Schwalba-Hoth, un député écologiste, tire de sa
poche une bouteille.., remplie de son sang et la
vide sur l'uniforme du général américain
« Blood for the bloody army ! », s'écrie-t-il
(« Du sang pour l'armée sanglante ! »).
Au sentiment de la culpabilité allemande
s'ajoute donc « la haine de l'impérialisme ». Les
manifestations des années soixante contre la
guerre du Viêt-nam ont laissé des traces. Et la
civilisation américaine, tant admirée en Allema-
gne après 1945, se voit aujourd'hui accusée de
tous les maux par une partie grandissante de la
jeunesse allemande : c'est elle, entend-on, qui
serait responsable des injustices sur toute la pla-
nète, en particulier dans le tiers monde. Et
l'ultra-conservatisme de l'administration Reagan
n'améliore pas l'image de la puissance « protec-
trice »..,
Il ressort de tous les sondages récents que les
Allemands ont peur. Peur devant la perspective
d'une nouvelle guerre où l'Allemagne, au centre
du conflit, serait vouée à une destruction totale,
peur devant l'« holocauste atomique », une peur
plus dévorante que partout ailleurs en Europe.
L'Eglise protestante, puissante en R.F.A.,
exprime plus fortement que les autres institu-
tions du pays cette « angoisse devant l'irrépara-
ble », selon les termes d'un de ses dirigeants. Et
elle est devenue la véritable armature du mouve-
ment pacifiste.
Deux de ses représentants le plus en vue, le
pasteur Heinrich Albertz, ancien maire de
Berlin-Ouest, et le théologien Helmut Gollwit-
zer, se sont engagés corps et âme dans le mou-
vement • pacifiste. Pourquoi ? La culpabilité,
encore. Mais, à part quelques pasteurs coura-
geux, l'Eglise protestante n'avait pas fait grand-
chose pour s'opposer au « règne de Satan »,
c'est-à-dire à Hitler. Aujourd'hui, Satan a
endossé la défroque de la guerre nucléaire. Ne
rien faire pour lui barrer le chemin, c'est,
affirment-ils, se rendre de nouveau coupables,
comme en 1933.
L'Eglise catholique, après bien des hésita-
tions, commence, elle aussi, à élever la voix
dans le même sens.
« Négocier, négocier toujours »
Au coeur de la bataille pour la paix et aux
côtés de l'Eglise protestante, on trouve une mul-
titude d'associations aux motivations souvent
bien différentes. Prenez un syndicaliste comme
Eugen Loderer, président du puissant syndicat
ouvrier de la métallurgie. Un homme tranquille,
plus habitué aux négociations autour de la table
verte qu'aux manifestations dans la rue. Il
appelle pourtant ses adhérents (2,5 millions) à
manifester contre les Pershing. Ce qui fait agir
Loderer, social-démocrate convaincu, c'est la
vieille notion de sécurité collective, le sentiment
qu'il faut « négocier, négocier toujours ». C'est
aussi l'attitude du S.P.D et de son million de
membres, dont une portion considérable fait
aujourd'hui partie du mouvement pacifiste. Des
sociaux-démocrates, tel Hans-Jochen Vogel,
candidat malheureux au poste de chancelier, et
Egon Bahr, « architecte » de l'Ostpolitik, sont
convaincus que l'administration de Ronald Rea-
gan ne cherche pas à épuiser toutes les possibili-
tés de négociations avec l'Union soviétique.
Selon eux, l'U.R.S.S., loin d'envisager une pre-
mière frappe nucléaire, ne chercherait qu'a
maintenir une pression politique, à laquelle
l'Allemagne de l'Ouest serait capable de résister.
Inutile, donc, d'avoir recours aux Pershing 2.
« Nous ne sommes pas d'accord, et de loin,
avec tout ce que dit le mouvement pacifiste, dit
Willy Brandt, mais nous manifesterons pour la
paix. »
LA PANOPLIE DES EUROMISSILES
Soviétiques et Américains ont défini les armes
balistiques à portée intermédiaire (I.R.B.M.)
comme étant celles qui, bien que tirant plus loin
que les armes du champ de bataille, dites tac-
tiques, ont une portée — de 4 500 à 5 000 kilomè-
tres — qui ne permet cependant pas à l'un des
deux Grands d'atteindre le sol de l'autre.
Les Soviétiques déploient depuis cinq ans, sur
leurs frontières, des SS 20 qui entrent dans cette
définition. Ils sont mobiles au sol et lancent une
ogive à trois têtes indépendantes de 150 kilo-
tonnes chacune. Ils sont précis, donc propres à
une frappe « chirurgicale », c'est-à-dire permettant
d'écraser les 600 à 800 points sensibles de
l'O.T.A.N. sans toucher aux installations améri-
caines. L'Europe, qui est offerte à leurs coups et
qui est indifférente à leur catégorisation, les a bap-
tisés « euromissiles ». Le terme s'est imposé.
