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Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

Frédéric Keck
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Résumés
FrançaisEnglish
Cet article oppose les traditions anthropologiques française et anglaise sur leur traitement du problème de la magie,
en particulier sur les deux questions que pose le phénomène de la magie : quel type de rationalité donne à la magie
son efficacité alors qu’elle ne fournit aucune prévision ? Comment passe-t-on de la rationalité magique à une
rationalité critique et scientifique ? Après un rappel des rapports entre magie, religion et science tels qu’il sont
conçus par Tylor et Frazer, on oppose l’idée d’une plasticité des énoncés magiques en fonction des contextes
pragmatiques où ils s’inscrivent, chez Malinowski et Evans-Pritchard, et l’idée d’une structure de la pensée magique
qui viendrait prendre corps dans les actes de l’individu magicien, chez Mauss et Lévi-Strauss. On conclut alors sur
la façon dont ces deux traditions abordent le problème d’une logique de la pratique, et sur les conséquences qu’une
telle différence dans la position des problèmes peut avoir aujourd’hui.
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Entrées d’index
Mots-clés :
Evans-Pritchard, Lévi-Strauss, logique de la pratique, magie, Malinowski, Mauss, rationalité
Keywords :
logic of practice, magic, rationality, Evans-Pritchard, Lévi-Strauss, Malinowski
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Notes de l’auteur

Cet article est issu d’un exposé à l’UMR « Savoirs et textes » de l’Université Lille 3, dans le cadre d’une
discussion interdisciplinaire. Je remercie Fabienne Blaise et André Laks de leurs remarques et
suggestions.

gral
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1De tous les problèmes traités par l’anthropologie, le problème de la magie est celui qui a suscité le
plus de curiosité. La magie est une pratique qui n’a pas d’équivalent dans la société moderne, et elle
a donc pu être considérée comme le type même du comportement irrationnel, étrange, exotique.
Mais on ne comprendrait pas la fécondité théorique du problème de la magie si on en restait à la
seule fascination pour l’étrange et l’exotique. La magie a suscité un intérêt théorique en
anthropologie parce qu’elle apparaissait à la croisée de deux phénomènes familiers aux sociétés
modernes et essentiels à leur définition : la science et la religion. La magie semble à première vue
plus proche de la science que de la religion pour deux raisons : d’une part, elle postule une unité des
lois de la nature et prétend agir sur elle grâce à la connaissance de ces lois, ce qui l’apparente à une
science appliquée ou à une technique ; d’autre part, elle est le fait d’individus marginaux, considérés
comme géniaux ou comme malfaisants, et non de collectifs se réunissant autour d’un culte, et c’est
pourquoi l’apprenti sorcier a davantage été une figure du savant des origines que du prêtre. Mais la
magie est proche de la religion en ce qu’elle invoque des entités non visibles dont elle postule l’action
efficace dans le monde sensible ; en cela, elle participe encore d’un mode de pensée religieux, elle
utilise des conceptions religieuses pour agir sur le monde. La magie serait donc l’annonce de la
science dans des sociétés religieuses et la persistance de la religion dans des sociétés scientifiques.

2Tout le problème pour les anthropologues a donc consisté à comprendre comment une action sur
le monde de type scientifique peut se développer dans des sociétés religieuses sans que cette action
soit véritablement scientifique, c’est-à-dire sans qu’elle procède d’une connaissance des lois de la
nature qui permettrait une prévision des phénomènes. Autrement dit, tout le problème a consisté à
expliquer l’efficacité de la magie. La première hypothèse des anthropologues a été de mettre cette
efficacité sur le compte de charlatans et de séducteurs, qui imposeraient à la société leurs
conceptions magiques par une sorte de suggestion hypnotique ; mais une telle hypothèse repose sur
l’attribution aux individus d’une mystérieuse capacité d’influence, et elle ne rend pas compte de la
persistance de la magie dans de nombreuses sociétés. Il faut donc donner au problème de la magie
une solution sociologique. Plus précisément, c’est un traitement sociologique qui permettra de
résoudre le problème épistémologique posé par la magie : comment comprendre qu’une pratique qui
prétend s’appliquer à la nature puisse se maintenir sans être jamais vérifiée ou falsifiée ? Pour
comprendre cette inertie de la magie, il faudra décrire sa systématicité, c’est-à-dire son rapport avec
une organisation totale qui est à la fois mentale et sociale. Mais un autre problème se posera alors :
comment comprendre qu’ait pu apparaître une forme de critique de la magie dans certaines sociétés
(en Grèce en particulier) alors que cette critique ne s’est pas produite dans d’autres sociétés ? Il
faudra donc aussi comprendre comment ce système total de la magie peut se défaire et laisser place
au mode d’organisation mentale et sociale que nous appelons science.

