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Romantisme

« Philosophie » : le mot et les choses au crible des dictionnaires du


XIXe siècle français
M. Jacques-Philippe Saint-Gérand

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Saint-Gérand Jacques-Philippe. « Philosophie » : le mot et les choses au crible des dictionnaires du XIXe siècle français. In:
Romantisme, 1995, n°88. De cousin à renouvier une philosophie française pp. 7-22;

doi : https://doi.org/10.3406/roman.1995.2991

https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1995_num_25_88_2991

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Jacques-Philippe SAINT-GÉRAND

« Philosophie » : le mot et les choses au crible des dictionnaires


du XIXe siècle français

La Raison ne s'emprisonne
jamais dans les lois qu'elle promulgue.
Jouffroy*.

Face à la complexité des sens et des effets de sens du mot philosophie, le méta-
lexicographe d'aujourd'hui ne peut être que saisi d'un accès de doute. D'un spasme
d'inquiétude.
Comment ce terme, d'apparence aussi complexe, riche — ou grevé ? — d'une si
longue tradition historique, à travers le prisme du langage, en est-il arrivé
simultanément à se simplifier notionnellement jusqu'à désigner globalement une postulation
générale de l'esprit critique réduite à son nominalisme absolu : est philosophie toute
tension de l'esprit vers l'abstraction de pensée, et à se comp lexifier lexicalement
jusqu'à ne plus pouvoir signifier en dehors du soutien des béquilles de l'adjectif
— philosophie naturelle, stoïcienne, idéaliste, cartésienne, allemande, critique, etc. —
ou du syntagme prépositionnel -philosophie de l'histoire - si abondamment utilisé au
XIXe siècle ?

L'examen des éléments fournis par un corpus de dictionnaires de la fin du XVIIIe


siècle et de la grande première moitié du XIXe siècle, en relation avec le témoignage
de l'évolution des idées sur le savoir que véhiculent les langues au cours de la même
période, peut aider à résoudre cette troublante contradiction, au demeurant
profondément inscrite — me semble-t-il — dans une conception néo-classique du langage, qui
fait de celui-ci un instrument d'analyse totalement transparent et adéquat à son objet.
Qui permet, par conséquent, à ce dernier d'être intégralement — et, pour ainsi dire,
neutralement - appréhendé dans les mots et les discours du lexicographe, en toute
indifférence à ce que les fonctions épilinguistique et métalinguistique du langage - en
termes de représentation - permettent de re- ou dé-construire. A l'époque où la poésie
même ose devenir philosophique, où la diffusion des connaissances se réalise au
moyen de l'enseignement, le dictionnaire ne répugne pas à exposer ses conceptions du
savoir et sa vision du monde en paraphrasant le contenu du terme philosophie.
En 1862, M. Pellissier, agrégé de philosophie et professeur au Lycée Chaptal,
précédemment traducteur et annotateur des Soliloques de Saint Augustin (Hachette,
1853), publiait chez Durand un volume intitulé : Précis d'un cours complet de
philosophie élémentaire. En 1866, le même auteur - ignorant encore le travail
précurseur que Gabriel Henry avait déjà rédigé en 1812 sous le titre d'Histoire de la langue

* Le Cahier vert, éd. P. Poux, Les Presses françaises, 1924, p. 12

ROMANTISME n°88 (1995-2)


8 Jacques- Philippe Saint-Gérand

française l - pensait livrer chez Didier « le premier essai d'une histoire complète de
la langue française » : La Langue française, depuis son origine jusqu'à nos jours.
Tableau historique de sa formation et de ses progrès.
Cet ouvrage, explicitement inscrit dans le dessein de promouvoir la « création
nationale, [...] l'œuvre propre et la gloire du pays » 2 que représente pour l'idéologie
de ses acteurs le développement d'une langue en tant qu'instrument fondamental de
communication, de partage et d'intégration sociale, ne faisait cependant que très
parcimonieusement référence aux termes et aux notions recouvertes par « philosophie » et
ses dérivés, tout en exposant d'évidence une démarche de type philosophique. A cette
époque, la dominance de l'histoire comme mode de penser du XIXe siècle, et la
pesanteur qu'exerçait alors cette discipline sur la structuration des esprits,
commençaient à permettre d'envisager un objectif philosophique à l'entreprise explicative qui
sous-tend le procès de description des états successifs de la langue. Sous l'empire
d'un organicisme biologique généralisé, dont Darmesteter - entre autres — devait offrir
la plus nette caractérisation, Pellissier affirmait l'inéluctable législation qui métaphori-
se le devenir du langage : « le principe de mort est aussi un principe de vie, et la
décomposition d'une langue est le commencement de la constitution organique d'une
langue nouvelle » (p. 5). Il marquait par là l'objectif que doit se fixer l'historien de la
langue à une époque où les premiers résultats de la grammaire comparée des langues
romanes, et de la linguistique indo-européenne, commençaient à être opératoires en
termes de reconstruction des états passés d'un système. Et, ce faisant, à l'instant
même où toutes les sciences se résignaient à quitter définitivement le champ des
« arts » spéculatifs pour réjoindre celui des techniques expérimentales, sous
l'hypothèse d'une philosophie de la connaissance anthropocentrée sur des valeurs morales et
sociales, Pellissier assurait à l'histoire une position de prééminence explicative et une
fonction didactique fondamentale rejaillissant sur chacun des objets soumis à son
regard.
Pellissier défendait ainsi une certaine conception épistémologique de l'objet
langue, inscrite dans une assumption problématique du sens du travail de l'historien et
- pour tout dire - dans cette philosophie globale de la connaissance précédemment
évoquée :
Le travail de l'historien consiste à tracer le tableau des faits essentiels de la vie et à
rechercher les procédés généraux suivis par un idiome dans cette série de
transformations. L'histoire d'une langue n'en est ni le dictionnaire, ni la grammaire, c'est
l'exposition complète des faits successifs de sa vie expliqués dans leur origine et dans leurs
lois. Donner un sentiment exact de la façon dont s'accomplit et s'achève ce travail
d'organisation ou de désorganisation, voilà le but d'un historien de la langue. Dégager
du chaos des détails les faits capitaux, les mettre en relief, en découvrir les racines dans
le passé, en indiquer les fruits dans l'avenir, voilà son œuvre philosophique et le dernier
résultat qu'il ambitionne (ouvr. cit., p. 6).
Une telle philosophie de l'histoire se caractérisait immédiatement par sa double
dimension éthique et politique, qui fait d'elle un élément proprement fondamental et
fondateur :

1. Voir Gabriel Henry, professeur à l'Université d'Erfurt et d'Iéna, Histoire de la langue française,
Paris, Nicolle éd., 1812, 2 vol. in-8°. Sur cet ouvrage, on peut consulter l'article du regretté Jean Stéfanini,
dans Mélanges offerts à Charles Rostaing, Paris, 1974, t. II, p. 1039-1048.
2. Ouvr. cité, p. 5 et 7.
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 9

