigation ou de soins ne
principe alors qu’il y a une étiologie multifactorielle doivent pas en l’état des connaissances faire courir

179
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

de risques disproportionnés par rapport au béné- • le risque nosocomial n’est pas obligatoirement le
fice escompté. » résultat d’une faute de l’équipe soignante et/ou
Il faut la volonté de sécuriser le système de santé en de l’établissement ;
diminuant le risque sanitaire dans son ensemble. • le rapport circonstancié de l’expert est le seul
Il faut avoir le courage de sélectionner les équipes moyen d’éviter l’injustice face à une responsabi-
et les établissements… comme le laisse espérer le lité sans faute.
principe d’accréditation. En contrepartie, il faut
que les professionnels de santé reçoivent les moyens
financiers nécessaires pour acquérir les matériels Bibliographie
et assurer la formation continue des personnels. La
[1] David G. Faire un bon usage de l’erreur médicale.
santé n’a pas de prix, mais la sécurité a un coût…
Bull Acad Nat Med 2003 ; 187 : 129–39.
et il faut rester conscient que l’éradication com-
  [2] Gottot S, Quenou JL. Le risque, un danger aux mul-
plète du risque nosocomial est impossible ! tiples visages. Bulletin de l’Ordre des Médecins 2003 ;
Conclusion : La loi du 4 mars 2002 est à inscrire 17 : 20–1.
au crédit de l’action des experts qui insistent   [3] Hureau J. L’infection nosocomiale : la responsabilité
depuis de nombreuses années sur quatre points : médicale face au droit. Bull Acad Nat Med 2001 ; 185
(9) : 1647–58.
• le risque nosocomial ne se résume pas à l’infec-
tion hospitalière ;   [4] Hureau J, De Fonbressin P. Le droit de la responsa-
bilité médicale : les nouveaux enjeux. Bull Acad Nat
• les diverses variétés du risque nosocomial doi- Med 2003 ; 187 (1) : 161–73.
vent être prévenues et prises en charge de la   [5] Vayre P, Vannineuse A. Le risque annoncé de la pra-
même façon ; tique chirurgicale. Springer Verlag, 2003.

La médecine systémique et la culture qualité-sécurité


J. Hureau et Ph. Hubinois

L’exercice de la médecine évolue. Les sciences bio- défaut de pouvoir appliquer le « principe de pré-
logiques de pointe et les plus hautes techniques caution », prennent un maximum de précautions.
qui l’ont colonisée la rendent plus élaborée, plus La chasse aux événements indésirables ne doit
efficace, plus agressive aussi, donc plus risquée. plus être l’apanage exclusif de la réparation ou de
Le médecin acteur singulier fait place à l’équipe, la sanction judiciaire. L’exploitation de l’erreur,
au réseau, à la chaîne de soins. hors tout contexte fautif, doit être conçue comme
un facteur de progrès. Elle ne répare pas, elle pré-
Face à ces changements profonds, seule perdure la
vient. Cette nouvelle culture de la qualité-sécurité
spécificité même de l’activité médicale : « Le
s’impose à tous les acteurs de soins.
médecin, au service de l’individu et de la santé
publique, exerce sa mission dans le respect de la
vie humaine, de la personne et de sa dignité [1]. »
La recherche permanente de la qualité et de la
Qu’est-ce que la médecine
sécurité de l’acte, quelle qu’en soit la nature, doit systémique ?
tendre vers le zéro défaut même si le risque zéro
reste utopique. L’homme vivant, dont nous com- Le fonctionnement systémique
mençons tout juste à appréhender la complexité,
réserve encore plus d’inconnues qu’il n’a livré de
Qu’est-ce qu’un système ?
connaissances certaines. L’exercice de la médecine Le grec σὺστημα, systêma, assemblage, composi-
doit s’imprégner de l’esprit qui prévaut dans les tion, s’intègre au français en 1552 [2]. Le terme
activités humaines les plus contrôlées, celles qui, à n’est véritablement admis qu’en seconde moitié du

180
Chapitre 5. La responsabilité médicale

xviie siècle dans un concept philosophique : anglais son application dans l’expression « syste-
« Ensemble conçu par l’esprit (à titre d’hypothèse, mic circulation », immédiatement transposée en
de croyance) d’objets de pensée unis par une loi ». français en « circulation systémique », ce que l’on
Au xviiie et surtout au xixe siècle, sortant de la qualifiait plus correctement de « grande circula-
pensée pure, le terme prend un sens plus matériel tion » ou « circulation générale ».
et représente « un ensemble coordonné de prati- Par déviation anglomaniaque, ce que l’on dénom-
ques tendant à obtenir un résultat ». Cette défini- mait « affection systématique », c’est-à-dire inté-
tion s’applique à la « médecine systémique ». ressant une partie bien définie de l’organisme, un
Rappelons qu’en français le qualificatif correct système ou une partie de système, est devenu
correspondant serait « systématique » de même « affection systémique ». Par abus de langage, ce
qu’en anglais « systematic ». qui en anglais veut dire général ou généralisé
La terminologie anatomique internationale défi- s’applique en français à un concept localisé, « d’où
nit le système comme l’ensemble des organes qui une certaine confusion dans la littérature médi-
ont une structure analogue, faisant abstraction cale » [5].
de toute référence à la fonction, par opposition au Le langage courant n’y échappe pas. Le « fonction-
terme appareil qui représente l’ensemble des sys- nement systémique » qui doit être une coordina-
tèmes ou parties de systèmes qui concourent à la tion de pratiques tendant à obtenir un résultat est
même fonction (par exemple, appareil locomo- pourtant bien « systématique » au sens étymologi-
teur empruntant aux systèmes osseux, articu- que du terme.
laire, musculaire, vasculaire et nerveux). Il n’y a Rien ne sert de nager contre le courant, fut-il
donc pas d’ambiguïté en anatomie. L’analogie contraire à la logique. La linguistique, jamais en
avec la médecine est tentante. Tout acteur de peine d’innovation, a consacré le substantif « sys-
soins est l’organe d’un système homogène dans sa témique » comme « la technique des systèmes com-
structure et qui concourt, au sein du grand appa- plexes » [6], formule dont l’hermétisme ne peut
reil qu’est la médecine, à la même fonction : être éclairé que par le long développement séman-
soigner. tique qui précède.
Voici ce qu’en écrivent G. David et C. Sureau : « Le
Du système à la systémique fonctionnement systémique est une mise en œuvre
coordonnée d’un ensemble d’acteurs humains et
Pourtant la linguistique comparée n’est pas aussi
de dispositifs matériels (mécaniques, instrumen-
claire. Le xviiie siècle introduit dans le langage
taux, électroniques), dans un processus compor-
général la notion qu’un système est un « ensemble
tant des étapes successives, pour la réalisation
structuré d’éléments naturels de même espèce ou
d’un objectif qui peut être celui d’une production
de même fonction » [2].
(fabrication d’objets ou de produits) ou celui de la
L’adjectif « systématique » en français recouvre un réalisation d’un service (par exemple, transports
sens direct : « qui appartient à un système » et de passagers ou soins des patients). » [7]
un sens dérivé : « qui procède avec méthode, dans
un ordre défini et pour un but déterminé, en
ordonnant les idées en système ». Ainsi la méde-
Exemples de fonctionnement
cine parlait, jusqu’à un passé récent, « d’affection systémique
systématique » ou de « lésion systématique », c’est- Ils sont trop connus pour que l’on s’y attarde lon-
à-dire se rapportant à un même système [au sens guement. Toutefois, chacun d’eux a apporté, dans
anatomo-physiologique] [2]. le temps, sa contribution au développement de
L’anglais a évolué différemment. Il tend à ne plus l’analyse systémique « qui envisage les éléments
retenir pour « systematic » que la méthode et l’or- d’une conformation complexe, les faits (notam-
dre [3]. L’adjectif « systemic », plus récent, pris dans ment les faits économiques ou les interactions rela-
son sens physiologique, concerne tout ce qui se tionnelles) non pas isolément mais globalement, en
rapporte à l’organisme en général, au corps humain tant que parties intégrantes d’un ensemble dont les
considéré comme un tout plutôt qu’à ses différen- différents composants sont dans une relation de
tes parties constituantes [4]. Ce concept trouve en dépendance réciproque » [8].

181
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

L’industrie l’a inventée. La chaîne de production La systémique appliquée


mécanisée et automatisée a réduit la participa- à la médecine
tion humaine directe dans la fabrication.
L’homme surveille et contrôle. La qualité de Du médecin acteur singulier
l’objet produit en série, encore faussement dit à la chaîne de soins
« manufacturé », est évaluée en bout de chaîne,
sur un échantillonnage, pour déceler toute En milieu hospitalier le travail en équipe est
erreur de fabrication. Basé sur la méthode sta- devenu une nécessité et une évidence. C’est ce
tistique « six sigma » née aux USA et devenue qu’exprime J. de Kervasdoué : « L’hôpital est, par
référence mondiale, ce contrôle n’admet que nature, une organisation complexe de par la mul-
trois risques d’erreur sur un million d’objets ou tiplicité des rôles, des acteurs, des techniques et
d’opérations [7]. des attentes souvent contradictoires du public et
des autorités de tutelle » [11]. C’est une véritable
L’industrie nucléaire a poussé l’automatisation au
chaîne de soins, évolution consumériste du ser-
maximum, y compris dans les dispositifs de
vice en médecine qu’il ne faut pas pour autant
contrôle. L’action humaine est alors concentrée
déshumaniser.
sur la gestion des événements anormaux détectés
par les systèmes de surveillance automatisés. Les En pratique médicale libérale une structure ana-
techniques d’automatisation de la surveillance en logue a existé de tout temps. Le médecin de
anesthésie et en réanimation se rapprochent de ce famille, généraliste omnipotent, s’appuyait sur
schéma. l’avis de ses confrères spécialistes, ses correspon-
dants, terme qui, en lui-même, évoque la relation,
Les transports collectifs, rail et plus encore avia-
le rapport, l’échange. La réglementation nouvelle
tion civile, impliquent encore une forte participa-
instituant le médecin référent n’a fait qu’institu-
tion humaine mais reposant également sur des
tionnaliser, peut-être de façon un peu rigide et
dispositifs automatiques de contrôle, de préven-
non sans quelques incohérences, un état de fait
tion et de sécurité. On leur doit le développement
ancien car nécessaire. C’est aussi une chaîne de
de l’exploitation rigoureuse de tout accident,
soins.
quelle qu’en soit la gravité, y compris de l’inci-
dent resté sans conséquence, le « near miss » ou Entre les deux, les réseaux finiront sans doute par
« presque accident ». Ainsi a été développée la trouver leur équilibre si une certaine souplesse
démarche dite de « retour d’expérience » dont les d’organisation leur est accordée.
règles ont été posées par la Directive européenne
du 21 novembre 1994 [9]. Être responsable n’est pas être
Les services publics de santé ont, depuis longtemps, fautif
fait, sans le savoir, une analyse systémique de leurs L’événement indésirable fautif est encore trop sou-
activités reconnue par la juridiction administra- vent le seul à retenir l’attention des censeurs de la
tive (CE. arrêt du 16 novembre 1955) qui inaugure médecine. La faute doit être réprimée, punie,
les formules du type : « … le fait dommageable réparée. Il faut pour cela un coupable. Le fonc-
révèle un fonctionnement défectueux du service tionnement collectif vers lequel tend l’exercice des
public de nature à engager la responsabilité de l’ad- soins aux malades a amené le droit prétorien à
ministration… ». La responsabilité reconnue est s’adapter. Toute une jurisprudence s’est dévelop-
celle d’une chaîne de production. pée qui concerne la responsabilité d’autrui dans
Le fonctionnement de l’appareil judiciaire lui- l’exercice médical pluridisciplinaire [12] : respon-
même n’échappe pas à l’analyse systémique. sabilité conjointe ou partagée ? Il serait trop long
A. Garapon écrit : « La responsabilité de la justice d’en traiter ici. Rappelons l’arrêt du 8 décembre
ne peut se borner à rechercher une faute person- 1987 (CC. Bull. civ.) : « … un praticien est tenu
nelle chez le juge ou chez un autre professionnel d’une obligation personnelle de contrôle et d’in-
du droit. L’erreur judiciaire s’explique également formation et ne doit pas s’en remettre uniquement
par des dysfonctionnements objectifs du système, à l’appréciation ou aux prescriptions d’un confrère
c’est-à-dire l’organisation du service public de la même lorsque celui-ci n’est pas placé sous son
justice. » [10] autorité ou qu’il n’a pas été choisi par lui… ».

182
Chapitre 5. La responsabilité médicale

Mais s’en tenir à la seule recherche de la faute c’est • l’urgence exige une décision immédiate, non
se condamner à une vision et à une action réduc- sans réflexion, mais sans « délibéré » ; la chaîne
trices dans l’étude et l’exploitation de l’erreur. de soins est temporairement rompue ;
L’exploitation de l’erreur reconnue doit être un • certaines décisions restent in fine totalement
facteur d’amélioration et de progrès [13]. individuelles et, dans certains cas d’urgence
L’erreur ne doit plus être traitée sous son seul vitale, prennent un caractère irréversible et
aspect fautif répressible mais pour ce qu’elle « sans appel ».
apporte d’alarme sur le fonctionnement systémi- La chaîne de soins doit s’adapter en permanence
que. Elle devient agent de compréhension, de pré- aux variables auxquelles elle est soumise, expli-
vention, de prévision et s’intègre dans le processus quant les difficultés de standardisation et de pla-
des prises de précautions… à défaut d’atteindre nification du travail et de ses résultats.
les sommets occupés par le « principe de précau-
tion ». Elle fait partie de l’analyse systémique en La chaîne de soins est un modèle
médecine comme dans les autres domaines d’acti- systémique complexe et fragile
vités humaines créatrices de biens ou de services.
D’une manière générale deux facteurs y contri-
buent :
Le fonctionnement systémique
• l’importance encore prédominante du rôle des
en médecine acteurs humains dont on sait qu’ils sont le
Les spécificités du modèle systémique maillon faible de toute chaîne de production ;
médical
• la nécessité pour cette organisation d’être en
Avec G. David et C. Sureau [7] retenons que l’acti- permanence ouverte sur toutes les nuisances
vité médicale a des spécificités constitutionnelles extérieures, aussi protégés que puissent être cer-
et des spécificités fonctionnelles. tains secteurs. Le meilleur exemple en est donné
La spécificité constitutionnelle est que tout acte par le risque d’infection nosocomiale en milieu
médical réalise, à des degrés divers, une atteinte à hospitalier [14].
l’intégrité physique ou psychique de la personne
Quelques exemples de vulnérabilité d’une telle
humaine. Sa seule justification est l’intérêt du
chaîne de soins
malade [1]. Cet acte, le médecin ou tout autre soi-
gnant habilité n’a le droit et le devoir de l’accom- Certains secteurs d’activité médicale ont réagi de
plir en toutes circonstances qu’en vertu de sa façon globale à cette fragilité :
formation et des diplômes et autorisations qui lui • l’anesthésie – Entre 1978 et 1982 il a été constaté
sont conférés. Faute de quoi il tombe sous le coup une mortalité élevée de 339 décès pour 1 million
de l’article 16-3 du Code civil ou même des arti- d’anesthésies (# 0,34 ‰). L’analyse systémique
cles 222-19 à 21, voire 221-6 et 7 du Code pénal. des événements indésirables (humains et maté-
Les spécificités fonctionnelles sont multiples. Elles riels) a permis, par une exploitation préventive
éloignent le modèle systémique médical du modèle des erreurs, de diviser par 10 cette mortalité
industriel : comme l’a montré l’enquête de contrôle entre
1996 et 1999 ;
• chaque patient est une individualité avec ses
réactions organiques et psychiques variables et • la lutte contre les infections nosocomiales (infec-
souvent imprévisibles ; tions liées aux soins) – Elle est menée dans tous
les pays développés au monde et plus particuliè-
• l’obligation de confidentialité renforce le carac-
rement en Europe sous l’impulsion de la
tère individuel de l’acte ;
Recommandation R(84) 20 du 25 octobre 1984
• l’acte de soins n’est jamais un « produit fini ». Il du Conseil de l’Europe. Les nombreuses enquêtes
exige un contrôle et un suivi permanent de son analytiques ont permis de mieux appréhender la
résultat jusqu’à la guérison recherchée ; complexité des facteurs en cause. C’est de leur
• l’obligation d’accueil en urgence et de soins en connaissance, du moindre des événements indé-
toute circonstance place le soignant devant le sirables d’origine humaine à la plus grave erreur
problème de ses compétences et de leurs limites ; conceptuelle, architecturale par exemple, que

183
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

peut naître l’effet de correction et de prévention, soins doivent être traités. Seul le signalement de
démarche typique d’analyse systémique [15]. leur survenue, à la base, par les acteurs de terrain,
est adapté à l’évolution des risques complexes
D’autres n’ont fait l’objet que d’un traitement par-
intéressant des disciplines ou des secteurs hospi-
tiel sous l’impulsion d’un événement spécifique
taliers divers. La systémique appliquée à la méde-
dont le retentissement politico-médiatique a
cine débouche sur une nouvelle culture de la
occulté tout un pan des problèmes médicaux
qualité-sécurité qui doit être enseignée à tous
concernés :
ceux qui, directement ou indirectement, partici-
• ainsi la mise en place du réseau de pharmaco­
pent à la chaîne de soins.
vigilance est-elle efficace pour surveiller la sur-
venue d’effets indésirables non détectés avant la
mise sur le marché des médicaments. Elle ne
contrôle pas, par contre, l’importante masse des
effets indésirables liés à l’administration médi-
La culture qualité-sécurité
camenteuse quotidienne à l’ensemble de la en médecine
population. E. Schmitt, en 1999, a eu le mérite
d’aborder ce problème sous l’angle systémique, Les événements indésirables
reliant en particulier le circuit hospitalier du en médecine
médicament et la qualité des soins. Là encore, le
maillon faible humain peut bénéficier du Définition et classification
contrôle de dispositifs automatiques informati- des événements indésirables
sés à toutes les étapes du circuit [16-17-18] ; en médecine
• de même la transfusion sanguine, déstabilisée La définition large de l’événement indésirable sur-
par la contamination par le virus du Sida, venant dans un établissement de soins regroupe
a-­t-elle bénéficié des structures d’hémovigi- l’ensemble des événements qui mettent en jeu la
lance mises en place et le risque de transmis- sécurité de toutes les personnes présentes dans
sion virale a-t-il diminué de façon considérable, l’établissement.
devenant compatible avec la poursuite de l’ac-
Nous limiterons le propos aux événements indési-
tivité transfusionnelle. Pour autant « persiste
rables liés aux soins, expression prise dans son
un taux beaucoup plus élevé d’erreurs graves
sens également le plus large, incluant les condi-
par incompatibilité immunologique » [7] qui
tions matérielles et d’environnement (y compris
échappent au contrôle de l’hémovigilance.
architecturales) dans lesquelles lesdits soins sont
Elles relèvent de l’analyse systémique en milieu
donnés.
hospitalier.
« Un événement indésirable lié aux soins peut être
L’adaptation de l’analyse systémique défini comme un événement défavorable pour le
au modèle médical patient, consécutif aux stratégies et actes de dia-
Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, la gnostic, de traitement, de prévention ou de réha-
médecine hospitalière, devenue systémique tout bilitation » [19].
en restant humaine, ne pourra jamais atteindre La survenue d’un tel événement peut être le fait
dans ses résultats la rigueur exigée par les contrô- d’une erreur, erreur individuelle dite erreur active
les de qualité dans l’industrie de production. ou erreur systémique dite erreur latente. Cette
L’analyse systémique lui est pourtant tout aussi dernière, même commise par un maillon humain
applicable. Elle a donné lieu à l’organisation pro- de la chaîne, peut « résulter en fait d’un défaut glo-
gressive de nombreux systèmes de vigilance dont bal de conception, d’organisation ou de fonction-
il a été cité quelques exemples. Ils ont fait la preuve nement de la chaîne n’ayant pas prévu cette
de leur efficacité dans leur domaine pour corriger défaillance » [7]. Résultat d’une erreur, l’événe-
des pratiques liées à des activités spécifiques. Il en ment indésirable est dit « évitable ».
résulte un cloisonnement qui, nous l’avons vu, Un événement indésirable est par contre jugé
peut les rendre partiellement inopérantes. Tous « inévitable » si « la prise en charge du patient a été
les événements indésirables dans la chaîne de considérée comme satisfaisante, notamment dans

184
Chapitre 5. La responsabilité médicale

l’appréciation du rapport bénéfice/risque » face indésirable qui, en bout de chaîne, aura déclenché
aux décisions prises [19]. l’accident et le dommage n’aurait le plus souvent
Une classification simple reconnaît : pas été suffisant par lui-même s’il n’avait été pré-
cédé d’une chaîne de risques. Il appartient à l’ana-
• l’incident, terme qui ne préjuge pas de la gravité
lyse systémique de révéler une telle probabilité
de l’événement mais du fait qu’il n’a pas été res-
composée de risques.
ponsable d’un dommage avant son identifica-
tion ou son signalement ; il est resté peu
important, non en lui-même, mais par l’absence Fréquence des événements
de conséquences qui lui soient imputables ; c’est indésirables en médecine
le « near miss » anglais ou « presque accident »,
lorsque le dysfonctionnement s’est produit mais Ph. Michel et ses collaborateurs [19] ont réalisé en
sans conséquence dommageable ; 2005, dans le cadre de l’Étude Nationale sur les
• l’accident est, au contraire, un événement res- Événements Indésirables graves liés aux soins
ponsable d’un dommage plus ou moins grave ; il (ENEIS), la première grande enquête nationale
peut, de ce fait, ouvrir droit à réparation. française sur le sujet.
Comme dans les études américaines antérieures
Au regard de l’analyse systémique ces deux types (Harvard – 1991, et États du Colorado et de l’Utah
d’événements indésirables revêtent la même – 2000), ils n’ont retenu que les événements indé-
valeur d’alerte, qu’ils soient imputables à une sirables graves liés aux soins (EIG).
erreur active ou latente, qu’ils soient qualifiés
d’évitables ou d’inévitables. Ils les définissent comme des événements ayant :
• une nature défavorable pour le patient ;
La place de l’aléa mérite d’être précisée.
• un caractère certain de gravité, car susceptibles
Nous en avons proposé la définition suivante : d’entraîner une prolongation de l’hospitalisa-
« L’aléa médical réalise un risque potentiel inhérent tion d’au moins un jour, ou pouvant être à l’ori-
à toute action médicale de soins, de santé publique gine d’un handicap ou d’une incapacité à la fin
ou de recherche. Identifiable mais incertain, il est de l’hospitalisation, ou s’ils sont associés à une
généralement statistiquement mesurable mais non menace vitale ou à un décès ;
individuellement prévisible. En l’état des données
acquises de la science à la date de sa survenue, il • un lien avec les soins de prévention, de diagnos-
n’est maîtrisé par aucune des mesures de préven- tic, de thérapeutique ou de réhabilitation.
tion ou de prudence connues à la date des faits. Il Ainsi limitée, l’étude statistique fournit les chif-
est indépendant de toute faute du praticien. Il fres suivants :
cause un dommage sans rapport avec l’état anté- • enquête sur 292 unités de soins (toutes discipli-
rieur ou avec la pathologie propre du malade au nes confondues) dans 71 établissements ;
moment des faits. C’est la survenue d’un phéno- • 8 754 patients suivis pendant 7 jours au
mène fortuit normalement exonératoire de la maximum ;
­responsabilité. » [20]
• sur un total de 35 234 journées d’hospitalisa-
L’aléa se différencie de l’événement indésirable
tion, 450 EIG ont été détectés divisés en 2 caté-
inévitable par sa non-prévisibilité. Il sort du
gories :
champ de l’analyse systémique pour entrer dans
celui du « principe de précaution ». Comme lui, il – 195 EIG, générés en médecine de ville ou dans
oblige à se prémunir contre un danger inconnu. un autre établissement, étaient à l’origine de
Une fois réalisé et identifié, il pourra néanmoins l’hospitalisation. Ils représentent 3 à 5 % des
être exploité de façon constructive. Il devient un admissions soit, rapportés à l’ensemble des
véritable événement indésirable. hospitalisations en France, une fourchette
La chaîne de risques. Il est fréquent qu’un accident annuelle de 175 000 à 200 000 EIG, dont 46,2 %
soit l’aboutissant d’une succession d’événements considérés comme évitables, surtout liés à des
indésirables, chacun responsable d’un risque. produits de santé (# 50 %) ;
C’est l’accumulation des risques dans la chaîne de – 255 EIG ont été identifiés en cours d’hospitali-
soins qui peut être cause de l’accident. L’événement sation. Le taux d’incidence est évalué à 6,6 ‰

185
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

journées d’hospitalisation. Pour l’ensemble de ques sont posées : « La gestion de la qualité et la
la France la fourchette annuelle s’établit entre prévention des risques visent à mettre en place au
140 000 et 240 000 EIG dont 35,4 % considérés sein de l’Établissement un système opérationnel
comme évitables ; comprenant l’ensemble des moyens humains,
– sur l’ensemble de la France on évalue de techniques et organisationnels pour répondre
315 000 à 440 000 le nombre d’EIG, toutes dis- aux besoins des patients, améliorer la qualité des
ciplines confondues, dont 125 000 à 205 000 prestations, assurer la continuité des soins et pré-
pourraient être évitables. venir les risques liés aux processus de soins » ;
• la loi du 4 mars 2002, en dépit de son titre,
Cette statistique impressionne. Elle ne prend en
méconnaît le caractère utile du traitement de
compte que les événements indésirables graves
l’erreur dans la gestion de la qualité des soins et
directement liés aux soins. Elle fait une véritable
la prévention du risque. Aucun garde-fou n’y est
analyse systémique des causes (erreurs) latentes et
prévu pour éviter une utilisation exclusivement
conclut à la « mise en évidence du rôle essentiel des
répressive de la déclaration obligatoire des évé-
questions d’organisation et de communication ».
nements indésirables [7] ;
C’est dire tout l’intérêt de l’exploitation construc-
• la loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’as-
tive de tous les événements indésirables dans la
surance maladie fait de la qualité un des outils
chaîne de soins, quelle que soit leur gravité ou leur
majeurs de la régulation du système de santé.
origine.
Elle crée les conditions de la 2e procédure d’ac-
créditation des établissements de soins dont le
L’exploitation constructive manuel est publié par l’ANAES en septembre
de l’événement indésirable 2004, conformément à la circulaire DHOS/E2/
E4 no 2004-176 du 29 mars 2004 (par cette même
Les fondements de la culture loi, l’HAS succède à l’ANAES dans cette fonc-
qualité-sécurité en médecine tion au 1er janvier 2005).

La qualité des soins est une exigence morale, déon- La sécurité en médecine est une exigence de société
tologique et réglementaire pour tout acteur de et un devoir pour l’ensemble des acteurs de la
soins. chaîne de soins. Qualité et sécurité sont indisso-
ciables. À la base est le signalement des événe-
Dans le code de déontologie médicale [1] l’exigence ments indésirables.
morale est rappelée par l’article 3 et l’exigence de
qualité et de sécurité aux articles 8-11-70-71-95
et 97. Le signalement des événements
Les textes : indésirables – exploitation –
• la loi du 31 juillet 1991 a introduit l’obligation efficacité
pour les établissements de santé de la garantie C’est à partir des dysfonctionnements, situations
de la qualité des soins par la mise en place de de non-qualité, que l’on peut ajuster et faire évo-
l’évaluation des pratiques professionnelles et de luer l’organisation. Cette démarche procède en
l’organisation des soins ; 4 temps au service d’une finalité claire :
• l’ordonnance 94-346 du 24 avril 1996 définit le
cadre réglementaire dans lequel cette politique Le signalement de l’événement
va s’exercer ; indésirable
• le décret no 97-311 du 7 avril 1997 précise la pro- Il concerne toute situation à risque, incident ou
cédure d’accréditation des établissements de accident. Il donne lieu à la rédaction d’une fiche de
santé ; signalement par le témoin, quelle que soit sa fonc-
• en février 1999, l’ANAES publie son manuel d’ac- tion et quel que soit le moment. C’est le document
créditation. Parmi les référentiels figurent « la de référence. Tous les domaines d’activité au sein
gestion de la qualité et la prévention des risques ». de l’établissement sont concernés par cette procé-
Les bases d’un système global de gestion des ris- dure. C’est la nécessité prégnante de l’information

186
Chapitre 5. La responsabilité médicale

L’analyse de l’événement indésirable • impliquer chaque professionnel et contribuer au


C’est la démarche de compréhension par la cellule développement d’une culture qualité-sécurité
de gestion des risques qui reçoit la fiche de qui concerne non seulement les risques clini-
signalement. ques (liés aux soins) mais également tous les ris-
ques communs à toute organisation (techniques,
Les propositions correctives environnementaux, informatiques, sociaux,
ou préventives financiers…).
Faites par la cellule de gestion des risques, elles
gèrent deux situations :
Les conditions nécessaires
• le dysfonctionnement qui peut être traité
du signalement et de son
immédiatement ;
exploitation
• le dysfonctionnement qui relève de l’un des
organes de vigilance institués au sein de l’éta- Une adhésion de tous à la culture
blissement (CLIN, biovigilance, hémovigilance, qualité-sécurité. Une nouvelle mentalité
matériovigilance, CHSCT pour la procédure de Une éducation de l’ensemble du personnel de
sécurité, voire médecin du travail si le personnel l’établissement à cette nouvelle culture est
est concerné). nécessaire. La signalisation ne doit pas être res-
sentie comme une dénonciation, voire une diffa-
Dans tous les cas, il y a réaction et contrôle par le mation :
Comité de gestion du risque informé.
• la survenue d’un événement indésirable n’est
C’est le stade de l’action. pas synonyme de sinistre mais de risque poten-
Le suivi des actions préconisées tiel, voire de presque accident ;
Il est assuré par : • le signalement n’est pas une perte de pouvoir ou
de responsabilité pour le personnel ;
• l’information diffusée aux instances internes
(direction) et aux services extérieurs de contrôle • le signalement n’est pas un moyen de délation ;
s’il y a lieu ; • le signalement n’est pas un aveu de responsabilité ;
• dans tous les cas par la rétro-information des • le signalement vise la sécurité des patients, la
déclarations aux services concernés par l’envoi qualité des soins et la gestion des plaintes.
d’une synthèse des événements déclarés et des Pour que le système fonctionne, il importe :
mesures prises pour la correction et la
prévention ; • que le signalement et son exploitation soient
gérés dans un anonymat absolu ;
• le contrôle de la bonne application des dites
mesures ; • que le personnel soit persuadé du bien-fondé de
la démarche et de l’absence de toute retombée
• l’évaluation en retour de leur efficacité. disciplinaire… voire judiciaire (plainte d’un
C’est le retour d’expérience. patient pour un risque potentiel même si le
dommage ne s’est pas produit).
La finalité de cette procédure
En résumé le système doit être simple, rapide,
Elle vise à : objectif, systématique et confidentiel.
• identifier et relever les événements indési­rables ;
Des sécurités réglementaires doivent être
• centraliser les informations ;
mises en place [21]
• évaluer les situations à risques et y remédier en
L’exigence du signalement en médecine est déjà
améliorant les procédures d’organisation et de
encadrée dans d’autres pays qui ont fait le constat
fonctionnement ;
que la survenue d’éventuels contentieux judiciai-
• analyser les informations ; res était de nature à pénaliser le développement
• disposer de statistiques sur la nature, la cause, des activités d’évaluation.
l’origine, la fréquence et la gravité des incidents ; Au Danemark, une loi est en vigueur depuis
• orienter la politique de qualité ; ­janvier 2004 :

187
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

• la déclaration des incidents ou presque accidents mises en œuvre dans un contexte d’insécurité juri-
par les professionnels est obligatoire ; dique portant sur :
• l’hôpital assure la confidentialité des informa- • la nécessaire autorisation du patient pour l’utili-
tions concernant les patients et les profes­ sation de son dossier médical,
sionnels ; • l’éventuelle utilisation, à l’encontre des profes-
• le consentement du patient n’est pas requis pour sionnels, des informations produites dans le
l’utilisation de l’information ; cadre des activités d’évaluation.
• le recueil national est anonymisé ; Or, en France, il n’existe aucune législation spéci-
• aucune mesure disciplinaire ou pénale ne peut fique aux activités d’évaluation de soins (audits de
être prise contre les professionnels au vu des élé- pratiques ou de dossiers, revues de mortalité-­
ments déclarés et c’est là un dispositif des plus morbidité, analyse d’événements indésirables). La
importants. loi du 4 mars 2002 leur est applicable. Le recueil
du presque accident et la compréhension des cau-
Aux États-Unis, les données concernant les inci-
ses d’un événement, en particulier pour les infec-
dents et les activités de contrôle comme les revues
tions nosocomiales, ne peuvent se faire qu’à partir
de mortalité-morbidité (peer reviews) recueillies
de données contenues dans le dossier des patients.
dans les établissements sont protégées par la légis-
Ces données sont susceptibles d’être utilisées à
lation dans l’ensemble des États. Les activités de
l’occasion de la mise en cause civile ou pénale des
révision réalisées par les paires dans un établisse-
professionnels qui auraient contribué à les mettre
ment de santé à des fins d’amélioration sont proté-
à jour.
gées ; un pair ne peut être contraint à témoigner
en raison de ce type d’activité. Les actions correc- Le souci de « transparence » manifesté par nos
trices ne constituent jamais un élément de preuve législateurs a été poussé très loin dans de nom-
de négligence ou de faute. breux domaines de l’activité médicale et l’on sait
l’usage incontrôlé qui en est fait par la grande
En Australie, toute personne qui a participé à une presse lorsqu’elle publie, par exemple, un classe-
revue de mortalité-morbidité, ou à toute évalua- ment des établissements hospitaliers sur des critè-
tion sur la qualité du système de santé, ne pourra res parfois hautement discutables.
être interrogée sur ces sujets en tant que témoin,
lors d’un recours contentieux. Pour n’en donner qu’un exemple, rappelons que
l’ONIAM (art. L. 1142-8 du CSP) est tenue de
En France, pour l’aviation civile, le principe de la signaler aux autorités compétentes les infections
limitation des sanctions disciplinaires est inscrit nosocomiales qu’elle a indemnisées. Elle doit le
dans la loi no 99-243 du 29 mars 1999 relative aux faire nominalement dans son rapport annuel
enquêtes techniques sur les accidents et les inci- accessible à tout citoyen français, et ce sans qu’il
dents dans l’aviation civile : ait été statué sur le caractère fautif ou non de la
« Art. L. 722-2 du Code de l’aviation civile – Toute responsabilité supportée par l’établissement stig-
personne impliquée, de par sa fonction, dans un matisé dans le rapport.
incident qu’elle a spontanément et sans délai La signalisation au patient lui-même est devenue
signalé à l’organisme permanent et, le cas échéant, également une obligation de transparence selon
à son employeur ne peut faire l’objet d’aucune tous les textes en vigueur. La circulaire DHOS/
sanction disciplinaire ou administrative sauf en DGS/E2/5C 2004-599 du 13 décembre 2004 rela-
cas de manquement délibéré ou répété aux règles tive à la mise en œuvre du programme national
de sécurité ». de lutte contre les infections nosocomiales pour
La Haute Autorité de Santé (HAS) a pris la mesure 2005/2008 dans les établissements de santé,
du risque de rejet que pouvait engendrer une « acti- reprenant tous les textes précédents, est très
vité d’évaluation de la qualité dans le domaine des claire sur l’ampleur à donner à l’information de
soins ». nos patients sur « le risque infectieux lié aux
Elle a fait le constat que les activités d’évaluation, soins ».
dont le signalement des événements indésirables Il est même prévu, dans le suivi des accrédita-
est la base du suivi permanent de la qualité, étaient tions des établissements de santé en France, de

188
Chapitre 5. La responsabilité médicale

classer ceux-ci en fonction de ce critère pour vis-à-vis du risque pour légiférer… le rêve en
une meilleure information du public par la somme. La cindynique (« kindunos » : danger, ris-
­publication de l’Indice Composite des Activités que), science du danger, des accidents, de l’éva-
de Lutte contre les Infections Nosocomiales luation des risques et de la recherche de la sécurité
(ICALIN) [22]. a encore de beaux jours devant elle [25].
Loin de nous, l’idée de vouloir attenter au sacro-
saint principe de transparence concernant les
infections nosocomiales comme d’autres domai- Conclusion
nes de la responsabilité des acteurs de soins. Il faut
toutefois souligner les risques que peut faire cou- « Le scandale est l’effet que produit d’ordinaire la
rir à l’exercice de la médecine l’exploitation abu- révélation d’une action cachée » – François de La
sive et incontrôlée de certaines informations mal Rochefoucault
comprises. L’introduction de la systémique dans les pratiques
Le groupe de travail de l’HAS [21] écrit : « À l’ins- de la médecine moderne a eu pour corollaire de
tar des pays occidentaux, la clarification du cadre faire prendre conscience, depuis ces trois derniè-
juridique de la réalisation des activités d’évalua- res décennies, de l’importance quantitative des
tion et la protection des professionnels qui s’y événements indésirables dans cette activité de
engagent de bonne foi ne peuvent être obtenues plus en plus contrôlée.
sans aménagement de la législation. » Un changement radical des mentalités est néces-
Cette imperfection de notre droit met en lumière saire pour tous ceux qui, directement ou indirec-
un risque supplémentaire dans le fonctionnement tement, exercent un pouvoir sur la chaîne de soins,
systémique de la chaîne de soins, le risque diœké- qu’ils soient soignants, techniciens, administra-
tique (« dioiketikos » signifiant administratif), teurs, juristes ou législateurs.
mot utilisé par Platon et remis en exergue par C’est aux médecins que ce texte s’adresse en pre-
Maurice Cara [23]. La mauvaise rédaction des mier lieu. G. David et C. Sureau écrivent :
textes ou leur inadaptation à des circonstances « Cette ignorance [de l’importance quantitative
nouvelles peut se révéler être un véritable événe- des événements indésirables] traduisait en fait
ment indésirable, qui doit être signalé, analysé, une réticence du corps médical à reconnaître la
corrigé avec un suivi en retour d’expérience. possibilité de défaillances. Le médecin, profondé-
Malheureusement, la machine législative et ment imprégné du devoir d’un exercice sans
administrative est lourde. Dans une récente faille, vivait dans un refoulement de la notion
séance de l’Académie Nationale de Médecine d’erreur. Si, malgré tout une telle défaillance
consacrée à la Santé Publique [3 octobre 2006], la échappait au climat de dissimulation, elle ne
question a été posée du devenir du travail fait au pouvait connaître que deux explications, l’aléa
sein de l’HAS [24]. Alors que l’on pouvait espérer ou la faute. Le premier relevait de l’imprévisible,
une conclusion avant la fin de l’année 2007, il de l’inévitable, de la fatalité. Quant à la faute,
apparaît que le problème est trop complexe pour vécue par la profession comme une trahison du
recevoir une solution avant 2 à 3 ans, même si devoir d’infaillibilité, elle était abandonnée, en
l’aviation civile l’a déjà résolu. Il intéresse l’en- sacrifice expiratoire, sur l’autel de la justice.
semble des activités humaines et nécessite un Ainsi pouvait-on perpétuer l’illusion d’une méde-
texte général. En outre, et plus particulièrement cine sans défaillance ».
pour la médecine, il se heurte à l’obligation d’in-
formation et de transparence vis-à-vis des Ces temps sont révolus. L’erreur, pour être com-
citoyens (loi du 4 mars 2002) alors que, nous battue, doit être considérée sous son aspect posi-
l’avons vu, une démarche de traitement de l’évé- tif, constructif, à travers l’analyse systémique qui
nement indésirable ne peut se faire que dans en est faite.
l’anonymat et la confidentialité. En pratique, cela L’ampleur du phénomène en médecine nécessite la
est irréaliste. Il faut donc, nous a-t-il été dit, mise en place d’une organisation très structurée.
d’abord ouvrir le grand public à la nouvelle Il appartient à la « base » de recueillir toutes les
culture et obtenir un changement des mentalités informations, de les traiter et de les trier.

189
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Ce niveau local, essentiel, doit être soutenu dans [4] Mac Nalty A.S. Butterworths medical dictionnary
sa démarche qualité-sécurité par les instances de Butterworth London, 1965.
tutelle au premier rang desquelles se situe l’Agence [5] Manuila A, et al. Dictionnaire français de médecine
régionale d’hospitalisation. et de biologie. Masson edit. Paris 1981.
[6] Le Petit Robert. Paris : Société du nouveau Littré édit,
Il appartiendra, ensuite et seulement, au niveau 2007.
national (Ministère de la santé) de regrouper les
[7] David G, Sureau C. De la sanction à la prévention.
données triées, d’en faire la synthèse et de les Pour une prévention des événements indésirables
exploiter en liaison avec les filières organisées par liés aux soins. Rapport à l’Académie Nationale
certaines disciplines et avec les réseaux de vigi- de Médecine le 28 mars 2006 – adopté le 4 avril
lance déjà en place. 2006. Bull. Acad. Natle Méd 2006, 190, no 3 (sous
presse).
Il pourrait en découler des recommandations de
[8] Le petit Larousse illustré. Larousse édit. Paris 2005,
bonne pratique par le canal de l’HAS, voire des
100e édition.
mesures réglementaires par voie ministérielle.
[9] Directives 94/56/CE du Conseil de l’Europe du
Telles sont les conclusions adoptées par l’Acadé- 21 novembre 1994 établissant les principes fonda-
mie Nationale de Médecine le 4 avril 2006, rap- mentaux régissant les enquêtes sur les accidents et
port auquel nous emprunterons ses dernières incidents de l’aviation civile.
phrases [7] : [10] Garapon A. Les nouvelles responsabilités de la jus-
tice. In Les juges, un pouvoir irresponsable. Nicolas
« La condition essentielle pour assurer le succès Philippe, 2003, p. 11.
de cette entreprise est qu’elle résulte de la prise
[11] de Kervasdoué J. L’hôpital. Que sais-je ? PUF édit. Paris
de conscience par tous de sa nécessité afin qu’elle 2004.
soit fondée sur le volontariat et que tous les
[12] Sargos P. In : Aspect de la doctrine de la Cour de cas-
intervenants acquièrent la conviction d’une sation en matière de responsabilité : la responsabilité
nouvelle responsabilité. À la responsabilité per- médicale en matière d’exercice médical pluridiscipli-
sonnelle habituelle à l’égard de ses propres fonc- naire. Médecine et Droit, mars-avril 1996, p. 17.
tions doit s’ajouter une responsabilité collective [13] David G. Faire bon usage de l’erreur médicale. Bull
à l’égard du bon fonctionnement du système. Acad. Natle Méd 2003, 187, n° 1, 129-139.
Loin de diminuer le sens du devoir qu’a tout soi- [14] Hureau J. L’infection nosocomiale : la responsabilité
gnant, il doit le renforcer par la conscience que médicale face au droit. Bull. Acad. Natle Méd. 2001,
la sécurité du patient dépend de l’action soli- 185, n° 9, 1647-1658.
daire de tous » [15] Hureau J. L’infection nosocomiale ; aspects médico-
juridiques. In L’expertise médicale en responsabilité
Insistons, pour terminer, sur une presque évi- médicale et en réparation d’un préjudice corporel.
dence : demander toujours plus de transparence Elsevier-Masson édit. Paris 2009, 3e édition.
au personnel médical et paramédical, réclamer [16] Hureau J, Simard M, Cabrit R, Bernard Ph. F. Une
une révolution dans la mentalité des soignants et expérience d’information intégrée du circuit du
de tous les responsables de la chaîne est une néces- médicament. Bull Acad. Natle Méd 2004, 188, n° 1,
sité. Mais elle n’a de chance de pouvoir être atteinte 125-137.
sans une parallèle et tout aussi nécessaire modifi- [17] David G. Le circuit hospitalier du médicament : une
cation sociétale dans l’approche de l’incident ou approche systémique. Bull Acad. Natle Méd, 2005,
189, n° 8, 1743-1750.
de l’accident médical, qui devra dorénavant être
préventive avant même que répressive. [18] Queneau P, Uzan A. Recommandations synthéti-
ques pour la prévention des accidents médicamen-
teux évitables. Bull Acad. Natle Méd 2005, 189, no 9 ,
Bibliographie 1875-1876.
[19] Michel P, Quenon JL, Djhoud A, Tricaud-Vialle S, de
[1] Code de déontologie médicale. Décret no 95-1000 du Sarasqueta AM, Domec S. In : Les événements indé-
6 septembre 1995. sirables graves liés aux soins observés dans les éta-
[2] Robert P. Dictionnaire alphabétique et analytique de blissements de santé : premiers résultats d’une étude
la langue française. Société du nouveau Littré, édit. nationale. Études et résultats ; 2005. no 398, 1-15.
Paris 1964. [20] Hureau J, de Fontbressin P. Le droit de la responsabi-
[3] Harrap’s. Dictionnaire anglais-français. Bordas, lité médicale. Les nouveaux enjeux. Bull Acad. Natle
édit. Paris 1975. Méd 2003 ; 187 : 161–73no 1.

190
Chapitre 5. La responsabilité médicale

[21] HAS. Statuts juridiques des activités d’évaluation [23] Cara M. Le risque diœkétique, facteur de risque
de la qualité des soins (Note de synthèse provi- méconnu en médecine d’urgence Le Quotidien du
soire du 18 novembre 2005) – communication Médecin. 10 octobre 2001no 6985.
personnelle. [24] Degos L. La Haute Autorité de Santé – séance du 3
[22] Bertrand X. Mesurer la qualité des soins dans les éta- octobre 2006. Bull. Acad. Natle Méd 2006, 190, no 7,
blissements de santé. L’indicateur de lutte contre les 1327-1338.
infections nosocomiales. Discours du Ministre de la [25] Cara M. Dictionnaire de l’Académie de Médecine –
Santé et des Solidarités. 6 février 2006. – www.santé. Dictionnaire d’anesthésie, réanimation, urgences.
gouv.fr. Paris : CILF (PUF) édit Paris 2001.

Évolution du droit civil en responsabilité médicale.


La jurisprudence
J. Hureau

« Il est aussi aisé de bien dire que difficile de l’individu face à sa maladie et à son médecin ?
bien faire. » Que penser d’un discours qui, à la fois, prône
Charles Gravier, Comte de Vergennes. l’obligation de résultat, dénonce l’acharnement
« L’art médical est un art d’intelligence dans thérapeutique et impose une limitation des
les choix et dans les risques. » moyens ? [19]
Me François Sarda
Quelle que soit la juridiction et le droit qui y est
La médecine évolue. Dans ses rapports avec la attaché, une équation de base sous-tend le droit en
science médicale, le droit s’adapte. Parfois, il pré- responsabilité médicale : faute + dommage + lien
cède, le plus souvent il suit, au plus près par la de causalité = réparation et/ou pénalité.
jurisprudence, plus à distance par la loi.
Mais la justice, l’un des quatre piliers régaliens d’un Une notion est dès lors incontournable, celle de
État, est ancrée au sein de la société. Elle en subit les preuve.
influences d’opinions. Elle doit également aider à La preuve est ce qui sert à établir qu’une chose est
gérer les contraintes économiques. Les juristes, les vraie. La preuve peut être un raisonnement, la
magistrats, les responsables d’assurances, les hom- présentation d’un fait, le fait lui-même ou l’objet
mes politiques sont des citoyens contribuables qui qui le concrétise. On prouve par des preuves, on
le savent et de futurs malades qui ne l’ignorent pas. démontre par des arguments [24].
Ceci explique l’intérêt de tous pour l’évolution du Pour Capitan, c’est en droit « la démonstration de
concept de responsabilité médicale. l’existence d’un fait matériel ou d’un acte juridi-
Du risque à la faute, de la réparation des domma- que dans les formes admises par la loi ». C’est dire
ges à l’indemnisation d’un aléa, de l’obligation de qu’entre preuves et arguments, la distinction juri-
moyens à l’obligation de résultat et aux contrain- dique n’est déjà plus si tranchée qu’en sémantique
tes économiques, l’expert judiciaire en discipline générale.
médicale est placé au point de convergence des Rappelons les cinq formes juridiques de la preuve :
soucis du demandeur, du défendeur et du juge qui le serment et l’aveu rarement utilisés dans une
statue en dernier ressort. Technicien, il peut par- enquête en responsabilité médicale, le témoignage
ler de la responsabilité médicale à partir des faits. ou preuve orale, ce sont les sachants qu’il faut
Médecin, il ne peut s’exclure totalement de la savoir écouter et interroger avec esprit critique, la
charge émotive que porte en elle toute affaire met- preuve littérale, c’est-à-dire l’écrit dont il faut
tant en jeu le droit de la personne. contrôler l’authenticité (c’est le rôle de l’expert
Comment peut-on concilier les exigences de médecin vis-à-vis du dossier médical qui lui est
santé publique régies par les contraintes socio- soumis) et, enfin, la preuve par présomptions pré-
économiques, et les aspirations légitimes de cises et concordantes.

191
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

La preuve doit porter sur les trois composants du et concordantes, et dans le cas seulement où la
premier membre de l’équation. La matérialité du loi admet les preuves testimoniales, à moins que
dommage ou du préjudice est facile à établir. Elle l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de
doit tenir compte de l’état antérieur et des prédis- dol. »
positions éventuelles. Elle est du domaine de • Art. 1382 : « Tout fait quelconque de l’homme,
l’expert. qui cause à autrui un dommage, oblige celui par
La preuve de la faute et la preuve du lien de causa- la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »
lité (ou imputabilité) sont à la fois du domaine de • Art. 1383 : « Chacun est responsable du dom-
l’expert et de celui du juge. mage qu’il a causé non seulement par son fait,
L’expert ne pourra dire que les faits au regard de la mais encore par sa négligence ou par son
technique et de la science. Le juge dispose d’une imprudence. »
marge d’appréciation. Il dit le droit « en son âme • Art. 1384 : « On est responsable non seulement
et conscience ». du dommage que l’on cause par son propre fait,
C’est cette marge d’appréciation qui fait toute mais encore de celui qui est causé par le fait des
l’abondance, la valeur et la puissance de la juris- personnes dont on doit répondre, ou des choses
prudence, droit prétorien qui, par son adaptabi- que l’on a sous sa garde. »
lité, est plus à même que la loi de « coller » au plus
près à l’évolution de la science et des techniques.
Pour être solidement fondée sur des cas spécifi-
ques, elle n’en a pas moins l’inconvénient, dans
La responsabilité médicale
l’utilisation qui en est faite, d’aller, du particulier est contractuelle
au général à l’encontre des règles législatives. La
Cour de cassation et le Conseil d’État en sont les L’arrêt Mercier, 20 mai 1936
promoteurs et les garants vigilants.
Nous avons exposé l’historique et la genèse de la
responsabilité médicale précédemment (Aléa
médical et autres concepts). L’acte fondateur de la
Articles du code civil responsabilité médicale moderne, du moins en
France, est l’arrêt Mercier. Il mérite d’être
• Art.1135 : « Les conventions obligent non seule- rapporté.
ment à dire ce qui est exprimé, mais encore à « II se forme entre le médecin et son client un véri-
toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi table contrat comportant, pour le praticien, l’en-
donnent à l’obligation d’après sa nature. » gagement, sinon, bien évidemment de guérir le
• Art. 1147 : « Le débiteur est condamné, s’il y a malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été allégué, du
lieu, au payement de dommages et intérêts, soit moins de lui donner des soins, non pas quelcon-
à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à ques […] mais consciencieux, attentifs, et, réserve
raison du retard dans l’exécution, toutes les fois faite de circonstances exceptionnelles, conformes
qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient aux données acquises de la science. » [1]
d’une cause étrangère qui ne peut lui être impu- Pour de nombreuses décennies, la jurisprudence
tée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de civile opte pour la responsabilité contractuelle.
sa part » Elle abandonne apparemment le fondement délic-
• Art. 1315 : « Celui qui réclame l’exécution d’une tuel. La faute est exigée pour retenir la responsabi-
obligation doit la prouver. Réciproquement, lité du médecin. L’obligation contractuelle est une
celui qui se prétend libéré, doit justifier le paye- obligation de moyens excluant l’obligation de
ment ou le fait qui a produit l’extinction de son résultat. « La doctrine de l’arrêt Mercier est un
obligation. » bloc monolithique » [27] qui, depuis 1936, résiste à
• Art. 1353 : « Les présomptions qui ne sont point toutes les attaques directes ou non dont il est l’ob-
établies par la loi, sont abandonnées aux lumiè- jet. Il se fonde sur l’article 1147 du Code civil.
res et à la prudence du magistrat, qui ne doit Le fondement contractuel de la responsabilité
admettre que des présomptions graves, précises médicale s’est substitué au fondement délictuel ou

192
Chapitre 5. La responsabilité médicale

quasi délictuel. Il persiste toutefois une exception : les « protections » de l’époque, indépendamment
la responsabilité du médecin salarié d’une clini- de toute discussion sur l’indication même de cette
que pour laquelle, faute de contrat médecin- thérapeutique agressive. Le diagnostic précis n’est
patient, le fondement reste délictuel [32]. pas révélé dans le texte dont nous disposons 72 ans
On ne peut qu’admirer les travaux de la Cour de plus tard. Il faut se replacer dans les conditions de
cassation à l’occasion du pourvoi déposé par le l’époque. L’affection nasale ne fut pas guérie, mais,
docteur Nicolas contre les époux Mercier sur l’ar- après une évolution assez longue, se développè-
rêt de la cour d’appel d’Aix du 16 juillet 1931. Le rent conjointement une radiodermite nasale et
rapport du conseiller L. Josserand est une analyse une radiomucite aiguë des muqueuses de la face.
d’érudit. La synthèse faite avec sa grande compé- La dose de rayonnements administrée n’est pas
tence et sa haute autorité par le procureur général précisée.
P. Matter intègre dans les conclusions la concep- Trois ans et demi après les faits incriminés, le
tion d’une médecine de qualité aux différentes 27 mars 1929, les époux Mercier assignent le doc-
facettes du droit et de la doctrine. Le commentaire teur Nicolas en dommages et intérêts sur le fonde-
qui accompagne la première publication de cet ment d’une faute délictuelle ou quasi délictuelle
arrêt en 1936 ne le cède en rien au corps même de prévue par les articles 1382 et 1383 du Code civil.
l’arrêt. C’est une exégèse de la doctrine en droit C’était la jurisprudence habituelle de l’époque
médical faisant appel aux meilleurs travaux parus depuis l’arrêt du 18 juin 1835.
à l’époque. La prescription de 3 ans leur fut opposée par le
On conçoit que, par sa haute valeur historique, docteur Nicolas. Dans son arrêt du 18 décembre
scientifique et doctrinale, un tel ensemble de tex- 1912 (arrêt Brochet et Deschamps), la Cour de cas-
tes ait pu faire écrire, dès 1936 : « … cet arrêt […] sation (chambre civile) avait admis le principe de
marquera, dans l’évolution de la jurisprudence de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence, ce
la Cour de cassation en matière de responsabilité qui justifiait que le délai de prescription de l’action
civile, une étape appelée à avoir un grand publique soit appliqué [31].
retentissement… ». Avec l’article 1384 du Code civil (cf. supra, arrêt
Cette phrase prouve bien la conscience prémoni- Cour de cassation du 18 juin 1896), les époux
toire que les rédacteurs avaient de la portée de Mercier invoquent « la responsabilité du gardien
l’arrêt, mais également de ses limites vis-à-vis de la chose, l’appareil ayant mal fonctionné… ».
d’une science en plein essor. Il suffit d’en repren- Avec l’article 1147 (il est dit « 1146 et suivants ») du
dre les termes pour retrouver la plupart des préoc- Code civil, ils évoquent « la responsabilité contrac-
cupations actuelles de la jurisprudence. tuelle du débiteur qui n’a pas exécuté son contrat ».
La notion d’un contrat, d’une convention entre le
Résumé de l’affaire Mercier médecin et son malade n’est pas nouvelle.
P.  Matter, qui a particulièrement étudié la juris-
Véritable mythe juridique, ce n’est qu’une mal- prudence, fait état d’un « arrêt de la chambre des
heureuse affaire en responsabilité médicale requêtes du 21 août 1839 […] et, dans le cours du
comme celles auxquelles un expert médecin peut xixe siècle, de plusieurs arrêts dans le même
être confronté. Voici comment, à travers le sens… » ainsi que d’un important arrêt de la Cour
conseiller L. Josserand et le procureur général de cassation, 1re chambre civile du 8 février 1932.
P. Matter, elle peut être relatée simplement… Le 5 mai 1930, le tribunal civil repousse l’applica-
En août 1925, Mme Mercier, atteinte d’une « affec- tion de l’article 1384 « … pour cette raison que la
tion nasale », se voit conseiller un traitement patiente avait participé à l’usage de la chose et
radiothérapique. Elle est adressée au docteur qu’elle avait accepté le risque inhérent à cette uti-
Nicolas, qui confirme l’indication et pratique lisation… » (à l’heure actuelle, un contrôle de l’in-
environ 10 séances de radiothérapie nasale en 2 formation donnée et du consentement éclairé
séries successives aux mois d’août et d’octobre. serait demandé).
II est facile d’imaginer ce que pouvait être, en Le tribunal civil « … reconnaît la possibilité de la
1925, une radiothérapie faite avec les appareils et responsabilité contractuelle… » car « … l’action

193
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

intentée par les époux Mercier découlait du • « … Je constate l’existence d’un contrat entre le
contrat de louage de service par eux conclu avec le client qui sollicite des soins et paye des honorai-
praticien… » conformément aux termes de l’arrêt res et le médecin qui reçoit les honoraires et
du 21 août 1839. donne les soins… » ;
Le 16 juillet 1931, la cour d’appel, sur appel inter- • « … Il y a là tous les éléments d’un contrat synal-
jeté par le docteur Nicolas, confirme la sentence lagmatique… » (contrat qui génère à la charge
du tribunal civil. des parties des obligations réciproques) ;
De délictuelle ou quasi délictuelle prescrite en • « … C’est un contrat préalable, préexistant au
trois ans, la responsabilité pour faute médicale fait dommageable… » ;
allait devenir contractuelle et prescrite en trente
ans. (La loi du 4 mars 2002 ramène cette prescrip- • « … Ce sont toutes les règles du contrat qu’il faut
tion à dix ans selon des modalités bien précisées.) appliquer, à l’exclusion de celles sur les délits ou
quasi-délits civils… » ;
L’affaire Mercier est une affaire de délai de pres-
cription lié à l’évolution lente et progressive d’une • « … La prescription délictuelle est de 3 ans, la
radio-dermo-mucite de la face. prescription contractuelle, celle du droit com-
Le 20 mai 1936, 11 ans après le début des faits, elle mun, est de 30 ans… » ;
trouvait, devant la Cour de cassation, son magis- • « … Les obligations contractuelles s’appliquent
tral épilogue qui devait faire date. en matière de règles de procédure, de solidarité,
de compétence… » ;

L’arrêt Mercier ou le colosse • « … Le médecin ne s’oblige pas à guérir le malade :


il n’en a pas le moyen… » ;
aux pieds d’argile
• « … La responsabilité du médecin diffère pro-
La longue conclusion du procureur général fondément de celle du transporteur qui doit
P. Matter doit être replacée dans le contexte social rendre le voyageur sain et sauf à destination. Le
de l’avant-dernière grande guerre. Le médecin, transporteur est tenu en quelque sorte en une
homme (il y a encore peu de femmes) respectable obligation de sécurité (arrêt Cour de cassation,
et respecté, est décrit « dans l’exercice de sa noble Civ., 21 novembre 1911), le médecin ne peut être
profession, faite de science, de cœur et de dévoue- tenu à une obligation de guérison… ».
ment… ». La médecine est encore un art. Ce n’est
Il cite M. Demogue : « … Le médecin contracte
pas encore un produit de consommation.
une obligation de moyens, non de résultat… » ; Il
Le médecin d’aujourd’hui n’a pas déchu dans ses est dit dans le pourvoi « … Le médecin est obligé
qualités humaines mais tout a changé autour de lui : de donner ses soins au malade en conscience… » ;
la médecine qui se veut scientifique et technique au P. Matter s’interroge :
risque parfois d’oublier l’objet de ses soins, les • « … En quoi consiste cette conscience médicale ?
modalités d’exercice de la profession soumises à la […]. La réponse me paraît s’imposer : des soins
dure loi du marché, aussi bien pour la médecine conformes à la conscience et à la science
libérale que pour la médecine hospitalière, l’envi- médicale… » ;
ronnement social marqué par l’essor du consumé-
• « … C’est ce que M. Demogue relève dans cette
risme médical [14], le souci sécuritaire des personnes
simple formule : le médecin promet des soins
devenu un impératif catégorique de droit [21].
attentifs… ».
Du texte de P. Matter, il ressort les petites phrases
qui ont, pendant des décennies, sous-tendu la Tout est dit sur les grandes lignes du contrat médi-
doctrine de la Cour de cassation, mais également cal et de ses obligations.
les faiblesses et les points d’interrogation qui Mais P. Matter ajoute :
transparaissent en filigrane. Ils sont actuellement • « … Qui devra faire la preuve en pareil cas ? Je
autant de points d’attaque sur la forteresse de l’ar- n’hésite pas : c’est le client qui doit prouver la
rêt Mercier. Ce sont pour beaucoup des phrases faute du médecin […]. Avec M. Demogue […]
prophétiques, qui attestent de la profonde réflexion j’estime que […] le docteur s’est engagé non à
de leur auteur : guérir, mais à donner des soins conformes aux

194
Chapitre 5. La responsabilité médicale

données de la science. Au client d’établir qu’il a La phrase de M. Demogue reste un principe : « Le
manqué à cette obligation, à ce qui constitue ce médecin contracte une obligation de moyens, non
que notre code appelle la loi du contrat… » ; de résultat. »
• « … Pas de présomption de responsabilité,
comme en matière de transport… » ; Le principe de l’obligation
• « … Pas de renversement de la preuve : applica- de moyens
tion pure et simple du droit commun… ».
• Sur « les inconvénients de la longue prescription La cour de cassation ne s’est, jusqu’à un arrêt très
contre les médecins ou chirurgiens… », il écrit : récent, jamais départie de la prudence rappelée
par P. Matter.
• « … Je ne crois pas que la durée de la respon
sabilité fasse hésiter un médecin attentif qui Elle l’a confirmé régulièrement dans les arrêts du
remplit sa noble mission de sauvetage avec cons­ 29 octobre 1968 et du 28 juin 1989. Dans l’arrêt
cience… » ; l’homme du 20 décembre 1994, elle dit : « Le
contrat médical comporte à la charge du médecin
• « … Je ne crois pas que […] le passage de la res-
une obligation de moyens et la responsabilité
ponsabilité délictuelle à la responsabilité
médicale est une responsabilité contractuelle pour
contractuelle nuise à l’exercice, par les chirur-
faute prouvée… ».
giens consciencieux, de leur profession accom-
plie avec soins… » ; Citons in extenso l’arrêt communauté urbaine
de Lyon (arrêt Goenvic, 1re chambre civile, 25
• « … La durée de cette prescription pour les
février 1997), car il intervient dans une période
malades répond à une réalité : les conséquences
de déstabilisation de la responsabilité médicale
regrettables de certains traitements médicaux
contractuelle.
mettent souvent, dans la thérapeutique moderne,
du temps à se manifester… ». « Attendu, selon les énonciations des juges du
fond, que le 15 septembre 1987, M. Mazoyer,
Il termine sur une véritable mise en garde des chirurgien, a pratiqué à la clinique mutualiste
hauts magistrats de la Cour de cassation : « … avec Eugène André, sur la personne de M. Goenvic,
conscience : ce sont ces mots mêmes que j’ai rele- agent titulaire de la communauté urbaine de Lyon,
vés, en prudente réserve, dans la définition que je une intervention sous anesthésie locale consistant
vous propose du contrat médical. Cette prudence en l’oblitération d’une fistule carotido-caverneuse
a toujours dicté votre doctrine, en particulier dans par embolisation au moyen d’un ballonnet gonfla-
un arrêt célèbre de la chambre des requêtes du 21 ble et largable ; que, lors de la mise en place de ce
juillet 1862, qui la recommande aux magistrats ballonnet, il s’est révélé nécessaire d’en modifier la
lorsqu’ils s’ingèrent dans l’examen des théories et position par dégonflage ; que ce dernier ne pou-
des méthodes médicales… ». vant être obtenu autrement que par percement, le
praticien a tenté de procéder au retrait du ballon-
net ; que, lors de cette manœuvre, le ballonnet
dégonflé s’est détaché du cathéter porteur et, ainsi
Le contrat médical libéré, a été entraîné dans la carotide interne, puis
dans l’artère cérébrale moyenne, laquelle s’est
Au-delà des grandes lignes tracées par l’arrêt trouvée obstruée ; qu’il en est résulté une hémiplé-
Mercier, le contrat médical s’est précisé au fil du gie droite, en dépit d’un transport immédiat à
temps et des jurisprudences. La Cour de cassation l’hôpital neurologique et d’une intervention
est restée attachée aux grands principes qu’il défi- chirurgicale destinée à la désobstruction de l’ar-
nit, sans état d’âme majeur, au moins jusqu’au tère ; que M. Goenvic et son employeur ont assi-
début des années 1990. gné en réparation de leurs divers préjudices
« La responsabilité médicale est une responsabi- M. Mazoyer, la clinique et l’assureur de cette der-
lité pour faute prouvée ayant entraîné un préju- nière, la Mutuelle assurances des travailleurs ;
dice réel et sous réserve d’un lien de causalité qu’en l’état d’une expérience confiée à deux prati-
entre la faute et l’entier dommage », (Cour de cas- ciens et d’une contre-expertise confiée à trois
sation, 1re chambre civile, 28 juin 1989). autres, l’arrêt confirmatif attaqué (Cour d’appel,

195
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Lyon, 10 novembre 1999) les a déboutés de leurs Par ces motifs : rejette le pourvoi. »
demandes en considérant qu’il n’y avait eu ni faute
du praticien ni vice du matériel et que l’accident
Qu’est-ce que l’obligation
dont M. Goenvic avait été victime devait s’analy-
ser comme la matérialisation d’un aléa inhérent à de moyens ?
tout acte chirurgical. Les obligations contractuelles sont en fait multi-
Attendu que la communauté urbaine de Lyon et ples et se répartissent schématiquement en obliga-
M. Goenvic font grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, tions de science et de technique médicales et en
alors, selon le moyen, que le chirurgien qui pro- obligations d’humanisme médical, déontologi-
cède à un acte de fourniture d’un appareil destiné ques et éthiques [7–21].
à être placé dans le corps du malade est tenu à une
obligation de résultat concernant la sécurité de ce Les obligations de science
dernier et tenant tant à la conception de l’appareil
qu’à ses conditions d’utilisation ; qu’ayant constaté et de technique médicales
que le ballonnet fourni par le praticien s’était Elles intéressent le diagnostic, l’indication théra-
révélé défectueux dès lors qu’il n’avait pu être peutique, la technique de l’acte, la surveillance, le
dégonflé au cours de l’opération et qu’ensuite, il contrôle des membres de l’équipe.
s’était détaché de son cathéter, la cour d’appel
devait en déduire que M. Mazoyer avait manqué à Le diagnostic
son obligation de résultat tenant à la sécurité de
son patient sans qu’il y ait lieu de rechercher si le Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour
ballonnet était atteint d’un vice ; qu’elle n’a pas aboutir dans les meilleurs délais au diagnostic le
ainsi tiré les conséquences légales de ces constata- plus précis possible. Il ne faut pas multiplier les
tions au regard de l’article 1147 du Code civil. moyens sophistiqués les plus coûteux. Il suffit de
rappeler la très belle phrase de Me F. Sarda citée en
Mais attendu que le chirurgien, alors même qu’il
exergue de cet article : « Le coût est également un
procède à la pose d’un appareil sur la personne du
risque médical. Quitte à apparaître rétrograde, je
patient, n’est tenu qu’à une obligation de moyens ;
réaffirmerai la primauté de l’examen clinique du
que la cour d’appel qui, par motifs adoptés, a
malade, préalable indispensable au choix des
retenu, au cours des conclusions des experts, qu’eu
moyens techniques de diagnostic les plus simples
égard à la pathologie présentée, la technique utili-
comme les plus complexes. »
sée était non seulement justifiée, mais la meilleure
en l’état des connaissances médicales, a par motifs Le soin apporté au diagnostic fait toute la diffé-
propres, relevé que le matériel employé était rence entre la faute et l’erreur. Citons ce passage
exempt de vice et que le praticien l’avait vérifié d’Y. Lambert Faivre [21] : « La distinction de la
avant son utilisation et avait notamment testé le faute et de l’erreur revêt pour le médecin une
ballonnet, prenant ainsi les précautions d’usage, connotation morale importante : la faute qualifie
recommandées en pareil cas ; que, se fondant le comportement que n’aurait pas le paradigme du
encore sur les constatations des experts, elle a bonus medicus ; en revanche, l’erreur inhérente à
aussi retenu qu’aucune maladresse n’avait été la faillibilité humaine guette le meilleur médecin.
commise lors de la mise en place initiale du bal- Cependant, en droit civil, la frontière entre la
lonnet, puis lors de son retrait ; qu’elle a ajouté que faute la plus légère (levissima culpa) source de res-
les soins avaient été consciencieux, attentifs et ponsabilité, et l’absence de faute est très ténue, et
conformes aux données de la médecine et de la les juristes versent volontiers l’erreur, fût-elle
science, la méthode choisie du retrait et du dégon- humaine, dans le champ de la faute : le bonus pater
flement du ballonnet ayant été judicieuse ; que la familias ne se trompe pas. »
cour d’appel qui a ainsi écarté l’existence d’une Elle rappelle, à l’appui, l’article 33 de notre code
faute dans la préparation, l’accomplissement et le de déontologie dans lequel, parmi les moyens dia-
suivi de l’acte médical, a légalement justifié sa gnostiques requis, figurent les concours appro-
décision ; d’où il suit que le moyen ne peut être priés, rappel de « l’aide de tiers compétents »
accueilli. figurant à l’article 32. « L’erreur de diagnostic ne

196
Chapitre 5. La responsabilité médicale

constitue pas en elle-même une faute susceptible S’agit-il des données acquises (arrêt Mercier du 20
d’engager la responsabilité du médecin dès lors mai 1936, terme confirmé par l’arrêt du 10 octo-
qu’il a utilisé les moyens convenables et en a inter- bre 1937) ou des données actuelles de la science
prété les résultats conformément aux données (arrêt de 1946) ? Peu importe. Il s’agit bien évi-
acquises de la science » [21]. demment des données acquises de la science au
Cette notion a également été rappelée par la moment des faits incriminés [25]. La médecine est
Chambre criminelle de la Cour de cassation : en évolution permanente. Les instances judiciai-
« L’erreur de diagnostic ne constitue pas en elle- res sont parfois longues. Un médecin ne peut être
même une faute pénale » (CC, Ch. Crim., arrêt condamné sur des données inconnues au moment
Delugin, 4 mai 1999, no 1688). des faits (Cour de cassation, 1re Civ., 4 janvier 1974
et 12 novembre 1985).
L’indication thérapeutique À nouveau, la Cour de cassation a tranché sur ce
problème sémantique. Un arrêt du 6 juin 2000
L’article 8 du code de déontologie [3] est clair : précise, on ne peut plus clairement, que la notion
« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est de données actuelles était erronée, « l’obligation
libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il pesant sur un médecin étant de donner à son
estime les plus appropriées en la circonstance. Il patient des soins conformes aux données acquises
doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, de la science », c’est-à-dire validées par l’usage et le
limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est temps.
nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité
des soins. Il doit tenir compte des avantages, des
inconvénients et des conséquences des différentes La surveillance
investigations et thérapeutiques possibles. » La surveillance est une des obligations la plus fré-
À côté du choix thérapeutique correct, c’est-à-dire quemment mise en cause [15]. Le traitement ne
celui du moyen le plus efficace, il faut insister sur s’arrête pas à la prescription ou à la réalisation de
l’importance du délai de sa mise en œuvre qui l’acte. Un suivi du malade s’impose. Si le suivi pos-
doit se faire sans retard dommageable pour le topératoire est le plus fréquemment pris en exem-
malade. Un retard au diagnostic ou à la mise en ple, il en va de même de tout acte thérapeutique ou
œuvre d’une thérapeutique efficace peut être technique pouvant comporter un risque aux
constitutif d’une faute par perte de chance. conséquences non immédiatement décelables. Le
meilleur exemple est donné par les accidents de
La technique de l’acte médical perforation colique au cours des coloscopies dia-
gnostiques ou interventionnelles [38].
Qu’il s’agisse d’acte diagnostique ou thérapeuti- L’obligation de surveillance des malades mentaux
que, la technique est de plus en plus complexe n’en diffère pas fondamentalement.
dans de nombreuses disciplines dont les plus vul-
nérantes pour le patient deviennent les plus vul- Le responsable du traitement ou de l’acte est res-
nérables au regard de la responsabilité. ponsable de sa surveillance. Cette responsabilité
peut être partagée comme dans le cas du binôme
La faute, en droit civil et depuis l’arrêt du 10 octo- chirurgien-anesthésiste (arrêt Farcat, 30 mai 1986,
bre 1937, est caractérisée par l’imprudence, 1’inat- assemblée plénière de la Cour de cassation [31]).
tention ou la négligence.
En droit pénal [34], les articles 221-6 et 222-19,
Le contrôle des membres
plus précis et plus complets du fait même de leur
nature, stigmatisent la maladresse, l’imprudence, de l’équipe
l’inattention, la négligence ou le manquement à Le médecin est responsable des membres de son
une obligation de sécurité ou de prudence impo- équipe dans la mesure où il les a recrutés indépen-
sée par la loi ou les règlements. damment de l’accord du malade (aide opératoire,
Qu’il s’agisse du diagnostic, de l’indication théra- par exemple) (Cour de cassation, 1re Civ., 9 octo-
peutique ou de l’acte médical lui-même, la réfé- bre 1984). C’est pour la même raison qu’un
rence reste « les données […] de la science. » ­établissement d’hospitalisation privé ou public est

197
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

responsable des actes du personnel salarié qu’il tement « au principe de la liberté humaine et
emploie (le cas d’un médecin salarié est un peu du respect des droits de la personne à l’inté-
différent). grité de son corps » (doyen Savatier, ibid.) ; cette
Cette responsabilité ne doit pas être confondue obligation a été reprise et développée dans le
avec la responsabilité conjointe ou partagée dans titre II de la loi du 4 mars 2002 relative aux
l’exercice médical pluridisciplinaire. droits des malades et à la qualité du système de
santé ;
Les obligations d’humanisme • sur les fautes relatives à l’obligation d’assurer
personnellement les soins et le suivi du patient,
médical, déontologiques corollaire du libre choix du médecin par le
et éthiques patient et des relations singulières de confiance
Ce sont le respect du secret professionnel, le non- qui s’établissent entre le médecin et son
abandon du malade en cours de traitement, c’est- malade. Ce principe fondamental de la législa-
à-dire l’assurance de la continuité des soins (ce tion sanitaire a été rappelé récemment par
problème est particulièrement délicat en cas de l’arrêt Polyclinique du Languedoc (Cour de
changement d’équipe), l’assurance des soins d’ur- cassation, 1re Civ., 6 mai 2003, Bull ; 109 : 85).
gence et son corollaire, l’assistance à personne en Le médecin est responsable pour « les fautes
danger. Il s’agit du devoir de sauvegarde de la vie des personnes qu’il s’est substitué, en dehors
ou de la santé. du consentement de son patient, pour l’accom-
plissement d’une partie inséparable de son
L’obligation d’information mérite un développe-
obligation » (Cour de cassation, 1re Civ., 9 octo-
ment particulier (voir le sous-chapitre Le devoir
bre 1984). Le médecin doit veiller à la compé-
médical d’information, le consentement ou le refus
tence du confrère qui le remplace (Cour de
éclairé).
cassation, 1re Civ., 29 octobre 1963 et 25 mai
1987). Le médecin qui donne des soins per-
Le point de vue de la Cour sonnels ne peut s’abriter derrière le diagnostic
de cassation sur d’un confrère pour prétendre échapper à sa
responsabilité (Cour de cassation, 1re Civ., 18
les manquements aux octobre 1960 et 29 mai 1984). Un médecin ne
obligations médicales peut s’en remettre purement et simplement au
contrôle que devrait normalement assurer l’un
II a été développé dans les rapports annuels de la
de ses confrères ; il doit veiller à ce que ce
Cour de cassation de 1996 [25] et de 2007 [39],
contrôle soit effectif (arrêt Farçat, Cour de
véritable somme de mise à jour de sa jurispru-
cassation, assemblée plénière, 30 mai 1986).
dence en matière de santé.
Deux grandes catégories de fautes sont retenues : Cette obligation de prodiguer personnellement
les fautes de conscience médicale et les fautes de les soins a pour corollaire « l’indépendance pro-
science médicale. fessionnelle dont bénéficie le médecin dans
l’exercice de son art », comme l’a rappelé le
Tribunal des conflits le 14 février 2000 (Bull.
Les fautes de conscience médicale
Cass. 2000, TC no 2), sous réserve que le méde-
Ce sont les fautes afférentes à la « conscience cin ne dépasse pas son domaine de connais-
morale », ce qu’à la suite du doyen Savatier (Dalloz, sance (Cour de cassation, 1re Civ., 14 mars 2000,
1948, p. 298) il est habituel d’appeler « les fautes arrêt no 553D) [32].
contre l’humanisme médical », et les fautes affé- Les manquements à la conscience technique que
rentes à la « conscience technique ». Elles ressortent j’ai évoqués dans le cadre des obligations de
de la conscience professionnelle en général. science et de technique médicales, sont l’objet
Parmi les manquements à la conscience morale, le pour la Cour de cassation d’un développement
rapport de la Cour de cassation de 1996 insiste : particulier qui sera repris dans la discussion de
• sur les fautes relatives à l’information et au l’arrêt Franchot. Ils regroupent des fautes par
consentement du patient qu’elle rattache direc- maladresse, imprudence, inattention ou négli-

198
Chapitre 5. La responsabilité médicale

gence. La particularité de la classification de la


Cour de cassation est de les avoir catalogués dans
L’évolution de la jurisprudence
les fautes de conscience médicale et non de en droit public
science médicale, marquant ainsi la différence
entre le point de vue de l’expert, garant des réfé- La responsabilité sans faute –
rents techniques et scientifiques, et celui du conception propre au droit public
juriste, garant du droit de la personne.
G. Vedel dit : « … La notion de responsabilité sans
Les fautes de science médicale faute est, en elle-même, purement négative. Il fau-
drait expliquer quand et pourquoi une personne
Dans un premier chapitre, le rapport de la Cour
peut être tenue de dommages qu’elle cause sans
de cassation de 1996 fait l’inventaire des bases
faute de sa particle. Le principe ne peut être reçu
d’accès aux données acquises de la science telles
en règle générale, car il conduirait chacun de nous
qu’elles seront exposées à propos de « l’objet de
à être l’assureur d’autrui… ».
l’information » à donner au malade. Quelques
exemples de l’utilisation jurisprudentielle de ces Pour De Laubadere, la responsabilité sans faute
bases scientifiques devraient inciter à beaucoup s’identifie avec la théorie du risque. Il oppose le
de prudence les auteurs et les utilisateurs méde- système de la faute et le système du risque. Dans
cins de cette littérature juridiquement reconnue. ce système, la notion de risque semble surtout liée
Les premiers doivent éviter d’être péremptoires à l’usage d’une chose dangereuse ou à l’exercice
dans leurs affirmations, surtout si leur point de d’une activité correspondant à un certain danger.
vue est très personnel. Les seconds doivent veiller Il peut aboutir à des résultats analogues à ceux
au ressourcement permanent de leurs connais- tirés de l’article 1384 du Code civil.
sances au contact de la littérature récente. Les Une autre conception de la responsabilité sans faute
experts doivent utiliser ces bases de données avec la rattache au principe général du droit de l’égale
toute la prudence, l’esprit critique et l’impartialité répartition des charges publiques. Le dommage
requise, en exposant ? Si besoin ? les différentes causé par l’administration à un particulier serait
possibilités qui s’offrent au médecin devant un cas une sorte de charge publique aboutissant à l’indem-
donné, même si l’une d’elles leur paraît plus nisation de la victime par le contribuable (Conseil
appropriée et a leur préférence. d’État, arrêt Couiteas, 30 novembre 1923).
Le deuxième chapitre traite du domaine d’appli- Cette idée qui conduit à une responsabilité sans
cation des données acquises de la science, c’est- faute généralisée se heurte à des contraintes finan-
à-dire des fautes concernant le diagnostic et les cières évidentes. C’est pourquoi l’application de la
moyens à mettre en œuvre, le traitement lui- responsabilité sans faute reste réduite par l’exi-
même et le suivi de ce traitement. Le rapport de gence de deux conditions :
la Cour de cassation diffère peu de l’étude qui a • « … la preuve d’un lien de causalité entre le pré-
été faite précédemment de ces obligations, mais judice et l’activité incriminée » ;
elle apporte une riche documentation jurispru- • « le caractère spécial et anormal du préjudice,
dentielle très instructive pour les praticiens que rompant l’égalité des individus devant les char-
nous sommes. J’ai été surpris de ne pas trouver ges publiques … ».
de paragraphe traitant des fautes dans l’indica-
tion thérapeutique, préalable essentiel à l’insti- Il n’y a plus à prouver le caractère fautif de l’acti-
tution ou à la réalisation d’un bon traitement. vité. Un jugement du conseil de préfecture de
Les exemples donnés ont été confondus soit avec Marseille « … avait estimé qu’en raison des ris-
des fautes de diagnostic, soit avec des fautes de ques particuliers que représentait le traitement
traitement. Rappelons que certains manque- médical dans les hôpitaux publics, il suffisait que
ments plus purement techniques ont été réperto- soit établie une relation de cause à effet, entre le
riés dans les fautes de conscience médicale, traitement et le dommage, pour que la responsa-
distinguo parfois subtil entre science et bilité de l’hôpital soit engagée… ».
conscience comme le fait remarquer l’auteur du Un arrêt du Conseil d’État du 18 mai 1938 avait
rapport lui-même. réformé ce jugement. Jusqu’à une période récente,

199
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

le Conseil d’État ne s’était pas laissé entraîner à • la démédicalisation de l’acte consiste à faire bas-
admettre que le caractère obligatoire de certains culer dans l’organisation du service ce qui tradi-
régimes administratifs (ce qui est le cas de l’hospi- tionnellement aurait été un acte médical, par
talisation publique où n’existe pas le libre choix du exemple, une brûlure au bistouri électrique a été
médecin) puisse justifier l’application de la res- qualifiée de faute dans l’organisation du service.
ponsabilité sans faute. Il préférait, restant dans le Ce faisant, une faute simple suffit à engager la
système de la faute, admettre la présomption de responsabilité de l’administration ;
faute, évolution libérale tendant à améliorer le sort • l’appréciation de la gravité de la faute se fait non
des victimes. Les formules habituellement utilisées par rapport à l’acte lui-même mais en fonction
font référence à la jurisprudence du Conseil d’État de ses conséquences, ce qui conduit à qualifier
dans ses arrêts des 16 novembre 1955, 9 janvier de fautes lourdes de simples maladresses.
1957, 18 décembre 1957 et dans l’arrêt Dejous du
7 mars 1958. Il y est dit : « … le fait dommageable Le 10 avril 1992, le Conseil d’État a abandonné la
révèle un fonctionnement défectueux du ser- faute lourde dans l’acte de soin en lui substituant la
vice public de nature à engager la responsabilité de faute médicale (la faute lourde était définie comme
l’administration… » ou « …  constitue une faute une erreur grossière que ne commettrait pas un
dans l’organisation et le fonctionnement du ser- praticien attentif). « … Il s’agissait en l’espèce d’un
vice de nature à engager la responsabilité de accident d’anesthésie au cours d’une césarienne
l’administration… ». sous péridurale. La victime avait subi plusieurs
brusques chutes tensionnelles en cours d’interven-
La responsabilité sans faute assimilée au système
tion, suivies d’un arrêt cardiaque avec coma. Après
du risque était donc, jusqu’à un passé récent,
une importante réanimation et rééducation, elle a
appliquée à des domaines très restreints tels que le
conservé des troubles neurologiques et physiques
régime des sorties d’essai des malades mentaux,
provoqués par l’anoxie cérébrale. Il ressortait des
les vaccinations obligatoires et la transfusion san-
différentes expertises plusieurs éléments mis en
guine, soumis à des obligations légales.
exergue et qui avaient certainement participé à la
L’analyse des comportements du droit public fai- réalisation du dommage : l’existence d’un placenta
sait déjà apparaître, contrairement au principe praevia, connu avant l’intervention, et susceptible
absolu de la notion de faute en droit privé, deux d’entraîner une chute du débit cardiaque ; l’utilisa-
tendances plus libérales tenant compte du risque : tion excessive de médicaments à effet hypoten-
la responsabilité par « présomption de faute » et la seur ; la perfusion de plasma décongelé trop froid.
prise en compte du risque dans certaines condi- Les rapports des experts avaient établi que l’acci-
tions très restrictives de la responsabilité sans dent […] était secondaire à la sommation de plu-
faute [18]. sieurs causes dont aucune à elle seule n’aurait pu
entraîner des conséquences dramatiques… ».
Les arrêts époux V., Gomez Cette décision signifie que désormais, quel que
et Bianchi soit l’acte hospitalier en cause, la faute, sans autre
qualification, suffit à entraîner la responsabilité.
Ils ont bouleversé le climat en matière de respon-
sabilité médicale. Tout a été écrit à leur sujet. Il L’arrêt Gomez, CAA, Lyon,
suffit de les rappeler dans leur sécheresse. 21 décembre 1990.
La responsabilité sans faute
L’arrêt époux V., Conseil d’État,
10 avril 1982. L’abandon L’observation médicale est ainsi rapportée :
« … Considérant que S. Gomez, alors âgé de 15 ans
de la faute lourde [30] et demi, qui souffrait d’une cyphose avec des signes
Avant l’arrêt époux V., dans le but de faciliter l’in- traduisant un aspect évolutif de la maladie de
demnisation des victimes, certains artifices ont Scheuermann, a été hospitalisé à l’hôpital Édouard
été utilisés parmi lesquels le fait de disqualifier Herriot le 25 août 1983 pour y subir une interven-
l’acte médical ou de qualifier la faute en fonction tion dite de Luqué ; qu’à la suite de cette interven-
de la gravité des conséquences dommageables : tion, M. Serge Gomez a présenté des troubles

200
Chapitre 5. La responsabilité médicale

neurologiques graves qui, en dépit des soins qui lui


ont été prodigués, ont provoqué une paraplégie de
L’aléa médical face à la dualité
la partie inférieure du corps ; que M. Serge Gomez juridictionnelle
et ses parents, M. et Mme Gomez, demandent répa-
ration aux hospices civils de Lyon du préjudice L’aléa médical existe
subi du fait des conséquences dommageables de
cette complication postopératoire… ». Ce thème a été développé précédemment : «Aléa
médical et autres concepts ».
Les conclusions sont les suivantes : « … L’utilisation
d’une thérapeutique nouvelle crée, lorsque ses II a acquis droit de cité dans plusieurs arrêts de la
conséquences ne sont pas entièrement connues, Cour de cassation parmi lesquels l’arrêt du 26 jan-
un risque spécial pour les malades qui en sont vier 1970. Rappelons quelques phrases échappées
l’objet ; lorsque le recours à une telle thérapeuti- à leurs auteurs :
que ne s’impose pas pour des raisons vitales, les • « … le risque, pour le philosophe, c’est le hasard
complications exceptionnelles et anormalement d’encourir un mal avec l’espérance, si nous en
graves qui en sont la conséquence directe enga- échappons, d’obtenir un bien… » (Étienne
gent, même en l’absence de faute, la responsabilité Bonnot de Condillac) ;
du service public. » • « … il n’y a guère de sens à accuser la médecine
réelle au nom d’une médecine idéale mais mal-
L’arrêt Bianchi, Conseil d’État, heureusement inexistante… » [18] ;
9 avril 1993. La responsabilité • « … l’homme est mortel et tous les progrès de la
pour risque. Indemnisation sur science médicale qui constituent autant de
batailles gagnées contre la maladie, se solderont
la base de l’aléa médical toujours par cette défaite finale de la mort iné-
En 1978, au centre hospitalo-universitaire de la luctable… » [21] ;
Timone à Marseille, à la suite d’une artériogra- • « … la médecine efficace est aussi une médecine
phie vertébrale, un malade fait un accident vascu- dangereuse… » [27] ;
laire cérébral. Il reste tétraplégique. • « … en dépit de toutes les précautions techniques
Les conclusions des experts sont les suivantes : prises et dans l’état actuel de nos connaissances,
« … l’artériographie, examen difficile était l’exa- le risque zéro n’est jamais atteint… » [13] ;
men le mieux adapté compte tenu des troubles • « … les progrès de la médecine qui profitent à
présentés par le patient ; elle a été conduite dans l’ensemble de la collectivité s’accompagnent d’un
les règles de l’art ; la tétraplégie ne peut être rame- accroissement des risques… » [37] ;
née à de quelconques antécédents propres au
malade. Elle résulte sans nul doute de l’artériogra- • « … dans la continuité de la vie, l’individu n’est
phie. Monsieur B. est bien la victime d’un aléa qu’un chaînon temporaire. Il est en survie depuis
thérapeutique. En l’état du droit, l’impossibilité le hasard de sa conception jusqu’à sa disparition
de caractériser une faute génère automatiquement physique inéluctable en tant qu’être organisé avec
le rejet de la démarche de Monsieur B… ». toute sa complexité. Son devoir le plus noble face
Pourtant, dans son arrêt, le Conseil d’État conclut : à la vie, c’est de la transmettre. Toute l’organisa-
« … Lorsqu’un acte médical nécessaire au dia- tion de nos sociétés se doit d’être au service de la
gnostic ou au traitement du malade présente un vie… » [19] ;
risque dont l’existence est connue mais dont la • « … tous les hommes sont mortels, Socrate est
réalisation est exceptionnelle et dont aucune rai- un homme, Socrate est mortel… ».
son ne permet de penser que le patient y soit par-
ticulièrement exposé, la responsabilité du service
public est engagée si l’exécution de cet acte est la L’équité devant l’aléa
cause directe de dommages sans rapport avec
l’état initial du patient comme avec l’évolution L’évolution du droit public sur la conception de la
prévisible de cet état, et présentant un caractère responsabilité de l’acte médical peut-elle avoir
d’extrême gravité. » une influence sur la doctrine en droit privé ?

201
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

« La loi doit être la même pour tous » (article 6 de la Les biais du droit civil
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour rejoindre le droit public
26 août 1789).
Pourtant, la dualité juridictionnelle française L’obligation d’information et de consentement
rend délicate l’homogénéisation des systèmes éclairé fait l’objet d’un chapitre spécifique.
d’indemnisation. Longtemps, le droit public, Tout ce qui a trait à la causalité est traité par
conscient des difficultés techniques de la prati- Me H. Fabre.
que médicale, a estimé que seule une faute quali- Arrêtons-nous un instant sur les notions de perte
fiée de « lourde », excluant par exemple l’erreur de chance, de présomption de faute et de respon-
de diagnostic ou d’indication thérapeutique, sabilité du fait d’autrui dans l’exercice médical
pouvait être retenue à l’encontre du médecin pluridisciplinaire.
hospitalier. Depuis les années 1960, diverses
décisions avaient assoupli ce principe et la juris-
prudence s’était efforcée de limiter le domaine La perte d’une chance
de la faute lourde, admettant qu’une erreur de
diagnostic, un mauvais choix thérapeutique, une
de guérison ou de survie [21]
maladresse opératoire pouvaient ouvrir droit à Peuvent être constitutives d’un dommage par
réparation. Ce rapprochement entre le droit perte de chance : une faute technique, tel un
public et le droit privé a été consacré par l’arrêt retard de diagnostic ou un retard à l’institution
Vergoz. Dès lors la faute médicale est disqualifiée d’une thérapeutique efficace (arrêts des 25 mars
en droit public. 1968, 17 novembre 1970, 2 mai 1978 et 12 novem-
Par un mouvement de balançoire bien connu pour bre 1985) [26] ; une faute contre l’humanisme
dépasser son point d’équilibre, les arrêts Gomez médical, essentiellement dans le domaine de l’in-
et Bianchi ont accentué cette tendance. Ils sem- formation et du consentement éclairé. La juris-
blent dorénavant réserver aux malades soignés prudence est très abondante en cette matière :
dans les hôpitaux publics un sort plus favorable arrêts du 11 février 1986 et du 7 février 1990 par
qu’à ceux traités en pratique privée. exemple [26].
Le droit privé ne manque pas de moyens pour La notion de perte de chance est indissociable de
rétablir l’équilibre indemnitaire en faisant évo- la notion d’état antérieur. L’état antérieur doit être
luer les concepts de risque et de faute. Sans les parfaitement indiqué pour n’imputer au responsa-
développer ici, on peut citer, sans classification de ble que ce qui relève de son propre fait. A contrario,
valeur : la perte de chance, étroitement liée à la parler de perte de chance pour évoquer l’état anté-
causalité et jusqu’à présent quasi inapplicable en rieur est une faute de langage, puisque non
droit pénal ; la présomption de faute, longtemps conforme au principe de responsabilité civile ci-
retenue uniquement en droit administratif ; les dessus énoncé.
manquements à l’obligation d’information dont Les rapports entre la preuve du lien de causalité
de consentement éclairé et de choix possible pour juridique et la notion de perte de chance permet-
le malade, de plus en plus évoqués par les deman- tent, par une démarche intellectuelle, d’établir
deurs mais que leur mouvance même rendait une véritable présomption de causalité supprimant
aléatoires ; la causalité adéquate, notion purement le fardeau de la preuve.
juridique qui opère un choix entre les conditions Le recours à la notion de perte de chance a des
nécessaires du dommage ; la quasi-responsabilité limites. Il s’oppose à l’indivisibilité de la causalité
du fait d’autrui dans le travail en équipe. [21–26]. Il est nécessaire que la faute incriminée à
Par ces biais, il est de plus en plus fréquemment l’origine de la perte de chance soit la/l’une des
reproché au médecin de n’avoir pas pris les pré- causes du dommage. Il y a alors réparation de
cautions (de sécurité) qui auraient évité la produc- l’entier dommage. Si le dommage est étranger à la
tion du dommage et d’avoir ainsi créé un risque chance perdue, la responsabilité médicale n’est
dont il doit assumer entièrement ou partiellement pas retenue. La perte d’une chance ne peut être
la responsabilité. purement hypothétique [26]. Il faut qu’il ait réel-

202
Chapitre 5. La responsabilité médicale

lement existé une chance que la faute a fait tion dans laquelle elle se trouve (Cour de cassa-
perdre. tion, arrêt du 15 novembre 1955). L’obligation de
moyens à laquelle le chirurgien est soumis vis-à-
La présomption de faute ou faute vis de son patient comporte, nous l’avons vu, le
incluse [21] contrôle des membres de l’équipe qu’il a recru-
tés indépendamment de l’accord du malade. Le
Par deux fois, arrêt Cohen du 9 décembre 1988 et chirurgien répond des fautes de l’anesthésiste
arrêt Bailly du 14 juin 1991, le Conseil d’État avait qui participe à l’acte médical « … en dehors de
retenu que « … alors même qu’aucune faute ne tout consentement du patient pour l’accomplis-
peut être directement établie, le fait qu’une infec- sement d’une partie inséparable de son obliga-
tion microbienne ait pu néanmoins se produire tion … ». De nombreux arrêts vont en ce sens :
révèle une faute dans l’organisation ou le fonc- 18 octobre 1960, 12 juillet 1983, 9 octobre 1984
tionnement du service hospitalier à qui il incombe et surtout arrêt Farçat du 30 mai 1986 (déjà cité).
de fournir au personnel médical un matériel ou Depuis ce dernier arrêt, le décret no 94-1050 du
des produits stériles… ». 5 décembre 1994 réglemente la pratique de
Il s’agit de l’infection nosocomiale dont le taux l’anesthésie [31].
irréductible de risque est de l’ordre de 10 %. L’état de subordination ne peut être évoqué entre
La Cour de cassation, 1re chambre civile, médecins soignant en commun un malade (arrêt
29 novembre 1989 avait eu la même attitude vis- du 11 décembre 1984).
à-vis d’une infection dans les suites d’une arthro- La Cour de cassation paraît faire preuve d’hétéro-
graphie du genou. La responsabilité fautive de doxie lorsqu’elle élargit le champ d’application des
l’établissement d’hospitalisation privée avait été obligations contractuelles en matière d’éthique.
retenue. Notons que, peu auparavant, le 28 juin Ce n’est qu’une apparence. La jurisprudence est
1989, la même 1re chambre civile de la Cour de riche et variée :
cassation, dans les mêmes circonstances (infec- • arrêt Faivre/Chicheportiche, 27 janvier 1970 :
tion sur arthrographie du genou), n’avait pas « … le chirurgien doit s’assurer de l’intervention
retenu de présomption de faute, ayant considéré immédiate d’un médecin anesthésiste si les
que toutes les obligations de moyens avaient été soins à donner sont hors de sa compétence… » ;
remplies. Ceci prouve simplement la variabilité
du droit prétorien fondé sur des cas spécifiques. • arrêt du 25 mai 1987 : « … Il doit choisir un rem-
Par essence, la doctrine de la Cour de cassation plaçant ayant une expérience suffisante… » ;
est évolutive. L’arrêt du 29 novembre 1989 a fait • arrêts du 30 mai 1986 et du 31 mai 1989 : « … il
jurisprudence. Il a été repris dans un arrêt du doit donner des instructions suffisantes et adap-
21 mai 1996. tées pour une surveillance postopératoire… » ;
C’est en se fondant sur l’article 1353 du Code civil • arrêt du 20 janvier 1982 : « … il en va de même
que, comme l’explique Me H. Fabre, la présomp- pour une surveillance psychiatrique » ;
tion de faute peut être établie sur « des présomp- • arrêts du 29 mai 1984 et du 24 janvier 1990 :
tions graves, précises et concordantes ». Nous «… un praticien est tenu d’une obligation per-
reviendrons plus précisément sur une évolution sonnelle de contrôle et d’information et ne doit
encore plus récente concernant les infections pas s’en remettre uniquement à l’appréciation
nosocomiales. ou aux prescriptions d’un confrère même lors-
que celui-ci n’est pas placé sous son autorité ou
La responsabilité du fait d’autrui qu’il n’a pas été choisi par lui… » ;
dans l’exercice médical • arrêt du 8 décembre 1987 : « … il en va de même
pluridisciplinaire [26] vis-à-vis des résultats d’analyse d’un laboratoire
ou d’un compte rendu d’examen complémen-
Responsabilité conjointe ou partagée ? Le taire. C’est au praticien de vérifier la concor-
chirurgien est responsable de la faute d’une dance des résultats avec le contexte pathologique
infirmière du fait de la position de subordina- connu de son patient. »

203
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Ces faits peuvent être classés dans les manque- sein de notre société. Rappelons l’expression de
ments à la conscience morale. Me  J. Favre15, exprimée au siècle dernier à propos
Le maître mot est méfiance vis-à-vis des autres… des accidents du travail : « … Il y a des souffrances
et de soi-même. « C’est encore la meilleure façon imméritées ». L’accident médical, injustice du sort,
de travailler avec science, conscience et confiance », est ressenti comme tel.
conformément aux termes des conclusions du La couverture collective de l’accident thérapeu-
procureur général P. Matter. tique sans faute que sous-entend le concept de
solidarité est antinomique du droit de la respon-
sabilité civile (article 1382 et 1383 du Code civil).
L’indemnisation de l’aléa C’est exactement ce qu’exprimait G. Vedel en
parlant de la responsabilité sans faute. Il doit
médical, historique être en outre répondu aux deux questions sui-
et réalisation vantes : à qui la charge du dommage va-t-elle
être imputée ? Quel sera le degré d’indemnisa-
La philosophie [12] tion, c’est-à-dire à partir de quelle importance
du préjudice, à partir de quel seuil d’indemnisa-
Sortant du cadre du droit de la responsabilité, tion et dans quelle proportion du préjudice
l’indemnisation de l’aléa médical se situe en total ?
dehors des règles de la responsabilité médicale
F. Ewald note que deux réponses différentes ont
fautive et rejoint la théorie du risque. Trois problé-
été données :
matiques en découlent.
• la loi du 31 décembre 1991 créant le fonds d’in-
La philosophie demnisation des transfusés et hémophiles
contaminés par le sida est maximaliste.
de la responsabilité L’indemnisation est automatique et porte sur
Elle permet de bien distinguer les deux modèles l’intégralité du préjudice subi ;
en présence. • les arrêts Gomez et Bianchi sont beaucoup plus
Le modèle libéral (basé sur l’arrêt Mercier). Le restrictifs puisqu’ils ont multiplié les critères
malade se soigne selon un acte libre et volontaire. retenus pour l’indemnisation.
Il fait appel à la compétence de son médecin, qui
L’esprit de ces deux textes est différent. La loi de
s’exerce dans le cadre de standards de qualité
1991 est une mesure exceptionnelle qui fait vérita-
reconnus. Il assume son choix éclairé en fonction
blement appel à la solidarité nationale [14]. Les
de l’information et des conseils du médecin (un
deux arrêts cités qui concernent des « catastrophes
médecin donne des conseils, il ne donne pas des
individuelles » créent « une sorte de droit d’indem-
ordres). L’indemnisation d’un dommage reste liée
nisation à base humanitaire » [12].
au système de la faute personnelle.
Un dilemme persiste : faute ou aléa ? Indemnisation
Le modèle du service public. Ce n’est pas le malade
sur l’anormalité d’un acte (relation de causalité)
qui se soigne. Il est soigné. La société investit dans la
ou sur la gravité du préjudice (indépendamment
formation et le choix des médecins, dans la recher-
de la cause) ?
che, dans la technologie médicale. Le médecin est
un agent de l’hôpital. La responsabilité des accidents
médicaux est une responsabilité du service public.
Comme le remarque très justement F. Ewald : 15 Jules Favre (1809–1880) : avocat et homme politique
français, né à Lyon. Républicain adversaire de l’Empire,
« … On passe d’une philosophie de la responsabi- il proposa, en septembre 1870, la déchéance de l’Em-
lité à une philosophie de la solidarité ». pereur et fut membre du gouvernement de la défense
nationale en qualité de ministre des Affaires Étrangères
La philosophie de la solidarité (4 septembre 1870 - 2 août 1871). Il eut surtout à mener
de difficiles négociations avec Bismarck. Il signa l’ar-
C’est la conséquence du besoin croissant de sécu- mistice le 28 janvier 1871 et le traité de Francfort le
rité et du refus du risque de plus en plus marqué au 10 mai 1871 (in Petit Larousse, Larousse, Paris).

204
Chapitre 5. La responsabilité médicale

La philosophie ments : « la matière est législative » et le choix d’un


de l’indemnisation [21] médiateur hors du corps médical est incompatible
avec le respect du secret médical.
S’agissant d’un aléa médical donc non fautif elle Rapport de la chancellerie sur la « responsabilité
est différente selon le modèle. médicale et l’indemnisation du risque thérapeuti-
Dans le modèle libéral, le malade est supposé se soi- que » élaboré en 1991. En prévention du contentieux,
gner. La charge de l’aléa médical lui incombe. Il lui il propose de créer, par voie législative, des média-
revient de souscrire une assurance personnelle. teurs médicaux indépendants et de mettre sur pied
Dans le modèle service public, la Sécurité sociale a un mécanisme d’expertise amiable présentant éga-
élaboré un projet créant un dispositif analogue à lement des garanties d’indépendance. Il cherche à
celui des accidents du travail, en vigueur sur les simplifier et accélérer le traitement judiciaire. Pour
mêmes principes depuis la fin du xixe siècle. l’indemnisation des préjudices non fautifs, il pro-
Les solutions de compromis créent un fonds de pose la création d’un fonds alimenté non exclusive-
garantie. Les critiques formulées à propos de la ment par les régimes de Sécurité sociale. La loi du
solution d’assurance en sont à l’origine : crainte 4 mars 2002 en a repris certains éléments.
d’une multiplication des procès par les malades, Rapport Ewald [11]. Déposé en septembre 1992, il
risques d’exclusion d’une partie de la population, est une des études les plus exhaustives sur le sujet.
immixtion des assurances privées dans le domaine Il propose une double voie d’assurance, du patient
réservé de la Sécurité sociale. en instituant une « assurance catastrophes indivi-
La mise en place du « fonds de garantie » se heurte duelles » et du médecin dont l’assurance profes-
par contre à un difficile problème, celui de son ali- sionnelle deviendrait obligatoire (ce ne l’était pas
mentation, ce qui explique qu’aucune des proposi- encore !). Cette obligation est maintenant inscrite
tions de lois déposées sur le bureau de l’Assemblée dans la loi du 4 mars 2002.
nationale n’ait vu le jour avant le 4 mars 2002. Rapport Salat-Baroux. Déposé en 1993 et intitulé
Ce qui reste certain, c’est que, dans l’état actuel et Les accidents médicaux : réparer sans déresponsa-
à venir des choses, l’économie médicale est inca- biliser, il conclut à la nécessité d’une intervention
pable de supporter à elle seule le poids d’une législative. Il limite le champ d’intervention aux
indemnisation de l’aléa médical basée sur la théo- dommages fautifs et aux risques, même excep-
rie du risque. Le principe de subrogation ou de tionnels, mais générateurs de préjudices graves
clause récursoire, contenu dans la plupart des (incapacité permanente partielle 1PP > 50 %). Il
projets et dans la loi promulguée le 4 mars 2002, inclut la prise en compte de la directive euro-
ne manquera pas de le lui imputer [23]. Nous péenne du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du
l’avons écrit par ailleurs. fait des produits défectueux [8], qui est à la base de
la loi française adoptée le 19 mai 1998 (loi
no 98-389). Il propose de mettre en place des
Les rapports, projets mécanismes de nature à assurer une couverture
et propositions de lois – Rappel équilibrée des accidents médicaux graves en s’ins-
historique pirant du rapport de la chancellerie de 1991. Il
s’interroge sur l’adoption du système d’assurance
Les rapports de l’administration individuelle obligatoire du risque médical, inclus
relatifs à la responsabilité par exemple dans la police multirisque d’habita-
tion, concernant les préjudices graves avec répara-
médicale [22] tion plafonnée pour une surprime d’environ 80
Nous nous contenterons de les rappeler pour per- francs par an (en 1993), soit environ 12,50 euros.
mettre au lecteur intéressé de les consulter.
Rapport Mac Aleese. Déposé en juillet 1980, il pré-
Les projets et propositions de lois
conise l’institution d’un médiateur. Il a été à l’ori-
gine du décret no 81-582 du 15 mai 1981, annulé De très nombreux projets ou propositions ont été
par le Conseil d’État le 31 mai 1989 sur deux argu- élaborés. Ils sont tous rapportés dans le travail de

205
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

F. Ewald [11], sauf la proposition de B. Sérrou « Article L. 1142-1 :


déposée le 14 juin 1994. I – Hors le cas où leur responsabilité est encou-
J. Penneau, spécialiste du sujet depuis les premiers rue en raison d’un défaut de produit de santé, les
travaux entrepris avec A. Tunc en 1966, les a professionnels de santé mentionnés à la qua-
remarquablement résumés et classés [22]. trième partie du présent code, ainsi que tout éta-
Mises à part les propositions concernant la média- blissement, service ou organisme dans lesquels
tion, il les classe en deux systèmes : « l’un fondé sont réalisés des actes individuels de prévention,
sur le risque thérapeutique, l’autre fondé sur l’idée de diagnostic ou de soins ne sont responsables
de protection des victimes. » « … Les systèmes fon- des conséquences dommageables d’actes de pré-
dés sur l’idée de protection des victimes […] dans vention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de
lesquels il faut inclure les propositions faisant réfé- faute.
rence à l’aléa thérapeutique […] ne résolvent pas Les établissements, services et organismes sus-
les problèmes actuellement posés par le conten- mentionnés sont responsables des dommages
tieux de la responsabilité médicale. Ils repoussent résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils
simplement le contentieux en protégeant le rapportent la preuve d’une cause étrangère.
patient… ». II – Lorsque la responsabilité d’un professionnel,
Les systèmes fondés sur le risque thérapeutique lui d’un établissement, service ou organisme men-
semblent plus clairs, car ils posent le principe de tionné au I ou d’un producteur de produit n’est
réparation automatique des accidents indemnisa- pas engagée, un accident médical, une affection
bles tels que chacun d’eux les définit par ailleurs. iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre
Des trois critiques qui leur sont habituellement droit à la réparation des préjudices du patient au
opposées, il dit : « l’exemple des systèmes étran- titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont
gers (suédois en particulier) laisse sans fondement directement imputables à des actes de prévention,
la difficulté de reconnaître les conséquences nor- de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le
malement prévisibles d’un acte médical ; la déres- patient des conséquences anormales au regard de
ponsabilisation du médecin sera limitée par les son état de santé comme de l’évolution prévisible
mécanismes récursoires et clauses de subrogation de celui-ci et présentant un caractère de gravité,
prévus ; le problème du coût est réel. » Il appuie la fixé par décret, apprécié au regard de la perte de
proposition (de 1993) d’Y. Lambert-Faivre qui, capacités fonctionnelles et des conséquences sur
dans le cadre d’une assurance obligatoire, préco- la vie privée et professionnelle mesurées en tenant
nise une indemnisation automatique des acci- notamment compte du taux d’incapacité perma-
dents médicaux encadrée par des conditions nente ou de la durée de l’incapacité temporaire de
précises de plafonnement, le complément d’in- travail.
demnisation éventuel étant fourni par un fonds Ouvre droit à réparation des préjudices au titre
de garantie à financement public prépondérant. de la solidarité nationale un taux d’incapacité
permanente supérieur à un pourcentage d’un
barème spécifique fixé par décret ; ce pourcen-
La loi no 2002-303 du 4 mars
tage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit
2002, titre IV traitant de la décret… ».
réparation des conséquences L’analyse de la loi a été faite dans cet ouvrage. Les
des risques sanitaires résultant particularités de l’expertise en commission régio-
du fonctionnement du système nale de conciliation et d’indemnisation ainsi que
de santé les remarques que l’on peut faire à propos de cette
loi ont également été exposées dans un chapitre
Enfin la loi vint ! précédent. Il n’est pas besoin d’y revenir.
Nous n’en transcrirons ici que les principes géné- Cette loi a l’avantage d’exister. Elle fait la preuve
raux concernant la responsabilité médicale et la de son efficacité dans l’indemnisation des préjudi-
prise en charge de la réparation des préjudices. Ils ces liés à un aléa médical, dans les limites des cri-
sont contenus dans l’article L. 1142-1 de la loi. tères de prise en charge définis par elle.

206
Chapitre 5. La responsabilité médicale

La doctrine de la cour bouscule profondément les conditions mêmes du


geste thérapeutique. La révolution thérapeutique
de Cassation face à la carence doit obligatoirement engendrer une révolution
législative prolongée dans l’organisation de la médecine, dans l’ensei-
gnement de la médecine, dans l’esprit même de
Face à un pouvoir législatif longtemps défaillant, son exercice. »
le pouvoir judiciaire avait réagi. Plus souple, la À juste titre, P. Sargos écrit : « … cette révolution
jurisprudence, droit appliqué, est plus rapidement de la médecine […] ne doit-elle pas nous conduire
adaptable aux évolutions que la loi. P. Sargos [27] à adapter nos concepts juridiques de la responsa-
rappelle justement que l’arrêt Mercier lui-même bilité médicale en tenant compte de l’accroisse-
est né d’une évolution quasi unanime de la doc- ment des risques du dommage sans faute ? »
trine en faveur de la responsabilité contractuelle Nous avons déjà évoqué le heurt conceptuel entre
qui, à l’époque, a fait abandonner le fondement une médecine émanée du sacré et sa banalisation
délictuel. Il fait une excellente analyse des évolu- en termes d’économie de la consommation, véri-
tions récentes. Il en tire argument pour la recher- table consumérisme qui fait du médecin un pro-
che de nouveaux concepts juridiques. fessionnel « technicien de la santé » qui doit
Nous ne saurions mieux faire, pour le lecteur répondre à une « demande médicale ».
encore plus curieux des dernières avancées du P. Legatte, médiateur de la République, dans son
droit civil en responsabilité médicale, que de le projet de loi « relatif à la responsabilité médicale et
renvoyer à l’importante étude faite par le Président à l’assistance aux victimes d’un accident théra-
P. Sargos devant l’École nationale de la magistra- peutique » déposé sur le bureau de l’Assemblée
ture les 8 et 11 juin 2004 [32]. nationale le 14 septembre 1990, n’avait-il pas déjà
Il n’est pas inutile d’exposer ces nouveaux concepts intégré le projet de directive européenne du
juridiques, car le droit jurisprudentiel médical 9 novembre 1990 [9] sur la responsabilité du pres-
continue à s’appliquer à tous les dossiers qui don- tataire de service : « … un prestataire de service
neront lieu à recours en contentieux judiciaire ou est responsable du dommage causé par un défaut
administratif. Ils seront nombreux, car la barre de de son service… », formule brutale si elle est appli-
la prise en charge par la solidarité nationale a été quée sans nuance à la pratique médicale.
placée très haut. Le recours premier, gratuit, Dans un exposé à l’ENM en 1995, M. Daël a dit :
devant les commissions régionales de conciliation « … l’opinion publique pèse indéniablement sur
et d’indemnisation a ouvert la boîte de Pandore les prétoires : c’est d’ailleurs pour cela que la jus-
du contentieux médical, justifié ou non. Les voies tice est rendue publiquement. Elle admet bien
de recours ouvertes à toutes les parties (plaignant, qu’on ne guérisse pas toujours, elle admet plus dif-
assureur, ONIAM) devant les instances judiciai- ficilement que, même en dehors de toute faute
res ou administratives sont multiples. prouvée, la médecine puisse aggraver la maladie
ou faire naître une nouvelle pathologie… ».
P. Sargos conclut que le couple médecin patient ne
Les évolutions récentes peut ignorer la double révolution thérapeutique et
Elles expliquent les recherches multiples de la culturelle.
Cour de cassation [27–37]. Si les statistiques restent encore insuffisantes [11],
Dans un article du Monde du 16 avril 1992, un certain nombre de travaux de valeur ont été
J.  Hamburger a magistralement disserté sur la faits ces dernières années sur l’importance du
révolution thérapeutique [17]. Il parle de « rupture contentieux judiciaire en responsabilité médicale.
avec un passé thérapeutique millénaire ». Il oppose Il apparaissait jusqu’en 1985 que ce contentieux
le caractère impératif du primum non nocere au était assez stable, de l’ordre de 700 à 750 nouvelles
caractère agressif des thérapeutiques efficaces. affaires par an toutes juridictions confondues.
« En trente ans, dit-il, plus de 100 médicaments et L’étude de J. Pouletty [23] est particulièrement
techniques nouvelles ont été mis à la disposition intéressante. Elle mettait en évidence la différence
du praticien. Le progrès est admirable […] mais il entre le contentieux judiciaire et le chiffre réel des

207
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

réclamations, au demeurant assez faible à cette • stomatologie : 16,4 % - 14,8 % ;


date, de 1 300 à 2 000 selon les estimations [21]. • obstétrique : 11,8 % - 6,8 % ;
Encore faut-il évoquer le « chiffre noir », impossi-
• hépato-gastro-entérologie : 11 % - 6,4 % ;
ble à déterminer, des accidents médicaux qui
feraient l’objet d’une réclamation si l’on renonçait • ORL : 7,35 % - 7,5 % ;
à l’exigence de la faute. Or, c’est le cas depuis la loi • OPH : 5,7 % - 6,15 % ;
du 4 mars 2002. • imagerie médicale : 5,1 % - 5 % ;
La Société hospitalière d’assurances mutuelles • dermatologie : 3,2 % - 3 % ;
(SHAM) assure en France plus de 60 % des lits
d’hospitalisation publique ou privée participant • cardiologie : 2,2 % - 2,43 % ;
au service public. De 1987 à 2001, les déclarations • pneumologie : 1,75 % - 1,1 % (en 2005) ;
de sinistres qu’elle a reçues sont passées de 800 à • pédiatrie : 1,54 % - 2 % ;
3 600 (× 4,5). • médecine générale : 1,29 % - 1,15 % ;
Un travail récent de C. Sicot [33] mérite d’être • psychiatrie : 1,09 % - 0,55 %.
résumé. Il est important car il fait le point sur
l’évolution réelle du contentieux médical sur près Intéressante également est l’étude comparative de
de 20 ans, avant que les effets de la loi du 4 mars la répartition des dossiers d’insatisfaction selon
2002 ne se soient fait sentir. Le Groupe des assu- les modalités de traitement entre 2003 (2 010
rances mutuelles médicales (GAMM) assure 60 % déclarations d’accidents corporels) et 2007 (2 103
des médecins français dont 70 % de ceux exerçant déclarations d’accidents corporels) :
en pratique libérale. De 1985 à 2002, les déclara- • plaintes pénales : 177 - 8,8 % → 142 - 6,75 % ;
tions de sinistres qu’il a reçues sont passées de 733 • plaintes ordinales : 298 - 14,8 % → 202 - 9,6 % ;
à 2 413 (× 3,3). Si l’on extrapole à partir de ces
• assignations en référé : 581 - 29,1 % → 487 - 23,16 % ;
deux statistiques précises, c’était, en 2001, 6 000
déclarations de sinistres reçues à partir de l’acti- • réclamations (orales, écrites et par mandataires) :
vité hospitalière et en 2002, 4 000 déclarations de 707 - 35,2 % → 806 - 38,3 % ;
sinistres reçues à partir de l’activité libérale, soit • saisines d’une CRCI : 96 - 4,8 % → 439 - 29,9 %.
environ 10 000 déclarations/an au total. Nous
sommes loin des chiffres avancés en 1993. Il faut rappeler que ces diverses modalités de
Rapporté aux 400 millions d’actes médicaux plaintes peuvent, pour certaines, se superposer
effectués annuellement en France, le taux de ris- selon les règles de la loi : déclaration de prudence
que de 1 pour 40 000 actes reste faible toutes dis­ du médecin - plainte du patient ; plainte pénale -
ciplines confondues. constitution de partie civile ; réclamation - plainte
(pénale, ordinale) ou assignation en référé ; saisine
La sinistralité annuelle (déclarations de domma-
d’un CRCI – plainte ou assignation. N. Gombault
ges corporels/an/100 sociétaires), toutes spéciali-
écrit [40 - 2007] : « La sinistralité des médecins
tés et modes d’exercice confondus, était estimée
demeure stable en fréquence mais le montant des
par le GAMM en 1985 à 0,77. De 2002 à 2007,
condamnations prononcées continue à augmenter
l’évolution de la sinistralité en dommages corpo-
tout comme le pourcentage des affaires aboutissant
rels est la suivante [40] : 2002 - 1,87 % ; 2003
à une condamnation lorsque la justice est saisie ».
- 1,74 % ; 2004 - 1,79 % ; 2005 - 1,82 % ; 2006 - 1,78
(En juridiction pénale : 2003 – 16 dossiers
% ; 2007 - 1,79 %. Il y a une stabilité remarquable
– 11 condamnations – 69 % ; en 2007 – 35 dossiers
du contentieux, du moins en nombre.
– 20 condamnations – 57 %. En juridiction civile :
Cette sinistralité est par contre très variable selon 2003 – 294 dossiers – 151 condamnations
les disciplines. Nous ne rappellerons ici que les – 51,4 % ; en 2007 – 207 dossiers – 151 condamna-
chiffres des deux années extrêmes des études de tions – 73 %). Il faut en outre souligner l’augmen-
C. Sicot en 2002 et 2007 : tation des indemnisations attribuées par les
• chirurgie : 31,7 % - 45,9 % ; magistrats pour un même type de préjudice.
• chirurgie esthétique : 29,9 % - 19,3 % ; Qu’en est-il avec l’application de la loi du 4 mars
• anesthésie réanimation : 17,9 % - 19,9 % ; 2002 ? Le bilan 2006–2008 de l’ONIAM et de la

208
Chapitre 5. La responsabilité médicale

CNAMed, en vitesse de croisière, fait état de 3000 énonçant dans un chapeau de principe que
dossiers pris en charge par an dont 20 % se rap- « contractuellement tenu d’assurer la sécurité des
portent à un aléa médical indemnisable en totalité élèves qui lui sont confiés, un établissement d’en-
ou en partie. La loi remplit son office (cf. L’expertise seignement est responsable des dommages qui
pour une CRCI). leur sont causés non seulement par sa faute, mais
J. Pouletty et les statistiques démographiques encore par le fait des choses qu’il met en œuvre
médicales [10–23–33] insistaient sur la « désertifi- pour l’exécution de son obligation contractuelle ».
cation » des disciplines à risques, moyen de défense Or tout produit fabriqué, vendu ou utilisé par un
inconscient mais réel du corps médical contre ce professionnel pour exécuter une prestation, doit
qui est considéré à tort ou à raison comme une être exempt de tout défaut de nature à créer un
contrainte morale et juridique devenue insoutena- danger pour les personnes ou les biens ; il est tenu
ble. La tendance actuelle ne s’est pas inversée. à cet égard d’une obligation de résultat. Il n’est
donc pas interdit d’estimer qu’un médecin qui
Nous ne reviendrons pas sur les biais déjà utilisés
utiliserait un produit ou instrument quelconque
par le droit civil pour rétablir l’équité à la suite de
pour donner des soins à un malade devrait répon-
l’abandon de la faute en droit public. J. Bonneau
dre de plein droit du dommage causé à son patient
[3] parlait à ce propos « d’une inégalité qu’il était
par le fait du produit ou de l’instrument qu’il uti-
difficile d’admettre, d’un malaise consécutif à un
lise pour mettre en œuvre le contrat de soins qui
sentiment d’inégalité devant le malheur médi-
le lie à son patient, et cela alors même qu’il igno-
cal. » Cette expression rejoint celle de J. Favre.
rait le défaut du produit ou de l’instrument et
Le rapport annuel de la Cour de cassation de 1994 aurait procédé à des vérifications. Mais le méde-
incitait « à faire œuvre de justice et non pas seule- cin pourrait évidemment se retourner contre le
ment de juriste et à apporter des nuances dans fabricant ou le vendeur qui supporterait la charge
une ordonnance doctrinale trop rigide (doctrine finale de l’indemnisation. »
Mercier), l’essentiel étant que, toujours, le ration-
C’est un pas vers l’obligation de résultat.
nel et le raisonnable se rejoignent ». Nous verrons
ce qu’il en est dans le rapport de 2007 [39]. Plusieurs arrêts de ce type ont été rendus à l’en-
contre de chirurgiens dentistes orthodontistes
« … tenus d’une obligation de résultat concernant
Recherche de nouveaux concepts la sécurité tenant tant à la conception de l’appareil
juridiques (prothèse fournie) qu’à ses conditions d’utilisa-
tion… » (arrêts des 29 octobre 1985, 15 novembre
Nous ferons encore là de larges emprunts à la 1988, 12 juin 1990 et 22 novembre 1994).
réflexion du Président P. Sargos. La philosophie de ces arrêts rejoint celle du projet
de loi « relative à la responsabilité du fait des pro-
Responsabilité par le fait duits défectueux », conformément à la directive
des choses mises en œuvre européenne du 25 juillet 1985 et adoptée par la loi
no 98-389 du 19 mai 1998.
pour l’exécution d’une obligation
contractuelle Dans l’affaire du cerceau brisé, la cassation a été
prononcée en application de l’article 1135 du Code
Arrêt dit du « cerceau brisé », Cour de cassation, civil. Nous en reverrons l’utilisation plus loin.
Civ., 17 janvier 1995. « Dans cette affaire, un cer- Cette utilisation reste dans le cadre contractuel
ceau mis à la disposition des élèves par une école différent de l’utilisation de l’article 1384 à carac-
pour pratiquer des exercices de psychomotricité tère délictuel ou quasi délictuel faite dans l’arrêt
se rompit et une enfant fut grièvement blessée à Teffaine le 16 juin 1896.
un œil. Une action fut engagée contre l’établisse-
ment d’enseignement qui, comme on le sait, est L’obligation contractuelle
tenu d’une obligation de moyens en ce qui
concerne la sécurité de ses élèves. Or aucune faute
de résultat en sécurité médicale
ne pouvait lui être imputée. La Cour de cassation En novembre 1995, P. Sargos écrivait [26] « … Cette
a néanmoins retenu la responsabilité de l’école en obligation de résultat […] devrait ­s’appliquer

209
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

[…] à tous les produits ou instruments fournis par contrat médical, et qui doit rester le principe. Ce
le médecin à l’occasion de soins qu’il prodigue coin implique le recours à la notion d’obligation
[…] dans les cas où les risques d’interventions de résultat… ».
chirurgicales sont tout à fait exceptionnels […]. Dans son rapport annuel de 1996, la Cour de cas-
Ne devrait-on pas retenir la responsabilité sans sation a précisé deux des critères essentiels de
faute sur la base d’une obligation de résultat sans l’obligation de résultat telle qu’elle est appliquée
même avoir à se prononcer sur la faute […]. La au transporteur et telle que P. Sargos propose de la
première chambre civile n’est actuellement pas transférer à la médecine : l’absence d’autonomie
favorable à une telle extension… ». du créancier de cette obligation, le passager d’un
Y. Lambert-Faivre [21] définit ce qu’est l’obligation moyen de transport, le patient livré pendant la
de sécurité médicale : « Le fait générateur de la durée de l’acte médical à la seule science et
garantie des risques médicaux n’est plus la faute conscience du praticien ; l’absence d’aléa trop
du médecin (sujet responsable) mais l’activité important, ce qui est implicitement admis pour
médicale (objective) […]. Le risque médical a les moyens de transport, ce qui peut l’être d’un
généré une maladie iatrogène […]. Cette objecti- aléa médical dit exceptionnel. Il reste à définir ce
vation des conditions de l’indemnisation libère le qu’est l’exceptionnel.
médecin de la recherche traumatisante d’une faute L’application de cette théorie permet à P. Sargos
médicale… ». de proposer en droit civil une formule proche de
Par transposition de l’article 1 de la loi du 21 juillet celle de l’arrêt Bianchi en droit public : « attendu
1983 « relative à la sécurité des consommateurs de que si la nature du contrat qui se forme entre le
produits et de services », elle propose d’adapter la médecin et son client met en principe à la charge
formule de l’arrêt Mercier en restant dans le cadre du praticien une obligation de moyens ; il est
de la responsabilité contractuelle. La formule néanmoins tenu, sur le fondement d’une obliga-
s’énoncerait ainsi : « II se forme entre le médecin tion de résultat, de réparer le dommage causé au
et son client un véritable contrat comportant pour patient par un acte médical nécessaire au dia-
le praticien l’engagement, sinon bien évidemment gnostic ou au traitement, dès lors que ce dommage
de guérir le malade, mais de lui donner des soins est sans rapport avec l’état initial de celui-ci
consciencieux, conformes aux données acquises comme avec l’évolution prévisible de son état. »
de la science, et présentant la sécurité à laquelle le
patient peut légitimement s’attendre. ». « Le fait du chirurgien ».
Le manquement à la conscience
L’obligation de résultat technique
à l’intérieur de l’obligation De la théorie à la pratique, un pas semble franchi
de moyens. La théorie par la Cour de cassation (1re chambre civile, le
du transporteur appliquée 7  janvier 1997), en réunion plénière par l’arrêt
à la médecine Franchot : « La Cour, vu les articles 1135 et 1147 du
Code civil ; attendu que J.P. Franchot, atteint
Le Président P. Sargos [27] se livre à une étude sur d’une gêne du bras gauche due à une compression
les possibilités ouvertes par l’article 1135 du Code des éléments vasculo-nerveux dans le défilé tho-
civil déjà utilisé dans l’arrêt du 17 janvier 1995 dit raco-brachial, a subi une intervention chirurgi-
du cerceau brisé. cale, pratiquée par M. Marcie, consistant à
« … Cet article permet, à l’intérieur d’un même réséquer la 1re côte à gauche et à libérer le paquet
contrat, de retenir des obligations de nature et vasculo-nerveux du membre supérieur ; qu’à l’oc-
d’intensité différentes suivant la phase du contrat casion de la section postérieure de la 1re côte réali-
qu’elles concernent […]. Sans se livrer à une inno- sée avec une costotome, l’artère sous-clavière
vation juridique discutable […] la Cour de cassa- gauche, qui est au contact de cette côte, a été bles-
tion pourrait, sur le fondement de l’article 1135 sée et qu’il s’en est suivi une hémorragie massive
combiné avec le classique article 1147, introduire et un désamorçage de la pompe cardiaque dont
un coin dans l’obligation de moyens inhérente au J.P. Franchot est décédé ; que, pour infirmer la

210
Chapitre 5. La responsabilité médicale

décision du premier juge, qui avait retenu la res- Pour le praticien, pour l’expert, cette prise de
ponsabilité de M. Marcie en raison de la mala- position est d’une extrême importance. Les ter-
dresse commise en perforant l’artère sous-clavière, mes mêmes du rapport méritent d’être cités :
la cour d’appel, bien qu’elle ait constaté qu’au « …  la notion de conscience technique s’entend
cours de l’intervention, le docteur Marcie avait […] de l’obligation de donner des soins […] sui-
bien blessé cette artère et que l’hémorragie en vant une technique consciencieuse et attentive. Le
résultant avait provoqué le décès, a énoncé que praticien qui a posé un diagnostic correct, informé
M.  Marcie n’avait pas commis de « maladresses son patient des risques et qui a pris les précautions
fautives ou non admissibles, et que le décès de nécessaires pour s’entourer d’une équipe compé-
M.  Franchot en suite de cette blessure arté- tente, doit encore être irréprochable dans ses gestes
rielle  avait pour cause une complication excep- techniques… ».
tionnelle […] et donc non prévisible ; Y. Lambert-Faivre [21] écrit : « … l’exactitude du
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait geste chirurgical constitue une obligation détermi-
de ses propres constatations que la blessure de née de sécurité évidente (ce qui n’implique pas le
l’artère sous-clavière avait été le fait du chirur- résultat de la guérison) : l’inattention […] la mala-
gien, de sorte que sa responsabilité était engagée, dresse […] l’oubli […] constituent autant de fautes
la cour d’appel a violé le texte susvisé […]. Casse et que le paradigme du chirurgien habile, conscien-
annule […] l’arrêt rendu le… ». cieux et attentif ne saurait commettre… ».
La Cour de cassation se défend très clairement Les experts n’ont heureusement à établir que des
d’avoir voulu établir par cet arrêt une véritable faits. Savoir si une maladresse opératoire consti-
responsabilité de plein droit, c’est-à-dire une obli- tue une faute inexcusable ou un accident évitable
gation contractuelle généralisée de résultat, et si elle est cause du dommage relève de l’appré-
comme le laisserait entendre l’analyse faite à ciation souveraine des juges du fond, encore que
chaud par le président J. Guigue [27]. la question soit souvent posée à l’expert lui-même
Dans la partie du rapport annuel de la Cour de en sa qualité de technicien dont l’avis n’engage pas
cassation de 1996, qui traite de la jurisprudence le magistrat. L’expert doit apporter au juge la
civile en matière de faute médicale [25] il est connaissance des règles de l’art, référant indis-
rappelé, en préambule, que « les obligations nées pensable pour apprécier la responsabilité éven-
du contrat médical ne sont que de moyen et non tuelle du médecin.
de résultat » et que « la charge de la preuve d’une La Cour de cassation « … constate parfois une
faute incombe au patient. » Mais déjà est souli- certaine dérive des juges du fond à propos […] des
gnée l’obligation de sécurité de résultat maladresses chirurgicales que certaines décisions
­concernant l’emploi d’un produit (arrêts du considèrent […] comme relevant d’un inévitable
15 novembre 1988 et du 22 novembre 1994 déjà aléa exclusif de toute responsabilité. Pareille
cités). En outre, concernant la preuve en matière appréciation est fondamentalement erronée… ».
d’information, depuis l’arrêt du 25 février 1997, Elle rappelle un arrêt du 30 octobre 1963 selon
la charge incombe au défendeur. Ces deux rap- lequel « toute faute du médecin engage sa responsa-
pels de principe étant faits, sous réserve des bilité. » C’est cette même doctrine qui a été reprise
deux situations particulières citées, la Cour de dans l’arrêt Franchot du 7 janvier 1997.
cassation propose une classification des fautes
Tout fait maladroit d’un chirurgien engage sa res-
médicales contractuelles retenues par sa juris-
ponsabilité [29], Cour de cassation, 1re Civ., arrêt
prudence, selon les deux grandes catégories déjà
du 7 janvier 1997, P. Sargos rapporteur.
définies par P. Matter, les fautes de conscience
médicale et les fautes de science médicale. La Dans son rapport sur l’affaire Franchot, le
particularité de cette classification est qu’elle Président P. Sargos reprend exactement les argu-
introduit dans les fautes de conscience une caté- ments qu’il a développés dans le rapport annuel
gorie intermédiaire entre les fautes contre l’hu- de la Cour de cassation de 1996 concernant la
manisme et les fautes purement scientifiques et faute par manquement à la conscience technique.
techniques : ce sont les manquements à la Comme l’indique la note [35] qui accompagne la
conscience technique. publication de cette jurisprudence, le caractère

211
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

lapidaire de la rédaction de l’arrêt du 7 janvier D’où l’expression de l’arrêt de la Cour de cassa-


1997 pourrait inciter à « considérer que la Cour de tion : « … la blessure de l’artère sous-clavière a été
cassation entend établir un principe général de le fait du chirurgien, de sorte que sa responsabilité
responsabilité du médecin fondé sur son fait… ». est engagée… ».
Ayant soumis mon travail à la critique juridique Cette expression ne doit pas être sortie de son
du Président P. Sargos, je m’en suis ouvert à lui. Il contexte juridique. Il s’agissait, pour la Cour de
m’a confirmé tous les apaisements qu’un médecin cassation, de casser l’arrêt de la cour d’appel de
pouvait espérer et qui sont contenus tant dans les Paris du 30 juin 1994 qui, comme le note le
moyens du pourvoi que dans son propre rapport Président P. Sargos en sa qualité de rapporteur,
sur l’affaire Franchot. comportait une contradiction dans le fait de
D. Thouvenin [35] souligne d’emblée que « cet reconnaître que la blessure de l’artère sous-­
arrêt porte sur la qualification du lien existant clavière était bien due au fait du chirurgien mais
entre le dommage subi par le patient et la faute que le décès consécutif à cette blessure était inat-
reprochée au chirurgien (et que) la réponse qu’il tendu, car ne résultant pas d’une maladresse « non
apporte est fort classique et s’inscrit dans une admissible ». La Cour de cassation, comme il a été
suite d’arrêts rendus par la chambre civile de la rappelé, a toujours réfuté, a contrario, cette notion
Cour de cassation qui adoptent le même type de de maladresse admissible « … hormis les anoma-
solution… ». lies particulières non décelables du patient, ou cir-
constances tout à fait exceptionnelles non
Il n’est ni le lieu, ni la place dans cet article général
imputables à l’action du médecin […] le chirurgien
pour reprendre les termes et arguments de l’auteur
qui intervient sur un organe ne doit pas en blesser
de la note. J’incite fortement tout médecin, expert
un autre… ».
judiciaire ou non, à en prendre connaissance pour
mieux appréhender les interférences entre la res- Retenons avec D. Thouvenin que cet arrêt ne bou-
ponsabilité civile délictuelle et la responsabilité leverse pas les règles établies. Il ne faut pas laisser
civile contractuelle. croire que dans l’état actuel du droit civil il existe-
rait des cas de réparation automatique des dom-
L’arrêt Mercier, pour « des motifs extérieurs aux
mages causés par l’activité médicale, créant ainsi
spécificités de l’activité médicale » (délai de pres-
« des espoirs disproportionnés chez les victimes et
cription de 3 ans de l’action publique) a introduit
des craintes infondées chez les médecins persua-
une logique contractuelle entre le médecin et son
dés que tout geste dommageable les conduira
malade sur la base de l’article 1147 du code civil.
devant les tribunaux… ». Faute d’une volonté
Cet article de portée très générale précise que
politique clairement exprimée, le pouvoir judi-
« … le débiteur est condamné […] toutes les fois
ciaire exploite au maximum les possibilités du
qu’il ne justifie pas que l’inexécution (du contrat)
Code civil.
provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être
imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi Y. Lambert-Faivre écrit : « … entre les médecins
de sa part » attachés à leur seule responsabilité traditionnelle
pour faute et les victimes d’accidents médicaux
D. Thouvenin pose très bien le problème lorsqu’elle
qui entendent être indemnisées, la loi devra arbi-
écrit : « … le texte implique que soit déterminé ce
trer en organisant un système accepté par tous »
qui a été promis par le débiteur. Et c’est précisé-
[21]. Est-il bien sûr que la loi du 4 mars 2002 y
ment là où le bât blesse lorsqu’en matière médicale
parvienne ?
une intervention sur le corps du patient est néces-
saire. La manière d’opérer quelqu’un, les techni-
ques utilisées, les difficultés auxquelles se trouve Les concepts développés à propos
confronté le médecin in situ sont autant d’événe- des infections nosocomiales
ments qui n’ont plus grand-chose à voir avec le
contenu d’une prestation due […] Une maladresse Avec l’arrêt Cohen en 1988, le droit administratif
c’est une inhabileté dans l’accomplissement d’une se fonde sur la présomption irréfragable de faute.
activité. Ce qui est visé et analysé par les juges, Le droit civil, par une succession d’arrêts a rejoint
c’est le geste du médecin et non pas l’obligation progressivement la rigueur du droit administratif
due au patient… ». avec les notions d’exigence d’une asepsie parfaite,

212
Chapitre 5. La responsabilité médicale

de présomption de responsabilité, d’obligation • la construction d’un droit de l’expérimentation


« renforcée » de sécurité de moyens puis, enfin, humaine (loi Huriet du 20 décembre 1988 modi-
d’obligation de sécurité de résultat. fiée le 9 août 2004 et à nouveau en cours de révi-
Nous renvoyons pour ce développement au chapi- sion en 2009) ;
tre concernant les infections nosocomiales. • l’émergence d’un droit de la biomédecine (loi du
6 août 2004 relative à la bioéthique) ;
• la percée de l’autonomie de la personne malade
Évolution de la doctrine dans les décisions relatives à sa santé (loi du
4 mars 2002 relative aux droits du malade et à la
de la cour de cassation – Le point qualité du système de santé) ;
dans le rapport annuel 2007 • l’indemnisation des victimes de dommages
consacré à la santé [39] ayant leur origine dans l’activité de santé (lois
du 4 mars 2002 et du 30 décembre 2002 mais
Le rapport annuel 2007 de la Cour de cassation également du 19 mai 1998 relative à la responsa-
consacré à la santé dans la jurisprudence de la bilité du fait des produits défectueux) ;
Cour est une mine documentaire d’une très • la culture de la prévention et de la précaution
grande richesse et un travail de réflexion appro- tant individuelle que collective, traitée dans des
fondie sur le droit relatif à la santé. On ne peut textes plus ponctuels par leur objet : infection
qu’inciter le lecteur curieux à acquérir cet ouvrage liée aux soins, autorisation de mise sur le mar-
de plus de 600 pages dont une centaine exclusive- ché, évaluation des risques, interdiction du
ment réservée à la responsabilité médicale. Il est tabac dans les lieux publics…
impossible de le résumer ici mais il en sera tiré de
Tous ces devoirs codifiés aboutissent à redéfinir
larges extraits.
les nouveaux rôles du médecin dont l’action ne
consiste plus seulement à garantir la santé des indi-
Avant-propos vidus mais aussi à assureur une certaine régula-
tion des comportements [41].
Dans son avant-propos, Madame le Professeur
Le législatif prendrait-il le pas sur le jurispruden-
Frédérique Dreifuss-Netter écrit :
tiel, source quasi unique, jusqu’à un passé récent,
« Aujourd’hui, alors que la biologie et la génétique du droit privé de la santé. Rappelons G. Timsit :
ont bouleversé la médecine traditionnelle, faisant « La loi est écriture et généralité ; le jugement parole
naître à la fois d’immenses espoirs thérapeutiques et singularité » [42]. L’abondance de la jurispru-
attachés à la thérapie génique ou cellulaire et les dence analysée dans le rapport prouve que la Cour
craintes d’un nouvel asservissement de l’homme de cassation remplit sa mission « d’assurer…, par
par la science, plus de soixante-dix ans après le sa jurisprudence, une application harmonieuse des
célèbre arrêt Mercier par lequel la Cour de cassa- lois ». Cette harmonisation se fait en interaction
tion faisait bénéficier les malades, via l’obligation enrichissante entre le droit de la santé et les autres
contractuelle du médecin, du dernier état des domaines du droit mais également dans le temps,
connaissances scientifiques, la protection de la au sein même du droit relatif à la santé. Celui-ci
santé représente un enjeu juridique considérable. est malmené, d’une part par des passages de
Progressivement, débordant aussi bien le cadre de régime liés aux modifications législatives et à des
la médecine classique que celui du droit interne, revirements de jurisprudence et, d’autre part, en
s’est édifié un socle législatif et réglementaire de raison de la coexistence de régimes juridiques dif-
droit de la santé, dicté par des exigences éthiques et férents. Ceci est rendu encore plus complexe par
juridiques impérieuses. De cet ensemble, fait de l’entrée en vigueur retardée d’une nouvelle loi (du
strates successives qui en entachent la cohérence, 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des pro-
émergent quelques repères que l’on peut essayer de duits défectueux, transposition tardive de la
dégager… » Direction européenne du 25 juillet 1985 qui a
Elle cite et développe successivement et dans un obligé la CC à des jurisprudences interprétatives)
ordre approximativement chronologique : ou, comme pour les infections nosocomiales, la

213
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

prise en compte à une date antérieure à la loi (du (La mise à jour sur ces deux sujets est faite dans
4  mars 2002) d’une responsabilité de plein droit les chapitres correspondants de l’ouvrage).
opposée à la jurisprudence jusque-là établie. 2. La responsabilité à l’épreuve des dommages
Il résulte des difficultés de cette harmonisation survenus à l’occasion de l’activité de santé qui
une jurisprudence foisonnante dont F. Dreifuss- donne lieu à deux développements :
Netter nous dit que trop luxuriante elle risque – l’établissement de la responsabilité,
d’obscurcir le paysage de la responsabilité civile
– la réparation des dommages (la mise à jour
des professionnels de santé. Elle écrit : « À titre de
sur ce sujet est traitée dans le chapitre corres-
piste de réflexion, nous avions proposé naguère de
pondant de l’ouvrage).
renoncer à la responsabilité contractuelle des
professionnels de santé au profit d’une responsa-
bilité légale ou statutaire fondée sur la loi du L’établissement
4 mars 2002 et les dispositions déontologiques cor-
de la responsabilité en 2007
respondantes, puisqu’aussi bien les devoirs des pro-
fessionnels de santé et les droits de leurs patients Ne seront retenus ici que les éléments de jurispru-
sont désormais prévus indépendamment de toute dence postérieurs à juin 2004 dans la mesure où
situation contractuelle ». ils modifient la doctrine de la Cour de cassation
Un tel revirement, qui intègre sans le dire la res- telle qu’exposée dans les différents chapitres
ponsabilité pour risque qu’utilise la loi du 4 mars précédents.
2002 pour indemniser l’aléa médical, tout en réaf- Le préambule mérite d’être médité tant par les
firmant la notion générale de responsabilité pour acteurs de santé que par les experts auxquels
faute, rendrait nécessaire une unification du seront soumis les litiges : « Toute responsabi-
contentieux qui n’est pas à l’ordre du jour (cf. lité suppose un fait générateur en lien avec le
« L’indemnisation des préjudices en responsabilité dommage. Dans le domaine de la santé, ces
médicale en Europe »). deux éléments doivent être appréciés en tenant
L’auteur ajoute : « En outre, il faudrait prendre garde compte de l’extrême complexité de l’organisme
qu’à raisonner exclusivement en termes de devoirs humain et de sa fragilité, toute intervention en
des uns et de droits des autres, on aboutisse à remet- vue d’améliorer la santé de l’ être humain étant
tre en cause l’équilibre fragile que la Cour de cassa- entachée d’une part d’aléa. C’est pourquoi
tion a tenté de préserver entre la protection de la l’ établissement du fait générateur de la respon-
santé des personnes et les responsabilités des acteurs sabilité d’un acteur de santé requiert beaucoup
de santé, soumis dans le système de soins privés à des de précautions tandis que la causalité, quant à
contraintes de plus en plus lourdes. En droit comme elle, est moins certaine qu’ailleurs, puisque la
en médecine, l’essentiel n’est-il pas de ne pas nuire ? » santé n’est que le résultat d’un équilibre pré-
caire, aussi la faute médicale, fût-elle établie,
n’est-elle pas nécessairement à l’origine du
L’analyse de la jurisprudence dommage. »
jusqu’à 2007
L’ analyse de la jurisprudence de la Cour de cassa- Le fait générateur
tion en matière de santé depuis ses origines jusqu’à de la responsabilité à l’épreuve
2007 retient l’attention de l’expert sur deux grands de la nature de l’activité médicale
chapitres :
1. Les relations juridiques nécessaires au fonc- Les professionnels de santé ont une activité qui
tionnement des activités de santé dont est s’exerce directement sur des patients ce qui lui
extraite l’étude sur : confère un caractère altruiste qui justifie, en
équité, la responsabilité pour faute. Cette position
– les consentements avec leur corollaire, l’infor- est réaffirmée même vis-à-vis de l’obligation d’in-
mation du patient, formation qui, dans l’état actuel, « ne peut débou-
– la confidentialité des informations relatives à cher que sur une éventuelle indemnisation de la
la santé ; perte de chance ».

214
Chapitre 5. La responsabilité médicale

La responsabilité pour faute L’absence de faute prouvée conduit à reconnaître


l’aléa médical, soit du fait de l’état initial du
La preuve de la faute incombe au patient (CC. patient (CC. 1re civ., 31 mai 2007) ou d’une réac-
1re civ., 4 janvier 2005) sauf en matière d’informa- tion allergique jusqu’alors inconnue (CC. 1re civ.,
tion dont la preuve incombe au médecin. 6 décembre 2007).
La distinction entre faute d’humanisme et faute La responsabilité d’un médecin salarié d’un éta-
technique est confirmée. blissement de santé privé n’est engagée à l’égard du
Parmi les fautes d’humanisme, l’information est le patient que s’il a excédé les limites de sa mission
plus régulièrement mise en cause. (CC. 1re civ., 12 juillet 2007).
Cette faute ne peut être retenue à propos d’un chan-
gement inopiné et impératif de stratégie thérapeu- Atténuation de la charge
tique s’il y a impossibilité de consulter le patient de la preuve
(CC. 1re civ., 31 mai 2007). Sauf impossibilité, l’in-
La preuve de l’information donnée incombe au
formation n’est due qu’au patient et non à son
praticien. Le juge du fond apprécie souveraine-
entourage (CC. 1re civ., 6 décembre 2007). La preuve
ment si l’état litigieux était indispensable, peu
de l’information peut être rapportée par tous
important, alors que le consentement n’a pas été
moyens y compris par présomptions (CC.
donné (CC. 1re civ., 31 mai 2007).
1re civ., 4 janvier 2005). Le médecin ne peut invo-
quer le fait que d’autres ont pu donner l’informa- Le jeu des présomptions de faute en faveur du
tion à sa place (CC. 1re civ., 31 mai 2007). La perte patient : la lésion du nerf sublingual lors d’une
de chance par manquement dans l’information extraction dentaire est présumée imputable à
n’est justifiée que si l’information avait été de nature l’imprécision du geste médical dès lors que le pra-
à dissuader le patient de se soumettre à l’interven- ticien ne démontre pas que le trajet du nerf lésé
tion litigieuse (CC. 1re civ., 7 décembre 2004 et CE, présentait une anomalie le rendant vulnérable
Assemblée, 19 mai 2004). Lorsque l’intervention (CC. 1re civ., 17 janvier 2008).
est si indispensable que le patient, même correcte- La présomption de faute est remise en cause au
ment informé du risque, n’y aurait pas renoncé, profit de l’aléa médical par application de la loi du
celui-ci ne peut prétendre à l’indemnisation d’un 4 mars 2002 (CC. 1re civ., 14 juin 2005 - 29 novem-
préjudice moral (CC. 1re civ., 6 décembre 2007). bre 2005).
Les fautes techniques ont été analysées précédem-
ment. Rappelons que la jurisprudence antérieure Les responsabilités sans faute
les excluait déjà en cas d’aléa médical.
Elles concernent la responsabilité du fait des
De l’erreur médicale retenons récemment un arrêt infections nosocomiales (cf. « L’infection nosoco-
du 13 février 2007 (CC. crim.) sanctionnant pour miale, aspects médico-juridique ») et du fait des
homicide involontaire un médecin de garde qui produits de santé et choses que le médecin uti-
n’avait pas pris les dispositions nécessaires pour lise pour son activité (cf. « Effets indésirables et
être joint. C’est à la limite de la non-assistance à mésusage du médicament… » et « Médicaments,
personne en danger. matériels médicaux, biomatériaux : les respon-
L’ erreur d’indication (dite dans le choix du traite- sabilités »).
ment) n’a fait l’objet d’aucun nouvel arrêt.
La faute dans la mise en œuvre du traitement est La responsabilité du fait d’autrui
retenue dans l’arrêt du 21 février 2006 (CC.
1re civ.) qui stigmatise la maladresse dans une per- dans l’exercice pluridisciplinaire
foration colique au cours d’une coloscopie (cf. « Le à l’épreuve de l’indépendance
fait du chirurgien - le manquement à la conscience Le rapport, sur ce point important, n’apporte pas
technique - arrêt Franchot »). de jurisprudence nouvelle. Un long développe-
Un défaut de surveillance peut donner lieu à une ment est toutefois consacré à l’émergence et l’affi-
poursuite pénale pour homicide involontaire nement du concept d’équipe médicale et d’équipe
(CC., Crim., 13 février 2007). de soins (p. 241 à 254 du rapport). Il prend tout

215
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

son intérêt dans la pratique de plus en plus systé- niste, est quasi assurée d’une immunité juridique
mique de l’acte médical au sein d’une chaîne de en responsabilité professionnelle. Les moyens sont
soins [43]. à la hauteur des connaissances. Les obligations
Un point mérite que l’on s’y arrête, la responsabi- sont surtout humanitaires. Guérir, sauver un
lité du médecin salarié et de l’établissement de malade tient encore de la chance, de la bonne
santé privé vis-à-vis du malade. La jurisprudence nature ou du miracle. Il n’est que de se souvenir de
a fortement évolué en 2004 (cf. ci-dessus), passant la phrase d’Ambroise Paré : « Je le pansai. Dieu le
de la responsabilité à l’immunité du médecin. Le guérit. »
20 février 2002 le Tribunal des Conflits avait sta- Le xixe siècle, siècle moralisateur, sinon moral (il
tué, suivant en cela une jurisprudence de la Cour n’est pas le seul), voit apparaître, avec l’arrêt du
de cassation du 26 mai 1999. Le principe était 18  juin 1835, une responsabilité médicale délic-
ainsi énoncé : « En vertu du contrat d’hospitalisa- tuelle ou quasi délictuelle par application des arti-
tion et de soin le liant au patient, un établissement cles 1382 et 1383 du Code civil (1804). Le médecin
de santé privé est responsable des fautes commi- responsable est obligatoirement fautif et redevable
ses tant par lui-même que par substitués ou pré- sur son propre patrimoine. C’est dire que seules
posés qui ont causé un préjudice à ce patient…, les fautes lourdes sont sanctionnées, ce qui limite
mais eu égard à l’indépendance professionnelle beaucoup le champ de la responsabilité médicale.
dont bénéficie le médecin dans l’exercice de son Le xxe siècle commence le 16 juin 1896 avec l’arrêt
art, qui est au nombre des principes généraux du Teffaine par l’application de l’article 1384 du Code
droit, il est loisible au patient, indépendamment civil, toujours pour délit ou quasi-délit, mais
de l’action qu’il est en droit d’exercer sur un fonde­ dépersonnalisé puisque la responsabilité est
ment contractuel à l’encontre de l’établissement reportée sur le matériel. Faut-il que le médecin
privé de santé de rechercher, sur le terrain délic- supporte seul l’accroissement des contentieux
tuel, la responsabilité du praticien lorsque, dans la générés par cette dépersonnalisation ? Ce n’est
réalisation d’actes médicaux, celui-ci a commis satisfaisant pour personne.
une faute ».
L’environnement socio-économique change. La
Par les arrêts du 9 novembre 2004 et du 12 juillet responsabilité contractuelle est de plus en plus
2007, la 1re Chambre civile de la Cour de cassa- évoquée à propos de la médecine. En même
tion a procédé à un revirement de jurisprudence temps, alors que, pour de soi-disant raisons
et consacré l’immunité civile du médecin salarié moralisatrices, le xixe siècle s’était refusé à
dans la mesure où il a agi sans excéder les limi- dépersonnaliser les conséquences financières du
tes de la mission qui lui est impartie par l’éta- délit civil commis par le responsable fautif, la
blissement de santé privé. C’est opérer un notion d’obligations contractuelles à laquelle est
rapprochement avec les établissements de santé liée la notion de réparation du préjudice va
publics et tenir compte de l’obligation pour les engendrer le développement de l’assurance en
établissements de santé de souscrire une assu- responsabilité civile. La dette de réparation du
rance couvrant leurs salariés agissant dans la responsable-coupable est transférée sur son
limite de leur mission (loi du 4 mars 2002). La assureur mais l’assurance n’est obligatoire que
Cour de cassation exclut par contre de cette depuis le 4 mars 2002 !
immunité le médecin travaillant à titre libéral
Une telle évolution ne pouvait qu’aboutir à l’arrêt
dans un établissement privé même si l’organisa-
Mercier du 20 mai 1936 qui érige en principe fon-
tion de la structure de santé rend illusoire le
damental que la responsabilité médicale est une
choix du médecin par le patient (rapport annuel
responsabilité contractuelle de moyens et non de
CC. 2004).
résultat. Elle repose sur la faute contractuelle
prouvée, le dommage réel constaté, le lien de cau-
salité prouvé portant sur l’entier dommage.
Conclusion La petite histoire retiendra que la conclusion de
l’arrêt Mercier a été prise pour résoudre un pro-
L’ancien régime se termine aux alentours de 1830. blème de prescription de la responsabilité médi-
Jusque-là, la médecine, contemplative et huma- cale qui est devenu trentenaire. Elle est limitée à

216
Chapitre 5. La responsabilité médicale

dix ans depuis la loi de 2002. Elle n’a pas bénéficié Bibliographie
de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la
prescription en matière civile. [1] Arrêt Mercier, Cour de cassation, 1re chambre civile,
20 mai 1936. Rapporteur : conseiller L. Josserand.
Le xxie siècle commence le 20 décembre 1990 avec Conclusions : procureur général P. Matter.
l’arrêt Gomez. C’est le droit public qui ouvre une [2] Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des
brèche dans l’édifice Mercier, plus fragile qu’il n’y malades et à la qualité du système de santé. Journal
paraissait. Les prétoires sont sensibles à l’opinion officiel, 5 mars 2002.
publique. Le vieux cri de J. Favre retentit encore : [3] Bonneau J. In : Le risque thérapeutique. Gaz Pal ;
« Il y a des souffrances imméritées. » Dans un pre- 1993. p. 2 Doctr., 1074.
mier temps, la jurisprudence civile « tord » quel- [4] Chabas F. L’obligation de moyens du médecin.
que peu le droit contractuel pour rétablir l’équité Journée d’études sur l’indemnisation des accidents
avec le droit public. Ce sont les biais juridiques médicaux. Cour de cassation. 24 avril 1997.
évoqués. [5] Chadelat C. Les rapports de l’administration relatifs
à la responsabilité médicale. Session ENM ; 29 mai-2
Mais la demande se fait plus pressante. Les res- juin 1995.
trictions mises par le Conseil d’État à une indem- [6] Code de déontologie médicale. Décret no 95-1000 du
nisation du préjudice lié à un aléa thérapeutique 6 septembre 1995.
ne paraissent plus tolérables. Les années tragiques [7] Dérobert L. Droit médical, Déontologie médicale.
de la contamination post-transfusionnelle (de Paris : Flammarion ; 1976.
1980 à 1985) suscitent un mouvement d’opinion [8] In : Directive européenne du 25 juillet 1985 en
en faveur d’une prise en charge non restrictive de matière de responsabilité du fait des produits défec-
l’aléa thérapeutique. C’est l’application pure et tueux. JOCE L. 210, 7 août 1985. p. 210.
simple de la théorie du risque. [9] Directive européenne du 9 novembre 1990 sur la res-
Les politiques ont travaillé : rapports, projets et ponsabilité du prestataire de service.
propositions de lois. Rien n’a abouti avant le [10] Dubois O. La démographie médicale. Séance de l’aca-
démie de chirurgie du 28 mai 1997. Chirurgie 1997.
4 mars 2002.
[11] Ewald F. Le problème français des accidents théra-
Le pouvoir judiciaire, grâce à la jurisprudence, peutiques. Enjeux et solutions. Rapport au ministre
prend le relais. Il affine l’interprétation des arti- de la santé et de l’action humanitaire. septembre-
cles du Code ou en applique de nouveaux jusque- octobre 1992.
là laissés en sommeil. Plus rapidement adaptable, [12] Ewald F. Philosophie de l’indemnisation de l’aléa
la jurisprudence a pour seul frein la conscience et thérapeutique. Session ENM ; 29 mai – 2 juin 1995.
le bon sens de nos hauts magistrats auxquels le [13] Fabre H. L’expert face au concept de responsabilité
procureur général P. Matter conseillait en 1936 médicale. In : Actes du Colloque de la CNEM. Paris,
« d’agir en prudente réserve lorsqu’ils s’ingèrent Sénat, 2 décembre 1994. Le médecin expert judiciaire
au service de la justice, Revue Experts hors série jan-
dans l’examen des théories ou des méthodes
vier 2002, 187 p.
médicales. »
[14] Gromb S. Responsabilité médicale : va-t-on indemniser
Le problème financier n’est pas pour autant l’accident médical ? Médecine et Droit 1996 ; 6 : 12–7.
résolu. [15] Guigue J. Flash de jurisprudence de la Cour de cassa-
Fallait-il que, nouveau monstre froid, scientifique tion (arrêt Franchot). Gaz Pal février 1997 : 32–3.
et technique, la médecine, économiquement sou- [16] Guillien R, Vincent J. Lexique de termes juridiques.
mise, rejoigne les autres institutions d’État pour 1990 Dalloz, Paris.
que soit résolue l’indemnisation d’un aléa médi- [17] Hamburger J. La révolution thérapeutique. Le Monde,
cal déresponsabilisé, en quelque sorte aseptisé ? 16 avril 1992 .
Le droit privé aurait enfin rattrapé voire dépassé [18] Hureau J. Le risque chirurgical. Un concept évolutif.
le droit public. Est-ce jouer les prophètes ? Toutes Chirurgie. 1991 ; 117 : 624–33.
les prophéties ne se réalisent pas. Hippocrate y [19] Hureau J. L’immortalité ? La médecine et le droit face
perdrait son âme. L’humanisme médical a encore au vieux rêve humain. Revue Experts 1996 ; 32 : 32–5.
besoin de médecins indépendants et responsables, [20] Jourdain P. L’évolution de la jurisprudence judiciaire
et l’indemnisation des accidents médicaux surve-
travaillant avec science, conscience et confiance. nus dans le cadre de la médecine libérale. Journée
La sécurité des malades et la solidarité de la société d’étude sur l’indemnisation des accidents médicaux.
y gagneront. Cour de cassation 24 avril 1997.

