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# Exported by Aegisub 3.2.

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Tous les jours dans mon cabinet,
je reçois des hommes et des femmes
qui viennent me parler\Nde leur sexualité.
Alors bien sûr, vous imaginez
ce qui se passe dans l'intimité\Nde leur chambre à coucher.
Pourtant, la sexualité ne revêt pas\Nseulement ce cadre-là,
puisque qu'il s'agit déjà de savoir
ce qu'est être un homme, être une femme,
et puis, ce que cela entraîne\Ndans nos relations les uns avec les autres,
et puis, ce qui se joue dans l'amour
avant même que ce soit\Nune histoire charnelle.
Ce que je suis amenée à entendre\Nse démarque considérablement
de ce que nous pouvons entendre\Ndans le discours ambiant,
à savoir ce discours largement relayé\Npar les médias, mais surtout
relayé par nous, tant nous sommes friands\Nde raconter nos aptitudes
et nos performances et nos libertés.
D'ailleurs avouez, n'avez-vous jamais\Nau sortir d'un dîner
l'air un peu goguenard, rempli,\Ngonflé de plaisir de vous révéler, dit :
« Bon on va y aller,\Non a le quatrième à faire »,
ou encore : « Pour nous, la soirée\Nne fait que commencer. »
Ou encore : « Ah ! Désolé !\NDevoir conjugal oblige ! »
Mais avouez encore, avez-vous\Ntoujours fait l'amour en rentrant ?
Ou vous êtes-vous laissé bercer\Ndans les bras de Morphée ?
Bon, nous n'allons pas faire le tour
de tout ce que nous aimons\Nles uns et les autres dire
tant nous aimons nous sentir beaux\Ndans le regard des autres.
Je vous propose plutôt des témoignages,\Nde deux hommes et de deux femmes,
qui participaient dernièrement\Nà une émission télé,
et qui évoquaient\Nleur liberté sexuelle.
Il y avait un homme,\Nquarantaine, divorcé,
qui disait combien\Ncette nouvelle situation pour lui
lui offrait toute la possibilité
de mesurer l'étendue\Nde sa liberté sexuelle.
Il cumulait les maîtresses,\Nil en avait 7 en même temps,
et il pouvait voir combien\Nc'était justement d'être libre
que de pouvoir d'abord décider\Nqui il voulait voir, quand il voulait les voir.
Par ailleurs il lisait beaucoup,\Nil regardait beaucoup
tout ce qu'il avait loupé\Ntoutes ces années de mariage,
et donc ça lui permettait d'imaginer,\Nde pouvoir essayer des « trucs sympas »
avec chacune de ces dames.
Et puis aussi, il disait combien,\Nfranchement, réduire sa vie
à ne faire jouir qu'une seule femme,\Nc'était bien dommage,
et 7 était un bon nombre à son avis.
Une autre personne, une femme,\Névoquait, elle,
combien sa liberté sexuelle s'exprimait\Ndans le fait de ne pas être
encombrée de tous ces « chichis »,\Ndisait-elle,
qui font la mise en place\Nd'une relation.
Elle estimait que dans la mesure\Noù elle était dans l'envie de l'autre,
et réciproquement,\Nnul n'était besoin de se compliquer
par des dragues inutiles,\Ndes cours inutiles.
Ainsi, la liberté pour elle,\Nc'était justement
de pouvoir aller comme ça\Nvers son désir et vers le plaisir de son corps,
sans même s'encombrer de préliminaires.
Une autre encore était mariée.
Elle était tout excitée à l'idée\Nd'être la femme parfaite pour son homme.
Elle l'aimait tant.
Donc il était important pour elle,\Nqu'elle puisse d'abord justifier
de faire l'amour régulièrement,
ce à quoi elle s'appliquait,
et puis de répondre assez volontiers\Naux envies de jeu et de scénario de son mari.
Ainsi, il proposait d'introduire\Ndans leur sexualité des sex-toys,
et même si ça n'était de son goût,\Nvoire même pas toujours
du meilleur goût, pensait-elle,
eh bien, elle s'y donnait de bon cœur,\Nparce que, pensait-elle,
pour être libre, eh bien, fallait-il oser\Njustement d'effacer un peu
ses pudeurs et ses interdits.
Un dernier, lui, entendait\Npar liberté sexuelle,
la capacité à pouvoir répondre\Nà toutes ses pulsions.
Et il avait beaucoup de désirs.
Ainsi, tous les soirs il faisait l'amour\Nà sa femme avec joie,
et j'ose espérer réciprocité,
mais comme ça ne suffisait pas\Nà son besoin,
eh bien il ajoutait également\Nune vie de masturbation.
