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Résumé
Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au long de la Pharmacopée française.
La chimie des substances naturelles amorce de la chimie organique, est née et s'est développée à partir de la fin du XVIIIe
siècle avec l'avènement de la chimie moderne, tout en fournissant à la médecine un nombre appréciable de médicaments. La
plupart de ceux-ci ont été consacrés par leur inscription à la Pharmacopée, le Codex medicamentarius. Leur évolution est
évoquée à travers les éditions successives du Codex avec des observations particulières sur le délai de leur apparition dans la
Pharmacopée et sur la progression de leurs critères de qualité.
Abstract
From Flores benzoini to ciclosporine : natural products along the french Pharmacopoeia.
The chemistry of natural products, beginning of organic chemistry, rose and spread at the end of XVIIIth century with accession
of the modern chemistry, providing to medicine number of drugs. Most of them were sanctioned by registration in the
Pharmacopoeia or Codex medicamentarius. Their development in running editions of Codex is called to mind with some
comments on the registration time in the Pharmacopoeia and the advancement of their purity tests.
Poisson Jacques. Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au long de la Pharmacopée française. In:
Revue d'histoire de la pharmacie, 89ᵉ année, n°329, 2001. pp. 13-22.
doi : 10.3406/pharm.2001.5179
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2001_num_89_329_5179
à la ciclosporine :
lesde
substances
la Pharmacopée
naturelles
française
au long
Errant par monts, vaux, grottes et forêts, Y Homo sapiens conscient de ses
maux utilisait ce que lui offrait la nature pour se soigner et il en fut ainsi
pendant des milliers d'années. L'apparition de l'écriture aidant, l'usage
empirique des remèdes naturels, repris par la médecine, fut entériné bien plus tard
dans des formulaires et autres pharmacopées. De leur côté, les alchimistes
s'intéressaient aux matières naturelles surtout minérales, mais aussi à
l'occasion issues des « êtres organisés », pour passer dans le courant du XVIIe
siècle le relais aux « chymistes ». Ceux-ci allaient en isoler petit à petit des
substances définies (« Opérer en chymie c'est travailler sur un corps naturel,
à dessein d'en connoître les parties constituantes », Demachy l), certaines
représentant les principes actifs de plantes, voire d'animaux, parés de vertus
médicinales, tout en concrétisant des relations de plus en plus étroites entre la
chimie, les sciences de la vie et la pharmacie.
L'émergence de la chimie des substances naturelles ne peut être disjointe
de cet extraordinaire essor de la chimie dans son ensemble que connaît la
période charnière fin du XVIIP-début du XIXe siècles, au moment où
Priestley, Lavoisier, Berthollet, Proust, Gay-Lussac, Berzélius, Dalton et
autres vont assurer sa modernité. Les éléments et leurs composés connus sont
alors essentiellement d'origine minérale. Peu de substances issues du monde
vivant sont alors individualisées, partie en raison de leur labilité, partie en
raison des méthodes d'analyse souvent drastiques héritées des alchimistes :
Lavoisier n'y consacre que quelques pages dans son traité de chimie de 1790.
La liste en est courte, guère plus d'une vingtaine [tableau 1], avec surtout
des acides dont Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy
codifient la nomenclature en 1787. En pratique, ils sont longtemps confondus
dans les ouvrages de chimie avec divers produits extractifs naturels plus ou
moins bien définis : Gmelin parle encore en 1813 de « matériaux immédiats
des règnes végétal et animal ».
strychnine solanine
brucine delphine (selon Feneuille et Lassaigne)
morphine : base, acétate, sulfate vératrine
narcotine pipeline
émétine (selon Pelletier) gentianine
cinchonine urée
quinine : base, acétate, sulfate acide prussique ou hydrocyanique
Les produits les plus importants vont cependant être consacrés par leur
inscription aux éditions successives de la Pharmacopée française - Codex
Medicamentarius Gallicus - dont la première est publiée en 1818. Celle-ci,
après les années troubles de la Révolution, prenait en fait avec quelque retard
le relais de la Pharmacopée parisienne « Codex medicamentarius seu
Pharmacopoea parisiensis » dont la dernière édition de 1758 n demandait
sérieusement à être mise à jour, ne serait-ce que pour tenir compte de la
nouvelle chimie. On y trouvait cependant déjà huit substances d'origine naturelle
chimiquement définies, du moins selon les critères de l'époque [tableau 3].