217
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

[21] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel. Systèmes la jurisprudence de la Cour de cassation et les inci-
d’indemnisation. 4e édition. Dalloz, Paris 2000. dences des lois du 4 mars et du 30 décembre 2002 –
[22] Penneau J. Le point sur les propositions de lois dans Session de formation continue des magistrats sur la
la responsabilité médicale, de la faute au risque. responsabilité des médecins. ENM, 8–11 juin 2004.
Session ENM, 29 mai-2 juin 1995. [33] Sicot C. Une politique de gestion des risques : pour-
[23] Pouletty J. Comment indemniser les accidents médi- quoi ? Responsabilités, 2004 ; 11 : 3–5.
caux : le point de vue de l’assureur. Colloque de l’Or- [34] Tiétart-Frogé MP. Le Nouveau code pénal présenté
dre des Médecins et de l’Ordre des Avocats, Pans aux médecins. Thèse de médecine, université Paris V,
4 décembre 1992. Risque thérapeutique et responsa- 1993–1994.
bilité médicale. Numéro spécial du bulletin de l’or- [35] Thouvenin D. Note sur l’arrêt du 7 janvier 1997 et le rap-
dre national des médecins. Paris. 1993 port de M.P. Sargos. Recueil Dalloz, 1997 ; 16 : 190–2.
[24] Robert P. Dictionnaire alphabétique et analogique de [36] Vandermeeren R. Le juge administratif et la res-
la langue française. Société du nouveau Littré, Paris, ponsabilité médicale. Colloque de la CNEM, Paris,
1962. Sénat, 2 décembre 1994. Revue Experts, hors série,
[25] Rapport annuel de la cour de cassation de 1996. janvier 2002 173–9.
La jurisprudence civile de la Cour de cassation en [37] Viney C, Jourdain P. L’indemnisation des accidents
matière de faute médicale. P. Sargos rapporteur : médicaux : que peut faire la Cour de cassation ? À pro-
189–203. pos de Cass., 1re Civ., 7 janvier et 25 février 1997). La
[26] Sargos P. Aspect de la doctrine de la Cour de cassa- Semaine Juridique, Doctrine 4016 1997 ; 17 : 181–7.
tion en matière de responsabilité : la responsabilité [38] Hureau J. Perforation colique au cours de la colosco-
médicale en matière d’exercice médical pluridis- pie. 100 observations. Chirurgie 1992 ; 118 : 703–6.
ciplinaire. Journée de formation, 20 février 1996.
Médecine et Droit, mars-avril 1996 p. 17. [39] Rapport annuel de la Cour de cassation du 2007. La
santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation.
[27] Sargos P. Réflexions sur les accidents médicaux et la La Documentation française, édit. Paris 2008.
doctrine jurisprudentielle de la Cour de cassation en
matière de responsabilité médicale. Dalloz-Sirey, 1996. [40] Le risque des professions de santé en 2002 - 2003 - 2004 -
2005 - 2006 - 2007 - Numéros annuels hors série publiés
[28] Sargos P. Le point de vue d’un magistrat sur l’indem- sous la direction de C. Sicot. Responsabilité, éditions
nisation des accidents médicaux. Journée d’étude, du GAMM - mars 2004 - mars 2005 - novembre 2005
Paris/Cour de cassation 24 février 1997. - novembre 2006 - novembre 2007 - novembre 2008.
[29] Sargos P. CC, 1re civ., arrêt du 7 janvier 1997. Recueil [41] Feuillet-Le Mintier B. L’évolution de la notion
Dalloz, 1997 ; 16 : 189–90. d’acte médical. Colloque « Nouvelles frontières
[30] Sargos P. CC, 1re civ., arrêt du 25 février 1997. Gazette de la santé, nouveau x rôles et responsabilités du
du Palais, p. 27–29 avril 1997, 22–7. médecin. Paris : France (2006),[halsha - 00010675
[31] Sargos P. Les fautes médicales pénales dans la juris- - version 1]
prudence de la Chambre criminelle de la Cour de [42] Timsit G. Les figures du jugement. PUF. Les voies du
cassation (9 juin 1997). Rapport annuel de la Cour de droit. 1993.
cassation de 1997. [43] Hureau J, Hubinois P. La médecine systémique et la
[32] Sargos P. L’évolution de la responsabilité civile des culture qualité – sécurité. Revue Experts, 2006 ; 73 :
médecins et des établissements de santé privés dans 30–6.

La responsabilité pénale médicale


M.P. Tiétart-Frogé

Il est assez simple de définir la responsabilité Le pouvoir répressif étant un des attributs de la
pénale comme la responsabilité qui peut être souveraineté, il s’exerce où s’exerce la souveraineté
engagée par la violation de la loi pénale. Elle a de l’État, sur son territoire et éventuellement, sur
pour objet de punir le coupable d’une infraction, ses ressortissants à l’étranger.
c’est-à-dire de sanctionner un comportement Un médecin exerçant en France, quel que soit son
considéré comme répréhensible par la société, une mode d’exercice (médecin libéral, salarié ou d’un
infraction pénale. service public), sera soumis à la loi pénale fran-

218
Chapitre 5. La responsabilité médicale

çaise tant dans sa vie quotidienne qu’à l’occasion Les corollaires de ce principe de légalité sont celui
de son exercice professionnel. de l’interprétation stricte de la loi pénale par le
Le souci permanent du législateur, en matière juge (C. pén., article 111-4) et de la non-rétroacti-
répressive, en droit pénal comme en procédure vité de la loi pénale à moins qu’elle ne soit plus
pénale, doit être de concilier le respect des libertés douce que la loi pénale précédente (C. pén., article
individuelles et la protection de l’ordre social, 112-1 et 112-2)
dans l’affirmation de principes essentiels et la La prévision de l’infraction par les textes constitue
définition des infractions. ce qui est généralement appelé l’élément légal de
l’infraction. Ainsi la gravité des infractions ne
dépend pas d’une gravité morale, intrinsèque, mais
Principes du droit pénal de l’atteinte qu’elles portent à l’ordre public à un
moment donné, l’importance de la sanction encou-
La loi pénale rue traduisant celle de la réaction sociale. La nature
et les échelles des peines encourues sont détermi-
En France, depuis l’entrée en vigueur du Nouveau nées aux articles 131-1 et 131-44 du Code pénal. La
code pénal (NCP) le 1er mars 1994, la loi pénale tentative de crime est toujours punissable. La tenta-
s’entend de lois au sens matériel du terme, c’est- tive de délit n’est punissable que si la loi le prévoit.
à-dire de dispositions générales (s’adressant à Le même comportement pourra ou non, selon
tous), répressives, déterminant des infractions et l’époque ou les pays, être sanctionné pénalement.
le maximum des sanctions encourues (graduées Nous pouvons donner l’exemple de l’euthanasie.
selon l’échelle des peines), que le texte (code pénal,
dispositions pénales intégrées dans d’autres codes Le principe de la responsabilité
ou textes divers) soit d’origine parlementaire,
législative, (c’est alors une loi au sens formel du personnelle
terme) ou d’origine gouvernementale, exécutive C. pén., article 121-1 : « Nul n’est responsable
(il s’agit alors d’un règlement). pénalement que de son propre fait. »
Ainsi, en matière médicale, le Code de la santé Le fait, élément matériel de l’infraction, peut
publique (CSP) reprend de nombreuses disposi- d’ailleurs consister en une omission.
tions du code pénal susceptibles de s’appliquer
aux professions médicales et y ajoute des infrac- La responsabilité pénale n’est pas couverte par
tions spécifiques à ces professions. l’assurance, par l’administration ou par l’em-
ployeur. Mais l’employeur et l’employé peuvent
être éventuellement déclarés tous les deux pénale-
Le principe de légalité ment responsables. Un interne (ou même un
des infractions et des peines externe) peut être condamné indépendamment
de son supérieur hiérarchique.
Le principe de légalité des infractions et des peines Le complice est puni comme auteur (et non comme
formulé en 1789 dans les articles 7 et 8 de la l’auteur) (C. pén., article 121-4), c’est-à-dire que les
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la
repris dans de nombreux textes internationaux et responsabilité, l’existence de circonstances aggra-
dans les préambules des Constitutions françaises vantes sont appréciées en chacun des protagonis-
de 1946 et 1958 qui permet au justiciable d’échap- tes (C. pén., article 121-6 et 121-7).
per à l’arbitraire des juges mais également de la
répartition des compétences entre le pouvoir régle-
mentaire et législatif issue des articles 34 et 37 de Les particularités de la
la Constitution de la Ve République. Aussi les responsabilité des personnes
contraventions qui sont définies par le règlement, morales
seule la loi au sens formel du terme (votée par le
Parlement) pouvant prescrire une peine privative Par contre, le NCP a introduit dans notre droit
de liberté, ne peuvent plus être punies d’empri- pénal la responsabilité pénale des personnes
sonnement (C. pén., article 111-2 et 111-3) morales (en matière médicale, hôpitaux publics,

219
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

cliniques privées, laboratoires…) du fait des L’élément moral, intellectuel,


infractions commises, pour leur compte, par leurs psychologique ou intentionnel
organes ou représentants.
de l’infraction
NCP, article 121-2 : « Les personnes morales, à
l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement L’infraction pénale suppose non seulement un
selon les distinctions des articles 121-4 et 121-7, élément matériel, un fait ou un comportement
des infractions commises, pour leur compte, par mais également un élément intellectuel, inten-
leurs organes ou représentants. tionnel qui doit être d’autant plus caractérisé que
Toutefois, les collectivités territoriales et leurs l’infraction est lourdement réprimée.
groupements ne sont responsables pénalement C. Pén., article 121-3 : « Il n’y a point de crime ou
que des infractions commises dans l’exercice d’ac- de délit sans intention de le commettre.
tivités susceptibles de faire l’objet de conventions Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas
de délégation de service public. de mise en danger délibérée de la personne
La responsabilité pénale des personnes morales d’autrui.
n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit [en
ou complices des mêmes faits. » cas de faute non intentionnelle].
La formulation de cet article souligne bien le para- Il n’y a point de contravention en cas de force
doxe. Alors que l’article 121-1 vient d’affirmer le majeure. »
caractère personnel de la responsabilité pénale, la
Le code pénal a ainsi créé une nouvelle catégorie
« personne morale » n’est justement pas responsa-
de délits dans laquelle le dommage n’est pas voulu
ble « de son fait ». On retrouve cependant cette
en lui-même mais qui suppose un comportement
notion de responsabilité personnelle dans le fait
particulièrement dangereux et, lui, volontaire.
qu’une personne morale ne peut être condamnée
pour une infraction commise par la personne Le code pénal a également laissé subsister la possi-
morale qu’elle a absorbée et à laquelle l’absorption bilité de délits non intentionnels mais les lois du
a fait perdre son existence (Cass., Crim., 20 juin 13 mai 1996 et du 10 juillet 2000 ont modifié consi-
2000, D. 2001, p. 853, note H. Matsopoulos). dérablement les conditions de leur répression.
En réalité, le NCP avait prévu, sur des considéra- Cela n’est pas sans conséquence sur la répression
tions essentiellement pragmatiques, des sanctions des infractions involontaires reprochées aux
pénales adaptées pour les personnes morales médecins, régime le plus fréquent de la responsa-
(visant essentiellement leurs intérêts économiques) bilité médicale.
« dans les cas prévus par la loi ou le règlement. »
La loi du 9 mars 2004 (loi Perben 2), en suppri-
mant cette limitation, a généralisé cette responsa- Infractions reprochables
bilité pénale des personnes. aux médecins
Même si la responsabilité des personnes morales
n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs Les infractions en matière
ou complices des mêmes faits, la possible mise en de santé publique et éthique
cause de la personne morale peut permettre d’évi-
biomédicale
ter dans certains cas la condamnation de la per-
sonnephysique.Cetteremarqueestparticulièrement Quelques dispositions du CSP constituaient tradi-
justifiée en matière de délits non intentionnels qui tionnellement un droit pénal spécial de la médecine,
sont le plus souvent (environ 90 % des cas) repro- comme l’exercice illégal de la médecine (CSP, article
chés aux médecins. L. 4161-1 à L. 4161-6) qui peut également être le fait
La mise en cause de l’hôpital permettra, dans cer- d’un médecin ou un exercice non conforme à l’es-
taines circonstances, à des chefs de service ou autres prit et à la lettre de la déontologie médicale comme
responsables d’éviter de se voir attribuer une res- le compérage, la dichotomie, l’exercice de la méde-
ponsabilité pénale dans la survenue du dommage. cine foraine, l’exercice de la médecine comme un

220
Chapitre 5. La responsabilité médicale

commerce, l’exercice sous un pseudonyme, le fait de comme du médecin qui violerait une patiente
ne pas déférer aux réquisitions de l’autorité publique (C. pén., article 222-23s.) et pour lesquelles la qua-
(CSP, article L. 4163-72o). lité de médecin pourrait même constituer une cir-
Les infractions « en matière de santé publique » ou constance aggravante.
« en matière d’éthique biomédicale » se sont mul- Nous avons évoqué l’interruption illégale de gros-
tipliées avec le développement des nouvelles tech- sesse (C. pén., article 223-10). Le secret profession-
niques et font l’objet, depuis les lois bioéthiques de nel (C. pén., article 226-13 et 226-14) est abordé
juillet 1984, révisées en août 2004, du chapitre ailleurs dans l’ouvrage. La délivrance de faux cer-
unique du titre II du livre V du Code pénal et tificats peut être sanctionnée au titre des articles
de nombreuses dispositions du CSP, en matière de 441-7 à 441-9 du NCP.
recherche biomédicale, médecine prédictive et L’infraction de mise en danger d’autrui (C. pén.,
identification génétique, don et utilisation de sang article 223-1 et 223-2), seule infraction issue du
ou produits du corps humain, prélèvements d’or- deuxième alinéa de l’article 121-3 en l’absence de
ganes, de tissus, de gamètes, assistance médicale à dommage, pourrait éventuellement s’appliquer
la procréation, utilisation de rayonnements ioni- aux médecins si les conditions de son application
sants ou de substances dangereuses, gestion d’éta- précisées par la jurisprudence n’en étaient pas
blissements à caractère sanitaire, lutte contre les aussi exigeantes
maladies mentales, pratique de la chirurgie esthé-
C. pén., article 223-1 : « Le fait d’exposer directe-
tique, droits des « usagers du service de santé »
ment autrui à un risque immédiat de mort ou de
(depuis la loi du 4 mars 2002)…
blessures de nature à entraîner une mutilation ou
Comme, en d’autres domaines techniques, les une infirmité permanente par la violation mani-
prescriptions qui entourent de plus en plus l’acti- festement délibérée d’une obligation particulière
vité médicale font l’objet de presque autant de dis- de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
positions pénales pour garantir leur application. règlement est puni d’un an d’emprisonnement et
Ainsi le manquement à l’obligation d’assurance de 15 000 euros d’amende. »
des professionnels et établissements de santé pré- Le médecin est davantage exposé à être poursuivi
vue à l’article L. 1142-2 (du CSP) est puni par l’ar- pour omission de porter assistance à personne en
ticle L. 1142-25 de 45 000 euros d’amende. péril (C. pén., article 223-6, al. 2). Le délit suppose
Cette prolifération qu’on peut regretter traduit une personne en péril, c’est-à-dire en danger grave
également le caractère légal de la sanction pénale pour sa santé ou son intégrité physique mais
et l’évolution des préoccupations de la société. encore en vie, même si elle est dans un état déses-
Ainsi, l’avortement, lourdement réprimé au début péré. Le secours apporté ne doit pas mettre en
du siècle, ne fait plus l’objet que de l’article 223-10 péril les tiers ou celui qui l’apporte. L’assistance
du code pénal réprimant « l’interruption de la pouvant être apportée soit par l’action person-
grossesse sans le consentement de l’intéressée » et nelle, soit en provoquant un secours, le médecin,
de quelques articles du code de la santé sanction- dans l’impossibilité de se déplacer, doit au moins
nant le non-respect des conditions et modalités s’assurer que la personne à secourir reçoit les soins
des interruptions de grossesse autorisées. nécessaires. Le délit étant intentionnel, la per-
sonne mise en cause doit avoir été informée et
Les infractions de droit pénal consciente du péril. Une erreur d’appréciation
commun commise de bonne foi peut excuser l’omission du
médecin. Mais un médecin sera généralement
Dans le cadre de son activité professionnelle, le considéré comme à même d’apprécier la gravité
médecin peut se voir reprocher des infractions de la situation, de donner l’assistance requise
prévues au code pénal qui ne visent pas directe- (Cass., Civ. I, quatre arrêts ; D. 1999, sommaire
ment ou exclusivement les médecins. commenté, p. 384).
Nous ne traiterons pas des infractions dont l’acti- Dans le cas où le décès serait survenu, le médecin
vité médicale représente seulement l’occasion, pourrait être poursuivi pour homicide involontaire.

221
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Les atteintes à la vie praticien est facilement mise en cause. On se sou-


ou à l’intégrité de la personne vient d’une affaire qui avait défrayé la chronique
pour des cystectomies pratiquées en 1988 sans
physique justification thérapeutique et pour lesquelles les
Par profession, le médecin touche au corps du praticiens avaient été poursuivis (sous l’empire de
patient, à l’intimité somatique et psychique de la l’ancien code pénal) pour « violences volontaires
personne. La fonction de la profession médicale est ayant entraîné une mutilation ou une infirmité
de soigner. Le geste médical est parfois agressif, permanente. » Ou de l’affaire du sang contaminé
souvent risqué mais on en attend un bénéfice. Tant dans laquelle certains praticiens avaient été pour-
que le médecin reste dans le cadre de la profession, suivis pour empoisonnement, ce qui a d’ailleurs
des règlements qui l’organisent, de sa fonction sans doute entraîné une modification de la défi-
curative, tant que ses actes peuvent être considérés nition jurisprudentielle puis légale de cette
comme médicaux, il bénéficie de la cause d’irres- infraction (Loi Perben 2 du 4 mars 2004, articles
ponsabilité pénale constituée par l’autorisation de 6 et 12).
la loi, implicite en raison du rôle social et de l’orga- Quand le patient a consenti à l’intervention, il ne
nisation de la profession, explicite pour certaines s’en plaindra généralement pas mais l’infraction
activités (comme l’interruption volontaire de gros- demeure.
sesse) et ne peut se voir reprocher les atteintes qu’il Ainsi, alors que des interventions chirurgicales
porte volontairement à une personne humaine. sont assez régulièrement pratiquées en cas de
C. pén., article 122-4 : « N’est pas pénalement res- transsexualisme avéré, les chirurgiens qui avaient
ponsable la personne qui accomplit un acte pres- pratiqué une ablation de l’appareil génital mascu-
crit ou autorisé par des dispositions législatives ou lin avec plastie d’un néovagin ont pu être condam-
réglementaires. » nés pour « blessures volontaires commises avec
Les conséquences dommageables de ses actes préméditation » (ancien Code pénal, article 309 ;
médicaux légitimes seront éventuellement sanc- Cour d’appel, Aix-en-Provence, 7e Ch., 23 avril
tionnées mais comme atteintes involontaires à la 1990, D. 1991, Sommaire, p. 360, note J. Penneau)
vie ou à l’intégrité de la personne humaine. (Cass., Crim., 30 mai 1991, Bull crim, 1991 : 232)
sur la plainte de parents d’un patient qui s’était
suicidé peu après l’intervention.
Les atteintes volontaires à la vie Actuellement, les sanctions en matière de violen-
ou à l’intégrité de la personne ces volontaires dépendent du degré d’incapacité
humaine totale de travail qu’elles ont entraîné et sont pré-
vues par les articles 222-7 à 222-13 du code
La sanction du comportement d’un médecin pénal.
comme atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité
de la personne humaine suppose que le médecin Quant aux atteintes volontaires à la vie dans le
sorte de sa fonction sociale, que son acte n’ait pas cadre de l’activité médicale, elles peuvent consti-
d’intérêt médical tuer des cas d’euthanasie, actuellement punissable
sous diverses qualifications et traitée par ailleurs
Le consentement du patient, de la victime ne peut dans cet ouvrage.
justifier l’intervention mais la notion d’intérêt
médical ou le champ de l’autorisation légale sont Les atteintes involontaires à la vie
eux-mêmes susceptibles d’évoluer comme pour
l’interruption volontaire de grossesse ou pour la
ou à l’intégrité de la personne
stérilisation volontaire à visée contraceptive, humaine
longtemps punissable (Cass., Crim., 1er juillet Plus justement et plus souvent reprochées aux
1937, Gaz Pal, 1937 ; (II) : 358), désormais autori- médecins, dans le cadre d’une activité profession-
sée sous certaines conditions par la loi no 2001- nelle qui comporte des risques, sont les atteintes
588 du 4 juillet 2001. involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la
En l’absence de consentement du patient ou en personne humaine (C. pén., article 221-6, 222-19,
cas de consentement vicié, la responsabilité du 222-20, 222-21, R622-1, R 625-2 et R625-3).

222
Chapitre 5. La responsabilité médicale

La répression de ces atteintes suppose une faute, Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les per-
un dommage et un lien de causalité entre la faute sonnes physiques qui n’ont pas causé directement
et le dommage. le dommage, mais qui ont créé ou contribué à
L’importance du dommage (atteinte à la vie, inca- créer la situation qui a permis la réalisation du
pacité totale de travail supérieure à trois mois, dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures per-
inférieure ou égale à trois mois, absence d’incapa- mettant de l’éviter, sont responsables pénalement
cité totale de travail) articulée, en cas de manque- s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon mani-
ment à une obligation de prudence ou de sécurité festement délibérée une obligation particulière de
prévue par la loi ou le règlement avec le caractère prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
manifestement ou non délibéré de la violation, règlement, soit commis une faute caractérisée et
détermine la gravité de l’infraction. qui exposait autrui à un risque d’une particulière
gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »
Le dommage doit correspondre aux prévisions
des textes. Si l’on recherche la responsabilité pénale d’une
personne morale, même en cas de causalité indi-
La Cour de cassation a écarté la qualification d’ho- recte, une faute simple suffit.
micide pour le fœtus non né, même viable (Cass.
crim., 30 juin 1999, Bull crim, 1999, no 174 confirmé Cela va peut-être accroître les cas de mise en cause
par Assemblée Plénière, 29 juin 2001, arrêt no 476. ou de condamnation de personnes morales en
Cass. crim., 25 juin 2002, arrêt no 3559). matière médicale, les plaignants pouvant craindre
de prouver difficilement la faute caractérisée du
De façon constante, la faute doit avoir causé de praticien alors même que la loi de juillet 2000 a
façon certaine le décès (Cass. crim. 14 mai 2008, rompu l’unité traditionnelle depuis 1912 des fau-
pourvoi no 08-80202). L’homicide n’est pas consti- tes pénale et civile, l’absence de faute pénale non
tué si la faute du praticien n’a fait perdre à la vic- intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code
time qu’une chance de survie. Si les magistrats pénal ne faisant pas obstacle à l’exercice d’une
considèrent (de façon exceptionnelle) que la faute action devant les juridictions civiles afin d’obtenir
du praticien a privé la victime de « toute possibi- la réparation d’un dommage sur le fondement de
lité de survie », c’est une condamnation pour l’article 1383 du code civil (Article 2 de la loi insé-
homicide involontaire qui pourrait être pronon- rant un nouvel article 4-1 au code de procédure
cée (Cass. crim. 9 juin 1977, Bull. crim. 1977.533) pénale).
comme lorsque « le médecin a laissé se poursuivre
un processus d’où est résulté le décès du malade » Pour retenir la responsabilité pénale d’une per-
(Cass. crim. 20 avril 1982, recueil Dalloz 1983, sonne physique, il faut distinguer le cas de « cau-
sommaires commentés p 379). Dans des cas sem- salité indirecte » où le médecin a créé ou contribué
blables, la causalité sera cependant considérée à créer la situation litigieuse ou n’a pas pris les
comme indirecte et la faute du médecin devra mesures permettant de l’éviter du cas où il a com-
désormais être « caractérisée ». mis une faute, cause directe du dommage.
La faute doit en effet être appréciée dans les condi- Peu après l’adoption de la loi du 10 juillet 2000
tions et selon les distinctions prévues à l’article qui, plus douce, devait s’appliquer aux affaires en
121-3, alinéas 3 et 4, tel qu’il résulte des modifica- cours, la Cour de cassation a cassé des arrêts qui
tions apportées par la loi no 96-393 du 13 mai 1996 avaient condamné un gynécologue obstétricien
et la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 : « Il y a (Cass. crim., 10 janvier 2001) ou un chef de service
également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de (Cass., Crim., 5 septembre 2000, Bull crim, no 262)
faute d’imprudence, de négligence ou de manque- sans rechercher s’ils avaient causé indirectement
ment à une obligation de prudence ou de sécurité ou non le dommage.
prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que Il suffit que le médecin ait commis une simple
l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences imprudence ou maladresse pour que la condam-
normales compte tenu, le cas échéant, de la nature nation pénale soit justifiée, dès lors que sa faute
de ses missions ou de ses fonctions, de ses compé- constitue la cause directe du dommage.
tences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il La causalité directe a été retenue lorsque la mala-
disposait. dresse du médecin a causé le dommage du patient

223
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

et que ce geste ne correspondait pas aux diligences Ainsi, la Cour de cassation a confirmé la condam-
normales attendues du médecin compte tenu de sa nation d’un médecin régulateur du Samu pour
mission, de ses compétences ainsi que des moyens l’homicide involontaire d’une personne décédée à
dont il disposait (Cass. crim. 21 septembre 2004, son domicile d’un infarctus du myocarde avant
no 03-85.510, Bull. crim. no 216, Cass. crim. l’arrivée du médecin de quartier qu’il avait fait le
19 ­octobre 2004, no 04-80.317, Bull. crim. no 246). choix d’envoyer sur place plutôt qu’une des trois
De même le lien de causalité sera qualifié de direct ambulances du Smur disponibles (Cass. crim., 2
lorsque la faute s’avère être « le paramètre détermi- décembre 2003, pourvoi no 02-85.254, JCP, 24
nant dans la survenance du dommage ». Ainsi si la mars 2004 ; II : 10 044, note P. Mistretta. cf. égale-
cause première du décès du patient est la défectuo- ment du même auteur, JCP, 10 juillet 2002 ; I : 149)
sité de la table d’opération (Crim. 23 octobre 2001, ou celle du médecin urgentiste, s’exposant à n’être
no 01-81.227 : Bull. crim. no 218) ou la décision pas joignable pendant une période de garde qui,
d’arrêter tous les soins (Crim. 23 octobre 2001, de surcroît, se déroule à l’occasion d’une grève
no 01-81.030 : Bull. crim. no 217), ce sont le manque générale des praticiens, avait connaissance du ris-
de vigilance du chirurgien « à l’origine ou en cours que d’une particulière gravité qu’il faisait à courir
d’intervention » ou le choix d’une technique d’ex- autrui (Cass. crim. 13 février 2007, pourvoi no
traction inadapté du praticien qui sont considérés 06-81.089). De même, en ne prenant pas toutes les
comme ayant engendré le processus mortel. dispositions requises pour parer à une éventuelle
Si la causalité est seulement indirecte, les magis- détérioration de l’état de sa patiente, l’anesthésiste
trats devront relever une violation manifestement réanimateur « expérimentée » a connaissance du
délibérée ou une faute caractérisée du praticien, risque d’une particulière gravité auquel elle expose
c’est-à-dire dans l’esprit des parlementaires qui sa patiente (Cass. crim. 13 février 2007, pourvoi no
ont rédigé la loi, l’équivalent d’une faute inexcusa- 06-81.089).
ble. Pour retenir une telle faute, il sera nécessaire Il faut noter qu’en cas de causalité indirecte, si le
de constater une faute ayant exposé autrui à un praticien n’est pas condamné au pénal, en l’ab-
risque d’une particulière gravité (c’est le risque sence de faute caractérisée, sa responsabilité civile
encouru qui doit être d’une exceptionnelle gravité peut cependant être engagée
et non le dommage réellement subi) mais égale- En toute hypothèse, l’articulation de ces condi-
ment que l’auteur ne pouvait ignorer ce risque. tions, caractère direct ou indirect de la causalité,
Cette connaissance du risque fait l’objet d’une faute caractérisée ou non, certitude ou doute,
appréciation in concreto par les juges qui se fon- laisse une grande marge d’appréciation au magis-
dent tantôt sur des éléments factuels, tantôt sur les trat éclairé par les constatations et les conclusions
qualités du praticien. de l’expert.

224
Des aspects particuliers Chapitre  6
de la responsabilité
médicale
Le devoir médical d’information,
le consentement ou le refus éclairé
J. Hureau

Jurisprudence et commentaires jurisprudence par rapport à l’arrêt du 29 mai


1951.
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que « … Vu l’article 1315 du code civil, attendu que
nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas celui qui est légalement ou contractuellement tenu
qu’elles sont difficiles », Sénèque. d’une obligation particulière d’information doit
apporter la preuve de l’exécution de cette obligation ;
La communication n’a jamais été aussi médiocre
entre les êtres humains que depuis que l’on en Attendu qu’à l’occasion d’une coloscopie avec
parle et qu’elle est dotée des moyens techniques les ablation d’un polype réalisée par le docteur
plus étonnants. Je veux parler du dialogue, cette Cousin, M. Hédreul a subi une perforation intes-
conversation singulière d’homme à homme, celle tinale ; qu’au soutien de son action contre ce
du malade avec son médecin dans le secret du médecin M.  Hédreul a fait valoir qu’il ne l’avait
cabinet. La voix, l’oreille et le cerveau y suffisent. pas informé du risque de perforation au cours
Encore faut-il s’en servir intelligemment. d’une telle intervention ; que la cour d’appel a
écarté ce moyen et débouté. M. Hédreul de son
action au motif qui lui appartenait de rapporter la
Les arrêts de la Cour preuve de ce que le praticien ne l’avait averti de ce
de cassation risque, ce qu’il ne faisait pas dès lors qu’il ne pro-
duisait aux débats aucun élément accréditant sa
Les principaux arrêts rendus entre le 25 février
thèse ;
1997 et le 18 janvier 2000, au nombre de douze,
seront répertoriés par ordre chronologique. Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le médecin
est tenu d’une obligation particulière d’informa-
Ils ont rappelé les médecins à leur devoir déonto-
tion vis-à-vis de son patient et qu’il lui incombe de
logique et contractuel. Les arrêts plus anciens
prouver qu’il a exécuté cette obligation, la cour
traitant du devoir d’information seront signalés à
d’appel a violé le texte susvisé… ».
titre historique dans les commentaires.

Arrêt no 426 du 25 février 1997, Arrêt du 19 mars 1997


Hédreul (Civ. I, Bull. no 75) (Civ. II, Bull. no 86)
Il concerne l’obligation particulière d’informa- Il concerne le droit au refus de soins.
tion par le médecin et l’obligation qui lui est faite « Nul ne peut être contraint, hors les cas prévus
d’apporter la preuve qu’il a fourni cette informa- par la loi, de subir une intervention chirurgi-
tion. Il est considéré comme un revirement de cale » [18].

225
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Arrêt du 14 octobre 1997, talier où avait lieu la cœlioscopie, avait eu divers


Guyomar (Civ. I, Bull. no 1564) entretiens avec son médecin, pris sa décision avec
un temps de réflexion très long et manifesté de
Il confirme que la charge de la preuve de l’infor- l’hésitation et de l’anxiété avant l’opération ; que
mation incombe au médecin, aussi bien le pres- c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain
cripteur de l’acte que celui qui effectue l’acte d’appréciation, que la juridiction du second degré
médical. Il aborde le contenu de l’information et a retenu que cet ensemble de présomptions, au
précise les modalités de la preuve. sens de l’article 1353 du code civil, démontrait que
« Attendu que G. Guyomar, née en 1957, a eu un Mme Le Lay avait informé sa patiente du risque
enfant en 1977 et que, ne pouvant en avoir un grave d’embolie gazeuse inhérent à la cœliosco-
second, elle a subi, notamment à partir de 1982, pie ; qu’ainsi, et abstraction faite des motifs criti-
des examens, bilans hormonaux et traitements qués par les 1re, 2e, 6e et 7e branches du moyen,
qui n’ont pas eu de résultats ; que son médecin l’arrêt est légalement jusitifié ;
gynécologue, Mme Le Lay lui a proposé de procé- Par ces motifs : rejette le pourvoi. »
der à une cœlioscopie destinée à rechercher si elle
ne présentait pas une étiologie ovarienne expli- Arrêt du 28 octobre 1997
quant sa stérilité ; qu’au cours de cette interven-
tion, réalisée en mars 1983 par le docteur Rouvière, (Civ. I, Bull. no 297)
un anesthésiste et en présence de Mme Le Lay, est Il concerne le choix de la personne à informer et
survenue une embolie gazeuse mortelle par l’aptitude à recevoir et comprendre l’information.
migration du gaz d’insufflation dans les vaisseaux Il confirme la nécessité d’une bonne coordination
cérébraux ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Rennes, en matière d’information entre les différents méde-
31 mai 1995) a débouté le mari et le fils de la cins amenés à donner leurs soins à un malade.
défunte de leur action engagée en 1992 contre Ce dossier fait état « d’un malade atteint à la fois
Mme Le Lay, à laquelle ils reprochaient un défaut d’une malformation d’un membre inférieur et
d’information sur le risque d’embolie gazeuse lors d’un syndrome anxio-dépressif ayant nécessité
d’une cœlioscopie. plusieurs hospitalisations. Il a subi, en raison de sa
Attendu que les consorts Guyomar reprochent à la malformation, une intervention chirurgicale ten-
Cour d’appel ainsi statué et invoquent des griefs dant à une égalisation des jambes, qui a échoué et
contestant les énonciations de l’arrêt relatives, de laissé des séquelles. Ce patient a soutenu que du
première et deuxième parts, à la charge de la fait de son état psychique il n’avait pas été en
preuve de l’information, de troisième, quatrième mesure de donner son consentement éclairé au
et cinquième parts, aux éléments de preuve rete- chirurgien orthopédiste. Mais la responsabilité de
nus ou insuffisamment analysés, de sixième part, à ce praticien a été écartée, car il avait pris soin d’en-
l’obligation d’information pesant à titre principal trer en relation avec le médecin psychiatre de son
sur le médecin qui réalise l’examen, de septième patient, lequel avait constaté une amélioration de
part, à la limitation de l’obligation d’infor­mation son état dépressif de sorte qu’il n’avait pas eu à
au risque non exceptionnel. mettre en garde son confrère chirurgien quant aux
Mais attendu que s’il est exact que le médecin a la effets éventuels du traitement anti-dépression sur
charge de prouver qu’il a bien donné à son patient le consentement du patient à l’opération » [18].
une information loyale, claire et appropriée sur
les risques des investigations ou soins qu’il lui Arrêt 1642 P du 28 octobre 1997,
propose de façon à lui permettre d’y donner un Poggiolini (Civ. I, Bull. no 298)
consentement ou un refus éclairé, et si ce devoir
d’information pèse aussi bien sur le médecin pres- Il confirme la nécessité d’une bonne information
cripteur que sur celui qui réalise la prescription, la entre médecins amenés à prendre en charge un
preuve de cette information peut être faite par malade de façon conjointe.
tous moyens ; que, par motifs propres et adoptés, L’arrêt « a retenu la responsabilité d’un médecin
la cour d’appel a constaté qu’il résultait des pièces qui devait procéder à une opération de la cataracte
produites que G. Guyomar, qui exerçait la profes- de son patient, pour n’avoir pas averti l’anesthé-
sion de laborantine titulaire dans le centre hospi- siste que le globe oculaire dudit patient était plus
226
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

allongé du fait d’une grande myopie. Cet anesthé- « La preuve du consentement de parents à une
siste avait pratiqué une anesthésie par injection intervention réalisée sur leur enfant mineur résul-
rétro-globulaire et l’aiguille à biseau long avait tait de leur demande de prise en charge, préalable
perforé le globe oculaire, alors que la particularité à l’opération, par leur régime d’assurance mala-
anatomique précitée commandait soit une anes- die » [18].
thésie générale, soit l’utilisation d’une aiguille à
biseau court » [18]. Arrêt no 430 D du 3 mars 1998,
Arrêt no 329 P du 17 février 1998, Chuine (Civ. I)
UAP et Blanquart (Civ. I, Bull. no 67) Il concerne l’information sur les alternatives thé-
rapeutiques et la possibilité de choix par le malade
Il confirme l’obligation d’information dont la avec possibilité d’acceptation ou de refus éclairé
preuve est à apporter par le médecin et la rigueur (dans la ligne de l’arrêt Teyssier du 28 juillet
(qualité et quantité) de l’information à fournir en 1942)
matière d’actes médicaux ou chirurgicaux à visée
« … Attendu que Mme Chuine souffrait d’une
esthétique, quelle que soit la gravité du risque.
rhizarthrose douloureuse du pouce droit avec
« … Attendu que le docteur Blanquart a pratiqué impotence fonctionnelle résistant à tout traite-
sur la personne de Mme Vérité une intervention de ment médical et pour laquelle deux traitements
chirurgie esthétique, sous anesthésie, consistant en étaient encore possibles, soit le placement d’une
une lipo-aspiration d’un excès de graisse abdomi- prothèse au niveau de la première articulation
nale ; que l’intervention, qui a nécessité des inci- carpo-métacarpienne, soit l’ablation du trapèze,
sions plus importantes que celles annoncées à la première technique présentant un risque de
Mme  Vérité, a provoqué des complications dues à rejet de la prothèse, la seconde un effet invalidant
des difficultés de cicatrisation et à une infection ; dû au raccourcissement de l’axe du pouce ; que le
que l’arrêt confirmatif attaqué (Papeete, 12 octobre docteur Teissier a procédé le 15 avril 1991 à la pose
1995), retenant que M. Blanquart n’avait pas rempli d’une prothèse, mais que celle-ci ayant été rejetée,
son devoir d’information vis-à-vis de sa patiente, a il a fallu réaliser, en octobre, l’ablation du trapèze ;
accueilli la demande d’indemnisation de celle-ci ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Montpellier,
Attendu, d’une part, qu’un médecin est tenu d’une 22  novembre 1995) a débouté Mme Chuine qui
obligation particulière d’information vis-à-vis de reprochait, en particulier à M. Teissier, un man-
son patient, et qu’il lui incombe de prouver qu’il a quement à son devoir d’information, de son action
exécuté cette obligation ; que le premier moyen, dirigée contre ce praticien ;
qui invoque une inversion de la charge de la Attendu que Mme Chuine reproche à la cour d’ap-
preuve, est donc sans fondement ; pel d’avoir ainsi statué, alors qu’il appartient au
Attendu, d’autre part, qu’en matière d’actes médi- médecin, lorsqu’une opération n’est pas indispen-
caux et chirurgicaux à visée esthétique, l’obliga- sable, d’avertir son patient des risques non excep-
tion d’information doit porter non seulement sur tionnels d’un acte chirurgical afin de lui permettre
les risques graves de l’intervention, mais aussi sur de décider en connaissance de cause, après avoir
tous les inconvénients pouvant en résulter ; que comparé les avantages escomptés et les risques
c’est, dès lors, sans mettre à la charge du praticien encourus, de se soumettre à l’opération ou de pri-
une obligation de résultat, que l’arrêt attaqué a vilégier un traitement médical ; qu’en l’occurrence,
estimé qu’il aurait dû informer Mme Vérité qu’il les juges du fond, qui, selon le moyen, auraient
était possible qu’il soit dans l’obligation, pour admis que M. Teissier n’avait pas informé
mener à bien l’intervention, de faire deux inci- Mme  Chuine du risque de complications après la
sions abdominales et non pas une seule ; pose d’une prothèse et qui ont constaté que ce ris-
Par ces motifs : rejette les pourvois… ». que était de 30 % et que cette opération n’était pas
la seule solution à proposer dans ce type d’affec-
Arrêt no 429 D du 3 mars 1998 tion, ont violé l’article 1147 du code civil en ne
retenant pas l’existence d’une faute de M. Teissier
(Civ. I ) tirée du non-respect de l’obligation qui lui
Il concerne la preuve que l’information a été donnée. incombait.
227
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Mais attendu que la cour d’appel a constaté que si tion de l’information par des raisons légitimes et
M. Teissier n’avait pas fourni à sa patiente une dans l’intérêt du patient, autres que le « seul fait »
« information très détaillée », il lui avait néan- du caractère exceptionnel du risque. Ce sont des
moins donné des indications suffisantes pour lui raisons humanistes qui sont évoquées tenant
permettre de donner son consentement à une compte de l’état du patient. Il démontre également
intervention tout à fait adaptée à sa situation et les limites d’une plainte basée sur la notion de
permettant une utilisation fonctionnelle rapide perte de chance.
du pouce, tandis que le recours à l’ablation du tra- « Il s’agissait d’un patient souffrant d’une sévère
pèze, qui restait possible en cas de rejet de la pro- gonarthrose évolutive d’un genou, qui présentait
thèse, avait un effet invalidant ; qu’il résulte de ces une désaxation de 10 °, dont il avait été opéré, mais
énonciations que M. Teissier avait satisfait à l’obli- sans être informé d’un risque de syndrome des
gation faite à tout médecin de donner à son patient loges qui s’était réalisé, afférent à cette interven-
une information loyale, claire et appropriée sur tion. La cour d’appel avait décidé que ce risque
les thérapeutiques proposées ; que le moyen ne étant de 1 % n’avait pas à être révélé eu égard à ce
peut donc être accueilli. caractère exceptionnel. La Cour de cassation a
Par ces motifs : rejette le pourvoi… ». condamné cette appréciation, puisque désormais
le seul fait qu’un risque ne se réalise qu’exception-
Arrêt no 939 du 27 mai 1998, nellement n’est pas de nature à décharger un pra-
ticien de son devoir d’information. Néanmoins, le
Médicale de France, Thévenot médecin n’a pas été condamné à payer des dom-
(Civ. I) mages et intérêts à ce patient. Il ressortait en effet
Il confirme l’information à donner sur les risques du rapport d’expertise, d’une part, qu’eu égard au
graves et précise que l’information doit être don- caractère de l’affection dont il était atteint, l’inter-
née non seulement sur les soins proposés par le vention qu’il avait subie était indispensable et
médecin mais également sur ceux qui seraient seule de nature à améliorer son état et qu’elle avait
demandés, voire exigés par le patient. abouti à l’amélioration escomptée, d’autre part,
que les troubles qu’il subissait du fait du risque
« Il s’agissait d’une femme qui avait demandé une
étaient moindres que ceux découlant de la non-
induction ovarienne, puis un déclenchement pré-
réalisation de l’intervention. »
maturé de l’accouchement, ce que le gynécologue
avait accepté, alors qu’ils étaient contre-indiqués Arrêt du 18 janvier 2000
eu égard aux caractéristiques de la patiente, qui
devait décéder » [18].
(Bull. civ. I, no 13 ; Juris-Data
no 2000 – 000077)
Arrêt no 1567 du 7 octobre Cet arrêt concerne « une opération de la cataracte
1998 (Civ. I) qui nécessitait une anesthésie loco-régionale ou
générale. Le médecin avait proposé à sa patiente
Il concerne la limitation thérapeutique de l’infor- cette dernière forme, mais celle-ci avait refusé et
mation et condamne l’absence d’information du demandé une anesthésie loco-régionale réalisée
seul fait que le risque était exceptionnel. par injection d’un produit anesthésiant dans la
« Il précise qu’en cas d’urgence, d’impossibilité ou de région du globe oculaire, qui avait éclaté sous la
refus du patient d’être informé, il est dérogé à l’obli- pression. Pour retenir la responsabilité du méde-
gation d’information. Le risque était celui de la perte cin (dont il n’était pas contesté qu’il avait informé
d’un œil. Fût-il rarissime, ce “seul fait” ne justifie pas sa patiente du risque d’une telle anesthésie loco-
la limitation thérapeutique d’information. » régionale) la cour d’appel avait estimé qu’il avait
commis une faute en ne la convainquant pas des
Arrêt no 1568 du 7 octobre 1998 dangers présentés par un tel acte. L’arrêt de la cour
d’appel a été cassé, car une telle exigence revenait
(Civ. I) à imposer au médecin une quasi-obligation de
Il confirme la notion de limitation thérapeutique résultat en un domaine où la malade a une liberté
de l’information et oblige à justifier cette limita- de choix » [19].

228
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Remarques préliminaires Les magistrats qui font la jurisprudence sont tous


sur le droit prétorien d’éminents juristes. Un de leurs soucis majeurs
est de ne pas méconnaître une jurisprudence anté-
Le droit prétorien tend à établir des règles généra- rieure, parfois ancienne, qui pourrait être en
les à partir de cas particuliers, démarche inverse opposition avec leur interprétation des faits et des
des règles législatives. « La loi est écriture et géné- textes. Or, la jurisprudence est d’une très abon-
ralité ; le jugement, parole et singularité » [21]. dante complexité. Il existe heureusement des
Chaque décision de jurisprudence est ciblée donc jalons dans l’évolution de la pensée juridique.
parcellaire et incomplète, car elle ne peut être Les magistrats sont des citoyens et, à ce titre, sou-
ultra petita. Elle ne peut traiter un problème dans mis aux influences de l’évolution de la société. Ils
son ensemble en une seule fois. Les jurispruden- font partie de la société civile des futurs patients à
ces peuvent être complétées à l’occasion d’autres l’écoute de laquelle le médecin doit se placer. Ils
causes. Les douze arrêts cités ont traité progressi- ne se départissent pas pour autant de cette pru-
vement et en fonction des affaires soumises, par- dente réserve que rappelait P. Matter en citant
fois sans ordre logique apparent, de tous les un arrêt célèbre de la chambre des requêtes du
problèmes que peut poser le devoir médical 21 juillet 1862, lorsqu’ils s’ingèrent dans l’examen
d’information. des théories et méthodes médicales.
La jurisprudence est une forme de droit plus sou- Le devoir d’informer oblige les médecins à savoir de
ple et plus rapidement adaptable que la loi aux quoi ils parlent. Ils savent qu’ils sont tous des justi­
évolutions philosophiques de la société. Il n’y a ciables potentiels. Notre époque est là pour le leur
pas de bonne loi de circonstance. Y a-t-il une ­rappeler. Ils entendent toutefois continuer à faire
bonne jurisprudence de circonstance ? valoir les 3 piliers de l’exercice de leur profession :
La jurisprudence est immédiatement applicable science, conscience et confiance. L’indépendance reste
aux affaires en cours ou à venir. Elle a donc, au une caractéristique d’exercice de leur profession
contraire de la loi, un effet rétroactif. Il est essen- comme nous le verrons plus loin en matière d’exer-
tiel que les rédacteurs en tiennent compte. C’est cice pluridisciplinaire.
pour cela que le rapporteur de l’arrêt du 14 octo- Un dialogue doit s’établir, qui ne peut qu’être pro-
bre 1997 a particulièrement développé le chapitre fitable au malade, objet central du débat. Le juriste
de la preuve par présomption qui permet un règle- comprendra mieux la médecine. Le médecin
ment plus équitable des litiges non encore jugés et s’instruira utilement sur les fondements juridi-
laisse aux parties futures le temps de s’adapter à ques de son activité. Il n’est rien de pire que les
cette nouvelle doctrine. tours d’ivoire.
Cet effet rétroactif de la jurisprudence de la Cour Il est des questions auxquelles il faut répondre [18] :
de cassation en matière d’information du malade • qui informe ?
a toutefois été contesté par un jugement rendu le • qui apporte la preuve de l’information ?
18 décembre 2000 par la 1re Chambre, 3e section
du Tribunal de grande instance de Paris « attendu • comment cette preuve est-elle apportée ?
qu’à la date des faits, l’obligation d’information • sur quoi faut-il informer ?
pesant sur le corps médical n’était pas censée • qui doit être informé ?
s’étendre aux risques dits exceptionnels… ». Cette
• quelle est la finalité de cette information ?
décision est conforme à l’arrêt no 1836 du
25 novembre 1997.
La jurisprudence est un repère. Elle s’apparente à
une recommandation. Elle ne s’impose pas de
façon absolue. C’est un avis en droit donné à pro-
Le devoir d’information
pos d’un fait particulier. Elle peut être remise en et de recherche du consentement
cause par un jugement au fond si les faits y inci- éclairé
tent. La haute Cour elle-même peut procéder à un
revirement de jurisprudence comme dans l’arrêt Il est fondé sur le principe constitutionnel de
Hédreul. sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

229
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Confirmé dans un arrêt du 9 octobre 2001, il est À qui incombe la charge


institué par la loi du 4 mars 2002 (art. L. 1110-2 de l’information dans l’exercice
du CSP) : « La personne malade a droit au res-
pect de sa dignité ». Il justifie la notion de préju- en pluridisciplinarité successive
dice moral au bénéfice de la victime, rappelée ou concomitante ? [12, 13, 15, 17]
dans un arrêt du 13 mars 2007 en dépit d’un La pluridisciplinarité successive, c’est le recours,
apparent revirement jurisprudentiel du 6 décem- par le premier médecin traitant, à des consultants
bre 2007 [26]. spécialisés tels qu’y incitent les articles 32–33 et
60 du code de déontologie médicale. C’est un
Qui informe ? devoir de tout médecin dès que les circonstances
l’exigent. Depuis l’arrêt Audat et a. (Cour de cas-
À qui incombe la charge sation, 1re chambre civile, 18 mars 1997), la
de l’information et le recueil méconnaissance des dispositions du code de
du consentement ? déontologie médicale peut être invoquée par une
partie à l’appui d’une action en dommages et
Le médecin qui soigne le malade.
intérêts dirigée contre un médecin [16]. De l’ana-
À toutes les étapes de la prise en charge du malade, lyse de la jurisprudence concernant ce mode de
l’information reste le moyen le plus efficace de prise en charge d’un malade, il ressort que cha-
conforter l’indispensable climat de confiance qui que médecin consulté garde son entière indépen-
doit s’établir entre le patient et son médecin. Près dance et ne peut en aucune façon se comporter
de la moitié des affaires en contentieux judiciaire comme un simple exécutant d’une technique sans
ont, au départ, pour cause principale un manque- avoir vérifié personnellement le diagnostic et le
ment réel ou ressenti à cette obligation. En témoi- bien-fondé de l’indication. Il est donc, ipso facto,
gne ce dialogue en fin de réunion expertale. tenu au même devoir d’information que le pres-
L’expert : « Pourquoi avez-vous porté plainte cripteur (arrêt Toty et Savart, Cour de cassation,
contre votre médecin ? » Le malade ou sa famille : 1re chambre civile, 29 mai 1984 et arrêt Guyomar,
« Parce que nous voulions savoir. » 14 octobre 1997, Cour de cassation, 1re chambre
Combien de drames judiciaires auraient pu être civile, Bull, no 1564). Les exemples ne manquent
désamorcés plus tôt, indépendamment de toute pas concernant les actes chirurgicaux ou les actes
réparation justifiée. d’investigation paraclinique à caractères tant soit
Tous les codes de déontologie ou d’éthique sont là peu agressifs comme la coloscopie [5]. La pluri-
pour le rappeler : code de déontologie médicale disciplinarité concomitante, c’est l’exercice de la
dans ses articles 35 et 36 ; principes d’éthique médecine en équipe tel que le requièrent nombre
médicale européenne dans son article 4 ; déclara- d’actes médicaux, en particulier en chirurgie.
tion sur les droits du patient de l’association mon- Simple, juridiquement, est le cas où il y a un lien
diale dans ses principes 3 et 7. de subordination d’un membre de l’équipe vis-
à-vis d’un autre selon l’article 1384 du code civil
Il y a des obligations légales à l’information et au
(par exemple, une infirmière anesthésiste tra-
consentement.
vaillant sous la responsabilité d’un médecin
Elles existaient déjà dans les domaines de la ­anesthésiste). Plus récente est la notion de res-
recherche biomédicale sur l’être humain, les pré- ponsabilité du fait d’autrui sans lien de subordi-
lèvements de sang, les prélèvements d’organes ou nation (arrêt Welti/Murat, Cour de cassation,
de tissus, la procréation médicalement assistée, 1re chambre civile, 18 octobre 1960). Cette situa-
l’interruption volontaire de grossesse, l’identifi- tion est résumée dans l’arrêt Simon (Cour de cas-
cation génétique. sation, 1re chambre civile, 9 octobre 1984) : « … le
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des mala- médecin doit répondre des fautes des membres de
des et à la qualité du système de santé a porté au son équipe, c’est-à-dire des personnes qu’il s’est
rang d’obligation légale l’information des usagers substitué en dehors du consentement de son
du système de santé et le recueil de l’expression de patient pour l’accomplissement d’une partie insé-
leur volonté (article L. 1111-1 à L. 1111-9 du Code parable de son obligation », qu’il y ait ou non lien
de la santé publique). de subordination. L’arrêt Farcat (Cour de cassa-

230
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

tion, assemblée plénière, 30 mai 1986) a situé Dans sa longue conclusion sur l’arrêt Mercier du
exactement la portée de cette coresponsabilité 20 mai 1936, le procureur général P. Matter écri-
dans les commentaires qui l’accompagnent : vait déjà à propos de la faute médicale dans son
« …  chacun reste tenu et seulement tenu d’une ensemble : « … Qui devra faire la preuve en pareil
obligation générale de prudence et de diligence cas ? Je n’hésite pas : c’est le client qui doit prouver
quant au domaine de compétence de l’autre. » En la faute du médecin […]. Avec M. Demogue […]
matière d’information, objet de cette étude, j’estime que […] le docteur s’est engagé non à gué-
comme en toute autre, un médecin a un droit de rir, mais à donner des soins conformes aux don-
contrôle, pour ne pas dire un devoir, sur le diag­ nées de la science. Au client d’établir qu’il a
nostic ou la prescription de son confrère ; c’est manqué à cette obligation, à ce qui constitue ce
une conséquence de son indépendance. Il doit que notre code appelle la loi du contrat… ».
s’assurer que l’information a bien été donnée et Ceci prouve, s’il en était besoin, le caractère pré-
qu’elle a été comprise. Ceci est explicitement caire d’un droit purement jurisprudentiel, même
consacré par l’article 64 du code de déontologie s’il s’agissait d’un arrêt aussi fondamental que
médicale. P. Sargos écrit : « … dans la pratique, l’arrêt Mercier, colosse certes, mais aux pieds d’ar-
les médecins peuvent se concerter pour délivrer gile. L’application du second alinéa de l’article
l’information en fonction de leur compétence 1315 du code civil concerne tous les membres des
respective, chacun devant à tout le moins s’assu- professions qui sont tenues à une obligation parti-
rer qu’elle a bien été donnée » [18]. culière d’information : avocats (Cour de cassa-
tion, 1re chambre civile, 29 avril 1997), notaires,
À qui incombe la charge experts comptables, rédacteurs d’actes, agents
de la preuve que l’information immobiliers… et les médecins.
a été donnée ? Rien n’interdit, contrairement à l’opinion émise
Sur ce point de droit pur, le code de déontologie par P. Matter, que la charge de la preuve mise au
ne se prononce pas. Le code civil dans son article compte du médecin en matière d’information soit
1315 est d’une parfaite équité dans le balancement étendue à l’ensemble des obligations générées par
entre ses deux alinéas. Le nouveau code de procé- le contrat médical [8]. N’est-ce pas déjà le cas dans
dure civile dans son article 6, renvoyant dos à dos la pratique de l’expertise judiciaire en responsabi-
les parties pour la constitution de leur dossier, ne lité médicale ? La production du dossier médical
dit pas autre chose. par le médecin défendeur a pour but d’apporter la
preuve qu’il a respecté ses obligations de moyens
L’historique de la jurisprudence est plus complexe
concernant les soins [1]. Le fait de faire supporter
[2]. Peut-on, à propos de l’arrêt Hédreul du
par le médecin la charge de la preuve de l’exécu-
25  février 1997, parler véritablement d’un ren-
tion de ses obligations de moyens ne transforme
versement de la charge de la preuve en matière
pas pour autant celles-ci en obligations de résultat
­d ’information ? Non vis-à-vis des codes. Pour la
[1].
jurisprudence, c’est un revirement qui rétablit la
charge du médecin. La première jurisprudence Rappelons avec Me P. Lecat [9] « que la preuve
qui mettait la preuve de l’information à la charge demandée est celle et seulement celle que l’infor-
du malade demandeur est relativement récente. mation a été donnée. Si un plaideur veut faire
Elle date de 1951 : Cour de cassation, 1re chambre juger que le contenu de cette information était
civile, 29 mai 1951 : « … Il appartient (au malade) erroné ou déficient, c’est à lui qu’il incombe de le
lorsqu’il se soumet en pleine lucidité à l’inter- prouver. »
vention du chirurgien, de rapporter la preuve Si le principe de l’application de l’article 1315 dans
que ce dernier a manqué à (cette) obligation son intégralité n’est pas contestable (c’est la loi),
contractuelle en ne l’informant pas de la vérita- son application pratique est plus délicate.
ble nature de l’opération qui se préparait et en ne Le revirement de jurisprudence met à la charge du
sollicitant pas son consentement à cette opéra- médecin l’obligation d’apporter une preuve néga-
tion… ». La cour d’appel de Nîmes, confirmée tive, la preuve de l’absence de faute. C’est la preuve
par la Cour de cassation, a utilisé cette jurispru- diabolique impossible à apporter, d’autant que les
dence en 1972. juristes reconnaissent que celle des parties en

231
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

charge de la preuve est en situation beaucoup plus n’avait jusqu’à présent pas cours devant les tribu-
difficile que l’autre qui n’a qu’à contester. Il est naux français. Elle ne peut, en aucun cas, consti-
plus facile d’être en position d’attaque que de tuer une décharge de responsabilité.
défense. En fait, il s’agit d’un débat contradictoire Reste la possibilité de fournir au patient, après les
dans lequel, il faut le rappeler, chacune des parties explications orales, un document écrit reprenant
doit apporter la preuve de ses prétentions. Cette tous les termes de l’entretien et qu’il pourra signer.
preuve négative à apporter par le médecin est-elle Ce document peut être de deux types. L’un, très
plus difficile à fournir que la preuve qu’il n’a pas simple, constate seulement que le malade reconnaît
commis de faute dans le domaine des obligations avoir été informé conformément à la jurisprudence
techniques du contrat ? Il doit s’appuyer sur les habituelle et au code de déontologie, c’est-à-dire de
faits consignés dans les éléments de son dossier façon loyale, claire et appropriée. Plusieurs modèles
médical et c’est alors au plaignant qu’il appartient de ce type ont déjà été proposés. L’autre est beau-
de prouver que les obligations n’ont pas été rem- coup plus élaboré ; véritable document scientifique,
plies. En matière d’information, il importe de pré- il sera l’émanation des groupes de travail au sein
voir d’emblée dans ce dossier tous les éléments de des différentes sociétés savantes qui devront tenir
preuve, sans pour autant nuire au climat de compte des exigences du droit français et mainte-
confiance qui est nécessaire à la bonne relation nant européen en matière de responsabilité civile.
médecin-malade. Il faut savoir qu’il s’agira doré- L’espace de liberté du médecin responsable du
navant d’une confiance sous haute surveillance, malade qui se confie à lui reste dans le choix de
aussi désagréable que soit cette nécessité. l’une ou l’autre formule en fonction de l’impor-
tance de la pathologie, de l’agressivité plus ou moins
Les modalités de preuve grande des investigations et actes thérapeutiques
de l’information proposés, et également de l’état physique, mental et
moral du patient, dimension humaine à ne jamais
Elles se rattachent au principe général de la preuve perdre de vue. L’écrit doit être personnalisé. Il ne
sous ses 5 formes juridiques : le serment et l’aveu suffit pas de fournir la meilleure information possi-
qui n’ont pas d’application pratique en l’espèce, le ble. Il faut encore qu’elle soit reçue et qu’elle soit
témoignage ou preuve orale, la preuve littérale, comprise, ce qui nécessite un contrôle de la part de
c’est-à-dire l’écrit, et la preuve par présomption en celui qui la fournit. Il doit se comporter en pédago-
référence à l’article 1353 du code civil ; ces trois gue et en humaniste. Une étude récente [22] mon-
dernières modalités de preuve sont directement tre que trop d’information tue la clarté de la
utilisables dans le domaine de l’information. perception du message.
La Cour de cassation n’entend imposer aucune P. Sargos [18] considère que l’écrit est « la forme la
règle, aucun dogme sur la forme de l’information. plus sûre de la preuve de l’information ». Il rappelle
que la loi l’exige dans certains cas (recherche bio-
La preuve orale médicale sur l’être humain). Depuis la loi du 4 mars
2002, cette exigence est généralisée (article L. 1111-2,
Cette preuve par témoin est facile à utiliser. Sa dernier alinéa, du code de la santé publique). « Cette
valeur dépend entièrement du témoin. Elle peut preuve peut être apportée par tout moyen ». La
toujours être contestée. Il suffit d’évoquer, par preuve écrite est exigée en chirurgie esthétique.
exemple, deux des témoins d’une consultation auto- Elle peut être jointe au devis devenu obligatoire.
risés par le secret médical, un membre de la famille
ou un ami proche qui risque d’être suspect de par-
tialité, ou un employé ou collaborateur habituel du La preuve par présomption [3, 8, 10, 17]
médecin, infirmière ou secrétaire, dont le témoi-
gnage serait entaché par le lien de subordination. Elle est de la pratique quotidienne de tout méde-
cin qui y a recours sans le savoir. Dans le domaine
de l’information, l’application de la preuve par
La preuve écrite présomption peut reposer sur les éléments sui-
Cette pratique de la preuve écrite signée par le vants : le délai de réflexion laissé au patient entre
malade est habituelle en Amérique du Nord. Elle la consultation et la réalisation de l’acte, délai

232
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

indispensable sauf urgence ; la répétition des maladie. Le but de cette démarche est l’obtention
consultations préalables auprès des différents du consentement éclairé (article 36 du CDM).
médecins de l’équipe soignante ; la tenue précise Le premier degré d’information est d’ordre techni-
du dossier médical, tant de consultation que de que et porte sur le diagnostic clinique, le choix des
suivi du patient, au fur et à mesure des faits, avec modes d’investigation à mettre en œuvre et l’indi-
annotation datée des informations fournies et de cation thérapeutique, c’est-à-dire l’explication tech­
l’accord du patient, par exemple lorsqu’il se rend nique du choix fait par le praticien pour son
aux rendez-vous fixés d’examen ou d’interven- malade d’une méthode thérapeutique parmi cel-
tion ; le courrier daté et signé adressé au médecin les qui pourraient être proposées.
traitant, à un confrère de l’équipe soignante (ces
Le deuxième degré d’information porte sur la
courriers peuvent être dictés devant le patient) ou
nature exacte et les conséquences des actes médi-
parfois au malade lui-même ; l’attitude du patient,
caux proposés. Quel bénéfice le malade peut-il en
les propos qu’il a tenus peuvent être utiles à noter.
attendre pour améliorer ou guérir son état ?
A-t-il fait preuve de crainte, voire d’angoisse vis-
à-vis de l’acte à subir ? Ce serait le témoignage Le troisième degré d’information concerne plus
d’une information comprise sur les risques encou- particulièrement les risques inhérents à l’investi-
rus ; la profession du patient peut également attes- gation ou au traitement. Rappelons que le risque,
ter qu’il ne pouvait ignorer les risques. L’information c’est le hasard d’encourir un mal avec l’espérance,
doit pouvoir être suivie à la trace. Une forme très si nous en échappons, d’obtenir un bien [4]. C’est
spécifique de preuve par présomption est décrite la notion de risque expliquée au malade. C’est
dans l’arrêt no 429 D du 3 mars 1998 (Civ. I). également toute la problématique de la vérité dite
au malade. Tout est dans les limites du nécessaire
La preuve par témoignage ou par présomption est
et du supportable. Comme l’a rappelé B. Hoerni,
applicable chaque fois que la loi n’exige pas un
les esprits ont évolué :
écrit. Cette modalité de preuve est confirmée par
un arrêt du 4 janvier 2005. Pour P. Sargos [17] • en 1970 : faut-il dire la vérité au malade ?
cette doctrine est fondée sur plusieurs arguments. • en 1980 : quelle vérité faut-il dire au malade ?
La médecine porte sur l’homme. Figer l’informa- • en 1990 : comment dire la vérité au malade ?
tion dans un écrit serait un non-sens humain et
• en 2004 : qu’est-ce que la vérité ? Vérité médi-
médical. L’information doit être loyale, claire et
cale ? Vérité judiciaire ?
appropriée, formule qui exclut tout dogmatisme.
« Le mot « approprié », dit-il, impose la souplesse de • en 2009 : faut-il aller jusqu’à la vérité absolue…
la preuve. » Enfin, tenant compte du fait que la sur ce que sait le médecin ?
jurisprudence, de nature interprétative, peut s’ap- À chaque malade sa vérité. C’est au malade lui-même
pliquer aux litiges en cours comme à venir, le qu’il faut demander la réponse à la dernière ques-
recours aux présomptions s’applique à toute situa- tion. On revient donc à ce nécessaire dialogue singu-
tion non encore jugée, antérieure à l’arrêt du lier du malade face à son médecin. Le malade ne doit
14  octobre 1997 et a fortiori du 25 février 1997. pas être traité en mineur. Le paternalisme médical a
Ceci évite de mettre en difficulté des médecins qui vécu. Le malade s’émancipe. Il est informé… sou-
« auraient agi en fonction d’une règle de droit dont vent trop et mal. Il veut savoir. C’est son droit. « La
ils ignoraient par définition la nouvelle interpré- santé est le premier de ses biens » (Platon). Le méde-
tation. Avant le 25 février 1997, un médecin n’avait cin doit être disponible pour répondre aux interro-
pas de raison particulière de conserver la trace de gations légitimes du patient. Le malade a aussi le
l’information qu’il avait donnée » [17]. droit de refuser l’information, ce qui ne veut pas dire
qu’on ait le droit de ne pas l’informer.
Le contenu de l’information [8, 17]
L’objet de l’information La qualité de l’information
Pour le code de déontologie médicale (article 35),
à donner sur le risque
c’est sur l’état du malade, les investigations et Les trois degrés d’information décrits ci-dessus
soins qui lui sont proposés, et ce tout au long de la se rejoignent en pratique dans le dialogue

233
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

­malade-médecin. Il faut définir la nature, l’éten- entend actuellement s’en tenir aux termes du code
due et les limites raisonnables de l’information de déontologie médicale.
nécessaire. Pour l’arrêt du 3 janvier 1991 (Cour de cassation,
1re chambre civile) : « … l’obligation d’informa-
Le critère quantitatif du risque tion est exclue pour les risques qui ne se réalisent
Il a été longtemps le seul utilisé. Quel seuil faut-il qu’exceptionnellement… ». Cet arrêt confirme un
fixer à cette quantification ? La jurisprudence arrêt antérieur du 20 janvier 1987.
avant le 14 octobre 1997 est d’une extrême varia- Face à ces évaluations parfaitement subjectives du
bilité [2] : degré d’information à fournir, le médecin, dans
• Cour de cassation, 19 mai 1951 : « … le contrat son colloque singulier avec le malade, était bien
qui se forme entre le médecin et son client com- souvent dépourvu quand le moment de l’infor-
porte, en principe, l’obligation pour le praticien mation était venu.
de ne pratiquer aucune intervention sans avoir au L’arrêt du 7 octobre 1998 (supra), en condamnant
préalable, obtenu l’assentiment du malade… » ; l’absence d’informations du seul fait que le risque
• cour d’appel, Lyon 1952 : cette obligation doit était exceptionnel, a clarifié la jurisprudence
concerner tous les risques « … même s’ils sont même s’il n’a pas facilité la tâche du médecin.
rares ou improbables… » ; Depuis, la 1re Chambre civile de la Cour de cassa-
tion n’a pas modifié son point de vue. L’arrêt du
• cour d’appel, Nîmes, 19 octobre 1964 : « … Un
18  décembre 2002 (pourvoi no G0103230, Bull. ;
médecin n’est tenu d’avertir son client que des
314 : 246) n’a admis l’absence de fautes d’un méde-
risques normalement prévisibles, en effet obli-
cin en matière d’information que parce que le ris-
ger un médecin à exposer au malade tout ce qui,
que était « totalement imprévisible ». L’arrêt du
sans être absolument imprévisible, est du moins
27 janvier 2004 (Civ. I, pourvoi no D0014976, arrêt
tellement exceptionnel qu’on ne doit pas norma-
no 129) qualifie d’erroné le motif d’une cour d’ap-
lement l’envisager, aboutirait à inquiéter inutile-
pel suivant lequel l’information n’avait pas à por-
ment le malade… » ;
ter sur un risque exceptionnel.
• Le 9 mai 1983, la chambre civile de la Cour de
Qu’est-ce que le risque exceptionnel ? À l’extrême,
cassation arrêtait que l’information devait por-
pour un statisticien, dans le risque industriel par
ter même sur « … un risque résiduel… », c’est-
exemple, c’est un risque quasi nul. En médecine, il
à-dire sur toutes les conséquences et suites
n’y aura jamais de risque zéro [7]. La fiabilité des
prévisibles, même exceptionnelles, résultant de
statistiques est incertaine, cela a déjà été large-
l’acte chirurgical.
ment et souvent démontré, comme dans les ris-
Un arrêt du 21 février 1961 (Cour de cassation, ques de perforation au cours des coloscopies [5].
1re chambre civile) parle d’une « information sim- Comme dans toute activité génératrice d’un pro-
ple, approximative, intelligible et loyale » portant duit ou d’un service, la médecine se doit, d’un
sur les résultats à attendre et sur les conséquences point de vue économique et scientifique, d’établir
défavorables possibles sans avoir à porter sur les des référentiels. Ce sont les données acquises de la
risques très rares. Bien que fréquemment reprise, science au moment des faits. Ces données sont
cette expression n’a pas fait jurisprudence. C’est la basées sur les ouvrages et traités médicaux classi-
formule de l’article 35 du code de déontologie ques et récents et sur les travaux des sociétés
médicale qui est actuellement adoptée, parlant savantes françaises et internationales dans chaque
d’une « information loyale, claire et appropriée ». discipline. La valeur des travaux et des statistiques
Le terme d’approximatif est une expression publiés ne vaut jamais que par la rigueur de ceux
­malheureuse trop ambiguë (Cour de cassation, qui les font. Un contrôle de ces données est insti-
1re chambre civile, 25 février 1997). tué depuis plusieurs années sous forme de confé-
L’arrêt Le Quang (Cour de cassation, 1re chambre rences de consensus sous l’égide de l’agence
civile, 14 janvier 1992) parle « de la totale informa- nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
tion qu’elle (la malade) était en droit d’exiger. » (ANAES remplacée par l’HAS dans cette préroga-
Cette formule paraissait traduire la position de la tive) qui, conformément aux ordonnances du
1re chambre civile de la Cour de cassation. Elle 24 avril 1996, a parmi ses missions celle d’élabo-

234
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

rer et valider les recommandations de bonnes pra- dans la mesure où aucune faute n’est relevée contre
tiques cliniques et les références médicales. Depuis lui. C’est une agression que le malade doit avoir
l’arrêté du 25 novembre 1993 portant approbation acceptée après avoir été informé [4].
de la convention nationale des médecins et confor- Le trébuchet avec lequel le juge sera amené à peser
mément à l’arrêté du 3 mars 1995 portant appro- la valeur des données de la science, base de l’in-
bation d’un avenant à cette convention nationale, formation et du consentement éclairé, sera donc
il est régulièrement édité des listes de recomman- d’une tout autre sensibilité que les conclusions
dations médicales opposables (RMO) dans de mul- d’une conférence de consensus, même sérieuse,
tiples disciplines. qui aura réussi à mettre tout le monde d’accord, et
Des conférences de consensus, il faut retenir le mot a fortiori qu’une série de recommandations néga-
consensus, c’est-à-dire une portée de valeur géné- tives dont le seul souci économique n’échappe à
rale mais également le risque d’un accord sur le personne. Ce sont des filets à grosses mailles pour
plus petit dénominateur commun des exigences la pêche au thon. L’expert, soumis aux questions
médicales. du juge, doit utiliser un filet pour la pêche à la
Des RMO, il faut retenir le mot opposable en terme sardine.
économique. Elles ont un caractère négatif souli- Il en résulte, comme l’a justement écrit Me H. Fabre,
gné par leurs rédacteurs : « … il n’y a pas lieu que « la somme des travaux réalisés par les experts
de… ». Elles sont le reflet du souci de la société vis- dans les affaires de responsabilité médicale repré-
à-vis de l’économie de santé. sente, dans chaque spécialité, une sorte de code
L’expérience des experts judiciaires en discipline de bonne ou mauvaise pratique médicale sur
médicale qui prennent en charge, sur mission lequel les juges se fondent pour créer à leur tour la
d’un magistrat, les dossiers de responsabilité jurisprudence de la bonne ou mauvaise pratique
médicale est tout autre. Ils ont face à eux deux médicale, le tout évoluant au fil des temps et des
parties, schématiquement deux individus qui connaissances nouvelles ».
n’ont pas les mêmes critères d’évaluation. Il faudrait que les outils de mesure scientifique
Pour le malade, le risque, l’accident qui peut en soient affinés et conformes aux exigences du droit.
résulter avec son dommage, est un fait brut qui le L’incertitude expertale engendrée par l’incerti-
concerne personnellement. Il n’a cure des statisti- tude scientifique a fait l’objet de la conclusion du
ques et des risques évalués même à un taux très colloque tenu à la Cour de cassation le 2 juin 2005
faible. Victime d’une complication, peu lui sur « Le traitement juridique et judiciaire de l’in-
importe d’être une exception ou une rareté ; il la certitude » [23-24-25].
subit dans sa chair et dans son âme. Si l’accident
survient, le risque pour lui est de 100 %. Le critère qualitatif du risque
Pour le médecin, tout acte physique, toute prescrip- Il apparaît à travers ces référentiels. Il devient
tion thérapeutique qui se veut efficace est une incontournable dans l’évaluation du risque, car
agression et comporte un risque. C’est une atteinte « le critère exclusivement quantitatif ne permet pas
volontaire à l’intégrité corporelle d’autrui. Bien de tenir compte des particularités du patient » [17].
avant la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du Un exemple est donné par le risque en cœliochi-
corps humain16, le principe du respect de l’intégrité rurgie. Une étude qualificative de ce risque met en
physique de la personne humaine, sous réserve de évidence une inadéquation entre l’âge moyen des
nécessité thérapeutique, avait toujours été affirmé malades (38 ans), porteurs d’une pathologie ini-
par la jurisprudence comme nous le verrons plus tiale d’importance moyenne ne mettant pas en
loin à propos de l’arrêt Teyssier de 1942 [13]. jeu le pronostic vital, et la gravité des accidents
L’absence de sanction pour le médecin tient dans le traduite par une mortalité élevée : 26 décès sur
droit d’exercer accordé à tout docteur en médecine 100 observations d’accident en 1996 [6]. Depuis ce
dans le but et dans l’obligation où il est de soigner et cri d’alarme les chiffres actuels sont heureusement
améliorés grâce à la diffusion d’un certain nombre
16 La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades de recommandations par les sociétés savantes
et la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique renfor- compétentes (cf. « Les péritonite iatrogènes : aspects
cent et élargissent les domaines humains protégés. médico- légaux »).

235
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

P. Sargos conclut : « … l’information doit plutôt mais rejoint cette notion puisqu’elle évoque le ris-
porter sur les risques qui, par leur gravité, sont de que connu de décès ou d’invalidité » (Conseil
nature à avoir une influence sur la décision du d’État, 5 janvier 2000, Cts T : Rec. CE, p. 5, concl.
patient d’accepter ou de refuser des investigations M. Chauvaux ; Juris-Data no 2000-117157) [19].
ou des soins. Ces risques graves peuvent se définir Les risques graves dont il faut informer sont évi-
comme étant ceux qui sont de nature à avoir des demment ceux qui étaient connus à la date des
conséquences mortelles, invalidantes, ou même soins conformément aux données acquises de la
esthétiques graves compte tenu de leurs répercus- science, sachant que « tout médecin doit entretenir
sions psychologiques et sociales… » [17-19]. Cette et perfectionner ses connaissances » (arrêt Cour de
notion de risques graves est rappelée dans les cassation du 7 juillet 1998, pourvoi no 96-19.927 :
arrêts du 14 octobre 1997, du 17 février 1998, du Juris-Data no 1998-003296 et arrêt du 21 janvier
27 mai 1998 et du 7 octobre 1998 (no 1567). « Un 2003, Cour de cassation, 1re chambre civile, pour-
médecin est tenu de refuser d’accéder à une voi no 00-18.229) [19].
demande de son patient qui l’expose à un danger
sans justification thérapeutique » [18]. L’introduc­
tion d’un tel critère de qualité dans l’information à Quantité d’informations
donner sur le risque devrait apaiser la crainte d’un
Le degré de l’information a, en effet, des contours
passage progressif au consumérisme médical [20]
difficiles à cerner comme cela a déjà été discuté à
que semble engendrer le seul critère quantitatif.
propos des variations de la jurisprudence.
La médecine, par son objet même, l’Homme, ne
sera jamais un article de consommation comme Le président P. Sargos résume parfaitement la
les autres (rappelons toutefois l’exception de la situation [14] lorsqu’il écrit : « … la jurisprudence
chirurgie esthétique d’agrément ou de convenance autorisait jusqu’à présent les praticiens à ne pas
personnelle). signaler les risques qui ne se réalisent qu’excep-
tionnellement. Mais, on peut douter de la perti-
Me H. Fabre résume en disant : « … c’est le critère
nence de cette dérogation prétorienne dans la
de gravité du risque et non plus le caractère d’ex-
mesure où dès lors qu’un risque invalidant ou
ception du risque qui sera pris en compte… ».
mortel est connu, il est juridiquement contestable
Ce critère de gravité a déjà été largement pris en d’en dissimuler l’existence au patient qui est en
compte par le Conseil d’État dans l’arrêt Bianchi droit de refuser de le courir ou, à tout le moins, de
du 9 avril 1993 et dans l’arrêt hôpital Imbert pouvoir faire la balance entre les risques de l’affec-
­d ’Arles du 3 novembre 1997 concernant un enfant tion dont il souffre et ceux du traitement proposé.
de 5 ans décédé des suites neurologiques d’un Il est évident que la mise en application de ce
arrêt cardiaque sous anesthésie générale donnée principe peut être source de sérieuses difficultés
pour… une circoncision. Il ne s’agit plus, comme en pratique » (arrêt Médicale de France, Thévenot,
dans l’arrêt Bianchi, de la gravité alliée à l’extrême no 939 P du 27 mai 1998, Cour de cassation,
rareté, mais de l’extrême gravité à l’état pur, 1re chambre civile).
consécutive à un acte fréquemment pratiqué,
C’est une affaire de balance, de pesée subtile, véri-
l’anesthésie générale, mais dans le cadre d’un acte
table dualité de l’information, positive en cas de
rituel et non thérapeutique, ce qui le rapproche
consentement, négative en cas de refus du patient,
d’un acte de chirurgie esthétique.
qui doit permettre au malade de faire un choix
La loi du 4 mars 2002 parle de risques « fréquents éclairé. Une information insuffisante entraîne un
ou graves normalement prévisibles ». Dans un arrêt défaut de consentement éclairé. C’est une faute
du 18 décembre 2002, l’absence de faute du méde- contre l’humanisme médical, consécutive d’un
cin en matière d’information est retenue sur l’im- dommage potentiel. Ce manquement à l’informa-
prévisibilité du risque et non sur son caractère tion peut être responsable d’une perte de chance,
pourtant exceptionnel. Ce caractère d’exception ou de ne pas avoir été mis à l’abri du préjudice subi
ne faisait pourtant pas obstacle à l’information si le patient avait été mis en mesure de refuser le
dans un arrêt du 13 novembre 2002. risque (arrêt Hérard/Jugnet du 7 février 1990), ou
À noter que « la jurisprudence administrative de ne pas avoir obtenu l’amélioration, la guérison
n’emploie pas la terminologie de risque grave, ou la survie s’il avait été en mesure d’accepter ce

236
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

risque. Ce dilemme n’est pas résolu par les termes prévaloir en matière d’information. C’est le sens
tout aussi pondérés que sibyllins des articles 35 et de l’article 35 du code de déontologie médicale. Il
36 du code de déontologie. Ils laissent le médecin est admis et recommandé de tenir compte de l’état
face à sa conscience même si la loi du 4 mars 2002 physique et psychologique du malade avant de
(art. L. 1111-2 du CSP) donne de l’information à faire part d’un pronostic grave, voire vital, ou d’un
fournir une description détaillée aussi peu limita- risque grave de la thérapeutique si celle-ci est
tive que possible. La vérité absolue ? seule à pouvoir sauver le patient.
Le médecin doit garder la faculté de déterminer
Qui sera informé ? s’il existe une contre-indication thérapeutique à
l’information totale ou partielle.
Qui doit-on informer ? Dans son article L. 1110-4 (CSP), la loi du 4 mars
C’est en principe simple [18], clarification d’ailleurs 2002 édicte : « En cas de diagnostic ou de pronos-
apportée par la loi du 4 mars 2002 dans ses arti- tic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que
cles L. 1110-4 et L. 1111-6 du code de la santé la famille, les proches de la personne malade ou la
publique : personne de confiance définie à l’article L. 1111-6
• le patient en mesure d’exprimer sa volonté, mais reçoivent les informations nécessaires destinées à
la difficulté en milieu psychiatrique est certaine leur permettre d’apporter un soutien direct à
(arrêt du 28 octobre 1997, Civ. I, Bull, no 297) ; celle-ci, sauf opposition de sa part ». A contrario,
il a été rappelé dans l’arrêt du 6 décembre 2007
• les parents s’il s’agit d’un mineur ou toute autre que la confidentialité est la règle de principe [26].
personne investie de l’autorité parentale, mais
aussi le mineur lui-même s’il est en état et en âge
de comprendre et de supporter l’information ; Finalité de l’information
• l’organisme de la tutelle le cas échéant (cf. Loi Devant une juridiction pénale
no 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de
la protection juridique des majeurs applicable à Le manquement à l’obligation d’information n’est
partir du 1er janvier 2009) ; pas retenu comme une faute. Rappelons l’arrêt du
17 novembre 1969 (Cour de cassation, 1re chambre
• les proches, sur consentement du patient ou s’il civile) selon lequel : « … l’avertissement préalable
n’est pas susceptible d’être directement informé constituant une obligation professionnelle d’ordre
(coma, état psychique…). Cette notion de « pro- général antérieure à l’intervention médicale ou
ches » qui n’est pas limitative, doit être maniée chirurgicale et distincte de celle-ci, le manquement
avec prudence et circonspection dans certains à une telle obligation ne saurait justifier une pour-
milieux familiaux. suite devant une juridiction répressive… », une
telle poursuite ne pouvant concerner que « … les
Qui peut-on ne pas informer seules défaillances du praticien dans l’exécution
des soins qu’il a accepté de donner au malade… ».
ou informer partiellement ? Cet arrêt en chambre civile a été confirmé par l’ar-
« La limitation thérapeutique rêt de la chambre criminelle du 11 avril 1970.
de l’information » Plus récemment [27] il est écrit : « L’homicide invo-
En cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du lontaire n’est constitué que si la faute reprochée au
patient à être informé, la dérogation à l’obligation praticien a causé la mort directement ou indirecte-
d’information est admise (arrêt no 1567 du 7 octo- ment, et n’a pas eu seulement pour effet de priver la
bre 1998). victime d’une chance de survie ». Le défaut d’infor-
La notion de limitation thérapeutique de l’infor- mation n’est pas concerné, car il ne peut débou-
mation est tout autre. Elle a été traitée à propos des cher que sur la notion d’une perte de chance.
deux arrêts no 1567 et 1568 du 7 octobre 1998.
S’il n’est pas admis que l’information n’a pas été
Devant une juridiction civile
donnée du seul fait du caractère exceptionnel du Le manquement à l’obligation contractuelle d’in-
risque grave, le bon sens et l’humanisme doivent formation retire au patient la possibilité d’un

237
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

choix donc, en définitive, d’un consentement ou médecin était tenu de refuser d’accéder à des
d’un refus éclairé des investigations ou traitement demandes d’un patient exposant ce dernier, sans
à subir. Ce préjudice est directement rattachable à justification thérapeutique, à un danger. Il peut y
une perte de chance comme il est explicitement avoir des cas où les alternatives sont équivalentes
énoncé dans l’arrêt Hérard/Jugnet du 7 février quant à leurs risques et avantages, le choix ne fait
1990 (Civ. I, Bull, no 39) [13] : «… le chirurgien qui alors pas difficulté quant à ses conséquences »
manque à son obligation d’éclairer son patient sur (arrêt du 6 juin 2000, Bull. Civ. I, no 176 ; Juris-
les conséquences éventuelles du choix de celui-ci Data no 2000-002337) [19]. L’arrêt du 6 décembre
d’accepter l’opération qu’il lui propose, prive seu- 2007 traite du même problème – information/
lement l’intéressé d’une chance d’échapper, par consentement ou refus éclairé – en d’autres ter-
une décision peut-être plus judicieuse, au risque mes, en retenant au bénéfice des ayants droit de la
qui s’est finalement réalisé, perte qui constitue un victime un préjudice moral transmissible du fait
préjudice distinct des atteintes corporelles résul- d’un défaut d’information sur le risque d’hémi-
tant de ladite opération. » plégie au décours d’une intervention de chirurgie
La quantification de cette perte de chance jouera carotidienne [26].
un rôle important dans l’évaluation de l’indemni-
sation comme le souligne P. Sargos [17] : « … en Devant une juridiction
matière de défaut d’information le préjudice en
résultant est la perte de chance d’avoir pu refuser
administrative
l’investigation ou les soins ayant causé un dom- Un défaut d’information ou de consentement
mage. À cet égard, les juges du fond pourraient éclairé constitue une faute de service [11].
parfaitement réduire fortement l’indemnisation, L’arrêt Teyssier du 28 janvier 1942 (Cour de cassa-
voire même la supprimer, s’ils estimaient qu’eu tion, chambre des requêtes, Président M. Mazeaud)
égard, par exemple, à la gravité de la maladie du doit pourtant retenir l’attention plus qu’il ne sem-
patient, à l’absence d’alternative et au caractère ble l’avoir fait jusqu’ici [17]. La responsabilité d’un
très peu fréquent du risque d’une investigation ou médecin hospitalier a été retenue pour n’avoir pas
d’un traitement, le malade aurait donné son averti son client : « … ni de la nature exacte de
consentement même s’il avait été informé (il n’y l’opération qu’il allait subir et de ses conséquen-
aurait alors plus de perte de chance)… ». ces, ni du choix qu’il avait entre deux méthodes
L’arrêt no 1568 du 7 octobre 1998 a parfaitement curatives… ». Le texte de l’arrêt poursuit en
illustré cette jurisprudence. 1942 (50 ans avant les lois bioéthiques de 1994 et
Il importe pour le médecin de veiller à ce qu’une 60 ans avant la loi relative aux droits du malade !)
information trop pessimiste sur le risque encouru que l’obligation de recueillir le consentement du
ne fasse prendre au patient une décision de refus patient est « imposée par le respect de la personne
qui serait contraire à son intérêt thérapeutique humaine » et que sa violation est « une atteinte
personnel. grave aux droits du malade… ».
Il importe que le médecin, en présence d’alterna- Par cet arrêt le défaut de recueil d’un consente-
tives thérapeutiques « fasse connaître à son patient ment éclairé, compte tenu de sa gravité, a été
le choix qui lui paraît le plus adapté en lui en retenu par la Cour de cassation comme une faute
expliquant les raisons. Le devoir d’information détachable du service. Ce caractère de gravité en
s’accompagne donc d’un devoir de conseil. Si le tant que critère de la faute détachable du service a
praticien ne réussit pas à convaincre son patient été confirmé par un arrêt de la chambre crimi-
d’avoir recours au choix qu’il préconise (ce qui en nelle du 2 avril 1992 et un arrêt de la première
soi n’est pas une faute comme le souligne l’arrêt chambre civile du 2 juin 1993. Ceci est d’ailleurs
du 18 janvier 2000) il lui appartient d’apprécier si repris dans l’article 41 du code de déontologie
ce choix ne l’expose pas à un risque excessif, médicale.
auquel cas le praticien devra refuser d’accomplir Néanmoins la juridiction administrative qui,
l’acte. L’article 40 du code de déontologie interdit comme la juridiction civile retient la notion de
à un médecin de faire courir au patient un risque perte de chance en cas de non information, admet
injustifié. L’arrêt du 27 mai 1998 avait jugé qu’un elle aussi que cette perte de chance peut être nulle

238
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

dès lors « qu’il n’existait aucune alternative théra- les médecins français se penchent. L’arrêt du
peutique moins risquée ; qu’en l’espèce […] la faute 14 octobre 1997 introduit, à côté de critères quan-
commise par le centre hospitalier n’a pas entraîné titatifs, des critères qualitatifs de gravité pour cer-
de perte de chance pour M. L. de se soustraire au ner au mieux ce que doit être l’information
risque qui s’est réalisé… » (CAA, Paris, arrêt du souhaitable. Cette notion nouvelle dans la juris-
31 décembre 2003, no 02 PA 03322). prudence est à prendre en considération. La loi du
4 mars 2002 a apporté sur le sujet à la fois des
éclaircissements et des obligations règlementaires.

Conclusion Rappelons l’exclamation de J. Favre à propos d’un


grave accident du travail à la fin du siècle dernier :
« il y a des souffrances imméritées. » Le Conseil
À propos de douze arrêts récents des 1re et
d’État a montré la voie avec les arrêts Gomez
2e chambres civiles de la Cour de cassation, il a été
(1990), Bianchi (1993) et l’arrêt Hôpital Imbert
possible de faire une revue assez complète, sinon
d’Arles du 3 novembre 1997. La loi du 4 mars 2002
exhaustive, de l’obligation d’information, base du
a apporté une solution à la reconnaissance et l’in-
choix donc du consentement ou non du malade
demnisation de l’aléa médical.
face aux investigations thérapeutiques qui lui sont
proposées. Il ne faudrait pas, par contre, qu’une jurispru-
dence compassionnelle, dans l’acception noble
La voix, l’oreille et le cerveau doivent suffire à ce
et humaniste du terme, continue d’apporter trop
que cette information soit donnée, reçue et
de distorsion à un droit commun auquel les
comprise.
médecins doivent rester soumis. L’obligation
Depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, l’obligation d’information devient trop souvent un recours
d’information fait partie des obligations contrac- lorsqu’aucune autre faute ne peut être démontrée,
tuelles de moyens pour une administration atten- même si ce biais d’attaque débouche sur la notion
tive de soins médicaux conformes à la conscience de perte de chance et sur une indemnisation plus
et à la science médicales. ou moins partielle, voire nulle. Il ne serait pas
La mise à la charge du médecin de la preuve de équitable que, du fait d’une législation récente
l’information n’est pas une inversion de charge souhaitée, le corps médical continue de suppor-
mais un revirement de la jurisprudence qui ter une part trop importante du poids de l’in-
reprend simplement l’application du code civil. Il demnisation de l’aléa médical, c’est-à-dire de la
s’agit toujours d’une obligation contractuelle de responsabilité sans faute. lorsqu’il n’entre pas
moyens et non d’une obligation de résultat. Elle dans les critères de prise en charge de la loi Tout
ne concerne pas que les professions de santé. Elle autant que l’obligation de résultat, ce serait une
pourrait s’ouvrir à d’autres domaines que l’infor- forme de négation de ce qu’est réellement la
mation, mais n’en est-il pas déjà ainsi en ce qui médecine [7].
concerne les faits médicaux, le dossier que seul
possède en intégrité le ou les médecins traitants ?
Les moyens de preuve ont été discutés. À côté du
Bibliographie
témoignage oral et de l’écrit dont la mise au point [1] Caussin-Zante M., Accad L. Responsabilité : une
demande un travail scientifique pesé et précis, évolution prévisible du régime de l’obligation médi-
l’arrêt du 14 octobre 1997 admet la preuve par pré- cale. Le Quotidien du Médecin, 1997 ; 6156 : 14.
somption dont les modalités ont été évoquées. Le [2] Dérobert L. Droit médical et déontologie médicale.
support en est tous les écrits annexes du dossier Flammarion, Paris, 1974.
médical dont on ne saurait trop souligner l’im- [3] Dubois O. L’information du malade. La preuve
portance, ainsi qu’une bonne gestion de la chro- est désormais à la charge du médecin. Bulletin de
­l ’Ordre des médecins, 1997 ; 5 : 4.
nologie des faits, tout ceci bien sûr en dehors des
conditions d’urgence. [4] Hureau J. Le risque chirurgical : un concept évolutif.
Chirurgie, 1991 ; 7 : 624–633.
L’objet, la nature, la quantité et le contrôle de la [5] Hureau J, Avtan L, Germain M, Blanc D, Chaussade G.
compréhension de l’information sont autant de Perforation colique au cours de la coloscopie. 100 obser­
points sur lesquels, après d’autres, il faut bien que vations. Chirurgie, 1992 ; 118 : 70316.

239
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

[6] Hureau J, Vayre P, Chapuis Y, Germain M, Jost J.L, [16] Sargos P. Rapport de l’arrêt Audat et al., CC, lre ch.
Murat J, Spay G. Le risque en cœliochirurgie. 100 civ., 18 mars 1997. La Semaine juridique (JCP), 1997 ;
dossiers d’accidents. Étude qualitative. Chirurgie, 71, 17,  22829 : 195–197.
1996 ; 121 : 1–8. [17] Sargos P. Rapport de l’arrêt Guyomar, CC, 1re ch. civ.,
[7] Hureau J. L’immortalité ? La médecine et le droit face 14 octobre 1997. La Semaine juridique (JCP), 1997 ;
à un vieux rêve humain. Revue Experts, 1996 ; no 32 : II, 22942.
32–35. [18] Sargos P. Le devoir d’information des médecins
[8] Hureau J. Évolution du droit civil en responsabilité dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Revue
médicale. La jurisprudence. Conférence EFE, Paris, Experts, 1999 ; 42 : 7–11.
22 octobre 1997. [19] Sargos P. L’information du patient et le consentement
[9] Lecat P. Dites-moi tout, docteur. MGEN, septembre aux soins. Juris-Classeur, Droit médical et hospita-
1997 ; 52–53. lier, 2003.
[10] Lenfant A. La trace écrite de la juste information. [20] Sureau C. La logique de la machine à laver. Schering
GAMM infos, 1997 : 3. Contact gynécologie. Lettre mensuelle, 1997 ; 46 : 1.
[11] Moreau J. Le défaut d’information du patient par [21] Timsit G. Les figures du jugement. PUF. Les voies du
l’hôpital, source de responsabilité. La Semaine juri- droit 1993.
dique (JCP), 1997 ; 71 (17), 22828 : 192–5. [22] Gleyse P, Coudane H, Guardiolle JC, Hureau J.
[12] Sargos P. La responsabilité médicale en matière Analyse comparative des niveaux de preuves de l’in-
d’exercice médical pluridisciplinaire. Médecine et formation préopératoire des patients selon différen-
Droit, mars-avril 1996 : 17. tes méthodes et supports. Revue Experts, 2008, no 79,
[13] Sargos P. La jurisprudence civile de la Cour de cassa- 50–57.
tion en matière de faute médicale. Rapport annuel de [23] Le traitement juridique et judiciaire de l’incertitude.
la Cour de cassation de 1996 : 189–203. Dalloz édit. Paris 2008, p. 92–93.
[14] Sargos P. Rapport de l’arrêt Hédreul, cour de [24] Hureau J. De l’infaillibilité à l’incertitude en méde-
Cassation, 1re chambre civile, 25 février 1997. Gazette cine face au droit. « L’erreur médicale ». PUF édit.
du Palais, 27–29 avril 1997 : 22–27. Paris 2006, p. 201–212.
[15] Sargos P. Évolution de la responsabilité civile des [25] Hureau J. La preuve scientifique appliquée à l’exper-
médecins et des établissements de santé privés dans tise. Revue Experts, 2008, 78, 52–53.
la jurisprudence de la Cour de cassation et les inci- [26] Sargos P. Note sur l’arrêt CC. 1re civ., 6 décembre
dences des lois du 4 mars et du 30 décembre 2002 2007. Dalloz 17 janvier 2008, p. 192.
(mise à jour du 8–11 juin 2004). Conférence pour
l’École Nationale de la Magistrature. [27] Rapport annuel 2007 de la Cour de cassation. La
Documentation française édit. Paris 2008.

Infection nosocomiale – infection associée aux soins.


Aspects médico-juridiques
J. Hureau

L’infection nosocomiale est une infection trans- du mot. « Nosocomial » a été forgé à partir de
mise lors de soins donnés à un patient et en rap- nosos (maladie) et de comeïn (soigner) [17]. Le
port direct, certain et exclusif avec ces soins. Ce terme aurait peut-être initialement été forgé par la
n’est pas toute infection survenant au cours ou au langue anglaise (nosocomial), adopté en français
décours de soins. et également en italien et en espagnol (nosoco-
miale). Notons toutefois que, s’il n’a pas été défini
dans le dictionnaire généraliste Harrap’s, il ne l’est
Mise au point sémantique pas non plus dans le Butterworths Médical
Dictionary de A.S. Mac Nalty (édition de 1965).
sur le terme « nosocomial » L’utilisation de la racine nosos dans quelques ter-
mes savants n’apparaît que tardivement en fran-
La définition proposée ci-dessus [10-11] se veut çais : « nosologie » en 1747 pour désigner l’étude
aussi proche que possible de l’origine sémantique des caractères distinctifs permettant de définir les

240
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

maladies, ou « nosographie » en 1798 pour dési- D’un terme qui se rapporte simplement aux soins
gner la description et la clarification méthodique donnés à un malade, E. Littré écrit : « qui est relatif
des maladies [23]. aux hôpitaux ». Il ne donne que deux exemples du
L’étymologie est sans ambiguïté : nosocomial se seul domaine des affections infectieuses : « fièvre
rapporte aux soins donnés pour une maladie. nosocomiale » et « typhus nosocomial ». Comment
s’étonner dès lors, compte tenu de l’autorité justi-
S’agissant d’une infection au sens où nous l’en-
fiée de E. Littré, que le terme nosocomial, par une
tendons actuellement, le concept d’« infection
véritable aberration du langage, soit quasi devenu
nosocomiale » présuppose d’associer les termes
à lui seul synonyme d’infection contractée en
d’infection (inficio, feci, factum, ere de in et facio
milieu hospitalier ? (Pour connaître du concept
= imprégner, infecter, corrompre, souiller) et de
moins restrictif du terme nosocomial cf. « Effets
contagion (contagio = contact) [6]. Le mot « infec-
indésirables et mésusage du médicament, le risque
tion » est pris dans le sens de la multiplication de
nosocomial médicamenteux et sa prévention »).
micro-organismes avec, sur le plan local, enva-
hissement des structures saines d’emblée ou en Les textes législatifs et réglementaires ont pâti
cours d’évolution, sur le plan régional, présence grandement de ce manque de rigueur sémantique.
de lymphangites et d’adénopathies, sur le plan Les conséquences médico-juridiques sont loin d’en
général, existence de bactériémies ou d’une septi- être négligeables.
cémie avec ou sans métastases septiques [16]. Le L’infection nosocomiale est vieille comme les hôpi-
mot « contagion », transmission de la maladie taux. Rappelons qu’en français archaïque le « noso-
d’un individu à un autre par l’effet d’un contact come », terme directement dérivé des mots latins
médiat ou immédiat [17] doit être pris mainte- nosocomium, hôpital et nosocomus, garde-malade,
nant dans un sens qui dépasse le seul contact désigne indifféremment « celui qui dirige les soins
entre individus. Il faut le rapprocher du terme de donnés aux malades » et « maison destinée aux
« contamination », processus entraînant la pré- malades » [17], de là déjà une certaine ambiguïté.
sence de germes sur le matériel ou la personne
Le concept d’infection nosocomiale (IN) doit
[16]. Comme le terme latin contaminatio dont il
retrouver toute l’ampleur que lui confère le mot
est directement issu, il évoque la souillure ce qui
nosocomial.
nous ramène à l’un des sens étymologique du mot
« infection ». L’infection nosocomiale concerne toute infection
Durant les premières décennies du xixe siècle, le transmise au cours de soins donnés, quel que soit
concept associant « infection » et « nosocomial », le soignant pris au sens large :
c’est-à-dire contagion par contamination au cours • professionnel médical (médecin, chirurgien
de soins, eut été impensable. Une ultime et vio- dentiste, sage-femme) ;
lente controverse oppose alors les tenants de • auxiliaire médical (infirmier, aide-opératoire,
­l ’héritage hippocratique concernant la notion kinésithérapeute, rééducateur, orthoptiste, aide
d’infection et les partisans de la doctrine de médico-psychologique, manipulateur de radio­
Frascator sur la contagion [3]. L’avènement de la logie…) ;
microbiologie se chargera de les mettre d’ac- • professionnel de pharmacie (pharmacien, prépa-
cord [4]. rateur en pharmacie, laborantin et même indus-
Avec le terme « nosocomial » qui n’apparaît donc triel de la pharmacie ou des bio-matériaux…).
pas avant la seconde moitié du xixe siècle, la
• les concepteurs et réalisateurs d’établissements
sémantique dénomme tardivement un concept
de soins eux-mêmes peuvent être impliqués
dont la réalité factuelle est établie depuis long-
dans la survenue d’une infection nosocomiale.
temps. Peut-être doit-on à E. Littré (1801–1881) le
contresens ou du moins la déviation incorrecte et Ils ont tous en commun d’intervenir dans l’inti-
réductrice donnée quotidiennement de nos jours mité psycho et surtout somatique individuelle
au mot « nosocomial », qu’il s’agisse du langage d’un patient, à des titres divers et avec une impli-
vulgaire suscité, relayé et entretenu par les médias cation de grade très variable dans le caractère
généralistes, mais encore actuellement par trop nosocomial de survenue d’une éventuelle infec-
d’organes scientifiques. tion en cours de traitement.

241
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

À côté des soignants, les techniciens, œuvrant portant création d’un Comité technique des infec-
pour ou au sein d’une structure de soins, liés ou tions nosocomiales et des infections liées aux
non à l’organisme de gestion, peuvent, directe- soins (CTINILS) n’a pas craint le pléonasme. Le
ment ou non, être impliqués dans un risque noso- terme « liées » est repris dans la circulaire DHOS/
comial, y compris dans le risque infectieux. Il DGS du 13 décembre 2004 qui sort l’IN du cadre
suffit de citer les ingénieurs du génie sanitaire et purement hospitalier et de son carcan temporel.
leurs ingénieurs d’étude, les ingénieurs bio-médi- Le 16 novembre 2006, le CTINILS actualise la
caux et même les architectes hospitaliers et les définition des infections nosocomiales dans un
ingénieurs des bureaux d’étude du bâtiment. rapport présenté le 11 mai 2007 au Haut Conseil
L’infection nosocomiale est indépendante du lieu de la Santé Publique et retient l’expression « infec-
où sont donnés les soins. tion associée aux soins » (IAS) [28]. La définition
développée qui en est donnée fait état de tous les
L’infection hospitalière est la plus visible, la plus
critères définis devant l’Académie nationale de
étudiée, la plus contrôlée.
médecine le 4 décembre 2001 [10]. Cette défini-
Le développement des alternatives à l’hospitalisa- tion reprend les bases du texte officiel initial [1]
tion proprement dite (hospitalisation à domicile, tout en le transformant fondamentalement dans
assistance respiratoire à domicile, centre d’hémo- son esprit et sa portée :
dialyse, chimiothérapie ou nutrition entérale à
« Une infection est dite associée aux soins si elle
domicile…) induit autant de sites de soins nou-
survient au cours ou au décours d’une prise en
veaux susceptibles de générer des IN.
charge (diagnostique, thérapeutique, palliative,
En pratique libérale de ville, le cabinet du méde- préventive ou éducative) d’un patient et si elle n’est
cin, du chirurgien ou du radiologue, le cabinet ni présente ni en incubation au début de la prise en
dentaire, le cabinet de l’infirmière sont autant de charge.
sites potentiels.
Lorsque l’état infectieux au début de la prise en
Le domicile même du malade a toujours été un charge n’est pas connu précisément, un délai d’au
lieu de soins. moins 48 heures ou un délai supérieur à la période
L’infection nosocomiale ne doit pas être enfermée d’incubation est couramment accepté pour définir
dans des limites de temps arbitraires. Elle est une IAS. Toutefois, il est recommandé d’apprécier
sous la seule responsabilité du fait, de l’acte géné- dans chaque cas la plausibilité de l’association
rateur dès lors que le lien de causalité direct, cer- entre la prise en charge et l’infection.
tain et exclusif peut être établi. Pour les infections du site opératoire, on considère
L’infection nosocomiale n’est pas limitée à la habituellement comme associées aux soins les
seule médecine curative. infections survenant dans les 30 jours suivant l’in-
Les soins donnés au titre d’une médecine préven- tervention ou, s’il y a mise en place d’un implant,
tive doivent être mis en compte. Ceci explique d’une prothèse ou d’un matériel prothétique, dans
que, dans la définition retenue, le terme de patient l’année qui suit l’intervention. Toutefois, et quel-
ait été préféré à celui de malade. que soit le délai de survenue, il est recommandé
d’apprécier dans chaque cas la plausibilité de l’as-
Seule une définition simple et claire, à base séman-
sociation entre l’intervention et l’infection, notam-
tique, permet d’appréhender toute la complexité
ment en prenant en compte le type de germe en
de l’IN, tant médicale que médico-juridique. Celle
cause.
qui a été proposée à l’Académie nationale de
médecine [10] a eu l’heur d’être accueillie favora- L’infection associée aux soins (IAS) englobe tout
blement par A. Rey, auteur du Dictionnaire histo- événement infectieux plus ou moins proche avec un
rique de la langue française, Le Robert, 1998 [22]. processus, une structure, une démarche de soins,
Elle est rappelée en introduction de ce chapitre. Sa dans un sens très large. L’IAS comprend l’infection
souplesse sémantique a depuis servi de modèle à nosocomiale, au sens de contractée dans un éta-
d’autres propositions de définitions qui progressi- blissement de santé, et couvre également les soins
vement prennent en compte la dimension médico- délivrés en dehors des établissements de santé.
juridique et non plus seulement le caractère Le critère principal définissant une IAS est consti-
épidémiologique. L’arrêté du 23 septembre 2004 tué par la délivrance d’un acte ou d’une prise en

242
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

charge de soins au sens large (à visée diagnosti- sur les hôpitaux de Paris publié par J. René Tenon
que, thérapeutique, de dépistage ou de prévention (1724–1816) en 1788 fut un des premiers cris
primaire) par un professionnel de santé ou le d’alarme officiels sur l’infection hospitalière. Il
patient ou son entourage, encadrés par un pro- souligne la mortalité très élevée chez les accou-
fessionnel de santé. Aucune distinction n’est faite chées. La fièvre puerpérale sera le premier cheval
quant au lieu ou est réalisée la prise en charge ou la de bataille de C. White (1728–1813) à Manchester,
délivrance de soins ». d’A. Gordon (1752–1799) à Aberdeen, de R. Collins
Nous verrons toute la portée médico-juridique de en 1829 à Dublin, d’O. Wendel Holmes (1809–
ce texte et ses implications pour l’expert et 1894) à Boston, de S. Tarnier (1828–1897) à Paris
l’expertise. en 1857. Ce dernier fut le divulgateur en France
des travaux de I. Semmelweis. Ceux-ci, prémi­
ces de l’antisepsie, ouvrent la voie aux travaux
Histoire de l’infection de J.  Lister (1827–1912) à Glasgow. M. Lucas-
Championnière (1843–1913) les fera connaître à
nosocomiale Paris dès 1869. Les travaux de L. Pasteur (1822–
1895) menés sur les micro-organismes de 1865 à
Elle explique qu’à notre époque l’infection noso- 1886 ouvrent enfin la voie de l’asepsie codifiée à
comiale soit encore vue sous le seul angle réduc- Paris par deux chirurgiens, F. Terrier (1837–1908)
teur de l’infection hospitalière et de l’hygiène et O. Terrillon (1844–1895), grâce en particulier
hospitalière. Si cet aspect reste extrêmement pré- aux inventions de Poupinel en 1884 et de l’auto-
pondérant, il ne doit pas cacher tous les problèmes clave de C.E. Chamberland (1851–1908). Le mas-
connexes et progressivement émergents apparus que opératoire de J.F. Von Mikulicz-Radecki
grâce à l’affinement et au progrès de nos connais- (1850–1905) retient les gouttelettes contaminan-
sances en microbiologie et en infectiologie et à tes de K.G.F. W. Flügge (1847–1923) tandis qu’en
l’évolution dans les modalités d’administration 1889 W.S. Halsted (1858–1926) préconise l’utilisa-
des soins. tion de gants en salle d’opération.
Si l’on admet que la première conception du À la fin du xixe siècle, l’antisepsie et l’asepsie en
microscope optique remonte à la fin du xvie siècle, salle d’accouchement et au bloc opératoire étaient
à la fin de la Renaissance, c’est au hollandais parfaitement codifiées. L’hygiène générale, hospi-
A. Van Leeuwenhoek (1632–1723) que l’on attribue talière en particulier, était en train de naître, mar-
la construction du premier microscope digne de quée le 15 février 1902 par la première loi importante
ce nom en 1690. Peut-être Z. Jansen l’avait-il pré- sur la protection de la santé publique en France.
cédé. En effet, Kircher, dans un ouvrage publié en
Le xxe siècle a été celui de l’antibiothérapie dep­
1658 (Scrutinium physico-medicum pestis) décou-
uis la découverte en 1929 de la pénicilline par
vre sous son microscope, décrit et dessine des
A.  Flemming (1881–1955). L’équilibre est fragile
créatures vivantes, imperceptibles à l’œil nu, dont
entre l’adaptation des germes et l’élargissement de
Lange confirme l’existence en 1688 (in Pathologia
l’arsenal antibiotique.
animata) [4]. L’un comme l’autre reprennent la
théorie de la contagion d’un visionnaire dépourvu Le xxie siècle ne devra pas oublier l’importance de
d’appareil optique, J. Fracastor de Vérone. En l’antisepsie et de l’asepsie. C’est la grande tâche de
1546, dans son ouvrage De contagione et contagio- l’organisation de la lutte contre l’infection noso-
sis morbis et curatione, il affirme l’existence de très comiale [11].
petits organismes vivants invisibles, capables de
se reproduire et de se multiplier. Il s’opposait par
là à Hippocrate dans sa théorie miasmatique des
infections encore communément admise jusqu’à
Cadre nosologique des infections
l’ère pastorienne. nosocomiales et facteurs
Cette vision intuitive et non scientifique ressur- de risques
gira trois siècles plus tard, en 1846, avec les tra-
vaux d’I. Semmelweis (1818–1865) à Vienne sur Polymorphe et ubiquitaire, l’infection nosocomiale
les origines de la fièvre puerpérale. Le Mémoire est une maladie multifactorielle. Sans ­prétendre

243
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

être exhaustive, une liste des facteurs de risques situation existant à ce moment précis. De 1990 à
variables d’un établissement, d’un service, d’une 2006, quatre enquêtes de ce type ont été menées
discipline à l’autre, peut être établie même si en France. Voici à titre comparatif les résultats
certaines rubriques se recoupent. Il faut tenir globaux :
compte : • en 1990 :
• de l’agent infectieux dont la potentialité patho- – prévalence des patients infectés : 6,7 %,
gène est variable ;
– prévalence des IN : 7,4 % ;
• du mode de contamination endogène ou exo-
• en 1996 :
gène, distinction capitale ;
– prévalence des patients infectés : 6,7 %,
• des conditions cliniques liées au patient, à sa
maladie et à ses traitements ; – prévalence des IN : 7,6 % ;
• du type de l’acte invasif contaminant, qu’il soit • en 2001 :
d’investigation ou de traitement ; – prévalence des patients infectés : 5,9 %,
• des conditions d’environnement hospitalier, – prévalence des IN : 6,4 % ;
architectural, d’organisation fonctionnelle, de • en 2006 :
moyens mis en œuvre donc financiers, d’hygiène
– prévalence des patients infectés : 4,97 %,
générale ; il y a des secteurs qui seront toujours à
risques, ils sont pourtant indispensables ; – prévalence des IN : 5,38 %.
• de l’interpénétration géographique des soins Dans l’édition précédente de l’ouvrage (2005),
tant en interne qu’en externe aux établissements nous avons relaté en détail les résultats de l’en-
mais aussi des transferts, ambulanciers, voire quête 2001. Dans cette nouvelle édition de mise à
aériens sanitaires ; jour nous rapporterons la synthèse des résultats
• des personnes dont l’ignorance ne peut être de l’enquête 2006 [20].
compensée que par la formation, personnel soi- Les enquêtes de surveillance plus annualisées
gnant et, au premier chef, les médecins, person- s’intéressent régulièrement à l’infection des sites
nel non médical mais également les malades opératoires (ISO). Ce sont des enquêtes d’inci-
eux-mêmes et toute personne pénétrant dans la dence qui dénombrent les nouveaux cas d’ISO
structure ouverte qu’est une structure de soins ; pendant une période donnée dans un certain
• des vecteurs humains, contaminateurs à sur- nombre de services spécialisés. L’enquête d’inci-
veiller, contaminés potentiels à protéger. dence, d’essence dynamique, traduit l’évolution
du phénomène ISO durant la période d’étude.
Nous disposons à ce jour des résultats des enquê-
Ampleur du risque infectieux tes nationales de 1999 à 2005 publiés par le réseau
ISO – Raisin [21] ainsi que de l’enquête 2007 du
nosocomial hospitalier réseau INCISO (CLIN Paris Nord) publiée en
novembre 2008 [13].
En France ce risque fait l’objet d’évaluations
périodiques d’ampleur nationale et d’une sur-
veillance permanente, plus ciblée, régulièrement Résultats de l’enquête
mises à jour et publiées. nationale de prévalence
Les enquêtes nationales périodiques sont des de 2006 sur les IN [20]
enquêtes de prévalence. Elles dénombrent les
L’enquête ISO-Raisin a été réalisée les 29 et 30 juin
infections nosocomiales (IN) et les malades infec-
2006.
tés dans la population des établissements de soins
un jour donné, sans distinction des cas nouveaux 2 337 établissements de soins (ES) – 95 % des lits
ou des cas anciens. Elles concernent tous les d’hospitalisation en France – ont participé.
patients hospitalisés depuis au moins 24 heures à 358 467 patients ont été inclus. 17 820 patients
l’exclusion des patients entrant le jour de l’en- étaient infectés, soit une prévalence de patients
quête. La prévalence est le reflet statique de la infectés de 4,97 %. Certains étant porteurs de

244
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

p­ lusieurs sites d’IN, 19 296 IN ont été dénombrées La prévalence des patients infectés en France en
soit une prévalence d’IN de 5,38 %. 2006 est dans les limites basses des autres enquê-
L’âge moyen est de 69 ans (0 – 114) dont 18,4 % tes européennes depuis 2000 : France 2006  –
> 85 et 3,5 % < 1. Le ratio hommes/femmes est de 4,97 % ; Grande Bretagne 2006 – 7,6 % ; Finlande
0,77. 2005 – 8,5 % ; Suisse 2004 – 7,2 % ; Norvège 2003 –
long séjour 7,3 % ; Norvège 2002 – court séjour
La durée moyenne de séjour est de 14 jours
5,4 % ; Espagne 2002 – 6,7 % ; Grèce 2001 – 9,3 % ;
– 18,4 % < 2 jours – 6,7 % > 1 an.
Slovénie 2001 – 4,6 % ; Italie 2000 – 4,9 %.
Les facteurs de risques dans la population étudiée Il n’en reste pas moins qu’un patient sur 20 hospi-
sont les suivants : 55,7 % > 65 ans ; 29,2 % Mac talisé en France fait une IN de gravité très
Cabe 1 ou 2 ; 9,5 % d’immunodépression ; 21,3 % variable.
en postopératoire chirurgical ; 24 % avec cathéter
vasculaire ; 9,4 % avec sonde urinaire ; 1,8 % sous Les IN seraient la cause directe de plus de 3 500
intubation trachéale ou trachéotomie. décès par an en France en 2009 [29]. Nous y
reviendrons.
Trois localisations représentent 59 % des IN :
infection urinaire (30 %), pneumopathie (15 %), Il faut rester réaliste. L’Homme est porteur de 1010
infection du site opératoire (14 %). à 1014 micro-organismes pathogènes ou à potentiel
pathogène (plus que de cellules constituant son
Les trois micro-organismes les plus fréquem- corps) aussi ne faut-il pas espérer voir descendre le
ment responsables d’IN sont Escherichia coli taux moyen global des IN au-dessous de 3 %. Le
(25  %), Staphylococcus aureus (19 % dont 52 % taux zéro ne peut être atteint.
résistant à la méticilline) et Pseudomonas aerugi-
nosa (10 %).
La prévalence des patients infectés est plus élevée Résultats de l’enquête
(M = 4,97 %) dans les CHU (6,77 %) et dans les d’incidence des ISO en France
Centres de lutte contre le cancer (9,29 %) ainsi que de 1999 à 2005 [21]
dans les services de réanimation (22,4 %) et, à un
moindre niveau, dans les services de soins de suite Cette enquête a été menée par les 5 CCLIN dans le
et de réadaptation (7,09 %). cadre du Réseau d’alerte, d’investigation et de
surveillance des infections nosocomiales (réseau
La prévalence augmente également en fonction
ISO-Raisin). Les résultats sont donnés selon les
des facteurs de risque : > 65 ans (6,14 %) ; Mac
critères du National nosocomial infection sur-
Cabe 1 (7,44 %) ; Mac Cabe 2 (13,15 %) ; immuno-
veillance systeme (NNISS) américain : l’index
dépression (10,75 %) ; postopératoire (7,53 %) ;
NNISS a été modifié en prenant en outre en
cathéter vasculaire (9,16 %) ; sonde urinaire
compte la valeur seuil de durée de l’intervention
(17,07 %) ; intubation/trachéotomie ( 22,03 %).
correspondant au percentil 75 des durées obser-
Un traitement anti-infectieux a été administré à vées et devient dans la base Raisin l’index NNISS
15,9 % des malades (1 sur 6) dont 1 sur 4 en court adapté Raisin (tableau en annexe).
séjour et 1 sur 2 en réanimation. Pour chacune des années, la surveillance a été
Le taux d’infections importées dépend du carac- ­effectuée sur une période d’au moins trois mois en
tère primaire ou secondaire du recrutement de surveillance globale ou de six mois par an en sur-
l’ES ou du service receveur. Il est plus élevé dans veillance ciblée. Elle inclut la chirurgie ambulatoire.
les établissements de soins de suite et réadaptation Elle exclut les réinterventions pour complications
(2,57 %) et dans les services de réanimation infectieuses du site opératoire (à moins de 30 jours
(3,13 %) pour une moyenne de 1,04 % ou moins de 1 an en cas de pose de prothèse). Au
L’analyse comparative restreinte aux infections total, de 1999 à 2005, 770 176 interventions ont été
acquises dans les ES ayant participé aux enquêtes surveillées.
de 2001 et 2006 met en évidence une diminution En 2005, le sex-ratio (h/f) était de 0,85. L’âge moyen
modérée (4 %) de la prévalence des patients infec- était de 49,4 ans (écart-type : 22,7) pour les hommes
tés et une diminution importante (38 %) de la pré- et 52,6 ans (écart-type : 21,8) pour les femmes. Les
valence des patients infectés à SARM. durées médianes d’hospitalisation préopératoire,

245
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

postopératoire et totale étaient respectivement de fine des facteurs de risque mais centrées sur une
1 jour (intervalle interquartile : 0–1), 3 jours (inter- discipline particulière (chirurgie, réanimation…),
valle interquartile : 1–7), et 4 jours (intervalle inter- enquêtes d’incidence jusqu’ici jamais réalisées de
quartile : 1–8). Les chirurgies les plus représentées façon globale en France, n’ont abordé de façon véri-
étaient : orthopédie (32,8 %), digestive (20,7 %) et tablement statistique la létalité des infections noso-
gynéco-obstétrique (11,5 %) ». comiales (communication personnelle de l’InVS).
Entre 1999 et 2005 la proportion d’interventions Il y aurait eu en France 11 780 000 personnes en
en NNISS-Raison 0 est passée de 63,9 % à hospitalisation complète en 2006 [5]. Le taux
65,25 %, les interventions en urgence de 15,67 % moyen de prévalence des IN en 2006 était de 4,97 %.
à 13,26 %, les cholécystectomies sous cœliosco- Faut-il en conclure qu’il y a eu 585 565 cas d’infec-
pies de 75,2 % à 83,63 % et la chirurgie du côlon tions nosocomiales hospitalières ? Rappelons
sous cœlioscopie de 8,54 % à 24,09 %. qu’une enquête de prévalence comptabilise les cas
Les ISO profondes, les plus graves, intéressant les nouveaux et les cas anciens. Elle aura donc ten-
plans musculo-aponévrotiques ou un organe, dance à majorer un chiffre extrapolé sur une
représentent 42 % des ISO. période d’une année. Le seul chiffre d’incidence
Le taux d’incidence des ISO varie avec l’index globale d’IN rapporté émane du NNISS. Il varie
NNISS-Raisin : 0,9 % en strate 0 (faible risque) ; de 3 à 5 % des patients admis. Il ne porte que sur
2,3 % en strate 1 (risque modéré) ; 5,9 % en strate 2 les nouveaux cas. Il permet donc une approche
(risque moyen) ; 13,3 % en strate 3 (risque élevé). plus ciblée. Nous avons vu que les enquêtes fran-
çaises tant de 1999 à 2005 (incidence des ISO) que
En tenant compte des autres facteurs mesurés de 2006 (prévalence globale des IN) donnent des
(urgence, séjour préopératoire, âge, procédures résultats comparables en matière d’IN entre la
multiples, etc.), le taux d’incidence des patients France et les USA. Si l’on applique au nombre
infectés n’ayant aucun facteur de risque est estimé d’hospitalisés en France le taux d’incidence
à 0,57 %. Un patient sur 175 développera une ISO moyenne globale de 4 % d’IN aux USA, ce sont
alors qu’il n’avait aucune raison a priori d’en déve- 471 280 cas d’IN hospitalières qu’il faut retenir.
lopper une. C’est, en quelque sorte, le taux irré- Encore ne fait-on pas intervenir les décès surve-
ductible de risque mis en évidence par l’étude. nus après la sortie des patients d’ES. Ils pourraient
C’est, donnée exceptionnelle, un taux d’aléa ! représenter 24 % de l’ensemble des décès dus en
Le taux moyen d’ISO en France a diminué de partie ou en totalité aux IN [31].
2,04 % en 1999 à 1,37 % en 2005. En NNISS-Raisin Il était imputé aux IN, directement ou non, 8 000
0 il passe de 1,1 % à 0,78 %. à 10 000 décès annuels en 2001 [1]. En 2003 le
La France se situe dans la moyenne des pays de ministère de la Santé n’en annonçait plus que
l’Union européenne [30] pour la cholécystectomie, 4 500 [2]. Les données de la littérature sur la mor-
la chirurgie colique, la césarienne et la prothèse de talité par IN sont très contrastées [31]. La cause en
hanche. Les taux d’incidence pour ces interventions, est qu’il est souvent très difficile de rapporter à
en fonction de l’index NNISS, sont identiques à ceux l’IN la totale responsabilité du décès. Le chiffre de
identifiés dans les réseaux US et britannique. 3 500 décès, directement imputables, retenu en
Il n’en reste pas moins que sur environ 7 millions France en 2009 [29] fait suite à l’étude du CCLIN-
d’actes chirurgicaux effectués annuellement en Paris Nord de 2002 [32] qui, par extrapolation,
France, 102 000 ISO sont dénombrées. Elles sont dénombrait à cette date 4 188 (2 665–6 357) cas
au 3e rang des IN (14 %) en 2006. possibles sur l’ensemble des CHRU et CHG de
France. Il a été tenu compte d’une diminution de
Le phénomène d’infection 12 % entre 2001 et 2006 [29].
nosocomiale dans son ensemble Ce contentieux potentiel est important mais les chif-
et son risque létal fres obtenus par extrapolation restent à prouver. Seul
le NNISS a pu mesurer la létalité par IN dans les éta-
À notre connaissance, ni les enquêtes de prévalence blissements de plus de 500 lits. Pour un taux d’IN de
les plus fouillées, ni les enquêtes d’incidence, pros- 3,3 %, le taux de létalité directe par IN serait de 0,5 %
pectives, plus précises, permettant une étude plus [9]. Appliqué à la fourchette 471 280/585 565 cas

246
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

annuels d’IN en France, ce taux de létalité directe de de la surveillance et de la prévention des infec-
0,5 % aboutit à une fourchette de décès par IN de tions nosocomiales s’est progressivement mise en
2 357 à 2 928 par an. Ce décompte est proche du place. Les textes les plus récents sont :
­dernier chiffre avancé par le ministère de la Santé. • la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renfor-
Une meilleure approche de la létalité par IN peut cement de la veille sanitaire et du contrôle de la
être espérée de l’application du décret du 26 juillet sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme ;
2001 et de la circulaire du 30 juillet 2001 qui instau- • le décret no 99-1034 du 6 décembre 1999 relatif
rent le signalement des IN selon des modalités pré- à l’organisation de la lutte contre les infections
cises auprès des autorités compétentes (DDASS et nosocomiales dans les établissements de santé ;
CCLIN de l’inter-région). Au 30 septembre 2003
• « les 100 recommandations pour la surveillance
l’Institut national de veille sanitaire (InVS) [13]
et la prévention des infections nosocomiales »
recensait 1 080 signalements d’IN émanant de 393
(1998–1999) [14] ;
établissements de santé et concernant 2 642 patients
dont 475 décédés (17 %). Ce recueil n’est probable- • la circulaire DGS du 29 décembre 2000 ;
ment pas exhaustif et ne concerne que les IN graves. • la circulaire DGS du 14 mars 2001 sur la trans-
En l’état actuel de nos connaissances épidémiologi- mission des agents transmissibles non conven-
ques il ne faut pas se hasarder à rapprocher le chiffre tionnels ;
potentiel annuel d’IN en France du taux de 17 % de • le décret no 2001-671 du 26 juillet 2001 sur le
décès signalés dans le relevé très parcellaire de signalement des IN ;
l’InVS à la date du 30 décembre 2003.
• la circulaire DHOS du 30 juillet 2001 en com-
Attendons les résultats de la campagne de signale- plément du décret précédent.
ment lancée par le CTINILS et par le Conseil
supérieur d’hygiène publique en France en janvier Tous ces textes organisent les comités de lutte
2007 [31]. contre l’infection nosocomiale, au niveau local,
régional et national ou ciblent des risques plus
spécifiques. Ils se basent sur des définitions dont il
importe de rappeler les plus marquantes :
Lutte contre l’infection • dans le texte officiel européen de 1984 est donnée
nosocomiale. Cadre comme infection hospitalière (le terme noso­
réglementaire comial n’est utilisé que dans l’exposé des motifs
dans son acception restrictive hospitalière) :
Une véritable stratégie de lutte contre l’infection « toute maladie contractée à l’hôpital, due à des
hospitalière ne peut être instaurée si elle ne repose micro-organismes, cliniquement ou/et micro-
sur une définition générale théorique rendue opé- biologiquement reconnaissable, qui affecte soit
rationnelle par les précisions cliniques et micro- le malade du fait de son admission à l’hôpital ou
biologiques qui lui sont intimement liées. Ainsi des soins qu’il y a reçus, en tant que patient hos-
s’exprimait, dès le 14 septembre 1971, le Professeur pitalisé ou en traitement ambulatoire, soit le per-
M. Maisonnet, expert consultant du conseil de sonnel hospitalier du fait de son activité, que les
l’Europe. L’action de ce conseil fondée sur l’expé- symptômes de la maladie apparaissent ou non
rimentation a abouti à la résolution (72) 31 du pendant que l’intéressé se trouve à l’hôpital. » ;
19  septembre 1972 et surtout à la recommanda- • la circulaire DGS du 13 octobre 1988 reprenait
tion R(84) 20 adoptée par le comité des ministres en moins complet une définition identique ;
du conseil de l’Europe le 25 octobre 1984 [16]. Elle • le site internet du ministère de la Santé en 2001
a été soutenue par le vœu de l’Académie nationale se veut plus précis : « L’état infectieux du patient
de médecine le 12 mars 1991. à l’admission est inconnu, l’infection est classi-
Ce n’est pas ici le thème ni le temps de rappeler quement considérée comme nosocomiale si elle
tous les textes réglementaires qui ont vu le jour en apparaît dans un délai de 48 heures d’hospitali-
France à la suite de cette action européenne. sation. Ce délai est cependant assez artificiel et
Depuis le décret du 6 mai 1988 et les circulaires du ne doit pas être appliqué sans réflexion. » Il y a un
13 octobre 1988 et du 19 avril 1995, l’organisation souci d’interprétation des faits qui n’est pas sans

247
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

incidence sur les responsabilités mises en cause. alors que la plus grande incertitude règne encore
Cela nécessite l’intervention d’un expert. Cette quant à la nature de l’agent infectieux, son mode
réflexion est directement liée au fait que l’infec- d’action et ses modalités de transmission.
tion nosocomiale relève de modes de transmis-
Pour la plupart ces diverses définitions s’inscri-
sion différents : « les infections d’origine endogène :
vent plus dans un contexte d’hygiène hospita-
le malade s’infecte avec ses propres germes à la
lière et de santé publique que dans un contexte
faveur d’un acte invasif et/ou en raison d’une fra-
médico-judiciaire même si les plus récentes ten-
gilité particulière ; les infections d’origine exo-
dent à s’y adapter. Nous avons souligné plus haut
gène : il peut s’agir soit d’infections croisées,
l’importance médico-juridique du nouveau
transmises d’un malade à l’autre par les mains ou
concept officiel d’infection associée aux soins.
les instruments de travail du personnel médical
ou paramédical, soit d’infections provoquées par Nous ne saurions rapporter ici le foisonnement des
les germes du personnel porteur, soit d’infections textes venus enrichir la règlementation en matière
liées à la contamination de l’environnement hos- de lutte contre les IN depuis les derniers textes
pitalier (eau, air, matériel, alimentation…). » Il princeps cités. Les recommandations françaises
faut se féliciter du souci des rédacteurs pour ce dépassent très largement les standards de l’OMS
distinguo si fondamental ; adoptés lors de l’Assemblée mondiale de la santé en
2002 [33]. Le lecteur curieux pourra se reporter aux
• pour le comité technique national des infections sites du Ministère à la rubrique « Infections noso-
nosocomiales dans son manuel de 1999 [1] : « une comiales » : http : //www.sante.gouv.fr/dossiers/10i.
infection est dite nosocomiale si elle apparaît au httm et http : //www.securitesoins.fr [29].
cours ou à la suite d’une hospitalisation et si elle
Rappelons les nouvelles mesures mises en place
était absente à l’admission à l’hôpital. Ce critère est
durant ces dernières années et auxquelles l’ex-
applicable à toute infection. Lorsque la situation
pert devra se référer dans son évaluation du res-
précise à l’admission n’est pas connue, un délai d’au
pect de la règlementation. Nous résumerons
moins 48 heures après l’admission (ou un délai
également les éléments de la politique d’avenir
supérieur à la période d’incubation lorsque celle-ci
[29] sur lesquels l’expert devra se tenir informé.
est connue) est communément accepté […] (il est)
recommandé d’apprécier, dans chaque cas dou-
teux, la plausibilité du lien causal entre hospitalisa- Le programme 2005–2008
tion et infection. Pour les infections du site de lutte contre les IN
opératoire, on considère comme nosocomiales les
infections survenues dans les 30 jours suivant l’in- Il comportait 5 grandes orientations :
tervention ou, s’il y a mise en place d’une prothèse • adapter les structures et faire évoluer le dispositif
ou d’un implant, dans l’année qui suit l’interven- de lutte contre l’infection nosocomiale (LIN) ;
tion. » Cette définition générale, complétée par des • améliorer l’organisation des soins et des prati-
définitions plus ciblées concernant les différents ques professionnelles ;
sites de l’infection, tend à intégrer les notions de
• optimiser le recueil et l’utilisation des données
germes portés et de germes acquis sans en tirer tou-
de surveillance et du signalement des IN ;
tefois les conséquences en terme de responsabilité ;
• mieux informer les patients et communiquer
• la circulaire DGS du 29 décembre 2000 intro- sur le risque infectieux associé aux soins ;
duit, pour la 1re fois dans un texte français, la
notion que les infections nosocomiales peuvent • promouvoir la recherche sur les mécanismes,
toucher les professions de santé en raison de leur l’impact, la prévention et la perception des IN
activité ; elle attire l’attention sur la prévention – signalement et traitement de l’erreur dans une
du risque de transmission de l’agent des chaîne systémique de soins (qualité-sécurité) et
encéphalopathies subaiguës spongiformes trans- réaliser des audits de bonnes pratiques.
missibles (ESST) par utilisation de dispositifs et Les instruments de mesure de la qualité de gestion des
d’équipements médicaux à usage multiple ; IN dans les ES publics et privés ont été mis en place.
• la circulaire DGS du 14 mars 2001, se basant sur Le tableau de bord des IN comporte 5 indicateurs
le principe de précaution, assimile l’ESST aux IN [29-33] :

248
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

• l’ICALIN (indicateur composite d’activités de la – améliorer l’organisation du dispositif,


lutte contre les infections nosocomiales) est – promouvoir la recherche sur les IAS ;
composé de 31 critères regroupés sous 3 aspects
à poids égal de la LIN – l’organisation et l’acti- • 4 objectifs ciblés sur les pratiques à risques et la
vité du CLIN – les moyens, autour de l’équipe maîtrise des bactéries multi-résistantes (BMR)
opérationnelle d’hygiène hospitalière (EOHH) – aux antibiotiques :
les actions (protocoles de bonnes pratiques, – incidence des bastériémies associées aux
­surveillance des infections et évaluation de la cathéters veineux centraux (CVC) : < 1/1000j.
qualité des soins) ; d’exposition aux CVC,
• l’ICSHA (indicateur de consommation de solu- – incidence des ISO pour 100 actes chez les
tions ou de produits hydro-alcooliques) reflet de patients NNISS-Raison 0 en chirurgie pro-
la campagne sur l’hygiène des mains, mesure- grammée à diminuer de 30 % (0,9 % en 2006),
clé de la prévention des IN ; – incidence, pour 100 admissions, des accidents
• la SURVISO (surveillances des infections du site exposant au sang pour les personnels des ES à
opératoire) dont l’importance a été soulignée à baisser de 20 %,
propos des enquêtes d’incidence ciblées ; – incidence des SARM pour 1 000 journées
• l’ICATB (indice composite de bon usage des d’hospitalisation à diminuer de 20 % et pro-
antibiotiques), reflet du niveau d’engagement de portion des souches d’Enterococcus faecium
l’ES dans une stratégie d’optimisation de la qua- résistant aux glycopeptides à maintenir à
lité des traitements antibiotiques tout en préser- moins de 2 % sur le territoire national ;
vant leur efficacité ; • un plan stratégique national articulé autour de
• l’indice SARM (Staphylococcus aureus résistant à trois objectifs :
la méticilline), reflet de l’écologie microbienne de – étendre la prévention des IAS à tous les sec-
l’établissement, de valeur purement indicative en teurs de soins : secteur hospitalier, secteur
raison des multiples facteurs qui la déterminent. médico-social, secteur des soins de ville,
En 2006, le premier classement par catégories des toutes les pratiques non médicales à risque
ES en France a été fait sur la base du SCORE infectieux appliquées sur le corps humain
AGREGE qui regroupe les 4 premiers indices du (microgreffe capillaire, tatouage, piercing…).
tableau de bord avec la pondération suivante : C’est reconnaître le caractère ubiquitaire de
ICALIN 40 %, ICSHA 30 %, ICATB 20 %, l’IAS,
SURVISO 10 %. C’est un outil de comparaison et – adapter les programmes d’action aux spécifici-
d’incitation dans l’esprit initial de l’ICALIN. tés des secteurs de soins et des catégories d’ES
ou de professionnels de santé. C’est reconnaî-
tre la complexité et l’hétérogénéité des IAS,
Le programme 2009–2012 – régionaliser la mise en œuvre de la politique de
de prévention des infections prévention des IAS. C’est prendre en compte
les variations de prévalence des IAS par région
nosocomiales
mises en évidence par l’enquête 2006 (de
Il comporte : 2,82 % en Corse à 7,40 % dans les TOM) [20].
• 6 grandes orientations nationales :
– promouvoir une culture partagée de qualité
et de sécurité, Évolution de la jurisprudence
– optimiser le recueil et l’utilisation des données administrative et judiciaire
de surveillance,
jusqu’au 4 mars 2002
– anticiper et détecter l’émergence d’agents
pathologiques à potentiel épidémique, Face à la complexité des faits en matière d’infec-
– maintenir l’usager au centre du dispositif de pré- tion nosocomiale la jurisprudence a été simplifi-
vention des infections associées aux soins (IAS), catrice [10].

249
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

En droit administratif arrêts marquants de la Cour de cassation : arrêt


Pougheon du 28 février 1984, arrêt Briois du
Depuis l’arrêt Cohen (Conseil d’État, 9 décembre 09 décembre 1986, arrêt Matsoukis du 29 novem-
1988), la condamnation de l’établissement public bre 1989, arrêt Llamas du 7 juillet 1998. Le Président
de santé est acquise sur la base de la présomption P. Sargos insiste déjà sur la rigueur de cette
irréfragable de faute dont l’établissement ne peut ­jurisprudence « qui fait découler la preuve de la
s’exonérer qu’à deux conditions : établir la cause faute d’asepsie de l’absence de toute autre cause
extérieure en prouvant que le malade était por- envisageable de l’infection ». Dans le même temps,
teur de l’agent infectieux lors de la prise en charge la présomption de responsabilité est évoquée. À
des soins ou prouver la quasi-impossibilité que la propos de l’arrêt Bonnici du 21 mai 1996, la Cour
contamination ait pu survenir dans l’établisse- de cassation affirme un principe nouveau : « Une
ment. Le Conseil d’État n’a pas caché vouloir pro- clinique est présumée responsable d’une infec-
voquer par là une indemnisation systématique. Il tion contractée par un patient lors d’une inter-
écrit dans son rapport de 1998 « … le recours à la vention pratiquée dans une salle d’opération, à
présomption de faute apparaît s’imposer lorsque moins de prouver l’absence de faute de sa part. »
la faute est impossible à prouver tout en étant L’arrêt Clinique Belledonne du 16 juin 1998
manifeste […]. Ce régime constitue en l’état confirme et ajoute « qu’une salle d’accouchement
actuel de la jurisprudence la seule voie permet- devait être assimilée à une salle d’opération ». Ce
tant d’indemniser le patient… ». n’est qu’une obligation « renforcée » de sécurité de
Cette recherche d’un moyen justifiant une indem- moyens qui met à la charge du défendeur l’obli­
nisation ressort encore de l’arrêt du 27 septembre gation de prouver qu’il n’est pas responsable du
2002 du Conseil d’État statuant au contentieux dommage.
(no  211370, publié au recueil Lebon). L’affaire Un nouveau pas est franchi le 29 juin 1999 avec
concerne des complications infectieuses au décours les arrêts dits « des staphylocoques dorés » par
d’une stérilisation tubaire réalisée le 16  janvier lesquels il est décidé que « les établissements de
1992. Le Conseil d’État n’a pu retenir de faute santé privés et les médecins sont tenus d’une obli-
quant à l’indication thérapeutique ou dans l’orga- gation de sécurité de résultat en matière d’infec-
nisation et le fonctionnement du service. En outre tion nosocomiale dont ils ne peuvent se libérer
il a été établi que l’infection était d’origine endo- qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère »
gène. Une perte de chance a néanmoins été rete- [24-25]. C’est l’application de l’article 1147 du
nue pour 1/3 au motif que lorsque l’acte médical code civil. Elle instaure à la charge du médecin
envisagé, même accompli conformément aux libéral comme de l’établissement d’hospitalisa-
règles de l’art, comporte des risques connus… tion privé soit une responsabilité en cas de faute
d’invalidité, le patient doit en être informé afin de prouvée, soit une coresponsabilité de plein droit
recueillir son consentement éclairé. L’établissement en l’absence de faute.
hospitalier, n’ayant pu apporter la preuve que l’in- Cette évolution est importante, écrit P. Sargos, car
formation avait été donnée, a été condamné à rai- la définition de l’infection nosocomiale est très
son de la perte de chance dont la patiente a été large. Nous y voilà. Il écrit : « L’infection nosoco-
privée de se soustraire au risque qui s’est réalisé miale concerne l’infection qui était absente chez le
(voir le sous-chapitre Le devoir médical d’infor- patient avant son entrée à l’hôpital et qui se révèle
mation, le consentement ou le refus éclairé). à partir de 48 heures après. » Un tel raccourci sim-
plifié ne tient pas compte de la complexité des
caractères nosologiques de cette pathologie pour-
En droit civil tant évoquée dans les textes réglementaires.
Initialement la jurisprudence appréhende ces ris- La position de la Cour de cassation rejoint la
ques à travers deux approches : l’exigence d’une ­rigueur du Conseil d’État qui impose la présomp-
asepsie parfaite puis, à partir de 1996, une pré- tion irréfragable de faute par le biais de la preuve
somption de responsabilité. L’exigence d’une négative, la preuve la plus diabolique qu’il soit à
asepsie parfaite découle des articles 47 et 71 du apporter. Ajoutons que les arrêts du 29 juin 1999
code de déontologie médicale. Rappelons certains confirmés par les arrêts des 13  février 2001 et

250
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

27  mars 2001 étendent cette jurisprudence à la dans le champ des obligations que le contrat
pratique libérale de ville par un professionnel de médical met à la charge de la médecine. » Et
santé dans/ hors de tout établissement de santé, à d’ajouter « N’est-on pas, avec la question de l’aléa
son cabinet privé par exemple, confirmant ainsi thérapeutique, dans un domaine qu’il n’incombe
l’analyse sémantique du terme « nosocomial ». qu’au législateur de régler ? » Cette dernière
Telle était la jurisprudence intégralement applica- phrase résume toute la philosophie de la juris-
ble jusqu’aux lois du 4 mars et du 30 décembre prudence administrative et judiciaire des dix
2002. Nous verrons que ces lois laissent persister dernières années face à la tendance pro-indem-
une dualité juridictionnelle. nitaire absolue de notre société.
Il y a un risque certain d’explosion du conten-
tieux des infections nosocomiales et de leur coût.
Les risques La juridiction administrative n’a pas encore vu
poindre cette catastrophe sanitaire. Toutefois,
et les responsabilités, dans le cadre de la contamination transfusion-
face au droit prétorien nelle (risque sériel) par le VIH et/ou l’hépatite C,
deux ou trois dossiers nouveaux arrivent chaque
Les jurisprudences qui ont été établies vont tout à jour au seul tribunal administratif de Paris [15].
fait dans l’esprit global des dispositions européen- C’est dire si une telle machine est lente à
nes qui consistent à mettre une obligation de s’ébranler.
résultat à l’encontre de quiconque délivre un pro- B. Guimbaud, secrétaire général de la SHAM
duit ou un service. À des degrés divers, l’infection (Société hospitalière d’assurances mutuelles) qui
nosocomiale est inhérente à toute hospitalisation, à assure 60 % des lits d’hospitalisation tant publics
tout acte invasif (c’est-à-dire agressif, pénétrant, que privés a dit dans un exposé [8] : « Lors de
portant atteinte à l’intégrité du corps humain) en l’année 2002, la SHAM a enregistré 242 déclara-
quelque lieu qu’il soit réalisé. Seule une organisa- tions d’infection nosocomiale. Ce nombre est en
tion sans faille de la gestion des risques peut en constante augmentation depuis 15 ans : 27 décla-
diminuer la fréquence. Tous les acteurs des systè- rations en 1988, 31 en 1993, 71 en 1997, 170 en
mes de soins en sont responsables, même s’ils ne 1998. Cette progression du nombre des déclara-
sont pas toujours fautifs. tions est un phénomène qui n’est pas spécifique
La Cour de cassation comme le Conseil d’État, aux infections nosocomiales : entre 1993 et 2002,
avec des abords juridiques différents, ont exclu, le nombre de sinistres de la branche responsabi-
dans leur jurisprudence, les infections noso­ lité civile est en effet passé de 1 270 à 4 440. Sur
comiales du champ de l’aléa [12–26] tout en le plan indemnitaire les infections représentent
­restant conscients du problème. P. Sargos [26] 10  % des coûts. Cependant, si l’on compare ces
écrit, à propos de l’arrêt Destandau du 8 novem- chiffres avec les données des enquêtes nationales,
bre 2000, « la question qui se pose est celle de il semble que seule une faible part des infections
l’éventuelle extension de la théorie de l’obliga- nosocomiales ayant entraîné un dommage font
tion de résultat à ce que l’on appelle l’aléa théra- aujourd’hui l’objet d’une réclamation indemni-
peutique […] encore que, d’une certaine façon, le taire. Il demeure donc, en ce domaine, un impor-
risque zéro n’existant pas, l’exigence absolue […] tant gisement de dommages potentiellement
d’une asepsie parfaite introduit l’obligation de indemnisables. »
réparer une forme d’aléa. » Cette réflexion tra- À titre d’exemple, les infections urinaires ne
duit un embarras certain de la haute juridiction constituent que 1 % des déclarations alors qu’elles
qui tend à indemniser le préjudice lié à l’infec- représentent 30 % de l’ensemble des infections
tion nosocomiale sur la base du respect de l’obli- nosocomiales. À l’opposé, les réclamations por-
gation de sécurité de résultat tout en reconnaissant tent à 50 % sur l’infection d’un site opératoire qui
que ces infections comportent une part d’aléa représente 14,7 % des infections nosocomiales.
thérapeutique et en estimant, à propos de l’arrêt B.  Guimbaud estimait en 1998 « que si les assu-
suscité, que « la réparation des conséquences de reurs (et les tribunaux) n’ont pas plus d’affaires,
la sur­venue d’un aléa thérapeutique n’entre pas la raison en est qu’aujourd’hui ces infections

251
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

nosocomiales sont encore tolérées par la société ». reuse civile ou administrative sus-décrite qui s’ap-
Depuis, l’enjeu de la transparence a développé plique : la responsabilité pour faute présumée sauf
l’information, parfois la désinformation du public. preuve d’une cause étrangère (faute d’un tiers ou
L’application de la circulaire du 30 juillet 2001 a faute de la victime par exemple) [7].
eu des conséquences en ce domaine. Un rapide Selon le deuxième alinéa de l’article L. 1142-1,
calcul a minima de ce risque potentiel établissait cette responsabilité de plein droit, pour les
entre 2 et 2,5 milliards d’euros la fourchette du infections nosocomiales, ne s’applique plus
coût annuel en 1999 à supporter par les assureurs qu’aux établissements, services et organismes de
de la médecine [12]. La question qui se pose santé définis au premier alinéa du même article.
aujourd’hui est de savoir si l’économie de la méde- La loi du 4 mars 2002 revient sur la jurispru-
cine et des médecins peut supporter cette charge dence de 1999. Les professionnels de santé
d’indemnisation. Rappelons que les IAS qui affai- échappent à la responsabilité de plein droit et ne
blissent le patient et retardent son rétablissement peuvent être condamnés qu’en cas de faute. La
entraînent, pour les seules dépenses médicales, un preuve du caractère nosocomial de l’infection
coût estimé par l’HAS de 200 millions d’euros par est alors à la charge du demandeur (arrêt du
an en hospitalisation, réanimation et soins sup- 27  mars 2001, Cour de cassation, 1re chambre
plémentaires [34]. civile : Juris-Data no 008907). Il reste que, depuis
la circulaire du 30 juillet 2001, l’information du
patient sur les risques d’infections nosocomia-
L’infection nosocomiale les doit être systématique (arrêt du Conseil
d’État du 27 septembre 2002).
dans les lois du 4 mars
et du 30 décembre 2002 La loi du 30 décembre 2002
relative à la responsabilité
La loi du 4 mars 2002 relative
médicale
aux droits des malades et à la
qualité du système de santé Par son article L. 1142-1-1 elle transfère à la soli-
darité nationale, donc à l’ONIAM, la charge de
Elle reconnaît que l’infection nosocomiale, dont l’indemnisation des préjudices résultant d’in-
elle se garde d’ailleurs de donner une définition, fections nosocomiales dans les établissements,
« ouvre droit à la réparation des préjudices du services ou organismes de santé et correspon-
patient au titre de la solidarité nationale » dant à un taux d’incapacité permanente supé-
lorsqu’aucune responsabilité fautive n’est engagée. rieur à 25 %.
Elle est reconnue comme un aléa, encore que le
mot ne soit prudemment ni utilisé ni explicité.
Apports réels de ces deux lois
Le décret du 4 avril 2003 a précisé les critères de
prise en charge d’un aléa en général : il faut que le
en ce qui concerne les infections
préjudice soit responsable d’un taux d’incapacité nosocomiales : persistance d’une
permanente égal ou supérieur à 24 % conformé- dualité juridictionnelle hors aléa
ment au barème spécifique en annexe au décret,
ou qu’il y ait eu une durée d’incapacité temporaire La responsabilité des professionnels de santé n’est
de travail au moins égale à 6 mois consécutifs ou plus engagée que pour faute prouvée. En particu-
à 6 mois non consécutifs pour une période de lier la charge de la preuve de la nature nosoco-
12 mois. Hors ces conditions, une responsabilité miale de l’infection incombe au demandeur.
fautive ou un préjudice (IPP/ITT) inférieur à la Pour les établissements de santé l’indemnisation
gravité requise, le dossier est traité selon les moda- pour une IP supérieure à 25 % (a fortiori pour un
lités habituelles, soit en transaction dans le cadre décès) est automatiquement prise en charge par
ou non de la procédure mise en place par la loi, l’ONIAM sans possibilité de recours de l’Office
soit dans le cadre juridictionnel normal, civil ou sauf « faute établie de l’assuré à l’origine du dom-
administratif. C’est alors la jurisprudence rigou- mage, notamment en cas de manquement carac-

252
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

térisé aux obligations posées par la réglementation aucune indemnisation bien que relevant de l’aléa
en matière de lutte contre les infections nosoco- médical.
miales » [18]. Rappelons enfin que la loi du 30 décembre 2002
La prise en charge systématique par l’ONIAM de (article L. 1142-8 et article L. 1142-21 du CSP) ins-
préjudices responsables d’une IP inférieure ou titue pour les CRCI une obligation de signalement
égale à 25 %, et/ou d’une ITT très longue (> 6 mois), au directeur de l’agence nationale d’hospitalisa-
facteur potentiel d’une catastrophe socioprofes- tion et à l’ONIAM de toute infection nosocomiale
sionnelle, n’est pas envisagée. Il faut savoir qu’en entraînant un taux d’IP supérieur à 25 % ou un
matière d’IN, 3 à 5 % seulement des dossiers décès [18]. Cette signalisation rendue publique se
concernent une IP supérieure à 25 %. Le taux fait sans préjuger du caractère fautif ou non de
moyen se situe aux environs de 12 %. Le seuil de l’acte incriminé, donc au mépris du respect du
25 %, voire de 24 %, est trop élevé [14]. La stabilité principe de la présomption d’innocence.
et la faiblesse du ratio des IAS prises en charge par Devant un tel bilan de l’application des deux lois
l’ONIAM au fil des années le prouvent : 2004 –19 ; face aux IN, on peut se demander si, mis à part le
2005 – 48 ; 2006 – 60 ; 2007 – 74 ; 1er semestre 2008 retour sur la jurisprudence du 29 juin 1999 pour les
– 38. Ces dossiers représentent 5,6 % des avis posi- professionnels de santé, l’ensemble du dispositif ne
tifs émis par les CRCI sur la même période avec constitue pas un leurre pour tous les justiciables, les
une proportion élevée de décès (45 %), les autres acteurs de santé (professionnels ou établissements)
dossiers concernant les IPP > 25 %. Cette indem- dont la responsabilité est mutualisée à 70 % et qui
nisation des préjudices très lourds est un bien, voient s’aggraver leur couverture en assurances de
mais elle laisse une lourde charge au contentieux RCP, et les malades dont l’indemnisation reste sou-
juridictionnel [35]. mise à des critères de prise en charge qui ne corres-
La persistance de la dualité juridictionnelle (droit pondent pas à la réalité des faits.
civil/droit administratif) laisse évoluer les juris- « Nous ne pouvons pas faire disparaître les infec-
prudences de la Cour de cassation et du Conseil tions nosocomiales, en tout cas dans un avenir
d’État dans des registres différents [36]. Le Conseil proche » (G. Mattéi, 20 janvier 2004 à l’Assemblée
d’État estime que seules les infections d’origine nationale).
exogène peuvent recevoir la qualification d’infec-
tion nosocomiale, les infections endogènes ne
relevant pas d’une faute dans l’organisation et le
fonctionnement du service (CE, 25 octobre 2006). L’expert et le juge
La Cour de cassation ne retient pas le même dis-
tinguo selon l’origine de l’infection. Seule la cause Tout repose sur une définition médicale accepta-
étrangère est exonératoire de responsabilité (CC 1re civ. ble par le droit.
4 avril 2006 et 4 juin 2007). Dès lors est-il écrit : « s’il Le Président P. Sargos a déclaré à la Commission
appartient au patient ou à ses ayants droit de des affaires sociales du Sénat : « Je crois que l’Aca-
démontrer le caractère nosocomial de l’infection » démie de médecine a étudié la question. Je me
(CC 1re civ. 1er mars 2005), « il suffira pour cela à demande si cette notion ne devrait pas faire l’objet
la victime de prouver que cette infection a été d’une définition. On peut en tout cas se demander
contractée dans le cadre de son hospitalisation » si c’est bien le rôle du juge de donner une telle
(CC 1re civ. 21 juin 2005). C’est une responsabilité définition. »
quasi de plein droit. L’infection nosocomiale est une infection trans-
Rappelons en outre (cf. ci-dessus) que les lois du mise lors de soins donnés à un patient et en rapport
4  mars et du 20 décembre 2002 ne concernent, direct, certain et exclusif avec ces soins. Elle est
pour les IAS, que les établissements de santé tandis maintenant dite « infection associée aux soins ».
que les professionnels de santé sont à nouveau assu- Quelle que soit l’instance (juridictionnelle ou
jettis au régime de la responsabilité pour faute. extrajuridictionnelle) qui l’ordonne, c’est en défi-
Dans le cas de la responsabilité sans faute d’un nitive à l’expertise judiciaire confiée à un collège
professionnel de santé, nombre de dossiers d’experts qu’il appartiendra de dire les faits
­d ’infections nosocomiales ne donneront lieu à concernant la gestion des facteurs de risque.

253
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Tableau 6.1
Surveillance des ISO
Index NNISS- Durée opératoire17 Score ASA18 Classe de contamination
RAISIN d’Altemeier19
P 75 > P 75 1-2 3-4-5 I-II III-IV
0
1

Certains dépendent du soignant, personne physi- poser de points de repère, de recommandations


que responsable, d’autres des structures et des qui leur permettent d’établir ou non la notion de
moyens octroyés par la société aux collectivités de faute. Qui sera responsable s’il est démontré que
soins et de l’usage qui en aura été fait par ces per- toutes les règles édictées, toutes les recommanda-
sonnes morales, certains enfin sont indépendants tions officielles ont été scrupuleusement respec-
des acteurs du service de santé et relèvent du tées ? Quelques critères positifs ou négatifs doivent
malade et de sa pathologie ainsi que de l’inter­ permettre de moduler la responsabilité respective
pénétration des milieux. L’hôpital est, par voca- des personnes physiques et des personnes morales
tion, ouvert sur la population qui l’entoure. dans le sens de la faute, du risque sériel ou de l’aléa
Les experts amenés à donner leur avis dans ce type médical avec les variétés de prises en charges
de conflit ne doivent plus être acculés à la rigueur indemnitaires que cela sous-tend. Une remarqua-
d’une jurisprudence qui rend de fait leur action ble étude a été faite par Ph. Hubinois et B. Gachot
inutile. Une condamnation quasi automatique à laquelle le lecteur ne peut mieux faire que de se
aboutirait à la déresponsabilisation des acteurs de reporter pour comprendre et suivre les arcanes
santé face à l’infection. Toute personne, physique d’une expertise sur un fait d’IAS lorsque la vérité
ou morale, a droit à un procès équitable. Elle est scientifique doit établir une vérité expertale géné-
présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ratrice de la vérité judiciaire [37].
ait été légalement établie. Les experts doivent dis- Expertise en CRCI ou expertise judiciaire, l’ex-
pert compétent, indépendant et impartial tentera,
disent-ils, de clarifier les difficultés simplement.
17 La valeur seuil pour la durée d’intervention corres-
Son « rôle est de donner un avis technique, de faire
pond au percentil 75 de la durée de chaque type d’in-
tervention provenant de l’étude américaine (NNISS) à chaque fois une analyse la plus exhaustive possi-
et de l’étude française (RAISIN). ble de l’espèce, précisant l’état antérieur du patient
18 ASA 1 = patient en bonne santé ; ASA 2 = patient pré- et son évolution prévisible, le caractère endogène
sentant une atteinte modérée d’une grande fonction ; ou exogène de l’infection, le lien de causalité entre
ASA 3 = patient présentant une atteinte sévère d’une le manquement aux règles et l’infection d’une part
grande fonction qui n’entraîne pas d’incapacité ; et le manquement aux règles et le dommage d’autre
ASA 4 = patient présentant une atteinte sévère d’une part ». Ne vaudrait-il pas mieux d’ailleurs, comme
grande fonction, invalidante, et qui met en jeu le pro-
nostic vital ; ASA 5 = patient moribond. cela a été proposé, parler de « plausibilité [ou non]
19 Classes de contamination des sites opératoires :
de l’association entre la prise en charge [du patient]
Classe I = chirurgie propre. Classe II = chirurgie pro- et l’infection ». Il faut donner au juge un avis pure-
pre contaminée. Classe III = chirurgie contaminée. ment scientifique et technique indépendant du
Classe IV = chirurgie sale et infectée. contexte juridique.

254
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

L’infection associée aux soins est un risque médi- [10] Hureau J. L’infection nosocomiale : la responsabilité
cal parmi d’autres et, comme tel, la responsabilité médicale face au droit. Bull Acad Nat Med, 2001 ; 185
(9) : 1647–1658.
qu’elle représente pour les acteurs de santé ne doit
pas être traitée hors du droit commun de la res- [11] Hureau J. Infections nosocomiales. In Dictionnaire
de la pensée médicale. PUF, Paris, 2004 : 643–646.
ponsabilité médicale. Il ne faudrait pas que le
recours systématique à la présomption de faute ou [12] Hureau J. Les infections nosocomiales : risques, pré-
vention, responsabilités. Revue Experts, 1999 ; 42 :
dans de rares cas à l’indemnisation automatique 20–24.
décourage les efforts de prévention entrepris dont
[13] Programme de surveillance et de prévention des
les premiers résultats sont prometteurs. Sur l’in- infections du site opératoire. Réseau INCISO 2007.
fection nosocomiale le droit positif s’oppose à CLIN Paris Nord, novembre 2008.
l’équité qui doit s’appuyer sur des faits médicaux. [14] Jardé O. Responsabilité civile médicale. Discussion
« Avant de juger il faut comprendre. Lorsqu’on a générale à l’Assemblée Nationale, 18 décembre 2002.
Journal officiel, 19 décembre 2002.
commencé à comprendre on ne peut plus juger »
[15] Lamy-Rested S. La jurisprudence au tribunal admi-
(André Malraux).
nistratif. La responsabilité en matière d’infections
nosocomiales. Colloque du CLIN de l’hôpital
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la présidence de J. Hureau. Revue Experts, hors série [28] Définitions des infections associées aux soins.
de juin 1999 : 63–70. Rapport du CTINILS. 11 mai 2007.

255
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

[29] Infections nosocomiales : nouvelles mesures de lutte [33] Mesurer la qualité des soins dans les établissements
et classement des établissements de santé. Mise en de santé – l’indicateur de lutte contre les infections
place des indicateurs de sécurité du patient et de nosocomiales. Ministère de la santé et des solidari-
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dossier de presse du 21 janvier 2009. [34] Les infections nosocomiales : définition et préva-
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une étude multicentrique dans 16 hôpitaux. Rapport et juridiques, évolution des responsabilités. Revue
2002 du CCLIN Paris Nord. Experts, 2008, no 79, 12–18.

Effet indésirable et mésusage du médicament,


le risque nosocomial médicamenteux
et sa prévention
P. Queneau, J. Hureau, F. Carpentier, B. Bannwarth, M. Simard

que soit la qualité de l’acteur de santé [9], méde-


Définition cin, pharmacien ou autre professionnel de santé,
voire le malade lui-même, en automédication ou
Risque nosocomial non.
médicamenteux Iatrogène (de iatros = médecin et genesis = créa-
tion, production) qualifie tout ce qui est provoqué
S’il est habituel, dans les textes, de parler de « ris-
par le médecin, touchant donc tout acte de soin
que iatrogène médicamenteux », notre préférence
accompli par un médecin, non seulement théra-
va au terme « risque nosocomial médicamenteux »
peutique mais à toutes les étapes de la chaîne de
[30]. Celui-ci nous paraît en effet beaucoup plus
soins, du diagnostic au suivi du traitement indi-
adapté au regard de la complexité de ce que l’on
qué. Le terme de « risque iatrogène médicamen-
appelle le circuit du médicament qui, de la pro-
teux » laisse entendre que seul le médecin est
duction à la prise du produit par le malade, met en
responsable du risque médicamenteux. Cet exposé
outre en jeu la responsabilité du médecin qui
démontre qu’il n’en est rien. La réalité est plus
prescrit, du pharmacien qui dispense et de l’infir-
complexe.
mier qui administre ou du malade lui-même qui
s’administre la prescription. On prendra connais- Le risque nosocomial médicamenteux inclut donc :
sance, à ce sujet, de l’étude très complète de ces • les accidents « fautifs », par négligence, impru-
différentes responsabilités faite par P. Sargos [27] dence ou prise de risque excessive par non-­
(voir également les sous-chapitres Les responsabi- respect des « bonnes pratiques thérapeutiques »
lités des fabricants de médicaments et L’information et du « bon usage du médicament », voire
sur le risque nosocomial médicamenteux, l’appré- ­beaucoup plus exceptionnellement par erreur
ciation des responsabilités dans la loi et la caractérisée due à un non-respect de la régle­
jurisprudence). mentation ;
Nosocomial (de nosos = maladie et comeïn = soi- • et les accidents aléatoires ou aléas, par essence
gner) qualifie tout soin donné à un malade, quelle « non fautifs » [21].

