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DE SON IDENTITÉ
Cours général
de droit international public
par
PROSPER WEIL
P. WEIL
13
NOTICE BIOGRAPHIQUE
PRINCIPALES PUBLICATIONS
Ouvrages
Les conséquences de l'annulation d'un acte administratif pour excès de pouvoir,
Paris, Pedone, 1952.
Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (en collaboration), Paris,
Sirey, 1956 (10e éd., 1993) (traduction en arabe).
Le droit administratif, Paris, Presses universitaires de France, 1964 (16 e éd.,
1994) (traductions en espagnol, en portugais et en vietnamien).
Perspectives du droit de la délimitation maritime, Paris, Pedone, 1988 (version
anglaise: The Law of Maritime Delimitation — Reflections, Cambridge, Gro-
tius, 1989).
Principaux articles de droit international
«La nature du lien de fonction publique dans les organisations internationales»,
Revue générale de droit international public, 1963, pp. 273 ss.
«Les problèmes relatifs aux contrats passés entre un Etat et un particulier»,
Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome 128 (1969-III),
pp. 101 ss.
«Droit international et droit administratif», Mélanges offerts à Louis Trotabas,
Paris, LGDJ, 1970, pp. 511 ss.
«Un nouveau champ d'influence pour le droit administratif français: le droit
international des contrats», Etudes et documents du Conseil d'Etat, 1970,
pp. 13 ss.
« Le droit international économique : mythe ou réalité ? » Aspects du droit inter-
national économique. Colloque de la Société française pour le droit interna-
tional», 1971, Paris, Pedone, 1972, pp. 3 ss.
«Le règlement territorial dans la résolution du 22 novembre 1967 », The Israeli
Institute of International Affairs, International Problems, vol. X, 1971, nos 1-2,
pp. 16 ss.
«Territorial Settlement in the Resolution of November 22, 1967», The Arab-
Israeli Conflict (John Norton Moore, dir. pubi.), vol. II, Princeton University
Press, 1974, pp. 319 ss.
«Les clauses de stabilisation ou d'intangibilité insérées dans les accords de
développement économique», La communauté internationale. Mélanges
offerts à Charles Rousseau, Paris, Pedone, 1974, pp. 301 ss.
« Le judaïsme et le développement du droit international », Recueil des cours de
l'Académie de droit international, tome 151 (1976-III), pp. 253 ss.
«Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes
des Etats étrangers», Annuaire français de droit international, 1977, pp. 9 ss.
«Droit international et contrats d'Etat», Le droit international: Unité et diver-
sité. Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, pp. 549 ss.
«Principes généraux du droit et contrats d'Etat», Le droit des relations écono-
miques internationales. Etudes offertes à Berthold Goldman, Paris, Litec,
1982, pp. 387 ss.
« Vers une normativité relative en droit international ? » Revue générale de droit
international public, 1982, pp. 5 ss.
«Towards Relative Normativity in International Law?» American Journal of
International Law, vol. 77, 1983, pp. 413 ss.
«International Law Limitations on State Jurisdiction», Extra-territorial Appli-
cation of Laws and Responses Thereto (C. J. Olmstead, dir. pubi.), Internatio-
nal Law Association, Oxford, 1984, pp. 32 ss.
22 Prosper Weil
ABRÉVIATIONS
CHAPITRE I
* Exception faite de quelques rares additions, le cours ici publié suit de près
l'enseignement oral donné en 1992. De là l'optique générale adoptée: pédago-
gique et volontairement simplificatrice. L'ambition de ce cours a été d'offrir aux
auditeurs quelques thèmes de réflexion plutôt qu'une étude approfondie et scien-
tifiquement étayée de l'ensemble, ou même des chapitres les plus importants, du
droit international. De là aussi l'absence d'appareil bibliographique: les réfé-
rences qui figurent dans les notes servent simplement à identifier la source des
passages cités dans le texte ; elles ne doivent pas être regardées comme des indi-
cations bibliographiques, même sommaires. Sauf indication contraire, les ita-
liques dans les citations de jurisprudence ou de doctrine ont été ajoutés.
26 Prosper Weil
Le thème du changement
Le thème de la permanence
La fonction territoriale
PREMIÈRE PARTIE
PROBLÈMES D'EXISTENCE
CHAPITRE II
imposée par les plus puissants aux plus faibles au nom de principes
supérieurs : ici comme dans la fable de La Fontaine, « la raison du
plus fort est toujours la meilleure». A preuve, le droit de la protec-
tion diplomatique ou les règles gouvernant l'acquisition de territoires,
au siècle dernier; la théorie de la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles ou le principe d'autodétermination, à l'heure
actuelle. Les innombrables «doctrines» qui jalonnent l'histoire du
droit international — Monroe, Stimson, Calvo, Truman, Brejnev,
Reagan, etc. — ne sont pas autre chose que des programmes poli-
tiques habillés de droit.
Le droit international, assure-t-on également, n'est qu'une
mosaïque de conceptions nationales. Le Restatement américain, par
exemple, rend compte du droit international «as applied by the
United States», et il n'est pas de revue de droit international qui ne
décrive les prises de position nationales (gouvernementales ou judi-
ciaires) sur des problèmes de droit international. Le rôle croissant
des tribunaux nationaux dans l'application d'un droit international
qui régit toujours davantage la vie quotidienne des citoyens ne peut
que favoriser cet éclatement du droit international en approches
nationales diversifiées et parfois contradictoires. Cette vision d'un
droit international multiforme a été illustrée par Guy de Lacharrière
dans un livre au titre éloquent : La politique juridique extérieure, qui
montre que les gouvernements adoptent à chaque instant, sur chaque
problème juridique, la vue conforme à leurs intérêts politiques du
moment. L'auteur relate qu'ayant interrogé, à un moment où il était
directeur des affaires juridiques du ministère français des Affaires
étrangères, l'un de ses collègues étrangers sur le point de savoir si
son pays était partisan de l'équidistance ou des principes équitables
en matière de délimitation maritime, celui-ci lui répondit: «Ça
dépend de la partie de nos côtes dont il s'agit. » ' 6
En un mot, le droit international ne serait, pour les négateurs, que
la politique de puissance poursuivie par d'autres moyens, une façade
trompeuse, une «incitation permanente à l'hypocrisie» (R. Aron),
mais non pas un système normatif qui commanderait effectivement
la conduite des Etats.
Plus intéressantes pourtant que ces banalités sont les théories qui,
partant de l'analyse du phénomène juridique en général, en arrivent
18. Jennings, «International Law...», op. cit. supra note 14, p. 344.
19. Henkin, «International Law...», op. cit. supra note 7, p. 69.
Cours général de droit international public 49
22. Henkin, «International Law...», op. cit. supra note 7, pp. 71 ss.
Cours général de droit international public 51
La demande de droit
24. K. Marek, « Sur la notion de progrès », ASDI, vol. XXXVIII, 1982, pp. 38
et 43.
25. Anzilotti, Cours..., op. cit. supra note 8, p. 43 (italiques dans le texte).
Cours général de droit international public 53
Obligation et sanction
26. Sud-Ouest africain, deuxième phase, CIJ Recueil 1966, p. 46, par. 86. Cf.
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, deuxième phase, CIJ
Recueil 1970, p. 45, par. 82.
Cours général de droit international public 55
27. Ch. Leben, « La juridiction internationale», Droits, 1989, pp. 143 ss.
28. M. Virally, «De la prétendue «primitivité» du droit international»,
Recueil de la Société suisse des juristes, Genève, 1969, pp. 201 ss. (reproduit
dans Le droit international en devenir. Essais écrits au fil des ans, Paris, Presses
universitaires de France, 1990, pp. 91 ss.).
56 Prosper Weil
élaborée que celle des systèmes internes ne prive pas l'ordre interna-
tional de toute sanction quelle qu'elle soit.
29. Ago, «Science juridique...», op. cit. supra note 12, p. 951.
30. D'Amato, «Is International Law...», op. cit. supra note 20, pp. 1303 ss.
31. Op. cit. supra note 4, p. 17.
58 Prosper Weil
armée a constitué depuis la nuit des temps l'un des traits caractéris-
tiques des relations entre nations d'abord, entre Etats ensuite. Il fai-
sait partie intégrante de ce que l'on a appelé l'état de nature, carac-
térisé, selon la célèbre formule de Hobbes, par le bellum omnium
contra omnes. Les moralistes voyaient certes dans la guerre un phé-
nomène négatif, mais ils se contentaient, à l'instar des Prophètes
hébreux, d'en renvoyer la disparition à la fin des temps: c'est alors,
et alors seulement, que le loup et l'agneau vivront ensemble, et que
l'on transformera les épées en socs de charrues. Tout au plus
essayait-on d'humaniser quelque peu le jus in bello. Quant au jus ad
bellum, la légitimité en était admise, même si l'on cherchait à la res-
treindre à la guerre dite «juste ».
C'est seulement à la fin du XIXe siècle que l'idée de prohiber le
recours à la force comme moyen de l'action internationale a com-
mencé à ne plus apparaître comme totalement irréaliste. L'évolution,
cependant, fut difficile et hérissée d'obstacles. En 1907 encore, la
Convention de La Haye pour le règlement pacifique des différends
internationaux bornait ses ambitions à « prévenir autant que possible
le recours à la force dans les rapports entre les Etats ». Au début de
ce siècle encore, la guerre, même si elle était regardée comme une
triste fatalité, n'était pas considérée comme juridiquement intolé-
rable. Un quart de siècle plus tard, les signataires du Pacte Briand-
Kellog de 1928 déclareront solennellement qu'ils «condamnent le
recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et
y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs
relations mutuelles». Mais il faudra attendre un nouveau quart de
siècle pour voir franchir le pas décisif: c'est seulement avec l'ar-
ticle 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies que l'engagement
est enfin pris de s'abstenir de « recourir à la menace ou à l'emploi de
la force». Depuis lors cette idée a été reprise dans d'innombrables
instruments internationaux: dans la Déclaration de 1970 sur les prin-
cipes gouvernant les relations amicales (qui définit de manière
quelque peu inattendue la guerre d'agression comme un «crime
contre la paix»); dans la Déclaration de Manille de 1982 sur le
règlement pacifique des différends; dans l'Acte final d'Helsinki, etc.
Complétée par la célèbre «Définition de l'agression» énoncée par la
résolution de l'Assemblée générale 3314 (XIX) de 1974, qui recourt
au concept d'« emploi de la force armée en violation de la Charte par
un Etat agissant le premier», la prohibition de la force et de la
menace de recourir à la force s'est imposée comme l'un des piliers
60 Prosper Weil
de ce que l'on appelle le droit des Nations Unies ou, plus largement,
le droit international moderne ou contemporain. Les Etats, déclare la
Cour, la « mentionnent souvent comme étant non seulement un prin-
cipe de droit coutumier, mais encore un principe fondamental ou
essentiel de ce droit», et la Commission du droit international a vu
là, rappelle-t-elle, «un exemple frappant d'une règle de droit interna-
tional qui relève du jus cogens»34. L'article 19 du projet d'articles
sur la responsabilité des Etats élaboré par la Commission considère
la prohibition de la force comme le prototype d'une «obligation
internationale d'importance essentielle» dont la violation constitue
un crime de l'Etat.
Cette interdiction de l'emploi décentralisé de la force par les ac-
teurs du droit international que sont les Etats s'est accompagnée très
naturellement d'une centralisation de l'emploi de la force : à la guerre
entre Etats a succédé l'opération de police institutionnalisée du cha-
pitre VII de la Charte. Les articles 42 et 43 de la Charte permettent
en effet au Conseil de sécurité, lorsque les mesures n'impliquant
pas l'emploi de la force armée s'avèrent «inadéquates» pour main-
tenir la paix et la sécurité internationales, d'« entreprendre, au moyen
de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge néces-
saire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales », y compris des actes exécutés par des membres des
Nations Unies. A cet effet tous les membres des Nations Unies
s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, confor-
mément à des accords spéciaux, les forces armées nécessaires.
Dernier élément de ce tableau optimiste : la légitime défense, dont
l'article 51 de la Charte a assuré la survie, est aujourd'hui regardée
par la majorité des auteurs, comme par la jurisprudence, non pas
comme une plage de non-droit qui subsisterait en marge du droit,
mais comme une institution réglementée par le droit et qui en fait
partie intégrante. De cette réglementation la Cour a fourni les élé-
ments essentiels dans son arrêt en l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua, qui trace les grandes lignes de ce que
l'on pourrait appeler le code de la légitime défense. Par exemple, le
droit de légitime défense individuelle «ne peut être exercé que si
l'Etat intéressé a été victime d'une agression armée», telle que celle-
ci est définie par la résolution 3314 (XIX) de l'Assemblée générale.
