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Revue d'histoire de la pharmacie

Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au


long de la Pharmacopée française
Jacques Poisson

Résumé
Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au long de la Pharmacopée française.
La chimie des substances naturelles amorce de la chimie organique, est née et s'est développée à partir de la fin du XVIIIe
siècle avec l'avènement de la chimie moderne, tout en fournissant à la médecine un nombre appréciable de médicaments. La
plupart de ceux-ci ont été consacrés par leur inscription à la Pharmacopée, le Codex medicamentarius. Leur évolution est
évoquée à travers les éditions successives du Codex avec des observations particulières sur le délai de leur apparition dans la
Pharmacopée et sur la progression de leurs critères de qualité.

Abstract
From Flores benzoini to ciclosporine : natural products along the french Pharmacopoeia.
The chemistry of natural products, beginning of organic chemistry, rose and spread at the end of XVIIIth century with accession
of the modern chemistry, providing to medicine number of drugs. Most of them were sanctioned by registration in the
Pharmacopoeia or Codex medicamentarius. Their development in running editions of Codex is called to mind with some
comments on the registration time in the Pharmacopoeia and the advancement of their purity tests.

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Poisson Jacques. Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au long de la Pharmacopée française. In:
Revue d'histoire de la pharmacie, 89ᵉ année, n°329, 2001. pp. 13-22.

doi : 10.3406/pharm.2001.5179

http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2001_num_89_329_5179

Document généré le 29/09/2015


13

Des Flores benzoini

à la ciclosporine :

lesde
substances
la Pharmacopée
naturelles
française
au long

par Jacques Poisson *

Errant par monts, vaux, grottes et forêts, Y Homo sapiens conscient de ses
maux utilisait ce que lui offrait la nature pour se soigner et il en fut ainsi
pendant des milliers d'années. L'apparition de l'écriture aidant, l'usage
empirique des remèdes naturels, repris par la médecine, fut entériné bien plus tard
dans des formulaires et autres pharmacopées. De leur côté, les alchimistes
s'intéressaient aux matières naturelles surtout minérales, mais aussi à
l'occasion issues des « êtres organisés », pour passer dans le courant du XVIIe
siècle le relais aux « chymistes ». Ceux-ci allaient en isoler petit à petit des
substances définies (« Opérer en chymie c'est travailler sur un corps naturel,
à dessein d'en connoître les parties constituantes », Demachy l), certaines
représentant les principes actifs de plantes, voire d'animaux, parés de vertus
médicinales, tout en concrétisant des relations de plus en plus étroites entre la
chimie, les sciences de la vie et la pharmacie.
L'émergence de la chimie des substances naturelles ne peut être disjointe
de cet extraordinaire essor de la chimie dans son ensemble que connaît la
période charnière fin du XVIIP-début du XIXe siècles, au moment où
Priestley, Lavoisier, Berthollet, Proust, Gay-Lussac, Berzélius, Dalton et
autres vont assurer sa modernité. Les éléments et leurs composés connus sont
alors essentiellement d'origine minérale. Peu de substances issues du monde
vivant sont alors individualisées, partie en raison de leur labilité, partie en
raison des méthodes d'analyse souvent drastiques héritées des alchimistes :
Lavoisier n'y consacre que quelques pages dans son traité de chimie de 1790.

* 50 rue Anatole-France, 92290 Châtenay-Malabry


REVUE D'fflSTOIRE DE LA PHARMACIE, XLLX, N° 329, 1WTRIM. 2001, 13-22.
14 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

La liste en est courte, guère plus d'une vingtaine [tableau 1], avec surtout
des acides dont Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy
codifient la nomenclature en 1787. En pratique, ils sont longtemps confondus
dans les ouvrages de chimie avec divers produits extractifs naturels plus ou
moins bien définis : Gmelin parle encore en 1813 de « matériaux immédiats
des règnes végétal et animal ».