256
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Le terme de « risque nosocomial médicamenteux » et coll. [13] en 1991, de B. Dean et coll. [7] en 2002.
englobe donc bien l’effet indésirable du médica- Si l’on excepte les études de Harvard [13-29] qui
ment lui-même et le mauvais usage qui peut en chiffrent à 19 % le taux des erreurs de médication,
être fait, conformément aux termes du décret les différentes études estiment la prévalence du
no 95-278 du 13 mars 1995 modifié par le décret risque nosocomial médicamenteux hospitalier
no 99-144 du 4 mars 1999. entre 5,6 et 10,3 % des patients hospitalisés « un
Il peut également être envisagé sous l’aspect de la jour donné », dont 30 à 50 % d’événements dits
prévention du risque, qu’il soit inhérent au médi- graves. Ces chiffres, retenus pour l’élaboration de
cament lui-même ou lié à l’organisation du circuit la loi relative à la politique de santé publique [12],
du médicament ; il faut le prévenir [8]. permettent d’extrapoler à 1 300 000 le nombre de
patients hospitalisés victimes chaque année en
France d’un tel risque médicamenteux. L’étude de
Bénéfice/risque P. Pouyanne et coll. [17] en 1998 retenait en France
Tous les médicaments actifs sont susceptibles d’en- un taux d’incidence de 3,2 % responsable de
traîner des effets indésirables plus ou moins néfas- 128 000 hospitalisations. Selon B. Begaud et coll.
tes et plus ou moins facilement évitables. Leur [2] 1,4 % des effets indésirables sont à l’origine de
diagnostic peut être parfois difficile tant la sympto- décès. Une méta-analyse de J. Lazarou et coll. de
matologie de la pathologie nosocomiale médica- 1998 [11] portant sur 39 études prospectives
menteuse peut être trompeuse, atypique, non cite pour les hôpitaux américains : 10,9 % d’inci-
spécifique. Cependant n’oublions pas qu’un risque dence du risque nosocomial médicamenteux, 6,7 %
nosocomial, même grave, peut être moins délétère d’événements graves, 0,19 % des décès leur étant
que l’évolution de la pathologie sous-jacente en imputables ; en 1994 les auteurs ont estimé à
l’absence d’intervention thérapeutique : c’est toute 2 216 000 les accidents nosocomiaux médicamen-
la question du bénéfice/risque pour le malade et teux sévères chez les patients hospitalisés avec
aussi celle du niveau d’information que l’on doit 106 000 décès, soit 4,8 % [11].
donner aux patients. Globalement les effets indésirables médicamen-
Enfin la constatation d’un accident nosocomial teux seraient responsables de 4 à 15 % des admis-
médicamenteux grave sans mésusage impose en sions hospitalières et s’observeraient chez 10 à
principe l’arrêt, temporaire ou définitif, du médi- 15 % des malades hospitalisés. Ils seraient la cin-
cament en cause. Elle relève à l’origine du constat quième cause de mortalité aux États-Unis [11].
d’un comité de vigilance spécifique institué dans le Dans deux publications récentes, P. Queneau et
cadre d’un programme de gestion de la qualité au coll. ont poursuivi leurs travaux sur les malades
sein d’un établissement ou d’un centre de phar- « médicaux » venant consulter dans des services
macovigilance. Au-delà, la déclaration des acci- d’accueil et d’urgences : il note dans cette popula-
dents nosocomiaux médicamenteux doit être faite tion identifiée les malades « médicaux » prenant
auprès des autorités compétentes, même si elle au moins un médicament, entre 15,8 % [33] à 21 %
paraît parfois complexe et « rébarbative ». [34] d’entre eux étaient venus consulter dans un
service d’accueil et d’urgences pour un « effet
indésirable médicamenteux probable, vraisem-
Épidémiologie blable ou très vraisemblable » selon la classifica-
La fréquence du risque nosocomial médicamen- tion française.
teux varie selon les études en fonction de plusieurs D’autre part, P. Michel et coll. [35, 36] observent,
facteurs (populations étudiées, lieux d’observa- dans l’étude ENEIS, que les effets indésirables
tion, classes médicamenteuses étudiées, critères médicamenteux occasionnent 3 à 5 % de l’ensem-
d’imputabilité utilisés). ble des séjours hospitaliers, dont les 2/3 générés
Nous rappellerons en France les travaux de suite à une prise en charge de médecine de ville.
P.  Queneau [19-20-25], de E. Schmitt [28] et de Plus récemment, une nouvelle étude française,
J.L. Imbs et coll. [10] en 1999, de P. Michel et coll. EMIR (Effets indésirables des médicaments : inci-
[16] en 2003 et, dans la littérature anglo-saxonne, dence et risque) [37], réalisée par l’Afssaps en 2007
les travaux de A. Troyen et coll. [29] et L. Lucian permet d’estimer globalement à 3,6 % la part des

257
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

hospitalisations due à des effets indésirables de • par non-respect des précautions d’emploi (qui-
médicaments, avec une prévalence des accidents nolone chez un patient exposé au soleil ou aux
médicamenteux par antivitamine K. rayonnements ultra-violets) ;
• par erreur d’indication (antivitamine K chez
un patient porteur d’une insuffisance hépato-­
Mécanismes des risques cellulaire grave) ;
nosocomiaux inhérents • par posologie inadaptée (chez le sujet âgé, chez
l’insuffisant rénal…) ;
aux médicaments
• par erreur de mode d’administration ;
De nombreux mécanismes peuvent entrer en jeu. • par mauvaise surveillance (insuffisance rénale
par surdosage en aminoside).
Les effets indésirables secondaires Ces accidents toxiques sont en général prévisibles
et donc pour une large part évitables grâce à une
Ils sont la conséquence directe des propriétés adaptation des doses au terrain physiopathologi-
pharmacologiques du médicament ; ils sont soit que du malade et à la mise en œuvre des modalités
indépendants de l’action thérapeutique recher- de surveillance appropriées.
chée (propriété accessoire), soit inhérents à cette
Les accidents de sevrage médicamenteux sont à
action thérapeutique (indissociable de l’effet
rapprocher de ces accidents toxiques (convulsions
principal).
au cours d’un sevrage en benzodiazépine ; cépha-
Leur survenue est par conséquent généralement lées chroniques sous antalgiques…). Ces accidents
prévisible, mais elle peut être : rentrent dans le cadre de la pharmacodépen­
• souvent évitable par l’ajustement des doses et le dance.
respect des précautions d’emploi (hémorragie
sous traitement anticoagulant ; hypokaliémie
sous diurétique de l’anse…) ; Les accidents immuno-allergiques
• parfois inévitable (agranulocytose sous antimi- et idiosyncrasiques
totiques, baisse de la vigilance sous anxiolyti- Sans aucun lien direct avec les propriétés usuel-
ques…) et on ne peut qu’en avertir le patient. les du médicament, ils sont de ce fait le plus sou-
Ces effets indésirables médicamenteux secondai- vent totalement imprévisibles. Mais certaines
res sont habituellement doses-dépendants ; une structures chimiques sont plus volontiers res-
surveillance étroite permet d’en limiter la gravité. ponsables de ce type d’accidents (sulfamides,
Il faut « monitorer » les médicaments à marge thé- bêta-lactamines…).
rapeutique étroite et à danger majeur (anticoagu- Leur prévention, impérative, repose sur un inter-
lants…). Selon le cas, cette surveillance sera rogatoire attentif des antécédents allergiques
clinique et/ou biologique : recherche d’un saigne- (choc, asthme, rhinite, allergie cutanée…) avant
ment et détermination du taux de prothrombine toute prescription médicale et toute anesthésie
et de l’INR en cas de traitement par antivita- générale. La difficulté est que les accidents immuno-
mine K, dosage du taux résiduel d’un aminoside, allergiques peuvent survenir à tout instant, dès la
de la théophyllinémie, de la lithiémie, première prise comme à n’importe quel stade du
traitement, malgré une prescription et un mode
Les effets toxiques d’administration corrects et même au cours de
l’administration répétée du médicament [15].
Ils sont en rapport avec l’effet pharmacologique et À titre d’exemples, on peut citer le syndrome malin
sont dus le plus souvent à une erreur ou une des neuroleptiques, le choc anaphylactique après
imprudence thérapeutique aboutissant à un sur- administration de pénicillines ou lors d’une anes-
dosage (absolu ou relatif) ou une accumulation : thésie générale, le syndrome de Lyell (épidermolyse
• par non-respect des contre-indications (bêta- bulleuse toxique) après administration de sulfamé-
bloquant chez un asthmatique…) ; thoxazole-triméthoprime (Bactrim, Eusaprim).

258
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Les interactions médicamenteuses Des facteurs divers peuvent entrer en jeu :


• altérations physio-pathologiques de certains
Les modifications des effets d’un médicament organes (foie, reins…) ;
par l’administration d’un autre peuvent être
voulues pour augmenter leurs effets thérapeuti- • polymédications en réponse à des « polypatho-
ques réciproques (paracétamol et codéine à visée logies » (avec intervention fréquente de plusieurs
antalgique ; association synergique de deux anti- prescripteurs), surtout si elles sont graves ;
biotiques…). A contrario, il existe des interac- • antécédents d’accidents médicamenteux avec
tions néfastes de trois types : un risque individuel dès lors au moins double
• interactions galéniques par incompatibilité phy- par rapport aux patients indemnes de patholo-
sico-chimique, surtout en cause lors de l’admi- gie nosocomiale médicamenteuse ;
nistration parentérale des médicaments ; • terrains allergiques, connus ou non ;
• interactions pharmacocinétiques pouvant inter- • situations individuelles particulières (nourris-
venir aux différentes étapes de l’absorption (par sons, grossesse, personnes âgées) ;
prescription de pansements gastriques), du • anomalies enzymatiques…
transport (compétition entre deux médicaments
fortement liés à l’albumine), du métabolisme L’existence de modifications pharmacocinétiques
(stimulation ou inhibition du métabolisme d’un peut être de causes variées :
médicament par un autre) ou de l’élimination • diminution du volume de distribution comme
(hépatique ou rénale) des médicaments ; au cours d’une déshydratation (canicule, fièvre…) ;
• interactions pharmacodynamiques (hypokalié- • hypoalbuminémie au cours de la dénutrition,
mie par diurétique de l’anse entraînant une aug- augmentant la fraction libre de certains médica-
mentation de la toxicité des digitaliques ; ments à forte liaison ;
potentialisation de la toxicité rénale d’un anti- • insuffisance rénale, entraînant une accumula-
inflammatoire non stéroïdien par la prescrip- tion des médicaments à élimination rénale
tion conjointe d’un inhibiteur de l’enzyme de (aminosides, inhibiteurs de l’enzyme de
conversion…). conversion…) ;
• insuffisance hépatique, entraînant une accumu-
lation des médicaments inactivés ou éliminés
par le foie.
Circonstances favorisantes Une automédication inappropriée peut être à l’ori-
du risque gine d’accidents thérapeutiques graves et mettre
en cause la responsabilité propre du patient.
Circonstances liées aux patients
L’âge est un facteur important : il existe un risque Circonstances liées
individuel de 15 % par médicament après 65 ans aux médicaments
contre seulement 6 % avant 60 ans. 24 % des hos-
pitalisations après 80 ans sont en rapport avec une Le nombre de médicaments est un facteur favori-
iatrogénie médicamenteuse. La fréquence et la sant indiscutable, en partie expliqué par les inte-
gravité des accidents thérapeutiques augmentent ractions médicamenteuses, avec une augmentation
avec l’âge. La marge de sécurité de la personne « exponentielle » des accidents au-delà de 4 médi-
âgée est plus restreinte que celle de l’adulte jeune caments. Le risque de survenue d’un effet indési-
avec des mécanismes correcteurs plus facilement rable est de 5 % pour une ordonnance de
dépassés. 6  médicaments et approche les 40 % pour une
Le sexe : le risque nosocomial médicamenteux ordonnance comportant 15 médicaments [18].
serait plus fréquent chez la femme que chez Les médicaments incriminés dans la pathologie
l’homme, ce qui semble surtout lié à la consom- nosocomiale appartiennent à des classes médica-
mation médicamenteuse plus élevée et surtout la menteuses largement prescrites. Voici quelques
plus grande longévité chez les femmes. fréquences d’accidents connus (tableau 6.2).

259
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Tableau 6.2 Les manifestations cliniques peuvent être graves


Fréquences d’accidents connus ou bénignes, fréquentes ou rares.
Classes médicamenteuses en cause Fréquence
Psychotropes 15 à 60 %
Médicaments cardio-vasculaires 12 à 28 %
Pharmacovigilance
Antibiotiques 8 à 16 % Depuis le décret de 1984, la déclaration des effets
Anti-inflammatoires 4 à 15 % indésirables aux structures de pharmacovigilance,
Antalgiques 2à9% en particulier aux Centres Régionaux a été rendue
obligatoire pour les prescripteurs (médecins, den-
Antidiabétiques 6 à 10 %
tistes, sages-femmes) et depuis 1995, cette obliga-
Anticoagulants 1 à 11 % tion a été étendue à tous les professionnels de
santé, dont les pharmaciens pour tout accident
Enfin, les médicaments à marge thérapeutique grave et/ou inhabituel. Elle est particulièrement
étroite nécessitent une surveillance clinique et/ou importante à développer chez les malades à
paraclinique attentive, par détermination de leurs risques.
taux plasmatiques (amynosides, digitaliques,
antiépileptiques, lithium…) ou évaluation de leur
activité pharmacologique (glycémie, INR…) afin Mesures préventives générales
d’éviter des surdosages graves.
Elles s’appliquent aussi bien à la médecine de ville
Circonstances liées qu’en milieu hospitalier.
aux prescripteurs Ces mesures préventives efficaces pourraient
diminuer la fréquence des effets indésirables
Le prescripteur peut être à l’origine de l’affection médicamenteux, de façon conséquente (au moins
nosocomiale par non-respect du terrain, non-­ de moitié) [5]. Le prescripteur doit :
respect des contre-indications, erreurs de posolo- • mettre en œuvre les mesures non pharmacolo-
gie, prescription de traitement inapproprié ou giques appropriées à l’affection considérée. Ces
pour de mauvaises indications. Ceci sera déve- mesures permettent de renforcer l’efficacité des
loppé plus loin au paragraphe qui traitera des médicaments et/ou d’en restreindre, voire d’en
mesures préventives. éviter l’emploi ;
Quoi qu’il en soit, la clinique de la pathologie • se référer aux recommandations sur la prise en
nosocomiale médicamenteuse est souvent aty- charge de la pathologie en cause telles qu’élabo-
pique et trompeuse, donc difficile à identifier. Il rées par des organismes indépendants (ANAES,
faut donc penser systématiquement à une cause AFSSAPS…) ou des sociétés savantes, recom-
nosocomiale (« réflexe nosocomial ») devant tout mandations prenant en compte les données de
symptôme nouveau et a fortiori inattendu chez la science (Evidence-based medicine) ;
tout malade traité, y compris par automédi­
• définir le but thérapeutique recherché et évaluer
cation.
pour chaque prescription le rapport risque/
L’accident peut concerner l’organe cible (appari- bénéfice selon le terrain physiopathologique du
tion d’un bloc sino-auriculaire sous traitement malade (antécédents, affections concomitantes
anti-arythmique de classe I). et thérapeutiques en cours) ;
Il peut atteindre un autre organe (agitation, trou- • respecter les indications, les contre-indications
bles ioniques sous corticothérapie, hémorragie et les précautions d’emploi des médicaments et
digestive sous anti-inflammatoire non stéroïdien, tenir compte de leurs risques d’interactions
fibrose pulmonaire induite par l’amiodarone…). médicamenteuses, en se fondant sur le libellé
Il peut aggraver une défaillance préalable (aggra- (actualisé) de l’AMM (qui figure dans le diction-
vation d’une insuffisance rénale sous inhibiteur naire Vidal, seule référence française en matière
de l’enzyme de conversion). de « bon usage des médicaments ») ;

260
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

• mettre en place des mesures de surveillance, soit c­ ircuit sécurisé du médicament avec, en premier
par évaluation périodique de certains paramè- lieu, l’informatisation de la prescription. »
tres cliniques ou biologiques, soit par mesure G. David, dans un exposé sur l’erreur médicale
des taux plasmatiques des médicaments (sur- [6], souhaite que, bien gérée, elle soit utile à la
tout indispensable pour les médicaments à démarche qualité de nos établissements. Il a mon-
marge thérapeutique étroite) ; tré qu’à côté de l’erreur individuelle existe l’erreur
• adapter la surveillance clinique et/ou biologique systémique. Il parle d’une chaîne de soins dont le
à chaque patient en tenant compte de son âge, maillon le plus faible est le maillon humain. Ce
ainsi que de son contexte physiologique (enfant, phénomène n’est pas ignoré de la jurisprudence
femme enceinte, personne âgée…) et pathologi- judiciaire qui a su développer la notion de respon-
que (antécédents d’allergie, défaillance viscé- sabilité du fait d’autrui dans l’exercice médical
rale, autres affections…) ; pluridisciplinaire. Chacun des maillons humains
• limiter le nombre des médicaments prescrits conserve individuellement sa responsabilité. La
et/ou autoprescrits par le malade, afin d’éviter conception de la juridiction administrative, qui
des associations dangereuses, et ne maintenir rattache la faute à une mauvaise organisation ou
que les médicaments nécessaires ; un dysfonctionnement du service public, met
­également en cause la notion de chaîne de soins.
• limiter la durée des prescriptions et penser à
Le circuit du médicament au sein d’un hôpital
déprescrire les médicaments prescrits au long
est l’exemple typique d’une chaîne de soins [8]
cours sans justification (psychotropes…) ;
(cf. organigramme à la figure 6.1).
• informer le malade sur les risques d’accidents
médicamenteux. Le convaincre de respecter les
mesures préventives préconisées et d’avertir Le système informatique
aussitôt son médecin en cas d’incident ou de sécurisation du circuit
d’accident ; du médicament
• informer le patient sur les risques d’une mau-
vaise observance des traitements et ceux d’une Le risque nosocomial médicamenteux au niveau
automédication inappropriée ; de ce circuit est évitable. Il est la conséquence
d’erreurs ou de négligences tout au long du cir-
• éduquer le malade, notamment lorsqu’il est cuit, allant de la prescription à l’administration en
porteur d’une maladie chronique (diabète, passant par la dispensation pharmaceutique.
hypertension, comitialité…) afin de le faire par-
ticiper, sous le contrôle de son médecin, à la ges-
tion et à la surveillance de son traitement.
L’établissement de soins doit être
doté d’un système général
d’information
Ce système se situe au cœur du fonctionnement
Mesures préventives spécifiques de l’hôpital. Il travaille en temps réel, sur un mode
aux établissements de soins interactif, structuré autour d’une base de données
ordonnée autour du fichier patients. Il est orienté
L’informatisation intégrée sur les besoins des utilisateurs. Il est capable de
du « circuit du médicament » fournir des données synthétiques d’activité et de
coût. Généralement consacré à l’origine à la ges-
La réduction des accidents nosocomiaux en milieu tion comptable, selon une logique administrative
hospitalier a été définie comme une des 10 priori- de séjour, le système d’information hospitalier
tés nationales proposées au gouvernement par la peut privilégier une logique patients d’ordre médi-
conférence nationale de santé de 1996. Le rapport cal. Il faut disposer d’un identifiant patient uni-
de la mission Woronoff-Lemsi, Grall, Monier et que. Le réseau informatique local mis en place est
Bastianelli sur Le médicament à l’hôpital [32], complété d’applications clientes, au niveau des
remis au ministre de la Santé en mai 2003 « consi- unités de soins ou du plateau technique. Sa fonc-
dère comme prioritaire le développement d’un tion est de produire des informations à visée

261
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

­diagnostique, thérapeutique ou d’évaluation s’ap- les établissements de santé et notamment ses


puyant sur l’informatisation des dossiers, des uni- articles qui rendent obligatoires la présence des
tés de soins, du laboratoire et du plateau technique. mentions légales (identification du patient, iden-
Elles sont potentialisées par la définition d’inter- tification des médicaments et leurs modalités
faces de communication matérielles et logicielles. d’administration, identification du prescripteur
Elles permettent la mise en place d’un dossier uni- et du praticien et validation de l’ordonnance par
que par patient assurant la coordination de la cen- une signature informatique à l’aide d’un mot de
tralisation de toutes les informations relatives au passe individuel changé régulièrement chaque
malade : saisie unique de l’information à la source, trimestre), la date et l’heure de prescription, un
partagée par tous les intervenants, volet adminis- archivage sur support numérique avec édition
tratif et social, volet médical (totalité de l’observa- possible sur papier ;
tion médicale de l’admission à la sortie, examens • la sécurité d’utilisation. Trois principaux niveaux
complémentaires, volet cancérologique, toutes les de sécurité doivent être garantis :
prescriptions, résultats des examens, recueil à la
– une sécurité d’accès réservé aux médecins
source des actes médico-techniques) et même le
pour écriture et modification des prescrip-
volet nutritionnel également médicalisé.
tions et aux pharmaciens et infirmières pour
consultation,
L’intégration du circuit
– une sécurité de prescription : les médicaments
du médicament dans le prescrits sont issus d’une base de données
système général gérée par la pharmacie conformément au
Certaines conditions doivent être remplies. livret thérapeutique validé annuellement par
le comité du médicament ; la recherche d’in-
Création d’un logiciel interne teraction médicamenteuse doit être possible ;
spécifiquement adapté une aide en ligne doit être garantie,
Le développement interne d’un tel logiciel pré- – une traçabilité des mouvements de prescrip-
sente deux principaux avantages : l’exhaustivité tion : toutes modifications de prescription doit
des prescriptions et la souplesse de développe- faire l’objet d’un enregistrement daté et signé
ment. En regroupant l’ensemble des prescriptions du médecin avant de procéder au mouvement ;
sur le même support informatique, le logiciel il faut pouvoir, à tout moment, accéder à l’his-
développé permet au médecin d’appréhender d’un torique des prescriptions ;
seul coup d’œil l’ensemble des thérapeutiques • l’exhaustivité des prescriptions. Quelle qu’en
prescrites évitant ainsi la dispersion des prescrip- soit la nature, la totalité des prescriptions médi-
tions sur de multiples supports. Développé par les camenteuses doit être regroupée sur le même
services informatiques de l’établissement de soins, support informatique ;
le logiciel répond parfaitement aux exigences du
• la compatibilité avec les systèmes informatiques
corps médical qui, ayant participé à sa concep-
existants. Le logiciel administratif de l’établis-
tion, en suit l’évolution. Cette souplesse de déve-
sement et le dossier médical informatisé inté-
loppement explique la nécessaire acceptabilité du
grant la totalité de l’ordonnance.
logiciel par le corps médical.
• la facilité d’utilisation : accès par le réseau infor-
Respect du cahier des charges matique sur tous les postes informatiques de
de l’informatisation de l’ordonnance l’établissement et utilisation simplifiée par le
médicale minimum de saisie libre ;
Cette informatisation s’articule autour de 6 prin- • l’évolutivité vers l’informatisation des autres
cipes : étapes du circuit du médicament. À partir du
• le respect de la réglementation en vigueur. logiciel de prescription doivent pouvoir se
L’ordonnance doit respecter l’arrêté du 31 mars développer des fonctionnalités réservées aux
1999 relatif à la prescription, à la dispensation et autres intervenants sur le circuit du médica-
à l’administration des médicaments soumis à la ment : commandes de médicaments avec ges-
réglementation des substances vénéneuses dans tion informatisée des stocks, dispensation

262
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Validation

Patient

Médecin Infirmier(e)
Éditions
spécifiques
Logiciel de
prescription

Ordonnance
Recherche
interactions
Logiciel
comptable

Pharmacien
Recherche Dispensation Dispensation
interactions nominative globalisée

ATB
Analyse Logiciel de Parent Logiciel de
pharmaceutique prescription Chimio dispensation
MDS
Résultats Dossier médical
biologiques informatisé

Figure 6.1
Informatisation du circuit du médicament au centre médical de Forcilles.

pharmaceutique, sorties comptables, aide et Ces zones donnent toute liberté et autorisent tout
validation de l’administration des médica- contrôle.
ments par l’infirmière. Pour certaines catégories de médicaments, des
La figure 6-1 est un exemple d’intégration infor- écrans spécifiques de saisie doivent être développés.
matisée du circuit du médicament actuellement La validation médicale de la prescription médi-
en fonction. Il contrôle les trois étapes du circuit cale déclenche automatiquement l’édition papier
du médicament. de l’ordonnance destinée aux dossiers médical et
infirmier.
L’acte médical : la prescription
Pour faciliter la sécurité de prescription le méde-
Rédigée par un médecin, elle est validée par un cin peut effectuer une recherche d’interactions
mot de passe informatique unique et personnel médicamenteuses. Ce logiciel est développé à
qui correspond à une véritable signature informa- l’aide de la base Thériaque des médicaments diffu-
tique. Elle est obligatoirement modifiable tous les sée par le Centre national d’information sur le
3 mois. médicament hospitalier.
Pour rédiger sa prescription, le médecin dispose
d’un écran principal sur lequel figurent les don- L’acte pharmaceutique : le contrôle
nées administratives du patient directement et la dispensation
reliées au logiciel administratif de l’établissement, Le système informatique fonctionnant en réseau,
une zone de prescription médicamenteuse, une les ordonnances sont directement accessibles à la
zone de prescription des examens biologiques. pharmacie où l’analyse pharmaceutique de

263
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

­l ’ordonnance est facilitée par la recherche d’inte- intégralement conformes sur un plan technique
ractions médicamenteuses, l’accès au logiciel de et légal. Elles émanent toutes d’une unité de
prescription, l’accès au dossier médical informa- médecine qui testait un mode de prescription
tisé, l’accès aux résultats des examens biologiques. informatisée. Il faut souligner que la grande
Un logiciel spécifique de dispensation permet majorité des imperfections relevées dans les
pour chaque unité fonctionnelle de séparer les autres services ne présentait heureusement pas de
médicaments selon leurs modes de dispensation risque majeur pour le patient ou s’est trouvée cor-
(globalisée ou nominative). Il est totalement inter- rigée à une étape ultérieure du circuit. C’est néan-
facé avec le logiciel comptable évitant ainsi toute moins une incitation à une meilleure démarche
ressaisie inutile. qualité [3].

L’acte infirmier : l’administration Le pharmacien qui dispense


des médicaments au malade Dans plus de 90 % des hôpitaux français [28], l’or-
L’administration elle-même fait l’objet d’une vali- donnance médicale ne parvient pas au pharma-
dation informatique. Cet acte infirmier est facilité cien hospitalier. Il délivre les médicaments sous la
par l’édition possible de plans de cueillette spéci- forme d’un listing de commande réalisé par le
fiques de certaines catégories de médicaments. personnel infirmier des services. Sans ordon-
C’est le cas notamment des médicaments stupé- nance, il ne peut y avoir d’analyse pharmaceuti-
fiants du service. L’administration est de la com- que. L’informatisation du circuit du médicament,
pétence exclusive de l’infirmière. Le patient garde en rendant possible l’accès aux ordonnances, aux
le droit de refuser cette administration. Le contrôle dossiers médicaux et la possibilité de gérer les
de l’administration est actuellement opérationnel incompatibilités médicamenteuses, permet au
grâce au port par le malade d’un bracelet code- pharmacien de centrer son action sur ses actes de
barres qui lui est posé dès son admission dans contrôle et de dispensation qui associent notam-
l’établissement de soins [8]. ment l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance
et la préparation éventuelle des doses à adminis-
trer. Comme l’a démontré Bats [1], l’analyse phar-
Objectifs et résultats maceutique des ordonnances associée à une
de l’informatisation dispensation nominative des médicaments per-
met de diminuer les taux de risque nosocomial
Les objectifs d’une informatisation la plus com- médicamenteux de 31 à 77 %.
plète possible du circuit du médicament sont mul-
tiples : enjeu de qualité en participant à la lutte L’infirmier qui administre
contre l’erreur évitable de l’utilisation du médica-
Il serait responsable de 26 à 89 % des erreurs de
ment, gains de temps pour tous les acteurs du cir-
médication heureusement sans conséquences gra-
cuit et gains financiers.
ves dans la grande majorité des cas [28]. Selon
Bosson [4] qui a relevé 10 % d’erreurs d’adminis-
La lutte contre le risque tration par le personnel infirmier, ces erreurs se
nosocomial médicamenteux répartissent de la façon suivante :
Basée sur les grands principes du bon usage du • 13 % sont directement liées au manque de lisibi-
médicament rappelés [22-23-25], elle implique tous lité de la prescription médicale ;
les intervenants dans le circuit du médicament : • 12 % surviennent lors de la retranscription des
ordonnances ;
Le médecin qui prescrit
• 25 % lors de la préparation des médicaments ;
Au niveau de la prescription médicale, l’informa- • 50 % lors de leur administration.
tisation permet le respect des exigences régle-
mentaires. Dans une enquête réalisée « un jour Pour 6,5 % d’erreurs d’administration, Bats [1]
donné » au CHU de Grenoble, Bontemps et coll. relève dans ces mêmes 4 catégories d’erreurs les
ont montré que sur 678 prescriptions médicales chiffres suivants : 49 %, 11 %, 14 % et 26 %. Si
analysées, seules 5,9 % des prescriptions étaient aucune étude ne permet de chiffrer avec exacti-

264
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

tude l’incidence de l’informatisation de l’ordon-


nance sur les erreurs d’administration, on peut
Conclusion
estimer que les erreurs de lecture ainsi que celles
En règle générale, les prescripteurs doivent être
liées à la retranscription des ordonnances peuvent
très vigilants lors de la rédaction d’une ordon-
être annulées par une informatisation de la pres-
nance, en évaluant pour chaque médicament et
cription médicale.
chaque patient le rapport risque/bénéfice d’un
Au vu de ces deux études, l’informatisation de la traitement médicamenteux, d’autant plus que la
prescription médicale permettrait déjà une réduc- moitié au moins des événements indésirables
tion de 25 à 60 % des erreurs d’administration. Ces médicamenteux paraissent évitables.
chiffres sont comparables aux estimations du minis-
En milieu hospitalier, l’informatisation intégrée
tère de l’Emploi et de la solidarité qui, dans un rap-
du circuit du médicament est le meilleur contrôle
port paru en 2001, indiquait que près de 50 % des
de tous les maillons humains de la chaîne de pres-
erreurs d’administration pouvaient être évitées par
cription-dispensation-administration [38].
une informatisation du circuit du médicament.
Bibliographie
Le gain de temps
[1] Bats DW, Cullen DJ, Laird N. Incidence of adverse
L’ordonnance médicale doit être nominative donc drug events and potential adverse drug events.
rédigée sur un support unique. L’informatisation, JAMA, 1995 ; 274 (1) : 29–34.
en permettant au médecin d’accéder à l’ensemble [2] Bégaud B, Imbs JL. Iatrogénèse médicamenteuse :
des traitements en cours, apporte une aide impor- estimation de l’importance dans les hôpitaux publics
tante à la prescription. français. Enquête des centres régionaux de pharmaco­
vigilance à la demande de l’Agence française du médi-
La recherche d’interaction médicamenteuse par le cament. Rapport présenté au Comité technique de
pharmacien n’est envisageable qu’avec l’informa- pharmacovigilance le 13 novembre 1997. AFM, 1997.
tique. Sur la base d’une minute par recherche Analysé in Rev Prescr, 1998 ; 18 (184) : 373–45.
d’interactions, elle serait sinon particulièrement [3] Bontemps H, Fauconnier J, Bosson JL, Brilloit C,
chronophage. François P, Calop J. Évaluation de la qualité de
la prescription des médicaments dans un CHU.
En interdisant les tâches fastidieuses de recopiage J Pharm Clin, 1997 ; 16 (1) : 49–53.
des ordonnances, en facilitant l’édition de plans [4] Bosson JL, Jury V, Sang B, Jiguet M, Vermeulen E.
d’administration du médicament, en mettant en Informatisation de la prescription et de la dispen-
adéquation les commandes de médicaments sation des médicaments en milieu hospitalier. TH,
avec les besoins réels du service, l’informatisa- 1994 ; 590 : 53–58.
tion permet de gagner entre 30 minutes et 1 [5] Carpentier F, Bannwarth B, Queneau P. Iatrogénie,
heure par jour de temps infirmier mieux réservé diagnostic et prévention. In L’essentiel en thérapeuti-
aux soins [26]. que générale : de l’évaluation à la prescription. Med
Line, 2003.
[6] David G. Faire bon usage de l’erreur médicale. Bull
Le gain financier Acad Nat Med, 2003 ; 187 : 129–139.
L’informatisation de l’ordonnance ne semble pas [7] Dean B., Schaster M, Vincent C, Barber N. Causes of
jouer un rôle important dans la diminution de la prescribing errors in hospital inpatients : a prospec-
consommation des médicaments. C’est plutôt la tive study. Lancet, 2002 ; 359 : 1373–1378.
distribution des médicaments qui en bénéficie. [8] Hureau J, Simard M, Cabrit R, Bernard F. Une expé-
Des économies de l’ordre de 10 à 20 % ont été rience d’informatisation intégrée du circuit du médi-
cament. Bull Acad Nat Méd, 2004 ; 188 : 125–137.
observées après la mise en place d’une dispensa-
[9] Hureau J. L’infection nosocomiale : la responsabilité
tion journalière nominative des médicaments
médicale face au droit. Bull Acad Nat Méd, 2001 ; 185
[14]. Sur la base des résultats de l’enquête menée (9) : 1647–1658.
en 1997 [2], le gain financier apporté par l’infor- [10] Imbs JL, Pouyanne P, Haramburu F et coll. Iatrogénie
matisation du circuit du médicament, en permet- médicamenteuse : estimation de sa prévalence dans
tant une diminution des événements indésirables les hôpitaux publics français. Thérapie, 1999 ; 54 : 21–27.
nosocomiaux médicamenteux, peut être estimé [11] Lazarou J, Pomeranz BH, Corey PM. Incidence of
entre 0,2 et 1 % d’un budget hospitalier. adverse drug reactions in hospitalised patients.

265
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

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266
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Responsabilité médicale et médecine d’urgence


G. Kierzek, J-L. Pourriat

Dans l’exercice de la médecine d’urgence, la res- res, les recommandations de pratique clinique et
ponsabilité médicale est fréquemment mise en enfin, succinctement, une typologie des plaintes
cause : il peut s’agir de simples plaintes au niveau habituellement rencontrées en médecine d’urgence.
des directions hospitalières, du Conseil de l’Ordre
ou de signalements auprès des organismes de
tutelle, mais les actions en justice vont également
croissant, que ce soit dans les juridictions admi-
Les spécificités de la médecine
nistratives, civiles ou pénales. La plainte à l’en- d’urgence
contre du généraliste qui ne se déplace pas à
domicile est heureusement exceptionnelle (non- Bien qu’il soit classique de dire qu’il existe un
assistance à personne en danger ou reproches sur niveau important de tolérance vis-à-vis d’acci-
l’attitude diagnostique et/ou thérapeutique face à dents médicaux survenus dans le cadre de l’ur-
l’urgence), mais les plaintes en rapport avec une gence (et surtout si l’état de gravité du patient
activité ou des actes effectués dans le cadre de était important), la médecine d’urgence présente
l’urgence ou dans les structures d’urgences hospi- des spécificités qui, a contrario, l’expose à des
talières ou pré-hospitalières (Samu/Smur) sont réclamations.
désormais plus fréquentes : en 2007, sur 440 décla-
rations auprès du Sou Médical- Groupe MACSF, Une activité croissante
54 concernaient une activité d’urgentiste et 9 une
fonction de régulation médiale [27]. Bien que les L’ensemble des structures d’urgence présente une
explications en soient multifactorielles, il est augmentation d’activités : plus de 14 millions de
indispensable de relativiser le phénomène en rap- patients par an consultent aux urgences hospita-
portant ces chiffres au nombre croissant de passa- lières (+ 64 % entre 1990 et 2001, + 4 % entre 2000
ges dans les services d’urgence et au nombre et 2001), les centres 15 régulent plus de 21 millions
d’appels Samu/centre 15 ; à titre d’exemple, le d’appels téléphoniques/an et les Smur prennent en
nombre de passages dans les services d’urgence a charge près de 600 000 patients [1 ; 28]. Cette aug-
doublé entre 1990 et 2003, passant de 7 à 14 mil- mentation est régulièrement attribuée à un com-
lions par an [28]. Néanmoins, face à cette aug- portement irresponsable des patients, mais des
mentation d’activités, l’inadéquation des moyens facteurs sociologiques et organisationnels sont
médicaux et paramédicaux a été, ou est, revendi- également à prendre en compte : consumérisme
quée comme un facteur explicatif. Par ailleurs, (« guichet unique »), sentiment que tout est possi-
cette inadéquation, dénoncée essentiellement ble dans un minimum de temps et dans un seul
comme quantitative (manque de postes budgétai- lieu où seraient regroupées les compétences aux-
res attribués), pouvait être avant la création de la quelles « on a droit », difficultés d’accès aux soins
spécialité de médecine d’urgence également qua- des catégories défavorisées, permanence des soins
litative, les médecins affectés dans les structures inégale sur le territoire et dans le temps, libérali-
d’urgence n’ayant pas toujours, 24 heures/24, le sation des modalités de circulation des person-
niveau de formation requise. Enfin les dysfonc- nes… Devant ce phénomène retrouvé dans tous
tionnements structurels ou conjoncturels sont les pays occidentaux, les tentatives de détourne-
source de recours à une réparation ou à une ment de ce flux n’ont pas prouvé leur efficacité. La
demande de sanction. Face à cette multifactoria- seule réponse est, à ce jour, de mettre en place, au
lité, le médecin expert devrait pouvoir effectuer sein des urgences, les circuits adaptés pour trou-
une analyse systémique du risque qui a conduit à ver la réponse adéquate à la demande, en étant
l’accident. C’est dans ce but que nous envisage- conscient de la difficulté du tri, toute erreur étant
rons successivement les spécificités de l’exercice sanctionnée par une réclamation, une plainte,
de la médecine d’urgence, les textes réglementai- voire une action en justice.

267
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Une certaine pratique cins titulaires d’un diplôme d’études spécialisées


de la médecine (DES). Un diplôme d’études spécialisées complé-
mentaires de médecine d’urgence (DESC), ouvert
Face à cette activité importante, le médecin urgen- à de nombreux DES de spécialités (dont la méde-
tiste doit tenir compte d’autres facteurs interfé- cine générale), a été mis en place en 2004 dans
rant avec son exercice : multiplicité des pathologies l’objectif de remplacer la CMU et créer ainsi une
imposant une connaissance médicale large (médi- véritable spécialité en médecine d’urgence [29].
cale, chirurgicale, psychiatrique, pédiatrique…), D’une durée de quatre semestres, il comporte un
nécessité d’appréhender rapidement plusieurs enseignement théorique (150 heures) et une for-
hypothèses diagnostiques, maîtriser les demandes mation pratique. Pour valider la maquette les étu-
d’examens complémentaires, les délais d’attente et diants devront avoir accompli au cours du 3e cycle
de séjour au sein des urgences, optimiser la déci- des études médicales au moins un semestre dans
sion d’hospitalisation et surtout repérer au sein de chacun des terrains de stage suivants dont au
ce flot continu de consultants, celui ou ceux qui moins deux dans un centre hospitalier univer­
présentent des critères de gravité et qui imposent sitaire : SAMU-SMUR ; service des urgences
une prise en charge immédiate. d’adultes ; service ou unité d’urgences pédiatri-
Ce contraste entre d’une part une activité quanti- ques ; service ou unité de réanimation ou de soins
tativement importante et d’autre part des impé­ ­intensifs médicaux, chirurgicaux, ou médico-
ratifs de délai, une variabilité considérable des chirurgicaux.
symptômes, signifiants ou non, de nombreux
intervenants médicaux et paramédicaux, quel-
Une organisation hospitalière
ques patients porteurs d’une défaillance viscérale
latente ou patente, impose un professionnalisme « variable »
et des qualités relationnelles qui peuvent être pris La filière « urgences » peut se définir selon trois
en défaut à chaque instant et donc entraîner un niveaux : un amont, dont on a vu plus haut que le
dommage demandant réparation. flux était en augmentation croissante, la struc-
ture d’urgences elle-même et un aval. Tout dys-
La spécialité en médecine fonctionnement dans cette gestion des flux est
source d’attente, de mécontentement et au maxi-
d’urgence
mum de retard à une prise en charge qui peut
Jusqu’à la rentrée universitaire 2004–2005, à être délétère.
la  différence de plusieurs pays européens et Les unités d’hospitalisation de courte durée
­d ’Amérique du Nord, il n’existait pas en France de (UHCD), au sein des urgences, ont pour fonc-
spécialité en médecine d’urgence. Au début des tion de créer une zone « tampon » où après une
années 80, une formation universitaire de troi- observation d’au maximum 24 heures, une déci-
sième cycle avait été créée dans de nombreuses sion de retour à domicile ou d’hospitalisation
universités, sous forme de diplômes d’université doit être prononcée [30]. Dans la pratique, ce
puis de diplômes interuniversitaires. L’enseigne­ délai est rarement respecté et l’UHCD se trans-
ment était surtout orienté vers la médecine d’ur- forme en un service d’hospitalisation tradition-
gence préhospitalière et prodigué le plus souvent nelle, du fait d’une impossibilité de transférer
par des médecins anesthésistes-réanimateurs. les patients dans les structures d’aval adaptées,
Cette formation a été structurée dans un cadre notamment de spécialités et plus spécifiquement
réglementaire par l’arrêté du 29 avril 1988, avec la de gériatrie. Là encore, il peut en résulter un
capacité d’aide médicale urgente (CAMU) puis manquement à l’obligation de moyens et une
avec la capacité de médecine d’urgence (CMU) perte de chance pour certains patients, à moins
par l’arrêté du 3 juin 1998. Il s’agit d’un enseigne- que des procédures et des protocoles de prise en
ment de deux années, destiné essentiellement aux charge, établis contractuellement entre le ser-
médecins généralistes pour lesquels le diplôme est vice d’urgence et les services d’aval viennent
indispensable pour accéder aux fonctions de garantir au patient la qualité des soins à laquelle
Praticien Hospitalier, y compris pour les méde- il a droit.

268
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

La spécificité des Samu-Smur sion, notamment en rappelant les obligations qui


s’imposent aux administrations hospitalières.
L’appel au centre 15 fait intervenir, outre un per-
manencier auxiliaire de régulation médicale Article R6123-1 et suiv.
(PARM), un médecin urgentiste régulateur. Celui,
après avoir évalué (téléphoniquement) le degré de
du CSP (Rempl., D. no 2006-576,
gravité, en dehors du simple conseil, dépêche sur 22 mai 2006, art. 2)
place, des moyens appropriés : ambulance ou véhi- « Tout établissement autorisé à exercer l’activité
cule de secours non médicalisé, envoi d’un méde- mentionnée au 3o de l’article R. 6123-1 est tenu
cin libéral, envoi d’une ambulance médicalisée d’accueillir en permanence dans la structure des
(Smur). Il s’agit d’un exercice particulièrement dif- urgences toute personne qui s’y présente en situa-
ficile qui impose, outre une écoute empathique, tion d’urgence ou qui lui est adressée, notamment
une reconstitution attentive de l’histoire médicale par le SAMU. »
ancienne et récente ainsi qu’une évaluation objec-
« Pour assurer, postérieurement à son accueil,
tive des critères de gravité, tous ces éléments
l’observation, les soins et la surveillance du patient
devant être scrupuleusement notés, voire enregis-
jusqu’à son orientation, l’établissement organise
trés. Là encore, tout défaut d’appréciation peut être
la prise en charge diagnostique et thérapeutique
qualifié de non-assistance à personne en danger
selon le cas :
ou de manquement à l’obligation de moyens.
1o Au sein de la structure des urgences ;
2o Au sein de l’unité d’hospitalisation de courte
Le cadre réglementaire et les durée ;
3o Directement dans une structure de soins de
bonnes pratiques professionnelles l’établissement, notamment dans le cadre des pri-
ses en charge spécifiques prévues aux articles
Face à cette réalité de santé publique qu’est « l’ur- R. 6123-32-1 à R. 6123-32-9 ;
gence », les pouvoirs publics ont naturellement
édicté de nombreux textes législatifs concernant 4o En orientant le patient vers une consultation de
l’organisation et la pratique de la médecine d’ur- l’établissement ou d’un autre établissement de
gence [2, 4-8]. Deux décrets « structurants » ont santé ;
été pris en 2006 et une circulaire de 2007 com- 5o En liaison avec le SAMU, en l’orientant vers un
plète le dispositif en vue d’une réglementation de autre établissement de santé apte à le prendre en
l’exercice de la médecine d’urgence et de son inté- charge et, si nécessaire, en assurant ou en faisant
gration dans des réseaux de soins [31-32]. De assurer son transfert ;
même, les professionnels ont encadré leur prati- 6o En l’orientant vers un médecin de ville ou vers
que par de nombreuses recommandations et toute autre structure sanitaire ou toute autre
conférences de consensus [14, 18, 20-25], sous structure médico-sociale adaptée à son état ou à
l’égide ou avec la participation de la Société sa situation. »
Francophone de Médecine d’Urgence [33]. Le Ceci signifie clairement que tout service d’ur-
médecin expert qui accepte une mission doit à gence doit prendre en charge tout patient s’y pré-
l’évidence s’y référer, car il s’agit d’une spécialité sentant, sans considération d’âge, de pathologie
en pleine évolution, dont les critères de bonne pra- ou de gravité. À l’établissement de mettre en
tique peuvent être différents de ceux encore admis place les filières de soins adaptés pour ceux qui ne
quelques années auparavant (ex : consensus la relèvent pas de sa compétence exclusive (par
radiographie de crâne [19]). exemple, modalités de transfert des enfants…).
C’est l’Agence Régionale pour l’Hospitalisation
Le cadre réglementaire (ARH) qui délivre les autorisations de création
des structures des urgences au sein d’un établis-
Ce n’est pas l’objet ici de commenter les textes sement de santé. Cette autorisation d’exercer l’ac-
réglementaires. Cependant, on peut rappeler des tivité ne peut être délivrée à un établissement de
éléments qui doivent éclairer l’expert dans sa mis- santé que s’il dispose de lits d’hospitalisation

269
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

complète en médecine et d’un accès à un plateau mentale repose sur une prise en charge médicali-
technique de chirurgie, d’imagerie médicale et sée des secours préhospitaliers, régulés à partir
d’analyses de biologie médicale, en son sein ou des centres 15. Depuis 1986 et la loi no 86-11 du
par convention avec un autre établissement de 6 janvier, relative à l’aide médicale urgente et aux
santé, avec un cabinet d’imagerie ou avec un transports sanitaires, plusieurs décrets, arrêtés,
laboratoire d’analyses de biologie médicale de circulaires sont venus compléter le dispositif et
ville (réseau). Les dénominations SAU (Service harmoniser les différents secours extrahospita-
d’Accueil et de traitement des Urgences), liers [31]. L’autorisation de faire fonctionner une
UPATOU (Unité de Proximité d’Accueil, de structure mobile d’urgence et de réanimation
Traitement et d’Orientation des Urgences) et (SMUR) ne peut être accordée à un établissement
POSU (Pôle Spécialisé d’Accueil et de Traitement de santé que s’il a l’autorisation de faire fonction-
des Urgences) n’ont donc plus lieu d’être. ner une structure des urgences ou s’il obtient
simultanément cette autorisation et l’implanta-
Article 5 du décret no 74–27 tion des SMUR est déterminée par le schéma
du 14 janvier 1974 régional d’organisation sanitaire. Les décrets de
2006 reprennent les modalités règlementaires de
« Lorsqu’un médecin ou un interne de l’établisse- fonctionnement des SAMU et SMUR.
ment constate que l’état d’un malade ou blessé
requiert des soins urgents relevant d’une disci- Les bonnes pratiques médicales
pline ou d’une technique non pratiquée dans de la médecine d’urgence
l’établissement ou nécessitant des moyens dont
l’établissement ne dispose pas, ou encore lorsque Comme toutes les spécialités médicales, la méde-
son admission présente, du fait de manque de cine d’urgence, sous l’égide de ses sociétés savan-
place, un risque certain pour le fonctionnement tes – Société francophone de médecine d’urgence
du service hospitalier, le directeur doit provoquer (SFMU), Société française d’anesthésie et de réani-
les premiers secours et prendre toutes les mesures mation (SFAR), Société de réanimation de langue
nécessaires pour que le malade ou blessé soit française (SRLF) – développe des recomman­
dirigé au plus tôt vers un établissement suscepti- dations de bonne pratique, des conférences d’ex-
ble d’assurer les soins requis. En particulier, si perts et des conférences de consensus. Ces textes
tous les incubateurs de l’établissement sont occu- sont le plus souvent labellisés par la Haute Autorité
pés, toutes dispositions sont prises pour le trans- de Santé (HAS) qui en garantit la rigueur métho-
port d’urgence d’un prématuré dans l’établissement dologique. Pourtant, à la différence des autres spé-
le plus proche disposant d’incubateurs. » cialités, ces textes revêtent une importance
Cela signifie qu’il existe, en matière d’obligation particulière pour le praticien et pour l’expert qui
de moyens, une responsabilité partagée entre les peut s’y référer. En effet, la médecine d’urgence est
médecins et les directeurs d’établissements. amenée à faire face à la plupart des pathologies
rencontrées dans de nombreuses disciplines médi-
La prise en charge médicale cales et chirurgicales pour lesquelles, elle déve-
loppe une expertise propre. De même, certaines
préhospitalière spécialités sont de plus en plus confrontées à une
Elle est une originalité française que de nombreux nécessité de transfert de compétence vers les méde-
pays européens ont maintenant adoptée. L’origine cins urgentistes et ces recommandations ou
en remonte au milieu des années 1970 où des pro- consensus permettent d’en délimiter le champ
fessionnels de l’urgence avaient fait le constat du d’application. Deux conférences illustrent ce pro-
décalage existant entre les moyens mis en œuvre pos : l’entorse de cheville [14] et l’anesthésie loco-
lors de l’arrivée à l’hôpital d’un malade ou d’un régionale aux urgences [18]. Le respect de ces
blessé grave et ceux, rudimentaires utilisés avant recommandations est une protection pour le
la phase hospitalière dans les longues minutes qui médecin urgentiste, faute de quoi il pourrait se
suivent l’accident ou le malaise. En 1976, une loi trouver confronté aux articles 32 et 33 du Code de
avait défini et créé les Services d’aide médicale Déontologie : « Dès lors qu’il accepte de répondre à
urgente (Samu), dont la caractéristique fonda- une demande, le médecin s’engage à assurer per-

270
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

sonnellement au patient des soins consciencieux, ment privé (qui a accueilli le patient), la régulation
dévoués et fondés sur les données acquises de la du Samu (qui a enregistré l’appel et a dépêché un
science, en faisant appel, s’il y a lieu à l’aide de tiers Smur) et enfin un établissement public, (siège du
compétents » (article 32, article R.4127-32 du code SAU). La chaîne peut s’inverser quand un patient
de la santé publique) et « le médecin doit toujours est transféré, faute de place, du SAU vers un éta-
élaborer son diagnostic avec le plus grand soin en blissement privé, sans que le patient, dans l’ur-
y consacrant le temps nécessaire en s’aidant, dans gence, ait clairement compris la modification
toute la mesure du possible, des méthodes scienti- contractuelle que cela entraînait, les conséquen-
fiques les mieux adaptées, et s’il y a lieu, de ces juridictionnelles (civil/administratif) ainsi
concours appropriés » (article 33, article R.4127-33 que des assurances différentes. Si bien qu’il s’avère
du code de la santé publique). Ces notions de souvent plus simple pour le patient, en cas de
transfert de compétences prennent une valeur conflit, d’aller directement au pénal, ce qui aura
médico-juridique particulière au moment où les pour avantage de concerner l’ensemble des inter-
restructurations hospitalières et les problèmes de venants et, d’autre part, de provoquer une enquête
démographie médicale mettent les médecins qui englobera tous les actes réalisés pour le traite-
urgentistes en position de décision, parfois dans ment de cette urgence [9].
des domaines où les transferts de compétence
n’ont pas été validés par une formation médicale
continue structurée et des recommandations de Dysfonctionnements
pratique clinique. dans l’organisation des soins
La régulation médicale a fait l’objet d’une confé-
Comme il a été précédemment dit, le nombre des
rence d’experts qui insiste sur les notions d’inter-
passages aux urgences hospitalières et des appels
rogatoire soigneux, critères d’évaluation de la
au centre 15 ne cesse de croître. Parallèlement, les
gravité, horaires et enregistrement des bandes
restructurations hospitalières soumettent parfois
téléphoniques, etc. L’acte de régulation du SAMU
les établissements à des contraintes difficiles à
– Centre 15 est un acte médical s’inscrivant dans
gérer dans le court terme. De plus, les moyens
un contrat de soins avec l’appelant. Les décisions
matériels et surtout humains, médicaux et para-
(du conseil à l’envoi de moyens de réanimation)
médicaux, sont encore souvent en deçà des textes
sont prises directement ou validées par le méde-
réglementaires et des recommandations émises
cin régulateur qui dispose d’effecteurs et des tech-
par les Sociétés savantes. Par conséquent, tout
nologies de l’information et de la communication
dommage réel ou ressenti met en première ligne,
(TIC) permettant notamment l’identification de
les dysfonctionnements de la structure qui enga-
l’appelant et des différents intervenants, l’accès
gent la responsabilité de l’hôpital. Ils peuvent être
aux bases de données en ligne, la gestion en temps
à l’origine d’un dommage à plusieurs niveaux :
réel des moyens, leur déclenchement, le suivi des
actions en lien avec les partenaires. Les informa-
tions mémorisées constituent le dossier de régula- Les transferts entre
tion médicale de chaque affaire, partie intégrante établissements publics
du dossier patient [34].
L’ARH délivre les autorisations de création de
structures des urgences aux établissements de
Typologie des plaintes santé, sous réserve que ceux-ci se mettent en
conformité avec les décrets de mai 2006 (Cf. supra)
en médecine d’urgence relatifs à la médecine d’urgence et modifiant le
code de la santé publique. Il est précisé qu’une
Quand une plainte est déposée en médecine d’ur- structure des urgences peut ne pas avoir sur place
gence, la procédure judiciaire est rapidement le plateau technique capable d’assurer notamment,
complexe pour le plaignant, car les intervenants scanner, échographie, angiographie. De même, un
médicaux sont nombreux et se succèdent tout au établissement avec une structure des urgences doit
long de la chaîne de l’urgence. Par exemple, peu- être capable de prendre en charge des personnes
vent être successivement mis en cause l’établisse- nécessitant des soins psychiatriques s’y présentant

271
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

mais peut être amené à s’organiser « avec un autre établissements et si les cliniques ont une « obliga-
établissement de santé autorisé à exercer cette acti- tion générale de secours aux personnes en danger
vité » psychiatrique (cas d’un établissement ne ou qui s’adressent directement à la clinique », il faut
­disposant pas d’un psychiatre 24 heures/24, par garder à l’esprit que ces établissements n’ont pas
exemple). les mêmes obligations car, non autorisés, les
En pratique, de nombreux établissements sont accueils d’urgence devraient rester exceptionnels
autorisés par l’ARH à exercer les fonctions de [15, 16]. La survenue d’un accident ou d’un événe-
structures des urgences, malgré l’absence de cer- ment indésirable au cours du transfert, l’absence
tains services ou plateaux techniques pourtant d’accord du patient (ou d’information) sont égale-
nécessaires. Il peut alors en résulter un transfert ment sources de contentieux.
vers un autre établissement pouvant éventuelle-
ment être à l’origine d’une prise en charge différée Des dysfonctionnements internes
(et non immédiate), pendant laquelle une modifi- au service des urgences
cation de l’état de gravité peut survenir.
Ils peuvent être en rapport avec des facteurs divers  :
L’article R. 6123-19 précise que « pour assurer, manque de personnel, examens complémentaires
postérieurement à son accueil, l’observation, les impossibles à réaliser, manque de place, etc.
soins et la surveillance du patient jusqu’à son Indépendamment de l’analyse factuelle qui peut
orientation, l’établissement organise la prise en être réalisée par l’expert et du lien de causalité
charge diagnostique et thérapeutique selon le cas avec le dommage, ces dysfonctionnements éven-
[…] en liaison avec le SAMU, en l’orientant vers tuels sont à analyser en fonction des textes régle-
un autre établissement de santé apte à le prendre mentaires (cf. plus haut) et des recommandations
en charge et, si nécessaire, en assurant ou en fai- en terme d’organisation, éditées par la SFMU, la
sant assurer son transfert ; en l’orientant vers un SFAR et la SRLF [14, 18–25].
médecin de ville ou vers toute autre structure
sanitaire ou toute autre structure médico-sociale Dans ce cadre, le rôle des internes (ou des rési-
adaptée à son état ou à sa situation ». L’établissement dents de médecine générale ou faisant fonction
tient dans la structure des urgences un registre d’interne) doit être défini précisément dans l’or-
chronologique continu sur lequel figurent l’iden- ganisation du service d’urgences. Certes, devant
tité des patients accueillis, le jour, l’heure et le les juridictions pénales, l’interne est considéré
mode de leur arrivée, l’orientation ou l’hospitali- comme un médecin à part entière et sa responsa-
sation, le jour et l’heure de sortie ou de transfert bilité peut être engagée, mais son domaine de
hors de la structure des urgences. Ce registre est compétence est défini réglementairement (décret
informatisé. no 83-785 du 2 septembre 1983 fixant le statut des
internes en médecine et en pharmacie) : « l’interne
La Cour d’appel et le Conseil d’État aggravent les en médecine exerce des fonctions de prévention, de
obligations des grands établissements multisites diagnostic et de soins, par délégation et sous la res-
en retenant que le défaut d’organisation ou de ponsabilité du praticien dont il relève ». Ainsi, la
fonctionnement doit s’apprécier à partir des délégation se fera, a priori, pour des actes habi-
moyens dont dispose l’ensemble des sites et pas tuels, qui ne présentent pas de difficultés particu-
seulement l’établissement où sont dispensés les lières [9, 10].
soins [15]. C’est dire qu’une décision de transfert
secondaire qui différerait par exemple une inter-
vention chirurgicale urgente constitue, au mini-
Dysfonctionnements ou faute
mum, une indéniable perte de chance. médicale ?
Il est des cas où la distinction entre la mauvaise
Les transferts entre établissements organisation du service et la faute médicale est
difficile à établir [15]. Ainsi le Conseil d’État
publics et privés relève la mauvaise organisation du service dans
Faute de moyens disponibles sur le site de la struc- le cas d’une patiente qui arrive aux urgences de
ture des urgences, ils posent le même type de pro- l’hôpital à la suite d’une chute de cheval et qui
blèmes. Même si un contrat relais existe entre les présente une douleur croissante du mollet et du

272
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

genou : 48 heures plus tard, apparaît un syn- L’avis d’un spécialiste est à rechercher quand le
drome des loges. Les séquelles sont lourdes problème dépasse le domaine de compétence de
(affaire Reynier, 16 novembre 1998). Le renvoi au l’urgentiste. Il s’agit, aux termes de la loi, d’une
domicile d’une patiente présentant une embolie obligation de faire [17]. Avec cette réserve, les
pulmonaire et qui décède quelques heures plus erreurs diagnostiques ne constituent pas forcé-
tard faute de soins rapides a été qualifié égale- ment une faute si les moyens adaptés ont été ins-
ment comme un dysfonctionnement (Gazette du taurés avec diligence par le médecin urgentiste.
Palais, 12–13 juillet 1995). À l’opposé, la juris- Les erreurs de prescription sont à analyser en
prudence peut qualifier d’homicide involontaire fonction, soit de l’erreur diagnostique qui justifie
une erreur diagnostique conduisant au décès du la prescription en cause, soit d’une erreur théra-
patient : un médecin urgentiste a été condamné peutique sur un bon diagnostic, soit d’une pres-
pour avoir renvoyé à son domicile un enfant qui cription correcte, mais mal ou non effectuée. Les
avait une suspicion d’inhalation d’un corps bonnes pratiques imposent que la prescription ne
étranger et qui est décédé d’asphyxie quelques doit, en aucun cas, être « téléphonique » ; elle doit
heures plus tard (CA Aix, 30 nov. 1998, Juris- être écrite lisiblement, datée et signée et compor-
Data no 045722). ter le médicament, la dose, la voie d’administra-
tion et la durée du traitement.
Il en est de même des erreurs techniques, en
tenant compte de la difficulté du geste et du risque
Manquement à l’obligation « normal » à sa réalisation. Dans ce dernier cas
de moyens (soins bénins), le médecin a une obligation de
résultat.
Moyens diagnostiques
et thérapeutiques inadaptés
Défaut d’appréciation du niveau
L’obligation de moyens est impérative pour le de gravité
médecin urgentiste, comme pour tout médecin. Il
doit mettre en œuvre les moyens adaptés pour Le défaut d’appréciation de l’état de gravité est
arriver au diagnostic et à la prise en charge théra- une circonstance qui peut engager la responsabi-
peutique qu’impose l’état de son patient. Ces lité pénale pour non-assistance à personne en
moyens sont techniques, intellectuels et humains péril (article 223-6 du CP). Deux conditions sont
[11, 17]. Ainsi, l’interrogatoire des proches peut nécessaires : d’une part que le médecin, suscepti-
être un élément fondamental qu’il importe de ne ble de porter secours, ait eu connaissance du dan-
pas négliger. Un médecin urgentiste a été ger pour le patient, d’autre part qu’il ait refusé
condamné pour diligence insuffisante, en dia- d’intervenir soit directement, soit indirectement.
gnostiquant une maladie psychiatrique chez un Point n’est besoin de rappeler l’impératif qu’il y a,
patient porteur en réalité d’une méningite, car il pour le médecin urgentiste, de se déplacer, pour
avait négligé de procéder à un interrogatoire soi- répondre à l’appel du personnel soignant, d’autant
gneux de la compagne du patient (CA Paris, plus que celui-ci ne serait pas compétent (par
19  novembre 1998 : Juris-Data no 023476). De exemple un brancardier) (CC, 21 janvier 1954 :
même, la condamnation en première instance Juris-Classeur Périodique 54, lI, 8050) (Tribunal
d’un médecin Smur, appelé dans un restaurant correctionnel de Draguignan, 28 janvier 1983).
pour une jeune femme ayant présenté un malaise, Mais, plus que tout médecin, voire que de tout
étiqueté vagal, avec chute… mais qui décédera médecin urgentiste, le médecin régulateur du
quelques heures plus tard d’un hématome extra- Samu est particulièrement exposé. Suite à un
dural. Les magistrats ont retenu le lien de causa- appel qui est toujours décrit par l’appelant comme
lité et ont condamné pour négligence (absence urgent, le médecin régulateur va devoir par un
d’une prise en compte suffisante de l’interroga- interrogatoire téléphonique précis, reconnaître
toire de l’entourage) et imprudence (absence de des signes de gravité patents ou potentiels et
consignes précises en cas d’apparition de signes répondre à la demande, soit en se limitant à un
neurologiques) [12]. conseil, soit en envoyant les moyens de secours

273
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

adaptés allant de l’ambulance simple jusqu’à l’en- Le médecin urgentiste ne peut se dispenser de ce
voi d’un Smur. Le médecin régulateur devra devoir d’information et de consentement sous
ensuite réévaluer son jugement initial par un dia- prétexte d’« urgence », concept qu’il est impor-
logue avec son collègue médecin Smur, sur place, tant de préciser. Même pour les urgences relati-
et trouver enfin le lieu d’hospitalisation adapté ves, l’urgentiste doit informer son patient des
(patient laissé sur place ou transféré vers un ser- risques graves encourus, secondaires aux traite-
vice d’urgences ou un service de réanimation). À ments, exceptionnels ou non [26]. Seule l’urgence
chacune de ces étapes, le risque de sous-évalua- vitale (environ 5 % des passages) chez un patient
tion de la gravité est majeur, en intégrant par conscient (…) et capable de s’exprimer avec com-
ailleurs la notion de moyens immédiatement dis- préhension, peut poser un réel problème au
ponibles, le délai de transport, etc. médecin urgentiste. Dans une affaire récente
Fort heureusement, contrastant avec le volume concernant une transfusion sanguine chez une
important des appels au centre 15, les plaintes patiente non consentante, le Conseil d’État [3] a
restent encore actuellement limitées. Ainsi, de précisé que le médecin devait « d’une part avoir
1994 à 1999, le Sou médical a enregistré 15 décla- tout mis en œuvre pour convaincre la patiente
rations d’accidents impliquant des médecins de d’accepter les soins indispensables, d’autre part
Samu/Smur [13] dont 10 médecins transporteurs s’assurer qu’un tel acte soit proportionné et
et 5 des médecins régulateurs. Il s’agit essentiel­ indispensable à la survie de l’intéressée ». Les
lement de non-envoi d’une ambulance, envoi conditions qui pourraient dispenser d’un consen-
­inapproprié et tardif d’une ambulance non médi- tement seraient donc les suivantes : pronostic
calisée, envoi tardif d’une équipe médicalisée, vital en jeu, information délivrée sur les consé-
retard à la prise en charge en rapport avec une quences du refus de soins, aucune alternative
erreur diagnostique ou délai excessif dans l’arri- thérapeutique et mesures prises indispensables
vée du Smur sur les lieux. et proportionnées. Il faut rappeler qu’il s’agit là
d’une jurisprudence administrative et que par
ailleurs le Code Pénal ne prévoit pas de déroga-
Information, consentement aux tion à l’obligation de porter secours (article 223-6
soins, manquement à l’obligation du CP).
de surveillance L’obligation de surveillance, devoir éthique avant
Article 16.3 du Code civil : « Il ne peut être porté tout, doit intervenir notamment en cas de non-
atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de consentement aux soins.
nécessité thérapeutique pour la personne. Le En cas de refus réaffirmé avec conviction et après
consentement de l’intéressé doit être recueilli s’être assuré de la bonne compréhension des
préalablement hors le cas où son état rend néces- conséquences du refus, le médecin doit, d’une
saire une intervention thérapeutique à laquelle il part proposer au patient une solution alternative
n’est pas à même de consentir. » (autre établissement, autre confrère, autre procé-
Le patient est libre d’accepter ou de refuser les dure diagnostique ou thérapeutique, etc.), d’autre
soins médicaux. Ce principe est notamment clai- part faire écrire au patient, de sa main même, le
rement énoncé dans la loi du 29 juillet 1994 et il refus aux soins et la prise de connaissance des
est réaffirmé dans les nouvelles dispositions de la conséquences de son refus, enfin compléter le
loi du 4 mars 2002. La loi renforce la notion d’in- dossier médical en relatant l’ensemble de la
formation préalable et de consentement aux démarche, en précisant que le devoir d’informa-
soins, affirmant que « le médecin doit respecter la tion a bien été rempli.
volonté de la personne après l’avoir informée des L’obligation de surveillance intervient également
conséquences de son choix », mais le médecin ne dans le cadre du Samu où le médecin régulateur
peut se retrancher derrière un refus simple ou doit s’assurer que les secours qu’il a dépêchés
une absence de coopération. Il doit s’efforcer de auprès du patient ont bien effectué la prise en
convaincre le patient, voire l’entourage, en lais- charge. Il ne pourrait se contenter, à la suite d’un
sant le temps de la réflexion y compris dans un appel au secours (et non d’une demande de ren-
service d’urgence. seignement), de donner uniquement les coordon-

274
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

nées téléphoniques d’un médecin généraliste, ces d’appréciation et médecin urgentiste et


sans s’assurer que celui-ci peut se déplacer sur les médecin spécialiste), un compte rendu doit être
lieux. établi et archivé. Ces documents permettront
ultérieurement, si nécessaire, de reconstituer
l’exacte chronologie des événements.
Conclusions Le médecin expert, dans le strict respect de sa
mission et des réponses aux questions qui lui sont
L’augmentation permanente du nombre d’urgen- posées, aura à sa disposition ces documents qui,
ces préhospitalières et hospitalières est un phéno- peut être plus que dans toute expertise médicale,
mène socioculturel qui est commun à tous les lui permettront, par l’analyse de la chronologie
pays occidentaux. Ces urgences recouvrent des horaire, de reconstituer le déroulement exact des
réalités médicales et sociales extrêmement diffé- événements. Son analyse sera éclairée par les
rentes. Face à cela, la médecine d’urgence s’est conditions d’exercice particulier de la médecine
individualisée et est devenue une discipline uni- dans les situations d’urgence où se côtoient des
versitaire à part entière. Son exercice requiert tout intervenants multiples, aussi bien en préhospita-
à la fois des connaissances pluridisciplinaires lier qu’en milieu hospitalier. Il devra également
dans les domaines médicaux, chirurgicaux et tenir compte des transferts de compétence entre
psychiatriques. spécialistes d’organe et spécialistes de l’urgence.
Le médecin urgentiste doit savoir évaluer et pré-
Bibliographie
ciser l’état de gravité patente ou potentielle ; il
doit savoir hiérarchiser les priorités de prise en [1] Circulaire no 195/DHOS/01/2003/ du 16 avril 2003
charge, gérer les flux de patients, savoir répondre relative à la prise en charge des urgences.
à un afflux brutal en cas de catastrophe, en tenir [2] Circulaire no DH.4B/D.G.S. 3E/91–34 du 14 mai
informer les patients dont il a la charge, tout en 1991, relative à l’amélioration des services d’accueil
exerçant dans des structures dont les moyens ne des urgences dans les établissements hospitaliers à
vocation générale : guide d’organisation.
sont pas toujours adaptés à l’activité. Dans ce
[3] Conseil d’État, 16 août 2002.
contexte, le médecin urgentiste n’est pas unique-
ment confronté aux risques majeurs de non-­ [4] Décret no 97–615 du 30 mai 1997 relatif à l’accueil et
au traitement des urgences dans les établissements de
assistance à personne en péril ou de manquement santé ainsi qu’à certaines modalités de préparation
à l’obligation de moyens. Il a également à faire des schémas d’organisation sanitaire et modifiant le
face à des problèmes quotidiens et qui exposent Code de la Santé Publique.
sa responsabilité : relations avec Forces de Police, [5] Décret no 97–616 du 30 mai 1997 relatif aux condi-
Gendarmerie et Parquet, certificats médicaux tions techniques de fonctionnement auxquelles
(article 441-7, 441-8 du CP), secret professionnel doivent satisfaire les établissements de santé pour
(article 226-13, 226-14 du CP), prise en charge être autorisés à mettre en œuvre l’activité de soins
« accueil et traitement des urgences » et modifiant le
d’enfants ou de majeurs dépendants, éventuelle-
Code de la Santé Publique.
ment victimes de maltraitance. Dans les années
[6] Décret no 97–620 du 30 mai 1997 relatif aux condi-
qui viennent, compte tenu du vieillissement tions techniques de fonctionnement auxquelles doi-
démographique, il sera confronté aux problèmes vent satisfaire les établissements de santé pour être
de fin en vie et surtout d’arrêt de soins devenus autorisés à mettre en œuvre des services mobiles
vains, notamment en préhospitalier. Face à cela, d’urgence et de réanimation et modifiant le Code de
le médecin urgentiste doit veiller au strict respect la Santé Publique.
des conférences de consensus et recommanda- [7] Décret no 95–647 du 9 mai 1995 relatif à l’accueil et
tions de médecine d’urgence, édictées par les au traitement des urgences dans les établissements
de santé et modifiant le Code de la Santé Publique.
sociétés savantes. Il doit veiller à la qualité du
dossier médical (fiche patient, fiche régulation, [8] Décret no 95–648 du 9 mai 1995 relatif aux condi-
tions techniques de fonctionnement auxquelles
bilans réguliers, résultats d’examens complémen- doivent satisfaire les établissements de santé pour
taires), en précisant les horaires des interventions. être autorisés à mettre en œuvre l’activité de soins
En cas d’événement exceptionnel (décès acciden- Accueil et Traitement des Urgences et modifiant le
tel, conflit avec le patient ou l’entourage, différen- Code de la Santé Publique.

275
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

[9] Faugerolas P. La responsabilité du médecin de garde Anesthésistes-Réanimateurs Pédiatriques d’expres­


aux urgences. Médecine et Droit, 1998 ; 28 : 14–21. sion Française (ADARPEF), JEUR, 2003 ; 16 :
[10] Faugerolas P. La responsabilité juridique des per- 148–154.
sonnels médicaux assurant la garde dans les services [24] Recommandations concernant la mise en place,
d’urgence. Rev Hospital Fr, 1997 ; 4 : 536–541. la gestion, l’utilisation et l’évaluation d’une Salle
[11] Gerson C. Médecine d’urgence et manquement d’Accueil des Urgences Vitales (SAUV). Conférence
à l’obligation de moyens. Quotidien du médecin, d’experts de la Société francophone de Médecine
17 mars 2000. d’Urgence (SFMU), de Samu de France, de la Société
Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR), de la
[12] Gerson S. Un malaise vagal. Quotidien du Médecin, Société de Réanimation de Langue Française (SRLF),
25 novembre 2000. 2003.
[13] Gerson C, Bons-Letouzey C, Sicot C. La responsa- [25] Recommandations de la Société Francophone de
bilité médico-légale des médecins des Samu et des Médecine d’Urgence concernant la mise en place, la
Smur. Reanim Urgences, 2000 ; 9 : 545–549. gestion, l’utilisation et l’évaluation des unités d’Hos-
[14] L’entorse de cheville au service d’urgences. Protocole pitalisation de courte durée des services d’urgence.
no iii.a.1/1997. 5e conférence de consensus en méde- JEUR, 2001 ; 14 : 144–156.
cine d’urgence de la société francophone d’urgences [26] Rey C, Chariot P. Information, consentement aux
médicales. soins et refus de soins de l’adolescent aux urgences.
[15] Lemoyne de Forges J.M. À propos de la responsabi- Journées parisiennes de pédiatrie, 1999. Flammarion
lité des services d’urgence des hôpitaux. L’Entreprise Médecine Sciences, Paris : 369–374.
Médicale, 2001 ; 210 : 9–10. [27] Sicot C. Responsabilité civile professionnelle,
[16] Lemoyne de Forges J.M. Les urgences au royaume Rapport du Conseil médical du Sou Médical. Groupe
d’Ubu. Concours médical, 2000 ; 20 : 1385–1386. MACSF sur l’exercice 2007. www.macsf.fr/file/
[17] Ludes B, Hauger S. Les responsabilités médicales docficsite/pj/rapport_activite_12796.pdf
dans les services d’urgence. Reanim Urgences, 2000 ; [28] Rapport 2007 de la Cour des comptes. Urgences médi-
9 : 512–522. cales : constats et évolution récente. www.ccomptes.
[18] Pratique des anesthésies locales et locorégionales fr/fr/CC/documents/RPA/12UrgencesMedicales.
par des médecins non spécialisés en anesthésie- pdf
­réanimation dans le cadre des urgences. Conférence [29] Arrêté du 22 septembre 2004. Liste et réglementation
d’experts, Société Française d’Anesthésie et de des diplômes d’études spécialisées complémentai-
Réanimation et Société Francophone de Médecine res de médecine (JO du 6–10–2004). http : //www.
d’Urgence, 2003. education.gouv.fr/bo/2004/39/MENS0402087A.htm
[19] Radiographies thoraciques et radiographies du [30] Gerbeaux P, Bourrier P, Chéron G, Fourestié  V,
crâne en urgence. 6e Conférence de Consensus en Goralski M, (5), Jacquet-Francillon T. Recomman­
Réanimation et Médecine d’Urgence. Réanimation, dations de la Société Francophone de Médecine
Soins Intensifs, Médecine d’Urgence, 1990 ; 6 : d’Urgence concernant la mise en place, la gestion,
409–414. l’utilisation et l’évaluation des unités d’hospitalisa-
[20] Recommandations concernant les transports médi- tion de courte durée des services d’urgence. www.
calisés intrahospitaliers. Société Française d’Anes- sfmu.org/documents/ressources/referentiels/ref_
thésie et de Réanimation, 1994. uhcd.pdf
[21] Recommandations concernant la surveillance des [31] Décret no 2006–576 et 2006–577 du 22 mai 2006
patients au cours des transferts intrahospitaliers relatifs à la médecine d’urgence et modifiant le Code
médicalisés. Société Française d’Anesthésie et de de la Santé Publique. http://www.legifrance.gouv.fr/
Réanimation, 1992. affichTexte.do;jsessionid=164F7B53EC0793875B9
DD705F7D6E9C4.tpdjo11v_3?cidTexte=JORFTEXT
[22] Recommandations concernant les modalités de
000000788651&categorieLien=id
la prise en charge médicalisée préhospitalière des
patients en état grave. Société Française d’Anesthésie [32] Circulaire DHOS/O1 no 2007–65 du 13 février 2007
et de Réanimation et Samu de France, 2001. relative à la prise en charge des urgences. http://www.
sante.gouv.fr/adm/dagpb/bo/2007/07–03/a0030070.
[23] Recommandations concernant la mise en place, la htm
gestion, l’utilisation et l’évaluation d’une salle d’ac-
cueil des urgences vitales pédiatriques. Conférence [33] Société Francophone de Médecine d’Urgence. Cons­en­
d’experts de la Société francophone de Médecine sus, Recommandations, Textes d’Expert. http://www.
d’Urgence (SFMU), du Groupe Francophone de sfmu.org/fr/formation/consensus
Réanimation et Urgence Pédiatrique (GFRUP), du [34] Conférence d’experts 2006. Réception et régulation
Samu de France, de la Société Française d’Anesthésie des appels pour les urgences médicales en dehors de
Réanimation (SFAR), de la Société de Réanimation l’hôpital. http://www.sfmu.org/documents/consen-
de Langue Française (SRLF), de L’association des sus/CE_regul-medicale_court.pdf

276
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Les empreintes génétiques en pratique judiciaire


I. Roca, M. Beaufils, A. Esponda, C. Doutremepuich

Depuis 1990, l’analyse de l’ADN est de plus en des spermatozoïdes (cellules sexuelles mâles), lors
plus utilisée par les magistrats et les enquêteurs de la fécondation, seul la tête du spermatozoïde
afin d’identifier les cellules présentes sur un corps, pénètre l’ovule, le zygote qui en résulte aura donc
sur une scène criminelle puis de les personnaliser les mitochondries provenant de la mère.
par comparaison avec des cellules prélevées sur
une personne. La caractérisation d’une personne Des analyses différentes
consiste à étudier des régions polymorphes (varia-
bles) de l’ADN contenu dans les cellules. De nos jours, l’analyse de l’ADN mitochondrial
complète l’analyse de l’ADN nucléaire. En effet,
Depuis mai 2000, il est possible d’enregistrer les
l’ADN nucléaire peut être dégradé notamment
résultats des profils ADN retrouvés sur une scène
lors des identifications de cadavres. De plus, une
criminelle dans une base de données. Ces profils
cellule comporte une molécule d’ADN nucléaire
pourront par la suite être comparés entre eux à un
mais un millier de copies d’ADN mitochondrial,
instant donné pour déterminer s’il existe des pro-
il sera donc plus aisé d’obtenir un profil suite à
fils identiques dans cette base. Ce traitement en
une analyse de l’ADN mitochondrial.
temps réel offre de grandes possibilités à tous.
L’analyse d’une empreinte génétique est obtenue à
Ce système impose aux laboratoires de travailler
partir de 15 segments différents d’ADN nucléaire
en temps réel afin que les enquêteurs puissent dis-
appelé locus : le résultat est propre à la personne et
poser des résultats rapidement et que ces profils
pratiquement unique. Ce profil est obtenu à partir
soient transmis au Fichier National des Empreintes
d’un petit nombre de cellules.
Génétiques (FNAEG).
En cas d’absence d’ADN nucléaire, l’analyse est
parfois complétée par une analyse mitochondriale.
Caractéristiques des analyses ADN Cette analyse comporte le séquençage de 2 régions
HV1 et HV2 puis la comparaison de ces séquences
Chaque cellule comporte avec une séquence référence appelée séquence
deux types d’ADN d’ANDERSON.
De plus, l’analyse de l’ADN mitochondrial peut
L’ADN nucléaire porter sur la séquence du gène cytochrome B. La
Il est contenu dans le noyau des cellules sous séquence est propre à l’espèce. Il est donc possible
forme de 22 paires de chromosomes. autosomaux de déterminer si les cellules d’une tache sont
et 1 paire de chromosomes sexuels. Le couple de humaines ou animales.
chromosome sexuel XY définit un caryotype
masculin et le couple XX un caryotype féminin. Analyse génétique
L’ADN autosomal provient pour moitié du père et
pour moitié de la mère. Il est donc propre à la per- Méthode
sonne. L’ADN sexuel Y est propre à la lignée pater-
nelle, il n’est donc pas propre à la personne. L’ADN Recherches préliminaires
sexuel X n’est pas encore analysé en routine. Cette étape consiste à rechercher sur un scellé, le
matériel génétique suivant :
L’ADN mitochondrial • Sang ;
Il est contenu dans un organite du cytoplasme • Sperme ;
appelé mitochondrie. C’est un ADN circulaire
• cellules épithéliales ;
composé de 16 569 bases. Il est propre à la lignée
maternelle. L’ovule (cellule sexuelle féminine) • éléments pileux ;
comporte des mitochondries ainsi que le flagelle • urine.

277
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Une fois les taches ou traces localisées, le prélève- Résultats


ment est réalisé soit par découpe soit par écou-
villonnage du support. Résultats sur les autosomes
Les principaux locus analysés sont :
Extraction d’ADN • D8S1179 ;
Suite aux prélèvements, l’ADN est extrait : • D21S11 ;
• soit par des méthodes de référence couramment • D7S820 ;
utilisées dans les laboratoires d’analyses généti- • CSF1PO ;
ques (Phénol-Chloroforme, Chelex 5 %). Ces
techniques sont utilisées quel que soit le type de • D3S1358 ;
cellules (sanguines, os, cellules épithéliales, • TH01 ;
spermatozoïdes, éléments pileux) ; • D13S317 ;
• soit par une méthode d’extraction beaucoup • D16S539 ;
plus sensible appelée microdissection laser.
• D2S1338 ;
Cette technique spécifique à l’analyse des cellu-
les épithéliales permet d’étudier un faible nom- • D19S433 ;
bre de cellules (entre 1 et 20 cellules). • vWA ;
• TPOX ;
Biologie moléculaire • D18S51 ;
Après extraction de l’ADN, l’ADN va être amplifié • D5S818 ;
par une technique appelée PCR (Polymerase • FGA.
Chain Reaction) mis au point en 1985 par
K.  Mullis (prix Nobel en 1993). Succinctement,
cette technique consiste à multiplier par 105 voire Résultats sur les chromosomes
106 la quantité d’ADN initiale. sexuels
Le kit d’amplification classiquement utilisé com- Le sexe est déterminé par l’étude du gène de
porte 15 amorces qui vont permettre l’amplifica- l’amélo­génine situé sur les chromosomes sexuels
tion des 15 segments d’ADN appelé locus. Ces X et Y.
locus sont hautement polymorphes c’est-à-dire Cette analyse se déroule sur la partie non codante
variables d’un individu. Ils comportent des uni- de l’ADN. Il est important d’identifier une per-
tés répétitives appelées STR (Short Tandem sonne uniquement par la partie non codante, seul
Repeat) de 4 ou 5 paires de bases (Adénine com- le gène de l’amélogenine est situé sur la partie
plémentaire de la Thymine, Cytosine complé- codante.
mentaire de la Guanine). L’analyse va compter le
nombre d’unités répétitives présentes sur un Une analyse complémentaire de l’ADN du chro-
locus précis. mosome Y est parfois nécessaire. L’ADN Y com-
porte des unités répétitives. Cette analyse porte sur
Exemples d’allèles pour un locus donné, le motif 10 segments au minimum, selon une technologie
répétitif étant AGAT : comparable à celle utilisée pour l’ADN autosomal.
• AGGTTT(AGAT)8CGTA : allèle 8
• AGGTTT(AGAT)8AGATAGATAGATAGATC Résultats sur l’ADN mitochondrial
GTA : allèle 12
L’ADN mitochondrial ne comporte pas de STR.
• AGGTTT(AGAT)8AGATAGATAGATAGATA
L’analyse précédente est donc impossible. L’ADN
GCGTA : allèle 12.2
mitochondrial est conservé au fil des générations,
Après amplification, l’amplifiat sera analysé par seules des mutations modifient sa structure. Il
chromatographie capillaire et révélé par fluores- faut donc les rechercher dans deux zones hyper-
cence, le résultat sera un chromato­gramme. variables dénommées HV1 et HV2.

278
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Les applications L’agresseur pourra aussi déposer « volontaire-


ment » des cellules : sperme lors d’un viol ou salive
lors d’une morsure.
L’empreinte génétique est réalisée uniquement
sur réquisition ou mission judiciaire et dans des Ces cellules doivent être prélevées avec beau-
­laboratoires qui ont reçu un agrément (décret du coup de précaution afin de ne pas les dégrader et
6 février 1997). de ne pas les contaminer avec d’autres cellules
étrangères à la scène. De plus elles doivent être
conservées de façon adéquate pour éviter leur
Recherche de paternité dégradation (température, humidité et lumino-
ou de maternité sité contrôlées).
Cette analyse nécessite un prélèvement cellulaire : Après analyse, l’ADN des cellules laissées par
l’agresseur va être identifié. Cette analyse va
• cellules buccales chez une personne vivante ; dépendre très fortement de la qualité du prélève-
• cellules osseuses chez une personne décédée. ment et de leur conservation.
L’analyse porte au minimum sur 15 locus et per-
met en général de calculer une probabilité de Personnalisation de l’ADN
paternité à plus 99,999 %.
agresseur
Dans des cas difficiles, il est utile d’effectuer l’ana-
lyse du chromosome Y. Par la suite, cet ADN inconnu retrouvé sur une
Les recherches en paternité ont grandement béné- scène criminelle sera comparé à des prélève-
ficié de l’apport de l’analyse génétique. ments de comparaison issue de personnes sus-
pectes ou de personnes placées en bases de
Les résultats sont fiables, obtenus rapidement
données ou encore au prélèvement buccal effec-
(3 jours après le prélèvement) et surtout le prélève-
tué sur la victime (prélèvement de discrimi­
ment de cellules buccales n’est pas douloureux en
nation).
particulier chez l’enfant voire le nourrisson.
Les résultats sont alors concordants ou discor­
dants.
Identification d’un corps
Il est nécessaire d’effectuer un calcul statistique
ou d’un fragment complexe pour calculer une probabilité a priori
Cette analyse est souvent difficile car le corps à (probabilité déterminée en fonction des éléments
identifier est souvent dégradé par le temps, l’eau d’enquête) et une probabilité a posteriori (proba-
ou le feu. bilité qu’une personne prise dans un échantillon-
nage définit en fonction des probabilités a priori
Cette analyse comportera l’analyse de l’ADN soit à l’origine d’une trace).
autosomal, des 15 STR, et de l’ADN mitochon-
drial, des zones HV1 et HV2. Des comparaisons
parents-enfants et enfants entre eux pour identi-
fier le corps seront ensuite effectuées. Les prélèvements pour
empreintes génétiques
Identification d’un ADN
sur une scène criminelle L’analyse génétique requiert un prélèvement de
qualité.
Tout contact d’un agresseur avec un objet ou un Ce prélèvement doit contenir un maximum de cel-
habit laisse des cellules. lules à analyser, un minimum d’inhibiteurs, de
Le problème sera pour l’enquêteur de bien choisir saletés retrouvés sur le support et être sans aucune
l’objet susceptible de détenir les cellules de l’agres- contamination qui pourrait provenir d’une mau-
seur : un gant, une cagoule, une cuillère, un verre, vaise manipulation ou d’une mauvaise organisa-
une feuille, un briquet, etc. tion de la scène criminelle.

279
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

La conservation avant analyse des cellules est un


élément primordial, les scellés doivent être conser-
Conclusion
vés à l’abri de l’humidité, de la chaleur tout en évi-
Les empreintes génétiques permettent :
tant les contacts entre les taches.
• l’identification des cellules déposées par un
Sur une scène criminelle, il faudra privilégier le
agresseur sur une scène criminelle ;
prélèvement de la tache et de son support ; sur un
corps, il faudra un prélèvement par écouvillon- • l’identification d’un corps non identifiable par
nage des cellules susceptibles d’être présentes. les méthodes habituelles ;
• l’identification d’un père ou d’une mère.
Ces analyses représentent donc une aide impor-
Les laboratoires et l’assurance tante aux décisions des magistrats et des OPJ.
Elles nécessitent pour les laboratoires une obliga-
qualité tion de moyens importants pour qu’elles soient
exactes, fiables et reproductibles.
L’assurance qualité est obligatoire dans tous les
domaines de la biologie. Toutefois, les laboratoires
devraient faire accréditer par le COFRAC leur Bibliographie
système qualité et leurs méthodes d’analyse selon [1] Doutremepuich C. Les fichiers des empreintes géné-
un référentiel spécifique au laboratoire : la norme tiques en pratique judiciaire. La documentation
ISO 17025. Française, 2006.
En France, un laboratoire est accrédité (Bordeaux). [2] Doutremepuich C, Morling N. Progress in Forensic
Genetics 10. Elsevier, 2004.
Cette accréditation est délivrée par le COFRAC
(organisme indépendant). [3] Doutremepuich C. ADN mitochondrial, de l’intérêt
scientifique à la pratique judiciaire. La documenta-
Ce référentiel qualité ISO 17025 implique une tion Française, 2003.
organisation rigoureuse avec des circuits d’ana- [4] Doutremepuich F, Doutremepuich C, Beaufils M,
lyse unidirectionnels qui vont éviter un croise- Morales V. Les empreintes génétiques en pratique
ment des analyses de comparaison avec des judiciaire. Journal de la Société de Biologie, 2003 ;
analyses de questions. Cela va donc prévenir un 197 (4) : 329–331.
risque de contamination. [5] Doutremepuich C. Guide des prélèvements pour
empreintes génétiques. 3e édition. Travaux du labora-
Elle nécessite des techniciens compétents et quali- toire d’Hématologie Médico-Légale de Bordeaux, 2008.
fiés et des analyses effectuées dans des appareils [6] Luckey J.A, Norrts T.B, Smith L.M. Analysis of reso-
qualifiés et contrôlés. lution in DNA sequencing by capillary gel electro-
L’ensemble est contrôlé par un système de qualité phoresis. J Phys Chem, 1993 ; 97 : 3067–3075.
très rigoureux. [7] Moretti TR, Baumstark AP, Defen Baugh DA, Keys KM,
Brown AL, Berdowle B. Validation of STR typing by
Ces analyses génèrent des coûts importants mais capillary electrophoresis. J Forensic Sci, 2001 ; 46 :
qu’il faut relativiser par rapport aux avantages 661–676.
qu’elles procurent par rapport au gain de temps [8] Ruitberg CM, Reeder D, Butler JM. STR base : a Short
dans l’enquête et en regard à la protection des Tandem Repeat DNA database for the human identity
libertés individuelles. listing community. Nucl Acid Res, 2001 ; 29 : 320–322.

L’assistance médicale à la procréation,


aspects médico-légaux
E. Vendrely

Dans le dernier tiers du xxe siècle, le développe- corps humain (greffes, thérapie cellulaire) a
ment de la génétique, de l’assistance médicale à la entraîné une réflexion éthique et juridique sans
procréation et de l’utilisation des produits du précédent. Il ne s’agit plus d’une médecine indivi-
280
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

duelle et immédiate mais d’agir sur l’avenir de d’une technique d’assistance médicale à la pro-
l’espèce humaine. La prise en compte par la société création, est soumise à des recommandations de
s’est traduite en France en 1994 par les lois dites de bonnes pratiques. » Cette disposition est impor-
bioéthique dont la rédaction et les révisions tante en matière de responsabilité médicale, car
dépendent largement des conceptions philoso­ la stimulation ovarienne est la principale cause
phiques, voire religieuses, des législateurs. La des accidents survenant au cours des pratiques
deuxième de ces lois (loi no 94-654 du 29 juillet cliniques de l’assistance médicale à la procréa-
1994), qui régit en particulier l’assistance médi- tion. L’hyperstimulation peut entraîner un syn-
cale à la procréation, devait être révisée au terme drome d’hypovolémie, d’ascite, d’hémorragie
de cinq ans, donc en 1999. Elle ne l’a été qu’en interne pouvant être fatale. À long terme, l’hy-
2004 avec la loi no 2004-800 du 6 août 2004 rela- perstimulation aggrave les kystes ovariens et peut
tive à la bioéthique (JO no 182 du 7 août 2004, être responsable d’endométriose. Jusqu’à mainte-
p. 14010 et suivantes). Elle modifie le Code de la nant la stimulation hormonale de l’ovulation
santé publique par rapport à son édition de 2002. n’était soumise à aucune réglementation mais la
loi n’envisage cependant pas de la soumettre à
l’autorisation de l’agence de la biomédecine.
L’agence de la biomédecine L’assistance médicale à la procréation est destinée
à répondre à la demande parentale d’un couple
Le nouvel article L. 1418-1 du code de la santé (article L. 2141-2 du code de la santé publique)
publique crée l’Agence de la biomédecine et la composé d’un homme et d’une femme, vivants et
définit comme un « établissement public adminis- en âge de procréer, mariés ou en mesure d’appor-
tratif de l’État placé sous la tutelle du ministre ter la preuve d’une vie commune d’au moins deux
chargé de la santé. Elle est compétente dans les ans, et consentant préalablement au transfert des
domaines de la greffe, de la reproduction, de l’em- embryons ou à l’insémination. « Font obstacle à
bryologie et de la génétique humaines. » Pour ce l’insémination ou au transfert des embryons, le
qui concerne l’assistance médicale à la procréa- décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une
tion l’agence de la biomédecine remplace la requête en divorce ou en séparation de corps ou la
Commission nationale de médecine et de biologie cession de la communauté de vie, ainsi que la
de la reproduction et du diagnostic prénatal en révocation par écrit du consentement par l’homme
particulier pour suivre, évaluer et contrôler les ou la femme auprès du médecin chargé de mettre
activités médicales et biologiques. Elle délivre aux en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »
établissements les autorisations de les pratiquer et Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le
agrée les praticiens compétents (voir plus particu- caractère pathologique a été médicalement diag­
lièrement le Titre VI de la loi). nostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant
d’une maladie d’une particulière gravité. Cette
maladie peut être génétique (pathologie domi-
Procréation et embryologie nante éventuellement révélée par le diagnostic
préimplantatoire pratiqué sur l’embryon au cours
L’article L. 2141-1 du code de la santé publique de la fécondation in vitro) ou infectieuse virale (en
définit l’assistance médicale à la procréation particulier l’infection par le VIH). Dans ces cas,
comme « les pratiques cliniques et biologiques le recours au don de gamètes peut être la seule
permettant la conception in vitro, le transfert solution.
d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi L’assistance médicale à la procréation avec tiers
que toute technique d’effet équivalent permettant donneur « peut être mise en œuvre lorsqu’il existe
la procréation en dehors du processus naturel, un risque de transmission d’une maladie d’une
dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé particulière gravité à l’enfant ou à un membre du
de la Santé, après avis de l’Agence de la bioméde- couple, lorsque les techniques d’assistance médi-
cine. » La nouvelle rédaction complète la loi de cale à la procréation au sein du couple ne peuvent
1994 en incluant la stimulation hormonale de aboutir ou lorsque le couple, dûment informé
l’ovulation : « la stimulation ovarienne y compris dans les conditions prévues à l’article L. 2141-10,
lorsqu’elle est mise en œuvre indépendamment y renonce » (article L. 2141-7 du CSP).
281
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

En France donc, contrairement à ce qui existe Ils doivent notamment :


dans d’autres pays européens, l’assistance médi- 1o– vérifier la motivation de l’homme et de la
cale à la procréation est, selon les termes du femme formant le couple et leur rappeler les pos-
code de la santé publique, destinée à répondre à sibilités ouvertes par la loi en matière d’adoption ;
la demande parentale d’un couple formé d’un
2o– informer ceux-ci des possibilités de réussite
homme et d’une femme vivants et en âge de
et d’échec des techniques d’assistance médicale à
procréer, mariés ou en mesure d’apporter la
la procréation, de leurs effets secondaires et de
preuve d’une vie commune d’au moins deux
leurs risques à court et à long terme, ainsi que de
ans. Ces dispositions excluent donc les femmes
leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent
seules ainsi que les couples homosexuels. Elles
entraîner ;
empêchent également toute procréation post
mortem. 2o bis– informer ceux-ci de l’impossibilité de réa-
liser un transfert des embryons conservés en cas
Le titre IV du code de la santé publique traite
de rupture du couple ou de décès d’un de ses
maintenant à la fois de l’assistance médicale à la
membres ;
procréation, du diagnostic prénatal et des condi-
tions d’une éventuelle recherche sur les embryons 3o– leur remettre un dossier-guide comportant
humains. notamment :
Interdiction du clonage reproductif. La loi révisée a) le rappel des dispositions législatives et régle-
interdit formellement le clonage reproductif par mentaires relatives à l’assistance médicale à la
l’adjonction d’un troisième alinéa dans l’article procréation ;
16-4 du Code civil : « Est interdite toute interven- b) un descriptif de ces techniques ;
tion ayant pour but de faire naître un enfant c) le rappel des dispositions législatives et régle-
génétiquement identique à une autre personne mentaires relatives à l’adoption, ainsi que
vivante ou décédée ». Elle sanctionne lourdement l’adresse des associations et organismes sus-
les crimes d’eugénisme et de clonage reproductif ceptibles de compléter leur information à ce
par adjonction au Code pénal des articles 214-1 à sujet.
214-4.
La demande ne peut être confirmée qu’à l’expira-
tion d’un délai de réflexion d’un mois à l’issue du
dernier entretien.
Organisation réglementaire La confirmation de la demande est faite par écrit.
de l’assistance médicale L’assistance médicale à la procréation est subor-
à la procréation donnée à des règles de sécurité sanitaire.
Elle ne peut être mise en œuvre par le médecin
L’assistance médicale à la procréation ne peut être lorsque les demandeurs ne remplissent pas les
pratiquée que dans des établissements de santé conditions prévues par le présent titre ou lorsque
autorisés par l’agence de la biomédecine. Le couple le médecin, après concertation au sein de l’équipe
est pris en charge par une équipe clinico-biologi- pluridisciplinaire, estime qu’un délai de réflexion
que pluridisciplinaire. supplémentaire est nécessaire aux demandeurs
Les obligations de l’équipe en ce qui concerne l’in- dans l’intérêt de l’enfant à naître.
formation des patients sont détaillées dans l’arti- Les époux ou les concubins qui, pour procréer,
cle L. 2141-10 : recourent à une assistance médicale nécessitant
« La mise en œuvre de l’assistance médicale à la l’intervention d’un tiers donneur doivent préala-
procréation doit être précédée d’entretiens parti- blement donner, dans les conditions prévues par
culiers des demandeurs avec les membres de le code civil, leur consentement au juge ou au
l’équipe médicale clinico-biologique pluridisci- notaire. »
plinaire du centre, qui peut faire appel, en tant La loi du 6 août 2004 prévoit la conservation des
que de besoin, au service social institué au titre VI gamètes, ignorée des textes antérieurs (article
du code de la famille et de l’aide sociale. L.  2141-11) : « En vue de la réalisation ultérieure

282
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

d’une assistance médicale à la procréation, toute plus de trente pour le don de gamètes, montre que
personne peut bénéficier du recueil et de la conser- les tribunaux ont rarement eu affaire à des plain-
vation de ses gamètes ou de tissu germinal, avec tes concernant ces domaines. Il n’y a pas eu de
son consentement et, le cas échéant, celui de l’un mélanges de gamètes comme le cas s’est produit
des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur en Grande-Bretagne, aux USA et aux Pays-Bas. La
lorsque l’intéressé mineur ou majeur fait l’objet crainte de cet accident est le plus courant des fan-
d’une mesure de tutelle, lorsqu’une prise en charge tasmes des couples traités.
médicale est susceptible d’altérer sa fertilité ou Les praticiens redoutent beaucoup plus les conta-
lorsque sa fertilité risque d’être prématurément minations en particulier virales, parfois impré-
altérée. » visibles malgré les bilans pratiqués pour le couple
L’article L. 2142-4 modifié renvoie vers les décrets et surtout en cas de don de gamètes. La régle-
d’application les conditions de fonctionnement mentation concernant ces risques a été alignée
des établissements et laboratoires autorisés, la for- sur la législation européenne par le décret
mation et l’expérience requises des praticiens no 2008-588 du 19 juin 2008 qui prescrit pour les
pour qu’ils soient agréés, les conditions d’exercice donneurs de gamètes des contrôles biologiques
et d’organisation de l’ensemble des activités d’assis- excluant du don les porteurs des virus VIH 1
tance médicale à la procréation (décrets non encore et 2, HTLV 1 et 2, hépatites B et C ainsi que les
parus au jour de la rédaction de cet article). chlamydiae et la syphilis. Sont également dépistés
La conservation des embryons non transférés lors et exclus les risques de transmission d’encéphalite
d’une tentative de fécondation in vitro et leur (Creutzfeldt-Jakob) et les affections génétiques
accueil éventuel par un autre couple font l’objet de dominantes.
divers articles du code de la santé publique. Dans Les procès les plus retentissants, au demeurant
tous les cas où l’embryon ne fait plus l’objet d’un peu nombreux, ont été liés au refus des centres de
projet parental ou d’accueil, sa conservation est pratiquer l’insémination ou le transfert d’em-
limitée à 5 ans. Toutefois, il n’est toujours pas bryons en cas de décès du mari. Les lois de bio­
question de définir le statut juridique de l’em- éthique ont permis à la justice de mettre fin aux
bryon humain. errances et hésitations constatées avant les lois de
Des sanctions pénales très lourdes sont prévues 1994 et de 2004.
par la loi pour les infractions, le plus souvent Le devoir d’information englobe les risques médi-
qualifiées de délits mais parfois même de crimes caux et chirurgicaux pour la femme mais aussi
contre l’humanité lorsqu’elles concernent l’eugé- l’état actualisé des connaissances sur les consé-
nisme et le clonage (articles L. 2152-1 à L. 2152-11, quences génétiques et sur le développement de
et a­ rticles L. 2153-1 et L. 2153-2 du CSP). l’enfant que l’on cherche à faire naître au prix de
manipulations qui ne sont pas toujours scientifi-
quement évaluées. La loi le reconnaît puisque
cette évaluation fait partie des missions de l’agence
La responsabilité des praticiens de la biomédecine.
Les praticiens mettant en œuvre l’assistance médi-
L’encadrement législatif et réglementaire de l’assis- cale à la procréation doivent toujours avoir en
tance médicale à la procréation est si dense qu’il perspective qu’elle n’est jamais indispensable même
paraîtrait suffisant d’en suivre les prescriptions si les couples en font ardemment la demande. Leur
pour éviter tous les pièges, un guide des bonnes souffrance psychologique est importante et ils
pratiques ayant été élaboré sous l’autorité du sont souvent prêts à tout tenter, allant parfois
ministère de la Santé. jusqu’à attaquer en justice les médecins qui refu-
Cependant il s’agit bien sûr d’une pratique médi- sent de les prendre en charge, estimant que les
cale et aucun risque ne peut être exclu, spécifique conditions cliniques ou génétiques entraînent un
ou non à cette activité. risque médicalement inacceptable.
L’expérience française, qui remonte maintenant à Cependant ce sont plus de dix mille enfants
plus de vingt ans pour la fécondation in vitro et qui naissent chaque année en France grâce à

283
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

l­ ’assistance médicale à la procréation et dont l’état Sanctions pénales des pratiques illégales de l’as-
de santé paraît aussi satisfaisant que s’ils étaient sistance médicale à la procréation :
nés sans l’aide de la médecine. • code pénal, article 511-15 et suivants ;
• code de la santé publique, art. L. 2153-1 et
suivants.
Recensement des décisions relatives à des deman-
Dispositions législatives des de mise en œuvre d’activités biologiques et
et réglementaires cliniques d’assistance médicale à la procréation :
arrêtés ministériels publiés au JO de façon bisan-
Filiation : chapitre Ier du titre VII du livre Ier du nuelle (décembre et juin).
code civil, section 4 : De la procréation médicale- Décret no 2008-588 du 19 juin 2008 transposant
ment assistée. en matière de don de gamètes et d’assistance
Objet et mise en œuvre de l’assistance médicale à médicale à la procréation la directive 2004/23/CE
la procréation : code de la santé publique, article du Parlement européen et du Conseil du 31 mars
L. 2141 et suivants. 2004.
Procédure de consentement à l’assistance médi- À signaler également l’étude comparative des
cale à la procréation : nouveau code de procédure législations européennes par le Service Juridique
civile, article 1157-2 et suivants. du Sénat parue en janvier 2009.

Les diagnostics prénataux : problème éthique


ou médico-legal ?
D. Pellerin

Lorsque la loi « relative à l’interruption volon-


taire de grossesse » qu’avait préparée Michel
La révolution de l’échographie
Poniatowski, alors Ministre de la santé (1972–
Dans la décennie qui suivit, les progrès de l’écho-
1974), fut présentée au Parlement par Simone
graphie ont été considérables. Ils ont d’abord per-
Veil et adoptée (Loi75-17 du 17 janvier 1975),
mis l’observation par les ultrasons de la
l’idée même que l’on puisse grâce aux ultrasons
morphologie du fœtus, le diagnostic de son sexe et
observer un foetus dans l’utérus maternel,
l’évolution de sa croissance. L’échographe avait
n’était alors qu’un objet d’actives recherches,
remplacé le mètre à ruban de la sage-femme grâce
totalement ignorées du grand public. C’est dire
auquel elle surveillait le développement du bébé
que l’objet de la loi était de respecter la liberté de
dans « le sein maternel ».
la femme dans son choix de poursuivre ou non
une grossesse débutante, sans qu’aucune réfé- Bientôt les progrès techniques de l’imagerie elle-
rence à la « qualité » de l’enfant conçu inter- même allaient permettait d’observer avec une
vienne dans la décision de le garder ou non. La extrême précision la formation, la croissance et
loi prévoyait d’ailleurs que la décision de la femme même la fonction débutante des organes vitaux du
soit encadrée par une écoute et ne soit prise bébé. Le développement cranio-cérébral, la fonc-
qu’après un temps de réflexion. Parallèlement à la tion cardiaque, le tube digestif, l’appareil urinaire.
dépénalisation de l’avortement dans les condi- Dès 1991 il était admis que « l’échographie et les
tions qu’elle précisait, la loi formulait clairement investigations complémentaires qu’elle suggère et
« l’I.V.G n’est pas un moyen de régulation des oriente, permettent de diagnostiquer presque tou-
­naissances » [1] tes les malformations internes et externes du

284
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

fœtus » (2). Depuis lors les progrès constants de la ment à la naissance. L’information claire et pré-
génétique et de la biologie moléculaire ont encore cise des parents après qu’ont été recueillis tous les
élargi la possibilité d’investigations complémen- éléments de certitude du diagnostic leur permet
taires par des prélèvements biologiques sur le d’exprimer leur libre demande d’une interruption
fœtus lui-même et le placenta et considérablement médicale de la grossesse.
accru les possibilités de lever les interrogations et
les impatiences de l’attente.

Entre progrès et risques :


De l’intérêt du « savoir » une pratique nouvelle, le DPI
Toute la stratégie médicale s’en est trouvée modi- Une pratique nouvelle, une étape de plus vers
fiée. Il ne s’agit plus de médecine ou de chirurgie l’identification d’une anomalie incurable a été
néo-natale mais de diagnostic prénatal voire ouverte par la pratique dite du Diagnostic préim-
même de médecine fœtale (3). plantatoire (DPI).
Savoir permet de rassurer : lorsque les investiga- La loi de 2004 [10] prévoit que le diagnostic biolo-
tions anténatales apportent la preuve que le bébé gique effectué à partir de cellules prélevées sur
est normal. Il en est ainsi tout particulièrement l’embryon in vitro peut être autorisé, à titre expé-
lorsque l’on peut avec certitude dire que le bébé rimental dans des indications très restrictives
est indemne du gène de l’anomalie transmissible qu’elle précise, communément désignées « double
dont les parents, à juste titre redoutaient que ce tri DPI-HLA ».
bébé attendu soit lui aussi atteint. Aspect positif Il s’agit d’identifier sur des embryons obtenus par
aussi du diagnostic prénatal (DPN), lorsqu’est fécondation in vitro, celui ou ceux qui sont ou ne
identifiée une malformation connue qui ne met sont pas porteurs de la tare dont on sait que le
pas en péril, du moins à l’instant, le déroulement couple est porteur, comme l’atteste souvent
de la grossesse, qui n’est pas un risque pour la encore la naissance préalable d’un enfant atteint
maman et qui pourra être traitée chirurgicale- d’une maladie génétique ayant entraîné la mort
ment, parfois même dès la naissance. dès les premières années de la vie et reconnue
Savoir permet de se préparer à mieux soigner : comme incurable au moment du diagnostic.
l’identification prénatale de certaines anomalies Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de
permet de modifier certaines attitudes de façon rechercher cette affection ainsi que les moyens de
très bénéfique pour le bébé, permettant de pren- la prévenir et de la traiter. Ce second objectif, thé-
dre toutes les dispositions propres à réduire les rapeutique, visant l’embryon lui-même, n’est
conséquences de l’anomalie décelée sur le déve- autorisé que si le pronostic vital de cet enfant peut
loppement et la croissance intra-utérine du fœtus être amélioré, de façon décisive, par l’application
et par là à optimiser la qualité et la sécurité de la sur celui-ci d’une thérapeutique ne portant pas
prise en charge post-natale d’une anomalie atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant né du
curable. transfert d’embryon in utero.
Savoir peut conduire aussi à éviter des interven- Une nouvelle indication possible, mais inatten-
tions inutiles : l’échographie désormais inscrite due, allait apparaître, avec une autre finalité : per-
dans la surveillance de toute grossesse peut en mettre à un couple dont un enfant est vivant,
effet révéler ou faire suspecter une anomalie que atteint de la maladie familiale (en l’occurrence la
rien ne permettait de soupçonner ou de prévoir. maladie de Fanconi), hier encore constamment
L’identification de certaines situations réellement mortelle et aujourd’hui en voie de devenir dura-
incurables, relevant le plus souvent d’anomalies blement contrôlable par la greffe de moelle, de
chromosomiques sévères, a aujourd’hui apporté programmer la conception d’un enfant par fécon-
l’explication du taux élevé de mortalité d’inter- dation in vitro (FIV) sous contrôle d’un diagnos-
ventions néonatales très précoces qu’imposait tic pré implantatoire (DIP). On connaît la très
avant le DPN la situation du bébé révélée seule- difficile utilisation de la greffe de moelle en pareil

285
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

cas du fait de la rareté des comptabilités H.L.A. noncés contre cette extension. La loi a confié à
entre donneurs et receveurs. La greffe de moelle l’Agence de biomédecine la mission de donner les
est pratiquement impossible en dehors de la seule autorisations de cette pratique du DPI à des cen-
fratrie, à condition, bien évidemment, que l’en- tres en nombre très réduit et strictement encadrés
fant, frère ou sœur du petit malade, ne soit pas lui- et contrôlés (actuellement 5 dont seuls 3 sont réel-
même porteur « sain » de la mutation génétique. lement en fonction). Il est à souhaiter que le légis-
L’enfant ainsi conçu par F.I.V + D.P.I. aura vrai- lateur sache résister à la pression émotionnelle
ment mission d’être « l’enfant médicament ». Dans inconsidérée qu’entretiennent désormais les offres
son avis no 72, du 4 -07-2002 le Comité consultatif sur Internet et l’écho médiatique qui entoure ces
national d’éthique (CCNE) avait souligné la com- pratiques heureusement interdites en France.
plexité de cette situation. Elle impose l’interroga-
tion éthique quant au devenir des autres embryons
reconnu sains qui ne seront pas transférés in Hélas ! Savoir a conduit
utero, en somme excédentaires, inutilisés. Mais
comporte le risque de dérive vers la réédification
à revendiquer
de l’enfant, l’enfant médicament. Le C.C.N.E a
Une attitude de consumérisme à laquelle incite la
très justement souhaité que soit bien affirmé que
notion revendiquée de l’autonomie de la personne
l’enfant ainsi conçu serait bien accueilli pour lui-
tend à établir une nouvelle relation entre patient
même et pas seulement pour la part qu’il pren-
et médecin. Si la notion de « l’enfant si je veux » est
drait des années durant au traitement de sa sœur
la conséquence logique et attendue des méthodes
ou son frère malade. Il faut rappeler que cette
de contraception, il était inévitable que s’exprime
sélection de l’enfant médicament porte essentiel-
ensuite « l’enfant quand je le veux » bientôt suivi
lement sur la compatibilité dans le système HLA.
de « l’enfant comme je le veux », c’est-à-dire beau
Cinq ans plus tard, les initiateurs de cette méthode et indemne de toute imperfection.
semblent disposer à admettre que cette compati-
bilité HLA n’est plus aussi essentielle qu’on le pen-
sait et que les cellules souches du sang du cordon,
La loi reconnaît expressément
encore plus totipotentes, pourraient sans doute le droit des malades [4]
avoir une utilisation aussi efficace sans qu’il soit
Le consentement aux soins proposés à valeur de
nécessaire de recourir à ce tri d’embryons.
contrat [5]. Il est permis de se poser la question de
Comme il fallait s’y attendre, s’est fait jour la savoir si ce texte qui porte sur le droit des malades
revendication d’étendre le DPI à d’autres situa- doit s appliquer à la femme enceinte. La grossesse
tions à risque. Dépassant le cadre des quelques serait-elle devenue une maladie ? On pourrait le
maladies génétiques réellement incompatibles penser à en juger par la médicalisation croissante
avec la vie elle porte maintenant sur la possibilité qui entoure désormais cet événement naturel. En
d’user du DPI pour identifier certaines maladies fait dès lors que la contraception est prise en
ou situations qui ne se révéleront que beaucoup charge par l’assurance maladie et vu le nombre de
plus tard dans la vie, chez des sujets porteurs du procréations médicalement assistées, la revendi-
« gène de prédisposition ». Il peut en être ainsi de cation de résultat trouve bien sa place dans notre
certains cancers du sein, du colon… et même de société « d’assistance ». On peut également faire
certaines formes de maladie d’Alzheimer, tous remarquer que l’enfant n’est pas un produit de
rares il est vrai. L’usage prédictif du DPI ouvrirait consommation comme un autre !
à l’évidence la voie à l’eugénisme individuel.
En aucun cas il ne pourra être retourné au fabri-
Que dire alors de son usage pour l’identification du cant comme non conforme à la commande pas-
sexe ou de tout autre caractéristique génétique ! sée. Sans doute, mais puisque l’on peut toujours
Dans le cadre de la préparation à la révision de la en « commander » un autre, pourquoi garder
loi de bioéthique de 2004, qui doit intervenir au celui-ci ? Ainsi s’est exprimé plus ou moins ouver-
délai de cinq ans, le Conseil d’orientation de tement le désir de savoir, non pas pour soigner,
l’Agence de biomédecine et l’Office parlementaire mais pour choisir… et éviter. Pour prévenir trop
des choix scientifiques et techniques se sont pro- de dérives ont été inscrites dans le code de la santé

286
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

publique [6] les conditions d’accès à ce que l’on tion personnelle concernant sa sérologie vis-à-vis
appelait « interruption thérapeutique de grossesse » de la rubéole. Mais on ne pouvait contester que la
terme justifié puisqu’il s’agissait de traiter l’état contamination du bébé conçu précédemment
gravissime de la mère, Le terme de « thérapeuti- tandis que la petite sœur avait la rubéole, était
que » ne peut à l’évidence s’appliquer à un fœtus bien antérieure aux investigations prescrites sur la
dès lors qu’il s’agit d’interrompre sa vie. Le terme maman dès lors qu’elle réalisa qu’elle était enceinte.
« interruption médicale de grossesse » lui est Le mal était fait. Les effets du virus de la rubéole
aujourd’hui substitué. Le terme n’est pas meilleur sont immédiats et maximums aux phases initiales
parce que ce ne peut être au médecin de décider du développement de l’embryon notamment
d’un arrêt de vie. Cette possibilité s’inscrit dans la jusqu’à la 11e semaine d’aménorrhée. La faute
droite ligne de la liberté de décision donnée par la médicale reconnue vis-à-vis de la mère, n’avait
loi de 1975 : liberté de choix devenue « droit » dans aucun lien « médical » de causalité avec le lourd
les limites des douze premières semaines de gros- handicap de l’enfant. On sait les vives réactions
sesse par la loi du 4-07-2001 [7], liberté de choix des médecins obstétriciens et échographistes,
éclairée au-delà, par les informations données mais aussi des nombreux et courageux parents
par la Commission multidisciplinaire de diag­ d’enfants handicapés à l’énoncé de la nature du
nostic prénatal prévue règlementairement. Cette préjudice retenu par la haute juridiction : celui
procédure se justifie totalement. Elle permet d’être né handicapé, plutôt que de n’être pas né.
d’éviter que soient exprimées des affirmations Y aurait-il donc un préjudice de vivre ?
hâtives dangereusement rassurantes ou inutile- On sait que les réactions furent vives. Sur saisine
ment inquiétantes. du Ministre de l’emploi et de la solidarité, le
Comite Consultatif National d’Ethique présenta
La revendication indemnitaire un avis (9) observant le risque de la pression « nor-
mative » exercée sur les spécialistes du diagnostic
L’affaire Perruche [8] restera dans l’histoire du prénatal et les répercussions que risquait d’avoir
diagnostic prénatal comme l’exemple même de la sur la pratique tellement positive du DPN la
dérive sécuritaire et de son corollaire la dérive de reconnaissance d’un « droit à ne pas naître handi-
la revendication indemnitaire. Elle illustre par capé ». Parallèlement cet avis rappelait « le devoir
ailleurs l’incompréhension par beaucoup des impérieux de solidarité, devoir social (qui) doit
limites du « possible » en médecine et de l’absence s’appliquer sans distinction à ceux qui en ont besoin
de risque zéro, fruit de la médiatisation de proues- sans préjudice des circonstances à l’origine du han-
ses techniques ou de promesses encore lointaines, dicap » Il ajoutait : « la reconnaissance d’un droit
voire illusoires. Inspiré par la juste émotion que de l’enfant à ne pas naître dans certaines condi-
suscite la situation de parents d’un enfant présen- tions apparaîtrait hautement discutable sur le plan
tant un lourd handicap mental et physique et l’an- du droit, inutile pour assurer l’avenir matériel des
goisse pour son avenir, l’arrêt du 20 novembre personnes souffrant de handicaps congénitaux, et
2000 de la Cour de Cassation, dit arrêt Perruche, redoutable sur le plan éthique ».
visait, semble-t-il, à apporter au jeune homme
handicapé l’assurance de ressources d’existence
durables. Ce faisant il soulignait la carence de la
société tout entière dans la prise en charge des Une situation clarifiée
plus faibles de ses membres. Il se peut que cette
décision ait été décisive pour susciter une saine Les situations de conflit qui peuvent résulter de la
réflexion collective. La nouvelle loi sur le handi- pratique du D.P.N ont été clarifiées. La loi du
cap, incluant la notion de compensation personna- 4 mars 2002 a inscrit à l’article 1er de son Titre I :
lisée, semble en être la preuve [11]. Plus contestable « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul
fut l’identification, du préjudice indemnisable et fait de sa naissance.
du responsable du dit préjudice, On se souvient La personne née avec un handicap dû à une faute
que la mère de l’enfant avait déjà été indemnisée médicale peut obtenir la réparation de son préju-
pour la faute reconnue de son médecin et du labo- dice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le
ratoire de biologie dans l’appréciation de sa situa- handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de

287
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. Celle-ci confirmera ou non l’identification d’une
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou anomalie de morphologie du fœtus. C’est dans ces
d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis étapes que s’impose à tous les acteurs une réelle
des parents d’un enfant né avec un handicap non attitude « éthique ».
décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute Elle implique de ne pas s’associer à l’obsession de
caractérisée, les parents peuvent demander une l’enfant parfait, quand l’anomalie décelée est
indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce pré- minime et connue comme parfaitement et défini-
judice, ne saurait inclure les charges particulières tivement curable par les techniques actuelles de la
découlant, tout au long de 1a vie de l’enfant, de ce chirurgie pédiatrique. Il convient dans de tels cas
handicap. La compensation de ce dernier relève d’apporter sereinement et clairement toutes les
de la solidarité nationale ». informations en évitant toujours tout commen-
Aucun praticien ne peut être exonéré de sa res- taire superflu ou toute attitude susceptible d’in-
ponsabilité propre dans l’exercice de son activité. fluencer la décision des parents, et à tout le moins
Cette donnée s’applique ici, chacun en ce qui le de la mère. À ce stade initial, et jusqu’à la quator-
concerne, aux membres de l’équipe qui contribue zième semaine d’aménorrhée (arrêt des règles)
à l’établissement d’un diagnostic prénatal. Les c’est à elle seule qu’appartient le choix de poursui-
articles 1382 et 1383 du code civil sont applicables vre sa grossesse ou de l’interrompre.
à tout citoyen. Il est des situations plus complexes où l’anomalie
Mais aussi, il doit être bien admis que le médecin de la morphologique ou du développement du
s’il est tenu à une obligation de moyen ne peut être fœtus impose une série d’investigations plus com-
tenu à une obligation de résultats. Si les techni- plexes qui font appel aux techniques de la cytogé-
ques de DPN ont fait d’énormes progrès, elles ne nétique et de la biologie moléculaires. L’attitude
sont pas sans limites. Aucun test n’est absolu (cha- éthique qui s’impose alors est ici encore la totale
cun comporte un taux non négligeable de faux transparence et le souci d’apporter une informa-
positifs et de faux négatifs), ni même sans risque tion compréhensible pour les parents justement
(on connaît le taux d’interruption de la grossesse préoccupés bien au-delà de leur revendication ini-
après amniocentèse). Enfin rappeler que « le ris- tiale d’un enfant « beau et bien portant ». Ce n’est
que zéro » n’existe pas en médecine n’est pas un pas au médecin à dire qui doit vivre ou ne pas
slogan de prudence mais une réalité scientifique- vivre. Mais il se doit d’indiquer tout ce que l’on
ment établie. sait « en l’état actuel des connaissances » sur les
manifestations, le handicap connu et inévitable et
ses conséquences en terme de qualité de vie, de
Conclusion traitement possible, de devenir. Ici encore, il faut
savoir informer pour nourrir la réflexion et la
décision qui n’appartient pas aux médecins. Savoir
Un authentique problème éthique.
et dire que dans des circonstances identiques, des
Les possibilités offertes par les techniques familles, en pleine connaissance de cause, ont fait
aujourd’hui très performantes de l’imagerie, ont le choix de garder l’enfant. Rappeler le devoir de
fait de l’échographie anténatale un mode obliga- solidarité de la société face à une personne handi-
toire de surveillance de toute grossesse. capée. Mais se montrer aussi réceptif au souhait
Les informations qu’elles révèlent peuvent appor- de ne pas poursuivre une grossesse dont les consé-
ter au couple de plus en plus avide de sécurité des quences sont estimées trop lourdes pour une
arguments pour refuser l’enfant dès lors qu’ils famille mais aussi trop éprouvantes pour l’enfant.
ne peuvent être assurés de sa parfaite normalité. Cette possibilité inscrite dans la loi de bioéthique
Il convient donc pour le praticien de s’abstenir de 1994 visait les situations dont les conséquences
de toute interprétation personnelle hâtive et, sont d’une « particulière gravité ». Elles peuvent
après avoir clairement expliqué aux parents sa justifier une interruption même tardive de la gros-
propre incertitude, de les orienter sans tarder sesse, selon des modalités que faute de mieux on
vers une équipe multidisciplinaire de diagnostic qualifie de « médicale » après l’avoir trop long-
anténatal. temps appelée « thérapeutique ». La gravité de cet

288
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

acte est tel qu’il impose à l’équipe médicale d’en- espoirs encore lointains placés dans la thérapie
tourer les parents d’une écoute et d’une attention génique comme dans certaines actions instru-
toute particulière dans ce qu’il faut bien appeler mentales directes, à nouveau et depuis peu envi-
son deuil. La vision répétée du fœtus, observé sur sagées sur le fœtus in utero, apporteraient la
l’écran de l’échographe lui a donné chemin faisant possibilité de corriger un grand nombre des ano-
une telle réalité de son existence que sa mort prend malies aujourd’hui identifiées par le diagnostic
une signification tout autre que le seul abandon prénatal.
d’un espoir ou le soulagement d’une angoisse.
Il n’y a dans toute cette démarche aucune place Bibliographie
pour le « médico-légal » autre que celle qui concerne
[1] Code pénal – art. 2214–2.
dans toute pratique médicale, comme dans toute
autre activité, la faute professionnelle. [2] Henrion R. Le diagnostic anténatal et après ? Table
ronde. 3e Congrès international d’Éthique médicale
Le titre I de la loi du 4 mars 2002 a clairement pré- de l’Ordre national des médecins. Paris 09/03/1991.
cisé que le médecin ne saurait être tenu pour res- [3] Pellerin D. Chirurgie des malformations congéni-
ponsable de la naissance d’un enfant porteur tales, de l’éthique à l’économie. Bull. Acad. Natle.
d’une malformation ou d’un handicap potentiel. Mde., 1986, 170, 7, 895–905.
Tenu à une obligation de moyens, il ne saurait, si [4] Loi no 2002–303 du 4 mars 2002.
celle-ci a été respectée, être déclaré responsable [5] Arrêt du 25 février 1997. Civ I, bull. no 75 ; Rapport
d’avoir méconnu telle ou telle anomalie mineure Ann. C. Cass 1997, p. 271.
réellement difficilement identifiable. Il ne saurait [6] Code de la santé publique – art. L. 2211–1 à L. 2223–2.
non plus être tenu pour responsable d’une inter- [7] Loi 2001–588 du 4 juillet 2001.
ruption de la grossesse survenue suite à une [8] Cour de cassation, Civ.1 Arrêt du 20 novembre
amniocentèse ou tout autre prélèvement qui était 2000.
nécessaire à la démarche diagnostique. Mais il [9] Handicaps congénitaux et préjudice – Avis no 68 –
faut souligner le niveau élevé de compétences que Comité Consultatif national d’éthique. Les cahiers
requiert aujourd’hui l’exercice de cette médecine du C.C.N.E. no 29, 2001–4-11.
fœtale, de diagnostic et même de thérapeutique, [10] Loi no 2004–800 du 6 août 2004 relative à la
tout en reconnaissant qu’elle est encore très sou- Bioéthique.
vent incapable de guérir, quand bien même les [11] Loi 2005–102 du 11 février 2005.

Acharnement thérapeutique et euthanasie :


problème éthique ou pénal ?
D. Pellerin

Le Code de Déontologie Médicale formule en son


article 37 : « L’acharnement déraisonnable pour-
Acharnement et obstination
suivi au-delà de tout espoir doit laisser la place à
Le devoir de soigner du médecin lui impose d’ap-
l’apaisement des souffrances qui reste le devoir du
porter au malade qui s’est confié à lui les meilleurs
médecin » [1]
soins possibles20, Il doit s’acharner et ne rien négli-
Commentant cet article, Louis René [2] a très jus- ger pour lui permettre de guérir par les meilleures
tement introduit ave le mot « obstination » une thérapeutiques validées appropriées. Mais vouloir
définition sans ambiguïté : « L’acharnement théra-
peutique se définit comme une obstination dérai-
sonnable refusant par un raisonnement buté de 20 Les questions posées par la réanimation du nou-
reconnaître qu’un homme est voué à la mort et n’est veau-né en état de détresse vitale ne sont pas abor-
pas curable ». dées ici [3].

289
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

poursuivre des soins à visée curatrice alors même


que tout espoir de retour du malade à une situa-
Le sens des mots
tion normale, la guérison, est devenue vaine et
Certes, le refus de tout acharnement thérapeuti-
que la mort très prochaine est devenue inéluctable
que peut hâter l’instant de la mort. Il implique par
est une « l’obstination déraisonnable ».
définition l’acceptation du risque consécutif au
Elle ne met pas pour autant un terme au contrat traitement de la douleur comme à ceux de l’arrêt
moral qui lie le médecin et le malade. des traitements en cours. Les soins palliatifs mis
Le devoir du médecin et son action change seule- en œuvre visent à lutter de façon responsable
ment de nature et de finalité. Il doit alors s’efforcer contre la souffrance physique et psychique. Ils ne
de soulager les souffrances de son malade, de lui cherchent pas à tuer, et, si la mort survient dans la
apporter soins de confort, apaisement moral et paix, elle survient à l’heure qu’elle a choisie.
accompagnement par une présence discrète et On ne saurait voir là un acte d’euthanasie qui,
réconfortante. Le « droit à l’accès aux soins palliatifs » rappelons-le, consiste à donner la mort à une per-
est aujourd’hui inscrit dans la loi de juin 1999. [4] sonne qui n’est pas parvenue au terme inéluctable
Dans son avis no 53 du 27 janvier 2000 le Comité de sa vie.
National Consultatif d’Éthique (C.C.N.E) fait une La confusion à dessein entretenue entre euthana-
analyse très approfondie de la notion d’acharne- sie active et euthanasie passive doit être dénoncée
ment thérapeutique appuyée part de nombreuses et refusée.
références françaises et étrangères [5]. Il reconnaît
En pratique, les situations pour lesquelles se pose
qu’il peut être pénible aux soignants de renoncer à
la question de l’acharnement thérapeutique sont
s’efforcer de guérir pour passer aux soins pallia-
diverses. Les exemples souvent choisis pour faire
tifs. Il en appelle à tout faire pour ne pas entrer
valoir les points de vue engendrent la confusion.
dans le cercle vicieux d’un acharnement théra-
Bien qu’il puisse être également contestable de
peutique qui ferait prévaloir le fonctionnement du
schématiser à l’extrême des situations toujours
système de soins sur le respect de la personne.
singulières, comme l’est la personne humaine,
Cela le conduit à formuler avec force que « le refus quelques situations type peuvent être distinguées
de l’acharnement thérapeutique ne saurait être pour aider à la compréhension du problème et aux
condamné sur le plan éthique ». Ainsi on pourrait questionnements éthiques qu’il induit.
s’étonner que persistent tant d’incompréhensions
sur le terme même d’acharnement thérapeutique.
Cette confusion est entretenue par les adeptes de
l’euthanasie, notamment les associations qui mili-
La fin de vie de la personne
tent pour le « droit » à mourir dans la dignité. Pour très agée et dépendante
eux la vie est essentiellement un vécu et ressortit à
un ordre symbolique. L’individu est seul juge de la Une personne très âgée, souffrant d’une poly
qualité de sa vie et de sa dignité. La dignité est une pathologie ayant entraîné pour elle, souvent depuis
convenance envers soi que nul ne peut interpréter. longtemps déjà une situation de dépendance, sou-
Elle relève de la liberté de chacun. De ce fait la vent d’autant plus lourde qu’elle s’accompagne
demande d’assistance à une délivrance douce est d’un déficit cognitif profond, est à proprement
pleinement un acte « culturel ». Pour les tenants de parler incurable. Le refus de tout acharnement
cette revendication, l’arrêt de soins à visée cura- thérapeutique s’impose. Les soins de confort et
trice dès lors qu’ils seraient obstination, devrait surtout l’accompagnement doivent être poursuivis
conduire le patient, s’il en a la capacité d’expres- jusqu’au terme très proche de sa vie qui s’achève.
sion ou s’il en a clairement manifesté antérieure- Dans le cadre actuel de notre législation, inter-
ment la volonté, à pouvoir exiger que soit mis un rompre volontairement cette vie par une eutha­
terme à sa vie par un geste d’euthanasie active, ou nasie active relève de la juridiction pénale.
par l’aide apportée à son suicide. En regard de Puisqu’inévitable­ment préméditée, elle est quali-
cette attitude, la déontologie médicale exige du fiée d’assassinat. C’est essentiellement ce cas de
médecin le respect absolu de son devoir : ne jamais figure qui fait l’objet par certains de la revendica-
donner la mort [6]. tion d’une dépénalisation.

290
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

L’évolution terminale des transférés aux urgences hospitalières en état


très grave y sont pris en charge dans l’ignorance
d’une maladie généralisée de leur dossier médical complet, mais aussi de
leur volonté expressément formulée de ne pas être
Quel que soit l’âge de la personne atteinte d’une réanimés si survenait telle rechute ou telle compli-
pathologie cancéreuse (ou toute autre pathologie cation redoutée.
de même gravité), les manifestations de sa mala- Si dans l’ignorance de ces informations, la mise
die parvenue à un stade de généralisation irréver- en œuvre d’une réanimation est souvent justifiée,
sible sont généralement marquées par de très vives la décision de l’interrompre se posera très rapide-
douleurs, insupportables. Le refus d’acharnement ment devant l’intensité et l’irréversibilité des
thérapeutique s’impose. Les soins palliatifs doi- défaillances organiques identifiées. Selon une très
vent être mis en œuvre, visant prioritairement à sérieuse étude de la Société Française d’Anesthé-
soulager les douleurs et permettre que la vie – sie et Réanimation, ces situations représentent
irrémédiablement parvenue à son terme du fait de près de 70 % des décès survenant dans les unités
la maladie – puisse s’achever dans la paix. Même de réanimation. L’exploitation abusive de ces chif-
si, du fait de l’intensité du traitement contre la fres par les demandeurs d’une dépénalisation doit
douleur nécessaire à la sédation de la personne, la être fermement dénoncée. Loin d’être la démons-
mort survient quelques heures ou quelques jours tration de la pratique quotidienne de l’euthanasie
plus tôt qu’il en eut été par l’évolution spontanée dans nos hôpitaux, ces faits illustrent la conscience
de la maladie et son cortège de douleurs atroces, qu’ont les équipes de réanimation des limites de
on ne saurait accepter ici l’assimilation à une leur capacité à guérir des situations dépassées. Ils
euthanasie (fût-elle qualifiée de passive). témoignent par là du sens des responsabilités qui
les anime en dépit de la pression de la société pour
exiger d’eux que la technique médicale repousse
Le refus par l’équipe médicale la réalité de la mort.
d’un objectif déraisonnable
Quel que soit l’âge d’un patient, le refus de l’achar-
nement thérapeutique peut se traduire par le refus
Une clarification opportune
d’une équipe médicale de mettre en route une thé- La survenue depuis 1996 des affaires Christine M.
rapeutique active, lourde, génératrice de souffran- (Cour d’Assises de Versailles, 31-01-2003) et
ces, manifestement disproportionnée avec la Vincent H. (2003), bien que distinctes dans leurs
situation réelle de la personne, dans l’ambition de attendus et les décisions juridiques auxquelles
passer outre à un objectif irréaliste. L’abstention elles ont donné lieu et l’exploitation médiatique
de tout geste « futile » (disent les Anglo-Saxons), qui en a été faite par les partisans d’une dépéna-
c’est-à-dire inutile, est ici la marque d’un réel res- lisation de l’euthanasie, a conduit le Parlement à
pect de la personne. ne plus refuser d’ouvrir la réflexion sur ces situa-
Il en est de même lorsque, dans une unité de réa- tions toujours douloureuses. La loi no 2005-270
nimation, est mis en œuvre l’arrêt d’une assistance du 22 mars 2005 relative aux droits des malades
respiratoire ou circulatoire. Une telle décision est et à la fin de vie [8] dite Loi Léonetti apporte une
toujours difficile à prendre. Elle est toujours pré- précieuse clarification juridique. Elle est une
cédée d’une difficile réflexion dans une grande réponse courageuse, mesurée et respectueuse
tension éthique au sein de l’équipe médicale et des choix individuels formulés dans les situa-
soignante. Accepter d’arrêter une procédure de tions toujours uniques et si éprouvantes de la fin
réanimation signifie que l’on a reconnu la vanité de vie.
et par là même la réalité de la mort si imminente La loi est parfaitement adaptée à la réalité des
qu’elle survient dès après l’arrêt des mécanismes situations difficiles que sont les fins de vie de la
techniques de cette assistance. personne très âgée et dépendante et – indépen-
Ces situations sont très fréquentes dans les servi- damment de l’âge du malade – celles de l’évolu-
ces de réanimation des hôpitaux. Bien des mala- tion terminale d’une maladie devenue incurable.

291
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Elle apporte avec réalisme une réponse légale aux Tel était le cas de Vincent Humbert. Certes, le fait
questionnements éthiques prégnants des méde- de ne devoir sa survie qu’à une alimentation, par
cins qui ont la charge de ces personnes [9]. La loi ailleurs normale, par la voie d’une sonde dans l’es-
stipule en son article Ier que les « actes [médicaux] tomac relève d’une technique médicale. Du moins,
ne doivent pas être poursuivis par une obstination était-il bien vivant. Il aime rire et écouter de la
déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, musique, déclara sa Mère qui ajouta, il a perçu le
disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le poids qu’il représentait pour les siens notamment
seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être pour sa Maman.
suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le Néanmoins avec l’aide de sa rééducatrice, il avait
médecin sauvegarde la dignité du mourant et pu écrire au Président de la République une lettre
assure la qualité de sa vie en dispensant les soins sensible, parfaitement rédigée et argumentée et,
[palliatifs] visés à l’article L. 1110-1 [du code de la plus encore, un livre qui fut publié le jour même
santé publique] ». où sa mère tentait de mettre un terme à sa vie dans
L’article 2 indique « Si le médecin constate qu’il ne un acte revendiqué d’euthanasie active.
peut soulager la souffrance d’une personne… Le questionnement éthique surgit aussitôt : la
qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir demande formulée n’est-elle pas ressentie et expri-
pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en mée plus pour son entourage que par la personne
informer le malade… ». Les modalités de cette elle-même et relayée par ceux qu’il voudrait
démarche sont précisées, notamment lorsque la épargner ?
personne est hors d’état d’exprimer sa volonté
Il n’est pas étonnant alors que les partisans de
(article 5).
l’euthanasie soient revenus à la charge de diverses
Bien en conformité avec la loi de 2002 [7] sur les façons, dénonçant l’insuffisance de la loi.
droits du malade, l’article 6 envisage le cas où
Pour de nombreux médecins persiste le question-
« une personne, en phase avancée ou terminale
nement éthique. L’ablation de la sonde gastrique
d’une affection grave et incurable, quelle qu’en
que la loi autorise – dans les conditions qu’elle
soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout
précise – et la mort qui va s’en suivre par déshy-
traitement » elle indique alors que « le médecin
dratation et dénutrition sont-ils différents d’un
respecte sa volonté après l’avoir informée des
geste d’euthanasie active qu’ils récusent ?
conséquences de son choix. La décision du malade
est inscrite dans son dossier médical. ». En y associant les soins d’accompagnement et
d’apaisement, la loi les invite à voir dans leur geste
Dans l’esprit du législateur, la loi devrait permet-
une attitude – justifiée – de refus d’acharnement
tre de clore les incompréhensions et les discus-
thérapeutique. Des patients, notamment des jeu-
sions sur l’acharnement thérapeutique, Elle avait
nes victimes d’accidents de la circulation, souf-
l’ambition de répondre à toutes les situations à
frant comme Vincent de séquelles graves,
propos desquelles le droit à l’euthanasie est par
hospitalisés dans le même établissement que lui,
certains revendiqué avec insistance. On peut
et le personnel qui s’y dévoue n’ont pas manqué
regretter qu’elle n’ait pas retenu la distinction faite
d’exprimer leur inquiétude.
par le C.C.N.E. [5] entre les deux situations « Fin
de vie » et « Arrêt de vie ». Dans cette dernière, la La distinction reste étroite et subtile entre cette fin
vie n’est pas arrivée à son terme naturel, mais elle de vie revendiquée et légitimement accordée et
ne se poursuit que grâce à l’utilisation d’un dispo- l’aide médicale au suicide, qui demeure très juste-
sitif médical. On ne peut nier que ce soit une ment une transgression relevant du Code pénal.
situation extrêmement éprouvante qui puisse aller
qu’à conduire à l’expression de « la volonté de la
personne […] de limiter ou d’arrêter tout traite-
ment de son affection grave et incurable, quelle
Conclusion
qu’en soit la cause ». L’acharnement thérapeutique témoigne d’une
Cependant ce n’est pas là une phase avancée ou obstination déraisonnable vis-à-vis d’une per-
terminale comme le mentionne expressément sonne parvenue au terme de sa vie du fait de son
l’article 6 de loi. âge, d’une maladie ou de toute autre circonstance.

292
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

L’Éthique et le Droit s’accordent pour reconnaître Bibliographie


au médecin, dans des circonstances bien identi-
fiées et selon des modalités bien précises, le droit [1] Code de Déontologie médicale, Ordre National des
médecins, 1995.
de refuser de poursuivre ou d’entreprendre des
soins à visée curative. Dès lors, avec l’assentiment [2] René L. Commentaire du Code de déontologie médi-
cale, préface de Ricoeur P. Ordre national des méde-
du patient, il se doit de mettre en œuvre des soins cins. 1995.
palliatifs et d’accompagnement jusqu’au terme de
[3] Comité Consultatif National d’Ethique, Réflexions
sa vie [7-8]. éthiques autour de la réanimation néonatale. Rapport
Désormais la loi impose au médecin de respecter no 65, 124, septembre 2000.
la volonté de la personne, en phase avancée ou ter- [4] Loi no 99–477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit
minale d’une affection grave et incurable de limi- à l’accès aux soins palliatifs.
ter ou d’arrêter tout traitement. Le médecin est [5] Comité Consultatif National d’Ethique, Fin de vie,
tenu de l’informer des conséquences de son choix arrêt de vie, euthanasie. Rapport no 63 ; 27 janvier
2000.
De difficiles interrogations éthiques persistent
[6] ibidem 1.
quant à l’application de la loi dès lors que la per-
[7] Loi no 2002–303 du 4 mars 2002 relative aux droits
sonne n’est pas réellement parvenue au terme,
des malades et à la qualité du système de santé.
irrévocable, de sa vie. Dans certaines situations,
[8] Loi no 2005–270 du 22 mars 2005, relative aux droits
toujours uniques, la distinction peut être difficile des malades et à la fin de vie.
avec une demande d’aide médicale au suicide.
[9] Pellerin D. Communiqué sur l’euthanasie. Bull.
Celle-ci demeure très justement une transgression Acad. Natle. Méd. 188- 2006, no 1, 239–252.
relevant du Code pénal.

La recherche sur les cellules souches humaines

Problèmes scientifiques, éthiques, philosophiques et de droit


D. Pellerin

Les progrès continus observés dans la connais- bilités ouvertes en ce domaine de recherches
sance des mécanismes de la procréation humaine étaient en elles-mêmes illimitées. Ainsi naquit le
n’ont cessé, depuis une trentaine d’années, de Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)
générer des problèmes éthiques et juridiques. Il créé en 1983 par décret du Président de la
est peu de domaines où s’illustre mieux la diffi- République [1]. Il lui donnait « mission de donner
culté de concilier en temps réel l’éthique et le son avis sur les problèmes moraux qui sont soule-
droit. vés par la recherche dans le domaine de la biolo-
Il faut rappeler que les difficultés enfin surmon- gie, de la médecine et de la santé, que ces problèmes
tées de la fécondation in vitro et – pour ce qui est concernent l’homme, des groupes sociaux ou la
de la France – la naissance en 1974 du « premier société tout entière ». La même année par un vote
bébé-éprouvette » avaient ouvert un domaine unanime du parlement était créé un office parle-
jusqu’alors inconnu. Il s’agissait d’un événement mentaire des choix scientifiques et technologiques
non seulement scientifique mais de société dont on traduisant l’inquiétude des milieux politiques et
ne pouvait alors discerner ce que pourraient en scientifiques, en tous domaines, et souhaitant
être les conséquences. Les scientifiques eux- mettre en place des mécanismes permettant de
mêmes s’en inquiétèrent en souhaitant que l’in- maîtriser le cours des progrès techniques en anti-
tervention du législateur détermine les limites à cipant ses conséquences [2]. Le Conseil d’État
ne pas franchir tant il semblait déjà que les possi- fut invité à une réflexion identique. Le groupe de

293
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

t­ ravail que présidait le Conseiller G. Brabant remit « potentielle » ou « en projet » (A. Kahn)22 ? Ce
en 1988 un rapport intitulé « Sciences de la vie : de questionnement éthique nouveau se trouvait alors
l’éthique au droit » [3]. Dans le même temps était amplifié par une autre interrogation soulevée par
mis en chantier un projet de loi dit « de bioéthi- les nouvelles perspectives thérapeutiques qui
que » chargé d’inscrire dans le droit ces « limites pourraient surgir si l’on pouvait passer de la
aux recherches sur l’homme » que la société sou- recherche sur les animaux de laboratoire aux
haitait voir respecter par les chercheurs21. Plusieurs recherches sur l’embryon humain. L’annonce d’un
rapports et avis du CCNE, mais aussi de parle- projet de loi de révision portant sur la recherche
mentaires, contribuèrent à l’éclairage du débat sur l’embryon humain fut faite par le Premier
[4]. Les lois du 29 juillet 1994 qui en résultèrent Ministre23 aux Journées annuelles du CCNE en
ont fait date dans la prise de conscience de la novembre 2000. Il y révélait pour la première fois
société des conséquences prévisibles de la révo­ la substance d’un projet de loi de révision de la loi
lution scientifique en cours notamment par la de 1994. Il souhaitait que s’ouvre la discussion sur
­génétique et la biologie moléculaire, aidée de l’in- le point essentiel qui y était abordé : la recherche
formatique [5-6]. Pour prévenir toute initiative sur l’embryon humain.
démesurée en matière de recherche sur l’embryon, Ce n’est finalement qu’en 2004 que fut promul-
la loi 94-654 a introduit dans le Code de la santé guée la nouvelle loi relative à la bioéthique.
un article L. 158-8 qui revenait à interdire toute
En son titre VII-1, la loi du 6 août 2004 traite des
expérimentation sur l’embryon : « … À titre
recherches sur les cellules embryonnaires issues
exceptionnel l’homme et la femme formant le
d’embryons surnuméraires et portant atteinte à
couple peuvent accepter que soient menées des
l’embryon (ce qui était formellement interdit dans
études sur leurs embryons […] ces études doivent
la loi précédente qui stipulait expressément que
avoir une finalité médicale et ne peuvent, porter
les études doivent avoir une finalité médicale et ne
atteinte à l’embryon ». Mais encore dans l’esprit de
peuvent, porter atteinte à l’embryon). On y perçoit
la loi 94-653 « relative au respect du corps
l’embarras du législateur. En effet, la loi formule à
humain », elle prévoyait que si l’accueil de l’em-
la fois une interdiction : « La recherche sur l’em-
bryon a été impossible et si la durée de sa conser-
bryon humain est interdite » et une dérogation :
vation est au moins égale à cinq ans, il est mis fin
« Par dérogation, et pour une période limitée à cinq
à cette conservation. Enfin justement inquiet du
ans, les recherches peuvent être autorisées sur l’em-
décalage manifeste entre les connaissances scien-
bryon et les cellules embryonnaires ». Des condi-
tifiques acquises et leur utilisation pratique et la
tions strictes sont mises à l’autorisation de ces
condition « statique » du droit, le législateur eut la
recherches. On peut les résumer ainsi :
sagesse d’inscrire dans la loi qu’il conviendrait de
la réviser après cinq ans [8 & 9]. Effectivement • être susceptible de permettre des progrès théra-
deux découvertes fondamentales allaient remettre peutiques majeurs pour le traitement de mala-
en question le fragile cadre législatif de 1994 : les dies particulièrement graves ou incurables, ainsi
cellules souches embryonnaires et le clonage. Elles que le traitement des affections de l’embryon ou
modifiaient profondément les bases du débat phi- du fœtus ;
losophique et éthique, et remettaient au premier • ne pas pouvoir être poursuivies par une méthode
plan la question jamais résolue de la définition et alternative d’efficacité comparable en l’état des
du statut de l’embryon. Or si, comme le prévoit connaissances scientifiques ;
expressément la constitution, le respect de la per- • ne porter que sur les embryons conçus in vitro
sonne humaine s’impose à toute personne dans le cadre d’une AMP ;
humaine, s’impose-t-il à une personne humaine
• que ces embryons ne fassent plus l’objet d’un
projet parental, par un consentement écrit pré­
21 Nous n’abordons pas ici le domaine de l’expérimenta-
tion sur l’homme des effets de molécules et médica-
ments, qui trouvent place aux phases II (volontaires
sains) et III (essai clinique) antérieurement encadrées 22 Esquivée par la définition qu’en donnait le CCNE en
par la loi du 20 décembre 1988, dite Loi Huriet- 1983, de « personne humaine potentielle ».
Sérusclat [7]. 23  L. Jospin.

294
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

alable du couple dont ils sont issus, dûment Bien des interrogations subsistent cependant dès
informé ; que l’on aborde ce thème de la recherche sur les
• que les embryons sur lesquels une recherche a cellules souches, qui dépassent le domaine du
été conduite ne puissent être transférés à des Droit, pour atteindre celui plus individuel de la
fins de gestation. réflexion philosophique [12]. On ne peut s’y aven-
turer sans être bien informé des faits, du sens des
La loi confie à l’Agence de la biomédecine (ABM)24 termes nouveaux qu’emploient les scientifiques
créée à cet effet mission de délivrer ou refuser pour décrire ces extraordinaires mécanismes que
l’autorisation de la recherche en fonction « de la sont la différenciation, le développement et la
pertinence scientifique du projet de recherche, de régénération des cellules et des tissus. La vie !
ses conditions de mise en œuvre au regard des
principes éthiques et de son intérêt pour la santé
publique » [11]. Les cellules souches
Comme pour la loi précédente, la loi de 2004 pré-
voit au terme de cinq ans un nouvel examen par le
embryonnaires
parlement au vu d’une évaluation dont elle précise
Une cellule souche est une cellule qui peut donner
les modalités25.
une population de cellules filles identiques. Tous
Sur le point de parvenir au terme du moratoire de les tissus à renouvellement rapide, tels que le sang,
cinq ans inscrit dans la loi de 2004, force est de la peau, la muqueuse intestinale, etc. possèdent
constater qu’une fois encore le temps de la recher- des cellules souches (dites cellules souches somati-
che et celui du droit sont en discordance. Les ques) produisant pour les réparer constamment
connaissances scientifiques acquises depuis cinq les types cellulaires correspondants [13].
ans sont considérables. Elles ont ouvert de nouvel-
C’est seulement en 1981 que les chercheurs améri-
les voies de recherche. Elles confirment certains
cains [14] parvinrent, sur la souris, à obtenir des
espoirs d’applications thérapeutiques. Cependant,
lignées stables de cellules à partir des cellules très
elles ne permettent encore aucune conclusion,
précoces (blastocyste) d’embryons. Ils leur donnè-
notamment binaire, bonne ou mauvaise, utile ou
rent le nom de « cellules souches embryonnaires »
inutile, qui pourrait conduire le législateur à l’auto-
ou ES (Embryonal Stem). Injectées dans un
risation ou au refus, au légal ou à l’illégal. Le
embryon, elles participent à la production d’une
conseil d’orientation de l’ABM s’est prononcé sans
souris en donnant une chimère dont tous les tissus
ambiguïté pour la poursuite de ces recherches lais-
peuvent contenir le génotype injecté. Dans certai-
sant le choix au législateur entre le statu quo (inter-
nes conditions de culture, ces cellules peuvent se
diction de principe et dérogations) et la levée de
multiplier à l’infini. Mais aussi, par une combinai-
l’interdit assorti d’un rigoureux encadrement
son de facteurs de croissance, ces cellules gardent la
réglementaire confié à l’Agence. Elle a fait la preuve
capacité ultérieure de se développer en cellules dif-
de sa capacité à s’acquitter de cette mission.
férenciées, puis de s’organiser en tissus et organes.
Elles sont totipotentes. Ces cellules souches mises
24 Le décret 2006-121 en précise les modalités. Il mit en culture conservent indéfiniment ce caractère. À
alors un terme à l’activité des commissions ad hoc qui tout moment, sous l’influence de techniques très
avaient reçu mission de délivrer à certaines équipes précises de stimulation, elles sont susceptibles de se
de recherche les autorisations d’importation de cellu- différencier en telle ou telle catégorie de cellules.
les souches embryonnaires en provenance d’Australie
et d’Israël. Contraire à la législation en vigueur dans En 1998 des cellules souches embryonnaires
le domaine de la bioéthique, cette autorisation excep- humaines ont à leur tour été isolées à partir de
tionnelle se réfère à une réglementation commerciale blastocystes humains. Le même caractère totipo-
concernant l’importation de « produits ». tent des cellules reconnues aux cellules ES de sou-
25 « Six mois avant le terme de la période de cinq ans, ris a été observé sur les cellules obtenues s en
l’Agence de la biomédecine et l’Office parlementaire
culture à partir de prélèvement aux premiers sta-
d’évaluation des choix scientifiques et technologi-
ques établissent chacun un rapport évaluant les résul- des de division de la cellule (jusqu’au stade 4 à
tats respectifs des recherches sur les cellules souches 8 cellules) résultant de la fécondation in vitro d’un
embryonnaires et sur les cellules souches adultes. » ovocyte humain par un spermatozoïde humain [15].

295
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Le clonage prononcé dès avril 1977 pour une ferme condam-


nation du clonage reproductif [18].
Le clonage26 est une intervention artificielle ou La loi 2004-806 [5] en formule expressément l’in-
naturelle aboutissant à des copies de matériel bio- terdiction en son article 15 : « est interdite toute
logique. De pratique courante dans tous les labo- intervention ayant pour but de faire naître un
ratoires de biologie, le terme technique de clonage enfant génétiquement identique à une autre per-
jusqu’alors quasi inconnu du grand public prit sonne vivante ou décédée ». Elle introduit en son
soudain une signification phantasmatique quand, article 21 la modification du Titre Ier du livre II
en 1997, Wilmuth et coll. ont obtenu [17], non du code pénal, désormais intitulé « Des crimes
sans difficulté, la naissance de la brebis Dolly contre l’humanité et contre l’espèce humaine », et
résultant du transfert d’un noyau de cellule de tis- précise en son article 214-2 : « Le fait de procéder à
sus de glande mammaire d’une brebis dans l’ovo- une intervention ayant pour but de faire naître un
cyte énucléé puis transféré dans l’utérus d’une enfant génétiquement identique à une autre per-
brebis gestante27. Le génome de Dolly était identi- sonne vivante ou décédée est puni de trente ans de
que à celui de la brebis « donneuse ». On se sou- réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende »
vient de l’émotion soulevée alors par l’annonce et et dans l’article 214-3 : « Les infractions prévues
la médiatisation de cet événement ; diverses ins- par les articles 214-1 et 214-2 sont punies de la
tances nationales, européennes et internationales réclusion criminelle à perpétuité et de 7 500 000 €
(Unesco) exprimèrent leur condamnation for- d’amende lorsqu’elles sont commises en bande
melle de la recherche en vue de l’utilisation dans organisée ».
l’espèce humaine de ces techniques de reproduc- Cette qualification du clonage reproductif humain
tion asexuée, le clonage reproductif. Après quel- et la sévérité de sa condamnation sont pleinement
ques années, l’équipe qui avait obtenu ce premier justifiées. La reproduction sexuée de l’espèce
mammifère cloné déclarait, elle-même, renoncer humaine, il faut le rappeler, par le mélange aléa-
à la poursuite de ses recherches. À diverses repri- toire des gènes masculins et féminins, d’un
ses des annonces tumultueuses, irresponsables et homme et d’une femme, père et mère, permet à la
le plus souvent mensongères ont fait état de succès fois la continuité de certains caractères et la sin-
prochains ou déjà acquis. Ils n’ont jamais été gularité de toute personne humaine. Aucune
démontrés. motivation, aucun phantasme d’immortalité,
Les diverses instances nationales à l’égal des ins- aucune ambition de disposer d’une réserve d’or-
tances européennes et internationales (Unesco) ganes, aucun désir d’enfant ne saurait justifier
ont exprimé leur condamnation formelle de la cette transgression.
recherche en vue de l’utilisation dans l’espèce Il semble qu’aujourd’hui la société en a bien inté-
humaine de ces techniques de reproduction gré la vraie signification et l’illusion.
asexuée. Aucune transgression ne doit être admise. Néanmoins, il convient d’éviter que perdure une
Répondant à une interrogation du Président de la confusion sur les mots. En effet, si certaines
République au sujet du clonage, le CCNE s’était recherches sur les cellules souches embryonnaires
humaines à visée thérapeutique conduisent à uti-
liser des procédures qui relèvent du clonage – au
26 « Opération qui consiste à fabriquer des clones. Se
dit d’un gène dont on reproduit plusieurs copies
sens technique du terme – leurs finalités sont tout
identiques ; se dit d’une cellule qui par divisions suc- autres que celles du clonage reproductif. Le clo-
cessives, génère une colonie de cellules qui sont tou- nage à objectif thérapeutique vise à obtenir des
tes dérivées d’une cellule mère unique ; se dit d’un cellules souches embryonnaires (ESC) en transfé-
organisme dont on produit, par diverses méthodes, rant le noyau d’une cellule « somatique » prélevée
plusieurs « copies » qui possèdent le même génome. » sur un organisme adulte dans le cytoplasme d’un
Nicole Le Douarin [16]
ovocyte au noyau duquel il sera substitué. De
27 Dès 1989, l’Institut national de la recherche
façon tout à fait surprenante, ce transfert intracy-
Agronomique (INRA) avait obtenu ainsi la naissance
de cinq veaux génétiquement identiques. La tech- toplasmique (I.T.N.S) induit un processus d’em-
nique devait permettre de rapides progrès dans la bryogénése. Les premières cellules obtenues sont
recherche animale chez les mammifères. des cellules souches pluripotentes. À l’égal de

296
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

t­ outes les cellules souches embryonnaires, elles noyau d’une cellule somatique dans un ovocyte
ont la capacité de se multiplier et de se différencier fécondé dont le noyau a été enlevé permet d’obte-
en une variété de dérivés cellulaires et tissulaires nir des cellules souches qui, après leur diffé­
susceptibles d’être greffés dans l’organisme don- renciation dirigée, conserveront les caractères
neur du noyau. Après leur différenciation dirigée immunologiques du receveur. Il y a donc là une
en vue de leur utilisation en substitution de fonc- voie de recherche certaine vers la possibilité de
tions cellulaires déficientes (cellules neuronales substituer à des cellules défaillantes d’un malade
responsables de la maladie de Parkinson, cellules des cellules jeunes actives et spontanément tolérées.
pancréatiques en cas de diabète grave, etc.), ces Même si l’on ne peut encore dire dans quel avenir
cellules souches conservent les caractères immu- – nécessairement encore lointain – pourront être
nologiques du donneur-receveur auquel elles utilisées ces thérapeutiques nouvelles, rien ne jus-
seront destinées. On sait quels espoirs ont suscité tifie de renoncer aux recherches qu’elles nécessi-
ce domaine encore à peine exploré mais déjà pro- tent encore. On ne doit donc pas identifier et
metteur de la médecine régénératrice. Néanmoins, confondre l’objectif de ces recherches avec le
la loi de 2004 a formulé à l’égard de ce « clonage » phantasme du clonage reproductif, quand bien
à visée thérapeutique le même interdit (et le même même le stade initial des techniques utilisées
moratoire) que celui prononcé à l’égard du clo- ferait appel à des données expérimentales com-
nage « reproductif » au motif que le stade initial munes. Le fait de prélever ces cellules souches
des techniques utilisées ferait appel à des données provenant d’un transfert intracytoplasmique
expérimentales communes. Pourtant on ne peut d’une cellule somatique (I.T.N.S) rend bien évi-
pas identifier et confondre l’objectif de ces recher- demment l’embryon sur lequel elles ont été préle-
ches avec le phantasme du clonage reproductif. vées inapte à être transféré dans un utérus
Prélever des cellules souches par transfert intra- maternel. Toute dérive dans leur utilisation qui
cytoplasmique d’un noyau de cellule somatique conduirait au transfert dans un utérus ne pourrait
adulte (I.T.N.S.) rend bien évidemment « l’em- résulter que d’une volonté délibérée de repro­
bryon » sur lequel elles ont été prélevées inapte à duction, qui tomberait sous le coup de la quali­
être transféré dans un utérus maternel. Toute fication de crime contre l’espèce humaine.
dérive dans leur utilisation qui conduirait au Malheureusement la médiatisation du sujet sous
transfert dans un utérus ne pourrait résulter que le terme unique de « clonage » jusqu’à les confon-
d’une volonté délibérée de reproduction, qui tom- dre a occulté la distinction fondamentale qui
berait sous le coup de la qualification justifiée de s’impose entre clonage à visée thérapeutique
crime contre l’espèce humaine. (ITNS) et clonage à visée reproductrice. Le débat
L’utilisation de la capacité de différenciation diri- éthique et juridique ne s’en trouve pas facilité.
gée de cellules souches pour pouvoir disposer de
populations pures de cellules spécialisées pour
remplacer tel ou tel tissu détruit par une maladie
dégénérative ouvre un très grand espoir pour la Les cellules souches somatiques
thérapeutique de nombreuses maladies (dégéné- adultes
rescence neuronale de la maladie de Parkinson,
pancréatique du diabète, etc.) [13]. L’identification plus récente de cellules souches
Mais de telles cellules différenciées à des fins thé- dites adultes ou « somatiques » qui possèdent elles
rapeutiques, à partir de cellules souches prove- aussi une capacité de dédifférenciation a légitime-
nant d’un embryon obtenu par fécondation in ment entrouvert l’espoir que leur utilisation pour-
vitro, se comportent pour le receveur comme les rait rendre inutile les recherches, donc l’utilisation,
cellules immuno-différentes d’un donneur d’or- de cellules embryonnaires humaines.
gane, et imposent un traitement pour s’opposer à On sait qu’existe dans tout organisme humain un
la menace permanente de rejet comme dans tout mécanisme permanent de régénération de certai-
greffe de tissu ou d’organe. Par contre, les techni- nes cellules. À titre d’exemple, nous citerons les
ques utilisées dans le clonage reproductif animal organes hématopoïétiques (sang, moelle osseuse
expérimental ont démontré que le transfert d’un dont l’utilisation pour « greffe de moelle » dans

297
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

c­ ertaines maladies sanguines est bien connue), le des voies nombreuses et diverses. On les dit
revêtement cutané, les cellules intestinales. Plus pluripotentes.
récemment ont été aussi identifiées de telles cellu- On imagine l’importance de la voie nouvelle
les souches dans divers tissus dits mésenchyma- ouverte dans les recherches sur les cellules sou-
teux 28. Ce contingent de cellules indifférenciées se ches, du fait de la facilité à disposer de ces cellules
maintient dans un état quiescent jusqu’à ce que souches, à portée de main, au cours de toute nais-
l’organisme, à la suite de lésions, libère des signaux sance normale, naturelle, en dehors de toute
d’activation provoquant leur différenciation en atteinte à l’embryon. Seul se pose le problème des
un type de cellule nécessaire à sa régénération. modalités du recueil de ces cellules souches, dans
Plus récemment encore la recherche sur des espè- les conditions requises du consentement parental
ces murines a conduit à reconnaître la capacité et le respect des modalités réglementaires très
qu’ont ces cellules à répondre à un signal de dédif- précises fixées par la loi pour le recueil, la conser-
férenciation et de reprogrammation. Les cellules vation et l’utilisation des produits biologiques.
filles ont une possibilité de différenciation en
quelques types de cellules différentes de celle dont
elles proviennent. On les dit multipotentes. Sans Les finalités de la recherche
méconnaître les réserves qu’imposent l’observa-
tion d’une certaine instabilité de la reprogramma-
sur les cellules souches
tion de ces cellules souches adultes, voire même le
Ainsi, l’on peut souhaiter que l’usage des cellules
dérapage possible de leur programmation vers des
souches prélevées sur le blastocyste originel à
processus de cancérogenèse, il n’y a là aucune
finalité « thérapeutique » devienne un jour inutile.
avancée significative vers une forme de médecine
Serait alors levé l’un des obstacles éthiques
régénérative tant espérée. On ne saurait cependant
majeurs à la recherche biomédicale [20].
en déduire que les recherches sur les cellules
embryonnaires pourraient dès à présent être Mais on ne saurait oublier ou méconnaître que
abandonnées. Même si on est en droit de formuler l’objectif initial du champ nouveau de la recher-
l’espoir qu’à terme la technique I.T.N.S. parvienne che ouvert par la découverte des cellules souches
à être économe d’ovocytes, voire même n’ait plus embryonnaires était de parvenir à la connaissance
de justification, l’attente impatiente et légitime des stades les plus initiaux du développement de
des malades susceptibles de bénéficier d’une thé- l’ovocyte humain fécondé. Recherche nécessaire,
rapie cellulaire réparatrice justifierait que soient notamment si l’on veut tenter d’élucider les échecs
poursuivies simultanément ces recherches com- toujours inexpliqués de la procréation naturelle,
plémentaires, dans les deux domaines porteurs comprendre et éviter la survenue d’anomalies
d’espoir, dès lors qu’elles seraient très justement génétiques à l’origine de nombreuses interrup-
encadrées par une rigoureusement et sévère tions spontanées de grossesses, de l’origine de cer-
réglementation. taines souffrances fœtales ou de naissance
d’enfants porteurs d’anomalies de développement.
Le développement des recherches sur les premiers
Les cellules souches du sang stades du développement de l’embryon est néces-
saire pour tenter d’élucider les échecs de la pro-
du cordon ombilical création naturelle, comprendre et éviter la survenue
d’anomalies génétiques à l’origine de nombreuses
Une nouvelle voie a été plus récemment encore interruptions spontanées de grossesse, de l’origine
ouverte par la découverte dans le sang placentaire de certaines souffrances fœtales ou de naissance
du cordon ombilical, et dans la substance gélati- d’enfants porteurs d’anomalies de développement.
neuse qui entoure ses vaisseaux, d’un important Il s’agit là d’ouvrir la voie à une véritable « méde-
contingent de cellules souches très indifférenciées cine de l’embryon et du foetus ». De même ces
et, de ce fait, susceptibles de différenciations dans recherches sont aujourd’hui nécessaires pour amé-
liorer les résultats de l’assistance médicale à la pro-
28 Comme le sont certains tissus graisseux de création dont le taux de succès, bien qu’amélioré,
l’organisme. reste encore relativement modeste.

