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Textes spirituels d’Ibn Taymiyya.

Nouvelle série
XXV. La foi de Mu‘āwiya
Le long règne de Mu‘āwiya, le fondateur de la dynastie umayyade hérétiques, il évoque les aspects négatifs du règne du quatrième calife
de Damas (41/661-60/680), fut un temps charnière pour l’empire avec un détail surprenant : ‘Alī combattit pour le pouvoir ; il ne con-
islamique naissant. Il en assura en effet la consolidation. Le person- quit pas de nouveaux territoires ; il ne combattit pas les mécréants
nage est cependant loin de faire l’unanimité, pour au moins quatre mais des gens de la Qibla et en massacra des milliers… La nouvelle
raisons. Il y a d’abord son ascendance : nul n’est impunément le fils stratégie d’Ibn Taymiyya pour défendre la foi de Mu‘āwiya consiste
d’Abū Sufyān, un des principaux ennemis du Prophète à La Mecque. donc en deux choses : d’une part, mettre dos-à-dos les anti-‘Alīdes et
Il y a par ailleurs sa conversion de la vingt-cinquième heure, dont les Rāfiḍites l’attaquant lui et les trois premiers califes ; d’autre part,
l’officialisation n’eut lieu que le jour de la prise de la ville sainte par se démarquer des excès des uns et des autres en prônant ce qu’il
le Messager. Il y a en outre son opposition à ‘Alī, durant la guerre appelle l’approche « sunnite » des Compagnons, fondée sur des
civile qui fit rage sous son gouvernement. Il y a enfin sa transforma- sources fiables car abondamment récurrentes, faite à la fois d’amour,
tion du califat en une monarchie héréditaire, avec transfert de la capi- de modération et de rationalité, se refusant à insulter et maudire qui
tale de Médine à Damas. Plus de six siècles plus tard, d’aucuns s’in- que ce soit et profondément consciente du pouvoir que Dieu a de par-
terrogent encore à son propos ou demandent l’avis des ulémas. Ibn donner, fût-ce les péchés majeurs.
Taymiyya fut un des savants ainsi consultés et, aux questions qui lui Le plaidoyer d’Ibn Taymiyya en faveur de Mu‘āwiya n’évoque
avaient été soumises, apporta une longue réponse dont on trouvera ci- d’autre événement précis de son califat que la soumission d’al-Ḥasan
dessous la traduction. à son autorité. Il ne l’ignore pas, une telle façon de procéder laissera
Les questions posées au théologien-mufti damascain ne portent pas sûrement les historiens sur leur faim. Le règne et la mort de Mu‘āwiya
sur les aspects événementiels, politiques, administratifs, socio-cultu- méritant un long examen, il préfère cependant laisser celui-ci à des
rels ou autres du califat de Mu‘āwiya. D’une nature quasi inquisito- « autorités fiables ». Une fois de plus, la teneur d’un texte taymiyyen a
riale, elles procèdent d’une curiosité malsaine au sujet d’un domaine donc été déterminée par la nature des questions qui l’ont suscité. On a
auquel les cadis eux-mêmes, traditionnellement, ne sont pas supposés essayé ici d’en résumer l’argumentation principale. Dans le texte
avoir accès, à savoir le fond des cœurs. Leur objet est en effet la même, le fil de celle-ci est loin d’être toujours clair vu la propension
conversion de Mu‘āwiya et la nature de sa foi musulmane ; en d’autres bien connue du théologien-mufti à multiplier les excursus.
termes, la sincérité de son islam. À ces questions incongrues, Ibn Une première digression du texte concerne la relation particulière-
Taymiyya aurait tout simplement pu répondre que la foi d’un individu ment étroite – on pourrait presque parler de complicité – ayant existé
n’est l’affaire de nul autre que Dieu. Il préfère cependant profiter de entre le Prophète, Abū Bakr et ‘Umar. Ibn Taymiyya en parle sur la
l’occasion qui lui est ainsi offerte pour clarifier quelques points de base de ḥadīths et d’autres sources. La justification qu’il en donne par
portée à la fois historique et religieuse. ailleurs conduit à lui reconnaître un caractère providentiel.
Historiquement parlant, commence par expliquer Ibn Taymiyya, la Un deuxième excursus propose une brève mise au point sur le nom-
conversion de Mu‘āwiya à l’Islam et l’excellence de sa foi sont des bre des expéditions militaires du Prophète.
faits avérés. Il fut un des Mecquois convertis amnistiés par le Prophète De nature plus théologique et d’importance fondamentale sont les
lors de la conquête de ville sainte en 8/630. Par la suite, il fut l’un de digressions dans lesquelles Ibn Taymiyya évoque les multiples raisons
ces amnistiés que le Prophète et ses trois premiers successeurs char- que Dieu peut avoir de pardonner les péchés et, par conséquent, l’in-
gèrent de responsabilités administratives ou autres, qui les assumèrent terdiction de maudire, ou de prétendre condamné à l’enfer éternel,
sans faire l’objet d’aucune plainte et qui, en outre, combattirent lors quelque individu précis que ce soit, fût-ce Yazīd, le fils de Mu‘āwiya,
d’expéditions de jihād. Théologiquement, ainsi qu’affirmé par divers que les Shī‘ites tiennent responsables du massacre d’al-Ḥusayn et de
versets coraniques et traditions prophétiques, de telles actions non sa famille. Ainsi remarque-t-il que le Prophète déclara le vin maudit
seulement témoignent de la réalité de la foi de leurs auteurs mais leur de Dieu mais refusa qu’on maudisse l’ivrogne nommé Ḥimār. Il dé-
valent, de la part de Dieu, satisfaction, pardon et récompense. nonce par ailleurs la nature vaine des prémisses sur lesquelles les Khā-
Certes, les générations successives de Musulmans ne sont pas toutes rijites et les Mu‘tazilites bâtissent leur eschatologie excluant les au-
de la même éminence. Ibn Taymiyya juge cependant nécessaire de teurs de péchés majeurs de la miséricorde divine.
faire deux remarques à ce propos. D’une part, conversion tardive ne Sa mise dos-à-dos des anti-‘Alīdes et des Rāfiḍites pousse l’uléma
rime pas automatiquement avec éminence moindre, ainsi que démon- damascain à déborder à nouveau de son sujet, cette fois pour dénoncer
tré par le cas de ‘Umar. D’autre part, quelqu’un est d’autant plus un inconditionnellement les forgeries et autres tares des Shī‘ites extré-
Compagnon du Prophète qu’il l’a longtemps cotoyé. Cela dit, avoir mistes, Nuṣayrīs, Ismā‘īlīs, etc. Il a l’habitude de ce genre d’attaque
seulement vu, aperçu, le Messager à quelque moment donne droit à ce mais va ici jusqu’à citer un apophtegme particulièrement insultant
statut. Et l’uléma damascain de citer un ḥadīth selon lequel le simple d’al-Sha‘bī les concernant.
fait de voir ou d’accompagner quelqu’un ayant vu ou accompagné une Le dernier excursus est particulièrement intéressant car Ibn Tay-
personne ayant vu ou accompagné le Prophète suffit même à rendre miyya s’y fait le chantre de la pureté des dynasties umayyade et ‘abbā-
un combattant victorieux. side en général. Alors que des dynastes régionaux comme les Fāṭi-
Comparé aux autres amnistiés de la prise de La Mecque, juge Ibn mides du Maghreb et d’Égypte, ou les Būyides d’Iran, sont habituel-
Taymiyya, Mu‘āwiya fut « d’un islam plus manifeste ». Il en veut lement incriminés de libre-pensée et d’hypocrisie par les ulémas,
pour signes les quarante années durant lesquelles il exerça le pouvoir, aucun des dirigeants « universels » de l’Islam n’a fait l’objet de
comme gouverneur d’abord, comme calife ensuite et, par ailleurs, la pareilles accusations. Tout au plus, indique le théologien-mufti, cer-
concorde qu’il rétablit dans la communauté, après les années de guerre tains d’entre eux furent-ils parfois suspectés d’innovation ou d’injus-
civile ayant déchiré le califat de ‘Alī, quand le fils de celui-ci, al- tice. En cette absence de libre-pensée et d’hypocrisie chez les califes
Ḥasan, lui céda l’émirat des croyants. Serait-il en effet imaginable umayyades et ‘abbāsides il voit un signe de la sollicitude divine en-
qu’al-Ḥasan aurait reconnu l’autorité d’un mécréant ? vers la communauté musulmane.
L’évocation d’al-Ḥasan conduit alors le théologien-mufti à situer Ce texte taymiyyen sur Mu‘āwiya n’est pas daté et rien, dans son
Mu‘āwiya par rapport à ‘Alī. Peut-être suspecte-t-il quelque sym- contenu, n’indique quand, ni pour qui, ni dans quelles circonstances il
pathie pro-Shī‘ite dans les questions qui lui ont été adressées. Il entre- fut composé. Alors même qu’il n’est pas toujours aussi clair qu’on
prend donc de rappeler que ‘Alī, malgré ses éminentes vertus, vit sa pourrait le souhaiter, il fournit une excellente illustration de l’attention
foi mise en doute tout autant que Mu‘āwiya, en l’occurrence par les que son auteur se jugea obligé d’apporter aux questions d’un quidam,
Khārijites. Sans bien sûr faire siens les arguments anti-‘Alīdes de ces indépendamment de leur caractère incongru ou inquisitorial.

—1—
TRADUCTION 1 conquit La Mecque par la force (qahr), les amnistia, eux et
Le shaykh [Ibn Taymiyya] fut interrogé – Dieu lui fasse misé- ceux dont ils avaient la charge, leur fit des dons10 et les rallia à
ricorde ! – au sujet de [la conversion à] l’Islam de Mu‘āwiya2, lui-même.
le fils d’Abū Sufyān3. Quand se produisit-elle ? Sa foi fut-elle, Mu‘āwiya b. Abī Sufyān, relate-t-on, se convertit (aslama)
ou non, comme la foi d’autres [individus] ? Qu’a-t-il été dit avant cela et émigra [vers Médine] comme Khālid b. al-
d’autre que cela à son sujet ? Walīd11, ‘Amr b. al-‘Āṣ12 et ‘Uthmān b. Ṭalḥat al-Ḥajabī13
Les amnistiés de la prise de La Mecque s’étaient convertis avant la conquête de La Mecque et avaient
— La foi de Mu‘āwiya b. Abī Sufyān – Dieu soit satisfait de émigré vers Médine. Si ceci est vrai, il est donc d’entre les
lui ! –, répondit-il, est établie par des traditions (naql) abon- Émigrés. [454] Quant à sa conversion (islām) l’année de la
damment récurrentes et il y a consensus des gens de savoir à ce conquête [de La Mecque] avec ceux qui ont été mentionnés,
propos, à l’instar de la foi de ses semblables d’entre ceux qui c’est quelque chose faisant l’objet d’un accord entre les ulémas,
crurent l’année de la conquête de La Mecque, tel son frère qu’il se soit converti avant cela ou que sa conversion ne se soit
Yazīd b. Abī Sufyān4 et tels Suhayl b. ‘Amr5, Ṣafwān b. produite que l’année de la conquête de La Mecque. Certains
Umayya6, ‘Ikrima b. Abī Jahl7, al-Ḥārith b. Hishām8, Abū Asad menteurs prétendent cependant qu’il reprocha à son père de
b. Abī l-‘Āṣ b. Umayya9 et les pareils de ceux-ci. Ceux-ci sont s’être converti. C’est un mensonge ; il y a là-dessus accord des
appelés « les amnistiés » (ṭalīq). Ils crurent l’année durant gens du savoir ès ḥadīth.
laquelle le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –

1. IBN TAYMIYYA, MF, t. IV, p. 453-480 (sigle F).


2. Mu‘āwiya b. Abī Sufyān (m. 60/680), fondateur de la dynastie
umayyade, issu d’une noble famille qurayshite longtemps hostile à
l’Islam. Il ne devint ouvertement musulman que lors de la conquête de
La Mecque par le Prophète en 8/630 mais « avait en fait été un crypto-
Musulman depuis le traité de Ḥudaybiya, à la fin de 6/628 » ; voir
M. HINDS, EI2, art. Mu‘āwiya Ier.
3. Abū Sufyān b. Ḥarb b. Umayya (m. vers 32/653), notable et mar-
chand qurayshite ennemi du Prophète jusqu’à la prise de la Mecque en
8/630 ; voir W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. Abū Sufyān b. Ḥarb.
4. Le frère du premier calife umayyade, Mu‘āwiya b. Abī Sufyān.
Converti le jour de la prise de La Mecque, il participa à la bataille de
Ḥunayn et fut envoyé en Syrie à la tête d’une armée par Abū Bakr. Il
mourut en 18/639 ou 19/640 ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. V, p. 112-
113.
5. Suhayl b. ‘Amr b. ‘Abd Shams, un des nobles qurayshites fait
prisonnier lors de la bataille de Badr, converti à l’Islam le jour de la
prise de La Mecque et mort de la peste alors qu’il menait le jihād en
Syrie (18/639). Il est célèbre pour avoir appelé les Mecquois à rester Destruction des idoles lors de la prise de La Mecque14
musulmans alors que les Arabes apostasiaient après le trépas du
Prophète. Il leur dit notamment : « Ô assemblée de Quraysh, ne soyez Ces gens qui ont été mentionnés furent d’entre les meilleurs
pas les derniers à vous être convertis à l’Islam et les premiers à des hommes pour ce qui est de l’Islam et des plus louables pour
apostasier. Par Dieu, cette religion se déploiera assurément comme le ce qui est du vécu. Ils n’ont été accusés d’aucun mal et aucun
soleil et la lune se déploient de leur lever jusqu’à leur coucher » ; voir des gens de savoir ne les a accusés d’hypocrisie comme d’au-
IBN AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 371-373.
6. Ṣafwān b. Umayya b. Khalaf, un des nobles qurayshites, mort à La
Mecque en 42/662-3. Lors de la prise de La Mecque, il s’enfuit à Jidda 10. Suite à la prise de La Mecque, le Prophète fit divers dons à d’an-
puis obtint l’aman du Prophète et se convertit après la bataille de ciens ennemis afin de s’allier leurs cœurs ; voir EI2, art. al-mu’allafa
Ḥunayn (8/630) ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. III, p. 322-323. qulūbuhum.
7. ‘Ikrima b. Abī Jahl b. Hishām al-Makhzūmī. Qurayshite très 11. Khālid b. al-Walīd b. al-Mughīra al-Makhzūmī (m. 21/642),
hostile au Prophète et condamné à mort lors de la prise de La Mecque, Qurayshite qui se convertit à une date indéterminée avant la prise de
il fut pardonné et se convertit quand il revint du Yémen où il avait fui. La Mecque. Excellent chef militaire, il joua un rôle de premier plan
Sous Abū Bakr, il mena le jihād contre diverses tribus apostates puis dans l’unification de l’Arabie et la conquête de l’Iraq et de la Syrie
en Syrie. Il fut tué lors de la bataille du Yarmūk (15/636) ; voir IBN AL- sous Abū Bakr ; voir P. CRONE, EI2, art. Khālid b. al-Walīd.
ATHĪR, Usd, t. IV, p. 4-7. 12. ‘Amr b. al-‘Āṣ al-Sahmī (m. vers 43/663), Qurayshite qui se
8. Al-Ḥārith b. Hishām b. al-Mughīra al-Makhzūmī. Frère d’Abū convertit à une date indéterminée avant la prise de La Mecque. Il
Jahl, il combattit les Musulmans à Badr et se convertit lors de la prise dirigea la conquête de l’Égypte et prit le parti de Mu‘āwiya contre ‘Alī
de La Mecque. Suite à sa victoire à Ḥunayn, le Prophète lui fit don de après la bataille du Chameau et à celle de Ṣiffīn ; voir A. J. WENSINCK,
cent chameaux. Il mena le jihād en Syrie sous ‘Umar et fut tué lors de EI2, art. ‘Amr b. al-‘Āṣ.
la bataille du Yarmūk (15/636) ou mourut de la peste en 17/638 ; voir 13. ‘Uthmān b. Ṭalḥa b. Abī Ṭalḥat al-Ḥajabī, Qurayshite qui se
IBN AL-ATHĪR, Usd, t. I, p. 351-352. convertit, rejoignit le Prophète à Médine et participa avec lui à la prise
9. Sans doute al-Ḥakam b. Abī l-‘Āṣ b. Umayya (Abū Asad étant une de La Mecque. Il mourut en 42/662 ou peut-être en martyr durant la
erreur de copiste pour al-Ḥakam), noble qurayshite qui se convertit le bataille d’Ajnādayn contre les Byzantins (13/634) ; voir IBN AL-ATHĪR,
jour de la prise de La Mecque et fut exilé à al-Ṭā’if par le Prophète. Usd, t. III, p. 372.
Père du calife umayyade Marwān Ier (r. 64/684-65/685), il mourut 14. Folios 305v-306r du Ḥamla-i Ḥaydarī de Bāzil Mashhadī
durant le califat de ‘Uthmān, donc entre 23/644 et 35/656 ; voir IBN (m. 1123/1712-3), Cachemire, 1223/1808 (Paris, Bibliothèque Natio-
AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 33-35. nale, MS. Supplément persan 1030).

—2—
tres qu’eux ont été accusés. S’agissant de l’excellence de donnée à Khālid b. al-Walīd en raison de son courage et de son
l’islam, de l’obéissance à Dieu et à Son Messager et de l’amour utilité pour le jihād.
de Dieu et de Son Messager, du jihād sur le chemin de Dieu et Quand Abū Bakr trépassa, ‘Umar b. al-Khaṭṭāb investit Abū
du respect des limites de Dieu, des choses apparurent au con- ‘Ubayda comme émir de l’ensemble d’eux. ‘Umar b. al-Khaṭ-
traire de leur part qui prouvent l’excellence de leur foi inté- ṭāb – Dieu soit satisfait de lui ! – était en effet dur, s’agissant de
rieure et l’excellence de leur islam. Il en est parmi eux que le Dieu. Il désigna donc Abū ‘Ubayda parce qu’il était souple.
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – désigna Abū Bakr – Dieu soit satisfait de lui ! – était souple et Khālid
comme émirs et qu’il employa comme ses délégués. Ainsi dur vis-à-vis des mécréants. Le souple investit donc le dur, et le
employa-t-il ‘Itāb b. Usayd1 comme émir en charge de La Mec- dur investit le souple, pour que l’affaire soit équilibrée. Chacun
que et délégué de lui-même. Il était d’entre les meilleurs des des deux fit ce qui, le concernant, était le plus aimé du Dieu
Musulmans et disait : « Ô gens de La Mecque, par Dieu, il ne Très-Haut. Notre Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
m’est pas communiqué que l’un de vous s’est abstenu de prier paix ! – était la plus parfaite des créatures et il fut dur vis-à-vis
sans que je frappe sa nuque ! » Le Prophète – Dieu prie sur lui des mécréants et des hypocrites. Le Dieu Très-Haut l’a carac-
et lui donne la paix ! – employa aussi Abū Sufyān b. Ḥarb, le térisé de par la plus parfaite des Lois de même que le Dieu
père de Mu‘āwiya, comme son délégué au Najrān. Quand le Très-Haut a dit pour caractériser sa communauté : « durs vis-à-
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – trépassa, vis des mécréants, miséricordieux entre eux5 ». Il a aussi dit à
Abū Sufyān était son agent au Najrān. leur propos : « modestes vis-à-vis des croyants, puissants vis-à-
S’agissant de l’islam, Mu‘āwiya fut meilleur que son père – il vis des mécréants, ils mènent le jihād sur le chemin de Dieu et
y a là-dessus accord des gens de savoir – tout comme son frère n’ont pas peur du blâme d’un blâmeur6. »
Yazīd b. Abī Sufyān fut plus éminent que lui et que son père. Le Prophète, Abū Bakr et ‘Umar
C’est pour cela qu’Abū Bakr le véridique – Dieu soit satisfait Dans le Ṣaḥīḥ7, il est établi que lorsque le Prophète – Dieu
de lui ! – l’employa pour combattre les Nazaréens au moment prie sur lui et lui donne la paix ! – consulta ses Compagnons
de la conquête de la Syrie. C’était un des émirs qu’Abū Bakr le concernant les captifs de Badr8, qu’Abū Bakr lui suggéra de les
véridique employait. Il lui fit une recommandation bien connue rançonner et de les relâcher et que ‘Umar lui suggéra de frapper
que les gens de savoir ont transmise, sur laquelle ils se sont leurs nuques, le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
appuyés et que Mālik2 mentionne [455] dans le Muwaṭṭa’3, ainsi paix ! – dit9 : « Dieu assouplit les cœurs de [certains] hommes,
que d’autres. Alors qu’Abū Bakr – Dieu soit satisfait de lui ! – en ce qui Le concerne, à tel point qu’ils sont plus souples que
marchait à sa suite pour lui dire adieu, [Yazīd] lui dit : « Ô du tissu et Il endurcit les cœurs de [certains] hommes, en ce qui
calife du Messager de Dieu, soit tu montes [ce cheval], soit Le concerne, à tel point qu’ils sont plus durs qu’un rocher. Tu
j’[en] descends ! » [Abū Bakr] de lui dire alors : « Tu n’[en] es, ô Abū Bakr, pareil à Abraham, l’Ami [de Dieu], quand il
descends pas et je ne vais pas [le] monter. J’escompte que ces dit : « Quiconque me suit est des miens et quiconque [456] me
pas [que je fais] soient sur le chemin de Dieu – Puissant et désobéit…, Tu es pardonnant, miséricordieux10 », pareil aussi à
Majestueux est-Il ! » ‘Amr b. al-‘Āṣ était aussi un des émirs, Jésus, le fils de Marie, quand il dit : « Si Tu les tourmentes, ils
ainsi qu’Abū ‘Ubayda b. al-Jarrāḥ4. Précellence sur eux fut sont Tes serviteurs, et si Tu leur pardonnes, Tu es, Toi, le puis-
sant, le sage11 ». Tu es, ô ‘Umar, pareil à Noé – sur lui la
1. ‘Itāb b. Usayd b. Abī l-‘Ayṣ b. Umayya, Qurayshite qui se con-
paix ! – quand il dit : « Seigneur, ne laisse sur la terre aucun des
vertit le jour de la prise de La Mecque et en fut nommé gouverneur par mécréants12 », pareil aussi à Moïse, le fils de ‘Imrān, quand il
le Prophète alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années. Il occupa dit : « Notre Seigneur, anéantis leurs biens et endurcis leurs
cette fonction jusqu’à sa mort en 13/634 ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, cœurs, qu’ils ne croient pas jusqu’à ce qu’ils voient le doulou-
t. III, p. 358-359. reux tourment13 ». Durant la vie du Prophète – Dieu prie sur lui
2. Mālik b. Anas (m. Médine, 179/796), théologien et juriste, épo-
et lui donne la paix ! – tous deux furent comme le Messager de
nyme d’un des quatre rites de jurisprudence sunnite ; voir J. SCHACHT,
EI2, art. Mālik b. Anas. Dieu les caractérisa. Eux deux furent ses deux vizirs d’entre les
3. Al-Muwaṭṭa’, c’est-à-dire « Le chemin aplani » ; voir I. SAYAD, gens de la terre.
Al-Mouwatta’ par l’imam Malek ben Anas. Traduit en français. Revu Dans le Ṣaḥīḥ, ceci est également établi d’après Ibn ‘Abbās14
par F. CHAABAN, 2 t., Beyrouth, Dar el fiker, 1993, t. I, p. 510-511, – Dieu soit satisfait d’eux deux ! : quand ‘Umar b. al-Khaṭṭāb –
n° 982. Voici la recommandation d’Abū Bakr à Yazīd : « Tu trouveras
des gens qui soutiennent s’être reclus pour Dieu. Laisse-les ainsi que 5. Coran, al-Fatḥ - XLVIII, 29.
ce pour quoi ils soutiennent s’être reclus. Tu trouveras aussi des gens 6. Coran, al-Mā’ida - V, 54.
qui se sont rasé les cheveux du milieu de la tête. Frappe de [ton] épée 7. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Jihād (Boulaq, t. V, p. 157).
ce qu’ils ont [ainsi] rasé ! Moi, je te recommande dix choses : Ne tue
8. Badr Ḥunayn, au S.-O. de Médine, lieu de la première grande
pas de femme, ni d’enfant, ni de vieillard de grand âge ! Ne coupe pas
bataille entre le Prophète et les Mecquois, en Ramaḍān 2 / mars 624 ;
d’arbre fruitier ! Ne mets pas en ruines ce qui est habité ! N’abats pas
voir W. MONGOMERY WATT, EI2, art. Badr.
de mouton, ni de chameau, sauf pour manger ! Ne brûle pas d’abeilles
et n’en disperse pas ! Ne fraude pas et ne sois pas couard ! » (Je 9. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 383.
retraduis car la version d’I. Sayad est trop libre.) Sur le sens de cette 10. Coran, Ibrāhīm - XIV, 36.
recommandation, voir mon N. LEBATELIER, IBN TAYMIYYA : Le statut 11. Coran, al-Mā’ida - V, 118.
des moines, Beyrouth, El-Safīna, 1417/1997, p. 13-16. 12. Coran, Nūḥ - LXXI, 26.
4. Abū ‘Ubayda b. al-Jarrāḥ, ‘Āmir b. ‘Abd Allāh (m. 18/639), 13. Coran, Yūnus - X, 88.
Qurayshite, un des premiers Musulmans. Il joua un rôle militaire de 14. ‘Abd Allāh b. al-‘Abbās (m. 68/686-8), grand savant de la pre-
premier plan dans la conquête de la Syrie ; voir H. A. R. GIBB, EI2, mière génération ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. ‘Abd Allāh b. al-
art. Abū ‘Ubayda b. al-Jarrāḥ. ‘Abbās.

