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versets sont tout à fait indépendants du Maître, et de toute autre source.

D’ailleurs le changement de
pronom personnel, le retour au « tu1 », en témoigne. Benoît livre dans ces phrases son intention la plus
personnelle : éviter autant que possible toute difficulté et conduire sur la voie du salut2. La conclusion
reprend le texte du Maître3 et boucle l’introduction. Le concept de monastère / monasterium, employé ici
pour la première fois, donne son sens à l’ensemble du Prologue, en partant de la fin. Il présente une
introduction programmatique aux fondements spirituels et moraux de la vie monastique.

Texte et commentaire

[Incipit PROLOGUS] PROLOGUE

1 Obsculta, o fili, praecepta magistri, et inclina 1 Ecoute, mon fils, les préceptes du Maître et
aurem cordis tui, et admonitionem pii patris prête l'oreille de ton cœur. Reçois volontiers
libenter excipe et efficaciter comple, l'enseignement d'un si bon père et mets-le en
pratique,
2 ut ad eum per oboedientiae laborem redeas, a 2 afin de retourner par le labeur de l'obéissance à
quo per inoboedientiae desidiam recesseras. celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la
désobéissance.
3 Ad te ergo nunc mihi sermo dirigitur, quisquis 3 C'est à toi donc maintenant que s'adresse ma
abrenuntians propriis voluntatibus, Domino parole, à toi, qui que tu sois, qui renonces à tes
Christo vero regi militaturus, oboedientiae volontés propres et prends les fortes et nobles
fortissima atque praeclara arma sumis. armes de l'obéissance, afin de combattre pour le
Seigneur Christ, notre véritable Roi.

V /1 L’exhortation à écouter / obsculta est placée au début, et par le fait même, au cœur du Prologue4, et
au cœur de toute la Règle. Ces versets sont remarquables par l’adresse personnelle et la tournure verbale
au singulier. Saint Benoît reprend une tournure spirituelle antique5, qui commence par l’exhortation à

1
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT Prol 1-4.
2
Cf. MAT 7,14.
3
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT Prol 50.
4
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT Prol 1.3.9-12.16-19.24.33.39.
5
Cf. PSEUDO-BASILE, Admon. Proem.1.Cet écrit Admonitio ad filium spiritualem est reçue dans la Tradition sous le nom du
Pseudo-Basile, mais il provient sans doute de Lérins, vers 490.
13
écouter : « Audi, fili… ». L’importance de cette attitude spirituelle est manifeste, lorsque Horsièse
commence son exhortation en citant Baruch 3, versets 9 à 15 : « Audi Israel mandata vitae, auribus
percipe / Écoute, Israël, les préceptes de vie, tends l'oreille pour connaître la science1. » La décision
d’Antoine d’emprunter la voie monastique est d’ailleurs placée sous le signe de l’écoute, et il exhorte lui-
même ses disciples : « Vous connaissez l’Écriture, il en va bien pour vous2. » Pour Martin catéchumène,
l’écoute de l’Évangile est le critère d’une préparation sérieuse au baptême3.
La citation biblique fondamentale est déjà tout un programme : « Écoute, Israël4 », à relier au Livre des
Proverbes, au chapitre 1, verset 8 et au chapitre 4, verset 20 ; et au psaume 44/45, verset 115. L’urgence
est soulignée par l’image de l’inclination de l’oreille du cœur, pour mener une vie en relation au Christ, en
suivant ses préceptes. Dans ce contexte, Augustin utilise la tournure : « écouter avec les oreilles de mon
cœur6. »
On remarque alors le rapport étroit qui existe avec la spiritualité baptismale de l’Église ancienne. Écouter
est la première chose qu’on demande au candidat au baptême. C’est un mot du registre de la décision et de
la relation7. Dans le contexte de la préparation au baptême, une attitude d’écoute est présupposée et
requise du postulant. Pendant ce temps d’orientation et d’enseignement, les catéchumènes sont alors
appelés audientes8. Après avoir examiné le changement de vie et les bonnes œuvres des futurs baptisés, la
Tradition Apostolique déclare : « Si ceux qui les ont amené rendent témoignage sur chacun : il a agi ainsi,
ils entendront l’Évangile9. »
Sous les vocables praecepta magistri, il n’y a rien d’autre à entendre sinon les préceptes de
l’Écriture sainte ; ce concept explique au catéchumène ou au néophyte la mesure de son engagement

