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org/cal/2881
72-73 | 2013 :
Sciences participatives et restitution
Etudes
N M C
p. 183-199
Résumés
Français English Español
Cet article aborde le thème de la constitution de la culture au Chili en tant que catégorie
d’intervention publique entre 1989 et 2008. Ce processus s’amorce dans un contexte
historique et sociopolitique particulier caractérisé par la fin de la dictature annoncée par le
plébiscite de 1988 et confirmée lors des élections démocratiques de 1989. La culture acquiert
alors un rôle fondamental dans le développement social et politique du Chili. Son
institutionnalisation cherchait à ordonner un domaine d’intervention fragmenté et
institutionnellement fragile, qui n’avait jusqu’alors jamais été doté d’une institution
supérieure.
This paper deals with making culture a public intervention category in Chile, from 1989 to
2008. The process began in a particular historical and socio-political context characterized by
the democratic transition heralded by the 1988 plebiscite and consolidated by the 1989
elections. At this time culture began to gain a fundamental role in the social and political
development in Chile. Previously denied a formal organizational structure, the new
institution’s cultural interventions were fragmented and fragile.
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en Chile entre 1989 y 2008. Este proceso se insiere en un contexto político, histórico y social
particular marcado por el fin de la dictadura anunciada por el plebiscito de 1988 y confirmada
por las elecciones democráticas de 1989. La cultura adquiere en este panorama un rol
fundamental en el desarrollo social y político de Chile. Su institucionalización buscaba ordenar
un sector de intervención fragmentado e institucionalmente frágil que no había contado nunca
con una institución superior.
Entrées d’index
Mots-clés : intervention publique, politiques publiques, culture, institutionnalisation
Keywords : public intervention, culture, public policy, institutionalisation
Palabras claves : intervención pública, políticas públicas, cultura, institucionalización
Index géographique : Chili
Notes de la rédaction
Cet article est issu de la recherche doctorale intitulée L’État et la culture au Chili, 1989-2008 :
les enjeux et défis d’un processus de construction d’une catégorie d’intervention publique,
sous la direction de M. Georges Couffignal, Paris-3, IHEAL. Recherche réalisée avec l’appui de
la Comisión Nacional de Investigación Científica y Tecnológica (Conicyt) et de l’ambassade de
France au Chili.
Texte intégral
1 C’est en juillet 2003 que le Chili se dote, pour la première fois dans son histoire,
d’une institution supérieure en matière culturelle, le Conseil national de la Culture et
des Arts (CNCA). Bien que le besoin de créer une instance dans ce domaine avait été
explicitement évoqué dès 1990 dans le programme présidentiel du premier
gouvernement démocratique post-dictature ; et même si les priorités déclarées par
l’alliance politique au pouvoir, la Concertation1, semblaient annoncer un changement
au sein du secteur culturel, l’avènement de la culture en tant que « catégorie
d’intervention publique » [Dubois, 1999] ne s’est pas avéré chose facile.
2 Auparavant, l’absence d’une véritable politique culturelle ne correspondait
aucunement en l’absence d’action en la matière de la part de l’État chilien, mais ces
actions ne s’intégraient pas dans un ensemble cohérent et unifié. Et même si l’intérêt
pour la culture allait conduire les autorités publiques à la constitution d’une
commission de discussion en la matière, qui proposa la création d’une institution
supérieure, il faudra attendre douze ans pour que celle-ci voit enfin le jour. Entre-
temps, la Concertation va créer et mettre en place plusieurs instruments visant à
diffuser et développer la culture dans le pays, auxquels viendront s’ajouter un
ensemble d’actions sectorielles qui, bien qu’incapables de résoudre les problèmes
identifiés dès 1990, aideront à déceler les particularités propres à un secteur
d’intervention publique dans le domaine culturel.
3 Ce n’est donc qu’à l’aube du e siècle que la création de cette institution inaugure
au Chili une politique culturelle d’État en tant que telle, et cet article propose
d’analyser le processus de constitution de cette catégorie d’intervention publique
depuis l’étape préliminaire de constat et de prise de décision politique jusqu’à la
phase actuelle de mise en place et de fonctionnement du CNCA.