—3—
Dieu soit satisfait de lui ! – fut déposé sur sa bière et que les
gens vinrent prier sur lui, Ibn ‘Abbās dit : « Je me retournai et
voilà que ‘Alī b. Abī Ṭālib – Dieu soit satisfait de lui ! – dit :
« Par Dieu, sur la surface de la terre il n’y a personne avec
l’agir de qui il me serait plus cher de rencontrer Dieu que ce
mort ! Par Dieu, moi j’espère que Dieu te réunira avec tes deux
compagnons. Combien de fois en effet j’ai entendu le Prophète
dire – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : « Je suis entré
ainsi qu’Abū Bakr et ‘Umar ; je suis sorti ainsi qu’Abū Bakr et
‘Umar ; je m’en suis allé ainsi qu’Abū Bakr et ‘Umar1. »
Dans le Ṣaḥīḥ, ceci est par ailleurs établi : quand, le jour
d’Uḥud2, la plupart des Musulmans se faisaient battre, voilà
qu’Abū Sufyān dit, en visant ces gens : « Muḥammad se
trouve-t-il parmi vous ? Muḥammad se trouve-t-il parmi vous ?
Muḥammad se trouve-t-il parmi vous ? » Le Prophète – Dieu
prie sur lui et lui donne la paix ! – dit alors : « Ne lui répondez
pas ! » [Abū Sufyān] dit ensuite : « Le fils [457] d’Abū Quḥāfa3
se trouve-t-il parmi vous ? Le fils d’Abū Quḥāfa se trouve-t-il
parmi vous ? Le fils d’Abū Quḥāfa se trouve-t-il parmi vous ? »
Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – dit
alors : « Ne lui répondez pas ! » [Abū Sufyān] dit alors : « Le
fils d’al-Khaṭṭāb4 se trouve-t-il parmi vous ? Le fils d’al-
Khaṭṭāb se trouve-t-il parmi vous ? Le fils d’al-Khaṭṭāb se
La mort du Prophète8
trouve-t-il parmi vous ? » Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui
donne la paix ! – dit alors : « Ne lui répondez pas ! » … [et le Quand ‘Umar [lui] succéda, Dieu mit en lui, en fait de com-
reste du] ḥadīth, en sa longueur5. Cet Abū Sufyān, le caïd des passion et de miséricorde, quelque chose qui, auparavant, ne se
partis, ne s’enquit donc que de ces trois [personnes, à savoir] le trouvait pas en lui ; [cela,] pour le perfectionner et de telle sorte
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, Abū Bakr qu’il devienne l’émir des croyants. Voilà pourquoi il employa
et ‘Umar – Dieu soit satisfait d’eux deux ! –, du fait qu’il savait Khālid pour ceci et Abū ‘Ubayda pour cela.
que ceux-là étaient les chefs de l’armée des Musulmans. Conversion, émigration, jihād et pardon divin
« Informe-moi, » dit al-Rashīd6 à Mālik b. Anas, « sur le rang Yazīd fils d’Abū Sufyān fut en charge de la Syrie jusqu’au
d’Abū Bakr et de ‘Umar par rapport au Prophète – Dieu prie moment où ‘Umar arriva au pouvoir. Yazīd fils d’Abū Sufyān
sur lui et lui donne la paix ! » « Leur rang à tous deux par rap- mourut et ‘Umar employa Mu‘āwiya à la place de son frère
port à lui, de son vivant, » dit-il, « était comme leur rang après Yazīd fils d’Abū Sufyān. Mu‘āwiya conserva [458] sa position
son trépas. » « Tu m’as comblé, ô Mālik ! » dit [al-Rashīd]. de gouverneur durant la totalité de son califat. ‘Umar et ses
Quand le Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la sujets avaient pour lui de la reconnaissance. Ils lui étaient
paix ! – trépassa et qu’il eut Abū Bakr comme successeur, le reconnaissants de sa conduite (sīra) à leur égard. Ils avaient
Dieu Très-Haut mit en lui, en fait de sévérité, quelque chose pour lui de l’amitié et de l’amour du fait de ce qu’ils voyaient
qui, auparavant, ne se trouvait pas en lui, à tel point qu’il sur- de sa clémence et de sa justice, de sorte que nul d’entre eux ne
passa ‘Umar en cela. Ainsi combattit-il les gens de l’apostasie se plaignit de lui et que nul d’entre eux ne l’incrimina.
après avoir équipé l’armée d’Usāma7. Cela constituait pour lui Yazīd fils de Mu‘āwiya9 ne fut pas d’entre les Compagnons
un perfectionnement, étant donné la perfection du Prophète – du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : il naquit
Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – de qui il était devenu le seulement durant le califat de ‘Uthmān. [Son père] le nomma
successeur. seulement Yazīd du nom de son oncle paternel [qui était] d’en-
tre les Compagnons.
1. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il aṣḥāb al-nabī (Boulaq, t. V, Mu‘āwiya et son frère Yazīd, Suhayl b. ‘Amr, al-Ḥārith b.
p. 9-10) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, Hishām et d’autres d’entre les convertis (muslima) de la con-
p. 111-112) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 112 ; IBN MĀJA, Sunan,
Muqaddima (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. I, p. 37-38, n° 98).
8. Détail d’une miniature du folio 414r du Siyer-i Nebī de Muṣṭafā b.
2. Site, juste au Nord de Médine, d’une défaite des Musulmans par Yūsuf b. ‘Umar al-Ḍarīr, poète aveugle d’Erzurum (VIIIe/XIVe s.),
les Mecquois au printemps 3/625; voir C. F. ROBINSON, EI2, art. Uḥud. Turquie, 1003/1594-5 (Istanbul, Topkapı, MS. H. 1223). Abū Bakr,
3. Abū Quḥāfa ‘Uthmān b. ‘Āmir, du clan Taym des Quraysh, père ‘Umar, Fāṭima et ses deux fils, al-Ḥasan et al-Ḥusayn, pleurent le
du calife Abū Bakr. défunt ; voir Z. TANINDI, Siyer-I Nebî. İslâm Tasvir Sanatında Hz.
4. Nom du père du calife ‘Umar. Muhammed’in Hayatı, Istanbul, Hürriyet Vakfı Yayınları, 1984, ill. 87
5. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Maghāzī (Boulaq, t. V, p. 94). Pour le & p. 144.
reste du ḥadīth, voir O. HOUDAS, Traditions, t. III, p. 102. 9. Le deuxième calife umayyade (r. 60/680-64/683), au début du
6. Al-Rashīd, Hārūn b. Muḥammad, le cinquième calife ‘abbāside règne de qui al-Ḥusayn et sa famille furent massacrés à Karbalā’ ; voir
(r. 170/786-193/809) ; voir F. OMAR, EI2, art. Hārūn al-Rashīd. G. R. HAWTING, EI2, art. Yazīd (Ier) b. Mu‘āwiya ; Y. MICHOT, Textes
7. Usāma b. Zayd b. Ḥāritha al-Kalbī (m. vers 54/674), affranchi du spirituels d’Ibn Taymiyya (Nouvelle série). XX. Yazīd, fils de Mu‘ā-
Prophète, qui le chérissait ; voir V. VACCA, EI2, art. Usāma b. Zayd. wiya, sur www.scribd.com, décembre 2015, p. 1-11.

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quête [de La Mecque] participèrent avec le Prophète – Dieu Très-Haut : « Ceux d’entre vous qui ont dépensé [sur le chemin
prie sur lui et lui donne la paix ! – à l’expédition militaire de Dieu] avant la conquête [de La Mecque] et combattu ne sont
(ghazwa) de Ḥunayn1 et rentrent sous ces paroles du Très- pas égaux [aux autres]. Ceux-là occupent un degré plus impor-
Haut : « Dieu fit ensuite descendre Sa quiétude sur Son Mes- tant que ceux qui ont dépensé par après et combattu. À tous
sager et sur les croyants. Il fit descendre des troupes que vous cependant Dieu a promis la plus belle [récompense]10. » Ces
ne vîtes pas et châtia ceux qui mécroyaient. Telle est la rétribu- amnistiés-là, les convertis de la conquête, sont d’entre ceux qui
tion des mécréants2. » Ils furent d’entre les croyants sur qui dépensèrent après la conquête, combattirent, et à qui Dieu a
Dieu fit descendre Sa quiétude, avec le Prophète – Dieu prie sur promis la plus belle [récompense]. Ils dépensèrent à Ḥunayn et
lui et lui donne la paix ! Ils furent aussi de l’expédition militaire al-Ṭā’if et combattirent lors de ces deux [expéditions] – Dieu
d’al-Ṭā’if3, quand [les Musulmans] assiégèrent al-Ṭā’if et que soit satisfait d’eux ! Ils sont aussi inclus parmi ceux de qui Dieu
[le Prophète] la frappa au moyen d’une catapulte (manjanīq). est satisfait, le Très-Haut ayant dit : « Les précesseurs, les pre-
Ils furent par ailleurs de [l’expédition militaire contre] les miers, des Émigrés et des Auxiliaires et ceux qui les suivirent
Nazaréens en Syrie au sujet de laquelle Dieu a fait descendre la en bel-agir, Dieu est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de
sourate du désaveu (barā’a)4. Il s’agit de l’expédition militaire Lui11. » Les précesseurs sont ceux qui se convertirent avant al-
[dite] « de la difficulté » (al-‘usra) pour laquelle ‘Uthmān b. Ḥudaybiya12, tels ceux qui prêtèrent allégeance au [Prophète]
‘Affān – Dieu soit satisfait de lui ! – avait équipé l’armée d’al- sous l’arbre, au sujet de qui Dieu a fait descendre [ce verset] :
‘Usra de mille chamelles [vouées par lui] au chemin du Dieu « Assurément Dieu fut satisfait des croyants quand ils te prê-
Très-Haut. Comme il en manquait, il en compléta [le nombre] tèrent allégeance sous l’arbre13. » Ils étaient plus de mille qua-
par cinquante chamelles. Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui tre cents et ils sont tous d’entre les gens du Jardin. Ainsi est-il
donne la paix ! – dit alors : « Ce que ‘Uthmān fera après ce jour établi dans le Ṣaḥīḥ, à propos du Prophète – Dieu prie sur lui et
ne lui nuira pas5. » Ce fut la dernière des expéditions militaires lui donne la paix ! –, qu’il a dit : « Aucun [individu] ayant prêté
du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – et elle ne allégeance sous l’arbre n’entrera dans le Feu14. » Ḥāṭib b. Abī
comporta pas de combat. Balta‘a15 était parmi eux et il avait [commis] des mauvaises
Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – mena actions [460] bien connues. Il avait notamment fourni par écrit
lui-même plus de vingt expéditions militaires. Il n’y eut [459] aux associateurs des informations concernant le Prophète –
cependant de combat qu’au cours de neuf expéditions : Badr, Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – et avait maltraité ses
Uḥud, les Banū l-Muṣṭaliq6, le Fossé, Dhū Qarad7 et l’expédi- esclaves (mamlūk). Dans le Ṣaḥīḥ16, il est établi que son
tion d’al-Ṭā’if8. L’armée la plus importante que le Prophète – esclave vint vers le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – réunit, ce fut à Ḥunayn paix ! – et dit : « Par Dieu ! ô Messager de Dieu, il faudra inévi-
et à al-Ṭā’if : ils étaient douze mille. L’armée la plus impor- tablement que Ḥāṭib entre dans le Feu ! » Le Prophète – Dieu
tante qui mena une expédition avec le Prophète – Dieu prie sur prie sur lui et lui donne la paix ! – lui dit : « Tu mens. Il a vu
lui et lui donne la paix ! – fut l’armée de Tabūk9. C’était une Badr et al-Ḥudaybiya. »
multitude innombrable mais il n’y eut pas de combat durant Dans le Ṣaḥīḥ, il est établi que lorsque [Ḥāṭib] écrivit aux
cette [expédition-là]. associateurs pour les informer que le Prophète – Dieu prie sur
Ces individus susmentionnés rentrent sous ces paroles du lui et lui donne la paix ! – marchait vers eux, [celui-ci] envoya
‘Alī b. Abī Ṭālib et al-Zubayr chez une femme avec qui la lettre
1. Site à une journée de voyage de La Mecque, sur la route d’al- se trouvait et ils la [lui] apportèrent. « Qu’est ceci, ô Ḥāṭib ? »
Ṭā’if. Peu après avoir pris La Mecque, l’hiver 8/630, le Prophète y mit dit-il. Il dit : « Par Dieu, ô Messager de Dieu, je n’ai pas fait
en déroute la tribu confédérée des Hawāzin ; voir H. LAMMENS &
cela pour apostasier ma religion, ni n’ai agréé la mécréance
A. al-H. KAMAL, EI2, art. Ḥunayn.
2. Coran, al-Tawba - IX, 26.
après être devenu musulman. Mais j’ai été un homme rattaché
3. Ville au Sud-est de La Mecque, dans les montagnes de Sarāt, aux Qurayshites, je ne suis pas l’un d’eux, tandis que ceux qui
assiégée par le Prophète après Ḥunayn, durant l’hiver 8/630 ; voir sont avec toi d’entre tes Compagnons ont à La Mecque des
M. LECKER, EI2, art. al-Ṭā’if. proches grâce à qui ils protègent leurs familles. Manquant de
4. Autre nom de la sourate al-Tawba - IX. Il s’agit de l’expédition cela, j’ai souhaité saisir parmi eux une main grâce à laquelle ils
militaire de Tabūk (été 9/630) ; voir M. A. AL-BAKHIT, EI2, art. Tabūk.
5. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. V, p. 63 ; AL-TIRMIDHĪ, Sunan,
Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 288-289, n° 3784-3785). 10. Coran, al-Ḥadīd - LVII, 10.
6. Tribu juive établie près de La Mecque, opposée aux Musulmans et 11. Coran, al-Tawba - IX, 100.
qui fut vaincue par eux en 5/627 ou 6/628 lors d’une bataille appelée 12. Endroit en bordure du territoire sacré de La Mecque où des négo-
de leur nom ou « expédition d’al-Muraysī‘ », le puits près duquel elle ciations eurent lieu entre le Prophète et les Mecquois au printemps
se déroula ; voir IBN ISḤĀQ, Sīrat Rasūl Allāh - The Life of Muḥam- 6/628 et où les Musulmans s’engagèrent par serment à le soutenir ;
mad. Translation with Introduction and Notes by A. GUILLAUME, voir W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al-Ḥudaybiya.
Londres, Oxford University Press, 1955, p. 490-493. 13. Coran, al-Fatḥ - XLVIII, 18.
7. Montagne près de laquelle une bataille permit aux Musulmans, en 14. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
6/628 ou 7/629, de punir des polythéistes qui avaient volé des cha- p. 169) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. III, p. 350 ; t. VI, p. 420 ; IBN MĀJA,
meaux du Prophète en pâture au nord de Médine ; voir IBN ISḤĀQ, Sunan, Zuhd (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. II, p. 1431, n° 4281).
Sīra, trad. GUILLAUME, p. 486-490. 15. Compagnon (m. 30/650). Suite à un message dans lequel il infor-
8. Ibn Taymiyya ne cite que ces six expéditions après en avoir mait Quraysh des plans du Prophète, il fut suspecté de trahison mais
annoncé neuf. Les trois manquantes sont Khaybar, Mu’ta et Ḥunayn. pardonné ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. I, p. 360-362.
9. Localité du Nord-ouest de l’Arabie contre laquelle le Prophète 16. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
organisa un raid en 9/630 ; voir M. A. AL-BAKHIT, EI2, art. Tabūk. p. 169) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. VI, p. 362.