l'histoire d'un idiome est l'histoire d'un peuple dans son œuvre la plus intime, dans son
œuvre individuelle. Aussi, lors même que Yhistoire politique cherche à monter de la
simple enumeration des événements extérieurs à l'analyse des dispositions morales qui
ont produit ces faits, elle reste encore bien loin du tableau des faits intellectuels et
moraux enregistrés par l'histoire des langues ; ceux-ci sont, bien mieux que les faits
politiques, l'œuvre propre et la gloire du pays. Ainsi, tracer l'histoire d'une langue,
c'est faire l'histoire morale de la nation qui la parle, l'histoire de son génie et de son
développement intellectuel ; c'est assister à sa vie morale, en saisir sur le fait toutes les
évolutions. Par là on connaît un peuple dans ce que sa vie a de plus intime et de plus
élevé ; on observe le reflet de son développement intellectuel, on étudie à leur source et
à leur origine les principes de ses progrès et de sa grandeur. A quelque moment qu'on
la prenne, on peut dire que Yhistoire de la langue d'un peuple révèle sa pensée, ses
sentiments, ses émotions, ses croyances, sa valeur intellectuelle et morale, cause
première et fin suprême de tout le reste (ouvr. cit., p. 7-8).
Elle se caractérisait également par une nécessité critique qui, dans l'explication de
l'inaliénable liberté de développement des formes du langage, devait mettre à distance
de l'historien toute tentation de systematisme logique et scientifique d'ancienne mode.
On retrouve là, sous couvert de l'affirmation d'une liberté créatrice inhérente aux
langues, une condamnation des excès de la métaphysique absolutiste des héritiers du
XVIIIe siècle, qui plaçait volontiers entre parenthèses les accidents et les contingences
du quotidien, concentrant son attention sur les formes d'épuré d'un modèle de
reconstruction intellectuelle — et a priori — des faits :
Un écueil non moins dangereux que la poursuite d'une précision impossible à réaliser,
c'est la prétention de soumettre tous les faits moraux à des lois d'une rigueur presque
mathématique ; défaut trop commun aux philosophes et aux grammairiens que de
vouloir absolument mettre l'ordre scientifique ou logique dans un monde où cet ordre
n'existe pas. Comme toutes les œuvres humaines, les langues sont soumises aux mille
caprices de la volonté ; les meilleures sont les moins imparfaites, celles qui déjouent le
moins les calculs et les espérances de la raison humaine (ouvr. cit., p. 9).
Contre cette tentation d'un logicisme forcené, Pellissier ira même jusqu'à
caractériser ce travers comme un « sophisme » susceptible de nier une des caractéristiques
essentielles de toute langue, à savoir être un mixte de régularité et d'anomalie :
l'organisme d'une langue subit l'action d'une puissance morale, l'esprit humain avec sa
raison, et aussi avec ses caprices, ses préjugés, ses défaillances, ses contradictions.
Cependant cette force libre est soumise elle-même dans son développement à certaines
conditions générales que l'expérience et l'histoire permettent de déterminer. L'instinct
fécond et spontané des masses qui font les langues produit une œuvre ordonnée et
logique ; il obéit dans ce travail à des lois que le philologue a pour mission de saisir
dans leur signe visible (ouvr. cit., p. 12-13).
S'affirmaient par là des options philosophiques faisant du langage même le lieu
d'une analyse critique et d'une activité reflexive. Et Louis Barré, préfacier du
Complément au Dictionnaire de VAcadémie, de consigner en ce sens, dès 1842 :
On a parlé souvent de l'influence réciproque des mœurs sur les lois et des lois sur les
mœurs. La même correspondance se trouve entre les idées d'une part et le langage de
Vautre : d'où il suit que les livres qui constatent l'état du langage, et qui influent sur cet
état, sont d'une extrême importance sous le rapport des croyances et des idées
nationales. [...] Un dictionnaire est donc une des œuvres importantes de la vie des peuples,
l'œuvre d'une civilisation avancée qui réagit sur elle-même [Complément au
Dictionnaire de VAcadémie, 1842, p. XXVII a].
10 Jacques-Philippe Saint-Gérand

Existe-t-il manière plus explicite de lier philosophiquement le penser de la langue


aux incidences morales, sociales et politiques de cette dernière ?
A défaut de marquer une exacte équivalence dans les termes du philosophe et du
philologue et de leurs démarches de recherche, ces textes suggèrent que - bien au-
delà d'une simple et superficielle paronomase motivée par les approximations de la
dérivation étymologique - philologie et philosophie ont profondément à voir entre
elles au XIXe siècle. C'est ce que voudraient marquer les considérations suivantes. Le
Dictionnaire de la conversation et de la lecture, en 1866, sous la plume d'Adolphe
Guéroult, ne va-t-il pas d'ailleurs jusqu'à faire remonter cette alliance jusqu'aux plus
célèbres épisodes de la période grecque : « quand on voit dans Platon Socrate se
qualifier de philologue, il faut entendre par là dans un sens plus restreint les entretiens
scientifiques et publics qui étaient la base d'enseignement de la philosophie de
Socrate » [t. 14, p. 487 a] ?

Bien que la méthode suivie dans cet article ne soit pas exactement conforme aux
modèles contemporains de l'analyse sémantique, et qu'elle se rapproche assez des
considérations sur les sphères de pensée développées jadis par Sperber \ elle me
paraît pouvoir être légitimement utilisée en raison du pouvoir explicatif des concepts
& attraction et & expansion qui la sous-tendent. Certaines notions, certaines images et
certains thèmes lexicaux, relevant de l'obsession diffuse, ou de certains interdits
sociaux - et à ce titre refoulés -, demeurent en effet toujours présents à l' arrière-plan
de la conscience et colorent la pensée en agissant sur le langage. Ils peuvent attirer
d'autres pensées et d'autres mots en empruntant des images à la réalité extérieure
quotidienne : sage, savant, poète, etc., gravitent autour de la représentation du
philosophe. Ils peuvent également fournir une source d'images privilégiées par
décompression et expansion en une multitude d'autres termes : philosophique, philosophesque,
etc., sont de ces termes qui accompagnent l'expression d'un mouvement de pensée
que le tourniquet axiologique - au fil du temps - ne cesse d'inverser. Il se crée là des
condensations associatives du sens, pour reprendre les termes de Wilhelm Wundt 4,
ou ce que Sperber nomme des consociations. Les termes sur lesquels je vais m' arrêter
désormais présentent cette double caractéristique de pouvoir être ordonnés aussi bien
en fonction de leur désignation que de leurs cortèges ordinaires de termes subduits :
périphrases, synonymes, épithètes. Et, ensemble, ils constituent un univers lexical clos
assez représentatif de la fixité des valeurs idéologiques - notamment éthiques - que le
terme philosophie est historiquement chargé de promouvoir. Le corpus des
dictionnaires et ouvrages critiques de l'époque considérée sur lesquels je me suis appuyé est
donné en annnexe.

« Philosophie » : étymologie, dérivation, composition

L'ensemble de la documentation consultée pour la période s 'étendant


grossièrement de 1798 à 1870 fait apparaître le terme philosophie au cœur d'une constellation
3. Hans Sperber, Einfiïhrung in die Bedeutungslehre, Bonn, Leipzig, 1923. Sur l'analyse des
conceptions de ce dernier, on pourra se reporter à l'ouvrage de Brigitte Nerlich, Semantic Theories in Europe
1830-1930, Amsterdam, John Benjamins, 1992, p. 104-107.
4. Wilhelm Wundt, Vôlkerpsychologie. Eine Untersuchung der Entwicklungsgesetze von Sprache,
Mythus and Sitte, 2 vol., Leipzig, Kroner, 1900, p. 83.
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 11

lexicale dont l'extension embrasse tous les aspects contradictoires de la valorisation