Nom Identité
spiritus aceti acide acétique
spiritus vini éthanol (dilué)
flores benzoini acide benzoïque
sal volatile succini acide succinique
sal sive saccharum lactis lactose
saccharum saccharose
tartarum (cremor tartari) hydrogénotartrate de potassium
camphora camphre
DES FLORES BENZOIN! À LA CICLOSPORINE 17
alcaloïdes 39 aminoacides 18
glucosides 1 antibiotiques et metabolites fongiques 32
terpènes 5 hormones peptidiques 10
stéroïdes 17 vitamines # 9
oligosaccharides 5 neuromédiateurs 5
polysaccharides 4 enzymes 4
phénols, coumarines 8 divers 28
purines 4
acides aliphatiques 9
acides aromatiques 3 # sauf vitamines D (stéroïdes)
* Ce qualificatif est pris ici dans son sens de tout produit inscrit à la Pharmacopée et préparé selon ses
prescriptions.
20 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
Conclusion
Les substances naturelles ont toujours occupé une place significative dans
le Codex medicamentarius depuis le XVIIe siècle et elles restent toujours
d'actualité à notre époque malgré l'irrésistible essor des médicaments
chimiques de synthèse. Au cours de son histoire le Codex a modifié son regard
sur elles, depuis les modalités de leur préparation jusqu'au contrôle de leur
qualité, mais en requérant toujours des précautions particulières exigées par
la complexité de leur milieu d'origine. Cette évocation n'est sans doute pas
inutile au moment où la Pharmacopée française cède le pas à la Pharmacopée
européenne.
DES FLORES BENZOINI À LA CICLOSPORINE 21
Bibliographie et notes
1. J.F. Demachy, Manuel du pharmacien ou instructions sur les différents objets d'études
nécessaires aux élèves en pharmacie, Paris, Buisson, 1788. Vol. 1 : Chymie, p. 84.
2. La terminologie de ces substances et de la chimie qui s'y rapporte est variée : principes
immédiats du règne végétal (Berzélius) 3, produits des corps organisés (Cuvier) 4, chimie des
végétaux et des animaux (Lémery) 5, chimie des corps organiques (Bergman) ou des êtres organisés,
chimie des composés organiques (Berzélius). Bien que déjà avancé par Lémery à la fin du XVIIe
siècle 5, le terme de chimie organique, opposé à celui de chimie minérale, figure réellement dans
la littérature chimique en 1806 à l'initiative de Berzélius et finira par couvrir l'ensemble de la
chimie dévolue aux composés carbonés, produits naturels inclus, en même temps que s'éteignent les
théories du vitalisme. L'appellation moderne de chimie des substances naturelles apparaît dans les
années 1950 au moment où les progrès des méthodes de séparation (exemple : chromatographic)
et de détermination des structures (méthodes physiques) font un bond considérable. Néanmoins,
toute une série de produits d'origine biologique (sucres, lipides, acides aminés, nucleotides) va
échapper à la chimie organique sensu stricto dans le courant du XIXe siècle avec l'émergence,
particulièrement en Allemagne, de la chimie physiologique (Gmelin,1823 6 ; Liebig, 1840 7), devenue
ensuite chimie biologique puis biochimie, davantage centrée sur le règne animal et l'homme, mais
dont une partie retourne maintenant aux sources sous la bannière de la chimie bioorganique.
3. J. Berzélius, Traité de chimie, trad. A.G.L. Jourdan et Esslinger, 8 vol., Paris, Firmin-Didot,
1829-33.