Il le faisait au moins une fois par jour,\N« comme tous les mecs », disait-il,
et puis il y trouvait là-dedans,\Net l'occasion de valoriser sa virilité,
et aussi de vérifier sa performance,\Npour être, quand il rencontrait sa dame,
au meilleur rendez-vous.
Qui plus est, il avait le sentiment\Nque cela le calmait, parce que sinon,
il était une boule de nerfs.
Donc à entendre ces témoignages,\Non peut se dire que finalement,
la liberté sexuelle, ce serait d'après eux,\Nde pouvoir se libérer de toute morale,
une sexualité libérée du rythme de l'autre,\Nlibérée éventuellement de sentiments,
d'émotions, de pudeur, et libre\Nde s'essayer à tous les jeux ou jouets
qu'offre notre société, sexy, glamour, coquin,\Nporno-chic, en vente libre pour le
coup.
Je repense à cette délicieuse phrase\Ndes adolescents quand leurs parents
leur posent une fois de plus l'interdit.
Menaçants, ils vous regardent et disent :\N« Tu verras, quand j'aurai 18 ans,
tu ne pourras plus rien m'interdire,\Nje serai libre. »
Est-ce à dire que la liberté,\Nc'est l'ouverture vers tous les possibles ?
Et la liberté sexuelle, tous les possibles\Nde tous les emboitements,
de tous les scénarios\Npossibles et inimaginables ?
Je pense à une patiente, que je recevais\Net qui me racontait sa sexualité,
encombrée, timide, difficile, inquiète.
Elle me disait en faire toujours un peu trop,\Net lui désespérément pas assez.
Ce qui donnait en fait dans leur sexualité,\Nque, très amoureuse de lui,
tous les soirs elle se mettait en train\Nen se disant : « il faut y aller,
il faut lui plaire, il faut le satisfaire »,\Nsans trop savoir
ce qui pourrait être ce qu'il attendait.
Du coup, pleine de cette énergie un peu fabriquée,\Nelle lui sautait dessus,
des bisous, des caresses, une position,\Nune main ici, une main là,
et ne voyant pas tellement son homme\Nla rejoindre dans ce processus,
elle se disait qu'elle avait fait fausse route,\Net hop, une autre caresse,
un autre bisou, une autre position.
Et alors lui, comme un lapin\Ndans les phares d'une voiture,
il restait complétement médusé,\Nne comprenant pas très bien
ce que cette femme voulait de lui,\Nattendait de lui, ou attendait elle-même,
et n'osant pas poser le moindre geste\Nqui puisse être inconfortable pour elle,
ou jugé par elle,\Nil restait totalement interdit.
L'un et l'autre, dans une espèce de glissement\Nvague, tombaient dans le sommeil.
Un jour lors d'une séance,\Nelle me raconte une scène de la vie quotidienne
à laquelle elle est régulièrement confrontée,\Net son mari également,
qui illustrait tellement merveilleusement\Nce qui se passait dans leur sexualité.
La scène était au supermarché :\Naller faire les courses pour le dîner du soir.
Quand elle rentrait dans ce supermarché,\Ntout d'un coup elle était prise de
stress.
Des rayons, des paquets,\Ntous plus beaux les uns que les autres,
des étiquettes, qui promettaient le meilleur repas,\Nla meilleure cuisinière, leur
dîner glamour...
Et elle, prise de panique dans tout ce choix,\Nne sachant pas bien définir
quel était son désir de l'instant\N- alors pensez donc son désir du soir... -
quel était ce qui pouvait le mieux se mêler\Navec ce qui restait encore dans le
frigo,
et pire encore, quel était ce que son amour,\Nson mari pouvait attendre ?
Paniquée, elle remplissait son panier de courses,\Nmettait tout et n'importe quoi,
sans queue ni tête, et puis elle espérait\Nque le soir venu, peut-être,
elle trouverait la convergence entre son désir,\Nle frigo, et le désir de son mari.
Quand le mari était de courses,\Nles choses étaient à peu près similaires
en terme de stress.
Il arpentait les rayons, regardait tous ces paquets\Nannonçant les meilleurs repas,
mais lui, complètement inquiet\Nà l'idée du choix qui ne serait pas le bon,
il finissait par repartir, ou les mains vides,
ou avec un paquet de chips\Nou un paquet de chewing-gum,
autant vous dire deux idées\Ntout-à-fait saugrenues au vu du repas du soir.