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protègeraient mes proches. ‘Umar b. al-Khaṭṭāb de dire alors : Dans le Ṣaḥīḥ, il est en effet établi à propos du Prophète – Dieu
« Laisse-moi frapper la nuque de cet hypocrite ! » Le Prophète prie sur lui et lui donne la paix ! – qu’il a dit : « Le croyant
– Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – dit : « Il a vu Badr. n’est pas frappé d’une fatigue, ni d’une maladie, ni d’une pré-
Qu’en sais-tu ? Dieu a dit : « Faites ce que vous voulez. Je vous occupation, ni d’un souci, ni d’une tristesse, ni d’un mal, sans
ai pardonnés1. » Il y a, dans ce ḥadīth, une claire confirmation que Dieu absolve de ses erreurs7. »
que, du fait de leur qualité de précesseurs, de leur foi et de leur Quant à ceux qui [vinrent] après ces premiers précesseurs, à
jihād, Dieu pardonne comme grands péchés à ces précesseurs, savoir ceux qui se convertirent après al-Ḥudaybiya, ceux-là ren-
tels les gens de Badr et d’al-Ḥudaybiya, des choses pour les- trent sous ces paroles du Très-Haut : « À tous Dieu a promis la
quelles il n’est permis à personne de les punir, de même qu’il plus belle [récompense]8 » ; et aussi sous Ses paroles – Très-
ne fut pas obligatoire de punir Ḥāṭib pour ce2 qu’il avait fait. Haut est-Il ! : « Ceux qui les suivirent en bel-agir, Dieu est
satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Lui9. » Khālid b. al-Walīd,
‘Amr b. al-‘Āṣ, ‘Uthmān b. Ṭalḥat al-Ḥajabī et d’autres se con-
vertirent avant la conquête de La Mecque. Les habitants d’al-
Ṭā’if se convertirent après les amnistiés et furent les derniers
des gens à se convertir. ‘Uthmān b. Abī l-‘Āṣ al-Thaqafī10 que
le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – nomma
émir des habitants d’al-Ṭā’if était d’entre eux. Il fut d’entre les
meilleurs des Compagnons malgré sa conversion tardive. [462]
Il se peut que la conversion d’un homme tarde et qu’il soit
plus éminent que certains qui l’ont précédé dans l’Islam. Ainsi
la conversion de ‘Umar tarda-t-elle – on dit qu’il se convertit la
Zubayr, Ṭalḥa3 quarantaine achevée – et fut-il de ceux que Dieu rendit plus
Ceci est d’entre les choses par lesquelles prouver que si ce qui éminents que beaucoup de ceux qui s’étaient convertis avant
se produisit entre ‘Alī, Ṭalḥa4, al-Zubayr5 et leurs pareils [461] lui. ‘Uthmān, Ṭalḥa, al-Zubayr, Sa‘d11 et ‘Abd al-Raḥmān b.
[résulta] d’un effort de réflexion personnelle (ijtihād) dénué de ‘Awf12 se convertirent avant ‘Umar, avec l’aide d’Abū Bakr, et
péché, il n’y a rien à dire. Il est en effet établi à propos du ‘Umar les devança. Le premier qui se convertit, parmi les
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – qu’il a dit : hommes libres adultes, fut Abū Bakr et, parmi les [individus]
« Quand un gouvernant (ḥākim) fait un effort d’initiative cano- libres jeunes, ‘Alī. Parmi les clients, ce fut Zayd b. Ḥāritha13 et,
nique (ijtahada) et fait mouche, à lui deux récompenses et, s’il parmi les femmes, Khadīja, la mère des croyants. Il y a accord
fait un effort d’initiative canonique (ijtahada) et fait erreur, à des gens de savoir sur ceci.
lui une récompense6. » S’il y eut là péché, il est assurément éta- Le Dieu Très-Haut a dit : « Ceux qui ont cru, émigré, mené le
bli que ceux-là, Dieu est satisfait d’eux et leur a pardonné ce jihād de leurs biens et d’eux-mêmes sur le chemin de Dieu, et
qu’ils ont fait. Ce qui a été commis par eux comme péchés ne ceux qui [leur] ont procuré un refuge et porté secours, ceux-là
leur nuit donc pas si un péché a effectivement été commis. Ou, sont amis les uns des autres. Ceux qui ont cru et n’ont pas
plutôt même, si un péché a été commis par l’un d’eux, Dieu l’a émigré, vous n’avez en rien à être leurs amis, jusqu’à ce qu’ils
effacé en raison de l’intervention d’une des causes en raison émigrent. Si toutefois ils vous demandent secours touchant la
desquelles Dieu gomme les péchés. [Le pécheur] s’est par religion, à vous de les secourir, sauf à l’encontre de gens
exemple repenti et Dieu est revenu vers lui, ou il avait pour lui auxquels un pacte vous lie – Dieu voit clairement ce que vous
de bonnes actions qui effacent les mauvaises, ou il a été absous faites. Ceux qui ont mécru sont amis les uns des autres. Si vous
de [son péché] en raison d’une calamité dont il a été affligé. n’en faites pas autant [en rompant avec les mécréants], il y aura
de la dissension sur la terre et une grande corruption. Ceux qui
1. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Maghāzī (Boulaq, t. V, p. 78 ; trad. ont cru, émigré, mené le jihād sur le chemin de Dieu, et ceux
HOUDAS, Traditions, t. III, p. 77-78) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-
Saḥāba (Constantinople, t. VII, p. 168 ; trad. SIDDIQI, Ṣaḥīḥ, t. IV,
p. 1331, n° 6087). 7. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Marḍā (Boulaq, t. VII, p. 114) ; MUS-
2. bi-mā : mim-mā F LIM, Ṣaḥīḥ, Birr (Constantinople, t. VIII, p. 16) ; IBN ḤANBAL, Musnad,
3. Calligraphies du folio 201r-v du Livre de prière de Düzdidil, t. II, p. 303, 335 ; t. III, p. 18, 38, 48, 61, 81.
Istanbul, 1261/1845 (Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Cod.turc 8. Coran, al-Ḥadīd - LVII, 10.
553). 9. Coran, al-Tawba - IX, 100.
4. Ṭalḥa b. ‘Ubayd Allāh, un des premiers Musulmans, comptant 10. Compagnon. Après avoir été émir d’al-Ṭā’if, il s’illustra dans la
parmi les dix Compagnons promis au Paradis, à la fois allié et rival conquête d’Oman et du Baḥrayn puis s’installa à Baṣra et y mourut en
d’al-Zubayr contre ‘Alī durant la guerre civile ayant suivi le meurtre 51/671 ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. III, p. 372-374.
du calife ‘Uthmān, tué lors de la bataille du Chameau (36/656) ; voir 11. Un des dix Compagnons promis au Paradis, vainqueur des Per-
W. MADELUNG, EI2, art. Ṭalḥa. sans à al-Qādisiyya et premier gouverneur de Kūfa, mort entre 50/670
5. Abū ‘Abd Allāh al-Zubayr b. al-‘Awwām, un des premiers Musul- et 58/677 ; voir G. R. HAWTING, EI2, art. Sa‘d b. Abī Waḳḳāṣ.
mans, comptant parmi les dix Compagnons promis au Paradis, colla- 12. ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Awf (m. vers 31/652), Qurayshite, un des
borateur de ‘Ā’isha et Ṭalḥa contre ‘Alī, tué lors de la bataille du Cha- premiers Musulmans, riche marchand et leader politique et militaire
meau (36/656) ; voir I. HASSON, EI2, art. al-Zubayr b. al-‘Awwām. sous les premiers califes ; voir M. Th. HOUTSMA & W. MONTGOMERY
6. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, I‘tiṣām (Boulaq, t. IX, p. 108) ; MUS- WATT, EI2, art. ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Awf.
LIM, Ṣaḥīḥ, Aqḍiya (Constantinople, t. V, p. 131) ; IBN ḤANBAL, Mus- 13. Zayd b. Ḥāritha al-Kalbī (m. 8/629), esclave, puis client (mawlā)
nad, t. II, p. 187. et fils adoptif du Prophète ; voir M. LECKER, EI2, art. Zayd b. Ḥāritha.

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qui [leur] ont procuré un refuge et porté secours, ceux-là sont paix ! –, en plus d’une [464] version, qu’il a dit : « La meilleure
les croyants, vraiment. Il leur sera pardonné et ils seront géné- des générations est celle en laquelle j’ai été envoyé. Puis ce
reusement pourvus. Ceux qui ont cru par après, ont émigré et sont ceux qui les suivent, puis ceux qui les suivent7. » Dans le
mené le jihād avec vous, ceux-là sont des vôtres1. » Ce [verset] Ṣaḥīḥ, il est aussi établi à son propos qu’il a dit, alors qu’il y
est général. Le Très-Haut a aussi dit : « [Le butin] est aussi avait eu des mots entre ‘Abd al-Raḥmān [b. ‘Awf] et Khālid [b.
pour les indigents émigrés qui ont été expulsés de leurs al-Walīd] : « Ô Khālid, n’insultez pas mes Compagnons ! Par
demeures et de leurs biens alors que, de Dieu, ils recherchaient Celui en la main de Qui mon âme est, même si l’un de vous
grâce, satisfaction, et qu’ils aidaient Dieu et Son Messager. dépensait en or l’équivalent du [mont] Uḥud [sur le chemin de
Ceux-là sont les véridiques. [Il est aussi pour] ceux qui, avant Dieu], il ne rejoindrait ni le mudd8 [dépensé par] l’un d’eux9, ni
eux, étaient installés à demeure et dans la foi, aiment ceux qui sa moitié10. » Il dit cela pour Khālid et ses pareils d’entre ceux
ont émigré vers eux, ne trouvent pas en leurs poitrines de gêne qui s’étaient convertis après al-Ḥudaybiya, relativement aux
due à ce qui a été donné à [ces émigrés] et les préfèrent à eux- premiers précesseurs. « Même si l’un de vous dépensait en or
mêmes quand bien même il y a pénurie chez eux. Quiconque se l’équivalent du [mont] Uḥud [sur le chemin de Dieu], » dit-il,
prémunit contre l’avarice de son âme, ceux-là sont ceux qui « il ne rejoindrait ni le mudd [dépensé par] l’un d’eux, ni la
réussissent. [Il est également pour] ceux qui sont venus après moitié de son mudd. »
eux en disant « Notre Seigneur, pardonne-nous ainsi qu’à nos Ceux qui se convertirent après al-Ḥudaybiya rentrent sous ces
frères qui nous ont précédés dans la foi et ne mets pas, dans nos paroles du Très-Haut : « Ceux d’entre vous qui ont dépensé [sur
cœurs, de rancœur à l’encontre de ceux qui ont cru. Notre le chemin de Dieu] avant la conquête [de La Mecque] et
Seigneur, Tu es compatissant, miséricordieux2. » [463] combattu ne sont pas égaux [aux autres]. Ceux-là occupent un
Ce verset et celui qui le précède détaillent ceux qui rentrent degré plus important que ceux qui ont dépensé par après et
sous eux après les premiers précesseurs, jusqu’au Jour de la combattu. À tous cependant Dieu a promis la plus belle [récom-
résurrection. Comment dès lors les Compagnons du Messager pense]11 » selon ce rang. Comment sera la distance de ses Com-
de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – qui ont cru pagnons [par rapport à lui] ? « Compagnonnage » est un nom
en lui et ont mené le jihād avec lui ne rentreraient-ils pas sous générique qui s’applique à quiconque a accompagné, peu ou
eux ? Il a par ailleurs dit dans ce ḥadīth authentique – Dieu prie prou, le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –
sur lui et lui donne la paix ! : « L’émigré (muhājir) est celui qui mais, du Compagnonnage, chacun d’eux à une [part] propor-
fuit (hajara) ce que Dieu a interdit3. » Le sens de cette émi- tionnelle à cela. Ceux qui l’ont accompagné une année, ou un
gration (hijra) s’applique à celui des amnistiés qui s’est con- mois, ou un jour, ou une heure, ou l’ont vu en étant croyant ont,
verti et a fui ce que Dieu a interdit et il rentre sous ces paroles du Compagnonnage, une [part] proportionnelle à cela. Ainsi
du Très-Haut : « Ceux qui ont cru par après, ont émigré et mené est-il établi dans le Ṣaḥīḥ12, à propos du Prophète – Dieu prie
le jihād avec vous, ceux-là sont des vôtres4 » tout comme il sur lui et lui donne la paix ! –, qu’il a dit : « Un groupe de gens
rentre sous ces paroles du Très-Haut : « À tous Dieu a promis la prendront part à une expédition militaire et [d’aucuns] diront :
plus belle [récompense]5. » « Y en a-t-il parmi vous qui ont accompagné le Prophète – Dieu
Le Très-Haut a aussi dit : « Muḥammad est le Messager de prie sur lui et lui donne la paix ? » (et dans une [autre]
Dieu et ceux qui sont avec lui sont durs vis-à-vis des mécréants, narration13 : « Y en a-t-il parmi vous qui ont vu le Messager de
miséricordieux entre eux. Tu les vois inclinés, prosternés, Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ? ») Ils diront
recherchant de Dieu grâce et satisfaction. Sur leurs visages est « Oui » et il leur sera donné d’être victorieux. Par la suite, un
leur insigne, trace laissée par la prosternation. Telle est leur groupe de gens prendront part à une expédition militaire et
image dans la Torah. Quant à leur image dans l’Évangile, c’est [d’aucuns] diront : « Y en a-t-il parmi vous qui ont accompagné
comme une semence qui fait sortir sa pousse et la renforce ; elle quelqu’un ayant accompagné le Messager de Dieu [465] – Dieu
s’épaissit donc et se dresse sur sa tige en émerveillant les prie sur lui et lui donne la paix ? » (et, dans une [autre] narra-
semeurs, de sorte que [Dieu] enrage par eux les mécréants. À tion : « Y en a-t-il parmi vous qui ont vu quelqu’un ayant vu le
ceux qui ont cru et, parmi eux, ont accompli les bonnes œuvres,
Dieu a promis un pardon et une importante récompense6. » 7. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
p. 184-185) ; pour les autres références, voir A. J. WENSINCK, Concor-
Ceci concerne, dans l’absolu, ceux qui ont cru avec le Mes- dance, t. V, p. 372. La troisième génération, celle des « Suivants des
sager. Suivants », s’est éteinte à la fin de la dynastie umayyade et au début de
Les degrés du Compagnonnage la dynastie ‘abbāside, c’est-à-dire vers 132/750 (MF, t. X, p. 357).
Dans les Ṣaḥīḥs et d’autres [recueils], il est très abondamment 8. Mesure de capacité correspondant en Syrie à quelque 3,6 l ; voir
transmis à propos du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la E. ASHTOR, art. Makāyil, p. 115.
9. aḥadi-him : aḥadi-kum F
10. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il aṣḥāb al-nabī (Boulaq, t. V,
1. Coran, al-Anfāl - VIII, 72-75. Ibn Taymiyya ne cite en fait que le p. 8) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
début et la fin de ce passage, en les reliant par les mots « jusqu’à Ses p. 188) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. III, p. 11 ; t. VI, p. 6 ; AL-TIRMIDHĪ,
paroles – Très-Haut est-Il ! – ». Sunan, Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 357-358, n° 3952).
2. Coran, al-Ḥashr - LIX, 8-10. 11. Coran, al-Ḥadīd - LVII, 10.
3. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Īmān (Boulaq, t. I, p. 11) ; IBN ḤANBAL, 12. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
Musnad, t. II, p. 163. p. 184) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. III, p. 7.
4. Coran, al-Anfāl - VIII, 75. 13. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII,
5. Coran, al-Ḥadīd - LVII, 10. p. 184). Ibn Taymiyya ne cite pas littéralement les narrations qu’il
6. Coran, al-Fatḥ - XLVIII, 29. distingue.