3On se propose ici d’analyser les dispositifs théoriques qui ont été mis en place dans l’histoire de
l’anthropologie pour répondre à ces problèmes soulevés par le phénomène de la magie. On
distinguera trois dispositifs théoriques, qui correspondent à trois modes de systématicité donnés à
la magie : une systématicité mentale chez Tylor et Frazer, une systématicité linguistique et
contextuelle chez Malinowski et Evans-Pritchard, une systématicité sociale et symbolique chez Mauss
et Lévi-Strauss. En comparant ces trois solutions du problème de la magie, on ne propose pas une
élégante résolution dialectique de ce problème : il s’agit plutôt, en revenant à la source de ce
problème anthropologique tel qu’il est constitué par Tylor et Frazer, de voir comment deux solutions
différentes ont été formulées à partir de et contre ce premier dispositif, dans ce qu’on appellera une
tradition anglaise et une tradition française (pour éviter l’effet de doctrines que produisent les termes
fonctionnalisme et structuralisme). Il s’agira alors bien plutôt de constater l’écart entre ces deux
traditions que de proclamer la victoire de l’une sur l’autre, pour mesurer les conséquences de cet
écart pour une réflexion sur le problème de la magie. Un tel écart permettra par exemple de mesurer
la divergence entre l’analyse de la magie en Grèce ancienne proposée par Geoffrey Lloyd en
Angleterre et celle de Jean-Pierre Vernant en France, divergence qui tient en partie à la différence
des traditions anthropologiques auxquelles ils se réfèrent. C’est aussi dans cet écart que nous
proposerons en conclusion une reformulation du problème de la magie.

1 Cf. E.B. Tylor, La Civilisation primitive, 2 vol., Paris, Reinwald, 1876-1878 (Primitive Culture. (...)

2 C’est la fameuse notion de survivance pour laquelle Tylor est resté célèbre. Toute la recherche de (...)

4Le premier dispositif théorique a été celui de l’évolutionnisme victorien, avec sa fameuse ligne
d’évolution par laquelle doivent passer nécessairement toutes les sociétés : magie, religion, science.
Cette hypothèse a été rendue célèbre par Frazer, mais elle a d’abord été proposée par Tylor sous
l’influence du darwinisme et de la géologie de Lyell1. Cette loi d’évolution se donne comme une sorte
de dialectique : la magie est une forme de science, puisqu’elle tente d’agir sur la nature, mais c’est
une fausse science, car elle ne propose que des explications partielles, et il faut en passer par la
généralisation produite par la religion pour parvenir à une véritable science. À cette généralisation
dans l’ordre intellectuel correspond une purification dans l’ordre affectif : la magie repose sur la
crainte, la religion apprend la vénération, et la science découvre l’amour de la vérité. La magie repose
pour Tylor sur une erreur, qui consiste dans une confusion entre les connexions idéales et les
connexions réelles ; le raisonnement du magicien infère du fait que le coq chante quand le soleil se
lève l’idée que si l’on fait chanter le coq le soleil se lèvera. C’est le même type d’erreur qui donne
naissance à la religion animiste, puisque Tylor l’explique par une confusion de la personne vue en
rêve et de l’ombre de l’individu, mais cette erreur mène à la production d’idées générales, comme
celle d’âme, qui permettent la venue de la science. La magie est donc comprise par Tylor sur un
modèle géologique comme une strate d’erreur et de confusion qui a été enfouie mais qui peut
toujours revenir2.