Donc évidemment quand elle me disait :\N« J'en fais trop, lui pas assez »,
je lui expliquais que, peut-être,\Nles choses n'étaient pas très différentes
pour l'un et pour l'autre,
chacun imaginant l'inquiétude\Nquant à ce qu'il pouvait révéler de lui-même,
qui ne serait peut-être pas en concordance\Navec ce que l'autre pouvait attendre.
Dans un cas, elle, proposait des milliards\Nde choses, mais sans les incarner,
dans l'autre, lui, restait interdit,\Nattendant ce qui lui permettrait
de comprendre ce qu'elle pouvait attendre.
Je trouve que cette situation est intéressante,
parce qu'elle pose la question\Nde ce que veut dire la liberté.
Si la liberté c'est l'expression d'un désir personnel,\Npeut-être faut-il commencer
par savoir dire non.
Non.
Sans lequel le « Oui » n'a pas de sens.
« Non ». Ce tout petit mot de rien du tout,\Npourtant si difficile à exprimer,
tant les enjeux qui sont à l’œuvre\Nnous mettent face à notre plus grande
ambivalence.
Imaginez. Il nous faudrait pouvoir\Ndire non au groupe social,
à ce que la société attend de nous,
cette société dont je veux faire partie,\Ndont j'attends la reconnaissance,
Comment puis-je oser me démarquer,\Npar mon rythme différent,
mes goûts, mes dégoûts,\Nmes possibles, mes impossibles,
sans risquer de me sentir « anormal » ?
La normalité étant généralement entendue\Nau sens du plus grand nombre,
ou plus exactement de ce que je crois\Nque vit le plus grand nombre,
et je veux être de ceux-là.
Il me faudrait également oser dire non,\Npeut-être, à l'autre,
cet autre, que j'aime, que je désire,\Net dont je veux être aimé et désiré en
retour.
Comment ne pas oser,\Nêtre la réponse immédiate, ou quasi-immédiate,
sans risquer de ne pas obtenir\Nla relation et la qualité de cette relation
attendue ?
Comment oser dire ou faire\Nquelque chose qui puisse le frustrer,
alors que tout en moi tend vers la satisfaction\Nde l'autre pour lui prouver mon
amour ?
Et puis, il me faudrait aussi\Npeut-être dire non au mien,
ma famille, mes parents par exemple,
ce qu'ils ont dit de moi,\Nce que j'étais, ce que je devais être,
ce que voulait dire pour eux\N« être homme », « être femme »,
mes possibles, mes impossibles,\Ntoujours d'après eux,
enfin toutes ces petites injonctions\Nqui ont participé de mon éducation,
et auxquelles, consciemment\Nou inconsciemment, je veux être fidèle,
tant je me définis par cette appartenance.
Donc en fait, il nous faudrait pouvoir dire non
à ce que j'imagine que l'autre attend de moi,
et à mon besoin viscéral\Nde plaire à l'autre et aux autres.
Et on voudrait que ce soit facile ?
Pouvoir dire « non »,\Nc'est ouvrir le champ des possibles.
Et quand ce non n'existe pas,\Nquand il est difficile à installer,
faut-il s'étonner que\Nnotre psychisme mette en place d'autres maux ?
Cette fois-ci pas des mots « m-o-t »,\Ndes maux, « m-a-u-x »,
ces petits symptômes\Nqui viennent nous enquiquiner la vie,
symptômes sexuels, ou plus largement\Nsymptômes handicapant notre relation à
l'autre,
ces symptômes qui vont mettre l'autre à distance,
empêcher la relation, ou encore,\Nme prévenir que je ne suis pas dans mon axe,
que je ne suis pas dans la révélation de moi-même,
mais dans une répétition de schémas hérités,\Ndans laquelle je me sclérose.
Donc la liberté, si on imagine que la liberté sexuelle,\Nc'est de pouvoir se
libérer
des enjeux de la relation à l'autre,\Net également de mon histoire personnelle,
ce serait vouloir la libérer\Nde tout ce qui fait mon humanité,
de tout ce qui fait que contrairement à un robot,\Nnous sommes des êtres
ambivalents,
sans cesse bousculés\Npar nos contradictions et par nos émotions.
La liberté ne peut faire l'économie de nos limites.
Au contraire, c'est dans le respect de ces limites\Nque nous cheminons et
grandissons.
Néanmoins, il nous appartient\Nà chacun d'entre nous de repérer ces limites,
et de les comprendre, afin de pouvoir mieux nous cerner dans notre singularité,
et ainsi pouvoir nous révéler\Net nous abandonner à l’orée de l'autre.
Je vous remercie.
(Applaudissements)

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