Tab. 1 : Substances naturelles définies connues à la fin du XVIIP siècle

Nom actuel Nom de l'époque Découverte

acide acétique * vinaigre redistillé *, esprit de alchimistes (Moyen-Âge)


vinaigre, acide acéteux (Lavoisier)
acide benzoïque * acide benzoïque, fleurs de benjoin * alchimistes, Scheele 1775
acide citrique acide citronien (Scheele) Scheele et Georgius 1775
acide cyanhydrique acide prussique Bergman 1775
acide formique acide des fourmis Wray 1670, Gaubius 1771
acide gallique acide gallique Scheele 1786
acide lactique acide du lait, acide galactique (Scheele) Bartoletti 1616, Scheele 1780
acide malique acide malique Scheele 1785
acide oxalique sel essentiel d'Acetosella, acide Bergman et Scheele 1776
oxalique
acide succinique * fleurs de succin, acide du succin, Agricola 1546, Lémery 1675
sel volatil du succin *, acide Scheele 1769
succinique (Lavoisier)
acide tannique principe tannant de la noix de galle Deyeux 1793
acide tartrique acide du tartre, Scheele 1769
acide tartareux (Lavoisier)
acide urique acide lithique Scheele 1776
camphre * camphre, camphora * Antiquité (orient)
éthanol (alcool) * esprit de vin rectifié * École de Salerne (IXe s.)
glycerol principe doux des huiles Scheele 1779
glucose sucre de raisin, sucre du miel Glauber 1660
lactose * sucre (sel) de lait * Bartoletti 1615
menthol camphre de menthe Gaubius 1771
méthane gaz des marais, Priestley et Volta, 1776
air inflammable des marais
oxalate acide de potassium sel d'oseille, acidulé oxalique Duclos 1688
saccharose * sucre de canne * Antiquité (?), Marggrafe 1747
tartrite acidulé de potasse (Lavoisier) Le Fèvre 1728
tartrate acide (bitartrate) crème de tartre, sel ou cristal
de potassium * de tartre *
thymol camphre de thym Caspard-Neumann 1719
urée extrait savonneux de l'urine Rouelle le Jeune 1773

* substance mentionnée dans le Codex medicamentarius de 1758, sous nom d'époque.


DES FLORES BENZOIN! À LA CICLOSPORINE 15

Un nom ressort immédiatement à cette époque, celui du pharmacien


suédois Karl Wilhem Scheele (1742-1786), eminent chimiste qui parvient au
prix d'un travail acharné et passionné, par des méthodes réfléchies et
dépassant son maître Bergman, à isoler et caractériser une série de composés
définis, surtout des acides, dont on soupçonnait plus ou moins l'existence mais
qui n'avaient jamais été préparés jusque-là réellement à l'état pur.
Le coup d'envoi de la « chimie des corps organisés » 2 était donné et les
découvertes de nouvelles substances, en majorité d'origine végétale, se
succèdent rapidement : 85 entre 1790 et 1830. À ce titre, nombre de
chimistes vont passer à la postérité tels Proust, Chevreul, Pelletier, Caventou,
Braconnot, Robiquet, Brande, Runge, Geiger, Berzélius, Gmelin, von
Liebig..., avec leurs mémoires régulièrement confiés aux périodiques
chimiques ou pharmaceutiques de l'époque. Cette progression est rendue
possible par le recours à de nouvelles méthodes d'analyse se substituant à
celles héritées des alchimistes, à des méthodes de séparation et de
purification inspirées des propriétés chimiques des corps à isoler et à l'emploi de
solvants sélectifs devenus accessibles grâce aux progrès de la chimie.
Simultanément, diverses réactions sont tentées plus ou moins
empiriquement sur des substances naturelles à l'instar de ce qui se pratiquait depuis
longtemps en chimie minérale, ouvrant la voie à la chimie organique au
sens actuel et à l'obtention de composés hémisynthétiques, en attendant
l'avènement de la synthèse organique proprement dite, symboliquement
(bien qu'involontairement) consacré par Wôhler et l'urée en 1827. Cette
voie avait été d'ailleurs déjà empruntée au siècle précédent sans le savoir
par les chimistes, par exemple avec l'action de l'esprit de nitre (acide
nitrique) sur le camphre donnant l'acide camphorique (1705), ou sur divers
sucres avec formation d'acides identifiés par la suite à l'acide oxalique
(Scheele), sans compter la préparation d'une série de dérivés de l'éthanol à
partir de l'esprit de vin (esters éthyliques, chlorure d'éthyle) et de
complexes organominéraux de l'acide tartrique comme le tartre émétique ou
stibié.
En particulier, une classe nouvelle de produits, issus de plantes connues
pour leurs propriétés médicinales ou leur toxicité, apparaît alors, les
alcaloïdes, dont le nom de baptême originel (pflanzenalkali = alkaloid) revient au
pharmacien allemand Karl Wilhem Meissner, de Halle, en 1819 (cependant
ils garderont longtemps durant le XIXe siècle le qualificatif d'alcalis
végétaux).
Nombre de substances isolées à cette époque présentent un intérêt
thérapeutique lié à celui de leur plante d'origine 8. Cependant elles ne sont prises
en compte par la médecine qu'assez lentement. Si Magendie (collaborateur
de Pelletier) fait hardiment état dans son Formulaire de 1825 de 18 produits
16 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