discursive que la société investit dans ce terme. L'étymologie milite d'ailleurs en
faveur du respect et de la considération dûs à une association aussi parlante à
l'intellect que peut l'être celle de V amour de la sagesse, proche en ses origines - comme on
l'a vu — de l'amour de la parole efficace, sinon déjà de l'amour plus cérébral de la
langue. Un lexicographe aussi avisé que P.C.V. Boiste, dès 1808 et la troisième
édition de son Dictionnaire universel, n'hésite pas à consigner cette glose :
amour de la sagesse ; connaissance évidente, distincte des choses par leurs causes et
leurs effets ; science qui comprend la logique, la morale, la physique et la
métaphysique ; classe, leçon de philosophie ; opinions des philosophes ; élévation et fermeté
d'esprit ; élévation et fermeté d'âme qui porte à se mettre au-dessus des préjugés, des
événements fâcheux, des fausses opinions ; caractère d'imprimerie.
Par où l'on voit que la sagesse, avant d'être définie comme une manière de
prendre de la hauteur par rapport aux circonstances, ne peut guère être caractérisée
que par des expansions de type discursif. C'est bien autour de ce noyau inaliénable
que se structurent les diverses formes de la dérivation morphologique du terme.
Si « philosophie », « philosophe », « philosopher », « philosophique », et même le
terme apparemment moderne de « philosophème », peuvent être entendus comme les
formes d'appréhension les plus neutres du phénomène de la pensée abstraite et
générale, les items « philo sophaille », « philo sophailler », en revanche, laissent clairement
percevoir dans leur dérivation suffixale une charge de connotation négative qui les
rapproche respectivement de termes aussi dépréciatifs que « antiquaille »,
« moinaille », « valetaille », « encanailler », ou « rimailler ».
Seul Mgr Paul Guérin note la forme « philosophant », sous les deux espèces de
l'adjectif, exemplifié d'une citation de Jules Simon 5, et du substantif, assorti d'une
citation de Jules Vallès 6. Alors que la tendance émanant de la première forme est
plutôt orientée du côté du positif, le contexte dans lequel est illustrée la seconde place
immédiatement cette dernière sous un éclairage négativisant.
Quant à « philosophisme » et à « philosophiste », il est assez aisé d'y détecter une
exacerbation du syndrome condamnateur tel qu'il résulte des tendances du
néologisme. « Philosophasse » incline vers les associations avec tous les termes qui, en
raison de leur suffixation diminutive [latin -aster], dénotent une ressemblance
incomplète avec la notion contenue dans le radical, et connotent un effet de péjoration
archaïsante : « gentillâtre », « marâtre », « mulâtre », « poétastre », etc.
« Philosopherie » et « philosophesque », pour leur part, respectivement définis
comme une mauvaise philosophie et la caractérisation d'une philosophie fautive, ne
sont guère susceptibles d'une contre-interprétation qui les valoriserait positivement
tout-à-coup. La simple situation du terme neutre au sein de cet ensemble suffit —
paradoxalement - à ériger la neutralité en pseudo-critère positif d'appréhension du
contenu, en dépit des expériences de l'histoire immédiatement passée dont les
lexicographes de la première moitié du XIXe siècle ne peuvent cependant pas ignorer
les conséquences pratiques.
5. « Dans notre société civilisée et philosophante », Dictionnaire des dictionnaires, t. 5, p. 751 b.
6. « On comprendra qu'avec ces idées, je fasse bon marché de la philosophie et des philosophants »,
Dictionnaire des dictionnaires, t. 5, p. 751 b. Un peu à la manière dédaigneuse dont un Barbey d'Aurevilly,
dans sa Correspondance, pouvait, sur l'exemple de Philarète Chasles, stigmatiser les titubants [Corr., éd.
Jacques Petit, Les Belles Lettres, t. IV, 28 juin 1854, p. 68].
12 Jacques-Philippe Saint-Gérand

En composition syntagmatique, au début du XIXe siècle, « philosophie »


s'accommode des épithètes précédemment repérées, parmi lesquelles il est assez aisé de
distinguer entre les termes qui orientent positivement le contenu de la locution :
« chrétienne », « première », « morale », « classique », « spiritualiste », « idéaliste »,
« métaphysique » ; et ceux qui en orientent plutôt négativement le sémème : «
naturelle », donné comme synonyme de « païenne », « logique », « corpusculaire »,
« mécanique », « moderne », « positive », « matérialiste ». Les premiers soutiennent
une conception traditionnelle de la philosophie comme activité reflexive
essentiellement préoccupée de la définition du statut de l'homme au monde. Les seconds
s'inscrivent dans le mouvement d'extension et de régénération de la pensée philosophique
qui porte à interroger les fondements scientifiques de la nature. Le passage du siècle
tend au reste à inverser l'axiologie, et le dernier tiers du XIXe siècle ne verra plus
aucune connotation négative dans les termes de la seconde série. Quelques prédicats,
cependant, ne penchent en faveur ni du soutien ni du dédain : « expérimentale »,
« critique », par exemple, qui, subvertissant les valeurs anciennes de ces termes, dans
la postérité kantienne et les conceptions de Claude Bernard, exposent des modalités
nouvelles de la réflexion.
Quelques épithètes, notamment relevées dans le Dictionnaire universel de Boiste,
s'attachent moins à la définition des caractéristiques intrinsèques de l'objet, comme
ci-dessus, qu'à l'évaluation des effets qu'il peut produire sur le monde et ses acteurs.
Au fur et à mesure que se succèdent les éditions de cet ouvrage, et que l'on avance
par conséquent dans le XIXe siècle, cette liste se modifie et s'élargit. Des
caractéristiques « insouciante » et « sceptique », somme toute banales en 1808 pour décrire une
philosophie synonyme de style de vie, l'édition de 1834, revue et corrigée par Nodier,
ne retient rien et substitue à celles-ci des prédicats marquant nettement la polarité
manichéenne du bon et du mauvais : « véritable », « douce », « noble », « riante »,
« haute », voire « altière », suggèrent une aperception positive de l'objet, tandis que
« fausse », « coupable », « froide », « décourageante », « flétrissante », et «
corruptrice » en stigmatisent sans vergogne la négativité sociale. De style de vie, il semble
qu'on soit passé à manière de vivre.
Il est vrai que la huitième édition du Boiste [1834], relue et complétée par Nodier,
en cet instant du XIXe siècle où s'essouffle et meurt l'égrotante tradition des
métaphysiciens qu'ont transformée et logicisée les Idéologues, ce Pan-lexique moderne
n'hésite pas à faire appel à Mme de Grignan pour justifier la sévérité de caractérisation des
diverses formes euphémistiques prises par la philosophie : « Toutes les philosophies
ne sont bonnes que quand on n'en a que faire » ! Dès la neuvième édition de 1839, et
jusqu'en 1857, dans la dernière édition de cet ouvrage, s'ajouteront à cet ensemble :
« dangereuse », « systématique » et « négative ». On est bien là au cœur de cette
crispation de la pensée reflexive du second tiers du XIXe siècle qui fait alors prendre
conscience de ce que la philosophie sans les sciences n'est qu'une vague et dérisoire
fantaisie de l'imagination, et de ce que les sciences sans philosophie sont porteuses
d'illusion et de danger. De ce que vivre contraint l'homme réflexif à envisager les
modalités de son existence et le cadre historique, moral, politique et social dans lequel
se développe cette dernière.
Une seconde forme de la composition se réalise sous les espèces de la
complémentation adnominale par adjonction d'un syntagme prépositionnel : « philosophie de
l'histoire ». Notamment à la suite de l'importation en traduction - la même année
1827 ! — des travaux de Herder [Quinet], et de Vico [Michelet]. On verra ensuite se
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 13

généraliser les formes : « philosophie de la botanique », « philosophie de la chimie »,


« philosophie de l'art de la guerre » ; voire « philosophie de la grammaire »,
principalement sous l'emprise des thèses humboldtiennes portées à la connaissance du
public français par Saint-René-Taillandier [1859]. Indépendamment du strict contenu
de chacun de ces syntagmes, la procédure grammaticale la plus notoire est ici celle de
la détermination rétroactive du contenu de chaque discipline ou corps de doctrine par
le terme même de philosophie : de l'art de la guerre, de la chimie, etc., qui —
introduisant le déterminé sous la forme de l'actualisation généralisante - donne l'illusion
d'atteindre aux fondements primordiaux de l'objet, d'en élaborer une saisie épistémo-
logique intégrale, et d'en exposer la leçon. Ainsi toute philosophie de la langue
s'énonce-t-elle déjà à mots couverts sous les apparats verbaux dans lesquels elle se
drape, et se décline-t-elle subrepticement dans les modalités syntaxiques du message
qui la communique.

