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CAS CLINIQUE
a
Service de parasitologie — mycologie — médecine tropicale, CHU de Tours, 2, boulevard
Tonnellé, 37044 Tours cedex 09, France
b
CEPR, Inserm U1100, EA 6305, faculté de médecine, université François-Rabelais, 10,
boulevard Tonnellé, BP 3223, 37032 Tours, France
c
Service de médecine interne et maladies infectieuses, CHU de Tours, 2, boulevard Tonnellé,
37044 Tours cedex 09, France
d
Service de dermatologie, CHU de Tours, avenue de la République, 37170 Tours cedex 09,
France
e
Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU de Tours, avenue de la République,
37170 Tours cedex 09, France
f
Centre national de référence des mycoses invasives et antifongiques, Institut Pasteur, 25-28,
rue du Docteur-Roux, 75015 Paris, France
g
CNRS URA3012, Institut Pasteur, 25, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris cedex 15, France
h
Inserm U930, faculté de médecine, université François-Rabelais, 2, boulevard Tonnellé,
37044 Tours cedex 09, France
∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail : guillaume.desoubeaux@univ-tours.fr, guitoon007@hotmail.com (G. Desoubeaux).
1 Les deux premiers auteurs ont contribué également à la réalisation de ce travail.
0151-9638/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.10.044
202 G. Desoubeaux et al.
KEYWORDS Summary
Cutaneous Background. — Mucormycosis are rare fungal infections occurring chiefly in the lung or the rhi-
mucormycosis; nocerebral compartment, particularly in patients with immunodeficiency or mellitus diabetes.
Corticosteroids; We report the case of an elderly patient with cutaneous mucormycosis caused by Rhizopus
Rhizopus microsporus.
microsporus; Patients and methods. — An 89-year-old man presented a skin lesion of the forearm rapidly
Liposomal becoming inflammatory and necrotic. The patient had been treated for 2 months with oral
amphotericin B; corticosteroids for idiopathic thrombocytopenia. Histological and mycological examination of
Debridement surgery the skin biopsy revealed the presence of a filamentous fungus, R. microsporus. The outcome
was unfavorable, despite prescription of high-dose liposomal amphotericin B.
Discussion. — Mucormycosis are infrequent opportunistic infections caused by angio-invasive
fungi belonging to the Mucorales order. Cutaneous presentations are rare, and in rare cases
the species R. microsporus is isolated in clinical samples. Diagnosis is based on histological
examination highlighting the characteristic mycelium within infected tissue, together with ex
vivo mycological identification using morphological and molecular methods. Treatment consists
of liposomal amphotericin B combined with debridement surgery.
Conclusion. — R. microsporus is a marginal fungal species rarely isolated in clinical practice,
and even less in dermatology departments. This clinical case report highlights the severity of
infection with this fungus, particularly in the absence of early surgery.
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Discussion
Bien que rares, les mucormycoses — mycoses opportu-
nistes dues à des moisissures de l’ordre des Mucorales —
sont placées au deuxième rang d’occurrence des infec-
tions opportunistes à champignons filamenteux, derrière
les aspergilloses [3,6]. Leur incidence est en augmenta-
tion en raison de l’accroissement des populations à risque
(transplantées, allogreffées, sous immunosuppresseurs ou
chimiothérapies cytostatiques. . .), combiné à l’usage accru
d’antifongiques (comme le voriconazole) présentant des
trous de spectre envers ces agents infectieux [1,6].
Saprophytes de l’environnement, les spores de Mucorales
Figure 1. Lésion nécrotique de l’avant-bras gauche. La lésion
prend l’allure d’un large ecthyma gangréneux. Le centre est nécrosé
sont ubiquitaires. Elles sont trouvées en suspension dans
et suppuré, tandis que la bordure apparaît érythémateuse, très l’air, ou déposées à la surface de la terre ou des végé-
inflammatoire. taux [2,5]. La germination des spores et leur filamentation
Collection C. Houssin. au sein des tissus de l’hôte sont normalement contrôlées
par les défenses innées. Les Mucorales ne deviennent habi-
tuellement pathogènes que chez des patients réceptifs :
50 × 109 plaquettes/L, traitée par prednisone (Cortancyl® , immunodéprimés, diabétiques (surtout lors de décompensa-
20 mg/j) depuis deux mois, ainsi qu’une hospitalisation tions acidocétosiques), insuffisants rénaux, patients traités
d’une dizaine de jours en réanimation, un mois aupara- par chélateurs du fer (déféroxamine), prématurés et enfants
vant, pour pneumopathie hypoxémiante à pneumocoque. Au malnutris [1,3].