4 Nous présenterons donc, dans un premier temps, le contexte dans lequel surgit le
débat culturel au Chili et les éléments qui ont conditionné la réponse institutionnelle
choisie, qui expliquent la cristallisation d’un paradigme culturel autour de la devise
« La culture est l’affaire de tous ». Il s’agira ensuite d’analyser les actions publiques
entreprises au cours des années 1990 afin de constater qu’elles conservent leur
caractère tricéphale et fragmenté, lacunes que le CNCA sera sensé combler.
Finalement, nous étudierons les défis qu’affronte actuellement cette nouvelle
institution.
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47 Le débat parlementaire sur la loi de création du CNCA reprend à son tour cette
perspective en laissant de côté plusieurs sous-secteurs destinés à être régulés
ultérieurement par des lois spécifiques aux secteurs industriels. Ce sera le cas de la
musique et de l’audiovisuel avec la création du Conseil national de la Musique et du
Conseil de l’Industrie audiovisuelle. Contrairement au Conseil national du Livre créé
en 1993 et demeurant sous la dépendance de ministère de l’Éducation, ces
organismes intègrent la structure du CNCA. Ils semblent toutefois conserver une
certaine autonomie et indépendance dans leur domaine spécifique d’attribution.
Cette structure institutionnelle d’un secteur aussi complexe que celui de la culture
contribue alors à faire ressurgir les vieux démons de la superposition ou de la
duplication des fonctions, et renoue donc finalement avec les territoires non définis
déjà évoqués.
48 L’existence de ces trois conseils sectoriels, la musique, l’audiovisuel et le livre,
confère toutefois une certaine stabilité à la représentation des trois industries
impliquées dans la sphère publique. Leur structure institutionnelle indépendante
leur a permis de promouvoir la participation de la communauté artistique et
culturelle6 tout en leur délégant une certaine responsabilité dans le développement
de chacun de ces sous-secteurs.
49 Mais la situation institutionnelle des autres arts diffère complètement de la
dynamique de ces Conseils. Leur représentation au sein du CNCA continue de
dépendre des choix organisationnels de l’administration en place. La danse, le
théâtre, les arts visuels, la photographie et l’artisanat sont ainsi pris en charge par
des unités distinctes qui sont placées au sein d’un seul département de création
artistique, et la gestion de ces sous-secteurs dépend presque entièrement des
administrateurs publics. Ainsi, contrairement aux sous-secteurs du livre et de la
lecture, de la musique et de l’audiovisuel qui possèdent chacun leur propre organe
représentatif, ces communautés artistiques et culturelles ne se voient pas attribuer de
véritable place au sein d’un conseil représentatif et délibératif.
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responsabilité des politiques patrimoniales. Elle se définit alors comme l’« endroit
institutionnel privilégié où se formulent, coordonnent et mettent en œuvre les
politiques patrimoniales publiques, [qui] encourage l’accès démocratique aux biens
et services culturels, et la connaissance et l’appropriation du patrimoine dans les
différents secteurs de la population ». Mais cette institution se voit dépourvue de
programmes et de financements pour assumer de tels rôles, si ce n’est peut-être la
restauration d’archives.
54 De plus, cet acte d’auto-proclamation coïncide avec la publication, cette fois par le
CNCA, d’un document sur les politiques culturelles 2005-2010 où ce dernier
s’attribue d’importantes fonctions. De fait, la plupart des responsabilités en matière
culturelle sont attribuées par loi au CNCA, et non à la Dibam, l’objectif du Conseil
étant bien d’« appuyer le développement des arts et de la diffusion de la culture,
contribuer à conserver, augmenter et mettre à la disposition des chiliens le
patrimoine culturel de la nation et promouvoir la participation des personnes à la vie
culturelle du pays ». La loi stipule également de façon claire et sans équivoque que sa
mission est d’« étudier, adopter, mettre en place, évaluer et rénover les politiques
culturelles ainsi que les plans et programmes de même caractère ayant pour fin
d’appuyer son objectif ».