3 Cf. J. Frazer, Le Cycle du rameau d’or, 12 vol., Paris, Geuthner, 1925-1935, rééd. Le Rameau d’or, (...)

4 Tylor et Frazer se réfèrent tous deux à la psychologie associationniste de Hume, selon laquelle l’ (...)

5C’est ce modèle qui sert à Frazer pour élaborer sa propre théorie de la magie. Celle-ci ne part pas
directement comme chez Tylor d’une étude de la « culture primitive » mais d’une énigme philologique
posée par la légende du prêtre de Nemi, déjà analysée par Renan. Selon cette légende, le prêtre-roi
ne peut être remplacé que par un esclave en fuite qui revient l’assassiner après s’être muni d’un
« rameau d’or »3. Pour expliquer cette légende qui fait intervenir le pouvoir magique d’une plante
dans un rite de changement du souverain, Frazer propose une théorie générale de la magie dans les
sociétés primitives. Pour Frazer, la magie est régie par deux principes, qui gouvernent les
associations d’idées dans l’esprit humain4 : le principe de similarité et le principe de contact. Ces
deux principes permettent à Frazer de proposer une classification des types de magie. La magie
imitative, régie par le principe de similarité, consiste par exemple à planter des épines dans une
poupée ressemblant à un ennemi pour lui porter atteinte ; la magie contagieuse, régie par le principe
de contact, consiste à prendre une partie du corps d’un ennemi, comme ses ongles ou ses cheveux,
pour que le traitement infligé à la partie soit ressenti par tout le corps de son possesseur. Comme
Tylor, Frazer fait donc de la magie une mauvaise association d’idées; c’est pourquoi il caractérise la
magie comme « sympathique » au sens où elle postule des rapports entre les choses qui n’existent
pas réellement. Mais chez Frazer, la magie n’est pas une simple vision du monde comme chez Tylor :
elle a une véritable efficacité du fait de son intervention dans des rituels de souveraineté. Dans une
société où le roi est magicien et où tous les rapports entre les choses sont gouvernés par des principes
de sympathie, la magie n’est plus seulement une fausse science, mais elle joue un rôle politique.
C’est peut-être cette prise en charge du politique qui est à l’origine de la diffusion des écrits de Frazer
en France, beaucoup plus massive que celle de Tylor.

5 Cf.S.Tambiah, Magic, Science, Religion and the Scope of Rationality, Cambridge, Cambridge Universi (...)

6Les théories de Tylor et de Frazer ont constitué le problème de la magie comme un problème
anthropologique en refusant d’expliquer la magie par le recours à des entités invisibles et en reliant
la diversité de ses applications empiriques à l’unité de principes qui sont ceux de l’esprit humain, en
comparaison avec ces autres produits de l’esprit humain que sont la religion et la science. C’est la
prise en compte de la magie comme un phénomène global, à partir d’un investissement total de
l’esprit humain dans ses productions, qui fait de ce moment anthropologique un moment fondateur.
On a pu ainsi considérer que Lévi-Strauss a repris les lois d’imitation et de contiguïté de Frazer en
les reformulant à partir des distinctions entre métaphore et métonymie proposées par Jakobson 5.
Mais Lévi-Strauss ne fera plus de ces principes des lois d’association entre les idées mais des termes
structuraux, c’est-à-dire qu’il ne les rapportera pas seulement à une organisation mentale mais aussi
à des structures sociales. Ici se marque toute la différence entre l’approche intellectualiste de Tylor
et Frazer et la démarche sociologique qui va la remplacer. Tylor et Frazer restaient prisonniers d’un
schéma de progrès intellectuel hérité des Lumières selon lequel la magie devait être dépassée par la
religion et la science, et d’une psychologie individualiste et associationniste qui ne pouvait interpréter
d’autres formes de pensée que comme des erreurs. Or si l’on rapporte la magie à des contextes
sociaux, on ne la considérera plus comme une déviation par rapport à une organisation mentale
normale. L’anthropologie, en se constituant comme science sociale, en France et en Angleterre, a
donc rompu avec ces pères fondateurs en cherchant le mode de cohérence de la magie non plus
dans une organisation mentale mais dans un contexte social. On peut, à partir de ce point d’accord,
tracer une double orientation, qui ouvre aux traditions anglaise et française sur la magie : soit on
cherche la cohérence de la magie dans une pratique, c’est-à-dire dans un contexte pragmatique
d’élocution, soit on la cherche dans une forme de pensée totale, c’est-à-dire dans une organisation
sociale de la pensée. Cette opposition est pour l’instant grossière et devra être raffinée, mais elle
permettra de comprendre la différence entre les approches de Malinowski et Evans-Pritchard d’une
part, Mauss et Lévi-Strauss de l’autre.