[tableau 2], tout en déplorant la répugnance des praticiens d'alors vis-à-vis


des substances nouvelles offertes par la chimie et la physiologie 9, le Traité
de pharmacie de Soubeiran publié en 1836 10, ne mentionne que neuf
médicaments chimiques d'origine végétale, déjà connus en 1800, et sept
alcaloïdes, plus l'acide méconique de l'opium.

Tab. 2 : Substances chimiques figurant dans le Formulaire


de Magendie de 1825 9

strychnine solanine
brucine delphine (selon Feneuille et Lassaigne)
morphine : base, acétate, sulfate vératrine
narcotine pipeline
émétine (selon Pelletier) gentianine
cinchonine urée
quinine : base, acétate, sulfate acide prussique ou hydrocyanique

Substances minérales : iode, iodure de mercure, iodure de cyanogène, cyanure de potassium,


cyanure de zinc, sels d'or et de platine

Les produits les plus importants vont cependant être consacrés par leur
inscription aux éditions successives de la Pharmacopée française - Codex
Medicamentarius Gallicus - dont la première est publiée en 1818. Celle-ci,
après les années troubles de la Révolution, prenait en fait avec quelque retard
le relais de la Pharmacopée parisienne « Codex medicamentarius seu
Pharmacopoea parisiensis » dont la dernière édition de 1758 n demandait
sérieusement à être mise à jour, ne serait-ce que pour tenir compte de la
nouvelle chimie. On y trouvait cependant déjà huit substances d'origine naturelle
chimiquement définies, du moins selon les critères de l'époque [tableau 3].

Tab. 3 : Substances chimiques naturelles citées


dans la Pharmacopée parisienne de 1758 (5e édition)

Nom Identité
spiritus aceti acide acétique
spiritus vini éthanol (dilué)
flores benzoini acide benzoïque
sal volatile succini acide succinique
sal sive saccharum lactis lactose
saccharum saccharose
tartarum (cremor tartari) hydrogénotartrate de potassium
camphora camphre
DES FLORES BENZOIN! À LA CICLOSPORINE 17