1
HORSIÈSE, Lib.1. – JÉRÔME commence aussi sa Lettre 22 si importante dans la tradition monastique par l’exhortation
« Écoute », et la citation de PS 44/45,12.
2
APOPHTEGME 19 ; cf. VIE D’ANTOINE 2,3 ; 3,1.
3
Cf. SULPICE SÉVÈRE, Vita Martini 2,7-8 : « Sans être encore régénéré dans le Christ, il se conduisait pour ainsi dire en
candidat au baptême par ses bonnes œuvres : assister les malades, porter secours aux malheureux, nourrir les indigents, vêtir
ceux qui étaient nus, et ne réserver de sa solde que de quoi manger chaque jour. Dès ce moment, n’étant pas sourd aux
enseignements de l’Évangile, iam tum evangelii non surdus auditor, il ne pensait pas au lendemain ».
4
DEUT 6,4.
5
Cf. PS 118/119,36 ; JÉR 7,24-26 ; 11,8.
6
AUGUSTIN, Conf. 1,5 : aures cordis mei, les oreilles de mon cœur.
7
Un témoignage ancien de l’importance de l’écoute se trouve dans la LETTRE DE BARNABÉ 9,1-3. Insérée dans une liste de
citations bibliques, son importance saute aux yeux ; celui qui énonce ces citations – majoritairement du livre d’Isaïe, est le
Christ lui-même : legei kyrios …
8
Cf. TERTULLIEN, Paen. 6,14-17 : « Que personne ne se flatte, comme si, du fait qu’il est compté parmi les jeunes recrues que
sont les « auditeurs (audientes), il lui était encore permis de pécher ; dès que tu connais le Seigneur, tu dois le craindre ; dès que
tu regardes vers lui, tu dois le révérer (…). Y a-t-il un Christ pour les baptisés, un autre pour les « auditeurs » ? Tel est le
premier baptême de « l’auditeur » : sa crainte est parfaite, née de ce qu’il a senti le Seigneur, sa foi est saine, sa conscience
embrasse la pénitence, une fois pour toutes. C’est pourquoi les écoutants doivent souhaiter le baptême et ne pas s’y
soustraire ». – CYPRIEN, Ep. 29,2 : « Nous avons mis Optatus au rang des lecteurs de ceux qui instruisent les catéchumènes
(audientes) ».
9
TRADITION APOSTOLIQUE 20 : audiant evangelium…
14
envers la Parole de Dieu1. Le Christ est le Maître / magister ; ainsi l’appelaient déjà les Pères2. C’est Lui
qu’il faut écouter. Il est aussi le Père ; ce titre christologique est très répandu dans l’Église ancienne3.
Lorsque le Christ est qualifié dans la Règle de pius / bon, c’est toujours en raison de son attitude envers
l’homme, empreinte de sollicitude et miséricorde4. Mais l’écoute doit passer dans les actes, c’est-à-dire
dans une pratique des préceptes évangéliques / efficaciter comple5, en rapport étroit avec les engagements
baptismaux.

V/2. Ceci permet d’enchaîner sur le thème de l’obéissance, qui fait partie des engagements baptismaux6.
L’attitude du baptisé, toujours tourné vers le Seigneur, comme dans une démarche de « retour au paradis »
est un thème majeur des Pères, et forme le contenu véritable de l’existence. « Ad Christum redeant a quo
recesserunt / Ils doivent revenir au Christ, lui qu’ils ont délaissé », écrit Cyprien pour exhorter les lapsi
qui ont succombé lors de la persécution7 ; Benoît reprend son expression presque mot pour mot. C’est
aussi un thème récurrent dans la Règle, exprimé par l’expression ‘aller à Dieu / ire ad deum’8, en lien avec
le ‘labeur / labor’, qui sert de fil conducteur dans la spiritualité des Pères du désert9. L’attitude opposée est
la négligence ou la nonchalance, qui est synonyme de l’indifférence / akedia dans la liste des vices
monastiques10. Il s’agit d’emprunter le chemin de la conversion, de passer de la non-écoute à l’écoute ;
cette écoute conduit à l’obéissance, qui est un défi dans la vie humaine, afin de revenir à la maison du
Père11.

V/3. Ce chemin commence au baptême, offert à tous ‘pour toi, qui que tu sois12’, proposition renforcée par
l’incitation ergo, et par l’adresse très personnelle. Le Prologue utilise un terme du champ sémantique
baptismal, abrenuntians. Ce mot de renonciation / abrenuntiatio, renuntiatio, est employé originellement

1
Cf. CYPRIEN, Dom. Orat. 1,1 : evangelica praecepta, les préceptes de l’Évangile ; 2,1 : praecepta divina, les préceptes de
Dieu.
2
Cf. MAT 23,8-10. - 1 CLÉMENT 37,1 : maître en douceur et magnanimité. - IGNACE, Magn. 9,1. - CYPRIEN, Dom.orat.3,8. -
AUGUSTIN, Serm. 235,2.
3
Cf. IRÉNÉE, Adv. Haer. 4,31,2. - AMBROISE, Expos. Luc. 7,230. - RÈGLE DE SAINT BENOÎT 2,3.
4
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT Prol 20.38 ; 2,24 ; 7,30 ; 27,8.
5
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT Prol 33 : audit …et facit ; MAT 7,24-25 : « Ainsi, quiconque écoute ces paroles que je viens de
dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents
sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé : c'est qu'elle avait été fondée sur
le roc. »
6
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT 5,10-11.
7
CPRIEN, Ep. 65,5,1.
8
RÈGLE DE SAINT BENOÎT 58,8 ; 71,2 ; 72,2.12 ; 62,4.
9
Cf. APOPHTEGME 352 : « L’un des Pères demanda à l’abbé Jean Colobos : qu’est-ce qu’un moine ? Il répondit : peine, car le
moine prend de la peine en toute œuvre. Ainsi est le moine ». - VITAE PATRUM 5,14,15.
10
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT 73,7 ; CASSIEN, Inst. 9,1-13 ; 10, 1-5.
11
Cf. LUC 15,18.
12
Cf. RÈGLE DE SAINT BENOÎT 73,8 : quisquis.
15

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