« Philosophie » : intégration syntaxique et représentation

Le discours des dictionnaires de langue a ceci de caractéristique qu'il se réduit


généralement à des énoncés simultanément simples et réguliers en leurs types de
développement syntaxique : « Science qui consiste à connoître les choses par leurs
causes et leurs effets », est ce que dit la cinquième édition du Dictionnaire de
l'Académie du terme de philosophie. Le discours des dictionnaires encyclopédiques,
en revanche, se distingue de cette norme implicite par une propension assez nette à
complexifier les formes de la syntaxe des gloses. Du même terme, la huitième édition
du Dictionnaire universel de Boiste, revu et corrigé par Charles Nodier et Louis
Barré, note :
amour de la sagesse, science, connaissance évidente, distincte des choses par leurs
causes et leurs effets ; science qui a pour objet la connaissance de l'esprit humain ;
science qui comprenait autrefois la logique, la morale, la physique et la métaphysique ;
on pourrait y comprendre aujourd'hui : psychologie, théodicée, morale, politique,
esthétique, idéologie, grammaire générale, logique et économie politique. — classe,
leçon, traité, cours, étude de philosophie ; opinions des philosophes ; règle de la vie
[Sénèque] ; élévation et fermeté d'esprit, d'âme, qui porte à se mettre au-dessus des
préjugés, des événements fâcheux, des fausses opinions [véritable, fausse, coupable,
douce, noble, riante, froide, haute - ; - altière, décourageante, flétrissante, corruptrice ;
avoir de la —] ; - combinaison et comparaison des idées ; étude des choses ;
application de la raison aux objets qu'elle peut embrasser [D'Alembert] ; art de bien vivre ;
médecine de l'âme ; écho de la vertu [Cicéron] ; raison du juste [De Lé vis] ; recherche
de la vérité [Dumarsais, Huet] ; étude de la sagesse ; connaissance générale des causes
et des principes clairs [Houtteville] ; étude du vrai [La Harpe] ; science du bien et du
mal ; sagesse [Marmontel] ; vie simple et paisible [Pascal] ; bon sens éclairé par
l'expérience [Dussault] ; amour et pratique de la sagesse [Pompignan].
Et l'on peut voir là, notamment dans le recours aux attestations auctoriales,
comme une sorte d'impuissance du lexicographe à canaliser et réduire à une idée de
base toute la complexité foisonnante du réel observé. Le dictionnaire ne peut que
refléter les diverses aperceptions de l'objet qu'ont fixées des écrits considérés comme
témoignages probants. Les documents de notre corpus sont assez éclairants à cet
égard.
14 Jacques-Philippe Saint- Gé rand

De la cinquième à la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, soit en


l'espace d'environ trente-sept ans, qui verront la reconnaissance en France de la
philosophie écossaises [Royer-Collard], l'affirmation de l'éclectisme cousinien,
l'impérialisme et le déclin de l'Idéologie, la définition ne se modifie pas dans sa structure
syntaxique et argumentative formelle : « Science qui...», mais dans sa constitution
représentative et sémantique, qui désormais substitue à la connaissance générale des
choses une visée scientifique : « Science qui a pour objet la connaissance des choses
physiques et morales par leurs causes et par leurs effets ; étude de la nature et de la
morale » [t. 2, p. 406 a].
Le Dictionnaire national de Bescherelle aîné, qui s'inscrit dans la même
perspective de langue, n'hésite pas — non sans paradoxe — à développer au maximum cette
manière de présenter la notion au moyen d'une paraphrase contenue dans une
expansion relative, elle-même développée dans une succession d'énoncés apposés :
Connaissance des choses par les causes et leurs effets. Etudier, enseigner la
philosophie. S'appliquer à l'étude de la philosophie. Agiter de hautes questions de philosophie.
Le propre de la philosophie est de moraliser le cœur en éclairant l'esprit. Après l'âge
de l'imagination et de la poésie, vient ordinairement l'âge de la philosophie et du
raisonnement. La vraie philosophie est de voir les choses telles qu'elles sont ; le sentiment
intérieur serait toujours d'accord avec cette philosophie, s'il n'était perverti par les
illusions de l'imagination [Buff.]. C'est là que Pythagore, le père de la philosophie, fut
chercher parmi les sages brachmanes les éléments de la physique et de la morale [B.
de St. -P.] (Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la Langue française, par
M. Bescherelle aîné, 1852, t. 2, p. 868, a).
L'utilité de l'infinitif, en tant qu'actualisateur des diverses modalités sous
lesquelles peut être saisie la notion de philosophie, se marque ici d'elle-même. Mais
cette forme substantive bien connue de la verbalisation des procès qu'est l'infinitif
peut être progressivement atténuée jusqu'à ne plus apparaître et laisser place au
substantif lui-même dans toute son intégrité morphologique.
Dans cette manipulation de la définition, se dissimule l'insensible transition du
dictionnaire de langue au dictionnaire de choses, même lorsque l'institution ne veut
point encore reconnaître cette nécessité, comme dans le cas du Complément au
Dictionnaire de l 'Académie, qui s'était donné comme ambition de rassembler tous les
termes spécialisés ou techniques, toutes les illustrations et attestations dont le
dictionnaire officiel des Académiciens n'avait pas cru bon de relever la pertinence culturelle :
Science qui a été définie primitivement, l'Amour de la science en général ; puis, la
Science de la raison humaine ; la Science de la raison de toutes choses ; la science des
choses divines et humaines (Cicéron) ; l'Etude de l'homme ou du moi, et de ses
rapports avec Dieu et le monde ; la Science des vérités fondamentales ; la Science des
idées (Schelling) ; la science de l'absolu (Hegel) ; la Science de la raison par les idées
(Kant) ; la science de la science ; la science de la légitimité des opérations de
l'intelligence (Fichte) ; et, enfin, la Science des raisons de nos opinions, de nos conjectures et
de nos convictions, sur nous-mêmes et sur tout ce qui est en rapport avec nous. Platon,
le premier, divisa la philosophie en logique, philosophie, et éthique. Aristote subdivisa
la dernière partie en éthique proprement dite, politique et économique ; mais la
métaphysique n'y fut ajoutée qu'au Moyen Age, par une fausse interprétation d'un titre
commun donné par Andronicus de Rhodes à quatorze traités des péripatéticiens
(Complément au Dictionnaire de l'Académie française, Paris, 1842, p. 935 a).
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 15