La première édition du Codex de 1818 - encore en latin comme ses


ancêtres des XVIP-XVHP siècles mais avec une traduction française révisée
parue en 1819 - assortie d'un supplément paru en 1826, concerne cette fois
14 substances naturelles. Il s'agit de deux alcaloïdes dont la préparation est
indiquée, la morphine et l'émétine, six acides que nous qualifierions
aujourd'hui d'organiques, un colorant, l'indigo, l'alcool (de vin) et l'acide hydro-
cyanique (cyanhydrique) 12 sous forme de solution. S'y ajoutent le camphre,
le sel d'oseille (oxalate acide de potassium) et le tartre (tartrate acide de
potassium) simplement mentionnés dans la partie « Matière médicale,
substances végétales » aux articles des plantes d'origine. Pour l'emploi des
alcaloïdes, deux sels sont par ailleurs décrits, le sulfate et l'acétate de morphine
tandis que l'émétine, en fait un extrait d'ipéca purifié, est présentée telle quelle.
Le tout figure parmi plus de 900 matières premières médicinales, plantes ou
produits plus ou moins bien définis, dont 66 minéraux et 36 substances
animales.
La seconde édition (1837) monte à 32 monographies, essentiellement des
alcaloïdes et quelques dérivés de substances naturelles (sels), sur 236 produits
chimiques dont 42 minéraux. La troisième (1866) en comprend 38 au sein de
226 produits chimiques et la quatrième (1884) atteint le chiffre de 73 sur 342
produits chimiques, chiffre qui va ensuite se maintenir autour de 80 à 1 10
jusqu'à la 9e édition de 1972 13. La proportion des substances naturelles parmi
les médicaments chimiques n'est donc pas négligeable, mais elle va
évidemment s'atténuer dans le temps avec l'apparition des produits de synthèse.
L'analyse de la liste des produits mentionnés dans les diverses éditions de
la Pharmacopée conduit à des observations sur leur évolution, leur délai
d'apparition entre la date de leur découverte et celle de leur première inscription,
leur pureté, reflet des connaissances de l'époque, et l'absence de certains
d'entre eux cependant mentionnés dans les formulaires .
Le nombre total des substances naturelles organiques inscrites dans les dix
éditions du Codex de 1818 à 1996 - date après laquelle la Pharmacopée
française va passer pour l'essentiel le relais à la Pharmacopée européenne est
de 201, chiffre auquel on peut ajouter 74 dérivés, notamment des sels
d'acides et d'alcaloïdes.
Leur répartition en fonction de leur nature chimique ou biologique,
fondement de leur utilisation thérapeutique [tableau 4], montre que les trois classes
les plus représentées sont les alcaloïdes, apparus dès la lre édition de 1818,
les produits d'origine fongique, essentiellement les antibiotiques, inscrits à
partir de 1949 (7e édition), et les stéroïdes (hormones et vitamines D).
L'évolution dans le temps des différentes classes vérifie que ce sont les
substances ayant des propriétés pharmacologiques ou biologiques bien définies
qui se sont le plus développées dans les récentes éditions (hormones, neuro-
18 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

médiateurs, enzymes, antibiotiques, et récemment modulateurs du système


immunitaire, en particulier la ciclosporine).

Tab. 4 : Répartition des substances naturelles inscrites aux diverses

alcaloïdes 39 aminoacides 18
glucosides 1 antibiotiques et metabolites fongiques 32
terpènes 5 hormones peptidiques 10
stéroïdes 17 vitamines # 9
oligosaccharides 5 neuromédiateurs 5
polysaccharides 4 enzymes 4
phénols, coumarines 8 divers 28
purines 4
acides aliphatiques 9
acides aromatiques 3 # sauf vitamines D (stéroïdes)

Le moment de l'apparition au Codex d'un produit par rapport à la date de


sa découverte montre qu'une certaine période probatoire est requise 14. Ainsi,
la caféine, découverte en 1820 par Runge n'est inscrite qu'en 1884 et au XXe
siècle, les hétérosides cardiotoniques ouabaïne et digoxine devront attendre
plus de quarante ans leur consécration, longtemps éclipsés par la digitaline
(devenue entre-temps digitoxine). Des délais beaucoup plus importants sont
à relever par exemple pour la theophylline (1888-1937)*, la papaverine
(1842-1908), le gaïacol (1826-1908), l'éphédrine (1887-1937) et même l'acide
salicylique (1839-1908). La narcotine, contemporaine de la morphine et
d'ailleurs à l'origine confondue avec elle (Derosne vide infra), ne sera
inscrite qu'à la 9e édition de 1974. Les raisons de ces écarts peuvent tenir à une
utilisation thérapeutique tardive ou à des réserves sur leur efficacité. Un autre
cas est celui de substances sous monopole d'un laboratoire, situation qui a
constitué pendant longtemps un obstacle tacite à leur inscription à la
Pharmacopée (alcaloïdes de l'ergot, deslanoside, lanatoside C). En revanche,
la morphine, sitôt découverte et décrite (Serturner, 1817) est introduite en
1818. Il est vrai que l'on soupçonnait qu'elle était le principe actif narcotique
et analgésique de l'opium depuis 1803, date à laquelle Derosne avait isolé un
« sel essentiel de l'opium », que l'on pensa être de la morphine, mais qui en
fait fut reconnu plus tard être de la narcotine, suivi en 1804 par Seguin avec
un « principe narcotique de l'opium ». La même remarque vaut pour la digi-

Première date : découverte ; seconde date : inscription.