—7—
Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ? ») de l’un des Compagnons est la voie par laquelle on connaît la
Ils diront « Oui » et il leur sera donné d’être victorieux. Par la foi de ses pareils et la voie par laquelle connaître son Compa-
suite, un groupe de gens prendront part à une expédition mili- gnonnnage est la voie par laquelle on connaît le Compagnon-
taire et [d’aucuns] diront : « Y en a-t-il parmi vous qui ont vu nage de ses semblables. Les amnistiés qui se convertirent
quelqu’un ayant vu quelqu’un ayant vu le Messager de Dieu – l’année de la conquête [de La Mecque], tels Mu‘āwiya, son
Dieu prie sur lui et lui donne la paix ? » (et, dans une [autre] frère Yazīd, ‘Ikrima b. Abī Jahl, Ṣafwān b. Umayya, al-Ḥārith
narration : « qui ont accompagné quelqu’un ayant accompagné b. Hishām et Suhayl b. ‘Amr, il3 est établi pour l’élite (khāṣṣa),
quelqu’un ayant accompagné le Messager de Dieu – Dieu prie par des informations abondamment récurrentes, qu’ils se con-
sur lui et lui donne la paix ? ») Ils diront « Oui » et il leur sera vertirent et demeurèrent dans l’Islam jusqu’au moment de
donné d’être victorieux. » Dans certaines versions, quelque mourir.
chose comme cela est aussi mentionné au sujet de la quatrième Mu‘āwiya et ‘Alī
génération (ṭabqa). Mu‘āwiya fut d’un islam plus manifeste que d’autres. Il fut au
pouvoir (tawallā) pendant quarante ans : vingt ans comme
député (nā’ib) de ‘Umar et de ‘Uthmān [et] malgré ce qui se
produisit durant le califat de ‘Alī – Dieu soit satisfait de lui ! –
et vingt ans en l’exerçant seul (mustawlī)4. Il trépassa5 en l’an
soixante[/680], cinquante années [lunaires] après la mort du
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! Al-Ḥasan b.
‘Alī6 – Dieu soit satisfait d’eux deux ! – lui céda le comman-
dement en l’année quarante[/661] que l’on appelle « l’année de
la communion » (jamā‘a) du fait que la parole des Musulmans
devint [alors] commune et que la dissension cessa entre eux.
Ce qu’al-Ḥasan – Dieu soit satisfait de lui ! – fit est d’entre
les choses pour lesquelles le Prophète – Dieu prie sur lui et lui
donne la paix ! – a fait son éloge, ainsi qu’établi dans le Ṣaḥīḥ
d’al-Bukhārī et d’autres [ouvrages] d’après Abū Bakr – Dieu
soit satisfait de lui ! –, le Prophète disant – Dieu prie [467] sur lui
et lui donne la paix ! : « Mon [petit-]fils que voici est un
seigneur. Grâce à lui, Dieu ramènera la concorde entre deux
factions importantes des Musulmans7 ! » Le Prophète – Dieu
prie sur lui et lui donne la paix ! – fit donc de ceci8 une des
choses pour lesquelles il fit l’éloge de son [petit-]fils al-Ḥasan.
Il le félicita du fait que, grâce à lui, le Dieu Très-Haut ramena
la concorde entre deux factions importantes des Musulmans ;
cela, quand il céda le commandement à Mu‘āwiya alors que
chacun d’eux deux avait marché vers l’autre avec de grandes
armées.
Le fait que le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
paix ! – fit l’éloge d’al-Ḥasan pour avoir ramené la concorde et
abandonné le combat prouve que ramener la concorde entre ces
deux factions était plus aimé du Dieu Très-Haut que le mener.
Cela prouve donc que se combattre n’avait pas été commandé.
Mu‘āwiya1
Si Mu‘āwiya avait été un mécréant, donner le pouvoir à un
mécréant et lui céder le commandement n’est pas d’entre les
Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – a donc
choses aimées de Dieu et de Son Messager. Le ḥadīth prouve
attaché le statut [de Compagnon] au fait de l’avoir accompagné,
il l’a attaché au fait de l’avoir vu et il a vu en ceux qui l’avaient
3. fa-qad : wa qad F
vu en croyant en lui la cause de la victoire donnée par Dieu aux
4. Mu‘āwiya fut nommé à la tête de l’armée de Syrie par le calife
Musulmans. Cette particularité n’est établie pour personne ‘Umar en 18/639. À son avènement, ‘Uthmān confirma son autorité
d’autre que les Compagnons, quand bien même les actions de sur la région. Il continua à gouverner la Syrie sous ‘Alī et, après
cette personne seraient plus abondantes que les actions d’un de l’assassinat de celui-ci (40/661), régna comme calife jusqu’à sa mort
ses Compagnons – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! [466]2 en 60/680 ; voir M. HINDS, EI2, art. Mu‘āwiya Ier.
5. tuwuffiya : tawallā F
Ceci étant clair, on le sait, la voie par laquelle connaître la foi
6. Petit-fils du Prophète et deuxième imām du Shī‘isme duodécimain
(3/624-49/669 ?), qui renonça au pouvoir en faveur de Mu‘āwiya ; voir
1. Dessin tiré de S. YALAZ, İslam’da ilk büyük 4 halife : Hulefâ’i L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. (al-)Ḥasan b. ‘Alī b. Abī Ṭālib ;
Raşidin, Supplément du journal Güneş, [Istanbul], vers 1960, p. 53. Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. III, p. 6 ; N.S. XIX, p. 4.
Légende : « Le gouverneur de Syrie, Mu‘āwiya, y règne souveraine- 7. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il aṣḥāb al-nabī (Boulaq, t. V,
ment, tout à fait comme un empereur. » p. 26).
2. — : faṣl F Section 8. ja‘ala-hu : ja‘ala F

—8—
bien plutôt que Mu‘āwiya et ses compagnons étaient des Ceux-là sont ceux qui manifestèrent de l’hostilité envers ‘Alī
croyants, de même qu’al-Ḥasan et ses compagnons étaient des et envers quiconque était son ami, et ce sont eux qui jugèrent
croyants, et que ce qu’al-Ḥasan fit fut digne de louange selon le licite de le tuer et firent de lui un mécréant. Un de leurs chefs,
Dieu Très-Haut, aimé de Lui et satisfaisant pour Lui et pour ‘Abd al-Raḥmān b. Muljam al-Muradī7 le tua. Quand ces anti-
Son Messager. ‘Alīdes (nāṣib), les Khārijites qui s’excommunient, disent que
Ceci, tout comme il est établi dans les deux Ṣaḥīḥs1 à propos ‘Uthmān, ‘Alī b. Abī Ṭālib et ceux qui étaient avec eux deux
du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, d’après furent des mécréants, des apostats, il y a, comme argument des
un ḥadīth d’Abū Sa‘īd al-Khudrī2, qu’il a dit : « Un groupe Musulmans contre eux, ce qui a été transmis de manière abon-
s’excommuniera (maraqa) au moment où les gens se divise- damment récurrente concernant la foi des Compagnons et ce
ront. Celle des deux factions qui est la plus digne de la vérité qui est établi par le Livre et la Sunna authentique comme
les tuera » (et, selon un [autre] énoncé : « Celle des deux fac- louange du Dieu Très-Haut à leur endroit, éloge d’eux par
tions qui est le plus près de la vérité les tuera3 »). Ce ḥadīth Dieu, satisfaction de Lui vis-à-vis d’eux, information donnée
authentique est une preuve que chacune des deux factions qui par Lui qu’ils sont d’entre les gens du Jardin, et textes sem-
se combattirent – ‘Alī et ses compagnons, et Mu‘āwiya et ses blables. À qui n’accepte pas ces arguments il n’est pas possible
compagnons – étaient dans la vérité, et que ‘Alī et ses compa- d’établir la foi de ‘Alī b. Abī Ṭālib et de ses pareils.
gnons furent plus proches de la vérité que Mu‘āwiya et ses
compagnons.
‘Alī b. Abī Ṭālib est celui qui combattit ceux qui s’excom-
munièrent (māriq), à savoir les Khārijites4 Ḥārūrites5 qui
étaient du parti de ‘Alī puis se soulevèrent contre lui, le décla-
rèrent mécréant et déclarèrent mécréant quiconque était son
ami, lui manifestèrent de l’hostilité et le combattirent ainsi que
quiconque était avec lui. Ce sont ceux au sujet de qui le Pro-
phète – Dieu prie [468] sur lui et lui donne la paix ! – [nous] a
informés dans les ḥadīths authentiques abondamment transmis
(mustafīḍ) ou, plutôt même, abondamment récurrents (muta-
wātir), quand il dit à leur sujet : « Chacun de vous trouvera
dédaignables sa prière en comparaison de leur prière, son jeûne
en comparaison de leur jeûne et sa récitation [du Coran] en
comparaison de leur récitation. Ils récitent [cependant] le Coran
sans qu’il dépasse leurs gorges ! Ils passent au travers (maraqa) L’assassinat de ‘Alī par Ibn Muljam8
de l’Islam comme une flèche passe au travers d’une proie. Où L’approche sunnite des Compagnons, loin des excès des
que vous les rencontriez, tuez-les ! À les tuer il y a en effet une anti-‘Alīdes et des Rāfiḍites
récompense auprès de Dieu au Jour de la résurrection. Leur — ‘Alī fut un mécréant, ou un pervers injuste. Il combattit
signe est qu’il y a parmi eux un homme aux deux mains dif- pour la royauté (mulk), cherchant à être le chef, non pas pour la
formes et qui a des chairs fermes sur lesquelles il y a des poils religion. À [la bataille du] Chameau, à Ṣiffīn, à Ḥarūrā’, il tua
qui tremblent6. » des milliers et des milliers de coreligionnaires de la commu-
nauté de Muḥammad – Dieu prie sur lui et lui donne la paix !
1. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Murtaddīn (Boulaq, t. IX, p. 17) ; Après le trépas du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Zakāt (Constantinople, t. III, p. 113) ; IBN ḤANBAL, paix ! – il ne combattit pas de mécréant, ni ne conquit de cité
Musnad, t. III, p. 32.
2. Sa‘d b. Mālik b. Sinān… Abū Sa‘īd al-Anṣārī l-Khudrī, un des
mais, bien plutôt, combattit les gens de la Qibla.
Compagnons les plus célèbres, transmetteur de très nombreuses tradi- Si cet anti-‘Alīde (nāṣibī) dit cela à un Rāfiḍite9 et [lui tient]
tions (m. 74/693) ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 290-291. de tels propos que les anti-‘Alīdes tiennent, en colère contre lui
3. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Zakāt (Constantinople, t. III, p. 113) ; IBN – Dieu soit satisfait de lui ! –, il ne sera possible à personne de
ḤANBAL, Musnad, t. III, p. 5. répondre à ces anti-‘Alīdes si ce n’est aux gens de la Sunna et
4. Les premiers schismatiques de l’Islam, d’abord combattus par
‘Alī ; voir G. LEVI DELLA VIDA, EI2, art. Khāridjites ; Y. MICHOT,
Textes spirituels, N.S. XVII, p. 7-8, 20-22. ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 88, 95, 108, 113, 121, 122, 131, 144, 147,
5. Des milliers de partisans de ‘Alī opposés à son acceptation d’un 151, 155, 160, 404 ; IBN MĀJA, Sunan, Muqaddima (éd. ‘ABD AL-
arbitrage durant la bataille de Ṣiffīn se rebellèrent contre lui (37/657) à BĀQĪ, t. I, p. 59-62, n° 167-175). Sur les diverses versions de ce
Ḥarūrā’, localité iraqienne proche d’al-Kūfa, d’où ce nom ; voir ḥadīth, voir A. J. WENSINCK, Concordance, t. III, p. 7 ; IBN TAYMIYYA,
L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. Ḥarūrā’. L’année suivante (38/658), MF, trad. MICHOT, Musique, p. 130 ; Textes spirituels XI, p. 30 ; Textes
‘Alī vainquit les mutins de Ḥarūrā’ et en massacra un grand nombre spirituels, N.S. III, p. 5 ; N.S. XVII, p. 6-7, 20-23 ; N.S. XXII, p. 4.
durant la bataille d’al-Nahrawān, aussi en Iraq. 7. Sur l’assassin de ‘Alī, voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. Ibn Mul-
6. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Anbiyā’ (Boulaq, t. IV, p. 137) ; Manā- djam.
qib (Boulaq, t. IV, p. 200-201) ; Maghāzī (Boulaq, t. V, p. 164) ; 8. Peinture de l’artiste iranien Yousef Abdinejad (né à Hamadhān en
Faḍā’il al-Qur’ān (Boulaq, t. VI, p. 197) ; Istitāba (Boulaq, t. IX, 1983).
p. 16-17) ; Tawḥīd (Boulaq, t. IX, p. 127, 162) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Zakāt 9. Désignation péjorative des Shī‘ites qui « refusent » (rafaḍa) les
(Constantinople, t. III, p. 110-117) ; ABŪ DĀ’ŪD, Sunan, Sunna (éd. premiers califes bien-guidés ; voir le texte d’Ibn Taymiyya traduit in
‘ABD AL-ḤAMĪD, t. IV, p. 242-245, n° 4763-4770) ; AL-DĀRIMĪ, Sunan, Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. IV, p. 2, n. 6, et le fetwa les
Sunna (éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. IV, p. 242-245, n° 4763-4770) ; IBN concernant traduit in Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XVII.