moment de la présente hospitalisation, le taux de neutro- Les présentations cliniques de la mucormycose diffèrent
philes circulants était de 2,3 × 109 /L. en fonction du terrain de réceptivité sous-jacent, de la porte
Des écouvillonnages réalisés en superficie de la plaie d’entrée et de l’espèce fongique impliquée. De façon géné-
étaient adressés aux laboratoires de bactériologie et rale, les genres les plus fréquemment isolés en clinique sont
de mycologie. Des colonies très expansives, de couleur Rhizopus, Mucor et Lichtheimia (anciennement Absidia),
blanc gris, envahissaient rapidement tous les milieux suivis par Rhizomucor [1,3]. Sur les 929 cas de mucormy-
de culture. La microscopie optique montrait de larges coses rapportés dans la revue de Roden et al. [2], l’atteinte
filaments non septés. Cet aspect orientait vers un sinusale représentait 39 % des observations, la localisation
champignon filamenteux de l’ordre des Mucorales, appar- pulmonaire 24 % et l’atteinte cutanée 19 %, soit 176 cas.
tenant au genre Rhizopus. Un séquençage des régions De façon particulière, la majorité des patients présentant
ITS (internal transcribed spacer) de la sous-unité ribo- une mucormycose cutanée n’étaient ni neutropéniques, ni
somale 5,8S de l’isolat identifiait R. microsporus avec ne présentaient de conditions débilitantes sous-jacentes
100 % de recouvrement et 100 % d’homologie de séquences [2,5]. Dans plus de 70 % des cas, la notion d’une lésion
(http://blast.ncbi.nlm.nih.gov/). Le patient était alors préexistante, même minime (brûlure, chirurgie, accident
transféré dans le service de médecine interne et maladies de la voie publique, piqûre d’insectes. . .), était trouvée
infectieuses du CHRU de Tours. dans l’historique du patient [2,3,7]. L’inoculation s’opère
Afin d’exclure une contamination superficielle et transi- directement au niveau des tissus cutanés lésés à travers un
toire par cette moisissure, des biopsies profondes étaient traumatisme engendré par des corps étrangers eux-mêmes
pratiquées en bordure de plaie. Le derme profond renfer- contaminés par des spores de Mucorales, comme peuvent
mait des filaments mycéliens rubanés au sein d’infiltrats l’être le bois, le coton, les fruits et végétaux, le sol, les
inflammatoires. L’aspect in vivo était très évocateur de produits en décomposition, les dards d’arthropodes piqueurs
mycélium de Mucorales (Fig. 2a—d). R. microsporus était de tels les scorpions [5]. De façon récente, plusieurs cas de
nouveau isolé en deux jours de culture (BDTM Sabouraud Glu- mucormycoses cutanées ont ainsi été rapportés chez des
cose Agar) (Fig. 2e et f). Par microméthode en milieu liquide sujets immunocompétents présentant des blessures plus ou
(EUCAST), le Centre national de référence des mycoses et moins superficielles engendrées par des catastrophes natu-
antifongiques (CNRMA) de l’Institut Pasteur de Paris estimait relles comme les tsunamis, les éruptions volcaniques ou les
la concentration minimale inhibitrice (CMI) d’amphotéricine tornades [5,8].
B à 0,06 g/mL, celles du voriconazole et de la caspofungine Classiquement, la mucormycose cutanée débute par une
à 8, et celle du posaconazole à 0,25. Le patient recevait dermo-hypodermite (« cellulite ») rapidement extensive qui
alors de l’amphotéricine B liposomale (Ambisome® ) à la se nécrose en son centre, puis se répand de proche en proche
dose de 5 mg/kg par jour. Le patient, qui présentait par pour aboutir à un tableau de gangrène irréversible. Tel que
ailleurs un foyer pulmonaire hémoptoïque dont l’étiologie le décrit l’article de Petrikkos et al., l’administration de
n’avait pas été déterminée, se dégradait parallèlement sur corticoïdes sur le long cours et l’âge extrême ont pu jouer
le plan respiratoire. En raison de son état général, la prise un rôle dans la survenue de l’infection chez notre patient
en charge était uniquement palliative, sans recours possible [1]. Contrairement à Mucor circinelloides, la responsabilité