39. Henkin, «International Law...», op. cit. supra note 7, pp. 150 ss.
64 Prosper Weil
40. Marek, «Sur la notion de progrès», op. cit. supra note 24, p. 38.
41. AJ1L, vol. 64, 1970, p. 809.
42. Henkin, AJIL, vol. 65, 1971, p. 544.
Cours général de droit international public 65
apte à mettre fin aux plus graves tensions sociales. Ce serait là, à
mon sens, surestimer la capacité du droit en général, et du droit
international en particulier. Que le droit constitue, par sa prévisibilité
et par la sécurité qu'il entraîne, un régulateur puissant et précieux de
la vie sociale, cela est certain. Mais de là à placer en lui l'espoir
qu'il saura résoudre les difficultés les plus fondamentales des rela-
tions sociales, il y a un pas que l'on doit se garder de franchir. Pas
plus que le droit civil n'est apte à mettre fin aux tensions familiales,
ou le droit constitutionnel à empêcher les explosions politiques, le
droit international ne peut résoudre les crises les plus fortes de la vie
des Etats. C'est parce que l'on attend trop de lui que le droit interna-
tional déçoit si souvent. Les tensions les plus vitales sont rebelles au
droit. Ni la décolonisation, ni la guerre froide, ni l'écroulement de
l'empire soviétique — pour ne prendre que des exemples relevant du
passé — n'ont été dominés ou résolus par le droit, même si le droit
y a joué un certain rôle. Il faut l'admettre une fois pour toutes: tous
les problèmes ne sont pas susceptibles d'être résolus par le droit. On
disait naguère que certains différends internationaux ne sont pas
«justiciables» parce qu'ils mettent en cause les intérêts vitaux ou
l'honneur des Etats : même si cette théorie est aujourd'hui condam-
née sur le plan technique et procédural, elle correspondait à une cer-
taine vérité. La structure même de la société internationale impose
des limites aux capacités du droit.
Parlant de la crise de Cuba en 1963, Dean Acheson estimait que le
droit «simply does not deal with such questions of ultimate
power . . . The survival of States is not a matter of law. » 43 Même si ce
propos a été mal accueilli par certains juristes, on ne saurait le récu-
ser comme totalement inexact. Comme l'a écrit Krystyna Marek:
«on ne décrète pas l'interdiction de la guerre comme on ne décrète
pas l'interdiction des épidémies. Ce sont là des phénomènes sur les-
quels le normatif n'a pas de prise. » ^
Le mythe de la paix par le droit doit être abandonné une fois pour
toutes. La prohibition du recours à la force a été proclamée en droit
à un moment où l'usage des armes de destruction massive et l'équi-
libre de la terreur ont rendu ce recours trop dangereux, mais cette
prohibition n'a pas réussi à aller au-delà de certaines limites. Il y a
45. J. Brierly, The Law of Nations, 6th ed. by C. H. H. Waldock, Oxford, Cla-
rendon Press, 1963, p. 48.
Cours général de droit international public 67
normes dérive du principe que les Etats doivent respecter les accords
conclus entre eux : pacta sunt servanda. » Explication circulaire qui
revient à expliquer que l'opium fait dormir en raison de sa vertu dor-
mitive? Non, rétorque l'illustre auteur: il s'agit là d'une
«norme première au-delà de laquelle il n'est pas possible de
trouver une autre norme qui en explique le caractère juridique
et que, par suite, la science du droit prend comme une hypo-
thèse ou un postulat indémontrable » 49.
Bref, c'est en vertu de la règle pacta sunt servanda que l'accord
exprès ou tacite oblige ; quant à la règle pacta sunt servanda elle-
même, elle constitue une «hypothèse première et indémontrable»,
une limite sur laquelle tout raisonnement logique vient buter sans
espoir de la franchir. Pour rendre cette explication plus acceptable,
Roberto Ago fera de pacta sunt servanda l'une de ces règles « spon-
tanées » qui, selon lui, forment l'ossature du système normatif inter-
national bien plus que les règles « posées » :
«dans l'ordre international, le «fondement» de la validité des
règles posées par les traités est fourni par la règle de formation
spontanée existant dans le même ordre, qui confère aux Etats le
pouvoir de donner naissance, par des accords de volonté, à des
règles de droit particulier relatives à leurs rapports » 50 .
Par-delà ces subtilités, l'idée des volontaristes est simple: le droit
international est obligatoire pour les Etats parce que les Etats y ont
consenti, et dans la mesure, par conséquent, où ils y ont consenti.
Cette intériorisation du fondement du droit international s'exprime
dans une formule fréquemment employée : les Etats sont à la fois les
auteurs et les sujets du droit international.
Cela dit, le consentement dans lequel les volontaristes voient le
fondement du caractère obligatoire du droit international peut se
situer à des niveaux très différents, tant et si bien que volontarisme
et consensualisme recouvrent des approches qui forment un éventail
largement ouvert. La version la moins exigeante se bornera à un
consentement général de l'ensemble des Etats à l'ensemble du droit
international, sans exiger un accord de chaque Etat à chacune des
règles. La version la plus exigeante estimera qu'un Etat ne peut être
Le courant objectiviste
52. Lacharrière, La politique juridique..., op. cit. supra note 16, p. 26.
Cours général de droit international public 73
Le procès du volontarisme
Le procès de l'objectivisme
54. Change and Stability in International Law Making (A. Cassese et J. Wei-
ler, dir. pubi.), Berlin, de Gruyter, 1988, passim. Voir Ch. Leben, «Une nouvelle
controverse sur le positivisme en droit international public», Droits, 1987,
pp. 121 ss.
Cours général de droit international public 75
55. R. Ago, «Droit positif et droit international», AFDI, 1957, pp. 57 et 62.
76 Prosper Weil
fite et qui elle lèse, quelles sont ses implications et ses conséquences
politiques ou sociales; il se demandera s'il serait souhaitable de la
changer; il imaginera des règles de substitution et suggérera des
modalités pour opérer le changement.
Oscar Schachter divise à cet égard les internationalistes en «ins-
trumentalistes» et «positivistes». L'instrumentaliste met l'accent sur
les valeurs et les finalités; il est «policy-oriented». Le positiviste
aborde les règles du droit international selon des critères intérieurs
au système; il est «rule-oriented». Le positiviste fait grief à l'instru-
mentaliste d'être dangereusement subjectif, et de transformer le droit
en politique. L'instrumentaliste reproche au positiviste son étroitesse
d'esprit et son formalisme qui le conduisent à ériger les moyens en
fins57.
Les deux fonctions ne sont à vrai dire pas exclusives l'une de
l'autre, et l'une est aussi légitime que l'autre. On peut se vouloir, à
un certain moment, un « cartographe » (M. Virally) du droit interna-
tional; cela n'interdit pas, à un autre moment, de s'en faire l'expli-
cateur ou le critique. Décrire le droit positif ne signifie pas l'approu-
ver. Aucune des deux approches n'est plus «vraie» que l'autre, pas
plus que la « vérité » ne permet de choisir entre deux photographies
d'une même personne prises sous deux angles différents.
Que le droit positif n'est pas tout, que ses fondements et ses fina-
lités le dépassent mais soient tout autant que lui dignes d'intérêt, qui
songerait à le nier? Anzilotti, ce prince des positivistes, ne cachait
pas que sa théorie consensualiste du fondement du droit internatio-
nal n'avait de valeur que du «point de vue normatif», c'est-à-dire à
l'intérieur du système, mais qu'elle était insuffisante du «point de
vue explicatif, qui est celui de la sociologie et de la politique»58. Il
n'en reste pas moins que l'on peut célébrer, avec Ago, la «conquête
fondamentale» que constituent «la libération du droit de tout élé-
ment extrajuridique» et la reconnaissance du fait que «morale et
droit se trouvent sur deux plans différents » 59 . Reconnaître cette
différence n'implique ni soumission aveugle aux forces dominantes,
ni complicité avec les abus, ni neutralité, ni insensibilité. Michel
Virally a dit plaisamment qu'avant de devenir le médecin qui lutte
contre la maladie et cherche à détruire microbes et virus il faut se
60. In Change and Stability..., op. cit. supra note 54, pp. 145 et 156.
61. G. Fitzmaurice, «The General Principles of International Law Considered
from the Standpoint of the Rule of Law» (cours général), RCADI, tome 92
(1957-11), p. 40.
Cours général de droit international public 79
67. Ago, «Science juridique...», op. cit. supra note 12, p. 953.
83
CHAPITRE III
LE CHAMP D'APPLICATION
DU DROIT INTERNATIONAL
70. G. Tunkin, Droit international public, op. cit. supra note 9, pp. 20 et 33.
86 Prosper Weil
Universalité et multiculturalisme
unis par une culture commune — ils ne le sont pas, et c'est parce
qu'ils ne le sont pas qu'il existe un droit international. Ce qui
importe, c'est qu'ils se reconnaissent tous liés, malgré leurs diffé-
rences, et à cause de leurs différences, par un corps de règles com-
mun. Ce corpus a beau être incomplet et peu satisfaisant à bien des
égards quant à la qualité de sa normativité ; du moins ce corpus com-
mun existe-t-il et est-il reconnu comme tel par tous les Etats, nou-
veaux aussi bien qu'anciens. S'il y a polyphonie culturelle, il n'y a
pas cacophonie juridique, et ce ne sont pas les particularités de tel ou
tel droit régional qui peuvent affecter l'universalité du droit interna-
tional.
Il n'y a guère, on y reviendra, qu'en matière de droits de l'homme
que certains Etats cherchent à s'abriter derrière leur particularisme
culturel pour échapper à la mondialisation de la protection des droits
de l'homme. L'universalité du droit international devrait suffire à
faire obstacle à des tentatives de sécessionnisme juridique sous la
bannière du multiculturalisme.
Fait remarquable, et qui risque de choquer certains: c'est, comme
je l'ai déjà noté, autour du modèle étatique européen, et autour des
fonctions de base élaborées à l'époque du droit international euro-
centré, que l'universalité du système a été acquise. La Charte des
Nations Unies repose elle-même sur les conceptions européennes
traditionnelles. Constater ce phénomène ne constitue nullement —
est-il besoin de le préciser? — une manifestation d'impérialisme
culturel européen; simplement, il s'est trouvé que le modèle euro-
péen a su s'adapter au multiculturalisme accru de notre époque.
En bref, il n'existe aujourd'hui, dans ce système international qui
comporte bien des défauts et suscite bien des inquiétudes, aucun
doute quant à l'existence d'un corps de droit applicable universelle-
ment. L'universalité, aujourd'hui acquise, du droit international
constitue l'un des succès les plus remarquables du système, en
même temps que l'un de ses aspects les plus encourageants pour
l'avenir. Ce n'est pas là, à coup sûr, que l'on peut parler de crise.
l'une l'autre comme elles l'ont toujours fait. Sur ce point, l'exten-
sion du domaine du droit international n'a provoqué ni crise ni alté-
ration du système.
C'est sur un autre point que la crise d'identité a pu apparaître plus
sérieuse. Certaines conquêtes récentes du droit international se pré-
sentent en effet à la manière des marches lointaines d'un empire qui
auraient profité de leur éloignement du centre pour acquérir un cer-
tain degré d'autonomie. L'empire du droit international se serait en
quelque sorte étiré au point d'éclater et de perdre son unité. Ne
convient-il pas dès lors, ont dit certains, de substituer à la vision
d'un droit international unique et unitaire l'image d'une constella-
tion de disciplines plus ou moins autonomes possédant chacune ses
spécificités propres qui la distingueraient d'un droit international que
l'on qualifierait de général afin de mieux dissimuler son caractère
simplement résiduel ?
Cette théorie a connu son heure de gloire avec ce que certains ont
appelé le droit international économique. Les normes rigides et pré-
cises du droit international classique paraissent faire place en
matière économique, a-t-on souligné, à des règles moins contrai-
gnantes, dont le contenu est subordonné à l'évolution de la conjonc-
ture et fondamentalement flexibles, car toujours soumises au prin-
cipe rebus sic stantibus et à l'exigence de la renégociation. Les
règles tendent à céder le pas à des programmes, la normativité à la
prévision, le droit pur et dur à la soft law. Plus qu'à de véritables
sanctions, le droit international paraît devoir faire appel, en matière
économique, à la perte de crédibilité ou de crédit. La sanction du
monde économique, a-t-on dit, est la même que celle des Eglises:
l'exclusion de préférence à la contrainte. Au règlement judiciaire ou
arbitral, trop juridisé et trop rigide, le droit international économique
semble préférer les solutions de compromis, évitant les définitions
tranchées inadaptées à des concepts économiques aux multiples vir-
tualités. D'où la primauté reconnue par le droit international écono-
mique à la conciliation, à la consultation, à la négociation — en un
mot à l'intériorisation des procédures au sein de groupements et
organisations de caractère économique — de préférence aux modes
de règlement obligatoire par tierce partie.
A partir de ces constatations certains se sont demandé si le
Cours général de droit international public 91
Une remarque du même ordre peut être faite au sujet d'un autre
concept en vogue au cours des années soixante-dix et quatre-vingt et
qui a, lui aussi, sombré dans un relatif déclin : celui de droit interna-
tional du développement.