4. G. Cuvier, Rapport à l'Empereur sur les progrès des sciences, des lettres et des arts depuis
1789, II. Chimie et sciences de la nature, p. 15, 1810. Réédition : Paris, Belin, 1989.
5. N. Lémery, Cours de Chymie, 2e éd.. Paris, chez l'auteur, 1675.
6. L. Gmelin, Chimie organique appliquée à la physiologie et à la médecine, 2e éd., Paris,
Ferra jeune, 1823.
7. J. von Liebig, Chimie organique appliquée à la physiologie et à la pathologie, traduction de
Ch. Gerhardt, Paris, Fortin et Masson, 1842.
8. E. Caventou, Traité élémentaire de Pharmacie théorique et pratique d'après l'état actuel
de la chimie..., Paris, Colas, 1819.
5e éd.,
9. Paris,
F. Magendie,
Méquignon-Marvis,
Formulaire pour
1825.la préparation et V emploi de plusieurs nouveaux médicaments,
10. E. Soubeiran, Nouveau traité de pharmacie théorique et pratique, Paris, Crochard, 1836r
11. Codex medicamentarius seu Pharmacopoea parisiensis, 5e éd., Paris, P.G. Cavelier, 1758.
12. L'acide cyanhydrique, alias acide prussique, résulte à son origine d'une assez curieuse
cascade de manipulations à connotation alchimique. Il a été découvert en 1775 par Scheele à partir du
Bleu de Prusse (Bleu de Berlin), lui même obtenu en 1704 par un peintre allemand, Diesbach, en
utilisant du « vitriol de fer » (sulfate ferreux) et un « alkali » (potasse) ayant servi à préparer l'« huile
animale de Dippel » par distillation avec du sang de cerf ! Il peut être considéré comme une substance
naturelle, car on le retrouve plus tard combiné dans les glucosides cyanogénétiques (Robiquet,
1807).
13. Le nombre total de monographies pour une édition du Codex, jusqu'à la 9e et toutes
catégories confondues (drogues, préparations galéniques, substances chimiques, etc.), va de 900 à 1400
environ. Ce chiffre est plus élevé pour la dernière édition (10e) qui inclut nombre de produits
d'origine européenne, pas nécessairement utilisés en France. Pour une étude détaillée de la composition
des Pharmacopées, voir notamment : M. Delépine, « Les transformations des Pharmacopées
parisiennes et françaises », Rev. Hist. Pharm., 1931, n° 9, p. 181-196 ; n° 10, p. 241-253.
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14. « La pharmacopée enregistre mais ne prophétise pas » (P. Lalanne, Bull. Ordre Pharm.,
1970, n° 126).
15. Divers ouvrages de l'époque le rangent même parmi les drogues relevant de la matière
médicale, y compris les trois premières éditions du Codex, une monographie complète n'y apparaissant
qu'en 1884.
16. A. Bouchardat, Formulaire de thérapeutique, Paris, 1855, 2.
17. A. Gubler, Commentaires thérapeutiques du Codex medicamentarius, Paris, Baillère et fils,
1868.
18. Nomenclature des drogues et des médicaments simples et composés employés dans les hôpitaux
et hospices civils de Paris, Paris, Mme Huzard, impr., 1828.
19. Cependant l'apiol, obtenu par distillation de l'essence de persil, figurait à la 5e édition.
La raison de cet abandon est inconnue.
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From Flores benzoini to ciclosporine : natural products along the french Pharmacopoeia -
The chemistry of natural products, beginning of organic chemistry, rose and spread at the end of
XVIIIth century with accession of the modern chemistry, providing to medicine number of drugs.
Most of them were sanctioned by registration in the Pharmacopoeia or Codex medicamentarius.
Their development in running editions of Codex is called to mind with some comments on the
registration time in the Pharmacopoeia and the advancement of their purity tests.
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