DES FLORES BENZOINI À LA CICLOSPORINE 19

taline, obtenue cristallisée, mais encore à l'état de mélange, par Homolle et


Quevenne en 1845 et inscrite en 1866 (3e éd.) deux ans avant que Nativelle
ne la prépare à l'état pratiquement pur, qualité qui dès lors s'imposera. En
revanche, à une époque plus récente, compte tenu de l'accélération de la
recherche pharmaceutique, des subtances d'intérêt thérapeutique majeur ont
été inscrites à la Pharmacopée peu après leur découverte : cyanocobalamine
(1948-1954), acide ascorbique (1928-1937), antibiotiques (pénicilline, 1941-
1949 ; chloramphenicol, 1947-1954 ; tetracycline, 1948-1954).
Diverses molécules ont eu une destinée de produit officinal * assez brève,
reflet d'une utilisation limitée ou de leur toxicité : urée, brucine, pipeline,
conine, cinchonidine, pelletiérine, aconitine, cantharidine, acide valérianique.
Le sulfate de morphine, depuis peu revenu en grâce, avait disparu en 1908.
À l'inverse, des substances se sont constamment maintenues, souvent
depuis l'origine, en raison de leur importance pharmaceutique : alcool ;
acides acétique, citrique, lactique, tartrique ; glycerol ; lactose ; menthol ;
morphine (chlorhydrate) ; quinine (sulfate).
Enfin quelques particularités sont à relever : la 2e édition (1837) mentionne
encore curieusement l'acide acétique sous deux noms et formes, le vinaigre
radical et le vinaigre distillé, alors que ces termes ne sont pas conformes à la
nouvelle nomenclature et que cette distinction est caduque : Adet en 1798
avait montré qu'il s'agissait du même produit plus ou moins concentré, et le
nom d'acide acétique est seul retenu par Cuvier dans un rapport officiel de
1810 4. Le camphre, naturel à l'origine 15 est admis sous sa forme synthétique
(obtenue industriellement dès 1892) à partir de 1937 (6e éd.) ; la marmite
s'éclipse de 1908 à 1974 pour réapparaître sous l'appellation de mannitol ;
trois hormones sont prises en compte seulement sous la forme de leurs
solutés injectables - insuline, lypressine, ocytocine - en raison de la difficulté
d'une définition univoque de leurs matières premières d'origine biologique.
À côté des produits officinaux, autour de 1850, les formulaires
thérapeutiques (Magendie 9, Bouchardat 16, Gubler 17, Hôpitaux de Paris 18)
mentionnent d'autres produits tels la solanine, la delphine, la gentianine, la phlorid-
zine, l'asparagine, le sulfate de bébéérine ou l'acide malique. Une activité
modeste les a fait rapidement oublier.
Les critères de pureté des substances d'origine naturelle inscrites à la
Pharmacopée ont évolué au fil des ans, au fur et à mesure des progrès des
méthodes d'analyse et des exigences de qualité qui les accompagnent. Les

* Ce qualificatif est pris ici dans son sens de tout produit inscrit à la Pharmacopée et préparé selon ses
prescriptions.
20 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