C'est Michel Virally qui a conféré à ce vocable ses lettres de
noblesse dans un article de 1965, au lendemain de la Conférence des
Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) de
196472. Le succès a été foudroyant: séminaires, colloques, articles et
ouvrages se sont multipliés, en particulier dans la littérature de
langue française, avant de s'épanouir dans la théorie du nouvel ordre
économique international dont Mohammed Bedjaoui, parmi d'autres,
s'est fait le très éloquent héraut73. C'est Michel Virally encore qui,
dans son cours général de 1983, a fait de la théorie du droit interna-
tional du développement l'exposé systématique le plus achevé, en en
dégageant les trois traits principaux74. Contrairement au droit inter-
national général, dont l'objet est d'imprimer aux relations interéta-
tiques une certaine stabilité, le droit international du développement
serait un droit de finalité, orienté vers la réduction des inégalités et,
partant, vers le changement de la situation actuelle. Contrairement
au droit international général, fondé sur l'égalité souveraine des
Etats, le droit international du développement serait également un
droit de discrimination, traitant à titre temporaire les «pauvres»
comme plus égaux que les «riches» et leur accordant, en vertu du
principe dit des «inégalités compensatrices», un traitement de
faveur dont on espère qu'il parviendra à les hausser un jour au
75. Bien entendu, c'est seulement dans la mesure où ces contrats relèvent du
droit international que le problème peut surgir. Dans la mesure, au contraire, où
ces contrats sont régis par un droit national (celui de l'Etat contractant, en parti-
culier) ou par ce que Fon a appelé un tiers droit (droit transnational, lex merca-
toria, etc.), la question ici examinée ne se pose pas.
76. P. Weil, «Les problèmes relatifs aux contrats passés entre un Etat et un
particulier», RCADI, tome 128 (1969-III), pp. 101 ss.; «Les clauses de stabili-
sation ou d'intangibilité insérées dans les accords de développement écono-
mique », La communauté internationale. Mélanges offerts à Charles Rousseau,
Paris, Pedone, 1974, pp. 301 ss.; «Droit international et contrats d'Etat», Le
droit international : Unité et diversité. Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris,
Pedone, 1981, pp. 549 ss.
96 Prosper Weil
79. Résolution relative à « La loi du contrat dans les accords entre un Etat et
une personne privée étrangère» (session d'Athènes, 1975), AIDI, Résolutions
1957-1991, p. 332.
98 Prosper Weil
Les remarques que j'ai été conduit à faire à propos du droit éco-
nomique, du droit du développement et du droit des contrats d'Etat
pourraient s'appliquer à d'autres domaines nouveaux qui se situaient
naguère en dehors de la sphère d'application du droit international.
Je pense par exemple à ce que l'on a appelé le droit interne, ou le
droit propre, des organisations internationales, qui régit le fonction-
nement interne des organisations internationales et, notamment,
comme je viens de le rappeler, les relations entre les organisations et
leurs fonctionnaires. Mettant fin à de vives controverses doctrinales,
la jurisprudence a en effet vu là un ensemble de règles qui, bien que
régissant les «différends internes» entre organisations et fonction-
naires, relèvent néanmoins du droit international et sont appliquées
par des tribunaux administratifs ayant la qualité de tribunaux inter-
nationaux80. Ces conquêtes du droit international, dont le champ
d'application s'est du même coup trouvé spectaculairement élargi,
n'altèrent pas la nature profonde et les fonctions fondamentales du
système.
C'est cette philosophie qui sous-tendait le dictum de la Cour per-
manente dans l'affaire des Décrets de nationalités promulgués en
Tunisie et au Maroc :
«La question de savoir si une certaine matière rentre ou ne
rentre pas dans le domaine exclusif d'un Etat est une question
essentiellement relative; elle dépend de l'évolution des rela-
tions internationales.»81
Le droit international ne se définit pas par les matières qu'il régit,
mais par les fonctions qu'il remplit dans la société des Etats. Son
champ d'application matériel est indéterminé, et c'est à juste titre
que Reuter a évoqué «l'extension indéfinie des objets sur lesquels
peut porter la norme internationale»82. Que l'explosion du domaine
du droit international à laquelle nous assistons depuis un demi-siècle
constitue un phénomène fascinant, qui en douterait? Mais de là à
conclure à une transformation de la nature et des fonctions du sys-
tème international, ou à évoquer un éclatement du système, il y a un
pas que l'on aurait, à mon avis, tort de franchir.
84. CU Recueil 1949, p. 174, notamment pp. 178, 179, 182, 185.
Cours général de droit international public 103
85. Dans cette perspective, la Cour estime que «la qualité de l'Organisation
pour exercer, dans une certaine mesure, une protection fonctionnelle de ses
agents, est nécessairement impliquée par la Charte» (p. 184). Dans un avis
consultatif ultérieur la Cour appliquera cette théorie à la constitution par l'ONU
d'un tribunal administratif «chargé de faire justice entre l'Organisation et les
fonctionnaires » et, de ce fait, « essentiel pour assurer le bon fonctionnement du
Secrétariat » : « la capacité de ce faire, déclare-t-elle, est nécessairement impli-
quée par la Charte » (Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations
Unies accordant indemnité, CU Recueil 1954, p. 57).
104 Prosper Weil
Réalité ou fiction ?
88. ACDI, 1982, vol. II, deuxième partie, p. 58, par. 2-3.
89. Voir également infra, chapitre VII.
Cours général de droit international public 107
«Ce n'est pas une guerre des Nations Unies. Il n'y a pas de
«casques bleus» ni de drapeau de l'ONU, et je suis simplement
informé du déroulement de la guerre par les rapports des alliés.
On ne peut pas dire que les Nations Unies soient responsables
de cette guerre. Cela dit, c'est une guerre légale dans le sens où
elle a été autorisée par le Conseil de sécurité.»90
La vérité est que la guerre du Golfe a été une guerre d'Etats et non
pas du tout, comme on a tenté de le faire croire, une action de police
de l'ONU. L'expérience montre au surplus que les Etats acceptent de
participer à ce genre d'actions aussi longtemps qu'elle correspond à
leurs intérêts nationaux, mais qu'ils s'en retirent au moment même
où cette condition cesse d'être remplie.
91. Voir, par exemple, le débat qui s'est déroulé dans les colonnes de Ì'Ame-
rican Journal of International Law autour de la thèse d'Oscar Schachter analy-
sant la guerre du Golfe comme une action de légitime défense collective et non
pas comme une action coercitive de l'ONU (AJIL, vol. 85, 1991, pp. 452 ss. et
506 ss.).
110 Prosper Weil
B. Les individus
Les aspects de cette vague de fond, qui a fini par faire des droits
de l'homme une espèce de religion séculière, sont trop connus pour
qu'il puisse être question de les décrire une fois de plus. Contraire-
ment à ce que l'on croit souvent, ce mouvement, là encore, ne date
Cours général de droit international public 113
pas d'hier et plonge ses racines dans le passé. Que l'on pense, par
exemple, à la protection des droits des étrangers et à ses corollaires,
la protection diplomatique et la responsabilité internationale, ou bien
à la protection des travailleurs dans le système de l'Organisation
internationale du Travail, ou bien à la protection des prisonniers et
des civils dans le cadre du droit de la guerre, ou bien encore au
régime des minorités des années vingt. Ce qui est vrai, c'est que ce
mouvement s'est transformé en une véritable explosion depuis la fin
de la seconde guerre mondiale. La disposition de l'article 55 de la
Charte, selon laquelle les Nations Unies favoriseront « le respect uni-
versel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de reli-
gion», et la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948
ont marqué le point de départ d'une «globalisation des droits de
l'homme» (K. Mbaye), qui est devenue l'un des thèmes majeurs du
droit international de cette fin de siècle. Innombrables sont les
monuments juridiques qui ont jalonné cette évolution, depuis la
Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de
génocide jusqu'à la Convention de 1990 relative aux droits de
l'enfant, en passant par les deux Pactes de 1966 relatifs, l'un aux
droits civils et politiques, l'autre aux droits économiques, sociaux et
culturels. Instruments de portée universelle, mais aussi instruments
de portée régionale : convention européenne, convention interaméri-
caine, charte africaine, déclaration islamique, etc. Si certains de ces
instruments ont une valeur normative incontestable (les deux pactes
de 1966, par exemple, ou les nombreuses conventions des Nations
Unies sur l'esclavage, la discrimination raciale, la torture, etc.),
d'autres s'en tiennent tout aussi incontestablement au niveau des
actes subnormatifs (Déclaration universelle de 1948, par exemple).
Nombre de dispositions de conventions pleinement normatives ont
au demeurant elles-mêmes un caractère peu contraignant et relèvent
typiquement de la soft law93 — ce qui n'a pas empêché la ratification
de ces conventions de se heurter à des difficultés dans certains Etats,
en particulier dans ceux qui respectent généralement le mieux les
droits de l'homme et qui prennent leurs engagements internationaux
généralement le plus au sérieux. Une mention particulière doit être
93. Voir, par exemple, dans la récente convention sur les droits de l'enfant :
«Les Etats s'efforcent... de réduire la mortalité infantile... reconnaissent le droit
de tout enfant à un niveau de vie suffisant... prennent les mesures appropriées
pour... s'emploient de leur mieux à...»
114 Prosper Weil
Une question similaire à celle qui s'est posée au sujet des organi-
sations internationales surgit ici: peut-on déduire de l'évolution qui
a élargi le champ du droit international à la protection des droits fon-
damentaux de l'individu une altération de la nature du droit interna-
tional? L'individu est-il devenu, comme on se plaît souvent à le pro-
clamer, un sujet du droit international? En un mot, faut-il voir
aujourd'hui dans le droit international non plus seulement le droit
des Etats, mais aussi le droit des hommes? C'est là-dessus que le
doute est permis.
En premier lieu, parce que ce serait fausser les perspectives que
de présenter l'évolution en ce domaine, pour spectaculaire qu'elle
soit, comme monolithique et quasi irrésistible. Ce serait une erreur,
par exemple, de croire que le conflit entre, d'une part, le «devoir
d'Etat» (N. Valticos) de sauvegarder les droits de l'homme et,
d'autre part, l'obligation de non-ingérence s'est soldé par la victoire
complète et définitive du premier sur la seconde. Nombreuses ont
Cours général de droit international public 119
97. Compétence des tribunaux de Dantzig, CPJI série B n" 15, pp. 17-18.
Cours général de droit international public 121
3. Les peuples
Nations Unies se présentera non pas comme celle des Etats, mais
comme celle des «nations». «Nous, peuples des Nations Unies...»,
énonce-t-elle à ses premiers mots. Et ce n'est pas entre les Etats mais
«entre les nations» qu'elle cherche à développer des relations ami-
cales — des relations qu'elle entend «fondées sur le respect du prin-
cipe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d'eux-mêmes» (art. 1, par. 2, et 55).
C'est à partir de là que l'évolution s'accélérera, car sur la base de
ces phrases à première vue anodines va se développer l'un des
aspects les plus riches de ce que l'on appellera le droit des Nations
Unies. A dire vrai, ce n'est pas à tous les peuples que ce droit va
s'intéresser, mais essentiellement aux peuples colonisés ou placés
sous domination étrangère :
«Tous les peuples ont le droit de libre détermination; en
vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique
et poursuivent librement leur développement économique,
social et culturel »,
proclame l'Assemblée générale des Nations Unies — mais elle le
fait dans une résolution qui porte un titre significatif: «Déclaration
sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux» (réso-
lution 1514 (XV) du 14 décembre 1960).
Dans le sillage de ce document, les expressions de ce nouveau
courant idéologico-politique vont se multiplier. La résolution 1803
(XVII) du 14 décembre 1963 proclamera le «droit de souveraineté
permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs
ressources naturelles». La résolution 2625 (XXV) du 24 octobre
1970, portant «Déclaration relative aux principes du droit internatio-
nal touchant les relations amicales et la coopération entre Etats,
conformément à la Charte des Nations Unies », consacre une section
entière au «principe de l'égalité du droit des peuples et de leur droit
à disposer d'eux-mêmes ».
Bien mieux: dans le langage des Nations Unies, c'est de plus en
plus au droit des peuples que l'on pense et que l'on se réfère sous
l'ombrelle du concept des droits de l'homme: les deux Pactes de
1966 commencent l'un comme l'autre par énoncer le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes et leur droit de déterminer libre-
ment leur statut politique et d'assumer librement leur développement
économique, social et culturel. «Droits de l'homme» se comprendra
de plus en plus comme «droit des peuples».
124 Prosper Weil
101. Op. cit., p. 34, par. 60. Ailleurs elle se réfère au «processus de décolo-
nisation» (p. 32, par. 57).
102. La sentence arbitrale de 1989 relative à la Détermination de la frontière
maritime Guinée-Bissau/Sénégal déclare que la norme selon laquelle l'Etat colo-
nisateur ne pouvait conclure, après le déclenchement d'un processus de libéra-
tion coloniale, des traités portant sur des éléments essentiels du droit des
peuples, corollaire du principe d'autodétermination, «existe en droit internatio-
nal, mais ... n'appartient pas mi jus cogens» (RGDIP, 1990, p. 236, par. 45).