298
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Comment pourrait-on douter de l’impérieuse La loi de 2004 a bien précisé les conditions d’utili-
nécessité de poursuivre ces recherches ? Elles ne sation, pour la recherche, d’embryons surnumé-
peuvent porter que sur les cellules souches raires résultant de la fécondation in vitro qui ne
embryonnaires aux stades les plus précoces du font plus l’objet d’un « projet parental ».
développement de l’embryon dans les deux appro- Néanmoins, il est à prévoir que les progrès que
ches complémentaires que sont celles sur les C.S.E. l’on peut attendre de ces recherches mêmes dans
au stade initial du blastocyste humain, ou sur le domaine de la fécondation in vitro, associés aux
les premières cellules résultant d’un transfert progrès résultant déjà de la pratique de l’injection
nucléaire dans un ovocyte (l’I.T.N.S.)29. intracytoplasmique du spermatozoïde directe-
ment dans l’ovocyte (ICSI), conduiront à l’avenir
à réduire notablement le nombre de ces embryons
Un débat éthique et juridique surnuméraires. Serait-il éthiquement inaccepta-
ble d’en augmenter le nombre à seule fin de pour-
inachevé voir la recherche ?
2. Quels ovocytes pour l’injection intracytoplas-
Qu’elles soient à visée thérapeutique ou à visée mique de cellules souches somatiques adultes ?
« cognitive » (d’ailleurs complémentaires et étroi-
tement impliquées), les nécessaires recherches sur L’obtention de cellules reprogrammées à usage thé-
les cellules souches embryonnaires continuent à rapeutique spécifique (sans réaction de rejet) impose
susciter un débat éthique et juridique. de disposer d’ovocytes humains. Certes, le prélève-
ment d’ovocytes est l’un des premiers stades de la
L’encadrement juridique varie d’un pays à l’autre,
pratique de la fécondation in vitro. Plusieurs ovocy-
même au sein de l’Europe [21].
tes sont prélevés pour augmenter les chances de suc-
En Grande Bretagne, au Danemark, en Suède, les cès. Le danger pourrait donc être le même que celui
recherches sont autorisées jusqu’au 14e jour de cité précédemment, que soit prélevé un nombre
développement de l’embryon. En Italie n’existe excessif d’ovocytes afin d’alimenter la recherche.
encore aucune législation. En Allemagne, où la loi Plus grave encore est le risque de voir s’installer un
fondamentale interdit toute recherche sur l’être trafic d’ovocytes comme il existe déjà malheureuse-
humain, la recherche est autorisée sur des cellules ment une commercialisation du corps humain en
souches embryonnaires importées. Aux États- certains pays qui se livrent au trafic d’organes,
Unis, la recherche sur fonds publics était inter- rigoureusement interdit dans notre législation.
dite30. Les recherches privées sont libres.
3. Les indispensables recherches « cognitives » sur
En France, où la recherche est strictement enca- les premiers stades du développement embryon-
drée par les lois de bioéthique et, depuis la loi de naire imposeraient d’en étudier les mécanis-
2004, placée sous le contrôle rigoureux de l’Agence mes vitaux au-delà de la phase initiale
de biomédecine, subsistent bien des interroga- totipotente. Peut-on pour cela prendre le risque
tions. Elles alimentent les débats [22] à l’approche (que l’on dit minime, mais non nul) de prélever
de la prochaine révision quinquennale de la loi. une cellule primitive sur l’un des embryons
Nous nous limiterons à donner ici des exemples obtenu au cours d’une fécondation in vitro
de ces questionnements : pour étudier les mécanismes de sa différencia-
1. Sur quels embryons peut-on poursuivre les recher- tion, tandis que l’embryon « donneur » serait
ches souhaitées sur les cellules embryonnaires ? normalement transféré dans l’utérus maternel ?
29 L’Académie des Sciences et l’Académie de médecine
ont en 2002 adopté une position commune vis-à-vis
de la recherche sur les cellules souches issues de La question essentielle qui
l’I.T.N.S, Elles se déclaraient en faveur de leur autori-
sation au vu des perspectives thérapeutiques qu’elles demeure est d’ordre philosophique
introduisent. (19)
30 Sous la présidence républicaine. Elle pourrait être Elle concerne le « statut » de l’embryon humain et
autorisée selon les promesses du nouveau président la définition de la « conception ». Les positions
démocrate O’Bama. divergentes voire conflictuelles adoptées vis-à-vis

299
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

des cellules souches humaines et de la thérapie parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
cellulaire ne reflètent pas seulement des divergen- technologiques ».
ces scientifiques ou des conflits d’intérêt. Elles [3] Conseil d’État, Rapport Sciences de la vie : de l’éthi-
témoignent de la tension éthique qu’ont généré les que au droit (Guy Brabant, rapporteur) La docu-
mentation française, notes et études documentaires
découvertes qui entourent les phases les plus ini- no 4855–1988.
tiales du développement de l’être humain, désor-
[4] C.C.N.E. Les lois de Bioéthique de 1994, leur genèse ;
mais observables « in vitro » [23]. La notion très Les cahiers du CCNE ; no 19–1999
forte de personne humaine dès la conception peut-
[5] Loi no 94–653 du 29 juillet 1994 relative au respect du
elle vraiment s’appliquer dès la seule première corps humain.
phase de cette fécondation artificielle in vitro et [6] Loi no 94–6454 du 29 juillet 1994 relative au don
méconnaître que, pour être vraiment substitutive et à l’utilisation des éléments et produits du corps
d’une conception naturelle, elle doit aussi inclure humain, à l’assistance médicale à la procréation et au
l’implantation utérine pour permettre la nidation diagnostic prénatal.
de l’oeuf et le développement décisif d’un nouvel [7] Loi du 20 décembre 1988 relative à la protec-
être humain ? Plusieurs arguments sont avancés tion des personnes qui se prêtent à des recherches
qui militent pour que soient effectivement distin- biomédicales.
gués le « statut » des cellules in vitro obtenues par [8] Claeys A, Huriet C. L’application de la loi no 94–654
cette fécondation artificielle et celui de l’embryon du 29 juillet 1994, Rapport no 1407 Assemblée natio-
nale, no 232 Sénat.
devenu un être humain en développement dès
l’instant de sa placentation dans l’endomètre de [9] C.C.N.E., Réexamen des lois de bioéthiques, avis
no  60 du 23 juin 1988. Les cahiers du CCNE ;
l’utérus maternel. Aujourd’hui, ce qui aurait pu no 19–1999-pp 5–17.
rester du domaine de la conscience est devenu [10] Loi no 2004–800 du 6 août 2004 relative à la
débat de société ! En référence à un concept philo- Bioéthique.
sophique et religieux qui ne fait d’ailleurs pas [11] Décret n o 2006–121 du 6 février 2006 et article
l’unanimité au sein des diverses religions mono- L-2131–4-1 du Code de la Santé publique.
théistes, les lois françaises de bioéthique condam- [12] Fagniez PL. Cellules souches et choix éthiques.
nent toutes recherches sur l’embryon « dès sa Rapport au Premier ministre. La documentation
conception », ce qui a conduit le législateur à pro- française- Pais 2006.
noncer le même interdit formel à l’utilisation de [13] Jacob F. C.R. Biologies, 325, no 10 2002, 999–1002–
cellules embryonnaires pour la recherche à visée 11048. Académie des Sciences.
thérapeutique et à visée de clonage reproductif. La [14] Evans MJ, Kaufman MH. Establishement in culture
signification donnée ainsi au terme « conception » of pluripotential cells from mouse embryo. Nature,
ne retient qu’une définition formulée en 1869 par 2292, 1981, 154–156.
le Pape Pie IX. Elle devait déjà poser question au [15] Thomson JA, Axelman J & all, Embryonic stem cell
CCNE en 1983 et le mener, on l’a dit, à la notion lines derived from human blastocysts, Science, 282,
1998, 1145–1147.
ambiguë de « personne humaine potentielle ». Les
textes de nos lois témoignent bien de la gêne res- [16] Le Douarin N. Des chimères, des clones et des gènes.
Éditions Odile Jacob, 1 vol, 2000, p. 432.
sentie par le législateur dans notre société qui se
[17] Wilmut J. Schienieke AE & all. Viable offspring deri-
revendique laïque, puisqu’après avoir formulé la
ved from fetal and adult mamalian cells, Nature, 385,
condamnation de toute recherche sur l’embryon il 1997, 810–813.
en a autorisé la poursuite à titre exceptionnel, [18] C.C.N.E. Réponse au Président de la République
pour cinq ans, et s’apprête à renouveler la dérogation. au sujet du clonage reproductif avis no 54, 22 avril
1977.
Bibliographie [19] Pellerin D. Sur les cellules souches embryon-
naires humaines en médecine « régénératrice ».
[1] Décret no 83–132 du 23 février 1983 portant création Communiqué ; Bull. Acad. Natle. Med., 2002, 186,
d’un CCNE pour les sciences de la vie et de la santé. no 5, 913–914.
J-O du 25–02–1983. [20] Westphal H. International stem cell research consi-
[2] Loi no 83–609 du 8 juillet 1983 portant création derations, C.R. Biologies, 325, no 10- 2002–1045–
d’une délégation parlementaire dénommée « Office 11048. Académie des Sciences.

300
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

[21] Conseil d’État, Les lois de Bioéthique cinq ans après, révision de la loi de bioéthique. Leçons d’expérience
La législation sur l’embryon en Europe et aux États- (2005–2008) et questionnements, 20 juin 2008.
Unis Les études du Conseil d’État, 1999. La docu- [23] Pellerin D. Cellules souches et thérapie cellulaire,
mentation Française. contribution au débat éthique. C. R. Biologies, 325,
[22] Contribution du conseil d’orientation de l’Agence no 10 2002, 999–1059–1063. Académie des Sciences.
de la biomédecine aux débats préparatoires à la

Des droits et des devoirs des malades


D. Pellerin

Dans la « Déclaration universelle des droits de Les mêmes recommandations seront amendées
l’homme » proclamée à Nuremberg le 10 septem- quatorze ans plus tard, à Bali32 en 1995 : « Le
bre 1948 par l’Assemblée générale des Nations patient a le droit de refuser de participer à la
Unies, on lit en son article 25 /I : « Toute personne recherche ou à l’enseignement de la médecine ».
a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa Plus encore, elles sont clairement formulées
santé, son bien-être et ceux de sa famille, notam- dans la « Convention pour la protection des droits
ment pour […] les soins médicaux ainsi que pour de l’homme et de la dignité de l’être humain à
les services sociaux nécessaires. Elle a droit à la l’égard des applications de la biologie et de la
sécurité en cas de […] maladie, d’invalidité, de médecine » du Conseil de l’Europe, adoptée à
veuvage, de vieillesse… ». Oviedo le 4 avril 1997.
Cependant, ce n’est que plus de trente ans après Les deux articles essentiels sont l’article 5 qui
Nuremberg que ces généreuses affirmations trou- indique qu’« une intervention dans le domaine de
veront un écho au sein d’instances internationa- la santé ne peut être effectuée qu’après que la per-
les. Dans la déclaration de la 34e assemblée de sonne concernée y a donné son consentement
l’Association médicale mondiale, réunie à libre et éclairé » et l’article 10–2 relatif au droit à
Lisbonne en 1981 sont formulés « le droit de déci- l’information qui stipule « toute personne a le
sion, le droit à l’information nécessaire pour pren- droit de connaître toute information recueillie sur
dre ses décisions clairement » et encore que « le sa santé ». Cet article ajoute toutefois « cependant
malade doit pouvoir comprendre l’objet d’un exa- la volonté d’une personne de ne pas être informée
men ou d’un traitement, les effets de leurs résul- doit être respectée ». Il s’y ajoutera un droit à l’in-
tats et les conséquences d’un refus de traitement » demnisation des accidents médicaux.
(art. 3a-b). En France, « les droits de l’homme » principes fon-
Dès lors a suivi toute une série de déclarations et damentaux depuis la révolution de 1789, figu-
textes nationaux et internationaux conduisant à raient dès la constitution de 1946, avant
reconnaître aux malades des droits particuliers en Nuremberg ! Ils furent repris dans la Constitution
application directe de la reconnaissance de l’auto- de 1951. Cependant la réflexion demeura long-
nomie de la personne et de sa dignité (voir Annexe I). temps confinée dans des cercles philosophiques,
Les pays membres de la CEE ont inscrit cette sociologiques, juridiques ou politiques en dehors
modification profonde sous des formes diverses de la préoccupation du monde médical et du plus
soit dans des textes de loi soit par des textes de grand nombre des malades.
droit jurisprudentiel31. En 1988, la loi Huriet-Sérusclat no 88-1138 du
20-12-88 introduisait la notion de consentement
31 La Suède est l’un des pays européens qui n’a pas jugé
nécessaire de légiférer sur les droits des malades. Ils
bénéficient en effet du « consensus social » auquel nos 32 Le texte de Bali a été révisé à Santiago du Chili en
voisins nordiques sont si profondément attachés. octobre 2005.

301
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

éclairé pour la « protection des personnes qui se soignants et ouvrait la voie à la judiciarisation de
prêtent à la recherche biologique et médicale ». En la médecine34. Progressivement, une attitude
1994, les lois dites de Bioéthiques (no 94-643 et consumériste du patient devenu usager se substi-
94-644), les premières votées en Europe sous ce tuait à la tradition humaniste qui avait été, notam-
vocable, formulaient clairement le respect du corps ment, celle de la médecine française [3].
humain, sa non-patrimonialité. Ni l’une ni l’autre
de ces lois ne formulaient clairement qu’elles trai-
taient d’un droit des malades. La « loi Kouchner »
Néanmoins, une nouvelle version du Code de
déontologie médicale qui en intégrait la substance
du 4 avril 2002
fut promulguée dès 199533. Elle comporte un cha-
C’est dans ces conditions qu’à l’initiative du
pitre III intitulé « Devoirs envers les patients ». Il
Ministre de la santé Bernard Kouchner le
stipule en son article 35 :
Parlement français vota la loi 2002-203 « relative
« Le médecin doit à la personne qu’il examine, aux droits des malades et à la qualité du système
qu’il soigne ou qu’il conseille, une information de santé ». À la lecture de ce texte législatif, l’Aca-
loyale, claire et approfondie sur son état, les inves- démie Nationale de Médecine ne manqua pas
tigations et les soins qu’il lui propose… » ; d’observer qu’y figurent comme droits des mala-
Et en son article 36 : « Le consentement de la per- des un grand nombre de règles telles que le devoir
sonne examinée ou soignée doit être recherché du médecin d’informer le malade, et l’exigence de
dans tous les cas… ». son consentement aux soins proposés qui figu-
L’article 45 traite du dossier médical établi pour raient de longue date dans les textes réglementai-
chaque malade, « fiche d’observation qui lui est res comme étant les devoirs des médecins [4 & 5].
personnelle, confidentielle et conservée sous la Comme on pouvait s’y attendre l’accumulation de
responsabilité du médecin ». textes législatifs et réglementaires formulant avec
insistance les droits des malades n’a pas conduit à
C’est surtout autour du droit d’accès au dossier
une situation totalement satisfaisante. Si les reven-
médical que se focalisa d’abord la discussion.
dications à l’égard du médecin sont encore rare-
En 1996, un rapport de Cl. Evin, ancien ministre ment exprimées dans la médecine de proximité,
de la santé, devant le Conseil Economique et celle du médecin praticien, elles sont fréquentes
Social, sur les droits de la personne malade, éclai- dans le cadre de la médecine hospitalière.
rait bien le nouveau courant de pensée : « Le fon-
L’augmentation sensible des plaintes de malades
dement philosophique de l’obligation d’informer
enregistrées par « les commissions régionales de
est le droit de chacun à être traité dans le système
conciliation et d’indemnisation » (CRCI) créées
de soins en Citoyen et en adulte responsable […] Il
par la loi de 200235 traduit la détérioration obser-
s’identifie insensiblement aux droits du consom-
vée dans la traditionnelle relation duale de
mateur vis-à-vis des fournisseurs de soins et pres-
confiance entre le malade et le médecin [6]. C’est
tataires de services de santé [1]. » L’arrêt Hédreul
bien la preuve que la relation soignant-soigné ne
de la Ire Chambre Civile de la Cour de Cassation
du 25 février 1997 statuant sur une recherche en
responsabilité dans une affaire concernant une 34 Il précise que cette « assimilation de l’acte médical,
complication survenue au cours d’une ablation de résultat d’un assentiment aux soins proposés, au
polype du colon par colonoscopie [2] fut pour le contrat passé avec n’importe quel fournisseur ou
prestataire de service, s’inscrit bien dans l’évolution
monde médical le révélateur de la révolution qui
de la relation patient -médecin ramenée à celle d’un
s’opérait dans les relations traditionnelles soignés consommateur avec son fournisseur ».
35 Son Titre IV intitulé « Réparation des conséquen-
ces des risques sanitaires » précise « la procédure
33 Une « Charte du patient hospitalisé » traitant de « l’in- de règlement amiable en cas d’accidents médicaux,
formation du patient et de ses proches et du principe d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomia-
général du consentement préalable » fut publiée la les ». Elle apporte une solution longtemps attendue à
même année. Le texte devant en être remis à chaque l’indemnisation de l’aléa médical (les « événements
patient hospitalisé. indésirables »).

302
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

se décrète pas par des textes législatifs [7] ! La


médecine hospitalière est devenue, il est vrai, une
Pour une complémentarité
médecine technique et scientifique, nécessairement des droits et des devoirs
collective et dépersonnalisée. Mais aussi devenu
consommateur, le patient attend de plus en plus Concernant la santé, l’homme n’a-t-il que des
d’une médecine qui enivre, dans le tourbillon de « droits à… » ? N’a-t-il pas aussi les « devoirs de… » ?
la modernité, de la surinformation médiatique, Il semble qu’aient été bien rapidement oubliés les
mais aussi qui illusionne, jusqu’à créer l’illusion termes de la Déclaration sur la promotion des droits
de sa totale fiabilité, du succès certain et du risque des patients en Europe, qui concluait la consulta-
zéro [8] ! tion du Bureau régional pour l’Europe de l’Orga-
nisation Médicale Mondiale à Amsterdam en mars
1994. Cette déclaration prend en compte tant le
Droit à la sécurité ou droit point de vue des dispensateurs de soins que celui
des patients. Elle donne du patient la définition
à la santé ? Droit aux soins suivante « personne, malade ou non, ayant recours
ou droit à la santé ? aux services de santé », ce qui inclue donc ce que
l’on peut appeler les bien portants de la société,
En même temps qu’il se comporte en consom- c’est-à-dire la société tout entière évidemment faite
mateur de technologies, l’usager exprime ses de malades potentiels (voir Annexe II).
exigences sécuritaires, voire indemnitaires en Effectivement les lois sont faites par les bien por-
cas de résultat insuffisant ou d’événement indé- tants. Or l’homme malade n’est pas seulement un
sirable. Ces attitudes relèvent souvent de la consommateur de soins. L’homme souffrant ne
confusion entre droit à la sécurité et droit à la peut se satisfaire de technique et de réglementa-
santé comme entre droit aux soins et droit à la tion.
santé, mais aussi de la confusion entre « droit
de… » – ce qui signifie : faire « ce que la loi n’in- Est-il incorrect de penser que droits et devoirs sont
terdit pas » – et « droit à… » – qui recouvre des indissociables ?
revendications à l’obtention de biens matériels La loi, faite par les bien portants, leur assure des
ou immatériels [8]. La médicalisation de la droits s’ils devaient être atteints par la maladie.
reproduction, qui à l’évidence n’est pas une Cela est bien, mais cela ne les dispense pas de
maladie ! et les exigences formulées autour de la devoirs, bien au contraire. Le devoir des bien
naissance ont nettement fait apparaître, en portants devrait être de passer d’une culture
France, les dangers de cette confusion. Le risque d’assistance à une culture de responsabilité. En
de dérive existe, entretenu, voire créé par une matière de soins, on ne peut revendiquer le droit
surabondance de textes qui surajoutent les uns de décision et ne pas assumer sa responsabilité
aux autres des droits de la personne sans jamais en matière d’hygiène de vie, de prévention, de
faire apparaître que la personne autonome est l’acceptation de certaines priorités de santé
aussi un individu citoyen. publique. Ce devoir est aussi d’accepter sa fai-
Alors, comment pourrait-on reprocher à l’usager blesse, assumer ses risques et le jour venu, vivre
consommateur ses exigences croissantes vis-à-vis sa propre mort.
des prestataires de soins dès lors que ce qu’il
demande figure expressément dans les textes de
36 En 1995, la loi DMOS no 95-116 du 4-2-95, dite Loi
loi comme un droit ? Mais elles sont d’autant plus Neuwirth, prévoyait en son art. 31 : « Les établis-
difficiles, voire impossibles, à satisfaire que les sements de santé mettent en oeuvre les moyens
décisions nécessaires à leur mise en œuvre, propres à prendre en charge la douleur des patients
notamment les moyens financiers correspon- qu’ils accueillent ». En 1999, la loi no 99-477 du 9 juin
dants, ne sont pas prises ou toujours différées ou garantissait « le droit à l’accès aux soins palliatifs ».
On sait que dix ans plus tard le médecin ne peut que
très insuffisamment accordés par la société elle-
déplorer la difficulté qu’il rencontre à faire ce qui,
même qui, par ses représentants au Parlement, en ce domaine, est « son devoir envers les patients »,
fixe dans une loi de finance le budget de l’assu- bien précisé dans l’article 38 du code de déontologie
rance maladie et de la protection sociale36. médicale.

303
Part II. L’expertise en responsabilité médicale

Revendiquer des droits au nom de son autonomie compétence et humanité dans un système qui
ne dispense pas la personne d’un devoir de solida- allie qualité et sécurité, cela appelle en retour
rité. L’être autonome n’est jamais seul. Il est une un devoir des malades, celui de revenir de la
part de la société dans laquelle il vit. Ce qui impli- méfiance à la confiance. Cependant confiance et
que qu’il soit attentif aux besoins de l’autre. Cette respect mutuel ne sauraient être du domaine de
exigence de solidarité devrait imposer au consom- la loi !
mateur de soins de se préoccuper du coût des Une nouvelle culture [9] ?
dépenses qu’il induit.
Ne pourrait-elle pas être le fondement d’une
Enfin si l’on reconnaît volontiers aux malades le médecine européenne qui ne renierait pas
droit de revendiquer de ceux qui les soignent, l’humanisme.

304
Chapitre 6. Des aspects particuliers de la responsabilité médicale

Annexes « La formulation des droits des patients favorisera chez


les individus une prise de conscience de leurs respon-
sabilités, qu’ils demandent, reçoivent, ou prodiguent
Annexe I des soins, ce qui instituera dans les relations patients/­
soignants un climat de confiance et de respect mutuel. »
Législation ou réglementation
« Les droits de l’homme n’ont d’autres fins que de
en Europe (hors France)
lui permettre de remplir ses devoirs » Gandhi, cité
1992, Finlande, loi no 785/1992 dite « act on the status par René Cassin37.
and rights of patients » (17-0892)
1993, Danemark, loi « l’accès aux informations médi- Bibliographie
cales ». sera remplacée en 1998 par une loi sur « le statut
juridique du patient ». [1] Evin Cl. Les droits de la personne malade- Rapport
1995, Pays-bas, loi « d’accord en matière de traitement 196/6–12–06–96 C.E.S-Paris FRA.
médical » affirme « l’existence d’un contrat entre les [2] Sargos P. CC. 1o civ. arrêt du 25 février 1997. Gazette
patients et les prestataires des soins de santé » prévoie du Palais, 27–29 avril 1997, p. 22–7.
« un accès large du patient à son dossier médical ».
[3] Pellerin D. Médecine du xxie siècle : Consumérisme
1997, Grèce, Islande (Loi no 74/1997, du 01-07-97). ou humanisme ? Bull. Acad. Sciences et Lettres
1998, Grande-Bretagne, loi sur « les données perso­ Montpellier, 2000, 31 : 180–190.
nnelles ».
[4] Pellerin D. Étude du projet de loi dit de moderni-
Norvège, loi no 63 du 27-07-1998, entrée en vigueur le
sation du système de santé Bull. Acad. Natle. Méd.,
1er janvier 2001.
2001, 185, no 7, 1345–1354.
Allemagne, (Droit jurisprudentiel), « prestataires de
soins et patients sont liés par un contrat de service dont [5] Pellerin D. Rapport sur la loi no 2002–303 du 4 mars
l’existence fonde la plupart des droits des patients » 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé. Bull. Acad. Natle. Méd., 2003, 187,
Italie, tribunal des droits des malades- 450 sections
no 5, 997–1000.
locales.
Belgique, Droit jurisprudentiel : contrat tacite entre [6] Barbier J. Une expérience de modérateur. Bull. Acad.
les patients et les prestataires de soins de santé. Août Méd., 2006–190, no 3 séance du 28 mars 2006.
2002, loi « relative aux droits du patient ». [7] Mantz JM. L’importance de la communication dans
la relation soignant-soigné. Bull. Acad. Natle. Méd.,
2006–190. no 6, 1299–1302.
[8] Hureau J. L’immortalité ? La médecine et le droit face
à un vieux rêve humain. Experts 1996, 32, 32–35.
Annexe II
[9] Pellerin D. Pour un retour à l’humanisme : la néces-
Déclaration sur la promotion saire complémentarité des droits et des devoirs des
soignés et des soignants. Bull. Acad. Natle. Med.,
des droits des patients en Europe,
2006, 190, no 9, 2033–2044.
Amsterdam mars 1994
« Les patients ont des devoirs tant envers eux-mêmes 37 Dans un article paru dans Mélanges offerts à Polys
pour les soins qu’ils peuvent se prodiguer qu’envers Modinov, éditions Pedone, 1968, intitulé « De la place
les dispensateurs de soins, et ceux-ci ont la même pro- faite aux devoirs de l’individu dans la déclaration
tection de leurs droits que toute autre personne[…]. universelle des droits de l’homme ».

305
Médicaments, matériels Chapitre  7
médicaux, biomatériaux :
les responsabilités
La responsabilité des sociétés exploitant
des spécialités pharmaceutiques
J.P. Demarez

L’application des textes de loi ayant trait à la res-


ponsabilité peut parcourir dans le temps une
Ce qu’il y a dans le code civil
dynamique de type pendulaire. Il en est ainsi pour
la « responsabilité du fait des produits défectueux » La loi 98-389 du 19 mai 1998, transposant la
où, à partir de 1998 (moment de la transposition Directive européenne ci-dessus évoquée en droit
en droit interne de la directive européenne rela- français, a introduit dans le Code civil (Cc) les
tive aux « Dispositions législatives, réglementaires articles suivants :
et administratives des États membres en matière de • article 1386-1 : « Le producteur est responsable
responsabilité du fait des produits défectueux » [1], du dommage causé par un défaut de son
instaurant une responsabilité dite objective), produit… »
jusqu’à 2003 (moment d’une décision importante • article 1386-4 : « Un produit est défectueux
de la Cour de cassation sur ce sujet), dans toutes lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut
les affaires [2] jugées en référence explicite à cette légitimement s’attendre. Il doit être tenu compte
directive, les décisions rendues ont été défavora- de toutes les circonstances, et notamment de la
bles aux laboratoires pharmaceutiques mis en présentation du produit, de l’usage qui peut en
cause. Puis le pendule est reparti en sens inverse. être raisonnablement attendu, et du moment de
Notre propos est ici de clarifier l’évolution d’une sa mise en circulation… »
« jurisprudence effets indésirables », permettant de
• article 1386-10 : « Le demandeur doit prouver le
comprendre les raisonnements juridiques en la
dommage, le défaut, et le lien de causalité entre
matière, parfois différents, parfois très voisins de
le défaut et le dommage. »
ceux d’un pharmacovigilant industriel.
Tandis que le pharmacovigilant analyse des infor- • article 1386-10 : « Le producteur peut être res-
mations dans le but de développer la connaissance ponsable du défaut, alors même que le produit a
du médicament, et, éventuellement de participer à été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou
une alerte sanitaire, le magistrat, face à un événe- de normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une
ment dommageable se préoccupe de déterminer autorisation administrative. »
s’il y a lieu de réparer, et le cas échéant qui devra • article 1386-11 : « Le producteur est responsable
le faire. Ces deux finalités s’inscrivent dans des de plein droit à moins qu’il ne prouve : … 4° que
logiques étrangères l’une à l’autre, même si, l’état des connaissances scientifiques et techni-
comme nous le verrons, les analyses des magis- ques, au moment où il a mis le produit en circu-
trats et celles des pharmacovigilants semblent lation, n’a pas permis de déceler l’existence du
s’être rapprochées. défaut ; »

307
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

• article 1386-13 : « La responsabilité du produc- Intérêt de la « responsabilité objective » face à la


teur peut être réduite ou supprimée, compte « responsabilité fautive », la première facilite gran-
tenu de toutes les circonstances, lorsque le dom- dement la tâche de la victime devant la justice, ce
mage est causé conjointement par un défaut du qui est le but recherché.
produit et par la faute de la victime … »
La responsabilité ainsi définie est dite « objective »,
car ne reposant pas sur la faute du producteur.
Son existence nouvelle n’exclut pas que la victime
La causalité juridique
éventuelle (le demandeur) puisse préférer mobili-
Concernant la responsabilité « pour faute », depuis
ser d’autres moyens de droit classique, par exem-
l’origine, le concept de causalité est fuyant. On a
ple la responsabilité dite « contractuelle », voire
eu, tour à tour, recours à deux modes de raison-
« extra-contractuelle » pour tenter d’obtenir répa-
nement [3]. Tantôt on a pensé indispensable
ration. Mais il lui faudra, dans ce cas, mettre en
d’identifier, au moyen d’expertises, toutes les
évidence une faute de la partie adverse, (le pro-
causes nécessaires à la production du dommage,
ducteur de l’objet, le défendeur).
toutes étant mises sur le même plan, car si l’une
Ces modalités particulières de la responsabilité était venue à manquer, le dommage ne se serait
du fait « des produits défectueux » répondent aux pas produit (c’est la « causalité par équivalence de
préoccupations des rédacteurs de la directive conditions »). Tantôt, on a choisi de sélectionner,
européenne, et particulièrement celle exprimée parmi l’enchaînement de faits conduisant au
ainsi dans ses « considérants » : dommage, celui ou ceux, véritablement
« considérant que seule la responsabilité sans faute perturbateur(s), rendant le dommage prévisible
du producteur permet de résoudre de façon adé- ou probable, (c’est la « causalité adéquate »). Dans
quate le problème, propre à notre époque de la causalité adéquate, les autres facteurs sont alors
­technicité croissante, d’une attribution juste des rejetés, même s’ils ont concouru faiblement à la
risques inhérents à la production technique genèse du dommage.
moderne ». La responsabilité n’est bien sûr engagée que si le
La responsabilité fautive trouve, elle, ses bases, en fait (ou les faits) à l’origine du dommage est (sont)
droit français, dans l’article 1382 du Code civil : « fautif(s) », et uniquement à cette condition, et le
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à lien de causalité entre le(s) fait(s) et le dommage
autrui un dommage, oblige celui par la faute « direct et certain ».
duquel il est arrivé, à le réparer », la victime devant Cette démonstration s’avérait déjà parfois difficile
démontrer l’existence du dommage, de la faute, et au XIXe siècle, époque de performances techni-
d’un lien de causalité entre l’un et l’autre, si elle ques et industrielles relativement faibles. Elle peut
veut obtenir du tribunal réparation de son s’avérer impossible, dans nos temps modernes.
dommage.
Du point de vue de la responsabilité médicale fau-
Mais il est apparu nécessaire, face à la complexité tive, il convient que la victime démontre le carac-
de la production industrielle moderne, de dispen- tère nécessaire du fait reconnu fautif dans la
ser la victime (le consommateur) de cette démons- survenue du préjudice. Ceci pour la rigueur du rai-
tration de la faute du producteur de l’objet, dans sonnement. Cependant, puisqu’une trop grande
sa demande de dédommagement. Les preuves rigueur dans l’appréciation du caractère « direct et
attendues d’elle dans le cadre de la responsabilité certain » du lien de causalité a pu s’avérer néfaste
objective sont alors : celles du dommage, celle du aux intérêts des victimes, la jurisprudence, en leur
défaut, et celle de la relation de causalité entre l’un faveur, a conduit à quelques « constructions intel-
et l’autre. lectuelles habiles » [4], comme, par exemple la
Un tel raisonnement n’a pas manqué d’être repris méthode du « faisceau d’indices », conduisant à
par les victimes prétendues d’effets indésirables reconnaître l’existence de ce lien si les présomp-
présumés d’une spécialité pharmaceutique, pour tions, issues d’indices présents dans le dossier,
tenter d’obtenir réparation d’un éventuel préju- apparaissent à l’examen « graves, précises, et concor-
dice découlant de ces effets indésirables présumés. dantes ». Effectivement, selon ­l’article 1353 du Code

308
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

civil, dès lors qu’elles ne résultent pas d’un texte de caractériser les motifs conduisant à réparer ou
loi, les présomptions « sont abandonnées aux non le préjudice allégué par untel, et dans le cas de
lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit réponse positive, qui devra le faire. Il doit se
admettre que des présomptions graves, précises et ­borner à répondre aux questions que le juge lui
concordantes ». Mais, il peut arriver que le magis- a posées. Rappelons parallèlement, en ce qui
trat, dans son souci des victimes propre à notre concerne les relations entre magistrat et experts
société, passe de la « prudence » à la « hardiesse », judiciaires, que « le Tribunal n’est pas lié par les
voire au « laxisme ». conclusions des experts, notamment lorsque leur
avis apparaît insuffisamment motivé et non étayé
par la documentation, ou encore, lorsqu’à des
questions appelant normalement des réponses de
Causalité et imputabilité nature médicale ou scientifique, ceux-ci (les
experts), soit ont omis de répondre, soit ont répondu
Le concept de causalité « directe et certaine » dans des termes juridiques, ce qui ne ressort nulle-
conduirait souvent à exonérer [5] une spécialité ment de leur compétence, et n’est d’aucune utilité
pharmaceutique de toute responsabilité dans la au tribunal, soit enfin sont restés factuels sans tou-
genèse de tel effet indésirable grave, compte tenu tefois que les faits ainsi invoqués ne soient par
des doutes susceptibles d’exister dans la relation ailleurs démontrés par un autre élément que les
entre un produit et un événement vue du côté de affirmations des médecins défendeurs » [7].
la pharmacovigilance. Autrement dit : compte tenu Il est intéressant de relever, à la lumière de quel-
de la difficulté d’affirmer, la plupart du temps, que ques décisions récentes, les constructions démons-
tel effet clinique ou biologique observé, ayant des tratives qui ont pu être produites par les tribunaux
conséquences indésirables, est lié, de façon directe concernés en matière de responsabilité de firmes
et certaine, au produit pharmaceutique suspecté. du fait d’effets indésirables, une fois les experts
À cet égard, du point de vue de la santé publique, le entendus.
ministre de la Santé, en France, a rendu obliga- Tout d’abord, celle du Tribunal de Grande Instance
toire, pour l’exercice de la pharmacovigilance de Nanterre (24 mai 2002) : « Attendu … que c’est
industrielle, hospitalière ou administrative, le avec rigueur et exactitude que les experts ont
recours à une méthode d’imputation des effets caractérisé les difficultés d’utilisation en médecine
inattendus ou toxiques des médicaments [6]. Cette et biologie de la notion de causalité incontestable,
méthode constitue un algorithme décisionnel, par référence à celle juridique de lien de causalité
croisant des critères chronologiques, séméiologi- directe et certaine, pour privilégier une appréhen-
ques et le cas échéant bibliographiques, pour abou- sion en termes de probabilité, parfaitement utilisa-
tir à une probabilité croissante de relation où ble en droit, pour permettre au Tribunal de
l’imputabilité peut paraître « exclue », est « dou- conclure à l’existence de présomptions suffisam-
teuse », « plausible », « vraisemblable » ou « très vrai- ment graves, précises et concordantes en faveur
semblable ». Probabiliste, la méthode ne se heurte d’une probabilité pertinente du rôle causal du
pas aux bornes de la certitude ou de l’incertitude. Distilbène dans le développement ultérieur d’un
Sollicité ou commis pour se prononcer sur une adénocarcinome chez une femme exposée in utero
relation de causalité, un expert pharmacovigilant au Distilbène » [8]. Même si d’autres facteurs de
utilisera par nature cette démarche scientifique risques peuvent être rencontrés. Le produit n’en est
objective. Ce n’est vraiment qu’à partir de « très vrai- pas moins, ici, un facteur majeur au vu de la réu-
semblable » qu’il pourrait évoquer un lien « direct et nion de critères scientifiquement élaborés et
certain », à l’instar des juristes… Mais il n’en a pas explicités
besoin dans sa démarche de santé publique. Poursuivons par celle de la Cour d’Appel de
Et le juge, comment fait-il pour apprécier juridi- Versailles (2 mai 2001) [9] : « Constatant que
quement le lien de causalité susceptible d’ouvrir l’étiologie de la sclérose en plaques demeure
droit à réparation, à partir d’une expertise ? inconnue, que ni les expertises, ni les études
Précisons, ici, que l’expert judiciaire n’est pas là scientifiques ne concluent à l’existence d’une
pour « dire le droit », et plus précisément pour association entre la vaccination contre l’­hépatite B

309
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

et cette maladie, (la Cour relève) que la possibilité • C’est au demandeur d’apporter les preuves,
d’une telle association ne peut être exclue de outre du dommage, de l’existence du défaut du
façon certaine, que Mme X était en parfaite santé produit, et d’un lien de causalité entre le défaut
jusqu’à la première injection, qu’il existe une et le produit.
concordance entre la vaccination et l’apparition • Il ne suffit pas qu’un lien existe entre le produit
de la maladie également constatée chez d’autres et le dommage pour que la responsabilité du
malades, et qu’il n’y a dans le cas de Mme X producteur soit engagée. Il est nécessaire que ce
aucune autre cause de déclenchement de la maladie, lien soit établi avec un défaut du produit.
elle en déduit que le vaccin a été le facteur déclen-
• Face à la demande de la victime, la loi ne met pas
chant de la maladie développée par Mme X. »
à la charge du producteur la preuve d’une
Le juge passe, ici, insidieusement, de l’absence de absence de défaut.
certitude de tout lien à l’absence de certitude de
• Le défaut du produit ne peut être déduit du seul
toute absence de lien. Ce qui est pour le moins
constat d’un dommage observé dans les suites
renversant. Ce raisonnement conduirait à conclure
de la prise d’un médicament.
par la responsabilité quasi-automatique des labo-
ratoires pharmaceutiques. Il appartient aux experts d’analyser les situations,
Mais, quelque temps plus tard (quatre ans), de en termes de certitudes ou d’incertitudes scienti-
cette même Cour d’Appel de Versailles (25 novem- fiques, quant à la nature du fait dommageable et à
bre 2005) : « Considérant que les modes de preuve l’existence d’un lien de causalité. L’incertitude
s’agissant du lien de causalité entre un acte médi- scientifique ne se limite pas à la simple impossibi-
cal et une pathologie résultent des études scienti- lité de valider ou d’infirmer une hypothèse de ris-
fiques, en vue d’identifier les causes de la maladie, que, mais doit faire également état de l’existence,
que la preuve d’un lien de causalité direct et cer- le cas échéant, d’une controverse scientifique où
tain entre la vaccination contre l’hépatite B et la plusieurs hypothèses recevables s’affrontent. Il
sclérose en plaques ne pouvait être établie au appartient aux juges d’analyser rigoureusement
regard des données acquises de la science, qu’il les conclusions des experts judiciaires, sans se
n’est en effet pas possible scientifiquement de rap- substituer à eux.
porter la preuve de l’existence d’un lien de causa- La réparation du dommage ne peut ni être automa-
lité dès lors que l’étiologie de la sclérose en plaques tiquement liée à l’apparition d’une symptomatologie
demeure à ce jour inconnue, et que ni les études, au décours d’une prise médicamenteuse, ni reposer
ni les experts scientifiques ne concluent à l’exis- sur le seul fondement de présomptions de causalité,
tence d’une association entre la vaccination et quand bien même ces présomptions seraient-elles
cette maladie, que les études scientifiques concor- graves et concordantes. Si l’état d’incertitude scienti-
dantes publiées dont les résultats sont repris par fique ne permet de valider ni le fait générateur, ni le
les autorités sanitaires nationales et internationa- lien de causalité, il restera au juge à faire du droit. En
les concluent en l’absence de toute démonstration retenant que la « responsabilité objective » n’a pas
d’un rôle causal du vaccin dans la survenue d’une pour but de créer une obligation de « sécurité de
sclérose en plaque ». résultat » dans lequel le producteur doit indemniser
Ces deux dernières analyses issues, à quatre ans tout dommage susceptible de résulter de son pro-
d’intervalle, de la Cour d’Appel de Versailles ne duit, mais vise à établir « une juste répartition des
sont pas, c’est un euphémisme, superposables. risques entre la victime et le producteur, (ceci impli-
Entre-temps, la Cour de cassation38 a pu se pronon- quant) que ce dernier doive pouvoir se libérer de la
cer. L’arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre responsabilité, s’il prouve l’existence de certains faits
2003 permet de lever plusieurs ambiguïtés : qui le déchargent »39.

39 La directive ci-dessus identifiée exprime ceci de la


38 Cour de cassation : juridiction la plus élevée dans même façon : « Considérant qu’une juste répartition
l’ordre judiciaire, dont le rôle est de faire régner une des risques entre la victime et le producteur impli-
unité d’interprétation du Droit ; elle veille au respect que que ce dernier doive pouvoir se libérer de la res-
de la loi dans les décisions de justice, et casse celles qui ponsabilité s’il prouve l’existence de certains faits
violent la loi. qui le déchargent »

310
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

Postérieurement, la Cour de cassation produira, • qu’il soit hautement probable (sinon certain),
dans son arrêt du 5 avril 2005 [10], l’intéressant que ce fait invoqué ait été à l’origine dudit
développement ci-après rapporté : dommage,
« M. X a bien absorbé le médicament litigieux qui • que les autres causes possibles de ce dommage
lui a été prescrit ; aient pu être circonscrites et exclues.
l’expert a souligné que le lien entre l’absorption du Devant deux nouvelles affaires de scléroses en
médicament en cause et l’apparition du syndrome plaques susceptibles d’être en relation de causalité
de Lyell était scientifiquement reconnu ; avec une vaccination contre l’hépatite B, la Cour
M. X a développé ce syndrome dans le délai de de cassation revient, dans deux arrêts du 12 mars
7 à 21 jours après l’administration du médi­ 2008 [12], sur la notion de « preuve par présomp-
cament, délai habituellement constaté entre tion » : dans les deux cas, une Cour d’Appel avait
­l ’administration et la survenance de cet effet débouté le demandeur dans son action contre une
toxique ; société pharmaceutique au motif que « l’étude des
la cessation du trouble a coïncidé avec l’arrêt de la cas notifés et les études de cas témoins à disposi-
prise du médicament ; tion ne permettaient pas d’affirmer, de façon cer-
taine, l’existence d’une relation entre la vaccination
le patient ne présente pas une prédisposition à
et la survenue de sclérose en plaques », qu’à défaut
cette pathologie ;
de lien scientifique, aucun lien statistique n’avait
[On peut voir ici des] motifs hypothétiques carac- été démontré, « et que la seule éventualité d’un ris-
térisant exactement le lien de causalité entre l’ab- que d’apparition ne pouvait suffire à démontrer
sorption et le dommage ». un lien de causalité direct, de nature à engager la
La Cour de cassation a poursuivi son analyse de la responsabilité du producteur du vaccin ». La Cour
« jurisprudence effets indésirables » dans l’arrêt du de cassation objecte que « si l’action en responsa-
24 janvier 2006 [11] : bilité du fait d’un produit défectueux exige la
« attendu … qu’il ressortait des études épidé- preuve du dommage, du défaut et du lien de cau-
miologiques et de pharmaco-vigilance évoquées salité entre le défaut et le dommage, une telle
par les experts et de l’avis même de ces derniers preuve peut résulter de présomptions pourvu
que la dexfenfluramine constituait un facteur qu’elles soient graves, précises et concordantes ».
favorisant l’HTAPP même si elle n’en était pas la D’où il suit que les données scientifiques portant
cause exclusive … que la suspension de l’AMM sur des populations et relevant de la pharmaco-
de l’Isoméride … était notamment due aux cas épidémiologie, si elles constituent sûrement des
d’HTAPP ayant entraîné des restrictions de informations intéressantes, ne doivent pas faire
prescription et à l’existence d’un rapport béné- oublier au tribunal qu’à côté de ces considérations
fice/risque n’apparaissant plus favorable, d’ordre général, il importe de se préoccuper du
… que, dans le cas de Mme Y … qui avait un dossier du demandeur où il convient de « recher-
état de santé satisfaisant avant (la prise), les cher si les éléments de preuve (qui y figurent)
experts avaient écarté les autres causes possi- constituent ou non des présomptions graves, pré-
bles d’HTAPP cises et concordantes du caractère défectueux du
vaccin litigieux comme du lien de causalité entre
(la Cour) a pu en déduire qu’il existait des pré- un éventuel défaut et le dommage subi ».
somptions graves, … dans le cas de Mme Y …,
d’imputer l’apparition de l’HTAPP à la prise Dans leur vocabulaire technique, les pharmacovi-
d’Isoméride ; ». gilants parlent, devant toute notification leur par-
venant d’un professionnel de santé rapportant
En l’absence de certitude du lien causal, le recours une manifestation clinique suspectée d’être un
à la preuve du lien de causalité par présomptions, effet adverse d’un médicament, « d’effet indésira-
au sens de l’article 1353 du Code civil, peut donc ble présumé », précisément pour ne pas, avant
être admis, mais à la triple condition : toute analyse d’imputabilité, paraître établir un
• que le fait invoqué puisse, au regard des données lien de causalité entre le fait et le produit. La Cour
acquises de la science, être matériellement une de cassation retient également la présomption
cause génératrice du dommage, mais dans une démarche différente. Dès lors que

311
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

l’approche purement scientifique de la causalité scientifiques et techniques, au moment où il a mis


ne peut être déterminante pour établir la respon- le produit en circulation, n’a pas permis de déceler
sabilité du produit, et donc de son producteur, il l’existence du défaut » [article 1386-11 Code civil],
est possible, devant telle observation, de retenir situation conduisant à ce qu’il est convenu d’ap-
une présomption de causalité dès lors que les indi- peler « risque de développement » [13].
ces y conduisant sont des éléments graves, précis Le défaut affectant une spécialité pharmaceutique
et concordants. va souvent s’inscrire à la rubrique pharmaco­
Le terme « présumé » est utilisé par les pharmaco- vigilance.
vigilants pour marquer la distance, mais est Déjà, le 8 avril 1986, la Cour de cassation [14] avait
retenu par la Cour de cassation pour favoriser le estimé, « que l’obligation de renseignements rela-
rapprochement. tive aux contre-indications et effets secondaires
Reste à identifier ces éléments précis et concor- des médicaments ne peut… s’appliquer qu’à ce
dants. Les pharmacovigilants utilisent une échelle qui est connu au moment de l’introduction du
de probabilité où figurent la chronologie d’appari- médicament sur le marché et à ce qui a été porté à
tion par rapport à l’événement réputé déclencheur la connaissance du laboratoire depuis cette date »,
(prise du médicament suspecté), la compatibilité « la loi ne (mettant) pas à la charge du fabricant
du fait identifié avec la connaissance scientifique l’obligation de prévoir tous les risques présentés
concernant le médicament suspecté (imputabilité par le médicament dans tous les cas, (lesquels
sémiologique), l’existence d’une demande de dia- pouvant être liés) à la sensibilité particulière du
gnostic différentiel, et la notoriété bibliographique malade ».
du fait en tant que possible effet indésirable du Le concept reste d’actualité, par exemple, dans cet
médicament suspecté, étant entendu que cette arrêt de la Cour d’Appel de Paris (23 septembre
analyse probabiliste n’est pas suffisamment impi- 2004) : « La néphrite interstitielle immuno-­
toyable pour éliminer toute coïncidence. allergique (présentée par M. X) est en relation
Cette démarche est-elle de nature à faire naître la directe et certaine avec l’administration du
présomption, au sens où l’entendrait la Cour de Pentasa. Il  n’est pas discuté que la notice ou le
cassation ? Résumé des Caractéristiques du Produit ne met-
tait pas en garde l’utilisateur de ce médicament
(ou le prescripteur) contre l’existence d’effets
Et le « défaut » du produit secondaires, même exceptionnels, consistant en
cette atteinte rénale. Ce défaut d’information peut
défectueux ? être assimilé à un défaut du produit, et constitue
le manquement à l’obligation de sécurité qui pour-
Un produit peut présenter des défauts de toutes rait être reproché au laboratoire (mais) l’état des
sortes. connaissances sur les effets secondaires et indési-
La définition du défaut peut être tirée de l’article rables du Pentasa, lors de la réalisation du
1386-4 du Code civil : « Un produit est défectueux ­dommage, étant cependant limité, … aucun man-
au sens du présent titre lorsqu’il n’offre pas la quement à cette obligation (de sécurité) ne peut
sécurité à laquelle on peut légitimement s’atten- être reproché, [NdA : puisque ce n’est pas du fait
dre. », notamment du fait de la présentation du du laboratoire, par ignorance, négligence, ou
produit, et de l’usage qui peut en être raisonnable- impéritie, que les connaissances étaient limitées].
ment attendu. La « présentation du produit » est le Au demeurant, la nature immuno-allergique de
fait du producteur, l’« usage pouvant être déraison- l’affection subie par M. X fait … qu’une informa-
nable » vient du fait du consommateur. La preuve tion même complète ne l’aurait pas nécessaire-
que le produit était bien présenté, au regard de la ment empêchée. »
sécurité attendue, comme celle de l’« usage dérai- Reste à s’entendre sur le sens à donner à l’ex-
sonnable » fait par le consommateur-victime, sont pression « l’état des connaissances », en termes
à la charge du producteur. Toutefois, il est possible de pharmacovigilance. Les pharmacovigilants
au producteur de s’exonérer de sa responsabilité, (industriels, notamment) ont à traiter, dans leur
s’il peut prouver « que l’état des connaissances pratique, des effets secondaires présumés, des

312
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

effets secondaires suspectés déjà notifiés, des l’usage qui peut en être raisonnablement attendu
effets secondaires suspectés jamais notifiés et du moment de sa mise en circulation ;
auparavant, des effets secondaires imputables, • un médicament est un produit pharmaceutique
des effets secondaires attendus (ou prévisibles), à visée thérapeutique qui contient des substan-
des effets toxiques (dépendant pharmacologi- ces actives entraînant par définition des effets
quement de la dose administrée), des effets divers sur l’organisme et peut être intrinsèque-
­retenus qui s’avèrent ensuite, lors d’enquêtes ment dangereux ; il ne peut être soutenu qu’un
complémentaires, sans rapport avec le produit. médicament ne doit jamais comporter d’effet
Tout ceci tirés, par l’analyse et l’investigation indésirable pour être commercialisable ;
d’événements indésirables notifiés, devenant
postérieurement, soit des effets secondaires, soit • en l’espèce, le seul fait que l’Halfan entraîne des
des coïncidences. troubles du rythme cardiaque ne peut consti-
tuer un défaut du produit ;
Ayant l’obligation de considérer, et de retenir,
toute information utile à la santé publique, du fait • par contre, le défaut peut consister dans une
de leur rôle de veille sanitaire, les pharmacovigi- insuffisance ou une mauvaise information sur
lants industriels auraient tort de trier a priori ou les dangers potentiels de l’utilisation du pro-
rétrospectivement dans les catégories ci-dessus duit : la sécurité d’un produit comprend l’infor-
énumérées et qui figurent dans leur base de don- mation sur les risques qu’il ferait courir à des
nées de pharmacovigilance, et dont rien ne doit patients présentant certaines dispositions ;
disparaître. Mais tout ce qu’ils connaissent ne • cette obligation d’information ne peut s’appli-
constitue sûrement pas « l’état des connaissances » quer qu’à ce qui est connu au moment de l’in-
en matière d’information des professionnels de troduction du médicament sur le marché et à ce
santé ou du public. qui a été porté à la connaissance du laboratoire
En passant de la notion de faute (est fautif en droit, depuis cette date ;
le fait de ne pas avoir informé convenablement le • l’expert judiciaire a, au cours de ses opérations,
patient, directement ou par le truchement de son contacté le Centre de Pharmacovigilance de la
médecin), à la notion de défaut, l’éventail des fac- ville de Y ; la réponse qui lui a été adressée
teurs de responsabilité a-t-il vu se modifier son ­indique :
écartement ?
− qu’au cours des premières années de la com-
Que doit-on entendre sous la périphrase « la sécu- mercialisation de l’Halfan, peu d’effets indési-
rité à laquelle on peut légitimement s’attendre » ? rables ont été signalés ou publiés en dehors de
Affinons l’évaluation à la lecture de différents ceux décrits dans le dictionnaire Vidal,
jugements : − que la première mention de l’allongement du
« Aucune responsabilité ne peut être retenue à QT et d’effets cardiaques retrouvée dans la lit-
l’encontre du laboratoire, dès lors…que les effets térature date d’avril 1993,
indésirables, malheureusement réalisés au cas − qu’à la suite de cette publication, deux cas
d’espèce étaient signalés dans la notice d’utilisa- français ont été publiés sous forme de lettres ;
tion du produit » (TGI d’Ajaccio, 8 septembre ces deux cas avaient été signalés à la pharma-
2003). covigilance française,
Cela a le mérite d’être clair. − que le laboratoire commercialisant l’halofan-
Sur le caractère défectueux d’un produit, le TGI trine a envoyé un courrier aux médecins le
de Bordeaux (11 mai 2005) considère : 5 août 1993,
• « tout fabricant est tenu de livrer un produit − qu’une enquête de pharmacovigilance a été
exempt de tout défaut de nature à causer un mise en place par l’Agence du médicament ; le
danger, c’est-à-dire un produit qui offre la sécu- dossier a été présenté à la commission de phar-
rité à laquelle on peut légitimement s’attendre ; macovigilance en octobre 1993 ce qui a entraîné
dans l’appréciation de la sécurité, il doit être une modification de l’annexe I de l’AMM et de
tenu compte de toutes les circonstances et l’édition du dictionnaire Vidal qui tient compte
notamment de la présentation du produit, de dès 1994 des nouvelles recommandations ;

313
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

• l’ensemble des documents, études scientifiques Mme C a été victime tient à la prédisposi-
et extraits de publications versés aux débats tion présentée par celle-ci dans le cadre du
confirme intégralement ces indications ; … syndrome de Romano-Ward qui était alors
ignoré et n’a été décelé qu’à l’occasion de l’ac-
• au cours des essais cliniques pré-AMM réalisés
cident d’octobre 1992 ; la seule connaissance
sur quelque 2 800 sujets, si quelques patients ont
de la toxicité cardiaque potentielle de l’Halfan
présenté des palpitations ou des manifestations
n’aurait alors vraisemblablement pas contre-
cardio-vasculaires, ces éléments n’étaient pas
indiqué la prise de ce médicament justifiée
suffisamment significatifs et sans rapport avec
par la pathologie qu’elle développait ; »
les troubles du rythme cardiaque ;
– si trois accidents ont effectivement eu lieu à Ainsi qu’il est loisible de le constater, à partir de
la suite de la prise d’Halfan antérieurement à rapports d’experts détaillés, un tribunal peut
celui de Mme C (décembre 1989 – juillet 1992), juger dans le détail, mais il peut aussi s’exprimer
le premier n’était pas suffisamment docu- sobrement, sans manquer de retenir les informa-
menté pour en tirer des conséquences globa- tions scientifiques utiles, mais également les
les et était alors isolé, les deux suivants se sont considérations d’ordre réglementaire.
produits dans un laps de temps très proches Ce que fait la Cour d’Appel de Versailles, le
de celui de Mme C et la connaissance de ces 25 novembre 2005 :
accidents, dont celui de Mme C a entraîné une • « considérant en l’espèce, que l’AMM de l’Enge-
réaction dès le début de l’année 1993 par la rix B a été délivrée en 1989 par les autorités
mise en place d’une enquête de pharmacovi- sanitaires (l’agence du médicament devenu
gilance ; il n’est pas établi qu’un cas similaire l’Agence Française de la Sécurité Sanitaire des
à celui de la demanderesse ait été publié ou Produits de Santé) et que cette AMM a été sys-
porté à la connaissance du laboratoire avant tématiquement renouvelée depuis, la dernière
octobre 1992 par les professionnels de santé autorisation datant de décembre 2004 ;
utilisateurs du produit ;
• que nonobstant la modification de l’AMM du
– sur la parenté entre l’halofantrine et les autres vaccin Engerix B au mois d’août 1995 au titre de
anti-paludéens de la famille de la quinine la rubrique « précautions d’emploi » ce vaccin
connus pour avoir des effets cardiaques, il a n’a jamais cessé d’être commercialisé, cette
été souligné par les scientifiques que la struc- autorisation n’ayant jamais été suspendue ou
ture de l’halofantrine est entièrement nouvelle retirée par les autorités sanitaires ; …
en ce qu’elle dispose d’une fonction alcool sans
• que la rubrique « effets indésirables » dans le
posséder le noyau quinoléine et l’affirmation
dictionnaire Vidal de 1995 mentionne la surve-
de la demanderesse selon laquelle le risque de
nue très rarement de la sclérose en plaques en
voir ce produit présenter les mêmes risques
précisant que « la relation causale avec le vaccin
cardiaques ne repose sur aucune observation
n’a pas été établie dans beaucoup de cas » et
scientifique et n’avait jamais été soulevée anté-
l’édition 1996 indique la survenue très rare
rieurement à 1992 ;
« d’atteintes démyélisantes du système nerveux
– l’ensemble des documents produits amène à la central (poussée de sclérose en plaques surve-
constatation que la toxicité cardiaque du pro- nant dans les semaines suivant la vaccination)
duit Halfan n’a été évoquée pour la première sans qu’un lien certain de causalité n’ait actuel-
fois qu’en 1993 et l’information fournie par le lement pu être établi » (mention identique figu-
Laboratoire en octobre 1992 était conforme à rant sur la notice du vaccin), ce qui correspond
l’état des connaissances acquises à cette date ; à l’application du principe de précaution qui
– par ailleurs, s’il a effectivement été établi que prévaut en matière sanitaire et au devoir d’in-
l’halofantrine peut entraîner des troubles du formation dû au patient ;
rythme cardiaque par allongement du QT, ces • que le renouvellement de l’AMM dont bénéficie
troubles restent généralement maîtrisés et sans systématiquement le vaccin Engerix B laisse
conséquences sur des patients « normaux », et supposer l’intérêt thérapeutique du vaccin et la
la gravité exceptionnelle de l’accident dont démonstration qu’il remplit les critères de qua-

314
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

lité, sécurité et efficacité, exigés et contrôlés par le marché, et à ce qui a été porté à la connaissance
l’Agence Française de la Sécurité Sanitaire des des laboratoires depuis cette date ;
Produits de Santé ; • considérant par ailleurs que la notice d’infor-
• qu’il ressort des publications scientifiques ver- mation alors présente dans le conditionnement
sées aux débats, que la faible prévalence des du médicament et destinée aux patients, n’indi-
atteintes démyélisantes notifiées aux services de quait pas le risque d’alopécie ; que par contre elle
pharmacovigilance n’est pas statistiquement recommandait de signaler au médecin ou au
significative et que la vaccination contre l’hépa- pharmacien tout effet non souhaité ou gênant
tite B, au regard des données acquises de la qui ne serait pas mentionné dans la notice ;
science, ne peut être considérée comme le fait • que l’expert note qu’il existe une différence
générateur de la sclérose en plaques ; importante entre le RCP et la notice, qui résulte
• qu’en conséquence Mme A ne fournissant aucun de plusieurs facteurs, en particulier la gravité
élément tendant à remettre en cause l’informa- des effets indésirables et leur fréquence, et le fait
tion reçue sur la tolérance neurologique du vac- que la notice attire plus spécialement l’attention
cin Engerix B, sa demande au titre du défaut sur les risques gênants dans la vie quotidienne
d’information sur les risques encourus ne sau- (conduite automobile par exemple) et sur les ris-
rait être accueillie » ques de pathologie somatique grave impliquant
un arrêt urgent et définitif du médicament ; qu’il
L’obligation d’information des patients passe
indique qu’un compromis est recherché entre
assurément par deux voies, celle de la notice
une information exhaustive et une information
d’information figurant dans le conditionne-
utile ne risquant pas d’entraver de manière
ment, à destination du consommateur, celle du
néfaste la compliance, c’est-à-dire la poursuite
résumé des caractéristiques du produit, repris
thérapeutique sans arrêt non prévu, qui est un
dans certains dictionnaires spécialisés (Vidal
élément essentiel d’un traitement au long cours »
par exemple) à l’intention des prescripteurs, afin
[Cour d’Appel de Paris – 18 mars 2004].
qu’eux-mêmes puissent informer le patient. Il
est à la fois normal et admis que le contenu et la
forme de l’information figurant sur l’un et
l’autre de ces supports puissent différer. La
Conclusion
notice est généralement la dérivée du RCP :
L’application de la Directive européenne a initia-
• « considérant sur l’obligation d’information des lement servi pour faire peser sur les laboratoires
effets indésirables d’un médicament, la demande pharmaceutiques une responsabilité quant aux
d’autorisation de mise sur le marché doit être manifestations indésirables graves observées de
accompagnée d’un résumé des caractéristiques du façon contemporaine à l’usage de leurs spécialités
produit (RCP), qui doit mentionner ces dits effets ; pharmaceutiques, lecture audacieuse tendant vers
• la notice d’information destinée aux utilisa- une obligation de résultat de sécurité, presque une
teurs, prévue à l’article R 5143-4, doit être ­établie responsabilité « sans cause », astuce permettant de
en conformité avec le résumé des caractéristi- faire profiter les victimes prétendues de l’air du
ques du produit et doit comporter notamment temps favorable au consommateur malheureux.
une description des effets indésirables pouvant Depuis, les juridictions civiles, sous le monitorage
être observés lors de l’usage normal du médica- de la Cour de cassation, se sont rapprochées, dans
ment ou du produit et, le cas échéant, la conduite l’appréciation de la causalité, de la façon de procé-
à tenir, ainsi qu’une invitation expresse pour le der des pharmacovigilants. Reste que la différence
patient à communiquer à son médecin ou à son de finalité des rôles des unes et des autres laisse
pharmacien tout effet indésirable qui ne serait perdurer des pièges et des ambiguïtés d’interpré-
pas mentionné dans la notice ; tation, notamment en ce qui concerne le « défaut
• que l ‘obligation de renseignements relative aux d’information » sur la sécurité d’emploi d’un pro-
contre-indications et effets secondaires des médi- duit au regard de ce que l’on sait de sa tolérance et
caments, ne peut s’appliquer qu’à ce qui est connu lorsque l’on évalue « l’état des connaissances »
au moment de l’introduction du médicament sur dans une procédure contentieuse.

315
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Bibliographie [7] TGI Ajaccio, jugement du 08 septembre 2003.


[8] Neyret L. La reconnaissance du préjudice d’exposi-
[1] Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 tion au Distilbène. RDSS 2002, 38, 3 ; p. 502–16.
relative au rapprochement des dispositions législa-
[9] Cour de cass. Civ. 23 septembre 2003, note A.
tives, réglementaires et administratives des États  –
Gossement, Petites Affiches 2004, 12 ; p. 14–18.
Membres en matière de responsabilité du fait des
produits défectueux. [10] Cour de cass. Civ. 1, 5 avril 2005 – M.X/Lab. Aventis –
Lab. Glaxo. Smith Kline.
[2] Lantres O. In : La responsabilité des fabricants des
produits de santé : l’impossible exonération. Les [11] Cour de cass. Civ. 1, 24 janvier 2006 – Les labora-
Echos ; 27/03/2003 ; p. 6. toires Servier SA/Mme Anna X… épouse Y… et
autres.
[3] Code Civil Dalloz. 1997, p ; 1034 notes sous
article 1382. [12] Cour de cass. Civ. 22 mai 2008, note J. Peigne. RDSS
2008, 3, 578-581.
[4] Gromb S, Miras A. L’information médicale et les limites.
J. de Méd. Leg. Dt Med. 2004, 47 ; 6–7, p. 269–274. [13] de Groote D, Benaiche L. Responsabilité civile du fait
d’un produit de santé défectueux : nouvelles perspec-
[5] Girard M. L’intégrisme causal, avatar de l’inégalité
tives au regard des arrêts du 25 avril 2002 de la Cour
des armes. Dalloz Sirey 2005, 38 ; p. 2620–1.
de justice des Communautés européennes. Med. et
[6] Méthode d’imputation des effets inattendus ou toxi- Droit 2003 ; 60 : 73–84.
ques des médicaments à utiliser dans le cadre de la
[14] Huet J. Le paradoxe des médicaments et les risques
déclaration obligatoire prévue à l’article R 5144-9
de développement. Dalloz Sirey 1987, 11 ; p. 73–80.
CSP- BOMS 84/50 du 24 janvier 1985.

L’information sur le risque nosocomial


médicamenteux

L’ appréciation des responsabilités dans la loi


et la jurisprudence
J. Hureau

La loi no 98-389 du 19 mai 1998 relative à la res- Cour de cassation, au cœur même de la jurispru-
ponsabilité du fait des produits défectueux trans- dence de cette Haute juridiction [1].
posant enfin dans notre droit interne la Directive Avec son accord, cette réactualisation du sujet
européenne no 85-374 du 25 juillet 1985 et la loi résumera l’étude réglementaire et jurispruden-
no  98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforce- tielle qu’il en a fait. L’évolution de la jurisprudence
ment de la veille sanitaire et du contrôle de la après les lois de 1998 s’est poursuivie [2] sans
sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme modifier profondément les conclusions du travail
traitent en particulier de l’information sur les ris- de Pierre Sargos.
ques médicamenteux.
Dans quelle mesure la promulgation de ces deux
lois a-t-elle eu des répercussions profondes sur Le médicament, produit
l’appréciation des responsabilités encourues à rai- à finalité sanitaire
son des dommages causés aux personnes par des
médicaments par faute d’information ? Le médicament n’est plus une « catégorie particu-
Telle est la question à laquelle a voulu répondre lière » de produit telle que définie par la directive
l’étude faite en 1999 par le Président Pierre Sargos, européenne no 65/65 du 26 janvier 1965 et par
alors Haut conseiller de la 1re chambre civile de la l’article L. 5111-1 du CSP. L’article 6 de la loi du

316
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

1er juillet 1998 en fait une sous-catégorie de l’en- contrôle du respect des règles de bonne prati-
semble plus vaste des « produits à finalité sani- que  en la matière est dorénavant du ressort de
taire ». L’article L. 5311-1 du CSP qui codifie l’Agence française de sécurité sanitaire des pro-
l’article de la loi institue une « Agence française duits de santé (loi du 1er juillet 1998).
de sécurité sanitaire des produits de santé » qui, Concernant l’étiquetage, les articles R. 5143 et
compétente entre autres pour les médicaments, suivants du CSP en précisent les rubriques et les
se substitue à l’Agence du médicament. modalités de présentation en fonction de la taille,
Antérieurement à la promulgation de la loi du du mode de conditionnement et de la nature du
19 mai 1998, la Cour de cassation s’était déjà lar- produit (spécificité pour les radio­nucléides).
gement inspirée de la directive européenne du La lisibilité de l’étiquette doit être parfaite [3].
25  juillet 1985 comme cela lui est imposé par la
La notice doit être beaucoup plus détaillée comme
Cour de justice de l’Union européenne. Pierre
nous le démontre l’usage quotidien du diction-
Sargos s’en explique dans la préface dont il a
naire Vidal, forme la plus développée de cette
honoré cet ouvrage.
notice. Elle doit être conforme aux données acqui-
Un point capital est l’information sur les indica- ses de la science au moment de l’autorisation de
tions du médicament, ses contre-indications, ses mise sur le marché (AMM).
posologies, ses précautions d’emploi. Conformé­
La révision du contenu des notices en fonction des
ment à la directive européenne no 92/27 du 31 mars
connaissances acquises à la suite de la mise sur le
1992, c’est le rôle de l’étiquetage et des notices. Tout
marché est fondamentale. La date de leur dernière
manquement aux règles établies peut entraîner la
révision doit être mentionnée. L’arrêt Thorens c/
mise en jeu de la responsabilité des fabricants, des
Lab. Merell-Thoraude (CC., Civ., 8 avril 1986) est
distributeurs et des prescripteurs du médicament.
exemplaire à ce titre. Il montre bien que la Cour
Selon les deux lois de 1998, la qualité du contenu de cassation n’hésite pas à interpréter un texte « à
des notices est une des rares possibilités pour le la lumière » d’une directive européenne non
fabricant de réduire ou de supprimer sa responsa- encore transposée dans le droit interne français.
bilité de plein droit. L’appréciation des responsabi-
Bien avant l’intégration de la directive européenne
lités en matière d’étiquetage et de notice des
du 25 juillet 1985 dans la loi française (19 mai 1998)
médicaments devient moins une question de
la pharmaco-vigilance organisée par le décret n°
recherche de la faute que de recherche des causes
95–278 du 13 mars 1995 a imposé des règles impé-
d’exonération totale ou partielle de la responsabi-
ratives concernant le signalement des effets indési-
lité du producteur en cas de dommage lié à l’utilisa-
rables. La directive puis la loi établissent une
tion du produit. Un usage contraire aux indications
véritable responsabilité civile du fait d’effets indési-
des étiquetages et des notices, la signalisation d’un
rables graves d’une spécialité pharmaceutique.
risque inhérent au produit en sont des exemples.
L’article R. 5144-4 du CSP définit successivement :
Transposant les solutions jurisprudentielles anté-
rieures au regard du nouveau régime de responsa- • l’effet indésirable, « réaction nocive et non vou-
bilité du fait des produits défectueux, Pierre Sargos lue, se produisant aux posologies normalement
traite successivement des exigences légales en utilisées chez l’homme pour la prophylaxie, le
matière d’étiquetage et de notice des médicaments, diagnostic ou le traitement d’une maladie ou
et des insuffisances des informations portées. la modification d’une fonction physiologique
ou résultant du mésusage du médicament ou
produit » ;
Règles en matière d’étiquetage • l’effet indésirable grave, « effet indésirable létal
ou susceptible de mettre la vie en danger, ou
et de notice des médicaments entraînant une invalidité ou une incapacité, ou
à usage humain provoquant une hospitalisation » ;
• l’effet indésirable inattendu, « effet indésirable
Étiquetage et notice étaient déjà soumis aux règles qui n’est pas mentionné dans le résumé des
de la directive européenne no 92/27 du 31 mars caractéristiques du produit mentionné à l’article
1992 (article R. 5143 à R. 5143-5 du CSP). Le R. 5128 » ;

317
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

• le mésusage, « utilisation non conforme aux


recommandations du résumé des ­caractéristiques
Les insuffisances des informations
du produit mentionné à l’article R. 5128 à l’ex- portées sur les notices
clusion d’un usage abusif ».
Les responsabilités sont plus complexes à évaluer.
Depuis la loi du 1er juillet 1998 (article 6) l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de P. Sargos pose la question : « Que doit-il se passer
santé a pour mission de recueillir et d’évaluer tou- lorsqu’un effet indésirable, ou de façon plus géné-
tes les informations sur les effets indésirables et les rale un dommage imputable à l’usage du médica-
mésusages du médicament et de prendre toute ment, survient, bien que le patient ait respecté les
mesure pour préserver la santé publique. précautions d’emploi recommandées et que l’éti-
quetage ou la notice comporte bien, sans erreur,
Compte tenu de la rigueur de la réglementation de toutes les mentions légales ? »
l’étiquetage et des notices du médicament et des
multiples contrôles exercés, la mise en cause de la Se référant à l’article 10, 4e de la Directive euro-
responsabilité pour omission d’une information péenne du 31 mars 1992, à l’article L. 5121 du CSP
obligatoire est de plus en plus rare. Pierre Sargos et à l’article 1386-10 du Code civil, issu de la loi du
ne signale qu’un arrêt de la Cour de cassation 19 mai 1998, il répond : « Le respect des exigences
(arrêt Petit du 7 juin 1989, Bull Civ I, no 232), légales n’est pas de nature, à lui seul, à exonérer le
encore est-il déjà ancien et du domaine de la fabricant du médicament ou le titulaire de l’autori-
médecine vétérinaire. Il en ressort que « le fait sation de mise sur le marché ».
qu’un professionnel prescrive un médicament dont
l’emballage ou la notice ne mentionne pas une
information obligatoire n’exonère pas le fabricant La jurisprudence antérieure
de sa responsabilité ». à la loi du 19 mai 1998
Concernant la révision des notices, depuis la loi Elle avait déjà dégagé des solutions.
du 19 mai 1998, le nouvel article 1386-12 du Code
L’ arrêt du 12 mars 1958 de la Cour d’appel de Pau
civil dispose que, si un défaut se révèle dans les
énonçait que « Le visa accordé par la santé publi-
10 ans suivant la mise en circulation d’un ­produit,
que constitue un contrôle dans l’intérêt du public
toutes dispositions devront être prises pour pré-
mais n’a pas pour but de faire garantir par l’État
venir les conséquences dommageables, notam-
l’efficacité ou l’innocuité du produit ».
ment la révision des notices. Cette limitation de la
durée de responsabilité à 10 ans ne doit pas faire L’arrêt du 25 juin 1992 de la Cour d’appel de
illusion en raison de la jurisprudence interpréta- Versailles souligne que la réglementation de l’éti-
tive de la directive européenne de 1985. De plus, quetage et des notices a pour finalité fondamen-
outre des arrêts « anciens » (CA de Pau du 12 mars tale de fournir à l’utilisateur « un mode d’emploi »
1958 ; CA de Rouen du 14 février 1979), il faut se et une information sur les risques dont le contenu
référer aux arrêts intervenus hors du domaine du s’apprécie en fonction des données acquises de la
médicament, concernant les notices qui doivent science. Très pertinent, l’arrêt du 14 février 1979
accompagner tous les produits dont l’emploi ou la de la Cour d’appel de Rouen n’avait pas énoncé
mise en œuvre impose certaines précautions autre chose.
(CC., Ch. Com., no 2100, 5 décembre 1995 ; CC., L’ arrêt du 23 avril 1985 de la 1re chambre civile
3e  Ch. Civ., no 2009, 15 novembre 1995 ; CC., de la Cour de cassation (Bull civ I, no 125)
Ch. Crim., no 6553, 9 novembre 1998). confirme bien que l’obligation d’information,
Pierre Sargos en conclut : « Cette responsabilité obligation de moyens, concerne le bon usage et
qui pèse sur les fabricants en matière de non-­ non la garantie d’efficacité tout en informant des
respect de l’obligation de fournir une notice risques.
­contenant les mentions imposées…est simple à Toute la jurisprudence concernant l’information
appréhender…Il suffit de constater l’absence de sur les conditions d’emploi et les risques d’un pro-
toute notice, l’absence d’une mention obligatoire duit était déjà transposable au médicament, un
ou une erreur ». produit parmi d’autres. Elle est abondante.

318
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

Selon le CSP (article R. 5015-48 et R. 5015-60 à s’attendre » (art. 1386-4 du CC) et non par rapport
R.  5015-62), la responsabilité du fabricant pour à sa dangerosité. C’est donc de l’absence d’infor-
notice insuffisante, transposée au médicament, mation donnée dans la notice sur les effets indési-
n’exclut pas celle du distributeur (le pharmacien rables dont le laboratoire avait connaissance lors
et sa mission d’information et de conseil) ou du de la mise sur le marché que s’apprécie la défectuo-
prescripteur (le médecin également dans son sité (CC, 1re civ., 24 janvier 2006), en application
devoir d’information) (cf. Effets indésirables et du principe posé par l’arrêt du 5 avril 2005 dans
mésusage du médicament, le risque nosocomial l’affaire dite du « syndrome de Lyell » - épidermo-
médicamenteux et sa prévention) (CC., 1re Ch. civ., lyse nécrosante suraiguë. Cette « attente légitime »
4 avril 1991, no 131 ; CC., 3e Ch. civ., 11 mai 1994, faisant référence à l’individu « moyen » ne permet
no 863 ; CC., 2e Ch. civ., 30 juin 1976, no 220). pas de retenir la responsabilité du fabricant en cas
de risque exceptionnel tenant à la complexion de
la victime. C’est le fondement de l’aléa médical
La jurisprudence depuis qui est alors retenu comme dans l’affaire de l’al-
la loi du 19 mai 1998 lergie muqueuse aux gants en latex (CC. 1re civ.,
22 novembre 2007).
Conformément à ses obligations, la Cour de cas-
sation avait déjà rendu, depuis 1985, des arrêts L’appréciation du double lien de causalité (dom-
interprétatifs de notre droit interne par référence mage/administration du produit et défaut/dom-
à la Directive européenne du 25 juillet 1985. La loi mage) peut ne poser aucun problème comme dans
du 19 mai 1998 apporte toutefois une nouvelle l’affaire du « syndrome de Lyell » dû à Colchimax®.
dimension à la doctrine classique sur le contenu Elle peut être beaucoup plus difficile si la preuve à
informatif de la notice. apporter par le fabricant est une preuve négative.
Trois arrêts (CC., 1re Ch. civ., 3 mars 1998, no 94 ; C’est toute l’affaire de la vaccination contre l’hépa-
tite B et l’apparition d’une sclérose en plaque. En
CC., 1re Ch. civ., 28 avril 1998, no 158 ; CC.,
l’absence de preuve scientifique l’arrêt CC. du
1re  Ch.  civ., 5 janvier 1999, no 17) illustrent « la
23  septembre 2003 n’avait pas retenu de lien de
rigueur de la doctrine de la Cour de cassation
causalité. La dualité juridictionnelle française aura
quant à l’appréciation de la responsabilité des pro-
raison de cet arrêt au nom de la discrimination de
ducteurs de médicaments, et plus généralement
traitement. Le 9 mars 2007 le Conseil d’État retient
de tous les produits à finalité sanitaire, au regard
une présomption de causalité que le fabricant du
de leur obligation de ne mettre sur le marché que des
vaccin ne peut combattre qu’en prouvant l’inno-
produits sans défaut, c’est-à-dire des produits qui
cuité du produit. Cinq pourvois en Cour de cassa-
offrent la sécurité à laquelle on peut légitimement
tion sont dès lors formés pour casser l’arrêt rendu
s’attendre. Cette doctrine rigoureuse n’a pas varié
le 2 juin 2006 par la Cour d’appel de Paris pris
depuis un arrêt du 4 février 1959 (Bull civ I, no 72) ».
conformément à l’arrêt du 23 septembre 2003 de la
C’est une responsabilité de plein droit (article Cour de cassation. C’est une conception extensive
1386-11 du Code civil) totalement indépendante de l’imputabilité par harmonisation des jurispru-
de la notion de faute [1]. Elle est appréciée objecti- dences judiciaire et administrative comme dans
vement par rapport à la présentation du produit l’arrêt « Isoméride® » (CC. 24 janvier 2006).
(article 1386-4 du Code civil), à l’usage qui peut
Le demandeur n’a plus à prouver le lien entre le
en être raisonnablement attendu et au moment de
défaut et le dommage. C’est au fabricant à appor-
sa mise en circulation.
ter la preuve de l’innocuité de son produit. Il
Devant cette responsabilité sans faute, il suffit à la peut, dès lors, se prévaloir des causes d’exonéra-
victime de prouver le défaut de sécurité du pro- tion propres à la responsabilité du fait des pro-
duit, le dommage, son imputabilité à l’administra- duits défectueux [2] prévues par les articles
tion du produit, enfin le lien causal entre le défaut 1385-5 et 1386-11 du code civil. Il peut prouver
et le dommage. Reste à caractériser la défectuosité que le produit a été utilisé contre son gré. Il
du produit et à apprécier le lien de causalité. peut aussi ­s’exonérer de toute responsabilité en
La défectuosité du produit est déterminée par rap- invoquant le risque de développement : en l’état
port à « la sécurité à laquelle on peut légitimement des connaissances scientifiques et techniques au

319
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

moment de la mise en circulation du produit, le de l’exonération d’une responsabilité qui est de


fabricant ne pouvait connaître le défaut de son plein droit. À cet égard, les informations figurant
produit. Pierre Sargos rappelle que cette exonéra- sur les étiquetages et les notices des médicaments
tion ne concerne pas les produits issus du corps ainsi que le suivi permanent de leur pertinence
humain [1] (CC. 2e civ., 25 avril 2005). Qu’en vont revêtir une importance capitale.
serait-il de cette exonération du risque de déve- Soulignons que pour tous les produits mis en cir-
loppement au regard de l’application du principe culation avant l’entrée en vigueur de la loi du
de précaution? Il importe qu’il n’y ait pas de 19 mai 1998, la jurisprudence de la Cour de cassa-
confusion avec « les précautions d’emploi » desti- tion, fondée sur l’interprétation de la directive du
nées à éviter ou limiter l’apparition d’effets indé- 25 juillet 1985, a vocation à continuer à s’appliquer
sirables ou d’accidents prévisibles (cf. arrêt du ce qui exclut le risque de développement comme
5 janvier 1999, CC., 1re Ch. Civ., no 17). En outre, cause d’exonération et la limitation de la durée de
le producteur est tenu d’une obligation de vigi- responsabilité à 10 ans.
lance (mise à jour des notices d’information) (CC.,
Pour Pierre Sargos, la conception objective et de
1re civ., 7 mars 2006 - affaire du « Distilbène® »).
plein droit de la responsabilité, établie par la loi du
L’article 1386-13 du Code civil y ajoute le cas de 19 mai 1998, rend obsolète une jurisprudence qui
fautes de la victime ou d’une personne dont elle tenait compte de la réceptivité particulière du
est responsable. Cette remarque revêt une parti- patient. Il importe donc que, dans les notices de
culière importance après la promulgation de la loi médicaments, ce risque soit mentionné et les pré-
no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des cautions d’emploi spécifique clairement indiquées
malades et à la qualité du système de santé. Elle et précisées. L’arrêt du 22 novembre 2007 a néan-
met l’accent sur la responsabilité propre du patient moins retenu une certaine forme d’aléa médical
ou de son entourage, utilisateur du médicament. en l’espèce.
Le développement de l’automédication, en parti-
Enfin, les nouveaux acteurs de la santé publique,
culier depuis le décret du 30 juin 2008 qui rend
telle que l’Agence française de sécurité sanitaire
disponible en accès direct dans les officines de
des produits de santé, pourront voir aussi leur res-
pharmacie un certain nombre de produits non
ponsabilité engagée.
dénués de danger rend l’information par notice
encore plus indispensable. Informé l’acheteur doit Sont-ils loin les marchands d’orviétan, nouveaux
assumer ses propres prises de risque. Soulignons Christophe Contugi venus de leur Orvieto pour
en outre que l’article L. 1142-1 de cette même loi clamer sur le Pont Neuf ?
précise d’emblée que la responsabilité des profes- « Mon remède guérit, par sa rare excellence, plus
sionnels de santé ainsi que de tout établissement, de maux qu’on en peut nombrer dans tout un an,
service ou organisme de santé « n’est pas encourue la gale, la rogne, la tigne, la fièvre, la peste, la
en raison d’un défaut d’un produit de santé ». La goutte, vérole, descente, rougeole. Ô grande puis-
loi sur « l’aléa médical » ne s’applique donc pas à la sance de l’orviétan ! »
responsabilité des fabricants de médicaments qui Molière, L’ Amour médecin, 15 septembre 1665
relève exclusivement des législations et règlements
propres ci-dessus étudiés. Bibliographie
[1] Sargos P. L’information sur les médicaments – vers
Que conclure de l’état un bouleversement majeur de l’appréciation des res-
ponsabilités. JCP – La Semaine juridique. Édition
actuel de la législation Générale 1999 ; 24 : 1121–6.
et de la jurisprudence ? [2] Rapport annuel 2007. La santé dans la jurisprudence
de la Cour de cassation. La Documentation française
édit. Paris, 2008.
On peut penser que, désormais, lorsqu’il sera éta-
[3] Sécurisation du circuit du médicament dans les
bli que le dommage est bien consécutif à l’usage
établissements de soins. Rapport interacadémique
d’un médicament, la question essentielle sera médecine-pharmacie. Rapporteurs. J. Hureau et
moins celle d’une recherche de la faute du produc- P. Queneau. Séances des 4 et 10 novembre 2009. Bull.
teur, du fournisseur ou du prescripteur que celle Acad. Natle Méd 2009 (sous presse).

320
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

Responsabilités induites par l’utilisation des matériels


médicaux et biomatériaux
J.P. Clarac

L’utilisation de produits de soins est en augmenta-


tion constante car intimement liée aux progrès
Évolution vers la « matériovigilance »
techniques de la médecine et des matériaux. Elle
Jusqu’à des temps assez récents, les médecins,
est régie par des textes pas toujours bien connus,
avec fort de peu moyens thérapeutiques, tentaient
évoqués lors de procès ou d’annonces médiatiques
de soulager les malades et de comprendre leurs
mettant en cause la responsabilité médicale, le
maladies. La confiance était l’élément fondateur
plus souvent en cas de difficultés ou d’échecs,
de l’acte de soins.
heureusement minoritaires mais très facilement
exploitables par les diffuseurs d’« information Puis de grandes avancées très médiatisées (greffes
publique ». d’organes, prothèses, thérapies), l’accès à ces soins
de tous ou presque grâce à la Sécurité Sociale et
Des dispositions sur la pharmaco- et matério­
aux Mutuelles au moins en France, ont amené des
vigilance ont vu le jour progressivement, mais
changements profonds et rapides. On sait explo-
c’est la loi no 2002-203 du 4 mars 2002, dite « loi
rer de mieux en mieux les organes et traiter sou-
Kouchner », « relative aux droits des malades et à
vent sans avoir à « ouvrir » le corps, dans des délais
la qualité du système de santé » qui a fixé les bases
très courts. À la chirurgie d’exérèse, se substitue
actuelles.
ou s’ajoute une chirurgie de remplacement de piè-
Cette loi a pour but la protection de la personne, ces, ou d’organe, comme pour une auto ou un
du fait de l’évolution des mœurs, de l’allonge- avion. Grâce à l’anesthésie, l’asepsie, l’imagina-
ment de la durée de la vie et des progrès énormes tion créatrice d’outils performants, on peut intro-
des thérapeutiques, tout particulièrement, les duire des matériaux, des tissus ou des organes
matériaux implantables dans le corps humain, en dans le corps malade. Mais les coûts sont très
fait tout ce que l’on peut appeler dispositif élevés.
médical.
Il s’est créé une activité économique puissante,
Ce terme officiel de « dispositif médical » désigne facteur de qualité et de progrès, mais aussi de
donc, de façon très large, un instrument, appareil, marketing inévitable. Le « malade » est devenu
équipement ou encore logiciel destiné par son « patient » et, en fait, consommateur. Le médecin
fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins de prescripteur ou acteur est devenu ordonnateur de
diagnostic, de prévention, de contrôle d’une mala- dépenses
die ou d’une blessure.
À la fin des années quatre-vingt-dix, la transfu-
Le principe de précaution présent dans les esprits sion sanguine sauvait, la greffe de cœur prolon-
et la Constitution incite à la vigilance dans beau- geait la vie, la « pile » mettait au travail un cœur
coup de domaines et, naturellement, celui de la fainéant, la prothèse de hanche permettait le
santé où techniques et matériaux évoluent sans « lève-toi et marche », le tout avec plus d’obligation
cesse. de moyens que de résultat depuis l’arrêt Mercier
On définit donc la matériovigilance comme la sur- des années trente.
veillance des incidents ou des risques d’incidents Mais, il y a eu un coup de tonnerre dans ce ciel si
mettant en cause un dispositif médical mis sur le serein : l’Affaire du « sang contaminé » !
marché.
On a découvert alors, avec stupeur, que, pour des
Elle est régie par de très (trop ?) nombreux tex- raisons de gestion, il fallait vendre comme dans
tes tout particulièrement les articles L.  5211-1, l’hypermarché voisin, même des produits « limite »,
L.  5212-1, 5212-2, R. 5212-1 du code de santé quitte à rendre ultérieurement plus malades des
publique : hémophiles dont on pensait (à tort) qu’ils étaient

321
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

de toute façon à durée de vie limitée, donc des 2000, arrêté du 2 septembre 1996, arrêté du 16 juin
« sous consommateurs ». 2000. L’actualité oblige à les considérer de plus
Le Sang donné, symbole de Vie, était, donc, un près.
simple « produit » souvent divisé en sous-produits, La loi Kouchner reprend en fait une jurisprudence
comme le pétrole, enjeu de pouvoir et de profit ! rappelant que médecin et établissement pouvaient
Les effets de ce cataclysme sont encore nettement être tenus pour responsables des dommages occa-
perceptibles dans les esprits. sionnés par un matériel estimé défectueux. Un
chirurgien par exemple, outre sa fonction de « soi-
Il fallait donc un cadre juridique, des normes, des
gnant », devient « fournisseur » de produit et peut
contrôles, en un mot une « matériovigilance »,
donc être amené à répondre de la qualité et de la
d’autant que le sang était loin d’être le seul point
fiabilité de ce produit, même en l’absence de faute
d’inquiétude.
(Conseil d’État, 9 juillet 2003) et donc, par rico-
L’affaire d’une clinique célèbre de Paris où la réu- chet, à engager un recours contre son fournisseur.
tilisation de matériel stérile à usage unique (faute
du praticien) et lavage avec de l’eau non stérile
(faute de l’établissement) a entraîné des dom­
mages infectieux et juridiques, diverses affaires La matériovigilance
concernant prothèses de hanches, pacemakers et dans l’actualité
autres ont montré qu’il fallait mettre de l’ordre
dans un domaine anarchique où le désir de pro- Elle s’exerce aux niveaux national et local.
gresser et d’innover, le goût de la recherche pou- Plusieurs organismes sont concernés : ­l’AFSSAPS, la
vaient côtoyer de trop près le profit rapide et CNDM, la HAS.
facile.
La fameuse affaire Perruche (condamnation d’un
laboratoire et du médecin pour fautes empêchant AFSSAPS et CNDM
Mme Perruche d’arrêter sa grossesse, puis mise en
L’AFSSAPS (Agence française de sécurité sani-
cause du « droit à naître » de l’enfant) en 2000,
taire des produits de santé), issue de la Commission
l’inquiétude du public, la hausse des primes d’as-
d’Homologation de la Direction des Hôpitaux
surance (surtout chirurgiens et gynécologues
créée en 1987, a été instituée conformément aux
accoucheurs), la pénurie à venir des effectifs
directives du Conseil de l’Europe soucieux des
­médicaux, tel est le climat dans lequel Bernard
multiples vigilances, pharmaco, hémo, bio, réacto,
Kouchner a sorti cette loi du 4 mars 2002 pour
cosméto vigilances, les dispositifs médicaux et les
garantir la Sécurité des malades et limiter la
produits de tatouage.
Responsabilité Médicale à la faute… sauf 2 excep-
tions majeures : article L. 1142-1, §1 : L’article L. 5311-1 définit l’AFSSAPS comme un
établissement public de l’État placé sous la tutelle
• obligation de sécurité de résultat pour la fourni-
du ministre chargé de la santé.
ture de produits : « responsabilité encourue en
raison d’un défaut d’un produit de santé » : Elle doit surveiller ce qui concerne tous les pro-
concerne professionnels et établissements ; duits à finalité sanitaire destinés à l’être humain.
Elle procède à l’évaluation des bénéfices et risques
• responsabilité pour les « dommages résultant
en mettant en œuvre des systèmes de vigilance.
d’infections nosocomiales » : concerne les éta-
blissements, services et organismes, sauf « cause Il existe en son sein un conseil scientifique pour
étrangère » prouvée. C’est la responsabilité de veiller à la cohérence de la politique scientifique
plein droit. de l’Agence (art. L 5322-1).
Au niveau national, en août 1999, il y a donc eu
Les textes fondateurs de la matériovigilance exis- une coordination de plusieurs vigilances, dans un
taient déjà, mais étaient quasiment ignorés : loi Comité de coordination des vigilances sanitaires
92-1279 du 8 décembre 1992 (1re mention du mot des produits de santé :
déjà utilisé en décembre 1998), loi no 94-43 du
18 janvier 1994, décret no 95-292, décret no 96-32, • Pharmacovigilance ;
circulaire DH/EMI no 95-2498, arrêté du 6 juillet • Dispositifs médicaux ;

322
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

• Dispositifs médicaux et de diagnostic in vivo ; Les mesures les plus radicales, après analyse de
• Stupéfiants et psychotropes ; ces signalements, sont les arrêts de mise sur le
marché avec rappel du produit, généralement, en
• Cosmétologie ; fait, des lots de fabrication.
• Hémovigilance ; Ces éventuelles suspensions d’un produit de
• Biovigilance. santé sont régies en fait par les articles L. 5312-1
et 5312-2.
La sécurité sanitaire s’effectue à 2 stades pour les
dispositifs médicaux : Des mesures moins radicales concernent la modi-
fication des processus de production, conception,
• avant utilisation : marquage CE (communauté utilisation, décisions de remise à niveau, etc.
européenne) obligatoire ;
Le plus souvent, il n’y a pas de mesure, tout au plus
• après utilisation : suivi post-marché : la phar- une décision d’évaluation plus précise.
maco ou matériovigilance.
La CNDM est donc un garde-fou vis-à-vis des
Le Directeur de l’AFSSAPS dirige 12 commis- produits dangereux, mais ne donne pas de réfé-
sions : depuis le 10 septembre 2007, la Commission rence pour une bonne analyse bénéfice/risque.
Nationale des Dispositifs Médicaux (CNDM) est On a donc créé une Direction des études médico-
l’une d’elles et se divise elle-même en 10 sous économiques et de la formation scientifique qui a
commissions. mis en place une Commission d’évaluation pour
En simplifiant l’énumération et le rôle de ces sous- les médicaments et dispositifs médicaux. La HAS
commissions, la no 2 s’occupe d’endoscopie, la no 3 (voir ci après) a, aussi, une mission d’homologa-
d’orthopédie, esthétique, ORL et maxillofacial, la tion de pratiques.
no 7 des dispositifs cardiaques, la no 8 de stérilisa- Plusieurs Sociétés Savantes s’impliquent dans ce
tion et dispositifs à usage unique, la no 9 de dispo- processus : par exemple, la Société française de
sitifs transfusionnels, etc. chirurgie orthopédique et traumatologie (SOFCOT)
Cette CNDM donne son avis sur les dossiers s’est dotée depuis 2000 du GEDIM (Groupe d’étu-
transmis qui sont de 3 types : des des dispositifs médicaux) considéré comme
• urgents ; un expert pour les produits « orthopédiques ».
• répétitifs : dossiers « protocole » ;
HAS
• nécessitant une évaluation spécifique.
Les dossiers arrivent à L’AFSSAPS (143/147 Bd La HAS (Haute Autorité de Santé), fille de l’an-
Anatole France, 93285 St Denis Cedex) sous forme cienne ANAES, a été créée par la loi du 13 août
d’une fiche CERFA 1246 02. 2004 et efficiente en 2005 : c’est une « autorité
publique indépendante à caractère scientifique »
Les établissements de santé (publics et privés) et Elle a un rôle essentiellement consultatif à partir
les associations assurant des traitements de mala- du recueil le plus large et objectif possible de tou-
des et distribuant des dispositifs médicaux doi- tes informations, publications, rapports, études
vent désigner un correspondant local qui est le sélectionnées (« evidence based medicine ») sur
premier niveau. matériaux et techniques.
Par contre, il n’y a pas de correspondants régio- Elle réunit des groupes de travail très largement
naux en matériovigilance alors qu’ils existent en pluridisciplinaires qui rédigent des « Recomman­
pharmacovigilance. dations de bonne pratique ». Elle a donc une fonc-
Il arrive plus de 5 000 signalements par an ! tion de référence scientifique et intervient au titre
Les signalements/déclarations sont régis par les de la certification dans les établissements de
articles R 5212-14 et suivants jusqu’à 5212-24. santé.
Un évaluateur quantifiera le danger potentiel par Son rôle n’est absolument pas orienté vers la sanc-
une note de « criticité » décroissante en 4 zones : la tion mais la recherche de la qualité.
zone 4, c’est l’instruction prioritaire… la zone 1, Ses recommandations de bonne pratique servent
c’est l’expertise statistique. de guides dans l’établissement des vigilances.

323
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

À côté de la matériovigilance proprement dite, le Classification des incidents :


contexte général qui entoure ce que l’on appelle le • graves à déclarer immédiatement ;
Grenelle de l’environnement a induit de nom-
• peu graves : essai de regroupement à l’échelon
breuses décisions parallèles, comme par exemple,
local sans impératif de délai.
la création de l’AFSSET (agence française de sécu-
rité sanitaire de l’environnement et du travail) liée Face à l’incident, 3 objectifs :
aux ministères de l’écologie et de la santé. • éviter, si on peut y penser, qu’il se produise ;
• si non, éviter qu’il ne se reproduise ;
Données résumées du site • recueillir tout ce qui est possible pour faciliter
l’évaluation.
internet du ministère de la Santé
Mesures conservatoires variables selon les cas.
Tout incident ou risque d’accident doit être signalé Il faut :
à l’ AFSSAPS. • stopper l’utilisation de l’équipement ;
Les références réglementaires sont dans les arti- • récupérer les consommables et les emballages ;
cles 5212-2 et suivants.
• conserver les prothèses explantées ;
Le site est : www.afssaps.sante.fr
• informer les personnels.
Une déclaration à l’AFSSAPS se fait via le formu-
laire « Enregistrement des correspondants locaux Note J.H. : Cf. également le sous-chapitre : La
de matériovigilance » et du numéro du fax d’alerte médecine systémique et la culture qualité-sécurité.
disponible sur son site internet dans la rubrique
matériovigilance/documents à télécharger en
­format PDF et RTF. Elle est à renvoyer complétée Loi du 4 mars 2002
au Département des matériovigilances par fax
(01  55  87  37  02), par mail (dedim.uqs@afssaps. Au titre II : Démocratie
sante.fr) ou par courrier. Sanitaire, Chapitre II : Droits
Dans « annuaire des vigilants », il y a un numéro et Responsabilités des usagers
de téléphone : 01 55 87 37 78.
Dispositions relatives au signalement d’incident. L’article L. 1111-2 dit que : « toute personne a le
On distingue 3 types d’incidents : droit d’être informée de son état de santé. Cette
information porte sur les […] traitements […] leur
• à déclarer obligatoirement (article 665-6 et 665- utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquen-
49 code Santé Publique) en cas de conséquence ces, les risques […]. Lorsque, postérieurement […]
mortelle ou grave ; des risques nouveaux sont identifiés, la personne
• à déclarer le cas échéant (article 665-50 concernée doit en être informée […] au cours d’un
code S.P.) en cas de réaction non voulue, dys- entretien individuel. »
fonctionnement, indication erronée ; L’article L. 1111-4 dit que : « aucun acte médical ni
• à déclarer facultativement du fait du silence des aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
textes. consentement libre et éclairé de la personne et ce
consentement peut être retiré à tout moment
Le risque d’incident est un incident qui ne sur-
[…]. »
vient pas du fait d’un heureux hasard mais sur le
plan juridique, ces deux entités ont la même L’article L. 1142-4 dit que « toute victime d’un
valeur. dommage imputable à une activité de prévention,
de diagnostic ou de soins […] doit être informée
Le formulaire CERFA de déclaration comporte
[…] sur les circonstances et les causes de ce dom-
3 rubriques :
mage[…] au plus tard dans les quinze jours sui-
• émetteur du signalement ; vant la découverte […] lors d’un entretien […]. »
• dispositif impliqué ; L’article L. 1111-7 dit que : « toute personne a accès
• incident : historique, moyens d’identification… à l’ensemble des informations concernant sa santé

324
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

détenues par des professionnels et établissements dans bien des domaines, au principe de précau-
de santé […] résultats d’examens, comptes rendus tion légalisé, introduit dans la Constitution.
de consultation, d’intervention, […] protocoles,
feuilles […] elle peut accéder à ces informations
directement ou par l’intermédiaire d’un médecin Au Titre IV : Réparation
[…] au plus tard dans les huit jours […] au plus tôt des conséquences
dans les quarante-huit heures […] la consultation
sur place est gratuite […] seuls les frais de repro-
des Risques Sanitaires
duction et d’envoi […] » Répétons encore l’article L. 1142-1, § 1 : « Hors le
Il y a donc obligation d’information très encadrée, cas où leur responsabilité est encourue en raison
même a posteriori, des patients et de leurs ayants d’un défaut d’un produit de santé, les profession-
droit (en cas de décès) en général et, particulière- nels […] établissements, services ou organismes
ment, de ceux qui ont reçu des matériaux ou pro- ne sont responsables […] qu’en cas de faute. »
duits divers, notamment si des risques inconnus C’est heureux pour les médecins qui engagent leur
lors de l’implantation apparaissent plus tard. Ceci propre responsabilité en utilisant ces produits,
peut mener très loin, jusqu’à concerner aussi les mais victimes d’un défaut du produit labellisé.
ayants droit successeurs du praticien après son Ceci crée une obligation de sécurité de résultat :
décès. on s’éloigne peu à peu de l’obligation de moyens
En effet, la prescription, avant cette loi, était de seule.
trente ans, plus les années de minorité pour les Au tribunal, lors d’une défaillance de matériel
mineurs : elle passe maintenant à « dix ans à sans faute du chirurgien, le juge conclut très sou-
compter de la consolidation du dommage » (arti- vent le jugement qui condamne le praticien à
cle L. 1142-28), ce qui pourrait paraître plus indemniser le patient par une invitation à intro-
favorable, mais ne l’est pas forcément, car un duire un recours contre le fabricant et son
dommage lié à des matériaux peut conduire à de assureur.
multiples interventions, explorations et soins
Des chirurgiens orthopédistes sont dans ce cas
faisant différer indéfiniment la consolidation
pour avoir utilisé des têtes fémorales de prothèse
médico légale, donc à repousser d’autant le début
totale de hanche en Zircone et observé des ruptu-
des dix ans auxquels, comme avant, il faut ajou-
res ; alors, une intervention de reprise, générale-
ter éventuellement les années de minorité (pour
ment complexe et lourde, pas forcément exempte
un événement à la naissance : dix-huit, donc…
de problèmes, est obligatoire. Légalement, il faut
vingt-huit ans !).
dire : votre tête (traçabilité obligatoire) est extraite
La tenue du dossier, puisqu’il peut être communi- du lot suspect : si elle casse, opération urgente, si
qué à tout moment, donc diffusé à des avocats, des elle ne casse pas, ce qui est le plus fréquent, sur-
experts, des « conseils » est extrêmement impor- veillance stricte pour… changer l’implant si on a
tante. Dans les comptes rendus, les matériaux ou peur, ce qui est simple, mais oblige à une interven-
produits divers doivent être faciles à reconnaître, tion avec ses risques, ou… attendre… que ça casse
intégralement nommés ou étiquetés, leur mar- peut-être, en allant voir son chirurgien tous les
quage C E indiscutable, leur condition d’utilisa- x  jours, mois, années ? Le malade, par perte de
tion aisément identifiable. Toute défaillance sur confiance, peut aussi changer pour un chirurgien
ces points sera considérée comme dissimulation, qui ne sera pas forcément au courant du vrai
recherche de profit… problème…
Il faut rappeler, ici, la prudence indispensable L’article L. 1142-4 dit que « toute victime d’un
­v is-à-vis du courrier confidentiel, des notes très dommage imputable à une activité de préven-
personnelles sur le malade, (comportement, réac- tion, de diagnostic ou de soins […]doit être
tions), le matériel, les fournisseurs etc. informée […]sur les circonstances et les causes
Ces règles sont certainement un frein à l’innova- de ce dommage […]au plus tard dans les quinze
tion imaginative qui a eu cours dans les années jours suivant la découverte […] lors d’un entre-
70–80, parfois de façon trop débridée et pas tou- tien […].même si elle ne demande rien ! Tout
jours bien étayée, ce qui nous conduit, comme dépend en fait des conséquences du dommage.

325
Partie II. L’expertise en responsabilité médicale

Imaginons un incident peropératoire « bien changé de compagnie : il persiste beaucoup d’in-


réparé » extemporanément : quinze jours après, certitudes et l’objectif de rapprocher médecins et
y a-t-il réellement préjudice et donc possible assureurs ne semble pas atteint.
demande d’indemnisation ?
Au paragraphe 2 de cet article 1142-1, en cas de
dommage sans responsabilité d’un profession-
nel, d’un établissement, service ou organisme, la
Dans la pratique
réparation du dommage est « de la solidarité Comme on peut le voir, les intentions sont loua-
nationale » s’il atteint un niveau suffisant (24 % bles de vouloir protéger les patients en leur garan-
d’IPP ou 6 mois d’ITT) et, logiquement, l’article tissant une qualité contrôlée, en les indemnisant
L. 1142-3 désigne les Commissions régionales de en cas d’échec ou de difficulté, à la manière de ce
conciliation et d’indemnisation des accidents qui fait dans l’industrie.
médicaux, des affections iatrogènes et des infec-
Pour y parvenir, il a fallu beaucoup de textes et
tions nosocomiales, les CRCI.
d’organismes.
L’Organisme national d’indemnisation des acci-
Chacune de ces structures a une justification mais
dents médicaux, l’ONIAM (article L. 1142-22),
cet énoncé complexe et lourd ne permet guère de
assure les frais de fonctionnement, de personnel,
vision claire en cas de difficulté. Il traîne un cli-
le soutien technique et administratif des CRCI et
mat d’inquiétude et de suspicion renforcé par
verse les indemnisations (peut-être très élevées
l’ignorance encore très grande, le coût des assu-
pour de gros dommages « sans faute ») qu’elles
rances et l’incompréhension suscitée par beaucoup
décident sauf, si l’expertise montre une possibilité
de décisions judiciaires. L’inégalité de traitement
de recours vers les assureurs des professionnels
judiciaire entre les praticiens publics protégés dans
ou des établissements tenus de faire une offre
un contexte « administratif » et ceux du secteur
d’indemnisation.
privé face au « civil », voire au « pénal » pour des
Le nombre de dossiers de CRCI augmente un peu : faits identiques n’arrange pas les choses.
c’est gratuit, simple, associable si on veut avec une
Les indemnisations deviennent de plus en plus
action judiciaire classique, sans risques.
lourdes et nombreuses, à la charge des assureurs,
L’ONIAM risque-t-elle d’être débordée par la d’où une hausse des primes ou de la solidarité
solidarité nationale ? Cette louable volonté d’in- nationale alimentée par les impôts.
demniser les aléas soulève parfois des situations
Les recommandations « labellisées » validées au
difficiles et juridiquement complexes.
bout d’un temps forcément long, le principe de
Note J.H. : sur les statistiques concernant les précaution et les obligations en tous genres ne
CRCI et l’ONIAM, cf. le sous-chapitre L’expertise sont-ils pas, en fait, des freins à l’innovation créa-
pour une CRCI. trice ? On peut le craindre.
L’article L. 1142-2 oblige « les professionnels […] Par exemple, au Royaume-Uni, sir John Charley,
exerçant à titre libéral, les établissements, servi- fut, dans les années cinquante, le génial inventeur
ces et organismes […] autre(s) que l’État […] pro- d’une prothèse totale de hanche, référence mon-
ducteurs, exploitants et fournisseurs de produits diale, en mettant ensemble plastique (qu’il dut
de santé […] souscrire une assurance […] res- changer), acier et « résine » de dentiste : à l’époque,
ponsabilité civile […]». Les établissements il n’existait, en fait aucune référence telle qu’il en
publics et privés ont, eux, l’obligation d’assurer faudrait de nos jours. Pourrait-il, actuellement,
leurs salariés. mettre au point sa prodigieuse invention qui a
De la précaution, on est passé à l’obligation, nor- soulagé des millions de gens et lui a valu d’être
male, compte tenu des risques et surtout du très ennobli par la Reine ? Probablement non.
haut niveau d’indemnisation que décident la plu- Mais, après Charnley, il y a eu des centaines de
part des Tribunaux. modèles de prothèse de hanche : on a découvert
La loi du 30 décembre 2002 essaie de clarifier les que certaines n’auraient pas dû être utilisées et la
modalités de couverture par les assureurs et leurs necéssité de protéger les utilisateurs s’est fait légi-
rôles respectifs si le médecin ou l’établissement a timement jour.

326
Chapitre 7. Médicaments, matériels médicaux, biomatériaux : les responsabilités

Ce qui est vrai pour les prothèses l’est pour pres- tifs en principe mais plus vigilants et plus exi-
que tous les dispositifs et ces mesures trouvent geants que ceux des générations précédentes. La
leur justification, car l’aventure de la recherche loi de 2002 va dans ce sens et limite la respon­
peut avoir un coût humain, ce qui est de moins en sabilité à la faute qu’il faut donc ne pas
moins bien accepté. commettre.
Il faut espérer des améliorations indispensables : Le médecin doit poser un bon diagnostic, donc la
en effet, des utilisateurs interrogés trouvent encore bonne indication du bon matériau marqué CE,
que les contacts et les retours d’informations avec utilisé correctement, garder trace de tout dans un
l’AFSSAPS ne sont ni faciles ni rapides, les fabri- bon dossier complet qui pourra être fourni à tout
cants ne montrent guère d’enthousiasme et …. moment.
beaucoup trop de médecins n’ont pas bien com- Il faut toujours :
pris un fonctionnement complexe qui entre bien
• avoir, avant toute utilisation d’un produit, les
lentement dans les mœurs.
coordonnées du fabricant et les diverses réfé­
rences : incontournable si le produit s’avère
défectueux ;
Conclusion • conserver les produits retirés (voir site du
Ministère), ne jamais les remettre au fabricant et
Les progrès énormes réalisés dans les domaines
les conserver à la disposition de l’expert qui sera
médical, biologique, industriel permettent de
désigné par voie judiciaire.
remplacer des tissus, des organes, par des maté-
riaux, vivants ou fabriqués. L’époque des pion- L’ improvisation géniale, la trouvaille merveilleuse
niers est finie ; cette activité est réglée par la ne sont plus de mise dans le traitement du malade ;
matériovigilance pour tous. Les textes nombreux, la recherche est, elle aussi, très encadrée et, doré-
les structures superposées, ne sont pas encore per- navant, sous le poids du principe de précaution,
çus clairement par le monde médical qui évolue mais c’est une autre histoire.
actuellement dans un climat bien différent de Remerciements amicaux à S. Terver (Président du
celui de la médecine traditionnelle qui reposait GEDIM.) auteur de : « La Commission Nationale
sur une confiance naturelle. de Matériovigilance : fonctionnement pratique ».
Les médecins doivent donc se former en continu In : Actualités en Biomatéraux, vol. VI, Romillat,
et informer clairement des patients plus récep- Paris, 2002 : 271-82.

327
L’évaluation médicale Chapitre  8
du dommage corporel
et de ses conséquences
Les préjudices en réparation du dommage corporel
J. Hureau

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au Dintilhac, a remis son rapport sur « L’élaboration
malheur du monde » d’une nomenclature des préjudices corporels » le
Albert Camus 27 juillet 2005 [16].
L’idée force qui sous-tend ces deux rapports est
L’expertise médicale établit la preuve de la réalité édictée dans notre code civil : « Le corps humain,
du dommage corporel et la preuve de l’imputa­ ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’ob­
bilité de ce dommage à l’accident. En droit jet d’un droit patrimonial ». En d’autres termes, en
­commun, la réparation doit porter sur l’entier particulier pour nous médecins, la réparation
dommage [13] sous réserve des responsabilités d’un préjudice corporel lésionnel dont fonction­
établies. C’est dire l’importance du rôle de l’expert nel, une atteinte directe au corps de la personne
dans l’évaluation médicale des préjudices subis, humaine, est inaliénable.
qu’il s’agisse d’accidentologie de transport ou de
responsabilité médicale. Elle est la substance même 2 une délimitation des interventions
des conclusions de toute expertise impliquant la des organismes sociaux
réparation d’un dommage corporel. Elle est le fon­ C’est essentiellement en France l’établissement
dement de l’évaluation juridique et monétaire des de l’assiette du recours subrogatoire des tiers
préjudices. Ce principe indemnitaire impose une payeurs et, au premier chef, de la sécurité sociale.
indemnisation totale de la victime mais sans enri­ Elle découle du « droit à la réparation intégrale ».
chissement de sa part. Ce deuxième outil indispensable à une juste
Quatre outils méthodologiques sont nécessaires indemnisation du dommage corporel découle du
pour appliquer ce principe. Ils ont valeur géné­ grand principe d’inaliénabilité énoncé précédem­
rale, quels que soient le lieu et les circonstances du ment.
dommage corporel [14] :
3 un référentiel d’évaluation médicale
1 une nomenclature des postes du dommage corporel
de préjudice Il appartient au médecin expert qui devra expli­
En France, deux rapports récents au Garde des quer au magistrat et aux parties comment il l’a
Sceaux ont analysé et synthétisé toutes les données interprété et utilisé. Un tel référentiel doit répon­
du droit positif et de la jurisprudence : dre à l’esprit des textes européens fondateurs [13],
c’est-à-dire :
• le groupe de travail du Conseil national de l’aide
aux victimes, présidé par madame le Professeur • concerner tout individu humain dont la valeur
Yvonne Lambert-Faivre, a remis son rapport intrinsèque est universelle :
sur « L’indemnisation du dommage corporel » le • être applicable à tous les dommages corporels,
22 juillet 2003 [15] ; quel qu’en soit le fait générateur ;
• le groupe de travail de la Cour de cassation, sous • être suffisamment souple pour être adaptable à
la direction de monsieur le Président Jean-Pierre chaque situation personnelle, le choix de l’éva­

331
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

luation chiffrée dans une fourchette et face à des Le juge du fond (ou le régleur de la compagnie
moyennes étant justifié par l’expert médecin sur d’assurances en contentieux extrajudiciaire) fait, in
des arguments objectifs descriptifs ; concreto et après une analyse personnalisée, l’éva­
• être évolutif et révisable en fonction des connais­ luation juridique et monétaire. Le passage de l’un à
sances scientifiques et techniques ; l’autre des deux types d’évaluation aboutit à l’in­
demnisation de la victime ou de ses ayants droit
• être un outil de référence laissant une marge
« par ricochet ». Il importe que la méthodologie
d’interprétation et non un barème rigide.
soit cohérente et claire.
En France, vieux pays à l’histoire ancienne, la « La détermination des différents chefs de préjudice
confusion risque d’être extrême, et profonde indemnisables et leur correcte évaluation suppo-
­l’insatisfaction du justiciable face à l’équité si sent que soit généralisée la distinction proposée par
n’intervient pas une certaine harmonisation. le conseil de l’Europe entre les préjudices
L’irréductibilité de la personne humaine fait ­économiques et non économiques dont la nature
que l’homme est un, où qu’il soit et quelles que totale­ment différente justifie des régimes juridiques
soient les circonstances dans lesquelles il se différents » [9].
trouve.
Cette nomenclature doit également tenir
compte dans sa classification de l’espace-temps
4 un référentiel indemnitaire
(classification de Wood - consolidation médico-
Ce n’est pas le médecin expert qui va s’en servir légale) et de la position de la victime par rap­
mais le régleur financier, qu’il soit magistrat ou port au dommage  : victime directe et victime
assureur, de toute façon sous l’œil vigilant des par ricochet.
conseils juridiques des parties. Pourtant le méde­
C’est en fonction de tous ces critères qu’ont été
cin expert ne peut ignorer totalement les consé­
établies les propositions de nomenclature des pos­
quences économiques de ses avis techniques.
tes de préjudices corporels, tant par Y. Lambert-
Là encore une harmonisation est nécessaire au Faivre que par J.P. Dintilhac. Le tableau 8.1 [17]
regard de « l’équité substantielle » qui découle de atteste d’une grande similitude donc d’une cohé­
l’article 14 de la « Convention européenne des rence qui s’impose.
droits de l’homme ».
Avant de détailler ces différents postes de préjudi­
ces, il importe de rappeler ce que sont la classifica­
tion de Wood et la consolidation médico-
Nomenclature des postes juridique.
de préjudices
La classification de Wood
La réparation du dommage corporel est un droit
fondamental [9]. L’intégralité des préjudices doit La classification médico-légale de P.H.N. Wood de
être réparée. Ils ne peuvent l’être que par une 1980 [9] permet de mieux appréhender la place
mesure financière. L’indemnisation des préjudices des déficits fonctionnels (ou physiologiques)
économiques a un caractère compensatoire. séquellaires par rapport aux autres conséquences
L’indemnisation des préjudices non économiques a de « l’accident » vues sous l’angle de l’évolution
un caractère satisfactoire. médico-légale.
L’indemnisation doit porter réparation de tout le Conformément à la classification internationale
préjudice [13] mais rien que du préjudice. Le des maladies (CMI) adoptée par l’organisation
cumul des indemnisations ou la surévaluation de mondiale de la santé (OMS), l’analyse médico-
dommages et intérêts à caractère punitif sont légale du dommage corporel selon Wood distin­
illicites. gue trois stades évolutifs : le stade lésionnel
Le médecin expert procède à l’évaluation médi­ (impairments), le stade fonctionnel ou des séquel­
cale des préjudices et fournit tous les renseigne­ les (desabilities) et le retentissement situationnel
ments et descriptions indispensables à une juste ou handicap en terme de droit commun (handi-
indemnisation. caps). Le passage du stade lésionnel au stade

332
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Tableau 8.1
Nomenclature des postes de préjudices corporels
Rapport Y.Lambert Faivre Rapport J.P. Dintilhac
Préjudices de la victime directe
Préjudices économiques temporaires
Dépenses de santé actuelles (DS) Frais médicaux et pharmaceutiques (FMP)
Frais divers (honoraires des conseils…) idem
Incidence professionnelle temporaire (IPT) Incapacité temporaire de travail (ITT)
Reclassement professionnel (RP) Frais de reclassement professionnel (FRP)
Préjudices économiques permanents
Frais futurs de santé (FF) Frais de santé futurs (FSF)
Frais de logement adapté (FLA) idem
Frais de véhicule adapté (FVA) idem
Tierce personne (TP) Frais d’assistance par une TP (FATP)
Incidence professionnelle définitive (IPD) IPD idem + Incapacité invalidante professionnelle
(dont allocation spécifique versée aux fonctionnaires)
Préjudices non économiques temporaires
Préjudice fonctionnel temporaire (PFT) Déficit fonctionnel personnel temporaire
Souffrances endurées (physiques et psychiques) (SE) Idem
Préjudices non économiques permanents
Préjudice fonctionnel permanent (PFP) Déficit fonctionnel personnel définitif
Préjudice d’agrément spécifique (PAS) Préjudice d’agrément (PA)
Préjudice esthétique (PE) Idem
Préjudice sexuel (PS) Préjudice de nature sexuelle (PNS)
Préjudice d’établissement (PET) (obstacle à la réalisation Idem + retentissement scolaire – préjudice particulier
de tout projet de vie) (capacité à communiquer) – préjudice récurrent non
consolidable (par ex. hépatite C)
Préjudices de la victime par ricochet
Préjudices économiques
Frais d’obsèques et de sépulture Idem
Autres frais (transport, hôtel…) Idem
Perte de revenus Idem
Préjudices non économiques
Préjudice d’accompagnement Idem
Préjudice d’affection Idem.

­fonctionnel est marqué par la consolidation précèdent la consolidation, c’est-à-dire les souf­
médico-légale. frances non permanentes.
Au stade lésionnel se rattachent la détermination Au stade fonctionnel ou séquellaire se rattache
de la période d’incapacité temporaire totale (ITT) l’incapacité partielle permanente (IPP), dont la
ou partielle (ITP) et les souffrances endurées qui définition classique est la réduction de potentiel

333
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

physique, psychosensoriel ou intellectuel dont Analyse des différents postes


reste atteinte la victime. Nous verrons les discus­ de préjudices1
sions qu’engendre, en droit commun, cette notion
d’IPP. L’autre élément incontestable du stade Préjudices de la victime directe
séquellaire est le préjudice esthétique. Les préjudices économiques à caractère
Le retentissement situationnel ou handicap patri­monial.
constitue l’ensemble des autres chefs de préju­ « Les préjudices économiques se conjuguent au
dice que l’expert n’a pas à évaluer, mais pour verbe avoir et relèvent du droit patrimonial. » [9]
lesquels il doit, par un maximum de rensei­
Ils sont constitués par les frais engagés (damnum
gnements et une description précise, fournir
emergens) [8] et par le manque à gagner (lucrum
au régleur (magistrat ou non) tous les élé­
cessens) [8]. L’expert-médecin n’est pas en devoir
ments d’appréciation. Il se doit de personnali­
de les évaluer tous dans son approche médicale. Il
ser le dommage et d’en éclairer les différents
doit toutefois, par l’exploitation des renseigne­
aspects en « précisant la possibilité ou non, la
ments précis figurant au dossier médical et par de
difficulté, l’aptitude ou l’inaptitude, l’indica-
bonnes descriptions des conséquences non mesu­
tion ou la contre-indication de telle ou telle
rables du traumatisme ou de l’accident, fournir au
activité » [1].
régleur tous les éléments qui lui sont indispensa­
bles. Dans un premier temps, il doit déterminer si
la consolidation médico-légale est acquise. Il doit,
La consolidation médico-légale par ailleurs, avoir en tête tous les chefs de préju­
dice susceptibles d’entrer en ligne de compte pour
La date de consolidation est définie comme « le le calcul complet de l’indemnisation.
moment où les lésions se fixent et prennent un
caractère permanent tel qu’un traitement n’est Les préjudices économiques temporaires
plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggra­ (avant la consolidation)
vation, et qu’il est possible d’apprécier un certain Les dépenses de santé
degré d’incapacité permanente réalisant un pré­
judice définitif » (texte de la mission d’expertise La consolidation par l’expert permet l’ouverture
1987). des opérations de règlement. Tous les frais médi­
caux et paramédicaux déjà engagés au jour du
Le terme de guérison est réservé aux évolutions règlement doivent être pris en compte. Un rappel
sans séquelle. précis par l’expert de tous les soins prodigués est
La date de consolidation marque, dans la grande
majorité des cas, la fin des soins nécessités par
l’accident et la séparation entre préjudices tempo­ La loi n 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de
raires et permanents. clarification du droit et d’allègement des procédures, dans
son article 12, a modifié le code de santé de publique :
Chez les blessés graves, des soins médicaux
1. 1 L’article L. 1 142-1 est ainsi modifié :
permanents sont à prévoir dans les frais
a) À la fin du premier alinéa du II, les mots : « d’inca­
futurs. pacité permanente ou de la durée de l’incapacité
La consolidation n’est « qu’un feu vert (indispen­ temporaire de travail » sont remplacés par les mots :
sable) donné par le médecin expert au régleur » « d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psy­
[9]. Tous les éléments devront lui être fournis chique, de la durée de l’arrêt temporaire des activi­
tés professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel
pour qu’à partir de ce moment il puisse, confor­ temporaire » ;
mément à la classification de Wood, prendre date
b) Au dernier alinéa du II, les mots : « d’incapacité per­
de la consolidation fonctionnelle et, dans un cer­ manente » sont remplacés par les mots : « d’atteinte
tain nombre de cas, retenir une consolidation permanente à l’intégrité physique ou psychique » ;
situationnelle, c’est-à-dire tenant compte des 2. À l’article L. 1142-17-1, les mots : « d’incapacité per­
handicaps de la victime dans son environne­ manente » sont remplacés par les mots : « d’atteinte
ment. permanente à l’intégrité physique ou psychique ».

334
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

nécessaire. Beaucoup ont été pris en charge par les une activité professionnelle. Il correspond aux
organismes sociaux ou autres tiers payeurs. gains manqués durant la période d’incapacité.
Certains ne le sont pas, soit du fait de certaines Il y a une période d’incapacité temporaire totale
contraintes dans les mécanismes de prise en charge du travail facile à établir entre la date du fait dom­
par la Sécurité sociale, soit du fait que la victime mageable et la date de reprise effective du travail.
garde le libre choix de son ou ses médecins et de Celle-ci ne correspond pas forcément à la date de
son ou ses établissements de soins. En ce domaine, consolidation, le travail ayant pu être repris avant
seul le juge est souverain pour marquer les limites la fin du stade lésionnel.
d’un éventuel abus dans les dépenses engagées.
Il peut y avoir une période d’incapacité tempo­
raire partielle de travail si le travail n’a été repris
Les frais divers non médicaux
que partiellement dans le temps ou dans le volume
Leur estimation n’est pas du ressort du médecin d’activité. Elle est alors affectée d’un coefficient
expert et ils ne sont rappelés là que pour mémoire. par rapport à l’activité totale. Elle s’étend jusqu’à
Ce sont essentiellement les honoraires des diffé­ la date de reprise totale d’activité qui, dans ce cas
rents conseils et techniciens dont la victime se fait également, ne correspond pas non plus forcément
assister et les frais de procédure dont les honorai­ à la date de consolidation.
res d’expert. Rappelons que le médecin expert
doit en évaluer le montant avec tact et mesure, L’incapacité traumatique temporaire
sans pour autant minimiser l’importance du tra­ personnelle
vail fourni. Ils seront de toute façon taxés par le Elle pose le problème de la nature personnelle du
juge selon les mêmes critères. préjudice lié à la maladie traumatique pendant le
stade lésionnel de la classification de Wood.
Le manque à gagner Chez les victimes ayant une activité profession­
Les règles du recours subrogatoire des tiers nelle, elle est en règle totalement occultée derrière
payeurs obligent à distinguer ce qui est préjudice le préjudice professionnel. Le problème est traité à
strictement économique des préjudices à carac­ tort selon le même mode de pensée qu’en accident
tère personnel. En droit commun, cette distinc­ du travail.
tion n’est pas évidente. Elle est à l’origine d’une Chez les victimes n’ayant pas ou plus d’acti­v ité
profonde réflexion juridique concernant les professionnelle (femme au foyer, enfant, ret­
notions d’incapacité temporaire totale ou partielle raité…), elle est prise en compte totalement (puis
(ITT-ITP) et d’incapacité permanente partielle parfois partiellement) jusqu’à la date de consoli­
(IPP). Le médecin expert ne peut ignorer cette dation, mais c’est alors son caractère personnel,
réflexion qui sous-tend les modalités de son éva­ extraprofessionnel et donc extrapatrimonial qui
luation médicale, base de l’évaluation juridique et est totalement occulté avec toutes les consé­
monétaire des préjudices. Nous emprunterons quences sur les modalités de recours des tiers
beaucoup au remarquable travail de Y. Lambert- payeurs. Nous verrons que la loi du 21 décembre
Faivre [9] en essayant, sans la trahir, d’en résumer 2006 a apporté une juste clarification de ces
les grandes lignes. situations [18].
Avant la date de consolidation, c’est la classique
incapacité temporaire, qu’elle soit totale (ITT) ou Les frais de reclassement professionnel
partielle (ITP). Ce poste est pris en compte dans les deux rapports.
Ce terme couvre en réalité deux notions différen­
tes, l’incapacité temporaire de travail et l’incapa­ Les préjudices économiques permanents
cité traumatique temporaire personnelle. (après la consolidation)
Les frais de santé futurs (pris au sens large)
L’incapacité temporaire de travail Des frais futurs peuvent être prévisibles après la
C’est un préjudice économique professionnel date du règlement. Il revient à l’expert de « dire si
stricto sensu. Il ne touche que les victimes ayant des soins postérieurs à la consolidation seront

335
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

nécessaires ; dans l’affirmative, en indiquer la capacité de travail réputée proportionnelle au


nature, la quantité, la nécessité éventuelle de leur déficit fonctionnel séquellaire, en droit commun
renouvellement et leur périodicité ». Tout est dit l’expert doit évaluer in abstracto un déficit fonc­
dans cette formule de la mission d’expertise de tionnel séquellaire indépendamment de toute
1987. Ce sont les vrais frais futurs, c’est-à-dire incidence professionnelle (cf. Note).
prévisibles, intéressant l’hospitalisation, la néces­ Juger in concreto de l’incidence professionnelle
sité d’une tierce personne, tous les actes médi­ est du domaine du magistrat auquel le médecin
caux, paramédicaux et frais pharmaceutiques et/ expert doit fournir tous les éléments d’apprécia­
ou prothétiques, d’appareillage, voire de véhicule tion par un maximum de renseignements factuels
adapté. L’assureur doit pouvoir calculer « une et une description aussi précise que possible de
provision pour sinistre restant à payer », étant bien l’état séquellaire de la victime.
entendu que le tiers payeur (Sécurité sociale, par
L’incidence professionnelle des déficits fonction­
exemple) ne peut se faire rembourser que sur
nels séquellaires constitue bien un préjudice éco­
paiement réellement effectué. C’est donc, pour le
nomique à caractère patrimonial.
médecin expert, une mission d’évaluation pro­
nostique délicate et de grande responsabilité Les déficits fonctionnels séquellaires eux-mêmes
financière. sont par contre un préjudice de nature person­
nelle que l’on doit classer dans les préjudices
Ces frais « prévisibles » sont différents d’éventuel­
non économiques à caractère extrapatrimonial.
les « prestations nouvelles » liées à une aggravation
Jusqu’à la loi du 21 décembre 2006, en l’état des
ultérieure imprévisible des séquelles évaluées à la
textes concernant le recours subrogatoire des tiers
date de consolidation.
payants, il n’en était rien. C’était injuste pour les
Un aspect particulier et extrême des frais futurs victimes qui ont une activité professionnelle et
prévisibles est représenté par la prise en charge dont l’incapacité personnelle permanente n’est
des grands handicapés en état de dépendance. À pas suffisamment distinguée du préjudice profes­
côté de la prise en charge directe et définitive en sionnel. C’était encore plus injuste pour les victi­
milieu hospitalier, la tendance est, chaque fois que mes n’ayant pas ou plus d’activité professionnelle.
possible, d’organiser la vie à domicile autour du On pourrait presque parler de non-sens juridique.
grand handicapé avec assistance d’une tierce per­
Quels sont les instruments de mesure des déficits
sonne. Le médecin expert n’est plus le seul res­
fonctionnels séquellaires en droit commun ?
ponsable d’une telle organisation, mais son rôle
reste primordial. Le barème indicatif des déficits fonctionnels
séquellaires en droit commun [1] constituait
jusqu’à un passé récent la base de référence pour
L’incidence professionnelle définitive
tout médecin expert ou médecin-conseil. Nous en
À la suite des travaux des juristes sur la doctrine, verrons la genèse à partir de la jurisprudence et du
la jurisprudence et la loi ont procédé à une vérita­ barème officiel d’invalidité en accidents du travail.
ble dichotomie du classique concept d’incapacité N’intégrant pas, comme ce dernier, l’incidence
permanente partielle. professionnelle, les taux en droit commun sont
Ce terme recouvrait deux réalités différentes, minorés. L’approche plus fonctionnelle utilisée
­l ’incapacité permanente professionnelle et l’inca­ dans le barème de la Société de médecine légale et
pacité personnelle permanente ou déficits fonc­ de criminologie de France officialisé dans l’annexe
tionnels séquellaires. Cette confusion était une au décret du 4 avril 2003, apporte une évaluation
fois de plus due à l’antériorité et à « l’autorité » du plus affinée des déficits fonctionnels séquellaires
droit en matière d’accident du travail. indépendante de toute notion professionnelle.
C’est tout le problème de la signification de l’IPP L. Mélennec [12] dans une suite de travaux a pro­
en droit commun qui était posé. Sa justification et posé un « barème international des invalidités »
la notion même de barème ont été remises en basé dans son principe sur la prise en compte de la
question par de nombreux travaux [3, 9, 12]. capacité restante. Il propose deux classifications
Contrairement à ce qui se fait en accident du tra­ des infirmités. Pour celles qui intéressent l’atteinte
vail, où le taux d’IPP couvre une réduction de des principales fonctions non vitales, il propose

336
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

des taux de déficit physiologique donc a contrario globale de la capacité physiologique restante. Il lui
de capacité restante. Il s’agit des déficits intéressant faut pour cela connaître les cinq formes que cette
l’appareil locomoteur, le système nerveux central incidence professionnelle peut prendre :
et périphérique, les organes des sens, la psychiatrie • le maintien dans le même emploi sans préjudice
et certaines exérèses viscérales, toutes séquelles ne économique en dépit d’une plus grande diffi­
mettant pas en jeu le pronostic vital. Pour celles culté ou pénibilité, mais c’est alors un préjudice
qui intéressent les déficits fonctionnels résultant de physiologique personnel ;
l’atteinte partielle des fonctions vitales (circulation,
• la conservation de la même profession sans réper­
nutrition, excrétion, respiration…), moins faciles à
cussion économique mais avec modification des
chiffrer, il propose une classification en cinq grou­
tâches confiées, par exemple moins gratifiantes
pes selon la gravité des troubles. À chaque degré de
ou moins intéressantes. L’incidence profession­
gravité est attribuée une fourchette de taux de défi­
nelle peut faire l’objet d’une majoration du taux
cit physiologique.
du préjudice physiologique intitulé déficit fonc­
Poussant plus avant le même type de réflexion, le tionnel avec incidence professionnelle. Ce n’est
président R. Barrot [3] rappelait que, conformé­ pas à l’expert-médecin de la calculer ;
ment à un arrêt de la cour d’appel de Paris du • une reconversion professionnelle obligatoire
26  novembre 1981, « il n’y a, en droit commun, avec ou sans préjudice financier ;
aucune méthode obligatoire pour évaluer l’incapa-
cité dont reste atteinte la victime d’un accident et • une perte de chance dans l’évolution de la car­
qu’aucune disposition législative n’impose au juge rière professionnelle avec sa répercussion finan­
d’évaluer le préjudice corporel d’après un taux cière et sur la retraite ;
d’incapacité ». Il ajoutait que la majorité des pays • à l’extrême, l’impossibilité de tout exercice profes­
de la communauté économique européenne (CEE) sionnel tenant compte de la profession exercée et/
n’utilisait pas une telle quantification mathémati­ ou de l’âge de la victime, un problème particulier
que du dommage, arguant du fait que ce qui est étant posé par les victimes jeunes, non encore
physiologique et psychique ne se mesure pas, que entrées dans la vie professionnelle active.
l’indemnisation sur une même valeur monétaire
Si cette longue discussion revêt maintenant un
du point d’incapacité s’applique à des phénomè­
caractère historique, ce n’est que d’un passé très
nes très disparates et non comparables, que les
récent comme nous le verrons à propos des déficits
séquelles sont toujours évolutives et que, malgré
fonctionnels personnels temporaire et définitif et de
l’introduction des barèmes, le jeu des fourchettes
l’assiette du recours subrogatoire des tiers payeurs.
entraîne une inhomogénéité des évaluations,
quand encore il n’est pas demandé à l’expert de Les préjudices non économiques
donner un « taux d’incapacité » en tenant compte à caractère personnel extra-patrimonial
de l’incidence professionnelle !
« C’est l’atteinte à l’intégrité physique de la personne.
Ces arguments l’ont incité à se passer de barème et Elle se conjugue au verbe être [9]. ». C’est ce que la
à préconiser une cotation selon une échelle de gra­ victime ressent dans son corps et dans son âme.
vité à cinq niveaux en fonction du degré du handi­
En se rapportant encore à la classification de
cap dans la vie courante. Il s’agit, pour l’expert, non
Wood, il faut distinguer les préjudices liés au stade
plus de chiffrer mais de décrire le handicap qui
lésionnel, avant la date de consolidation, c’est-
sera souverainement apprécié par le juge du fond.
à-dire liés à la maladie traumatique, et les préjudi­
Y. Lambert-Faivre [9] télescope la notion d’inca­ ces séquellaires.
pacité personnelle permanente avec celle de préju­
dice fonctionnel d’agrément. Il en sera discuté Les préjudices non économiques
avec les préjudices extrapatrimoniaux. temporaires (avant la consolidation)
Mesurer l’incidence professionnelle du déficit Le déficit fonctionnel personnel
fonctionnel est un problème juridique et moné­ temporaire
taire [5] auquel l’expert-médecin ne peut apporter Il y a lieu de l’extraire du volet économique repré­
que des éléments de réponse dans une évaluation senté par l’incapacité temporaire de travail. Nous

337
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

y reviendrons à propos du déficit fonctionnel per- Le préjudice esthétique temporaire


sonnel définitif. La Cour de cassation [18] en fait état « lorsque la
En l’absence d’activité professionnelle, le préju­ victime subit une altération de son apparence
dice fonctionnel personnel temporaire doit être physique temporaire pouvant avoir des consé­
reconnu par la prise en considération de la durée quences personnelles très préjudiciables liées
d’hospitalisation ou des conséquences de l’immo­ notamment au regard des tiers ». Ce préjudice
bilisation dans le cadre de la vie courante [19]. peut être réparé ou amélioré durant le stade
Il traduit la perte de qualité de vie, des activités et lésionnel par action médicale ou chirurgicale.
des joies usuelles de la vie courante subie jusqu’à
la consolidation [18]. Les préjudices non économiques
permanents (après la consolidation)
Les souffrances endurées (physiques Le déficit fonctionnel personnel définitif
et psychiques) Il faut savoir gré à Y. Lambert-Faivre de l’avoir
C’est le terme utilisé par la loi du 27 décembre scindé de la classique incapacité permanente
1973 ainsi que dans l’article L. 454-1 du Code de la partielle [19] et d’en avoir fait un préjudice per­
Sécurité sociale. Les termes de pretium doloris sonnel non économique extrapatrimonial, l’ex­
(prix de la douleur) ou de quantum doloris (impor­ cluant ainsi du recours subrogatoire des tiers
tance de la douleur) encore parfois utilisés ont payeurs. Ce préjudice couvre le déficit fonction­
tendance à être abandonnés, en particulier depuis nel de la victime et traduit l’ensemble des trou­
la circulaire de la chancellerie du 15 novembre bles dans les conditions d’existence causés, après
1977 relative au vocabulaire juridique qui propose la consolidation, par le handicap dans les actes
le terme d’indemnisation des souffrances. essentiels de la vie courante, dans les activités
Les souffrances endurées prises en compte corres­ affectives et familiales et dans celles des activi­
pondent à la période de l’accident et des soins tés de loisir [20]. Tel était le libellé par lequel, le
jusqu’à la date de consolidation, soit durant la 3 mai 1994, la 17e Chambre de la Cour d’appel de
période de maladie traumatique (stade lésionnel). Paris, forte des travaux de la doctrine, définis­
Il est admis que les douleurs chroniques séquellai­ sait une notion nouvelle « le préjudice fonction-
res sont un des éléments constitutifs du déficit nel d’agrément » pour tenter une plus juste
fonctionnel personnel définitif. réparation du préjudice d’une grande handica­
pée au détriment d’un tiers payeur gourmand, la
Il est difficile à un expert-médecin de prévoir les sécurité sociale. Las ! Le 19 décembre 2003, l’As­
douleurs erratiques et récurrentes postérieures à semblé plénière de la Cour de cassation arrête
la consolidation. Elles ne sont en règle pas prises « qu’en excluant du recours du tiers payeur des
en compte. indemnités réparant l’atteinte objective à l’inté-
Le médecin expert doit évaluer l’importance des grité physique, la Cour d’appel avait violé les
souffrances endurées du stade lésionnel en se articles 31 de la loi du 5 juillet 1985, L. 376-1
basant sur le nombre des lésions initiales, le nom­ al.  3 et L. 454-1, al. 3 du code de la sécurité
bre et la nature des actes diagnostiques et/ou thé­ sociale ». Cet arrêt a fait grand bruit. Juste quant
rapeutiques pratiqués, l’état de conscience du à l’interprétation du droit, il soulignait la situa­
blessé au moment des faits, l’importance du trai­ tion inique et unique en Europe dans laquelle la
tement antalgique mis en œuvre, la durée globale France se trouvait en appliquant un droit en
de l’évolution, la façon dont cet état douloureux a contradiction avec l’article 16-1 du code civil
été vécu par la victime. qui édicte : « Le corps humain, ses éléments et
Il qualifiera ces souffrances selon une échelle de ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit
1 à 7 en y adjoignant éventuellement le qualificatif patrimonial ». La Cour de cassation a récidivé
classique, mais surtout en fournissant les éléments par deux fois en 2004 et a appelé l’attention du
d’appréciation qui ont permis cette évaluation. législateur dans son rapport annuel pour 2004
L’expérience de l’expert remplace très vite les sur la nécessité de modifier les textes [20].
tables d’exemples habituellement fournies [11] et Ce fut fait le 21 décembre 2006 par l’article 25 de
évite une trop grande subjectivité. la loi de financement de la sécurité sociale pour

338
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

2007. En résumé, les recours subrogatoires des L’objectivité de l’évaluation par l’expert peut être
tiers payeurs dont la sécurité sociale « s’exercent confortée par l’apport de photographies. Certains
poste par poste sur les seules indemnités qui artifices de prise de vue ou d’éclairage peuvent les
réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, rendre trompeuses.
à l’exclusion des préjudices à caractère person- L’expert peut donner un avis sur les possibilités
nel ». Le droit rejoint l’équité. d’amélioration du préjudice ou laisser entendre
Le déficit fonctionnel personnel définitif recouvre le qu’il y en a. Il peut alors être amené à préciser par
déficit physiologique définitif de la victime, la dou­ quel procédé technique et à en chiffrer approxi­
leur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité mativement le coût (fourchette). Il peut être alors
de vie et les troubles dans les conditions d’existence interrogé sur le préjudice résiduel à espérer. Les
qu’elle rencontre au quotidien, la perte d’autonomie cicatrices évoluent dans le temps. Il ne faut pas
personnelle qu’elle vit dans ses activités journalières hésiter à ne pas conclure immédiatement devant
ainsi que les déficits fonctionnels spécifiques qui une cicatrice trop récente.
demeurent même après la consolidation [18]. Le magistrat reste souverain dans l’évaluation
globale d’un préjudice esthétique. Il a toujours la
Le préjudice d’agrément possibilité de convoquer la victime à l’audience
Après la clarification concernant le déficit fonc­ pour juger d’un préjudice sur le visage ou sur l’en­
tionnel personnel définitif, le préjudice d’agré­ semble d’une silhouette.
ment se trouve lui aussi purifié, débarrassé de ce
que le « préjudice fonctionnel d’agrément » voulait Le préjudice de nature sexuelle
amalgamer pour éviter les dérives du recours Voici ce qu’en écrit la Cour de cassation [18] : « Ce
subrogatoire des tiers payeurs. peut être un préjudice morphologique lié à une
Il vise, selon la nomenclature Dintilhac, à réparer atteinte aux organes sexuels, un préjudice lié à
exclusivement l’impossibilité pour la victime de l’acte sexuel lui-même en raison d’une perte de
pratiquer régulièrement une activité spécifique libido, de capacité physique à l’accomplissement de
sportive ou de loisir. l’acte sexuel ou de capacité à accéder au plaisir, ou
encore un préjudice lié à une impossibilité ou une
Le préjudice esthétique difficulté à procréer ».
Il concerne les lésions visibles modifiant défavora­ Qu’il soit lésionnel, fonctionnel ou les deux à la
blement l’aspect antérieur du corps. Ce sont les fois, qu’il intéresse l’accession au plaisir ou l’acte de
cicatrices, les déformations statiques ou dynami­ procréation, ce préjudice, décrit in abstracto par
ques (lors des gestes, des mouvements, des mimi­ l’expert, sera apprécié in concreto par le juge en
ques), les mutilations et toute atteinte globale de tenant compte de la situation personnelle de la
l’esthétique. victime.
Son évaluation par l’expert-médecin repose sur
leur description précise et sur leur mise en évi­ Le préjudice d’établissement
dence par une étude dynamique par exemple. C’est l’obstacle à la réalisation de tout projet de
Sa qualification se fait selon l’échelle de valeur de vie. Il faut y rattacher un préjudice par retentis­
1 à 7 comparable à celle utilisée pour les souffran­ sement scolaire ou tout autre préjudice particu­
ces endurées. lier tel qu’une difficulté à communiquer.
L’expert-médecin doit rester objectif et évaluer in Conformé­ment à la nomenclature Dintilhac, la
abstracto sans tenir compte des critères extérieurs Cour de cassation y rattache les préjudices
au préjudice lui-même que sont l’âge, le sexe, la extrapatrimoniaux évolutifs liés à des patholo-
situation familiale, sociale ou professionnelle. Il gies évolutives non consolidables soit parce
fournit ces critères au magistrat seul habilité à qu’incurables (encéphalite subaiguë fongiforme
juger in concreto. Remarquons que si le préjudice transmissible) ou susceptibles d’évoluer en
esthétique est de caractère personnel, il devient aggravation après la date de première évalua-
préjudice économique de caractère patrimonial tion (contamination par le virus de l’hépatite C,
dans certaines professions. Sida, amiante…).

339
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Préjudices de la victime Délimitation des interventions


par ricochet
des organismes sociaux
En cas de décès, ce sont les préjudices supportés
par les ayants droit. Rappel historique
« Le tiers à un contrat, victime par ricochet, peut
Les tiers payeurs d’un certain nombre de presta-
invoquer, sur le fondement de la responsabilité
tions fournies à la victime sont habilités à exercer
délictuelle, un manquement contractuel dès lors
leur droit de recours vis-à-vis du créancier, c’est-
que ce manquement lui a causé un dommage,
à-dire en pratique la compagnie d’assurances du
y compris lorsqu’il s’agit d’un manquement à l’obli­
responsable.
gation de sécurité de résultat » [18] (CC. Ass. Plén.,
6 octobre 2006). La créance de la victime contre le responsable se
réduit en définitive au solde, c’est-à-dire à la diffé­
Frais d’obsèques mis à part, qu’il y ait décès ou
rence entre l’indemnité globale qui lui est due et
survie de la victime, les préjudices des victimes
les prestations indemnitaires qui lui ont déjà été
par ricochet, qu’ils soient patrimoniaux ou
payées ou fournies par les tiers payeurs au premier
extrapatrimoniaux, ressortent d’un même
rang desquels se situe la Sécurité sociale. Il pour­
classement.
rait arriver, en particulier dans les traumatismes
très graves, aux traitements longs et coûteux, que
Les préjudices économiques
l’action récursoire des tiers payeurs ampute de
Frais d’obsèques et de sépulture façon très importante l’indemnisation globale
finale de la victime. Or, c’est fréquemment dans
Ils sont évalués in concreto.
ce type de traumatisme grave que persistent les
séquelles les plus lourdes, les handicaps les plus
Pertes de revenu des proches
difficiles et les plus onéreux à gérer.
Elles peuvent concerner le conjoint et les enfants
L’assiette du recours subrogatoire doit donc être
à charge. Pour la Cour de cassation [18], en cas de
parfaitement définie quantitativement et qualita­
décès, ce préjudice économique doit être évalué au
tivement.
jour de la décision qui le fixe en tenant compte des
éléments connus à cette date et en particulier du Quantitativement, elle ne peut dépasser le mon­
salaire auquel la victime aurait eu droit au jour de tant de l’indemnité mise à la charge du tiers res­
la décision (CC. 2e civ., 11 octobre 2001). En cas de ponsable. Cela pourrait arriver en cas de partage
survie l’évaluation de la perte de revenu prend en des responsabilités.
compte le revenu annuel du foyer avant le dom­ La limitation qualitative mérite encore plus de
mage, du salaire toujours perçu par le conjoint et retenir l’attention du médecin expert et du juriste.
les pertes liées à la nécessité d’assurer une pré­ C’est le cantonnement de la subrogation sur une
sence auprès de la victime, ceci toutefois non partie bien précise des préjudices. En règle géné­
cumulable avec une indemnité au titre de la tierce rale, « elle ne doit porter que sur les chefs d’in­
personne. demnité qui ont effectivement été réparés par le
tiers payeur ».
Frais divers des proches Jusqu’en 1973, le Code de la Sécurité sociale pré­
Dans tous les cas, évalués in concreto, ils concer­ voyait une subrogation globale. La totalité des
nent des frais de transport, hôtel, restauration… prestations versées pouvait absorber l’intégralité
de l’indemnité due par le responsable.
Les préjudices non économiques La loi du 27 décembre 1973 relative à l’action
Ce sont les préjudices d’accompagnement et d’af­ récursoire de la Sécurité sociale avait déjà exclu de
fection [18]. En cas de survie, la Cour de cassation l’assiette du recours la part d’indemnité à carac­
préconise « d’inclure au titre de ce poste le préju­ tère personnel réparant les préjudices moraux.
dice de retentissement sexuel vécu par le conjoint Encore cette limitation partielle n’était-elle oppo­
ou le concubin à la suite du handicap subi par la sable qu’à la Sécurité sociale et non aux autres
victime ». tiers payeurs, l’employeur par exemple.

340
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

La loi du 5 juillet 1985 dite loi Badinter établissait, méthodologique de la classification proposée par
dans son article 29, une liste limitative des presta­ le conseil de l’Europe et rappelée en introduction
tions qui ouvraient droit à un recours. Ce recours à ce chapitre [13].
de caractère subrogatoire s’appliquait, avec quel­
ques particularités, à tous les tiers payeurs
L’article 25 de la loi
(art. 30 et 32 de la loi). Dans son article 31, cette loi
stipulait que « ces recours s’exercent dans les limi­ du 21 décembre 2006
tes de la part d’indemnité qui répare l’atteinte à Le long cheminement du droit français pour
l’intégrité physique, à l’exclusion de la part d’in­ rejoindre l’équité en matière de recours subroga­
demnité de caractère personnel correspondant toire des tiers payeurs a été exposé à propos du
aux souffrances physiques ou morales et aux pré­ démantèlement du concept d’incapacité perma-
judices esthétiques et d’agrément ou, s’il y a lieu, nente partielle (IPP) devenue d’une part l’inci-
de la part d’indemnité correspondant au préju­ dence professionnelle définitive (IPD) et d’autre
dice moral des ayants droit ». part le déficit fonctionnel personnel définitif
Ces termes étaient identiques à ceux employés (DFPD). Poussé dans ses retranchements par la
dans l’article L. 454-1 du Code de la Sécurité Cour de cassation, le législateur a mis fin à une
sociale concernant, en accident du travail, la pos­ situation inique pour les plus grands handicapés.
sibilité d’action récursoire de la caisse vis-à-vis Le recours des tiers payeurs (en particulier la
d’un éventuel tiers responsable. sécurité sociale) ne peut plus s’exercer que sur les
Ces termes introduisaient une ambiguïté. Certains postes de préjudices économiques à caractère
préjudices à caractère personnel étaient énumérés  : patrimonial parfaitement répertoriés dans la nou­
souffrances physiques ou morales, préjudice velle nomenclature, poste par poste et non de
esthétique, préjudice d’agrément, préjudice « par façon globale et sur les seules indemnités qui
ricochet » des ayants droit en cas de décès de la réparent des préjudices effectivement pris en
victime. Ils étaient nommément exclus de l’as­ charge par le tiers payeur.
siette du recours.
Par contre, selon ces deux articles, l’indemnité
qui répare l’atteinte à l’intégralité physique parti­
cipait globalement à l’assiette du recours alors
Référentiel d’évaluation
qu’elle n’était pas expressément mentionnée dans médicale du dommage corporel
la liste limitative de l’article 29 de la loi. La
Sécurité sociale ou tout autre tiers payeur était, de Principes généraux des barèmes
ce fait, en droit d’exercer son recours sur l’in­
En théorie il n’existait en droit commun aucune
demnisation globale de l’ITT (et/ou de l’ITP) et
méthode obligatoire d’évaluation [7]. Les experts
de l’IPP. Or dans certaines circonstances, l’ITT
comme les juges étaient libres d’apprécier l’incapa­
pouvait être considérée comme un préjudice de
cité permanente sans en référer à un barème.
caractère personnel, non économique, extrapa­
Pourtant, très vite est apparue la nécessité d’une cer­
trimonial. De même et contrairement à ce qui
taine homogénéisation des bases d’indemnisation
devrait être en droit commun, l’IPP, globalement
proposées par les experts et calculées par le régleur.
comprise dans le recours, recouvre un préjudice
économique de caractère professionnel (comme
dans les accidents du travail) et un préjudice per­ Le droit social
sonnel, non économique et extrapatrimonial, les Rappel historique sur les barèmes
déficits fonctionnels séquellaires. Dans le même L’arrêt Teffaine, Cour de cassation, 1re chambre
paragraphe, la loi du 5 juillet 1985 et l’article L. civile, 16 juin 1896 (voir le sous-chapitre Évolution
454-1 du Code de la Sécurité sociale excluaient de du droit civil en responsabilité médicale) marque le
l’assiette du recours tous les préjudices extrapa­ début d’une prise de conscience collective sur la
trimoniaux après les avoir maintenus partielle­ nécessité d’une réparation du dommage corporel.
ment dans le cadre de l’atteinte à l’intégrité « Il y a des souffrances imméritées,» s’est écrié Jules
physique. C’est dire l’importance doctrinale et Favre (ibid.).

341
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

La loi du 9 avril 1898 établit pour la première fois L’article L. 434-2, alinéa 1 du Code de la Sécurité
le droit pour les victimes d’accident du travail à sociale précise cette notion : « Le taux de l’incapa­
« une indemnisation forfaitaire de la réduction de cité permanente est déterminé d’après la nature
leur capacité de travail au prorata du taux d’inca­ de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés
pacité qui leur est reconnu » [9]. physiques et mentales de la victime ainsi que
Le premier barème officiel est publié en 1939 à la d’après ses aptitudes et sa qualification profes­
suite de la loi du 1er juillet 1938. sionnelle, compte tenu d’un barème indicatif
d’invalidité. »
La loi no 46-2426 du 30 octobre 1946 portant sur la
prévention et la réparation des accidents du tra­ En accident du travail, le taux d’incapacité perma­
vail et des maladies professionnelles ne le modifie nente partielle couvre ainsi la totalité du préjudice
pas. Cette loi est codifiée dans le livre IV du Code séquellaire dont la victime peut faire état au-delà
de la Sécurité sociale. de la date de consolidation de ses blessures. Il se
traduit, selon le taux attribué, par le versement
Des barèmes officieux commentés ont précédé et
d’un capital ou d’une rente. En cas de mort, la rente
complèté utilement le barème officiel établi à titre
est versée aux ayants droit de la victime.
indicatif. L’interprétation de fourchettes d’évalua­
tion larges, la nécessité de combler certaines lacu­ Les autres prestations fournies par la Sécurité
nes ou de corriger des imperfections sont à l’origine sociale sont, sans entrer dans le détail, les suivan­
du barème Mayet et Rey de 1925 et de ses éditions tes : les prestations en nature c’est-à-dire la couver­
revues et corrigées successives sous la direction de ture de tous les frais de soins (art. L. 432 du Code
P. Mathieu puis de P. Padovani [10]. de la Sécurité sociale), y compris les appareillages,
la réadaptation fonctionnelle, la rééducation pro­
Les principes de l’indemnisation fessionnelle et le reclassement professionnel ; l’in­
en accident du travail demnisation de l’incapacité temporaire (art. L. 433
L’indemnisation d’une réduction de la capacité de du Code la Sécurité sociale) ; les prestations autres
travail est censée réparer tout le préjudice subi [9]. que les rentes, dues en cas d’accident suivi de mort.
Il est postulé que « la perte de gain est proportion-
nelle à l’incapacité physiologique » [9]. Ceci est Le droit commun
vrai pour une catégorie donnée de professions.
Pourquoi des barèmes spécifiques
Les barèmes d’invalidité établis à titre indicatif
en droit commun ?
restent tributaires de l’esprit qui a guidé le législa­
teur au xixe siècle et en particulier dans la loi du Dans l’édition du barème officiel des accidents du
9 avril 1898. Ils s’intéressent quasi exclusivement travail du 23 décembre 1982, il est précisé [1] :
aux accidents du travail dans les professions « Il  (l’expert) ne saurait se référer en aucune
manuelles, industrie ou bâtiments travaux publics manière aux règles d’évaluation suivies par les
par exemple. Malgré des fourchettes d’évaluation ­tribunaux dans l’appréciation des dommages au
larges, ils ne sont pas transposables à bien d’autres titre du droit commun. »
activités professionnelles. Il suffit de rappeler C’est l’évidence même. En accident du travail, il
quelques exemples caricaturaux. Qu’y a-t-il de est procédé à l’indemnisation d’une perte de gain
comparable entre la perte d’une jambe chez un et d’un déficit professionnel. De leur origine en
couvreur, du cinquième doigt gauche chez un vio­ accidentologie du travail, les premiers barèmes
loniste droitier et de l’œil d’un pilote de ligne ? ont conservé quatre caractéristiques qui les ren­
C’est pourquoi si, aux termes de la loi du 30 octo­ dent insuffisants dans le domaine des affections
bre 1946, « l’expert tient compte de la profession viscérales :
au point de vue des conséquences physiologiques • ils n’abordent guère que la traumatologie ;
des séquelles observées » [10], la commission
• ils sont basés sur le bilan lésionnel ;
régionale d’incapacité permanente partielle
devant laquelle le blessé peut introduire un recours • ils concernent essentiellement les appareils de la
peut encore proposer, si elle l’estime justifié, un vie de relation ;
coefficient professionnel rectificatif déjà prévu • ils évaluent globalement une réduction de la
dans le barème de 1939. capacité de travail.