éditions les plus anciennes ne comportent pas d'essais de pureté et


s'appuient sur le procédé de préparation qui est décrit : il définit la substance et
son respect garantit sa qualité. Quand les modes de préparation cesseront
d'être mentionnés à partir de la 6e édition (1937), les essais d'abord
purement qualitatifs deviendront des critères de plus en plus stricts, avec
l'émergence d'un concept de sécurité qui s'impose maintenant rigoureusement.
Spécialement ici, l'utilisation de matières premières de composition
complexe oblige à accepter la présence de petites quantités de substances plus ou
moins voisines, d'activité souvent analogue, mais aussi susceptibles d'être
indésirables. Cependant, ont été mentionnés dans les premières éditions des
produits qui n'étaient que des mélanges mal définis auxquels était conférée
une consécration provisoire dans l'attente de produits plus purs. Ainsi,
l'apiol (6e éd.), en fait un extrait alcoolique purifié de semences de persil 19,
la glycyrrhizine ou l'émétine de la lre édition. Dans le cas de celle-ci,
Cazenave, auteur d'un officiel appendice thérapeutique de la Pharmacopée
de 1837, fait même observer que « l'émétine pure est un médicament très
énergique qui n'a jamais été employé » et que « on lui préfère l'émétine
officinale ou colorée » !
La recherche de substances naturelles nouvelles s'est progressivement
écartée de la chimie pharmaceutique car, de fait, un grand nombre d'entre
elles n'ont pas d'intérêt thérapeutique. Toutefois, parmi les substances isolées
au début du XIXe siècle, et pour se limiter à cette époque, plusieurs se sont
révélées intéressantes à d'autres titres comme la chlorophylle ou « matière
verte des feuilles » décrite par Pelletier et Caventou en 1818, la leucine ou
oxyde caséeux de Proust (1818) et le glycocolle de la gélatine (Braconnot,
1819), premiers amino-acides obtenu purs, l'amygdaline (Robiquet, 1807),
premier hétéroside cyanogénétique, etc.

Conclusion

Les substances naturelles ont toujours occupé une place significative dans
le Codex medicamentarius depuis le XVIIe siècle et elles restent toujours
d'actualité à notre époque malgré l'irrésistible essor des médicaments
chimiques de synthèse. Au cours de son histoire le Codex a modifié son regard
sur elles, depuis les modalités de leur préparation jusqu'au contrôle de leur
qualité, mais en requérant toujours des précautions particulières exigées par
la complexité de leur milieu d'origine. Cette évocation n'est sans doute pas
inutile au moment où la Pharmacopée française cède le pas à la Pharmacopée
européenne.
DES FLORES BENZOINI À LA CICLOSPORINE 21

Bibliographie et notes

1. J.F. Demachy, Manuel du pharmacien ou instructions sur les différents objets d'études
nécessaires aux élèves en pharmacie, Paris, Buisson, 1788. Vol. 1 : Chymie, p. 84.
2. La terminologie de ces substances et de la chimie qui s'y rapporte est variée : principes
immédiats du règne végétal (Berzélius) 3, produits des corps organisés (Cuvier) 4, chimie des
végétaux et des animaux (Lémery) 5, chimie des corps organiques (Bergman) ou des êtres organisés,
chimie des composés organiques (Berzélius). Bien que déjà avancé par Lémery à la fin du XVIIe
siècle 5, le terme de chimie organique, opposé à celui de chimie minérale, figure réellement dans
la littérature chimique en 1806 à l'initiative de Berzélius et finira par couvrir l'ensemble de la
chimie dévolue aux composés carbonés, produits naturels inclus, en même temps que s'éteignent les
théories du vitalisme. L'appellation moderne de chimie des substances naturelles apparaît dans les
années 1950 au moment où les progrès des méthodes de séparation (exemple : chromatographic)
et de détermination des structures (méthodes physiques) font un bond considérable. Néanmoins,
toute une série de produits d'origine biologique (sucres, lipides, acides aminés, nucleotides) va
échapper à la chimie organique sensu stricto dans le courant du XIXe siècle avec l'émergence,
particulièrement en Allemagne, de la chimie physiologique (Gmelin,1823 6 ; Liebig, 1840 7), devenue
ensuite chimie biologique puis biochimie, davantage centrée sur le règne animal et l'homme, mais
dont une partie retourne maintenant aux sources sous la bannière de la chimie bioorganique.
3. J. Berzélius, Traité de chimie, trad. A.G.L. Jourdan et Esslinger, 8 vol., Paris, Firmin-Didot,
1829-33.
4. G. Cuvier, Rapport à l'Empereur sur les progrès des sciences, des lettres et des arts depuis
1789, II. Chimie et sciences de la nature, p. 15, 1810. Réédition : Paris, Belin, 1989.
5. N. Lémery, Cours de Chymie, 2e éd.. Paris, chez l'auteur, 1675.
6. L. Gmelin, Chimie organique appliquée à la physiologie et à la médecine, 2e éd., Paris,
Ferra jeune, 1823.
7. J. von Liebig, Chimie organique appliquée à la physiologie et à la pathologie, traduction de
Ch. Gerhardt, Paris, Fortin et Masson, 1842.
8. E. Caventou, Traité élémentaire de Pharmacie théorique et pratique d'après l'état actuel
de la chimie..., Paris, Colas, 1819.
5e éd.,
9. Paris,
F. Magendie,
Méquignon-Marvis,
Formulaire pour
1825.la préparation et V emploi de plusieurs nouveaux médicaments,