—9—
de la communion, lesquels [469] aiment tous les précesseurs, les leurs semblables ; or les Rāfiḍites diffament ceux-ci. Si les
premiers, et sont leurs amis. rapports de ceux-là et de leurs semblables étaient faibles, vaine
— Abū Bakr, ‘Umar, ‘Uthmān, Ṭalḥa, al-Zubayr et leurs serait chaque vertu rapportée à propos de ‘Alī et les Rāfiḍites
semblables, leur diront-ils, leur foi, leur émigration et leur jihād n’auraient pas d’argument. Si [par contre] leurs rapports sont
sont établis par des sources abondamment récurrentes. Il est authentiques, établies sont les vertus de ‘Alī et d’autres que lui
établi dans le Coran que Dieu a fait leur éloge et fut satisfait de qui ceux-là rapportent les vertus, tels Abū Bakr, ‘Uthmān, et
d’eux. Il est par ailleurs établi, de par les ḥadīths authentiques, d’autres qu’eux.
que le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – a fait — Les vertus de ‘Alī sont [rapportées] de manière abondam-
leur éloge, individuellement et collectivement. Ainsi dit-il, dans ment récurrente chez les Shī‘ites.
le ḥadīth très abondamment rapporté de lui : « Si j’avais adopté Si le Rāfiḍite dit cela tout comme ils disent que le texte étab-
un ami parmi les habitants de la terre, j’aurais adopté Abū Bakr lissant l’imāmat de [‘Alī] est abondamment récurrent, ceci lui
comme ami1. » Il dit aussi : « Dans les communautés [venues] sera dit :
avant vous, il y eut des gens à qui il fut parlé (muḥaddath). S’il — S’agissant des Shī‘ites qui ne furent pas d’entre les Com-
y en avait un dans ma communauté, ce serait ‘Umar2. » Concer- pagnons, ils ne furent pas des rapporteurs du Prophète – Dieu
nant ‘Uthmān il dit : « Ne montrerai-je pas de la pudeur vis-à- prie sur lui et lui donne la paix ! – et ils n’entendirent pas ses
vis de quelqu’un vis-à-vis de qui les anges en montrent3 ? » À paroles. Ce qu’ils transmettent est transmis sans l’intermédiaire
‘Alī il dit : « Je donnerai assurément l’étendard à un homme qui d’un Compagnon (mursal), en une chaîne interrompue (mun-
aime Dieu et Son Messager, que Dieu et Son Messager aiment qaṭi‘). Si cela ne remonte pas aux Compagnons, ce n’est pas
et de par les deux mains de qui Dieu donnera la victoire4. » Il authentique ! Les Compagnons pour qui les Rāfiḍites ont de
dit aussi : « Chaque Prophète eut des apôtres et, mes apôtres, ce l’amitié sont un nombre réduit de personnes – une dizaine ou
sont al-Zubayr5. » Etc. quelque chose comme cela. De par ce que ceux-là transmettent,
Quant au Rāfiḍite, il ne lui est pas possible de construire un nulle abondance de récurrence [du témoignage] (tawātur) n’est
argument à l’encontre de ceux des adversaires de ‘Alī qui le cependant établie vu la possibilité d’une connivence entre un
haïssent comme il est possible de le faire aux gens de la Sunna, nombre aussi réduit de [sources]. Quant à la très grande masse
qui aiment l’ensemble [des Compagnons]. des Compagnons qui ont transmis les vertus de [‘Alī et d’au-
— L’islam de ‘Alī est connu de par des sources abondam- tres], les Rāfiḍites les diffament. Dès lors, s’ils trouvent plau-
ment récurrentes. sibles le mensonge et la dissimulation à propos de la masse de
S’il dit cela, on lui dira : ceux de qui le Coran a fait l’éloge, il convient plus encore, a
— Et semblablement pour l’islam d’Abū Bakr, de ‘Umar, de fortiori, de les trouver plausibles à propos d’un nombre réduit
‘Uthmān, de Mu‘āwiya et d’autres qu’eux. Toi, tu attaques de personnes et c’est encore plus admissible.
ceux-là soit s’agissant de leur islam, soit s’agissant de leur — Abū Bakr, ‘Umar et ‘Uthmān, leur objectif fut la prési-
probité (‘adāla). dence (ri’āsa) et la royauté. Ils furent donc injustes envers les
— La foi de ‘Alī est établie de par l’éloge que le Prophète [en autres en exerçant le pouvoir (wilāya) !
fit] – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! Lorsque le Rāfiḍite dira également cela, on lui8 dira :
S’il dit cela, nous lui dirons : — Ceux-là ne combattirent pas de Musulman pour le pouvoir.
— Ces ḥadīths ont seulement été transmis par les Compa- Ils combattirent seulement les apostats et les mécréants et ce
gnons que toi, tu attaques ! Les rapporteurs de leurs vertus sont sont eux qui défirent Chosroès et César9. Ils conquirent les
Sa‘d b. Abī [470] Waqqāṣ6, ‘Ā’isha, Sahl b. Sa‘d al-Sā‘idī7 et contrées de la Perse et [y] firent régner l’Islam, rendirent forts
la foi et ses adeptes et humilièrent la mécréance et ses adeptes.
[471] S’agissant du rang, ‘Uthmān fut en deçà d’Abū Bakr et de
1. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-Ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, ‘Umar. Malgré cela, ils cherchèrent à le tuer alors qu’il exerçait
p. 109) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 377 ; IBN MĀJA, Sunan, Muqad- le pouvoir, n’avait pas combattu les Musulmans et n’avait pas
dima (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. 1, p. 36, n° 93).
tué de Musulman pour exercer son pouvoir. Si tu trouves plau-
2. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Manāqib (Boulaq, t. V, p. 12) ; MUSLIM,
Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, p. 115). sible, à l’encontre de ceux-là, qu’ils furent injustes dans leur
3. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, exercice du pouvoir [et] des ennemis du Messager, l’argument
p. 116-117) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 71 ; t. VI, p. 62, 155, 288. que l’anti-‘Alīde (nāṣibī) t’oppose sera encore plus évident. Si
4. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Jihād (Boulaq, t. IV, p. 53) ; MUSLIM, tu dis du mal à leur sujet et les suspectes d’injustice et d’hos-
Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, p. 120-122) ; AL- tilité au Messager et à son groupement (ṭā’ifa), ce sera un argu-
TIRMIDHĪ, Sunan, Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 302, n° 3808). ment pour les Khārijites et les anti-‘Alīdes qui se ruent contre
5. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Jihād (Boulaq, t. IV, p. 27-28, 57-58) ;
toi. Ils diront en effet : « Qui convient-il plus de suspecter de
Faḍā’il al-Ṣaḥāba (Boulaq, t. V, p. 21) ; Maghāzī (Boulaq, t. V,
p. 111) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, rechercher la présidence ? Quelqu’un qui combattit les Musul-
p. 127) ; IBN MĀJA, Sunan, Muqaddima (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. I, p. 45, mans pour exercer son pouvoir et ne combattit pas les mécré-
n° 122) ; IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 89, 102, 103 ; t. III, p. 307, 314, ants, commença à combattre les [Musulmans] pour qu’ils lui
338, 365.
6. Sa‘d b. Mālik, dit Sa‘d b. Abī Waqqāṣ (m. 54-58/674-678 ?), un
des principaux Compagnons, promis au Paradis, vainqueur des Perses 7. Sahl b. Sa‘d b. Mālik al-Anṣārī l-Sa‘idī (m. 88/707 ou 91/710),
lors de la bataille d’al-Qādisiyya et fondateur de Kūfa, resté neutre Compagnon ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 366-367.
dans la guerre civile entre ‘Alī et Mu‘āwiya, après le meurtre de 8. la-hu : la-hum F
‘Uthmān ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 290-293. 9. C’est-à-dire les Perses et les Byzantins.