342
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Il a été très vite reconnu qu’ils n’étaient pas appli­ ciaire ou non, en droit commun [9]. Il a été com­
cables en droit commun dans lequel la réparation plété en 2001.
doit porter sur l’intégralité des préjudices subis La fonction doit prendre le pas sur la lésion.
évalués de façon spécifique. Celle-ci n’est que le substrat anatomique.
Les principes de l’évaluation Au niveau des appareils de la vie de relation et en
des dommages en droit commun particulier de l’appareil locomoteur, il peut être
et les nouveaux barèmes établi un parallèle assez fidèle entre la lésion ana­
Dès 1971, dans sa mission type d’expertise médi­ tomique et ses conséquences fonctionnelles. Ce
cale, la Chancellerie recommande que l’expert se sont pourtant ces dernières qui doivent, in fine,
prononce sur le déficit physiologique, en quelque être évaluées et donner lieu à réparation.
sorte in abstracto. La fonction prend le pas sur la L’incapacité permanente partielle (IPP) est définie
lésion. comme la réduction du potentiel physique, psy­
cho-sensoriel ou intellectuel dont reste atteinte la
Les barèmes d’invalidité en droit commun victime. Cette IPP a l’intérêt de pouvoir être chif­
Pendant des décennies, il a été fait référence au frée dans un barème médical qui ne peut être
seul barème existant, le barème officiel des acci­ qu’indicatif. R. Barrot, critiquant la notion de
dents du travail, dont nous avons rappelé l’ori­ taux, insistait en 1988 sur la prééminence de la
gine, les principes et les éditions commentées description des « mouvements, actes et gestes ren­
successives. dus difficiles ou impossibles… » pour mieux éclai­
Parallèlement, des travaux étaient menés sous rer le non-médecin [3]. Ce souhait, J. Guigue l’a
l’égide de la revue Concours médical dès 1959 et exprimé en matière de responsabilité médicale :
en 1971 avec une proposition de barème basée sur « Rien n’interdit aux experts de fournir au juge des
l’analyse de la jurisprudence, puis à partir de 1980 explications » [6].
avec la publication du « Barème indicatif des inca- Fallait-il que les appareils de la nutrition, voire de
pacités en droit commun » inspiré du barème de la reproduction, restent les « parents pauvres » des
l’American Medical Association [1]. barèmes jusque-là proposés ? Il en est ainsi des
Une nouvelle édition révisée paraît en 1982 sous le appareils que composent les organes contenus
titre de « Barème fonctionnel indicatif des incapa- dans le thorax, l’abdomen et le petit bassin. Par
cités en droit commun ». Elle consacre les princi­ exemple, si l’on retire du Barème de 1993 ce qui a
pes de base encore admis concernant l’attribution trait à la rate et à la paroi abdominale, l’appareil
à chaque fonction d’un taux plafond, l’utilisation digestif proprement dit n’occupe guère qu’une
d’un calcul dégressif en cas d’infirmités multiples demi-colonne dont une partie réservée aux sto­
tenant compte de la capacité restante, ce qui impli­ mies. Notons toutefois, au crédit de cette première
que que le taux de 100 % correspond à la perte de approche, le souci de présenter très schématique­
toutes les fonctions physiologiques, c’est-à-dire à ment les séquelles digestives sous forme de
la mort [12]. Officieux, ce barème a acquis ses 6 tableaux cliniques fonctionnels de gravité crois­
« lettres d’autorité » depuis l’arrêt Guimber, Cour sante. Les autres appareils viscéraux ne sont pas
de cassation, chambre criminelle, 26 juin 1984. mieux traités.
Son caractère révisable a été souligné d’emblée. Une approche fonctionnelle prend toute sa valeur
Il  a servi de base aux travaux de la société de dans le domaine très spécifique des séquelles de
médecine légale et de criminologie de France à brûlures graves et étendues. Jamais traitées dans
partir de 1989. Ces travaux ont abouti à la publica­ les barèmes jusqu’à un passé récent, elles appa­
tion en 1991 du barème coédité par les éditions raissent dans la dernière édition du Barème indi-
A. Lacassagne et le Concours médical. catif des déficits fonctionnels séquellaires en droit
Une édition abrégée et actualisée est disponible commun [1]. Une double évaluation est proposée :
depuis 1993 au Concours médical sous le titre de • l’une, indépendamment des problèmes esthéti­
Barème indicatif des déficits fonctionnels séquel- ques et psychologiques, est basée sur l’étendue
laires en droit commun [1]. Il fait autorité dans de la brûlure cutanée en tenant compte, selon les
toutes les missions d’expertise médicale, judi­ modes de réparation, des anomalies et disfonc­

343
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

tionnements au niveau des seuls éléments cuta­ Ils ont trouvé leur justification réglementaire
nés de couverture ; avec la publication au JO du 5 avril 2003 d’une
• l’autre intègre toutes les séquelles fonctionnelles annexe au décret no 2003-314 du 4 avril 2003
pouvant, dans les brûlures profondes, intéresser relatif au caractère de gravité des accidents médi­
n’importe quel appareil de la vie de relation et caux, des affections iatrogènes et des infections
même de la nutrition. nosocomiales prévu à l’article L. 1142-1 du Code
de la santé publique. Ce Barème d’évaluation du
Dans les cas les plus graves, cette double appro­ taux d’incapacité des victimes d’accidents médi-
che ne doit pas aboutir à une simple addition caux, d’affections iatrogènes ou d’infections noso-
qui pourrait, dans son total, outrepasser le défi­ comiales reprend quasi à l’identique l’esprit et la
cit fonctionnel global dont est affligé le blessé. forme du barème de la Société de médecine légale
C’est alors que peut intervenir l’évaluation glo­ et de criminologie de France (cf. en annexe de cet
bale du taux de la valeur fonctionnelle restante article).
du sujet.
Cette conception fonctionnelle a dominé la rédac­
Barème ou référentiel ?
tion du Barème d’évaluation médico-légale [2].
Il a été élaboré en 2000 sous l’égide de la Société de Cette question a fait l’objet d’un débat au cours du
médecine légale et de criminologie de France. Il xiiie colloque médico-juridique de la CNEM. Le
projette un jour nouveau sur la méthodologie de lecteur pourra se reporter à l’exposé de J. F. Schuhl
l’évaluation. La fonction devient le moteur princi­ [14].
pal de l’étude clinique et de l’évaluation du dom­ Le référentiel diffère d’un barème, car il rassemble
mage. Il ne faut pas y voir une révolution dans le un ensemble d’informations permettant une éva­
domaine de l’expertise mais plutôt, comme notre luation à partir de propositions descriptives consi­
étude tend à le montrer, l’aboutissant d’un chemi­ dérées comme consensuelles. Ce qui caractérise
nement progressif de la pensée expertale à partir ces éléments de référence, ce sont leur adaptabilité
des travaux antérieurs. et leur évolutivité dans le temps. Dès lors que des
En eux-mêmes, les taux proposés dans ce barème, éléments nouveaux sont scientifiquement validés
toujours à titre indicatif, ne diffèrent pas fonda­ selon une méthodologie reconnue, ils peuvent être
mentalement des taux maintenant admis du intégrés au référentiel.
barème de 1993. Seule la méthode d’évaluation a Comme le note Y. Lambert-Faivre [19] « la com-
évolué. Tous les chapitres en ont bénéficié, en par­ plexité du corps humain ne se réduit en tranches de
ticulier ceux concernant les appareils de la nutri­ centièmes ». Le barème apparaît trop rigide dès
tion. La dissociation fréquemment constatée entre lors qu’il s’agit d’évaluer une perte fonctionnelle et
le diagnostic lésionnel initial et le bilan fonction­ non plus de mesurer un degré lésionnel. L’expert
nel séquellaire n’est plus une gêne puisque, sans doit savoir décrire et expliquer comme l’a écrit
méconnaître le stade lésionnel initial de Wood, J. Guigue [6]. Il a été rappelé en préambule l’esprit
l’expert s’intéresse d’emblée au stade fonctionnel du texte européen fondateur [13] auquel doit
ou séquellaire, celui qui intervient après la conso­ répondre un tel référentiel d’évaluation médicale.
lidation médico-légale. Le groupe de travail d’Y. Lambert-Faivre [15] a
L’approche fonctionnelle de l’évaluation du dom­ souhaité l’élaboration d’un « barème » médical
mage corporel paraît de loin la plus justifiée. Elle objectif unique pour tous les systèmes d’indem­
est adaptée à tous les types de pathologie, trauma­ nisation. C’est loin d’être le cas car ils sont nom­
tiques ou non, d’accidentologie ou iatrogènes. Elle breux et hétérogènes : barème de droit commun,
permet, dans un domaine de fonctions complexes d’assurance maladie-invalidité, d’accidents du
et souvent intriquées, de tenir compte au mieux travail, barème spécifique (sang contaminé,
de l’état physiologique antérieur. La lésion d’or­ amiante, ESST…) barème contractuel des assu­
gane n’est rien en soi, le déficit fonctionnel est rances de personnes, barème pour les victimes
tout. de guerre… Pour la victime indemnisée une
Tous ces barèmes intègrent parfaitement la classi­ impression d’inéquité est engendrée par cette
fication médico-légale de Wood. incohérence.

344
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Alors qu’en est-il lorsque nous sortons de nos d’Y.  Lambert-Faivre [15] a recommandé l’élabo­
frontières ? Cette étude a été faite [17]. Elle est ration d’un « référentiel indicatif national statisti-
instructive. que et évolutif » (RINSE) qui devrait répondre aux
Le « Guide barème européen d’évaluation médi- principes suivants :
cale des atteintes à l’intégrité physique et psychi- • les références devront y être énoncées par les
que » [21] a voulu répondre à cette demande. Il faut dénominations et sigles des chefs de préjudices
lui reconnaître la souplesse d’un référentiel. Il est dont la nomenclature a été adoptée à l’unani­
dommage qu’il soit entaché d’une confusion mité par le groupe de travail ;
regrettable à propos de la définition de l’atteinte à • le champ d’application devrait couvrir tous les
l’intégrité physique et psychique qui, contraire­ types d’accidents de dommage corporel ;
ment aux critères édictés par le Conseil de
• les statistiques judiciaires référencées seront cel­
­l ’Europe [13] et rappelés récemment par l’Acadé­
les des cours d’appel ;
mie Nationale de Médecine en France [17], ne fait
pas la distinction nette entre dommages physi­ • le RINSE sera établi en fourchettes et en
ques objectivables, mesurables et quantifiables et moyennes ;
suffrances psychiques qui ressortent d’un tout • un contrôle effectif et officiel des pouvoirs
autre domaine. publics sera mis en place ;
S’il est incontestable que certains dommages • le RINSE sera l’objet d’une publication annuelle
­corporels graves, certaines circonstances parti­ largement diffusée notamment auprès de toutes
culièrement pénibles d’événements indésirables les cours d’appel.
puissent être à l’origine de répercussions psychi­
ques pérennes et que cela soit établi, alors ne vau­ Depuis 2003, cette proposition n’a pas encore eu
drait-il pas mieux créer un poste de préjudice la suite qu’elle méritait. L’expert soucieux de
spécifique : « préjudice pour répercussion psychi- connaître les conséquences financières de ses
que durable ». avis ­techniques peut se reporter à l’ouvrage d’Y.
Lambert-Faivre de 2004 [19] et à l’exposé synthé­
La nomenclature des postes de préjudices est tique de M. Chanzy de 2006 [14].
harmonisée. Le recours subrogatoire des tiers
payeurs est encadré de façon équitable.
L’harmonisation des barèmes ou mieux des réfé­
rentiels d’évaluation du dommage corporel reste
Conclusion
à faire. Et pourtant, au nom de l’équité, ces trois Le médecin évalue un dommage. Le juriste indem­
outils doivent converger vers un référentiel nise la personne victime du préjudice qui en
indemnitaire lisible. découle. Dans le maquis des textes, résultat d’une
longue maturation du droit de la réparation du
Référentiel indemnitaire dommage corporel, émergent peu à peu des attitu­
des consensuelles, équitables, tendant à simplifier
et harmoniser en France comme en Europe le sort
Ce n’est plus du ressort du médecin expert. Il ne des victimes les plus gravement atteintes. Il  reste
peut s’en désintéresser. Là encore une harmonisa­ encore beaucoup à faire.
tion s’impose. La loi du 5 juillet 1985, dans son
article 26, a institué « sous le contrôle de l’autorité
publique, une publication périodique [qui] rend Bibliographie
compte des indemnités fixées par les jugements et
[1] Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires
les transactions ». en droit commun. Editions du Concours médical,
L’AGIRA (Association de la gestion des informa­ Paris, 2002.
tions sur le risque automobile) en a été chargée [2] Barème d’évaluation médico-légale. Eska, Paris, 2000.
sous la responsabilité des assureurs. Pour des rai­ [3] Barrot R. Le dommage corporel et sa compensation.
sons diverses la gestion et l’accessibilité de ce Litec, Paris, 1988.
fichier par le public s’avèrent en pratique un échec. [4] Brousseau S, Rousseau C. La réparation du dommage
Conscient du problème, le groupe de travail corporel. L’argus, Paris, 1983.

345
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

[5] Colin M, Couvrat P. L’indemnisation des différentes [14] Dommage corporel – évolution, perspectives. xiiie
catégories de préjudices. Session de formation conti­ Colloque médico-juridique de la CNEM – 25 novem­
nue des 9–13 décembre 1991 à l’ENM. In Justice et bre 2006 – sous la direction de J. Hureau. Experts
psychiatrie, ENM. édit. Paris 2007, hors série.
[6] Guigue J. Qui est le véritable juge en matière de res­ [15] L’indemnisation du dommage corporel. Rapport sous
ponsabilité médicale : l’expert ou le juge ? Gazette du la présidence d’Yvonne Lambert-Faivre. Ministère
Palais, 1996 ; 196–198 : 31–33. de la justice – 22 juillet 2003.
[7] Dérobert L. Réparation juridique du dommage cor­ [16] L’élaboration d’une nomenclature des préjudices
porel. In Dérobert L. Droit médical et Déontologie. corporels. Rapport sous la direction de Jean-Pierre
Flammarion, Paris, 1995. Dintilhac. Cour de cassation. Ministère de la jus­
[8] Guillien R, Vincent J. Lexique des termes juridiques, tice – 27 juillet 2005.
14e édition. Dalloz, Paris, 2003. [17] Harmonisation de la réparation des préjudices c­orporels
[9] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel. dans l’Union européenne - Rapport de l’Académie
Systèmes d’indemnisation, 4e édition. Dalloz, Paris, Nationale de Médecine, sous la direction de J. Hureau –
2000. 4 avril 2006 – EM inter – Lavoisier édit. Cachan 2007.
[10] Mathieu P, Padovani P. Guide-barème des accidents [18] Rapport annuel 2007. La santé dans la jurispru­
du travail de Mayet et Rey. Lamarre-Poinat, Paris, dence de la Cour de cassation. La Documentation
1966. Française – édit Paris 2008.
[11] Melennec L, Lavarde G. Barème indicatif d’évolution [19] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel.
du quantum doloris. Cahiers de Chirurgie, 1976 ; 18 : Systèmes d’indemnisation. Dalloz édit. Paris 2004,
33–38. 5e édition.
[12] Melennec L. Évaluation du handicap et du dom­ [20] Kamara F. L’assiette du recours subrogatoire des tiers
mage corporel. Barème international des invalidités. payeurs… ou la dérision au pays de Descartes (in 14).
Masson, Paris, 2000. [21] Guide barème européen d’évaluation médicale
[13] Résolution 75 (7) du 14 mars 1975 du Conseil de des atteintes à l’intégrité physique et psychique –
l’Europe. CEREDOC/Groupe « ROTHLEY », septembre 2004.

346
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Annexe
Barème d’évaluation des taux d’incapacité des victimes d’accidents
médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales

(Décret no 2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère Syndrome de Brown-Séquard : selon l’importance des
de gravité des accidents médicaux, des affections iatro­ troubles moteurs sensitifs et génito-sphinctériens. 15 à
gènes et des infections nosocomiales). 50 %.

Neurologie D’origine hémisphérique, tronculaire


ou cérébelleuse
L’évaluation des déficits neurologiques ne doit se faire Quadriplégie complète. Non inférieur à 95 %.
qu’après un délai suffisamment long (généralement de Quadriplégie incomplète : l’évaluation du taux se fera
l’ordre de 2 à 3 ans et au terme d’un délai plus long chez par comparaison avec des déficits similaires et en fonc­
l’enfant) afin de juger de leur permanence et des adap­ tion du degré d’autonomie.
tations aux handicaps. Hémiplégie majeure : station debout impossible, mem­
Il est souhaitable que l’intervalle entre le traumatisme bre supérieur inutilisable, déficit cognitif important
initial et l’évaluation définitive soit mis à profit pour (dont aphasie). 90 %.
procéder régulièrement à des bilans médicaux fiables. Hémiplégie spastique : marche possible avec cannes,
Déficits sensitivo-moteurs d’origine membre supérieur inutilisable, selon l’importance
médullaire et centrale du déficit cognitif et selon l’hémisphère dominant.
Dominant, 70 %. Non-dominant, 60 %.
D’origine médullaire Hémiplégie spastique : marche possible sans cannes,
Tétraplégies et paraplégies constituent toujours des membre supérieur utilisable avec maladresse, selon
entités cliniques complexes associant des atteintes de l’importance du déficit cognitif et selon l’hémisphère
la fonction de locomotion (et de préhension pour les dominant. Dominant, 60 %. Non dominant, 45 %.
tétraplégies), de la fonction urinaire, des fonctions Monoplégies : le taux dépend du retentissement sur la
génito-sexuelles, de la fonction respiratoire (pour les fonction de préhension ou sur la fonction de locomo­
lésions les plus hautes) et des troubles rachidiens. On ne tion (cf. chapitre Appareil locomoteur).
saurait dissocier ces différents déficits pour évaluer par Syndrome cérébelleux majeur : atteinte bilatérale, mar­
addition le taux d’incapacité. Dans cet esprit, les taux che quasi-impossible, préhension inefficace, impor­
proposés ci-dessous correspondent à une évaluation tante dysarthrie. 80 à 85 %.
globale des conséquences de la lésion. Mais ce mode Syndrome cérébelleux incomplet : atteinte unilatérale,
d’évaluation globale ne doit pas dispenser l’expert de sans répercussion sur la locomotion, préhension mala­
décrire en détail la nature et l’importance des diffé­ droite du côté atteint, dysarthrie absente ou discrète,
rents déficits composant ces entités cliniques, d’autant selon côté dominant. 10 à 25 %.
plus qu’ils sont fonction du niveau lésionnel. Troubles du mouvement, du tonus, de l’attitude (trem­
Tétraplégie haute complète. Non inférieur à 95 %. blements, dyskinésies, dystonie), isolés ou au premier
Tétraplégie basse complète (au-dessous de C6). Non plan, en fonction des perturbations fonctionnelles. 5 à
inférieur à 85 %. 30 %.
Tétraparésie : marche possible, préhension possible Déficits sensitifs isolés, à l’origine d’un déficit fonc­
maladroite ; selon le périmètre de marche et l’impor­ tionnel (gêne à la marche par atteinte cordonale posté­
tance des troubles urinaires et génito-sexuels. 45 à 75 %. rieure, gêne à la préhension par atteinte des différentes
Paraplégie complète : selon le niveau de l’atteinte sensibilités) ; selon l’importance. 10 à 30 %.
médullaire qui conditionne d’éventuelles difficultés à
la station assise prolongée et la nature des troubles uri­ Troubles de la circulation du liquide
naires et génito-sexuels. 70 à 75 %. céphalo-rachidien
Paraparésie : marche possible limitée, autonomie com­ Les taux doivent être évalués en fonction des déficits
plète pour les actes de la vie courante ; selon l’impor­ constatés, essentiellement cognitifs.
tance des troubles urinaires, génito-sexuels et sensitifs La présence du matériel de dérivation ne justifie pas à
associés. 20 à 50 %. elle seule un taux d’incapacité.

347
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Déficits cognitifs type Alzheimer » ne sont jamais post-traumatiques.


L’analyse des syndromes déficitaires neuropsychologi­ Cependant, un événement traumatique avéré et sévère
ques doit faire référence à une séméiologie précise. Le peut accélérer l’évolution de ce processus dégénéra­
syndrome dit « frontal » correspond en fait à des entités tif, accélération qui ne peut être traduite par un taux
maintenant bien définies dont les déficits associés, plus d’incapacité permanente partielle. L’expert devra donc
ou moins importants, réalisent des tableaux cliniques comparer l’évolution modifiée à l’évolution habituelle
très polymorphes. de l’affection et s’efforcer de chiffrer en temps cette
L’évaluation du taux d’incapacité doit donc se baser sur différence.
des bilans médicaux précis et spécialisés, corrélant les
lésions initiales et les données des examens cliniques et
Déficits mixtes cognitifs et sensitivo-moteurs
paracliniques. Ces déficits mixtes constituent les séquelles caractéris­
tiques des traumatismes crâniens graves. Ils s’associent
Syndrome frontal vrai le plus souvent à des dysfonctionnements frontaux des
Forme majeure avec apragmatisme et perte de l’auto­ déficits cognitifs, des troubles du comportement, des
nomie. 60 à 85 %. syndromes pyramidaux et/ou cérébelleux, des troubles
Forme sévère avec altération des conduites instinctives, sensoriels (hémianopsies, paralysies oculo-motrices…)
perte de l’initiative, troubles de l’humeur, insertions correspondant à des lésions visualisées par l’imagerie.
sociales et familiales précaires. 30 à 60 %. Ces associations réalisent des tableaux cliniques diffé­
Forme mineure avec distractibilité, lenteur, difficultés rents d’un sujet à l’autre, tels qu’on ne peut proposer
de mémorisation et d’élaboration des stratégies com­ de taux précis comme pour des séquelles parfaitement
plexes ; autonomie totale. 10 à 30 %. individualisées. Ces déficits feront l’objet d’une évalua­
tion globale.
Atteinte isolée de certaines fonctions cognitives Il est cependant possible de reconnaître, dans le
Langage : contexte de l’évaluation médico-légale, plusieurs
– aphasie majeure avec jargonophasie, alexie, troubles niveaux de gravité en fonction du déficit global.
de la compréhension. 70 % ; Abolition de toute activité volontaire utile, perte de
– forme mineure : troubles de la dénomination et de toute possibilité relationnelle identifiable. 100 %.
la répétition, paraphasie. Compréhension conservée. Déficits sensitivo-moteurs majeurs limitant gravement
10 à 30 %. l’autonomie, associés à des déficits cognitifs incompa­
Mémoire : tibles avec une vie relationnelle décente. 80 à 95 %.
– altération massive, syndrome de Korsakoff complet. Troubles cognitifs majeurs comportant, au premier
60 % ; plan, désinhibition et perturbations graves du com­
– altération modérée à graves : oublis fréquents, portement, compromettant toute socialisation, avec
gênants dans la vie courante, fausses reconnaissances, déficits sensitivo-moteurs mais compatibles avec une
éventuellement fabulations. 15 à 60 % ; autonomie pour les actes essentiels de la vie courante.
– altération légère : difficultés d’apprentissage, néces­ 60 à 80 %.
sité d’aide-mémoire dans la vie courante, troubles de Troubles cognitifs associant perturbation permanente
l’évocation. 10 à 15 %. de l’attention et de la mémoire, perte relative ou totale
Perte totale ou partielle des connaissances didactiques : d’initiative et/ou d’autocritique, incapacité de ges-
les taux correspondants seront appréciés selon la même tion des situations complexes, avec déficits sensitivo-
échelle que les troubles de la mémoire. moteurs patents mais compatibles avec une autonomie
pour les actes de la vie courante. 40 à 65 %.
Troubles cognitifs mineurs Troubles cognitifs associant lenteur idéatoire évidente,
En l’absence de syndrome frontal vrai ou d’atteinte déficit patent de la mémoire, difficulté d’élaboration
isolée d’une fonction cognitive, certains traumatismes des stratégies complexes avec déficits sensitivo-moteurs
crâniens, plus ou moins graves, peuvent laisser subsis­ n’entraînant pas de réelles conséquences fonctionnel­
ter un syndrome associant : labilité de l’attention, len­ les. 20 à 40 %.
teur idéatoire, difficultés de mémorisation, fatigabilité
intellectuelle, intolérance au bruit, instabilité de l’hu­ Déficits sensitivo-moteurs d’origine
meur, persistant au-delà de 2 ans : 5 à 15 %. périphérique
Démence Face
Les états démentiels sont très hétérogènes compte tenu de Paralysie faciale complète hypotonique :
leur polymorphisme clinique et des étiologies variées. – unilatérale. 5 à 15 % ;
Les démences post-traumatiques vraies sont rares et – bilatérale (exceptionnelle). 15 à 25 %.
doivent être documentées par des lésions anatomi­ Hémispasme facial complet non améliorable par la thé­
ques majeures et bilatérales. Les démences dites « de rapeutique. Jusqu’à 10 %.

348
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Membres supérieurs Les anomalies isolées de l’EEG, en l’absence de crises


Paralysie complète du plexus brachial. Dominant : avérées, ne permettent pas de poser le diagnostic d’épi­
60 %. Non dominant : 50 %. lepsie post-traumatique.
Paralysie radiale : Épilepsies avec troubles de conscience
– au-dessus de la branche tricipitale. Dominant : 40 %.
Non dominant : 30 % ; (Épilepsies généralisées et épilepsies partielles complexes)
– au-dessous de la branche tricipitale. Dominant : Épilepsies bien maîtrisées par un traitement bien toléré :
30 %. Non dominant : 20 %. 10 à 15 %.
Paralysie ulnaire. Dominant : 20 %. Non dominant : Épilepsies difficilement contrôlées, crises fréquentes
15 %. (plusieurs par mois), effets secondaires des traitements :
Paralysie du nerf médian : 15 à 35 %.
– au bras. Dominant : 35 %. Non dominant : 25 % ; Épilepsies sans troubles de conscience
– au poignet. Dominant : 25 %. Non dominant : 15 %.
Épilepsies partielles simples dûment authentifiées
Paralysie du nerf circonflexe. Dominant : 15 %. Non
selon le type et la fréquence des crises et selon les effets
dominant : 10 %.
secondaires des traitements 10 à 30 %.
Paralysie du nerf du grand dentelé. Dominant : 8 %.
Non dominant : 6 %. Cas particulier
En cas de forme incomplète, il convient de corroborer Syndrome « post-commotionnel » persistant au-delà de
les taux proposés ci-dessus avec ceux proposés pour les 18 mois : jusqu’à 3 %.
déficits de la fonction de préhension.
Membres inférieurs Psychiatrie
Paralysie du nerf sciatique (au-dessus de la bifurca­ Le diagnostic des séquelles psychiatriques impose
tion). 40 à 45 %. l’examen par un spécialiste confirmé. Cet examen doit
Paralysie du nerf sciatique poplité externe (nerf fibu­ comporter non seulement une analyse sémiologique
laire). 20 %. précise des symptômes présentés par le blessé, mais
Paralysie du nerf sciatique poplité interne (nerf tibial). aussi une étude longitudinale soigneuse de sa biogra­
20 %. phie. Il est essentiel, en effet, de discuter dans tous les
Paralysie du nerf fémoral. 35 %. cas les rôles respectifs de l’éventuel état antérieur, de
En cas de forme incomplète, il convient de corroborer la personnalité, du traumatisme et d’autres facteurs
les taux proposés ci-dessus avec ceux proposés pour les pathogènes éventuels.
déficits de la fonction de locomotion.
Névroses traumatiques
Les douleurs de déafférentation (État de stress post-traumatique, névrose d’effroi)
Qu’elles soient isolées ou qu’elles accompagnent un (F43.1 de la CIM X).
déficit sensitivo-moteur, elles devront être prises en Elles succèdent à des manifestations psychiques provo­
compte : quées par l’effraction soudaine, imprévisible et subite
– soit en majorant le taux retenu pour le déficit lorsqu’il d’un événement traumatisant débordant les capacités
existe ; de défense de l’individu.
– soit par un taux d’incapacité spécifique 5 à 10 %. Le facteur de stress doit être intense et/ou prolongé.
L’événement doit avoir été mémorisé.
Syndrome de la queue de cheval La symptomatologie comporte des troubles anxieux
Suivant l’importance des troubles moteurs sensitifs et de type phobique, des conduites d’évitement, un syn­
génito-sphinctériens 15 à 50 %. drome de répétition et des troubles du caractère. Traitée
très précocement, la névrose traumatique guérit avec
Déficits neuro-sensoriels retour à l’état antérieur sans laisser de séquelles consti­
Il convient de se reporter aux spécialités concernées, en tutives d’une incapacité permanente. L’appréciation
particulier ophtalmologie et oto-rhino-laryngologie. d’une névrose traumatique ne peut être envisagée
qu’après environ 2 ans d’évolution.
Épilepsie La détermination de l’incapacité permanente pourra se
On ne peut proposer un taux d’incapacité sans preuve baser sur les propositions suivantes :
de la réalité du traumatisme cranio-encéphalique et de Manifestations anxieuses discrètes spécifiques, quelques
la réalité des crises. Dans ces cas, un recul de plusieurs réminiscences pénibles, tension psychique : jusqu’à 3 %.
années (4 ans au minimum) est indispensable, afin de Manifestations anxieuses phobiques spécifiques avec
prendre en compte l’évolution spontanée des troubles conduites d’évitement et syndrome de répétition :
et l’adaptation au traitement. 3 à 10 %.

349
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Anxiété phobique généralisée avec attaques de pani­ – on note parfois une « belle indifférence », c’est-à-dire
que, conduites d’évitement étendues, syndrome de une attitude surprenante d’acceptation tranquille
répétition diurne et nocturne : 10 à 15 %. d’une incapacité grave,
Exceptionnellement jusqu’à 20 %. – la personnalité de base est le plus souvent histrioni­
que et dépendante ;
Troubles de l’humeur persistants – que leur évolution est imprévisible (ils pourraient
Dans les cas de lésions orthopédiques et somatiques être induits ou levés par hypnose) :
multiples dont l’évolution est longue et compliquée – ils s’améliorent habituellement en quelques semai­
(brûlures étendues avec soins prolongés, lésions ortho­ nes ou quelques mois, en particulier quand la surve­
pédiques avec interventions chirurgicales itératives, nue est associée à un événement traumatisant,
ostéite…), il peut persister un état psychique perma­ – l’évolution peut être plus prolongée (avec un début
nent douloureux correspondant à un : plus progressif) lorsqu’ils comportent des paralysies
État dépressif résistant pouvant justifier un taux d’in­ ou des anesthésies, lorsque leur survenue est associée à
capacité permanente, allant jusqu’à 20 %. des problèmes ou à des difficultés interpersonnelles
Une réaction dépressive transitoire dans les suites d’un insolubles ;
traumatisme psychique et/ou somatique ne constitue – que les troubles de conversion ayant déjà évolué
pas une incapacité permanente et peut être évaluée au depuis plus d’un ou deux ans avant une consultation
titre des souffrances endurées. psychiatrique sont souvent résistants à tout traite­
ment.
Troubles psychotiques aigus ou chroniques En tenant compte de tous ces éléments et en prenant
Les affections psychotiques ne sont jamais d’origine un recul de deux à trois ans, il est possible de proposer
traumatique. dans certains cas un taux d’incapacité permanente qui
Certaines séquelles de lésions cérébrales ou d’hydro­ ne peut se référer à aucune fourchette, compte tenu de
céphalie à pression normale peuvent réaliser des syn­ la diversité des expressions cliniques.
dromes déficitaires ou d’allure psychotique pris en Cette évaluation ne peut jamais atteindre le même taux
charge au titre des séquelles neurologiques. que celui qui serait donné pour un tableau clinique
Lors de la survenue, dans les suites immédiates d’un similaire traduisant une lésion organique irréversible.
fait traumatique, d’un état dépressif majeur ou d’un
accès maniaque chez un sujet, avec un trouble bipolaire Troubles factices (F68.1 de la CIM X)
de l’humeur, la prise en charge de l’accès est légitime, Production intentionnelle de symptômes dans le but de
mais non les suites évolutives de la pathologie. jouer le rôle du malade (pathomimie). De tels troubles
Certaines lésions temporales de l’hémisphère mineur ne sont jamais imputables à un fait traumatique.
peuvent réaliser des troubles pseudo-maniaques pris
en charge au titre des séquelles neurologiques. Simulation
Production intentionnelle de symptômes dans le but
Aspects particuliers
d’obtenir des avantages ou d’échapper à des obliga­
Troubles de conversion et somatoformes tions. De tels troubles ne sont jamais imputables à un
Devant la difficulté à appréhender les troubles conver­ fait traumatique.
sifs sans se référer à des théories étiopathogéniques non
consensuelles, il est conseillé, pour ce type de symp­ Ophtalmologie
tôme, de se référer à la CIM X (F44) qui distingue :
amnésie, fugue, stupeur, transe et possession, troubles Acuité visuelle
de la motricité, de la sensibilité, (syndrome douloureux L’examen comportera la détermination séparée œil par
somatoforme persistant, F 45.4), troubles des organes œil des acuités centrales de loin et de près à l’aide des
des sens. optotypes habituels : échelle de Monoyer ou ses équiva­
Avant de procéder à leur évaluation à titre de séquelles, lents en vision de loin, à 5 mètres ; échelle de Parinaud
il faut savoir pour de tels troubles : à distance normale de lecture en vision de près. En cas
– qu’ils ne correspondent pas à la perte systématisée de de discordance entre les signes fonctionnels allégués
la fonction touchée ; et les constatations de l’examen clinique, la mesure
– que leur psychogenèse est admise dans la mesure où de l’acuité visuelle sera complétée par des épreuves de
ils peuvent survenir en relation temporelle étroite avec contrôle et, le cas échéant, par l’étude des potentiels
des événements traumatiques ; évoqués visuels (PEV).
– que la perte fonctionnelle aide la victime à éviter un Un trouble de la réfraction qui peut être entièrement
conflit désagréable ou à exprimer indirectement une ­corrigé par un moyen optique ne sera pas considéré
dépendance ou un ressentiment ; comme une déficience oculaire génératrice d’incapacité.
– qu’ils sont associés à des éléments caractéristiques : Les taux d’incapacité sont fournis par le tableau I :

350
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Tableau I
Vision de loin
10/10 9/10 8/10 7/10 6/10 5/10 4/10 3/10 2/10 1/10 1/20 < 1/20 Cécité
10/10 0 0 0 1 2 3 4 7 12 16 20 23 25
9/10 0 0 0 2 3 4 5 8 14 18 21 24 26
8/10 0 0 0 3 4 5 6 9 15 20 23 25 28
7/10 1 2 3 4 5 6 7 10 16 22 25 28 30
6/10 2 3 4 5 6 7 9 12 18 25 29 32 35
5/10 3 4 5 6 7 8 10 15 20 30 33 35 40
4/10 4 5 6 7 9 10 11 18 23 35 38 40 45
3/10 7 8 9 10 12 15 18 20 30 40 45 50 55
2/10 12 14 15 16 18 20 23 30 40 50 55 60 65
1/10 16 18 20 22 25 30 35 40 50 65 68 70 78
1/20 20 21 23 25 29 33 38 45 55 68 75 78 80
< 1/20 23 24 25 28 32 35 40 50 60 70 78 80 82
Cécité 25 26 28 30 35 40 45 55 65 78 80 82 85

Tableau II
Vision de près
P1,5 P2 P3 P4 P5 P6 P8 P10 P14 P20 < P20 Cécité
P 1,5 0 0 2 3 6 8 10 13 16 20 23 25
P2 0 0 4 5 8 10 14 16 18 22 25 28
P3 2 4 8 9 12 16 20 22 25 28 32 35
P4 3 5 9 11 15 20 25 27 30 36 40 42
P5 6 8 12 15 20 26 30 33 36 42 46 50
P6 8 10 16 20 26 30 32 37 42 46 50 55
P8 10 14 20 25 30 32 40 46 52 58 62 65
P 10 13 16 22 27 33 37 46 50 58 64 67 70
P 14 16 18 25 30 36 42 52 58 65 70 72 76
P 20 20 22 28 36 42 46 58 64 70 75 78 80
< P 20 23 25 32 40 46 50 62 67 72 78 80 82
Cécité 25 28 35 42 50 55 65 70 76 80 82 85

Il est admis que toute vision supérieure à 7/10 corres­ une distance normale de lecture – après correction
pond à une efficience visuelle normale ; elle n’entraîne éventuelle de la presbytie – avec le test de l’échelle
donc pas d’incapacité. de Parinaud).
Il est nécessaire de préciser les altérations de l’acuité L’utilisation du tableau II ne sera nécessaire que dans
visuelle concernant, d’une part, la vision de loin et, les rares cas d’importante dissociation entre les incapa­
d’autre part, la vision de près. cités visuelles de loin et de près. Il conviendra alors de
C’est pourquoi, au tableau I, qui évalue l’incapa­ prendre la moyenne arithmétique des deux incapacités
cité visuelle de loin, il faut adjoindre le tableau II, pour obtenir un taux correspondant à une plus juste
qui évalue l’incapacité visuelle de près (quantifiée à détermination de l’incapacité.

351
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

La cécité et la grande malvoyance


La cécité absolue ou cécité totale (ne distingue pas le
jour de la nuit) : 85 %.
Le taux d’incapacité en cas de grande malvoyance
découle de la baisse d’acuité visuelle (tableau I) et de
l’atteinte du champ visuel (schéma 1).
La perte de la vision d’un œil
Perte fonctionnelle d’un œil (si la vision de l’autre œil
est normale) : 25 %.
En cas d’énucléation avec mise en place d’une pro­
thèse oculaire, le taux d’incapacité permanente reste le
même, car le port de la prothèse n’a pas pour but d’amé­
liorer la fonction mais l’aspect esthétique (la mobilité et
la qualité de l’appareillage sont appréciées dans le cadre
du préjudice esthétique).
Champ visuel
L’examen sera pratiqué à l’aide de la coupole de Goldmann
ou équivalent. Seules les manifestations apparentes au
test III/4 seront considérées comme entraînant un réel
retentissement fonctionnel et donc constitutives d’in­ Schéma 1
capacité. Le champ visuel doit être étudié binoculaire­ Approche de l’évaluation du champ visuel
ment, les deux yeux ouverts. La superposition du tracé (la ligne brisée représente la limite du champ
sur le schéma 1 donne le taux d’incapacité. visuel binoculaire normal pour l’isoptère III/4).
En cas d’atteinte du champ visuel central, l’examen Chaque point correspond à une lacune non perçue
pourra être complété par un test d’Amsler ou équiva­ et à 1 % d’IPP. On procède par addition de points.
lent, et l’incapacité appréciée comme mentionné pour Le rectangle en marge correspond au champ
les scotomes centraux et paracentraux. central.
Le schéma 1 ci-contre donne le taux d’incapacité.
Hémianopsies
Les hémianopsies à type de négligence ont un champ
L’hémianopsie latérale homonyme entraîne une inca­ visuel normal au périmètre. La réalité de la négligence
pacité importante, bien supérieure à la perte de la visuelle et l’estimation de ses conséquences fonction­
vision d’un seul œil : le sujet perd réellement la moitié nelles seront appréciées avec le neurologue.
de son champ visuel, ce qui n’est pas le cas du borgne.
Étudiée en vision binoculaire, elle justifie, suivant la Quadranopsies
valeur de l’épargne maculaire, des taux de 42 % et plus Supérieure : jusqu’à 12 % (schéma 1).
en cas de baisse d’acuité visuelle associée (alors que la Inférieure : jusqu’à 30 % (schéma 1).
cécité monoculaire ne dépasse pas 25 %).
Hémianopsie latérale homonyme complète : Rétrécissements concentriques
• avec épargne maculaire : 42 % ; En traumatologie, ils sont souvent le fait de manifesta­
• avec perte de la vision centrale : si l’épargne macu­ tions anorganiques et ne justifient alors pas d’IPP.
laire est partielle, calculer le déficit de l’acuité centrale Il est nécessaire d’utiliser de multiples épreuves de
à l’aide du tableau I, puis la rapporter à la capacité contrôle, et de confronter le tableau clinique à l’image­
visuelle restante post-hémianopsique (85 – 42 = 43 %), rie et à l’examen neurologique.
et l’ajouter au taux de 42 %. Il ne faut cependant pas méconnaître des rétrécisse­
Hémianopsie latérale homonyme incomplète : ments campimétriques bilatéraux organiques résultant
• à évaluer en fonction du schéma 1 ; de doubles hémianopsies.
• tenir compte de l’épargne maculaire partielle comme
précédemment. Scotomes centraux et paracentraux
Hémianopsie altitudinale : En cas de perte de la vision centrale : utiliser les tableaux
• supérieure : jusqu’à 25 % (schéma 1) ; I et II (acuité visuelle).
• inférieure : jusqu’à 60 % (schéma 1). Les scotomes paracentraux et juxtacentraux avec acuité
Double hémianopsie latérale complète ou bitemporale visuelle conservée (à apprécier en fonction de leur éten­
(en fonction du schéma 1 et de la vision centrale)  : due, précisée à la grille d’Amsler en vision binoculaire,
jusqu’à 85 %. et de leur retentissement sur la lecture de près) :

352
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

– s’ils ne touchent qu’un œil : jusqu’à 5 % ; Paralysies de fonction du regard


– s’ils touchent les deux yeux : 2 à 10 %. Paralysie vers le haut. 3 à 5 %.
Les scotomes hémianopsiques latéraux homonymes Paralysie vers le bas. 10 à 15 %.
des lésions occipitales gênant fortement la lecture, car Paralysie latérale. 8 à 12 %.
situés au même endroit sur chaque œil : 15 %. Paralysie de la convergence. 5 %.
Troubles de l’oculomotricité Déficiences de la motricité intrinsèque
Hétérophorie Paralysie unilatérale de l’accomodation chez le sujet
L’incapacité ne sera appréciée qu’après rééducation jeune. 5 %.
orthoptique. Mydriase aréactive. 5 %.
Décompensation non réductible d’une hétérophorie, Aniridie totale. 10 %.
suivant la gêne : jusqu’à 5 %. Myosis du syndrome de Claude Bernard-Horner com­
Paralysie complète de la convergence : 5 %. plet : en cas de gêne fonctionnelle. 1 à 3 %.
Diplopie Atteinte des saccades et des poursuites
En cas de paralysie oculomotrice, l’évaluation du défi­ Elles ne donnent pas de véritables signes fonctionnels
cit oculomoteur ne doit pas donner lieu à une apprécia­ visuels mais plutôt des sensations de déséquilibre et
tion définitive avant dix-huit mois. seront appréciées par l’oto-rhino-laryngologiste.
En cas d’origine orbitaire, l’évaluation du déficit ocu­
lomoteur ne doit pas donner lieu à une appréciation Lésions cristalliniennes
définitive avant six mois après la fin des éventuels trai­ L’œil aphaque, c’est-à-dire privé de son cristallin, ne
tements chirurgicaux. peut retrouver une vision utilisable qu’après compen­
L’incapacité pour diplopie est fonction du secteur sation par un équipement optique. L’incapacité est très
concerné, de l’excentricité du champ de diplopie par variable suivant que cette compensation a été réalisée
rapport à la position primaire du regard et du résultat par lunettes, lentilles de contact ou implantation d’un
fonctionnel obtenu avec éventuelle correction prisma­ cristallin artificiel.
tique selon le schéma suivant : L’évaluation du taux d’incapacité prendra donc en
compte le mode d’équipement optique, l’uni ou la bila­
téralité, l’âge, la perte éventuelle d’acuité visuelle.
Diplopie dans le regard vers le haut : IPP
Compensation optique assurée par un cristallin artifi­
<5 ciel (pseudo-phakie) : 5 %.
Chez l’enfant jusqu’à 16 ans, il sera porté à 7 % pour
5 tenir compte du retentissement de la perte de l’accom­
Diplopie 5 à 10 modation sur la vision binoculaire.
dans le < 5 5 10 10 à 15 30 45 Excentricité À ce taux de base résultant des seuls inconvénients
regard 15
latéral : IPP
15 à 20 de la pseudophakie, il convient d’ajouter éventuel­
lement celui résultant de la perte d’acuité visuelle et
15
des autres séquelles associées (larmoiement, photo­
105 phobie…).
5
Si l’équipement optique est réalisé par lunettes ou len­
tilles de contact (aphakie) :
Diplopie dans le regard vers le bas : IPP
– Aphakie unilatérale :
• si l’acuité de l’œil opéré est inférieure à celle de l’œil
L’étude des champs de diplopie et d’aplopie doit être sain. 10 %,
effectuée sans manœuvre de dissociation ; par exemple • si l’acuité de l’œil opéré est supérieure à celle de
en demandant au sujet de fixer un objet et en notant le l’œil sain. 15 % ;
champ de vision double. – Aphakie bilatérale. 20 %.
Diplopie permanente dans les positions hautes du À ce taux, il convient d’ajouter celui résultant de la
regard. 2 à 10 %. perte éventuelle d’acuité visuelle et des autres séquelles
Diplopie permanente dans la partie inférieure du associées, sans cependant pouvoir dépasser 25 % pour
champ. 5 à 20 %. une lésion unilatérale.
Diplopie permanente dans le champ latéral. 2 à 15 %.
Diplopie dans toutes les positions du regard sans neutrali­ Annexes de l’œil
sation et obligeant à occlure un œil en permanence. 23 %. Larmoiement, enctropion, entropion. Jusqu’à 5 %.
Le taux sera minoré en cas de diminution de la diplopie des voies lacrymales :
par une neutralisation constante de l’œil dévié ou de – unilatérale. 2 à 5 % ;
possibilité de correction prismatique. – bilatérale. 4 à 10 %.

353
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Cicatrices vicieuses (symblépharon, ankyloblépharon). Hypoesthésie ou anesthésie avec dysesthésies dans le


Jusqu’à 5 %. territoire du nerf sous-orbitaire comprenant le déficit
Ptosis (suivant le déficit campimétrique). Jusqu’à 10 %. gingivo-dentaire : jusqu’à 5 %.
Blépharospasme. Jusqu’à 5 %. Hypoesthésie ou anesthésie avec dysesthésies dans le
Alacrymie : territoire du nerf alvéolaire inférieur avec incontinence
– unilatérale. 2 à 5 % ; labiale comprenant le déficit sensitif dentaire :
– bilatérale. 4 à 10 %. – unilatérale : jusqu’à 5 % ;
Hypoesthésie ou anesthésie dans le territoire du nerf – bilatérale : 5 à 12 %.
sous-orbitaire avec dyesthésie. 3 à 5 %. Hypoesthésie ou anesthésie avec dysesthésies dans le
territoire du nerf lingual :
Séquelles visuelles multiples – unilatérale : jusqu’à 5 % ;
L’association de séquelles sensorielles ou oculomo­ – bilatérale : 10 à 12 %.
trices n’est pas rare. L’évaluation du taux global de
réduction fonctionnelle ne peut se satisfaire d’une Atteintes neurologiques motrices
simple addition arithmétique : après évaluation du (voir également le chapitre ORL)
taux d’incapacité résultant du déficit le plus impor­ Paralysie faciale (ne comprenant pas les complications
tant, le taux de la deuxième infirmité sera calculé par ophtalmologiques) :
référence à la capacité visuelle restante (étant bien – unilatérale 5 à 15 % ;
entendu que la perte de toute capacité visuelle est de – bilatérale 15 à 25 %.
85 %).
Communication bucco-sinusienne
Stomatologie ou bucco-nasale
Suivant le siège, la surface et la gêne fonctionnelle,
Perte de dents y  compris les conséquences sur la déglutition et le
Edentation complète inappareillable : 35 %. retentissement sur la qualité de la phonation, 2 à 15 %.
Perte d’une incisive : 1 %.
Perte d’une prémolaire ou dent de sagesse sur l’arcade : Pathologie salivaire
1 %. Fistule cutanée salivaire d’origine parotidienne : jusqu’à
Perte d’une canine ou molaire : 1,5 %. 15 %.
Ces taux seront diminués de moitié en cas de rempla­ Syndrome de Frei (éphydrose per-prandiale, latéro-faciale
cement par prothèse mobile et des deux tiers en cas de de la région pré-auriculaire et parotidienne) : 6 à 8 %.
remplacement par prothèse fixe.
En cas de perte complète d’une dent remplacée par une
prothèse implanto-portée : 0 %. Oto-rhino-laryngologie
Mortification pulpaire d’une dent : 0,50 %. Audition et otologie
Dysfonctionnements mandibulaires Déficit auditif
Limitation permanente de l’ouverture buccale (mesu­ Sa détermination repose sur un bilan clinique complet
rée entre le bord libre des incisives centrales) : et minutieux et sur un bilan paraclinique qui doit com­
– limitée à 30 mm : 5 % ; porter au minimum une impédancemétrie complète
– limitée à 20 mm : 17 % ; (tympanométrie avec recherche du seuil des réflexes
– limitée à 10 mm : 25 %. stapédiens), une audiométrie tonale subjective limi­
Troubles de l’articulation temporo-mandibulaire : naire et une audiométrie vocale.
– Forme légère : Si besoin est :
• unilatérale : 3 %, – la qualité du champ auditif au-delà de 8 000 Hz sera
• bilatérale : 5 % ; appréciée par l’audiométrie des hautes fréquences ;
– Forme sévère 5 à 10 %. – la réalité du déficit pourra éventuellement être
confirmée par des tests objectifs (oto-émissions acous­
Troubles de l’articulé dentaire tiques, potentiels évoqués auditifs précoces).
post-traumatiques Les hypoacousies post-traumatiques ne sont plus évo­
(Au prorata de la perte de la capacité masticatoire) : lutives au-delà de 12 mois.
2 à 10 %. Perte complète et bilatérale de l’audition : 60 %.
Pertes partielles.
Atteintes neurologiques sensitives L’évaluation doit se faire en deux temps :
Hypoesthésie ou anesthésie avec dysesthésies dans le a) Évaluation de la perte auditive moyenne (PAM) par
territoire du nerf sus-orbitaire : jusqu’à 3 %. rapport au déficit tonal en conduction aérienne mesuré

354
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

en décibels sur le 500, 1 000, 2 000 et 4 000 Hz en affec­ Acouphènes et hyperacousies douloureuses
tant des coefficients de pondération respectivement de L’intensité ressentie n’est pas dépendante de l’impor­
2, 4, 3 et 1. La somme est divisée par 10. L’on se reporte tance du déficit de l’audition.
au tableau I, à double entrée, pour l’appréciation des Aucun test ne permet d’objectiver ce trouble. L’expert
taux. pourra cependant recourir à une acouphénométrie sub­
Il s’agit de taux indicatifs qui doivent être corrélés à un jective et à des tests reconnus : questionnaire « DET »
éventuel état antérieur et au vieillissement physiologi­ (mesure de DETresse psychologique), questionnaire
que de l’audition. « SEV » (échelle subjective de SEVérité).
b) Confrontation de ce taux brut aux résultats d’une Dans la plupart des cas, il se produit en 12 à 18 mois un
audiométrie vocale pour apprécier d’éventuelles dis­ phénomène d’habituation cérébrale. On peut alors pro­
torsions auditives (recrutement en particulier) qui poser un taux allant jusqu’à 3 % (auquel s’ajoute l’éven­
aggravent la gêne fonctionnelle. tuel taux retenu pour une perte de l’audition).
Le tableau II propose les taux de majoration qui peuvent Lorsque le retentissement psycho-affectif est sévère, la
éventuellement être discutés par rapport aux résultats détermination du taux d’incapacité doit se faire dans
de l’audiométrie tonale liminaire : un cadre multidisciplinaire.
Si un appareillage auditif a été prescrit, l’expert doit
décrire l’amélioration fonctionnelle obtenue. Celle-ci
permet habituellement de réduire le taux d’incapacité Troubles de l’équilibration
d’au moins 25 %. L’équilibration est une fonction plurimodale qui fait
appel au système vestibulaire, au système visuel et au
Lésions tympaniques système proprioceptif. L’étiologie du trouble ne peut
Une perforation sèche isolée ne justifie aucune IPP spé­ donc être affirmée d’emblée comme univoque.
cifique en dehors de celle liée au déficit auditif. Les troubles de l’équilibration font souvent partie des
En cas d’otorrhée, un taux de 2 à 4 % peut être retenu en doléances exprimées après des traumatismes crâniens
plus de celui entraîné par un déficit auditif. et/ou cervicaux.

Tableau I
Évaluation de la perte auditive moyenne
Perte auditive moyenne en dB 0–19 20–29 30–39 40–49 50–59 60–69 70–79 80 et +
0–19 0 2 4 6 8 10 12 14
20–29 2 4 6 8 10 12 14 18
30–39 4 6 8 10 12 15 20 25
40–49 6 8 10 12 15 20 25 30
50–59 8 10 12 15 20 25 30 35
60–69 10 12 15 20 25 30 40 45
70–79 12 14 20 25 30 40 50 55
80 et + 14 18 25 30 35 45 55 60

Tableau II
Taux de majoration en fonction de l’audiométrie tonale liminaire
% discrimitation 100 % 90 % 80 % 70 % 60 % < 50 %
100 % 0 0 1 2 3 4
90 % 0 0 1 2 3 4
80 % 1 1 2 3 4 5
70 % 2 2 3 4 5 6
60 % 3 3 4 5 6 7
50 % 4 4 5 6 7 8

355
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

L’expert doit procéder à un interrogatoire méthodique Syndrome vestibulaire central


et à un examen clinique complet à la recherche notam­ Ce diagnostic doit impérativement être confirmé dans un
ment d’une hypotension orthostatique iatrogène. cadre multidisciplinaire : oto-neuro-ophtalmologique.
La vidéonystagmographie est l’examen complémen­ Il ne peut être proposé de taux spécifique ORL.
taire de choix. D’introduction plus récente, l’Equitest
permet une approche globale de la stratégie d’équi­ Explorations complémentaires
libration d’un sujet, il permet également de détec­ Lorsque toutes les explorations complémentaires sont
ter la composante « anorganique » d’un trouble de négatives, l’expert ORL doit rejeter tout taux d’IPP
l’équilibration. spécifique. La prise en compte des doléances d’instabi­
L’exploration de l’équilibration est indissociable de lité doit se faire dans le cadre d’un éventuel syndrome
celle de l’audition. post-commotionnel.
Dans certains cas, un avis neurologique ou ophtalmo­
logique peut s’avérer nécessaire. Atteintes de la motricité faciale
L’essentiel pour l’appréciation de la gêne fonctionnelle
n’est pas la mise en évidence d’une lésion, mais la qua­ Paralysie faciale
lité de la stratégie de compensation développée par le L’expert peut s’aider de la classification en 6 grades
sujet. de House et Brackmann pour évaluer le degré de l’at­
teinte :
Vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) – unilatérale ; selon son degré : 5 à 15 % ;
La guérison peut être obtenue par la manœuvre libéra­ – bilatérale (exceptionnelle) ; selon son degré : 15 à
toire d’Alain Sémont (avec cependant 5 à 10 % de réci­ 25 %.
dives dans l’année qui suit). Les éventuelles complications ophtalmologiques sont à
Il peut persister quelques sensations de « flottement » apprécier de façon complémentaire.
ou « d’instabilité ». L’évaluation du dommage esthétique fera l’objet d’une
Selon l’importance des signes cliniques et des anoma­ évaluation indépendante.
lies paracliniques : jusqu’à 4 %.
Hémispasme facial
Atteinte vestibulaire périphérique unilatérale Non améliorable par la thérapeutique ; selon l’impor­
Le taux d’IPP ne peut dépendre uniquement de l’im­ tance de la contracture et la fréquence des crises spas­
portance du déficit apparemment quantifiée par une tiques : jusqu’à 10 %.
seule épreuve calorique : aréflexie, hyporéflectivité
simple ou syndrome irritatif canalaire. Ce n’est pas une Troubles de la phonation
lésion qui doit être évaluée mais son retentissement La phonation met en jeu plusieurs effecteurs : soufflet
fonctionnel. pulmonaire, vibrateur glottique, résonateurs supra­
Grâce à des explorations complémentaires rigoureu­ laryngés.
ses, l’expert doit apprécier le niveau et la qualité de la L’appréciation doit être globale.
compensation centrale de l’asymétrie vestibulaire et la Les éventuels troubles associés de la déglutition et de la
fiabilité de la nouvelle stratégie d’équilibration adoptée fonction respiratoire seront évalués séparément.
par le sujet. Aphonie complète : 25 %.
Selon le résultat de ces explorations : 3 à 8 %. Dysphonie partielle isolée : jusqu’à 10 %.
Atteinte vestibulaire destructive périphérique Troubles de la ventilation nasale
bilatérale L’évaluation sera fondée essentiellement sur l’interro­
Elle est très rarement post-traumatique. Elle se rencon­ gatoire et l’examen clinique en recherchant un éventuel
tre le plus souvent à la suite de la prise de médicaments état antérieur.
ototoxiques. L’examen au miroir de Glaetzel n’apporte que des
Le sujet ne dispose plus que de la vision et de la pro­ éléments très fragmentaires et incomplets. Seule une
prioception pour gérer son équilibre. rhinomanométrie peut permettre une évaluation plus
Le résultat des nouvelles stratégies utilisées par le sujet proche de la réalité.
sera apprécié par la qualité du nystagmus opto-cinéti­
que et par l’Equitest. Gêne respiratoire
Selon le résultat de ces explorations : 10 à 20 %. Unilatérale permanente (y compris l’éventuel retentis­
sement sur l’odorat) suivant l’importance du retentis­
Atteinte déficitaire otolithique sement nocturne : jusqu’à 3 %.
Lorsqu’elle est confirmée par la vidéonystagmographie Bilatérale permanente suivant les mêmes critères :
et les potentiels évoqués otolithiques : 3 à 5 %. jusqu’à 6 %.

356
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Perforation septale des lésions d’origine inflammatoire et/ou articulaire


Elle peut engendrer une gêne fonctionnelle indépen­ dégénérative.
dante des troubles respiratoires. Même en l’absence de déficit articulaire ou musculaire,
En cas de persistance : jusqu’à 3 %. la fonction de préhension peut être plus ou moins gra­
vement perturbée par des troubles de la coordination
Sinusite des mouvements. Il est rare que ces troubles soient
Les sinusites post-traumatiques sont exceptionnelles. isolés ; ils s’intègrent le plus souvent dans un ensem­
Selon l’uni ou la bilatéralité : jusqu’à 8 %. ble de déficits neurologiques complexes et doivent être
appréciés dans ce contexte (se reporter au chapitre
Troubles de l’olfaction Neurologie).
L’exploration de ce sens ne fait appel actuellement qu’à L’évaluation précise du déficit fonctionnel de la main
des tests subjectifs de perception et de reconnaissance est particulièrement difficile compte tenu de ses mul­
d’odeurs. tiples composantes : mobilité des nombreuses articula­
Ces explorations doivent être effectuées sur chaque tions, force de mobilisation, sensibilité, trophicité des
fosse nasale. téguments. Plusieurs méthodes chiffrées ont été propo­
Un déficit de ce type peut, ou non, retentir sur le com­ sées pour apprécier la valeur fonctionnelle de la main à
portement alimentaire du sujet. Il s’associe parfois à la partir de tous ces éléments, en recherchant l’efficacité
perte olfactive elle-même des perceptions odorifères des différentes prises, des objets les plus fins aux objets
sans stimuli extérieurs (parosmies) ressenties sur un les plus lourds et/ou les plus volumineux. En chiffrant
mode désagréable en règle générale (cacosmies). précisément le pourcentage de diminution de la valeur
Anosmie totale (perte des fonctions d’alerte et d’agré­ fonctionnelle globale d’une main, elles peuvent être
ment). d’une aide précieuse pour proposer un taux d’incapa­
Selon l’existence ou non d’un trouble du comportement cité à partir de celui retenu pour la perte fonctionnelle
alimentaire : 5 à 8 %. totale.
Hyposmie selon son intensité et son caractère uni ou Dans les chapitres Ier et II, deux taux sont proposés, le
bilatéral : jusqu’à 3 %. plus élevé étant attribué au membre dominant. En cas
L’existence de parosmies peut justifier un taux spécifi­ d’atteinte bilatérale, l’évaluation devra se faire en réfé­
que supplémentaire de 2 %. rence à la perte totale de la fonction et non par addition
Le retentissement sur le goût ne s’ajoute pas aux taux des différents taux ou par application d’un coefficient
proposés ci-dessus. prédéterminé de synergie.
Perte totale de la fonction de préhension : 80 %.
Appareil locomoteur, première partie : Amputations
préhension
Dans l’état actuel de la pratique courante, les prothèses
La fonction de préhension est assurée par les mains. La de substitution utilisées en cas d’amputation du bras
mobilité des autres segments des membres supérieurs ou de l’avant-bras ne pallient que très partiellement le
a essentiellement pour effet de projeter le système de déficit de la fonction de préhension. Elles n’influencent
préhension dans l’espace entourant le corps. Les taux donc pas d’une manière significative le taux d’incapa­
d’incapacité proposés pour la perte de mobilité de cité. Les prothèses mécaniques sont d’utilisation diffi­
ces segments s’entendent donc comme traduisant une cile et n’ont d’efficacité réelle que pour quelques gestes.
diminution des possibilités de projection d’une main Les prothèses myo-électriques offrent plus de possibili­
valide. tés, mais ne sont pas encore d’un usage courant.
Cependant, même si la main est peu ou pas valide, la Désarticulation scapulo-thoracique. Dominant : 65 %.
mobilité volontaire du bras et de l’avant-bras n’est pas Non dominant : 55 %.
sans intérêt. Amputation ou perte totale de la fonction d’un membre
Bien qu’exigeant l’intégrité des deux membres supé­ supérieur. Dominant : 60 %. Non dominant : 50 %.
rieurs pour s’exercer dans sa plénitude, la capacité res­ Amputation du bras : selon la qualité du moignon et la
tante de préhension en cas de perte fonctionnelle d’un mobilité résiduelle de l’épaule. Dominant : 55 à 60 %.
des deux membres supérieurs n’est pas négligeable, Non dominant : 45 à 50 %.
permettant le plus souvent une autonomie personnelle Amputation de l’avant-bras : selon la qualité du coude.
quasi complète dans les conditions de vie actuelles. Dominant : 45 à 55 %. Non dominant : 35 à 45 %.
Compte tenu des progrès des techniques chirurgica­ Amputation de la main : en fonction de l’état du moi­
les, les raideurs articulaires majeures de l’épaule, du gnon et du coude. Dominant : 40 à 50 %. Non domi­
coude ou du poignet sont de plus en plus rares. Les res­ nant : 30 à 40 %.
trictions importantes de mobilité sont le plus souvent Concernant les amputations du pouce et des doigts, se
dues à des déficits neurologiques périphériques ou à reporter au chapitre La Main et les doigts.

357
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Séquelles articulaires (hors main et doigts) Raideur combinée, prono-supination et flexion exten­
Épaule sion. Dominant : jusqu’à 20 %. Non dominant : jusqu’à
15 %.
La région de l’épaule se définit par les 5 articulations Coude ballant :
de la ceinture scapulaire : sterno-claviculaire, acro­ – appareillable. Dominant : 15 à 20 %. Non dominant :
mio-claviculaire, gléno-humérale, sous-deltoïdienne 10 à 15 % ;
et scapulo-thoracique. – non appareillable. Dominant : 30 %. Non dominant :
L’amplitude de la mobilité active globale en éléva­ 25 %.
tion-abduction-antépulsion se situe pour moitié dans
la scapulo-thoracique et pour moitié dans la gléno- Poignet
humérale. La mobilité dans le secteur utile du poignet pour
Perte totale de la mobilité de la gléno-humérale et de la la flexion dorsale est de 0 à 45°, flexion palmaire 0 à
scapulo-thoracique. Dominant : 30 %. Non dominant  : 60°, prono-supination 0 à 45°, inclinaisons latérales
25 %. présentes.
Limitation de l’élévation-abduction-antépulsion active Arthrodèse en position de fonction en légère exten­
à 60° fixée en rotation interne. Dominant : 25 %. Non sion, prono-supination normale dans le secteur utile.
dominant : 20 %. Dominant : 10 %. Non dominant : 8 %.
Limitation de l’élévation-abduction-antépulsion active Perte de la prono-supination. Dominant : 20 %. Non
à 85°. Dominant : 20 %. Non dominant : 15 %. dominant : 15 %.
Limitation de l’élévation-abduction-antépulsion entre Raideur flexion-extension hors secteur utile. Dominant  :
130 et 180°. Dominant : jusqu’à 10 %. Non dominant  : jusqu’à 3 %. Non dominant : jusqu’à 2 %.
jusqu’à 8 %. Raideur combinée dans le secteur utile, flexion-exten­
Déficit isolé de la rotation interne. Dominant : 6 à 8 %. sion, inclinaisons latérales (sans atteinte de la prono-
Non dominant : 4 à 6 %. supination). Dominant : 3 à 8 %. Non dominant : 2 à
Déficit isolé de la rotation externe. Dominant : 3 à 5 %. 6 %.
Non dominant : 1 à 3 %. Raideur combinée dans le secteur utile, flexion-
Épaule ballante. Dominant : 20 à 30 %. Non dominant : ­extension, inclinaisons latérales et prono-supination.
15 à 25 %. Dominant : 4 à 15 %. Non dominant : 3 à 12 %.
Instabilité post-traumatique de l’épaule après discus­
sion de l’imputabilité, étant donné l’existence d’insta­ La main et les doigts
bilités constitutionnelles. Dominant : jusqu’à 8 %. Non La main est l’organe de la préhension. L’analyse séparée
dominant : jusqu’à 5 %. de la fonction de chacun de ses éléments constituants
Prothèse articulaire. n’est pas suffisante, car il existe de multiples synergies
Du fait de la fiabilité des prothèses récentes, l’implan­ fonctionnelles entre la main et les segments sus-jacents
tation d’une prothèse articulaire ne justifie pas en elle- du membre supérieur, entre les doigts d’une main, et
même un taux d’IPP. entre les différents segments d’une chaîne digitale. La
Son évaluation sera fondée sur le résultat fonctionnel main est de plus l’organe du toucher : la perte totale
de l’articulation après implantation. de la sensibilité peut entraîner quasiment la perte fonc­
tionnelle du segment considéré.
Coude
L’examen de la main comporte nécessairement l’étude
Le secteur de mobilité utile de l’articulation du coude analytique des séquelles anatomo-fonctionnelles de
en flexion-extension est de 30 à 120°, prono-supina­ chaque doigt, suivie de l’étude synthétique des prin­
tion 0 à 45° de part et d’autre de la position neutre. cipales prises par lesquelles s’effectue la fonction de
L’évaluation des raideurs combinées du coude ne se préhension (opposition du pouce, enroulement des
fera pas par une addition des chiffres proposés mais doigts, préhension fine, préhension forte, prise en
par leur combinaison raisonnée. crochet).
Arthrodèse autour de 90° en position de fonction :
– prono-supination conservée. Dominant : 20 %. Non Atteintes motrices
dominant : 15 % ; Les taux ne doivent pas s’additionner.
– perte de la prono-supination. Dominant : 30 %. Non Perte totale du grip :
dominant : 25 %. – fin. Dominant : 20 %. Non dominant : 17 % ;
Défaut d’extension hors secteur utile. Dominant : – grossier. Dominant : 15 %. Non dominant : 12 %.
jusqu’à 3 %. Non dominant : jusqu’à 2 %. Perte de la prise sphérique. Dominant : 7 %. Non domi­
Défaut de prono-supination hors secteur utile. nant : 5 %.
Dominant : jusqu’à 3 %. Non dominant : jusqu’à 2 %. Perte totale de la fonction de la main par amputation ou
Déficits de flexion-extension dans le secteur utile. ankylose de toutes les articulations. Dominant : 40  à
Dominant : 3 à 10 %. Non dominant : 2 à 8 %. 50 %. Non dominant : 30 à 40 %.

358
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Les pinces et prises fondamentales

Pince pollici-digitale pulpo-pulpaire Pince pollici-tridigitale Pince pollici-latéro-digitale

Grip de l'outil Prise sphérique Prise en crochet

Raideur moyenne des articulations de la main. Sensibilité tactile thermo-algique de protection seule
Dominant : 25 %. Non dominant : 15 %. conservée : perte de 50 % de la valeur fonctionnelle du
Perte totale de la fonction d’un doigt par amputation ou doigt.
ankylose de toutes les articulations. L’IPP retenue ne peut dépasser le niveau de la lésion
Pouce : totale incluant névrome, cicatrice dystrophique, trou­
– colonne du pouce (2 phalanges et 1er métacarpien). ble de la repousse de l’ongle.
Dominant : 20 %. Non dominant : 15 % ; Sensibilité discriminative médiocre : perte de 10 à 20 %
– avec conservation métacarpienne. Dominant : 15 %. de la valeur fonctionnelle du doigt.
Non dominant : 12 %. Anesthésie complète : perte de la valeur fonctionnelle
Doigts longs : du doigt.
– index. Dominant : 7 %. Non dominant : 5 % ; Réimplantation et transplantation digitales : les bons résul­
– médius. Dominant : 8 %. Non dominant : 6 % ; tats correspondent à une perte de 10 à 20 % de la valeur
– annulaire. Dominant : 6 %. Non dominant : 4 %. fonctionnelle du doigt, compte tenu de la persistance
– auriculaire. Dominant : 8 %. Non dominant : 6 %. constante de douleurs et de l’hypersensibilité au froid.
Plusieurs doigts : Le taux est plus important lorsque s’ajoutent raideurs
– pouce et index. Dominant : 30 %. Non dominant : et déficits des sensibilités en fonction du résultat fonc­
25 % ; tionnel. Le taux ne peut pas être supérieur à celui de la
– pouce et médius. Dominant : 32 %. Non dominant : perte digitale.
26 % ;
– pouce, index et médius. Dominant : 35 %. Non domi­ Raideurs articulaires
nant : 28 %. Raideur des quatre derniers doigts :
Amputation des 4 derniers doigts, respect du pouce : – métacarpo-phalangiennes : secteur de mobilité opti­
– amputation trans-métacarpienne. Dominant : 20 %. mal, 20 à 80° pour II et III, 30 à 90° pour IV et V ; taux
Non dominant : 15 % ; en fonction de la mobilité restante. Dominant : jusqu’à
– avec conservation métacarpienne. Dominant : 15 %. 4 %. Non dominant : jusqu’à 3 % ;
Non dominant : 12 %. – articulation P1-P2 : secteur de mobilité optimal, 20 à
Perte d’un segment de doigt : 80° pour II et III, 30 à 90° pour IV et V (gêne plus
– P2 du pouce. Dominant : 8 %. Non dominant : 6 % ; importante au niveau des deux derniers doigts).
– P3 de l’index ou de l’annulaire. Dominant : 3 %. Non Dominant : jusqu’à 3 %. Non dominant : jusqu’à 2 % ;
dominant : 2 % ; – articulations P2-P3. Dominant : jusqu’à 2 %. Non
– P3 du médius, de l’auriculaire. Dominant : 4 %. Non dominant : jusqu’à 2 %.
dominant : 3 % ; Pouce :
– P2 + P3 de l’index ou de l’annulaire. Dominant : 4 %. – articulation trapézo-métacarpienne. Dominant :
Non dominant : 3 % ; jusqu’à 8 %. Non dominant : jusqu’à 6 % ;
– P2 + P3 du médius et e l’auriculaire. Dominant : 6 %. – articulation métacarpo-phalangienne. Dominant :
Non dominant : 4 %. jusqu’à 6 %. Non dominant : jusqu’à 4 % ;
– articulation interphalangienne. Dominant : jusqu’à
Troubles de la sensibilité 2 %. Non dominant : jusqu’à 2 %.
Le défaut de sensibilité est d’autant plus gênant que Le taux est fonction de la qualité des pinces pollici-
l’activité manuelle est plus élaborée. digitales.

359
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Déficits sensitivo-moteurs déficit complet, inappareillable de la fonction de loco­


Paralysie totale d’un membre supérieur par lésion motion. Le taux maximum conventionnel retenu pour
majeure du plexus brachial, y compris atteinte des sta­ un tel déficit est néanmoins un repère indispensable
bilisateurs de l’omoplate. Dominant : 60 %. Non domi­ pour évaluer les déficits partiels de la fonction.
nant : 50 %. Perte totale de la fonction de locomotion compensée uni­
Syndrome radiculaire supérieur : concerne les racines quement par l’utilisation d’un fauteuil roulant : 65 %.
C5, C6. Il en résulte une paralysie du deltoïde (abduc­ Amputations
tion, élévation du bras), du biceps brachial, du brachial
antérieur et du brachio-radial (flexion et supination de Les techniques d’appareillage ont fait d’impor­
l’avant-bras) et un déficit sensitif de l’épaule, de la face tants progrès ; mais tous les amputés ne peuvent en
externe de l’avant-bras et du pouce. Dominant : 25 %. bénéficier.
Non dominant : 15 %. La qualité du résultat fonctionnel est liée à la hauteur
Syndrome radiculaire moyen : intéresse la racine C7. de l’amputation, à la qualité du moignon, à la toni­
Il  en résulte une paralysie des extenseurs du coude cité musculaire, à l’âge, à l’état général, à la techni­
(triceps brachial), du poignet et des doigts (extenseurs cité de la réadaptation et au degré de motivation de
commun et propre). Le déficit sensitif est localisé à la l’amputé.
face postérieure du bras et de l’avant-bras, à la face dor­ Dans les meilleurs cas, certains amputés peuvent récu­
sale de la main et du médius. Dominant : 30 %. Non pérer des possibilités de déambulation très satisfaisan­
dominant : 20 %. tes. Mais la qualité du résultat fonctionnel ne doit pas
Syndrome radiculaire inférieur : concerne les raci­ masquer la réalité du handicap que représente en elle-
nes C8, Th1. Il en résulte une atteinte des muscles de même l’amputation.
la main (de type médio-ulnaire) et un déficit sensitif Il est illusoire de proposer des taux précis dégressifs en
de la face médiale du bras et de l’avant-bras ainsi que fonction de l’efficacité de l’appareillage, car chaque cas
du bord ulnaire de la main et des deux dernirs doigts. est un cas particulier.
Dominant : 45 %. Non dominant : 35 %. L’expert appréciera la qualité de l’appareillage et, en cas
Paralysie du nerf radial : de résultat insatisfaisant, l’expert pourra se référer au
– au-dessus de la branche tricipitale (avec perte de l’ex­ taux d’IPP relatif à l’amputation sus-jacente.
tension du coude). Dominant : 40 %. Non dominant : Il pourra faire la même démarche en cas de troubles
30 % ; trophiques du moignon.
– au-dessous de la branche tricipitale. Dominant : – Donc, le taux d’incapacité devra être apprécié en
30 %. Non dominant : 20 % ; fonction de critères cliniques précis et d’arguments
– après transplantation tendieuse ; en fonction du adéquats que l’expert doit clairement exposer dans son
résultat. Dominant : 15 à 20 %. Non dominant : 10 à rapport, et à partir des taux maximaux indicatifs sui­
15 %. vants :
Paralysie du nerf ulnaire. Dominant : 20 %. Non domi­ Désarticulation de hanche. 55 %.
nant : 15 %. Amputation haute de cuisse non appareillable ou avec
Paralysie du nerf médian : absence d’appui ischiatique. 55 %.
– au bras. Dominant : 35 %. Non dominant : 25 % ; Amputation haute de cuisse bien appareillée : selon la
– au poignet. Dominant : 25 %. Non dominant : 15 %. longueur du moignon. 45 à 50 %.
Paralysie médio-ulnaire. Dominant : 40 à 45 %. Non Amputation de cuisse 1/3 moyen avec conservation épi­
dominant : 30 à 35 %. physaire distale. 40 %.
Paralysie du nerf circonflexe. Dominant : 15 %. Non Amputation de jambe 1/3 moyen bien appareillée,
dominant : 10 %. genou intact, sans trouble trophique. 30 %.
Paralysie du nerf musculo-cutané. Dominant : 10 %. Amputation de pied médio-tarsienne ou équivalente
Non dominant : 8 %. péritalienne :
Paralysie du nerf spinal (déficit du trapèze et du sterno- – sans équin et bon talon. 25 % ;
cleïdo-mastoïdien, du soulèvement du moignon de l’épaule – avec équin et mauvais talon. 30 %.
et de la rotation de la tête, élévation-abduction limitée à Amputation trans-métatarsienne : selon les qualités
85°). Dominant : 10 à 15 %. Non dominant : 8 à 12 %. d’appui du moignon. 18 à 20 %.
Perte des 5 orteils. 15 %.
Appareil locomoteur, deuxième partie : Amputation de tous les orteils avec conservation du
gros orteil : selon appui métatarsien. 8 à 12 %.
locomotion Amputation du gros orteil (perte de la propulsion) :
Dans l’état actuel des techniques médico-chirurgica­ – au 1er rayon. 10 à 12 % ;
les, les séquelles de lésions traumatiques des membres – perte de la tête de la 1re phalange (perte de la propul­
inférieurs n’aboutissent qu’exceptionnellement à un sion rapide). 7 à 8 %.

360
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Séquelles articulaires Hanche et secteur de mobilité utile : la flexion est le mou­


Bassin vement le plus important de la hanche. Pour marcher,
il faut 30 à 45° de flexion. Pour se couper les ongles de
Dans le cadre des séquelles des traumatismes du bas­ pied, il faut 100° de flexion de hanche.
sin, l’IPP sera fonction de l’éventuelle inégalité de lon­ Ankylose (c’est-à-dire raideurs serrées sans fusion
gueur des membres inférieurs, de la modification de radiologique). 30 %.
l’amplitude des mouvements des hanches, des troubles Ankylose en attitude vicieuse. 35 à 40 %.
neurologiques et sphinctériens associés. Arthrodèse (c’est-à-dire fusion osseuse anatomique). 20 %.
Les séquelles neurologiques avec troubles sphincté­ Arthrodèse en attitude vicieuse. 35 à 40 %.
riens sont rares dans les fractures sacrées (se reporter Hanche ballante. 40 %.
à la partie consacrée au rachis). Limitation de la flexion, de l’abduction et de la rotation
a) Séquelles douloureuses de fractures extra-articu­ externe dans le secteur de mobilité utile de la hanche.
laires : 8 à 15 %.
Extrémités distales du sacrum et du coccyx : elles sont Raideur de hanche en attitude vicieuse : flexum, rota­
à différencier des anomalies congénitales avec intégrité tion interne, adduction. 20 à 25 %.
des sacro-iliaques. Raideur avec conservation uniquement de la flexion de
Séquelles douloureuses rebelles de la région sacrée : hanche. 15 %.
jusqu’à 5 %. Limitation minime des amplitudes articulaires ; selon le
Aile iliaque, branches ilio-pubiennes et ischio-pubien­ secteur de mobilité atteint. Jusqu’à 8 %.
nes : ces fractures n’ont habituellement pas de retentis­
sement sur la statique pelvienne ni sur la marche. Il est Les cals vicieux du fémur
rare qu’elles laissent persister des douleurs ou une gêne Un cal vicieux en valgus et rotation externe est bien
fonctionnelle. toléré.
En cas de persistance de douleurs locales lors des mou­ Un cal vicieux en varus et rotation interne ou associant
vements d’abduction ou dans la position assise : jus­ de grandes déformations est mal toléré.
qu’à 5 %. Pour procéder à la détermination du taux d’IPP, il fau­
b) Séquelles douloureuses de fractures articulaires dra tenir compte des déformations articulaires et de la
(cotyle exclu : se reporter au paragraphe Hanche). bascule du bassin (à vérifier et à quantifier)
Disjonctions pubiennes isolées : Lorsqu’il existe un raccourcissement :
– 4 cm : jusqu’à 5 % ; – jusqu’à 10 mm compensé par une talonnette : pas
– cas de disjonction de plus de 4 cm, l’IPP est fonction d’incapacité ;
des séquelles des lésions associées. – entre 10 et 50 mm : jusqu’à 8 % ;
Douleurs sacro-iliaques isolées : en fonction des lésions – au-delà de 50 mm : supérieur à 8 %.
ostéo-ligamentaires documentées : 3 à 10 %.
Genou
Hanche Pour monter les escaliers, il faut au minimum 90°
La maîtrise des techniques d’implantation des prothèses de flexion ; pour les descendre, au minimum 105° de
de hanche et la qualité des matériaux, la constance d’une flexion ; pour conduire, il faut au minimum 30° de
proportion très importante d’excellents résultats ont flexion ; pour être assis de manière confortable, il faut
élargi suffisamment les indications de cette intervention au minimum 60° de flexion.
pour que certains types de séquelles, telle « l’ankylose en Ankylose (raideur serrée sans fusion radiologique) :
position vicieuse », soient devenus exceptionnels. 25 à 30 %.
Cependant, compte tenu de la durée de vie actuelle­ Arthrodèse (fusion osseuse anatomique) : 25 %.
ment admise des prothèses (15 à 20 ans), de certains Limitation de la flexion du genou avec conservation de
aléas de leur renouvellement, il est encore licite de l’extension ; flexion possible :
retarder l’implantation d’une prothèse chez des sujets – de 0 à 30° : 20 % ;
jeunes en attendant que douleurs et déficit fonctionnel – de 0 à 60° : 15 % ;
deviennent difficilement supportables. – de 0 à 90° : 10 % ;
Il peut donc exister d’assez longues périodes pendant – de 0 à 110° : 5 à 8 % ;
lesquelles l’état séquellaire n’est pas réellement stabi­ – au-dessus : jusqu’à 5 %.
lisé, les séquelles restant accessibles à une thérapeuti­ Flexum (déficit d’extension isolée) actif ou passif :
que médicale qui peut les améliorer significativement. – de 0 à 10° : jusqu’à 5 % ;
Ces situations se prêtent mal à la détermination d’un – de 10 à 20° : 5 à 10 %.
taux d’incapacité permanente. Laxité antérieure isolée :
Le résultat actuel de l’arthroplastie de hanche autorise – avec ressaut antéro-externe typique reproduisant la
une évaluation basée sur le seul résultat fonctionnel de gêne alléguée : 5 à 10 % ;
la hanche après implantation de la prothèse. – sans ressaut : jusqu’à 5 %.

361
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Laxité postérieure isolée bien tolérée : jusqu’à 5 %. équinisme résiduel post-traumatique :


Laxité chronique mixte périphérique et antéro- – moins de 2 cm : 5 % ;
­postérieure : 5 à 15 %. – 2 cm et plus avec médio-tarsienne normale : 5 à
Laxité chronique grave à la limite de l’arthrodèse : 10 % ;
20 %. – de plus de 2 cm avec une mobilité de la médio-­
Genou ballant appareillé y compris le raccourcissement tarsienne réduite : 10 % ;
(par exemple après ablation de prothèse) : 30 %. – de plus de 2 cm sans mobilité de la médio-tarsienne :
Genou instable. Il faut tenir compte de l’épanche­ 15 % ;
ment, de l’amyotrophie, des laxités périphériques en – nécessitant un appareillage autre que la talonnette :
extension. > 12 %.
L’état fonctionnel du genou est évalué, qu’il ait été
opéré ou non (ligamentoplastie ou ostéotomie ou Pied
arthroplastie). Compte tenu de la complexité anatomique de la région
La patella (rotule) et les syndromes rotuliens (fémoro- et de la difficulté à analyser les différents segments
patellaires) : fonctionnels, l’expert devra procéder à une évalua­
La pathologie post-traumatique de la patella doit être tion globale en fonction des taux ci-dessous en tenant
différenciée de celle de la dysplasie congénitale de l’ap­ compte également de la douleur, de la stabilité du pied,
pareil extenseur (luxation récidivante de la patella). des troubles circulatoires et trophiques, de la néces­
Par ailleurs, la classification arthroscopique des chon­ sité d’utiliser une ou deux cannes, des troubles des
dropathies n’est pas superposable à la classification empreintes plantaires à l’appui.
radiologique de l’arthrose. Hallux rigidus post-traumatique : 4 %.
Les luxations vraies traumatiques sont rares ; l’IPP est à Modifications des appuis plantaires :
évaluer selon les capacités résiduelles du genou. – avec hyperkératose et déformations des orteils :
Le syndrome fémoro-patellaire se définit par une 3 à 10 % ;
douleur antérieure avec instabilité survenant à la des­ – sans hyperkératose : 3 %.
cente des escaliers et par une douleur à la position Ankylose de la sous-talienne et de la médio-tarsienne
assise prolongée : le signe de Smillie reproduit la gêne en bonne position : 10 à 15 %.
alléguée : Arthrodèse de la sous-talienne en bonne position : 8 à
– post-contusif : jusqu’à 3 %. 10 %.
– après fracture de la patella (fracture ostéochondrale Articulation tarso-métatartienne (Lisfranc) :
exceptée) : jusqu’à 8 %. – ankylose : 8 à 15 % ;
Rupture de l’appareil extenseur, lésion du tendon – arthrodèse : 8 à 12 %.
rotulien ou du tendon quadricipital ou jusqu’à 8 % de Laxité du cou-de-pied :
leurs insertions : l’évaluation de l’IPP sera fonction du – séquelle d’« entorse » bénigne : 0 à 3 % ;
flexum actif persistant. – laxité chronique post-traumatique de la cheville
La présence d’une prothèse n’est pas génératrice à elle (documentée) : 3 à 6 %.
seule d’une incapacité permanente partielle.
Le plus souvent, la laxité latérale s’inscrit dans une
Atteintes radiculaires
symptomatologie globale de la fonction articulaire du Paralysie sciatique totale :
genou. Lorsqu’elle est strictement isolée, elle est peu – forme haute tronculaire avec paralysie des fessiers
génératrice de troubles et, à ce titre, ne justifie pas en (boiterie de Tredelenbourg). Prévoir une réduction de à
elle-même de taux d’IPP. 10 % selon la qualité de la compensation : 40 à 45 % ;
Les déviations axiales (genu varum, genu valgum) ne – forme basse sous le genou, non appareillée : 35 %.
sont pas en elles-mêmes génératrices d’un taux d’inca­ Paralysie du nerf sciatique poplité externe (nerf fibu­
pacité : elles sont à intégrer dans l’évaluation globale de laire) :
la fonction articulaire du genou. – totale (releveurs et valgisants) : 20 % ;
– compensée par appareillage ou interventions chirur­
Cheville gicales, selon le résultat : 10 à 15 %.
Arthrodèse (fusion osseuse anatomique) : Paralysie totale du nerf sciatique poplité interne (nerf
– tibio-talienne (en bonne position) : 10 à 12 % ; tibial) : 20 %.
– arthrodèse tibio-talienne, médio-talienne et sous- Paralysie du nerf fémoral (nerf crural) :
talienne associées : 20 %. – totale : 35 % ;
Ankylose (raideur serrée sans fusion radiologique) : – appareillée ou partielle : jusqu’à 20 %.
– tibio-talienne : 10 à 15 %. Paralysie du nerf fémoro-cutané (ou méralgie) : infé­
Perte de la flexion dorsale isolée mesurée genou fléchi  : rieur à 5 % ;
jusqu’à 5 %. Paralysie du nerf obturateur : 5 %.

362
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Appareil locomoteur, troisième Raideur active et gêne douloureuse pour tous les mou­
partie : rachis vements, en toutes positions nécessitant une thérapeu­
tique régulière : 5 à 10 %.
Les séquelles douloureuses des traumatismes verté­ Gêne permanente avec douleurs inter-scapulaires,
braux cervico-thoraco-lombaires ont en commun de troubles de la statique, dos creux, perte de la cyphose
ne pas être toujours proportionnelles à l’importance thoracique radiologique, avec contraintes thérapeuti­
des lésions disco-ostéoligamentaires initiales, de se ques : 10 à 20 %.
greffer souvent sur un état antérieur arthrosique latent
ou patent du rachis, d’avoir fait l’objet de nombreuses Avec complications neurologiques médullaires
tentatives thérapeutiques. ou radiculaires déficitaires
Pour permettre une bonne évaluation des séquelles, Se reporter au chapitre Neurologie.
il est impératif que l’expert associe systématiquement
un examen neurologique à son examen locomoteur. Appareil cardio-vasculaire
Il complétera cet examen en prenant connaissance
des données des examens complémentaires pratiqués, Quelles que soient la nature et l’origine de la lésion
principalement l’imagerie. cardio-vasculaire, l’évaluation du déficit imputable
En ce qui concerne le rachis préalablement arthrosi­ doit se baser d’abord sur les manifestations fonction­
que, seule une modification organique du processus nelles dont il est possible de graduer l’importance en
évolutif autorise sa prise en compte dans l’évaluation se référant à la classification NYHA (New York Heart
de l’IPP. Association).
Ce bilan fonctionnel sera validé par un examen clinique
Rachis cervical et l’analyse de l’ensemble des examens paracliniques
déjà pratiqués (ECG, échographie transthoracique,
Sans complication neurologique voire transoesophagienne, holter, doppler, épreuve
Plusieurs éventualités peuvent schématiquement être d’effort, cathétérisme, angiographie…) ou que l’expert
distinguées : pourra demander ou réaliser s’ils ne sont pas invasifs.
– Sans lésion osseuse ou disco-ligamentaire initiale Il conviendra de tenir compte également de la contrainte
documentée ; thérapeutique et de la surveillance qu’elle impose.
– Douleurs intermittentes déclenchées par des causes
précises, toujours les mêmes, nécessitant à la demande Séquelles cardiologiques
la prise de médicaments antalgiques et/ou anti-inflam­ Pas de limitation fonctionnelle. Bonne tolérance à l’ef­
matoires, avec diminution minime de l’amplitude des fort. Aucun signe de dysfonction pyocardique ou d’is­
mouvements actifs : jusqu’à 3 % ; chémie à l’effort. Jusqu’à 5 %.
– Avec lésions osseuses ou disco-ligamentaires initia­ Idem, avec contraintes thérapeutiques et surveillance.
les documentées ; 5à8%
– Douleurs fréquentes avec limitation cliniquement Limitation fonctionnelle alléguée pour des efforts subs-
objectivable de l’amplitude des mouvements, contrainte tantiels (sport). Aucun signe de dsfonction ou d’isché­
thérapeutique réelle mais intermittente : 3 à 10 % ; mie myocardique régulière. 8 à 15 %
– Douleurs très fréquentes avec gêne fonctionnelle Limitation fonctionnelle alléguée pour des efforts
permanente requérant des précautions lors de tous patents. Signes de dysfonction myocardique (échodop­
mouvements, sensations vertigineuses fréquentes et pler, cathétérisme). Contrainte thérapeutique, sur­
céphalées postérieures associées, raideur importante veillance cardiologique rapprochée. 15 à 25 %
de la nuque : 10 à 15 %. Limitation fonctionnelle alléguée pour des efforts ordi-
Avec complications neurologiques ou vasculaires naires (2 étages) (classe fonctionnelle II), confirmée par
l’ECG d’effort ou l’existence de signes de dysfonction
Les séquelles étant essentiellement neurologiques, se myocardique. Contre-indication des efforts physique­
reporter au chapitre concerné. ment contraignants et contrainte thérapeutique avec
Rachis thoracique, thoraco-lombaire surveillance cardiologique rapprochée. 25 à 35 %.
et lombaire Limitation fonctionnelle entravant l’activité ordinaire
(marche rapide : classe fonctionnelle II+ ou III), altéra­
Sans séquelles neurologiques (syndrome rachidien) tion franche des paramètres échographiques ou écho­
Douleurs déclenchées de façon intermittente par des doppler. Intolérance à l’effort avec anomalies à l’ECG
causes précises, nécessitant à la demande une théra­ d’effort. 35 à 40 %.
peutique appropriée, imposant la suppression d’efforts Idem, avec contrainte thérapeutique importante (quadri
importants et/ou prolongés associées à une discrète ou pentathérapie) et/ou troubles du rythme symptoma­
raideur segmentaire active : jusqu’à 3 %. tiques et documentés. 40 à 50 %.

363
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Limitation fonctionnelle pour les efforts modestes Séquelles pariétales


(classes fonctionnelles III et III+) associée à des mani­ Séquelles pariétales douloureuses persistantes (thora­
festations d’incompétence myocardique (œdème cotomie, sternotomie). 0 à 5 %
pulmonaire) ou à des complications vasculaires péri­
phériques ou à des troubles du rythme complexes avec Appareil respiratoire
contrainte thérapeutique lourde et surveillance étroite.
50 à 60 %. Qu’il s’agisse de séquelles de traumatismes thoraci­
Symptomatologie fonctionnelle majeure même au repos ques (fractures pluricostales, épanchements pleuraux,
(classe fonctionnelle IV) confirmée par les données cli­ lésions diaphragmatiques, exérèses pulmonaires), d’at­
niques (déshabillage, examen cliique) et paracliniques. teinte de la trachée (sténose), d’atteinte broncho-pul­
Contrainte thérapeutique majeure, hospitalisations monaire (asthme, broncho-pneumopathie chronique
fréquentes. 60 % et plus. obstructive (BCPO), emphysème, fibrose pulmonaire,
Les taux supérieurs à 60 % sont exceptionnels en car­ autres affections), l’évaluation de l’incapacité perma­
diologie et résultent de complications notamment nente doit se baser sur l’importance de l’insuffisance
neuro-vasculaires. respiratoire chronique.
Transplant : L’insuffisance respiratoire s’apprécie à distance d’un
L’éventualité d’un transplant prend en compte la épisode aigu d’après :
contrainte thérapeutique lourde et la surveillance par­ – l’importance de la dyspnée qu’il est possible de gra­
ticulièrement étroite de ces patients. Selon le résultat duer en se référant à l’échelle (de 1 à 5) des dyspnées de
fonctionnel et la tolérance aux immuno-suppresseurs. Sadoul ;
25 à 30 %. – l’examen clinique ;
– l’analyse des différents examens paracliniques déjà
Séquelles vasculaires pratiqués (imagerie, endoscopie, gazométrie…) ou
Séquelles artérielles que l’expert pourra demander ou réaliser s’ils ne sont
Les principes d’évaluation des séquelles sont identi­ pas invasifs (VEMS/CV, DEM, CPT, CV, TLCO/VA,
ques à ceux exposés au chapitre des séquelles cardio­ Sa O2…).
logiques prenant pour référence fonctionnelle le degré
de claudication.
Insuffisance respiratoire chronique
Pour les amputations, se reporter au chapitre Appareil L’évaluation devra toujours tenir compte de l’état
locomoteur. préexistant de la fonction respiratoire.
En cas de discordance entre les plaintes respiratoires
Séquelles veineuses et les paramètres fonctionnels de repos normaux, un
Il s’agit de séquelles objectives de phlébite indiscutable test de marche de 6 minutes peut être effectué et/ou
et imputable qui doivent être appréciées en prenant en une épreuve d’effort (avec VO2 max) en l’absence de
compte un éventuel état antérieur. contre-indication.
Sensation de jambe lourde, pas de restriction de l’acti­ Dyspnée pour des efforts importants avec altération
vité, œdème allégué en fin de journée. Pas de troubles mineure d’une des épreuves fonctionnelles : 2 à 5 %.
trophiques objectifs. Jusqu’à 3 %. Dyspnée à la montée d’un étage, à la marche rapide ou
Gêne à la marche prolongée. Œdème permanent mesu­ en légère pente avec :
rable nécessitant de façon définitive le port d’un bas de – soit CV ou CPT entre 70 et 80 % ;
contention. 4 à 10 %. – soit VEMS entre 70 et 80 % ;
Idem, avec ulcères récidivants et contrainte thérapeuti­ – soit TLCO/VA entre 60 et 70 % : 5 à 15 % ;
que (traitement anti-coagulant, filtre cave). 10 à 15 %. – soit CV ou CPT entre 60 et 70 %.
En cas de séquelles permanentes et objectives d’em­ Dyspnée à la marche normale à plat avec :
bolie pulmonaire (scintigraphie pulmonaire de per­ – soit VEMS entre 60 et 70 % ;
fusion-ventilation, HTAP), prendre en considération – soit TLCO/VA inférieur à 60 % : 15 à 30 %.
l’impact sur la fonction respiratoire. Dyspnée à la marche sur terrain plat à son propre
rythme avec :
Les prothèses – soit CV ou CPT entre 50 et 60 % ;
Les taux proposés en cas de prothèse vasculaire, valvu­ – soit VEMS entre 40 et 60 % ;
laire ou d’endoprothèse (stent…) doivent ressortir de la – soit hypoxémie de repos (Pa O2) entre 60 et 70 mm Hg  :
même analyse, la prothèse n’étant pas, par elle-même, 30 à 50 %.
motif à augmentation du taux. Dyspnée au moindre effort (déshabillage) avec :
Il en va de même de l’éventualité d’un stimulateur ou – soit CV ou CPT inférieure à 50 % ;
d’un défibrillateur automatique implantable. – soit VEMS inférieur à 40 % ;

364
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

– soit hypoxémie inférieure à 60 mm Hg associée ou retentissement respiratoire et viscéral pouvant justifier
non à un trouble de la capnie (Pa CO2), avec éventuelle des taux supérieurs à 20 %.
contrainte d’une oxygénothérapie de longue durée
(> 16 h/jour) ou d’une trachéotomie ou d’une assistance Troubles communs aux différentes
ventilatoire intermittente : 50 % et plus. atteintes de l’appareil digestif
Bien que chaque étage de l’appareil digestif (œsophage,
Asthme estomac, foie, vésicule biliaire, pancréas, intestin)
L’asthme peut entraîner un handicap, alors que la fonc­ possède une symptomatologie spécifique, l’expert se
tion respiratoire inter-critique reste normale. Il s’agit fondera, pour évaluer le taux d’incapacité, sur l’impor­
d’asthme intermittent : tance et l’association des troubles (douleurs, dyspha­
– ne nécessitant pas de traitement de fond : jusqu’à 5 % ; gies, nausées, vomissements, flatulences, constipation,
– un traitement de fond : 5 à 10 % ; diarrhée), sur les contraintes qu’ils imposent et sur leur
– cas d’anomalie permanente des EFR, on se reportera retentissement sur l’état général.
à l’évaluation de l’insuffisance respiratoire. Sans contrainte diététique ou thérapeutique perma­
nente. Jusqu’à 5 %.
Séquelles pariétales
Nécessitant un suivi médical irrégulier, un traitement
Séquelles douloureuses persistantes de thoracotomie : intermittent, des précautions diététiques, sans reten­
jusqu’à 5 %. tissement sur l’état général. 5 à 10 %
Pathologies tumorales (cancer broncho- Nécessitant un suivi médical régulier, un traitement
quasi permanent, une contrainte diététique stricte avec
pulmonaire, mésothéliome…)
incidence sociale. 10 à 20 %.
Les séquelles seront appréciées en fonction de l’in­ Nécessitant un suivi médical fréquent, un traitement
suffisance respiratoire résiduelle, de l’acte chirurgical constant, une contrainte diététique stricte avec retentis-
éventuel (thoracoscopie, pleurectomie, exérèse seg­ sement sur l’état général. 20 à 30 %.
mentaire lobaire ou d’un poumon) et en tenant compte
de l’existence de douleurs thoraciques invalidantes et Stomies cutanées
des symptômes attachés à l’étiologie. Colostomies gauches. 10 à 20 %.
Taux indicatif : 15 à 60 %. Colostomies droites, iléostomies, gastrostomies. 20 à 30 %.
Oesophagogastrectomie totale avec oesophagoplastie
Hépato-gastro-entérologie colique, atteinte de l’état général, important contrain­
Ce n’est qu’au terme d’un examen médical comportant tes alimentaires. 15 à 25 %.
un interrogatoire détaillé, un examen clinique complet
et une étude méthodique des résultats des différentes Incontinences
explorations paracliniques (radiographies, endosco­ Aux gaz, avec conservation d’une continence aux
pies, échographies, bilans biologiques…) que l’expert matières. 5 à 10 %.
peut juger du retentissement sur la fonction digestive Avec fuites inopinées, conservation d’un contrôle
d’une lésion traumatique, d’une infection ou d’une sphinctérien. 10 à 15 %.
agression toxique et en évaluer l’importance. Sans possibilité de contrôle sphinctérien. 20 à 30 %.

Séquelles pariétales Hépatites virales


Calcifications cicatricielles (os de seiche) Aiguës
Jusqu’à 5 %. Quel que soit le virus en cause, elles guérissent habi­
tuellement sans séquelles, y compris les formes
Éventrations prolongées.
En cas d’inaccessibilité à une thérapeutique chirurgi­ Les formes fulminantes entraînent la mort dans 90 %
cale communément admise : des cas. Cette incidence ne peut être réduite que par
– éventration de petite taille, responsable de quelques une transplantation hépatique (se reporter au paragra­
douleurs sans répercussion sur la fonction digestive : phe Transplants).
jusqu’à 5 % ;
– éventration de taille plus importante entraînant dou­ Chroniques
leurs et troubles du transit (parfois phénomènes suboc­ Qu’elles soient dues au virus B (avec ou sans association
clusifs), nécessitant le port d’un appareillage, selon la avec le virus Delta), ou au virus C, elles ont pour ­risque
taille et l’importance des troubles : 5 à 20 %. commun la possibilité d’évolution vers la cirrhose au
Il est exceptionnel de rencontrer dans le cadre de l’éva­ terme d’un délai très variable (de moins de 10 ans à
luation médico-légale des éventrations majeures avec 40 ans).

365
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

L’évaluation s’appuiera sur 3 ordres de constatations : Transplants


Les constatations sérologiques et histologiques permet­ En prenant en compte la contrainte thérapeutique
tant d’apprécier l’importance des risques et la vitesse lourde, la nécessité d’une surveillance médicale étroite,
d’évolution vers la cirrhose : la tolérance au traitement : 30 à 40 %.
– pour l’hépatite B : Pour les transplantations à la suite d’une hépatite B
• taux sérique de DNA viral, ou C, le risque doit être apprécié de façon différente,
• existence d’un antigène H Be ; compte tenu des récidives (25 % pour l’hépatite B, plus
– pour l’hépatite C : de 90 % pour l’hépatite C).
• importance de la charge virale en ARNC,
• génotype du virus ; Endocrinologie. Métabolisme
– pour les deux formes :
• les données du score de métavir, apprécié par la En droit commun, l’évaluation médico-légale d’un
biopsie hépatique (ce score est plus précis que le score dommage corporel uniquement constitué par un défi­
de Knödell dans la mesure où il permet de différen­ cit endocrinien est une éventualité rare. Elle se heurte
cier précisément le degré de fibrose). souvent à des problèmes difficiles d’imputabilité,
Les constatations cliniques et les manifestations fonc­ compte tenu de l’existence possible, préalablement au
tionnelles. fait incriminé, de déficits biologiques ignorés dont ce
Les possibilités et les résultats du traitement médical. fait a précipité l’évolution.
Si un traitement a été appliqué, l’évaluation doit se
faire au moins 6 mois après l’arrêt du traitement, quelle
Hypophyse
qu’en ait été la durée. Les hypopituitarismes persistants sont une compli­
La réponse soutenue au traitement est caractérisée cation rare des traumatismes crâniens graves (de
par la normalisation de la biologie (ALAT) et la non- l’ordre de 1 %). Ces déficits ne sont pratiquement
détection de l’ARNC sérique. jamais isolés, s’inscrivant dans un tableau séquellaire
Trois éventualités : complexe.
– réponse soutenue au traitement ; Panhypopituitarisme (antérieur et postérieur) nécessi­
– patient répondeur au traitement mais rechuteur ; tant un traitement substitutif et une surveillance cli­
– patient non répondeur. nique et biologique contraignante ; selon l’efficacité du
Avant le stade de la cirrhose : traitement : 25 à 40 %.
– score métavir égal ou inférieur à A1 F1 : jusqu’à Hypopituitarisme postérieur : diabète insipide bien
5 % ; contrôlé par un traitement adéquat ; selon l’efficacité
– score métavir supérieur à A1 F1, inférieur à F4 : 5 à du traitement substitutif : 5 à 15 %.
10 % ;
Thyroïde
– score métavir égal ou supérieur à F4 : l’évolution est
celle de la cirrhose. Hyperthyroïdie (maladie de Basedow)
En cas d’atteintes pathologiques concomitantes docu­ L’évaluation définitive ne pourra être faite qu’après
mentées dont l’origine pourrait être rapportée à l’hé­ traitement adapté (antithyroïdiens de synthèse pen­
patite chronique C (arthromyalgies, neuropathies dant 18 mois, chirurgie, iode radioactif…).
périphériques, vascularite), il convient de se reporter S’il persiste des signes cliniques de dysfonctionnement
aux appareils concernés. thyroïdien et selon le retentissement sur les autres
Pour certaines manifestations extra-hépatiques égale­ appareils : 10 à 30 %.
ment documentées, une majoration éventuelle du taux
initial est possible. Hypothyroïdie
Au stade de cirrhose, les taux se basent sur la classifi­ En dehors des hypothyroïdies idiopathiques, une hypo­
cation de Child : thyroïdie peut survenir après traitement d’une hyper­
– classe 1 : bonne fonction hépatique Child A : de 10 à thyroïdie par chirurgie ou iode radioactif.
20 % ; Si bien équilibrée par un traitement substitutif : 5 %.
– classe 2 : altération modérée de la fonction hépatique
Child B : 20 à 40 % ; Parathyroïde
– classe 3 : insuffisance hépatique avancée Child C : Il s’agit essentiellement d’hypoparathyroïdie qui peut
60 % et plus. se rencontrer après une thyroïdectomie.
Selon la difficulté d’équilibrer l’hypocalcémie : 5 à 15 %.
Hépatites d’autres origines
En cas de passage à la chronicité, l’évaluation se fera Surrénales
en fonction des troubles cliniques et histologiques (voir Une insuffisance surrénale iatrogène, secondaire à un
ci-dessus). traitement corticothérapique (parfois intempestif),

366
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

peut apparaître lors du sevrage. L’insuffisance sur­ Néphrologie. Urologie


rénale ainsi constituée nécessite une corticothérapie
adaptée. Lorsque les troubles de la fonction urinaire font par­
Selon les contraintes liées à la thérapeutique et à la sur­ tie d’un ensemble pathologique, comme par exemple
veillance : 10 à 25 %. les « vessies neurologiques » consécutives à des lésions
médullaires, l’évaluation du taux d’IPP se fera globale­
Pancréas-diabète ment au titre de l’entité clinique en cause.
Ils ne feront l’objet d’une évaluation spécifique que s’ils
Diabète non insulino-dépendant constituent l’essentiel du déficit physiologique donnant
Il n’est jamais consécutif à un fait traumatique. Mais lieu à évaluation médico-légale.
cet événement peut extérioriser un état méconnu latent
ou aggraver transitoirement un état connu jusqu’alors Néphrologie
compensé. Néphrectomie
Une prise en charge adaptée doit permettre le retour à Unilatérale – Fonction rénale normale : 3 %.
l’état antérieur. Un taux d’incapacité permanente n’est
jamais justifié. Insuffisance rénale
Clearance de la créatinine entre 60 et 80 mL/min avec
Diabète insulino-dépendant HTA ≤ 16/9 : jusqu’à 10 %.
Il peut apparaître au décours d’un fait traumatique Clearance de la créatinine entre 30 et 60 mL/min. HTA
chez des sujets qui n’en présentaient auparavant aucun avec minima ≤ 12. Nécessité d’un régime et d’un traite­
signe clinique ou biologique connu. L’imputabilité est ment médical stricts : 10 à 25 %.
toujours difficile à établir, sauf en cas de lésions pan­ Clearance de la créatinine ≤ 30 mL/min. Altération de
créatiques majeures ayant nécessité une résection de l’état général. Régime très strict et contraintes théra­
80 à 90 % de la glande (hypothèse exceptionnelle). peutiques lourdes : 25 à 35 %.
Aucune observation de diabète sucré consécutif à un Clearance de la créatinine inférieure à 10 mL/min.
traumatisme crânien grave n’a été rapportée. Nécessité de mise en hémodialyse en centre ou auto­
Si l’imputabilité est acceptée : dialyse ; selon complications : 35 à 50 %.
– Diabète simple, bien équilibré par un traitement
insulinique simple : 15 à 20 % ; Transplantation rénale
– Diabète instable malgré la surveillance et les tenta­ Selon tolérance aux traitements corticoïdes et immuno-
tives thérapeutiques avec gêne fonctionnelle quoti­ dépresseurs : 20 à 30 %.
dienne  : 20 à 35 %.
En cas de complications laissant des séquelles définiti­ Urologie
ves, se reporter aux spécialités concernées. Les taux proposés prennent en considération les com­
plications et contraintes thérapeutiques.
Hématologie et maladies du sang
Rétention d’urines
Rate (hors pathologies médullaires ou centrales)
Splénectomie sans anomalie hématologique : jusqu’à Auto ou hétéro-sondages (3 à 6 par jour) : jusqu’à 15 %.
5 %. Sonde à demeure : 20 à 25 %.
Splénectomie avec anomalies hématologiques définiti­ Stimulateur implanté : jusqu’à 5 %.
ves : 5 à 10 %.
Chez l’enfant, l’existence d’épisodes infectieux Incontinence urinaire
ou de greffes infectieuses doit inciter à reporter la Quelques fuites ne nécessitant pas de protection :
consolidation. jusqu’à 5 %.
Envies impérieuses : jusqu’à 10 %.
Autres anomalies hématologiques Fuites régulières à l’effort, à la toux. Nécessité de pro­
Elles peuvent exceptionnellement faire l’objet d’une tection : 5 à 10 %.
demande d’évaluation. Elles sont presque toujours Forme sévère nécessitant garniture permanente : 20 à
réversibles et ne sont donc pas constitutives d’un taux 25 %.
d’incapacité permanente partielle. Dans les rares cas Sphincter artificiel : 5 à 10 %.
où ces anomalies sont définitives et nécessitent un
suivi médical, il conviendra de se reporter, pour l’éva­ Sténose de l’urètre avec diminution
luation du taux d’incapacité, aux propositions concer­ du débit urinaire
nant la ou les spécialités concernées par les déficits Nécessitant 1 à 2 dilatations par an : jusqu’à 5 %.
constatés. Nécessitant plus de 10 dilatations par an : jusqu’à 10 %.

367
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Dérivations urinaires définitives examens cliniques ou paracliniques spécialisés prati­


Néphrostomie unilatérale : 10 à 20 %. qués. Il confrontera ces éléments avec les lésions ini­
Néphrostomie bilatérale : 20 à 30 %. tiales et donnera son avis sur l’existence du dommage
Urétérostomie transiléale ou transcolique ; cystostomie  sans se prononcer sur l’éventuel préjudice qui peut en
: 10 à 20 %. résulter.
Urétérostomie unilatérale avec sonde urétérale, collec­
teur et poche : 15 à 20 %. Cas particuliers
Urétérostomie bilatérale avec sonde urétérale, collec­ De même que d’autres atteintes à l’intégrité corporelle,
teur et poche : 20 à 30 %. la mammectomie uni ou bilatérale (exceptionnelle en
matière traumatique) peut avoir une répercussion sur
Procréation. Sexualité la vie sexuelle.
Les atteintes à la fonction de reproduction peuvent Cette répercussion devra faire l’objet d’une description
résulter d’une anomalie anatomique, d’un déficit phy­ précise par l’expert.
siologique, d’un dysfonctionnement dans la réalisation En cas de répercussion :
de l’acte sexuel. – sur l’équilibre rachidien, se reporter au chapitre
Les anomalies anatomiques et les déficits physio­ Rachis ;
logiques peuvent être validés par des arguments – sur la mobilité de l’épaule, se reporter au chapitre
cliniques relevant de la technique médicale habi­ Appareil locomoteur-préhension.
tuelle. Ces conséquences s’expriment par un taux En ce qui concerne uniquement la perte de l’organe :
d’IPP. Certaines peuvent être palliées aussi bien chez – mammectomie unilatérale : 5 % ;
l’homme que chez la femme par les techniques d’as­ – mammectomie bilatérale : 10 %.
sistance médicale à la procréation que l’expert devra Lymphœdème : 10 %.
expliciter.
Séquelles cutanées des brûlures
Ablation d’organe
graves et étendues
Hystérectomie : 6 %.
Ovariectomie : Les brûlures graves et étendues peuvent être à l’origine
– unilatérale : 3 % ; de séquelles spécifiques en dehors de celles d’ordre
– bilatérale : 6 %. purement esthétique, psychologique, des amputations
Salpingectomie : d’organes et/ou des graves altérations de régions ana­
– unilatérale : 3 % ; tomiques, des atteintes des fonctions articulaires ou
– bilatérale : 6 %. sensitivo-motrices, qui font l’objet d’une évaluation
Orchidectomie : distincte.
– unilatérale : 3 % ; Le taux d’IPP proposé pour ces séquelles spécifiques
– bilatérale : 6 %. doit tenir compte essentiellement :
Amputation de la verge : (en tenant compte de l’en­ – de la surface des lésions, mais également ;
semble de l’atteinte des troubles de la fonction) : 20 à – du mode de réparation (greffes autologues, cultures) ;
25 %. – des anomalies des zones greffées ;
– du dysfonctionnement dans les échanges habituels
Stérilité de la peau (thermo-régulation, sudation…) ;
Stérilité inaccessible (quelle qu’en soit la cause) aux – de la fragilité cutanée (ulcérations, fissures au port
techniques d’assistance médicale à la procréation (taux des vêtements, intolérance au soleil) ;
incluant l’ablation de l’organe) : 20 à 25 %. – du prurit, de l’eczématisation, hyperkératose.
Un taux d’IPP n’est justifié que lorsqu’il s’est agi
Sexualité de brûlures profondes avec greffe ou cicatrisation
Les troubles dans la réalisation de l’acte sexuel ne peu­ pathologique.
vent s’exprimer en un taux d’IPP. Selon le pourcentage de la surface des lésions :
Pour se prononcer sur la nature et l’imputabilité de – inférieur à 10 % : jusqu’à 5 % ;
troubles de cet ordre, l’expert devra les décrire en – de 10 à 20 % : 5 à 10 % ;
détail, en se reportant aux doléances exprimées, aux – de 20 à 60 % : 10 à 25 % ;
données de l’interrogatoire, aux résultats des éventuels – plus de 60 % : 25 à 50 %.

368
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

État antérieur et prédispositions –


rôle du médecin expert
G. Vives

L’état antérieur peut être défini comme toute pré­ cet état antérieur du traumatisme ; l’état antérieur
disposition ou toute affection pathologique, connue peut :
ou non, congénitale ou acquise, consécutive à une • être sans relation avec l’accident ;
maladie ou un accident, que présente un individu
• être à l’origine de l’accident ;
au moment où survient le dommage corporel.
• aggraver les conséquences de l’accident ;
D’un point de vue juridique, on peut distinguer
trois grandes situations : • être aggravé par l’accident ;
• les prédispositions patentes, c’est-à-dire celles • parfois être amélioré par l’accident.
qui se sont traduites par des manifestations Dans le cas d’une aggravation, il peut s’agir :
extérieures dommageables ;
• d’une aggravation lésionnelle, si le traumatisme
• les prédispositions patentes décompensées (c’est a le même siège que la lésion antérieure (fracture
le cas d’un accident qui oblige à une interven­ du plateau tibial sur gonarthrose),
tion chirurgicale sur un état antérieur connu) ;
• d’une aggravation fonctionnelle, si l’atteinte
• les prédispositions latentes qui sont celles qui ne touche le même membre ou la même fonction
s’étaient jusqu’alors pas manifestées et qui ont (fracture du plateau tibial chez une personne
été révélées par l’accident. ayant une prothèse de hanche du même côté ;
Le but du rapport de l’expert est, avant tout, perte du 2e œil chez un borgne).
d’éclairer le régleur, magistrat ou compagnie d’as­ L’imputabilité sera différente selon la législation
surances, sur l’imputabilité du Dommage. considérée.
L’appréciation de l’état antérieur par l’expert est
donc un des temps-clé de l’expertise médico-
légale, et aussi l’un des plus difficile.
La première difficulté est de reconnaître l’exis­
État antérieur et réparation
tence d’un état antérieur, de définir ses limites, ses du dommage corporel
répercussions douloureuses et fonctionnelles avant en droit commun
l’accident.
Il convient de distinguer les antécédents de l’état En droit commun, la victime doit prouver l’exis­
antérieur : tence d’un dommage et son imputabilité à l’acci­
• les antécédents médicaux recouvrent l’ensem­ dent.
ble des pathologies médicales, chirurgicales, ou L’article 1315 du Code Civil précise :
traumatologiques survenus avant l’accident ; ces « celui qui réclame l’exécution d’une obligation
pathologies peuvent être guéries, encore évoluti­ doit la prouver ».
ves ou avoir laissé persister un état séquellaire ;
Le principe est que la réparation d’un préjudice
• l’état antérieur est constitué par l’ensemble des doit être égale au dommage, sans le dépasser, selon
antécédents pouvant avoir une incidence sur les l’adage : « réparer tout le dommage, rien que le
conséquences de l’accident ; en dehors des dommage ».
contrats en assurance de personne, lui seul
Le Médecin Expert doit donc caractériser le dom­
pourra être évoqué dans le rapport d’expertise,
mage imputable à l’accident. En présence d’un état
sous peine de violation du secret médical.
antérieur, il doit :
Dans le domaine de la traumatologie, l’Expert • reconstituer l’état de la victime à la veille de
devra préciser quelle a été l’évolution conjointe de l’accident ;

369
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

• déterminer l’influence du traumatisme sur cet mens complémentaires. Toutefois, il n’y a pas de
état antérieur : (aggravation ? accélération d’un corrélation stricte entre les lésions constatées sur
état évolutif ? décompensation ou révélation ?) l’imagerie médicale et la symptomatologie clinique.
Il doit donc dire s’il existe ou non une relation et Elle peut être difficile lorsque l’état antérieur est
éclairer le juge sur plusieurs aspects : caché ou méconnu.
• l’importance de l’état antérieur : avéré, latent, Le blessé peut avoir intérêt à le masquer, à le mini­
simples prédispositions ; miser, ou à nier ses conséquences fonctionnelles.
• quelles auraient été les conséquences du trau­ L’obtention de documents médicaux fiables est
matisme sans l’état antérieur ? souvent difficile et le médecin traitant peut invo­
quer le secret médical pour refuser de communi­
• quelle aurait été l’évolution normale de l’état
quer toute information.
antérieur sans le traumatisme ?
Il ne peut en revanche, refuser de délivrer un
• quelles sont les conséquences de l’association
certificat détaillé à son patient si celui-ci le lui
« État antérieur – Traumatisme » ?
demande.
L’Expert doit apprécier la différence entre la capa­ Le dossier hospitalier peut être examiné, avec
cité antérieure et la capacité actuelle, ainsi que l’autorisation du blessé ou de ses ayants droit,
l’étendue des préjudices mais seulement par le médecin désigné.
En théorie, l’état antérieur n’est donc pas pris en Les demandes de renseignements à la Sécurité
compte. sociale sont généralement refusées, et s’il n’y a pas
En pratique, les conséquences de l’accident sont eu de contrôle médical, les médecins-conseils
parfois plus graves que ne l’auraient voulu les n’ont généralement que des renseignements
lésions traumatiques initiales si elles étaient sur­ administratifs.
venues chez un sujet normal, La victime peut demander une attestation prou­
• soit que des prédispositions morbides aient vant qu’elle n’a jamais été indemnisée pour un
induit l’évolution de lésions particulières (pous­ accident du travail.
sée de polyarthrite, de sclérose en plaque) ; Si l’expert se rend compte qu’il existe un état anté­
• soit que des lésions antérieures aient été aggra­ rieur, mais ne peut le prouver, il peut en référer au
vées (aggravation lésionnelle) ; juge, qui décidera soit de juger en l’état, soit de
• soit que les conséquences de l’accident ne résul­ demander des renseignements supplémentaires,
tent pas uniquement des séquelles post-traumati­ au civil avec astreinte, au pénal sur réquisition.
ques, mais de l’association avec d’autres infirmités Elle peut être impossible, soit en raison d’une dissi­
préexistantes (aggravation fonctionnelle). mulation, soit par ignorance, soit par méconnais­
sance de la décompensation en raison du décès de
La réparation du dommage doit être intégrale. la victime, soit parce que la prédisposition ne se
Si un accident bénin a des conséquences graves du décompense qu’à la suite du traumatisme.
fait d’une prédisposition et d’infirmités préexis­
tantes, toutes les conséquences de l’accident doi­
vent être indemnisées : L’appréciation de l’état antérieur
• le Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT) peut En présence d’un état antérieur, l’expert peut avoir
être prolongé par l’état antérieur ; trois attitudes :
• le Déficit Fonctionnel Permanent (DFP) peut • il peut apprécier l’état antérieur au moment du
être modifié par l’état antérieur. traumatisme (ex : 20 %), puis le déficit physiolo­
gique global incluant l’état antérieur + le dom­
La mise en évidence de l’état mage (ex : 40 %), et laisser au juge le soin de faire
la soustraction ;
antérieur
• il peut apprécier le déficit physiologique global
Elle peut être facile en cas de déclarations sponta­ (40 %) et évaluer l’incidence de l’état antérieur
nées de la victime et/ou de présentation d’exa­ en proportion (1/2, 1/3, 1/4…) ;

370
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

• il peut le plus souvent conclure lui-même : « j’es­ Dans le cas d’une chute après malaise ou crise, les
time que les séquelles de ce traumatisme, garanties contractuelles ne sauraient donc être
compte tenu de l’état antérieur, entraînent une acquises, car il n’y a pas de cause extérieure.
IPP de … % ». En pratique, il est souvent impossible d’apporter
la preuve que l’accident est bien la conséquence
directe et exclusive de l’état antérieur.

État antérieur et réparation du L’état antérieur aggrave


dommage corporel en assurance les conséquences de l’accident
individuelle accident
Nous avons vu qu’en droit commun la réparation
Nous ne reviendrons pas sur la méthode qui est la du dommage est intégrale.
même qu’en droit commun, mais nous souligne­ En assurance individuelle, le contrat fait la loi des
rons simplement quelques particularités. parties, et l’appréciation du rôle de l’état antérieur
En matière d’assurance individuelle, « le contrat doit être envisagée, conformément aux disposi­
fait la loi des parties », et l’appréciation du rôle de tions particulières de chaque contrat, générale­
l’état antérieur doit être envisagée, conformément ment exprimées de façon très précise.
aux dispositions particulières de chaque contrat. On distingue deux grands types de contrat :
Dans la plupart des contrats, tout état antérieur • le contrat « Avant-Après » prenant en compte
doit être déclaré lors de la souscription. l’état antérieur : l’évaluation du dommage se
Une non-déclaration peut entraîner l’application fait alors de façon identique à celle du droit
de la règle proportionnelle, voire la nullité du commun ;
contrat si la mauvaise foi du souscripteur est • le contrat éliminant le rôle aggravant d’un état
établie. antérieur : le dommage est apprécié comme s’il
Le rôle de l’expert n’est pas d’apprécier la bonne était survenu chez un sujet sain. On ne tient pas
ou la mauvaise foi de l’assuré. compte de l’aggravation due à l’état antérieur.
La mission qui lui est confiée par le magistrat se On applique strictement le taux prévu par le
borne généralement à l’analyse des éléments barème.
constitutifs de l’état antérieur et à en préciser C’est ainsi que la perte d’un œil se verra attri­
leurs caractères : buer le même taux de X prévu par le barème,
• Existait-il un état antérieur pathologique cer­ qu’elle survienne chez un sujet sain ou chez un
tain, ne pouvant être ignoré de l’intéressé ? sujet ayant déjà perdu un œil, alors que dans ce
dernier cas, elle aura des conséquences beau­
• Existait-il un état antérieur pathologique plus
coup plus importantes puisqu’elle aboutira à la
ou moins latent, pouvant être ignoré de l’intér­
cécité.
essé ?
Inversement, l’état antérieur n’étant pas pris en
En cas de litige sur l’existence d’un état antérieur, considération, on peut estimer que l’amputation
la présomption de bonne foi joue en faveur de l’as­ au niveau du poignet chez un sujet déjà amputé du
suré, et il appartient à l’assureur d’apporter la pouce du même côté doit être indemnisée comme
preuve de la mauvaise foi. la perte totale de la main.
Certains contrats prévoient cependant que « la
L’état antérieur est à l’origine lésion d’un membre ou d’un organe déjà infirme ne
peut être prise en considération pour la détermina-
de l’accident tion du taux d’incapacité que dans la mesure de
Dans la plupart des contrats, la définition de l’ac­ l’aggravation provoquée par l’accident ».
cident est la suivante : « tout événement non inten- En fait, chaque contrat peut comporter des clau­
tionnel de la part de l’assuré et provenant de ses différentes ; c’est pourquoi il est indispensable
l’action soudaine d’une cause extérieure ». que l’expert en prenne connaissance.

371
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

L’état antérieur est amélioré En fait, la présomption d’imputabilité est admise


par l’accident dès lors que le fait accidentel survient à l’occasion
du travail et que l’employé est sous la subordina­
Par exemple, un sujet ayant une coxarthrose évo­ tion de son employeur.
luée et invalidante est victime d’un traumatisme Lorsque la matérialité de l’accident fait défaut, la
entraînant une fracture du col du fémur traitée jurisprudence de la Cour de Cassation considère
par prothèse totale avec un excellent résultat « que la brusque survenance d’une lésion physique
fonctionnel. au temps et au lieu du travail constitue par elle-
S’il est titulaire d’un contrat « avant-après » tenant même un accident présumé imputable au travail.
compte de l’état antérieur, on peut considérer Cette présomption ne peut être écartée qu’au cas
qu’il y a amélioration, donc absence de DFP. où il est établi que la dite lésion est due à une cause
Si son contrat exclut le rôle aggravant de l’état entièrement étrangère au travail ».
antérieur, un DFP pourra être retenu, soit par Cette présomption d’imputabilité ne s’applique
référence aux séquelles classiques d’une fracture pas pour les demandes de rechute ou d’aggrava­
du col, soit par référence à la prothèse de hanche si tion ; c’est alors à l’assuré d’apporter la preuve de
elle est prévue dans le barème. leur imputabilité.
L’appréciation de l’état antérieur et de son poten­ En cas d’état antérieur, c’est à la Caisse de Sécurité
tiel évolutif spontané en l’absence de traumatisme, Sociale de prouver que celui-ci est entièrement
relativement simple dans les exemples que nous responsable de la lésion et que les conditions de
venons de choisir, peut être beaucoup plus com­ travail n’ont joué aucun rôle déclenchant.
plexe lorsque cet état antérieur est difficile à met­ Les moyens dont elle dispose sont :
tre en évidence ou lorsqu’il est directement • l’enquête administrative – pour la matérialité du
aggravé par le traumatisme, ou encore quand il caractère professionnel de l’accident (art.442-1
s’agit d’affections morbides, de troubles psychi­ du code de la sécurité sociale). Elle est organisée
ques ou d’arthrose. sur les lieux du travail par un représentant de la
L’expert, s’il ne peut établir des conclusions préci­ CPAM. Pour les décés et les présomptions
ses, devra fournir au juge le maximum d’éléments d’IPP de 100 %, elle est confiée à un agent
d’appréciation de cet état antérieur quant à son assermenté extérieur à la CPAM. Une réunion
origine, sa date d’apparition, son évolution avant contradictoire des parties est organisée avec
l’accident, son incidence physique, psychique, l’audition de l’employeur, des témoins, des col­
professionnelle avant l’accident, son évolution lègues de travail, afin de recueillir le plus de
probable en l’absence d’accident, son éventuelle renseignements possibles sur les conditions de
aggravation par l’accident, son rôle très précis sur travail, notamment dans les minutes qui ont
les conséquences de l’accident tout au long de précédé l’accident.
l’évolution. • l’étude du dossier médical – pour la recherche
de l’état antérieur.
En cas de mort subite ou suspecte, la preuve de
La réparation du dommage l’état antérieur doit être apportée par la caisse ;
cependant, si les ayants droit s’opposent à la pro­
corporel en accident du travail cédure d’autopsie demandée par la caisse, ils doi­
vent apporter la preuve du lien de causalité entre
Théoriquement, l’accident du travail est caracté­
l’accident et le décés.
risé par :
Si une prédisposition est décompensée ou si un état
• un fait accidentel (action soudaine et violente
antérieur pathologique est aggravé par l’accident,
d’une cause extérieure) ;
la totalité de l’incapacité de travail sera prise en
• un dommage corporel ; charge en accident du travail, sauf si cet état anté­
• un lien de causalité entre le fait accidentel et la rieur était déjà responsable d’une diminution de
lésion. la capacité de gains.

372
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

Il en est de même pour l’évaluation du taux tances de lieu, de temps et d’activité au moment
d’IPP : des faits.
• un état antérieur a été révélé par l’accident mais Le lieu est celui du travail
n’a pas été aggravé par les séquelles ; Il n’y a pas Le temps est celui qui est compris dans la four­
lieu d’en tenir compte dans le taux d’IPP ; chette du temps de travail (ex : celui qui a un
• l’accident a révélé des prédispositions latentes, accident en se rendant dans les vestiaires 15 min
ou décompensé un état antérieur et cela a après la fin de son service parce qu’il a bavardé
aggravé ses conséquences ; le taux d’IPP prendra dans le couloir avec un collègue ne relève plus du
en compte l’ensemble du dommage ; risque AS)
• l’accident a aggravé considérablement une capa­ L’activité est celle qui correspond à la fonction (ex 
cité antérieure déjà réduite (cas du borgne qui : celui qui va chercher dans son véhicule, pendant
perd son 2e œil ou du manchot qui perd son bras ses heures de travail, un objet personnel qu’il a
restant). oublié de prendre et qui se blesse au cours de ce
déplacement ne relève pas du risque AS, n’étant
Le taux d’IPP prendra en charge d’intégralité de
plus dans le cadre de l’exercice de sa fonction.)
l’aggravation de la perte de capacité.
La mission du Médecin Agréé consiste :
• à décrire la lésion ;
Accidents de service et pension • à préciser si elle est en relation directe et cer­
taine avec l’accident déclaré ou avec l’activité
militaire professionnelle de l’agent ; cette notion de rela­
tion directe et certaine (jurisprudence constante
Si l’imputabilité est reconnue, la prise en charge se
du Conseil d’État) ne permet pas le doute et, de
fait dans les mêmes conditions qu’en accident du
ce fait, rejette la présomption d’imputabilité ;
travail.
• à apprécier l’existence d’un éventuel état anté­
rieur (connu ou révélé par le traumatisme ou
Accidents de Service et Médecine par la pathologie déclarée) ;
• à évaluer les séquelles imputables et l’état
Agréé antérieur.

Dans la filière administrative, la jurisprudence ne Il doit alors préciser si le traumatisme ou l’activité


dépend plus de la Cour de Cassation mais du professionnelle a aggravé cet état antérieur, si les
Conseil d’État. La présomption d’imputabilité séquelles imputables sont séparables ou non de
n’existe pas ; elle est imputable à la maladie ou à la l’état antérieur.
lésion en relation directe et certaine avec l’activité
professionnelle de l’agent.
En théorie, il existe 3 critères d’imputabilité : Conséquences juridiques
• la fonction de l’agent (d’où l’importance du rap­ de l’état antérieur
port du chef de service qui va préciser la nature
du travail, la gestuelle quotidienne, les efforts, Le Médecin Expert doit se prononcer sur
les horaires de travail, la mission…) ; l’imputabilité.
• les circonstances de l’accident (importance de la Le Juriste doit se prononcer sur l’existence d’un lien
déclaration initiale et des témoignages) ; de causalité entre le traumatisme et le dommage.
• l’existence ou non d’un traumatisme direct Le juriste peut se référer à deux théories :
(notion de cause extérieure et soudaine).
• la théorie de la « causalité adéquate » : toutes les
Toutefois, la jurisprudence constante du Conseil causes génératrices d’un préjudice doivent être
d’État ne retient plus cette notion (depuis 1995- recherchées. Seule doit être conservée la cause
arrêt BEDEZ), mais admet seulement les circons­ qui a joué un rôle déterminant. Cette théorie est

373
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

restrictive : l’auteur du dommage ne doit réparer (maladie de Parkinson, lombalgies permanentes


que le préjudice directement causé par faute. invalidantes) dont l’évolution, même en l’ab­
• la théorie de « l’équivalence des conditions » : sence d’intervention, n’aurait pas été favorable.
tout fait sans lequel le dommage ne se serait pas Pour indemniser on distinguera ce qui est impu­
produit doit être retenu comme cause du dom­ table à l’état antérieur et ce qui est imputable à
mage. Cette seconde théorie est extensive : l’accident.
l’auteur du dommage est condamné à réparer
les conséquences directes et indirectes de l’acci­ Une notion nouvelle :
dent, et, parmi les conséquences indirectes, cel­ l’anormalité du dommage
les qui recouvrent l’état antérieur.
Cette notion est introduite par la Loi du 4 mars
Ces deux théories, diamétralement opposées, font 2002 (art. L 1142-1 du Code de la Santé Publique) :
qu’il n’est pas rare de constater en jurisprudence, pour ouvrir droit à réparation, le dommage subi par
suivant la théorie retenue, une majoration ou une un patient ou ses ayants droit, imputable à un acte
de prévention, de diagnostic ou de soins, doit avoir
diminution des dommages et intérêts.
eu pour le patient des conséquences anormales au
Le critère de l’autonomie de la victime avant l’acci- regard de son état de santé comme de l’évolution
dent (dans sa vie privée et dans sa vie profession­ prévisible de celui-ci.
nelle) est souvent pris en considération : Les médecins experts désignés par les Commissions
Régionales de Conciliation et d’Indemnisation
• si la victime était autonome avant l’accident :
(CRCI) et les membres desdites CRCI ont régulière­
application de la théorie de « l’équivalence des ment à se prononcer sur cette question pour que
conditions », car l’accident a non seulement puisse être déterminée la part de l’état antérieur
aggravé une incapacité antérieure mais a trans­ dans le droit à réparation de la victime.
formé radicalement la nature de l’invalidité
(exemple du borgne devenu aveugle, du déclen­
chement post-traumatique d’une poussée de
sclérose en plaque : l’état pathologique était
Conclusion
latent, de l’accident facteur déclenchant de Le rôle de l’expert est de rechercher l’existence
manifestations névrotiques alors qu’auparavant d’un état antérieur, d’éclairer le juge sur une éven­
cet état était latent, sans gêne pour sa vie sociale tuelle relation entre cet état antérieur et l’accident,
et professionnelle) ; d’apprécier son incidence sur les conséquences du
• si la victime avait déjà une atteinte de son auto- traumatisme et inversement, enfin dans le droit
nomie avant l’accident : application de la théorie commun, ou l’assurance individuelle accident,
de « la causalité adéquate ». C’est le cas d’une d’évaluer la part de l’état antérieur dans le déficit
victime atteinte d’une invalidité avant l’accident physiologique global consécutif au traumatisme.

L’imputabilité du dommage
A. Rogier

Sganarelle : Nous autres grands médecins, Géronte : Fort bien ; mais la cause, s’il vous
nous connaissons d’abord les choses. Un plaît, qui fait qu’elle a perdu la parole ?
ignorant aurait été embarrassé, et vous eût Molière, Le Médecin Malgré Lui (Acte II,
été dire : « C’est ceci, c’est cela », mais moi, Scène 4)
je touche au but du premier coup, et je vous La notion de dommage imputable est une des
apprends que votre fille est muette.
notions les plus quotidiennement compliquées de
Géronte : Oui ; mais je voudrais bien que vous
me pussiez dire d’où cela vient. l’exercice du médecin expert. La réparation juri­
Sganarelle : Il n’est rien de plus aisé : cela vient dique du dommage corporel, en droit commun,
de ce qu’elle a perdu la parole. trouve en effet ses fondements dans les articles

374
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

1315 et 1384 du Code civil dont la jurisprudence a expérimentale n’ont pas beaucoup évolué : on
déduit que la réparation du dommage imputable observe, on compare les observations, on note les
doit être intégrale : « Tout le préjudice, rien que le coïncidences, on élabore des hypothèses suscep­
préjudice » ; la charge de la preuve incombe au tibles d’expliquer les coïncidences… Les théories
demandeur. s’échafaudent, jusqu’à ce que d’autres observa­
Dans le cas qui nous occupe, le demandeur est le tions, d’autres coïncidences les annihilent au pro­
plus souvent la victime. fit de nouvelles hypothèses et de nouvelles
théories. Plus les causes d’un mécanisme sont
L’analyse de l’imputabilité, ou du lien de causalité,
nombreuses, plus des causes multiples jouent un
reste un exercice régulièrement difficile, souvent
rôle causal important, et plus les coïncidences
clé de voûte de la construction du raisonnement
sont à la fois rares, et difficiles à identifier. La tra­
médico-légal ou médical.
dition élabore des schémas explicatifs indispen­
Dans l’exercice de la médecine, l’analyse des liens sables à une vision cohérente du monde, mais
de causalité constitue en effet l’une des difficultés limite les possibilités de sortir des schémas pré­
majeures. Le célèbre, quoique déjà ancien, « Et établis, même lorsqu’ils deviennent inefficients.
voilà pourquoi votre fille est muette » témoigne L’intuition, ferment de toute découverte, joue un
déjà et de l’intérêt porté par les médecins à l’ana­ rôle opposé : elle permet de sortir des sentiers
lyse du lien de causalité (le pourquoi, la cause), battus au risque de parfois s’embourber.
et… de la fragilité des raisonnements médicaux
Il convient de se servir, mais aussi de se méfier, des
en la matière.
schémas explicatifs dominants.
Lorsque le facteur causal est unique, les choses
sont assez simples, mais l’expérience témoigne de Les recherches, médicales et médico-légales, sont
la rareté de ces situations : même les maladies parallèles (c’est-à-dire qu’elles poursuivent, dans
infectieuses, dont la découverte s’inscrit parmi les l’absolu, les mêmes objectifs) et seule leur finalité
grandes découvertes en matière d’étiologie, ont d’utilisation peut être considérée comme diffé­
pu, un temps, apparaître comme exclusivement rente : le médecin, fut-il expert, est toujours à la
liées à l’introduction d’un germe dans l’orga­ recherche d’une connaissance des mécanismes
nisme. De toute évidence, cette introduction du causaux des troubles constatés chez les patients ou
germe reste une condition nécessaire à la surve­ les victimes, ou devrait toujours tenter de l’être.
nue de l’infection, mais elle ne peut plus être Imputabilité, causalité, diagnostic, étiologie sont
considérée aujourd’hui comme étant le seul fac­ des facettes de la même démarche.
teur causal. Il apparaît de plus en plus nettement, Le diagnostic positif repose sur un recueil de
et dans un nombre d’affections de plus en plus symptômes, que ceux-ci soient fonctionnels, phy­
variées, que d’autres facteurs interviennent pour siques, éventuellement paracliniques, puis sur
permettre, ou interdire, l’apparition de troubles. leur regroupement syndromique qui permet le
La part de la pathologie qualifiée d’essentielle, ou plus souvent d’aboutir à un diagnostic précis,
d’idiopathique, s’est certes un peu restreinte, mais entrant dans un cadre nosographique qui – il faut
demeure considérable ; ce type de qualification bien en convenir – garde souvent un caractère
permet simplement d’habiller avec plus ou moins évolutif, parfois un peu flou, sensible à l’évolution
de bonheur, une ignorance absolue de l’origine de des connaissances.
ces pathologies. Cette ignorance est vraisembla­ Le diagnostic étiologique, deuxième étape de cette
blement, pour une part prépondérante, liée à démarche, suppose une connaissance et même
l’existence de facteurs causaux multiples qui ren­ une reconnaissance de mécanismes physiopatho­
dent plus difficile la compréhension des mécanis­ logiques, qui sont souvent simples, mais parfois
mes physiopathologiques, et la possibilité de complexes ou imprécis, voire inconnus. Ce n’est
prévoir une évolution. qu’une fois cette démarche, purement médicale,
La démarche de compréhension et de prévision clairement établie, que le raisonnement médico-
passe, préalablement, par des constatations d’or­ légal pourra s’engager sur des bases solides : l’ob­
dre statistique, elles-mêmes fondées sur l’obser­ jectif médico-légal est de cerner et d’évaluer le
vation. Les schémas traditionnels de la médecine dommage en rapport de causalité avec un fait

375
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

accidentel. La démarche médico-légale ne se limite rédigé précocement, et avec précision. Mais les
donc pas à une évaluation de l’incapacité perma­ radiographies, leur compte-rendu, le dossier hos­
nente partielle (IPP) fondée sur des barèmes, pitalier, le compte rendu opératoire… sont autant
comme le pensent parfois certains médecins non d’éléments qui pourront permettre au médecin
spécialisés, voire quelques experts, mais elle devra expert de situer avec précision les lésions initiales.
prendre en compte successivement l’analyse du Lorsqu’une telle conviction ne peut être acquise –
fait accidentel, du rôle causal de ce fait, du rôle des mais seulement dans ce cas – il est de bonne pra­
autres causes, enfin du dommage imputable. tique médico-légale de solliciter la transmission
L’essentiel de cette analyse sera consacré dans un de ces documents et, le cas échéant, de renoncer à
premier temps, à l’expertise d’évaluation du dom­ conclure en l’absence d’éléments probants.
mage lié à un fait accidentel, situation la plus fré­
quemment concernée en matière de traumatologie.
Dans un second temps, les différences liées à cer­ Le rôle causal du fait traumatique
taines situations particulières (législation sociale,
Une fois le fait traumatique cerné avec suffisam­
pensions militaires, responsabilité des médecins
ment de précision, et les lésions, considérées
et des hôpitaux…) seront plus brièvement
comme en lien avec ce fait accidentel, le rôle de
analysées.
l’expert va être de suivre l’évolution de ces lésions
jusqu’à l’état séquellaire, c’est-à-dire jusqu’au
moment où la pathologie peut être considérée
L’expertise du dommage lié comme stabilisée. L’accolement de l’étiquette
à un fait accidentel « post-traumatique » ne constitue pas en soi un
diagnostic étiologique, mais simplement la recon­
Le fait accidentel et les lésions naissance que la symptomatologie est apparue
initiales après un accident. Cette concordance de temps va
imposer à l’expert de s’interroger sur les mécanis­
Il n’appartient certes pas au médecin, fut-il expert, mes physiopathologiques, qui ne sont pas toujours
de se prononcer sur les faits, et encore moins d’in­ aisément identifiables, afin d’engager sa démarche
vestiguer dans ce domaine. Néanmoins, dans la diagnostique (diagnostic positif et diagnostic
pratique courante, le médecin expert aura, par­ étiologique). La concordance de temps ne suffit
fois, à s’immiscer dans ce domaine, tout particu­ donc pas à établir la preuve d’un rôle causal de
lièrement lorsque les lésions alléguées, ou l’accident, mais oblige à s’interroger sur un éven­
constatées, au stade initial paraissent difficilement tuel rôle causal. Dans tous les cas où les mécanis­
compatibles avec le mécanisme accidentel évoqué, mes physiopathologiques ne sont pas aisément
soit que ces lésions résultent d’une origine non identifiables, c’est autour d’un consensus médical,
traumatique, soit qu’elles puissent difficilement lorsqu’il existe, que le lien de cause à effet peut
s’expliquer par le mécanisme invoqué. C’est donc être analysé.
davantage sur la vraisemblance des allégations ou Les études statistiques permettent, dans ces cas,
constatations que le médecin expert sera inter­ de contribuer à une meilleure connaissance des
rogé, soit de façon explicite (les blessures sont- mécanismes physiopathologiques, à terme, mais
elles compatibles avec le port de la ceinture de aussi d’apporter des éléments de réponse, en étu­
sécurité, interrogation sur le rôle respectif de deux diant notamment la prévalence, c’est-à-dire la
accidents successifs…), soit le plus souvent de ­fréquence de survenue dans une population trau­
façon implicite, la réponse à cette question étant matisée, par référence à une population dite
sollicitée par une question d’ordre plus général témoin. C’est une démarche constante, depuis
qui est de préciser les lésions en rapport direct et Claude Bernard, de fonder cette démarche sur
certain avec les suites de l’accident. l’observation et l’organisation rationnelle de ces
La nature des lésions initiales doit être attestée par observations. La pathologie la plus fréquemment
la victime. La preuve peut être apportée par tous indemnisée, en matière d’accident de la circu­
les moyens envisageables : le certificat initial reste lation, est constituée par les syndromes dits sub­
le document essentiel de preuve, surtout s’il est jectifs ou post-commotionnels des traumatisés

376
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

crâniens ou des traumatisés du rachis cervical. Néanmoins, dans de nombreux cas, la situation
Cette pathologie représente près d’un blessé est plus simple, et la fracture du tiers moyen de la
indemnisé sur cinq, et soulève des problèmes de diaphyse du tibia est bien en rapport avec un fait
principe particulièrement intéressants : cette accidentel, clairement défini, et sans qu’aucune
symptomatologie, décrite dès la fin du siècle der­ ambiguïté n’existe. Il s’agit de l’ensemble des cas
nier, associe des céphalées ou des cervicalgies, où la lésion s’explique aisément par le mécanisme
dont aucun signe particulier ne peut être retenu, traumatique, où l’évolution de cette lésion se fait,
des sensations vertigineuses, des troubles mineurs avec l’aide des soins, vers des séquelles statistique­
de l’attention et de la mémoire, des troubles légers ment attendues, et sans qu’aucune cause exté­
du sommeil et de la libido… L’ensemble de ces rieure ne soit suspecte d’avoir modifié l’évolution
signes a la particularité de pouvoir être difficile­ des lésions initiales.
ment objectivé, même par un examen minutieux, Le lien de causalité peut alors être considéré
et d’avoir trouvé une multiplicité d’explications comme certain, direct et total. Dans l’ensemble de
étiopathogéniques qui témoignent essentielle­ ces cas, le rôle causal de l’accident est bien déter­
ment de l’absence de mise en évidence d’un méca­ miné, et les conséquences du fait traumatique sont
nisme univoque. Un intéressant mémoire, établi clairement identifiées. Dans tous les autres cas, le
dans le cadre du diplôme de réparation juridique lien de causalité devra être soigneusement analysé
du dommage corporel auprès des facultés de avant toute conclusion.
Rennes et Angers, s’intitule : Le syndrome post-
Le lien peut en effet être certain ou hypothétique.
commotionnel est-il bien celui des traumatisés crâ-
Les médecins, notamment experts, ont facilement
nio-cervicaux ? Le docteur Lamer a interrogé
tendance à considérer que la certitude est quelque
plusieurs populations sur l’existence des différents
chose d’absolu. Les thérapeutes savent davantage,
symptômes évoqués. La recherche a concerné un
surtout en situation d’urgence, que s’il fallait
peu plus de 500 personnes, certaines étant vues
attendre d’obtenir une certitude pour engager une
pour une expertise à la suite d’un traumatisme
action, elle interviendrait souvent tardivement.
crânio-cervical bénin, ou à la suite d’un autre
Ne faut-il pas considérer que le médecin expert
traumatisme, lors de consultations de médecine
doit se rapprocher de la démarche du praticien :
générale, ou de médecine du travail, et enfin en
s’il était prêt à engager une action thérapeutique
dehors de tout contexte médical. Aucune diffé­
sur le fondement de sa conviction médicale, même
rence statistiquement significative n’est trouvée
si cette hypothèse n’est pas scientifiquement et
entre ces différentes populations, ni dans la fré­
rigoureusement démontrée, il peut considérer que
quence de survenue des symptômes ni dans leur
le lien de causalité présente un caractère quasi
association. Il apparaît même que ce sont chez
certain. En revanche, dans tous les autres cas où
les traumatisés cervicaux que les signes sont à la
cette conviction ne peut être acquise, soit qu’une
fois les moins fréquents et les moins intenses…
autre cause puisse apparaître plus vraisemblable,
Il apparaît donc que la fréquence de cette sympto­
soit qu’aucun rôle causal de l’accident ne puisse
matologie n’est manifestement pas influencée par
être retenu, sur la base des connaissances médica­
la survenue d’une contusion bénigne du crâne ou
les actuelles, le doute de l’expert doit clairement et
du rachis cervical. Il est tout à fait étonnant que
nettement s’exprimer. Il ne lui appartient pas de se
cette pathologie, extrêmement fréquente en répa­
substituer au juriste, mais de l’éclairer en préci­
ration du dommage corporel, n’ait pas donné lieu
sant si le lien est certain, exclu, ou hypothétique,
à des études plus approfondies, et que sous des
auquel cas il devra préciser à la fois les raisons de
dénominations diverses (syndrome de Barré-
ce caractère hypothétique, et le degré de vraisem­
Liéou, syndrome subjectif de Pierre-Marie, syn­
blance qu’il accorde à cette hypothèse. Il aura par
drome posttraumatique des traumatisés crâniens,
ailleurs à analyser le dommage en tenant compte
syndrome postcommotionnel…), le rôle causal de
des différentes hypothèses envisageables.
l’accident initial n’ait jamais été réellement étudié.
En l’état actuel de nos connaissances, le lien de Le lien peut être direct ou indirect. Cet élément de
causalité est souvent établi sur le poids d’une l’analyse du lien de causalité soulève de réelles dif­
­tradition qui ne trouve pas de réelle légitimité ficultés, et dérive sans doute davantage de don­
scientifique. nées juridiques que réellement médicales. Cette

377
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

notion est fréquemment évoquée dans l’exposé qu’un état intercurrent soulèvera les mêmes
des différentes théories de la causalité juridique, difficultés.
mais s’avère en général assez peu opérante, car elle L’existence d’un tel état, antérieur ou intercur­
s’intrique fréquemment avec les autres qualifica­ rent, contemporain du fait causal initial, rend plus
tions du lien de causalité (certain ou hypothéti­ complexe l’analyse du dommage imputable : en
que, total ou partiel). effet, le dommage va pouvoir résulter d’une part
Ainsi, le décès, imputable aux suites d’une embo­ de cette pathologie, et d’autre part du fait acciden­
lie pulmonaire, chez un sujet ayant eu une phlé­ tel. Cette situation va imposer de comparer deux
bite, elle-même survenant après un décubitus de évolutions :
quelques jours et sur une jambe plâtrée, apparaît • l’évolution telle qu’elle s’est réalisée, résultant de
bien comme une conséquence tout à fait indirecte l’interaction de la pathologie présentée par le
de la fracture de jambe initiale. Néanmoins, le sujet, et des causes étrangères ;
rôle causal de l’accident dans la survenue de la • l’évolution telle qu’elle se serait produite si ce
fracture de jambe, puis de la phlébite, puis de fait causal n’était pas intervenu : il ne peut s’agir
l’embolie pulmonaire, puis du décès, apparaît ici que de supputations, puisque, par définition,
bien, pour peu que des délais brefs soient consta­ cette évolution ne s’est pas produite, du fait de
tés, et qu’aucune autre cause extérieure au fait ini­ l’accident. Cette supposition de l’évolution, telle
tial ne soit rapportée, comme parfaitement établi. qu’elle se serait produite si l’accident n’avait pas
Dans la pratique, le lien peut être considéré eu lieu, est pourtant indispensable pour l’ana­
comme direct lorsqu’il n’y a pas de rupture de la lyse du dommage imputable, puisque ce dom­
chaîne causale. mage va résulter de la différence entre l’évolution
À l’opposé, la constatation d’un syndrome dépres­ telle qu’elle se serait produite sans l’accident, et
sif dans les suites immédiates de la même frac­ l’évolution objectivement constatée du fait de
ture de jambe ne pourra pas davantage être cet accident.
qualifié comme étant en lien de causalité directe
Lorsque l’état antérieur est particulièrement
avec les suites de l’accident. Le rôle causal de l’ac­
bénin, de pronostic constamment favorable, sans
cident ne pourra être recherché que par la mise
séquelle, le problème est relativement simple : le
en évidence du mécanisme causal, et du caractère
dommage imputable correspond à l’ensemble des
certain ou hypothétique, total ou partiel qui sera
troubles présentés par le patient, et seuls les préju­
retenu.
dices temporaires (notamment l’incapacité tem­
Le lien peut être total ou partiel. Cet élément est poraire, et les souffrances endurées) soulèvent
fondamental dans l’analyse du lien de causalité, et une discussion, habituellement relativement aisée
impose de rechercher les autres causes suscepti­ pour un médecin expert.
bles d’avoir participé à la création du dommage.
La situation est assez différente en fonction de la
En résumé, l’élément essentiel repose sur la défi­ nature de cet état, antérieur ou intercurrent.
nition du rôle causal de l’accident dans la surve­
nue du dommage qui peut s’établir soit par une
bonne connaissance des mécanismes étiopatho­
La prédisposition
géniques de la survenue des séquelles ; soit, en Toutes les ambiguïtés peuvent être rencontrées
l’absence d’une telle connaissance, sur le fonde­ autour de ce terme, fréquemment utilisé par la
ment d’études statistiquement significatives per­ jurisprudence, et qui ne recouvre pas toujours des
mettant d’établir que les séquelles ont une connotations médicales précises. La prédisposi­
probabilité suffisamment importante d’être d’ori­ tion peut être considérée comme une augmenta­
gine traumatique. tion du risque statistique de présenter telle ou telle
pathologie. Elle est assez souvent difficile à distin­
Les autres causes du dommage guer de l’état antérieur latent, beaucoup plus fré­
quemment rencontré : ainsi en est-il de l’arthrose
Il est habituel d’évoquer la notion d’état antérieur, cervicale découverte lors des radiographies initia­
qui apparaît cependant comme une notion relati­ les, après une contusion bénigne ; sur les clichés
vement floue et limitative, car il est bien évident radiologiques, il n’est pas constaté de lésion d’ori­

378
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

gine traumatique, mais une arthrose, ignorée du et si ce n’est total, prépondérant. De même, un
patient, qui n’avait jamais consulté pour une telle traumatisme peut être à l’origine d’une hémorra­
pathologie, et dit n’en avoir jamais souffert. Cette gie dans un tissu tumoral, par exemple au niveau
situation est, en dehors de tout phénomène trau­ cérébral ou médullaire : en l’absence de tumeur, le
matique, relativement banale, et dès la quaran­ choc n’aurait sans doute pas été d’une force suffi­
taine, voire avant, les images radiologiques de sante pour occasionner une hémorragie médul­
cervicarthrose sont fréquentes, alors que, en toute laire ou cérébrale, et il est souvent difficile de se
bonne foi et en dehors de tout contexte de reven­ prononcer sur le devenir de ce type de tumeurs
dication, les patients attestent n’avoir jamais souf­ qui peuvent rester longtemps, voire toujours, sans
fert de ces signes radiologiques d’arthrose. occasionner de troubles neurologiques. Ceci est
Lorsque la contusion cervicale a été réelle, et est d’autant plus préoccupant qu’il est fréquent que
attestée par des constatations médicales objecti­ les troubles neurologiques ne rétrocèdent que tout
ves, il convient d’analyser les conséquences res­ à fait partiellement.
pectives du fait traumatique, et de l’évolution
attendue de cette cervicarthrose, mais aussi de L’état antérieur ou intercurrent
distinguer les signes qui peuvent manifestement connu
être en rapport avec l’un et l’autre : ainsi la consta­
tation, dans les suites rapides d’un accident, d’une L’analyse va être relativement différente, suivant que
raideur du rachis, pourra plus volontiers être cet état antérieur pouvant être considéré comme
attribuée à la cervicarthrose qu’au fait traumati­ stabilisé, ou qu’il gardait un caractère évolutif.
que (en dehors de la phase aiguë où cette raideur L’état antérieur stabilisé, le patient avait un rac­
peut correspondre à des contractures musculai­ courcissement d’un membre inférieur de 3 cm, et à
res), alors que l’activation ou l’aggravation des la suite de sa fracture déplacée, d’origine acciden­
phénomènes douloureux devra être analysée en telle, le raccourcissement atteint cette fois 5 cm, ou
fonction d’un interrogatoire bien mené et d’une est réduit à 1 cm… Le rôle respectif de l’état anté­
analyse minutieuse du contexte. rieur, connu, stabilisé et bien cerné, et celui de l’ac­
Les données cliniques subjectives font partie de cident sont relativement faciles à cerner.
l’arsenal diagnostique du médecin, et le diagnos­ De même, la fracture du col du fémur de la femme
tic d’infarctus du myocarde repose encore parfois âgée, ayant une ostéoporose marquée, mais banale,
sur de telles données subjectives. survenant à la suite d’un accident (par exemple
Il ne suffit donc pas de constater un état antérieur chute de sa hauteur) pourrait être considérée
pour conclure que le fait accidentel ne joue pas de comme en lien avec l’accident, dans la mesure où
rôle causal dans la survenue de la symptomatolo­ l’état antérieur ne pouvait pas laisser supposer la
gie. La constatation d’un tel état antérieur, non survenue d’une telle fracture spontanée.
connu du patient, va imposer de rechercher le rôle Le problème est sans doute un peu plus difficile
causal respectif du fait accidentel et de cet état pour des tassements vertébraux, survenant chez la
antérieur. même personne âgée ou ostéoporotique, et la
Ainsi, un traumatisme relativement modéré du résolution du problème repose sur l’analyse fine
rachis cervical peut occasionner une tétraplégie des clichés radiologiques notamment, mais aussi
chez un patient ayant un canal cervical étroit : il de l’histoire clinique, afin de distinguer un tasse­
est souvent difficile de se prononcer sur les pers­ ment spontané et ancien d’un tassement trauma­
pectives évolutives de ce type de rétrécissement tique récent.
du canal médullaire au niveau cervical, qui peut L’état antérieur ou intercurrent évolutif, l’évoluti­
être constitutionnel et relativement stable, mais vité de l’état antérieur peut revêtir différents
qui peut être arthrosique et évolutif, selon une aspects : il peut s’agir d’une évolution progressive­
courbe qu’il est difficile de préciser. Lorsqu’aucun ment et continuellement défavorable, avec des
signe préalable d’irritation médullaire n’a été pronostics extrêmement convergents, une vitesse
constaté, et lorsque l’accident est suivi immédiate­ évolutive bien connue. Ceci est relativement rare,
ment de l’apparition des troubles neurologiques, et il s’agit beaucoup plus fréquemment de pro­
le lien de causalité apparaît comme certain, direct nostics hétérogènes, ouverts, qui peuvent faire

379
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

e­ nvisager des évolutions très différentes, sans qu’il Il est bien évident qu’un état antérieur, ou inter­
soit possible d’apporter un éclairage autre que current, qui n’a rigoureusement aucune espèce
probabiliste, dans le meilleur des cas, notamment d’incidence sur l’évolution des conséquences du
lorsque les évolutions sont suivies par des études fait accidentel, ne devra même pas être évoqué par
sériées suffisamment probantes. l’expert, puisqu’une telle révélation correspon­
drait à une violation du secret médical, cette
information sortant du strict cadre de la mission
Le dommage
confiée à l’expert. La limite est cependant parfois
L’évaluation du dommage ne soulève de difficulté délicate à situer, car, en l’absence même de rôle
spécifique que lorsque le lien de causalité n’est pas causal, il peut y avoir des intrications avec l’évolu­
établi avec certitude, ou lorsqu’une autre cause tion des conséquences du fait accidentel.
interfère avec les conséquences du fait accidentel. Il est habituel de considérer que lorsque l’état
Lorsque le lien de causalité n’est pas établi avec antérieur concerne une fonction distincte de
certitude, c’est-à-dire lorsqu’il est hypothétique, celle lésée par le fait accidentel, il n’en sera pas
ou indirect, il est sans doute raisonnable de la part tenu compte. Ainsi, une raideur du poignet droit
de l’expert, d’informer du doute qui persiste dans ou une amputation de la main droite seront éva­
son esprit, et des conséquences éventuelles de ce luées par un même taux d’IPP, que le sujet soit
doute. La présentation de plusieurs hypothèses paraplégique ou non : le taux de l’incapacité per­
(souvent deux hypothèses distinctes) est sans manente partielle sera considéré comme le
doute le meilleur moyen d’informer le mandant même. Pourtant, cette amputation du poignet
qui, en fonction des règles juridiques, pourra rete­ droit pourra avoir, chez un paraplégique, des
nir le dommage indemnisable. conséquences beaucoup plus lourdes que chez un
sujet qui ne l’est pas : l’autonomie en fauteuil
Il arrive parfois également que le fait accidentel
roulant sera par exemple particulièrement per­
survienne alors qu’une autre pathologie évolue, et
turbée, imposant le changement de fauteuil rou­
qu’elle interfère. Ainsi, tel blessé est victime d’un
lant, et limitant, le cas échéant, l’autonomie.
accident alors qu’il est en arrêt de travail pour une
Cette réduction de l’autonomie, ou ce change­
autre pathologie qui aurait justifié un arrêt de tra­
ment de fauteuil roulant seront bien la consé­
vail se prolongeant au-delà de la date de l’accident.
quence du fait accidentel, car elle ne se serait pas
Il apparaît raisonnable d’informer son mandant
produite en son absence. L’état antérieur (en l’oc­
de la durée prévisible de l’arrêt de travail pour la
currence la paraplégie) a donc bien une incidence
pathologie antérieure, mais également de celle qui
sur un dommage concernant une fonction tota­
aurait été attendue, en l’absence de pathologie
lement différente de celle lésée.
intercurrente, pour les suites accidentelles, en pré­
cisant s’il y a eu interférence de l’une sur l’autre. Si l’expert a un doute sur l’interprétation juridi­
que qui peut être tirée de ses propres constata­
Le dommage peut également être un risque, et
tions, il paraît prudent qu’il fasse part de la
présenter de ce fait un caractère hypothétique et
manière la plus explicite de ces observations et des
futur. Ainsi, le risque d’une fréquence plus élevée
explications médicales qu’il peut en tirer, en se
de pathologies infectieuses pulmonaires dans les
gardant bien de s’immiscer dans la solution juri­
suites d’une splénectomie est mis en évidence par
dique de la question.
de nombreuses études sans qu’il soit possible de
dire si le blessé, examiné par l’expert, et qui a été
splénectomisé, présentera, effectivement ou non,
des infections pulmonaires de façon plus fré­
quente qu’une population de référence. Ce risque
Les situations particulières
est parfois intégré dans un taux d’incapacité per­ La législation sociale
manente partielle (qui apparaît comme une des
rares justifications du maintien d’un taux d’IPP La notion médicale d’imputabilité trouve vrai­
au cours des splénectomies) sans qu’il soit certain semblablement sa source à la naissance de ce
que cette façon de procéder soit bien conforme a régime, et notamment les critères de Cordonnier
la définition de ce poste de préjudice. et Muller ont été élaborés, vers 1925, dans ce cadre

380
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

de la législation naissante en matière d’accident Les maladies professionnelles


du travail et de maladie professionnelle.
Il s’agit d’un domaine que l’on pourrait qualifier
d’imputabilité réglementée puisque les tableaux
L’accident du travail de maladies professionnelles, un peu différents
Dans cette réglementation particulière, le prin­ dans le régime général et dans certains régimes
cipe concernant l’imputabilité est simple, et peut particuliers tels que le régime agricole, établissent
se résumer dans la formule classique de la pré- la liste des pathologies indemnisables et les condi­
somption d’origine : « Toute lésion survenue sur le tions strictes de prise en charge, tant en ce qui
lieu et au temps du travail est réputée prise en concerne les professions exposées que les délais
charge au titre de la législation accident du travail, d’exposition ou de survenue ; ce cadre rigide laisse
sauf preuve contraire. » donc assez peu de place aux interprétations
médico-légales.
Cette libéralité générale a pour contrepartie
d’aboutir à une indemnisation forfaitaire (avec
prise en charge partielle des indemnités journa­ Les pensions militaires
lières et de la rente d’incapacité permanente) et
incomplète, puisqu’elle exclut la réparation des Dans ce domaine très particulier, il convient de
préjudices personnels. distinguer essentiellement le temps de guerre et
les périodes dites hors-guerre.
Cette présomption d’origine a cependant un cer­
tain nombre de limites, notamment administrati­ Dans le temps de guerre, ou les périodes assimi­
ves : la notion de faute inexcusable de l’employé, lées, l’imputabilité bénéficie d’une présomption
les problèmes d’ouverture des droits, de non- d’origine assez proche de celle de la législation des
rétroactivité des décisions mettant fin aux presta­ accidents du travail, imputabilité qui ne peut être
tions, les possibilités de révision en cas de récusée que par établissement de la preuve
modification de l’état séquellaire, y compris en contraire. Par contre, pour les périodes hors-
amélioration. Elle trouve également des limites guerre, la preuve de la relation directe et effective
médico-légales, et le principe de présomption avec un fait de service est rendue nécessaire pour
d’origine n’exclut pas la recherche d’une relation que l’imputabilité et la prise en charge soient
de cause à effet entre l’accident et les séquelles à retenues.
prendre en compte.
Contrairement au droit commun, l’établissement Les assurances de personnes
d’une relation de cause à effet hypothétique, indi­
recte ou partielle aboutira si ce n’est à la recon­ Le dommage est déterminé par le contrat qui
naissance d’un lien de causalité, en tout cas à une fait la loi des parties (assurés et assureurs) ; le
indemnisation ; il faudra qu’un événement exté­ contrat a une influence capitale sur l’analyse
rieur soit à l’origine certaine, directe et totale du médico-légale.
dommage pour pouvoir récuser cette imputabilité Le raisonnement médical demeure toutefois
en apportant ce qu’il est convenu d’appeler la identique, les règles du jeu étant modifiées en
preuve contraire. Cela ne signifie pas pour autant fonction du contexte : par exemple en matière
que les conséquences d’un état antérieur ou inter­ d’assurance accident, l’avis du médecin peut être
current doivent être prises en charge au titre de sollicité en ce qui concerne la nature accidentelle
l’accident du travail, dans la mesure où ses consé­ du fait générateur, mais son rôle demeure limité ;
quences peuvent en être distinguées. il ne concerne jamais la matérialité du fait acci­
Ce principe étant posé, il convient d’évoquer l’ex­ dentel, mais la cohérence qui peut exister entre le
ception essentielle qui est la survenue d’un dom­ mécanisme invoqué et les séquelles ou les lésions
mage dans un délai relativement éloigné de constatées.
l’accident. Il y a alors renversement du fardeau de Il peut l’être également dans l’interprétation des
la preuve imposant à l’accidenté du travail d’ap­ exclusions, dont la définition n’est malheureuse­
porter, comme en droit commun, la preuve d’une ment pas toujours extrêmement précise, tout au
relation de cause à effet. moins dans l’esprit d’un médecin.