Face à ces lanceurs soviétiques, les Américains
se proposent, en accord avec l'O.T.A.N., de com-
mencer la mise en place, en Europe occidentale,
dès la fin de l'année 1983, d'armes à peu près
équivalentes : soit 108 missiles Pershing 2 et
464 missiles de croisière sol-sol. La répartition en
serait la suivante
Missiles de Pershing 2
croisière
R.F.A. 96 108
Grande-Bretagne 160 0 merveille, un missile Stealth que son revêtement
Italie (Sicile) 112 0 rend à peu près insaisissable à tous les radars. Vu
Belgique 48 0 du Congrès, l'engin présente pourtant un défaut
Hollande 48 0 1 300 missiles = 12 milliards de dollars. Dur, aux
TOTAL 464 108
Mais ce n'est pas lui qui prendra la parole
dans les meetings de masse projetés. Les « hom-
mes de la paix » au sein du S.P.D., ceux qui
ont acquis la plus grande popularité auprès des
pacifistes, sont Erhard Eppler et Oskar Lafon-
taine. Le premier, membre de la direction de la
social-démocratie, réunit toutes les « qualités »
du bon pacifiste. Erhard Eppler est à la fois un
dirigeant de l'Eglise protestante et un théoricien
en vue du mouvement écologiste et pacifiste. Ses
mots d'ordre : « Préserver la paix et vivre autre-
ment. » Pour lui, aucun doute, « les Améri-
cains, en Europe comme ailleurs, cherchent à
s'assurer la domination ; ils se moquent de la
pauvreté du tiers inonde et de l'Europe »...
L'autre homme de proue, Oskar Lafontaine,
maire social-démocrate de Sarrebruck, n'est pas
moins virulent à l'égard des Américains. Récem-
ment, s'adressant aux organisations syndicales,
il leur a demandé de proclamer la grève générale
contre le déploiement des Pershing en Allema-
gne. Les syndicats ont répondu « nein ». Pas
question, pour eux, de s'engager dans une sem-
blable aventure. Mais son slogan a fait la joie
des innombrables associations alternatives et a
eu l'approbation du mouvement des Verts, les
écologistes, qui estiment que, dans la mesure où
les actuels dirigeants conservateurs de la R.F.A.
« sont à la botte des Américains », tous les
moyens sont bons pour « rendre ce pays ingou-
vernable ». Ainsi, deux députés au parlement
fédéral de Bonn, Petra Kelly, célèbre dirigeante
des Verts, et le général Gert Bastian, qui a
quitté l'armée allemande « pour cause de paci-
fisme »,' ont lancé les mots d'ordre suivants :
refus de payer les impôts, puisqu'ils servent au
soutien logistique des fusées américaines ; annu-
lation des comptes dans les banques qui finan-
cent la production de matériel de guerre ; occu-
pation d'administrations chargées de problèmes
Le Pershing 2 emporte à 1 800 kilomètres une
tête nucléaire de 60 kilotonnes. Contre ce missile,
très précis, rapide, difficile à détruire, les Sovié-
tiques n'ont pas plus de parade que les Européens
n'en ont contre les ogives de SS 20.
Les missiles de croisière (M.C.) sont de petits
avions à réaction (longueur 6 mètres, envergure
3,70 mètres) sans pilote, pouvant parcourir
2 500 kilomètres à vitesse subsonique en se main-
tenant à 60 mètres au-dessus du sol dont ils épou-
sent le relief, échappant ainsi aux radars terrestres.
Précis, ils peuvent déposer leur tête nucléaire de
200 kilotonnes à moins de 30 mètres de l'objectif,
ce qui suffit pour détruire un silo renforcé.
Les Soviétiques pensent qu'ils seraient capables
de détruire une bonne proportion des M.C. en rai-
son de la durée du vol de ces engins et du fait que
les radars air-sol des avions de défense russes
pourraient les repérer et les passer en charge à
leur nouveau missile sol-air SA 10. Les Améri-
cains, eux, croient ferme en leurs M.C., qui, à la
fin de 1983, seront dotés d'un système de guidage
terminal digital leur assurant une précision sur
l'objectif de l'ordre du mètre. Victor Bréhat, dans
la revue « Défense nationale », pense que l'on va,
de plus, doter le missile « des moyens nécessaires
de calcul et de traitement des données pour le
rendre apte à choisir la route optimale après avoir
détecté et analysé la menace radar ».
Aujourd'hui, General Electric propose une petite
approches de l'année électorale.
GEORGES BUIS
militaires. On formera des « chaînes humaines »
autour du ministère de la Défense, on encerclera
des casernes, on demandera au k soldats alle-
mands de se « désolidariser » des G.I.'s améri-
cains. Et aux prêtres de faire sonner les cloches
des églises.
Voilà un automne chaud qui s'annonce. La
police allemande, assure le gouvernement de
Bonn, est prête. La presse a publié des photos
impressionnantes de policiers à l'entraînement.
Et, « si nécessaire », les divisions américaines
stationnées en R.F.A. sont là...
Le chancelier Kohl préférerait, évidemment,
éviter toute épreuve de force. Et c'est dans un
'but d'apaisement que plusieurs dirigeants du
gouvernement de Bonn, et le chancelier lui-
même, ont récemment demandé aux Américains
de se montrer « raisonnables dans leurs négo-
ciations avec les Soviétiques . Et ce n'est pas
par hasard si Franz Josef Strauss, ministre-
président de Bavière, vient de lancer maintenant
l'idée d'un droit de veto ouest-allemand sur les
fusées nucléaires américaines à moyenne portée.
Selon le' Bavarois, le lancement éventuel de ces
fusées ne devrait pas intervenir sans l'accord
préalable du gouvernement de Bonn. Strauss
sait que sa proposition est inacceptable, aussi
bien pour les Etats-Unis que pour l'Union
soviétique...
Sautant sur l'occasion, la social-démocratie a
estimé que « la décision sur la survie de larges
couches de la population ouest-allemande ne
saurait être laissée entre les mains d'un chef
d'Etat étranger... ». Certains dirigeants du mou-
vement pacifiste ont trouvé que cette idée était
tout à fait digne d'intérêt. Alors, Strauss et les
pacifistes, même combat ? Ce ne serait qu'une
des surprises que réserve l'automne en R.F.A.
GÉRARD SAN DOZ
Le Nouvel Observateur 39