L'irruption fulgurante de noms propres dans cette définition, comme on l'a noté
plus haut, devient l'indice d'une véritable appropriation par le lexicographe du
matériau notionnel dans ses plus diverses transformations. La suite de la même définition,
en une série panoramique de renvois, donne d'ailleurs à lire clairement ce processus
nouveau :
Voy. MÉTAPHYSIQUE. Le portique distingua six parties de la philosophie :
dialectique, rhétorique, éthique, politique, physique et théologie. Des philosophes latins l'ont
partagée en inspective et actuelle : la première partie était subdivisée en naturelle,
doctrinale et divine ; la seconde, en morale, dispensative et civile. Saint Bonaventure divise
la philosophie en rationnelle, naturelle, morale. Voy. LUMIERE au Compl. Wolf
distingua dans la métaphysique, l'ontologie, la théologie et la cosmologie : cette dernière
partie comprenait la somatologie et la pneumatologie. La philosophie telle qu'on
l'enseigne aujourd'hui, consiste presque entièrement dans la psychologie ou /'émauto-
logie ; elle peut se diviser en traité du sentiment, de la volonté, de l'intelligence : à la
première partie se rattachent la psychologie particulière, la théodicée, la morale, la
politique et /'esthétique ; à la seconde la ploutonomie ou économie politique ; à la
troisième, /'idéologie particulière, la logique et la linguistique générale. Du reste, toutes ces
divisions sont variables, parce que des sciences nouvelles se forment sans cesse dans le
sein de la philosophie, et s'en détachent quand elles ont acquis une certaine extension.
Philosophie première, s'est dit, dans l'école péripatéticienne, de la partie qui, depuis, a
été appelée improprement, métaphysique. Philosophie de l'histoire, Etude des faits
historiques, dirigée de manière à saisir ce qu'ils ont de plus général, et à en déduire une
formule applicable aux différentes époques de la vie du genre humain ou de l'histoire
d'une nation quelconque. Il se dit de toute théorie ou formule qui résulte d'une pareille
étude (ibid.).
Là encore la syntaxe contribue à modeler la morphologie de la glose et le
déploiement linéaire du concept qu'elle expose.
Dans un dictionnaire comme celui de Bescherelle, le processus peut même aller
jusqu'à créer une confusion avec le dictionnaire encyclopédique en exposant la
succession abrégée des différentes doctrines philosophiques, et le témoignage des
définitions données par quelques-unes des grandes figures du genre :
Les différentes manières d'envisager et de résoudre les questions philosophiques ont
donné naissance à un grand nombre de sectes ou d'écoles. Voici les noms des
principales de ces écoles, chez les anciens, depuis les temps les plus reculés jusqu 'à la chute
de l'empire romain : 1° école ionique, 2° école italique, 3° école éléatique, 4° école
atomistique, 5° école sophistique, 6° école cyrénaïque, 7° école cynique, 8° école de
Mégare, 9° école érétriaque ou d'Elis, 10° école aristotélicienne ou péripatéticienne,
11° école platonicienne ou académique, 12° école stoïcienne, 13° école épicurienne,
14° école sceptique, 15° école éclectique, 16° école juive, 17° école gnostique, 18°
école néo-platonicienne, 19° école empirique, 20° école des Pères de l'Eglise. La
philosophie a été définie de mille manières ; comment se serait-on entendu sur le mot,
quand, depuis quatre mille ans on ne s'entend pas sur les choses ? On l'a définie :
l'amour de la science en général, c'est même la définition primitive ; puis la science de
la raison humaine ; la science de la raison de toutes choses ; la science des choses
divines et humaines ; cette dernière définition est de Cicéron : la science des vérités
fondamentales ; la science des idées (Schelling) ; la science de l'absolu (Hegel) ; la
science de la religion par les idées (Kant) ; la science de la science ; la science de la
légitimité des opérations de l'intelligence (Fichte) ; et enfin, la science des raisons de
nos opinions, de nos conjectures et de nos convictions sur nous-mêmes et sur tout ce
qui est en rapport avec nous. Platon, le premier, divisa la philosophie en logique, physique
16 Jacques-Philippe Saint-Gérand

et éthique ; Aristote subdivisa la dernière partie en éthique proprement dite, politique et


économique ; la métaphysique n'y fut ajoutée qu'au Moyen Age, par une fausse
interprétation d'un titre commun donné par Andronicus de Rhodes à quatorze traités des
péripatéticiens. Le portique distingua six parties de la philosophie : dialectique,
rhétorique, éthique, politique, physique et théologie. Des philosophes latins l'ont divisée en
inspective et actuelle. Saint Bonaventure la divise en naturelle, rationnelle et morale. La
philosophie, telle q'on l'enseigne aujourd'hui, consiste presque entièrement dans la
psychologie ; elle peut se diviser en traité du sentiment, de la volonté, de l'intelligence.
On rattache à la première partie la psychologie particulière, la théodicée, la morale, la
politique et /'esthétique ; à la seconde, /'économie politique ; à la troisième, /'idéologie
particulière, la logique et la linguistique générale (Dictionnaire national, 1852, p. 852 b, c).
Comme on l'aura remarqué, il découle de la présentation des différentes écoles
philosophiques la présomption de l'impossible définition d'un objet multiforme. La
référence terminale à l'existence d'une linguistique générale - à la vérité très
différente de ce que nous appelons ainsi aujourd'hui - renvoie à cette aporie et à ce
mystère que la langue, en-deçà de toute pensée, sous les différentes formes qui sont les
siennes, pourrait rendre compte des caractéristiques intrinsèques et universelles de
l'objet philosophie, et en conceptualiser le contenu. Mais, dans cette illustration, la
désignation de l'objet est néanmoins toujours soumise à l'emploi d'un déterminant
défini qui, pour reprendre les termes de Gustave Guillaume, en saisit le contenu sous
l'angle d'une extension généralisante, et qui trahit par là l'idéalisme subjectif des
lexicographes victimes de l'illusion nominaliste, et aliénés aux pièges de la
cumulation des vocables. Une somme de savoir n'est pas forcément homologue à une somme
de mots.
Et même un ouvrage délibérément encyclopédique, tel que le Grand Dictionnaire
universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, ne peut faire autrement que de multiplier
les citations définitionnelles de « philosophie », issues d'auteurs embrassant toute
l'étendue du spectre historique de ses développements, et d'alléguer à chaque fois un
déterminant du substantif à valeur soit distributive : Toute ; soit généralisante : La ;
soit relationnelle : Sa :
Science générale des êtres, des principes et des causes : Qui méprise la
PHILOSOPHIE, méprise la sagesse (Sophocle). Toute PHILOSOPHIE est un arbre dont les
racines sont la métaphysique (Desc). La PHILOSOPHIE, ainsi que la médecine, a
beaucoup de drogues, très-peu de bons remèdes et presque point de spécifiques
(Chamfort). La PHILOSOPHIE est la raison du juste (Lévis). La PHILOSOPHIE n'est
pas seulement la science suprême, elle est l'âme de toutes les sciences (Géruzez). Une
PHILOSOPHIE complète serait la science absolue, la science infinie (Lamenn). Où la
foi place un mystère, la PHILOSOPHIE cherche une raison (S. de Sacy). La
PHILOSOPHIE est la religion de la raison (Proudh). La PHILOSOPHIE est la lumière de toutes
les lumières, l'autorité des autorités (V. Cousin). La science et la PHILOSOPHIE
doivent suffire un jour à l'humanité (Vacherot). Opinion, doctrine, système d'un
philosophe, d'une école, d'un peuple, d'une époque, d'une collection d'hommes : La
PHILOSOPHIE d' Aristote. La PHILOSOPHIE stoïcienne. La PHILOSOPHIE
al emande. La PHILOSOPHIE du XVIIIe siècle. La PHILOSOPHIE idéaliste s'est perdue dans
la négation des réalités (Ballanche). La PHILOSOPHIE d'un siècle sort de tous les
éléments dont ce siècle se compose (V. Cousin). Observer avec exactitude, analyser avec
précision, généraliser avec rigueur, voilà toute la PHILOSOPHIE actuelle (Proudh).
Toute religion a sa PHILOSOPHIE dont le caractère rationnel et humain est manifeste
(Vacherot).
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 17

II se crée par là une image de la conception de l'objet qui - sûre de l'homogénéité


et de la validité de ses principes — exclut implicitement toutes les autres formes sous
lesquelles cet objet peut se manifester. Arbitrairement définie comme cohérente, la
notion tend à s'instituer unique. Observé avec l'œil critique du méta-lexicographe, ce
processus syntaxique exorbitant rend paradoxalement au dictionnaire sa fonction
primordiale, qui est moins de définir des certitudes que de suggérer une analyse de la
connaissance appuyée sur un ensemble de conceptions plus ou moins explicites. Ainsi
se marque de nouveau en langue une épistémologie de la discipline étroitement
dépendante du discours qui la supporte.