126 Prosper Weil
DEUXIÈME PARTIE
PROBLÈMES DE NORMATIVITÀ
CHAPITRE IV
106. Anzilotti, Cours..., op. cit. supra note 8, pp. 48, 69, 74.
Cours général de droit international public 133
114. R. Y. Jennings, «An International Lawyer Takes Stock», ICLQ, vol. 39,
1990, p. 519.
115. « [I]l va de soi que ... le point de départ du raisonnement en la matière
ne peut être que la référence à l'article 38, paragraphe 1, du Statut... » {Délimi-
tation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, CU Recueil
1984, p. 290, par. 83). «Quant aux règles pertinentes, il convient, pour les déga-
ger, de tenir compte des sources du droit international énumérées à l'article 38,
paragraphe 1, du Statut de la Cour internationale de Justice » (Guinée/Guinée-
Bissau, RSA, vol. XIX, p. 164, par. 38).
116. E. Roucounas, «Engagements parallèles et contradictoires», RCADI,
tome 206 (1987-VI), p. 277.
117. Voir infra, chapitre VIII.
140 Prosper Weil
I. La nébuleuse coutumière
A. La jurisprudence et la doctrine
a) La doctrine
De la doctrine il n'y a en réalité pas grand-chose à dire. L'incom-
plétude du système juridique international et la fragilité de la fron-
tière entre lex lata et lex ferenda qui le caractérise confèrent à la
« doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations »,
selon l'expression de l'article 38, un poids qu'elle n'a pas dans
d'autres disciplines juridiques. Sociologiquement, cela est certain, la
doctrine constitue une source non négligeable d'inspiration pour le
droit international: elle en est incontestablement une source maté-
rielle.
Cours général de droit international public 141
Mais ce n'est pas ce qui importe ici. Ce qui nous intéresse ici
c'est de savoir si juridiquement la doctrine constitue une voie
d'accès à la normativité. L'opinion d'un auteur sur un point donné,
ou la concordance d'une grande partie de la doctrine sur un point
donné, est-elle par elle-même créatrice de normativité? La réponse,
à n'en pas douter, est négative. Ce n'est pas parce que tel juriste de
renom a écrit ceci ou cela, ou enseigné ceci ou cela à l'Académie de
droit international, que ceci ou cela aura été érigé en norme généra-
trice de droits et d'obligations internationales. La doctrine n'est à
coup sûr pas une source formelle du droit international, fût-ce même
à un rang « auxiliaire ».
Ce n'est pas à dire, pourtant, que la doctrine soit juridiquement
indifférente, en ce sens qu'elle n'occuperait aucune place dans le
processus de formation des règles du droit international. C'est au
titre d'élément d'une opinio juris, elle-même composante du proces-
sus de création d'une règle coutumière, que la doctrine va jouer un
rôle important: l'opinion concordante d'auteurs influents et réputés
sera censée refléter, voire même constituer, une opinio juris. C'est en
tant que partie intégrante de la nébuleuse coutumière que la doctrine
intéresse la théorie des sources.
b) La jurisprudence
ti 8. Plateau continental de la mer Egée, CIJ Recueil 1978, p. 17, par. 39.
Cours général de droit international public 143
Le processus abstraction-généralisation-implantation
Dès lors qu'il consiste à rechercher des similitudes entre les droits
nationaux en dépouillant ceux-ci de leurs particularités non essen-
tielles afin d'en dégager l'essentiel, le processus d'abstraction-géné-
ralisation conduit à s'en tenir à un essentiel de plus en plus désin-
carné. Comme je l'ai écrit,
«toute ressemblance est une question de niveau ou d'échelle; à
un niveau élevé, tous les êtres humains se ressemblent ; envisa-
gés à une plus grande échelle, aucun homme n'est identique à
aucun autre... Une fois écartées les dissemblances, il ne reste
forcément plus que des similitudes. » 128
Plus une règle devient abstraite et générale, moins elle est directe-
ment opérationnelle. Dépouillés de leurs modalités techniques, des
principes comme pacta sunt servanda ou rebus sic stantibus perdent
toute consistance et, à la limite, toute utilité. D'une certaine manière,
le processus d'abstraction-généralisation est autodestructeur.
Mais il est une objection plus sérieuse encore à ce processus, à
savoir que le concept même de principes généraux de droit repose
sur le postulat harmoniste de l'existence d'une espèce de patrimoine
juridique commun à l'ensemble des droits nationaux. On retrouve ici
les douces illusions de l'œcuménisme juridique et les dures réalités
du multiculturalisme juridique: à moins de s'en tenir à un niveau
129. Tunkin, Droit international public, op. cit. supra note 9, p. 126.
130. J. Basdevant, «Règles générales du droit de la paix», RCADI, tome 58
(1936-IV), p. 501.
131. Barcelona Traction, CU Recueil 1970, p. 33.
148 Prosper Weil
132. Weil, «Principes généraux de droit...», op. cit. supra note 127, p. 403.
133. Voir infra, chapitre V.
134. Jennings, «What is International Law...», op. cit. supra note 69, pp. 16-
17.
Cours général de droit international public 149
135. Dans l'arrêt sur le Droit de passage sur territoire indien la Cour déclare
que, puisque le droit de passage dans cette affaire était acquis par acquiesce-
ment, elle
«ne juge pas nécessaire de rechercher si ... les principes généraux de droit
reconnus par les nations civilisées peuvent conduire au même résultat»
(CU Recueil 1960, p. 43).
Dans celui sur le Sud-Ouest africain la Cour dit que
«s'il se peut que certains systèmes de droit interne connaissent cette notion
[de Vactio popularis], le droit international tel qu'il existe actuellement ne
la reconnaît pas, et la Cour ne saurait y voir l'un des «principes généraux
de droit» mentionnés à l'article 38, paragraphe 1 c), de son Statut» (CU
Recueil 1966, p. 47, par. 88).
150 Prosper Weil
140. CIJ Recueil 1986, p. 111, par. 290 (qui parle du « concept juridique fon-
damental de la souveraineté en droit international coutumier»).
152 Prosper Weil
Que les décisions judiciaires — les arrêts de la Cour tout autant que
les sentences arbitrales — émanent d'organes agissant unilatérale-
ment, cela ne saurait être contesté. C'est pourquoi l'interprétation
d'une décision judiciaire présente des traits spécifiques, qui la distin-
guent de celle des traités : pour interpréter une décision judiciaire, la
jurisprudence n'applique pas les règles gouvernant l'interprétation des
traités telles que les a codifiées la Convention de Vienne sur le droit
des traités, mais recherche 1'«intention» du juge ou de l'arbitre,
1'« élément primordial » de la décision, sa « ratio decidendi »141.
Si elle est formellement unilatérale, la décision judiciaire ou arbi-
trale ne produit cependant d'effet juridique que sur la base du
consentement des parties. Dans la logique du «principe fondamental
de la juridiction consensuelle»142, la jurisprudence considère en
effet que «le règlement judiciaire des différends internationaux ...
n'est qu'un succédané au règlement direct et amiable de ces conflits
entre les parties» 143 . Ce dictum de l'affaire des Zones franches a été
développé et étoffé dans plusieurs arrêts récents. Dans l'affaire de la
Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du
Maine, la Chambre de la Cour déclare qu'une délimitation maritime
« doit se faire consensuellement entre les Etats concernés, que
ce soit par la conclusion d'un accord direct ou ... par une voie
de substitution, mais ayant toujours une base consensuelle »144.
L'arrêt relatif au Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) pousse l'analyse consensualiste de la décision judiciaire plus
loin encore :
«une décision judiciaire ... ne fait que substituer à la solution
résultant directement de [la] volonté commune [des parties] la
solution dégagée par le juge en vertu du mandat qu'elles lui ont
159. Phosphates du Maroc, CPJI série AIB n" 74, p. 23 ; Droit de passage sur
territoire indien, CU Recueil 1957, p. 146.
160. Dans un domaine différent, on pense aux affaires dans lesquelles la
Cour, bien que saisie par des requêtes unilatérales des deux parties, a considéré
qu'elle se trouvait en réalité saisie en vertu d'un compromis, soit parce que les
deux requêtes avaient exactement le même objet, soit parce que les parties
avaient d'un commun accord mis sur pied un scénario comportant deux sai-
sines unilatérales (Statut juridique du teritoire du sud-est du Groenland, CPJI
série AIB n° 48, p. 270; Droit d'asile, CU Recueil 1950, p. 268).
160 Prosper Weil
Le mystère de la coutume
Pourquoi et comment
du Nord, que « la pratique des Etats, y compris ceux qui sont parti-
culièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uni-
forme... » 172 Pour donner naissance à une règle coutumière relative à
la navigation maritime, a-t-on fait observer par exemple, la pratique
des Etats possédant une flotte maritime importante pèsera plus lourd
que celle d'Etats qui n'ont qu'une flotte insignifiante. Cela veut-il
dire que, même quantitativement importante, une pratique n'incluant
pas les Etats particulièrement intéressés serait inopérante, autrement
dit que la pratique des Etats particulièrement intéressés serait une
condition nécessaire de la formation d'une règle coutumière? Ou
bien cela veut-il dire que la pratique des Etats particulièrement inté-
ressés, fussent-ils même minoritaires, suffit à engendrer une règle
coutumière? Autant de points d'interrogation qui, une fois encore,
ne comportent pas de réponse claire. Toujours est-il qu'en vertu de
l'approche qualitative ainsi adoptée la conduite de certains Etats sera
plus déterminante que celle d'autres Etats, même plus nombreux.
Bref, il est des pratiques plus égales que d'autres. Pour pallier ce
caractère «elitiste» et «antidémocratique» (M. Bedjaoui), il a été
suggéré que soit exigée la pratique concordante d'Etats représentant
les grands systèmes politiques, économiques et juridiques du
monde173 — mais c'était du temps de la guerre froide !
L'aura qui entoure la théorie des deux éléments ne lui a pas épar-
gné les critiques. A l'analyse, a-t-on noté, pratique et opinio juris
présentent un air de parenté quelque peu troublant, au point qu'on en
est venu à se demander si l'une des deux composantes traditionnelles
de la coutume ne serait pas le sosie de l'autre. La pratique, a-t-on
fait remarquer, ne porte-t-elle pas en elle-même la preuve de I'opinio
juris ? La manière dont les Etats se comportent ne permet-elle pas de
présumer ce qu'ils pensent être le droit? Si vous mangez, c'est que
vous avez de l'appétit! De cette confusion des deux éléments, la
jurisprudence n'a pas fait mystère: Y opinio juris, lit-on dans
l'affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région
du golfe du Maine, « se prouve par voie d'induction en partant de
l'analyse d'une pratique suffisamment étoffée et convaincante»181;
et dans celle des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
la Cour parle de «signes d'une pratique dénotant la croyance» en
180. CU Recueil 1986, p. 198, par. 186, et pp. 108-110, par. 206-209.
181. CU Recueil 1984, p. 299, par. 111.
Cours général de droit international public 171
une règle de droit182. D'autre part, dès lors que la pratique se mani-
feste par des déclarations, des votes, des prises de position — dire
c'est faire, enseignent les philosophes —, la distinction entre pra-
tique et opinio juris s'évanouit: le comportement est l'expression de
Y opinio, et Y opinio est le fondement du comportement.
Cette interpénétration des deux éléments a conduit certains
auteurs à ne retenir que l'un d'eux, en estimant qu'il absorbe en réa-
lité l'autre. La contestation doctrinale a même été poussée jusqu'à la
négation totale de la théorie classique : « Le juge ne se borne pas à
cueillir un fruit mûri sur l'arbre de la pratique au soleil de Yopinio
juris», a-t-on écrit; ni l'élément matériel ni l'élément subjectif n'ont
« aucune individualité propre »183.
Deux éléments ou un seul ? A cette difficile articulation des deux
composantes traditionnelles s'ajoutent bien d'autres problèmes.
Comment, par exemple, interpréter une situation où le comportement
effectif d'un Etat dément ce qu'il proclame être sa conviction juri-
dique? Qu'on songe, par exemple, aux Etats qui se font les thurifé-
raires des droits de l'homme mais dont la conduite est loin de reflé-
ter cette opinio juris affichée! De ce cas de figure, où, loin de
concorder, pratique et opinio juris sont en opposition radicale, la
théorie classique rend mal compte.
Comment, a-t-on observé également, un Etat pourrait-il avoir le
sentiment d'une obligation juridique avant même que la pratique ne
se soit, grâce à un tel sentiment, transformée en règle de droit?
Comme l'a écrit le juge Lachs,
« postuler que tous les Etats, même ceux qui donnent le départ
d'une pratique quelconque, sont convaincus d'agir en vertu
d'une obligation juridique, c'est recourir à la fiction» ;
mais alors, à partir de quel moment pourra-t-on affirmer que la pra-
tique «serait passée du domaine de l'action fortuite et discrétion-
naire à celui du droit»? 184 Expliquer qu'un comportement devient
obligatoire dès lors que les Etats ont le sentiment qu'il l'est, est-ce
vraiment convaincant? En un mot, la théorie des deux éléments
n'est-elle pas viciée par une impossibilité logique ?