—10—
obéissent alors qu’ils ne lui obéissaient pas, tua des milliers et proféra pas d’accusation contre lui au sujet de [sa] transcription
des milliers d’adeptes de la Qibla qui célébraient la prière, de la révélation ; ‘Umar b. al-Khaṭṭāb, qui était l’un des hom-
donnaient l’aumône, faisaient le pèlerinage de l’antique Mai- mes les plus experts en ce qui concerne les hommes et sur la
son1, jeûnaient le mois de Ramaḍān et lisaient le Coran, ou2 des langue et le cœur de qui Dieu imprima la vérité, le nomma
gens qui ne combattirent aucun Musulman mais, au contraire, gouverneur et il ne proféra pas d’accusation contre lui au sujet
rendirent forts les adeptes de la prière et de l’aumône, les aidè- de son gouvernorat. Le Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et
rent à vaincre et leur offrirent refuge, ou encore quelqu’un qui lui donne la paix ! – avait nommé gouverneur son père Abū
fut tué alors qu’il exerçait le pouvoir, ne combattit pas et ne se Sufyān et, jusqu’au moment où le Prophète – Dieu prie sur lui
défendit pas, si bien qu’il fut tué dans sa maison et au sein de sa et lui donne la paix ! – mourut, il conserva son gouvernorat.
famille3 ? – Dieu soit satisfait de lui ! Si tu trouves plausible, à Mu‘āwiya fut meilleur que son père. S’agissant de l’islam, il fut
l’encontre de quelqu’un de pareil, qu’il rechercha4 la royauté meilleur que son père – il y a là-dessus accord des Musulmans.
[et] fut injuste envers les Musulmans dans son exercice du pou- Étant donné que le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
voir, il conviendra encore plus, et il sera encore plus adéquat, paix ! – nomma son père gouverneur, a fortiori et de manière
que tu trouves cela plausible à l’encontre de quelqu’un qui plus adéquate encore il fut assurément permis qu’il soit [lui-
combattit pour exercer son pouvoir et tua les Musulmans en même] gouverneur. Il ne fut jamais d’entre les gens de
l’exerçant. l’apostasie et aucun des gens de savoir ne l’a suspecté d’apos-
Les forgeries des Rāfiḍites tasie. Ceux qui suspectent ceux-là d’apostasie sont ceux qui
Par ceci et de pareilles [réflexions] il devient patent que les suspectent Abū Bakr, ‘Umar, ‘Uthmān, l’ensemble des gens de
Rāfiḍites sont une communauté n’ayant ni une raison (‘aql) Badr, les gens de l’allégeance de la satisfaction8 et d’autres
limpide ni une tradition (naql) authentique, ni une religion d’entre les précesseurs, les premiers, des Émigrés et des Auxi-
acceptable ni un monde d’ici-bas victorieux. Bien plutôt, ils liaires et ceux qui les suivirent en bel-agir, de choses qui ne leur
sont d’entre les groupes les plus mensongers et les plus igno- correspondent pas. [473]
rants, et leur religion oppose aux Musulmans chaque libre-
penseur (zindīq) et apostat. Parmi eux sont ainsi inclus les
Nuṣayrīs5, [472] les Ismā‘īlīs6 et d’autres. Ils se tournent vers les
meilleurs de la communauté et sont leurs ennemis, vers les
ennemis de Dieu – les Juifs, les Nazaréens et les associateurs –
et sont leurs amis. Ils se tournent vers la véridicité (ṣidq) mani-
feste, attestée de manière abondamment récurrente (mutawātir)
et la repoussent, vers le mensonge fabriqué, dont la nature cor-
rompue est bien connue, et le soutiennent. Ils sont comme al-
Sha‘bī7 l’a dit, qui était un des hommes les connaissant le plus :
« S’ils étaient des bêtes, ils seraient des ânes et, s’ils étaient des
oiseaux, ils seraient des vautours. » Dinars de ‘Abd al-Malik9
Voilà pourquoi ils sont les plus calomniateurs des hommes et Certains de ceux qui suspectent ceux-là d’apostasie disent que
les plus forts d’entre eux en forgeries, ainsi qu’il en va de ce [Mu‘āwiya] mourut le visage tourné vers l’orient10 et une croix
qu’ils mentionnent concernant Mu‘āwiya. C’est établi par des sur son visage. Ceci est d’entre les choses que tout [individu]
sources abondamment récurrentes, le Prophète – Dieu prie sur intelligent sait être d’entre les mensonges et les forgeries les
lui et lui donne la paix ! – nomma Mu‘āwiya émir comme il plus graves à son encontre. Si celui qui dit cela [le] disait au
nomma émirs d’autres que lui ; [Mu‘āwiya] mena le jihād avec sujet de quelqu’un, en deçà de Mu‘āwiya, d’entre les rois des
lui ; il jouit de sa confiance, transcrivant pour lui la révélation, Umayyades et des ‘Abbāsides, tels ‘Abd al-Malik b. Marwān11
et le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – ne et ses fils, Abū Ja‘far al-Manṣūr12 et ses deux fils surnommés
« al-Mahdī13 » et « al-Hādī1 », [Hārūn] al-Rashīd et leurs sem-
1. C’est-à-dire la Ka‘ba.
2. aw : wa F
3. Les personnes auxquelles cette question fait allusion sont, 8. C’est-à-dire les Musulmans qui, à al-Ḥudaybiya, s’engagèrent par
successivement, les califes ‘Alī, Abū Bakr et ‘Umar, ‘Uthmān. serment à soutenir le Prophète ; voir plus haut, p. 5, n. 12.
4. ṭāliban : ẓāliman F 9. À gauche, dinar imitant un solidus de l’empereur byzantin Héra-
5. Secte shī‘ite extrémiste tirant son nom de Muḥammad b. Nuṣayr clius avec ses deux fils Héraclius Constantin et Héraclonas (638-641),
al-Fihrī l-Numayrī, un disciple du dixième ou du onzième imāms Syrie, vers 71/690 (Londres, British Museum, 1954.1011.1). À droite,
duodécimains, et encore existante aujourd’hui (‘Alawites de Syrie) ; dinar probablement frappé à Damas en 76/695 et représentant le calife
voir H. HALM, EI2, art. Nuṣayriyya. Ibn Taymiyya leur a consacré un debout (New York, The American Numismatic Society, 1970. 63.1).
fetwa célèbre : Nuṣayriyya, trad. GUYARD, Fetwa. 10. C’est-à-dire vers le soleil levant, dont la tradition chrétienne fait
6. Une des principales sectes shī‘ites, se revendiquant d’Ismā‘īl, fils un symbole du Christ et vers lequel les églises sont orientées.
de Ja‘far al-Ṣādiq ; voir W. MADELUNG, EI2, art. Ismā‘īliyya ; Y. MI- 11. Le cinquième calife umayyade (r. 65/685-86/705) ; voir H. A. R.
CHOT, Textes spirituels d’Ibn Taymiyya (Nouvelle série). XXIV. Les GIBB, EI2, art. ‘Abd al-Malik b. Marwān.
Fāṭimides, sur www.scribd.com, mai 2018, p. 1-19, p. 9, n. 12. 12. Le deuxième calife ‘abbāside (r. 136/754-158/775) ; voir H. KEN-
7. ‘Āmir b. Sharāḥīl Abū ‘Amr al-Sha‘bī (m. entre 103/721 et NEDY, EI2, art. al-Manṣūr, Abū Ja‘far.
110/728), juriste et traditionniste de Kūfa dont la célébrité tient entre 13. Al-Mahdī, Abū ‘Abd Allāh Muḥammad, fils d’al-Manṣūr et
autres à ses invectives contre les Rāfiḍites ; voir G. H. A. JUYNBOLL, troisième calife ‘abbāside (r. 158/775-169/785) ; voir H. KENNEDY,
EI2, art. al-Sha‘bī. EI2, art. al-Mahdī, Abū ‘Abd Allāh.

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blables d’entre ceux qui assumèrent le califat et l’émirat des prie sur lui et lui donne la paix ! – qu’il y avait à son époque un
croyants, suspectait l’un de ceux-ci d’apostasie et d’être mort homme qui en buvait beaucoup, appelé Ḥimār et que le
dans la religion des Nazaréens, tout [individu] intelligent sau- Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – faisait
rait qu’il est d’entre les gens les plus gravement [fabricateurs fouetter chaque fois qu’il le rencontrait. On le lui amena pour
de] forgeries. Comment donc, [a fortiori] quelque chose de qu’il le fasse fouetter et un homme dit : « Dieu le maudisse !
semblable à cela sera-t-il dit de Mu‘āwiya et de ses semblables Combien de fois l’amène-t-on au Prophète – Dieu prie sur lui et
d’entre les Compagnons ? lui donne la paix ! Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne
En outre, quiconque dit de Yazīd, le fils de [Mu‘āwiya], qu’il la paix ! – dit alors : « Ne le maudis pas ! Il aime Dieu et Son
fut, avec ce qu’il fit se produire comme événements, un mécré- Messager4. » Le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
an
ant, un apostat, forge un mensonge à son encontre. Il fut, bien paix ! – maudit donc de manière générale (‘umūm ) celui qui
plutôt, un roi d’entre les rois des Musulmans, à l’instar du reste boit du vin mais interdit de maudire un croyant d’identité pré-
des rois des Musulmans. Or la plupart des rois ont de bonnes cise (mu‘ayyan).
actions et des mauvaises. Leurs bonnes actions sont immenses Tout comme nous disons ce que le Dieu Très-Haut a dit –
et leurs mauvaises sont immenses. Celui qui diffame l’un d’en- « Assurément, ceux qui mangent injustement les biens des
tre eux et non ses pairs est soit ignorant, soit injuste. À ces orphelins mangent seulement du feu, en leurs ventres5 » –, il ne
[rois]-là est dû ce qui est dû au reste des Musulmans. Il y en a convient à personne d’attester à l’encontre de quelqu’un d’iden-
parmi eux de qui les bonnes actions sont plus nombreuses que tité précise qu’il est dans le Feu du fait de la possibilité qu’il se
leurs mauvaises ; il y en a qui se sont repentis de leurs mau- repente, ou que Dieu lui pardonne de par de bonnes actions
vaises actions ; il y en a que Dieu a absous ; il y en a qu’Il fera effaçant [les mauvaises], ou de par des calamités qui acquittent,
peut-être entrer dans le Jardin ; il y en a qu’Il châtiera peut-être ou de par une intercession acceptée, ou que Dieu l’absolve, etc.
pour leurs mauvaises actions ; il y en a pour qui Dieu acceptera Ainsi aussi, même si quelque chose qui est de l’injustice a
peut-être l’intercession d’un Prophète ou d’un autre des inter- émané de l’un des rois ou de quelqu’un d’autre que les rois,
cesseurs. Attester que l’un de ceux-là est dans le Feu est d’entre cela ne nous oblige pas de le maudire et d’attester qu’il est dans
les dires des adeptes des innovations et de l’errance [474] et, le Feu. Quiconque s’engage en cela est d’entre les adeptes des
semblablement, maudire l’un d’eux en le visant en son identité innovations et de l’errance. Comment donc en ira-t-il, [a
précise (bi-‘ayni-hi) n’est pas d’entre les actions des vertueux et fortiori], si l’homme [visé] a pour lui d’immenses bonnes
des pieux. actions du fait desquelles on espère pour lui le pardon, malgré
son injustice ? Ainsi est-il établi dans le Ṣaḥīḥ d’al-Bukhārī à
propos du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –,
d’après Ibn ‘Umar, qu’il [475] a dit : « La première armée qui
attaquera Constantinople, il lui sera pardonné6. » Or l’émir de
la première armée qui l’attaqua fut Yazīd b. Mu‘āwiya7. Avec
lui se trouvait, durant cette attaque, Abū Ayyūb al-Anṣārī8. Il
mourut là-bas et sa tombe se trouve là-bas, jusqu’à maintenant.
Voilà pourquoi les modérés d’entre les imāms des Anciens
(salaf) disaient au sujet de Yazīd et de ses semblables : « Nous,
nous ne les insultons pas et nous ne les aimons pas » ; c’est-à-
dire : « Nous n’aimons pas ce qui émana d’eux comme injus-
tice ». En une même personne bonnes actions et mauvaises
Scène de taverne ottomane2
4. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Ḥudūd (Boulaq, t. VIII, p. 158-159).
Mauvaises actions et pardon divin
Ḥimār, c’est-à-dire « l’âne », était le surnom de cet ivrogne. Al-
Du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – il est Bukhārī rapporte son vrai nom, ‘Abd Allāh, et ajoute qu’il avait l’habi-
établi qu’il a dit : « Dieu a maudit le vin, celui qui en foule [le tude de faire rire le Prophète. Voir aussi Y. MICHOT, Textes spirituels,
raisin], celui qui en exprime le jus, celui qui le transporte, celui N.S. XX, p. 6.
qui le verse, celui qui le boit, celui qui le vend, celui qui 5. Coran, al-Nisā’ - IV, 10.
l’achète, et celui qui en mange le prix3. » Il est par ailleurs 6. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Jihād (Boulaq, t. IV, p. 42) : « La pre-
mière armée de ma communauté qui attaqueront la ville de César, il
authentiquement rapporté au sujet du Messager de Dieu – Dieu
leur sera pardonné. » L’attribution de cette tradition à Ibn ‘Umar est
peut-être une erreur de copiste. Les premiers transmetteurs mentionnés
1. Mūsā b. al-Mahdī, le quatrième calife ‘abbāside (r. 169/785-170/ par al-Bukhārī sont Umm Ḥarām puis ‘Umayr b. al-Aswad al-‘Absī.
786) ; voir D. SOURDEL, EI2, art. al-Hādī ilā l-Ḥaḳḳ. 7. Sur l’expédition de Yazīd contre Constantinople en 48/668-49/
2. Miniature d’un manuscrit du Tuḥfetü l-mulk, traduction turque du 669, voir M. CANARD, Les expéditions des Arabes contre Constan-
Rujū‘ al-shaykh ilā ṣibā-h (Le retour du vieillard à sa jeunesse), tinople dans l’histoire et dans la légende, in Journal asiatique, CCVIII,
célèbre traité d’érotisme du shaykh Muḥammad b. Muṣṭafā al-Miṣrī, Paris, 1926, p. 61-121, p. 67-77.
Turquie ou Balkans, 1232/1817 ; voir J. RABY et alii, An Exceptional 8. Khālid b. Zayd Abū Ayyūb al-Anṣārī, Compagnon chez qui le
Ottoman Erotic Manuscript, in SOTHEBY’S, Arts of the Islamic World, Prophète résida à son arrivée à Médine et qui fut de nombreuses expé-
Vente L18220, Londres, 25 avril 2018, p. 93-98. ditions militaires, dont celle de Yazīd contre Constantinople où il fut
3. Voir entre autres AL-TIRMIDHĪ, Sunan, Buyū‘ (éd. ‘UTHMĀN, t. II, enterré. Ibn Qutayba (m. 276/889) est le premier auteur musulman à
p. 380, n° 1313) ; IBN MĀJA, Sunan, Ashriba (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. II, mentionner sa tombe ; voir E. LÉVI-PROVENÇAL, J. H. MORDTMANN,
p. 1122-1123, n° 3380). Cl. HUART, EI2, art. Abū Ayyūb al-Anṣārī.