10. E. Soubeiran, Nouveau traité de pharmacie théorique et pratique, Paris, Crochard, 1836r
11. Codex medicamentarius seu Pharmacopoea parisiensis, 5e éd., Paris, P.G. Cavelier, 1758.
12. L'acide cyanhydrique, alias acide prussique, résulte à son origine d'une assez curieuse
cascade de manipulations à connotation alchimique. Il a été découvert en 1775 par Scheele à partir du
Bleu de Prusse (Bleu de Berlin), lui même obtenu en 1704 par un peintre allemand, Diesbach, en
utilisant du « vitriol de fer » (sulfate ferreux) et un « alkali » (potasse) ayant servi à préparer l'« huile
animale de Dippel » par distillation avec du sang de cerf ! Il peut être considéré comme une substance
naturelle, car on le retrouve plus tard combiné dans les glucosides cyanogénétiques (Robiquet,
1807).
13. Le nombre total de monographies pour une édition du Codex, jusqu'à la 9e et toutes
catégories confondues (drogues, préparations galéniques, substances chimiques, etc.), va de 900 à 1400
environ. Ce chiffre est plus élevé pour la dernière édition (10e) qui inclut nombre de produits
d'origine européenne, pas nécessairement utilisés en France. Pour une étude détaillée de la composition
des Pharmacopées, voir notamment : M. Delépine, « Les transformations des Pharmacopées
parisiennes et françaises », Rev. Hist. Pharm., 1931, n° 9, p. 181-196 ; n° 10, p. 241-253.
22 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

14. « La pharmacopée enregistre mais ne prophétise pas » (P. Lalanne, Bull. Ordre Pharm.,
1970, n° 126).
15. Divers ouvrages de l'époque le rangent même parmi les drogues relevant de la matière
médicale, y compris les trois premières éditions du Codex, une monographie complète n'y apparaissant
qu'en 1884.
16. A. Bouchardat, Formulaire de thérapeutique, Paris, 1855, 2.
17. A. Gubler, Commentaires thérapeutiques du Codex medicamentarius, Paris, Baillère et fils,
1868.
18. Nomenclature des drogues et des médicaments simples et composés employés dans les hôpitaux
et hospices civils de Paris, Paris, Mme Huzard, impr., 1828.
19. Cependant l'apiol, obtenu par distillation de l'essence de persil, figurait à la 5e édition.
La raison de cet abandon est inconnue.

Résumé

Des Flores benzoini à la ciclosporine : les substances naturelles au long de la Pharmacopée


française - La chimie des substances naturelles amorce de la chimie organique, est née et s'est
développée à partir de la fin du XVIIP siècle avec l'avènement de la chimie moderne, tout en
fournissant à la médecine un nombre appréciable de médicaments. La plupart de ceux-ci ont été consacrés
par leur inscription à la Pharmacopée, le Codex medicamentarius. Leur évolution est évoquée à
travers les éditions successives du Codex avec des observations particulières sur le délai de leur
apparition dans la Pharmacopée et sur la progression de leurs critères de qualité.

Summary

From Flores benzoini to ciclosporine : natural products along the french Pharmacopoeia -
The chemistry of natural products, beginning of organic chemistry, rose and spread at the end of
XVIIIth century with accession of the modern chemistry, providing to medicine number of drugs.
Most of them were sanctioned by registration in the Pharmacopoeia or Codex medicamentarius.
Their development in running editions of Codex is called to mind with some comments on the
registration time in the Pharmacopoeia and the advancement of their purity tests.

Mots-clés

Chimie des substances naturelles, Codex medicamentarius, Pharmacopée française, Pharmacopée


parisienne.

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