204 G. Desoubeaux et al.
Figure 2. Examen anatomo-pathologique et mycologique d’une biopsie de la lésion cutanée : a : examen direct de l’apposition de biopsie
cutanée avec l’agent fluorescent Uvitex 2B® (Ciba-Geigy, ×400) ; b : coloration HES d’une coupe histologique de biopsie cutanée (×400) ; c :
coloration PAS d’une coupe histologique de biopsie cutanée (×400) ; d : imprégnation argentique de Gomori-Grocott d’une coupe histologique
de biopsie cutanée (×400) ; e : aspect macroscopique après 3 jours de culture sur milieu de Sabouraud en tube (à 30 et 37 ◦ C) ; f : aspect
microscopique après 3 jours de culture sur milieu de Sabouraud (technique du drapeau, ×100, avec deux grossissements × 400 dans les
encarts en pointillés). Sur les examens mycologiques directs et histologiques (a—d), les filaments fongiques apparaissent larges (Ø ≈ 10 m)
et dilatés, non septés, parfois ramifiés à angle droit (flèches). Les cultures de ces prélèvements cutanés ensemencés en milieux de Sabouraud
sont rapidement extensives (e). D’allure cotonneuse, les colonies sont exubérantes, envahissant tout le tube. Microscopiquement, des grands
sacs sporogènes appelés sporocystes se trouvent à l’extrémité de sporocystophores (sortes de pieds) allongés et disposés en bouquet. Bien
visible dans l’encart inférieur, une apophyse discrètement évasée se situe juste en-deçà du sporocyste rempli de spores de grande taille.
Comme sur l’encart supérieur, de nombreuses structures en racine, appelées rhizoïdes, sont caractéristiques du genre Rhizopus. L’espèce
a été identifiée par séquençage et confirmée ultérieurement par le Centre national de référence des mycoses et antifongiques.
Collection Drs E. Bailly et G. Desoubeaux.
de R. microsporus reste cependant exceptionnelle dans les revue de Roden et al. [2], seules 3 % des 176 mucormycoses
mucormycoses cutanées, cette espèce étant davantage cutanées rapportées étaient le résultat d’un foyer profond
isolée à partir de prélèvements respiratoires chez les sujets ayant métastasé à la peau, tandis qu’inversement, les
atteints d’hémopathies [2,3]. Pourtant, son isolement disséminations secondaires à partir de tissus cutanés vers
récurrent (avec identification par des techniques phénoty- d’autres organes non contigus concernaient 20 % des cas.
piques et moléculaires), associé à un aspect histologique Depuis la parution de cette revue en 2005, un seul cas de
évocateur (avec présence de filaments au sein du derme dissémination cutanée secondaire a été rapporté [5]. De
sous-jacent), démontre le caractère invasif du processus plus, les mucormycoses cutanées secondaires donnent plus
infectieux dont l’origine semble cutanée chez notre patient, volontiers de multiples nodules ecchymotiques sous-cutanés
puisque l’atteinte s’était initialement manifestée au niveau et non une lésion unique de nécrose avec suppuration et
d’une plaie existant depuis plusieurs années. Par ailleurs, la inflammation comme observée sur le bras de notre patient
présence d’une symptomatologie hémoptoïque associée à [5]. Enfin, l’absence d’isolement de R. microsporus sur les
des images pulmonaires excavées, ainsi que des opacités et prélèvements respiratoires (expectorations, aspirations et
un épanchement pleural, était compatible avec une mucor- lavage broncho-alvéolaire) n’a de toute façon jamais permis
mycose pulmonaire. Cette observation clinico-radiologique, de conclure à une localisation pulmonaire du champignon.
qui n’a jamais été documentée par ailleurs, a soulevé De façon globale, l’évolution clinique des mucormycoses
l’hypothèse d’un foyer cutané primitif unique qui aurait est rapidement péjorative [1,7]. L’angio-invasion fongique
disséminé secondairement vers le site pulmonaire. Bien est responsable de thrombus, donc d’ischémie en aval
que moins probable d’après le contexte, le schéma inverse dont découle une nécrose tissulaire rapide, ainsi qu’une
aurait pu aussi être envisagé, mais les atteintes cutanées possible dissémination de proche en proche ou par voie
secondaires sont exceptionnelles et se rencontrent seule- hématogène [9]. De ce fait, la mortalité est élevée, surtout
ment en cas d’immunodépression profonde [2]. D’après la en cas d’infection disséminée ou pulmonaire, de maladie
Mucormycose cutanée à Rhizopus microsporus 205