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actions se retrouvent ensemble, actes d’obéissance et actes de deuxième est vain de manière absolue. Quant au premier, on en
désobéissance, piété, dépravation et mal. Dieu la récompense saura peut-être la nature vaine ou, à son sujet, on restera peut-
pour ses bonnes actions et la punit pour ses mauvaises s’Il le être indécis. Quelqu’un disant, au sujet de Mu‘āwiya et de ses
veut, ou Il lui pardonne ; Il aime ce qu’il fait comme bien et Il semblables d’entre ceux dont il est manifeste qu’ils furent mu-
hait ce qu’il fait comme mal. sulmans et prièrent, firent le pèlerinage et jeûnèrent, qu’il ne se
Quelqu’un de qui les mauvaises actions sont mineures, les convertit pas et qu’il persista dans la mécréance équivaut à
Mu‘tazilites ont approuvé que Dieu les pardonne. Quant à l’au- quelqu’un qui dirait cela d’un autre que lui. [C’est] comme si
teur d’un [péché] majeur, les Anciens de la communauté, ses quelqu’un prétendait cela au sujet d’al-‘Abbās4, de Ja‘far5, de
imāms et le reste des gens de la Sunna et de la communion ‘Aqīl6, et au sujet d’Abū Bakr, de ‘Umar et de ‘Uthmān ;
n’attestent pas qu’il est dans le Feu mais, bien plutôt, trouvent [comme] s’il prétendait qu’al-Ḥasan et al-Ḥusayn ne furent pas
plausible que Dieu lui pardonne ainsi que le Très-Haut l’a dit : les deux enfants de ‘Alī b. Abī Ṭālib mais seulement les enfants
« Assurément, Dieu ne pardonne pas que quelque associé Lui de Salmān le Persan7 ; [comme] s’il prétendait que le Prophète
soit donné et Il pardonne ce qu’il y a en deçà de cela à qui Il – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – n’épousa pas la fille
veut1. » Ce [verset] concerne quelqu’un qui ne [Lui] a pas d’Abū Bakr8 et [celle de] ‘Umar et ne maria pas ses deux filles
donné d’associé et Il a lié [Son pardon] à [Son] vouloir. Quant à à ‘Uthmān9 ! Ou, plutôt même, nier la conversion de Mu‘āwiya
Ses paroles – Très-Haut est-Il ! : « Dis : « Ô Mes serviteurs qui est encore plus horrible que nier ces affaires. Assurément, il y a
furent outranciers contre eux-mêmes, ne désespérez pas de la des [affaires] que nul ne connaît excepté les ulémas. La conver-
miséricorde de Dieu. Dieu en effet pardonne l’ensemble des sion de Mu‘āwiya et son gouvernorat des Musulmans, son
péchés2 », ceci concerne quiconque se repent et c’est pourquoi émirat et son califat sont cependant une affaire que les masses
c’est absolu et général. des créatures connaissent. Si quelqu’un niait la conversion de
‘Alī ou prétendait qu’il resta dans la mécréance, on n’argumen-
terait [477] contre lui qu’au moyen de quelque chose de sembla-
ble à ce au moyen de quoi on argumenterait contre quelqu’un
qui nierait la conversion d’Abū Bakr, de ‘Umar, de ‘Uthmān,
de Mu‘āwiya et d’autres qu’eux. Alors même que certains
d’entre eux furent plus éminents que les autres, leur différence
d’éminence l’un par rapport à l’autre ne les empêcha pas
d’avoir en partage que leur conversion fut manifeste.
Le plus éminent des rois
— La foi de Mu‘āwiya fut de l’hypocrisie !
Les paroles de celui qui dit cela relèvent aussi d’un mensonge
fabriqué. Parmi les ulémas des Musulmans, il n’est en effet per-
sonne qui ait accusé Mu‘āwiya d’hypocrisie. Bien au contraire,
il y a accord des ulémas sur l’excellence de sa conversion.
Certains d’entre eux ont été indécis au sujet de l’excellence de
la conversion d’Abū Sufyān, son père. Quant à Mu‘āwiya et à
son frère Yazīd, ils ne controversèrent pas sur l’excellence de
leur conversion ; tout comme ils ne controversèrent pas au sujet
de l’excellence de la conversion de ‘Ikrimah b. Abī Jahl, de
Suhayl b. ‘Amr, de Ṣafwān b. Umayya et de leurs semblables
d’entre les convertis de la conquête [de La Mecque]. Comment
Tombeau d’Abū Ayyūb al-Anṣārī à Eyüp, Istanbul3 un homme10 serait-il investi du pouvoir sur les Musulmans
Les Khārijites et les Mu‘tazilites disent que l’auteur d’un
4. Abū l-Faḍl al-‘Abbās b. ‘Abd al-Muṭṭalib (m. 32/652), demi-frère
[péché] majeur sera laissé éternellement dans le Feu. [476] De
du père du Prophète, de qui la dynastie ‘abbāside tire son nom ; voir
certains des meilleurs ils s’imaginent en outre, parfois, qu’ils W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al-‘Abbās b. ‘Abd al- Muṭṭalib.
sont d’entre les auteurs des [péchés] majeurs. Ainsi les Khāri- 5. Ja‘far b. Abī Ṭālib, cousin du Prophète et frère aîné de ‘Alī, tôt
jites s’imaginent-ils à propos de ‘Uthmān, de ‘Alī et de leurs converti à l’Islam et tombé au combat lors de l’expédition de Mu’ta
suivants qu’ils seront laissés éternellement dans le Feu, tout (8/629) ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. Dja‘far b. Abī Ṭālib.
comme d’aucuns imaginent cela à propos de gens comme 6. ‘Aqīl b. Abī Ṭālib (m. à Médine, 50/670 ?), frère aîné de Ja‘far et
‘Alī. Il se convertit après avoir été fait prisonnier par les Musulmans à
Mu‘āwiya, ‘Amr b. al-‘Āṣ et leurs semblables.
Badr. Plus tard, il prit le parti de Mu‘āwiya contre son frère ‘Alī ; voir
Ils bâtissent leurs doctrines sur deux prémisses vaines. L’une L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. ‘Aḳīl b. Abī Ṭālib.
est qu’un tel est d’entre les auteurs de [péchés] majeurs et, la 7. Compagnon chrétien d’origine perse, esclave d’un juif médinois
seconde, que tout auteur de [péché] majeur est laissé éternel- avant sa conversion (m. 35/655 ou 36/656) ; voir G. LEVI DELLA VIDA,
lement dans le Feu. Or chacun de ces deux dires est vain. Le EI2, art. Salmān al-Fārisī.
8. À savoir ‘Ā’isha.
9. ‘Uthmān b. ‘Affān épousa Ruqayya b. Muḥammad après sa
1. Coran, al-Nisā’ - IV, 48. conversion à l’Islam. Après la mort de Ruqayya, il épousa une autre
2. Coran, al-Zumar - XXXIX, 53. fille du Prophète, Umm Kulthūm.
3. Photos de Y. Michot, février 2016. 10. rajulun : rajulan F

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durant quarante ans comme député, [puis] en étant indépendant, trente ans ; ensuite il deviendra royauté. » Abū Bakr, ‘Umar,
les dirigeant pour les cinq prières, prêchant et les exhortant, ‘Uthmān et ‘Alī – Dieu soit satisfait d’eux ! – furent les califes
leur commandant le convenable et leur prohibant le répréhen- bien-dirigés et les imāms bien-guidés au sujet de qui le Pro-
sible, appliquant parmi eux les sanctions [Légales], divisant phète –Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – a dit : « Il vous
entre eux leurs butins, leurs prises et leurs aumônes, conduisant incombe [de suivre] ma voie (sunna) et la voie des califes [479]
leur pèlerinage et, malgré cela, son hypocrisie leur resterait bien-dirigés après moi. Attachez-vous y et tenez-vous y avec
cachée à tous alors même qu’il y aurait parmi eux un large les molaires ! Prenez garde aux nouveautés ! Toute nouveauté
ensemble de notables des Compagnons ? est en effet innovation9. »
Plus significatif encore que cela est le fait – et à Dieu la Beaucoup de gens ont controversé au sujet du califat de ‘Alī
louange ! – qu’aucun des califes d’entre les califes umayyades et dit : « Son époque fut une époque de dissensions (fitna) ; il
et ‘abbāsides, qui [jouirent d’]un pouvoir universel (‘āmm), ne n’y eut pas, à son époque, de communion (jamā‘a). » Un
fut accusé de libre-pensée (zandaqa) et d’hypocrisie. Les groupe a aussi dit : « Il est permis que deux califes soient
Umayyades, aucun d’eux ne fut suspecté de libre-pensée et désignés. Il fut donc calife et Mu‘āwiya fut aussi calife étant
d’hypocrisie. Alors même que l’un [ou l’autre] d’entre eux put donné qu’il n’y eut pas d’accord de la communauté à son sujet
être suspecté d’une espèce d’innovation ou d’une espèce d’in- et qu’elle ne se rallia pas à son califat. » La vérité que les
justice, aucun1 d’entre eux ne fut suspecté de libre-pensée et imāms suivent, [à savoir] que ‘Alī – Dieu soit satisfait de lui ! –
d’hypocrisie par les gens de savoir. [478] Ceux qui sont bien fut d’entre les califes bien-dirigés, est fondée sur ce ḥadīth. En
connus pour [leur] libre-pensée et [leur] hypocrisie, ce sont [son] temps, ‘Alī s’appela « émir des croyants » et les Compa-
seulement les descendants de ‘Ubayd al-Qaddāḥ2 qui [régnè- gnons l’appelèrent ainsi. Et l’imām Aḥmad b. Ḥanbal de dire :
rent] sur l’Égypte et le Maghreb et qui prétendirent être des « Quelqu’un qui ne considère pas ‘Alī – Dieu soit satisfait de
‘Alīdes alors qu’ils étaient seulement de la descendance des lui ! – comme le quatrième tenant du califat est plus égaré que
mécréants. Ceux-là, il y a accord des gens de savoir sur le fait l’âne de sa maisonnée. »
de les incriminer de libre-pensée et d’hypocrisie. Semblable- Cela dit, chaque calife eut un rang. Personne n’est d’un poids
ment, certains des rois des ennemis3 des califes4 – les Būyides5 égal à Abū Bakr et ‘Umar ainsi que le Prophète l’a dit – Dieu
et d’autres que les Būyides – furent aussi incriminés de libre- prie sur lui et lui donne la paix ! : « Prenez exemple sur les
pensée et d’hypocrisie. Quant à un calife au pouvoir universel deux qui viendront après moi : Abū Bakr et ‘Umar10. » Et il n’y
en Islam, Dieu a préservé les Musulmans de l’impureté [que a pas de controverse entre les Shī‘ites concernant ceux qui
constituerait le fait] que l’autorité en charge de les commander l’accompagnèrent dans sa mise en avant d’Abū Bakr et de
(walī amr) soit un libre-penseur hypocrite. Ceci est d’entre les ‘Umar. De ‘Alī il est établi en de multiples versions qu’il a dit :
choses qu’il convient de savoir et de connaître. C’est en effet « Je ne rencontre pas un homme qui me donne plus d’éminence
utile concernant ce sujet. qu’à Abū Bakr et à ‘Umar sans que je le fouette de la sanction
Il y a accord des ulémas sur le fait que Mu‘āwiya fut le plus du forgeur de mensonge. » [Ces gens] ont seulement contro-
éminent des rois de cette communauté. Les quatre [dirigeants] versé au sujet de ‘Uthmān et de ‘Alī – Dieu soit satisfait d’eux
qui le précédèrent furent les califes d’un prophétat et lui fut le deux ! La priorité de ‘Uthmān sur ‘Alī est cependant établie de
premier des rois, de qui la royauté fut royauté et miséricorde par l’accord des précesseurs sur le fait de prêter allégeance à
ainsi que mentionné dans ce ḥadīth : « La royauté sera prophé- ‘Uthmān volontairement, sans contrainte, après que ‘Umar fit
tat et miséricorde, puis elle sera6 califat et miséricorde, puis elle se consulter (shūrā) six personnes – ‘Uthmān, ‘Alī, Ṭalḥa, al-
sera royauté et miséricorde, puis royauté et coercition, puis Zubayr, Sa‘d, [480] ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Awf. Trois quittèrent ce
royauté despotique7. » En fait de miséricorde, de longanimité et [conclave] – Ṭalḥa, al-Zubayr et Sa‘d – et trois restèrent –
d’utilité pour les Musulmans, il y eut durant la royauté de ‘Uthmān, ‘Alī et ‘Abd al-Raḥmān. Chacun des deux11 se désis-
[Mu‘āwiya] des choses qui enseignent qu’elle fut meilleure que tant12, resta ‘Abd al-Raḥmān. Il consulta pendant trois jours les
la royauté d’autres que lui. Quant à ceux qui le précédèrent, ils Émigrés, les Auxiliaires et ceux qui les suivaient en bel-agir,
furent les califes [suivant la voie] d’un prophétat. Du Prophète puis annonça qu’ils n’avaient pas trouvé d’égal à ‘Uthmān.
– Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – il est en effet établi Relater le décès de [Mu‘āwiya] et son règne (wilāya) [impli-
qu’il a dit8 : « Le califat [suivant la voie] du prophétat sera de querait de] parler longuement. À quiconque veut [connaître]
cela il incombe de [se référer] aux propos des autorités fiables
1. aḥadun : aḥadan F (thiqa).
2. Les descendants de ‘Ubayd Allāh al-Mahdī, premier imām et Et Dieu est plus savant. Dieu prie sur notre Prophète Muḥam-
monarque fāṭimide (297/909-322/934) ; voir F. DACHRAOUI, EI2, art.
al-Mahdī ‘Ubayd Allāh ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XXIV. mad et lui donne la paix !
3. al-nawāṣib F ap. cr. : al-nawāḥī F Yahya M. MICHOT (Hartford, Rabī‘ I 1440 - décembre 2018)
4. li-l-khulafā’ : al-khulafā’ F
5. Dynastie de condottieri shī‘ites duodécimains qui régna en Iran et 9. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. IV, p. 127 ; ABŪ DĀ’ŪD, Sunan,
tint le califat sunnite de Baghdād sous tutelle de 334/945 à 447/1055 ; Sunna (éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. IV, p. 200-201, n° 4607).
voir Cl. CAHEN, EI2, art. Buwayhides. 10. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. V, p. 382, 385, 399, 402 ; IBN
6. yakūnu : takūnu F MĀJA, Sunan, Muqaddima (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. I, p. 37, n° 97) ; AL-
7. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. IV, p. 273. TIRMIDHĪ, Sunan, Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 271, n° 3742) .
8. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. V, p. 220, 221 ; ABŪ DĀ’ŪD, Sunan, 11. À savoir ‘Uthmān et ‘Alī.
Sunna (éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. IV, p. 211, n° 4646, 4647) ; AL-TIR- 12. fa-wallā (?) aḥadu-humā. Je ne suis pas certain de bien com-
MIDHĪ, Sunan, Fitan (éd. ‘UTHMĀN, t. III, p. 341, n° 2326) . prendre le sens de ce début de phrase.

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