« Philosophie » et son actualisation sémantique : contextes et énonciation

L'ensemble des textes du corpus dictionnairique réuni pour cette étude atteste que
la première moitié du XIXe siècle enregistre une transformation importante du contenu
de « philosophie ». Alors que, de 1694, date de la première édition du Dictionnaire de
l'Académie, à 1798, date de la cinquième, la glose définitoire du terme reste
globalement identique : « Science qui consiste à connoistre les choses par leurs causes et par
leurs effets », l'édition « romantique » de 1835 donne à observer une série de
modifications dont les causes et les conséquences appellent commentaire.
En effet, la glose de cette sixième édition altère l'énoncé définitionnel initial de
l'édition dite « révolutionnaire » en faisant paraître l'influence de l'Idéologie sous les
espèces de la précision conférée aux « choses », devenues « physiques » et
« morales ». Ce détail renseigne sur la sphère dans laquelle se déploie désormais le
raisonnement philosophique. Sont aussi supprimés de l'ensemble de la définition
antérieure les exemples qui rattachent trop évidemment l'objet à une tradition en voie
d'extinction, tandis que, en transformant l'opposition que Diderot énonçait déjà en
1753 dans les pensées de De l'interprétation de la nature 7, l'opposition d'«
expérimentale » à « rationnelle » vient sanctionner ce passage décisif de la spéculation à
l'observation et à l'analyse :
Science qui a pour objet la connaissance des choses physiques et morales par leurs
causes et par leurs effets ; étude de la nature et de la morale. Etudier la philosophie.
Les principes de la philosophie. Enseigner la philosophie. Agiter des questions de
philosophie. La vraie philosophie élève l'âme et affermit la raison. Le propre de la
philosophie est d'éclairer les esprits. La philosophie expérimentale découvre des faits dont la
philosophie rationnelle cherche les causes. Aux siècles d'imagination et de poésie
succèdent ordinairement les siècles de philosophie et de raisonnement.
// se dit aussi des opinions, de la doctrine, du système particulier de chaque secte de
philosophes, ou de chaque philosophe faisant secte. La philosophie des platoniciens, des
péripatéticiens, des épicuriens, des stoïciens, etc. La philosophie de Platon. La
philosophie d'Epicure. La philosophie d'Aristote. La philosophie de Descartes, de Gassendi, de
Newton. La philosophie scolastique. La philosophie du XVIIIe siècle. L'ancienne
philosophie. La philosophie moderne.

7. Pour Diderot « philosophie expérimentale » équivaut à « physique expérimentale », tandis que «


philosophie rationnelle » vaut pour « physique théorique ». Le croisement sur lequel se fonde la modification,
dont prend note avec retard le XIXe siècle, est donc, dans le domaine des sciences physiques celui des
notions de « philosophie » et de « théorie » ; c'était là, au moins pour les lexicographes, à quoi se réduisait
alors la capacité d'observation des philosophes du siècle des Lumières.
18 Jacques-Philippe Saint-Gérand

II se dit également d'un système de principes que l'on établit ou que l'on suppose pour
expliquer un certain ordre d'effets naturels. Philosophie corpusculaire. Philosophie
mécanique.
// se dit encore d'ouvrages composés sur quelque science, sur quelque art en
particulier, et qui en renferment les vérités premières, les principes fondamentaux. La
Philosophie de la botanique. La Philosophie de la chimie. La Philosophie de l'art de la
guerre.
PHILOSOPHE, se dit aussi d'une certaine fermeté et élévation d'esprit, par laquelle on
se met au-dessus des accidents de la vie et des fausses opinions du vulgaire. Il n'y a
point de philosophie à l'épreuve d'un événement si cruel. Il méprise par philosophie les
honneurs que recherchent la plupart des hommes. Il apprit avec beaucoup de
philosophie la nouvelle de la perte de sa fortune. Voilà de quoi exercer sa philosophie. H a
montré beaucoup de philosophie en cette circonstance. Ce prince fit asseoir la
philosophie sur le trône.
Philosophie chrétienne, Celle qui est fondée sur les croyances du christianisme ; par
opposition à Philosophie païenne ou naturelle, Celle qui n'est soutenue que des seules
lumières naturelles. Il n'y a point de meilleur secours contre les accidents de la vie, que
celui de la philosophie chrétienne.
Philosophie naturelle, se dit aussi d'un certain caractère naturel de raison, de
modération et de force d'âme. Cet homme n'a point reçu d'éducation, mais il est doué d'une
sorte de philosophie naturelle.
PHILOSOPHIE, se dit aussi du système particulier qu 'on se fait pour la conduite de sa
vie. Sa philosophie consiste à ne se tourmenter de rien. Jouir du présent sans s'occuper
de l'avenir, voilà sa philosophie. Il mène une vie douce et tranquille ; c'est le fruit, le
résultat de sa philosophie. Savoir se contenter de peu, c'est la bonne philosophie.
PHILOSOPHIE, se dit encore de la science qu'on enseigne sous ce nom dans les
collèges. Faire son cours de philosophie. Professeur de philosophie. Traité de philosophie.
Cahiers de philosophie.
Il se dit absolument du cours de philosophie. Faire sa philosophie. Etre en philosophie.
Il est dans sa seconde année, il fait sa seconde année de philosophie {Dictionnaire de
l'Académie française, 6e éd., 1835, t. II, p. 406 c).
L'accent mis sur les aspects concrets de la philosophie renseigne sur le
développement général de la pensée reflexive au cours du XIXe siècle. Au lieu que la
philosophie soit confinée aux domaines abstraits et éloignés de la vie quotidienne que sont la
science expérimentale et l'observation des phénomènes physiques, la tendance est
alors à une généralisation de ce que l'on pourrait presque appeler avec anachronisme
une praxis. En effet, « corpusculaire », « mécanique », en relation avec «
expérimentale » et « rationnelle », montrent en quoi les aspects théoriques de la physique, mais
aussi de l'histoire comme le souligneront Michelet, Quinet ou Taine, peuvent
désormais donner lieu à des interrogations de type philosophique, dont les formes les plus
couramment développées seront aussi supportées par un enseignement et une
profession : « Faire un cours de philosophie ». Il y a là un bouleversement profond et
définitif de l'édifice épistémique légué par le XVIIIe siècle.
Les dictionnaires notent généralement ce phénomène en lui attribuant, comme
Dupiney de Vorepierre, la dernière place dans la progression de leur notice
linguistique, juste avant les développements encyclopédiques :
La science de l'esprit humain, la science des principes généraux de toutes choses.
Etudier la ph., les principes de la ph. C'est une des questions les plus ardues de la ph.
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 19