Quelque difficile qu'il ait été de tout temps d'extraire une opinio
juris cohérente d'un florilège d'opinions et de comportements
contradictoires, du moins procédait-on à cette identification à partir
de prises de position concrètes et précises : notes diplomatiques, atti-
tudes adoptées au cours d'une négociation, déclarations devant un
tribunal ou au cours d'une conférence internationale, etc. Or petit à
petit les «véhicules» (R. Jennings) de Y opinio juris se sont diversi-
fiés à l'extrême, au point d'en perdre toute crédibilité.
Ainsi, une convention conclue par certains Etats, à condition
qu'ils soient assez nombreux ou assez représentatifs, peut être ana-
lysée comme exprimant la conviction juridique de l'ensemble des
Etats : il se peut, déclare la Cour dans l'affaire du Plateau continen-
tal de la mer du Nord,
«qu' ... une participation très large et représentative à la
convention suffise, à condition toutefois qu'elle comprenne les
Etats particulièrement intéressés » 195 .
De la convention achevée, c'est-à-dire ratifiée par certains et entrée
en vigueur, ce raisonnement allait gagner progressivement la
convention signée mais non encore entrée en vigueur, la convention
non encore signée et encore en cours d'élaboration au sein d'une
conférence internationale, les travaux préparatoires d'une conven-
tion. Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua la Cour est allée jusqu'à déduire une opinio juris — «quoique
avec la prudence nécessaire», a-t-elle précisé — de «l'attitude ... des
Etats à l'égard de certaines résolutions de l'Assemblée générale»196.
Allant plus loin encore sur cette voie, la sentence arbitrale rendue
dans l'affaire du Rainbow Warrior entre la France et la Nouvelle-
Zélande en 1990 déduit même une opinio juris créatrice de règles
coutumières d'articles adoptés provisoirement par la Commission du
droit international et destinés à servir de base aux travaux d'une
future et problématique conférence préparatoire d'une convention
197. Texte de la sentence dans RGDIP, 1990, pp. 838 ss. Voir notamment
pp. 852 ss., par. 76 ss; p. 867, par. 105; pp. 871 ss., par. 113 ss.
198. Verhoeven, «Le droit, le juge...», op. cit. supra note 169, pp. 1206-
1208.
199. CIJ Recueil 1969, pp. 46-47, par. 85.
Cours général de droit international public 177
C. La transformation de la coutume
auteurs l'ont souvent noté, elle remplit une fonction quasi législa-
tive. Entre la coutume coutumière d'hier et la coutume new look
d'aujourd'hui il n'est plus guère de commun que le nom.
Coutume et convention
209. Sur, «La coutume», op. cit. supra note 164, par. 12.
210. E. Jiménez de Aréchaga, «International Law in the Past Third of a Cen-
tury» (cours général), RCADI, tome 159 (1978-1), pp. 14 ss.
211. R. Baxter, «Treaties and Custom», RCADI, tome 129 (1970-1), p. 73.
Cours général de droit international public 181
droit non écrit et droit écrit. Débat éternel, qui oppose la précision,
mais aussi la rigidité, du droit écrit, à la flexibilité, mais aussi à
l'imprécision, du droit non écrit. La coutume n'est au demeurant pas
la seule forme de droit non écrit : la jurisprudence en est une autre,
et à bien des égards le droit jurisprudentiel présente les mêmes avan-
tages et les mêmes inconvénients que le droit coutumier. La codifi-
cation couvre aussi bien les règles issues de la coutume proprement
dite que celles qui trouvent leur origine dans cette pseudo-coutume
qu'est le droit jurisprudentiel. Elle transforme les unes comme les
autres en un droit écrit qui va à son tour être interprété sur la toile de
fond du droit coutumier. Tel a été, par exemple, le sort de nom-
breuses dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des trai-
tés et de la Convention de Montego Bay sur le doit de la mer.
219. Weil, «Vers une normativité...», op. cit. supra note 53, pp. 41 ss.
184 Prosper Weil
220. Weil, «Vers une normativité...», op. cit. supra note 53, p. 42.
221. CU Recueil 1986, pp. 93-94, par. 175-176.
Cours général de droit international public 185
généralité des Etats. On n'aurait pas pu être plus clair dans l'affirma-
tion de la théorie du persistent objector.
Devant cette situation, on est conduit à se poser trois questions:
Pourquoi cette longue hibernation? Pourquoi ce brusque réveil?
Quel est le contenu concret de cette règle ?
Il ne faut pas oublier que même pour ses partisans l'objection per-
sistante ne fait pas obstacle au développement du processus coutu-
mier et, partant, à la formation de nouvelles règles coutumières, mais
a pour seul et unique effet de rendre ces règles inopposables au per-
sistent objector. La distinction entre la non-formation d'une règle
nouvelle et son inopposabilité n'est certes pas toujours facile à faire.
L'opposition des Etats industrialisés aux règles du nouvel ordre éco-
nomique international sur les nationalisations et les expropriations a-
t-elle fait obstacle à la formation de ces règles, ou bien celles-ci se
Cours général de droit international public 197
Un intérêt « stratégique »
240. J. Charney, «The Persistent Objector Rule and the Development of Cus-
tomary International Law », BYBIL, vol. 56, 1985, p. 24.
198 Prosper Weil
Mais il est une autre difficulté, plus redoutable que celle que je
viens d'évoquer. Quelle que soit la sympathie que l'on éprouve pour
cette ultime refuge du volontarisme, ne doit-on pas admettre qu'il
existe certaines règles coutumières auxquelles il serait inconcevable
qu'un Etat, fût-il un persistent objector, puisse se soustraire — des
règles «non objectables» en quelque sorte, à l'image de ces droits de
l'homme que l'on dit «non dérogeables» parce que les Etats ne peu-
vent y déroger par une législation interne? N'y a-t-il pas un seuil au-
delà duquel les exigences du volontarisme doivent s'effacer devant
242. CU Mémoires, Pêcheries, vol. II, pp. 292 ss. et pp. 428-429.
Cours général de droit international public 201
CHAPITRE V
« chaque fois que se posent des questions juridiques relatives aux droits des
Etats qui concernent le traitement des sociétés et des actionnaires et à pro-
pos desquelles le droit international n'a pas fixé ses propres règles» (CU
Recueil 1970, p. 34, par. 38).
C'est le droit interne qui a servi ici directement de source de substitution, sans
passer par la catégorie des principes généraux de droit.
249. Voir infra, chapitre VI.
250. Dans l'affaire des Armateurs norvégiens le compromis chargeait les
arbitres de statuer « in accordance . . . with the principles of law and equity », ce
que les arbitres ont compris comme leur permettant de faire appel, à défaut de
règles de droit proprement dites, à des « general principles of justice as distin-
guished from any particular municipal law of any State» (RSA, vol. I, p. 331).
Dans l'affaire des Indiens Cayuga une clause de ce type a été comprise comme
invitant les arbitres à faire appel à des « general considerations of justice and
right dealing, guided by legal analogies and by the spirit and received principles
of international law» {RSA, vol. VI, p. 180). Dans l'affaire de la Fonderie du
Trail le tribunal arbitral a eu recours, pour pallier l'absence de règles de droit
international au sujet de la pollution transfrontière, à des sources diverses lui
permettant d'arriver, comme l'y invitait le compromis, à une solution «just to all
parties concerned» (RSA, vol. Ill, p. 1908).
Cours général de droit international public 209
the sea» 251 . C'est dans cette perspective que s'explique la déclara-
tion de la Cour d'après laquelle
«il ne s'agit, en l'espèce, ni d'une absence de règles ni d'une
appréciation entièrement discrétionnaire de la situation par les
parties » 252 .
D'une manière plus générale, chaque fois que le juge ou l'arbitre
recourt à l'équité praeter legem, c'est le non liquet qu'il cherche à
éviter.
Les principes généraux de droit et, plus encore, l'équité jouent
ainsi le rôle d'une espèce de corps de réserve que le juge ou l'arbitre
fait monter au front lorsqu'une lacune dans le droit risquerait de
l'acculer au non liquet. On retrouve du même coup la fonction nor-
mative de la jurisprudence sous le couvert de règles coutumières
étayées par une pratique quasi inexistante et par une opinio juris qui
n'est en réalité que celle du juge ou de l'arbitre, ces divers méca-
nismes se conjuguant pour pallier «l'insuffisance de la fonction
législative du droit des gens positif»253.
Selon une autre approche, le système est, par nature même, com-
plet, il ne comporte aucune lacune. Il n'y a jamais lieu à non liquet,
le non liquet est tout simplement un non-concept. Alors que le
recours aux « principes à vocation constructive » tendait à minimiser
les lacunes, à en réduire la portée, il s'agit cette fois non plus d'en
minimiser les effets mais d'en nier la possibilité et, partant, l'exis-
tence. Ce n'est plus d'une approche lénifiante qu'il s'agit, mais
d'une approche radicalement négatrice.
A l'appui de cette façon de voir, on avance l'idée que la donnée
première du système international est la liberté des Etats et qu'en
l'absence de règle prohibitive cette liberté demeure entière. Autre-
ment dit : au début fut la souveraineté, donnée première de la société
internationale; tant et si bien que ce qui n'est pas expressément
interdit aux Etats leur reste permis. Dans une version quelque peu
251. Thirlway, International Customary Law..., op. cit. supra note 179, p. 78.
252. CU Recueil 1969, p. 46, par. 83.
253. P. Guggenheim, Traité de droit international public, Genève, Georg,
e
2 éd., 1967, t. I, p. 318.
210 Prosper Weil
A. Les standards
Tous les systèmes juridiques font appel à ce que l'on appelle des
standards, c'est-à-dire des concepts de caractère général et abstrait
que la pratique, notamment judiciaire, permet de concrétiser au fil du
temps: telle est, en droit interne, la fonction de concepts tels que
l'ordre public, les bonnes mœurs, le due process of law, l'égalité
devant la loi, etc. Rien d'étonnant à ce que ce procédé de développe-
ment du droit par voie de concrétisation croissante de la norme se
retrouve massivement dans le système peu « évolué » du droit inter-
national. Ce qui caractérise l'ordre juridique international, c'est
l'absence, ou en tout cas la faiblesse, des mécanismes judiciaires de
concrétisation, tant et si bien que si les standards recèlent dans
l'ordre international la même richesse de virtualités qu'en droit
interne, ils sont le plus souvent incapables de dépasser le stade initial
de la généralité et de l'abstraction et d'amorcer le processus de déve-
loppement qui devrait les conduire à une concrétisation progressive ;
et si développement il y a, il est lent et laborieux. Le système inter-
national sécrète facilement des règles très générales, au contenu
indéterminé. Il sécrète également sans difficulté des règles totale-
ment individualisées, adaptées aux cas d'espèce (qu'on pense à la
tendance qui a prévalu un moment en matière de droit de la délimi-
tation maritime, avec son exaltation du cas d'espèce, du sui generis).
Ce que le système parvient moins bien à produire, ce sont les normes
intermédiaires, c'est-à-dire des normes déjà quelque peu concréti-
sées mais dotées encore d'une application générale — la classe
moyenne des normes, en quelque sorte, la plus importante parce que
la plus opérationnelle et la plus efficace.
De ces standards qui n'ont jamais vraiment réussi à quitter leur
degré extrême de généralité pour se concrétiser en règles directement
applicables les exemples abondent. La bonne foi, par exemple:
«Tout traité en vigueur ... doit être exécuté de bonne foi», énonce la
Convention de Vienne sur le droit des traités (art. 26); «l'un des
principes de base qui président à la création et à l'exécution d'obli-
Cours général de droit international public 215
B. La soft law
Le terme de soft law a connu un succès tel que ses contours ont
fini par se brouiller. Deux notions doivent, à mon sens, être soigneu-
sement distinguées, que les auteurs, malheureusement, confondent
trop fréquemment: la soft law de Y instrumentum et la soft law du
negotium.
Il y a d'abord la soft law de l'instrument qui véhicule la règle. Le
traité international signé, ratifié, entré en vigueur entre des Etats est
un instrument normatif pur et dur, il est hard law. Une convention
non ratifiée, au contraire, qui est déclaratoire, cristallisatrice ou ini-
tiatrice d'une pratique et d'une opinio juris, est un instrument qui
participe au processus de formation des normes mais qui est
dépourvu en lui-même de caractère normatif: elle est soft law. A
264. Essais nucléaires (Australie c. France), CIJ Recueil 1974, p. 268, par. 46.
265. Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine,
CIJ Recueil 1984, p. 290, par. 81.
266. Schachter, «International Law...», op. cit. supra note 57, p. 43.
216 Prosper Weil
Une idée simpliste voudrait qu'une norme soit ou ne soit pas, et,
lorsqu'elle existe, qu'elle soit la même pour tous. A cette exigence
qui paraît relever de l'évidence le système international ne se plie
pas : sur un même point peuvent coexister, à un même moment, des
règles différentes. Le système international comporte une forte dose
de polynormativité.
De ce phénomène à première vue bizarre les causes comme les
manifestations sont multiples.