6 B. Malinowski, Les Jardins de corail, Paris, Maspero, 1974 (Coral Gardens and their Magic, Londres (...)

7La démarche de Malinowski consiste à poser le problème de la magie sur le terrain, c’est-à-dire par
une observation participante de ceux qui opèrent la magie. Malinowski a en effet introduit
l’observation de terrain en anthropologie, notamment par ses travaux sur les Trobriandais du
Pacifique, dont il a tiré en particulier un ouvrage sur la magie, Les Jardins de corail6. Dans cet
ouvrage, Malinowski propose une théorie ethnographique du langage de la magie, qui consiste à
replacer les énoncés magiques (spells, incantations) dans les contextes pratiques où ils prennent
sens. Le problème que pose Malinowski est celui de la traduction des énoncés magiques : il s’agit de
« ramener à la maison » (« bring home to the English reader ») l’énoncé magique, et ainsi d’en
atténuer l’étrangeté. Tout le problème est alors pour Malinowski de distinguer les énoncés magiques
des énoncés de sens commun en fonction des contextes dans lesquels ils sont insérés. Les énoncés
magiques ne diffèrent en effet des énoncés du « sens commun » que par un ajout final, par exemple :
« aujourd’hui nous pénétrons dans le jardin, kay ! » La difficulté de cette théorie consiste à donner
sens à des mots dépourvus de sens (abracadabra, sésame, kay), en les rattachant aux énoncés qu’ils
modifient. La notion de contexte est alors essentielle pour fonder cette observation des conditions
pragmatiques d’élocution qui est la véritable invention de Malinowski, et qui lui permet, pour la
première fois, de prendre la magie au sérieux :

7 B. Malinowski, Coral Gardens and their Magic, p. 215 (ma traduction).


« Partons de la finalité de la magie. Elle est imaginaire de notre point de vue, mais est-ce une raison
pour la considérer comme non-pertinente d’un point de vue social et culturel ? Certainement pas. La
magie se produit dans un monde qui lui est propre, mais ce monde est réel pour les indigènes. Il exerce
par conséquent une profonde influence sur leur comportement, et par suite il est également réel pour
l’anthropologue. La situation de la magie – et par ce mot j’entends la scène d’action remplie d’influences
et d’affinités sympathiques et toute pénétrée de mana – cette situation forme le contexte des
incantations. Elle est créée par la croyance indigène, et cette croyance est une force sociale et culturelle
très puissante. Par conséquent nous devons essayer de replacer les énoncés de la magie à l’intérieur des
contextes appropriés de la croyance indigène, et voir quelle information nous pouvons en tirer qui nous
aiderait à comprendre les incantations et à élucider les mots. »7

8 Op. cit., p. 232. Selon Piaget, l’enfant s’approprie le monde magiquement parce qu’il n’a pas la f (...)

9 C’est ce que remarque S. Tambiah, qui fonde toute son interprétation de la magie sur le caractère (...)

10 B. Malinowski, Magic, Science and Other Essays, New York, Doubleday, 1948.

8Malinowski ne parvient cependant pas à une compréhension de la spécificité de la magie, car il la


rabat sur la technique. Ce qu’il remarque en effet, c’est que la magie est utilisée dans des activités
qui font l’objet d’une grande attention et d’une grande perfection technique, comme la fabrication de
pirogues ou la culture des yams et des taros. La magie n’est pas une fausse science ou une technique
illusoire, elle est un supplément verbal à la technique pour que celle-ci atteigne une forme de
perfection. Malinowski retrouve ici des analyses couramment faites à son époque sur la magie comme
signe d’une faiblesse dans l’activité humaine et palliatif de cette faiblesse, et il fait référence aux
travaux de Piaget sur la mentalité magique de l’enfant8. Mais il élargit cette réflexion à une analyse
linguistique qui anticipe par beaucoup d’aspects la théorie des actes performatifs de langage d’Austin,
selon laquelle il y a une force dans l’énoncé magique qui est une action par elle-même9. Ceci conduit
Malinowski à reprendre le problème de la magie sous l’angle de la religion dans un ouvrage
tardif, Magic, Science and Other Essays10, puisqu’il faut saisir d’où vient cette force de l’énoncé
magique. Tout le problème est en effet de comprendre pourquoi certaines activités techniques font
l’objet d’énoncés magiques, comme la fabrication de pirogues ou la culture des taros, et d’autres
non, comme la culture des noix de coco. Malinowski répond que les activités techniques qui relèvent
de la magie font l’objet d’une valorisation par la société, qui les considère comme des activités
sacrées. La dichotomie sacré/profane est ainsi ce qui permet de distinguer magie et religion d’une
part, science de l’autre.

