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P a r EDMOND GRAS,
Hué, l910-l915.
(1) Français.
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Enfin, l’un d’eux, qui a un parapluie sous le bras et une barbiche gri-
sonnante au menton, semble nous comprendre et nous désigne une
direction avec un « ya » énergique du meilleur augure. Sûrement,
nous tenons le but. Il n’a pas fini de baragouiner que nous sommes
repartis en file indienne, plus alertes, plus hâtés encore. Une clairière,
un arroyo et, dans le fond, une digue en pierre, œuvre de nos Travaux
publics. Nous avons demandé une « statue en pierre » ancienne et on
nous offre une digue maçonnée toute neuve. C’est à pleurer. Décidé-
ment la divinité, intermédiaire des chercheurs, n’est pas pour nous.
Il est tard, il faut songer à la retraite. Pour comble, le ciel s’est
couvert, il commence à pleuvoir et bientôt c’est une averse diluvienne,
une de ces averses dont l’Extrême-Orient a le secret, avec accompa-
gnement de tonnerres qui craquent et d’éclairs aveuglants. Ici, la
glaise glissante du sentier nous fait tituber à chaque pas ; là, le sen-
tier profond est transformé en ruisseau rapide où nous pataugeons
jusqu’aux genoux. Nos vêtements de toile blanche trempés d’eau col-
lent à même la peau. Seul notre casque abrite nos cheveux qui seraient
secs, n’était la sueur. Que ce sentier est long au retour. Enfin, nous
retrouvons nos bogheys et nos attelages, tout aussi ruisselants que
nous, et nous regagnons Hué sous les nappes d’eau de tous les réser-
voirs célestes crevés sur nos têtes. Oh ! la digue. . . . . .
Ce fût notre première expédition. A défaut de succès, nous pouvions
dire que notre carrière de chercheurs avait reçu son baptême.
Quinze jours après. Un examen plus serré des textes, une meilleure
étude des dispositions des lieux, un calcul plus circonscrit des proba-
bilités, nous a donné presque une certitude.
Nous repartons un dimanche après-midi. Mais, cette fois, nous ne
sommes plus que deux, le jeune Robert et moi. L’eau du « baptême »,
qui a confirmé notre foi, a éteint celle de nos amis. Arrivés au con-
fluent de l’arroyo que nous avions précédemment longé à pied, nous
frétons un sampan et après avoir remonté le courant environ 600 mè-
tres, nous débarquons, pour l’escalader, au pied d’une falaise de 5 ou
6 mètres de haut. Un sentier broussailleux en suit la crète qui, en cet
endroit, n’a pas plus de 5 ou 6 mètres de large. Presque aussitôt nous
découvrons, dominant un léger affaissement de cette crète, une petite
esplanade circulaire, dessinée par de vagues traces de mur, envahie
par les végétations parasites et les racines de quelques gros arbres, et,
sortant d’un buisson, une statue en pierre décapitée, gisant à côté d’un
socle à demi brisé qui représente une fleur de lotus. Les bras manquent,
cassés au ras des deltoïdes, les pieds aussi. Le buste, nu, de grandeur
nature, est remarquable de facture, d’un modelé sobre et plein, d’une
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