381
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

En matière d’assurance invalidité ou maladie, de la pratique expertale sont quelque peu modifiés
l’analyse des séquelles en rapport avec un état par référence à la pratique habituelle, essentielle­
antérieur à la souscription (qu’on appelle habi­ ment consacrée aux suites d’accidents de la circu­
tuellement l’antériorité) ou en rapport avec des lation. En effet, dans les accidents de la circulation,
exclusions contractuelles, implique une démarche le lien de cause à effet recherché se situe entre le
intellectuelle proche du raisonnement d’imputa­ fait accidentel, les lésions initiales et le dommage.
bilité en droit commun, fondée essentiellement La notion de faute est alors analysée par les juris­
sur la recherche d’un diagnostic rigoureux. tes, hors du champ de notre intervention. Or, en
En matière d’assurance décès, l’imputabilité d’un matière de responsabilité civile des médecins, le
décès à un accident ou la preuve que ce décès n’est juriste a besoin de notre avis pour qualifier la
pas en rapport avec une exclusion contractuelle faute, pour la cerner. Il s’agit donc d’une différence
est souvent gênée par les difficultés d’accès au dos­ fondamentale : le lien de cause à effet ne doit pas
sier, difficultés légitimes fondées sur le secret être recherché, par l’expert, entre un acte médical
médical. La rencontre avec l’entourage du défunt et un dommage (même si cela est trop souvent
qui, lui, n’est pas lié au secret, est souvent une évoqué, y compris dans les missions), mais bien
façon élégante d’obtenir des renseignements tout entre une faute et un dommage. Certaines évolu­
à fait précis sur les causes du décès et de résoudre tions jurisprudentielles, notamment des juridic­
ainsi un certain nombre de problèmes. tions administratives, font évoquer des notions
d’indemnisation pour risque, ou d’indemnisation
Les dispositions des lois du 17 juillet 1978 et
de la perte de chance, mais le rôle du médecin
31  juillet 1991, et des décrets des 7 mars 1974,
expert doit demeurer strictement technique, en
11 juillet 1979 et 30 mars 1992, permettaient déjà
apportant à son mandant une analyse motivée et
la transmission du dossier d’hospitalisation (publi­
documentée, permettant à ce dernier de compren­
que ou privée) au médecin désigné par les ayants
dre le déroulement des faits, et les données acqui­
droit. La loi du 4 mars 2002 permet aujourd’hui la
ses de la Science.
transmission de l’entier dossier médical (hospita­
lier public ou privé, libéral…) directement au La spécificité de l’expertise en responsabilité
patient ou ses ayants-droit en cas de décès. médicale résulte sans doute de la fréquence avec
laquelle un état antérieur, facteur causal complé­
mentaire, est constaté : en effet, lors de la mise en
Le fonds d’indemnisation cause de la responsabilité d’un médecin, ou d’un
des victimes du sida service hospitalier, il est assez fréquent que le
patient, qui est venu consulter, souffre d’une
Les questions d’imputabilité médicale sont rédui­
pathologie évolutive.
tes à leur plus simple expression, puisque l’indem­
nisation est versée sous réserve que la preuve de la L’existence d’un tel état, antérieur, ou d’ailleurs
transfusion et de la séropositivité soit établie, sans d’un état intercurrent, contemporain du fait cau­
que le lien de causalité entre l’une et l’autre n’ait à sal initial, rend plus complexe l’analyse du dom­
être recherché. mage imputable : en effet, le dommage va pouvoir
résulter d’une part de la pathologie évolutive jus­
tifiant les soins, et d’autre part de l’éventuelle
La responsabilité des médecins faute.
ou des hôpitaux
Comme cela a déjà été évoqué d’une manière
Dans ce domaine, les problèmes d’imputabilité générale, cette situation va imposer de comparer
sont un peu différents, et parfois mal cernés par deux évolutions :
certains médecins experts pour qui ce n’est pas, le • l’évolution telle qu’elle s’est réalisée, résultant de
plus souvent, une activité habituelle. l’interaction de la pathologie présentée par le
Si la responsabilité reste fondée, dans ce domaine, sujet, et du fait causal étranger, en l’occurrence
dans la majorité des cas, sur l’analyse du triptyque la faute médicale ;
classique : la faute, le dommage, et le lien de cause • l’évolution telle qu’elle se serait produite si ce
à effet entre la faute et le dommage, des éléments fait causal n’était pas intervenu : il ne peut s’agir

382
Chapitre 8. L’évaluation médicale du dommage corporel et de ses conséquences

ici que de supputations, puisque, par définition, intimement mêlées, et ne peuvent se distinguer
cette évolution ne s’est pas produite du fait de la que sur le fondement d’approches statistiques, et
faute. Cette supposition de l’évolution, telle d’un regard expert. Ceci est particulièrement vrai
qu’elle se serait produite si la faute n’était pas pour les fautes par omission, négligence, ou défaut
intervenue, est pourtant indispensable pour de précaution, mais aussi dans tous les cas d’ina­
l’analyse du dommage imputable à la faute, daptation du geste.
puisque ce dommage va résulter de la différence À titre d’exemple, une fracture de pronostic assez
entre l’évolution telle qu’elle se serait produite sérieux (fracture articulaire chez un sujet de la
sans faute, et l’évolution objectivement consta­ cinquantaine, par exemple) est traitée de façon
tée du fait de la faute. manifestement fautive. Les séquelles qui résul­
Lorsque la pathologie évolutive est particu­ tent de la fracture et du traitement fautif sont
lièrement bénigne, ou inexistante, de pronostic connues et peuvent être évaluées. Mais le dom­
constamment favorable, sans séquelle, le problème mage imputable à la faute ne correspond pas à
est relativement simple : le dommage imputable l’ensemble de ces séquelles. Il conviendrait d’en
correspond à l’ensemble des troubles présentés soustraire les séquelles qui auraient vraisembla­
par le patient, et l’évaluation est habituellement blement persisté en l’absence de faute. Seule l’ex­
aisée. périence de l’expert, aidée éventuellement par
des analyses statistiques de grande ampleur, est
Par contre, l’évolution de cet état antérieur peut
de nature à apporter une ébauche de réponse,
être incertaine lorsque le diagnostic précis de
sous réserve, toutefois, que la question soit bien
l’état antérieur n’a pu être porté avec certitude
posée.
(l’acte médical et/ou la faute ayant infléchi l’évo­
lution, et de ce fait empêché de préciser le dia­ L’analyse du lien de causalité est une préoccupa­
gnostic initial). tion fondamentale des juristes et des médecins,
qui partagent en outre la grandeur et le souci quo­
Du fait de pronostics extrêmement différents, en
tidiens de tenter d’appliquer leurs théories de la
fonction du contexte, et des thérapeutiques entre­
causalité à un objet vivant, humain… tout en
prises, certaines pathologies peuvent avoir, à un
n’étant eux-mêmes que des hommes !
moment donné, des évolutions très différentes,
soit sous l’effet des thérapeutiques, soit spontané­ Le médecin expert à l’avantage de n’être qu’un
ment et sans qu’il soit possible d’apporter un auxiliaire du juriste, à qui il revient de dire ce qui
éclairage autre que probabiliste dans le meilleur est juste. Le médecin expert a pour mission de
des cas. Il ne peut s’agir que d’une probabilité dire ce qui est vrai, mais lorsqu’il ne le sait pas, il
d’être arrivé à un résultat différent de celui lui est sans doute difficile, mais plus honnête et
constaté, par rapport à tous ceux auxquels on plus conforme à la mission qui lui est confiée, de
aurait pu s’attendre. préciser les exactes limites de sa réelle connais­
sance : « Je ne sais pas vraiment pourquoi votre
Le dommage imputable à la faute est, de ce fait,
fille est muette… »
beaucoup plus souvent qu’il n’y paraît, une perte
de chance d’avoir évolué plus favorablement.
Bibliographie
L’une des erreurs expertales les plus fréquentes
est la confusion entre les conséquences de la faute, [1] Imputabilité et causalité. Colloque de la FFAMCSA, La
et celles de l’acte, médical ou chirurgical, prati­ Baule, 1990. Revue Française du Dommage Corporel,
qué. Cette confusion se rencontre dans les rap­ Baillière, 1991 ; 17–2 ; 105–166.
ports d’expertise, mais également parfois dans les [2] Jourdain P. Droit à réparation. Lien de causalité, fasci­
missions. cules 160 et 161. Juris-Classeur, 1993.
[3] Lambert-Faivre Y. Droit du dommage corporel.
Lorsque la faute occasionne un dommage spécifi­ Dalloz, « Droit usuel », Paris, 1993.
que, bien distinct de l’état antérieur le dommage
[4] Molière. Le médecin malgré lui.
est facile à cerner, puis à évaluer.
[5] Rogier A. Dommage corporel. Éléments médico-
Dans les autres cas, nombreux, les conséquences légaux à l’usage du juriste et du médecin. Eska, Paris,
de la pathologie évolutive, et celles de la faute, sont 1999.

383
Quelques domaines Chapitre  9
particuliers de dommage
corporel
Séquelles neuropsychologiques
des traumatismes crâniens
C. Maria

L’évaluation médicale des séquelles de trauma- gravissimes, ceux de gravité moyenne à sévère et
tisme crânien s’est enrichie de nombreuses étu- les légers.
des ces dernières années et la prise en charge Dans la plupart des cas, il existe une corrélation
médico-sociale a fait l’objet d’attentions particu- entre l’importance des atteintes anatomiques, à
lières. Le développement de centres d’accueil distance du choc traumatique et la sévérité des
pour les états neuro-végétatifs, qui permet de séquelles neuropsychologiques persistantes. Ainsi,
libérer les services de neurochirurgie d’une part la présence de microlésions neuronales, (ruptures,
et l’implantation des UEROS (unités d’évalua- étirements), peut induire des suppressions de cir-
tion, et réentraînement et d’orientation sociale et cuits intercentraux, bloquant ou ralentissant la
professionnelle) d’autre part qui s’attachent à transmission de l’information, ou la restitution
observer en situation, analyser puis évaluer les du souvenir.
besoins des personnes lésées, après leurs sorties
Mais un autre critère important est celui de la
de coma, afin de les orienter au mieux dans leurs
nature du coma (Glasgow coma scale), de son
nouvelles vies, sont en phase de modifier les sché-
intensité, de sa durée. Malgré l’existence de cas
mas habituels d’appréciation de la réparation. En
rarissimes, dans la littérature mondiale, de sor-
effet, si la démarche d’évaluation du préjudice
ties de comas chez des sujets en état végétatif
extra-patrimonial demeure identique, il n’en est
depuis plusieurs années [1, 2], il apparaît qu’un
pas de même pour le patrimonial, particulière-
délai raisonnable de deux années est nécessaire et
ment en ce qui concerne le retentissement profes-
suffisant pour admettre que l’évaluation est
sionnel mais aussi les frais médicaux et les frais
possible.
futurs. On en mesure l’importance lorsqu’un
organisme social (CPAM, RAM, Mines, assuran-
ces privées, etc.) est intervenant en tant que par-
tie, d’autant que la population des traumatisés Traumatismes crâniens
crâniens est constituée pour 50 à 60 % de sujets gravissimes
de moins de quinze ans, c’est dire secondaire-
ment au drame humain l’effort économique La mission d’expertise du traumatisé crânien
rendu nécessaire dans la durée. Il faudra donc gravissime apparaît relativement simple,
s’attacher à bien décrire ce qui est directement du puisqu’elle concerne des blessés qui, de toute
ressort de la réparation du dommage de ce qui ne manière, ne pourront plus jamais reprendre leur
l’est pas. travail, du fait des atteintes sévères et parfois
Ainsi, le médecin expert se trouve confronté à même, perte des fonctions intellectuelles, asso-
trois catégories de sujets : les traumatisés crâniens ciées dans la plupart des cas, à des troubles

385
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

moteurs extrêmement importants. La tâche de nimation hospitaliers, alors même qu’il n’avait
l’expert consistera donc à établir la réalité des jamais eu de crise comitiale de quelque forme que
lésions, certes, mais surtout à situer le blessé dans ce soit depuis l’accident, et sans autre cause pos-
le contexte social le plus adapté à son cas, avec sible immédiate trouvée.
toutes les conséquences en soins et en coût que Afin de ne pas nous répéter, nous n’évoquerons
cela implique. pas le détail des déficits neuropsychologiques qui
C’est ainsi qu’un maintien à domicile avec tierce seront développés ci-après.
personne ne produira pas les mêmes dépenses
pour la société, qu’un séjour en foyer pour grands
handicapés moteurs, voire un centre de rééduca-
tion spécialisé et parfois même une maison d’ac-
Traumatismes crâniens modérés
cueil spécialisée (M.A.S.), laquelle est rarement à sévères
adaptée au vécu de ces personnes qui ne compren-
nent pas, malgré leurs problèmes cognitifs majeurs Il est impossible d’être exhaustif dans le sujet qui
et quelquefois de comportement, qu’ils soient assi- nous préoccupe et nous renvoyons le lecteur dési-
milés à des êtres atteints de déficience mentale rant approfondir un point particulier à la biblio-
profonde. graphie en fin de chapitre. Cependant, il faut avoir
à l’esprit des notions claires : un traumatisme du
Sachant que les cas évoqués se situent donc dans cortex induit, selon sa localisation, une série de
une tranche d’incapacité permanente partielle conséquences anatomo-cliniques dont le résultat
allant de 70 à 99 %, la distinction se fera sur des observable peut s’analyser en quatre catégories
points particuliers tels que la possibilité de principales : le syndrome frontal, le syndrome
marcher, d’être assis, de conduire un fauteuil pariétal, le syndrome temporal, le syndrome
roulant électrique, l’importance et l’étendue de occipital.
ou des incontinences, l’existence de troubles
associés : Il est bien évident qu’en réalité, on peut rencontrer
une intrication des différents syndromes. On peut
• épilepsie ; aussi découvrir des anomalies de fonction com-
• troubles du comportement (syndromes défici- munes à deux syndromes différents (par exemple  :
taires, productifs, affectifs, addictifs, les stress, des atteintes de la mémoire d’origine frontale ou
etc.) ; temporale, voire les deux).
• troubles de la déglutition… Les syndromes frontal ou fronto-pariétal sont le
plus fréquemment observés dans les séquelles de
Concernant l’épilepsie, on s’est aperçu que les
traumatismes crâniens par accident de la route,
lésions épileptogènes après traumatisme crânien
soit par choc direct, soit par effet de décélération
étaient pour la plupart induites par des plaies
brutale. On peut voir des syndromes temporaux,
pénétrantes, contrairement aux lésions retrou-
occipitaux et pariétaux, par agression (barre ou
vées dans les accidents automobiles par effet de
coup de feu).
décélération [11]. L’aviation civile du Canada
considère que les personnes ayant subi un trau- Comme pour les traumatismes gravissimes, on
matisme crânien par pénétration de projectile peut retrouver au cours des traumatismes sévères
sont considérées inaptes pendant 15 ans, et ce des cas d’épilepsie qui seront traités. Et là se
même si leurs tests neuropsychologiques sont posera le problème des effets indésirables des
normaux, à cause des risques élevés d’épilepsie médications anti-comitiales, lesquelles portent
post-traumatique qu’elles présentent. Ces épilep- atteinte à la capacité résiduelle de la personne
sies peuvent parfois apparaître encore plus tard expertisée lorsqu’ils sont gênants (comportement,
après le traumatisme. Citons le cas malheureux tendance dépressive, somnolence, atteinte hépati-
d’un patient de notre centre médicalisé pour que, etc.).
grands handicapés moteurs, qui est décédé, à Dans le syndrome pariétal, on retiendra
l’âge de quarante-huit ans, vingt ans après un ­l ’existence de troubles sensitifs (hémianesthésie
traumatisme crânien grave (plaie par balle), d’un ou inversement syndrome pseudo-thalamique)
mal épileptique incurable par les moyens de réa- inducteurs de troubles du schéma corporel

386
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

(­ astéréognosie, hémiasomatognosie, autotopo­ Nous en arrivons ainsi au but principal de ce cha-


agnosie), d’apraxie, de troubles de la communica- pitre : exposer une méthode d’évaluation d’un
tion (aphasie, alexie, dyslexie, dysgraphie) de blessé cranio-cérébral de gravité moyenne,
certains troubles particuliers de mémorisation sachant que celle-ci sera bien entendu incomplète
liés à une atteinte spatio-temporelle (recherche comparativement aux moyens plus élaborés utili-
ou topographie d’un lieu). Citons enfin, la négli- sés par des neuropsychologues éminents, mais
gence spatiale unilatérale (NSU), que l’on peut qu’elle a le mérite de permettre à l’expert, dans les
rechercher par le test du dessin de l’horloge, ou conditions de solitude où il se trouve : d’avoir une
par l’observation d’un sujet en train de manger, idée relativement complète des différents domai-
ignorant une moitié de son plat. nes d’atteinte des fonctions cognitives et psycho-
Dans le syndrome temporal, indépendamment logiques, de pouvoir, le cas échéant, demander
des atteintes neurologiques pures relatives aux avec raison et en exposant clairement ses attentes,
sens auditif, gustatif, visuel, olfactif, à l’équilibra- l’avis d’un sapiteur, de limiter le risque de sur ou
tion, trois éléments sont à mettre en avant au sous-évaluer l’étendue des séquelles réelles neu-
niveau neuropsychologique avec le rôle du néo- ropsychologiques du blessé cérébral.
cortex temporal dans l’intégration des afférences
sensorielles, sous deux conditions : le stockage par Établissement des circonstances
l’hippocampe et l’influence de l’émotivité ; les
troubles mnésiques, de la vigilance (limbique) et
du traumatisme
de l’attention visuelle ; enfin, l’existence d’éven- L’expert doit insister pour décortiquer les circon­
tuels troubles comportementaux. stances de l’accident, ce qui lui permet déjà de
L’évaluation de ce type d’atteinte nécessite une vérifier la mémorisation de la victime à la recher-
batterie de tests réservée à des laboratoires équi- che de détails, de faits marquants, ou au contraire
pés. On peut citer l’écoute dichotique des mots et l’existence d’un trou, voire un oubli volontaire. Il
des mélodies, le test de reconnaissance des visa- est important au cours de l’interrogatoire de noter
ges, la figure complexe de Rey pour la mémoire les réactions de nervosité, ou inversement la passi-
visuelle, dont nous reparlerons plus loin. vité, l’émotivité et l’expression du visage, ainsi
Le syndrome occipital se traduit essentiellement que la motricité.
par des troubles visuo-spatiaux. Là encore, si les
premiers bilans montrent chez une victime des Prise en charge des doléances
troubles visuels, il est nécessaire de faire procéder
à une évaluation très spécialisée, où l’on pourra Il est fortement conseillé de faire accompagner le
déceler, entre autres, et pour mémoire : cécité cor- blessé par un membre de sa famille (celui, celle
ticale, achromatopsie, cécité verbale, ataxie opti- avec qui il vit), afin de recueillir le plus grand
que et jusqu’au syndrome de Balint. nombre d’informations sur son comportement
Le syndrome frontal va être longuement abordé social, intellectuel, affectif. La mise en confiance
dans les lignes qui suivent, puisqu’il constitue la est fondamentale chez des sujets dévalorisés,
source principale des explorations expertales en parfois irritables, et qui arrivent au bout d’une
neuropsychologie, tout en sachant qu’une exper- attente de plusieurs mois ou années, dans un
tise ne dissèque pas des syndromes, mais étudie contexte de personnalité modifiée. Cela peut
dans sa globalité l’atteinte séquellaire du fait d’un aboutir à des transformations radicales où des
ou plusieurs syndromes. états d’euphorie avec hypersocialisation, hilarité,
On peut tout de même souligner qu’un individu utilisation de plaisanteries douteuses ou à conno-
dit frontal a perdu une part immense de sa faculté tation sexuelle marquée, s’opposent à des états
d’abstraction (critères de Walsh d’après Goldstein), d’inhibition, de repliement sur soi, avec parfois
son processus de la pensée est englué par le phé- mutisme et état dépressif, suivant que les zones
nomène de persévération, limité par la difficulté atteintes sont de la convexité préfrontale ou du
de programmer une activité, de restituer un récit plancher orbito-basal.
de façon logique, de hiérarchiser, organiser, plani- La quête d’information sur la vie quotidienne doit
fier et de s’autoactiver (cf. Laplane, 8). être le souci du questionneur, y compris dans les

387
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

perturbations des petits gestes de la vie courante, cale qui prévaut. Il faut donc respecter cette
qui, lorsqu’ils se répètent entraînent des consé- volonté, examiner seul la personne, donner tous
quences non négligeables. Ce peut être l’oubli les éléments de notre examen aux parties, deman-
régulier du rôti au four, la perte des clés, la ten- der si celles-ci désirent un complément d’examen
dance habituelle à faire des achats dispendieux, ou une vérification lorsqu’il y a discordance, de
ou tout simplement la grande difficulté à retrou- redonner, le cas échéant le nouveau compte rendu.
ver le chemin de la maison. L’expert ne doit pas se laisser influencer par la
Tous ces éléments sont très importants dans l’éta- menace brandie du non-respect du contradictoire
blissement du catalogue des doléances, car la victime par de rares médecins conseils impétueux, car le
néglige souvent ses carences en les oubliant ou en les contradictoire, suivant ce schéma, sera suivi, et,
minorant, et ne comprend pas les reproches venant surtout, la déontologie médicale qui se doit en
de son entourage. Il faudra donc axer sa recherche premier lieu de respecter la personne humaine
d’informations dans les rubriques suivantes : perte dans ses attentes et ses volontés ne sera pas
d’efficience intellectuelle, trouble du comportement, bafouée. Fort heureusement, ces cas-là sont peu
de la personnalité, atteinte psychologique. nombreux, et pour la plupart des cas, la personna-
La chronologie du déroulement de la vie du blessé lité de l’expert, dans sa complète impartialité,
depuis le jour de l’accident jusqu’à celui de l’ex- impose une ligne d’investigation cohérente que
pertise, doit être reconstituée. La façon dont la les esprits sains ne peuvent qu’admettrent.
rééducation aura été ressentie, le retour à la mai-
son, l’essai de reprise professionnelle, les soucis Étude des documents
matériels, la modification de la vie du couple, le La connaissance claire de l’importance des lésions
cas échéant, sont autant d’éléments indispensa- initiales, compte tenu de l’âge du blessé est capitale
bles à la compréhension de la transformation exis- dans le pronostic fonctionnel des zones d’activité
tentielle du sujet expertisé. supérieures altérées, mais nous ne nous attarderons
On doit pouvoir s’aider dans cette démarche par pas sur les documents radiographiques ou image-
l’excellent travail contenu dans le questionnaire ries diverses permettant surtout d’attester la réalité
EBIS [10], ou le questionnaire social de Katz. et l’importance de celles-ci, de leur caractère bila-
L’utilisation de ces outils présente le triple intérêt : téral ou pas, de leur siège, pour s’attacher à analyser
d’être complet (surtout pour le premier), d’éviter les comptes rendus d’hospitalisation et de rééduca-
les oublis, de permettre à l’expert de faciliter le tion permettant de connaître les éléments-clés sui-
questionnement, notamment pour l’évocation de vants : Glasgow coma scale (GCS) aux différents
problèmes intimes. stades évolutifs, Glasgow out come scale (GOS),
Ils peuvent induire un léger revers de leur succès durée de l’amnésie post-traumatique (APT), comp-
dans certains cas, et de leur practicité : leur côté tes rendus successifs des centres de rééducation,
analytique et systématique peut atténuer le contact certificats médicaux attestant de l’existence de
médecin-malade et la spontanéité de la plainte. troubles intellectuels et/ou psychiques.
Ces petits inconvénients sont minimes, en regard Certains documents permettront d’apprécier la
du progrès qu’ils ont amené, dans le domaine de qualité des possibilités intellectuelles du sujet exa-
l’évaluation du blessé cranio-cérébral. miné, antérieures à l’accident. À l’inverse, les anté-
Notons enfin des petites difficultés pouvant surgir cédents traumatiques ou psychiques pouvant
lors de l’expertise, comme par exemple le refus interférer sur l’état actuel, seront pris en compte à
par la victime, fragilisée sur le plan thymique, de l’examen des pièces médicales précédant le trauma-
se faire examiner physiquement de façon contra- tisme. Particulièrement dans le domaine des blessés
dictoire, par rejet d’un médecin-conseil de com- cérébraux, les interrogations de base du
pagnie, qui lui avait probablement laissé une ­raisonnement médico-légal : évolution de la lésion
mauvaise impression lors d’une visite précédente sans l’état antérieur, évolution de l’état antérieur
au titre de l’assureur, cela peut arriver. Nous pen- sans l’existence de lésion, évolution imputable
sons que la meilleure attitude est d’essayer de ­réellement, nous apparaissent particulièrement
convaincre la personne traumatisée et si on ne le délicates à élucider, car nous nous heurtons à des
peut, de prendre référence à la déontologie médi- facteurs dépassant la physiologie de l’organe, pour

388
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

entrer dans le domaine de l’inconnu : on ne peut


dans l’exploration de troubles chroniques psychi-
quantifier le nombre de neurones lésés, ni même ques ou comportementaux post-traumatiques.
celui des circuits interrompus, pas même que la À noter aussi l’apport de l’EEG quantifié et des
capacité individuelle (ainsi que la vitesse) à régéné- potentiels évoqués qui peuvent révéler des atteintes
rer les neurones. De multiples facteurs de croissance fonctionnelles réelles sans anomalie à l’IRM.
neuronale ont été isolés par les chercheurs fonda-
mentalistes, et les prochaines années nous appor-
teront, espérons-le, un progrès notable en ce domaine. Évaluation de l’atteinte cognitive
À l’heure actuelle, nous possédons une multitude de
tests neuropsychométriques explorant la sphère
Un mot sur l’imagerie cognitive. Certains d’entre eux nécessitent l’intégrité
medicale et les explorations des fonctions motrice et graphique, praxique et pha-
complementaires sique (par exemple figure de Rey, Stroop modifié,
labyrinthe de Porteus, test de Thurstone…). Au préa-
Lorsque l’expert a la chance de posséder un dossier lable, nous tenons à préciser qu’il n’est pas question
d’imagerie, il éprouve de la difficulté, hormis les d’offrir un catalogue de toutes les épreuves possibles
atteintes évidentes des traumatismes graves, à se
mises à la disposition d’un investigateur potentiel.
forger une opinion. Qu’il se rassure, il n’est pas le
seul, car les grands spécialistes en sont au stade de Dans chaque rubrique, nous avons choisi une ou
la recherche, mais qui avance… plusieurs épreuves que nous utilisons le plus fré-
Voici quelques pistes pour une évaluation lésionnelle quemment, tout en sachant qu’il faut s’adapter
par l’IRM, conforme au protocole moderne d’in- suivant la personne, et qu’il nous arrive parfois
vestigation élaboré par des équipes expérimentées, d’utiliser certains tests non décrits ci-après.
à savoir initialement les séquences Flair, puis T2 *
étoile, puis Fiesta, enfin, 3D et Tenseur de diffusion.
Il est ainsi possible de mettre en évidence succes- Exploration de l’attention
sivement l’existence d’atteintes évidentes pour les et de la vigilance
traumatismes graves (attrition tissulaire, œdème,
hémorragies) mais aussi de corréler des anomalies Test de double barrage de Zazzo, l’épreuve consiste
cliniques avec des atteintes du trigone (mémoire), à barrer tous les signes identiques à ceux figurant
des noyaux de la base, du cingulum (cette dernière en haut d’une feuille, et le plus rapidement possible.
atteinte serait en relation avec des troubles du com- Il y a donc un carré contenant 19 lignes de 19 signes,
portement : colère, irascibilité). soit 361 signes à visionner. Ce test nécessite la mise
Plus encore, des explorations avec le tenseur de diffu- en confiance du sujet, pour calmer une émotivité
sion 3D ont mis en évidence des raréfactions et même
trop grande puisque le test est chronométré.
des ruptures de substance blanche qui lorsqu’elles
suppriment la liaison entre le lobe frontal et les noyaux L’épreuve de soustraction de 7 en 7 en commen-
gris centraux, pourraient expliquer le phénomène de çant par exemple, par le nombre 100 (par exemple
perte d’auto activation psychique décrit par Laplane. 100, 93, 86, 79…).
Mais l’IRM peut être normale en phase chronique Outre la vigilance, à la base de toute activité, on
et, à ce stade, la TEMP et la TEP sont plus sensibles.
Les imageries les plus performantes actuellement sont
explore l’attention spécifique. L’attention soute-
la TEMP (Tomographie en émission monophotoni- nue ne peut s’évaluer qu’avec des épreuves lon-
que), la TEP (tomographie par émission de photons, gues, difficiles à mettre en œuvre en expertise. On
appelée aussi PETSCAN), et l’IRM fonctionnelle. comprend combien ces épreuves sont importantes
Ce qui est admis, actuellement, c’est l’absence de dans l’exploration de victimes pratiquant des pro-
critères d’imagerie pathognomonique d’une lésion fessions telles que : conducteur de locomotive,
traumatique à distance du traumatisme crânien. pilote de ligne, routier.
On note aussi parfois des discordances entre ce que
révèlent la TEMP, la TEP ou l’IRM fonctionnelle.
Tout ceci est en phase d’étude, il est probable que la Exploration de la fonction
recherche sur un nombre important de cas cliniques, mnésique
permettra d’affiner, voire d’admettre des critères
fiables de corrélation entre la clinique et l’imagerie Les différentes altérations de la mémoire doivent
être recherchées. On distinguera des atteintes mné-

389
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

1 2 3 4 1 2 3 4

Rouge Orange Vert Bleu


Figure 9.1
Test de Stroop modifié.

siques rétrograde et antérograde, épisodique il nous a paru utile de l’étalonner dans la popula-
(atteinte des circuits de l’hippocampe), sémantique tion générale, pour avoir une idée précise de la
(circuits en relation avec le néocortex), des troubles normalité, ainsi que des critères plus justes évoca-
de restitution de l’information après stockage. Tous teurs d’anormalité.
ces éléments sont à prendre en compte, non seule- Description (fig. 9-1). Il s’agit de demander à la per-
ment pour préciser le niveau et l’intensité d’atteinte sonne testée, de noter dans des cases, le nom de la
mais aussi pour dissocier ce qui a trait au trauma- couleur de l’encre avec lequel le mot a été écrit. Or,
tisme de ce qui peut être dû à une évolution normale chacun des mots est une couleur. Ainsi, le mot bleu
de la sénescence. En ce qui nous concerne, nous uti- peut être écrit à l’aide d’une couleur rouge ou jaune,
lisons régulièrement trois outils d’évaluation : le mot vert, en bleu. Toutes les couleurs sont inscri-
• l’épreuve de liste de mots énoncée verbalement, tes par lignes et par colonnes sur une moitié de la
à restituer dans l’ordre, après un certain délai feuille. Toutes les cases sont réparties sur l’autre
pendant lequel le sujet continue à être ques- moitié. À chaque case correspond une couleur. On
tionné, permet de re-tester l’attention sélective demande de noter la première lettre de la couleur de
s’opposant à la distractibilité, en même temps la case correspondante (B pour bleu, R pour rouge).
que la mémoire antérograde. On peut aussi Prévu sur une durée initiale de 30 secondes, nous
demander une restitution en fonction d’un clas- avons allongé la durée à 60 secondes. La couleur
sement par catégories d’objets ; jaune moins lisible, a été remplacée par l’orange.
• le récit du petit chaperon rouge est un classique Enfin, les carrés de notation sont de taille plus
qui peut être adapté à la culture et à la sensibilité importante. Ces modifications après plusieurs
du sujet. Il permet d’explorer les possibilités de essais, ont été guidées par le souci d’éliminer des
programmation de ce récit, en distinguant l’es- difficultés surajoutées pouvant induire des erreurs,
sentiel dans un ensemble ; non imputables forcément à des atteintes patholo-
• le questionnement sur la mémoire immédiate, à giques. L’augmentation de la durée du test donne
savoir : où est garé le véhicule qui vous a trans- plus de valeur statistique aux paramètres que j’ai
porté aujourd’hui pour l’expertise ? Qu’avez- pu mettre en évidence plus loin, le changement de
vous mangé à déjeuner aujourd’hui ? Quel film couleur provient de la difficulté de lecture de la
avez-vous vu hier ? est complété par des ques- couleur jaune, et l’augmentation de taille des
tions faisant appel à la mémoire ancienne : des ­carrés améliore la réponse écrite et la correction.
dates historiques célèbres, ou bien le nom de En effet, sur une étude que nous avons effectuée
personnages historiques (Qui est mort à Ste de février à mars 1996 [9], sur 174 cas répartis en
Hélène ? ou comment s’appelait le roi guillotiné 3 groupes dans la même agglomération de plus de
à la Révolution Française ?). 100 000 habitants, on distinguait trois cohortes :
Toutes les professions sont atteintes, mais il faut • premier groupe constitué de 104 lycéens en
souligner particulièrement, même lors de déficits classe de 1re S. Le test a été effectué le même jour
légers, les conséquences qu’ils entraînent chez des entre 10 h 45 et 11 h 45 sur 4 classes. Tous les
blessés étudiants ou acteurs. lycéens volontaires ayant participé ont eu cha-
cun 60 secondes de réflexion, et 60 secondes
d’effectuation du test ;
Test explorant les conduites
• deuxième groupe constitué de patients volontai-
verbales
res en clientèle privée, ayant effectué le test dans
Nous nous étendrons un peu sur cette épreuve en les mêmes conditions sans que l’examinateur ait
choisissant un Test de Stroop modifié par nos vérifié la compréhension de celui-ci : 40 sujets
soins, pour des raisons exposées ci-après. En effet, (23 hommes, 17 femmes) ;

390
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

• troisième groupe : il s’agit de patients volontai- ­ émorisé ses réponses aux deux premières lignes
m
res en clientèle privée, ayant subi le test après pour gagner ainsi un temps précieux. Les résultats
vérification de sa compréhension : 33 sujets ont été les suivants : N = I = 67.
(12 hommes pour 21 femmes). Dans les conditions normales, la plus haute per-
Sur la totalité des groupes, on notait 7 personnes formance a été réalisée par une jeune fille de
ayant des antécédents pouvant interférer dans 16 ans (N = I = 61).
l’évaluation, dont trois accidents vasculaires céré- Ceci nous amène aux conclusions suivantes :
braux comprenant deux hémorragies cérébrales, • si N < 20 et I < 1,5 : pathologie probable. À refaire
un insuffisant respiratoire sévère, deux états cependant après vérification de la ­compréhension
dépressifs et un traumatisme crânien sans perte du test ;
de connaissance. Sur ces sept cas, il n’y a que trois
• si N > 20 et I < 1,5 : pathologie possible, mais à
cas où les résultats ont été mauvais : l’insuffisant
vérifier. À refaire après vérification de sa
respiratoire sévère, un état dépressif en cours de
compréhension ;
soins, et une hémorragie cérébrale.
• si N < 20 et 1,5 < I < 3 : individu lent, mais ayant
compris le test en cours d’épreuve ;
Résultats (fig. 9-2)
• si N > 50 et 1,5 < I < 3 : test compris en cours
Il nous a paru nécessaire de déterminer les para- d’épreuve, mais sujet impétueux ;
mètres suivants : • si 30 < N < 50 et I > 15 : bon test ;
• N = Nombre total de réponses ; • si N > 50 et I = N : très bon test.
• E = Nombre d’erreurs ; Les professions les plus touchées nous paraissent
• I = N/1 + E (I : Indice de performance, Maria, être celles d’homme de loi, de policier.
1996).
L’étude analytique de chacun des paramètres per- Test de Thurstone : exploration
met déjà d’avoir une idée correcte des possibilités de la fluence verbale
quantitatives (N), et qualitatives (N/I), dans le
En l’absence évidemment de troubles du langage,
temps imparti.
ce test consiste à faire citer au sujet le plus rapide-
L’épreuve ayant été anonyme, nous avons pris ment possible une quantité de noms d’animaux
cependant avec son accord, les résultats d’un sur une durée de 60 secondes par exemple. À titre
lycéen très performant (N = I = 52). indicatif, et suivant l’individu bien entendu, une
Pour essayer d’optimiser son résultat, le test a été vingtaine de noms cités correspond à un test nor-
refait sans temps de réflexion, l’élève ayant mal. En revanche, en dessous de 10, on constate

N I N moy I moy 70
50 40

60
40
30 50

30 40

20
30
20
20
10
10
10

0
0 0
10 20 30 40 50 60 70 80
S1 S2 S3 S4 AV SV

Figure 9.2
Résultats du test de Stroop modifié.
N : nombre total de réponses. I : indice de performance.

391
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

une réduction de la fluence verbale. On peut Le déplacement de détails, l’oubli seront moins
modifier ce test et le compliquer en demandant sanctionnés qu’un rajout erroné.
par exemple, de citer une liste d’objets ou de mots Le raisonnement logique s’évalue par des problè-
commençant par une lettre de l’alphabet. mes arithmétiques simples, par exemple : il y a
Les professeurs, les comédiens, les VRP et tout 12  livres sur deux étagères. Sur l’une, il y en a le
métier de la communication verbale subissent un double de l’autre. Combien y a-t-il de livres sur cha-
préjudice particulier, en cas de déficit. que étagère ? Citons aussi le labyrinthe de Porteus.
Les activités professionnelles plus particulière-
ment touchées sont assez variées, allant du conduc-
Tests explorant la pensée
teur de travaux au chercheur, en passant par
abstraite et le changement l’informaticien, le garde forestier, l’agriculteur.
conceptuel (Shifting)
Le test de Sorting concerne les couleurs et les
formes.
Test d’évaluation cognitive
Le test de Wisconsin, consiste à présenter au sujet Le questionnaire de Shallice et Evans est un ques-
un échantillonnage de cartes comprenant quatre tionnaire type, faisant appel aux connaissances de
sortes de motifs de quatre sortes de couleurs, et l’individu. On peut l’adapter à la culture latine, et
comprenant de 1 à 4 motifs par carte. Soit au total, poser par exemple, comme type de question :
64 cartes différentes. On demande au sujet de clas- quelle est la hauteur de la Tour Eiffel ? ou bien,
ser tout d’abord les cartes par catégorie de couleur, quelle est la longueur moyenne d’une cravate
puis un second classement par catégorie de motif, nouée sur le cou d’un individu ? ou combien de
et enfin, troisième catégorie, suivant le nombre de temps met un champion pour courir le 100 mètres ?
motifs sur chaque carte. Ainsi, est-il nécessaire à On assortit, en cours d’examen une ou deux ques-
chaque demande de changer les habitudes de clas- tions piège faisant appel à l’esprit critique, par
sement, ce qui permet de mettre en évidence d’une exemple : quelle est la hauteur du Conseil d’Admi-
part, la capacité de changement conceptuel de l’in- nistration du Crédit Lyonnais ?
dividu, et d’autre part, le phénomène de persévéra- La perte ou la diminution du « stock cognitif » est
tion dans l’erreur, quand bien même le sujet aurait préjudiciable à toute activité représentative : jour-
compris. On trouve parfois des sujets continuant naliste, politicien, conférencier, homme d’affaire…
inexorablement à classer dans l’une des catégories,
par exemple, la couleur. Critique de l’histoire absurde
L’appréciation de ce test se fera sur la rapidité et la
En complément du test précédent, on peut
quantité d’erreurs commises.
demander au sujet de commenter une histoire,
Tout métier, hormis peut-être celui de manœuvre, racontée par l’examinateur, qui comprend des
est touché par un déficit dans cette fonction. invraisemblances.
La ménagère sera touchée, au même titre que les
Exploration de la planification, autres professions.
de la programmation de l’activité
et du raisonnement logique Test d’évaluation globale
La figure de Rey consiste à reproduire une figure et de comportement social
complexe comprenant des formes géométriques et L’échelle neurocomportementale de Levin révisée
de nombreux détails : cet examen fait bien sûr et traduite par Mazaux et al. et l’échelle de
appel à la mémoire visuelle, mais aussi et surtout à ­comportement et d’adaptation sociale de Katz,
la programmation de l’activité, à une méthodo­ l’inventaire d’adaptabilité de Mayo-Portland 4,
logie de pensée qui permet de restituer le souvenir sont des questionnaires permettant de revoir
graphiquement. ­globalement les troubles neuropsychologiques
On jugera en premier le respect des grandes for- explorés précisément dans les chapitres précé-
mes géométriques, puis la restitution des détails. dents, mais aussi de s’attacher plus précisément au

392
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

vécu du traumatisme, et à la motivation résiduelle L’exemple d’une jeune employé de magasin, au


post-traumatique, ainsi que la flexibilité de la quotient intellectuel certes faible, frisant la débilité
pensée. légère, mais qui ne pouvait plus reprendre son
D’autres épreuves, telles que celle des trois papiers métier après un traumatisme crânien sévère, du
(un moyen, un petit et un grand) consistant à fait d’une perte totale de la programmation de son
demander à la victime de garder le moyen, jeter le activité, nous reste en mémoire.
grand et donner le petit. Cette épreuve permet de Ainsi, après la question de l’existence ou non de
déceler d’emblée des atteintes graves. séquelles, de leur imputabilité, vient le moment de
la quantification, et mieux, de la description de ces
Le dessin de l’horloge, outre la mise en jeu de sou-
séquelles. On nous demande souvent de préciser la
venirs visuels, de la praxie, de la graphie, permet
cotation de chaque atteinte, permettant d’aboutir,
de discerner une atteinte pariétale, avec NSU,
par totalisation à une proposition d’incapacité
d’un aspect frontal.
permanente partielle (IPP). Cela est à l’heure
Ces tests, bien que ne faisant pas partie du sujet actuelle impossible, tant qu’une méthode compa-
exposé ici, peuvent nous apporter des indications rative fiable, avec les normes de la population
en tout début d’exploration concernant l’impor- indemne n’aura pas été mise au point, si tant est
tance des déficits ou l’existence de troubles visuo- que cela soit possible. Nous avons essayé, à partir
spatiaux et même de négligence spatiale unilatérale d’un test une approche dans ce sens, mais il faut
pouvant interférer sur les épreuves suivantes. reconnaître que l’évaluation de l’expert, à l’aide
Il faudra garder à l’esprit les éléments suivants : la des outils que nous avons cités, repose sur une
lenteur d’exécution des tests traduit le ralentisse- réflexion personnelle, pas sur une équation mathé-
ment des circuits remplaçant les voies directes de matique. Parallèlement à un chiffrage informel de
circulation des informations interneuronales ; l’IPP, il importera donc de décrire avec précision et
enfin, la notion de perte de l’auto-activation psy- clarté toutes les conséquences dans la vie relation-
chique dans le syndrome frontal peut être com- nelle de la victime, sur le plan de l’affectivité, de
pensée et donner de faux résultats corrects par l’autonomie du comportement social (apathie,
l’effet stimulant de l’examinateur, alors même agressivité), des possibilités intellectuelles et phy-
que le sujet est incapable de réagir en situation siques, de l’orientation et de la vigilance.
habituelle. La frontière entre une incitation mini-
male utile pour révéler un phénomène de persé- Incidence des séquelles
vération et la compensation de cette perte sur les frais thérapeutiques,
d’auto-activation est ténue, elle procède de l’ex-
périence de l’examinateur.
frais futurs, frais d’appareillage
Comme nous l’avons indiqué, chaque épreuve En dehors de l’hospitalisation viagère, essentielle-
doit être analysée en fonction des paramètres de ment pour les états neuro-végétatifs, non pris en
l’âge, du contexte socioculturel, de l’expérience, et charge par la famille, on distingue principalement :
de la pratique de l’examinateur, en fonction des • les frais thérapeutiques surtout constitués par
exigences socioprofessionnelles du sujet examiné. les interventions des professionnels tels que les
Au vu donc de tous les éléments recueillis par les orthophonistes, kinésithérapeutes, infirmiers,
investigations, l’expert doit pouvoir apprécier cor- reconnus par la nomenclature des actes rem-
rectement les répercussions, à la fois intimes et boursés par les services d’assurance maladie,
sociales directement liées au traumatisme ayant mais aussi des ergothérapeutes, psychologues,
motivé la mission ordonnée par le juge régleur. Il non pris en charges par les organismes sociaux,
doit, de la même façon, être prudent lorsqu’il se hormis dans le cadre de réseaux associant des
trouve face à la question de l’imputabilité. En effet, professionnels libéraux à des institutions (hôpi-
l’existence d’un quotient intellectuel faible préexis- tal général, CHU) qui disposent d’une enveloppe
tant peut entraîner une minoration de l’évaluation donnée par la Caisse Régionale d’Assurance
eu égard à cet état antérieur. Il faudra être très Maladie, sous certaines conditions d’attribution.
­prudent dans un sens, comme dans l’autre et véri- De même, les traitements médicamenteux spéci-
fier les possibilités de la victime avant l’accident. fiques souvent onéreux (anti-contracturants à

393
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

effet médullaire, anti-épileptiques de dernière tion ou concentration immédiatement post-


génération, etc.) et la surveillance de leurs effets traumatique et qui sont passagers. Ils ne peuvent
biologiques par les dosages sanguins constituent, être envisagés que dans la rubrique quantum
de même, un pôle non négligeable ; doloris. Nous pensons aussi particulièrement aux
• les frais futurs sont engendrés par le maintien, répercussions scolaires ou universitaires chez un
après consolidation des lésions, d’une stabilité, à adulte jeune.
défaut d’amélioration, de celles-ci. On retrouve En revanche, les séquelles légères durables sont
les interventions en ergothérapie et kinésithéra- constituées par le syndrome post-commotionnel,
pie à une fréquence moindre qu’en période de les complications psychiatriques « véritables ».
récupération dans les suites immédiates. Ils com- Le syndrome post-commotionnel comprend des
prennent aussi les frais médicaux nécessaires à la signes somatiques : céphalées de tension, migrai-
prévention des complications inductrices d’ag- nes, névralgies, sensations vertigineuses, vision
gravation (par exemple, chirurgie urologique sur trouble, bourdonnements d’oreille, asthénie,
une vessie neurologie) ; troubles du sommeil, des signes d’atteinte cogni-
• les frais d’appareillage d’aide à la vie de relation tive : troubles mnésiques, de l’attention, de
autrement appelés moyens techniques palliatifs concentration et des symptômes affectifs : anxiété,
constituent une source de dépense classique, ils dépression, irritabilité.
peuvent être simples (adaptation de couverts Les troubles psychiques, persistant au-delà d’une
pour manger, lève-malade) ou complexes (syn- année, entrent généralement dans le cadre de
thétiseur vocal, fauteuil roulant électrique, séquelles durables. Car le sentiment d’irréalité,
adaptation de commandes informatiques pour d’étrangeté, ressenti dans 66 % des cas des trau-
l’environnement). matismes crâniens légers reconnus étant transi-
toire, l’état dépressif lié soit à une atteinte frontale,
soit au stress post-traumatique peut être durable.
Traumatismes crâniens légers Ces séquelles persistantes après deux années,
s’évalueront à l’aide des tests déjà décrits. On
Les traumatismes crâniens légers représentent constatera des perturbations bien moindres que
70 à 80 % de l’ensemble des traumatismes crâniens. celles relevées dans des traumatismes sévères et
Parmi ceux-ci, 10 à 20 % en garderont des séquelles. n’entraînant pas généralement de conséquences
• La circulaire du 8 juin 2004 du Ministère de la sur la vie sociale. On considère que des valeurs
Santé leur donne une définition différente de d’IPP comprises entre 2 et 10 % sont réalistes.
celle que j’évoquais dans la dernière édition, la On rappelle que dans la plupart des cas, l’absence
voici : GCS > 12, PC < 1 h, APT < 24 h, aucun de séquelles neuropsychologiques pour un trau-
signe de focalisation à l’examen clinique. Je matisé crânien léger est de règle.
rappelle la définition précédente : pas de coma
Il faudra cependant se méfier de ne pas laisser
ou coma léger (GCS > 11), perte de connais-
passer une atteinte fruste, mais réelle, et pour
sance initiale < 30 minutes, amnésie post-trau-
cela, l’interrogatoire du sujet et de l’entourage,
matique < 30 à 60 minutes, pas de lésion focale
confronté à l’examen spécifique entrepris, fera
intracérébrale, pas de détérioration organique
généralement la part des choses. Ce souci apparaît
secondaire (par exemple hématome secon-
dans les voies de recherche concernant l’imagerie
daire). On note dans la nouvelle formulation
médicale, dont nous avons abordé l’intérêt plus
l’absence de référence à l’imagerie médicale, ce
avant, mais qu’il est encore délicat, pour les cas
qui pourrait, à terme la rendre obsolète. Citons
limites, d’en tenir compte, de façon absolue,
enfin une définition « actuelle » en 2005 (citée
actuellement. De la même manière, on prendra
par Pierre NORTH aux Entretiens d’Aix 2005,
soin d’éviter un écueil déjà cité : l’existence d’an-
5e colloque) : 13 < GCS < 15 sans signe neurolo-
técédents traumatiques, voire d’un quotient intel-
gique, Pc < 20minutes, APT < 24 h.
lectuel faible ou fort, susceptibles d’interférer
Il faut éliminer les petits troubles immédiats de dans le processus d’évaluation dans un sens ou
vigilance, nervosisme, obnubilation, mémorisa- dans l’autre.

394
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Conclusion dans certains tests, il n’en demeure pas moins que


la notion d’évaluation est ici, encore plus affaire
d’art [1] que de science. Cette évaluation nécessite
La recherche fondamentale espère, dans les cinq de la passion, de la rigueur, et du temps.
années à venir, découvrir des thérapeutiques nou-
velles pour combattre notamment les troubles de la
mémoire, en agissant sur la protéine kinase dépen- Bibliographie
dante et l’AMP cyclique [6] intervenant dans la [1] Botez MI. Neuropsychologie clinique et neurolo-
signalisation cellulaire nécessaire au stockage de la gie du comportement. Presses de l’université de
mémoire par synthèse protéique et à la croissance Montréal, 1985.
de nouvelles connexions synaptiques neuronales. [2] Cohadon F, Richer E. Complications tardives et
D’autres découvertes concernent la neurogénèse au séquelles des traumatismes crâniens. Rev. Prat.,
niveau du gyrus denté de l’hippocampe produisant 1985 ; 35 : 2287–2292.
des neurones fonctionnels sont capitales d’autant [3] Cohadon F, Mazaux JM, Zambon S, Azouvi Ph,
Oppenheim-Gluckman H, Vesser J. Traumatisme
qu’il est établi qu’une stimulation liée à un environ-
crânien : où en est la recherche ? Résurgences, 2003.
nement riche augmente de façon très significative
[4] Dessertine A. Le traumatisme crânien. Évaluation
cette neurogénèse [5]. Ces progrès sont de nature à et réparation du traumatisme crânien, approche
tempérer une préoccupation de découverte récente  : juridique. Les cahiers du CTNERHI : Handicap
le doublement du risque d’apparition d’une mala- Inadaptation. 1997 ; 75–76 : 173–181.
die d’Alzheimer 50 ans plus tard, chez un trauma- [5] Gage FH. Neurogenesis in the adult brain. J. Neurosci,
tisé crânien victime à l’âge de 20 ans. 2002 ; 22 : 612–613.
L’apport d’études d’évaluation, sous l’impulsion [6] Gage FH, Aubert I, Ridet JL. Regeneration in the
notamment d’équipes canadiennes, l’amélioration adult mammalian. CNS guided by development.
J. Neurosci, 1995 ; Res 34 : 523–538.
dans la prise en charge des traumatisés crâniens, et
[7] Kandel ER, Rotenberg A, Abel T, Hawkins RD, Muller
la prise de conscience de la nécessité de diversifier
RU. Parallel instabilities of long-term potentation,
les compétences des personnels intervenants, place cells and learning caused by decreased protein
contribuent pour une partie des sujets atteints à kinase A activity. J. Neurosci, 2000 ; 22 : 8 096–102.
une certaine amélioration de la qualité de leur [8] Laplane D. La perte d’autoactivation psychique. Rev.
récupération des fonctions compatibles avec une Neuro., 1990 ; 146 (6–7) : 397–404.
vie sociale, même limitée. Tous ces éléments nour- [9] Luria AR. Les fonctions corticales supérieures de
rissent l’appréciation du médecin évaluateur pour l’homme. 1 vol., PUF, Paris, 1978.
répondre complètement à la mission type préconi- [10] Oppenheim-Gluckman H. Où en sont les recherches
sée par l’Inspection générale des affaires sociales actuelles sur la psychopathologie des patients céré-
de mai 1995 et, plus récemment, la mission dite bro-lésés ? L’information psychiatrique, 2000 ; 76 (4) :
Dintillac, du nom de son auteur, qui est particuliè- 461–470.
rement adaptée aux traumatismes graves. [11] Pagni C.A. Post-traumatic Epilepsy and Prophylaxis.
Acta Neurochirurgica, suppl., 1990 ; 50 : 38–47.
Enfin, la loi du 11 février 2005 met l’accent sur l’in- [12] Plassman et al. Documented head injury in early
tégration de la personne handicapée dans la cité, adulthood and risk of Alzheimer’s disease and other
ce qui suppose la mise à disposition de moyens dementias. Neurology, 2000 ; 55 : 1158–1166.
nécessaires à cette intégration, qu’ils soient médi- [13] Progatano G.P. Institutional practice, behavorial
caux, techniques ou environnementaux, avec des disorders. Oxford University Press, New York, 1999.
conséquences financières évidentes. [14] Tasseau F, Sermet-Bibollet G. Le suivi médical pro-
L’expertise sur le plan neuropsychologique d’un longé des traumatisés crâniens graves. Résurgences,
n° 26, 2002.
blessé crânio-cérébral, diffère de la technicité pure
de la connaissance stricte, inhérente aux attein- [15] Tate RL. The contribution of premorbid psycho-
social factors to rehabilitation outcomes after
tes biomécaniques ou physiopathologiques. Elle severe traumatic brain injury. Neuropsychological
aborde le domaine de l’éthique, de la pensée, au- Rehabilitation, 1998 ; 8 (1) : 1–18.
delà de la connaissance, et quand bien même, nous [16] Truelle JL, Brooks DN. Évaluation des traumatisés
essayons d’affiner notre évaluation par la mise au crâniens. Document European Brain Injury Society,
point de paramètres ou d’indices de performance 1994. Entretiens d’Aix 2005, 2006, 2007, 2008.

395
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Le chirurgien-expert face aux paralysies


traumatiques du plexus brachial de l’adulte
J.Y. Alnot

Triste apanage des sujets jeunes (18–25 ans) le processus de consolidation et le reclassement
après un accident de moto, les paralysies trau- professionnel le plus précoce possible.
matiques du plexus brachial posent de multiples
problèmes.
Les lésions nerveuses peuvent siéger à tous les Rappel anatomique
niveaux, depuis l’origine médullaire jusqu’à la
division du plexus dans la région axillaire et on Il convient d’insister sur deux points (fig. 9-3) :
distingue ainsi : • le plexus brachial comprend 2 plans antérieurs et
• des lésions supra claviculaires totales ou postérieurs contenant des fibres motrices sensi-
­partielles au niveau des racines et des troncs tives et sympathiques totalement indépendants
primaires : 75 % des cas ; l’un de l’autre à partir des troncs primaires avec
un plan postérieur simple destiné au plan d’ex-
• des lésions rétro et infra claviculaires avec deux tension du membre supérieur et un plan anté-
tableaux bien distincts, soit au niveau des rieur complexe et variable destiné au plan de
troncs secondaires, soit au niveau des branches flexion du membre supérieur ;
terminales.
• les lésions sont radiculaires ou au niveau des
Le mécanisme en est, en règle, une traction ou troncs secondaires et la symptomatologie clini-
un étirement du plexus aboutissant à des que est donc complètement différente d’une lésion
lésions nerveuses de type Sunderland 1 à 5 [21], tronculaire périphérique du fait de la constitution
c’est-à-dire du simple étirement à la rupture pluriradiculaire des nerfs et, par conséquence, de
complète. l’innervation musculaire et des territoires sensitifs.
La stratégie thérapeutique a beaucoup évolué
Enfin, certains points présentent un intérêt clini-
depuis une quinzaine d’années et il est indispen-
que et il faudra rechercher :
sable, pour poser des indications thérapeutiques
correctes, d’avoir une notion exacte de l’anatomie • l’atteinte des fibres neurovégétatives, notam-
et des lésions anatomo-pathologiques de façon à ment l’atteinte des rameaux communiquant de
savoir exactement quelles sont les possibilités de D1 avec le ganglion Stellaire responsable du
réparation en préopératoire. syndrome de Claude Bernard Horner (myosis –
Enfin, en fonction des tableaux cliniques et des don- ptosis – enophtalmie) ;
nées des examens paracliniques, si une intervention • une atteinte du nerf du grand dentelé, même si
chirurgicale est décidée, elle devra avoir lieu le plus dans les paralysies totales, il n’est atteint que
tôt possible, c’est-à-dire entre la 6e  semaine et le dans 11 % des cas du fait de l’origine très proxi-
3e mois. male et étagée de ses branches d’origine dont
Il est indispensable de prévoir un bilan complet une vient de C4 ;
clinique et para clinique s’il n’y a aucune récupéra- • l’atteinte associée possible du nerf phrénique
tion au-delà de la 4 e semaine, de manière à appré- que l’on doit rechercher par des clichés en inspi-
cier les possibilités thérapeutiques. ration et en expiration notamment dans les
Des blessés sont encore adressés trop tardivement paralysies totales.
au-delà de 6 mois-1 an et toutes les statistiques L’atteinte du nerf du grand dentelé (nerf de Charles
montrent qu’au-delà de 6 mois les résultats sont Bell) et du nerf phrénique témoigne de lésions
moins satisfaisants. graves des racines supérieures et le syndrome de
L’Expert aura ensuite un rôle important à jouer Claude Bernard Horner témoigne de lésions gra-
en fonction des données actuelles pour ­déclencher ves des racines inférieures.

396
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

)C 4

)C 5

SS )C 6

^
^
C
C
R )C 7

R
MC

M TSAE
)C 8

M C

MC C SS Nerf scapulaire supérieur


BCI
TSAI M )D 1
R Nerf radial
MC Nerf musculo-cutané
)D 2
^
C Nerf cubital
C
BCI M Nerf médian
M C Nerf circonflexe

C5 C5
C6 C6

C7 C7

C8 C8

D1 D1

C5 C5
C6 C6

C7 C7

C8 C8

D1 D1

Figure 9.3
Anatomie du plexus avec les 2 plans et également les différentes configurations en fonction de la
distribution de la racine C7.

397
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Les différents tableaux cliniques Il est bien entendu très difficile d’y répondre à
un stade précoce et il faut s’appuyer sur l’examen
clinique et les examens paracliniques (fig. 9-4)
Les paralysies du plexus brachial
qui permettront d’envisager, en cas de non-­
par lésions supra claviculaires récupération, un bilan paraclinique : myélogra-
Elles représentent 75 % de la totalité des paralysies phie scanner et électromyographie et ensuite
du plexus brachial et parmi elles il faut distinguer : de porter une éventuelle indication chirurgicale
• les paralysies radiculaires supérieures C5-C6 ou en fonction du tableau clinique et des lésions
C5-C6-C7 : 20 à 25 % ; ­a natomo-pathologiques.
• les paralysies radiculaires inférieures C8-D1 Ces lésions anatomopathologiques secondaires au
rares : 2 à 3 % ; mécanisme de traction étirement (fig. 9-5) sont
des lésions de type I à V de Sunderland avec, par
• les paralysies totales C5-C6-C7-C8-D1, les plus
ailleurs, une lésion très particulière aux paralysies
fréquentes : 75 à 80 %.
du plexus brachial représentée par l’avulsion
Les questions les plus importantes sont celles du médullaire, c’est-à-dire l’arrachement des radicel-
diagnostic exact des lésions anatomo-pathologiques, les antérieures et postérieures au niveau de la
du pronostic et de l’avenir du malade. moelle (fig. 9-6).

Figure 9.4
Fiche d’examen clinique et de rapport des examens complémentaires.

398
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

1. Statique
de repos

Les
radicelles
Les
ant. 2. Inflexion cervicale.
radicelles
Courbure et translation
post.
de la moelle du côté de
l'inflexion (des mouvements
longitudinaux de celle-ci
Enveloppes peuvent se surajouter).
méningées Mise en tension des radicelles
du côté opposé en partie
compensée par l'action du
ligament dentelé de ce
même côté
La
racine
et son
obliquité 3. Rupture des radicelles
au niveau de leur
émergence médullaire.
Pas de déchirure
duremérienne

Figure 9.5
Mécanisme d’étirement-traction avec abaissement du moignon de l’épaule et inclinaison de la
colonne cervicale du côté opposé. La traction s’exerce alors dans l’axe des trous transversaires
pour les racines inférieures expliquant les ruptures dans la région scalénique des racines
supérieures accessibles alors à une greffe nerveuse.

Il est très important de différencier, d’une part ces On peut donc en pré opératoire supposer qu’il
lésions d’avulsion médullaire trouvées surtout au existe une racine C5 rompue dans la région scalé-
niveau des racines inférieures et qui sont au-des- nique et peut être deux, C5 et C6, accessibles à une
sus de toutes possibilités thérapeutiques et les greffe nerveuse.
lésions de rupture dans la région scalénique acces- Les greffons viennent dans la majorité des cas des
sible à une greffe nerveuse. 2 nerfs saphènes externes.
Avec une ou deux racines greffables, il est bien sûr
Les paralysies totales impossible de greffer la totalité du plexus et le but est
[1, 3, 7, 8, 15, 16, 20, 22] alors de ne pas disperser les fibres nerveuses et d’ob-
Paralysies totales avec avulsion tenir une réinervation des territoires proximaux.
des racines inférieures (64 % des cas) Quand une seule racine peut être greffée (fig. 9-7),
La myélographie couplée au scanner pratiquée au- le choix va se porter sur la partie antérieure du
delà de la 3e semaine après la cicatrisation de l’ar- premier tronc primaire à partir de C5 et le nerf
rachement des enveloppes conjonctives montre sus-scapulaire sera neurotisé par suture directe
les pseudoméningocèles témoins de l’avulsion par la partie terminale du nerf spinal en conser-
médullaire sur C8 et D1 et souvent sur C7. C6 peut vant donc les branches allant aux faisceaux supé-
avoir un aspect anormal et C5 est habituellement rieurs et moyens du trapèze.
normale sur le plan radiologique. Le but est d’obtenir une stabilisation de l’épaule,
L’étude électrophysiologique est inutile. un grand pectoral pour tenir un objet contre le

399
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

1. Sollicitation des attaches apophysaires

2. Rupture des attaches apophysaires


Le cône duremérien est attiré vers l'extérieur avec le complexe neural.
Le mouvement est transmis à la moelle par le ligament dentelé
du même côté, mais limité par la mise en tension du ligament dentelé
contro-latéral

3. Rupture du cône duremérien

4. La traction s'exerce directement sur les radicelles entraînant


leur rupture au niveau de la moelle

Avulsion par mécanisme périphérique


Figure 9.6
Lésion d’avulsion médullaire très particulière aux paralysies du plexus brachial avec la
constitution du pseudoméningocèle par la cicatrisation des enveloppes conjonctives arrachées en
même temps que les radicèles.

thorax, une flexion du coude et une certaine condition que les racines soient de bonne taille et
­sensibilité de l’avant-bras et de la paume. de bon aspect à la recoupe.
D’autres neurotisations peuvent utiliser les 3e, 4e, Si elles sont d’aspect médiocre ou de petites tailles,
5e  nerfs intercostaux et dans certains cas particu- il faut réaliser les greffes uniquement sur la partie
liers C7 controlatérale. antérieure du premier tronc primaire.
Lorsque deux racines sont greffables, il est possible Les résultats seront étudiés en fonction de la
de greffer, en plus, la partie postérieure du premier chirurgie qui aura été réalisée et l’on obtient,
tronc primaire pour réinnerver le nerf axillaire à ­globalement, 65 à 80 % de récupération de la

400
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

C4 Plexus
Spinal cervical C4
superficiel
C5
C5

C6 C6

C7
C7
C8

C8 T1

S.S T2
T1
T3
MC

GP T4
MC
Figure 9.8
Diverses neurotisations dans les avulsions des
M 5 racines.
Figure 9.7
Possibilités chirurgicales avec une racone
greffable C5. Paralysie totale avec avulsion de toutes
les racines (24 % des cas) (fig. 9-8)
La myélographie couplée au scanner montre des
flexion du coude à M3-M4 mais compte tenu de la
méningocèles sur toutes les racines et il n’y en a
vitesse de régénération nerveuse, le résultat n’est
aucune accessible pour une greffe.
acquis qu’au bout de 18 mois, ce dont doivent être
prévenus les malades. Il faut donc envisager des neurotisations à partir
des nerfs voisins, à savoir, le nerf spinal, le plexus
Le grand pectoral récupère dans 60 % des cas.
cervical, les nerfs intercostaux, ou la racine C7
En ce qui concerne l’épaule, la stabilisation est controlatérale [3, 9, 13, 14, 19].
obtenue dans un pourcentage important de cas,
Le but est de récupérer une flexion du coude
mais, avec peu de mobilité. La rotation externe
et il faudra donc greffer, en priorité, le nerf
active n’est rétablie que dans 50 % des cas et elle
musculocutané.
constitue, cependant, un point important, car,
dégageant le bras du thorax, elle permet une Paralysie totale initiale avec récupération
meilleure utilisation de la flexion du coude. spontanée
Une ostéotomie de dérotation de l’humérus Plusieurs cas de figures sont possibles :
pourra être indiquée ultérieurement. • récupération de proximal à distal. C’est le cas
Certains chirurgiens, par ailleurs, font une des traumatismes peu importants, par exemple,
arthrodèse d’épaule et, dans ce cas, le nerf Spinal après une luxation de l’épaule survenant après
ne sera pas utilisé. une chute banale. La myélographie couplée au
Les blessés seront informés qu’ils vont conserver scanner serait normale, mais il est inutile de la
une main paralytique définitive et, dans ce cas, pratiquer, et l’évolution clinique sera suivie,
pourquoi ne pas consolider avant 1 an ces blessés avec si besoin, un électromyogramme demandé
pour déclencher l’expertise et permettre le reclas- en fonction de la récupération qui peut, dans
sement ou l’orientation professionnelle. certains cas, sauter tels ou tels groupes
Un autre problème, essentiel, est celui de la musculaires ;
­douleur. Le fait de rétablir des afférences venant • récupération de distal à proximal. Dans certains
du membre supérieur paralysé fait pratiquement cas, on observe une récupération rapide en
disparaître les grands syndromes douloureux C8-D1 et un peu moins en C7 et une paralysie
résistant à toutes thérapeutiques. Ceci est un point persistante radiculaire supérieure C5-C6 ± C7.
très important dans la décision des indications Le tableau correspond souvent à des lésions de
chirurgicales et doit être expliqué aux blessés. rupture des racines supérieures dans la région

401
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

scalénique accessibles à une greffe avec donc Si les deux racines C5 et C6 sont avulsées
une indication chirurgicale rapide après un (fig. 9-11)
bilan paraclinique. L’évolution actuelle est de réaliser une neurotisa-
tion de la partie terminale du nerf spinal sur le
Paralysie partielle C5-C6 nerf supra scapulaire et une neurotisation d’un
ou C5-C6-C7 (25 % des cas) groupe fasciculaire du nerf ulnaire directement
sur le nerf du biceps [10, 11, 12, 17, 23].
Le pronostic est dominé par le fait que la main
est normale ou partiellement atteinte, mais utile Dans les paralysies C5-C6-C7
et que la chirurgie par greffes nerveuses va Le plan global est identique, mais compliqué par
redonner une bonne fonction au niveau de la plus grande gravité des lésions. Lorsque les
l’épaule et de la flexion du coude avec donc un trois racines sont avulsées, il faut alors s’orien-
membre supérieur utile dans les gestes de la vie ter, soit vers des neurotisations multiples pour
courante. redonner une certaine stabilité à l’épaule et une
Ces paralysies radiculaires supérieures sont le flexion du coude, s’il n’y a aucun transfert mus-
triomphe de la chirurgie nerveuse et les indica- culaire valable, soit stabiliser l’épaule par
tions vont dépendre des lésions anatomo­ chirurgie nerveuse ou arthrodèse et faire un
pathologiques [3, 4, 5] transfert pour paralysie de la flexion du coude,
par exemple, triceps sur biceps ou petit pectoral
Dans les paralysies C5-C6 (fig. 9-9 et 9-10) + Steindler [18].
Si les deux racines sont rompues dans la région
scalénique, il est possible si elles ont une taille et En ce qui concerne les résultats
un aspect satisfaisant de greffer la totalité des dans les paralysies C5-C6
lésions. La récupération de la flexion du coude est
Si la taille de ces racines est petite ou si une seule ­obtenue dans 100 % des cas, soit par chirurgie
racine est utilisable, il ne faut, là encore, pas dis- nerveuse, soit secondairement par transfert
perser les fibres et faire d’une part des greffes à musculaire. Dans les paralysies C5-C6-C7, il faut
partir des racines rompues et d’autre part des essayer par des neurotisations multiples de
neurotisations sur le nerf du biceps avec un toron ­récupérer cette flexion qui constitue le point
de nerf ulnaire et sur le nerf supra-scapulaire par essentiel pour la meilleure utilisation possible
le nerf spinal. de la main intacte.

Spinal Spinal
C4
C4

C5
C5

C6
C6
S.S XI
ou S.S
C7 C7
C5

C
^
C8 ^
C C8

R D1 R
D1
MC MC
M M
C C
Figure 9.9
Possibilités chirurgicales dans les paralysies C5-C6 avec une racine greffable.

402
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Spinal
C4
C4

C5
C5

C6
C6
S.S S.S
C7 C7

^ C8 ^ C8
C C

R D1 R D1

MC
M MC M
C C
Figure 9.10
Paralysie radiculaire supérieure C5-C6 avec intégrité C7-C8-D1. Possibilités de réparation
avec deux racines greffables en fonction de la taille des racines.

Spinal C4 Paralysies partielles C8-D1


C5 Ce type d’atteintes est rare, 2 à 3 %, et les résultats
de la myélographie scanner sont essentiels.
C6
S’il existe une avulsion des racines inférieures, il
+ Transfert faut passer d’emblée à une chirurgie palliative au
flexion coude C7 niveau du poignet et de la main [6].
Si la myélographie scanner est normale, tout le
C8 problème est de savoir si une chirurgie nerveuse,
dans le cas de ruptures périphériques de C8 et D1
T1 donnera un résultat valable compte tenu de la
S.S distance entre la lésion et les effecteurs.

Paralysies rétro
et infra claviculaires (fig. 9-12)
MC
Ce type de lésions représente 25 % des cas avec
C
^
deux tableaux bien distincts.
R M U
Figure 9.11 Les lésions rétro
Possibilités chirurgicales en cas d’avulsion et sous-claviculaires au niveau
de C5 et de C6. des troncs secondaires
Par ailleurs, le problème des paralysies radiculai- Ces lésions surviennent en règle dans le cadre
res supérieures est celui de l’épaule pour lequel d’un traumatisme de la ceinture scapulaire avec
chirurgie nerveuse, transfert musculaire, ostéoto- fracture de la clavicule, de l’omoplate, de l’extré-
mie de dérotation de l’humérus et plus rarement mité supérieure de l’humérus et souvent avec des
arthrodèse doivent obtenir une stabilisation et lésions vasculaires associées.
une rotation externe active, facteur de la meilleure En ce qui concerne les lésions nerveuses, elles sont
utilisation de la flexion du coude et donc de la souvent importantes et étendues avec donc des
fonction du poignet et de la main. difficultés pour les réparer.

403
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Siège des lésions Associations lésionnelles les plus fréquentes

a = Troncs secondaires 1 = Troncs secondaire postérieur


b = Branches terminales + musculocutané
a+b + sus scapulaire
C4 2 = Nerfs circonflexe
C4
+ sus scapulaire
C5 3 = Troncs secondaires
postérieur et antéro-externe C5
C6
C6
S.S
a C7
2 C7
1-3
^ C8 2
C C8
3
b
R D1
1 D1
MC
M C

Figure 9.12
Différents sites des lésions rétro et infraclaviculaires.

Il faudra privilégier le nerf sus-scapulaire, le tronc


secondaire antéro externe à l’origine du nerf mus-
Conclusion
culocutané et d’une partie du nerf médian et le
Les problèmes de diagnostic pré opératoire sont
tronc secondaire postérieur.
fondamentaux et l’évaluation clinique complétée
En ce qui concerne le tronc antéro-interne à par les examens complémentaires, myélographie
l’origine du nerf ulnaire, compte tenu de la dis- couplée au scanner et électromyographie doivent
tance entre la lésion nerveuse et les effecteurs, il être réalisés de manière à permettre de poser rapi-
ne sera, en règle, pas réparé et le nerf ulnaire dement des indications thérapeutiques cohérentes.
pourra être utilisé comme greffon nerveux libre L’exploration chirurgicale doit être précoce, entre
ou vascularisé. la 6e semaine et le 3e mois, et de toute manière
avant le 6e mois, car toutes les statistiques mon-
Les lésions des branches
trent que les résultats sont d’autant moins bons
terminales que l’on opère plus tard.
Le tableau est alors non plus radiculaire, mais C’est un 1er point essentiel car les blessés sont
tronculaire avec atteinte isolée ou associée des encore trop souvent vus tardivement ce qui obère
nerfs sus-scapulaire, axillaire et musculocutané. les résultats.
Le tableau le plus fréquent est celui de la rupture Les paralysies C5-C6 et C5-C6-C7 représentent
du nerf axillaire et, s’il n’existe aucune récupéra- les meilleures indications, car la main est intacte
tion clinique ou électromyographique dans un ou seulement partiellement atteinte et les lésions
délai de 3 à 6 mois, il faut alors envisager une de rupture dans la région scalénique sont dans un
exploration chirurgicale et une greffe nerveuse grand nombre de cas accessibles à une greffe ner-
dont les résultats sont très bons compte tenu de veuse permettant de redonner une certaine fonc-
ces lésions localisées proches des effecteurs. tion au niveau de l’épaule et la flexion du coude.
Là encore, on voit trop souvent les blessés tardive- Dans les paralysies totales, le problème est de
ment alors que la réparation du nerf axillaire doit récupérer une stabilité de l’épaule et une flexion
être effectuée précocement du coude mais, bien sûr, les blessés conserveront

404
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

une main paralytique définitive. Il faudra alors [4] Alnot JY, Oberlin C. Tendon transfers in palsies of
envisager avec eux leur reclassement ou plus exac- flexion and extension of the elbow. In Tubiana R,
The Hand, vol IV. Philadelphia, WB Saunders, 1993 :
tement leur orientation professionnelle, car il
134–146.
s’agit de sujet jeune 19 à 25 ans.
[5] Alnot JY, Rostoucher P, Oberlin C, Touam C. Les
Enfin les phénomènes douloureux qui grèveraient paralysies traumatiques C5-C6 et C5-C6-C7 du
considérablement le pronostic de ces blessés sont plexus brachial de l’adulte par lésions supraclavicu-
maintenant considérablement diminués par le laires. Rev Chir Orthop, 1998 ; 84 : 113–123
rétablissement d’afférences venant du membre [6] Alnot JY. La main plexique. Atteinte du poignet et de
supérieur et ceci constitue un point important des la main dans les paralysies traumatiques du plexus
brachial de l’adulte. In Cahier des Conferences d’En-
indications.
seignement de la Sociéte Française de Chirurgie de
Compte tenu de la connaissance des lésions ana- la Main (GEM), Expansion Scientifique Française,
tomo-pathologiques, de l’évolution de la chirur- 1993 : 129–143.
gie et des résultats obtenus, il faut par expertise [7] Alnot JY. Traumatic brachial plexus lesions in the
dans la première année post-traumatique conso- adult. Indications and Results. Hand Clinics, 1995 ;
lider ces blessés qui pourront ainsi se reclasser vol 11, n° 4 : 623–633.
professionnellement. [8] Alnot JY. Traumatic brachial plexus palsy in adults.
In Tubiana R. The Hand, vol III. Philadelphia, WB
Dans les paralysies totales par lésions supracla- Saunders, 1988 : 607–644.
viculaires alors que l’on sait que les blessés [9] Brunelli G, Monini L. Neurotization of avulsed roots
conserveront une main paralytique définitive of brachial plexus by means of anterior nerves of cer-
et que l’IPP sera d’environ 60 % d’après le vical plexus. Clin Plast Surg, 1984 ; 11 : 144–153.
barème fonctionnel indicatif des incapacités en [10] Franciosi LF, Modestti C, Mueller SF. Neurotization
droit commun, barème qui devrait d’ailleurs of the biceps muscle by end to side neurorraphy
être revu. Il n’est plus concevable de leur faire between ulnar and musculocutaneous nerves.
perdre 2, voire 3 ans et il importe qu’ils soient A series of five cases. Ann Chir Main, 1998 ; 17, n°4 :
362–367.
pris en charge rapidement par la Cotorep ou
[11] Leechavengvongs S, Witoonchart K, Uepairojkit Ch,
d’autres organismes, de manière à commencer
Thuvasethalkul Ph, Ketmalasiri W. Nerve transfer
un reclassement ou une orientation profession- to biceps muscle using a part of the ulnar nerve in
nelle à 6 mois. brachial plexus injury (upper arm type) : a report of
Il faudrait les consolider à cette date. Il en est de 32 cases. J Hand Surg, 1998 ; 23 A : 711–716.
même dans les paralysies totales par lésions rétro [12] Loy S, Bhatia A, Asfazadourian H, Oberlin C. Ulnar
et infra claviculaires. nerve fascicle transfer on the biceps motor nerve in
C5-C6 or C5-C6-C7 avulsion of the brachial plexus
Dans les paralysies C5-C6 par lésions supraclavi- bared on a series of 18 cases. Ann Hand Uper Limb
culaires, les résultats sur l’épaule et le coude sont Surg, 1997 ; 16 : 275–284.
en général acquis à 9–10 mois et là encore on [13] Millesi H. Brachial plexus injuries. Management and
peut raccourcir le temps de retour dans la vie results. Clin Plast Surg, 1984 ; 11 : 115–121.
professionnelle. [14] Narakas A. Les neurotisations ou transferts ner-
veux dans le traitement des lesions traumatiques du
plexus brachial. In Tubiana R. Traité de chirurgie de
Bibliographie la main. Chirurgie des tendons, des nerfs et des vais-
seaux, tome 3. Paris, Masson, 1986 : 542–568
[1] Alnot JY, Daunois O, Oberlin C et al. Total palsy of
brachial plexus by supra-clavicular Iesions. Journal [15] Narakas A. Surgical treatment of traction injuries of
of Orthopaedic Surgery, 1993 ; 7 : 58–66. the brachial plexus. Clin Orthop, 1978 ; 133 : 71–90.
[2] Alnot JY, Liverneaux PH, Silberman O. Les lésions [16] Narakas A. The surgical management of bra-
du nerf axillaire. Rev Chir Orthop, 1996 ; vol 82, chial plexus injuries. In Daniel R.K, Terzis I.K.
n° 7 : 579–590. Reconstructive Surgery. Boston, Little Brown, 1977.
[3] Alnot JY, Narakas A et al. Les paralysies du plexus [17] Oberlin C. Nerve transfer to biceps muscle using a
brachial. Monographie du GEM, Expansion Scienti­ part of ulnar nerve for C5-C6. Avulsion of the bra-
fique, 1re et 2e éditions, 1989 et 1995, Paris : 1–297. chial plexus. Anatomical studies and report of four
Traumatic brachial plexus injuries. Monographie cases. J Hand Surg (Am), 1994 ; 19A : 232–237.
du GEM, Expansion Scientifique, English Edition, [18] Rostoucher P, Alnot JY, Oberlin C, Touam C. Tendon
Paris, 1996 : 1–279. tranfers to restore elbow flexion after ­traumatic

405
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

p­ aralysis of the brachial plexus in adults. International [21] Sunderland S. Nerves and Nerve Injuries,
Orthopaedics, 1998 ; vol 22, n°4 : 255–263. 2d ed. Edinburgh, London, New York, Churchill
[19] Rusch DS, Friedman A, Nunley JA. The restoration Livingstone, 1978 : 854–900.
of elbow flexion with intecostal nerve transfer. Clin [22] Terzis J. Microreconstruction of Nerve Injuries.
Orthop, 1995 ; 314 : 95–103. Philadelphia, WB Saunders, 1987.
[20] Sedel L. Résultats des reparations microchirurgi- [23] Viterbo F, Trindade JCS, Hoschino K, Mazzoni
cales du plexus brachial. À propos d’une série de Nito A. End to side neurorraphy with removal of the
170 cas. In Tubiana R. Traite de chirurgie de la main. epineural sheath. Experimental study in rat. Plast
Chirurgie des tendons, des nerfs et des vaisseaux, Reconstr Surg, 1994 ; 94 : 1038–1047.
tome 3. Paris, Masson, 1986 : 568–571.

L’expertise du poignet et de la main


post-traumatiques

Examen et évaluation du dommage corporel


C. Savornin

Tâche délicate et complexe, elle est fréquente en Elle associe antéposition et adduction du premier
pratique, car ce problème concerne 40 % des métacarpien, flexion de la métacarpo-phalangienne
traumatisés. et de l’interphalangienne et un mouvement global
Une juste réparation du dommage corporel dans de rotation de toutes les pièces squelettiques dans le
ce domaine nécessite d’avoir toujours présente à sens d’une pronation. Les doigts longs ont aussi un
l’esprit l’idée que le membre supérieur n’est en fait rôle précis lors des prises qui sont de différents types :
qu’un « porte main » et que les trois articulations forte, fine, directionnelle.
que sont l’épaule, le coude et le poignet, par leurs Sur le problème des séquelles des lésions du poignet
7 degrés de liberté, ne vont contribuer qu’au posi- et de la main, un point est capital : il n’y a pas de
tionnement de la main dans tous les plans de l’es- parallélisme entre lésion anatomique et incapacité.
pace. Il existe ainsi une synergie fonctionnelle En effet : le doigt blessé gêne le jeu des doigts voi-
entre la main et le membre supérieur et bien sins, mais des adaptations fonctionnelles peuvent
entendu entre les doigts d’une main tout comme s’établir, l’atteinte d’une articulation retentit sur
entre les segments d’une même chaîne digitale. les autres articulations d’un même doigt.
La main par elle-même a une double vocation. Celle Le problème est encore compliqué du fait de la valeur
du toucher, par la sensibilité de son revêtement « symbolique » de la main (la paume de la main est
cutané, permet ainsi la reconnaissance des objets en effet le site des lignes de vie et de chance) qui fait
mais son but principal est, bien entendu, la préhen- qu’il existe un retentissement psychologique consi-
sion qui est l’aptitude à saisir les objets. Dans ce dérable de la plupart des traumatismes de la main.
domaine, il faut noter la place particulière du rayon La main est par ailleurs particulièrement impli-
du pouce qui, plus mobile que les 4 autres, mais plus quée dans la condition humaine, qu’il s’agisse des
court, aussi plus proximal, peut ainsi en se projetant croyances, de la virtuosité (problème de la main
en avant du plan de la paume, s’opposer aux 4 autres du musicien) et de l’art (dans lequel elle apparaît à
rayons. Le pouce tire ainsi son intérêt principal de sa toutes les époques). Pour notre civilisation, c’est
fonction d’opposition aux 4 doigts « longs ». Mais il aussi le problème de la main du sportif.
tient aussi sa valeur de sa force et la perte du pouce En matière de dommage corporel, seul le bilan
réalise au total la perte de 50 % de la valeur fonction- d’une main traumatique ancienne retiendra notre
nelle de la main. L’opposition constitue un mouve- attention. Il doit commencer par un interrogatoire
ment complexe de toute la colonne du pouce qui qui doit faire préciser, l’âge, le côté dominant, la
porte la pulpe en regard de celle des autres doigts. profession, les circonstances de l’accident (travail,

406
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

loisir, vie quotidienne), la nature de l’agent ­vulnérant Des problèmes particuliers sont posés par les
(couteau, verre, scie circulaire, presse, toupie…) le écrasements de la main dont le pronostic est
type de traumatisme : fermé : contusion, simple ou dominé par l’ischémie sous jacente (nécessitant
appuyée (comportant un risque de nécrose) ; ouvert : des aponévrotomies en urgence) ; ainsi que par
plaie franche ou déchiquetée, section, écrasement, les dilacérations par toupie de menuisier où les
dégantage, amputation, souillure (avec le risque réimplantations sont souvent aléatoires et dans
d’infection) ; injection sous pression : graisse, pein- lesquelles le but est la reconstruction du pouce
ture (risque d’ischémie). pour obtenir une pince parfois peu esthétique
La position de la main et des doigts lors du trau- mais efficace ; ainsi que par les plaies très septi-
matisme a aussi son importance. ques par machine agricole où le parage initial est
En ce qui concerne les tendons fléchisseurs : la d’une importance considérable, (celui-ci est géné-
rétraction du segment proximal, l’arrachement ralement long et minutieux et aucun autre temps
des vincula et le site lésionnel par rapport à chirurgical ne doit être réalisé tant que tout ris-
l’ouverture cutanée en dépendent. que d’infection n’est pas écarté). Les injections
sous pression ont deux effets : d’action toxique
En effet, le niveau de la section tendineuse ne directe et d’hyperpression. Les graisses, plasti-
­correspond pas forcément à celui de la plaie cuta- ques et peintures réalisent des lésions confinées
née, car ceci dépend de la position en flexion ou au contact du produit. Par contre, les solvants
extension dans laquelle se trouve le doigt lors du organiques ont une action nécrosante, car il
traumatisme. Les sections partielles doivent être existe une absorption du produit à distance. Ces
recherchées systématiquement en tenant compte injections sous pression constituent ainsi une
lors de l’exploration peropératoire, de l’amplitude urgence absolue avec nécessité d’excision com-
du glissement tendineux. Dans les sections tota- plète du produit jusqu’en tissu sain en évitant
les, la rétraction du bout proximal est souvent tout contact des instruments souillés avec les
importante. Il n’est pas rare pour une section au ­tissus sains. Dans ce domaine, les amputations
niveau de la première ou de la deuxième phalange restent fréquentes.
survenue sur un doigt fléchi, de retrouver les bouts
proximaux dans la paume et l’importance de cette Les plaies par armes à feu et explosifs réalisent des
rétraction conditionne l’arrachement des vincula pertes de substance osseuse, tendineuse et ­cutanée.
et donc la dévascularisation tendineuse. L’effet de blast les aggrave parfois considérable-
ment et peut les mettre au-delà de toute possibilité
La notion d’une hyperextension forcée doit évo-
thérapeutique.
quer une désinsertion des fléchisseurs profonds.
Pour les tendons extenseurs, la notion d’un trau- Les morsures humaines ou animales réalisent une
matisme en hyperflexion est très évocatrice d’une contamination considérable avec de nombreux
désinsertion distale. cas d’arthrite et ostéoarthrite. Il faut connaître la
L’histoire thérapeutique doit aussi être abordée au possibilité d’une infection à Pasteurella multocida
niveau de l’interrogatoire et en particulier le type avec syndrome douloureux et inflammatoire
de traitement réalisé en urgence ainsi que le résul- rapide. Toutes ces morsures nécessitent un parage
tat de l’exploration initiale, (un défaut d’explora- systématique en urgence avec l’ablation impéra-
tion en urgence tout comme un défaut tive de la plaque dentaire dans la plaie. Les morsu-
d’aponévrotomie sur une main présentant un res par serpent réalisent une nécrose majeure et
syndrome des loges peuvent avoir des conséquen- avec un risque de coagulation intravasculaire
ces préjudiciables pour l’avenir) ; le nombre d’in- ­disséminée. (500 000 morsures par serpent veni-
terventions successives pratiquées et leur type ; les meux par an dans le monde sont répertoriées
complications éventuelles (infection, nécrose, régulièrement avec 50 000 décès).
syndrome des loges, ischémie, algoneurodystro- Les corps étrangers (bois, épines végétales) néces-
phie…) ; le nombre de séances de rééducation et sitent une exploration parage systématique et une
leur type (en faisant préciser la date du début du recherche avec obstination de celui-ci. Lorsque ce
travail actif après une suture du tendon fléchis- corps étranger est métallique, il peut par contre
seur, problème de responsabilité médicale en être laissé en place s’il est peu contaminé et
lâchage de suture). asymptomatique.

407
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Les lésions iatrogènes sont malheureusement Un impact étendu en regard des têtes métacar-
déplorées dans la chirurgie endoscopique du piennes peut entraîner une lésion des articulations
canal carpien et impliquent de respecter les carpo-métacarpiennes.
contre-indications de cette technique de façon Au niveau du poignet, le maître-symptôme est la
impérative. douleur. Un déficit de la force de préhension asso-
Il faut connaître aussi la possibilité de ruptures cié à un poignet peu douloureux est très évocateur
tendineuses en deux temps (par section partielle d’une instabilité intracarpienne. Les dérange-
négligée ou non reconnue) qui fait que la règle ments internes du poignet sont des symptômes
d’explorer toute plaie de la main reste intangible. classiques avec ressaut, craquement, claquement,
En effet, seule l’exploration chirurgicale peut faire déclic.
un bilan lésionnel précis. Le ressaut est un signe visible audible et palpable,
L’algodystrophie, lorsqu’elle est patente constitue il peut être bénin sur des poignets laxes apparais-
une contre-indication à la chirurgie. En l’absence sant en tiroir et traction.
d’algoneurodystrophie évidente, tout traitement Lorsqu’il est pathologique, il apparaît en flexion
chirurgical impératif implique un traitement ou inclinaison, il peut s’agir alors : d’une instabilité
préventif lorsqu’il y a des antécédents d’algoneu- intracarpienne (scapho-lunaire, médio-­carpienne,
rodystrophie. À la main et au poignet, l’algodys- triquétro-lunaire, ou capito-lunaire), d’une lésion
trophie peut se présenter sous forme patente ou du ligament triangulaire, d’une subluxation de la
bâtarde. Il faut surveiller particulièrement l’exis- tête cubitale, ou d’une luxation du tendon du cubi-
tence de signes tels qu’un aspect luisant de la tal postérieur.
peau, une modification de la sudation, une dimi-
Un craquement peut être bénin. Il est alors indo-
nution de la mobilité, une augmentation des dou-
lore. Il traduit un état de saturation des gaz intra-
leurs avec des irradiations ascendantes, et le
articulaires. Lorsqu’il est pathologique, il apparaît
moindre œdème (savoir réaliser des mesures
lors de douleurs en prosupination traduisant alors
périmètriques au poignet, au gantier et sur la pre-
une chondromalacie de la tête cubitale.
mière phalange du 3e rayon).
C’est dire que l’examen doit être méthodique et
Pour ce qui concerne les traumatismes du poi-
rigoureux. Il permet de faire l’étude analytique
gnet, doivent attirer particulièrement l’attention  :
des séquelles.
la chute sur le poignet en flexion et en pronation,
qui fait évoquer la possibilité de rupture des liga-
ments radiocubitaux ; la chute sur le poignet en
extension avec hyperextension qui fait penser à Le bilan cutané
une lésion capito-lunaire, avec impact ­thénarien,
une lésion scapho-lunaire, avec impact hypothé- Il recherche des cicatrices superficielles rétracti-
narien, une lésion de la colonne ulnaire ou de l’ar- les, (importance, localisation). Celles-ci peuvent
ticulation médio-carpienne (hamato-triquétrale être responsables d’un défaut d’amplitudes arti-
ou pisipyramidale). culaires (extension ou flexion). La peau dorsale est
normalement fine, élastique et mobile, et com-
Une rétropulsion forcée du pouce peut être à
porte un excédent qui permet l’enroulement.
­l ’origine d’une entorse scapho-trapézienne.
La peau palmaire est par contre normalement
Un cisaillement commissural ou une hyperab- épaisse avec un tissu cellulo-graisseux abondant
duction ou hyperadduction forcées du pouce peut (coussinet élastique permettant la préhension). Les
entraîner une lésion du trapèze ou de l’articula- cicatrices adhérentes aux plans profonds peuvent
tion trapézo-métacarpienne. être à l’origine d’une limitation du jeu tendineux.
Un mouvement rapide depuis l’inclinaison Il ne faut pas omettre l’examen des ongles. Ceux-ci
radiale forcée vers l’inclinaison cubitale forcée constituent en effet le plan d’appui de la pulpe
peut entraîner une dissociation scapho-lunaire. dans la préhension, en dehors de leur rôle esthéti-
Une torsion forcée en hyperpronation peut que bien évident. Un ongle en griffe ou en repousse
­entraîner une lésion médio-carpienne. vicieuse peut être particulièrement gênant.

408
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Le bilan tendineux L’examen du fléchisseur commun profond se fait


en bloquant la 2e phalange en extension pour
­étudier la flexion active de la 3e phalange.
La mobilité du poignet est étudiée par les flexions
dorsale et palmaire, aussi que les inclinaisons L’examen du fléchisseur commun superficiel est
radiale et cubitale, à l’aide d’un goniomètre. Le plus délicat, car le fléchisseur commun profond
testing des muscles fléchisseurs et extenseurs du est capable à lui seul de fléchir toutes les articula-
poignet est réalisé à ce stade : premier radial res- tions d’un doigt pouvant donner en cas de lésion
ponsable d’une extension et d’une inclinaison isolée du fléchisseur superficiel, l’impression
radiale, et deuxième radial responsable d’une d’une fonction normale. L’interdépendance des
extension simple, petit palmaire, grand palmaire, fléchisseurs profonds en raison de leur corps mus-
cubital postérieur, dont on sait que dans la gout- culaire commun, permet d’annuler l’action du
tière de la tête cubitale, sa position varie légère- fléchisseur commun profond d’un doigt en main-
ment de la pronation à la supination. Une tenant les autres en extension. Cette manœuvre
pathologie tendineuse traumatique au poignet décrite par C. Verdan dans le syndrome du « qua-
peut se rencontrer sous forme d’une maladie de drige » permet d’analyser isolément l’action du
De Quervain mise en évidence par le test de fléchisseur commun superficiel d’un doigt par
Finkelstein : réveillant la douleur en regard de la l’étude de la flexion active au niveau de l’inter-
styloide radiale par mise en tension des tendons phalangienne proximale. Mais, certaines anoma-
long abducteur du pouce et court extenseur du lies anatomiques existent et notamment le corps
pouce lors de la flexion passive du poignet en musculaire du fléchisseur commun profond de
inclinaison cubitale, le pouce étant maintenu dans l’index est très souvent distinct de celui des autres
la paume par les autres doigts (il faut néanmoins doigts (syndrome de la Troïca). Néanmoins, toute
différencier la douleur ressentie lors de cette limitation de la flexion de l’interphalangienne
manœuvre d’une arthrose trapézo-métacar- proximale doit faire suspecter une lésion du flé-
pienne). Peuvent se rencontrer encore une ténosy- chisseur commun superficiel.
novite du grand palmaire ou des fléchisseurs Au niveau du pouce le long fléchisseur agit pri-
responsable d’un syndrome du canal carpien ou mairement sur la deuxième phalange et il faut se
un syndrome du « croisement », au-dessus du souvenir que la flexion de la métacarpo-phalan-
tubercule de Lister, consistant en un conflit syno- gienne est assurée également par les muscles
vial entre les tendons abducteur-court extenseur thénariens.
du pouce et les tendons radiaux. L’examen des tendons extenseurs, à la face dorsale
Des anomalies musculo-tendineuses peuvent se de la main peut être difficile, car il existe à ce
rencontrer au poignet dans 10 à 15 % des cas consis- niveau des juncta tendinorum et aussi un exten-
tant en une connexion entre fléchisseur propre du seur propre pour l’index et pour le 5e doigt. Ces
pouce et fléchisseur profond de l’index. Cette ano- bandelettes d’association entre les tendons de l’ex-
malie sera mise en évidence par le test de Lindburg tenseur peuvent ainsi limiter le déficit d’extension
(la flexion active de la métacarpo-phalangienne du et ce d’autant qu’au niveau de l’index et de l’auri-
pouce entraîne une flexion automatique de l’inter- culaire le tendon propre peut être respecté. Enfin,
phalangienne distale de l’index). Ainsi une sensa- la section des sangles latérales sur la métacarpo-
tion de tension douloureuse apparaît au poignet phalangienne se manifeste par un déficit partiel
lorsque l’on maintient l’articulation interphalan- d’extension avec luxation latérale du tendon.
gienne distale de l’index en extension et que l’on Au niveau des doigts, la section des tendons
demande au patient d’effectuer une flexion active extenseurs à des niveaux divers va entraîner
de l’interphalangienne de son pouce. ­certaines déformations caractéristiques et à la
La mobilité des doigts, à la recherche d’un déficit ­différence des tendons fléchisseurs, les extrémités
par lésion tendineuse, commence par des tendons ne se rétractent pas. Ces lésions s’accompagnent
fléchisseurs et pour cela il faut maintenir la ­fréquemment d’ouverture articulaire. Une section
­première phalange en extension pour éliminer au niveau de la 2e phalange entraîne une perte
l’action des interosseux. de l’extension active de la 3e phalange avec

409
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

­ éformation en maillet. Une section de la bande-


d Au niveau du poignet existe la possibilité d’une
lette médiane ou du tendon extenseur au niveau pathologie nerveuse traumatique, concernant le
de la 1re phalange entraîne une perte de l’exten- nerf radial sensitif sur la styloïde radiale (syn-
sion active de la 2e phalange avec attitude en drome de Wartenberg), ou par névrome du nerf
flexion de l’interphalangienne proximale. La interosseux postérieur, avec une douleur dorsale
déformation en boutonnière avec hyperextension augmentant en flexion du poignet.
de la 3e phalange ne s’installe que progressivement Il faut se souvenir qu’à la face palmaire du poignet
et caractérise une lésion ancienne méconnue. et de la main une lésion nerveuse est un problème
Au niveau du pouce, le long extenseur, le court pathologique fréquent. En effet, au niveau du poi-
extenseur et le long abducteur participent à l’ex- gnet, le nerf médian et le nerf cubital sont sur le
tension, à la rétropulsion et à l’abduction du même plan que les tendons fléchisseurs. À la
pouce. Les expansions des thénariens externes et paume, les branches de division sont superficielles
internes assurent également l’extension de la par rapport aux tendons. Ainsi en règle, une lésion
2e phalange sur la 1re et l’action du long extenseur tendineuse s’accompagne d’une lésion nerveuse.
doit être recherchée en maintenant la main à plat Au doigt, le nerf collatéral est latéral mais anté-
sur un plan dur et en demandant au blessé d’effec- rieur à l’artère. Le fait constaté de l’examen neuro-
tuer une rétropulsion extension du pouce. Pour logique difficile en urgence où existe un œdème,
tester le court extenseur du pouce, il faut exami- une douleur, une angoisse et où des sections ner-
ner l’extension possible de P1 du pouce en mainte- veuses partielles peuvent entraîner un déficit non
nant l’interphalangienne du pouce en flexion. évident, joint à ces notions anatomiques fait
L’appareil extenseur des doigts longs ne se limite pas qu’une règle reste intangible : « Toute plaie sur un
aux extenseurs communs ou aux extenseurs pro- trajet nerveux doit être explorée. »
pres. Il faut prendre en compte les muscles interos- Cet examen doit tenir compte sur le plan moteur
seux qui fléchissent la première phalange et étendent de l’existence de nombreuses variations entre nerf
les deux autres et ceux-ci doivent donc être analysés médian et nerf cubital. En effet, le court fléchis-
en fonction de la position en flexion et en extension seur du pouce peut être innervé en entier par le
de la métacarpo-phalangienne. Les muscles inter­ nerf médian. Il peut être aussi innervé en entier
osseux sont responsables ainsi de la flexion de la par le nerf cubital. Dans ce cas, le blessé qui a une
main en volet, les interosseux dorsaux écartent les lésion du rameau thénarien du nerf médian sur
doigts, les interosseux palmaires les rapprochent un court fléchisseur en entier innervé par le nerf
sur des métacarpo-phalangiennes en extension. cubital, peut conserver une antépulsion du pouce,
Ce bilan tendineux doit aussi rechercher l’effet ce qui peut faire méconnaître la lésion du nerf
tenodèse classique par mobilisation passive du médian.
poignet qui traduit l’existence d’une balance ten- En revanche, en ce qui concerne le nerf médian, le
dineuse entre les fléchisseurs et les extenseurs. Ce court abducteur du pouce est toujours innervé
test qui, en flexion passive du poignet créé une par lui et lui seul.
extension des doigts et en extension passive du
Sur le plan sensitif, il existe aussi des anomalies de
poignet un enroulement des doigts longs, peut
répartition entre le nerf médian et le nerf cubital.
ainsi dépister des adhérences des tendons entre
Les zones autonomes correspondent aux pulpes
eux ou des ruptures de ceux-ci, ou des adhérences
de l’index et du 5e doigt et à la face dorsale de la
aux éléments voisins.
1re  commissure. Il existe aussi des hémipulpes
majeures (cubitale du pouce, radiale de l’index et
du majeur, cubitale du 5e doigt) et mineures (les
Le bilan neurologique autres hémipulpes).
Dans le bilan neurologique, un déficit sensitif
Il comporte trois volets : sensitif, moteur, trophique. pur et localisé aux doigts doit évoquer une lésion
Il concerne à la main le nerf médian, le nerf cubi- des nerfs collatéraux digitaux. Par contre, un
tal, leurs branches, ainsi que la branche sensitive déficit sensitif et moteur doit évoquer une lésion
du nerf radial. nerveuse au poignet.

410
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Le nerf médian réalise classiquement une paraly- ­ ’ischémie autour du point de contact. Ainsi les
d
sie de l’antépulsion du pouce (thénariens externes) branches d’un trombone déplié font parfaitement
et une anesthésie de D1 D2 D3 et de la moitié l’affaire pour ce test ({9/10} de mm de calibre). On
radiale de D4. Lors de la tentative d’opposition, le commence par un écartement important et on
pouce de ce blessé racle la paume. Avec sa pince réduit progressivement jusqu’au seuil de discrimi-
pouce index il ne peut plus effectuer un rond. Une nation. Il faut 7 réponses exactes sur 10 tests pour
lésion du nerf cubital réalise une paralysie de un écartement donné. Un sens tactile correct est
­l ’antéposition de D5, de l’opposition D1-D5, du de l’ordre de 8 mm (boutonner un bouton de
creusement de la main, de l’écartement et du ­chemise, coudre avec une aiguille ordinaire). On
­rapprochement des doigts sur des métacarpo-­ considère que le sens tactile est absent lorsque la
phalangiennes en extension, une manœuvre de distance d’écartement est supérieure à 12 ou
Froment positive et une attitude en griffe cubi- 15 mm. La sensibilité de protection existe pour
tale, c’est-à-dire une hyperextension ­métacarpo- 12 à 30 mm. Tenir avec précision un outil néces-
­­phalan­gienne et une attitude en flexion IPP et IPD. site une discrimination d’au moins 12 mm.
De plus, l’anesthésie intéresse D5 et la moitié cubi- Visser un écrou de 5 mm nécessite une discrimi-
tale de D4 ainsi que la partie interne de la face nation de 6 mm sur les deux branches de la pince.
dorsale de la main. La prise et l’orientation correcte de petits outils
Il faut connaître la possibilité d’une paralysie du demandent au moins 12 à 15 mm. Par contre, les
nerf interosseux antérieur qui réalise une pince prises de force peuvent être exécutées convenable-
D1-D2 en « bec de canard » par paralysie du flé- ment (mais avec une habileté diminuée) pour des
chisseur profond de l’index, et du fléchisseur pro- valeurs supérieures.
pre du pouce. Pour l’étude de la sensibilité profonde proprio-
L’atteinte des branches sensitives du nerf radial ceptive, c’est le sens de la position des différents
réalise une anesthésie de la partie radiale du segments digitaux qui est étudié. Pour cela, il faut
dos de la main et de la face dorsale du pouce prendre soin de saisir le doigt par ses deux faces
(zone autonome à la face dorsale de la première latérales pour le mettre dans une position donnée,
commissure). le patient ayant les yeux fermés.
Il faut connaître l’existence assez fréquente en pra- Les tests de fonction étudient les performances du
tique d’associations lésionnelles ; médio-cubitale, blessé :
cubito-radiale, ou médio-radiale. Le bilan moteur • test de ramassage de Moberg : yeux ouverts puis
se fera selon la classification de M0 à M5 du British yeux fermés (12 objets en moins de 30 secondes) ;
médical Concil de 1942 : M0 contraction nulle, M1 • test d’identification de Wynn-Parry : yeux fer-
ébauche de contraction, M2 contraction ne s’op- més (12 objets en moins de 30 secondes) ; test de
posant à rien, M3 contraction s’opposant à la localisation de Wynn-Parry.
pesanteur, M4 contraction s’opposant à pesanteur
et à résistance, M5 contraction normale. Le classement de la sensibilité est réalisé en 4 stades  :
stade 0 : aucune sensibilité ; stade P : sensibilité de
L’exploration des sensibilités doit faire appel à un
protection (S1 sensibilité douloureuse, S2 toucher
minimum d’appareillage.
avec hyperesthésie) ; stade T : tact ; S3 sensibilité à la
Pour la sensibilité superficielle dite de protection, compresse : Weber entre 15 et 40 mm (toucher sans
il faut pratiquer le test à la piqûre et le test du hyperesthésie, ébauche de discrimination - prise
chaud et du froid. grossière) ; S3 bis : Weber entre 6 et 15 mm, discri-
Pour l’étude de la sensibilité superficielle tactile, il mination utile, gnosie tactile, reconnaissance des
faut faire appel au test à la compresse ou à objets ; stade D discrimination : Weber < à 6 mm,
l’écouvillon. sensibilité normale.
Pour la sensibilité superficielle discriminative Le bilan neurologique est aussi trophique à la
c’est le test de Weber qui est nécessaire. Ce test de recherche de lésions cutanées et d’altération des
discrimination de deux points nécessite d’utiliser mobilités articulaires sous la forme de déformations
des pointes mousses et sans provoquer d’aire souples et réductibles ou de déformations fixées.

411
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Le bilan musculaire par les seules artères interosseuses antérieures ou


postérieures, mais il existe néanmoins, dans cette
situation, une contre-indication à la chirurgie
Il est particulièrement important en cas d’écrase-
sans pontage veineux préalable.
ment ou de plaies multiples associées à des contu-
sions directes. C’est tout le problème des muscles Le test d’Allen permet d’apprécier la perméabilité
intrinsèques à la main et du syndrome des loges qui de chacune des deux artères du poignet principa-
nécessitent un bilan exact par l’exploration peropé- les. L’examinateur procède de la façon suivante : le
ratoire, des aponévrotomies en urgence, sans les- patient doit ouvrir et fermer vigoureusement le
quelles l’évolution se fait immanquablement vers la poing à plusieurs reprises, puis la main surélevée,
rétraction commissurale et une main intrinsèque. il maintient le poing fermé, ceci afin de permettre
une vidange sanguine, tandis que les doigts de
Des tests permettent de différencier la part de
l’examinateur sont placés avec pression en regard
limitation articulaire et musculo-tendineuse dans
des deux axes vasculaires. À un signal donné, le
les défauts de mobilité des doigts.
patient ouvre sa main puis la pression est relâchée
C’est tout d’abord la flexion du poignet dans le sur l’une des artères et on note la vitesse et le ter-
syndrome de Volkman. ritoire de recoloration. La manœuvre est répétée
Le test de Bunnel, en rétraction des interosseux, si pour l’autre artère. Il peut arriver que les territoi-
la métacarpo-phalangienne est en extension, la res vasculaires à la main des deux artères radiale
flexion IPP IPD est impossible, si la métacarpo- et cubitale soient indépendants.
phalangienne est en flexion, la flexion IPP IPD Il faut savoir que le canal Guyon est le siège électif
devient possible. des thromboses de l’artère cubitale et qu’en cas de
En blocage tendineux des doigts, la flexion de la lésion à la main, trois aspects séméiologiques peu-
première articulation située en aval du blocage vent se rencontrer : retard circulatoire avec lenteur
permet de porter en extension les phalanges sui- à la revascularisation, gêne à l’effort et dysesthésie ;
vantes. Mais l’examen analytique des muscles désert vasculaire avec absence d’injection locali-
moteurs doit tenir compte du fait que l’affaiblisse- sée sur l’artériographie et de passage au doppler ;
ment ou la disparition du mouvement volontaire shunt de la main et des doigts avec retour veineux
peut avoir plusieurs causes en réalité : paralysie du carpien précoce, main gelée et inerte sans régula-
nerf afférent, destruction du corps charnu, rupture tion aux changements thermiques.
du tendon efférent, blocage tendineux par adhé- Ce bilan vasculaire conditionne toute la chirur-
rences, destruction des poulies de réflexion (flé- gie de la main. Il est donc essentiel. Toute théra-
chisseur) ou des bandelettes sagittales (extenseur). peutique chirurgicale, qu’il s’agisse même des
indications d’une ténolyse, d’une greffe tendi-
neuse ou nerveuse ou d’un lambeau doit être
Le bilan vasculaire posée en fonction de la vascularisation globale de
la main. D’où l’intérêt en urgence de réparer
C’est un autre temps important de l’examen. Mais, ­toutes les lésions vasculaires, artérielles et vei-
si la vascularisation de la main est riche avec pos- neuses dans la limite du possible, car la trophicité
sibilité de suppléances nombreuses par anastomo- ultérieure de la main et des doigts en dépend, de
ses entre l’artère radiale et l’artère cubitale, il n’en même que la qualité fonctionnelle des réparations
reste pas moins que cet examen doit savoir faire tendineuses et nerveuses.
appel en cas de nécessité à l’artériographie, à l’an-
gio IRM ou plus simplement à l’examen au dop-
pler. Cliniquement, c’est la coloration, la chaleur,
le pouls artériel et le pouls capillaire distal qui
Le bilan ostéo-articulaire
sont étudiés. Il faut savoir que la face dorsale de la Il doit tenir compte de l’anatomie, qui est particu-
main et des doigts est le siège quasi exclusif du lièrement complexe, puisque la main comporte
réseau veineux. 19 petits os et 5 rayons, et le poignet 18 osselets
En cas de lésion au poignet d’un ou des deux en deux rangées. Il existe ainsi des éléments
troncs artériels, une vascularisation reste possible fixes (2e rangée du carpe, 2e et 3e métacarpiens)

412
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

et des ­éléments mobiles (1er métacarpien, 5e méta- • test d’instabilité médio-carpienne : en inclinai-
carpien, 1re rangée du carpe). son cubitale forcée passage de la 1re rangée de
La seule articulation du poignet (articulation la DISI en VISI donnant ressaut + douleur +
plus complexe du corps humain) comporte elle- appréhension ;
même 4 articulations : radiocubitale inférieure, • tests d’instabilités de la radio-cubitale inférieure  :
radio-carpienne, médio-carpienne, carpo-méta- subluxation dorsale en pronation subluxation
carpienne. Si le rôle précis des ligaments n’est pas palmaire en supination. Test du ballottement
encore parfaitement élucidé au niveau du poi- donnant douleurs et crépitations (en position
gnet, on sait qu’ils maintiennent toutefois la neutre).
cohésion articulaire et l’harmonie des osselets
La palpation très précise est essentielle pour déter-
du carpe entre eux. Ils doivent ainsi concilier
miner une zone pathologique à condition de pro-
deux impératifs contradictoires, que sont la
céder à un examen comparatif, mais des difficultés
mobilité et la stabilité. Dans l’examen ostéo-­
peuvent se rencontrer et il suffit pour cela d’évo-
articulaire du poignet, il faut savoir dépister une
quer le nombre des diagnostics à évoquer en pré-
laxité constitutionnelle, qui fait le lit de certaines
sence de douleurs de la région ulnaire du poignet
instabilités non dissociatives, par des mouve-
qui peuvent correspondre : à une lésion du liga-
ments forcés passifs en flexion révélant une
ment triangulaire ; à une subluxation ou luxation
hyperlaxité capsulaire et des mouvements de
de l’articulation radio-cubitale inférieure (RCI) ; à
traction dans l’axe avec tiroir antéro-postérieur
une subluxation du tendon cubital postérieur ; à
qui révèlent la laxité constitutionnelle intracar-
une instabilité médio-carpienne ; à une instabilité
pienne. Cet examen doit tenir compte de la pro-
luno-pyramidale ; à une chondromalacie de la tête
jection cutanée tant dorsale que palmaire des
cubitale ; à un conflit ulno-lunaire ou ulno-
éléments anatomiques ostéo-articulaires.
triquétral.
Des manœuvres spéciales d’examen clinique doi-
Ainsi, l’imagerie du poignet est souvent indispen-
vent être aussi utilisées :
sable quoique toujours orientée et confrontée par
• flexion et extension passives, inclinaison radiale la clinique. Elle doit comporter des radios stan-
et cubitale, sensibilisées par une compression dard, des radios spécifiques (Schneck, Meyrueis,
axiale ; Kapandji, interligne scapho-lunaire…), des radio-
• tiroir antéro-postérieur à la recherche d’une graphies dynamiques comparatives avec enregis-
laxité congénitale médio-carpienne ; trement sur magnétoscope, comme nous le
• torsion du poignet en hyperpronation et pratiquons à l’hôpital Bégin, qui permettent de
­inclinaison radiale, qui, si elle déclenche une visualiser de façon objective le ressaut ; scanner et
douleur cubitale évoque une entorse hamato- arthroscanner ; IRM qui, à l’heure actuelle, per-
triquétrale ; met déjà une bonne étude de certains ligaments
intracarpiens ; scintigraphie en cas d’algoneuro-
• rétropulsion forcée de la 1re colonne à la recher-
dystrophie non évidente.
che d’une entorse scapho-trapézienne et tra-
pézo-métacarpienne ; L’étude des amplitudes articulaires actives évalue
la valeur fonctionnelle et l’étude des amplitudes
• test de Linscheid pour l’étage carpo-métacarpien ;
articulaires passives est un moyen de contrôle de
• test du ballottement piso-triquétral : à la la réalité d’une raideur alléguée. Mais ces ampli-
­recherche d’une altération de l’interligne tudes sont toujours appréciées par rapport au côté
­pisi-pyramidal ; controlatéral.
• tests d’instabilité scapho-lunaire : test du ballot- Au pouce, il faut apprécier la trapézo-métacar-
tement, test de Watson (déclenchant douleur et pienne de façon comparative tant en adduction
ressaut lorsque positif) ; qu’abduction, antépulsion, rétropulsion et circum­
• test d’instabilité luno-triquétrale : test du bal- duction. Par contre, sur ce rayon du pouce la
lottement de Reagan ; métacarpo-phalangienne et l’interphalangienne
• test d’instabilité capito-lunaire : test du n’ont que des amplitudes de flexion-extension.
­ballottement ; L’opposition du pouce est appréciée selon la

413
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

c­ otation de Kapandji jusqu’à la tête de M5. Pour Cette force décroît après 40 ans pour la femme et
les doigts longs, les métacarpo-phalangiennes ont 50 ans pour l’homme de 10 à 20 % environ.
des mouvements de flexion extension ainsi que La prise directionnelle est la prise d’un tournevis.
d’abduction adduction en extension. Les inter- Elle utilise les pulpes du pouce et des doigts longs
phalagiennes ont des mouvements de flexion ainsi que la paume de la main.
extension et il faut savoir que la convergence en
La prise fine fait intervenir la pince entre pouce et
flexion se fait pour les doigts longs vers le tuber-
doigts longs. Cette préhension fait donc interve-
cule du scaphoïde. Ainsi, le dépistage d’un cal
nir le toucher, avec pour celui-ci le rôle capital de
vicieux en rotation est possible. Ce bilan ostéo-
la dernière phalange. Ainsi la perte de P3 pour les
articulaire clinique étudie donc des séquelles : de
doigts longs ou P2 pour le pouce équivaut à la
plaie articulaire, de pseudarthrose aseptique, de
perte de 50 % de la valeur fonctionnelle d’un
cal vicieux diaphysaire ou articulaire (qui sont
doigt.
très mal tolérés si en recurvatum ou surtout en
rotation mais aussi en raccourcissement pour les La pince unguéale est utilisée pour ramasser les
métacarpiens), d’ostéite, d’ostéoarthrite et pseu- très petits objets (épingle ou trombone). C’est une
darthrose septique ainsi que des arthroses post- pince termino-terminale qui explore la précision.
traumatiques. Ce bilan ostéo-articulaire est La pince pulpaire peut être : soit bidigitale : prise
clinique mais aussi radiologique ; il doit compor- d’une feuille de papier (manœuvre de Froment).
ter en plus des radiographies standard des clichés Parmi les pinces bidigitales, c’est la pince pouce
en agrandissement pour les doigts. Des calculs D3 qui est la plus forte ; tridigitale : prise d’un
radiologiques sont à réaliser concernant la lon- stylo ou d’un crayon ; la pince latéro-digitale,
gueur respective des métacarpiens. Une incidence consiste en la tenue d’une clé entre la pulpe du
spécifique peut être pratiquée pour les métacarpo- pouce et la face latérale de l’index. C’est la seule
phalangiennes (technique de Brewerton). pince que peut restaurer la chirurgie palliative
dans les grandes paralysies de la main.
L’importance de la sensibilité dans ces pinces
L’étude synthétique conduit à définir des équivalences de perte fonc-
des séquelles tionnelle. Ainsi une sensibilité discriminative
médiocre est responsable d’une perte de 20 à 25 %
La prise en crochet, prise du seau est une prise de la valeur fonctionnelle. Une sensibilité de pro-
digito-palmaire globale perpendiculaire à l’axe de tection, avec nécessité du contrôle de la vue, réa-
la main, elle ne fait pas intervenir le pouce. Par lise une perte de 50 % de la valeur fonctionnelle.
contre, le 2e et le 5e rayon apparaissent dans cette Une anesthésie complète réalise une perte fonc-
pince comme des doigts de la stabilité et sont donc tionnelle complète avec risque de lésion cutanée.
particulièrement importants, puisqu’ils détermi- Une hyperesthésie peut être aussi gênante qu’une
nent la largeur de la main. amputation.
La prise sphérique est une prise multipulpaire cir- De plus, une raideur digitale en extension com-
culaire, c’est la prise d’une bouteille ou d’une plète ou en crochet peut être plus gênante que
sphère de 8 cm de diamètre environ. Elle utilise le l’amputation au même niveau.
pouce en extension et en abduction et le ver- Un autre problème important est celui des moi-
rouillage par le 5e doigt. gnons d’amputation qui sont jugés sur leur qualité
La prise cylindrique constitue le grasp global ou et leur sensibilité et au niveau desquels deux types
poigne, elle utilise le serrage par les 4 doigts longs de pathologies peuvent se rencontrer : le moignon
et le verrouillage par le pouce. C’est donc la tenue douloureux (névrome en particulier) et le moi-
du manche du marteau (objet de 3 cm de diamètre gnon défectueux (défaut de matelassage, défaut
environ). Cette prise cylindrique est évaluée avec osseux).
un dynamomètre. Elle détermine la force de la Dans ce problème des amputations, l’index, qui a
poigne. La main dominante a une force de 5 à une très importante représentation corticale est
10 % supérieure à la non dominante. La femme a très facilement exclu du schéma corporel en cas de
une force située en 40 et 30 % de celle de l’homme. lésion, qu’il s’agisse d’une raideur ou d’un trouble

414
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

de la sensibilité. Ainsi s’il est le doigt de la pince du pouce par transfert d’orteil ou pollicisation
fine, il ne représente en fait que 10 % de la valeur doit tenir compte de la perte du site prélevé (orteil
fonctionnelle de la main. ou doigt).
Aussi, le médius, axe fonctionnel de la main, sup- Le bilan fonctionnel global de la main doit aussi
plée facilement l’index, c’est ce qui est réalisé dans tenir compte du bilan articulaire de l’ensemble du
l’amputation de Chase. Ce rayon représente ainsi membre supérieur, des rapports avec l’âge, la pro-
15 % de la valeur fonctionnelle de la main. fession, des capacités psychologiques et intellec-
L’annulaire (doigt du ring finger) représente 10 % tuelles de récupération et des désirs du blessé.
de la valeur fonctionnelle de la main. Dans l’évaluation de l’incapacité permanente, il
L’auriculaire qui est responsable du verrouillage faut souligner l’intérêt de la fiche de Razemon
des prises de force et de l’appui cubital de la main dont l’emploi peut certes être difficile en pratique
représente par contre 15 % de la valeur fonction- mais qui évalue de façon précise les raideurs.
nelle de la main. En cas d’amputation proximale Enfin, en ce qui concerne l’appréciation de la date
de P1 des rayons 3 et 4, le vide réalisé, qui peut de consolidation en matière de séquelles au niveau
aboutir au non-maintien de certains objets, peut du poignet et de la main il faut tenir compte de la
conduire à réaliser une translocation digitale par- place de la rééducation qui est toujours essentielle
ticulièrement valable tant sur le plan esthétique dans le planning thérapeutique de ce type de trau-
que fonctionnel. matisé. Celle-ci doit en effet être poursuivie tant
Les réimplantations digitales sont souvent sanc- qu’elle a des chances d’améliorer l’état local.
tionnées par des raideurs ou une maladie du froid. Mais, en sachant que la meilleure prévention de
Si ces réimplantations au pouce reconstituent tou- ces séquelles est réalisée par un traitement adapté
jours un gain par rapport à l’amputation, par de la main traumatique en urgence.
contre elles sont moins favorables pour les 2e et C’est dire que le rôle de l’expert chargé d’apprécier
5e doigts. Elles sont aussi à éviter en amont du flé- ces problèmes est particulièrement délicat ; une
chisseur commun superficiel, sauf pour une rai- telle appréciation est exigeante en expérience et
son esthétique. Le problème de la reconstruction réflexion.

Paralysies post-arthroplastie de la hanche


par prothèse

Évaluation du dommage corporel et analyse


de la responsabilité professionnelle
C. Savornin, G. Casanova

Peu d’auteurs abordent le problème des complica- Quelle est la fréquence de cette complication ?
tions neurologiques dans les séries d’arthroplasties Pourquoi cette lésion ? Quelle peut être sa cause ?
par prothèse de la hanche. Et pourtant, celles-ci ne Dans quel délai apparaît-elle ? Quelle est la
sont pas exceptionnelles et ne régressent pas aussi conduite à tenir sur le plan thérapeutique ?
vite et aussi bien qu’on le souhaiterait, ce qui Comment évolue-t-elle et quelles peuvent en
conduit certains de ces patients à rechercher une être les conséquences médicolégales ? Peut-on la
compensation financière à leur handicap. ­prévenir ? Telles sont les principales questions
L’expert doit généralement, dans ces cas, non que se pose le chirurgien qui constate ce problème
­seulement évaluer le préjudice, mais encore la part de en postopératoire et l’expert chargé d’une telle
responsabilité professionnelle qui peut être en cause. mission.

415
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

À partir de 25 dossiers qui ont fait l’objet d’exper- dans le cadre des « anciens combattants ». Un cas
tises et d’une revue de la littérature, nous de désistement de la réclamation a été enregistré
­proposons de passer ces problèmes en revue. après la réalisation d’une expertise judiciaire.

Fréquence
Matériel et méthode
Elle reste, heureusement, faible, et par-là même
Cette série de 25 observations comporte 21 difficile à apprécier, beaucoup d’auteurs n’évo-
paralysies sciatiques et 4 paralysies crurales. Elle quant pas ce type de complications dans leurs
concerne 8 hommes et 17 femmes ; 10 hanches publications.
droites et 15 hanches gauches. L’étude des âges
Depuis la 1re série publiée sur ce sujet [Charnley,
montre qu’aucune tranche n’est épargnée puis-
1970, 1,4 % sur 138 prothèses], on peut estimer
que ces 25 cas s’étagent de 28 à 78 ans avec une
que le taux oscille en moyenne entre 0,6 et 3,8 %.
moyenne de 59 ans.
Mais le risque de voir apparaître ce type de
Il est important de noter qu’il existe des antécé- ­complications apparaît très différent selon qu’il
dents particuliers chez 13 de ces patients : s’agit d’une prothèse de 1re intention sur une
• 1 cas de maladie luxante bilatérale ; coxarthrose primitive « standard » (0,6 à 1,3 %),
• 3 dysphasies cotyloïdiennes ; d’une reprise de PTH (3,2 %) ou d’une arthroplastie
sur luxation congénitale (5,2 %) [9].
• 3 épiphysiolyses ;
L’analyse de notre série, constituée uniquement de
• 3 protrusions ; cas ayant fait l’objet d’expertises médicolégales,
• 1 ostéonécrose de la tête fémorale ; ne reflète pas ces chiffres :
• 1 ostéotomie de varisation ; • PTH de 1re intervention, 20 cas ;
• 1 luxation de la hanche avec fracture du cotyle. • reprise de PTH, 4 cas ;
Deux de ces patients présentaient de plus une • prothèse intermédiaire, 1 cas.
polynévrite des membres inférieurs.
Cette complication est survenue dans 24 cas sur
25 après mise en place d’une prothèse totale de
hanche (PTH), 23 fois pour coxarthrose et 1 fois
Délai d’apparition
pour polyarthrite rhumatoïde, le plus souvent en Le plus souvent, l’apparition en est immédiate en
première intention (20 cas) ; 4 fois seulement il postopératoire. Rarement, la paralysie est consta-
s’agissait de reprises de prothèses totales de han- tée secondairement (du 2e au 8e jour) : il s’agit
che (dont 1 pour infection et 1 pour descellement alors généralement d’un hématome sous anticoa-
de double cupule). Mais dans 1 cas il s’agissait gulants. Exceptionnellement, du fait de la fibrose,
d’une prothèse « intermédiaire » pour fracture du se développe une paralysie tardive.
col fémoral.
Dans notre série, le diagnostic de la paralysie a été
La voie d’abord était 17 fois de type postéro- établi 11 fois dans les 24 premières heures et 1 fois
externe et 8 fois de type antéro-externe. Deux tro- après 24 heures.
chantérotomies ont été réalisées.
La fixation du cotyle a fait appel dans 3 cas à un
anneau de soutien, dans 15 cas au ciment et dans
10 cas à un scellement biologique. Éthiopathogénie
La fixation de la pièce fémorale a été réalisée
17 fois par du ciment et 8 fois par scellement bio-
Quels sont les nerfs concernés ?
logique. Il a été réalisé une butée cotyloïdienne. Le nerf sciatique paie le plus lourd tribut avec une
Ces 25 opérés ont fait l’objet de 19 expertises fréquence d’atteinte de 70 à 80 % selon les séries
judiciaires, 5 expertises amiables et 1 expertise [4, 8, 9]. La lésion du nerf crural est beaucoup

416
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

plus rare. Quant à l’atteinte du nerf obturateur, l­ aborieuse). Une contusion par instrument (?) était
elle est exceptionnelle. associée à une brûlure par bistouri électrique.
Dans notre série de 25 cas, cette échelle de Le neurotmésis par section simple (bistouri froid)
­fréquence s’est parfaitement vérifiée avec 21 para- ou combiné à une avulsion-dilacération (fraise)
lysies sciatiques et 4 paralysies crurales. Nous fait partie aussi des diverses éventualités avec la
n’avons pas rencontré de paralysie obturatrice. particularité d’être généralement reconnu en
Sur les 21 cas de paralysies sciatiques, 14 étaient peropératoire, contrairement à la compression et
des paralysies globales (sciatique poplité externe + à l’élongation.
sciatique poplité interne) (SPE + SPI) et 7 des Notre série en a comporté 3 cas dont 2 lésions par
paralysies SPE isolées. fraises (dont une avec cotyle placé en position non
anatomique) et 1 plaie par bistouri froid. Deux
Le pourquoi de cette lésion lésions sur trois qui ont été reconnues en peropé-
ratoire ont fait l’objet d’un traitement immédiat
Il vient au 1er chef de l’anatomie. En effet, les deux (suture nerveuse).
volumineux troncs nerveux que représentent le nerf La cause thermique a été évoquée par Allieu,
sciatique, en arrière, et le nerf crural, en avant, sont Casagrande, Coventry, Michon, Delagoutte et
très proches de l’articulation coxofémorale [5]. Courtois. Il faut noter en ce qui concerne le
ciment que l’action de la chaleur dégagée par sa
polymérisation peut être combinée à une action
Quelle cause ? compressive en cas de fuite (intrapelvienne ou
extradiaphysaire) et à une fibrose secondaire
Plusieurs possibilités existent, qui ne sont pas
ou tardive au contact d’un bloc de celui-ci.
toujours faciles à mettre en évidence. La cause
reste même souvent inconnue : 57 % des cas de Cette cause est présente dans notre série trois fois
Schmaizried [9] et 14 cas sur 25 dans notre série. de façon certaine (deux brûlures par ciment et
une brûlure par bistouri électrique authentifiées
Si l’existence d’un « facteur général » a pu être rete-
lors de l’exploration chirurgicale). Une brûlure
nue par Michon et Delagoutte (paralysie bilatérale
par le ciment a été évoquée dans un cas de fuite
après intervention successive des 2 côtés), les causes
intrapelvienne.
principales restent liées au geste opératoire lui-
même et représentées par une agression physique En fait, la cause lésionnelle semble étroitement
directe sur les nerfs concernés. Il en est ainsi d’un liée à la technique opératoire et la voie d’abord
étirement (en relation avec la position du membre entre ainsi en ligne de compte avec des atteintes
en peropératoire, ou avec un allongement sur une surtout sciatiques en voie postéro-externe et sur-
luxation congénitale) pour 2 cas de notre série. tout crurales en voie antéro-externe (rôle de l’écar-
teur antérieur démontré par Koka et Simons [5]).
Il faut noter à ce sujet que des études électriques
peropératoires et postopératoires ont montré que Le type de paralysies rencontré dans notre série
les nerfs sont particulièrement vulnérables lors de est sur ce point particulièrement démonstratif.
l’arthroplastie prothétique de la hanche (pourcen- 21 fois sur 25, il s’agissait d’une paralysie sciatique
tage important de signes de souffrance peropéra- survenue 17 fois après voie postéro-externe et
toire qui le plus souvent se normalisent à la fin de 4 fois après voie antéro-externe (dont 2 fuites de
l’intervention chirurgicale) [1, 4, 10]. C’est dire ciment intrapelviennes).
l’importance de conduire ce type d’intervention Deux paralysies sciatiques sont survenues après
avec prudence et douceur dans les manipulations. trochantérotomie. Quatorze de ces cas étaient
des paralysies globales (SPE + SPI) et 7 des paralysies
Autre cause traumatique directe, une compression
SPE isolées.
paraît être une éventualité fréquente ; mais mal-
heureusement qui ne peut généralement qu’être Les 4 cas de paralysies crurales sont survenus
évoquée (écarteur). Dans notre série, un seul cas 2 fois après voie de Hardinge et 2 fois après voie de
de compression a été authentifié (butée trop Hueter sur table orthopédique.
­volumineuse). Un cas de compression par écarteur Le problème de la position opératoire est aussi
a été évoqué (intervention particulièrement intimement lié à celui de la voie d’abord utilisée :

417
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

17 fois par voie postéro-externe (donc en décubi- dépendante de la cause lorsque celle-ci peut être
tus latéral), 8 fois par voie antéro-externe (dont mise en évidence. L’hématome constitue ainsi
3 voies de Hardinge) et 2 voies de Hueter (sur table une indication opératoire formelle et urgente.
orthopédique). Lorsque l’étiologie est impossible à préciser, le
La position sur la table d’opération a aussi été évo- traitement reste souvent médical (surveillance,
quée [Walker] avec le problème du rembourrage rééducation, orthèse) et d’autant plus qu’il s’agit
des points d’appui. Mais aucune cause évidente, de paralysie sciatique.
sur ce plan, n’est apparue dans notre série. Lorsque la lésion neurologique est visualisée en
L’hématome a été mis en évidence dès 1979 par peropératoire et de type neurotmésis, un geste de
Fleming. Apparaissant le plus souvent chez des chirurgie nerveuse réparatrice s’impose bien
patients sous anticoagulant, donc secondaire- entendu dans le même acte opératoire, chaque fois
ment, en postopératoire, il nécessite une évacua- que les conditions le permettent.
tion rapide, seule garante d’une récupération Dans notre série, pour ce qui concerne les paralysies
complète. Notre série n’en a comporté aucun cas. sciatiques :
Au total, dans notre série, sur le plan éthiopatho- • dans 2 observations, la lésion neurologique a été
génique, une cause précise a pu être retrouvée dans ainsi constatée en peropératoire et a fait l’objet
7 cas sur 25 : 2 brûlures par ciment, une brûlure d’une réparation (nerf sciatique lésé par voie
par bistouri électrique, 2 lésions par fraise (1 lésion postéro-externe) – une fois par fraise à cotyle en
du nerf crural avec cotyle en position non anato- prothèse totale de première intention et une fois
mique), une plaie par bistouri froid, une contusion par bistouri froid en « reprise » ;
par instrument (associée à la brûlure par bistouri • 4 patients ont fait l’objet d’une réintervention
électrique en prothèse de 1re intention à l’origine précoce suite à la découverte de la paralysie en
d’une paralysie du SPE et du SPI), une compres- postopératoire. Il s’agissait aussi de paralysies
sion par une butée cotyloïdienne. Il s’agissait de sciatiques.
6 paralysies sciatiques et 1 paralysie crurale.
Chez le premier patient « repris » le jour même de
Dans 4 cas sur 25, l’étiologie de la lésion neurolo-
l’arthroplastie, le nerf sciatique s’est avéré indemne
gique a été seulement évoquée :
de lésion tronculaire dans la région opératoire.
• écarteur, 1 cas ; Chez le 2e cas « repris » au 8e jour, l’exploration a
• traction par allongement du membre, 2 cas ; montré une contusion et une brûlure due au bis-
• brûlure par ciment dans une fuite intrapel- touri électrique (survenue après la mise en place
vienne, 1 cas. d’une prothèse totale de 1re intention). Dans le
3e  cas, « repris » au 4e jour devant la constatation
Aucune hypothèse pathogénique formelle n’a pu d’une fuite de ciment postéro-interne au niveau
être retenue dans 14 cas sur 25. de la diaphyse fémorale, sous le petit trochanter,
Chez 13 patients, l’existence d’antécédents parti- ont été réalisés l’ablation du ciment et le change-
culiers a été relevée comme pouvant constituer ment de la pièce fémorale. Il s’agissait aussi d’une
des causes de difficultés opératoires (dysplasie, prothèse totale de 1re intention. Un patient a fait
protrusion, luxation de hanche avec fracture du l’objet d’une exploration au 3e mois qui a révélé la
cotyle, ostéotomie de varisation, etc.). compression du nerf sciatique par une butée coty-
Chez 2 autres opérés, l’existence d’une polynévrite loïdienne trop volumineuse.
des membres inférieurs a été notée seulement L’attitude thérapeutique adoptée vis-à-vis de la
comme un élément susceptible de favoriser l’ap- lésion neurologique, en dehors des 6 cas qui ont
parition de ce type de complication. fait l’objet d’une réparation peropératoire ou
d’une exploration postopératoire a été essentielle-
ment médicale : surveillance, kinésithérapie,
Conduite à tenir orthèse.
Les paralysies crurales, par contre, dont la récupé-
La conduite à tenir devant ce type de complica- ration est beaucoup plus rapide que les précéden-
tion en postopératoire est bien évidemment tes (problème de longueur respective des troncs

418
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

nerveux) semblent réagir plus favorablement à la poids, il ne tire sur le nerf sciatique, pas de
chirurgie (neurolyse ou suture) [Allieu, Michon et ­perforation au niveau cotyloïdien entre 8 heures
Delagoutte]. et 11 heures à droite et entre 4 heures et 1 heure à
Et même, pour Courtois, la neurolyse du nerf cru- gauche, sont des précautions accessibles à l’équipe
ral doit être envisagée quand l’électromyogramme opératoire. Néanmoins, compte tenu des difficul-
ne montre pas d’amélioration en 6 semaines. tés rencontrées dans certaines arthroplasties de
hanche (reprises, maladie luxante, dysplasies), un
taux incompressible (comme en matière d’infec-
Évolution, séquelles tion) de paralysies restera vraisemblablement la
rançon de cette chirurgie.
L’évolution est meilleure pour les paralysies cru-
rales (récupération souvent à moins de 6 mois) et
pour les atteintes isolées du sciatique poplité Procédures d’indemnisation
externe (délai toutefois plus important que dans
les précédentes, puisque souvent supérieur à un Les procédures d’indemnisation ne peuvent que
an) que pour les paralysies sciatiques globales constituer une étape fréquente à notre époque
(évolution lente avec des récupérations tardives et après ce type de complication. Nos 25 cas clini-
débutant avec retard, et parmi lesquelles on ques ont fait l’objet de 25 expertises dont 19 judi-
observe les moins bons résultats). ciaires et 5 amiables. Mais un désistement de la
réclamation a été enregistré après expertise
Dans la série des 53 paralysies de Schmalried
judiciaire.
(sciatiques et crurales confondues) [9], revue entre
1 an et 16 ans et demi de recul, 7 patients avaient Qu’il s’agisse d’un recours « judiciaire » ou « amia-
obtenu une récupération complète, 33 présen- ble », le rôle du médecin expert sera généralement
taient un déficit moyen et 13 un déficit majeur. quadruple.
Tous les patients qui ont complètement récupéré
ont obtenu ce résultat en 21 mois. Néanmois, chez Affirmer et préciser le diagnostic
tous les patients qui ont présenté une paralysie, il
a été constaté une diminution des capacités de La première tâche de l’expert sera l’identification
marche. de l’atteinte, la précision quant à celle-ci (globale,
Enfin, Courtois a montré que lors d’une compres- partielle, ou totale sur un tronc et partielle sur
sion par écarteur, le délai moyen de récupération l’autre, etc.), et enfin le niveau de celle-ci.
semble être de 6 mois.
Dans notre série, les séquelles restent globale- Établir une relation directe
ment importantes puisque 7 patients n’ont pas et certaine
récupéré et que 17 patients n’ont récupéré que
partiellement. L’établissement d’une relation directe et certaine
Un seul cas a récupéré complètement : il s’agissait entre la paralysie et le geste opératoire constitue
d’une paralysie SPE isolée. comme toujours en matière médicolégale une
démarche fondamentale.

Prévention Évaluer le dommage


La prévention de ce type de complication iatro- L’évaluation du dommage comporte plusieurs
gène, difficilement prévisible, passe donc par une volets :
technique chirurgicale douce, précise, le plus • l’incapacité temporaire totale (ITT) et partielle
atraumatique possible et conduite avec une grande (ITP) avec son pourcentage doit prendre en
rigueur technique : pas de flexion de hanche supé- compte l’ensemble des traitements vis-à-vis du
rieure à 60 ° (le genou étant maintenu fléchi), sou- type de paralysie. Dans notre série, l’ITP a été
tenir le membre opéré pour empêcher que par son de 18 mois à 30 % pour la majorité des dossiers.

419
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Un cas a bénéficié d’un taux de pension à 100 % l’évocation est à elle seule susceptible de décourager
dans le régime « anciens combattants » ; le patient, que le praticien l’annonce uniquement
• la date de consolidation est variable selon le dans les cas de réintervention ou surtout de mala-
niveau lésionnel et le type de paralysie. Elle est die « luxante » (pathologie pour laquelle nous
fixée en tenant compte de la lenteur du proces- avons vu que la fréquence des paralysies y est plus
sus de repousse nerveuse et des délais souvent élevée que dans les autres situations), ainsi que
importants après lesquels sont réalisés des ­gestes lorsqu’une difficulté particulière peut être prévue
de chirurgie palliative ; en préopératoire (deux cas de « consentement non
éclairé » ont été ainsi retenus sur les 25 cas de
• le taux d’IPP sera attribué par référence aux
notre série).
barèmes existants. En cas de paralysie sciatique
globale, il peut s’étager jusqu’à 35 % en forme Mais les données juridiques récentes imposent
basse et jusqu’à 40 % en forme haute : désormais d’informer, théoriquement, le patient
de tous les risques qu’il encourt.
• pour une paralysie isolée du nerf sciatique
poplité externe, le taux d’IPP peut s’étager de 10
à 15 % lorsqu’elle est compensée par un appa- Le délai de diagnostic
reillage ou une transplantation, 20 % en cas de de la paralysie
paralysie totale ; Il peut certes être retardé en paralysie crurale à
• pour une paralysie du nerf sciatique poplité cause de la sidération musculaire post-opératoire.
interne, le taux pourra atteindre 25 % lorsqu’elle Mais ce sera plutôt l’absence d’examen clinique
est totale ; neurologique, précoce et correct, qui pourra être
• la paralysie du nerf crural peut atteindre 30 % en cause.
lorsqu’elle est totale et 15 à 20 % lorsqu’elle est
compensée par un appareillage ; La recherche de la cause
• une paralysie du nerf obturateur ne dépassera
Il faut s’acharner à éliminer un hématome par la
pas 5 % ;
clinique et l’échographie, car on en connaît le
• pour une paralysie du nerf fémoro-cutané, le pronostic favorable après évacuation.
taux restera inférieur à 5 %.
Le calcul de ce taux doit prendre en compte les Le traitement de la paralysie
complications assez fréquentes de ce type de para-
Il est chirurgical et urgent en cas d’hématome
lysie que sont les raideurs (équinisme), les troubles
sous anticoagulant et peut être chirurgical aussi
consécutifs au développement d’une neuro-algo-
en matière de paralysie crurale, en particulier
dystrophie, et l’acceptation ou non d’une orthèse.
quand l’électromyogramme ne montre pas d’amé-
Les taux d’IPP attribués ont été échelonnés dans lioration en 6 semaines.
notre série de 5 à 30 % en droit commun (moyenne :
L’exploration chirurgicale du tronc nerveux
14,8 %).
concerné a de plus l’avantage de préciser le type de
lésions anatomopathologiques.
Analyser la responsabilité
professionnelle La discussion de la possibilité
Cela se fera plus particulièrement aux niveaux où
d’une erreur technique
la responsabilité professionnelle peut être mise en C’est un temps particulièrement délicat pour l’ex-
cause dans ce type de pathologie. pert. Si celle-ci est évidente dans quelques cas, qui
restent rares (fuite de ciment, description d’une
L’information préopératoire lésion constatée à la réintervention pour la paraly-
sie), bien souvent aucun renseignement n’est dis-
était-elle suffisante ?
ponible concernant l’anatomopathologie et donc
Il apparaîtrait raisonnable, compte tenu du carac- le type de la lésion qui soulève alors le problème
tère peu fréquent de ce type de complication, dont de l’aléa thérapeutique.

420
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Dans notre série, 7 fautes seulement ont été et menant à des gestes préventifs. Rev Chir Orthop,
ainsi retenues, correspondant toutes à des 1989 ; suppl 1 : 125.
­c auses formellement mises en évidence : 1 butée [2] Daupleix D, Dreyfus P. Tableau des neuropathies
volumineuse, 1 brûlure électrique + contusion, crurales postopératoires. EMC Appareil locomoteur.
Techniques chirurgicales, 1985 ; 5 : 17–18.
2 lésions par fraise, 2 brûlures par ciment,
1 section par bistouri froid. [3] Feuilhade de Chauvin P, André S, Maurer P, Tomeno B.
Voie d’abord postérieure externe, trans-trochanté-
rienne pour prothèse totale de hanche, étude compa-

Conclusion rative. Rev Chir Orthop, 1985 ; 71 : 173–178.


[4] Gay R, Martinez C, Rajon JP, Guyard C. Compli­
cations nerveuses au cours des arthroplasties par pro-
Toute technologie chirurgicale comporte un thèse totale de hanche. SOFCOT, Réunion annuelle,
­risque, l’arthroplastie par prothèse de la hanche 1979. Rev Chir Orthop, 1980 ; 66 (suppl II) : 87–88.
n’échappe pas à cette règle malgré ses brillants [5] Koka SR, Bonnici AV, Slater RNL, D’arcy JC. Femoral
résultats. neuropathy. Following total hip deplacement : ana-
tomic study and report of eight cases. Orthopaedics
Un taux incompressible de paralysies restera vrai- International Edition, 1996 ; vol 4, n° 2 : 127–129.
semblablement la rançon de cette chirurgie. Le [6] Leclair A, Jarde O, Rouge D, Soger M, Coudane H,
chirurgien de la hanche doit néanmoins tout met- Vives P. Complications sciatiques dans la chirurgie
tre en œuvre pour éviter ce type de déboire. Et il prothétique de la hanche. Jurisprudence, journal
est important pour un règlement le plus adéquat de Médecine légale. Droit médical, 1993 ; 36, n° 3/4/
et le moins douloureux possible pour l’ensemble 265–270.
des parties qu’ait été instaurée une relation de [7] Navarro R, Schmalzried T, Amstutz H, Dorey F.
confiance entre le malade et son opérateur, seule Surgical approach and nerve palsy in total hip
arthroplasty. J Arthroplasty, 1995 ; 10, 1 : 1–5.
capable de faire ressentir la paralysie de l’opéré
comme une complication et non comme une faute [8] Roblin L, Tea S, Le Saout J, Lefevre C, Fenogh B,
Courtois B, Mabin D, Pausy A. Les complications
médicale. paralytiques de la chirurgie de la hanche. À propos de
48 observations. Rev Chir Orthop, 1989 ; 75 : 104–111.
Bibliographie [9] Schmalzried T, Amstutz H, Dorey F. Nerve palsy
[1] Catimel C, Decoulx I, Roumazeille B, Guieu JJ, associated with total hip replacement. Risk factors
Réant O, Spy E. Les paralysies sciatiques après pro- and prognosis. J Bone Jt Surg, 1991 ; vol 73–4, n° 7 :
thèse totale de hanche par voie postérieure. Étiologie 1074–1080.
et pronostic. Étude basée sur la recherche des [10] Weber et al. 14 paralysies sur 2 012 prothèses totales.
­potentiels évoqués péropératoires somesthésiques J Bone Jt Surg, 1976 ; 58 A1 : 66–69.

Évaluation du dommage séquellaire viscéral


J. Hureau

Cette évaluation a grandement bénéficié des dimension. L’annexe au décret n° 2003–314 du


avancées conceptuelles de ces dernières années 4 avril 2003 incorporée à cet ouvrage en a repris
sur l’évaluation des dommages corporels en toutes les grandes lignes. Ces deux textes doivent
général. Elles ont été exposées au sous-chapitre désormais être considérés comme des références
Les préjudices en réparation du dommage corporel. incontournables pour toute évaluation des
Elles se résument en une phrase : le déficit ­préjudices en dommage corporel, quelle qu’en
­fonctionnel prend le pas sur le déficit lésionnel. soit l’origine, quel que soit le mode de règlement
Nous avons vu comment le Barème d’évaluation du conflit mis en œuvre, juridictionnel ou extra-
médico-légale élaboré en 2000 sous l’égide de la juridictionnel.
Société de médecine légale et de criminologie de Le présent chapitre n’a d’autre but que d’éclairer le
France a parfaitement intégré cette nouvelle lecteur sur l’interprétation et l’utilisation pratique

421
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

de ces nouveaux textes dans le domaine séquel-


laire viscéral, trop longtemps parent pauvre des
La fonction métabolique
barèmes plus anciens. et les appareils de la nutrition
La matière est maintenant traitée par grandes
fonctions ou par appareils, ce qui revient au Cette fonction regroupe les processus par lesquels
même. En effet, un appareil est constitué d’un le corps humain assimile et utilise les aliments
ensemble de systèmes ou de parties de système qui permettent sa croissance et sa survie, assu-
qui concourent à une même fonction. Chaque sys- rent le fonctionnement normal de tous ses orga-
tème est lui-même constitué par l’ensemble des nes et organisent, gèrent et coordonnent les
organes qui ont une structure analogue. Ce rappel métabolismes complexes nécessaires à ses dépen-
d’anatomie générale explique pourquoi l’on peut ses énergétiques.
passer sans hiatus de l’évaluation lésionnelle à Qu’il s’agisse de l’appareil digestif lui-même ou de
l’évaluation fonctionnelle. l’arsenal endocrinien et métabolique dont dispose
l’organisme, l’évaluation globale des déficits fonc-
tionnels se fera encore là grâce à un bilan clinique
et paraclinique orienté par la pathologie en cause
La fonction cardio-respiratoire et les troubles qu’elle peut engendrer.
Comme pour les appareils de la vie de relation,
Elle gère l’hématose qui dépend de l’appareil car-
c’est le déficit physiologique qui est pris en compte,
diovasculaire dont le rôle est essentiellement
non pas par l’application brutale d’un taux au sein
mécanique et de l’appareil respiratoire qui a un
d’une fourchette toujours aléatoire, mais par une
double rôle, moteur et biochimique.
évaluation raisonnée et descriptive plus adaptée
Elle est explorée par un bon interrogatoire aux variations de tolérance individuelle à un
­fonctionnel et un examen physique tant pleuro-­ même fait lésionnel initial.
pulmonaire que cardiaque et vasculaire périphé-
rique. L’expert ne doit demander aucun examen
paraclinique tant soit peu invasif mais il peut
Les fonctions endocriniennes
­disposer des examens du suivi pathologique, L’éventualité d’avoir à évaluer un déficit endocri-
­examens ­biologiques, radiologiques dont la TDM nien dans un processus médico-légal concernant
et l’IRM sous tous leurs aspects, épreuves fonc- le dommage corporel est assez rare en dehors des
tionnelles respiratoires, électrocardiogrammes, suites mêmes de la chirurgie endocrinienne. Le
voire gazométrie artérielle, fibroscopie bronchi- retentissement endocrinien indirect d’un trauma-
que, scintigraphie pulmonaire, échographie car- tisme, quel qu’il soit, d’accidentologie de la
diaque trans-thoracique voire transœsophagienne, ­circulation ou post-thérapeutique, est à examiner
épreuves d’effort… Tout autre examen peut avoir avec circonspection. Il faut, dans tous les cas, tenir
été pratiqué, cathétérisme, angiographie coro- compte de l’état antérieur, de la symptomatologie
naire ou autres, holter. clinique et du retentissement général et biologi-
L’évaluation globale des déficits fonctionnels per- que. Ce sont les bases habituelles des barèmes
mettra de quantifier et de classer une dyspnée relativement simplifiés en la matière.
dans l’un des cinq stades habituellement retenus,
de juger de l’adaptation à l’effort habituellement Les fonctions digestives
évaluée en quatre degrés, de se référer à la classifi- et hépatiques
cation fonctionnelle NYHA (New York Heart
Association). Au total, le tableau spécifique du Elles ont bénéficié d’un développement beaucoup
patient expertisé entrera dans l’un des tableaux plus important dans les nouveaux barèmes. S’il est
cliniques respiratoires ou cardiovasculaires très un domaine dans lequel la lésion d’organe n’est rien
bien décrits dans le Barème d’évaluation médico- en soi, mais où le déficit fonctionnel est tout, c’est
légale et, grâce à tous ces éléments d’orientation, bien celui de l’appareil digestif. Il a été longtemps
permettra de faire une proposition chiffrée au le « parent pauvre » des barèmes indicatifs, gênés
plus juste telle que retenue dans le barème annexé bien souvent par la dissociation entre les dégâts
au décret du 4 avril 2003. anatomiques et leur retentissement physiologique.