Se dit aussi du système philosophique particulier à chaque école ou à chaque


philosophe ayant fait école. La ph. de Platon, d'Aristote, d'Epicure, de Descartes, de Bacon,
de Kant. La ph. stoïcienne, alexandrine, scolastique, écossaise. La ph. ancienne,
moderne. La philosophie du XVIIIe siècle. - Ph. chrétienne, celle qui est fondée sur les
croyances du christianisme, par opp. à la Ph. païenne ou Ph. naturelle, celle qui n'est
soutenue que des seules lumières de la raison. Quelquefois, on désigne le système
particulier d'un auteur par le caractère qui le distingue. La ph. atomistique. La ph. sensua-
liste. La ph. critique. Se dit aussi de l'ensemble des principes fondamentaux sur lesquels
repose une science particulière, un art spécial. La ph. des sciences. La ph. des
mathématiques. Ph. de l'histoire. Ph. zoologique. La ph. de l'art de la guerre.
- Ph. de la nature ou Ph. naturelle, celle qui a pour objet l'étude des lois et des causes
des phénomènes que nous offre l'ensemble de l'univers. / Au sens moral on appelle
Philosophie, cette fermeté d'âme, cette raison pratique qui met l'homme au-dessus des
passions, des accidents de la vie, des fausses opinions du vulgaire. Il a supporté sa
disgrâce, la perte de sa fortune avec beaucoup de ph. Voilà de quoi exercer votre ph. .— Ph.
naturelle, se dit encore d'un certain caractère de raison, de modération, de force
d'âme. Cette femme est sans éducation, cependant elle a une ph. naturelle des plus
remarquable. / Se dit aussi du système particulier qu 'on se fait pour la conduite de la
vie. Jouir du présent sans s'occuper de l'avenir, voilà sa ph. Sa ph. consiste à ne se
tourmenter de rien. / Dans les collèges, se dit du cours que l'on fait aux élèves sur les
parties les plus importantes de la science. Faire son cours de ph., faire sa ph. Il est en
ph. (Dictionnaire français illustré et Encyclopédie universelle [...], 1881, t. 2, p. 694 b).
Une telle modification rend compte du glissement de sens affectant le terme
d'« Ecole », qui désormais, comme le montre l'exemple du Grand Dictionnaire
universel de Pierre Larousse, interfère bourgeoisement avec celui de « classe » :
Enseignem. Science qu'on enseigne dans les collèges aux élèves de dernière année ;
classe ou cette science est enseignée : Faire son cours de PHILOSOPHIE. Entrer dans
la classe de PHILOSOPHIE. Professeur de PHILOSOPHIE (ouvr. cit., t. II, p. 828).
Dans la mesure où le contenu de philosophie est irrémédiablement incliné vers les
effets d'un didactisme soucieux de donner des exemples à la société, et de lui
proposer matière à réflexion sous forme d'essais, de cours, voire de poèmes ou de romans,
il n'y a plus guère à s'étonner si la notion et son objet en viennent à subsumer une
véritable représentation unifiée de l'univers et à exprimer une forme de connaissance
globale de l'expérience humaine, susceptible de faire se correspondre les secteurs les
plus apparemment éloignés de cette dernière.
Un excellent exemple est celui que donne le Dictionnaire de la conversation, qui
fait de philosophie le terme central d'une épistémologie critique plaçant le sujet
observateur au cœur du monde créé, comme l'interprète par excellence de la création et des
intentions de son créateur :
L'examen des diverses branches de la philosophie nous a fait entrevoir qu'elle a des
rapports avec plusieurs sciences importantes [...]. Elle en a avec toutes les études, et elle les
domine toutes, car elle leur donne à toutes des principes ayant pour objet le monde
intellectuel et moral, elle se distingue des sciences physiques, qui ont pour objet le monde
matériel, et des sciences mathématiques, qui ont pour objet les formes d'un monde idéal
appliquées au monde réel. Mais si distincte qu'elle en soit, elle prête aux unes et aux
autres le point de départ de chacune d'elles, la méthode qu'elle doit suivre, et /'art ou
l'ensemble des règles qu'elle doit appliquer pour élever un édifice scientifique. [...]
La philosophie est, quoiqu'à des degrés divers, la reine commune des lettres et des arts,
comme elle est celle des sciences morales et politiques. Elle est encore, et dans d'autres
20 Jacques-Philippe Sainî-Gérand

limites, celle des sciences physiques et mathématiques. La philosophie offre aux uns et aux
autres ces trois choses : 1° l'instrument investigateur ou la science de l'esprit humain ; 2°
l'art de l'investigation et de l'exposition, la méthode ; 3° enfin, le principe suprême ou le
point de départ lui-même. En d'autres termes, la philosophie fait les destinées et assure la
fortune de toutes les sciences. En effet, c'est elle qui leur enseigne à toutes l'art d'observer
et d'analyser, d'induire et de conclure, de composer et de systématiser. [...]
L'origine de la philosophie est celle de l'homme. L'homme dont l'intelligence n'aurait
pas fonctionné de manière à se rendre raison d'elle-même, à avoir conscience de ses
sensations et de ses sentiments, de ses pensées et de ses délibérations, des résolutions, des
actes qui s 'ensuivent, enfin des jugements internes qui succèdent à ces actes, cet homme
n'aurait pas été l'homme intellectuel et moral. Au lieu d'être l'homme véritable, l'homme
spirituel, il eût été l'homme dégradé, l'homme animal (ouvr. cité, t. 14, p. 493 a - 494 b).
Cette métaphore de « la reine commune des lettres et des arts [...] des sciences
morales et politiques » est en soi parfaitement représentative d'une conception
hiérarchique du savoir et d'une représentation hiérarchisée des degrés de la connaissance,
au service d'une entreprise de construction et d'organisation de la société. Nul autre
témoignage que celui de Dupiney de Vorepierre ne peut être plus indicatif de cette
tension propédeutique grâce à laquelle la philosophie - comme forme d'instruction du
citoyen - s'est peu à peu substituée aux seuls prestiges verbaux d'une rhétorique qui
avait délaissé au cours du temps son objectif maïeutique initial. Le lexicographe,
replaçant le terme de philosophie et son contenu dans la perspective historique, fait de
celui-ci la clef de voûte d'un dispositif politique et social ordonné et stable ; et
lorsqu'il décrit le programme qui s'ouvre sur l'avenir de la philosophie contemporaine, en
1881, il n'hésite pas à affirmer la prééminence d'un nouveau type de connaissance,
qui supplante alors l'histoire, celui de la psychologie, science naturelle, que l'on peut
éternellement balancer entre l'individuel et le social :
A nos yeux la psychologie devrait être la base de /'édifice philosophique tout entier,
c'est à son achèvement parfait qu'il est urgent de travailler. Or la psychologie offre
encore beaucoup à faire, soit que l'on considère les facultés de l'âme en elles-mêmes,
soit qu'on les considère dans leurs rapports avec l'organisme. La logique est à peu
près terminée ; néanmoins les règles de la méthode inductive ne sont point encore aussi
rigoureusement fixées que celles de la méthode deductive. Nous ne parlerons point de
la morale, car elle a été fondée sur des bases inébranlables, par le christianisme,
comme par la philosophie. Quant à la métaphysique, on peut, nous le croyons, affirmer
que le champ de ses spéculations est épuisé ; ce qui le prouve, c'est qu'elles tournent
perpétuellement dans le même cercle, et se répètent dans le même ordre au bout de
certaines périodes. Elles se reproduisent toujours, il est vrai, avec un aspect de jeunesse
qui en impose ; mais ce rajeunissement apparent est dû aux emprunts qu'elles font aux
sciences positives dont le progrès est incessant. Il importe de mettre un terme à ce
mouvement stérile ; on n'y parviendra qu'en reprenant l'œuvre de Kant avec l'aide d'une
psychologie définitive. Enfin, il restera à introduire la philosophie dans la sphère des
sciences : toutes en ont besoin, sans en excepter les sciences mathématiques.
Néanmoins celles où la philosophie a le plus grand rôle à jouer, sont les sciences que
l'on classe communément sous la dénomination de sciences morales et politiques,
l'histoire, le droit, la linguistique générale, l'économie politique, et la politique proprement
dite. Il nous est permis de croire que l'esprit français, en général si net, si lucide, si
pratique, si ennemi des rêveries, parce qu'il a le goût et l'habitude de l'ordre et de la
méthode, remplira un rôle digne de lui, le principal peut-être, dans cette grande œuvre
dont nous appelons de tous nos vœux V accomplissement (Dictionnaire français illustré,
1881, t. II, p. 700 c).
Le mot « Philosophie » dans les dictionnaires du XIXe siècle 21