55 Le sous-secteur du patrimoine apparaît dès lors s’exclure clairement du processus
chilien d’institutionnalisation de la culture. La Dibam parvient à se maintenir en
dehors de la nouvelle structure institutionnelle et n’intègre finalement pas le CNCA.
Mais quels facteurs lui ont permis de conserver son indépendance, son « image » et
son « identité »7 ?
56 La Dibam semble tout d’abord avoir réussi à construire et protéger son espace
d’intervention car, en tant que première institution culturelle d’État, elle a su tirer
parti de la dispersion institutionnelle et de l’existence des territoires non définis déjà
évoqués pour créer son propre espace de pouvoir au sein de la structure politico-
administrative. Elle comble peu à peu les vides institutionnels jusqu’alors inhérents à
ce sous-secteur de la culture, et se construit du savoir-faire spécialisé capable de
légitimer son rôle grandissant. De plus, force est de constater qu’entre 1929, date de
sa création, et 1990, date du début du processus d’institutionnalisation culturelle, il
n’existe pas au Chili d’institution culturelle ou en charge d’un sous-secteur de la
culture en mesure de rivaliser ou de lui faire contrepoids. Son aptitude à
réinterpréter ses fonctions lui permettra de les élargir au fil du temps et des
exigences vers des lignes d’action qui ne correspondent pas forcément à ses
responsabilités d’origine, comme l’illustre la création, en 1982, du Centre national
pour la conservation et la restauration chargé de la restauration des collections.
57 Tout au long des années 1990, malgré le développement de différents instruments
de financement de la culture et des arts et le renforcement de la Division culture, la
Dibam continue d’être perçue comme l’institution culturelle la plus importante du
pays. Elle se voit pendant longtemps attribuer le budget le plus important destiné à la
culture, et jouit de fonds bien supérieurs aux autres services culturels, et même, dans
un premier temps, supérieurs, puis équivalents, à celui du CNCA. Elle compte d’autre
part, sur un savoir-faire et une expérience que consacrent de nombreux prix
d’excellence qui lui ont été décernés
58 Le second élément d’explication relève, quant à lui, de l’identité propre qui
caractérise cette institution. À sa création, la Dibam se voit attribuer une mission
culturelle qui fera des organismes qu’elle coordonne, en particulier les bibliothèques
et les musées, un noyau de connaissance et un point de contact direct avec la
population chilienne, même insulaire. Dès lors, les employés de la Dibam, à quelque
échelon que ce soit, se sentiront les protecteurs du patrimoine. La directrice de cette
institution entre 2006 et 2010 affirmera en ce sens que la Dibam est une « grande
famille », attribuant principalement ce sentiment d’appartenance au fait qu’il existe
au sein du personnel de cette institution « une forte conscience du fait que ce sont
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eux qui gardent un patrimoine très important pour le Chili […] c’est une charge
émotionnelle qui est vécue de manière positive […] les gens sont fiers d’appartenir à
la Dibam […] ils ont la conviction de servir leur pays »8.
59 Finalement, ni la culture ni le patrimoine ne parviennent à s’épanouir dans ce
nouveau dessin institutionnel qui, au lieu de les insérer dans un schéma de
coordination comme le prévoyait la loi, les inscrit en fait dans une relation de
concurrence. La création du CNCA, organisme destiné à remédier à la dispersion et la
fragmentation du secteur culturel, voit ses objectifs compromis par la rivalité qui
existe entre ces deux sous-secteurs. Faisant acte de cette situation, la présidente
Michelle Bachelet créera une Commission d’Institutionnalité patrimoniale intégrée
par 15 représentants des secteurs public et privé. Le rapport de cette Commission,
daté de 2007, sera toutefois rapidement mis de côté à l’instar de celui de la
Commission Garretón, et l’Institut du patrimoine culturel qu’il proposait reste encore
aujourd’hui au stade de projet.