422
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Connaître la lésion causale initiale est affaire Le guide-barème de Mayet et Rey de 1966 en
d’étude du dossier. Ce n’est pas en soi d’un grand donne le commentaire suivant : « Splénectomie,
apport pour évaluer le déficit nutritionnel. Les bonne cicatrice, pas de modification de la formule
critères d’appréciation résultent d’un examen sanguine, 10 %. Cicatrice plus ou moins insuffi-
médical basé sur l’étude des signes fonctionnels sante, éventration, modification plus ou moins
digestifs, le degré de retentissement sur l’état importante de la formule sanguine, 40 % ». C’est le
général, les manifestations biologiques de dys- type même d’une « grille » inapplicable qui mêle
fonction métabolique, enfin des contraintes impo- deux déficits fonctionnels sans rapport entre eux,
sées au patient, alimentaires, thérapeutiques, par le seul fait qu’ils résultent à l’origine d’une
voire techniques d’appareillage. même lésion anatomique, la splénectomie. Cette
Dès lors, l’appréciation d’un taux d’incapacité confusion des genres, jointe à l’évolution actuelle
reste difficile, ne serait-ce que par la complexité de la prise en charge des lésions spléniques
des phénomènes physiologiques en cause et de (conservatrice ou non), a fait réagir depuis long-
leur intrication et répercussion sur d’autres temps la gente expertale.
­grandes fonctions. Le Barème indicatif des déficits fonctionnels séquel-
Une double approche est possible : laires en droit commun de 1993 isole ce qui est pro-
pre à la lésion splénique. Les séquelles sont évaluées
• par référence à des grands éléments d’orientation en tant que « déficit physiologique », en fonction de
basés sur les données recueillies par l’examen l’âge du patient et des anomalies c­ liniques et biolo-
médical tel qu’il a été décrit. Quatre voire cinq giques. Ainsi un traitement conservateur suivi
degrés déficitaires peuvent être définis qui s’in- d’une absence totale de séquelle ne justifie aucune
tègrent de façon cohérente dans une grille de invalidité. Mais est-il normal d’attribuer 5 % d’in-
références très générales applicables à l’ensemble validité après splénectomie en l’absence de toute
des grandes fonctions autres que métaboliques ; anomalie clinique ou hématologique ? Arguer de
• par référence à des tableaux cliniques de défi- contraintes et de précautions dans la vie courante
cience plus ciblés. Cette approche est déjà ébau- s’il n’y a, comme le plus souvent chez l’adulte,
chée dans les barèmes antérieurs mais « le tout aucune séquelle, c’est indemniser la perte d’un
fonctionnel » délibérément adopté maintenant organe même en l’absence de tout déficit physiolo-
permet un développement et une adaptation gique. C’est indemniser la lésion anatomique et
sans limite et une révision périodique au gré de non un dommage fonctionnel. Par contre si, passé
l’évolution des faits et de la médecine. une année, il persiste des anomalies cliniques et
De la confrontation de ces deux approches résulte hématologiques, le taux retenu de 8 % est justifié du
une convergence vers une évaluation plus juste et point de vue fonctionnel. Encore pourrait-il être
permet le choix de la solution la plus appropriée à modulé. À noter que le problème pariétal n’inter-
la situation spécifique étudiée. fère pas. Il doit être traité indépendamment.
Il est possible d’illustrer par quelques exemples ce Le Barème d’évaluation médico-légal de 2000 a
que peut être la démarche intellectuelle de l’expert fait sienne l’argumentation précédente puisque la
face à un cas concret. splénectomie sans anomalie hématologique ni
traitement ou surveillance, donc sans retentisse-
ment fonctionnel, ne justifie pas l’attribution d’un
Les lésions spléniques taux d’incapacité permanente. Ce barème module
par contre de 5 à 8 %, voire 10 %, le taux d’incapa-
Elles restent toujours un peu artificiellement cité en fonction de la double approche décrite
associées aux fonctions métaboliques. Ce sont pra- ci-dessus par référence à une grille d’éléments
tiquement les seuls préjudices hématologiques qui, d’orientation et à des tableaux cliniques descrip-
en responsabilité médicale ou d’accidentologie, tifs les plus habituellement rencontrés. Ceci est
peuvent faire l’objet d’une évaluation médico-légale. repris dans l’annexe du décret du 4 avril 2003.
Le barème officiel des accidents du travail de 1939 Il reste à prendre en compte le degré d’im-
repris par la loi du 30 octobre 1946 écrit : muno-déficience, en particulier chez l’enfant. La
« Splénectomie, suivant le résultat de l’examen du vaccination anti pneumococcique y est de règle
sang au repos et après effort : 15 à 30 % ». après splénectomie.
423
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

La paroi abdominale cohérence globale des taux attribués par rapport à


des atteintes d’une ou plusieurs autres fonctions.
Elle trouve très logiquement sa place dans les
fonctions métaboliques par le retentissement Nous avons déjà dit tout l’intérêt de cette double
digestif que peut générer une éventration. Il fau- approche.
dra par contre consulter également les chapitres Certaines évaluations sont encore plus
concernant la fonction de soutien (fonction subtiles à faire
motrice de relation) ou la fonction respiratoire
Seule une évaluation fonctionnelle permet
(autre fonction de nutrition) puisque la paroi
une approche aussi juste que possible
abdominale participe anatomiquement et fonc-
tionnellement de l’appareil locomoteur (équilibre Prenons l’exemple d’une incontinence anale
rachidien) et de l’appareil respiratoire (fonction ­sensitivo-motrice totale au décours d’une inter-
ventilatoire). vention d’hémorroïdectomie par la technique de
Whitehead. La totalité de la zone malpighienne sen-
C’est dire que le retentissement fonctionnel d’une
sible du canal anal a été enlevée, le sphincter interne
éventration ne peut être évalué sur la seule lon-
a été lésé de façon étagée tandis que le sphincter
gueur de la cicatrice ou sur le seul volume de l’éven-
externe présente un degré modéré de déficience lié à
tration. Ceux-ci ne sont plus qu’un des facteurs à
deux épisiotomies antérieures plus anciennes. En
prendre en compte. À l’inverse, une éventration
dépit de cet état antérieur il n’y avait pas d’inconti-
même volumineuse parfaitement réparée peut
nence avant l’hémorroïdectomie. L’incontinence est
n’entraîner qu’un préjudice minime, voire nul.
donc liée à la perte de la sensibilité et aux lésions
irréversibles du sphincter interne :
Les viscères digestifs • les éléments d’orientation générale nous pro-
Que vaut une colectomie droite posent un taux d’IPP situé entre 15 et 20 %
avec anastomose iléo-transverse ? pour « nécessité d’un régime alimentaire
Elle est ignorée par le barème de 1946. Les barè- contraignant, sans altération de l’état général,
mes de 1993 et de 2000 ne retiennent pas la perte sans retentissement métabolique, avec inconti-
de l’organe en soi. En l’absence de tout syndrome nence sphinctérienne anale » ;
fonctionnel et indépendamment des problèmes • le tableau clinique le plus approprié propose un
pariétaux éventuellement associés, il n’y a pas taux de 10 à 15 % pour « incontinence anale avec
d’incapacité chiffrable. selles obtenues par toucher rectal, suppositoires
Si, par contre, l’écoute des doléances, l’interroga- ou lavements, sans fuite intermédiaire ou au
toire, l’examen clinique général et physique, les exa- contraire avec fuites fréquentes et inopinées, ou
mens biologiques font apparaître des douleurs, des épisodes répétés de débâcles diarrhéïques ».
troubles fonctionnels digestifs, troubles du transit, Le croisement de ces deux fourchettes, compte
inappétence, des contraintes de régime, une atteinte tenu du cas précis de la patiente qui effectivement
de l’état général (amaigrissement, asthénie…) des a des troubles de défécation conjointement à une
troubles biologiques qui perdurent, l’intensité du incontinence sans contrôle des gaz et avec fuites
tableau réglera le taux d’incapacité à retenir. inopinées en cas de selles simplement molles,
Cette approche n’est pas spécifique de la colectomie incite à retenir le taux déficitaire de 15 %.
droite mais, de 0 à 40 %, elle participe d’une série Il y a une bonne convergence des deux approches
de 5 tableaux cliniques et biologiques de gravité d’évaluation corrigée par le choix de la solution la
croissante auxquels peuvent se rattacher également plus appropriée à la situation.
d’autres dommages anatomiques de l’appareil
digestif. Ailleurs, c’est la complexité même
Parallèlement une classification des éléments des lésions anatomiques qui oblige
d’orientation générale, spécifique des troubles de à une évaluation globale des séquelles
la fonction métabolique, permet, par rapport à une Un exemple, celui d’un traumatisme duodéno-
grille de référence non spécifique, de vérifier la pancréatique. Une jeune femme de 30 ans fait

424
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

une chute de 4 mètres en portant contre elle son globale avec la grille de référence très générale
enfant de 3 ans. La tête de l’enfant est à hauteur des taux attribués à d’autres fonctions ou à
de l’épigastre maternel. L’enfant en sera quitte ­l ’atteinte de plusieurs autres fonctions.
pour un trauma crânien de gravité modérée. Sa
C’est en arriver à établir un taux de la valeur
mère a, par contre, un écrasement de la tête du
­restante du sujet. Une telle évaluation a déjà été
pancréas avec rupture de la deuxième portion
souvent défendue.
du duodénum. En urgence seule est de mise
une ­duodéno-pancréatectomie céphalique. Certaines atteintes viscérales
Il en résulte : ont fait l’objet d’un consensus expertal
• l’ablation du pancréas droit jusqu’à l’isthme ; C’est le cas des atteintes hépatiques à la suite
• l’ablation de la moitié distale de l’estomac et de d’une contamination sanguine. Le caractère
l’ensemble du duodénum jusqu’à et y compris sériel du dommage a rendu celui-ci fréquent
l’angle duodéno-jéjunal ; mais avec des degrés d’atteinte variés. Variés
mais variables car l’affection est évolutive et l’on
• une cholécystectomie ; rejoint là les préjudices extrapatrimoniaux évo-
• trois anastomoses de reconstruction sur l’anse lutifs rattachés par la Cour de cassation aux pré-
jéjunale déroulée. Elles intéressent successi- judices d’établissement. Il faut bien en tenir
vement d’amont en aval la tranche pan­ compte (cf. « Les préjudices en réparation du
créatique, le canal hépatique commun et la dommage corporel »).
tranche ­gastrique selon le montage type
Waugh-Child.
Aucun barème ne se risque à proposer une éva-
luation en pareil cas.
La fonction urinaire
L’expert la fera grâce à une double démarche Il faut différencier ce qui est sécrétoire, la fonction
d’analyse et de synthèse. rénale, de ce qui excrétoire touchant la filière
L’analyse est clinique, les signes généraux, les ­urétéro-vésico-urétrale.
signes fonctionnels, les signes d’examen physi- La fonction sécrétoire est du domaine de la néphro-
que. Elle est biologique, pancréatique, hépatique logie. C’est une fonction vitale dont la perte est
et hématologique. Il faut écouter la patiente, ses incompatible avec la vie. Il est remarquable de
doléances, ses contraintes, digestives certes mais constater que la perte unilatérale d’un rein, en
également dans la vie courante, fatigabilité, vie l’absence de toute incapacité fonctionnelle (rein
relationnelle, familiale, sociale, sexuelle chez restant fonctionnellement normal et suffisant), ne
cette femme jeune, encore en âge et en état de génère aucune incapacité chiffrable.
procréer mais dont « la fonction de plaisir » peut La cotation d’une insuffisance fonctionnelle rénale
être perturbée. sera évaluée quasi exclusivement sur le retentisse-
La synthèse de cette atteinte pluri fonctionnelle ment biologique.
doit être faite, sans toutefois qu’il résulte d’une La transplantation rénale n’est, par elle-même,
somme de dommages multiples une évaluation indemnisable qu’en fonction de ces mêmes critè-
exagérée du taux global du préjudice. res et de la tolérance aux traitements permanents
C’est dans un cas extrême de ce type que prend qu’elle impose.
toute sa valeur la double approche dont il a déjà La fonction excrétoire est du domaine de l’urolo-
été question : gie. Dans un contexte complexe de « vessie neuro-
• l’approche analytique par l’intermédiaire des logique », l’évaluation se fait globalement dans le
tableaux cliniques de référence digestifs, parié- cadre de l’affection en cause.
taux, hépatiques, diabétiques… Pour toutes les autres pathologies séquellaires
• l’approche synthétique grâce aux grands qui, à quelque titre que ce soit, peuvent toucher
tableaux d’orientation spécifique en cohérence les divers organes qui concourent à l’excrétion

425
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

de l’urine, c’est encore leur retentissement fonc-


tionnel local, voire général, qui est pris en
Conclusion
compte, selon des tableaux cliniques détaillés
Rappelons avec Yvonne Lambert-Faivre que le
dans les barèmes. Il faut s’attacher en particulier
meilleur des barèmes basé sur l’analyse des fonc-
à bien décrire et à intégrer les contraintes et
tions n’est qu’une grille de références ­indicative,
astreintes thérapeutiques et/ou d’appareillage
sujette à révision au gré des progrès scientifiques.
que ces d
­ isfonctionnements peuvent engendrer.
Elle évalue, dans l’absolu, un handicap physiologi-
Là encore, ce n’est pas la lésion d’organe qui prime que. Les préjudices fonctionnels et personnels
mais le trouble qu’elle engendre. induits doivent toujours être appréciés séparément.

Les péritonites iatrogènes : aspects médico-légaux


Ph. Hubinois

« Il faut rendre les choses complexes le plus


simple possible mais il ne faut pas les rendre Les péritonites iatrogènes
plus simples que possible » compliquant un geste
Albert Einstein
La complexité des faits scientifiques et techniques
d’endoscopie ou de radiologie
rencontrés au cours des péritonites iatrogènes interventionnelles
explique les difficultés et les pièges auxquels l’ex-
pert doit faire face lors de sa mission. Les actes endoscopiques, en particulier les colos-
copies avec ou sans résections de polypes peuvent
Une péritonite est une inflammation et/ou une
générer des perforations coliques, à la fréquence
infection du péritoine, causée par un agent chimi-
d’un cas sur deux mille cinq cent en l’absence de
que et/ou un agent bactérien. Une péritonite iatro-
résection de polype, d’un cas sur mille en cas de
gène40 est causée par un acte de soin ou de
résection. Les sphinctérotomies endoscopiques
prévention. L’atteinte péritonéale est un facteur de
pratiquées pour traiter des lithiases de la voie
gravité, qu’il convient de diagnostiquer rapide-
biliaire principale peuvent engendrer des pous-
ment, traiter efficacement et sans délai. De la
sées de pancréatite aiguë et/ou des perforations du
­rapidité et de l’efficacité du traitement dépend
duodénum, souvent primitivement rétro-périto-
directement le pronostic de l’affection. Au plan
néales. Il peut s’agir également de perforations
médico-légal, ce sont les moyens mis en œuvre
duodénales au cours de la résection d’un polype
pour assurer le diagnostic de péritonite iatrogène
duodénal.
et la traiter le plus tôt possible qui seront considé-
rés et dont dépendra la mise en jeu éventuelle de la Devant la constatation de douleurs anormales par
responsabilité médicale. leur intensité et/ou leur persistance, d’un ventre
Parmi les péritonites iatrogènes, les péritonites qui se défend et a fortiori d’un ventre de bois,
postopératoires, dont le diagnostic est souvent après un acte endoscopique haut ou bas, avec ou
difficile, ont un pronostic lourd. C’est pourquoi sans acte de résection de polype ou avec sphincté-
nous les envisagerons séparément (II), après les rotomie associée, il faut systématiquement recher-
péritonites iatrogènes qui font suite à un acte d’en- cher une complication, à type de perforation
doscopie ou de radiologie interventionnelles (I). d’organe creux digestif dans les cas de résection
Puis nous envisagerons les problèmes médico- (colique ou duodénale, voire gastrique), à type de
légaux principaux que pose la survenue des pancréatite et/ou de perforation du duodénum
­péritonites iatrogènes (III). rétro-péritonéal après une sphinctérotomie. Que
le liquide qui fait issue au travers de la perforation
40  De iatros, médecin en grec. viscérale soit acide (plaies gastriques), basique

426
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

(plaies biliaires) ou stercoral (plaies colorectales confié au chirurgien. De la précocité de l’inter-


et à moindre degré plaies de l’intestin grêle), vention chirurgicale par rapport à l’heure de réa-
­l ’irritation chimique et/ou bactérienne entraîne lisation du geste endoscopique et de la propreté du
rapidement un état fébrile et en l’absence de traite­ côlon obtenue grâce à la préparation colique
ment, un état de choc s’installant plus ou moins dépend le degré de souillure de la cavité périto-
rapidement. néale, donc le geste chirurgical qui pourra être
L’examen clinique est donc capital. Dans les cas réalisé. Dans le cas où l’intervention fait suite
les plus évidents, il est suffisant pour porter l’indi- rapidement à la perforation, quand celle-ci est
cation opératoire. Lorsqu’il n’existe pas de choc ponctiforme, franche et sans contusion pariétale
sévère imposant la laparotomie, la coelioscopie colique associée, il est parfois possible de réaliser
exploratrice, sous anesthésie générale, permet le une suture simple, sans colostomie d’amont, ainsi
diagnostic des lésions intra-abdominales et assez qu’un lavage péritonéal et un drainage adapté. La
régulièrement le traitement de celles-ci dans le colostomie d’amont s’impose au moindre doute
même temps opératoire, après une rapide correc- sur la vitalité des tissus suturés et systématique-
tion du choc (sutures des plaies viscérales poncti- ment en cas de souillure fécale importante du
formes vues tôt, toilette péritonéale et drainage). péritoine, en cas de contusion pariétale colique
associée ainsi qu’en cas de difficulté de suture, liée
Quand le diagnostic de péritonite est moins évi-
au siège de la perforation (rectum en particulier).
dent, il faut recourir aux examens complémentai-
La colostomie sera supprimée trois à six mois
res que sont la radiographie sans préparation
plus tard.
(clichés d’abdomen sans préparation en position
debout et couché, radio de thorax en position Pour ce qui est des pancréatites survenant après
assise ou demi-assise), échographie abdominale et sphinctérotomies endoscopiques, l’abstention
pelvienne. La radio sans préparation peut mettre chirurgicale « armée » est souvent possible, sous
en évidence un pneumopéritoine (ou un rétro- surveillance clinico-biologique et scannographi-
pneumopéritoine) en position debout ou demi- que, à la condition d’une réévaluation répétée de
assise, qui signe la perforation d’un organe creux la décision. Une mauvaise tolérance clinique, des
et indique l’intervention. Il peut montrer une gri- signes d’extension des lésions nécrotiques aux
saille diffuse intra-abdominale, effaçant le bord scanners itératifs peuvent contraindre à l’inter-
des psoas, des niveaux liquides intestinaux. vention, nécessiter la résection des tissus nécrosés
L’échographie peut objectiver la présence d’un et un drainage des collections.
épanchement intra-abdominal, dont l’abondance
est un facteur de gravité. Un scanner abdomino-
pelvien peut être utile, quand le diagnostic reste
incertain et qu’il est possible de le faire sans dépla-
Les péritonites postopératoires
cement trop important, chez un patient en équili- posent des problèmes
bre hémodynamique. La demande d’un scanner médico-légaux bien particuliers
ne doit pas retarder l’acte chirurgical nécessaire.
La présence de l’un des signes cliniques ou para- La mortalité des péritonites postopératoires est
cliniques sus-décrits chez un patient instable et/ élevée (30 à 50 % selon les séries). Le traitement
ou dont l’état clinique s’aggrave impose l’inter- des formes graves est particulièrement lourd et
vention chirurgicale exploratrice d’emblée. nécessite impérativement le support de structures
Les patients étant hospitalisés en « ambulatoire » de réanimation adaptées et spécialisées.
pour les coloscopies et/ou les fibroscopies, leur Les péritonites postopératoires peuvent être clas-
départ doit être retardé sans hésitation quand la sées selon l’agent responsable (urine, bile, chyme
douleur abdominale au réveil paraît inhabituelle, pancréatique, pus, liquide stercoral en ­provenance
avec une distension abdominale plus importante de l’intestin grêle, selles d’origine colique), selon
qu’à l’ordinaire. Au moindre doute, la radiographie le(s) germe(s) responsable(s), selon leur siège ­sus-
d’abdomen sans préparation assure le diagnostic, ou sous-mésocolique ou diffus, selon leur horaire
montrant un pneumopéritoine de plus ou moins de survenue par rapport au geste chirurgical,
important. Le patient doit alors être immédiatement selon le type de chirurgie ­effectué, etc…

427
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Les péritonites urinaires le lit ­vésiculaire, lorsque la liberté de la voie


biliaire principale est assurée en aval et qu’un
Les péritonites urinaires font suite à la chirurgie drainage efficace est en place, qu’il ne s’agit pas
urologique ou gynécologique (lésions méconnues d’une péritonite biliaire généralisée mais d’un
de l’uretère au cours de la chirurgie utérine ou biliome localisé, une simple sphinctérotomie endos­
ovarienne) et, plus rarement, à la chirurgie parié- copique après opacification rétrograde peut par-
tale (cures de hernies chez le sujet âgé en cas de fois assurer la guérison. Dans les autres cas, la
diverticule vésical, de vessie de rétention chroni- réintervention chirurgicale s’impose, avec opaci-
que à paroi fragile, ou bien en cas de vessie adhé- fication per-opératoire des voies biliaires et intu-
rente après une chirurgie prostatique). Le tableau bation de la plaie par un drain de Kehr chaque
est souvent peu bruyant, peu ou pas fébrile au fois qu’elle est possible, ou bien, en cas de dégâts
début, avec augmentation progressive du volume importants, avec réalisation d’une fistule biliaire
abdominal, tableau pseudo-ascitique ou de « péri- externe dirigée, en attendant, trois mois à six
tonite asthénique ». L’échographie abdomino-pel- mois plus tard, la reconstruction biliaire de
vienne authentifie l’épanchement péritonéal. En lésions parfaitement documentées. Lorsque la
présence d’un drainage qui donne un abondant chirurgie des voies biliaires n’a pas été suivie de la
liquide clair, l’injection intraveineuse d’indigo- mise en place d’un drain, le diagnostic de périto-
carmin colore le liquide drainé en bleu, affirmant nite biliaire doit être posé cliniquement devant le
la fistule urineuse. L’intervention s’impose dès le caractère inhabituellement intense des douleurs
diagnostic fait (par urographie intraveineuse, postopératoires, prédominant dans l’hypochon-
scanner si nécessaire) pour réparer la fuite uri- dre droit, avec irradiation à l’épaule droite, puis
naire, sous couvert du drainage des urines et d’un diffusant rapidement à tout l’abdomen, avec
drainage au contact de la fistule. subictère ou ictère cutanéo-muqueux et pertur-
bation des fonctions hépatiques. En cas de fistule
Les péritonites biliaires biliaire sans interruption de la voie biliaire
­principale, les signes biologiques de rétention
Les péritonites biliaires (après chirurgie des voies peuvent être retardés ou peu marqués. L’écho­
biliaires) s’installent en règle précocement, qu’il graphie abdominale authentifie la collection
s’agisse d’une contusion ou d’une plaie de la voie intra-péritonéale, qui doit faire pratiquer rapide-
biliaire principale, d’un lâchage du moignon ment une opacification rétrograde des voies biliai-
­c ystique ou de la plaie d’un canalicule biliaire res ou une bili-IRM42.
accessoire dans le lit vésiculaire. Elles peuvent
cependant être retardées41 quand il s’agit d’une
brûlure électrique de la voie biliaire (interven- Les péritonites postopératoires
tions coelioscopiques en particulier), entraînant d’origine pancréatique
une nécrose canalaire secondaire, différée de plu-
sieurs jours parfois. Lorsqu’un drain a été laissé Les péritonites postopératoires d’origine pan-
en place, le diagnostic peut être porté rapidement. créatique peuvent être gravissimes, en raison de
Une écho-endoscopie biliaire doit être réalisée si l’agressivité du suc pancréatique, générant des
elle est possible rapidement, suivie au besoin coulées de nécrose et de surinfection tissulaire.
d’une opacification rétrograde des voies biliaires, Leur évolution est alors comparable à celle des
afin de préciser le siège et le type de la plaie pancréatites aiguës. Elles sont le plus souvent
biliaire, de façon à en assurer le meilleur traite- dues alors à une fistule canalaire, dont la
ment. En cas de lâchage des clips posés sur l’ex- ­w irsungo-IRM peut faciliter le diagnostic du type
trémité du canal cystique lors d’une coelioscopie et de l’importance. Une telle péritonite générali-
ou en cas de ­fistule d’un canalicule biliaire dans sée d’origine pancréatique impose en règle la

41 Voir P. Ortega-Deballon et coll., Lésions iatrogènes 42 Voir V. Vidal et collègues, Variations anatomiques
des voies biliaires lors des cholécystectomies, Journal des voies biliaires en cholangio-IRM : faisabilité et
de chirurgie, vol. 144, septembre-octobre 2007, n° 5, intérêt chirurgical, Journal de chirurgie, vol. 144,
p. 409–413. novembre-décembre 2007, n° 6, p. 505–507.

428
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

reprise chirurgicale, la résection des zones nécro- doute, en intubant la fistule si celle-ci est facile-
tiques et le drainage au contact, accompagné bien ment accessible et de petite taille, en lavant
sûr d’une antibiothérapie adaptée et de l’admi- abondamment la cavité péritonéale et en drai-
nistration d’analogues de la Somatostatine*. La nant largement la région, sous couvert le plus
surveillance de l’évolution est clinique, biologi- souvent d’une jéjunostomie d’alimentation et
que et par scanners abdominaux répétés à inter- d’une aspiration gastrique continue. Dans les
valles réguliers. autres cas, il faut intuber l’œsophage abdomi-
Mais les péritonites postopératoires d’origine nal après démontage de l’anastomose, établir
pancréatique peuvent cependant être beaucoup l’anse jéjunale montée en jéjunostomie, voire
moins graves, quand elles restent localisées et se pratiquer une exclusion oesophagienne avec
limitent à la périphérie de la tranche pancréati- oesophagostomie cervicale.
que. Il faut ici distinguer les simples séromes, dans b. Les fistules gastriques sont le plus souvent des
la loge d’une duodéno-pancréatectomie par exem- fistules gastro-jéjunales après chirurgie gastri-
ple, qui se résorbent habituellement en quelques que de l’ulcère ou du cancer. Elles peuvent être
semaines et n’ont pas de caractère péjoratif, des traitées selon les mêmes principes que les fistu-
collections véritablement infectées, qu’elles soient les oeso-gastriques, par intubation des petites
de chyme pancréatique isolé ou de liquide bilio- désunions anastomotiques, drainage au contact
pancréatique, ou même franchement purulentes. après lavage péritonéal, aspiration gastrique,
Ces collections localisées peuvent parfois être uti- antibiothérapie adaptée, administration d’in-
lement traitées, après repérage en échographie ou hibiteurs de la pompe à protons et jéjunosto-
mieux au scanner, par un drainage écho ou mieux mie d’alimentation. Dans les cas plus graves,
scanno-guidé. Un tel drainage non chirurgical une mise à la peau des extrémités digestives,
doit être suivi d’une rapide amélioration clinique, toujours difficile à l’étage sus-mésocolique, est
biologique et radiologique (une opacification de la cependant préférable à la totalisation de la gas-
collection est possible par le drain mis en place en trectomie, qui doit en règle être retardée de
radiologie interventionnelle, lors des contrôles quelques mois.
par scanners ultérieurement), et, à défaut, d’une c. Les fistules du duodénum après chirurgie gastri-
réintervention chirurgicale. que (qu’il s’agisse d’une fistule du moignon
gastrique après anastomose gastro-jéjunale,
Les péritonites par fistule d’une fistule sur anastomose gastro-duodénale
des organes creux digestifs ou même de la fistulisation d’une simple pylo-
roplastie) peuvent être traitées selon les mêmes
Les péritonites par fistule des organes creux diges- principes que les fistules gastriques, par intu-
tifs : il peut s’agir d’une fistule oesophagienne (a), bation de la fistule chaque fois qu’elle est possi-
gastrique (b), du moignon duodénal (c), sur l’in- ble, drainage au contact, aspiration gastrique
testin grêle (d), le côlon et le rectum (e). continue, irrigation par le drain d’intubation
a. Les péritonites avec fistule oesophagienne sont de la fistule et administration d’inhibiteurs de
en règle dues à la survenue de fistules oeso- la pompe à protons (IPP). Dans le cas où cette
jéjunales après gastrectomie totale. Leur pro- technique soit n’est pas réalisable, soit s’avère
nostic est redoutable, en raison de la diffusion insuffisante pour rétablir une situation clini-
rapide d’un liquide hautement toxique et infec- que satisfaisante, une fistulisation externe diri-
tieux dans la cavité abdominale d’une part, gée simple avec jéjunostomie d’alimentation
dans le médiastin inférieur d’autre part. Lors­ doit être effectuée.
que la fistule est de petit calibre, qu’elle est d. Les fistules sur l’intestin grêle : Le principe
directement drainée au contact et qu’une sonde général d’interdiction de la réalisation de sutu-
oeso-jéjunale est en place, passant au-delà de la res itératives chaque fois que la cavité périto-
fistule, que l’évolution clinique semble favora- néale est rendue hautement septique par une
ble, l’attentisme armé est possible. Mais cette péritonite évoluée doit être impérativement
situation est relativement exceptionnelle. Il ne respecté. Il faut alors réaliser une résection de
faut donc pas hésiter à réopérer au moindre la zone fistulisée et/ou nécrosée, établir une

429
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

double stomie digestive, si possible en « canon Pour ce qui est enfin des fistules colo-rectales, on
de fusil » (pour permettre la ré-instillation de peut distinguer schématiquement deux cas de
chyme, en cas de fistule jéjunale ou iléale proxi- figure : ou bien la fistule est de petite taille, les
male et un rétablissement de continuité plus conditions septiques péritonéales peu évoluées et
aisé), un lavage abondant de la cavité périto- l’on peut alors, dans certains cas, tenter une exclu-
néale et un drainage adapté. Il est très rare de sion de la zone fistulisée par suture de la brèche
pouvoir suturer à nouveau une minime brèche colique, drainage local et colostomie ou iléosto-
intestinale détectée très précocement après la mie d’amont ; ou bien cette technique n’est pas
chirurgie initiale, quand la cavité péritonéale utilisable, parce que les extrémités digestives
est encore très peu souillée. Le succès n’est pas anastomosées sont nécrotiques, franchement infec­
dans ce cas assuré ; l’échec éventuel amène à tées, que la fistule est large et importante : il faut
réopérer et à établir des stomies, dans des alors réaliser une intervention de Hartmann, en
conditions infectieuses souvent plus difficiles à réséquant complètement l’anastomose et les extré-
contrôler. mités colique et rectale infectées, avec fermeture
e. Les fistules iléo-coliques, coliques et colo-recta- du rectum et établissement d’une colostomie
les : outre le traitement de la péritonite sous- terminale. Dans les anastomoses colo-rectales
mésocolique, qui doit bien sûr dans tous les cas hautes, l’intervention de Hartmann ne posera
être effectué le plus rigoureusement possible, la en règle pas de problèmes majeurs de rétablisse-
situation est quelque peu différente selon qu’il ment de continuité. Pour ce qui est des anasto­
s’agit de la désunion d’une anastomose iléo- moses colo-rectales sur le rectum moyen ou le
colique droite après hémicolectomie droite, de rectum bas, le rétablissement de continuité après
la désunion d’une anastomose colo-colique sur Hartmann peut s’avérer franchement difficile.
le transverse ou le côlon gauche ou bien d’une C’est pourquoi on pourra parfois privilégier dans
fistule colo-rectale plus ou moins bas située. ce cas l’exclusion de la zone fistulisée, même dans
le cas de désunions anastomotiques relativement
La survenue d’une péritonite par désunion d’une larges, en drainant la zone infectée par sac de
anastomose iléo-colique droite implique, quand elle Mikulicz et en tentant de prévenir la sténose anas-
est possible, dans les cas les plus simples de fistules tomotique colo-rectale par des irrigations du
de petite taille opérées peu de temps après le geste ­segment exclu, dès que le contrôle des conditions
initial, la mise à la peau directe de la zone fistulisée ; septiques le permettra.
quand celle-ci est impossible, qu’il s’agisse d’une
large désunion avec nécrose des extrémités anasto-
mosées et/ou d’une péritonite évoluée qui fige et Les principaux problèmes
raccourcit les mésos, on pratiquera une double médico-légaux posés
­stomie, en canon de fusil, après libération des mésos,
permettant d’extérioriser avec les extrémités diges- par la survenue et le suivi
tives le méso qui les vascularise. Le rétablissement des péritonites iatrogènes
de continuité se fera habituellement simplement,
trois mois plus tard, par une voie élective, sans Ils peuvent se poser en matière de diagnostic, de
nécessité de reprendre la cicatrice médiane. Il est suivi et de qualité du traitement, tant pour
relativement exceptionnel d’être contraint d’établir les péritonites iatrogènes d’endoscopie et de
une iléostomie terminale et une colostomie trans- ­radiologie interventionnelles que pour les périto-
verse en deux orifices pariétaux distincts. nites postopératoires. Nous étudierons successi-
Dans les fistules colo-coliques après anastomose vement les ­problèmes posés par les péritonites
termino-terminale, il faut souvent réséquer à iatrogènes endoscopiques et radiologiques inter-
­nouveau les extrémités coliques pour établir en ventionnelles ; ensuite, le cas des péritonites pos-
tissu colique sain et viable une stomie d’amont et topératoires qui mérite une étude particulière ;
une stomie d’aval, le plus souvent en deux orifices puis, le caractère nosocomial de l’infection liée à
pariétaux distincts, ce qui rendra ultérieurement la péritonite qui n’est pas toujours simple à éta-
nécessaire la reprise de la cicatrice médiane blir ; enfin, il convient, après analyse de l’imputa-
­initiale pour rétablir la continuité digestive. bilité, de quantifier les préjudices.

430
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Le diagnostic, le traitement et le dite erreur fautive (a), puis l’importance de la qua-


suivi des péritonites iatrogènes lité du suivi de l’opéré (b) et enfin celle de la qualité
et de la conformité du traitement institué (c).
non postopératoires
a. Quand la survenue d’une péritonite postopéra-
Si un retard modéré mis à porter le diagnostic de toire peut-elle être constitutive d’une erreur
péritonite iatrogène n’est pas toujours fautif, en fautive ?
particulier quand les pathologies sous-jacentes et
Les péritonites postopératoires sont consécutives
les antécédents des patients rendent ce diagnostic
soit à la fistulisation d’une anastomose digestive
particulièrement difficile, il faut toutefois en pareil
ou urinaire, soit à la survenue dans le cours de
cas que tous les examens paracliniques, biologiques
l’intervention d’une plaie viscérale passée inaper-
et radiologiques, disponibles à l’époque des faits,
çue et révélée secondairement ou bien d’une
aient été judicieusement demandés et réalisés par
contusion tissulaire qui ne donnera lieu à solution
les praticiens responsables. Le recours au scanner
de continuité digestive qu’ultérieurement.
abdomino-pelvien doit être systématique chaque
fois que la clinique et les examens échographiques Dans le premier cas, celui de la fistulisation anas-
et radiologiques simples n’ont pas permis le tomotique, c’est la conformité de la technique
­diagnostic de certitude, à la condition cependant opératoire aux règles de l’art qui permettra à l’ex-
qu’ils ne retardent pas l’intervention chirurgicale. pert de renseigner le juge sur le caractère aléatoire
ou bien à l’opposé fautif de la survenue de la fis-
Il en est de même en matière de suivi évolutif. tule anastomotique. Un vice technique patent
Rappelons à nouveau, ici, l’importance des opaci- permet d’exclure l’aléa (tension excessive des tis-
fications radiologiques aux hydrosolubles (par sus anastomosés, vascularisation précaire des
voie buccale ou rectale), capables d’authentifier extrémités, non-vérification des collerettes en cas
une perforation d’organe creux. de sutures mécaniques circulaires). Le contrôle de
l’étanchéité des anastomoses par insufflation d’air
Les problèmes médico-légaux ou de liquide bétadiné ou coloré fait partie des
bonnes pratiques médicales, même s’il ne permet
posés par la survenue pas à lui seul ­d ’affirmer qu’il n’y aura pas désu-
des péritonites postopératoires nion ultérieure.
et/ou par la qualité de leur suivi Dans le cas d’une péritonite faisant suite à la sur-
venue d’une plaie viscérale « de rencontre », passé
Il faut d’emblée rappeler que si la survenue d’une
inaperçue en per-opératoire, l’étude des antécé-
péritonite postopératoire n’implique pas automa-
dents du patient et des conditions anatomiques
tiquement la mise en jeu de la responsabilité du
locales découvertes lors de la réalisation du geste
praticien et/ou de l’établissement de santé, c’est de
opératoire initial aide l’expert à préciser le carac-
la qualité de la surveillance de l’évolution posto-
tère aléatoire éventuel de la complication. La pré-
pératoire du patient et donc de la précocité du dia-
sence de très nombreuses adhérences viscérales
gnostic de la complication ainsi que de la rapidité
intra-abdominales constatées au temps premier
de la mise en œuvre de son traitement d’une part,
de l’exploration abdominale, la fragilité des tissus
de la qualité du traitement de la péritonite et donc
opérés (grand âge, tissus peu vascularisés, tissus
de sa conformité aux règles de l’art d’autre part,
infectés, cancer évolué, antécédents de radiothé-
que vont dépendre d’éventuelles implications
rapie) augmentent dans des proportions très
médico-légales pour les professionnels de santé
importantes le risque de plaies viscérales. Celles-ci
(praticiens et/ou établissements de santé).
peuvent être franches et donner issue à du liquide
Le dogme reste ici, comme presque toujours en digestif en per-opératoire, ce qui en facilitera le
matière de responsabilité professionnelle médi- diagnostic immédiat, mais elles peuvent être
cale, l’obligation de moyens, tant en matière de secondaires, par nécrose de coagulation et/ou
diagnostic que de suivi et de traitement de la ischémie d’un segment viscéral. C’est alors de la
­péritonite postopératoire. qualité du suivi pour détecter cette complication
Nous envisagerons d’abord dans quels cas la sur- que dépendra la possibilité de mise en jeu de la
venue d’une péritonite postopératoire peut être responsabilité des professionnels.

431
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

b. La qualité du suivi de l’opéré Le caractère nosocomial


On l’a dit précédemment, de la précocité de dia- de l’infection liée à la péritonite
gnostic de la complication dépend la possibilité de
diminuer la mortalité et la morbidité des péritoni- Le problème est commun aux deux étiologies,
tes postopératoires. ­péritonites postopératoires ou post-endoscopi-
ques. Il est en réalité des cas simples où l’absence
La qualité du suivi clinique du patient par le d’infection patente du patient à l’entrée dans
chirurgien et l’anesthésiste (« signes de pancarte ») l’établissement et la constitution des signes après
au jour le jour, la prescription d’examens biolo­ 48 heures permettent de poser le diagnostic d’in-
giques adaptés (CRP43, numération des neutro- fection « nosocomiale » ou, selon la nouvelle ter-
philes et des plaquettes, créatininémie, etc…), le minologie choisie par le Ministère de la Santé45,
recours sans retard aux examens radiologiques et d’infection « associée aux soins ». La prise en
échographiques simples en cas de situation clini- charge des conséquences de cette infection noso-
que anormale, la réalisation de scanners quand comiale, en cas de complication non fautive, ne
ils sont possibles sans risque pour le patient, sont pourra cependant devenir effective, au titre de la
des éléments capitaux permettant à l’expert de se solidarité nationale, qu’en cas de décès du patient
prononcer sur le respect de l’obligation de moyens ou d’incapacité ­permanente partielle (IPP) supé-
par les praticiens. En cas de non-respect de cette rieure à 25 %46.
obligation, le juge pourra retenir un certain degré
de « perte de chance » pour le patient d’avoir pu Il est des cas plus difficiles, où le texte retenu le
éviter de succomber ou de sortir gravement han- 30 mai 2007 sur le site du Ministère de la Santé
dicapé d’une complication dont la survenue en peut aider. Il y est écrit en effet : « Lorsque l’état
elle-même ne présentait pas de caractère fautif. infectieux au début de la prise en charge n’est pas
connu précisément, un délai d’au moins 48 heu-
c. La qualité du traitement de la péritonite post­ res ou un délai supérieur à la période d’incuba-
opératoire concerne tant le chirurgien que tion est couramment accepté pour définir une
l’anesthésiste. Ils verront leur action analysée à infection associée aux soins. Toutefois, il est
l’aune des règles de l’art et des connaissances recommandé d’apprécier dans chaque cas la
acquises au moment du fait générateur. Pour le plausibilité de l’association entre la prise en
chirurgien, les règles de l’abord de la péritonite charge et l’infection ».
par une voie adaptée, de non-suture itérative
en milieu septique d’une anastomose fistulisée, Lorsque toutes les règles de l’art pour réaliser la
du lavage abondant de la cavité péritonéale et ou les anastomoses chirurgicales ou l’acte d’en-
du drainage adapté doivent être respectées. La doscopie interventionnelle et pour lutter contre la
non-amélioration rapide de l’état clinique, contamination consécutive à la fuite digestive ont
l’impossibilité de contrôler l’infection rendent été mises en œuvre (stomies d’amont rapidement
nécessaire le transfert en milieu spécialisé où effectuées en cas de fistulisation d’anastomose,
des réinterventions répétées seront parfois suture protégée ou non en cas de perforation d’or-
nécessaires. Pour l’anesthésiste, le recours à gane creux, antibiothérapie adaptée), lorsque les
une antibiothérapie conforme aux conférences germes en cause ne sont pas des germes hospita-
de consensus et aux recommandations des liers multi-résistants mais des germes sensibles,
sociétés savantes44, adaptée secondairement provenant de la flore endogène du patient et que
aux germes isolés dans les prélèvements et anti- toutes les règles en matière de prévention des
biogrammes réalisés, un apport parentéral suf- infections nosocomiales ont été respectées par
fisant et adapté, sont des éléments importants
qui guident l’avis technique de l’expert.
45 http : //www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/nosoco/nosoco4.
html.
46 Cf. sur ce point la loi du 4 mars 2002 et les articles
43  CRP : C reactiv protein. L. 1142–1. – I, L. 1142–1. II et L. 1142–17 du Code de
44 Cf. le texte de la conférence de consensus de la Haute la Santé publique, ainsi que les articles L. 6111–1 § 3,
Autorité de Santé (HAS) sur la Prise en charge des R. 711–1–1, R. 711–1–2 à 8, R. 711–1–9, et R. 711–1–10
péritonites communautaires, 16 juin 2000. du même Code.

432
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

l’établissement de soins, l’infection consécutive à eu égard à l’état antérieur du patient et à son évo-
la fistule ou à la perforation digestives ne peut pas lution prévisible, ce qui est précisément l’esprit de
être considérée comme un accident fautif. Il s’agit la loi du 4 mars 200247.
en effet d’une infection le plus souvent inévitable.
Quand le germe en cause est exogène, l’infection L’appréciation des préjudices
est potentiellement évitable et il faudra analyser
précisément le respect par l’établissement de la Le barème officiel est le barème publié au Journal
réglementation en matière de gestion du risque Officiel, annexé au décret du 4 avril 2003. Il caté-
environnemental et surtout les mesures prises gorise les « troubles communs aux différentes
pour prévenir les infections par transmission croi- atteintes de l’appareil digestif » en quatre stades,
sée (hygiène des mains, isolement vis-à-vis des traitant séparément les éventrations, les stomies
bactéries multi-résistantes, gestion d’éventuels cutanées et les incontinences48.
phénomènes épidémiques). Même exogène, le
germe n’est cependant pas la cause exclusive de
l’infection (la fuite digestive à l’origine de l’inocu- Conclusion
lation du péritoine étant l’autre composante cau-
sale essentielle). Il faut souligner qu’il s’agit d’une pathologie grave.
Le respect des règles de l’art et de l’obligation de
Il faut insister sur un point important : si l’in- moyens doit être recherché, plutôt que la seule
fection est parfois inévitable, le dommage ne qualité du résultat thérapeutique obtenu, car
l’est pas toujours. Il faudra donc rechercher celle-ci dépend à l’évidence de la pathologie ini-
­systématiquement si le manquement éventuel tiale et de l’état antérieur du patient. L’expert doit
aux règles de l’art dans le traitement de la mener, pour répondre à la question du caractère
­complication et de l’infection jugées inévitable, « associé aux soins » de l’infections, une analyse
est en relation de causalité directe ou indirecte exhaustive de l’espèce, précisant l’état antérieur
avec le dommage subi. du patient et son évolution prévisible, le caractère
En résumé, l’expert judiciaire doit en pratique endogène ou exogène du germe, surtout le lien de
préciser d’abord le caractère endogène/exogène causalité entre le manquement éventuel aux règles
du germe, le caractère évitable/inévitable de l’in- de l’art et l’infection d’une part, entre le manque-
fection, puis vérifier si les règles de l’art médical ment éventuel aux règles de l’art et le dommage
(pour ce qui est de la thérapeutique) et les obliga- causé d’autre part.
tions réglementaires édictées dans la lutte contre
les infections nosocomiales (pour ce qui est de
l’établissement de santé) ont été respectées afin de
prévenir le dommage survenu et associé à l’infec- 47 Cf. sur ce point P. Hubinois et B. Gachot, Chronique
juridique et judiciaire, Infections nosocomiales ou
tion, enfin vérifier s’il existe un lien de causalité associées aux soins, problèmes terminologiques et
direct et certain entre un éventuel manquement juridiques, évolution des responsabilités, Experts,
aux règles et la survenue de l’infection d’une part, 2008, 79, 5–10.Annexe au décret n° 2003–314 du
entre l’infection et le dommage d’autre part. Dans 4  avril 2003 relatif au caractère de gravité des acci-
cette analyse, la considération de l’état antérieur dents médicaux, des affections iatrogènes et des
du patient et de son évolution prévisible, celle de infections nosocomiales, Journal Officiel du 5 avril
2003, pp 6114–6131 ».
l’affection initiale et l’existence éventuelle de thé-
48 Barème annexé au décret n° 2003–314 du 4 avril 2003
rapeutiques « facilitantes de l’infection » devront
relatif au caractère de gravité des accidents médi-
bien sûr être prises en compte. À l’issue de cette caux, des affections iatrogènes et des infections noso-
étude, l’expert sera en mesure d’apprécier si le comiales, paru au Journal Officiel du 5 avril 2003,
dommage peut être considéré comme « anormal », pp. 6114–6131.

433
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

L’expertise médico-légale du grand handicapé


A. Rogier, J.-L. Isambert, G. Steinbach

L’intérêt d’un tel chapitre, dans un ouvrage plus souffrances endurées, préjudice esthétique…),
général consacré à la réparation du dommage en l’évaluation des besoins met en jeu des méca­
matière de traumatologie, ne peut se justifier que nismes différents. L’évaluation d’une incapacité
par les caractères spécifiques de ce type d’expertises. résulte d’une constatation objective, médicale, à
La fixation du taux d’incapacité permanente par- laquelle le médecin est particulièrement préparé
tielle (IPP) n’est pas plus complexe quand le taux par sa formation théorique et clinique. L’évalua­
d’IPP est élevé, bien au contraire, car les situations tion des besoins, par exemple en tierce personne,
les plus graves font habituellement l’objet de lon- implique la prise en compte de composantes
gues considérations dans la plupart des barèmes, sociales, familiales, voire économiques, auxquel-
et la fixation de ces taux souffre, au final assez peu les le médecin, même expert, est souvent peu
de discussion : la cécité complète est évaluée à habitué. La notion de besoin renvoie à une dimen-
85  %, la paraplégie entre 70 et 75 %… On peut sion subjective qui n’empêche pas l’évaluation,
contester la validité de ces chiffres, mais la conver- mais impose une approche technique différente,
gence de vue de la plupart des barèmes actuelle- et une participation plus importante du patient, et
ment utilisés témoigne d’un consensus, si ce n’est de son environnement familial et ­médical, à la
d’une pertinence des outils d’évaluation de l’inca- réalisation de l’expertise.
pacité. Seule l’évaluation des troubles neuropsy- La difficulté réside également dans le souci que
chologiques échappe à cette règle, en raison des doit garder le médecin expert de ne pas s’immis-
difficultés spécifiques de leur analyse et de leur cer dans des domaines qui ne sont pas les siens
évaluation médico-légale. (notamment celui d’autres spécialistes, comme
La difficulté de ce type d’expertise résulte vrai- les architectes), mais également dans celui des
semblablement de la conjonction de plusieurs régleurs (magistrats, avocats, assureurs…). Il
facteurs. doit néanmoins apporter à son mandant l’en-
semble des éléments du dommage subi par le
La fréquence de survenue des grands handicaps blessé.
est relativement faible : quelles que soient les défi-
Après quelques considérations générales sur le
nitions retenues, les fréquences ne dépassent pas 1
grand handicap destinées à cerner le sujet, une
ou 2 % de l’ensemble des expertises. De ce fait,
large part sera consacrée à la pratique de ce type
l’expérience des experts dans ce domaine est le
d’expertise.
plus souvent limitée, notamment lorsque ces mis-
sions sont confiées à des experts non spécialisés.
Enfin, les éléments du dommage à analyser sont
d’une nature différente, dans la mesure où le
Le grand handicap
grand handicap peut être caractérisé par l’exis- Définitions – Spécificités
tence d’une perte d’autonomie, que celle-ci soit
personnelle ou professionnelle. Il serait sans doute prétentieux, dans le cadre de
Cette perte d’autonomie, élément majeur de la ce travail, d’apporter une définition du handicap,
spécificité de l’expertise du grand handicapé, va et encore plus du grand handicapé.
imposer à l’expert de contribuer à l’analyse de la Le handicap est un terme générique qui désigne
satisfaction des besoins, notamment en tierce per- les conséquences physiologiques et situationnelles
sonne, en aides techniques et en aménagements d’une affection qu’elle que soit son origine.
de logement. Depuis les travaux de Wood, cette notion générale
Si la plupart des experts ont acquis la maîtrise de a pu être démembrée en trois niveaux :
l’évaluation des incapacités, et des différents chefs • lésionnel : la déficience est le trouble manifesté
de préjudice traditionnels (incapacité permanente, au niveau de l’organe ;

434
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

• fonctionnel : l’incapacité est la conséquence en entre 15 et 25 ans et représentent 10 à 20 % des


terme d’activités pour une personne concernée ; traumatisés crâniens.
• situationnel : le désavantage se rapporte au Une alcoolémie élevée est notée dans 30 à 50 %
préjudice résultant pour l’individu de sa défi- des cas de traumatismes crâniens graves.
cience et/ou de son incapacité. Le désavantage Parmi les autres causes, il faut citer, par ordre
reflète l’adaptation de l’individu à son milieu. décroissant : les chutes (jeunes enfants et vieillards
plutôt de sexe féminin); les agressions (2 % en
Épidémiologie Suède mais 10 % aux USA); la bicyclette (tranche
d’âge de 5 à 15 ans principalement) et, enfin, les
En traumatologie, les atteintes neurologiques accidents de sport (sports mécaniques, rugby, ski,
dominent, et principalement, les traumatismes équitation, boxe…).
crâniens et les lésions médullaires. Un peu à part,
Les traumatismes crâniens concernant donc,
sont à considérer les amputations traumatiques et
essentiellement, la vie privée, ils ne surviennent
les pertes fonctionnelles des membres (lésion du
que rarement dans le cadre du travail (3 % des
plexus brachial, surtout).
traumatisés crâniens ou 20 traumatismes crâ-
La répartition, pour un expert, s’effectue approxi- niens pour cent millions d’heures travaillées).
mativement de la façon suivante, en 1996 :
La gravité initiale est évaluée généralement à l’aide
• 50 % de traumatisés crâniens graves ; du Glasgow Coma Scale (GCS) (tableau 9.1).
• 25 % de médullaires, dont autant de tétraplégi- La notion de coma constitue l’indice constant de
ques que de paraplégiques ; gravité d’un traumatisme crânien, mais cette dis-
• 15 % de pertes fonctionnelles de membres parition de la vigilance et du contenu de la
(amputations de membres inférieurs, plexus conscience a des présentations cliniques multiples
brachiaux…) ; au pronostic variable. En effet, la mortalité est
• 10 % de « divers » : grands brûlés, polytraumati- corrélée au score de Glasgow lors de l’admission
sés, atteintes sensorielles et notamment cécité… en réanimation. Ainsi pour des scores de Glasgow
entre 3 et 4, on note 75 % de décès à un mois, 38 %
pour le score 5 mais seulement 12 % pour les sco-
Traumatisme crânien (TC) res 6 et 7.
Les données épidémiologiques en matière de trau- Les survivants du sixième jour (48 % des trauma-
matisme crânien sont rares et fragmentaires en tismes crâniens avec score de Glasgow inférieur à
Europe, contrastant avec une relative abondance 8 décèdent avant le sixième jour), vont présenter
des enquêtes nord-américaines. une association de troubles orthopédiques, neu-
En matière de traumatisme crânien, l’incidence rologiques et neuropsychologiques et leur devenir
varie avec le sexe puisque les hommes sont deux à fonctionnel à long terme est inscrit dans la classi-
trois fois plus touchés que les femmes pour une fication décrite également par l’équipe de Glasgow :
incidence globale qui oscille en Europe de 313 à Glasgow Outcome Scale (GOS), dite aussi échelle
372 pour 100 000 habitants par an. La décade sociale de Glasgow (tableau 9.2).
15–25 ans est la tranche d’âge la plus touchée. Les La gravité du coma initial reste l’élément prédictif
autres tranches à risque sont les âges extrêmes de le plus pertinent : 80 % des scores de Glasgow
la vie, c’est-à-dire avant l’âge de 10 ans et après ­initiaux supérieurs à 7 évoluent vers une bonne
l’âge de 70 ans. Le risque de traumatisme crânien récupération (GOS 1) contre seulement 10 % pour
pour les adolescents de sexe masculin est deux à les scores de Glasgow compris entre 5 à 7.
trois fois plus élevé que le risque moyen. Les travaux du colloque de Rouen, consacré
Parmi les causes de traumatisme crânien, les véhi- au  traumatisme crânien grave, à l’initiative de
cules à moteur sont impliqués deux fois sur trois ; C.  Fournier, ont permis de dégager un certain
les piétons (surtout enfants et personnes âgées) nombre d’éléments pronostics, sur une série de
représentent 10 à 15 % de ces accidents. Les traumatismes crâniens dont 765 avaient eu un
­accidents de motocyclette concernent essentielle- coma de plus de dix jours (tableaux 9.3 et 9.4). Les
ment des hommes (7 hommes pour 1 femme) troubles visuels, quelle que soit leur nature,

435
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Tableau 9.1
Gravité initiale du traumatisme crânien. Score de Glasgow (GCS) (Total : 3 à 15)
Ouverture des yeux E Réponse verbale V Réponse motrice M
spontanée 4 normale 5 ordre simple 6
au bruit 3 confuse 4 orientée 5
à la douleur 2 inappropriée 3 flexion/évitement 4
jamais 1 incompréhensible 2 flexion/ 3
décortication
rien 1 extension/ 2
décérébration
rien 1
Gravité du traumatisme crânien Score de Glasgow Fréquence
Léger supérieur à 12 70 à 80 %
Modéré 9 à 12 10 à 20 %
Grave inférieur à 8 10 à 20 %

Tableau 9.2 La répartition actuelle est de deux paraplégiques


Échelle sociale de Glasgow pour un tétraplégique, mais la proportion de
I Bonne récupération. Autonomie personnelle, tétraplégiques a augmenté au cours des dernières
sociale et professionnelle complète. années, notamment dans les suites d’accidents, où
II Autonomie personnelle complète malgré la part des tétraplégiques atteint la moitié dans
séquelles motrices et/ou intellectuelles. Pas certaines séries. Le sex-ratio est de quatre hom-
de reprise professionnelle en milieu normal. mes pour une femme. Les adultes jeunes sont
III Dépendance d’une tierce personne. Séquelles encore les plus touchés puisque la moitié des bles-
motrices et/ou intellectuelles majeures. sés médullaires a moins de 40 ans. La traumatolo-
gie routière est à l’origine de 30 à 50 % des lésions
IV États végétatifs.
alors que les accidents du travail ne représentent
V Décès. que 15 à 35 % des cas. Les accidents sportifs sont,
majoritairement, des accidents de plongeon et
dans une plus faible mesure de rugby et d’équita-
tion. Les armes à feu et les agressions sont impli-
a­ ggravent lourdement le pronostic. La durée du
quées, suivant les études, dans 1 à 14 % des cas…
coma est un élément majeur du pronostic fonc-
tionnel à terme. La rapidité de l’éveil constitue un Les chutes, enfin, sont fréquentes chez les person-
critère de bon pronostic, d’appréciation objective nes âgées, c’est dans ce dernier groupe de popula-
pourtant délicate. tion que l’on trouve la mortalité la plus élevée
puisque pour une mortalité globale de 10 %, deux
Lésions médullaires sur trois, parmi les sujets qui décèdent, ont plus
de 60 ans.
Les lésions médullaires d’origine traumatique
représentent 80 % des lésions médullaires. Il existe
également peu d’études statistiques cohérentes
Autres
puisque suivant les auteurs, l’incidence varie de Les circonstances épidémiologiques des lésions
11,5 à 53 nouveaux cas par million d’habitants par traumatiques du plexus brachial chez l’adulte sont
an. En France, le chiffre de 25 à 30 nouveaux cas en rapport avec un accident de la voie publique
par million d’habitants par an est communément dans 72 à 94 % des cas, impliquant des vélomo-
accepté, ce qui correspond à environ 1 500 nou- teurs ou des motocyclettes dans trois cas sur qua-
veaux cas chaque année. tre. Le sex-ratio est de neuf hommes pour une

436
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Tableau 9.3
Traumatismes crâniens avec coma de 1 à 10 jours. IPP : incapacité partielle permanente
Paramètres IPP moyenne Variations par rapport
à la moyenne de l’ensemble
Ensemble 15 %
Âge
< 10 ans 19 % +4%
10 à 20 ans 20 % –5%
> 40 ans 22 % +7%
Sexe
Femme 25 % + 10 %
Homme 11 % –4%
Durée du coma
< 3 jours 21 % + 06 %
Fracture crânienne
Oui 24 % +9%
Non 5% – 5%
Séquelles visuelles
Oui 38 % + 23 %
Non 10 % –5%
Syndrome postcommotionnel associé, ou non, à d’autres 15 % 0%
séquelles

femme. Il s’agit encore de sujets jeunes, principa- apprécie relativement bien le pronostic vital
lement la tranche d’âge 15 à 30 ans. dans les suites immédiates ;
Les amputations de membre inférieur ont vu leur • l’espérance de vie, qui doit être également rappor-
fréquence relative sensiblement diminuée. L’âge tée à une date de départ donnée, par exemple à un
moyen des amputés de membre inférieur s’est égale- an de l’accident, pour donner une notion du
ment abaissé. Il s’agit le plus souvent de fracas justi- pronostic vital à long terme. Évoquer l’espérance
fiant une amputation immédiate, et beaucoup plus de vie d’un état végétatif, sans référence à une date
rarement de complications tardives de traumatisme précise, est un non-sens ; l’espérance de vie d’un
chez le sujet âgé. Les perspectives de prothèse s’en sujet en état végétatif à trois mois de l’accident est
trouvent sensiblement améliorées, de même que le sensiblement plus courte que pour celui évalué à
pronostic fonctionnel de ces amputations. un an du fait générateur. Il convient d’être extrê-
mement prudent sur l’interprétation des études,
dont les conditions de recrutement et la métho-
Pronostic vital
dologie ne sont pas toujours irréprochables, et de
La notion de pronostic vital est une notion statis- ne pas perdre de vue que ce renseignement ne
tique, délicate à interpréter. Deux critères peuvent peut être donné que comme une moyenne statis-
être utilisés afin d’approcher cette notion : tique, subissant habituellement des variations
considérables, autour de la moyenne.
• le risque de décès à une échéance donnée (en
effet, le risque de décès est pour chacun d’entre On peut simplement évoquer quelques grandes
nous de 100 %, et c’est seulement à une échéance données concernant l’espérance de vie, évaluée à
donnée que cette notion a un intérêt); le risque un an de l’accident, pour quelques-uns des grands
de décès à un an de l’accident est une notion qui tableaux séquellaires rencontrés : paraplégiques :

437
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Tableau 9.4
Traumatismes crâniens avec coma de plus de 10 jours. IPP : incapacité partielle permanente
Fréquence de survenue
Paramètres IPP moyenne
IPP < 25 % IPP > 75 %
Ensemble 56 % 29 % 42 %
Durée du coma
– 1 à 10 jours 15 % 96 % 2%
– 10 à 15 jours 29 % 70 % 10 %
– 15 à 30 jours 47 % 36 % 26 %
– > 30 jours 72 % 8% 57 %
Lésion initiale
Commotion 27 % 62 % 50 %
Hémorragie méningée 19 % 64 % 38 %
Contusion cérébrale : 64 % 58 %
– unilatérale 66 % 55 %
– bilatérale 63 % 47 %
Hématome sous-dural
Plaie cérébrale
Âge
– 0 à 9 ans 65 % 16 % 51 %
– 10 à 19 ans 51 % 31 % 35 %
– 20 à 40 ans 55 % 34 % 40 %
– > 40 ans 56 % 24 % 43 %
Sexe
– Masculin 56 % 30 % 47 %
– Féminin 54 % 26 % 30 %

très légèrement diminuée ; tétraplégiques bas : tion est absolument identique, qu’il s’agisse d’une
modérément diminuée ; tétraplégiques hauts : for- expertise judiciaire ou d’une expertise amiable, et
tement diminuée ; hémiplégies : légèrement dimi- dans un cas comme dans l’autre, le consentement
nuée ; troubles neuropsychologiques isolés : très du patient demeure nécessaire, tant pour prati-
légèrement diminuée ; états végétatifs chroniques : quer l’expertise que pour consulter le dossier hos-
trois ans et demi, en moyenne, avec des variations pitalier. Lorsque ce consentement ne peut pas être
importantes. recueilli auprès du patient, l’ensemble des textes
(lois du 17 juillet 1978 et 31 juillet 1991 ; décrets
des 7 mars 1974, 11 juillet 1979 et 30 mars 1992)
L’expertise prévoit de façon explicite que le consentement
doit être donné par les ayants droit : cette notion
Les convocations d’ayant droit est une notion juridique sans doute
un peu complexe, qu’un peu de bon sens permet
La seule spécificité dans ce domaine concerne la habituellement de cerner. Le consentement doit
capacité du sujet à donner son consentement, tant être obtenu de façon claire et sans ambiguïté,
au déroulement de l’expertise, qu’à l’accès au après une information loyale sur la mission confiée
­dossier médical, notamment hospitalier. La situa- et le devenir du rapport.

438
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Ces règles sont générales, mais soulèvent des consciente), sensibilité spinothalamique (thermo-
­difficultés parfois un peu particulières, lorsque le algésie, tact protopathique indifférencié).
consentement ne peut être obtenu, ou chez les L’examen de la force musculaire49 restante soit aux
enfants. membres supérieurs, soit au tronc, soit aux mem-
bres inférieurs permet de définir également le
L’examen niveau lésionnel. Un muscle à 3 correspond à un
métamère neurologiquement intact si les muscles
Principes du métamère au-dessus sont à 5. Par exemple, si
La méthodologie de l’examen des grands handica- les muscles radiaux sont à 3, et que le biceps et
pés doit être extrêmement rigoureuse, à la recher- le brachial antérieur sont à 5, cela signifie que le
che d’un déficit fonctionnel qui est principalement ­dernier métamère moteur intact est C6 (biceps
d’origine neurologique : C5, radiaux C6).
• le bilan neurologique doit être systématisé : L’examen des réflexes ostéotendineux permet de
recherche d’une atteinte neurologique centrale compléter la recherche de la limite supérieure du
avec analyse des composantes sensitives, motri- syndrome lésionnel et aussi d’interroger la réflec-
ces, tonus, réflexes ; recherche d’une atteinte tivité sous-lésionnelle pour définir la hauteur du
neurologique périphérique, également sensibi- syndrome lésionnel.
lité, motricité, trophicité en rapport avec des Au terme de cet examen, le caractère complet ou
lésions radiculaires ou tronculaires ; incomplet de la lésion peut être affirmé, sans
• le bilan orthopédique vérifie la mobilité nor- oublier les derniers métamères sacrés.
male des articulations, recherchant une anky- La lésion médullaire peut alors être classée selon
lose, une raideur, des phénomènes douloureux ; la classification de Frankel modifiée ASIA en
• le bilan cutané est capital, recherchant des sachant que les niveaux A et B ont un potentiel de
escarres en zone d’insensibilité ou encore des récupération quasi nul alors que les niveaux C
phénomènes vasomoteurs en rapport avec une et D ont un potentiel de récupération important.
algodystrophie ;
• l’examen neuropsychologique doit, tout au long Examen neurologique
de l’expertise, rester une préoccupation de l’ex- des traumatisés crâniens
pert qui recueille les éléments spontanément
émis et procède par ailleurs à des investigations En phase initiale, c’est-à-dire dans les trois mois
plus systématisées ; suivants l’accident, les phénomènes neurologiques
• le bilan fonctionnel permet d’apprécier les pos- déficitaires sont au premier plan. Il existe un syn-
sibilités résiduelles : équilibre assis, tonus axial, drome pyramidal irritatif et déficitaire, volontiers
possibilités d’effectuer, seul ou avec aide, la toi- bilatéral, associé, fréquemment, à une atteinte des
lette, l’habillage… paires crâniennes, notamment des nerfs oculo-
moteurs. La classification de Glasgow permet de
• enfin, un examen médical général, et d’éven- situer le niveau d’éveil et d’ébaucher un pronostic
tuels bilans paracliniques (non invasifs dans ce de récupération.
cadre expertal) complètent les données.
Au fur et à mesure de l’évolution, le syndrome
pyramidal s’atténue souvent, laissant s’exprimer
Lésions médullaires un syndrome cérébelleux statique et kinétique,
uni ou bilatéral qui, souvent, représente la séquelle
L’un des buts de l’examen est de rechercher le majeure des traumatismes crâniens graves avec
niveau lésionnel par l’étude de la sensibilité, de la atteinte axiale.
motricité et de la réflectivité ostéotendineuse.
La sensibilité est interrogée sur différents modes :
sensibilité cordonale postérieure (tact épicritique, 49 Classification de MO à M5 du British medical Concil
sens arthrocinétique, sensibilité proprioceptive (1942).

439
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Une attention toute particulière doit être portée à ­ ’insertion scolaire, familiale ou professionnelle.
d
la recherche de déficits moteurs méconnus, soit Si les tests correctement utilisés sont d’un intérêt
liés au traumatisme initial (traumatisme osseux, indéniable pour l’étude des mécanismes psycho-
fracture de l’humérus et paralysie radiale du côté pathologiques, ils ne sont véritablement exploita-
hémiplégié, voire plexus brachial frustre égale- bles que quand ils s’inscrivent dans une approche
ment du côté hémiplégié…), ou alors, en rapport plus globale de la personnalité.
avec la période de coma, liés à une paralysie de L’expert, même s’il fait appel à un neuropsycholo-
posture sur compression prolongée. Ce sont alors gue, doit rester maître de sa propre évaluation, et
les nerfs sciatiques poplités externes, radiaux et les bilans neuropsychologiques doivent garder le
cubitaux, qui sont fréquemment impliqués. caractère d’examens « complémentaires ».
Enfin, dans un certain nombre de cas, la gravité Si l’on trouve souvent que ce que l’on cherche, on
du coma initial et les complications de la réani- le trouve parfois d’autant mieux qu’on ne montre
mation sont responsables d’une polyneuropathie pas ce que l’on cherche.
axonale.

Examen des fonctions Perte fonctionnelle d’un membre


supérieures et des troubles supérieur
Plexus brachial
neuropsychologiques
Le tableau le plus grave est celui d’un plexus
Devront être abordés l’éveil et la conscience ­brachial complet avec avulsion d’une ou plusieurs
(vigilance, concentration, attention, initiative); racines. Dans ces cas, la perte fonctionnelle est
les mémoires (des faits passés, d’acquisition, quasiment toujours définitive. Les greffes nerveu-
d’évocation, antérograde, rétrograde, de travail et ses et autres neurotisations n’ont une efficacité
immédiate) ; le langage (compréhension orale, que pour rétablir une certaine fonction à l’épaule
expression orale, lecture, écriture) ; l’orientation et au coude mais n’ont quasiment jamais de tra-
temporo-spatiale ; le jugement, le raisonnement, duction fonctionnelle pour réinnerver les ­muscles
l’intelligence ainsi que les troubles instrumen- distaux à la main.
taux : phasies ; gnosies (essentiellement l’agnosie
Quand l’atteinte est incomplète, les formes hautes,
visuelle avec des troubles de l’intégration des ima-
paralysie C5 C6, sont celles de meilleur pronostic.
ges pourtant correctement reçues) ; praxies (par
Il s’agit d’une main valide au bout d’un bras inerte.
analyse du geste transitif et du geste intransitif).
La sensibilité et la motricité de la main sont intac-
On distingue l’apraxie idéomotrice, le sujet sait ce tes. La chirurgie de neurotisation fait preuve d’une
qu’il doit faire, mais ne sait plus comment ; certaine efficacité. En cas d’échec de celle-ci les
l’apraxie idéatoire : le sujet ne sait plus ce qu’il doit chirurgies palliatives de transferts musculaires
faire ni comment utiliser l’outil pour le faire ; sont souvent efficaces.
l’apraxie constructive : apraxie de l’habillage,
Dans les atteintes basses C8 Dl, le pronostic fonc-
apraxie buccofaciale…
tionnel est grave, il s’agit d’une main inerte sur un
On appréciera la thymie (dépression, excitation bras valide. La récupération en cas de greffe ner-
de type maniaque ou hypomaniaque); le sommeil veuse est très aléatoire, car la réinnervation
(endormissement, réveil précoce, cauchemars…) s’épuise souvent avant d’arriver à la main. La perte
et la personnalité (modalités relationnelles, méca­ fonctionnelle est donc définitive et les chirurgies
nismes de défense) ainsi que les capacités d’appren­ secondaires de transfert tendineux sont moins
tissage. constamment efficaces du fait des troubles sensi-
Mais, cet examen des fonctions intellectuelles tifs persistant à la main.
supérieures n’a de sens que s’il s’inscrit dans une
approche plus générale du sujet examiné, avec Amputation
essentiellement une approche de la personnalité Au bras, les prothèses ont le plus souvent une
prétraumatique, de ses modes de réactions face valeur purement esthétique. Sur le plan fonction-
aux différents aléas de la vie, de ses capacités nel, les prothèses myoélectriques sont d’un

440
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

maniement complexe, et sont fréquemment aban- membres inférieurs est abolie, et les troubles
données en raison du peu de gain fonctionnel. génito-sphinctériens demeurent importants ;
Elles sont parfois le passage obligé du travail de • les paraplégies associent une perte fonctionnelle
deuil fonctionnel. de la motricité des membres inférieurs, et des
À l’avant-bras, les prothèses ont une valeur troubles génito-sphinctériens. Les membres
­fonctionnelle et professionnelle souvent amélio- supérieurs ont une mobilité normale, et la stabi-
rée par l’adjonction d’outils (crochets, pinces…). lité du tronc est acquise dans les paraplégies
basses.
Perte fonctionnelle d’un membre
inférieur
Les traumatismes crâniens
Il s’agit le plus souvent d’amputation, dont les
Les séquelles motrices peuvent être très diverses,
­sièges d’élection se situent au tiers moyen de la
avec des troubles moteurs déficitaires, parfois à
jambe et au tiers moyen de la cuisse. Une bonne
type d’hémiplégie, mais volontiers bilatérales, fré-
adaptation permet le plus souvent la reprise d’une
quemment associées à des atteintes des paires crâ-
marche ayant une réelle valeur fonctionnelle.
niennes, et notamment des nerfs oculomoteurs,
L’appareillage doit être, même chez le sujet âgé, le
souvent associées à un syndrome cerébelleux, sta-
plus performant possible, en vue de réduire le coût
tique et kinétique.
énergétique de la marche appareillée et ainsi opti-
miser l’interface moignon/emboîture. Les séquelles neuropsychologiques peuvent être
regroupées schématiquement en trois grands
On constate aussi des atteintes du tronc du sciati-
syndromes.
que, et un peu plus souvent des atteintes plus bas-
ses, notamment du sciatique poplité externe, qui Le syndrome frontal est caractérisé par l’exis-
gênent le relèvement de la pointe du pied. tence de troubles psychiques et de troubles
­neurologiques. Les troubles psychiques sont
essentiellement : des troubles intellectuels avec
Les grands tableaux séquellaires déficit de l’attention, perte de la synthèse men-
Les lésions médullaires tale, perte du jugement, perte de l’autocritique et
du sens moral, anosognosie, déficit de l’initiative
Sur un plan fonctionnel, et pour les lésions com- et des apprentissages ; des troubles thymiques
plètes, il paraît possible de distinguer schémati- avec expansion de l’humeur, optimisme et eupho-
quement : rie, mais aussi parfois troubles dépressifs, isolés
• les tétraplégies très hautes (pentaplégies des ou associés ; des troubles du comportement avec
Anglo-Saxons) (de niveau lésionnel C4 ou au- déficit de l’activité psychomotrice et ralentisse-
dessus) qui ont une insuffisance ventilatoire ment idéatoire.
pouvant justifier une ventilation assistée par Les troubles neurologiques sont constitués par
une sonde de trachéotomie. La mobilité des l’apparition de réflexes archaïques parfois associés
quatre membres est totalement abolie, et les à des troubles du langage, accompagnés de trou-
troubles génito-sphinctériens sont importants ; bles des praxies et de troubles de l’orientation.
• les tétraplégies hautes (niveau lésionnel C5/C6) Le syndrome pariétal est caractérisé par l’exis-
ont une ventilation efficace spontanée, une tence de troubles du schéma corporel. En cas de
motricité volontaire normale à l’épaule, dimi- lésion de l’hémisphère mineur, le trouble princi-
nuée au coude, nulle à la main ; pal est une hémiasomatognosie à laquelle pourra
• les tétraplégies moyennes et basses (de niveau se joindre une anosognosie, voire une anoso-
lésionnel C7 à Dl) pour lesquelles, et en fonction diaphorie (indifférence vis-à-vis du trouble). En
du niveau, une préhension, bimanuelle, voire cas de lésion de l’hémisphère dominant, le sujet
d’une seule main, avec l’aide d’un certain nom- est incapable de désigner les différentes parties de
bre d’aides techniques tels que les bracelets son corps, et présente des troubles praxiques, ainsi
métacarpiens devient possible. La mobilité des que des troubles phasiques.

441
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Le syndrome démentiel post-traumatique, essen- Le diagnostic d’état végétatif résulte donc : d’une
tiellement dans les lésions hémorragiques dissé- observation attentive et prolongée, d’un examen
minées de l’encéphale, doit être différencié des clinique minutieux, de la constatation de l’ineffi-
involutions préséniles ou séniles. Ces troubles cacité des stimulations, répétées et variées, de
déficitaires ne s’aggravent pas au cours du temps, l’éveil.
mais leur exploration peut être rendue extrême- La question des états végétatifs doit être abordée
ment difficile par l’existence de troubles compor- de façon spécifique. Ce comportement végétatif
tementaux associés. est caractérisé par Jennett et Plum en 1972, sur
Le rôle de l’imagerie, et tout particulièrement de l’association de six critères : alternance de cycles
l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pré- veille-sommeil (alternance d’yeux ouverts et fer-
coce, est important dans ce contexte : le caractère més, clignements palpébraux spontanés, rarement
évolutif de l’atrophie corticosous-corticale paraît à la menace) ; mouvements oculaires et de la face,
décisif pour affirmer ce diagnostic, même s’il de nature automatique ; hypertonie des membres
convient de rappeler qu’il n’existe pas de corréla- et du tronc, conduisant à une attitude stéréotypée
tions étroites entre l’imagerie et la clinique, et non finalisée ; autonomie végétative (néanmoins,
que les comparaisons entre les images successives il peut être nécessaire d’avoir recours à une tra-
supposent qu’elles soient réalisées avec des tech- chéotomie, et à des aspirations, et il est fréquent
niques analogues et de préférence par la même que les réactions neurovégétatives soient exacer-
équipe. bées en raison d’une régulation imparfaite); perte
L’épilepsie post-traumatique a été bien étudiée des fonctions supérieures (pas de réponse adaptée
par Roger et ses collaborateurs, qui, pour retenir ni finalisée); perte de toute communication.
une imputabilité, ont défini des critères de certi- Le diagnostic d’état végétatif chronique, c’est-­
tude et des critères de présomption. à-dire irréversible, ne devra être porté qu’avec
Sont des critères de certitude : l’existence d’une prudence et après un délai d’au moins un an, bien
plaie cranio-cérébrale, les constatations opératoi- documenté.
res du neurochirurgien quand une intervention Il est relativement fréquent que des ébauches de
neurochirurgicale a été nécessaire dans la phase communication, limitée et intermittente, soient
aiguë du traumatisme : existence d’un hématome, décrites par l’entourage, et parfois constatées par
d’une contusion cérébrale, la constatation scanno- l’examinateur, faisant évoquer la notion d’état
graphique précoce d’une hémorragie corticale ou pauci-relationnel.
sous-corticale, ou d’un foyer contusionnel, l’exis-
tence de séquelles neurologiques durables de type Les aspects médico-légaux
« cortical » (hémiplégie corticale, aphasie, etc.).
Sont des critères de présomption : le coma et/ou Les aspects médico-légaux vont concerner essen-
l’amnésie post-traumatique supérieurs à 24 ­heures, tiellement deux chapitres relativement distincts :
la fracture du crâne avec embarrure, les crises la fixation, prévisionnelle ou définitive, du taux
d’épilepsie précoces (survenant dans la semaine d’incapacité permanente partielle, et des postes
qui suit le traumatisme). de préjudices médico-légaux habituels (souffran-
Pour que ces critères de « présomption » puissent ces endurées, préjudice esthétique…) et l’analyse
se hausser au niveau d’un critère de « certitude », il de l’autonomie, et notamment des différents
faut qu’au moins deux d’entre eux soient réunis. besoins, chapitre qui fait sans doute la spécificité
de ce type d’expertises.
Il faut bien sûr éliminer toute autre cause pouvant
avoir un rôle épileptogène (pour mémoire, le
« petit mal » n’est jamais d’origine traumatique).
Fixation du taux d’incapacité
Enfin, faut-il rappeler que la prescription d’antié-
permanente partielle
pileptiques ne suffit pas à affirmer le diagnostic L’étude des mécanismes de fixation des taux d’in-
d’épilepsie post-traumatique, d’autant que les capacité permanente partielle permet de constater
prescriptions initiales, réputées préventives, sont que la plupart des experts utilisent plusieurs
parfois longuement prolongées. approches, confrontées les unes aux autres, pour

442
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

fixer le taux d’incapacité permanente partielle qui En tentant la difficile synthèse de ces barèmes, qui
reste l’un des éléments majeurs de l’évaluation sont convergents sur la plupart des points, en
médico-légale ; les barèmes sont aujourd’hui pour tenant compte de notre expérience personnelle et
la plupart convergents : barème de la société de en essayant de résoudre les quelques contradic-
médecine légale et de criminologie de France, tions persistantes, il apparaît possible de proposer
barème des incapacités fonctionnelles en droit une échelle globale.
commun du Concours médical, barème interna- IPP inférieure ou égale à 10 % : nécessité de quel-
tional des invalidités du docteur Mélennec… Ils ques contraintes ou de quelques précautions par-
sont utilisés par la plupart des experts comme une ticulières, gêne modérée ne modifiant pas de façon
référence admise et commune, même si elle ne constante ou importante les activités habituelles.
dicte pas de façon autoritaire les conduites. Les
IPP de 10 à 30 % : limitation de certaines activités
experts y cherchent essentiellement :
habituelles, avec possibilité de trouver des moyens
• des taux analytiques permettant de retenir, pour palliatifs pour l’activité quotidienne, qui n’est que
la perte, totale ou partielle, d’une fonction don- modérément et/ou inconstamment perturbée.
née, le taux habituellement proposé, ou la four-
IPP de 30 à 50 % : limitation de l’activité quoti-
chette de taux pour une symptomatologie
dienne, qui est nettement perturbée y compris
définie ; dans les cas, fréquents, où le patient a
l’activité professionnelle dont l’exercice demeure
plusieurs séquelles, l’expert ne procède habi-
le plus souvent possible.
tuellement pas à une simple addition, mais
confronte le plus souvent plusieurs méthodes : IPP de 50 à 70 % : incapacité à assumer certaines
calcul des infirmités multiples (par référence à activités habituelles, avec modification impor-
la règle de Balthazar, retenue en matière d’acci- tante de la vie quotidienne antérieure ou de l’acti-
dents du travail), mais aussi comparaison glo- vité professionnelle qui devient souvent difficile.
bale avec d’autres références ; IPP de 70 à 90 % : restriction majeure des activités
• des taux plafond, taux maximal d’incapacité envi- habituelles et professionnelles.
sagé pour la perte totale d’une grande fonction ; IPP supérieure à 90 % : perte quasi totale de l’auto-
• enfin, des taux synthétiques, correspondant à nomie psychomotrice.
des situations habituelles, auxquelles la situa- Des taux plafonds par fonction totalement perdue
tion de chaque blessé peut être comparée. Ces peuvent être proposés (tableau 9.5).
taux globaux sont particulièrement utiles pour Il est possible de proposer des grands éléments de
l’évaluation de l’incapacité liée à des patholo- référence en fonction des différents types de
gies médicales, dont les causes comme les effets, pathologies déjà évoqués (tableau 9.6).
sont souvent plus difficiles à analyser.
Il convient, même si cela peut paraître un truisme,
de rappeler que le taux de l’incapacité permanente Analyse de l’autonomie
correspond à un taux d’incapacité fonctionnelle,
c’est-à-dire à un déficit physiologique. Cette inca- Déroulement de la journée
pacité fonctionnelle peut avoir, ou non, des réper- L’étude du déroulement de la journée est souvent
cussions sur l’autonomie. Mais la perte d’autonomie un bon moyen de rendre compte concrètement de
est toujours d’origine multifactorielle, et très l’autonomie du sujet expertisé : il permet notam-
dépendante de l’environnement sociofamilial. Il ment par un interrogatoire minutieux – qui
ne serait pas pertinent de tenir compte de la perte demande beaucoup de temps – de cerner les
d’autonomie pour évaluer l’incapacité fonction- besoins d’aides, les modes de satisfaction de ces
nelle, même si cette incapacité a, de toute évidence, besoins, ainsi que les aides techniques qui peuvent
une incidence majeure sur l’autonomie. être utilisées, ou souhaitées. Il permet également
L’incapacité fonctionnelle doit être évaluée en de prendre conscience des besoins d’aménage-
tenant compte des améliorations et des ­contraintes ments du logement qui ont déjà été réalisés, ou
apportées par les traitements, prothèses et aides mériteraient de l’être pour permettre une vie plus
techniques diverses utilisées. autonome et plus confortable.

443
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Tableau 9.5
Taux plafonds par fonction totalement perdue
Fonction perdue Taux plafonds
– perte de la fonction de préhension 80 %
– perte de la fonction d’un membre supérieur 60 %
– perte de la fonction d’un membre non dominant (d) 50 %
– perte de la fonction locomotrice (quelle qu’en soit l’origine) 60 %
– perte de la fonction visuelle 85 %
– perte de la fonction auditive 60 %
– perte de la fonction génito-sphinctérienne 40 %

Tableau 9.6
IPP en fonction des différentes atteintes cliniques
Atteintes IPP
Lésions médullaires complètes
– T étraplégie très haute (pentaplégie) : perte totale de la fonction des quatre 90 à 95 %
membres, dépendance respiratoire
– T étraplégie haute (niveau lésionnel C5/C6) 85 à 90 %
– Tétraplégie moyenne et basse (niveau lésionnel C7/D1) en fonction des 75 à 85 %
capacités de préhension
– P araplégie : en fonction de la motricité et de la spasticité des membres 70 à 75 %
inférieurs, de la tenue du tronc, des troubles génito-sphinctériens

Atteintes IPP
Hémiplégies
– Flasque : pas de station debout, pas de fonction de la main : Dominant 80 %
avec aphasie : 65 % 90 %
– Spastique : marche avec une canne, main inutilisable 50 % non dominant
marche avec une canne, mais très maladroite 25 % 55 %
marche sans canne, main modérément maladroite 40 %
20 %
États végétatifs chroniques 99 %
États pauci-relationnels 96 à 98 %
État de vie réduite
– Atteintes diffuses avec tableau de quadriplégie et altération massive autour de 90 %
des fonctions supérieures
– Forme plus modérée avec syndrome cérébello-pyramidal et troubles 50 à 70 %
neuropsychologiques importants
Épilepsies
– Bien maîtrisée par un traitement, sans effets secondaires notables ; conduite 10 %
automobile autorisée
– A ssez bien maîtrisée avec cependant crise épisodique ne permettant pas la 15 %
conduite automobile ; traitement bien supporté
– Bien maîtrisée, sans crises mais avec effets secondaires gênants du traitement 15 %
médicamenteux

444
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

Atteintes IPP
– Mal contrôlée, crises fréquentes (une par semaine ou plus) malgré un 20 à 30 %
traitement médicamenteux adapté, non dépourvu d’effets secondaires
gênants
Troubles du langage
– Importants troubles de la compréhension du langage oral, alexie, et troubles jusqu’à 70 %
de l’expression avec jargonophasie
– Troubles importants de l’expression orale et graphique avec compréhension jusqu’à 50 %
préservée
– Troubles isolés de l’expression orale avec langage intérieur préservé jusqu’à 30 %
– Dysarthrie simple sans trouble de l’évocation des mots ni de la compréhension 5 à 10 %
Syndrome frontal
– Forme majeure avec apragmatisme, perte de l’initiative, désintérêt, jovialité jusqu’à 90 %
inadaptée, anosognosie
– Forme moyenne avec troubles de l’initiative, difficultés majeures à intégrer des autour de 50 %
consignes, troubles de la mémoire importants
– Forme plus mineure avec difficultés mnésiques modérées, subexcitation, jusqu’à 30 %
jovialité
Troubles de la vue
– Cécité 85 %
– Grande malvoyance (acuité visuelle inférieure ou égale à 1/20) 80 %
champ visuel inférieur à 30˚ 75 %
champ visuel supérieur à 30 ° 70 %
– Malvoyance (acuité visuelle comprise entre 1/10 et 1/20) 42 %
– Hémianopsie latérale homonyme complète avec épargne maculaire

Atteintes IPP
Troubles de l’audition
– Surdité complète inappareillable 60 %
Troubles génito-sphinctériens
– Perte de la fonction génito-sphinctérienne 40 %
– Atteintes de la fonction génitale
– Perte de toute possibilité d’avoir un rapport sexuel :
avec perte de la capacité de procréation jusqu’à 25 %
avec possibilité de procréation jusqu’à 20 %
médicalement assistée
–  Atteintes des fonctions sphinctériennes :
incontinence urinaire absolue jusqu’à 20 %
miction par percussion, sans fuite jusqu’à 15 %
miction par sondages intermittents, par jusqu’à 20 %
sonde à demeure ou étui pénien jusqu’à 15 %
incontinence anale totale

445
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Atteintes IPP
Atteintes fonctionnelles d’un membre supérieur Dominant Dominé
– Perte fonctionnelle complète :
au niveau du bras 60 % 50 %
au niveau de l’avant-bras 50 % 40 %
au niveau de la main 45 % 35 %
Atteintes fonctionnelles des membres inférieurs
– Amputation au niveau de la cuisse appareillé 55 %
40 à 50 %
– Amputation au niveau de la jambe appareillé 40 %
30 %
– Amputation au niveau du pied 20 %
– Atteinte du sciatique poplitée interne 25 %
– Atteinte sciatique poplitée externe (10 à 15 % en cas d’appareillage efficace 20 %
ou d’arthrodèse)
– Paralysie sciatique complète 40 %

Les besoins de soins Les aides techniques peuvent avoir plusieurs fonc-
tions comme l’aide directe au patient : par exem-
Il est souvent important d’établir, aussi précisé- ple, le fauteuil roulant manuel qui permettra au
ment que possible, les besoins de frais futurs du paraplégique de se déplacer, avec un certain nom-
patient (dont le calcul est souvent nécessaire à bre de contraintes et de limites qu’il est important
l’indemnisation, les frais futurs devant être le plus de bien connaître et d’analyser. D’autres aides
souvent capitalisés), sur le long terme, et en dehors vont apporter une aide de confort aux différentes
de toute hypothèse d’aggravation. Il conviendra personnes intervenant auprès du patient : ainsi, le
donc de préciser : les besoins de soins médicaux et lit à hauteur réglable ou le lève-malade permet-
paramédicaux : visites ou consultations régulières tront les transferts d’un tétraplégique dans de
du médecin, éventuellement du spécialiste, soins meilleures conditions…
de kinésithérapie, soins infirmiers, soins d’ortho-
phonie… On sait que ces besoins ont tendance,
après quelques années, à s’atténuer, alors que sur Les besoins de tierce personne
le très long terme, et notamment avec le vieillisse- L’aide humaine peut être schématiquement dis-
ment, les besoins peuvent réaugmenter. L’étude de tinguée en :
l’évolution des besoins au cours des années qui
• aide active de substitution qui peut être facile-
ont précédé l’expertise est souvent un bon moyen
ment analysée ; le temps nécessaire à l’exécution
de situer le niveau prévisible à plus long terme.
de la plupart des actes élémentaires de la vie
pourra être à la fois recueilli au cours de l’inter-
Les besoins d’aides techniques rogatoire, et confronté aux données disponibles
dans ce domaine, afin de les valider. Il s’agit
et d’aménagements ­souvent d’un découpage horaire qu’il est relative-
Les aménagements peuvent concerner tant ­l’habitation, ment aisé de réaliser avec le patient et son envi-
que les véhicules qui permettront les déplacements, ronnement familial, social ou médical, en
comme conducteur ou comme passager. distinguant bien ce type de besoins de ceux qui
Le rôle du médecin expert est de définir avec sont satisfaits dans le cadre d’actes de soins ;
­précision les aptitudes, et les besoins, de façon à ce • aide plus passive de surveillance, de présence,
que des solutions techniques satisfaisantes puis- voire de stimulation, dont l’analyse est beau-
sent être trouvées dans ces différents domaines. coup plus difficile et n’implique pas que des

446
Chapitre 9. Quelques domaines particuliers de dommage corporel

données purement médicales. Ainsi, la notion Bibliographie


de besoin d’une présence nocturne va intégrer
des problèmes de dépendance physique, mais [1] Amedoc Le préjudice sexuel. Paris, Eska, 2000.
également d’anxiété, et de climat social et fami- [2] Barat M, Deverat P. Pronostic fonctionnel précode
lial qui rendent délicate toute évaluation. Ce des traumatismes médullaires. Rencontres autour du
blessé médullaire. Problèmes en médecine de réédu-
temps de présence est souvent difficile à évaluer cation, Masson, Paris, 1990, 135–141.
en heure, qui n’apparaît pas comme une unité
[3] Blanc-Mollet, Moretti H, Rogier A, Rousseau C.
de mesure pleinement satisfaisante pour ces L’expertise des grands handicapés. Revue Française
besoins de présence et de surveillance. Ceci est du Dommage Corporel, Baillère, Paris, 1990, Tome 16,
d’autant plus vrai que la plupart des patients, n° 4, 583.
ayant un handicap grave, redoutent l’immixtion [4] Cohadon F, Richer E. États végétatifs chroniques
permanente d’une tierce personne, qui vient post-traumatiques. Revue Française du Dommage
troubler l’intimité, et rend la vie souvent péni- Corporel, Baillère, Paris, 1993, Tome 19, n° 3, 229–244.
ble. La présence continue d’une tierce personne [5] Colloque de la FFAMCSA Rouen 1988, Les trau-
au chevet d’un patient (en dehors de quelques matismes crâniens graves et leurs séquelles. Revue
Française du Dommage Corporel, Baillère, Paris,
tétraplégies hautes où cette présence est absolu-
1988, Tome 14, n° 2, 103–315.
ment indispensable) n’existe le plus souvent que
[6] Egon G, Isambert JL, FilippettiM P. Réhabilitation des
dans l’imaginaire de quelques médecins ou traumatismes crâniens graves. In Neurochirurgie.
juristes qui connaissent mal la vie quotidienne Ellipses, Universités Francophones, 1995.
des handicapés. [7] Grossiord A. Médecine de rééducation. Flammarion
Le placement familial, réglementé par la loi du Médecine Sciences, Paris, 1981.
10 juillet 1989, permet également des solutions [8] Guillot P, Jahier-Martiens E, Jokic C, Lavigne G,
de réinsertion dans des milieux familiaux, rétri- Steinbach G, Rogier A. Accueil familial des han-
dicapés. Revue Française du Dommage Corporel,
bués à cet effet, et qui, notamment dans les Baillère, Paris, 1996, Tome 3, 271–287.
séquelles de traumatisme crânien, permettent
[9] Leyrie J. Le dommage psychiatrique en droit com-
une reprise progressive, plus ou moins partielle, mun. Masson, Paris, 1990.
de l’autonomie. [10] Lucas P, Stehman M. Le blessé médullaire. Éditions
Le rôle de l’expert ne se limite pas à décrire les Juridoc, Collection médico-légale, Bruxelles, 1990.
aides humaines utilisées par le patient ; l’expert [11] Maury M. La paraplégie chez l’adulte et l’enfant.
doit se prononcer, techniquement, sur la réalité du Flammarion Médecines Sciences, Paris, 1981.
besoin, et son lien causal avec le fait générateur. Il [12] Melennec L. Barème International des Invalidités
doit évaluer les besoins imputables sans s’immis- post-traumatiques. Masson, Paris, 1983.
cer dans la manière dont ces besoins sont satis- [13] Mireur O. Problèmes médico-légaux posés par les
faits, qui sera néanmoins décrite. épilepsies post-traumatiques. Mémoire pour l’ob-
tention du diplôme de Réparation Juridique du
L’expertise du grand handicapé situe le médecin Dommage Corporel, Université de Marseille, 1981.
expert au cœur d’un drame humain auquel il [14] Pellissier J, Mazaux JM, Barat M. Épidémiologie
doit être attentif et bienveillant, sans sombrer du traumatisme crânien. In Problème en Médecine
dans le misérabilisme. Il peut être un maillon de Rééducation n° 19, Traumatisme crânien grave et
important de la démarche de réinsertion, en fai- médecine de rééducation, Masson, Paris, 1991, 16–23.
sant en sorte que le processus d’évaluation ne [15] Revol M, Servant JM. Paralysie de la main et du
devienne pas un handicap supplémentaire. Cela membre supérieur. Medsi, 1987.
suppose une bonne connaissance, tant des [16] Roger J, Bureau M, Mireur O. L’épilepsie post-
aspects spécifiques de ce type de pathologies (sur ­traumatique. Revue Française du Dommage Corporel,
le plan clinique, notamment neurologique et Baillère, Paris, 1987, Tome 13, n° 2, 119–130.
neuropsychologique) que de leur retentissement [17] Rogier A et al. Handicap : éléments médico-légaux à
l’usage du juriste et du médecin. Eska, Paris, 2000.
sur l’autonomie, et les moyens palliatifs de limi-
ter la dépendance. Une collaboration multidisci- [18] Rogier A et al. Frais futurs. Eska, Paris, 2001.
plinaire est souvent utile, voire nécessaire, mais [19] Société de Médecine Légale et de Criminologie
ne peut se substituer à la compétence du méde- de France. Les séquelles traumatiques : Évaluation
médico-légale des incapacités permanentes en droit
cin expert.

447
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

commun. Le Concours Médical, Lacassagne, Lyon, [22] Steinbach G. Évaluation des séquelles neuropsychia-
1991. triques en réparation du dommage corporel. Revue
[20] Société de Médecine Légale et de Criminologie de Française du Dommage Corporel, 1990 ; 16–3 :
France. Barème indicatif des déficits fonctionnels 515–519.
séquellaires en droit commun. Le Concours Médical, [23] Truelle JL et al. L’expertise médico-légale du han-
Paris, 1993. dicap mental des traumatismes crâniens sévères.
[21] Société de médecine légale et de Criminologie de Journal de Médecine Légale, Droit Médical, 1986 ;
France et AMEDOC. Barème d’évaluation médico- 29, 6 : 483–487.
légale. Eska, Paris, 2000.

448
L’indemnisation Chapitre  10
des préjudices liés
à un dommage corporel
De l’expertise à l’indemnisation
M. Dupuydauby et D. Roussière

Les principes Il faut noter que le comportement du régleur est


nécessairement différent selon qu’il a directement
affaire à la victime elle-même ou à un profession-
Quelque objective et techniquement incontourna-
nel mandaté par celle-ci. Dans le premier cas,
ble qu’elle soit, l’expertise n’est qu’un moyen au
face à un non sachant, le régleur recherchera le
service de la cause qu’elle sert : la juste indemnisa-
maximum d’objectivité et d’équité dans ses pro-
tion d’une victime. Et c’est autour de la perception
positions. Face à un professionnel, que le contexte
par la victime de cette notion de juste (justesse ?
soit amiable ou contentieux, il adoptera une posi-
justice ?) que va se jouer l’indemnisation.
tion probablement plus défensive, la solution
Que la situation soit judiciaire ou amiable, c’est au finale résultant de la contradiction des deux
régleur qu’il revient de préparer le dossier d’in- volontés.
demnisation et lorsque la situation est amiable de
Simultanément, cette première étape sera celle de
faire comprendre et accepter celle-ci par la vic-
l’analyse des conditions de l’événement, de l’envi-
time. Cette phase est l’aboutissement du long pro-
ronnement juridique, des enjeux, des parties en
cessus qui a commencé lors de la déclaration
présence ; puis des premières déductions quant
initiale de l’événement dommageable. C’est
aux premières décisions à prendre, expert à dési-
d’ailleurs souvent dans cette première phase
gner, comportement à adopter, évaluation globale
qu’une partie essentielle se joue ; celle de la
du dossier, planification de la procédure et des
confiance. La confiance est un peu un fil d’Ariane
interventions.
auquel la victime va se raccrocher tout au long du
processus indemnitaire et qui conditionnera la Le règlement plus proprement dit commencera
solution finale : amiable ou contentieuse. avec la synthèse des éléments recueillis sur les res-
ponsabilités qui vont conditionner le droit à
Que le régleur tarde, que l’expert soit maladroit,
indemnisation, sur les préjudices qui vont en
que les propositions soient inappropriées voire
conditionner le quantum.
seulement mal formulées, et alors ce fil sera rompu
et le travail du régleur deviendra tout autre face Bien évidemment, l’élément de base du travail
aux aléas du contentieux. du régleur à cet instant sera le rapport du ou des
experts tant pour ce qui concerne les respon­
Lors de la première étape de son travail, le régleur
sabilités, en matière médicale, qu’en ce qui
s’emploiera donc à rassurer la victime en lui
concerne l’évaluation des préjudices, dans tous
expliquant le déroulement du processus d’in-
les domaines.
demnisation, le rôle des intervenants, les garan-
ties qui sont les siennes, les recours possibles, les En matière de responsabilité médicale, c’est du
références qui seront éventuellement utilisées. rapport que le régleur tirera les éléments d’appré-
Puis, par la suite, à le tenir informé du déroule- ciation qui lui permettront de défendre l’absence
ment de la procédure. de responsabilité de son assuré ou de plaider un

449
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

partage ou d’accepter l’évidence et de la faire par- victime directe soit décédée ou qu’elle ait survécu à
tager à son assuré. ses blessures.
S’il s’agit d’une expertise judiciaire, il s’emploiera Les postes de préjudice sont au nombre de 29 :
à faire préciser à l’expert, si nécessaire, les élé- 20 concernent la victime directe et 9, les victimes
ments techniques susceptibles de mieux éclairer par ricochet.
les faits du dossier. Ils sont classés en 2 catégories : les préjudices
L’indemnisation sera l’aboutissement de tout ce patrimoniaux et les préjudices extra-patrimo-
long processus. La préparer consiste à quantifier niaux, eux-mêmes divisés en 2 sous catégories :
les descriptions objectives des éléments du préju- les préjudices temporaires avant consolidation et
dice pour formuler poste à poste une proposition les préjudices permanents après consolidation
amiable ou judiciaire directement à la victime ou (cf.  « Les préjudices en réparation du dommage
à son représentant. corporel »).
Outre les éléments objectifs du dossier, le Ainsi est affirmée l’importance de la date de
régleur prendra en compte la situation géogra- consolidation dans la détermination des préju­
phique du litige puisque les valeurs de référen- dices.
ces diffèrent du ressort d’une cour d’appel à Certains postes étaient déjà reconnus par la juris-
l’autre. prudence ; à titre d’exemples citons : l’assistance par
En droit commun, l’évaluation du préjudice est tierce personne (ATP), les frais de logement adapté
laissée à la juste appréciation du juge souverain (FLA) et les frais de véhicule adapté (FVA), le défi-
ce qui signifie donc que tout dossier comportera cit fonctionnel permanent (DFP) correspondant à
bien évidemment une dose subjective d’inter- l’ancien poste d’incapacité permanente partielle
prétation. (IPP) du moins dans sa composante exclusivement
physiologique, ou encore le préjudice d’affection
en cas de décès ou de survie de la victime directe
(PAF) correspondant aux préjudices moraux des
La nomenclature proches.
Dintilhac – l’esprit D’autres étaient connus mais leur périmètre d’in-
demnisation a sensiblement évolué ; à titre d’exem-
Jusqu’en 2006, aucune nomenclature des différents ples, on peut retenir le déficit fonctionnel
postes de préjudice ne s’était imposée tant auprès temporaire (DFT) correspondant aux anciens
des associations de victimes et de leurs avocats que postes ITT et ITP mais sans leur composante
des magistrats et des régleurs. patrimoniale. Désormais le DFT n’indemnise que
Depuis 2007, une nomenclature existe ; elle a été les troubles apportés à la vie courante avant
mise au point par un groupe de travail saisi à l’ini- consolidation.
tiative de Mme Nicole Guedj, alors Secrétaire La composante patrimoniale de l’ITT et de l’ITP
d’État aux droits des victimes. Elle porte le nom n’a pas été oubliée dans la nomenclature, car elle
du Président du Groupe de Travail, M. Jean-Pierre est prise en compte par le poste des pertes de gains
Dintilhac, alors Président de la 2e Chambre Civile professionnels actuels (PGPA).
de la Cour de cassation. De même, le poste des souffrances endurées (SE)
Bien qu’étant dépourvue de tout caractère obli- correspond à l’ancien Pretium Doloris mais
gatoire, elle s’est imposée auprès de toutes les limité dans le temps par la date de consolidation,
parties concernées par l’indemnisation des dom- le groupe de travail DINTILHAC ayant consi-
mages corporels, y compris chez les magistrats déré que les souffrances endurées à partir de la
après une circulaire incitatrice de la Chancellerie consolidation devaient être prises en compte
en 2007. comme une invalidité définitive, donc au titre du
Cette nomenclature prend en compte non seule- DFP.
ment les préjudices subis par la victime directe Egalement, l’ancien préjudice économique futur a
mais aussi ceux supportés par les victimes par été divisé en 2 postes : les pertes de gains profes-
ricochet (généralement la famille du lésé) que la sionnels futurs (PGPF) prenant en compte les

450
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

­pertes réelles de revenus et l’incidence profession- DINTILHAC. Une exploitation statistique de


nelle (IP) correspondant essentiellement à une cette majorité de postes est donc tout à fait
perte de chance d’évolution professionnelle. possible.
Enfin, certains postes sont totalement nouveaux
tel que le préjudice esthétique temporaire (PET)
dissocié du préjudice esthétique permanent (PEP) La nomenclature Dintilhac –
ce qui ne va pas sans provoquer des difficultés
d’interprétation et une certaine inflation dans
les applications
les demandes d’indemnisation du préjudice
On peut retenir, à titre d’exemples, les dispositions
esthétique.
ci-après qui donnent des indications moyennes
Egalement, sont nouveaux, certains postes aux sur les tendances actuelles d’évaluation des préju-
contours très flous, que l’on pourrait qualifier de dices en cas de survie de la victime directe.
« fourre-tout » ; ainsi le poste des préjudices per-
manents exceptionnels (PPE) en faveur de la vic-
time directe, celui concernant les préjudices Pertes de gains professionnels
extrapatrimoniaux exceptionnels (PEX) pour les actuels et futurs (PGPA et PGPF)
victimes par ricochet en cas de survie de la vic-
time directe ou encore les 3 postes évoquant l’in- – anciennement, ITT professionnelle et préjudice
demnisation de frais divers (FD). économique
Le groupe de travail DINTILHAC a tenu égale- Le PGPA répare la perte financière subie avant la
ment à préciser, dans son rapport remis au Garde date de consolidation alors que le PGPF compense
des Sceaux le 28 octobre 2006, que cette nomen- cette même perte de la date de consolidation à la
clature n’est pas rigide et exhaustive ; donc, il n’est date présumée de la retraite.
nullement interdit à une victime de réclamer Pour les salariés, l’évaluation est effectuée suivant
réparation de préjudices qui ne sont pas prévus le bulletin de salaire des mois précédant l’accident
dans la nomenclature. Le travail des régleurs n’en ou à partir des documents fiscaux fournis. Elle
sera pas facilité mais cette situation devrait rester doit être faite sur le salaire net de charge.
exceptionnelle. Cependant, il convient de prévoir les charges
Avant d’envisager l’indemnisation, le régleur doit sociales et patronales si l’entreprise est partie à la
évaluer son dossier en estimant son coût prévisi- cause.
ble quelques fois plusieurs années plus tard ce qui Pour les non-salariés avec activité professionnelle,
constitue un travail très délicat, car il n’existe l’évaluation est faite selon les documents compta-
aucun barème légal d’indemnisation. bles et fiscaux fournis.
Les différents postes de préjudice font l’objet Si la victime a subi un déclassement professionnel
d’une évaluation séparée à partir de données sta- avec perte totale ou partielle de revenus, ou si elle
tistiques collectées auprès des 35 Cours d’appel ne peut plus exercer son activité professionnelle,
françaises. l’évaluation du PGPF est effectuée en multipliant
La difficulté à évaluer correctement un dossier la perte annuelle de revenus par le prix de l’euro
corporel est accentuée encore actuellement par de rente viagère, le calcul étant fait à l’âge de la
l’absence de données fiables à seulement 2 ans de victime à la date de la consolidation.
l’adoption de nouveaux postes de préjudice par la
nomenclature DINTILHAC ; le retour sur expé- Déficit fonctionnel temporaire
rience est en effet très limité, du moins pour ce qui (DFT)
concerne les préjudices extrapatrimoniaux, car
ceux-ci font l’objet d’une évaluation forfaitaire – anciennement, ITT et ITP physiologiques
contrairement aux préjudices patrimoniaux. Ce poste répare les troubles dans la vie courante
Toutefois et fort heureusement, la majorité des subis par la victime entre la date de l’accident et la
postes de préjudice avait été consacrée par la juris- date de consolidation, qu’elle ait ou non une
prudence avant la publication de la nomenclature profession.

451
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Tableau 10.1
Coût moyen français actuel du point IPP réglé (en 2007).
Taux en % 1à5 6à9 10 à 14 15 à 19 20 à 29 30 à 49 50 à 74 75 et plus
Coût moyen en euros 829 1 012 1 162 1 416 1 657 2 375 3 047 3 883

Le déficit temporaire est généralement total pen- Tableau 10.2


dant une période (DFTT) puis partiel avec un Frais d’hospitalisation : tarifs journaliers
pourcentage dégressif fixé par l’expert jusqu’à la de prestations de l’assistance publique
consolidation (DFTP). (au 01/07/2008), Paris et région parisienne.
Son évaluation est forfaitaire : actuellement de Service hospitalier Coût journalier
l’ordre de 500 à 600 € par mois pour un adulte et en euros
environ 300 € par mois pour un enfant, Réanimation 2 406,46
Chirurgie 1 461,05
Déficit Fonctionnel Permanent Médecine spécialisée 1 080,45
(DFP) Médecine générale 736,66

– anciennement, IPP Centre de rééducation 590,07


fonctionnelle
La valeur du point d’incapacité est déterminée à
partir du fichier des décisions dans le ressort de la Hospitalisation moyen séjour 409,60
et convalescents
cour d’appel du lieu de l’accident (tableau 10.1).
Hospitalisation à domicile : 316,77
Cette valeur doit être majorée de l’effet de l’infla-
tion entre la date de la décision publiée dans le – 1e catégorie 162,09
fichier et de la date de règlement prévisible du – 2e catégorie
dossier.

Dépenses de santé actuelles (DSA) Tableau 10.3


Souffrances endurées et préjudice esthétique
– anciennement, frais médicaux, pharmaceuti- permanent. Coût moyen selon le niveau de
ques et d’hospitalisation gravité (en 2007)
Elles seront réglées selon la créance des organis- Degré 1 et 2 3 et 4 5, 6 et 7
mes sociaux éventuellement complétée par celle Souffrance endurée (euros) 1 632 4 376 16 721
des organismes complémentaires ou à défaut par Préjudice esthétique (euros) 1 124 5 634 23 410
celle de la victime elle-même (ticket modérateur)
(tableau 10.2).
est fonction des indemnisations figurant au fichier
Souffrances endurées et préjudice des décisions actualisé à la date du règlement
esthétique permanent (SE et PEP) (tableau 10.3).

– anciennement, pretium doloris et préjudice


esthétique
Préjudice d’agrément (PA)
L’évaluation de ces deux postes est fonction de la Le taux de présence représente le pourcentage de
qualification retenue par le médecin expert dossiers dans lesquels ce poste est présent. Ce taux
(échelle de 0/7 à 7/7) et de l’importance des est d’autant plus grand que l’IPP est forte.
séquelles. Le montant de l’évaluation est fonction de l’im-
À qualification égale, ces postes ne doivent pas portance de l’incapacité et des activités sportives
être évalués de la même manière si l’IPP est de 10 % et de loisir régulièrement pratiquées avant l’acci-
par exemple ou si elle est de 100 %. L’évaluation dent et devenues impossibles à poursuivre du fait

452
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Tableau 10.4
Montant du préjudice d’agrément en fonction du taux d’IPP
Taux d’IPP (%) 1à5 6à9 10 à 14 15 à 19 20 à 29 30 à 49 50 à 74 75 et plus
Taux de présence (%)(en 2003) 8,6 24,5 35,3 48,7 56,5 77,2 85,5 92,1
Préjudice d’agrément en euros 1 102 2 724 2 676 3 657 5 194 10 729 18 784 35 573
(en 2007)

du handicap. Le groupe de travail DINTILHAC L’évaluation de ce poste intègre le montant des


a précisé, dans son rapport, la nécessité d’éva- prestations futures supportées par la caisse de
luer ce poste in concreto en tenant compte de sécurité sociale, car les organismes sociaux dispo-
l’âge de la victime et de son niveau de pratique sent d’un recours contre le responsable et son
(tableau 10.4). assureur.

Assistance par Tierce


Préjudice sexuel (PA) Personne (ATP)
L’indemnisation de ce poste varie selon l’âge de la C’est la charge la plus lourde d’un dossier grave.
victime (plus elle est jeune, plus l’indemnité sera
L’évaluation est faite suivant les observations du
importante) et l’importance du préjudice sexuel
médecin sur la qualification de la tierce personne
apprécié dans ses 3 composantes : l’atteinte aux
(médicalisée ou non médicalisée, active ou de
organes sexuels – la difficulté ou l’impossibilité à
simple surveillance) ainsi que sur le nombre
l’accomplissement de l’acte sexuel – la difficulté
d’heures de présence indispensables chaque jour,
ou l’impossibilité de procréer.
en prenant en compte les majorations légales pour
À noter que la nomenclature Dintilhac n’intègre les heures de nuit et les jours fériés.
pas dans ce poste le préjudice sexuel temporaire ;
Il convient de bien distinguer entre assistance
elle prévoit l’indemnisation de celui-ci au titre du
médicalisée et assistance non médicalisée, car les
Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT).
coûts sont très différents.
L’évaluation du préjudice sexuel définitif sera
Le coût annuel charges incluses est obtenu en
comprise entre 5 000 € pour une personne âgée
multipliant le coût mensuel par 13,25 pour tenir
dépendante et 50 000 à 60 000 € pour un jeune
compte des cinq semaines de congés payés à rétri-
handicapé à 100 %.
buer (ou bien le coût journalier multiplié par
400 jours).
Autres préjudices Le coût annuel ainsi obtenu est multiplié par le
prix de l’euro de rente viagère à l’âge de la victime
Un certain nombre d’autres postes de préjudice à la date de capitalisation augmenté du coût de
doivent être évalués lorsque le dossier concerne l’assistance depuis le retour au domicile.
un traumatisme grave. Ce poste n’a pas à être évalué en cas d’hospitalisa-
tion à vie, car il ferait double emploi avec les pos-
tes des Dépenses de Santé Actuelles (DSA) et des
Dépenses de Santé Futures (DFS) Dépenses de Santé Futures (DSF). De même, il
– anciennement, Frais Futurs doit être réduit des périodes d’hospitalisation
L’évaluation est faite suivant les observations de éventuellement prévues.
l’expert sur le coût annuel actuel des frais médi- L’évaluation actuelle est de l’ordre de 18 €/h pour
caux, pharmaceutiques, d’hospitalisation, d’appa- une tierce personne médicalisée, 13 à 15 €/h pour
reillage, nécessaires multiplié par le prix d’euro de une non spécialisée active qui participe à l’ha-
rente viagère à l’âge de la victime à la date de la billement, à la toilette, à la prise des repas, fait les
capitalisation et augmenté des frais réellement courses et la cuisine, 10 à 12 €/h pour une non
engagés depuis la date de consolidation. spécialisée ne devant effectuer qu’une simple

453
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

s­ urveillance de la victime pour pallier tout danger À ce titre, si la victime, malgré un handicap, a
potentiel. repris le même poste de travail ou un poste simi-
laire, sans perte de revenus, il y a lieu éventuelle-
Frais de Logement Adapté et Frais ment d’en tenir compte par une majoration de la
de Véhicule Adapté (FLA et FVA) valeur du point d’incapacité.
L’indemnisation du préjudice de carrière n’est
L’indemnisation de ces 2 postes se fera sur présen- ­justifiée qu’en cas d’incidence défavorable cer-
tation de justificatifs où suivant une expertise si taine et quantifiable sur le déroulement de la
les adaptations du logement et du véhicule au ­carrière professionnelle par exemple pour un
handicap s’avèrent très onéreuses. fonctionnaire (spécialement les militaires), un
Elle comprendra non seulement le coût d’achat élève de grande école (perte de chance). Elle ne
des adaptations mais également le coût de leurs peut être basée que sur les éléments fournis par la
renouvellements après avoir déterminé leur durée victime.
d’amortissement. Après avoir porté son évaluation, le régleur devra
Pour une personne gravement handicapée (IPP formuler sa proposition et pour cela en expliciter
de l’ordre de 50 % et plus), le coût actuel est de les bases par rapport aux conclusions de l’expert,
l’ordre de : qu’en général il respectera. À défaut, il devra bien
• 75 000 euros pour l’adaptation du logement ; entendu justifier très précisément sa position.
• 25 000 euros pour l’adaptation du véhicule. Dans un règlement amiable, il peut s’adjoindre,
pour cette proposition, les services d’un inspec-
teur qui ira rencontrer les victimes ou leurs man-
Préjudice d’Affection en cas de dataires et ayants droit, dans le but de faire
survie de la victime directe (PAF) accepter la transaction proposée.
– Anciennement, préjudice moral des ayants droit Il faut noter qu’en cas d’accident automobile, la loi
L’indemnisation de ce poste de préjudice n’est en du 5 juillet 1985 fait obligation à l’assureur de pro-
principe justifiée au niveau des tribunaux, en cas poser une indemnisation suffisante, faute de quoi
de survie de la victime, que si l’IPP est importante, il se verra infliger une majoration au plus de 15 %
en général égale ou supérieure à 50 %. en faveur du Fonds de Garantie des Assurances
Obligatoires de dommages sans préjudice des
En moyenne, pour les préjudices très lourds, cette dommages et intérêts à la victime.
évaluation est en général supérieure de 20 % au
préjudice d’affection des ayants droit alloué en cas
de décès de la victime directe. Préjudice d’Etablissement (PE)
À titre d’exemple, l’indemnisation des parents Ce poste a pour fonction de réparer la perte d’es-
d’un enfant très gravement handicapé à la nais- poir, de chance ou de toute possibilité de réaliser
sance, est de l’ordre de 30 000 à 50 000 € pour cha- un projet de vie familiale « normale » du fait de la
cun des 2 parents. gravité du handicap le plus souvent évalué à un
taux d’IPP supérieur à 50 %.
Incidence Professionnelle (IP) Généralement, il coexiste avec le préjudice sexuel
– anciennement, préjudice économique mais la nomenclature DINTILHAC prévoit désor-
Ce poste indemnise des préjudices professionnels mais une indemnisation distincte des 2 postes de
autres que ceux réparés par les postes PGPA et préjudice.
PGPF. Son évaluation sera fonction de l’age de la victime
À titre d’exemples, le groupe de travail (plus la victime sera âgée moindre sera l’indem­
DINTILHAC cite dans son rapport : les pertes de nité).
points de retraite, la perte de chance d’évolution de Pour un enfant, un adolescent ou un jeune adulte
carrière, les frais de formation ou de changement célibataire (homme ou femme), une évaluation de
de poste, la dévalorisation sur le marché du travail, l’ordre de 25 000 à 35 000 € pourra être retenue
l’augmentation de la pénibilité de l’emploi, etc. s’ajoutant à l’indemnisation du préjudice sexuel.

454
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

La réparation en pensions militaires


Y. Merrien

Il y avait là une ébauche de législation déjà cohé-


Historique rente qui fut reprise par le directoire.
Malheureusement, l’empire, pourtant grand
Jusqu’à la première guerre mondiale, les différen-
pourvoyeur d’invalides de guerre, ne s’inquiéta
tes législations qui s’étaient intéressées aux invali-
guère de leur sort et, sans abroger les mesures
des de guerre ne faisaient pas mention de « droit à
existantes, négligea de les codifier, de les adap-
réparation ». Il s’agissait plutôt de mesures de
ter et surtout de les appliquer : seuls quelques
bienfaisance prises en faveur des militaires victi-
privilégiés en bénéficiaient et souvent beaucoup
mes des guerres auxquelles ils avaient participé et
plus par mesure de faveur que par droit réel.
que leurs blessures rendaient incapables de subve-
Après les campagnes meurtrières de la grande
nir à leurs besoins.
armée, à une époque où les vieux soldats tou-
Dès le moyen âge, les rois de France avaient pensé jours restés fidèles à leur empereur durent
à ce problème et avaient décidé que les abbayes, accepter l’oubli, la misère et souvent les raille-
particulièrement riches et bien dotées à cette épo- ries, le sort des mutilés et des infirmes devint
que, prendraient en charge ces invalides dans des tout particulièrement navrant. Combien d’en-
établissements spécialement créés pour leur ser- tre-eux n’eurent-ils alors d’autre ressource que
vir de refuges. de mendier sous les porches des églises en exhi-
Cette idée fut reprise par Louis XIV en 1670 : l’hô- bant leurs moignons ou leurs cicatrices pour
tel des Invalides, à Paris, fut désigné pour servir tenter d’apitoyer une population indifférente.
de maison de retraite aux militaires de tous gra- On était bien loin du principe de la reconnais-
des rendus totalement infirmes du fait de la guerre. sance de la Patrie.
En outre, ceux qui n’étaient que partiellement Il fallut attendre les lois des 11 et 18 avril 1831
invalides ou ne pouvaient trouver place dans cet pour voir apparaître enfin un système cohérent
hôtel, recevaient des subventions, sous forme de dissociant les pensions militaires de celles des
pensions destinées à leur apporter une aide finan- fonctionnaires civils. Cette nouvelle législation
cière. Malheureusement, à défaut de réglementa- permettait aux militaires de carrière, que des
tion précise, ces subventions étaient attribuées infirmités imputables au service rendaient
selon le bon plaisir des ministres, les recomman- inaptes, d’obtenir une pension de retraite anti-
dations personnelles étant souvent plus efficaces cipée en principe égale à celle qu’ils auraient
que la réalité du besoin de secours. eue s’ils avaient pu terminer leur contrat. Il y
Diverses ordonnances prises par Louis XV, puis avait là un curieux mélange entre pension d’in-
par Louis XVI confirmèrent ces mesures et tentè- validité et pension d’ancienneté. En fait, il ne
rent de réglementer les octrois de pensions. s’agissait pas d’indemniser un préjudice, mais
Après la chute de la monarchie, une loi en date du de le compenser par un droit anticipé à la pen-
2  août 1790 introduisit pour la première fois la sion de retraite. Une invalidité partielle, per-
notion de « dette de reconnaissance » de la nation. mettant de continuer à servir, n’était pas prise
Mais, les avantages concédés étaient calculés propor- en considération.
tionnellement aux services rendus et non au degré Ces lois très incomplètes fournirent la base de la
d’invalidité. Cette loi fut par la suite étendue aux législation jusqu’en 1919. Pourtant, des instruc-
familles, à condition que l’administration estime tions ministérielles tentèrent en 1887 d’apporter
qu’elles ne tiraient leur subsistance que du travail du une amélioration en reconnaissant des échelles de
militaire blessé. Si des infirmités consécutives à la gravité. Les infirmités étaient rangées en six clas-
guerre rendaient ce dernier incapable de subvenir à ses auxquelles correspondaient des tarifs de pen-
ses besoins, les ayants droit pouvaient recevoir des sions, basés sur les tarifs des pensions d’ancienneté.
secours à caractère alimentaire. Un décret du 6 juin La 6e classe, correspondant à des infirmités de
1793 étendit ces mesures aux veuves et aux orphelins. moindre gravité, n’ouvrait pas droit immédiat à

455
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

pension si l’intéressé était encore capable d’assu- Apparition du Code des pensions
rer un service.
Cette échelle de 1887 était un premier pas effectué Ce sont les textes de 1919 qui servirent de base à la
pour tenter de réparer financièrement les invalidi- nouvelle loi, promulguée le 6 août 1947. Elle pres-
tés. Mais, il ne s’agissait pas de textes législatifs ; crivait de codifier l’ensemble des textes existants
les lois de 1831 étaient toujours en vigueur. Les et de les classer pour constituer un Code des pen-
gratifications de réforme instituées en 1906 amé- sions militaires d’invalidité et des victimes de
liorèrent encore la situation mais elles étaient ins- guerre, qui fut publié en 1951.
tituées par une administration généreuse, dans Il est important de ne pas perdre de vue que beau-
une époque fortunée, sans qu’aucune législation coup d’articles figurant dans les lois antérieures
vienne authentifier des mesures éventuellement ont une telle audience qu’ils sont passés dans le
révocables. langage courant en matière de pensions et que
l’habitude a bien souvent été prise de désigner les
avantages qu’ils confèrent par le simple numéro
La loi de 1919 de l’article en cause. Mais, il n’y a pas forcément
concordance entre les articles de la loi de 1919 et
Après la fin de la première guerre mondiale au ceux du code. Pour éviter toute erreur ou malen-
cours de laquelle, pour la première fois dans l’his- tendu, il faut toujours avoir cette notion bien pré-
toire, toute la nation avait été concernée, un grand sente à l’esprit que seuls peuvent maintenant être
élan de solidarité et de reconnaissance à l’égard cités juridiquement les numéros des articles du
de ceux qui avaient versé leur sang pour la défense code. C’est ainsi que l’habitude a fait longtemps
du pays poussa le gouvernement à adopter la loi, désigner par : article 10, le bénéfice de la tierce
dite loi Lugol du 31 mars 1919. Il n’est désormais personne, alors qu’il s’agit en réalité de l’article 18
plus seulement envisagé de venir en aide aux du code ; article 64, le bénéfice des soins gratuits ;
anciens combattants devenus infirmes ; la loi pro- ce sont maintenant les articles 115 à 123.
clame que tout dommage donne droit à répara- Cette mise au point étant faite, nous ne saurions
tion du préjudice subi, ainsi qu’à la reconnaissance oublier d’insister sur l’utilité pour tout expert en
du pays. pensions militaires d’étudier les lois antérieures
Trois mois plus tard, ces dispositions étaient au code et de tenir compte des nombreux arrêts
­étendues aux victimes civiles, celle-ci ayant été du Conseil d’État qui, seuls, permettent de trou-
particulièrement nombreuses du seul fait des ver des solutions à bien des cas particuliers ou
événe­ments de guerre. douteux.
Si l’euphorie de la victoire avait présidé à l’élabo- Signalons enfin que, depuis 1951, des décrets et
ration des lois de 1919, une réaction inverse suivit ordonnances pris en particulier en application de
l’humiliation de 1940. Une loi du 9 septembre la constitution de 1958, ont apporté d’importan-
1941 vient d’apporter des restrictions importan- tes modifications.
tes sur les taux d’invalidité pensionnables. Mais,
les groupements d’anciens combattants, qui sou-
tenaient que les blessés de la guerre 1940 n’avaient Les bénéficiaires
pas démérité et ne devaient pas supporter les ran-
cœurs de la défaite, obtinrent l’adoption d’une L’article 1er du Code est destiné à bien préciser l’es-
nouvelle législation (22 juillet 1942), qui atténuait prit dans lequel a été faite la législation, en substi-
les rigueurs de la précédente. tuant la notion de droit à réparation à celle de
Après la fin des hostilités, la nécessité se fit sentir secours.
de promulguer de nombreux textes nouveaux. De « Article 1 : la République française, reconnais-
multiples situations inconnues auparavant et sante envers les anciens combattants et victimes
dues aux circonstances particulières du conflit de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie,
créaient autant de problèmes, autant de catégo- s’incline devant eux et leurs familles. Elle pro-
ries nouvelles, sur lesquels il était indispensable clame et détermine, conformément aux disposi-
de se pencher. tions du présent code, le droit à réparation ».

456
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Il s’agit d’une législation très vaste, qui s’applique Les orphelins


à de nombreuses catégories de bénéficiaires
éventuels. Jusqu’à 18 ans, c’est leur mère qui perçoit une pen-
sion majorée, ou à défaut leur tuteur. À leur majo-
rité, ils perdent le bénéfice de la pension de
Les militaires des armées réversibilité, sauf s’ils sont infirmes incurables
de terre, de mer et de l’air dans l’impossibilité de gagner leur vie.

Ce sont eux les premiers bénéficiaires de la loi. Ils


peuvent faire valoir toute invalidité acquise au Les ascendants
cours du service actif, ou même après leur démo-
bilisation, si l’infirmité est reconnue comme Le père, la mère, ou les si les parents sont décédés,
dépendant de ce service. le personnel féminin ou éventuellement toute personne justifiant avoir
mobilisé des diverses armes ou services, qui a un élevé jusqu’à 15 ans le pensionné mort des suites
statut identique à celui des militaires, bénéficie de ses infirmités, peuvent prétendre à une alloca-
intégralement de la loi. tion. Il est toutefois nécessaire d’être de nationa-
lité française ou d’avoir eu un fils mobilisé dans
Il est de plus à noter que ce droit à réparation s’as- l’armée française. En outre cette catégorie de
sortit pour les militaires blessés au cours d’opéra- bénéficiaires de pensions de réversibilité doit réu-
tions de guerre du droit à la reconnaissance du nir les conditions suivantes : ne pas être imposa-
pays, qui n’est pas mentionné pour les autres ble, avoir 60 ans (pour les hommes) ou 55 ans
bénéficiaires éventuels, pour les victimes civiles (pour les femmes), ou bien être dans l’impossibi-
par exemple. lité physique de gagner leur vie.
Ce sont là des notions que doivent connaître tous
Les veuves de militaires les praticiens qui peuvent être appelés à remplir
des certificats médicaux. Ils devront préciser le
Elles peuvent prétendre à une pension spéciale, degré d’invalidité des personnes en cause.
cumulable éventuellement avec toute autre pen- Au-dessus de 60 %, la réversibilité sera accordée ;
sion de retraite, mais sous certaines conditions. au-dessous de 25 %, elle sera refusée. Entre ces
Lorsque le mari est mort des suites de blessures de deux taux, un barème prévoit en fonction de l’âge
guerre ou d’accident dû au service, ou de maladie le pourcentage d’invalidité permettant à un ascen-
imputable au service, ou de toute affection sans dant, remplissant les autres conditions, d’obtenir
rapport avec le service s’il était auparavant titu- une pension.
laire d’une pension d’invalidité égale ou supé-
rieure à 60 %. Il est toutefois nécessaire que le
mariage soit antérieur à l’infirmité ou à l’aggrava- Les membres des forces
tion, ou remonte au moins à deux ans avant le françaises de l’intérieur (FFI)
décès.
et de la résistance
Cette règle souffre des exceptions reconnues par
la jurisprudence. par exemple : mariage datant de Pour les personnes qui peuvent fournir la preuve
moins de deux ans avec un invalide à 60 % si ce qu’elles ont appartenu aux forces françaises de
dernier n’est pas décédé des suites de son infirmité l’intérieur, ou à des organisations actives de la
mais pour une cause accidentelle. résistance entre le 16 juin 1940 et le 16 juin 1945,
Si une veuve ayant droit à réversibilité de la pen- le droit à pension d’invalidité est ouvert pour
sion de son mari se remarie, ou vit en concubi- toute blessure ou maladie dont la preuve d’origine
nage notoire, ou a été l’objet d’une demande en sera fournie ou pour laquelle la présomption
séparation faite par le mari avant sa mort, ou est d’origine sera retenue.
déchue de la puissance maternelle, elle perd défi- La loi prévoit que le suicide ou la mutilation volon-
nitivement ses droits qui passent à tous ces enfants taire dans le but d’échapper à l’ennemi, peuvent
mineurs, jusqu’à ce que le plus jeune ait atteint donner droit à une pension réversible sur les
21 ans. ayants droit éventuels.

457
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Les déportés politiques et raciaux Exclusions


La qualité de déporté donne droit à pension mili- D’une façon générale, toute personne relevant
taire dans des conditions extrêmement larges. Le d’un autre régime de réparation ne peut bénéfi-
seul fait d’avoir séjourné dans un camp de dépor- cier, pour les mêmes infirmités du régime des
tation constitue une preuve suffisante pour que pensions militaires.
l’imputabilité de toute affection constatée soit En sont exclues également, ainsi que leurs ayants
admise. Des modalités spéciales sont prévues droit, toutes les personnes qui ont été frappées
pour le calcul de ces invalidités. d’indignité nationale ou ont été condamnées pour
faits de collaboration.
Les victimes civiles Quelques cas particuliers d’exclusions sont utiles
à connaître :
Les personnes ayant subi un dommage par bles-
sure, accident ou maladie à la suite d’un fait de • les ffectés spéciaux de la guerre de 1939–1945
guerre reconnu, entre le 2 août 1914 et le 24 octo- employés comme ouvriers des compagnies de
bre 1920 ou entre le 2 septembre 1939 et le 1er juin renforcement ;
1947, peuvent prétendre à réparation sous réserve • les démobilisés de zone interdite affectés à des
qu’elles ne jouissent pas par ailleurs d’un béné- groupements spéciaux de travailleurs touchant
fice d’une autre législation pour les mêmes un salaire civil ;
invalidités. • les militaires mis en congé de captivité par les
autorités ennemies, démobilisés par les autori-
Autres bénéficiaires éventuels tés françaises, et ayant repris des activités civiles
salariées ;
Les articles 140 à 252 du Code citent, avec des
• les assistantes sociales des forces armées, parce
modalités spéciales pour chacune d’elles, de nom-
qu’elles sont assujetties au régime général de la
breuses catégories de personnes pouvant éven-
sécurité sociale.
tuellement bénéficier de la législation des pensions
militaires. La liste en est longue : personnels civils
du service de santé et des formations rattachées à
ce service, membres du service des postes et de la Les infirmités pensionnables
trésorerie aux armées, affectés spéciaux, agents de
la défense passive, sapeurs pompiers, fonctionnai- Pour qu’une infirmité ouvre droit à pension, il ne
res des établissements pénitenciers d’outre-mer, suffit pas qu’elle soit apparue au cours du service.
marins du commerce victimes d’événements de Pour les différentes catégories de bénéficiaires
guerre sur mer, instructeurs et jeunes gens de la éventuels que nous avons passées en revue, des
formation prémilitaire, alsaciens-lorrains ayant statuts spéciaux précisent les conditions requises.
servi dans l’armée allemande, jeunes gens des Il ne peut entrer dans le cadre de ce travail de les
chantiers de jeunesse, etc. étudier tous mais il est cependant utile de donner
Enfin, en ce qui concerne les étrangers, plusieurs quelques indications sur les infirmités prises en
conventions ont été signées pour fixer les droits considération pour la catégorie initialement en
des victimes réciproques des deux pays (conven- cause, celle des militaires.
tions franco-belge, franco-polonaise, franco-­ Des conditions essentielles entrent en ligne de
tchécoslovaque, franco-britannique). compte : d’une part, l’imputabilité doit être recon-
D’autres bénéficiaires sont à connaître : les victi- nue ; d’autre part, l’infirmité doit être suffisam-
mes d’accidents terroristes depuis le 1er janvier ment grave pour entraîner l’attribution d’un taux
1982 ; loi du 23 janvier 1990 ; 1986 : création minimum indemnisable.
d’un fonds de garantie des actes terroristes ; les Nous étudierons ultérieurement les conditions
harkis emprisonnés après l’indépendance de requises et les taux applicables, et nous nous bor-
l’Algérie ; les névroses traumatiques : décret au nerons dans ce chapitre à dresser une liste des
10 janvier 1992. infirmités éventuellement pensionnables.

458
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Nature des infirmités Cas spéciaux


Aux termes de l’article 2 du Code, qui reprend les Bien que non précisés par le code, de nombreux
dispositions de la loi du 9 septembre 1941, ouvrent cas de blessures ou de maladie n’entrent pas dans
droit à pension : les infirmités résultant de blessu- le cadre des infirmités que nous venons d’énumé-
res reçues par suite d’événements de guerre ou rer. Elles ne sont pas consécutives à des faits de
d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du guerre, et ne sont pas non plus survenues par le
service ; les infirmités résultant de maladies fait ou à l’occasion du service. Pourtant, plusieurs
contractées par le fait ou l’occasion du service ; arrêts du Conseil d’État ont établi une jurispru-
l’aggravation par le fait ou à l’occasion du service dence qui fournit une base solide pour déterminer
d’infirmités étrangères au service. éventuellement si le motif invoqué peut ou non
Si le plus souvent la notion de blessure de guerre être retenu.
ne présente aucune équivoque, il existe de nom- Citons dans ce domaine, le cas des accidents du
breux cas qui peuvent prêter à discussion et main- trajet. Ils sont rattachés au groupe des blessures à
tes fois la jurisprudence seule peut fournir des l’occasion du service, sauf preuve contraire. Cette
arguments pour trancher les litiges. disposition représente, en matière de pensions
Sont considérées comme blessures les lésions cau- militaires, une application de la position adoptée
sées par une action vulnérante extérieure à l’orga- en matière d’accidents du travail.
nisme, en opposition avec les maladies. Il ne peut être question d’établir une liste com-
Les blessures de guerre sont celles qui ont été pro- plète des cas où l’infirmité peut entrer dans le
voquées par des projectiles divers, ou par arme cadre de celles qui ouvrent droit à pension mili-
blanche, ou par tout autre agent vulnérant employé taire. Pour chaque dossier particulier, il n’y a sou-
comme arme de guerre, sous réserve qu’on ne vent pas d’autre ressource que de rechercher dans
puisse prouver qu’elles ont été accidentelles ou la jurisprudence si un cas similaire a déjà été tran-
volontaires. Les gelures, avec mortification tissu- ché. Mais bien souvent, seuls les tribunaux com-
laire, si elles ont été contractées dans une unité pétents pourront prendre position.
combattante, sont également des blessures de
guerre, ainsi que les lésions dues aux gaz lacrymo- Victimes non militaires
gènes ou asphyxiants considérés comme des de la guerre
armes de guerre, ou les commotions et ébranle-
ments nerveux provoqués par une explosion. Si le titre I° du code traite des régimes applicables
Pour éviter de trop nombreux abus, en particulier aux personnels militaires, les règles particulières
des demandes concernant des prétendues séquel- aux catégories de bénéficiaires sont énoncées :
les tardives de gelures ou d’intoxication par gaz, la • au titre II pour les membres des organisations
jurisprudence a été maintes fois amenée à ne pas civiles et de la résistance, les articles 171 à 192
retenir les lésions qui n’avaient pas motivé d’éva- leur étant consacrés ;
cuation sanitaire. • au titre III pour les victimes civiles ; déjà la loi de
Les blessures par le fait du service sont plus diffi- 1919 leur accordait le droit à réparation sous
ciles à différencier. Nous étudierons ultérieure- réserve de prouver que l’infirmité invoquée était
ment les conditions requises par l’attribution de bien due à des faits de guerre. La loi du 20 mai
l’imputabilité. Celle-ci est parfois évidente si l’ac- 1946 étendit cette juridiction aux victimes de la
cident est consécutif à l’exécution d’un ordre, Seconde Guerre mondiale (art. 197). De nom-
mais il arrive très souvent qu’il soit difficile à breux additifs ont ensuite été apportés, concer-
déterminer s’il y a rapport direct avec le service. nant les victimes des troubles à Madagascar, en
Les blessures à l’occasion du service sont celles qui Indochine, en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en
ne peuvent être rattachées à un fait précis de ser- France métropolitaine ;
vice, mais sont survenues alors que la victime se • au livre III (titre II) qui traite des statuts parti-
trouvait dans une situation régulière vis-à-vis de culiers des résistants, déportés, internés, réfrac-
la discipline militaire. taires, et des personnes contraintes au travail.

459
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Gravité des infirmités - minimum • qu’ils font bien partie de l’une des catégories
indemnisable prévues de bénéficiaires ;
• que leurs infirmités entrent bien dans le cadre
La loi de 1919, dans l’euphorie de la victoire, avait de celles qui peuvent être reconnues impu­
accordé une indemnisation pour toute infirmité tables ;
entraînant un taux d’invalidité de 10 %. C’était • que leur gravité est suffisante pour pouvoir
une amélioration considérable par rapport à la atteindre le taux indemnisable, à moins que
législation précédemment en vigueur qui n’accor- l’intéressé ne veuille simplement prendre une
dait de pension qu’aux invalides de guerre incapa- assurance sur l’avenir en cas d’aggravation ;
bles de subvenir à leurs besoins. Nous savons déjà
que la loi de 1941, survenue en période d’austérité, • qu’il a en sa possession des documents suffisants
ramena les conditions à des taux beaucoup moins pour pouvoir apporter la preuve de l’imputabi-
avantageux. Si les séquelles de blessures sont encore lité au service, ou, à défaut, qu’il peut éventuel-
indemnisables à partir de 10 %, il n’en est pas de lement prétendre au bénéfice de la présomption
même pour les maladies qui, en cas d’infirmité uni- d’origine.
que, doivent atteindre 30 %. Lorsqu’il y a plusieurs Notre propos, dans le présent chapitre, est de pas-
infirmités, le minimum reste fixé à 30 % si elles ser rapidement en revue les conditions indispen-
résultent à la fois de blessures et de maladies, mais sables requises pour que la demande de pension
doit atteindre 40 % s’il ne s’agit que de maladies. ait une chance d’aboutir.
Lorsque le minimum n’est pas atteint, le deman-
deur ne peut percevoir de pension, mais si l’impu-
La demande - Les délais
tabilité des affections a été reconnue, il conserve
tout droit ultérieur pour demander par exemple Formes de la demande
une révision en aggravation.
Les militaires présents sous les drapeaux doivent
De même, si une aggravation est reconnue impu- adresser leur demande par voie hiérarchique à
table sur une infirmité préexistante qui ne l’était leur chef de corps. Ce dernier fait alors procéder à
pas, seul le taux d’aggravation sera pensionnable, l’établissement d’un premier dossier médico-
à condition d’être au moins égal à 30 %. Notons administratif (état des services, fiches diverses de
toutefois que, dans ce dernier cas, lorsque le taux renseignements d’état civil, rapport circonstan-
global, après aggravation, atteint 60 %, la liquida- cié, toutes pièces médicales utiles et extraits de
tion de la pension se fait sur la totalité (infirmité registres d’incorporation et des constatations). Ce
primitive plus aggravation). dossier est adressé au médecin chef du centre spé-
En 1942, une dérogation fut accordée à cette règle cial de réforme de la région militaire.
du minimum indemnisable en faveur de pension- Les autres catégories de postulants doivent adres-
nés ou postulants ayant contracté leurs infirmités ser leur demande, sous pli recommandé, au secré-
au cours de campagnes de guerre ou d’opérations taire général, chef du service départemental de
reconnues comme telles. Le minimum indemnisa- l’office des anciens combattants et victimes de
ble est ramené pour eux à 10 %, qu’il s’agisse de bles- guerre. Il est opportun de joindre un certificat
sures ou de maladies. cette règle, énoncée à l’article 5 médical suffisamment précis, concluant le bien
du code, est toujours en vigueur et a été étendue à fondé de la demande. En cas de demande de révi-
toutes les campagnes postérieures à 1945, y compris sion pour aggravation d’une maladie préexistante,
les opérations de maintien de l’ordre en Algérie. le certificat médical devra préciser que celle-ci
atteint au moins un taux de 10 %.

Les conditions requises Délais


Avant de faire une demande de pension militaire, La réglementation de 1919, ne modifiant pas les
qui exige un nombre important de démarches et dispositions en vigueur depuis 1833, fixait à 5 ans
de documents divers, les postulants éventuels doi- le délai dont le demandeur, sa veuve ou ses orphe-
vent s’assurer : lins disposaient pour faire valoir leurs droits à

460
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

pension. Il s’en suivait de nombreux litiges por- À défaut, il faudra produire des documents éta-
tant sur la date d’apparition réelle des troubles blis dans les différentes formations sanitaires,
invoqués ; chaque cas particulier provoquait la ou encore un certificat d’origine signé par le
remise en cause de ce délai et il fallait porter l’af- médecin de l’unité. Ce sont d’ailleurs ces mêmes
faire devant les tribunaux pour obtenir un arrêt documents qui pourront faire foi, pour des
accordant ou non la recevabilité des demandes maladies ayant été constatées par un médecin
normalement frappées de la forclusion. militaire, aussi bien en temps de guerre qu’en
Plusieurs lois de prorogation virent le jour, temps de paix.
apportant de nouvelles modifications qui ne Il existe toutefois en cas où la blessure ou la
s’appliquaient qu’à des cas d’espèce (loi de 1926, maladie initiale n’ont pas nécessité une évacua-
1934, 1937, 1938, 1 940 ; ordonnance de 1944, tion sanitaire ou une hospitalisation au corps ; il
etc.). Par ailleurs, la rigueur de la forclusion de se peut également qu’une affection soit restée
5  ans créait parfois des situations difficilement inaparrente, ou encore qu’un militaire blessé au
justiciables en toute équité. On disait volontiers combat n’ait pas voulu se rendre au poste de
que les délais ne gênaient que les gens de bonne secours pour ne pas abandonner ses camarades.
foi et ceux qui se trouvaient dans l’impossibilité Si par la suite ces affections ont des conséquen-
d’agir. ces lointaines plus graves que l’intéressé ne
La solution définitive et radicale à ces multiples l’aurait cru, il serait anormal qu’il ne puisse faire
problèmes fut apportée par la loi du 24 mai 1951 valoir ses droits. Il peut, a posteriori, demander
qui abrogea tout simplement les dispositions anté- des certificats médicaux, ou à défaut faire appel à
rieures et proclama la recevabilité des demandes des témoignages. Ceux-ci constituent des preu-
sans aucune condition de délai, qu’il s’agisse de ves légales, à condition d’être suffisamment
blessures ou de maladies. clairs et explicites et de présenter toutes les
garanties de sincérité acquises. Les juridictions
des pensions seront appelées à en apprécier la
Preuve de l’imputabilité valeur probante ; elles ont, dans tous les cas,
l’obligation absolue de les prendre en consi­
Un principe de droit commun prescrit que la dération.
preuve d’un fait allégué incombe au demandeur.
Cette preuve peut être littérale ou testimoniale. À Il n’en reste pas moins que, si les preuves réunies
défaut d’écrits ou de témoignages indiscutables, en faveur de la réalité du fait invoqué sont jugées
la justice peut admettre les présomptions légales insuffisantes, la demande peut être rejetée par
ou ordinaires. défaut de preuve ou de présomption.
Nous retrouvons ces notions en matière de pen-
sions militaires. Sauf dans certains cas où la pré- Les relations du fait invoqué
somption peut être admise pour la remplacer, la avec le service
preuve doit être fournie par le demandeur que son
infirmité ou l’aggravation de celle-ci soit en rap- La preuve du fait invoqué étant apportée, il faut
port avec le service et entre le cadre des infirmités encore démontrer qu’il y a bien eu rapport entre
éventuellement pensionnables. ce fait et l’exécution du service. Une blessure peut
fort bien avoir été contractée alors que le sujet
était en service, mais être totalement étrangère
La réalité du fait aux nécessités de celui-ci.
Les blessures de guerre sont, en principe, pension- Le cas est rare pour les blessures de guerre, à
nables sans discussions. Mais encore faudra-t-il moins que des rapports circonstanciés n’appor-
que le requérant puisse prouver la réalité du fait tent explicitement la preuve contraire : désobéis-
invoqué. Il n’y a aucun problème si des docu- sance, mutilation volontaire, … Par contre, en
ments indiscutables ont été établis lors de la temps de paix, il faudra nécessairement qu’un
blessure : la fiche médicale de l’avant constitue à document sérieux apporte des explications suffi-
elle seule une preuve suffisante si le diagnostic, santes pour permettre de rattacher l’accident à un
si succinct soit-il, ne prête à aucune confusion. fait précis de service.

461
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Toutefois la législation militaire se montre assez Les certificats médicaux initiaux


bienveillante sur ce point. Par exemple, si la recon-
naissance des accidents du trajet n’est pas réservée La rédaction des certificats médicaux délivrés par
aux seuls militaires et est limitée de celle de la le médecin traitant à l’appui d’une demande de
réglementation en matière d’accidents du travail, pension est capitale. Si un médecin militaire peut
il n’en est pas de même en ce qui concerne les acci- facilement refuser un certificat médical qu’il juge
dents survenus pendant le trajet direct pour se inopportun, il n’en est souvent pas de même pour
rendre en permission ou en revenir. C’est là un un praticien privé auquel le postulant ira faire
avantage important concédé aux militaires, sous appel pour obtenir l’attestation nécessaire du bien
réserve qu’ils soient titulaires d’une permission fondé de sa demande. Sans mécontenter son client,
mentionnant l’adresse exacte à laquelle ils se ren- le médecin sollicité peut rédiger le certificat en
dent. Signalons pour être complet que, pendant la question de manière qu’il satisfasse tout à la fois
durée de la permission, depuis le moment de l’ar- les exigences du demandeur et la conscience pro-
rivée jusqu’à celui du retour, le permissionaire fessionnelle du signataire. Il est facile dans la plu-
n’est plus couvert pour les maladies ou accidents part des cas, tout en mentionnant fidèlement les
qui pourraient survenir. résultats de l’examen, d’indiquer clairement au
médecin expert qui sera ultérieurement chargé de
Le registre des constations de l’unité constitue un formuler un avis que les éléments invoqués ne
document essentiel sur lequel doivent figurer tous sont donnés qu’à titre indicatif et appellent un
les événements pouvant avoir une répercussion examen attentif et critique.
quelconque sur l’état de santé des militaires. Il
mentionne le diagnostic exact et les circonstances Par exemple, si après avoir exposé clairement un
de la blessure ou de la maladie. Un extrait peut être diagnostic le médecin signataire du certificat
fourni sur demande ; il servira de pièce de base très initial conclut par la formule suivante : « je certi-
souvent suffisante pour que la commission de fie que l’état de ce sujet nécessite sa présentation
réforme puisse mettre un avis sur l’imputabilité. devant une commission de réforme pour statuer
sur ses droits à pension, qui paraissent intégrale-
À défaut de pouvoir fournir ce document, le ment fondés », l’expert sera d’emblée éclairé sur
demandeur peut réclamer un certificat d’origine le sérieux de la demande. Il lui restera, après
détaillé, établi a posteriori par le médecin de avoir effectué son propre examen, à étudier la
l’unité en se reportant aux inscriptions figurant filiation pour prendre une décision concernant
sur les différents registres de l’infirmerie. l’imputabilité.
En revanche, lorsqu’un praticien a été pressenti
Relation de cause à effet entre pour établir un certificat concernant une infir-
le fait initial invoqué et l’infirmité mité dont la relation avec le fait invoqué lui sem-
ble improbable, il peut fort bien, sans mécontenter
Il existe beaucoup de cas douteux où il est difficile son client par un refus pur et simple, consigner ses
de prouver que l’invalidité en cause est bien consé- observations en concluant : « Monsieur X, invo-
cutive au fait initial. Il faut alors tenter d’établir la quant comme responsables des troubles décrits tel
filiation médicale en étudiant tous les documents ou tel événement, il appartient à une commission
versés au dossier. La suppression des délais d’ins- de réforme de statuer sur le bien fondé de sa
tance rend ce problème particulièrement délicat, demande. Sur le vu d’un tel certificat, l’expert
car il a pu s’écouler un temps important entre le comprendra l’embarras de son confrère qui a tenu,
fait invoqué et la demande initiale. Bien souvent, en terme voilé, à éveiller son attention sur le carac-
l’ancien militaire attend que son état ait atteint un tère douteux de la demande.
certain degré de gravité avant de se décider à
introduire en instance. Il faudra alors rechercher,
non seulement la filiation médicale, mais tenter
Présomption d’origine
d’avoir des éclaircissements sur la réalité et la Lorsque la preuve ne peut être fournie par le pos-
continuité des soins, faute de quoi le demandeur tulant, mais que la preuve contraire ne peut être
pourra être débouté, considérant que l’aggrava- établie par l’état, la législation peut admettre,
tion de son état est due à la négligence. dans certains cas, le bénéfice de la présomption

462
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

d’origine. Instituée pour venir en aide aux pourra être administrée, en contradiction avec la
demandeurs qui remplissent les conditions vou- présomption, chaque fois qu’il sera possible de
lues, elle n’entre en jeu que pour suppléer l’ab- démontrer que le fait invoqué à l’origine a été soit
sence d’un fait indiscutable. antérieur, soit postérieur aux délais fixés, soit
Son étude nécessite de considérer d’une part les étranger au service.
délais de constat du dommage initial, d’autre part Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, pour
des catégories de personnes qui peuvent éven- une infirmité antérieure au service, la preuve
tuellement en bénéficier. contraire n’écarte pas entièrement le droit éven-
tuel à pension, car il peut y avoir eu aggravation.
Les délais de constat Dans de tels cas, il faudra non seulement démon-
trer la non-origine de l’affection, mais aussi réfu-
Ils ont varié avec les différentes lois. Celle de 1919, ter toute relation de cause à effet entre le service et
toujours très libérable, prévoyait que, sauf preuve l’aggravation constatée ou alléguée d’une infir-
contraire indiscutable, toute blessure constatée mité préexistante. Si cela est possible, le deman-
pendant la présence du militaire au corps était deur pourra faire valoir ses droits à la prise en
imputable au service. De même, toute maladie considération du taux de l’aggravation.
constatée pendant la présence de l’intéressé sous
les drapeaux ou au cours des six mois suivant son Bénéficiaires de la présomption
retour dans ses foyers était présumée, sauf preuve
contraire, avoir été contractée ou avoir été aggra- d’origine
vée par suite des fatigues, danger ou circonstances La loi de 1919 accordait la présomption à tout le
particulières du service. monde, celle de 1941, par contre, la supprimait
Cette formule trop généreuse fut remise en ques- sauf dans quelques cas précis. Entre ces deux
tion par la loi de 1941, mais reste toutefois valable extrêmes, une nouvelle législation de 1955 tenta
pour les sujets pensionnés avant 1941. de rétablir à moyen terme en la rétablissant au
Les délais de constat ont été sérieusement réduits profit des appelés du contingent ou des engagés
pour les maladies. Au lieu de jouer dès l’arrivée du pendant la durée du service légal, mais en ne la
militaire au service, la présomption ne peut être reconnaissant pas aux militaires de carrière ou
invoquée qu’à partir du 91e jour de présence ; après aux engagés servant au-delà de la durée légale.
le retour dans les foyers, la période de six est Ces législations contradictoires n’ont pas d’effet
réduite à 30 jours. Par ailleurs, la règle des 90 jours rétroactif ce qui complique considérablement le
recommence à jouer s’il y a eu une interruption de problème, d’autant plus que le bénéfice de la pré-
service supérieure à 3 mois. somption est applicable selon la législation qui
Il ne faut toutefois pas perdre de vue que, en était en vigueur à la date où se produisit le fait
matière de filiation médicale, aucune règle ne peut générateur et non pas selon celle en vigueur au
être trop absolue. Il est des cas ou le médecin moment où l’intéressé a fait sa demande. Cela crée
expert sera autorisé, en se basant par exemple sur une multitude de cas différents qui exigent de se
des notions épidémiologiques, à dévoiler des référer à un tableau récapitulatif très complexe,
arguments logiques susceptibles d’être considérés soigneusement établi dans le « code annoté des
comme des éléments de preuve ; ceux-ci pourront pensions militaires d’invalidité ».
alors se substituer à la présomption. En résumé, chaque législation reste applicable aux
Nous avons déjà là un aperçu du rôle capital de droits ouverts avant sa modification. Actuelle­
l’expert que nous étudierons dans un chapitre ment, tous les cas postérieurs au 7 avril 1955 sont
ultérieur. régis par la loi du 3 avril 1955 :
Militaires du contingent : présomption possible à
partir du 91e jour de service effectif et avant le
La preuve contraire 30e jour suivant le retour dans les foyers. Le dos-
Nous avons évoqué à diverses reprises la notion de sier médical d’incorporation constitue une pièce
preuve contraire. Il n’est pas besoin de s’étendre de base sur laquelle doivent figurer toutes les infir-
longuement sur la définition qui est évidente. Elle mités constatées à l’arrivée. Celles qui n’ont pas

463
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

été mentionnées pendant les 90 premiers jours locale ou générale, ceci dans le but de préserver
pourront bénéficier de la présomption sauf preuve l’avenir contre toute réclamation ultérieure. Nous
contraire. retrouverons là un principe de l’expertise judi-
Engagés servant en vertu d’un contrat : mêmes dis- ciaire : la description de l’état antérieur. Par
positions pendant la période correspondant au ailleurs, l’expert ne doit pas négliger une infirmité
service légal, augmenté de 30 jours. Ils sont ensuite bénigne pour laquelle il ne peut être question d’al-
assimilés aux militaires de carrière. Ces disposi- louer une pension, mais qu’il est indispensable de
tions sont applicables aux élèves des écoles de for- signaler.
mation militaire, qui ne sont considérés comme Le médecin traitant du demandeur peut assister à
militaires de carrière qu’après l’expiration, à l’expertise qui est contradictoire. Dans la majorité
compter de leur sortie de l’école, d’une durée de des cas, il se contente de délivrer un certificat
service égale à celle imposée par la loi de recrute- médical. Il importe alors que ce document soit
ment à cette époque. aussi détaillé que possible afin d’éclairer l’expert
Militaires de carrière : sont exclus du bénéfice de la sur des points litigieux ou qui pourrait passer ina-
présomption, sauf pendant les périodes où ils par- perçus, et de lui signaler des éléments qui peuvent
ticipent à des opérations déclarées « campagnes l’aider dans son examen. Ce certificat médical du
de guerre ». médecin traitant sera joint au procès-verbal de
l’expertise.

Diagnostic
Le rôle de l’expert L’expert doit rédiger clairement un libellé synthé-
tique du diagnostic, qui doit être à la fois clinique
Généralités et étiologique. Il permettra très souvent, à lui seul,
Lorsque le dossier administratif a été constitué aux membres de la commission de réforme,
par le centre spécial de réforme, le médecin chef d’avoir déjà une idée précise de l’infirmité, de sa
de ce centre avise l’intéressé des jours, lieu et cause, et de son origine.
heure où il devra se présenter en vue d’expertise. S’il y a plusieurs infirmités, il faut les classer par
Celle-ci peut être pratiquée, soit au centre de ordre de gravité décroissante, et les mentionner
réforme, soit dans un centre d’expertise médicale, toutes en commençant par la plus grave. Les infir-
soit dans un hôpital militaire. Les visites sont mités minimes ou manifestement non imputables
effectuées par un seul médecin expert, choisi sont assorties de la mention documentaire ou,
parmi des médecins militaires, soit sur une liste pour mémoire.
de praticiens civils dressée chaque année par cha- Ce libellé synthétique est suivi d’un exposé détaillé
que centre par le ministère compétent. mentionnant toutes les données cliniques et les
L’expert a la possibilité de prescrire une hospitali- renseignements complémentaires : en particulier,
sation s’il estime que le demandeur ne peut être résultats et interprétations des examens spéciali-
convenablement examiné qu’après mise en obser- sés qui ont été demandés.
vation et pratique d’examens complémentaires. Cette manière de procéder permettra de juger en
Une instruction ministérielle du 10 juillet 1919 toute connaissance de cause, surtout en cas d’in-
donnait aux experts d’excellentes directives pour firmités complexes pour lesquelles l’estimation
l’exécution de leur mission. Elle préfaçait les édi- des taux peut varier dans de très larges mesures.
tions du guide-barème jusqu’à celle de 1938, puis La négligence trop fréquente par les experts de
disparu malheureusement dans l’édition de 1950. cette règle entraîne souvent l’ajournement d’affai-
L’essentiel en a pourtant été repris ensuite dans res par la commission de réforme qui, se jugeant
une circulaire ministérielle du 13 janvier 1956. insuffisamment éclairée, demande le renvoi pour
Il est précisé notamment, et c’est un point sur complément d’expertise.
lequel il n’est pas inutile d’insister, que les experts En expertises judiciaires, le médecin désigné
doivent décrire toutes les blessures, maladies ou reçoit une mission précise à laquelle il doit
infirmité constatées, ainsi que leur complication répondre point par point ; guidé par cette mis-

464
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

sion, il ne peut rien oublier et le juge possédera Les maladies dites constitutionnelles ne donnent
tous les renseignements nécessaires. En outre pas droit à l’imputabilité. Elles auront d’ailleurs
l’expert, dans la discussion, envisage tous les été mentionnées sur le registre médical d’incor-
aspects du problème. poration. Il est possible que leur aggravation
Par contre, l’expert en pension militaire a seule- puisse être attribuée au service.
ment à rédiger un certificat sur lequel il ne peut La non-imputabilité est encore évidente lorsqu’il
consigner que ce qu’il estime utile : diagnostic, s’agit d’infirmités résultant de faits survenus, sans
taux, opinion sur la curabilité et l’imputabilité. Il discussion possible en dehors du service (au cours
lui appartient donc de juger lui-même de l’im- d’une permission, à la suite d’acte de désobéis-
portance relative de chaque renseignement ; sance, d’imprudence impardonnable…).
mieux vaut donc en donner trop que pas assez. L’imputabilité est douteuse dans tous les cas ou
L’essentiel est de ne jamais perdre de vue que, l’af- aucun fait précis ou circonstances particulières ne
faire étant très souvent jugée sur pièces, les élé- peut être invoqué dans un sens ou dans l’autre.
ments apportés soient suffisamment laconiques L’expert devra alors étudier très attentivement
(libellé synthétique) pour que les commissions tous les éléments, pour tenter d’établir une filia-
surchargées puissent juger rapidement les cas tion. Il peut chercher une base d’appréciation dans
faciles, mais que tous les détails utiles soient mal- le rapport circonstancié du chef de corps, ou dans
gré tout fournis (libellé analytique) pour permet- l’extrait du registre des constatations, ou tout
tre l’étude approfondie des affaires délicates ou autre document versé au dossier. Mais il suffit
compliquées. d’avoir eu l’occasion de consulter certains de ces
documents pour constater que, trop souvent, ils
Appréciation de l’imputabilité ne constituent pas des arguments valables en rai-
son de leur imprécision ou, au contraire, des
Les imprimés spéciaux sur lesquels sont rédigées conclusions plus ou moins dénuées de fondement
les expertises portent mention de l’imputabilité scientifique. Il arrive que les signataires des rap-
au service. L’expert doit donc donner son opi- ports en cause, non compétents en la matière et
nion, la décision restant à la commission de poussés par un esprit de bienveillance portent des
réforme qui peut toujours manifester son désac- conclusions irrecevables sans complément
cord avec les conclusions de l’expert. Il n’en reste d’information.
pas moins que l’avis de ce dernier, obligatoire,
Les fatigues du service, les exercices pénibles, les
sera toujours pris, en cas de désaccord, comme
gardes nocturnes, les manœuvres, sont souvent
base de discussion.
invoquées pour défendre le bien fondé d’une
Trois éventualités sont à considérer. demande. De tels arguments sont trop vagues
L’imputabilité est évidente lorsqu’il existe une pour étayer une prise de position médicalement
preuve d’origine indiscutable. C’est le cas des satisfaisante. Par ailleurs, ils sont fonction du
infirmités consécutives à des blessures de guerre caractère plus ou moins bienveillant de l’autorité
telles que nous les avons définies, ou à un acci- signataire, et cela constitue une source éventuelle
dent, à condition que le fait initial puisse être d’excès ou d’inégalités.
prouvé par des documents. Il n’y aura pas plus de Chaque fois qu’il se trouvera devant un tel cas,
discussion pour les maladies contractées au cours l’expert devra éviter d’épouser sans esprit critique
de campagnes de guerre si elles ont été constatées les conclusions qui lui sont proposées. Elles doi-
en temps voulu, c’est-à-dire au cours de la période vent d’autant moins l’influencer que la règle (rare-
considérée comme campagne de guerre. ment respectée) veut que les autorités responsables
L’imputabilité est à rejeter lorsque les documents de l’établissement d’un rapport circonstancié se
fournis apportent la preuve contraire ou lorsqu’il gardent de conclure ou non à l’imputabilité
est médicalement évident que l’infirmité n’a lorsqu’il ne s’agit pas d’un accident ou d’une bles-
aucun rapport avec le service. Si l’affection est sure. N’ayant pas de compétence médicale, les
antérieure au service, ce fait doit être mis en évi- chefs de Corps doivent se contenter de fournir les
dence, mais il est essentiel de mentionner s’il y a renseignements qu’ils connaissent, à l’exclusion
eu ou non aggravation au cours du service. de toute opinion personnelle, celle-ci risquant

465
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

d’influencer plus ou moins les experts et les basée sur la logique et l’étude détaillée et critique
juges. des antécédents, des circonstances, de la filiation
Dans ces conclusions, l’expert aura soin de préci- médicale. Il devra fournir avec soin, sur son certi-
ser les raisons qui l’ont conduit à retenir ou à reje- ficat d’expertise, tous les éléments qui lui ont per-
ter l’imputabilité. Le rôle de la commission et des mis d’aboutir à ses conclusions.
organismes administratifs supérieurs en sera
facilité car, jugeant presque toujours sur pièce, ils
pourront partager au crible les arguments déve-
La notion de curabilité
loppés par l’expert et se faire une opinion Après avoir libellé le diagnostic, conclu sur l’im-
propre. putabilité, il est encore demandé à l’expert de pré-
Il faut toutefois reconnaître que cette argumen- ciser si l’affection est curable ou incurable dans
tation, qui trouve sa place dans la discussion tous ses éléments.
des rapports d’expertise judiciaire, n’est que Ces termes de curabilité ou d’incurabilité ont
peu utilisée en matière d’expertises militaires. donné lieu à bien des discussions et malentendus,
C’est regrettable car tout expert doit avoir pré- car leur sens légal et médical sont différents.
sent à l’esprit que la législation a prescrit que la Incurabilité, au sens légal, signifie que la lésion est
preuve doit être faite, dans un sens ou dans définitive et ne peut plus évoluer, ni vers l’amélio-
l’autre, par tous moyens et notamment par rai- ration, ni vers l’aggravation. Médicalement, cura-
son médicale. bilité signifie que la maladie peut guérir ou
La présomption d’origine pourra être évoquée s’améliorer, incurabilité qu’elle ne le peut pas,
non seulement si le demandeur entre dans une mais qu’il n’est pas exclu qu’elle ne s’aggrave,
catégorie de bénéficiaires de cette règle, mais aussi jusqu’au décès inclus.
pour certaines affections représentant des cas On conçoit que, dans ces conditions, il soit assez
particuliers. La reconnaissance de l’imputabilité difficile de prendre position. Lorsqu’il s’agit de
résulte alors d’un raisonnement étayé sur les cir- blessures définitivement fixées, l’incurabilité peut
constances invoquées et tous les renseignements être reconnue. Par contre, pour la plupart des
fournis. La plupart des maladies tropicales ou maladies, qui peuvent évoluer vers l’amélioration
exotiques, par exemple, permettent d’établir ou l’aggravation, la période nécessaire pour juger
­facilement une relation médicale si le demandeur de la non évolutivité est trop longue pour que l’ex-
peut prouver qu’il a servi dans des régions pert puisse se prononcer. Il ne lui reste plus qu’à
d’endémicité. conclure que les infirmités ne sont pas incurables
Presque toutes les affections contagieuses, si les dans tous leurs éléments, ce qui, en définitive ne
délais d’incubation concordent avec la présence signifie pas grand-chose.
au corps du malade, peuvent également être Nous insisterons ultérieurement sur les révisions
reconnues. En ce qui concerne la tuberculose, périodiques des pensions. Elles sont précisément
constatée après le 90e jour de présence et avant le destinées à pallier cette quasi-impossibilité de
31e jour suivant la libération, l’imputabilité sera déterminer avec précision la curabilité ou non de
toujours admise. la plupart des affections.
Pour les maladies infectieuses, qu’il s’agisse d’in- Il est à noter que la révisibilité des pensions consti-
fections à virus ou microbiennes, l’imputabilité tue une importante différence avec le dédomma-
sera admise sans discussion si l’on peut apporter gement tel qu’il est envisagé en droit commun. En
la notion d’épidimicité dans la même garnison. matière de positions militaires, le dédommage-
Dans le cas contraire, le doute pourra jouer en ment est constitué par une rente provisoire, qui
faveur du demandeur, sauf si la preuve peut être peut être modifiée périodiquement tant qu’elle
fournie qu’il a été contaminé en dehors du ser- n’est pas devenue définitive, en principe après
vice, au cours d’une permission par exemple. neuf ans. Lorsqu’elle est devenue définitive, elle ne
En résumé, l’expert ne doit jamais perdre de vue peut plus être diminuée, mais peut être augmen-
que la législation est suffisamment large pour lui tée si le pensionné introduit une demande en
laisser le soin de se faire une opinion personnelle aggravation.