Certaines ont déjà été évoquées, et il me suffira ici de les men-
tionner sans m'y arrêter de nouveau :
Auto-interprétation et auto-appréciation
274. Basdevant, «Règles générales...», op. cit. supra note 130, p. 588.
275. CU Recueil 1953, p. 80.
276. P. Reuter, Droit international public, 5e éd., Paris, Presses universitaires
de France, 1976, p. 14.
277. Reuter, «Principes...», op. cit. supra note 51, p. 440.
278. RSA, vol. XII, p. 310.
222 Prosper Weil
Conclusion
CHAPITRE VI
On aborde ici l'un des aspects les plus controversés du droit inter-
national actuel, où les procès d'intention tiennent trop souvent lieu
d'analyse scientifique et où des arrière-pensées inavouées se cachent
parfois sous les théories les plus séduisantes. Le problème a fait
l'objet d'une littérature immense, de nombreux auteurs s'extasiant
sur l'infinie richesse d'un droit international de plus en plus diversi-
fié dans les formes et les degrés de sa normativité, tandis que
d'autres accueillent avec réticence cette tentative d'estompage de la
frontière entre le droit et le non-droit284.
Pour y voir plus clair, il faut partir d'une donnée de fait, à savoir
la distinction établie par la pratique internationale entre des engage-
ments pleinement juridiques, d'une part, et, d'autre part, des engage-
ments revêtant un caractère plus politique que juridique. C'est à la
lumière de cette donnée de fait qu'il conviendra de dresser le bilan
et de tenter une évaluation des polémiques doctrinales auxquelles ce
phénomène a donné lieu.
284. Il faut citer ici les rapports de Michel Virally à l'Institut de droit inter-
national sur «La distinction entre textes internationaux ayant une portée juri-
dique entre leurs auteurs et textes qui en sont dépourvus», AIDI, 1983, vol. I,
pp. 166 ss. et 328 ss.
Cours général de droit international public 231
Un phénomène omniprésent
La catégorie des gentlemen's agreements suscite depuis longtemps
la perplexité des auteurs. Selon une définition aujourd'hui couram-
ment acceptée, il s'agit
«d'accords entre dirigeants politiques qui ne lient pas les Etats
qu'ils représentent sur le plan du droit, mais dont le respect
s'impose à ses signataires comme une question d'honneur et de
bonne foi» 285 .
Engagement, oui; engagement juridique, équivalant à celui que l'on
aurait pris dans un traité, non, ou pas tout à fait. De ces actes concer-
tés mais non conventionnels, les exemples se sont multipliés au fil
des années, sous les appellations les plus diverses: Charte de
l'Atlantique de 1941, par laquelle le président Roosevelt et Winston
Churchill ont jugé bon «de faire connaître certains principes ... com-
muns à la politique nationale de leurs pays respectifs » ; compromis
dit de Luxembourg par lequel les six pays alors membres de la Com-
munauté économique européenne ont prévu en 1966 que, contraire-
ment aux dispositions du Traité de Rome, l'unanimité serait requise
dans certains cas au sein du Conseil; Acte final de la conférence
d'Helsinki de 1975 et nombre de documents du processus d'Helsinki
(documents de Copenhague et de Moscou sur la dimension humaine
de la CSCE, de 1990 et 1991; Charte de Paris pour une nouvelle
Europe, de 1990); déclaration des Douze de 1991 sur les «lignes
directrices sur la reconnaissance des nouveaux Etats en Europe
orientale et en Union soviétique», etc. De la même nature sont les
innombrables «communiqués conjoints», «déclarations», «actes
finals», «programmes d'action», «directives», «chartes», «codes
de conduite», etc., sur lesquels s'achèvent réunions au sommet et
conférences internationales, et par lesquels les gouvernements pren-
nent des engagements qu'ils ne veulent pas aussi obligatoires que
des engagements conventionnels mais auxquels ils attachent néan-
moins un effet dépassant la simple gesticulation verbale. Au sommet
de Rio, par exemple, il est frappant qu'une distinction nette ait été
établie entre la Convention sur la diversité biologique et la Déclara-
tion sur l'environnement et le développement: engagement contrac-
tuel stricto sensu dans le premier cas ; acte concerté non convention-
nel, non-binding agreement dans le second.
Telle est la donnée de base: dans des cas de plus en plus nom-
breux des engagements sont pris qui ne sont pas à cent pour cent
normatifs, c'est-à-dire juridiquement obligatoires, mais qui vont
néanmoins au-delà de la simple proclamation verbale, des engage-
ments qui restent au seuil de la normativité mais ne franchissent pas
ce seuil. Et si le seuil n'est pas franchi, c'est parce que les Etats
n'ont pas voulu sauter le pas et ont préféré rester dans le monde de
l'infra-juridique. Et comme ce sont les Etats qui font le droit interna-
tional, le droit international ne peut pas ne pas tenir compte de cette
volonté.
Un critère evanescent
286. Schachter, «International Law...», op. cit. supra note 57, p. 128.
234 Prosper Weil
diques, parce que pris dans la forme d'un traité international, et qui
ne comportent pas de contenu précis. A l'inverse, il existe des enga-
gements coulés dans un vocabulaire d'apparence normative mais
insérés dans un instrument qui n'est à coup sûr pas juridiquement
obligatoire. Ainsi, là encore entre mille autres exemples, de la
Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974, qui
énonce que «chaque Etat a le droit de...», réglemente les investisse-
ments étrangers, régit les activités des sociétés transnationales, etc.,
avec autant de vigueur et dans le même style que le ferait un traité
en bonne et due forme. Ainsi encore de la Déclaration de Tokyo de
1986 relative au terrorisme international: «Nous, les chefs d'Etat et
de gouvernement... prescrivons les mesures suivantes... Nous avons
décidé d'appliquer ces mesures...» Ainsi également de l'Acte final
d'Helsinki de 1975 et des instruments subséquents, tels la Charte de
Paris pour une nouvelle Europe de 1990 ou le Document de Moscou
de 1991, qui se réfèrent à 1'«engagement» des Etats: combien
d'hommes politiques et de journalistes ne parlent-ils pas couram-
ment des « accords d'Helsinki » ? La terminologie de ces instruments
a beau revêtir les apparences d'engagements conventionnels, ce ne
sont pas autre chose que des déclarations d'intention ou de caractère
politique, c'est-à-dire subjuridique. L'ambiguïté est parfois véhiculée
par le langage employé de manière plus spectaculaire encore: que
dire, par exemple, de la Déclaration de Stockholm de 1986 sur le
désarmement, qui proclame que les mesures qu'elle détaille sont
«politiquement obligatoires et entreront en vigueur le...»?
292. R. Baxter, « International Law in "Her Infinite Variety" », ICLQ, vol. 29,
1980, pp. 549 ss.
293. J. Castañeda, «La valeur juridique des résolutions des Nations Unies»,
RCADI, tome 129 (1970-1), p. 321.
240 Prosper Weil
« naît une obligation juridique dont il peut être fait état devant
un juge ou un arbitre et dont la méconnaissance constitue un
acte internationalement illicite générateur de responsabilité
internationale; en amont il n'y a rien de tel».
En un mot, « les obligations pré-juridiques ne sont ni de la soft law
ni de la hard law ; elles ne sont tout simplement pas law du tout » 294.
Virally ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit, dans son rapport de
l'Institut de droit international:
«Il n'y a pas de catégorie intermédiaire entre textes ayant
une portée juridique et textes qui en sont dépourvus. Donc pas
de dégradé dans la force d'une obligation. » 295
Il ne s'agit pas, il faut y insister, de défendre une conception rigo-
riste du phénomène juridique. Ce qui est en cause, c'est la réalité des
rapports internationaux. Ne nous y trompons pas: pour les Etats la
distinction entre droit et non-droit existe, et c'est très consciemment
et très volontairement que les gouvernements choisissent de recourir
tantôt à des engagements juridiques, tantôt à des engagements qui ne
le sont pas. C'est très consciemment et très volontairement, par
exemple, que les Etats n'ont pas fait de l'Acte final d'Helsinki un
traité international. Et c'est très consciemment et très volontairement
aussi qu'au Sommet de la Terre de Rio, en juin 1992, on a distingué,
comme je l'ai déjà souligné, ce qui était projet de convention et ce
qui ne l'était pas: dans l'esprit d'aucun gouvernement les deux ins-
truments ne devaient être de même nature ou produire les mêmes
effets. En recourant au procédé de la résolution plutôt qu'à celui de
la convention, non seulement les Etats ne pensent pas faire du droit,
mais c'est pour ne pas en faire qu'ils recourent à ce procédé: «They
don't mean it», selon le mot de Gaetano Arangio-Ruiz296. Aligner,
dans un bel enthousiasme doctrinal, droit et quasi-droit le long d'une
échelle continue de normativité de laquelle tout seuil aurait disparu,
ce n'est pas seulement altérer l'intégrité du système normatif inter-
national, c'est faire fi de la pratique internationale, c'est-à-dire de la
volonté des Etats.
294. Weil, «Vers une normativité relative...», op. cit. supra note 53, pp. 9 ss.
295. Op. cit. supra note 284, p. 246.
296. G. Arangio-Ruiz, « The Normative Role of the General Assembly of the
United Nations and the Declaration of Principles of Friendly Relations»,
RCADI, tome 137 (1972-III), p. 457.
Cours général de droit international public 243
Un retour au calme
La réaction suscitée par ma critique de l'effacement du seuil de
normativité a été d'une vivacité extrême297. On l'a accusée de
297. Voir Ch. Leben, «Une nouvelle controverse...», op. cit. supra note 54,
pp. 121 ss.
244 Prosper Weil
298. Résolution relative aux «Textes internationaux ayant une portée juri-
dique dans les relations mutuelles entre leurs auteurs et textes qui en sont
dépourvus» (Cambridge, 1983), et résolution relative à «L'élaboration des
grandes conventions multilatérales et des instruments non conventionnels à fonc-
tion ou à vocation normative» (Le Caire, 1987) (AIDI, 1984, vol. II, pp. 284 ss.,
et 1987, vol. II, pp. 274 ss.; Résolutions 1957-1991, pp. 154 ss. et 180 ss.).
299. CU Recueil 1971, p. 31, par. 52-53 ; CU Recueil 1975, p. 32, par. 57, et
p. 34, par. 60.
300. CU Recueil 1986, p. 132, par. 261-262.
Cours général de droit international public 245
d'«équité»? une solution fondée sur l'équité n'est-elle pas bien sou-
vent difficile à distinguer d'une décision ex aequo et bono — en par-
ticulier lorsque, au nom de l'équité, le juge en vient purement et
simplement à split the difference? Il n'en reste pas moins qu'aux
yeux de la jurisprudence équité et ex aequo et bono relèvent de deux
mondes différents: Vex aequo et bono n'a rien à voir avec le droit,
l'équité est quelque chose qui a à voir avec le droit.
Positivement, l'équité ainsi arrachée au terreau de la subjectivité
va se rapprocher du droit, car l'équité comme le droit sont des éma-
nations de la justice. La Cour déclarera :
« Quel que soit le raisonnement juridique du juge, ses déci-
sions doivent par définition être justes, donc équitables.
L'équité, en tant que notion juridique, procède directement de
l'idée de justice. » 306
Bref, équité et droit sont des sœurs jumelles, enfants tous deux de la
justice. Equité et droit sont distincts, mais ils ont une filiation com-
mune, ils proviennent d'une souche commune et, par conséquent,
présentent inévitablement des traits communs ; entre équité et droit il
y a comme un air de famille.
C'est sur la nature de ces rapports consanguins qu'a porté l'évolu-
tion: d'abord conçue comme située à côté du droit, comme juxtapo-
sée à lui en quelque sorte, l'équité a failli se rapprocher du droit au
point de se confondre avec lui, voire même de le supplanter en se
substituant à lui.
droit qui n'existe pas» 319 . Sous le couvert d'une juridicité réduite à
un artifice verbal, l'équité devient la seule règle applicable. La nor-
mativisation de l'équité est complète: l'équité devient le droit,
l'équité est le droit.
Dans le domaine de la délimitation maritime, cette conception de
l'équité autonome et indépendante a conduit à un certain moment la
jurisprudence, on le sait, à la théorie de l'indifférence normative des
méthodes applicables et au rejet de l'équidistance en tant que
méthode de premier pas dont les résultats pourraient ensuite, dans un
second stade, être ajustés en vue d'aboutir à un résultat équitable.
Rejetant toute idée d'une opération de délimitation en deux phases,
certains arrêts se sont prononcés en faveur d'une solution dictée
directement par l'équité et pouvant reposer sur toute méthode ou
combinaison de méthodes.
Cette jurisprudence, qui a trouvé son expression la plus achevée
dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne) de 1982 et dans celle de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine de 1984, était d'autant
plus remarquable qu'elle faisait reposer l'équité sur la primauté des
faits. «Appliquer l'équité», expliquait encore le juge Jiménez de
Aréchaga,
«signifie que le tribunal doit rendre la justice, dans le cas
concret dont il est saisi, par une décision conçue en fonction de
l'ensemble des faits propres à cette affaire et adaptée à ces faits
[a decision shaped by and adjusted to the relevant "factual
matrix"]... Ce n'est... pas par une décision particulière de jus-
tice que l'on parvient à l'équité, mais par la justice de chaque
décision particulière. » 32°
Et comme les faits ne sont par définition jamais les mêmes d'une
espèce à l'autre, aucun principe ne s'impose d'une affaire à l'autre.