Une telle citation souligne bien - me semble-t-il - l'évolution dont le terme de


philosophie et son contenu ont été l'objet au début du XIXe siècle. Dans la succession
des gloses lexicographiques, on est progressivement passé, grâce aux lentilles de la
réflexion et du langage, d'une conception restreinte de l'objet à une conception élargie
du phénomène dans laquelle le terme de philosophie est désormais en mesure de
s'appliquer dynamiquement à toute entreprise d'interrogation des fondements de la
société. C'est à ce titre que l'ensemble des sciences - que l'on a aujourd'hui
l'habitude de réunir sous l'opposition des sciences humaines et des sciences pures — a pu être
convoqué à la barre du politique. Pellissier, invoqué au début de cet article, notait
sans sourciller :
La critique contemporaine ne veut plus ni principes, ni lois. Elle ne reconnaît que des
faits et des accidents qu'il s'agit de recueillir et d'enregistrer avec un soin scrupuleux.
Rien n'est d'une manière absolue, tout change, tout se développe, tout devient, donc
tout est possible ; telle est la philosophie de ces prétendus novateurs. Mais ce sophisme
n'est qu'une pauvre traduction, et la France qui l'accueille, malgré sa prétention à
marcher la première dans la civilisation, ne fait ici que se traîner à la queue de l'Allemagne
pour venir échouer sur le roc stérile de l'hégélianisme, quand, depuis longtemps, tous
les penseurs d'outre-Rhin l'ont abandonné. Loin de nous toute spéculation pure, toute
métaphysique, tout dogme ; des faits, rien que des faits ; l'érudition historique doit
supplanter la philosophie ; tel est le programme nouveau (Histoire de la langue française,
1866, p. 323).
Ce n'est pas dire que la philosophie en cette période du XIXe siècle se soit réduite
à un empirisme étroit, et au culte des plates données de l'observation ; c'est
simplement constater que l'entreprise philosophique, avec des moyens différents, plus
modestement fondés sur l'expérimentation, se donne alors une ambition supérieure à
celle dont elle s'était dotée dans les périodes antérieures, et qu'à travers le langage et
sa critique — philologique d'abord, linguistique ensuite, et enfin psychologique — elle
peut désormais envisager la place et la fonction de l'homme - non dans l'univers -
mais dans les sociétés, comme Hovelacque le fait à la suite de Broca. Simplification
de la désignation, et, comme je le notais en introduction, complexifîcation simultanée
de son contenu.

Lorsque parurent, en 1852, les quatre volumes du Dictionnaire des sciences


philosophiques d'Adolphe Franck, le mouvement de la langue et de la pensée enregistré
par les dictionnaires de notre corpus - dans leurs occultations, leurs affichages
extrêmes, et parfois leurs inconséquences — laissait pressentir ces développements
hardis d'une nouvelle théorie de la connaissance. Mais sur le fond d'un inexpugnable
scepticisme. Et il est très probable que les lexicographes du XIXe siècle, consignant ce
mouvement d'après l'usage, malgré l'aide des philologues et des linguistes, et l'intérêt
institutionnel des professeurs de philosophie eux-mêmes, étaient peu en mesure d'en
évaluer et apprécier toute la portée d'avenir. Flaubert, dans son Dictionnaire des idées
reçues, ne consignait-il pas ironiquement de cet objet la représentation que pouvaient
s'en donner des sceptiques impénitents privés des arguments véritables d'une critique
de la société : « On doit toujours en ricaner » ?...

(Université Biaise Pascal)


22 Jacques-Philippe Saint-Gérand

Bibliographie des dictionnaires consultés

[Académie française]
- Dictionnaire de l'Académie, 5e édition, Paris, 1798.
— Dictionnaire de la langue française, Paris, Delalain, 2 volumes, 1823 [retirage de l'éd. de
1798].
— Dictionnaire de i 'Académie, 6e édition, Paris, F. Didot, 1835.
- Complément du Dictionnaire de l'Académie, publié par Louis Barré, Paris, F. Didot, 1842.
[Anonyme], Dictionnaire de poche de la langue française, Paris, 1830
Bescherelle (L.-N.), Dictionnaire national, Paris, 1843.
Boiste (P.C.V.) et Bastien (J.-F.), Dictionnaire universel de la langue française, Paris, chez
l'auteur, 1800.
Boiste (P.C.V.), Dictionnaire universel de la langue française, avec le latin et les etymologies
[...], Manuel encyclopédique de grammaire, d'orthographe, de vieux langage, de néologie, 8e édition,
revue, corrigée et considérablement augmentée par Charles Nodier, Paris, Firmin Didot frères, 1834.
Carpentier (L.J.M.), Le Gradus français ou Dictionnaire de la langue poétique, Paris,
Johanneau, 1822.
D'Hautel (C), Dictionnaire du bas langage, Paris, 1808, 2 volumes.
Desgranges (J.), Petit dictionnaire du peuple, Paris, 1821.
Duckett (W.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture, répertoire des connaissances
usuelles, inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, par une
Société de savants et de gens de lettres, sous la direction de M.W. Duckett, seconde édition,
entièrement refondue, corrigée et augmentée de plusieurs milliers d'articles tout d'actualité,
Paris, Librairie de Firmin Didot frères, fils et Cie, 1866, 16 tomes.
Dupiney de Vorepierre (B.), Dictionnaire français illustré et Encyclopédie universelle
pouvant tenir lieu de tous les vocabulaires et toutes les encyclopédies, Paris, Calmann Lévy frères,
1881, 2 vol.
Guérin (Mgr. P.), Lettres, Sciences, Arts, Encyclopédie universelle, Dictionnaire des
dictionnaires, Paris, Motteroz, 1877, 6 volumes.
Landais (N.), Dictionnaire général grammatical des dictionnaires français, Paris, Didier, 1834.
Larousse (P.), Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, administration du Grand
Dictionnaire universel, 1866.
Laveaux (J.-Ch.), Dictionnaire raisonné de difficultés grammaticales et littéraires de la
langue française, Paris, Brunot-Labbe, 1818.
Littré (É.), Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1863.
Loriquet (le P.), Dictionnaire classique de la langue française, Lyon, 1825.
Matoré (G.), Le Vocabulaire et la société sous Louis-Philippe, 1951 ; réédition : Genève,
Slatkine reprints, 1967.
Meschonnic (H.), Des mots et des mondes, dictionnaires, encyclopédies, grammaires,
nomenclatures, Paris, Hatier, 1991.
Noël et Chapsal, Nouveau dictionnaire de la langue française, Paris, Maire-Nyon, Roret, 1826.
Planche (J.), Dictionnaire français de la langue oratoire et poétique, Paris, Gide fils, 1819,
3 vol.
Poitevin (P.), Dictionnaire de la langue française, glossaire raisonné de la langue écrite et
parlée présentant l'explication des etymologies, de l'orthographe et de la prononciation, les
acceptions propres, figurées ou familières, la conjugaison de tous les verbes irréguliers ou
défectueux, les principales synonymies, Paris, F. Chamerot, 1851.
Quemada (B.), Les Dictionnaires du français moderne (1593-1863), étude sur leur histoire,
leurs types et leurs méthodes, Paris, Didier, coll. Etudes lexicologiques, 1967.
Vanier (V.-A.), Dictionnaire grammatical, critique et philosophique de la langue française,
Paris, Brunot-Labbe et Delalain, 1836.
Verger (V.), Dictionnaire universel de la langue française, rédigé d'après V Académie,
Paris, Boutrut, 1822.

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