466
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Les taux d’invalidité corresponde exactement à la description de l’une


des rubriques ; elle entraînait alors de plein droit
l’application du taux d’équivalence correspondant
Généralités
à la classe dans laquelle était rangée. L’expert
Même s’il s’agit d’une infirmité qui n’ouvrira pas perdait ainsi tout pouvoir d’appréciation et son
droit à une pension, l’expert doit fixer un taux rôle se limitait à établir un diagnostic aussi pré-
précis à l’invalidité. cis que possible. Les infirmités des premières et
deuxièmes classes correspondaient à un taux de
Il est en effet toujours possible que la commission
100 %, celles des troisièmes et quatrièmes clas-
de réforme, en désaccord avec lui, accorde une
ses à 80 %, de la cinquième classe à 65 %, de la
imputabilité. Elle devra donc en connaître le taux
sixième classe à 60 %.
éventuel.
Par ailleurs, une aggravation ultérieure, imputa-
ble au service, peut apparaître sur une infirmité
Le barème de 1915
qui ne l’était pas. Le droit à pension sera ouvert Il est beaucoup plus complet. Il fixe des pour-
pour l’aggravation. Il faudra donc connaître avec centages qui ne représentent plus une indication
précision le taux préexistant. formelle mais sont destinés à servir de guides
Si un demandeur débouté obtient gain de cause en aux médecins experts. Toutefois, pour son appli-
appel au tribunal des pensions, plusieurs années cation, il est encore nécessaire que l’infirmité
de procédure ayant pu s’écouler au cours desquel- corresponde à une description du barème.
les l’état du malade aura pu se modifier, il sera L’expert ne peut exercer son pouvoir d’appré­
indispensable qu’une évaluation chiffrée de l’in- ciation qu’entre les deux taux, minimum et
validité puisse renseigner les juridictions appelées ­maximum, indiqués. Si l’invalidité, exactement
à statuer sur l’état du requérant à l’époque définie, correspond à un taux fixe, il n’y a plus
considérée. aucune liberté d’appréciation.
Les infirmités multiples sont décomptées, comme
nous allons l’étudier, selon des règles précises Le barème de 1919
qui ne correspondent pas à une simple addition. Il représente un gros progrès sur les deux précé-
Mais, s’il s’agit de déportés, l’ensemble des infir- dents en fournissant des évaluations beaucoup
mités constatées peut être groupé, comme si elles mieux étudiées et comparables entre elles. Il a
ne représentaient qu’une seule blessure (loi du cependant encore le défaut de fixer des limites
3  février 1953). Pour les grands mutilés égale- trop étroites aux facultés d’appréciation de l’ex-
ment, les règles sont différentes et seront étudiées pert. Par ailleurs, on y constate de nombreuses
séparément. contradictions et imprécisions dans les taux à
allouer pour une affection donnée, selon l’aspect
Barèmes sous lequel on la considère. L’imperfection de ce
barème nécessita par la suite de nombreuses
L’expert peut se référer à trois barèmes qui sont modifications destinées à le corriger et à l’amélio-
encore en vigueur. Élaborés en fonction des don- rer. Il conviendrait que, dans les années à venir,
nées médicales, qui étaient peut-être valables à les trois barèmes soient révisés, complétés, mis à
l’époque de leur promulgation, aucun d’entre eux jour et fusionnés en un seul, ce qui faciliterait et
ne correspond plus aux données actuelles. unifierait les estimations expertales.

L’échelle de gravité de 1887 Application du barème


Édictée pour l’application de la loi de 1881, elle
le plus favorable
établissait des classes (6 pour l’armée de Terre, Il est habituel de désigner sous le nom d’article 65
4 pour la Marine) dans lesquelles trouvaient place une dérogation établie en vue de l’application de
certaines infirmités majeures. Pour l’application la loi 1919. Il s’agit en réalité de l’article 12 du
de ce barème, il fallait que l’invalidité en cause code et c’est sous cette dénomination qu’il

467
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

convient de le retenir. Instituée en vertu des décision au sujet d’un taux définitif, les commis-
considérations juridiques et non point médicales, sions de réforme et organismes de contrôle sont
cette dérogation est toujours en vigueur ; elle généralement plus exigeant ; s’ils estiment le taux
prescrit aux experts de choisir, parmi les trois proposé exagéré, le dossier est repoussé pour
barèmes mis à leur disposition, le taux le plus surexpertise, ce qui entraîne des retards impor-
favorable, lorsqu’il s’agit d’invalidités consécuti- tants pour la liquidation de la pension.
ves à des campagnes de guerre. L’application de Lorsque l’invalidité est inférieure à 10 %, l’expert
cette règle a suscité de nombreuses controverses doit la mentionner sur le certificat, en précisant
car, pour pouvoir bénéficier de l’échelle de 1887 malgré tout son opinion sur l’imputabilité. Si
lorsque celle-ci indique le taux le plus avanta- celle-ci est retenue, la mention inférieure à 10 %
geux, il faudrait, conformément aux dispositions imputable, non indemnisable préservera les droits
de la loi de 1831, que les invalides se trouvent ultérieurs de l’intéressé en cas d’aggravation.
dans les conditions exigées à l’époque. Ils Dans le cas contraire, l’expert ajoutera la mention
devraient donc obligatoirement, être hors d’état à titre documentaire.
de subvenir à leurs besoins. Il y a là une contra-
Les invalidités égales ou supérieures à 10 % seront
diction juridique avec l’application de l’article 12.
toujours appréciées de 5 en 5 en prenant le multi-
L’habitude veut que l’expert n’en tienne pas
ple de 5 immédiatement supérieur au taux exact
compte et soit parfaitement autorisé à utiliser
choisi.
l’échelle de 1887 lorsque l’infirmité existante cor-
respond exactement à une infirmité décrite dans
cette échelle. Les cas litigieux ne peuvent être Évaluation du taux en cas
tranchés que par les tribunaux compétents.
d’infirmités multiples
Évaluation du taux en cas Chaque infirmité doit être évaluée séparément et
d’affection unique il n’est pas interdit d’utiliser des barèmes diffé-
rents pour chacune d’elles. Le principe du calcul
L’expert doit apprécier l’invalidité en dehors de global est fondé sur une doctrine énoncée par
toute contingence professionnelle. Il n’a pas à tenir le professeur Balthazard : l’intégrité physique
compte des répercussions de l’invalidité sur la vie représentant une validité de 100 %, toute infir-
professionnelle de l’invalide, ni du quantum dolo- mité entraîne une certaine diminution de valeurs
ris, ni du préjudice d’agrément, ni du préjudice initiales. Si d’autres infirmités viennent s’ajouter
esthétique (sauf en cas de défiguration comme à la première, la loi de 1919 (repris par l’article 14
nous le verrons ultérieurement). Après avoir posé du code) a légalement consacré la règle de
un diagnostic aussi précis que possible, de l’inva- Balthazard, mais lui a apporté un correctif uti-
lidité présentée, il recherche dans les barèmes la lisé seulement en matière de pensions militaires,
définition s’en rapprochant le plus. Si les taux pro- destiné à ­a méliorer le dédommagement accordé
posés laissent une latitude de choix, entre un aux bénéficiaires.
minimum et un maximum, il adoptera entre ces
C’est ainsi que : lorsque l’une des infirmités
limites, en tenant compte de tous les éléments de
entraîne à elle seule une invalidité d’au moins
l’infirmité elle-même, et de ses répercussions pos-
20  %, les autres seront majorées de 5 % pour la
sibles. L’usage veut cependant, tant qu’il n’est
deuxième, 10 % pour la troisième, et ainsi de suite
question que l’attribution d’une pension tempo-
avec des majorations allant de 5 en 5. Il est néces-
raire, d’être assez bienveillant. Le taux pourra
saire de savoir que, au cours des calculs d’infirmi-
toujours, au cours des révisions périodiques et
tés multiples, il faut retenir les taux intermédiaires
obligatoires, être ramené à un niveau plus bas s’il
exacts, au 1/10 près. Seul le résultat final, repré-
est constaté que l’infirmité n’a marqué aucune
sentant le taux global, sera arrondi au multiple de
tendance à l’aggravation. Lorsque le pensionné
5 supérieur.
sera expertisé pour sa dernière révision, aboutis-
sant à l’octroi d’une pension définitive, dont le Deux éventualités sont à envisager.
taux ne pourra plus être abaissé, l’évaluation sera Aucune infirmité n’entraîne l’invalidité totale,
plus sévère. En effet, lorsqu’ils ont à prendre une chaque invalidité est classée par ordre de taux

468
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

décroissant et la règle de Balthazard est appliquée supplémentaires. Lorsqu’il s’agit de bénéficiaires


à partir de la deuxième. Premier exemple ; 1re inva- de l’article 12, les infirmités siégeant sur un même
lidité = 50 % validité restante : 85 % ; 2e invalidité membre s’ajoutent arithmétiquement (la règle de
= 10 % (de 85), soit 8,5 % ; taux global des 2 pre- Balthazard ne joue pas), mais le taux de 100 % ne
mières : 15 + 8,5 = 23, 5, arrondi à 25 %. peut être dépassé, sauf dans le cas où le blessé a
(Il n’y a pas de points de majoration pour la une autre infirmité indépendante du membre en
deuxième infirmité puisque la plus grave n’atteint question. Dans ce cas, il pourra prétendre à une
pas 20 %). surpension.
Deuxième exemple ; 1re invalidité = 50 % validité Les mutilations inappareillables donnent droit à
restante = 50 % ; 2e invalidité = 20 % + 5 = 25 % (de une majoration de 5 % calculée arithmétique-
50) soit 12,5 ; total des 2 premières = 50 + 12,5 = ment. L’expert doit donc toujours mentionner son
62,5 ; validité restante = 37,5 ; 3e invalidité = 15 % appréciation sur les possibilités d’appareillage.
+ 10 = 25 % (de 37,5) = 9,37 ; taux global = 50 Concernant l’amputation, les barèmes étant impé-
+ 12,5 + 9,3 = 71,8 arrondi à 75 % (en accident du ratifs et ne laissant pas de choix entre un taux
travail, le même invalide obtiendrait 66 %). maximum et minimum, il convient de bien préci-
L’une des infirmités entraîne la validité absolue. ser le niveau exact où se situe l’amputation.
L’article 16 prévoit que, dans ce cas, les autres L’expert devra encore vérifier si le blessé peut pré-
infirmités sont indemnisées au moyen de surpen- tendre ou non au bénéfice de l’article 12, car les
sions. Celles-ci sont échelonnées en degrés de taux sont différents. En cas d’amputation, les dou-
1  à  10, correspondants à des invalidités supplé- leurs des moignons sont presque toujours invo-
mentaires estimées de 10 en 10 %. quées par les blessés. Elles constituent une
infirmité supplémentaire. Dans la très grande
Premier exemple ; 1re invalidité = 100 % ; 2e invali-
majorité des cas, il est difficile de contrôler objec-
dité = 20 % ; pension globale : 100 % + 2 degrés (les
tivement l’existence de ces douleurs et leur inten-
majorations de 5, 10, 15… ne sont accordées que
sité ; l’expert devra, en tout état de cause, les
s’il existe plus de deux infirmités, ce qui n’est pas
signaler en précisant avec le plus grand soin l’état
le cas dans cet exemple).
du moignon.
Deuxième exemple ; 1re invalidité = 100 % ; 2e inva-
Concernant le système nerveux, en présence d’une
lidité = 20 % + 5 = 25 % ; 3e invalidité = 10 % + 10
affection bien déterminée, l’expert ne doit pas
= 20 %. Le calcul des surpensions se faisant par
considérer comme deuxième infirmité les trou-
simple addition arithmétique, en arrondissant le
bles trophiques ou sensitifs. Il en tient seulement
total aux multiples de 10 supérieurs, le taux global
compte dans l’appréciation du taux à proposer. En
sera : 100 + 45 = 100 % + 5 degrés.
revanche, si ces complications ne sont pas dues à
la lésion causale elle-même, elles seront appréciées
Calcul des taux dans certains séparément et calculées comme infirmités supplé-
mentaires. Il convient d’être très circonspect dans
cas particuliers l’application de cette règle qui risque de conduire
La législation a prévu un certain nombre de cas à des injustices dans la pratique, on peut prendre
particuliers pour lesquels jouent des règles spécia- en considération comme infirmités supplémen-
les. Les experts ne peuvent les connaître tous, taires toutes les complications qui ne font pas par-
mais il est bon qu’ils en sachent au moins le prin- tie du syndrome moteur.
cipe pour pouvoir, le cas échéant, se reporter au Les affections des yeux sont difficiles à évaluer et il
paragraphe du code qui envisage chacun de ces arrive très souvent que les experts ne trouvent pas
cas. dans les guides barèmes les définitions exactes
Les infirmités multiples siégeant sur un même qu’ils recherchent. Bien souvent, seule la jurispru-
membre ne peuvent permettre l’attribution d’un dence peut fournir une solution aux problèmes
pourcentage supérieur à celui qui résulterait de posés. C’est ainsi que le Conseil d’État a émis en
l’amputation. En revanche, cette dernière peut 1931 un avis aux termes duquel le taux de 65 %
s’accompagner de troubles névritiques, tropiques prévu par l’échelle de 1887 devrait être appliqué
ou causalgiques, qui constitueront des invalidités aux bénéficiaires de l’article 12 pour la perte de la

469
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

vision d’un œil (est considérée comme perte de le paragraphe précédent, elle compte comme
vision une acuité inférieure à 1/20). deuxième infirmité.
Contrairement à ce qui est admis pour la plupart L’indemnisation de la tuberculose est différente
des autres invalidités, celles qui concernent les suivant qu’il s’agit de tuberculose pulmonaire ou
lésions oculaires doivent être évaluées globale- de localisations diverses. Le décret du 8 août 1924
ment, sans tenir compte des notions d’état anté- a réglementé les cas de tuberculose pulmonaire. Si
rieur ou d’aggravation d’infirmités préexistantes. la présence de bacille de Koch (BK) dans les cra-
le taux d’invalidité sera apprécié en ne considé- chats est mise en évidence, le taux est automati-
rant que l’état actuel. C’est en application de ce quement porté à 100 %. En leur absence, s’il y a
principe qu’un pensionné pour perte de la vision des signes cliniques et radiologiques d’évolution,
d’un seul œil, qui vient par la suite à perdre la il sera procédé à un complément d’expertise dans
vision de l’œil restant, à droit à une révision de sa les 30 jours, le certificat de surexpertise devant
pension sur la base de la cécité totale, même si la être transmis au centre de réforme dans un délai
perte du second œil n’a aucun apport avec le maximum de deux mois. Il suffira alors, même si
service. la bacilloscopie est négative, que le diagnostic de
La défiguration n’a longtemps donné lieu à aucune tuberculose pulmonaire soit confirmé clinique-
indemnisation supplémentaire. Elle n’était éva- ment ou radiologiquement pour que le taux de
luée qu’en fonction des blessures qui l’avaient pro- 100 % soit appliqué.
voquée. Ce n’est qu’en 1925 qu’un décret a prescrit Le législateur n’a pas voulu, dans ce cas, faire
de la considérer comme une infirmité supplémen- preuve de bienveillance particulière, il a seule-
taire, allant de 10 à 60 %, uniquement par multi- ment vu là un moyen de lutte contre ce fléau social
ples de 10. Il faut pour cela qu’elle soit justifiée par en permettant aux malades de consacrer tout leur
la présence au dossier de trois photographies (face temps à soigner leur affection. Lors des révisions
et les deux profils). Un catalogue de photographies périodiques, l’expert ne devra plus envisager que
est annexé au décret et permet d’apprécier le degré l’infirmité restreinte correspondante aux séquel-
de défiguration applicable. les résiduelles. Bien entendu, en cas de rechute,
Un nouveau décret, en 1954, a élargi l’éventail une révision pour aggravation reste toujours
des taux en portant à 100 % le maximum pouvant possible.
être attribué à la défiguration. Le législateur a en Par ailleurs des allocations complémentaires sont
effet admis que certains grands défigurés ont prévues à titre d’accessoires à la pension (décret
beaucoup de mal à gagner leur vie, non seulement du 20 février 59) : allocation des soins à plein tarif,
en raison de la difficulté d’embauche, mais aussi allocation de ménagement (pendant 1 an après
parce qu’ils souffrent moralement de complexes guérison), allocation de reclassement.
d’infériorité graves. Les pourcentages affectés à
chaque photographie du catalogue ont été modi- Enfin, la thoracoplastie ou les exérèses pulmonai-
fiés en conséquence. res sont évaluées à part. Suivant le tarif alloué,
elles sont calculées en infirmités multiples ou en
Il convient de signaler qu’il ne faut pas confondre
surpensions.
la défiguration avec les mutilations de la face. Ces
dernières constituent des infirmités distinctes qui Les autres localisations de la tuberculose, viscéra-
sont évaluées comme telles, alors que la défigura- les ou osseuses sont également justiciables d’un
tion vient s’ajouter arithmétiquement au taux taux de 100 % si elles sont évolutives. Mais, s’il y a
d’invalidité sans que soit appliquée la règle des plusieurs localisations, ce taux ne sera accordé
points de majoration utilisée dans le calcul des que pour la plus grave, les autres étant évaluées en
taux pour infirmités multiples. surpension d’après le degré réel de l’invalidité qui
Notons enfin que l’énucléation d’un œil est tou- en résulte.
jours considérée comme défigurante, même si une Les lésions consolidées sont évaluées selon l’infir-
excellente prothèse lui permet de passer inaper- mité résiduelle, mais avec une majoration arith-
çue. Le taux minimum alloué est de 10 %, mais, métique de 10, 15 ou 20 %, destinée à compenser
contrairement aux dispositions rapportées dans la nécessité de ménagement.

470
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Les tuberculoses viscérales donnent droit à des Pour les victimes civiles, la pension est fixée au
taux équivalents à ceux de la tuberculose taux de soldat. Les mineurs de moins de 15 ans ne
pulmonaire. bénéficient que de la moitié de la pension ; dès
Par contre, les localisations génito-urinaires ne qu’ils ont atteint leur quinzième année, une nou-
peuvent donner droit à 100 % que si elles sont velle expertise servira de base à l’attribution d’une
associées. Les localisations génitales isolées sont pension d’adulte.
évaluées en tenant compte du degré d’évolutivité. Les personnels civils de l’armée sont indemnisés
en fonction de leur catégorie et de leurs indices de
solde.
Les avantages concédés
La durée
Tout expert doit connaître les avantages auxquels
peuvent prétendre les demandeurs pour être Pour les militaires de carrière, la pension a pour
mieux à même de juger certains cas. Cela lui per- point de départ le jour où la commission de
mettra également de mieux comprendre les rai- réforme a constaté l’invalidité. Pour tous les autres
sons motivant certaines réclamations dont la bénéficiaires, elle part du jour de la demande. Il y
justification peut ne pas paraître évidente, mais se a là une inégalité injustifiable au détriment des
trouve expliquée par l’espoir de bénéficier d’avan- militaires de carrière. Les experts doivent connaî-
tages supplémentaires. tre ce détail ; chaque jour de retard dans l’exécu-
tion de leur expertise ou dans la transmission du
dossier représentera une perte financière pour le
La pension demandeur.
Selon les termes de la loi de 1919, la pension était
Ce n’est pas une somme forfaitaire versée en définitive dès que l’affection était considérée
dédommagement d’un préjudice, mais une rente comme consolidée. Dans le cas contraire, la pen-
viagère accordée trimestriellement et éventuelle- sion était temporaire pendant 4 ans.
ment réversible sur les ayants droit. La différence
est donc grande entre les pensions militaires d’in- Avec la législation actuelle, la pension ne peut
validité et les réparations de préjudices corporels être définitive d’emblée que pour certaines bles-
en droit commun. sures manifestement incurables (amputations par
exemple). Dans tous les autres cas, elle n’est que
temporaire et doit être révisée à l’issue d’une
Le taux période de trois ans après nouvelle expertise. Trois
Le calcul de la pension se fait en vertu de barè- décisions peuvent alors être prises : décision défi-
mes qui accordent des coefficients correspon- nitive s’il s’agit d’une blessure consolidée n’ayant
dants au taux d’invalidité. Ces coefficients manifesté aucune tendance à l’amélioration au
représentent des points d’indice. la valeur du cours de ces trois années ; suppression de la pen-
point d’indice est égale au 1/1000 du traitement sion si l’affection a été suffisamment améliorée
brut d’activité des militaires classés à l’indice de pour que le nouveau taux soit inférieur au mini-
solde 170. C’est le traitement du soldat. Ainsi, le mum indemnisable ; nouvelle période temporaire
montant de la pension est-il périodiquement réé- de 3 ans s’il s’agit d’une maladie restant au-dessus
valué en fonction des variations des traitements du taux minimum ; il faudra trois révisions trien-
publics, consécutives aux augmentations du coût nales, soit 9 ans, avant que la pension devienne
de la vie. définitive.
Les militaires en activité de service ne peuvent Lorsqu’il y a aggravation d’une pension définitive,
prétendre, quel que soit leur grade qu’à une pen- le nouveau taux accordé ne sera temporaire que
sion calculée sur le taux du soldat. Par contre, pendant une seule période de trois ans ; il pourra
lorsqu’ils cessent le service actif, leur pension est devenir définitif dès la première révision triennale.
réévaluée en fonction d’indices correspondants Ces notions constituent de précieuses indications
au dernier grade dont ils ont été titulaires. pour les experts qui, en présence d’affections dont

471
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

les taux varient entre des limites assez larges, épilepsie, équivalents épileptiques ou aliénation
seront guidés dans leur choix par le caractère tem- mentale, ou aux blessés atteints d’invalidités
poraire ou non de celui qu’ils proposeront. atteignant les taux suivants : 85 % pour une seule
ou deux infirmités, 90 % pour trois infirmités,
Les révisions 95  % pour quatre infirmités, 100 % pour cinq
infirmités à condition que l’une au moins des
Nous savons donc qu’elles sont prévues tous les infirmités multiples détermine à elle seule un
trois ans, sauf si le pensionné fait une demande taux de 60 %.
d’aggravation. Dans ce dernier cas, nous savons
Ces invalides peuvent prétendre au bénéfice de
également que le certificat médical fourni à l’ap-
statut des grands mutilés s’ils réunissent les trois
pui est capital, car il doit conclure expressément
conditions légales indispensables : être titulaire de
que le taux d’aggravation d’une pension à titre
la carte du combattant, avoir contracté leurs infir-
définitif ne peut aboutir qu’au maintien du taux
mités à la suite de blessures de guerre ou en ser-
déjà accordé ou à son augmentation. Il n’est pas
vice commandé dans une unité combattante,
possible qu’il soit diminué.
pouvoir apporter la preuve de l’imputabilité.
Pensions de veuves La qualification de grand mutilé est avant tout
honorifique mais elle entraîne certains avantages
Les praticiens pourront être appelés à délivrer des matériels sous forme de majorations de pensions
certificats à des veuves de pensionnés attestant et d’allocations spéciales.
qu’elles sont dans l’impossibilité physique de sub- Ces avantages ont également été accordés, mais
venir à leurs besoins. C’est l’une des conditions sans qu’ils puissent prétendre au titre honorifique
qui peut leur permettre éventuellement de préten- de grands mutilés de guerre, à certains invalides :
dre à une pension de réversion. ceux qui réunissent les conditions précitées mais
dont les blessures ne sont pas consécutives à des
Grands invalides et grands mutilés faits de guerre ou n’ont pas été contractées en ser-
vice commandé dans une unité combattante ;
Allocations aux grands invalides ceux dont les invalidités correspondent aux taux
mentionnés ci-dessus, mais sont consécutives à
Tout pensionné militaire titulaire d’une pension
des maladies imputables par preuve à condition
égale ou supérieure à 85 % est considéré comme
qu’ils soient titulaires de la carte du combattant ;
grand invalide. Il bénéficie, en sus de sa pension,
les victimes civiles de la guerre ayant le degré
d’allocations spéciales calculées en fonction du
d’invalidité nécessaire ; ceux qui, titulaires d’une
degré et de la nature des infirmités. Elles sont des-
pension militaire pour perte d’un œil ou d’un
tinées à réaliser une augmentation des pensions.
membre, viennent par la suite d’un accident pos-
Elles sont éventuellement cumulables avec celles
térieur à la liquidation de la pension, à perdre
accordées aux bénéficiaires du statut des grands
l’autre œil ou un second membre.
mutilés, mais, dans ce cas elles sont réduites de
moitié. Les formalités d’attribution des allocations spé-
ciales sont soumises aux mêmes règles que les
Tout expert doit connaître ces dispositions, car il
demandes de pension.
sera fréquemment sollicité pour l’attribution d’un
taux de 85 % qui permet le bénéfice d’avantages
considérables. Bénéfice de la tierce personne
Les barèmes de ces allocations figurent aux arti-
cles 31 à 35 du code. Les invalides incapables d’accomplir les actes
essentiels de la vie peuvent se voir attribuer le
bénéfice de l’assistance d’une tierce personne
Statut des grands mutilés (article 10 de la loi, article 18 du code). Il est
Le décret - loi du 17 juin 1938 reconnaît la octroyé automatiquement aux aveugles ou aux
­qualification de grands mutilés aux amputés, amputés de deux membres. Dans tous les autres
aveugles, paraplégiques, blessés crâniens avec cas, l’expert aura à apprécier sa nécessité. Depuis

472
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

le décret du 20 janvier 1940, le droit à la tierce per- sonne chargée de veiller sur eux, qui risque de
sonne n’est subordonné à aucune condition spé- profiter de la situation. La plupart du temps, il sera
ciale d’imputabilité ; seule la nature des infirmités préférable, sauf cas particulier, de les hospitaliser
entre en ligne de compte pour l’appréciation. gratuitement, plutôt que de leur octroyer une allo-
En règle générale, il faut que le pensionné soit hors cation supplémentaire.
d’état de se conduire, de se mouvoir ou d’accom-
plir ce qu’il est convenu d’appeler les actes essen- Bénéfice des soins gratuits
tiels de la vie : se déplacer seul, s’alimenter,
satisfaire ses besoins naturels, se vêtir ou se dévê- Les articles 115 à 136 du code (article 64 de la loi
tir. Il suffit que l’invalide ne puisse accomplir un 1919) instituent le bénéfice des soins gratuits pour
seul de ces actes pour que lui soit ouvert le droit à les affections ayant motivé l’octroi d’une pension,
l’article 18. Mais, l’assistance indispensable d’une quel que soit son taux. Le pensionné reçoit un car-
tierce personne doit être nécessaire d’une manière net de soins, qu’il présente au médecin traitant de
constante ; la nécessité d’une aide intermittente ne son choix. Celui-ci y inscrit les ordonnances
suffit pas. nécessaires, en prenant grade de ne prescrire que
des médicaments en relation directe avec le traite-
Le rôle de l’expert est, en cette matière, très déli-
ment des affections pensionnés, sur le volet
cat. Dans de nombreux cas son pouvoir d’appré-
central.
ciation sera basé sur le bon sens beaucoup plus
que sur des textes obligatoirement vagues et Il détache le dernier volet qui lui servira au rem-
incomplets. Il précisera, dans son certificat, son boursement de ses honoraires. Les articles D.97 à
opinion sur la nécessité de la tierce personne. La D.103 et A.13, 14 et 15 indiquent les modalités de
commission de réforme le mentionnera dans son remboursement.
procès-verbal, sauf avis contraire. S’il s’agit d’un médecin militaire, ce volet doit être
Il est à noter que, si un taux de 100 % est en prin- détruit la consultation étant gratuite.
cipe nécessaire, cela ne constitue pas de règle Les médicaments sont délivrés sans aucun frais
absolue ; il peut se produire que ce bénéfice soit par le pharmacien qui se fera rembourser sur pré-
accordé à des invalides à 85 %. sentation des volets d’ordonnance et de mémoires
Il ouvre droit à une majoration égale au _ de la trimestriels, présentés à la préfecture.
pension si le pensionné réside à son domicile ; la Le directeur interdépartemental a pour mission,
tierce personne n’est pas obligatoirement une per- depuis 1959, d’exercer le contrôle et la surveillance
sonne étrangère à la famille de l’invalide. Il des soins gratuits, par l’intermédiaire de méde-
convient de signaler à ce sujet une inégalité entre cins contrôleurs. Ceux-ci doivent notamment
les pensionnés militaires et les invalides du tra- s’assurer que les prestations sont délivrées selon
vail. Ces derniers, s’ils sont obligés de recourir à les règles d’un exercice correct de la médecine et
l’assistance d’une tierce personne salariée, peu- de la pharmacie et s’appliquent exclusivement à la
vent être exonérés des cotisations de Sécurité thérapeutique des infirmités ouvrant droit à pen-
sociale qui leur incombent ; il n’en est pas de même sion. Ils peuvent procéder aux contrôles qu’ils
du pensionné militaire. jugent nécessaires.
La majoration est portée au taux de la pension Les contestations pharmaceutiques ressortent à la
elle-même si l’invalide présente au moins deux compétence du Tribunal d’instance, en dernier
infirmités dont chacune prise isolément lui ressort jusqu’à 1 500 F, et, in infinitum, à charge
aurait assuré le bénéfice de la tierce personne. d’appel devant la cour du ressort.
C’est le cas d’un aveugle amputé des deux mem- L’hospitalisation gratuite est également possible, à
bres, qui aura donc droit à une pension de 100 % charge de remboursement par l’administration,
doublée. dans tous les établissements hospitaliers militai-
Les aliénés constituent des cas particuliers. Ce res ou civils. Les frais de voyage ou de transport à
n’est qu’exceptionnellement qu’ils peuvent bénéfi- l’hôpital sont également remboursés, ainsi que
cier de l’article 18. On estime en effet que leur état ceux de transfert du corps, en cas de décès consé-
ne permet pas, le plus souvent, de contrôler la per- cutif à l’infirmité pensionnée.

473
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

L’appareillage et la rééducation professionnelle En outre assistent à la séance : un intendant mili-


entrent dans le cadre des soins gratuits. taire qui est commissaire du gouvernement, il
peut faire par écrit sur le procès-verbal de la com-
mission toutes réserves ou observations suscepti-
Avantages annexes bles de défendre les intérêts de l’état ; un officier
Carte de réduction du recrutement qui prend note de toutes les déci-
sions ou propositions d’ordre militaire, en parti-
Les pensionnés ont droit à des tarifs spéciaux dans culier concernant les aptitudes au service ; un
les transports en commun : 50 % de réduction sur secrétaire de séance.
la SNCF pour les pensionnés 25 %, 75 % de réduc-
Les requérants sont convoqués devant la com-
tion sur la SNCF et 50 % dans les autobus et le
mission au moins 8 jours à l’avance. Cette convo-
métro pour les pensionnés à 50 %.
cation les informe de la proposition dont ils sont
En outre, les mutilés ont droit à des cartes spécia- l’objet à la suite de l’expertise qu’ils ont subie.
les de priorité, les impotents à la mention station S’ils désirent contester ses conclusions, ils ont le
debout pénible. droit de se faire assister à la séance par leur
médecin traitant qui pourra exposer et défendre
Sécurité sociale son point de vue sur le plan médical. Pour les
militaires en activité de service, le médecin mili-
Tout pensionné militaire classé grand invalide à
taire de leur unité peut représenter le médecin
85 %, les veuves de grands invalides, les orphelins
traitant.
de guerre, certaines victimes civiles, peuvent
demander leur affiliation à la sécurité sociale Si l’intéressé ne désire pas se présenter, il doit
militaire. remplir une demande écrite pour être jugé sur
pièces. Cela ne lui fait pas perdre le droit de
contester ultérieurement la décision intervenue
Emplois réservés dès qu’elle lui aura été notifiée officiellement.
Les pensionnés, leurs veuves et les orphelins de Après lecture du dossier et des conclusions de
guerre peuvent arguer d’un droit de préférence l’expert, la commission passe à la discussion ;
pour l’obtention d’emplois réservés. celle-ci porte généralement exclusivement sur le
droit à l’imputabilité ou à la présomption et sur le
Récompenses diverses taux alloué. Si l’unanimité des membres n’est pas
acquise, la décision sera prise aux voix.
Chaque année, un certain nombre de décorations
sont accordées, hors contingent, au titre du minis- Si la commission n’adopte pas entièrement les
tère des anciens combattants et victimes de guerre conclusions de l’expert, soit parce qu’elle les trouve
dont l’invalidité représente au moins 65 %. insuffisantes, soit parce qu’elle juge opportun de
les rejeter, elle peut :
• renvoyer le dossier pour complément d’infor-
Décisions de recours mation, en particulier pour la détermination de
l’imputabilité ;
La Commission de réforme • demander une surexpertise ;
• prescrire une hospitalisation de l’intéressé pour
Il s’agit d’un tribunal qui siège pour juger les
mise en observation ou pratique d’examens spé-
­dossiers qui lui sont présentés par le centre spécial
cialisés supplémentaires ;
de réforme. Cette commission est composée de :
2  médecins dont l’un est président, 1 officier • mentionner son désaccord avec l’expert et pro-
appartenant à un corps de troupe. poser d’office des conditions différentes pour le
taux ou l’imputabilité.
Ils sont juges et non experts ; leur rôle est de sta-
tuer sur le dossier qui leur est présenté, et dont la Si le commissaire du gouvernement soulève une
pièce essentielle est représentée par le certificat objection, il doit la consigner, avec les motifs, sur
d’expertise. un procès-verbal.

474
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

Les conclusions de la commission et les observa- finit par aboutir à l’Administration centrale des
tions éventuelles sont reportées sur le procès-­ pensions qui notifiera à l’intéressé la décision
verbal, qui doit préciser en particulier le diagnostic, ministérielle. En attendant cette décision, le pen-
le taux (provisoire ou définitif), le droit à l’impu- sionné recevra un certificat modèle 15 l’informant
tabilité en indiquant s’il y a preuve, présomption, des propositions faites.
ou défaut de preuve ou de présomption.
Il ne s’agit là que de propositions qui n’engagent Voies de recours
pas la décision ultérieure de l’administration des
pensions. Ce n’est que lorsqu’il aura reçu notification de la
Il en est de même, lorsqu’il s’agit de militaires, décision ministérielle que le pensionné pourra,
pour la décision médico-militaire (aptitude au s’il est en désaccord, utiliser les voies de recours.
service). La commission de réforme ne formule
que des propositions pour les cadres d’active ou Le Tribunal Départemental
les officiers de réserve. Par contre, elle peut pren- des Pensions
dre des décisions pour les hommes de troupe.
C’est une juridiction au premier degré qui siège
dans la même ville que le tribunal de grande ins-
La commission consultative tance dans le ressort duquel est compris le chef-
médicale lieu du département.
Il est composé d’un juge de tribunal de grande ins-
Le dossier est ensuite transmis à la commission tance, d’un médecin expert près les tribunaux,
consultative médicale qui jour le rôle d’un conseil désigné per le premier président de la cour d’appel,
technique. Les médecins examinateurs de cette et d’un représentant des pensionnés tirés au sort
CCM jugent sur pièce pour apprécier, sur le plan sur une liste de 5 membres présentée par les asso-
légal, si les propositions sont conformes à la loi : ciations d’anciens combattants du département.
• l’intéressé entre-t-il bien dans le cadre des Les fonctions de Commissaire du gouvernement
­bénéficiaires éventuels de la loi des pensions sont assurées par un fonctionnaire civil ou mili-
militaires ? taire (qui ne peut plus être un officier de l’inten-
• Les infirmités décrites sont-elles imputables ? dance), désigné par le ministre des ACVG. Le
• Sont-elles incurables dans tous leurs éléments ? greffe est assuré par un greffier de TGI.
• Le minimum indemnisable est-il atteint ? Le plaignant dispose d’un délai de six mois après
• Le taux accordé est-il conforme aux barèmes ? la décision ministérielle pour exercer un recours.
Après une tentative éventuelle de conciliation,
• L’intéressé peut-il bénéficier de l’article 18 (tierce sous formes de propositions faites par l’adminis-
personne, des allocations aux grands invalides, tration des pensions. le demandeur, en cas de
du statut des grands mutilés) ? refus, est convoqué pour une nouvelle expertise.
Si aucune objection n’a été soulevée, les proposi- Elle est effectuée par un médecin désigné par le
tions de la Commission de Réforme sont approu- président du tribunal départemental des pensions.
vées et le dossier transmis aux organismes Cette expertise est contradictoire.
liquidateurs. Dans le cas contraire, la CCM peut Le demandeur sera ensuite cité devant le tribunal.
proposer toutes modifications qu’elle juge utiles S’il subsiste une contradiction formelle entre l’avis
ou renvoyer le dossier au centre Spécial de Réforme de l’expert et celui du médecin traitant, le plai-
qui l’a instruit pour enquête supplémentaire. gnant pourra être envoyé devant une commission
de trois experts : l’un désigné par le ministre des
ACVG ; le deuxième par le tribunal des pensions ;
Organismes liquidateurs le troisième par le demandeur.
Le dossier provenant de la CCM parvient à la Les conclusions de cette expertise serviront à
Direction interdépartementale des pensions. informer le tribunal lors de sa nouvelle audience,
Après un périple qui n’intéresse pas le médecin, il mais elles ne le lient en aucun cas. Il reste seul juge

475
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

de sa décision, dont la notification sera faite au motifs ; une mention de faits matériellement
domicile du plaignant par exploit d’huissier. inexacts ; une dénaturation des pièces du dossier.
La CSCP peut prononcer des arrêts de rejet du
La cour régionale des pensions pouvoir ; de cassation de la décision, avec renvoi ;
de cassation sans renvoi, en imposant sa propre
La décision du tribunal des pensions peut être
décision ; de non-lieu, si la décision est impossible
contestée, soit par le plaignant, soit par l’État, sous
en raison d’un événement nouveau (par exemple
réserve que la partie contestataire n’ait pas déjà
lorsque, entre-temps, le ministre a pris une déci-
accepté le jugement mis en cause.
sion nouvelle qui est acceptée par le plaignant, ou
L’appel doit être fait dans un délai de deux mois en cas de décès de ce dernier pendant l’instruc-
après la décision. L’affaire sera alors portée devant tion de l’affaire s’il n’y a pas d’ayants droit pou-
la cour régionale des pensions, qui siège au chef- vant se substituer à lui).
lieu du ressort de chaque cour d’appel. Elle est com-
La CSCP peut casser la décision contestée qui lui a
posée d’un président de chambre de la cour d’appel,
été soumise. Dans ce cas, la décision en cause est
de deux juges, conseillers à la cour d’appel.
purement et simplement annulée, et l’affaire est
Les fonctions de commissaire du gouvernement renvoyée devant une cour régionale d’un autre
sont remplies par un fonctionnaire désigné par le ressort que celle qui avait rendu l’arrêt.
ministre des ACVG.
Celle-ci statue à nouveau. La nouvelle décision
Si elle juge nécessaire, la cour peut faire une fois de peut, encore être frappée d’un nouveau pouvoir
plus procéder à une nouvelle expertise. Elle peut en cassation.
éventuellement prendre une décision contraire au
jugement antérieur du tribunal départemental. En
aucun cas, elle ne peut être saisie directement de Recours contre les arrêts
cas qui n’ont pas, au préalable, fait l’objet de juge- du Conseil d’État
ments de ces tribunaux départementaux. Il est exceptionnel que les décisions de la commis-
sion spéciale de cassation des pensions, adjointe
Le Conseil d’État au Conseil d’État, soient remises en cause par un
recours. Le cas n’est cependant pas impossible,
Après décision de la cour régionale, l’État ou le mais le recours en révision ne peut être admis que
demandeur ont encore la possibilité d’un dernier dans quelques éventualités bien déterminées :
recours. C’est le pourvoi devant le Conseil d’État. • si la décision a été rendue sur pièces fausses, ou
Il doit être introduit dans les deux mois suivant la erreurs matérielles ;
décision de la cour régionale, à condition que cette
décision n’ait pas été acceptée. • si le demandeur s’est trouvé dans l’impossibilité
de fournir une pièce importante parce qu’elle
Pour le jugement de ces affaires, le Conseil d’État
avait été retenue par la partie adverse ;
dispose d’une juridiction spéciale, qui lui est
adjointe, c’est la commission spéciale de cassation • si la décision est intervenue sans qu’aient été res-
des pensions (CSCP). Elle peut être saisie de pou- pectées les règles définies sur l’organisation du
voirs formés : soit contre le jugement des tribu- Conseil d’État, en particulier s’il y a eu violation
naux départementaux, soit contre les arrêtés des des textes concernant la commission spéciale de
cours régionales. cassation des pensions.
Elle juge en droit et peut prononcer la cassation si Il est évident que les modalités de fonctionnement
elle relève un vice de forme dans la procédure de de ces voies de recours n’intéressent pas directe-
première instance ou d’appel ; une violation de la ment la profession médicale. Toutefois, un médecin
loi ; une non-réponse ou une réponse incomplète appelé à effectuer des expertises doit en connaître
aux conclusions, influant sur la solution des liti- l’existence. Il devra en tenir compte dans l’exercice
ges ; un refus d’expertise (dans le cas où le pouvoir de ses fonctions d’expert pour éviter des erreurs qui
est formulé par l’état) ; une absence ou insuffi- pourraient donner matière à contestation, ou pour
sance des motifs, ou au contraire une surabon- conseiller efficacement un invalide lorsqu’il juge,
dance ; une contradiction ou une substitution des en sa conscience, que sa réclamation est justifiée.

476
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

L’indemnisation des préjudices en responsabilité


médicale en Europe
Ph. Hubinois

L’augmentation du contentieux des accidents nous ne rentrerons pas, en raison de la complexité


médicaux, en nombre mais surtout en coût, a été à du problème et des difficultés à établir une com-
l’origine en France, à la fin de l’année 2002, d’une paraison fiable sur ce point, dans le détail techni-
crise dans la couverture assurantielle de la res- que de l’indemnisation des divers postes de
ponsabilité civile professionnelle médicale (RCP). préjudices dans les différents pays. Il conviendrait
L’étude des systèmes mis en place chez nos princi- pourtant que les concepts y soient harmonisés,
paux voisins de l’Union Européenne prend devient des appellations identiques recouvrant actuelle-
donc importante, à titre comparatif. Même si le ment parfois des contenus différents. La « nomen-
principe de subsidiarité laisse toute latitude aux clature DINTILHAC » en France et les efforts de
États membres pour instaurer les lois et règle- la Commission européenne ont tendu récemment
ments qu’ils jugent les mieux adaptés en matière à diminuer ces divergences.
de santé nationale. L’harmonisation européenne
des procédures de réparation des accidents médi-
caux, souhaitable à l’heure de la libre circulation L’indemnisation des préjudices
des citoyens des vingt-huit États membres au tra-
vers de l’Europe, est d’ailleurs expressément sou- en responsabilité médicale
haitée depuis 1975 par le Conseil de l’Europe dans les principaux pays
(cf. la résolution 75–7 du Conseil de l’Europe du de l’Union européenne
14  mars 1975 [1] et l’article 24 de la Convention
d’Oviedo du 4 avril 1997 [2]). (hors la France) et en Suisse
Il faut pourtant souligner, en préambule, que la
Si les principes généraux de la responsabilité
disparité des populations dans l’Union, l’existence
médicale pour faute, préjudice et lien de causalité
de systèmes de santé nationalisés dans certains
sont relativement uniformes dans la très grande
pays et de systèmes reposant sur les cotisations
majorité des pays européens, il faut cependant y
salariales et patronales dans d’autres, la possibilité
opposer deux groupes d’États, celui des pays scan-
ou non d’actions récursoires des caisses de sécu-
dinaves et celui des autres pays européens. Dans
rité sociale sur les responsables, rendent toute
celui-ci, c’est la recherche d’une faute médicale
comparaison difficile et quelque peu aléatoire50.
qui précédera, à de rares exceptions près (quel-
Le système français d’indemnisation des préjudi- ques cas de responsabilité sans faute) toute
ces en responsabilité médicale ayant été largement ­possibilité d’indemnisation. Dans celui-là, l’in-
développé dans les chapitres précédents, nous ne demnisation des accidents médicaux est désolida-
traiterons dans un premier temps que des princi- risée de la recherche première d’une éventuelle
paux pays de l’Union, hors la France, auxquels responsabilité médicale. Le fondement de la res-
nous ajouterons la Suisse, en raison de sa proxi- ponsabilité médicale est la faute dans le premier
mité géographique avec la France. Puis, afin d’en- groupe, le risque dans le second.
trer plus précisément dans l’étude comparative,
nous établirons un tableau parallèle des deux sys-
tèmes qu’on peut sans doute juger à ce jour les plus Les pays non scandinaves
protecteurs pour la victime d’un accident médi- Dans ce groupe de pays, on l’a dit, le principe de la
cal, à savoir ceux de la France et de la Suède. Mais responsabilité médicale est relativement univoque
(la faute et le lien de causalité direct entre la faute
50 Cet article a été écrit avant l’intégration à l’Europe et le préjudice), mais les procédures d’indemnisa-
des dix derniers membres, portant à 25 le nombre des tion sont variables. Cependant dans tous on note
états de l’Union européenne. deux phénomènes récents : d’abord une tendance

477
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

à l’extension du domaine de la faute médicale, Dans le secteur public


dans le but de ne laisser qu’un nombre minimal Un patient traité par le NHS (National Health
de préjudices importants sans indemnisation, Service) n’a aucune relation contractuelle avec son
d’autre part une tendance croissante à recourir à médecin. La responsabilité de ce dernier ne peut
des ­procédures extra-judiciaires d’indemnisation. être mise en cause que sur le plan délictuel ou
Nous étudierons successivement l’Allemagne, le quasi-délictuel (négligence fautive, dommage et
Royaume-Uni, la Belgique, les autres principaux lien de causalité), comme c’était le cas en France
pays de l’Union, puis la Suisse hors l’Union. jusqu’à la loi du 4 mars 2002, qui rapproche doré-
navant les responsabilités civile et administrative.
En Allemagne Ce mode de mise en cause de la responsabilité
médicale est proche également de celui qu’utili-
Le patient et son médecin sont liés par un contrat sent les juridictions pénales en France, à une
de service, avec une obligation de moyens et donc nuance près, à savoir qu’au Royaume-Uni la faute
la nécessité d’établir la faute, le dommage et le lien manifeste renverse la charge de la preuve pour le
de causalité pour engager la responsabilité médi- praticien (comme pour le devoir d’information en
cale. Les principes de responsabilité sont inscrits responsabilité civile médicale française). Une
dans le Code Civil (Bürgerliches Gsetzbuch), la plainte orale ou écrite donne lieu à des explica-
faute de la victime peut réduire son indemnisa- tions du NHS depuis 1996, mais le patient qui n’en
tion. L’évaluation du dommage se fait in concreto, est pas satisfait peut faire appel à un médiateur
comprenant entre autres la détermination du spécialisé. Celui-ci ne peut fixer lui-même la hau-
Schmerzensgeld, préjudice non économique qui teur de l’indemnisation (ce rôle est dévolu aux
tient compte de la gravité de la faute, des condi- ­tribunaux civils).
tions économiques de vie du responsable et de la
victime, des atteintes corporelles, intellectuelles
et à la qualité de vie de la victime. Dans le privé
Les ordres régionaux de médecins ont créé, selon Un contrat de moyens lie patient et médecin, le
les Länder, des « commissions d’experts » ou des premier devant prouver que l’obligation au contrat
« bureaux de conciliation ». Les premières se pro- n’a pas été remplie. Cependant, dans tous les cas,
noncent sur l’existence d’une faute, sans chiffrer l’action en justice auprès des tribunaux civils (un
les préjudices, les seconds évaluent les préjudices, seul ordre de juridiction) est l’unique moyen pour
en accord avec les assureurs. Les délais de pres- le patient d’obtenir la réparation financière d’un
cription sont de 3 à 5 ans. Mais, particularité préjudice éventuel.
importante, ces instances de médiation sont com- Un « protocole pré-judiciaire pour la résolution du
posées d’un juriste pour 4 à 5 médecins, ces der- contentieux médical » a été mis en place le 26 avril
niers étant nommés pour 5 ans par l’Ordre des 1999, pour encourager le règlement extra-judiciaire
médecins. L’avis des instances est indicatif, les des conflits. Ses exigences procédurales doivent
patients gardant accès à la voie judiciaire en cas de être respectées par les parties, sauf à ce qu’elles
désaccord (système proche du système français soient sanctionnées, en cas de saisine judiciaire
d’après mars 2002, sur ce point précis). Saisies ultérieure. Le protocole prévoit l’obtention du
gratuitement par les patients, elles traitent 90 % dossier médical dans les 40 jours (pour mémoire :
des réclamations et en règlent définitivement 8 jours en France depuis la loi du 4  mars 2002,
90 %. C’est donc environ 80 % des affaires médi- 2  mois quand il s’agit d’un dossier de plus de
cales qui sont traitées en dehors des tribunaux. 5  ans), un exposé écrit de la plainte, avec une
Cependant, le manque d’indépendance des éventuelle proposition de transaction. Aucune
bureaux et commissions a parfois été évoqué dans action en justice n’est alors possible pendant
ce pays. 90  jours (voies exclusives l’une de l’autre, diffé-
rence avec le système mis en place le 4 mars 2002
en France). Le médecin doit s’entourer pour y
Au Royaume-Uni répondre de personnes compétentes, après une
Le régime de responsabilité est différent, selon procédure de contrôle de la qualité des soins. En
qu’il s’agit du service public ou du secteur privé. cas d’échec du règlement amiable, l’affaire est

478
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

portée devant les juridictions. Des procédures Dans les autres pays
simplifiées existent pour les sinistres dont le non scandinaves
montant pécuniaire est peu élevé. Le montant
moyen des indemnisations a été jugé insuffisant à En Espagne, les articles 1902 et suivants du Code
de nombreuses reprises, y compris par la Cour Civil définissent les principes d’une responsabilité
d’Appel du Royaume-Uni, le 23 mars 2000, juge- pour faute, dommage et relation de causalité entre
ment qui doit pourtant être tempéré par l’inter- les deux. Il existe deux ordres de juridiction (c’est
diction de toute action récursoire de l’État envers le seul pays avec la France où cette situation
le responsable. existe), mais, que ce soit dans le secteur public ou
le secteur privé, il est obligatoire de tenter la conci-
En Belgique liation avant d’en appeler aux tribunaux.
Au Portugal, le principe de responsabilité est éga-
Il n’existe ni code ni loi réglementant l’ensemble lement la faute ; les hauteurs de réparation ont la
des aspects juridiques de l’activité médicale. La réputation d’être peu élevées, en particulier il
doctrine et la jurisprudence ont, au fil du temps, n’était jusqu’en 1992 qu’exceptionnellement
complété les principes issus du code civil belge accordé de préjudice extra-patrimonial.
(proche de notre code Napoléon), ceux d’une
responsabilité fondée sur la mise en évidence En Italie, l’article 2236 du Code Civil prévoit qu’en
d’une faute, d’un préjudice et d’une relation cas de difficultés techniques importantes, le prati-
de causalité entre la faute et le préjudice. Depuis cien de santé n’est pas responsable des dommages.
1998, la prescription en matière de responsabi- Cet article n’est en réalité que très parcimonieuse-
lité médicale est de 10 ans (art. 2262 bis du Code ment appliqué par la jurisprudence. L’Italie est le
Civil belge). Les patients ne peuvent mettre en seul pays d’Europe où toute procédure extra-judi-
cause devant les juridictions de droit commun ciaire d’indemnisation en matière d’accidents
que les praticiens, qu’ils appartiennent aux sec- médicaux est interdite. Il n’y a pas de possibilité
teurs public ou privé, et pas les établissements. d’action récursoire des caisses de sécurité sociale
La « loi relative aux droits du patient », du 22 août contre le responsable du dommage.
2002 [3] insiste sur le droit du patient à des pres- En Grèce, les articles 914 à 938 du Code Civil
tations de qualité répondant à ses besoins (art. 5), reconnaissent le principe d’une responsabilité
au libre choix du praticien (art. 6), à être tenu médicale pour faute. L’action récursoire des assu-
informé sur son état de santé et l’évolution pro- rances sociales contre le responsable est en théorie
bable (art. 7, § 1), à consentir librement à toute autorisée mais n’est en pratique jamais utilisée. Il
intervention du praticien (art. 8, § 1) après avoir est tenu un compte très particulier dans ce pays
été mis au courant des effets secondaires et ris- du préjudice esthétique éventuel.
ques inhérents à l’intervention et pertinents Au Luxembourg, le droit de la réparation du dom-
pour le patient (art. 8, § 2), à la protection des mage corporel est à l’image de celui qui existait en
informations privées qui concernent sa santé et à France avant la loi du 4 mars.
la conservation en lieu sûr de son dossier (art. 9, Aux Pays-Bas, il repose sur les articles 1406 (en ce
§ 1), mais aussi sur son droit à introduire une qui concerne les décès) et 1407 (pour ce qui est des
plainte auprès du médiateur compétent (art. 11, dommages corporels) du Code Civil néerlandais.
§  1). Tous ces droits s’exercent en l’absence Mais le système ne déroge ici qu’exceptionnelle-
actuelle de réforme du principe de responsabilité ment, y compris en matière d’infection nosoco-
médicale pour faute, bien que de nombreux pro- miale, au dogme de la responsabilité pour faute
jets de loi visant à permettre l’indemnisation des prouvée par le patient (au maximum il est fait
accidents médicaux sur le fondement du risque usage de la technique du renversement de la
soient en cours d’étude (voir par exemple le pro- charge de la preuve). Contrairement à la situation
jet de mars 2003) [4]. belge, ce sont les hôpitaux hollandais qui indem-
La réparation est dans tous les cas établie in nisent les victimes de sinistres, même lorsque
concreto, appréciée au jour du jugement et plutôt ceux-ci sont engendrés par des praticiens privés
généreuse, comparativement à celle des voisins qui exercent en leur sein. Une procédure amiable
européens. et rapide existe pour les montants ­d ’indemnisation

479
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

peu élevés sans possibilité d’appel lorsque la com- Reconnus comme indépendants, rapides et objec-
mission d’arbitrage qui en connaît a rendu son tifs, les bureaux d’expertises ne sont saisis que
avis. Le patient qui n’a pas tenté la conciliation dans un tiers des cas de sinistres environ et
préalable dans un tel cas peut ultérieurement être concluent alors à la faute (manque de diligence du
condamné par les tribunaux à rembourser les médecin, dommage physique et/ou moral et lien
frais de procédure. Le montant moyen des indem- de causalité entre les deux) dans 30 % des cas
nisations hollandaises est réputé peu élevé. (783 fautes de diagnostic et de traitement avérées
En Autriche, au cours de l’année 2001, des procé- sur 2 587 expertises effectuées de 1982 à 2001) [5].
dures ont été mises en place pour que les victimes Toutefois, ce chiffre est actuellement en augmen-
de certains accidents médicaux non fautifs lourds tation, pouvant dépasser désormais les 50 %.
survenant dans les hôpitaux publics puissent Chargé de fournir les bases d’un arrangement
bénéficier d’une indemnisation. Pour le reste, le amiable, l’expert se prononce, à l’issue d’une pro-
système autrichien reste proche de celui de son cédure contradictoire, sur l’existence d’une faute
voisin allemand. de diagnostic ou de traitement. Son rapport est
fourni aux parties dans les trois ou quatre mois,
Enfin, la « common-law » reconnaît en Irlande,
mais ses conclusions n’engagent pas les parties,
comme au Royaume-Uni, le principe, appliqué
qui peuvent, en cas d’échec, utiliser le rapport
strictement, de responsabilité pour faute. Le calcul
d’expertise auprès des tribunaux. Le montant
de l’indemnisation s’y fait sur un mode analogi-
moyen des indemnisations en Suisse a la réputa-
que, par référence à la situation la plus proche
tion d’être l’un des plus élevés d’Europe.
décrite dans la jurisprudence.

En Suisse (hors l’Union Les pays scandinaves


Européenne) Nous verrons successivement la Suède, le
Les règles du droit commun de la responsabilité Danemark et la Finlande. La situation en Norvège
s’appliquent aux affaires médicales, via les tribu- et en Islande (hors l’Union Européenne) est sensi-
naux et la notion de contrat de mandat, mais la blement identique.
Fédération des médecins helvétiques (FMH), qui
regroupe environ 90 % du corps médical, a insti- La Suède
tué, en 1982, deux « bureaux d’expertises extra-
judiciaires » qui mettent à la disposition des Elle a institué en 1975 un protocole d’indemnisa-
patients un réseau d’experts dans le but de favori- tion des accidents thérapeutiques qui envisageait
ser les transactions amiables. Tout médecin mem- l’indemnisation de certains patients en dehors de
bre de la fédération est tenu de se soumettre aux toute faute médicale. Celui-ci a été remplacé le
procédures d’expertise prônées par celle-ci, qui 19  juin 1996 par un texte législatif, entré en
est en règle saisie par le patient lui-même et quel- vigueur le 1er janvier 1997 [6]. L’article 6 de la loi
quefois par le médecin (si le patient ne s’y oppose prévoit que l’indemnisation du préjudice subi par
pas). Il faut cependant, pour que cette saisine les patients couvre les dommages subis, à condi-
puisse prospérer, qu’il existe une faute au moins tion qu’il existe une forte probabilité que le dom-
probable, même discutée par le médecin, et qu’on mage ait été causé par :
puisse supposer que l’expertise contribuera à pré- • un examen médical, des soins, un traitement ou
ciser l’origine du dommage et les droits du patient tout autre acte comparable, dans la mesure où le
(ce qui s’apparente quelque peu à la procédure du dommage aurait pu être évité, soit en exécutant
référé judiciaire en France). différemment la méthode choisie, soit en choi-
L’expertise coûte au patient quatre fois plus sissant une autre méthode disponible et pour
lorsqu’il existe un doute sur la validité de ses laquelle une expertise médicale aurait conclu
motifs ; cette somme ne lui sera pas remboursée si qu’elle pouvait satisfaire aux besoins du patient
l’expertise confirme que la réclamation était injus- d’une manière moins risquée pour sa santé ;
tifiée (un tel procédé pourrait certainement éviter • un défaut dans l’instrument technique ou le
la prolifération de plaintes abusives en France). matériel médical utilisé pour l’examen, pour les

480
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

soins, pour le traitement ou pour tout autre acte Danemark. Celles qui ont donné droit à indemni-
comparable, ou une utilisation incorrecte de cet sation concernaient dans 30 % des cas des aléas
instrument ou matériel ; thérapeutiques et dans 40 % la non-application de
• un diagnostic incorrect ; la règle de l’art. Le délai moyen d’examen des dos-
siers est de 5 à 7 mois, l’indemnité versée est pla-
• la transmission de germes provoquant une infec-
fonnée, la négligence grossière de la victime peut
tion par suite d’un examen, de soins, d’un trai-
exclure toute réparation.
tement ou de tout autre acte analogue (mais avec
de fortes restrictions de principe, que nous
reverrons) ; La Finlande
• un accident survenu dans le cadre d’un examen, La situation est ici sensiblement comparable à
de soins, d’un traitement, ou de tout autre acte celle de la Suède. La loi du 25 juillet 1986 [8] est
comparable, ou lors du transport du malade ou cependant plus précise dans ses termes que la loi
d’un incendie ou de tout autre dommage sur- suédoise de 1996. Des critères objectifs listés
venu dans l’utilisation de l’équipement médical déterminent la possibilité d’obtenir une indemni-
ou sur les lieux de soins, sation. Les dommages mineurs en sont exclus.
• la prescription ou la délivrance de médicaments, Particuliers dans cette loi sont le recours à la
contraire aux indications ou instructions notion de disproportion entre la gravité du dom-
réglementaires. mage et l’état de santé préalable du patient ainsi
que la définition restrictive de l’infection nosoco-
miale. Le patient s’adresse, presque automatique-
Le Danemark ment en cas de sinistre à l’assureur du professionnel
de santé responsable, selon un schéma d’assurance
Il a adopté, à l’instar de la Suède, le 6 juin 1991, directe propre à tous les pays scandinaves (Islande
une loi entrée en vigueur le 1er juillet 1992 [7]. et Norvège comprises).
Celle-ci a été complétée en juin 1999 pour s’appli-
En résumé, on peut dire que les systèmes français
quer non plus seulement aux établissements
et scandinaves assurent à la victime la plus large
publics et privés signataires d’une convention de
indemnisation en Europe. Ils s’opposent pourtant
gestion avec les pouvoirs publics, mais aussi aux
sur bien des points, tant juridiques que procédu-
spécialistes libéraux qui reçoivent des patients
raux, et c’est ce que nous allons maintenant tenter
adressés par le secteur public. Les critères d’in-
d’approfondir, en prenant pour modèle des systè-
demnisation sont proches de ceux retenus par la
mes scandinaves le plus ancien d’entre eux, celui
Suède, mais l’indemnisation est exclue dans les
de la Suède [9].
préjudices donnant lieu à une indemnisation
financièrement peu élevée (inférieure à 1 500 € en
2004). Le délai de prescription est de 5 ans après la
« connaissance du préjudice subi et de 10 ans après Comparaison des systèmes
la survenue de ce dernier » (art. 19). Comme dans français et suédois d’indemnisation
la loi suédoise, pour statuer sur une infection
nosocomiale, il convient de tenir compte « de la Il convient d’envisager d’abord la définition de
sévérité de la complication et pour partie de la l’accident indemnisable dans les deux pays, puis
maladie du patient et de son état général de santé » les modalités d’indemnisation, et enfin les points
(art. 2, al. 4). forts et les points faibles des deux systèmes.
Au Danemark, les patients adressent leur récla-
mation à « l’association pour l’assurance des L’accident indemnisable
patients ». Il n’y a pas d’hiatus entre le délai de
prescription pour le patient et la durée de couver-
en France et en Suède
ture du praticien par son assurance (en particulier Si la définition de l’accident indemnisable dans les
à partir de sa cessation d’activité). deux systèmes est différente, c’est surtout le
Au cours des dix dernières années, environ 60 % domaine des inclusions-exclusions pour l’indem-
des demandes d’indemnisation ont été rejetées au nisation qui est déterminant.

481
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

Le principe national d’indemnisation des accidents médi-


caux (ONIAM) et donc vers la solidarité natio-
En France, le principe de la traditionnelle dichoto- nale. Une possibilité d’action récursoire (si la
mie accident fautif-accident non fautif subsiste, décision d’indemnisation émane d’un juge) ou
puisque le fondement de la responsabilité médi- subrogatoire (si l’indemnisation fait suite à une
cale est réaffirmé dans la loi du 4 mars 2002 [10] transaction avec la victime) de l’ONIAM à l’en-
comme étant la faute (art. L. 1142–1. – I de la loi contre des établissements existe en cas de man-
du 4 mars 2002), en dehors des défauts de produits quement caractérisé aux obligations en cette
de santé et des infections nosocomiales. matière, pour les préjudices situés au-dessus du
En Suède, le principe est celui de la responsabilité seuil de gravité (art. L. 1142–21, al. 2, et L. 1142–17,
pour risque et de l’indemnisation des accidents dernier alinéa, de la loi du 30 décembre 2002,
médicaux en fonction de critères objectifs listés, intégrés au Code de Santé Publique).
incluant à la fois des accidents fautifs et non fau- Le champ d’indemnisation est au contraire res-
tifs (art. 6 de loi 1996/799). treint dans les pays scandinaves, en particulier en
Il y a ici une véritable désolidarisation de l’in- Suède, par les critères d’entrée dans le système.
demnisation d’avec la recherche première de L’indemnisation ne peut se faire en effet « dans les
responsabilité, alors qu’un premier tri doit être cas où les circonstances sont telles que l’infection
fait en France, après la loi du 4 mars 2002, par doit être raisonnablement tolérée, en tenant
les Commissions régionales de conciliation et compte de la nature et du degré de sévérité de la
d’indemnisation (CRCI) en fonction de la notion maladie ou de la blessure, de l’état général du
de faute, les accidents fautifs devant être assu- patient et de la possibilité d’anticiper l’infection »
més et couverts par les assureurs de RCP des (section 6 de la loi, dernier alinéa).
professionnels, les accidents non fautifs ressor-
tissant au-dessus d’un seuil de gravité à la soli- En matière d’accidents non fautifs
darité nationale. Reste alors à savoir si le jeu des ou aléas
inclusions-exclusions dans les deux systèmes
contribue finalement à les éloigner ou à les En France, la notion de seuil de gravité, notion
rapprocher. essentiellement quantitative (25 % d’incapacité
permanente partielle, ou arrêt de travail de plus
de 6 mois, en une ou plusieurs fois dans la même
Inclusions-exclusions année (décret du 4 avril 2003) [11], bien que quel-
dans les deux lois ques situations « qualitatives » aient également été
Si l’on ne note pas de différence en matière d’in- prévues, est déterminante. Au-dessus de ce seuil,
demnisation pour accident « fautif » dans les deux l’indemnisation est assurée par l’ONIAM au titre
lois, bien que la notion elle-même de faute soit de la solidarité nationale. Au-dessous de ce seuil
envisagée différemment, il n’en est pas de même et en l’absence de faute médicale, la victime ne
pour les infections nosocomiales d’une part, pour pourra en règle être indemnisée, sauf si elle a
les aléas de l’autre. souscrit, à titre personnel, une assurance contre
les accidents de la vie.
En matière d’infections nosocomiales À l’opposé, en Suède (et dans les autres pays scan-
Le champ d’indemnisation est différent dans les dinaves), c’est en fonction de critères listés que,
deux lois. Il est désormais très large en France, même dans le cas d’accidents non fautifs, la vic-
puisque les établissements hospitaliers privés et time sera ou non indemnisée. Ainsi l’alinéa 1 de
publics, où sont effectués la grande majorité des la section 6 de la loi prévoit une indemnisation
actes invasifs, sont responsables de plein droit en dans le cas où « un examen médical, des soins, un
matière d’infections nosocomiales, s’ils ne peu- traitement ou toute autre mesure analogue a
vent rapporter la preuve d’une cause étrangère causé un dommage, à condition que le dommage
(art. L. 1142–1. – I, al. 2, loi du 4 mars 2002). ait pu être évité soit en réalisant de façon diffé-
L’existence d’un seuil de gravité ne vise ici qu’à rente le procédé choisi, soit… ». On voit ici que,
transférer, au-dessus du seuil, le poids de l’in- pour donner droit à indemnisation en Suède,
demnisation des établissements vers l’Office l’acte réalisé ne doit pas forcément avoir le carac-

482
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

tère d’un acte fautif. Le dommage entraîné ne primes d’assurance sont à ce jour restées modes-
doit pas non plus être particulièrement grave ni tes, en tout cas sans aucune commune mesure
supérieur à un seuil de gravité arbitraire. Situation avec leurs homologues françaises.
plus favorable pour le patient suédois que pour Quels sont les recours possibles, pour les victimes
« l’usager du système de santé » français. Qu’en non satisfaites de l’offre des commissions françai-
est-il alors des modalités d’indemnisation dans ses ou de l’assurance directe suédoise ? On l’a dit,
les deux pays ? le recours aux tribunaux est toujours possible en
France. L’un des buts de la loi du 4 mars 2002 était
de désengager les tribunaux du traitement des
Les procédures d’indemnisation affaires médicales les plus courantes, en transfé-
rant une partie de leur activité en cette matière
La majeure partie des indemnisations est assumée
vers les CRCI. Cet objectif semble déjà avoir été en
en France par les assureurs de RCP des praticiens
partie atteint en 2009. Dans les pays scandinaves,
et des établissements privés et publics. Seuls les
le recours à la saisine gratuite d’une Commission
accidents non fautifs ne sont pas couverts par eux,
d’indemnisation, sorte de bureau d’appel non
affirmation qui doit être nuancée cependant, au
juridictionnel, composé d’experts, de représen-
vu des évolutions jurisprudentielles, tant en droit
tants des usagers, des professionnels de santé et
administratif que privé, antérieures à la loi du
des assureurs, est toujours possible. Elle n’exclut
4 mars 2002 et qui peuvent se poursuivre après,
pas, en cas d’insatisfaction persistante des parties,
contra legem. Les décisions des tribunaux suprê-
le recours ultérieur aux tribunaux, selon la loi
mes avaient, pour des raisons d’humanité, consi-
1972 : 207 (the tort liability act) [12]. L’assureur de
dérablement élargi le domaine de la faute médicale.
RCP et les régimes d’assurance sociale ne sont
Ce qui explique que les assureurs étrangers de
titulaires d’une action subrogatoire envers le pra-
RCP médicale se soient à cette époque retirés du
ticien responsable, dans les pays scandinaves,
marché français, jugé trop coûteux, et que les
qu’en cas de faute volontaire ou de négligence par-
assureurs nationaux aient augmenté considéra-
ticulièrement grave.
blement leurs primes d’assurance pour les spécia-
lités les plus exposées dans le même intervalle de Au terme de cette comparaison, comment établir
temps. Par ailleurs, depuis la loi du 4 mars 2002, un bilan des deux systèmes ?
les victimes ont la possibilité d’une double saisine,
concomitante ou successive, pour accéder à une Les points faibles et les points
éventuelle indemnisation, celle des CRCI et celle forts des lois scandinaves
des tribunaux, civils ou pénaux pour le secteur dit
privé, administratifs et pénaux pour le secteur et françaises
public. Ils peuvent s’analyser sur deux plans : celui des
Dans les pays scandinaves à l’opposé, s’il n’existe différences dans l’esprit des textes législatifs et
pas d’interdiction formelle d’accéder d’emblée réglementaires, celui de leurs différences techni­
aux tribunaux, il s’avère en pratique que la quasi- ques.
totalité des sinistres est prise en charge par un
mécanisme dit d’surance directe. Il est direct en ce
Au plan technique
sens que les réclamations sont primitivement et
directement transmises aux assureurs des prati- Une des principales différences entre les lois
ciens ou établissements. Contrairement à ce que ­européennes, en particulier scandinaves, et la loi
l’acception française de la notion d’assurance française du 4 mars 2002 porte sur les délais
directe sous-entend, il faut insister ici sur le fait de  prescription. Cette durée est de 5 à 10 ans à
que le patient suédois ne cotise que symbolique- ­partir des faits dans les pays scandinaves (pour
ment pour cette assurance (quelques euros par mémoire elle est de 15 ans au maximum à partir
an). Les praticiens et établissements de santé doi- des faits ailleurs, soit par exemple 15 ans à partir
vent obligatoirement s’assurer, assumant ainsi le des faits en Espagne, 5 ans à partir de la
financement de l’association des assureurs- ­connaissance du dommage ou de l’identité de son
patient, organisme privé sous contrôle public. Les auteur aux Pays-Bas, 3 ans à partir des faits au

483
Partie III. L’expertise en réparation des préjudices liés à un dommage corporel

­Royaume-Uni). Elle est de 10 ans en France, à par- Au plan de l’esprit des lois
tir de la date de consolidation (art. L. 1142–28 de la
loi du 4 mars 2002), aussi bien désormais dans le Tous saisis de la nécessité d’assurer la couverture
secteur public que dans le secteur privé. Mais la plus large possible des victimes d’accidents
cette durée peut en réalité se prolonger jusqu’à médicaux, les divers systèmes d’indemnisation
30  ans voire plus, chez un mineur par exemple, européens sont cependant contraints par l’infla-
selon la date d’apparition des troubles et le tion sans fin des dépenses de santé d’une part,
moment où ils sont jugés stabilisés. C’est pourquoi par la crise économique de l’autre. Les pays scan-
les assureurs ont obtenu que leur couverture ne se dinaves ont un secteur de santé nationalisé (d’ins-
prolonge pas au-delà de 10 ans à partir de la cessa- piration beveridgienne, 80 % des actes environ
tion d’activité du praticien (art. L. 252–2, al. 5, loi étant effectués dans le secteur public), bien que la
du 30 décembre 2002), l’ONIAM assurant l’in- tendance y soit actuellement à la mise en concur-
demnisation des dommages qui se révéleraient rence directe des prestataires entre les différents
plus de 10 ans après la cessation d’activité profes- secteurs. Ils ne reconnaissent, comme d’ailleurs
sionnelle du responsable (art. L. 1142–15, al. 4, loi la majorité des pays européens (à l’exception de la
du 30 décembre 2002). France et de l’Espagne) qu’un seul type de juri-
diction pour connaître des sinistres médicaux.
Une autre différence technique réside dans l’exis- Mais en pratique les tribunaux ne sont qu’excep-
tence d’un plancher d’indemnisation dans les tionnellement saisis en cette matière, tant la
pays scandinaves, excluant les dommages réputés ­couverture par les divers systèmes spéciaux d’as-
mineurs, et de plafonds d’indemnisation cepen- surances est complète. L’adoption d’un principe
dant élevés (en Suède, ils sont approximativement de responsabilité médicale objective pour risque a
de 800 000 euros par patient et de 3 800 000 euros permis, dans cette partie de l’Europe, de déjudi-
par sinistre). À l’opposé, il n’existait en France ciariser les rapports patients-praticiens de santé,
jusqu’à la loi du 4 mars 2002 qu’un seul dogme, évitant de cette manière la démotivation des der-
celui de la réparation intégrale du préjudice. Mais niers. Cette démotivation fait craindre, dans cer-
si la loi du 4 mars 2002 n’a pas introduit de plan- tains pays non scandinaves, une désertification
cher d’indemnisation, elle a en revanche donné la relative des spécialités exposées (chirurgie, obsté-
possibilité aux assureurs de RCP de plafonner leur trique en particulier), qui ne serait pas compati-
propre indemnisation à la victime, en établissant ble avec le souci constant d’amélioration de la
des franchises pour leurs assurés praticiens de qualité de prise en charge des patients au niveau
santé. Le Bureau Central de Tarification, créé par national.
la loi de mars 2002, peut en effet décider d’appli-
quer une franchise fixe par sinistre et par année
d’assurance, ou une franchise proportionnelle
(dans la limite de 20 % du montant total de l’in- En conclusion
demnisation et avec un plafond tenant compte du
nombre d’années d’assurances, selon l’article La couverture de la responsabilité médicale en
R.  250–4–1 du décret du 28 février 2003) [13]. Europe est désormais entrée dans une période de
Cette fraction de l’indemnisation due à la victime crise. Les praticiens des spécialités dites à haut
restera en pareil cas à la charge du praticien (art. risque se voient confrontés, comme leurs assu-
L. 252–1, al. 2, loi du 4 mars 2002). Si l’ONIAM a reurs, à l’augmentation du coût des accidents
transigé avec la victime et qu’il estime que la res- médicaux. Les pays de l’Union ont, à ce jour,
ponsabilité d’un professionnel est engagée, il dis- entrepris de régler ce problème de différentes
posera d’une action subrogatoire contre celui-ci manières. La majorité d’entre eux (tous pratique-
(art. L. 1142–17, dernier alinéa, loi du 4 mars ment, hormis les pays scandinaves et la France, et
2002). C’est dire que le praticien responsable dont à un moindre titre l’Autriche) n’acceptent d’in-
le contrat d’assurance de RCP comporte une fran- demniser que l’accident médical fautif, et ceci
chise pourra dorénavant être redevable sur son nonobstant les évolutions jurisprudentielles qui
propre patrimoine de la somme qui, dans la répa- ont contribué, dans certains cas, à élargir le
ration intégrale du préjudice, dépasserait le pla- domaine de la faute médicale (« obligation de
fond assumé par son assureur. sécurité de résultat »), voire ont introduit quel-

484
Chapitre 10. L’indemnisation des préjudices liés à un dommage corporel

ques rares cas d’indemnisation pour responsabi- cations de la biologie et de la médecine. Oviedo le
lité sans faute. La France et les pays nordiques (et 4 avril 1997.
plus timidement l’Autriche) ont, pour leur part, [3] Loi belge relative aux droits des patients, publiée au
développé des lois et règlements plus protecteurs Moniteur Belge. le 26 septembre 2002.
pour les patients. La première grâce aux lois du [4] Projet de loi belge relative à l’indemnisation des
4 mars et du 30 décembre 2002 et à leurs décrets ­dommages liés aux soins de santé, mars 2003,
29 articles.
d’application, qui ont introduit la possibilité
[6] Loi suédoise relative à l’indemnisation des patients,
­d ’indemniser les accidents médicaux non fautifs
the patient damages act, n° 1996, du 19 juin 1996 :
(aléas), au-dessus d’un seuil de gravité. Les 799.
seconds en fondant la responsabilité médicale, [5] Rapport annuel du Bureau d’expertises de la
depuis 30 ans environ, sur la notion objective de FMH. Bulletin des médecins suisse. 2002 ; 83 n° 34 :
risque. L’incitation à la prévention des accidents 1  65–1 770.
médicaux et à la gestion des risques est seule [7] Loi danoise sur l’assurance-patient, (consolidated)
capable d’entraîner la raréfaction des sinistres et patient insurance act, act n° 367, 6 juin 1991.
l’effort constant vers la qualité des soins. Quant à [8] Loi finnoise n° 585/86, du 25 juillet 1986 ; patient
l’harmonisation des techniques d’indemnisation injury act.
des accidents médicaux en Europe, si elle est un [9] Protocole suédois d’assurance de responsabilité
objectif louable et nécessaire à terme, elle reste en envers les patients, dispositions au 1er janvier 1988.
pratique embryonnaire, en l’état actuel des cho- [10] Loi n° 2002–303, du 4 mars 2002, relative aux droits
ses et malgré des travaux théoriques assez avan- des patients et à la qualité du système de santé,
cés des juristes et assureurs [14]. Elle nécessitera, JO n° 54, du 5 mars 2002, p. 4118.
entre autres, que la définition des divers postes de [11] Décret n° 2003–314, du 4 avril 2003, relatif au carac-
préjudices soit à nouveau précisée et respectée de tère de gravité des accidents médicaux. JO n° 81 du
5 avril 2003, p, 6114.
manière homogène à travers l’Europe.
[12] Loi suédoise sur la responsabilité, tort liability act,
n° 1972–207 du 2 juin 1972, encore nommée « the
damages act ».
Bibliographie
[13] Décret n° 2003–168, du 28 février 2003, relatif au
[1] Résolution (75) 7, adoptée par le Comité des Ministres Bureau central de Tarification et modifiant le Code
le 14 mars 1975, lors de la 243e réunion des Délégués des Assurances (partie réglementaire). JO n° 52, du
des Ministres, relative à la réparation des dommages 2 mars 2003, p. 3733.
en cas de lésions corporelles et de décès. [14] Hubinois P – Législations et indemnisations de la
[2] Convention pour la protection des droits de l’homme complication médicale en France et en Europe. Thèse
et de la dignité de l’être humain à l’égard des appli- de droit. Bruylant édit. Bruxelles 2006.

485
Textes relatif  

aux interventions
des experts
Mise à jour décembre 2006

Nouveau code de procédure civile De l’instruction :


Les principes directeurs du procès : articles 4 à 8, • des auditions de témoins : article 105 ;
9, 11, 14 à 16. • de l’expertise : articles 157 à 169-1.
L’administration judiciaire de la preuve -Les Des frais de justice :
­pièces : articles 132 à 139. • honoraires et indemnités des experts :
Les mesures d’instruction : art 144 à 173.
– règles générales : articles R. 106 à R. 115,
Les vérifications personnelles du juge : article 181.
– médecine légale : articles R. 116-1, R. 117,
Les comparutions personnelles des parties : arti-
cle 190. – toxicologie : article R. 118,
Les attestations : articles 200 à 202. – biologie : article R. 119,
L’enquêtes – témoins : article 215. – radio-diagnostic : article R. 120,
Mesures d’instruction exécutées par un techni- – psychologie légale : article R. 120-2 ;
cien : • du paiement et du recouvrement des frais :
• dispositions communes : articles 232 à 248 ; – présentation des états et des mémoires : arti-
• les constatations : articles 249 à 255 ; cles R. 222, R. 223,
• la consultation : articles 256 à 262 ; – procédure de certification : articles R. 224-1,
R. 224-2, R. 225,
• l’expertise :
– procédure de taxation : articles R. 226 à R. 227-1,
– la décision ordonnant l’expertise : articles 263
– voies de recours : articles R. 228 à R. 231,
à 272,
– paiement : articles R. 233, R. 234.
– les opérations d’expertise : articles 273 à 281,
– l’avis de l’expert : articles 282 à 284-1.
Code administratif – procédure –
La vérification et le recouvrement des dépens :
articles 713 à 718. l’expertise
Les contestations relatives à la rémunération des Nombre et désignation des experts : articles
techniciens : articles 724–725. R. 621-1 à R. 621-6.
Opérations d’expertise : articles R. 621-7, R. 621-8.
Code de procédure pénale Rapport d’expertise : articles R. 621-9, R. 621-10.
Des crimes et des délits flagrants : article 60. Frais de l’expertise : articles R. 621-11 à R. 621-14.

489
Annexes. Textes réglementaires et index

Les vérifications d’écriture : articles R. 624-1, Décret n° 96–652 du 22 juillet 1996, relatif à la
R. 624-2. conciliation et à la médiation judiciaires.
Les dépens : articles R. 761-1-4-5. L’arbitrage – décret n° 81-500 du 12 mai 1981 :
Loi n° 71-498 du 29 juin 1971, relative aux experts • règles communes : articles 1451 à 1456 ;
judiciaires. • l’instance arbitrale : articles 1460 à 1468 ;
Loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le • la sentence arbitrale : articles 1469 à 1475.
statut […] des experts judiciaires.
Tous ces textes sont accessibles dans les codes
Décret n° 74-1184 du 31 décembre 1974, relatif aux
respectifs et sur les sites internet de la FNCEJ et
experts judiciaires.
de légifrance. La FNCEJ doit prochainement
Décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, relatif publier un opuscule à ce sujet.
aux experts judiciaires (abroge le précédent).
Référence : Vademecum de l’expert de justice –
CNCEJ édit. Paris 2006
Conciliation et médiation
judiciaires
Loi n° 95–125 du 8 février 1995 : articles 21 à 26.

490
Index des lois, décrets,  

arrêtés et circulaires

1898 9 avril 1re loi sur les accidents du travail


1902 15 février 1re loi sur la santé publique en France
1938 1er juillet Loi modifiant la loi du 9 avril 1898
1945 19 octobre Ordonnances relatives à la création de la Sécurité sociale,
1946 30 octobre Loi n° 46–2426, portant prévention et réparation des accidents du travail et des
maladies professionnelles
1947 27 juin Décret n° 47–1169 portant code de déontologie médicale
1955 28 novembre Décret n° 55–1591 portant code de déontologie médicale
1959 14 février Décret n° 59–310, portant règlement d’administration publique et relatif aux
conditions d’aptitude physique aux emplois publics, à l’organisation des comités
médicaux et au régime des congés des fonctionnaires
1965 26 janvier Directive européenne classant le médicament dans une catégorie particulière
de produit
1967 21 août Ordonnance n° 67–706, portant sur l’organisation actuelle du régime général
de la sécurité sociale
1970 31 décembre Loi n° 70–1318, loi hospitalière
1971 29 juin Loi n° 71–498, relative aux experts judiciaires
1972 2 juin Loi suédoise sur la responsabilité – « Tort liability act, n° 1972–207»
19 septembre Résolution 72/31 du Conseil de l’Europe sur l’infection hospitalière
1973 27 décembre Loi relative à l’action récursoire de la Sécurité sociale
1974 31 décembre Décret n° 74–1184, relatif aux experts judiciaires
1975 17 janvier Loi n° 75-17 relative à l’interruption volontaire de grossesse
14 mars Résolution 75/7 du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages
en cas de lésions corporelles et de décès
2 juin Circulaire n° 75-9 du ministère de la Justice, relative aux experts judiciaires
30 juin Loi n° 75–534, d’orientation en faveur des personnes handicapées
5 décembre Décret n° 75–1123, instituant un nouveau code de procédure civile
1977 15 novembre Circulaire du Ministère de la Justice relative au vocabulaire juridique
1978 6 janvier Loi n° 78-17, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
17 juillet Loi n° 78–753, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre
l’administration et le public
25 juillet Directive communautaire n° 78/687, concernant la formation en odontologie

491
Annexes. Textes réglementaires et index

1981 2 février Loi n° 81–82, sécurité et liberté


12 mai Décret n° 81–500, instituant les dispositions des livres III et IV du CPC
15 mai Décret n° 81–582, relatif aux conciliateurs médicaux
1982 30 mars Ordonnance n° 82–290 relative à la limitation des possibilités de cumul entre
pensions de retraite et revenus d’activité
1983 23 février Décret n° 83–132 portant création d’un Comité Consultatif National d’Éthique
(CCME) pour les sciences de la vie et de la santé. JO du 25 février 1983
31 mai Loi n° 84–430, portant diverses mesures relatives aux prestations de vieillesse
8 juillet Loi n° 83–609 portant création d’une délégation parlementaire dénommée
« Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques »
21 juillet Loi relative à la sécurité des consommateurs de produits et de services
1984 4 juillet Circulaire du ministère des Affaires sociales et de la solidarité nationale portant
application du titre I de l’ordonnance n° 82–290 du 30 mars 1982 relative à la
limitation des possibilités de cumul entre pensions de retraite et revenus d’activité
9 juillet Loi n° 84–575, DDOS
25 octobre Recommandation n° R(84) 20 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe
1985 25 janvier Loi n° 85–99 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires liquidateurs
et experts en diagnostic d’entreprise
5 juillet Loi n° 85–877, (loi Badinter), tendant à l’amélioration de la situation des victimes
d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation
25 juillet Directive communautaire n° 85/374/CEE, relative aux rapprochements
des dispositions législatives réglementaires et administratives des États membres
en matière de responsabilité du fait des produits défectueux
1986 6 janvier Décret n° 86-15 pris en application de la loi du 5 juillet 1985 (loi Badinter)
18 mars Décret n° 86–658 modifiant diverses dispositions de procédure administrative
et contentieuse du code de la sécurité sociale
25 juillet Loi finnoise – « Patient injury act n° 585/86»
31 décembre Décret n° 86–1380, liste des affections comportant un traitement prolongé
et une thérapeutique particulièrement coûteuse mentionnée à l’article L. 322-3
du Code de la Sécurité sociale
1988 5 janvier Loi n° 88-16, relative à la Sécurité sociale
6 mai Décret n° 88–657 relatif à l’organisation de la surveillance et de la prévention
des infections nosocomiales
13 octobre Circulaire DGS n° 263 relative à l’organisation de la surveillance
et de la prévention des infections nosocomiales
20 décembre Loi n° 88–1138, relative à la protection des personnes qui se prêtent
à des recherches biomédicales
1989 10 juillet Loi n° 89–475, relative à l’accueil par des particuliers à leur domicile
à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapés adultes
20 juillet Décret n° 89–511, modifiant certaines dispositions de procédure civile
21 novembre Décret n° 89–854, adaptant les juridictions du contentieux technique
de la sécurité sociale au jugement des recours formés contre les décisions
des Commissions départementales de l’éducation spéciale
31 décembre Loi n° 89–1009, (loi Évin), renforçant les garanties offertes aux personnes
assurées contre certains risques

492
Index des lois, décrets, arrêtés et circulaires

1990 23 janvier Loi n° 90-86, portant diverses dispositions relatives à la Sécurité sociale
et à la santé
27 juin Loi relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison
de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation
20 septembre Décret n° 90–872, portant application de la loi n° 88–1138 du 20 décembre
1988 modifiée relative à la protection des personnes qui se prêtent à des
recherches biomédicales
9 novembre Directive européenne sur la responsabilité du prestataire de service
1991 14 mai Circulaire n° DH.4B/D.G.S. 3E/91-34 relative à l’amélioration des services
d’accueil des urgences dans les établissements hospitaliers à vocation générale :
guide d’organisation
6 juin Loi danoise sur l’assurance-patient – « Consolidated patient insurance act,
act n° 367»
31 juillet Loi n° 91–478, loi hospitalière
31 décembre Loi n° 91–1406, DMOS, art. 47, indemnisation des victimes de contamination
par le virus du sida suite à une transfusion
1992 30 mars Décret n° 92–329, relatif à la communication du dossier médical
et à l’information des personnes accueillies dans les établissements
de santé publics et privés
31 mars Directive européenne n° 92/27 concernant l’étiquetage et les notices
8 décembre Loi 92–1279 – 1re mention de la « matériovigilance »
16 décembre Loi n° 92–1336, modifiant la loi n° 88–1138 modifiée du 20 décembre 1988
1993 4 janvier Loi n° 93-2, portant réforme de la procédure pénale
24 août Loi modifiant la loi du 4 janvier 1993
20 décembre Loi quinquennale n° 93–1313, relative au travail, à l’emploi et à la formation
professionnelle
1994 18 janvier Loi n° 94-43, relative à la santé publique et à la protection sociale modifiant
notamment le Code de Santé publique
27 juillet Décret n° 94–666, relatif aux systèmes d’informations médicales
29 juillet Loi n° 94–653, relative au respect du corps humain, codifiée notamment
dans le Code civil, le Code pénal et le Code de la Santé publique
29 juillet Loi n° 94–654, relative aux dons et à l’utilisation des éléments et produits
du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic
prénatal, codifiée dans le Code de la Santé publique
1995 2 février Loi Barnier sur le droit de l’environnement
6 février Circulaire du Premier ministre, sur le développement du recours à la transaction
pour régler amiablement les conflits
8 février Loi n° 95–125, relative à l’organisation des juridictions et procédures civile,
pénale et administrative
1er mars Décret n° 95–234, relatif au dossier de suivi médical et au carnet médical
institués par l’article 77 de la loi n° 91-43 du 18 janvier 1994
13 mars Décret n° 95–278 concernant l’effet indésirable et le mauvais usage
du médicament
19 avril Circulaire DGS n° 17 relative à la lutte contre les infections nosocomiales
6 mai Circulaire DGS n° 95-22 relative à la Charte du patient hospitalisé

493
Annexes. Textes réglementaires et index

1995 9 mai Décret n° 95–647 relatif à l’accueil et au traitement des urgences


dans les établissements de santé et modifiant le code de la santé publique
9 mai Décret n° 95–648 relatif aux conditions techniques de fonctionnement
auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés
à mettre en œuvre l’activité de soins Accueil et Traitement des Urgences
et modifiant le code de la santé publique
6 septembre Décret n° 95–1000 portant code de déontologie médicale
1996 15 janvier Décret n° 96–32 relatif à la matériovigilance exercée sur les dispositifs médicaux
et modifiant le code de la santé publique
24 avril Ordonnances n° 96–344/345/346, portant mesures relatives à l’organisation
de la Sécurité sociale, à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins et portant
réforme de l’hospitalisation publique et privée
13 mai Loi n° 96–393 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence
ou de négligence – JO du 14 mai
19 juin Loi suédoise relative à l’indemnisation des patients – « The patient damages act,
n° 1996 : 799»
22 juillet Décret n° 96–652, relatif à la conciliation et à la médiation judiciaire
10 septembre Décret n° 96–785, relatif à l’expertise technique spécifique prévue à l’article
L. 141-2-1 du Code de la Sécurité sociale et modifiant le même code
1997 4 avril Convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité
de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine
30 mai Décret n° 97–615 relatif à l’accueil et au traitement des urgences dans les
établissements de santé ainsi qu’à certaines modalités de préparation des
schémas d’organisation sanitaire et modifiant le code de la santé publique
30 mai Décret n° 97–620 relatif aux conditions techniques de fonctionnement
auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés
à mettre en œuvre des services mobiles d’urgence et de réanimation
et modifiant le code de la santé publique
1998 20 avril Circulaire DGS/DH n° 98/249 relative à la prévention de la transmission
d’agents infectieux véhiculés par le sang ou les liquides biologiques lors
de soins dans les établissements de santé
19 mai Loi n° 98–389, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux
17 juin Loi n° 98–468 relative à la prévention et à la répression des infractions
sexuelles
1er juillet Loi n° 98–535 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle
de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme
23 décembre Loi n° 98–1194 de financement de la sécurité sociale pour 1999 (art. 15)
1999 4 mars Décret n° 99–144 concernant l’effet indésirable et le mauvais usage
du médicament
31 mars Arrêté relatif à la prescription, à la dispensation et à l’administration
des médicaments
6 mai Décret n° 99–362 fixant les modalités de transmission à l’autorité sanitaire
des données individuelles concernant les malades visées à l’article L. 11 du code
de la santé publique
6 mai Décret n° 99–363 fixant la liste des maladies faisant l’objet d’une transmission
obligatoire des données individuelles à l’autorité sanitaire
9 juin Loi n° 99–477 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs

494
Index des lois, décrets, arrêtés et circulaires

1999 27 juillet Loi n° 99–641 portant création de la Couverture Maladie Universelle -


consolidée au 1er septembre 2005
6 décembre Décret n° 99–1034 relatif à l’organisation de la lutte contre les infections
nosocomiales dans les établissements de santé
8 décembre Décret DGS/VS 2/DH DRT n° 9–680 relatif aux recommandations à mettre
en œuvre devant un risque de transmission du VHB et VHC par le sang
et les liquides biologiques
2000 17 janvier Décret n° 2000-35 portant rattachement de certaines activités au régime
général
27 janvier Avis n° 53 du CCNE sur l’acharnement thérapeutique
16 mai Directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil concernant
le rapprochement des législations des états membres relatives à l’assurance
de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs
et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE du Conseil - JO des CE,
L 181, 65–74 du 20.7.2000
30 mai Circulaire DH/E02/2000/295 relative à l’HAD
15 juin Loi n° 2000-516 renforçant la protection d’innocence et les droits des victimes -
JO du 16 juin, p. 9038
10 juillet Loi n° 2000-647 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels –
JO du 11 juille
21 juillet Arrêté de la Ministre de l’emploi et de la solidarité portant fixation
des cotisations forfaitaires et des assiettes forfaitaires pour les catégories
de personnes mentionnées dans le décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000 portant
rattachement de certaines activités au régime général
21 juillet Circulaire n° DSS/SDFGSS/5B.2000/430 relative à la mise en œuvre
des dispositions relatives au régime général de la sécurité sociale
des collaborateurs occasionnels du service public
29 décembre Circulaire DGS/DHOS/E2 n° 645 relative à l’organisation de la lutte contre
les infections nosocomiales dans les établissements de santé
2001 14 mars Circulaire DGS/5C/DHOS/E2/2001/138 relative aux précautions à observer lors
de soins en vue de réduire les risques de transmission d’agents transmissibles
non conventionnels (ATNC), p. 190
16 mai Décret n° 2001-437 fixant les modalités de transmission à l’autorité sanitaire
des données individuelles concernant les maladies visées à l’article L. 3113-1
du code de la santé publique
4 juillet Loi n° 2001-588 relative à l’interruption volontaire de grossesse
et à la contraception
26 juillet Décret n° 2001-671 relatif à la lutte contre les infections nosocomiales
dans les établissements de santé et modifiant le code de santé publique
(2e partie : Décrets en Conseil d’État) (signalement des infections nosocomiales)
30 juillet Circulaire DHOS/E2-DGS/SD5C n° 2001/383 relative au signalement
des infections nosocomiales et à l’information des patients en matière
d’infection nosocomiale dans les établissements de santé
2002 4 mars Loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé
29 avril Décret n° 2002-636 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues
par les professionnels et les établissements de santé en application des articles
L. 1111-7 et L. 1112-1 du code de la santé publique

495
Annexes. Textes réglementaires et index

2002 29 avril Décret n° 2002-656 relatif à la Commission nationale des accidents médicaux
prévue à l’article L. 1142-10 du code de la santé publique
29 avril Décret en Conseil d’État n° 2002-638 relatif à l’Office national d’indemnisation
des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales, institué par l’article L. 1142-22 du code de la santé publique
3 mai Décret n° 2002-886 relatif aux Commission régionales de conciliations
et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes
et des infections nosocomiales prévues à l’article L.1142-5 du code
de la santé publique
22 août Loi belge relative aux droits du patient, publiée au Moniteur Belge
le 26 septembre 2002
9 septembre Loi n° 2002-1138 d’orientation et de programmation pour la justice (dite Perben I)
27 septembre CE-n° 21 1370 - Infections nosocomiales. Le caractère endogène du germe est
une cause exonératoire de responsabilité de l’établissement de santé
30 décembre Loi n° 2002-1577 relative à la responsabilité médicale
2003 19 février Décret n° 2003-140 modifiant le code de la santé publique (relatif à la CNAM,
à l’ONIAM et aux CRCI)
28 février Décret n° 2003-168 relatif au Bureau central de tarification et modifiant le Code
des assurances
2 mars Décret n° 2003-168 relatif au Bureau central de tarification et modifiant le code
des assurances (partie réglementaire)
4 mars Arrêté du Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées relatif
aux pièces justificatives à joindre à une demande d’indemnisation présentée
à une Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents
médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales
4 avril Décret n° 2003-314 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux,
des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article
L.1142-1 du code de la santé publique (barème)
16 avril Circulaire n° 195/DHOS/01/2003 relative à la prise en charge des urgences
21 mai Décret n° 2003-462 relatif aux dispositions réglementaires des parties I, II et III
du code de la santé publique
1er août Loi n° 2003-706 de sécurité financière - JO du 2 août 2003
2004 11 février Loi n° 2004-130 réformant le statut de certaines professions judiciaires
ou juridiques, des experts judiciaires, conseils en propriété industrielle
et des experts en ventes aux enchères publiques
9 mars Loi 2004-204 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
(dite Perben II)
29 juillet Décret n° 2004-775 relatif à la réparation des conséquences des risques
sanitaires
6 août Loi 2004-800 relative à la bioéthique – JO n° 182 du 7 août 2004
9 août Loi 2004-806 relative à la politique de santé publique – JO du 11 août 2004
13 août Loi n° 2004-810 relative à l’assurance maladie

496
Index des lois, décrets, arrêtés et circulaires

2004 23 septembre Décret portant création d’un Comité technique des infections nosocomiales
et des infections liées aux soins
13 décembre Circulaire DHOS/DGS/E2/5C/2004/599 relative à la mise en œuvre
du programme national de lutte contre les infections nosocomiales 2005/2008
dans les établissements de santé
23 décembre Décret n° 2004-1405 relatif à l’inscription sur la liste des experts en accidents
médicaux prévue à l’article L.1142-10 du CSP et modifiant ce code (partie
règlementaire)
23 décembre Décret n° 2004-1463 relatif aux experts judiciaires
2005 4 février Projet d’ordonnance portant simplification du régime des établissements
de santé
11 février Loi n° 2005-102 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées
11 février 2 décrets visant à renforcer la sécurité des actes de chirurgie esthétique - JO
du 12/07/05
2 mars Décret n° 2005-213 relatif à la Commission des relations avec les usagers
et de la qualité de la prise en charge modifiant le CSP (partie règlementaire)
22 mars Loi n° 2005-270 relative aux droits des malades et à la fin de vie (dite loi
Léonetti)
11 mai Directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant …
la directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil sur l’assurance
de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs -
JO de l’UE, L149/14-21 du 11.6.2005
17 mai Décret n° 2005-481 modifiant le Code de déontologie médicale - JO du 18 mai 2005
2006 14 décembre Mise à jour du Code de déontologie médicale - Site du Conseil national de l’ordre
des médecins
21 décembre Loi n° 2006-1640 de financement de la sécurité sociale pour 2007 - JO n° 296
du 22 décembre 2006, p. 19315
2007 5 mars Loi 2007-291 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale - JO
du 6 mars, p. 4206
5 mars Loi 2007-294 relative à la préparation du système de santé à des menaces
sanitaires de grande ampleur - JO du 6 mars 2007
5 mars Loi n° 2007-308 portant réforme de la protection juridique des majeurs,
applicable à partir du 1er janvier 2009
2008 31 mars Décret portant reconnaissance d’une association dite « Conseil national
des compagnies d’experts de justice -CNCEJ » comme établissement d’utilité
publique - JORF du 2 avril 2008, p. 5510 - texte n° 8
17 juin Loi n° 2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile - JO
du 18 juin
30 juin Décret 2008-641 relatif aux médicaments disponibles en accès direct
dans les officines de pharmacie
2009 12 mai Loi n° 2009-526 de simplification et de clarification du droit et d’allègement
des procédures

497
Index de la jurisprudence  

consultée

Index chronologique
Les chiffres précédant la référence de jurisprudence correspondent aux renvois dans l’index thématique.

1835 18 juin 1 CC. Ch des requêtes – arrêt Thouret – Noroy (Sirey 1835, 1er part. p. 401) –
responsabilité médicale
1896 16 juin 2 CC. 1re ch. civ. – arrêt Teffaine – responsabilité médicale, 1923
1923 30 novembre 3 CE. – arrêt Couiteas – responsabilité administrative sans faute
1936 20 mai 4 CC. 1re ch. civ. – arrêt Mercier – responsabilité médicale
1937 1 juillet
er
5 CC. Bull. Crim., G.P. 1937. II, 358- atteintes volontaires à la vie
ou à l’intégrité de la personne humaine
10 octobre 6 CC. Bull. civ. I – responsabilité médicale, données acquises de la science
1938 18 mai 7 CE. – responsabilité administrative sans faute
1942 28 janvier 8 CC. Ch. des requêtes – Président M. Mazeaud – arrêt Teyssier – l’obligation
médicale d’information pour un médecin hospitalier public. Faute
détachable du service
1949 9 mars 9 CC. Bull. civ. I, n° 87
1951 19 mai 10 CC. Bull. civ. I – information médicale – obligation d’obtention
de l’assentiment du malade
29 mai 11 CC. Bull. civ. I – la charge de la preuve sur l’information médicale
1952 27 novembre 12 Tribunal des conflits – responsabilité de l’expert sur mission judiciaire
1954 21 janvier 13 CC. – Juris Classeur périodique 54, II, 8050 – médecine d’urgence
1955 15 novembre 14 CC. Bull. civ. – responsabilité du médecin du fait d’autrui
16 novembre 15 CE. – responsabilité administrative hospitalière
1956 23 novembre 16 CC. – responsabilité de l’expert sur mission judiciaire, 1957
9 janvier 17 CE. – responsabilité administrative hospitalière
18 décembre 18 CE. – responsabilité administrative hospitalière
1958 7 mars 19 CE. – arrêt Dejous – responsabilité administrative hospitalière
12 mars 20 CA. Pau – responsabilité du fabricant de médicaments
1959 4 février 21 CC. Bull. civ. I n° 72 – responsabilité du fabricant de médicaments
18 février 22 CA. Nîmes, JCP 1959. II. 11374, note R. Vienne – affaire du « pain
empoisonné de Pont-Saint-Esprit » – responsabilité civile de l’expert judiciaire

499
Annexes. Textes réglementaires et index

1960 18 octobre 23 CC. Bull. civ. – arrêt Welti/Murat – responsabilité du médecin du fait
d’autrui
1961 21 février 24 CC. Bull. civ. I – information médicale
1963 29 octobre 25 CC. 1re ch. civ. – responsabilité médicale vis à vis d’un remplaçant
30 octobre 26 CC. Bull. civ. – responsabilité médicale, manquement à la conscience
technique
1964 19 octobre 27 CA Nîmes – information médicale
1965 30 mars 28 CA Paris – Responsabilité du médecin expert judiciaire
2 décembre 29 CC. Ch. crim. – GP 66. 1132 – causalité indirecte
1966 24 novembre 30 CC. Bull. civ. II, n° 920, p. 642 – l’erreur initiale de diagnostic
1967 6 avril 31 CC. 1re ch. civ. – pourvoi n° 6611194 – arrêt Ruellan – responsabilité civile
de l’expert judiciaire
20 décembre 32 CC. Bull. crim. – arrêt dit « du Roi des Gitans » – secret médical
1968 5 février 33 CC. Bull. com., n° 50, p. 27 – arrêt Maillard – responsabilité civile
de l’expert judiciaire
25 mars 34 CC. Bull. civ. – notion de perte de chance
28 mai 35 CC. Bull. crim. – secret médical, dossier et procédure de divorce
11 décembre 36 TGI Paris – responsabilité du fabricant de médicaments
1969 17 novembre 37 CC. 1re ch. civ. – le manquement à l’obligation médicale d’information
n’est pas une faute devant une juridiction pénale
1970 26 janvier 38 CC. Bull. civ. – aléa médical
27 janvier 39 CC. Bull. civ. – arrêt Faivre/ Chicheportiche – co-responsabilité médicale,
obligation du contrôle
11 avril 40 CC. Bull. crim. – le manquement à l’obligation médicale d’information
n’est pas une faute devant une juridiction pénale
4 juillet 41 CA. Paris – Lab. Daniel Brunet – responsabilité du fabricant
de médicaments
17 novembre 42 CC. Bull. civ. – notion de perte de chance
1971 26 février 43 CE. – l’expert auxiliaire de justice
1973 17 mai 44 CC. Bull. crim. n° 228, p. 543 ; D 973 p. 482, note Doll – secret medical,
médecin-conseil d’assurances
1974 4 janvier 45 CC. Bull. Civ. I – responsabilité médicale – données inconnues au moment
des faits
1976 17 juin 46 CC. Ch. Crim. 1976 n° 220 – prestation de serment
30 juin 47 CC. 2e ch. civ. n° 220 – responsabilité vis à vis du médicament
1977 2 décembre 48 CA. Paris – arrêt définissant le « préjudice esthétique »
1978 2 mai 49 CC. Bull. civ. – notion de perte de chance
1979 14 février 50 CA. Rouen – Lab. Auclair – responsabilité du fabricant de médicaments
1981 25 novembre 51 CA. Rouen – Lab Vetex – responsabilité du fabricant de médicaments
26 novembre 52 CA Paris – absence, en droit, de méthode obligatoire pour évaluer
une incapacité restante
1982 20 janvier 53 CC. Bull. civ. – Co-responsabilité médicale en psychiatrie – contrôle
10 avril 54 CE. – arrêt époux V… (Vergoz) – responsabilité administrative – abandon
de la faute lourde

500
Index de la jurisprudence consultée

1983 28 janvier 55 Trib. Correct. Draguignan – médecine d’urgence


9 mai 56 CC. Bull. civ. – information médicale
12 juillet 57 CC. Bull. civ. – responsabilité du médecin du fait d’autrui
1984 27 janvier 58 TGI Thonon les Bains – Lab. Bouchara – responsabilité du fabricant
de médicaments
28 février 59 CC – arrêt Pougheon – infection nosocomiale
29 mai 60 CC. Bull. civ. I – arrêt Toty et Savart – co-responsabilité médicale,
contrôle, information médicale
26 juin 61 CC. Ch. crim. – arrêt Guimber – barême d’incapacité fonctionnelle
18 juillet 62 CC. Bull. crim. – secret médical
9 octobre 63 CC. Bull. civ. I – arrêt Simon – responsabilité du médecin du fait d’autrui
11 décembre 64 CC. Bull. civ. – caractère individuel de la responsabilité médicale
1985 23 avril 65 CC. Bull. civ. I n° 125 – responsabilité du fabricant de médicaments
29 octobre 66 CC. Bull. civ. – obligation de sécurité de résultat du fait des choses mises
en œuvre
12 novembre 67 CC. Bull. civ. I – responsabilité médicale – données inconnues au moment
des faits
12 décembre 68 TGI Nanterre – Lab. Squibb – responsabilité du fabricant de médicament
1986 11 février 69 CC. Bull. civ. – information médicale – perte de chance
8 avril 70 CC. Bull. civ. I – arrêt Thorens/Toraude et Labaz, n° 197 P – responsabilité
du fabricant de médicaments
30 mai 71 CC. Ass. Plen. – arrêt Farcat – responsabilité médicale conjointe
et partagée
2 septembre 72 CC. Ch. Crim. 1986 n° 251 – constatations (alcoolémie)
6 octobre 73 CC. Ch. Crim. 1986 n° 270 – constatations (alcoolémie)
8 octobre 74 CC. 2e ch. civ., GP 1986, 2, Som. p. 281 – arrêt Redaud – responsabilité
civile de l’expert judiciaire
9 décembre 75 CC. – arrêt Briois – infection nosocomiale
1987 20 janvier 76 CC. Bull. Civ. – contenu de l’information
25 mai 77 CC. 1re ch. civ. – responsabilité médicale vis à vis d’un remplaçant
8 décembre 78 CC. Bull. civ. – co-responsabilité médicale du clinicien vis à vis des résultats
d’examens complémentaires
1988 29 mai 79 CA Versailles – responsabilité civile de l’expert judiciaire
7 juin 80 CC. Ch. Crim. 1988 n° 258 – constatations (groupe sanguin)
15 novembre 81 CC. Bull. civ. – obligation de sécurité de résultat du fait des choses mises
en œuvre
9 décembre 82 CE. – arrêt Cohen – infection nosocomiale – présomption de faute
ou faute incluse
1989 2 février 83 CC. Civ. – JCP 90 – 21544 – application de la théorie de la causalité
adéquate ou objective
8 février 84 CC. 1re Ch. Civ., JCP 90-21544 – causalité adéquate ou objective
18 mai 85 CC. Bull. civ. I, p. 136 ; D. 1989. IR. 182 ; Rev. Trim. Dr. civ. 1989, 617,
obs. Perrot – secret médical – principe de la contradiction – représentant
des parties

501
Annexes. Textes réglementaires et index

1989 31 mai 86 CC. Bull. civ. – co-responsabilité médicale – contrôle


7 juin 87 CC. Bull. civ. I – arrêt Petit, n° 232 – responsabilité du fabricant
de médicaments
23 juin 88 CE., Led. 146, concl. M. Levis, AJDA1989, 424 – devoir de conciliation
en juridiction administrative
28 juin 89 CC. 1re ch. civ. – responsabilité médicale –définition, infections
nosocomiales
7 juillet 90 CA Paris, GP 92-2752 – causalité – équivalence des conditions
2 octobre 91 TGI Paris, JCP 1990, II, 21518 – délégation à un mandataire de justice
29 novembre 92 CC. 1re ch. civ. – arrêt Matsoukis – infection nosocomiale – présomption
de faute
1990 24 janvier 93 CC. Bull. civ. – co-responsabilité médicale – contrôle
7 février 94 CC. Bull. civ. Arrêt Herard/Jugnet – information médicale- perte de chance,
refus du risque,
14 février 95 CC. Bull. civ. – responsabilité du fabricant de médicaments
23 avril 96 CA. Aix en Provence, 7e ch.; D. 1991, Som. p. 360, note J. Penneau –
atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne humaine –
transsexualisme
12 juin 97 CC. Bull. civ. – obligation de sécurité de résultat du fait des choses mises
en œuvre
21 décembre 98 CAA. Lyon – arrêt Gomez – responsabilité administrative sans faute
1991 3 janvier 99 CC. 1re ch. civ. – secret médical et communication du dossier médical,
information médicale
4 avril 100 CC. 1re ch. civ. n° 131 – responsabilité vis-à-vis des médicaments, p. CC., 1
30 mai 101 CC. Bull. crim. 1991 n° 232 – atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité
de la personne humaine – transsexualisme
6 juin 102 CC. Bull. ch. soc. – arrêt Quesnel – nature juridique de l’activité d’expert
judiciaire
14 juin 103 CE. – arrêt Bailly – infection nosocomiale – présomption de faute ou faute
incluse
1992 14 janvier 104 CC. Bull. civ. I – arrêt le Quang – information médicale
2 avril 105 CC. Ch. crim. – information médicale en milieu hospitalier publique –
manquement, faute détachable du service
25 juin 106 CA. Versailles – Lab. Nativelle – responsabilité du fabricant
de médicaments
11 décembre 107 CC. Ass. Plen. – transsexualisme
16 décembre 108 CC. Bull. crim. n° 424 p. 1189 – secret médical, p. arrêt du 18 janvier 2000)
il lu
1993 9 avril 109 CE. – arrêt Bianchi – responsabilité administrative sur la base de l’aléa
médical
2 juin 110 CC. 1re ch. civ. – information médicale en milieu hospitalier publique –
manquement, faute détachable du service
21 juillet 111 CA. Versailles, D. 93 – IRP 235 – causalité et perte de chance
1994 3 mai 112 CA. Paris 17e chambre – arrêt définissant le « préjudice fonctionnel
d’agrément »

502
Index de la jurisprudence consultée

1994 11 mai 113 CC. 3e ch. civ. n° 863 – responsabilité vis-à-vis du médicament
22 novembre 114 CC. Bull. civ. – obligation de sécurité de résultat du fait des choses mises
en œuvre
20 décembre 115 CC. Bull. civ. – arrêt Lhomme – responsabilité médicale contractuelle –
obligation de moyens
1995 17 janvier 116 CC. Bull. civ – arrêt dit « du cerceau brisé » – responsabilité du fait des choses
15 novembre 117 CC. 3e ch. civ. n° 2009 – responsabilité du fabricant de médicaments
5 décembre 118 CC. Ch. com. n° 2100 – responsabilité du fabricant de médicaments
1996 25 janvier 119 CA. Versailles – Lab. Leo – responsabilité du fabricant de médicaments
21 avril 120 CC. Ch. Crim. 1996 n° 2075 X/MP – examen médical contradictoire
en procédure pénale
21 mai 121 CC. Bull. civ. – arrêt Bonnici – infection nosocomiale – présomption
de faute
20 novembre 122 CC. Bull. crim. n° 417, p. 1211 – causalité et perte de chance en matière
pénale
1997 7 janvier 123 CC. 1re ch. civ. – arrêt Franchot – le manquement à la conscience
technique – obligation de sécurité de résultat en matière technique
25 février 124 CC. Bull. civ. I – arrêt Communauté urbaine de Lyon – Goenvic –
responsabilité médicale – obligation de moyen
125 CC. Bull. civ. I, n° 75 – arrêt Hédreul n° 426 – information médicale –
charge de la preuve – qualité de l’information
18 mars 126 CEDH – arrêt Mantovanelli/France – respect du principe de la contradiction
18 mars 127 CC. Bull. civ. I – arrêt Audat et a. – méconnaissance du code
de déontologie médicale
19 mars 128 CC. Bull. civ. II, n° 86 – le droit au refus de soins
29 avril 129 CC. Bull. civ. I – charge de la preuve de l’information pour les professions
tenues à une telle obligation
8 juillet 130 CC. Bull. civ. I, n° 238, arrêt Roco n° 1405 – Rapp. Ann. CC. 1997
p 274– erreur initiale de diagnostic – responsabilité
131 CC. Bull. civ. I, n° 239, arrêt Meurice – n° 1407 – Rapp. Ann. CC. 1997
p. 274 – erreur initiale de diagnostic – responsabilité
14 octobre 132 CC. Bull. civ. I, n° 1564 – arrêt Guyomar – contenu de l’information
médicale et modalité de preuve de l’information
28 octobre 133 CC. Bull. civ. I, n° 297 – personne à informer –aptitude à recevoir
l’information
134 CC. Bull. civ. I, n° 298 – arrêt Poggiolini – qualité de l’information
médicale – responsabilité médicale conjointe
3 novembre 135 CE. – arrêt hôpital Imbert d’Arles – information – risque grave
25 novembre 136 CC. Bull. civ. – arrêt n° 1836 – un cas de non-rétroactivité de jurisprudence
1998 17 février 137 CC. Bull. civ. I, n° 67 – arrêt UAP et Blanquart – information en matière
de traitement à visée esthétique
3 mars 138 CC. Bull. civ. I, n° 94 et 95 – rapp. ann. CC 1998 p. 277 – responsabilité
du fabricant de médicaments – application de la directive CEE n° 85/374
du 27 juillet 1991
3 mars 139 CC. Bull. civ. I, n° 429 D – preuve de l’information et du consentement

503
Annexes. Textes réglementaires et index

1998 3 mars 140 CC. Bull. civ. I – arrêt Chuine, n° 430 D – information sur alternative
thérapeutique – choix du patient
8 avril 141 CC. Bull. crim. n° 138, p. 368 – conception générale et absolue du secret
médical
28 avril 142 CC. Bull. civ. I, n° 158 – JCP 1998 II 10088 – contamination par le virus
de l’immuno-déficience humaine – application de la directive CEE
n° 85/374 du 27 juillet 1991
27 mai 143 CC. Bull. civ. I – arrêt « Médicale de France » – Thévenot, n° 939 –
information médicale sur tous les risques graves
16 juin 144 CC. – arrêt clinique Belledonne – infection nosocomiale
24 juin 145 CC. Ch. Civ. – accident de la circulation – loi du 5 juillet 1985
7 juillet 146 CC. – pourvoi n° 96-19.927 : Juris – Data n° 1998 – 003296 – obligation
faite au médecin d’entretenir et de perfectionner ses connaissances
147 CC. – arrêt Llamas – infection nosocomiale
7 octobre 148 CC. Bull. civ. I, n° 1567 – la limitation thérapeutique de l’information
149 CC. Bull. civ. I, n° 1568 – la limitation thérapeutique de l’information –
limite d’une plainte pour perte de chance
9 novembre 150 CC. Ch. crim. n° 6553 – responsabilité du fabricant de médicaments
16 novembre 151 CE. – arrêt Reynier – médecine d’urgence, p. affaire Reynier, 16 novembre
1998). Le renvoi au domicile d’une patiente présentant une em
19 novembre 152 CA. Paris –Juris-Data, n° 023476 – médecine d’urgence
30 novembre 153 CA. Aix en Provence – Juris-Data n° 045722 – médecine d’urgence
1999 5 janvier 154 CC. 1re ch. civ., n° 17 – responsabilité du fabricant de médicaments
12 janvier 155 CC. 1re Ch. Civ. – décision de principe sur le déroulement d’une expertise
4 mai 156 CC. Ch. Crim. – arrêt Delugin n° 1688 – responsabilité médicale pénale –
erreur de diagnostic
26 mai 157 CC., 1re civ., Bull. 1999, I, n° 175, p. 115 – Responsabilité d’un médecin
salarié
16 juin 158 CC. Bull. civ. I, n° 210 – erreur initiale de diagnostic – responsabilité
de l’expert
29 juin 159 CC. Bull. civ. I – arrêts dits « des staphylocoques dorés » : 1re Ch. Civ.
Arrêt CPAM 93 n° 1267, pourvoi n° 97-14.254 ; 1re Ch. Civ. Arrêt Aebi
n° 1268, pourvoi n° 97-15.818 ; 1re Ch. Civ. arrêt Follet n° 1269, pourvoi
n° 97-21.903 – infection nosocomiale
30 juin 160 CC. Bull. crim. 1999, n° 174 – atteinte involontaire à la vie – fœtus non viable
9 novembre 161 CC. 1re Ch. Civ. Arrêt Morisot n° 1719, pourvoi n° 98-10.010 –
responsabilité du fait des choses
2000 5 janvier 162 CE. – Cts T : Rec. CE, p. 5, concl. M. Chauvaux ; Juris-Data n° 2000–117157-
information médicale sur risque connu de décès ou d’invalidité
18 janvier 163 CC. Bull. civ. I, n° 13 – 1re Ch. Civ. –arrêt Didierlaurent n° 72-pourvoi
n° 97-17.716 ; Juris-Data n° 2000–117157 – information et libre choix
du patient
14 février 164 CC. Bull. civ. 2000, T.C. n° 2, affaire Ratinet n° 2929– responsabilité
médicale – indépendance professionnelle
14 mars 165 CC. 1re ch. civ. n° 553 D – responsabilité médicale – indépendance
professionnelle dans la limite des compétences

504
Index de la jurisprudence consultée

2000 23 mai 166 CC. 1re Ch. Civ. Arrêt Daux n° 905, pourvoi n° 98-18.513 – limitation
thérapeutique de l’information
6 juin 167 CC. Bull. Civ. I n° 176 – données acquises de la science, équivalence des risques
20 juin 168 CC. Bull. crim., D. 2001, p. 853, note H. Matsopoulos – responsabilité
pénale personnelle des personnes morales
169 CC. 1re Ch. Civ. Arrêt Hedreul n° 1157, pourvoi n° 98-23.046 – information,
perte de chance
5 septembre 170 CC. Bull. Crim. n° 262 – application de la loi du 10 juillet 2000
7 novembre 171 CC. 1re Ch. Civ. – arrêt AGF – clinique Saint Roch n° 1637 – pourvoi
n° 99-12.255 – responsabilité vis-à-vis du médicament
8 novembre 172 CC. 1re ch. civ. – arrêt Destandau n° 1815 – pourvoi n° 99-11.735–
responsabilité médicale – aléa médical
17 novembre 173 CC. Ass. Plen. – arrêt Perruche, n° 457 P – pourvoi n° 9-13.701 –
information médicale – diagnostic ante natal
28 novembre 174 CC. Ch. Crim. – application de la loi du 10 juillet 2000
18 décembre 175 TGI Paris, 1re ch. 3e sect. – contestation de la rétroactivité
de la jurisprudence en matière d’information médicale
2001 10 janvier 176 CC. Bull. crim. – responsabilité pénale indirecte –loi du 10 juillet 2000
13 février 177 CC. Bull. civ. I – arrêt Methlin n° 226 – pourvoi n° 98-19.433– infection
nosocomiale
27 mars 178 CC. Bull. civ. I – arrêt Micas n° 550 – pourvoi n° 99-17.672 – Juris-Data
n° 008907 – infection nosocomiale
29 juin 179 CC. Ass. Plen. – arrêt n° 476 – atteinte involontaire à la vie – fœtus
non viable
13 juillet 180 CC. Ass. Plen. – pourvoi n° 97-17.359 – arrêt n° 478 – information
médicale – diagnostic antenatal
181 CC. Ass. Plen. – pourvoi n° 98-19.190 – arrêt n° 480 – information
médicale – diagnostic antenatal
9 octobre 182 CC., 1re civ, Bull. 2001, I, n° 249, p. 157, Pourvoi n° 00-14 564 – Le devoir
d’information du malade
11 octobre 183 CC. 2e civ., Bull. 2001, II, n° 154, p. 105, Pourvoi n° 99-16 760 – Perte
de revenu des proches en cas de décès
28 novembre 184 CC. Bull. crim. – responsabilité pénale indirecte – loi du 10 juillet  2000
2002 20 février 185 T.C., Bull.2002, n° 2 – Responsabilité d’un établissement de santé
et d’un médecin salarié
25 février 186 CA Paris, 17e ch. A – Arrêt concernant la nomenclature des postes
de préjudice en dommage corporel (« préjudice fonctionnel d’agrément »)
19 mars 187 CC. Bull. civ. I, n° 102, p. 79 – responsabilité civile de l’expert en mission
juridictionnelle
9 avril 188 CC. Bull. civ. I – GP 7 et 8 mars 2003 – causalité et perte de chance
22 mai 189 CC. Bull. civ. I, n° 144 – secret médical et communication du dossier médical
18 juin 190 CEDH – Oneryildiz/Turquie – droit à la vie
25 juin 191 CC. Bull. crim. arrêt n° 3559 – atteinte involontaire à la vie – fœtus
non viable
16 août 192 CE. – le devoir d’information en médecine d’urgence – transfusion
27 septembre 193 CE – contentieux – n° 211370 – recueil Lebon – infection nosocomiale

505
Annexes. Textes réglementaires et index

2002 13 novembre 194 CC., 1re civ., Bull. 2002, I, n° 265, p. 2006, Pourvoi n° 01-00 377 –
Caractère exceptionnel d’un risque – Information : oui
10 décembre 195 CC. 1re Ch. civ. arrêt clinique de Sainte Clotilde, n° 1771 – confirmation
du dogme de la faute – faute non qualifiée
18 décembre 196 CC. Bull. civ. I, n° 314, p. 246 – pourvoi n° G 0103231 – imprévisibilité
d’un risque – information non
2003 21 janvier 197 CC. 1re ch. civ. – pourvoi n° 00/18/229 – obligation pour le médecin
d’une formation continue – entretien et perfectionnement
des connaissances
6 mai 198 CC. 1re ch. civ., Bull. n° 109, p. 85 – obligation d’assurer personnellement
les soins et le suivi du patient
23 septembre 199 CC., 1re civ., Bull. 2003, I, n° 188, p. 146, Pourvoi n° 01–13 063 –
Médicaments, défectuosité, lien de causalité, absence de preuve
scientifique
2 décembre 200 CC. Bull. crim. – pourvoi n° 02 – 85.254, JCP 24 mars 2004 II, 10014,
note P. Mistretta – responsabilité pénale indirecte – loi du 10 juillet 2000
19 décembre 201 CC. Ass. plèn., arrêt MAAF – Bull. 2003, n° 8, p. 21, Pourvoi n° 02 –
14 783, – Rapp. de Gouttes, 1er av. gén.- Cassation de l’arrêt du 3 mai
1994 de la CA Paris 17e ch.- Réparation du préjudice, tiers payeur, recours
subrogatoire, intégrité physique, atteinte objective, préjudice d’agrément,
préjudice subjectif personnel
31 décembre 202 CAA. Paris n° 02 PA 03322 – manquement à l’obligation médicale
d’information en hôpital publique – faute détachable du service – préjudice
évalué sur la base de la perte de chance
2004 27 janvier 203 CC. 1re ch. civ., pourvoi n° D 0014976, arrêt n° 129 – information sur risque
exceptionnel
19 mai 204 CE, Assemblée, n° 21 6039- Lebon – Information – perte de chance
15 juin 205 CC. 1re ch. civ., pourvoi n° N 0102338, arrêt n° 1001 P – secret médical
et transmission du dossier médical
9 novembre 206 CC., 1re civ, Bull. 2004, I, n° 260 et n° 262, p. 217, Pourvoi n° 01–17
168 – Immunité civile d’un médecin et d’une sage-femme salariés
7 décembre 207 CC. 1re civ, Bull. 2004, I, n° 302, p. 253, Pourvoi n° 02–19 957 – Information
– perte de chance
2005 4 janvier 208 CC. 1re civ, Bull. 2005, I, n° 5, p. 4, Pourvoi n° 03–13 579 – Charge
de la preuve
209 CC. 1re civ, Bull. 2005, I, n° 6, p. 4, Pourvoi n° 02–11 339 – Information –
preuve par présomption
1er mars 210 CC., 1re civ, Bull. 2005, I, n° 111, p. 96, Pourvoi n° 03–16 789 – Santé
publique – établissement de santé – responsabilité du fait d’une infection
nosocomiale – caractère nosocomial – preuve- charge – “Il appartient
au patient de démontrer que l’infection dont il est atteint présente
un caractère nosocomial, auquel cas le médecin [ou l’établissement
de santé] est tenu d’une obligation de sécurité de résultat” (cf. arrêt
du 27 mars 2001)
5 avril 211 CC. 1re civ, Bull. 2005, I, n° 173, p. 146, Pourvois n° 02–11 947
et 02–12 065 – Défectuosité d’un médicament – affaire dite
du « syndrome de Leyell »
21 avril 212 CC. 2e civ, Bull. 2005, II, n° 108, p. 94, Pourvoi n° 03–20 683 – Sang
contaminé – hépatite C – risque de développement : non

506
Index de la jurisprudence consultée

2005 14 juin 213 CC., 1re civ, Pourvoi n° 04–12 049 – De la présomption de faute à l’aléa
médical
21 juin 214 CC., 1re civ, Bull 2005, I, n° 276, p. 230, Pourvoi n° 04–12 066 – Infections
nosocomiales
2006 24 janvier 215 CC., 1re civ, Bull. 2006, I, n° 33, p. 130, Pourvoi n° 04–16 179 –
Défectuosité d’un médicament
216 CC., 1re civ, Bull. 2006, I, n° 35, p. 34, Pourvoi n° 02–16 648 –
Médicaments – défectuosité – lien de causalité potentiel
21 février 217 CC., 1re civ, Pourvoi n° 01–20 685 – Coloscopie – perforation – faute
7 mars 218 CC., 1re civ, Bull. 2006, I, n° 142 et 143, p. 130 et 131, Pourvois
n° 04–16 179 et 04–16 180 – Affaire du « Distilbène » – médicaments –
défectuosité – obligation de vigilance
4 avril 219 CC., 1re civ, Bull. 2006, I, n° 191, p. 167, Pourvoi n° 04–17 491 – Infections
nosocomiales
14 avril 220 CC. Ass. plèn. Pourvois n° 02–11 168 et 04–18 902 – JCP 2006,
G, Actu. 194 ; l’Argus de l’Assurance, n° 6976, p. 43 – « En matière
de responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle, la force majeure
exonère le détenteur de l’obligation ou de gardien de la chose ayant
commis le dommage dans la mesure où les critères d’extériorité,
imprévisibilité et irrésistibilité sont réunis »
2 juin 221 CA Paris, RG n° 03/17991 – Médicaments – défectuossité – absence
de preuve scientifique d’un lien de causalité
6 octobre 222 CC., Ass. plèn. Bull. 2006, n° 9, p. 23, Pourvoi n° 05–13 255 – Préjudice
des victimes par ricochet
25 octobre 223 CE., n° 275500 – Recueil Lebon – Infections nosocomiales
2007 13 février 224 CC., crim., Bull. crim. 2007, n° 43, p. 257, Pourvoi n° 06–8 089 – Médecin
de garde non joignable
225 CC., crim., Bull. crim. 2007, n° 44, p. 261, Pourvoi n° 06–82 202 – Défaut
de surveillance – décès
13 mars 226 CC., 1re civ, Bull. 2007, n° 118 – Préjudice moral de la victime pour défaut
d’information – transmissibilité aux héritiers
13 mai 227 CC., 1re civ, Pourvoi n° 03–19 365 – Information non donnée – charge
de la preuve
31 mai 228 CC., 1re civ, Pourvoi n° 06–18 262 – Information personnelle
par le médecin
229 CC., 1re civ, Pourvoi n° 03–19 365 – Impossibilité d’information
31 mai 230 CC., 1re civ, Pourvoi n° 06–12 641 – Aléa médical – malade affaibli –
choc septique
14 juin 231 CC., 1re civ, Bull. 2007, I, n° 233, p. 201, Pourvoi n° 06–10 812 – Infections
nosocomiales
12 juillet 232 CC., 1re civ, Pourvois n° 06–12 624 et 06–13 790 – Responsabilité
d’un médecin salarié d’un établissement de soins privé
22 novembre 233 CC., 1re civ, Pourvoi n° 05–20 974 – Défectuosité d’un produit : non – aléa
médical
6 décembre 234 CC., 1re civ, Pourvoi n° 06–19 301 – Indication impérative – absence
d’information- préjudice moral de la victime : non
235 CC., 1re civ, Pourvoi n° 06–13 572 – Aléa médical – allergie inconnue

507
Annexes. Textes réglementaires et index

2008 17 janvier 236 CC., 1re civ, Pourvoi n° 06–20 568 – Présomption de faute – preuve
à la charge du praticien
22 mai 237 CC., 2e civ., Pourvoi n° 08–10 840, JD 04 39 78 – Refus de réinscription
d’expert sur une liste de Cour d’appel
238 CC., 2e civ., Pourvoi n° 08–10 314, JD 04 39 79 – Refus de réinscription
d’expert sur une liste de Cour d’appel

Index thématique
Les chiffres renvoient à la numérotation de la Formation continue, 197
décision dans l’index chronologique. Infections nosocomiales, 59, 75, 82, 89, 92, 121,
125, 144, 147, 159, 177, 178, 214, 219, 231
Responsabilité médicale devant Information du patient – consentement/refus
une juridiction administrative éclairé, 8, 10, 11, 24, 27, 37, 40, 47, 56, 69, 76, 94,
Aléa médical – responsabilité sans faute, 3, 7, 98, 109 104, 129, 132, 133, 134, 135, 137, 139, 140, 143, 148,
149, 162, 163, 166, 169, 173, 180, 181, 196, 203, 207,
Arrêts généraux, 15, 17, 18, 19, 54, 156, 168, 170 209, 210, 226, 227, 228, 229, 234
Causalité – perte de chance, 202, 204 Jurisprudence (non-rétroactivité), 136, 175
Conciliation, 88 Médecine d’urgence, 13, 55, 151, 152, 153
Infections nosocomiales, 75, 82, 103, 193, 223 Médicament – matériel médical – biomatériaux,
Information du patient, 8, 10, 11, 27, 105, 110, 163, 20, 21, 36, 41, 50, 51, 58, 65, 68, 70, 87, 95, 100, 106,
182, 188, 194, 202 113, 117, 118, 119, 138, 150, 154, 171,199, 211, 212,
Médecine d’urgence, 151, 188 215, 216, 218, 221, 233
Présomption de faute – faute incluse, 82, 103 Préjudice par perte de revenu, 183
Préjudice esthétique, 48
Responsabilité médicale devant Préjudice fonctionnel d’agrément, 112, 186
une juridiction civile Préjudice des victimes par ricochet, 222, 226
Accident de la circulation, 145 Présomption de faute – faute incluse, 92, 121, 122
Aléa médical – responsabilité sans faute, 38, 172, Principe de la contradiction, 85, 120, 126
196, 213, 217, 230, 233, 235 Recours des tiers payeurs, 201
Arrêts généraux, 1, 2, 4, 30, 115, 124, 130, 131, 155, Refus de soins (droit au), 128
158, 164, 165, 172, 173, 180, 181, 195, 220, 236 Responsabilité du fait d’autrui – coresponsabilité
Causalité – perte de chance, 34, 42, 49, 69, 83, 84, médicale, 14, 23, 25, 39, 53, 57, 60, 63, 64, 71, 77,
90, 94, 111, 167, 169, 188, 208, 217, 220 78, 86, 93, 164, 165, 198
Conscience technique, 26, 123, 217 Responsabilité du médecin salarié, 185, 206, 232
Déontologie (responsabilité par méconnaissance Secret médical – transmission du dossier médical,
du code), 127 35, 99, 205
Données acquises versus actuelles de la science – Sécurité de résultat – responsabilité du fait des
formation continue, 6, 45, 67, 146, 167, 197 choses, 66, 81, 97, 114, 116, 161
Évaluation du préjudice, 52, 61 Sida, 142

508
Index de la jurisprudence consultée

Responsabilité médicale devant Secret médical – communication du dossier médi-


une juridiction pénale cal, 32, 35, 44, 62, 108, 141, 189

Atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la Cour européenne des droits


personne humaine, 160, 173, 179, 191, 224, 225
de l’homme
Atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité de la
personne humaine, 5, 96, 101, 107 Droit à la vie, 190
Causalité – perte de chance, 29, 122 Principe de la contradiction, 126
Constatations, 72, 73, 80
Information du patient – consentement/refus
L’expert judiciaire
éclairé, 37, 40, 105, 173, 180, 181 Responsabilité – statut, 9, 12, 16, 22, 28, 30, 31, 33,
Principe du contradictoire, 120 43, 46, 74, 79, 91, 102, 158, 187
Responsabilité indirecte, 170, 174, 176, 184, 200 Réinscription sur les listes, 237, 238

509
Index alphabétique  
         

A Aménagement
Accident ––du logement, 434, 443
––de la circulation, 23 ––spécial des locaux, 454
––du travail, 336, 342, 381 Amiable compositeur, 16
––indemnisable, 481 Amnésie, 394
––médical, 29, 126, 178 ––post-traumatique, 388, 394
Accord amiable, 17 Amputation, 437, 440, 469
Accréditation, 280 ––de membre inférieur, 437
Acharnement thérapeutique, 289 Analyse
Acte, 47, 382, 383 ––mitochondriale, 277
––médical, 47, 382 ––statistique, 383
Action Antécédent pathologique, 105
––civile, 75 Antibiothérapie, 243
––publique, 75 Antisepsie, 243
––récursoire, 340, 479 Appréciation des risques, 146
Activité d’expert, 59 Arbitrage, 480
Administration d’un médicament, 264 Arrêt
ADN ––Guimber, 343
––agresseur, 279 ––Teffaine, 341
––autosomal, 278 Articles
––mitochondrial, 277 ––275 du CPC, 65
––nucléaire, 277 ––65 (alias 12) du code des pensions, 467
––sur une scène criminelle, 279 Ascendant, 457
Affaire Mercier, 193 Asepsie, 243, 250, 251
Affection Assises, 120
––iatrogène, 29, 126, 178 Assistance
––nosocomiale, 29 ––à expertise amiable, 153
Agence française de sécurité sanitaire ––à expertise judiciaire, 153
des produits de santé, 161, 279 ––médicale la procréation, 280
Agression sexuelle, 84 ––technique, 55, 82
Aléa, 63 Assistant technique, 82
––en médecine, 166 Association
––médical, 28, 174, 201 ––d’experts près des tribunaux, 92
––risque, 162 ––de la gestion des informations sur le risque
––thérapeutique, 161, 251 automobile (AGIRA), 345
Alerte vigilance, 179 ––des assureurs-patient, 483
Algodystrophie, 408 ––des experts européens agréés, 98
Algoneurodystrophie, 408 ––des médecins-conseils en assurances
Allocation complémentaire, 470 de personnes, 153
Alternative à l’hospitalisation, 242 ––pour l’assurance des patients, 481

511
Index alphabétique

Assurance ––factuelle, 63
––accident, 381 ––juridique, 9
––contractuelle, 142 ––par équivalence de conditions, 308
––décès, 382 Cause génératrice, 8
––de personne, 43, 141, 381 Cécité complète, 434
––directe, 481, 483 Cellules souches, 295–300
––individuelle, 151 ––du sang du cordon ombilical, 298
––invalidité, 382 ––embryonnaires, 295
––obligatoire, 32 ––somatiques adultes, 297
––privée, 109 Centre
Asymétrie de l’information, 24 ––de documentation sur le dommage
Atteinte corporel, 153
––à la vie ou à l’intégrité de la personne physique, 222 ––de pharmacovigilance, 257
––cognitive, 389 Certificat
Audit, 179 ––initial, 376
Authenticité, 105 ––médical, 40, 43, 147, 461
Autonomie, 443 ––médical de complaisance, 44
Autopsie médico-légale, 121 Cessation définitive d’activité, 32
Autorisation de mise sur le marché, 317 Chaîne de soins, 182
Auxiliaire de justice, 47, 63 Chambre
Avant dire droit, 7 ––de l’enquête et des libertés, 7
Aveu, 191, 232 ––sociale de la cour d’appel, 139
Avis de consignation, 80 Charge
Avis médical d’aptitude, 347 ––de l’information, 230
Avocat, 5, 53, 55 ––de la preuve, 65, 231
Ayant-droit, 438 ••inversion, 65
Circuit du médicament, 256
––informatisation intégrée, 261, 265
B Circulation, 23
Barème, 341, 443 Classification
––d’évaluation des taux d’incapacité ––de M0 à M5 du British médical Concil, 411
des victimes, 126 ––de Wood, 332, 337
––d’invalidité, 144, 343 Clause abusive, 44
––de 1915, 467 Clonage
––de 1919, 467 ––objectif thérapeutique, 296
––indicatif des déficits fonctionnels séquellaires ––reproductif, 296
en droit commun, 336, 343 Code
––principes généraux, 341 ––civil, 46, 375
Besoin d’aides techniques, 446 ––de déontologie médicale, 36, 44, 58
Bureau ––de la santé publique, 46
––d’expertises extra-judiciaires, 480 ––de procédure civile, 36, 45, 75
––de conciliation, 478 ––de procédure pénale, 36, 75, 107
––des pensions, 456
C ––pénal, 69
Caducité (relevé de), 80 Coefficient professionnel, 342
Capacité Collège d’experts, 115, 125
––de travail, 342 Colloque singulier médecin-malade, 169
––restante, 336 Coma, 385
Caractère ––de 1 à 10 jours, 437
––contradictoire, 82 ––initial, 435
––de gravité, 126 ––léger, 394
Carte de réduction, 474 Comité
Causa proxima, 12 ––de vigilance, 257
Causalité ––national de sécurité sanitaire, 161
––adéquate, 110, 308 Commission
––directe et certaine, 309 ––consultative médicale, 475

512
Index alphabétique

––d’experts, 478 Contentieux judiciaire en responsabilité


––d’indemnisation, 483 médicale, 207
––d’indemnisation des victimes d’infraction, 120 Continental Law, 98
––de recours amiable, 138 Contradiction, 54, 104
––de réforme, 474 Contradictoire, 44, 62, 64, 80, 98, 111
––européenne direction générale 22, 99 Contrat, 43, 144, 192, 381
––nationale des accidents médicaux, 20, 29, 124, 323 ––de mandat, 480
–– régionale de conciliation ––de service, 478
et d’indemnisation, 20, 29, 124 ––médical, 195
Common Law, 98 Convention européenne des droits
Communication, 38, 104 de l’homme, 15, 110
––médiatisée, 48 Corruption passive, 74
Compagnie Cotation de Kapandji, 414
––d’experts judiciaires, 61, 96 Cour
––d’experts près des cours d’appel, 92 ––d’appel, 61
––des experts agréés par la Cour de cassation, 57, 92 ––de cassation, 61, 68
––des experts près le tribunal administratif ––nationale de l’incapacité et de la tarification
de Paris, 92 de l’assurance accident du travail, 140
––pluridisciplinaire, 92 ––régionale des pensions, 476
Compérage, 54 Critère listé, 482
Compétence, 60, 69, 77 Culture qualité-sécurité, 180
––du chirurgien-dentiste, 83 Curabilité, 466
––du médecin stomatologiste, 83
Conciliation, 16, 83, 131, 479 D
––judiciaire, 19 Déclaration
Conclusion du rapport, 107 ––de mauvaise foi, 143
Concussion, 74 ––de sinistres, 208
Confédération internationale des associations ––du risque, 142, 147
d’experts et de conseils, 98 ––initiale, 449
Conférence de consensus, 108, 235 Déficit
Confiance, 40, 65, 106, 449 ––fonctionnel, 332, 421
Confidentialité, 145, 148 ––fonctionnel séquellaire, 336
Confraternité, 54 ––lésionnel, 421
Conscience technique, 210 ––neuropsychologique, 386
Conseil ––physiologique, 336, 342
––d’État, 68, 476 Défiguration, 470
––de l’Europe, 341 Délai, 77
––de l’Ordre des médecins, 61 ––de constat, 463
––national des compagnies d’Experts de Justice, 56, 97 ––de réflexion, 54
Consensus médical, 376 Délit applicable aux experts, 73
Consentement, 65, 225, 274 Demande d’immortalité, 168
––du patient, 438 Démarche
––éclairé, 169, 229 ––diagnostique, 376
Consignation, 80 ––médico-légale, 376
Consolidation Démence, 84
––fonctionnelle, 334 Démocratie sanitaire, 324
––médico-légale, 333, 334 Déontologie, 67, 84
––situationnelle, 334 ––de l’expert de justice, 56
Consommateur du système de santé, 170 ––médicale, 58, 146
Constatation, 76, 79 Déporté, 458
Constitution Désignation des experts, 77, 124
––de partie civile, 7 Devoir
––du dossier, 64 ––d’information, 229
Consultation, 79 ––de conseil, 238
Contagion, 241 ––des malades, 301
Contamination, 241, 280 ––médical d’information, 169

513
Index alphabétique

Diagnostic ••grave, 317


––étiologique 375 ••inattendu, 317
––positif, 375 ••présumés, 308, 311
––préimplantatoire, 285 Égalité des armes, 111
––prénataux, 284 Embryons
Dialogue, 170 ––humain, 294
Direction interdépartementale des pensions, 475 ––surnuméraires, 294
Dires Empreinte génétique, 277
––écrits, 54, 106 Enregistrement, 106
––oraux, 106 Entrave à l’exercice de la justice, 74
Discussion, 82, 107 Épilepsie post-traumatique, 442
Dispensation, 263 Épreuve de soustraction de 7 en 7, 389
Dispositif médical, 321 Équivalence des conditions, 110
Document, 83 Erreur, 163
––communiqué, 104 Espace
Doigt, 406 ––expertal européen, 99
Dommage, 109, 192, 382, 383, 421 ––judiciaire européen, 99
––corporel, 151, 331, 406 Espérance de vie, 437
––sans faute, 110 État
––séquellaire viscéral, 421 ––antérieur, 369, 378, 379, 383
Donnée ––intercurrent, 378, 382
––acquise, 197 ––végétatif, 437, 442
––acquise de la science, 197, 199 Éthique, 66, 67, 395
––actuelle de la science, 197 Étiquetage des médicaments, 317
Dossier Étude statistique, 376
––d’indemnisation, 449 Euthanasie, 289
––hospitalier, 39, 376 EuroExpert, 99
––médical, 39, 47, 51, 105, 438 Europe, 477
Doute, 380 Évaluation, 406, 434
––de l’expert, 377 ––d’un blessé cranio-cérébral, 387
Droit ––des dommages, 342, 380
––à indemnisation, 449 ––juridique et monétaire, 331
––à la santé, 168, 303 ––médicale, 331, 332
––à la sécurité, 303 Événements indésirables en médecine, 184
––accusatoire, 63, 71 Évolution, 378
––au secret, 40 ––des besoins, 446
––aux soins, 168, 303 Examen, 43, 406
––commun, 3, 104, 336, 342 ––complémentaire, 147
––des usagers, 324 ––contradictoire, 153
––du malade, 38, 286, 301 ––des grands handicapés, 439
––du patient, 479 ––médical, 49, 105
––inquisitoire, 63, 71 Excès de pouvoir, 5
––pénal, 219 Exclusion contractuelle, 382
––prétorien, 50, 229 Exécution du contrat, 148
––social, 341 Expert, 104
––du juge, 112
E ––du parquet, 112
Échelle ––en accidents médicaux, 124
––de comportement et d’adaptation sociale ––en assurances de personnes, 141
de Katz, 392 ––en Europe, 98
––de gravité de 1887, 467 ––conseil, 98
––neurocomportementale de Levin, 392 ––de conflit, 98
Effet ––judiciaire, 46, 52, 55, 86
––indésirable, 256, 308, 311, 317 ••médecin, 48
••du médicament, 257, 317 ––litige, 98

514
Index alphabétique

––médecin, 64, 101 ––médicaux et d’hospitalisation, 452


––témoin, 98 Franchise
Expert litis, 98 ––fixe, 484
Expertise, 88, 406, 449 ––proportionnelle, 484
––administrative, 113
––amiable, 68, 73 G
––au fond, 131 Glasgow
––civile, 45, 75, 104 ––Coma Scale, 388
––du contentieux technique, 139 ––out come scale, 388
––du grand handicapé, 434 Grand
––en assurance de personnes, 141 ––handicapé, 434
––en CRCI, 317 ––invalide, 472
––judiciaire, 55, 73, 104 ––mutilé, 472
––selon l’article L. 141-1 du CSS, 136 Guérison, 334
––médicale, 331
••en matière de sécurité sociale, 136 H
––médico-psychologique, 117 Handicap, 333, 334, 434
––officieuse, 73, 85 Haute autorité de santé, 323
––préalable, 125 Hémiplégie, 438
––privée, 73, 82 Héritiers, 40
––psychiatrique, 78, 117 Histoire et droit
Honoraires et frais, 72
F Hospitalisation
Fabricant, 319 ––à domicile, 242
Fait ––à vie, 453
––accidentel, 376, 379 Humanisme médical, 198
––causal initial, 378 Hygiène hospitalière, 243
––dommageable, 8
––médical, 105 I
Fausse déclaration, 143 Iatrogène, 256
Faute, 63, 86, 108, 109, 164, 179, 192, 382, 383, 477, 482 Impartialité, 55, 66
––de conscience médicale, 198, 211 Imputabilité, 192, 375, 393, 461
––de science médicale, 199, 211 ––médicale, 9
––détachable du service, 238 ––réglementée, 381
––incluse, 203 In concreto, 332
––lourde, 200 Incapacité
––prouvée, 110 ––fonctionnelle, 443
Fauteuil roulant, 446 ––partielle permanente, 334, 437
Fécondation in vitro, 293 ––permanente, 342
Fédération ••partielle, 86, 335, 386, 393, 434, 442
––française des associations de médecins-conseils ••professionnelle, 336
experts, 153 ––personnelle permanente, 337
––nationale des compagnies d’experts judiciaires, 99 ––temporaire partielle, 451
Fiche de Razemon, 415 ••de travail, 335
Fièvre puerpérale, 243 ––temporaire totale, 333, 335, 451
Figure de Rey, 389, 392 ––traumatique temporaire, 335
Fin de vie, 290 Incertitude expertale, 165
Fluence verbale, 391 Incidence professionnelle, 336, 454
Fonction, 343 Indemnisation, 332, 342, 449, 450, 477, 483
––mnésique, 389 ––de l’aléa médical, 168, 204
Forces françaises de l’intérieur, 457 ––de la perte de chance, 382
Formation de l’expert judiciaire, 88 ––des souffrances, 338
Frais ––forfaitaire, 381
––futurs, 446 ––pour risque, 382
••frais d’appareillage, 453 Indépendance, 54, 55, 66, 67, 72

515
Index alphabétique

Infection, 241 Loi


––d’origine endogène, 248 ––Badinter, 152, 340
––d’origine exogène, 248 ––de 1919, 456
––hospitalière, 242 ––Évin, 143
––nosocomiale, 29, 126, 132, 178, 240, 482 ––Kouchner, 28, 124
Infirmité pensionnable, 458 ––Lugol du 31 mars 1919, 456
Information, 38, 65, 225, 274, 316 ––pénale, 219
––confidentielle, 146 Lutte contre l’infection hospitalière, 247
Infraction
––de droit pénal commun, 221 M
––en matière de santé publique et éthique Magistrat chargé du contrôle
biomédicale, 220 des expertises, 107
––reprochable aux médecins, 220 Main, 406
Inscription à l’ordre, 47 ––traumatique ancienne, 406
Intégrité, 66 Maladie
Intérêt civil, 75 ––antérieure, 147
Invalidité ––de De Quervain, 409
––en assurance de personnes, 144 ––professionnelle, 381
––en matière de Sécurité sociale, 144 ––traumatique, 335
––permanente partielle, 452 Mandataire de justice, 15
Manœuvre de Froment, 411
J Manque à gagner, 335
Juge Matériovigilance, 321
––d’application des peines, 120 Médecin
––d’instruction, 107 ––conseil, 24, 52, 54, 64, 154
––de l’enquête et des libertés, 7 ––d’assurance, 42
––du fond, 332 ––de la compagnie, 141
Juridiction ––de siège, 150
––administrative, 3, 382 ––de sociétés d’assurances, 149
––civile, 3, 54, 62 ––des compagnies d’assurances, 82
––pénale, 3, 6, 63, 107 ––de recours, 154
Jurisprudence, 63, 65, 66, 191, 229 ––examinateur, 150
––médicale, 108 ––expert judiciaire, 54
Jury d’universitaires, 61 ––informateur, 48
––régional, 150
L ––régulateur, 273
Labyrinthe de Porteus, 389, 392 ––traitant, 38, 52, 54, 64
Législation ––urgentiste, 273
––militaire, 462 Médecine
––sociale, 380 ––d’urgence, 267
Lésion, 343 ––de l’embryon et du fœtus, 298
––initiale, 376, 388 ––de santé publique, 161
––médullaire, 436, 439 ––de soins, 161
––traumatique du plexus brachial, 436 ––qualité-sécurité, 180
Létalité des infections nosocomiales, 246 ––systémique, 180
Lève-malade, 446 Médiateur, 479
Lien Médiation
––de causalité, 86, 109, 110, 192, 375, 377, 379, ––conventionnelle, 19
380, 381, 383, 477 ––judiciaire, 19
––de cause à effet, 8 ––pénale, 19
Liste nationale des experts en accidents Médicament, 316
médicaux, 124 ––sécurisation, 261
Lit à hauteur réglable, 446 Mesures disciplinaires, 87, 256
Litige, 105 Mésusage du médicament, 256, 317
Littérature médicale, 108 Microscope optique, 243

516
Index alphabétique

Militaire, 457 P
––de carrière, 464 Paralysie post-arthroplastie, 415
––du contingent, 463 Paralysie traumatique du plexus
Mis en examen, 84 brachial, 396
Mission, 73, 108 Paraplégie, 434, 436, 441
––d’expertise médicale, 133 Parties, 54, 65, 88, 104
••pour l’évaluation des accidents Pathologie
médicaux, 133 ––évolutive, 382, 383
––médico-psychologique, 84 ––nosocomiale, 178
Modes Pensée abstraite, 392
––alternatifs de règlement des conflits, 18 Pension, 455, 471
––alternatifs de règlement des litiges, 18 ––militaire, 381, 455
Morale, 66, 67 Péritonites, 426
Mutilation inappareillable, 469 ––iatrogènes, 426
Personnalité, 117
N Personne mise en examen, 108
Nomenclature Perte
––des postes de préjudices, 332 ––d’autonomie, 434, 443
––J. P. Dintilhac, 332 ––de chance, 63, 110, 169, 202, 238, 383
––Y. Lambert-Faivre, 332 ––de connaissance initiale, 394
Nosocomial, 178, 240, 256 ––fonctionnelle d’un membre inférieur, 441
Notice, 317 ––fonctionnelle d’un membre supérieur, 440
––des médicaments, 133 Pharmacovigilance, 260
Nullité, 79, 80 Plafond d’indemnisation, 484
––substantielle, 77 Plancher d’indemnisation, 484
Planification, 392
Plein contentieux, 5
O
Poignet, 406
Objectivité, 54, 55, 66
Police d’assurance, 43
Obligation
Pouce, 406
––d’humanisme, 198
Pouvoir médical, 170
––d’information, 24
––de diligence, 24 Préambule, 104
––de discrétion, 146 Précaution, 166
––de moyens, 168, 195 Prédisposition, 378
––de résultat, 168 Préhension, 406
••à l’intérieur de l’obligation de moyens, 210 Préjudice, 86, 192, 331, 449, 477
––de science et de technique médicales, 196 ––d’agrément, 452
––de sécurité de résultat, 211, 251 ––de carrière, 454
––de sécurité médicale, 210 ––de la victime directe, 334
––renforcée de sécurité de moyens, 213 ––de la victime par ricochet, 339
Office national d’indemnisation des accidents ––économique, 332
médicaux, 20, 29 ––économiques à caractère patrimonial, 334
Opposition (fonction d’), 406 ––économiques temporaires, 334
Ordonnance ––économiques permanents, 335
––de non-lieu, 6 ––fonctionnel d’agrément, 337
––de renvoi, 6 ––moral, 454
––de taxe, 81 ––non économique, 332
Ordre ––non économiques à caractère personnel
––administratif, 3 extrapatrimonial, 337
––chronologique, 105 ––non économiques permanentes (après
––des médecins, 60 la consolidation), 338
––judiciaire, 3 ––sexuel, 453
Organisation d’experts en Europe, 98 Prérapport, 54, 107
Orphelin, 457 Prescripteur, 319

517
Index alphabétique

Prescription, 193, 263, 483 R


––en matière de responsabilité médicale, 32 Radiation, 78, 87
––en responsabilité de l’expert, 67 Raisonnement médico-légal, 375
Présomption Rappel des faits, 105
––d’origine, 381, 463 Rapport, 47, 49, 65, 67, 105, 449
––de faute, 200, 203 ––définitif, 54
––de responsabilité, 213 ––en l’état, 81
––irréfragable de faute, 212, 250 ––entre les acteurs du procès, 88
Prestation de serment, 77 ––médical, 104, 147
Pretium doloris, 452 Recherche
Preuve, 165, 175, 229 ––de paternité ou de maternité, 279
––contraire, 381, 463 ––humaine, 293
––de l’imputabilité, 461 ––médicale, 161
––écrite, 232 ––sur l’embryon humain, 294
––littérale, 232 Recommandation
––orale, 191, 232 ––de bonnes pratiques cliniques, 235
––par présomption, 191, 229, 232 ––médicale opposable, 235
––par serment, 101, 232 Recours subrogatoire, 335, 336
––scientifique, 175 Recueil du consentement, 230
Prime, 145 Rédaction du rapport, 110
Principe Référé, 7
––de la contradiction, 54, 55, 98 Référence médicale, 235
––de précaution, 88, 166, 167, 320 ––opposable, 108
––de subsidiarité, 477 Référentiel, 341
––du contradictoire, 154 ––d’évaluation médicale du dommage corporel, 341
Procédure, 62, 113 ––indemnitaire, 332, 345
––accusatoire, 98 ––indicatif national statistique et évolutif, 345
––administrative, 113 Réforme de l’instruction, 110
––civile, 75 Refus éclairé, 65, 225
––contradictoire, 48, 54, 106 Règle
––de conciliation, 127 ––de déontologie de l’expert judiciaire, 66
––de règlement amiable, 126 ––de l’art, 211
––en référé, 107 ––de procédure, 104
––inquisitoire, 98 Règlement, 15, 28, 148
––pénale, 75 ––amiable, 28
Procès, 88 ––des conflits, 15
––équitable, 111 ––des prestations, 148
Processus indemnitaire, 449 Règles de déontologie, 66, 104
Programmation de l’activité, 392 Régleur, 332
Pronostic vital, 437 Réinsertion, 447
Prorogation, 78 Réparation du dommage, 375
––du délai, 80 ––corporel, 109
Protocole pré-judiciaire, 478 Respect de la personne humaine, 238
Provision, 81 Responsabilité, 166, 209, 307, 310, 449
––complémentaire, 81 ––administrative, 67
––civile, 42, 67
••professionnelle, 477
Q ––contractuelle, 85, 193
Quantum doloris, 394 ––de l’État, 68
Questions de la mission, 108 ––de plein droit, 319
Questionnaire ––délictuelle, 86
––de Shallice et Evans, 392 ––déontologique expertale, 66
––EBIS, 388 ––déontologique médicale, 64
––social de Katz, 388 ––des actes délictueux et/ou criminels, 117
Quotient intellectuel, 393 ––du fait d’autrui, 203

518
Index alphabétique

––du fait des produits défectueux, 307 Serment


––expert-médecin, 85 ––de l’expert, 66, 77, 92
––financière, 67 ––d’Hippocrate, 35, 47
––juridique, 62 ––la preuve par (...), 191, 232
––médicale, 55, 63, 66, 109, 192, 218, 267, 382, 450, 477 Service hospitalier, 382
––morale, 66 Service médical des sociétés
––objective, 310 d’assurances, 145
––par le fait des choses, 209 Seuil de gravité, 482
––pénale, 68 Sida, 382
••médicale, 218 Sinistralité annuelle, 208
––pour risque, 201, 482 Sinistre, 43, 141
––propre du patient, 320 ––sériel, 115
––quasi délictuelle, 86 Site de soins, 242
––sans faute, 199, 200 Soignant, 241
––scientifique, 60 Soin gratuit, 473
––technique, 60 Solidarité nationale, 29, 482
Retentissement situationnel, 333, 334 Souscription du contrat, 141
Réunion expertale, 47, 49 Stade
––contradictoire, 54, 55, 65 ––fonctionnel, 332, 334
Révision, 472 ––lésionnel, 332, 333, 335
Risque, 108, 235, 256, 316, 325, 477 ––séquellaire, 334
––exceptionnel, 234 Statistique, 383
––grave, 236 Statut
––iatrogène médicamenteux, 256 ––de l’embryon humain, 299
––médico-légal, 66 ––des experts judiciaires, 96
––nosocomial, 179 Stroop modifié, 389
••médicamenteux, 256, 316 Surprime, 143
––sanitaire, 178, 325 Surveillance, 274
––zéro, 168 Syndrome
Rôle juridique, 63 ––de Barré-Liéou, 377
Rubriques expertales, 96 ––de la Troïca, 409
––de Volkman, 412
S ––de Wartenberg, 410
Samu-Smur, 269 ––démentiel post-traumatique, 442
Sapiteur, 77, 83, 387 ––des loges, 407
Scellés, 39, 108 ––du canal carpien, 409
Scène criminelle, 277 ––du quadrige, 409
Score de Glasgow, 436 ––frontal, 386, 441
Secret, 74 ––occipital, 386
––de l’information, 78 ––pariétal, 386, 441
––de l’instruction, 63, 76 ––postcommotionnel, 377
––divulgation, 40 ––posttraumatique des traumatisés
––expertal, 55 craniens, 377
––médical, 38, 42, 49, 50, 54, 64, 65, 78, 83, 105, ––subjectif de Pierre-Marie, 377
380, 382 ––temporal, 386
Secret professionnel, 35, 47, 53, 69, 76, 82, 146 Système du risque, 200, 481
––dérogations jurisprudentielles, 41 Système informatique de sécurisation
––dérogations légales, 41 ––du circuit du médicament, 261
––personnes tenues, 41
––violation, 41, 74 T
Sécurisation du circuit du médicament, 261 Taux
Sécurité sociale, 340 ––analytique, 443
Séquelle ––d’invalidité, 467
––motrice, 441 ––plafond, 443
––neuropsychologique, 385, 441 ––synthétique, 443

519
Index alphabétique

Technicien associé, 107, 109 Transparence, 24


Technique, 88, 414 Traumatisme crânien, 385, 435, 439
––de Brewerton, 414 Tribunal
––expertale, 88 ––administratif, 68
––technicienne, 88 ––départemental des pensions, 475
Témoignage, 191, 232 ––des affaires de sécurité sociale, 138
––mensonger, 74 ––des conflits, 68
Témoin assisté, 108 ––du contentieux de l’incapacité, 140
Tendance pro-indemnitaire, 110 Trouble
Test ––allégué, 105
––d’Allen, 412 ––neuropsychique, 84
––de Bunnel, 412 ––neuropsychologique, 434, 438, 440
––de dépistage de la séropositivité, 148 ––psychique, 84
––de double barrage de Zazzo, 389 Tuberculose, 471
––de Finkelstein, 409
––de Lindburg, 409 U
––de localisation de Wynn-Parry, 411 Urgence, 267
––de Sorting, 392
Usage déraisonnable du médicament, 312
––de Stroop modifié, 390
––de Thurstone, 389, 391
––de Watson, 413 V
––de Weber, 411 Véhicule, 446
––de Wisconsin, 392 Vérité, 39, 88, 105, 165
––du ballottement de Reagan, 413 ––judiciaire, 89, 104, 165, 177
––neuropsychométrique, 389 ––médicale, 89, 104
Tétraplégie ––scientifique, 165
––basse, 438 ––subjective, 89
––haute, 438, 441 Veuve, 472
––moyenne et basse, 441 ––de militaire, 457
The Academy of Experts, 99 Victime civile, 458
Tierce personne, 434, 446, 453, 472 Vigilance alerte, 179
Tiers Vindicte, 89
––expert, 124
––payants, 336
W
––payeurs, 335, 340
Wood, 434
Toucher, 406
Trafic d’influence, 74
Transaction, 16, 19, 480 Y
––amiable, 480 Yeux affectations, 469

520

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