Chaque affaire est sui generis, chaque litige doit en conséquence
«être examiné et résolu en fonction des circonstances qui lui sont
propres», «chaque cas concret est finalement différent des autres, ...
il est un unicum»321. Mieux encore, dans cette conception, l'équité
330. CU Recueil 1985, p. 37, par. 43; pp. 46-47, par. 61-62; p. 56, par. 77.
331. Ibid., p. 39, par. 45-46.
Cours général de droit international public 257
CHAPITRE VII
343. Sur, «Quelques observations...», op. cit. supra note 175, pp. 911 ss.
262 Prosper Weil
Nombreux sont les auteurs qui ont dénoncé dans la théorie du jus
cogens un moyen — et, en même temps qu'un moyen, une tentation
352. Th. Meron, «On a Hierarchy of International Human Rights», AJIL,
vol. 80, 1986, pp. 1 ss.
353. Virally, «Panorama...», op. cit. supra note 74, p. 178.
272 Prosper Weil
354. Lauterpacht, «Règles générales...», op. cit. supra note 347, p. 308.
Cours général de droit international public 273
355. In Change and Stability..., op. cit. supra note 54, p. 110.
356. Op. cit. supra note 4, vol. I, pp. 27, 28, 34, 207. Cf., au sujet des droits
de l'homme non dérogeables, vol. II, pp. 161, 167, 174.
Cours général de droit international public 275
357. G. Gaja, «Jus cogens beyond the Vienna Convention», RCADI, tome 172
(1981-11), pp. 271 ss.
358. CPJ1 série A/B n° 63, pp. 149-150.
359. CU Recueil 1969, p. 42, par. 73.
276 Prosper Weil
360. CU Recueil 1979, pp. 7 ss., et CU Recueil 1980, pp. 3 ss., passim.
361. CU Recueil 1979, p. 20, par. 41, et CU Recueil 1980, p. 41, par. 88.
Cours général de droit international public 277
Une théorie exposée aux critiques les plus dévastatrices, mais une
théorie aussi qui jouit d'un prestige incomparable, une théorie enfin
qui paraît rebelle à toute application. Comment expliquer pareille
contradiction ?
L'explication me paraît assez simple : la théorie du jus cogens est
tout à la fois nécessaire et impossible.
Les vertus cachées de la théorie tiennent en un mot : cette théorie
est indispensable. On ne saurait en effet admettre que, sous prétexte
de volontarisme, les Etats puissent convenir entre eux de n'importe
quoi, s'entendre sur n'importe quelle monstruosité, bafouer par leur
accord, comme l'écrit Eduardo Jiménez de Aréchaga,
« certain principles which safeguard values of vital importance
for humanity and correspond to fundamental moral prin-
ciples . . . firmly rooted in the legal conviction of the commu-
nity of States ».
364. Jiménez de Aréchaga, «International Law...», op. cit. supra note 210,
pp. 64-65.
365. Dans Change and Stability..., op. cit. supra note 54, p. 96.
Cours général de droit international public 279
366. Cette idée avait été évoquée par deux des rapporteurs à la Commission
du droit international, mais n'avait pas été retenue par la Commission elle-
même. Elle a été reprise à la Conférence de Vienne sur l'initiative de la déléga-
tion suisse.
280 Prosper Weil
367. Reuter, Introduction au droit des traités, op. cit. supra note 207, pp. 162
et 287.
368. CU Recueil 1971, p. 47, par. 96.
Cours général de droit international public 281
369. Voir ACDI, 1957, vol. II, p. 60, par. 115, et p. 62, par. 125-126; 1966,
vol. II, p. 278, par. 8. L'intérêt du concept de traité intégral (ou d'obligation inté-
grale) ne se limite pas à l'application de l'article 60 de la Convention de
Vienne : c'est toute contre-mesure conduisant à porter atteinte à un traité (ou à
une obligation) revêtant ce caractère qui paraît prohibée (voir Alland, op. cit.
supra note 32, pp. 264 ss.).
282 Prosper Weil
latéral n'est plus strictement bilatérale, elle est loin d'être univer-
selle.
Le problème ici évoqué est d'une tout autre nature. Ramené à
l'essentiel il est celui-ci: un Etat peut-il, en dehors de tout lien
conventionnel, être tenu d'une obligation internationale envers tous
les autres Etats qui seraient ainsi, tous, des créanciers de cette obli-
gation? C'est une réponse affirmative qu'apporte la théorie de l'obli-
gation erga omnes.
La jurisprudence a mis quelque temps, à vrai dire, à admettre une
conception aussi novatrice qui a donné naissance à l'un des concepts
les plus remarquables du droit international contemporain.
Sans doute la Cour a-t-elle dès 1951, dans son avis relatif aux
Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, énoncé que les Etats parties à une convention de
ce genre «n'ont pas d'intérêts propres», mais seulement «un intérêt
commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison
d'être de la Convention». Tant et si bien, précisait la Cour, que
« l'on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d'avan-
tages ou de désavantages individuels des Etats, non plus que
d'un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et
les charges » 372 .
Cette analyse, qui avait pour objet de protéger l'intégrité de la
Convention contre des réserves susceptibles de compromettre
1'«intérêt commun» que la Convention a pour but de sauvegarder,
demeurait toutefois à l'intérieur du cadre conventionnel. Rien, dans
cet avis, ne consacrait à strictement parler la conception d'une uni-
versalité de créanciers et, partant, d'une obligation erga omnes.
Bien mieux, quinze ans plus tard, dans un arrêt de 1966 (rendu, il
est vrai, sur la voix prépondérante de son président), la Cour s'était
prononcée explicitement contre « une sorte à1 actio popularis » impli-
quant le «droit pour chaque membre d'une collectivité d'intenter
une action pour la défense d'un intérêt public» 373 .
382. ACDI, 1979, vol. II, première partie, p. 45, par. 91.
Cours général de droit international public 291
progrès que l'on cherche à réaliser et, loin d'améliorer les relations
internationales, elle risque de les plonger dans le désordre. En multi-
pliant à l'infini les créanciers de l'obligation internationale, la théo-
rie des obligations universelles menace de multiplier à l'infini les
relations conflictuelles. Le pire, certes, n'est jamais sûr, mais une
chose est certaine : quels que soient ses attraits, la théorie de l'obli-
gation erga omnes exige une maîtrise et une élaboration qui jusqu'à
présent font défaut.
V. La normativité renforcée
dans le domaine de la responsabilité internationale
392. ACDI, 1976, vol. II, première partie, p. 33, par. 97, et p. 55, par. 148.
393. Ibid., p. 55, par. 148 ; vol. I, p. 19, par. 45 ; p. 75, par. 15 ; p. 90, par. 28.
298 Prosper Weil
394. ACDI, 1976, vol. II, deuxième partie, p. 110, par. 60-61.
395. Loc. cit.
300 Prosper Weil
Réparation ou répression ?
396. Voir notamment Tunkin, Droit international public, op. cit. supra note 9,
p. 219.
304 Prosper Weil
397. ACDI, 1976, vol. II, première partie, pp. 18-19, par. 49-50; deuxième
partie, pp. 84-85, par. 14-18.
Cours général de droit international public 305
398. ACDI, 1979, vol. II, deuxième partie, pp. 121 ss.
399. Ibid., pp. 128 ss.
400. ACDI, 1980, vol. II, deuxième partie, pp. 33 ss.
306 Prosper Weil
Un succès éclatant
C'est là, très probablement, la notion du droit international actuel
la plus fréquemment invoquée, la plus riche aussi en potentialités de
tous ordres.
Utilisé dès le XVIIIe siècle, le vocable de communauté internatio-
nale se référait alors à une civilisation européenne unifiant les
acteurs du droit international de l'époque par-delà leurs divisions
souvent cruelles. C'est au XXe siècle seulement que la communauté
internationale échappera à ce carcan euro-centrique pour se hisser au
niveau de l'universel.
Si le terme apparaît dans les années vingt dans l'arrêt du Lotus, la
Charte, assez curieusement, ne s'y réfère pas. La définition des buts
des Nations Unies, tels que les définit l'article premier de la Charte,
demeure éminemment «sociétaire», puisqu'elle se réfère aux fonc-
tions classiques de coexistence (« paix » et « relations amicales ») et de
coopération («un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers
[des] fins communes»). C'est dans les résolutions de l'Assemblée
générale que le terme prendra son envol, en particulier dans la Décla-
ration de 1970 sur les relations amicales, qui proclame: «Tous les
Etats ... sont des membres égaux de la communauté internationale.»
Le succès du concept et du vocable a été formidable. La Conven-
tion de Vienne les place, on l'a vu, au cœur de la définition des
normes imperatives du droit international général. La Commission du
droit international en fait le pivot de la théorie des crimes internatio-
naux de l'Etat. La Cour s'y réfère en plusieurs occasions: une «très
large majorité des membres de la communauté internationale» ont
pu créer une organisation dotée de la personnalité juridique internatio-
nale {Réparation des dommages subis au service des Nations Unies) ;
des obligations peuvent peser sur les Etats «envers la communauté
internationale dans son ensemble » {Barcelona Traction et Essais nu-
cléaires); le peuple de Namibie doit pouvoir «compter sur l'assistance
de la communauté internationale» (Namibie); la Cour «croit devoir
attirer l'attention de la communauté internationale tout entière»401
401. Dans une opinion jointe à un arrêt de la Cour, cette dernière a été quali-
fiée d'«organe judiciaire principal de la communauté internationale» alors que
l'article 92 de la Charte la définit comme 1'« organe judiciaire principal des
Nations Unies» (Aguilar Mawdsley et Ranjeva, opinion dissidente commune,
Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, CU Recueil 1991, p. 121, par. 5).
Cours général de droit international public 307
Un concept multiforme
405. De Visscher, Théories et réalités..., op. cit. supra note 126, p. 122.
406. Ch. De Visscher, «Positivisme et jus cogens», RGDIP, 1971, p. 8.
Cours général de droit international public 311
CHAPITRE VIII
LA SANCTION
DE LA NORMATIVITÉ INTERNATIONALE
C'est tomber dans la banalité que de rappeler une fois de plus que
le système international ne comporte pas de mécanisme de sanction
analogue à ceux des droits nationaux. Pas de juridiction obligatoire,
bien sûr ; et lorsque la juridiction internationale peut être saisie, ce
n'est pas tellement pour sanctionner une violation du droit interna-
tional que pour régler un différend entre des Etats qui auront choisi
ce mode de règlement. Pas d'organe central de répression non plus,
et pas davantage de moyens d'exécution. Bref, ni gendarme ni juge.
Le système international n'est pas un système de contrainte; et, est-
il besoin d'y revenir? c'est cette constatation qui fait douter certains
de sa juridicité.
Faut-il conclure de là que le chapitre relatif à la sanction de la
normativité internationale se réduit à une page blanche? Ce serait
assurément tomber dans l'excès. Car, à côté des normes qui définis-
sent les obligations des Etats, il existe des normes qui déterminent
les conséquences juridiques de la violation de ces obligations. La
Commission du droit international a qualifié les premières de règles
primaires, et les secondes de règles secondaires, empruntant ainsi la
terminologie de Hart tout en lui donnant un sens différent.
Il ne faut pas oublier, tout d'abord, que nombre de règles du droit
international sont invoquées devant les tribunaux nationaux, qui se
trouvent ainsi appelés à les appliquer et, le cas échéant, à en sanc-
tionner la méconnaissance. Tel est le cas, par exemple, des règles
conventionnelles relatives à la double imposition et à l'évasion fis-
cale. Les tribunaux nationaux constituent de ce fait l'un des méca-
nismes les plus efficaces de sanction du droit international. La
contribution des juridictions nationales à l'application du droit inter-
national est une question de toute première importance, sur laquelle
je ne m'étendrai pas ici.
A s'en tenir aux mécanismes endogènes, internes à l'ordre inter-
national, ils sont plus nombreux qu'on ne le pense. La contrainte
elle-même n'est pas aussi totalement étrangère au système qu'on se
plaît à le dire : ni la contrainte institutionnalisée du chapitre VII de la
314 Prosper Weil
tion de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations inter-
nationales ou entre organisations internationales prévoit, quant à
elle, un avis consultatif de la Cour internationale de Justice qui sera
« accepté » comme définitif par les parties au différend. Cela montre
tout à la fois à quels efforts on est disposé pour s'approcher au plus
près d'un mécanisme de type judiciaire et combien il est difficile
d'atteindre cet objectif.