Conclusion
60 Le CNCA ne constitue donc pas, à l’heure actuelle, la panacée institutionnelle qu’il
était censé être, et n’est pas parvenu à mettre en place une véritable participation
citoyenne et sectorielle au sein du domaine culturel. Il ne semble pas non plus avoir
été en mesure de surmonter la fragmentation et la dispersion du secteur en devenant
en réel espace définitionnel et professionnel. Mais ce n’est pas pour autant que cette
jeune institution supérieure n’apparaît pas porteuse d’opportunités futures. Sa
structure, composée d’instances collégiales, pourrait constituer la base de
plateformes plus actives de participation. Son existence même a également ouvert le
débat sur la décentralisation ou déconcentration de la culture et l’articulation
territoriale de l’institution en soulignant le besoin d’un développement culturel
régional et local. De plus, sa souplesse institutionnelle et son caractère fragmentaire
rendent possibles une interaction et une coordination intersectorielles et
interministérielles jusqu’à maintenant peu développées et valorisées. Le CNCA
représente donc pour le Chili l’opportunité historique de constituer un large champ
d’intervention publique culturelle qui restituera enfin à la culture son rôle central
dans le développement intégral du pays.
Bibliographie
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Notes
1 La Concertación de partidos por la democracia a pour origine une alliance des partis appelée
Concertación de Partidos por el no, créée pour le référendum de 1988 portant sur la
continuation du régime de Pinochet. Elle est constituée par plusieurs partis politiques opposés
à la dictature : Démocratie chrétienne (DC), Parti socialiste (PS), Parti pour la démocratie
(PPD) et le Parti radical social-démocrate (PRSD). Cette alliance de partis a remporté les
élections présidentielles depuis 1990 jusqu’en 2009.
2 Manuel Antonio Garretón, entretien, Santiago, Chili, mai 2005.
3 Pendant les premières années de la démocratie, deux événements successifs révèlent des
conflits au sein des relations civiles-militaires : Ejercicio Enlace et le Boinazo. Il faut également
rappeler que l’ex-dictateur était à ce moment-là le général de l’armée de Terre.
4 Procédé du langage qui consiste à remplacer un mot par un autre mot qui entretient avec le
premier un rapport logique. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de la partie pour le tout.
5 Cette proposition sera modifiée par celle d’un Conseil national de la Culture en 2001.
Modification proposée par le président de la République Ricardo Lagos.
6 Tous les trois intégraient deux représentants du gouvernement et par une dizaine de
représentants de la société civile.
7 Par image nous entendons ici « la manière dont une organisation est perçue par son
environnement ou son public. Cette perception est générée par sa communication, et en partie
par la façon dont elle est filtrée ou décodée par son public ». Par identité nous nous référons à
un concept réunissant deux dimensions, d’un côté « la constitution d’une organisation avec
tous les aspects que lui donne ce caractère », et, de l’autre « la façon dont une organisation se
regarde elle-même y compris la façon dont elle veut être perçue par son public » [Cavallo-
Tironi, 2004, p. 69].
8 Nivia Palma, entretien réalisé à Santiago, Chili, en octobre 2008.
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Référence électronique
Norma Muñoz del Campo, « La culture au Chili : réflexions sur un processus de constitution
d’une catégorie d’intervention publique », Cahiers des Amériques latines [En ligne],
72-73 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 13 juin 2018. URL :
http://journals.openedition.org/cal/2881 ; DOI : 10.4000/cal.2881
Auteur
Norma Muñoz del Campo
Norma Muñoz C est enseignante-chercheuse à l’université de Santiago du Chili-
USACH, au sein du département de gestion et politiques publiques de la Facultad de
Administración y Economía, FAE. Elle est également docteur en sciences politiques de
l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine, IHEAL, Paris-3. Ses sujets d’intérêt sont liés
aux politiques culturelles, aux politiques publiques, à la sociologie de l’action publique, à la
culture, la communication et les industries créatives.
normamdelc@gmail.com
Droits d’auteur
Les Cahiers des Amériques latines sont mis à disposition selon les termes de la licence
Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Pas de modification
4.0 International.
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