Le substitut politique
Dans certains cas, le mécanisme politique a été appelé à pendre le
relais du mécanisme judiciaire défaillant. L'Assemblée générale des
Nations Unies ou le Conseil de sécurité se sont parfois arrogé cette
mission. Ainsi, par une résolution de 1979, dont j'ai déjà fait men-
tion, l'Assemblée générale
« [djéclare que les accords de Camp David [entre l'Egypte et
Israël]... n'ont aucune validité dans la mesure où ils prétendent
déterminer l'avenir du peuple palestinien et des territoires pales-
tiniens occupés depuis 1967».
Plus fréquemment, c'est le Conseil de sécurité qui déclare un acte
nul ou une situation illégale et demande aux Etats de ne pas le recon-
naître. Ainsi ont été déclarées «illégales» la sécession du Katanga
et la présence de l'Afrique du Sud en Namibie; «dépourvue de vali-
dité juridique» la déclaration d'indépendance de la Rhodésie;
« invalides » les mesures israéliennes modifiant le statut de Jérusa-
lem ; dépourvue de « fondement juridique » et « nulle et non avenue »
l'annexion du Koweït par l'Irak, etc.408.
La question s'est posée de savoir si le pouvoir quasi judiciaire de
se prononcer sur la validité d'un acte juridique relève bien de la
compétence des organes politiques des Nations Unies.
Dans son avis consultatif de 1971 sur la Namibie la Cour semble
répondre par l'affirmative. S'agissant de la résolution du Conseil de
sécurité déclarant «illégale» la présence continue de l'Afrique du
Sud en Namibie en dépit de la résolution de l'Assemblée générale
mettant fin au mandat de l'Afrique du Sud sur ce territoire, la Cour
déclare :
Nullité et auto-appréciation
ment... toutes les formes de pression», mais sans en faire une cause
de nullité.
De toutes les causes de nullité admises par la Convention de
Vienne, l'erreur est en définitive la seule qui se rapproche véritable-
ment d'un vice du consentement tel que le connaît le droit interne
des contrats. Mais la conclusion des traités est entourée de tant de
précautions que l'erreur est rarissime.
b) Il convient de noter, en second lieu, que le problème de la nul-
lité des traités a été abordé par les travaux préparatoires de la
Convention de Vienne, et est abordé par la Convention elle-même,
moins sous l'angle de la sanction d'une méconnaissance des condi-
tions de validité des traités que sous celui de la détermination des
modalités de survie du lien conventionnel. La nullité est conçue
moins comme l'invalidité du traité que comme une dérogation
regrettable — et de ce fait appelée à être limitée au strict nécessaire
— à l'effet obligatoire des traités. Alors qu'en droit interne des
contrats la nullité est le pendant de la validité, en ce sens qu'est nul
le contrat qui ne satisfait pas aux conditions de validité, en droit
international la nullité est le pendant de la stabilité des traités. De là
le traitement conjoint, dans la partie V de la Convention de Vienne,
de la nullité, de l'extinction et de la suspension de l'application des
traités. De là également le principe énoncé à l'article 42 de la
Convention d'après lequel la validité d'un traité, tout comme son
application, ne peut être mise en cause que dans les conditions limi-
tées définies par la convention. Comme l'explique la Commission du
droit international dans son commentaire, « la validité et le maintien
en vigueur d'un traité sont un état de choses normal dont on ne peut
s'écarter que pour les motifs et dans les conditions prévus» par la
Convention elle-même423.
On comprend, dans ces conditions, qu'en dépit d'une élaboration
très poussée par la Commission du droit international puis par la
Convention de Vienne, ainsi que par une abondante doctrine, la nul-
lité des traités reste une matière très théorique. Les tribunaux évitent
de prononcer la nullité d'une disposition conventionnelle, et seule
des opinions jointes aux arrêts s'engagent sur ce terrain.
La pratique diplomatique n'est guère plus fournie, et le peu qui
existe peut difficilement servir de repère, tant elle est politisée. A
titre d'exemples, on cite les traités de paix de 1947 qui ont déclaré
nuls certains accords passés par les Etats vaincus avec des Etats voi-
sins, ou encore le Traité germano-tchèque de 1973 par lequel la
République fédérale d'Allemagne et la Tchécoslovaquie ont déclaré
qu'elles «considèrent comme nul ... l'Accord de Munich, pour ce
qui concerne leurs relations mutuelles ». On peut également faire état
de certaines prétentions unilatérales de nullité, telle l'Allemagne
hitlérienne prétendant nul le Traité de Versailles, dans lequel elle
voyait un diktat — mais c'est là, évidemment, un tout autre pro-
blème.
433. CU Recueil 1991, p. 62, par. 24; voir déclaration Mbaye, p. 80.
434. Exemples: affaire de YOrinoco Steamship Company, RSA, vol. IX,
pp. 180 ss., et affaire précitée de la Sentence arbitrale rendue par le roi
d'Espagne le 23 décembre 1906.
435. Exemples: affaires El Chamizal (le problème de la validité d'une sen-
tence arbitrale rendue en 1911 entre les Etats-Unis d'Amérique et le Mexique a
été réglé par un accord conclu en 1963 : ILM, vol. 2, 1963, pp. 874 ss.) et Canal
de Beagle (le problème de la validité d'une sentence arbitrale rendue en 1977
entre l'Argentine et le Chili a été réglé implicitement par un traité de 1984 :
RGDIP, 1985, pp. 854 ss.).
436. Exemple: affaire précitée de la Sentence arbitrale rendue par le roi
d'Espagne le 23 décembre 1906.
437. Verhoeven, Les nullités..., op. cit. supra note 259, p. 16.
328 Prosper Weil
438. Voir ACD1, 1953, vol. II, p. 156; 1958, vol. II, pp. 27-28 et 42-46; 1966,
vol. II, p. 236, par. 11.
439. Verhoeven, Les nullités..., op. cit. supra note 259, p. 46.
440. CU Recueil 1955, p. 26.
441. CU Recueil I960, p. 213.
Cours général de droit international public 329
446. Reuter, «Principes...», op. cit. supra note 51, pp. 585 ss.
Cours général de droit international public 333
A. La querelle du dommage
456. Jiménez de Aréchaga, «International Law...», op. cit. supra note 210,
pp. 268-269.
457. ACDI, 1973, vol. II, p. 186, par. 12.
Cours général de droit international public 341
Réparation ou punition ?
B. La querelle de la faute
Il est des feux qui paraissent éteints, mais qui couvent et finissent
par se rallumer. Tel semble être le destin de la faute en matière de
responsabilité internationale.
Un retour de la faute ?
466. ACDI, 1990, vol. II, deuxième partie, p. 85, par. 411-412.
Cours général de droit international public 351
A. Cessation et réparation
468. Jiménez de Aréchaga, op. cit. supra note 210, pp. 80 et 285.
469. Op. cit. supra note 4, vol. II, p. 340.
470. ACDI, 1988, vol. II, première partie, pp. 12 ss.
354 Prosper Weil
471. ACDI, 1989, vol. II, deuxième partie, p. 84, par. 261.
472. CU Recueil 1980, p. 40, par. 95.
473. CU Recueil 1986, p. 146, par. 292.
Cours général de droit international public 355
B. La satisfaction
Secrétaire général des Nations Unies avait décidé que la France ver-
serait à la Nouvelle-Zélande une somme de 7 millions de dollars « en
réparation de l'ensemble des préjudices subis par la Nouvelle-
Zélande». Comme le constatera la sentence arbitrale de 1990:
«Ces termes indiquent clairement, de même que la somme
consentie, que la compensation accordée constituait réparation
non seulement du dommage matériel... mais également du pré-
judice immatériel subi, indépendamment de ce dommage maté-
riel. Les deux parties ont donc reconnu la légitimité de la com-
pensation monétaire des dommages immatériels. » 479
Quant au tribunal arbitral, il prit une initiative tout à fait remar-
quable. Tout en écartant l'indemnisation pécuniaire (que la Nou-
velle-Zélande ne demandait pas 480 ), le tribunal arbitral recommanda
aux deux parties de constituer «un fonds destiné à promouvoir
d'étroites et amicales relations entre les citoyens des deux pays», la
France étant invitée à remettre à ce fonds une «contribution initiale»
de 2 millions de dollars. Cette «recommandation» qui, selon la sen-
tence, avait «pour but de les aider à mettre un terme à cette regret-
table affaire»481, était intégrée au dispositif, complétant ainsi la
« satisfaction » résultant de la condamnation de la France.
Dès lors que la compensation pécuniaire n'a manifestement pas
un rôle exclusivement réparateur, il n'y a plus rien de choquant à
voir dans la satisfaction autre chose et plus que la simple réparation
d'un préjudice immatériel. Aussi bien le caractère au moins partiel-
lement afflictif ou punitif de la satisfaction a-t-il été mis en lumière
par de nombreux auteurs. Arangio-Ruiz souligne dans son rapport
que la satisfaction remplit une fonction punitive dans la société
internationale, puisqu'elle pallie l'absence de sanctions institutionna-
lisées. Elle évite que des pays riches ne réclament à des pays pauvres
des indemnités démesurées. N'impliquant aucune contre-mesure de
la part de l'Etat lésé, elle est foncièrement pacifique. Elle permet
enfin d'intégrer la faute, puisque la satisfaction peut être modulée
selon la gravité de la faute commise. C'est pourquoi le rapporteur
suggérait à la Commission un article distinct consacré à la satisfac-
tion. La Commission a toutefois accueilli ces vues avec une certaine
C. Les contre-mesures
On s'accorde aujourd'hui à définir les contre-mesures comme des
mesures en elles-mêmes illicites que le droit international autorise
482. Voir ACDI, 1990, vol. II, deuxième partie, pp. 81 ss.
Cours général de droit international public 359
489. Alland, Justice privée..., op. cit. supra note 32, p. 24.
490. Voir en particulier le troisième rapport Arangio-Ruiz (ACDI, 1991,
vol. II, première partie, pp. 1 ss.
491. Accord relatif aux services aériens, RSA, vol. XVIII, p. 483, par. 83
(«les contre-mesures doivent ... correspondre à une certaine équivalence à la
violation alléguée... » Cf. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, CU Recueil 1986, p. 127, par. 249 (qui parle de «contre-mesures
proportionnées »).
364 Prosper Weil
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Barboza, J. : International liability for the injurious consequences of acts not pro-
hibited by international law and protection of the environment, 291-406.
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Kojanec, G. : Les accords de commerce international/International Trade Agree-
ments ( 1969, 374 pages). ISBN 90-286-1672-1
1971
Rideau, J. : Les aspects juridiques de l'intégration économique/Légal Aspects of
Economie Integration (1972, 620 pages). ISBN 90-286-0053-1
1973
Kiss, A.-Ch. : La protection de l'environnement et le droit international/The
Protection of the Environment and International Law (1975, 650 pages).
ISBN 90-286-0494-4
1978
Dupuy, R.-J. : Le droit à la santé en tant que droit de l'homme/The Right to
Health as a Human Right (1979, 513 pages). ISBN 90-286-1028-6
1979
Dupuy, R.-J. : Le droit au développement au plan international/The Right to
Development at the International Level (1980, 458 pages).
ISBN 90-286-0990-3
1980
Dupuy, R.-J. : Le nouvel ordre économique international. Aspects commerciaux,
technologiques et culturels/The New International Economie Order. Com-
mercial, Technological and Cultural Aspects (1981, 398 pages).
ISBN 90-247-2602-6
1981
Dupuy, R.-J. : La gestion des ressources pour l'humanité : le droit de la mer/The
Management of Humanity's Resources : the Law of the Sea (1982, 448 pages).
ISBN 90-247-2762-6
1982
Dupuy, R.-J. : Le règlement des différends sur les nouvelles ressources naturelles/
The Settlement of Disputes on the New Natural Resources (1983, 512 pages).
ISBN 90-247-2901-7
1983
Dupuy, R.-J. : L'avenir du droit international dans un monde multiculturel/The
Future of International Law in a Multicultural World (1984, 510 pages).
ISBN 90-247-3070-8
1984
Dupuy, R.-J. : L'avenir du droit international de l'environnement/The Future of
the International Law of the Environment (1985, 536 pages).
ISBN 90-247-3239-5
1985
Bardonnet, D. : L'adaptation des structures et méthodes des Nations Unies/The
Adaptation of Structures and Methods at the United Nations (1986, 434 pages).
ISBN 90-247-3441-x
1990
Bardonnet, D. : Le règlement pacifique des différends internationaux en Europe:
perspectives d'avenir/The Peaceful Settlement of International Disputes in
Europe: Future Prospects (1991, 704 pages).
(Relié/Hard-back) 0-7923-1572-3
(Broché/Soft-cover) 0-7923-1573-1
1992
Dupuy, R.-J. : Le développement du rôle du Conseil de sécurité/The Develop-
ment of the Role of the Security Council (1993, 514 pages).
ISBN 0-7923-2318-1
1994
Bardonnet, D. : La Convention sur l'interdiction et l'élimination des armes chi-
miques : une percée dans l'entreprise multilatérale du désarmement/The
Convention on the Prohibition and Elimination of Chemical Weapons : A
Breakthrough in Multilateral Disarmament (1995, 672 pages).
ISBN 90-411-0154-3