11 Cf. C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 26-29.

9L’analyse linguistique des énoncés magiques conduit donc Malinowski à réinscrire la magie dans les
contextes d’utilisation de la magie, c’est-à-dire dans la diversité des activités techniques et de leurs
valorisations. La démarche ethnographique de Malinowski permet ainsi de renoncer au schéma
évolutionniste en montrant comment magie, science et religion sont trois éléments qui fonctionnent
à l’intérieur de chaque société en réponse à des besoins humains universels. Mais la vision de la
nature humaine qui commande cette analyse conduit cependant Malinowski à mettre la magie
davantage du côté de l’activité technique, dans une perspective utilitariste que critiquera notamment
Lévi-Strauss : en disant que la magie fonctionne dans des contextes, on n’a pas encore compris les
différentes façons dont elle fonctionne11. Par ailleurs, cette analyse a pour mérite de poser une
distinction entre les énoncés de sens commun et les énoncés magiques, mais elle ne pose pas le
problème du passage des premiers aux seconds. Tout l’intérêt de la démarche d’Evans-Pritchard
consiste alors à poser ce problème, en élargissant le cadre d’analyse des énoncés magiques des
seules activités techniques au problème plus général du malheur.

12 Cf. E. Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford, Clarendon Press, 1965.

10Evans-Pritchard se rattache au fonctionnalisme et à l’observation de terrain qui ont été la marque


de Malinowski sur l’école anthropologique anglaise, mais il est aussi influencé par les analyses de
Lévy-Bruhl sur la mentalité primitive12. Ce qu’Evans-Pritchard cherche dans ses analyses de la magie
chez les Azandés du Soudan, c’est un type de perception du monde qui n’est pas le nôtre, et qui est
selon lui lié à ce qu’il appelle, suivant Lévy-Bruhl, des notions mystiques. Mais cela ne signifie pas
une régression par rapport à la démarche scientifique de Tylor et une réintroduction d’entités
invisibles ; Evans-Pritchard ne cherche pas des faits mystiques comme des états de transe ou de
vision, mais, fidèle à la méthode de Malinowski, il analyse comment des notions mystiques prennent
sens dans des énoncés liés à un contexte social différent du nôtre. Evans-Pritchard reprend la notion
de situation qui apparaissait chez Malinowski, et pose la question : dans quelles situations la magie
est-elle invoquée ? Sa réponse est : dans des situations de malheur. Le malheur est tout événement
qui vient perturber la vie sociale et qui ne peut pas être expliqué par des mécanismes connus. Le
malheur couvre donc plus que la sphère de la technique : il est la part de l’action humaine qui ne
peut pas être contrôlée par la technique. En concentrant son attention sur la façon dont les Azandés
réagissent à ces situations de malheur, Evans-Pritchard analyse l’ensemble des chaînes d’action
mises en œuvre pour annuler le malheur. La magie n’est donc plus un univers mental, ni une simple
énonciation : elle est un ensemble d’actions et d’énoncés qui répondent à certaines situations.

13 Cf. E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, Paris, Gallimard, 1972 (Wi (...)

14 Jeanne Favret-Saada a développé cette idée en la liant à une perspective lacanienne dans son livre (...)

11L’analyse d’Evans-Pritchard consiste alors à dissocier ce qu’on appelle magie en trois moments,
qui sont eux-mêmes distingués par les Azandés : la sorcellerie, les oracles et la magie13. La
sorcellerie est une procédure d’accusation permettant d’expliquer une situation de malheur. Si un
homme bute sur une souche plantée en terre, il pensera qu’il a été ensorcelé; cela ne veut pas dire
qu’il ne comprend pas que c’est la souche qui l’a fait chuter, car le sens commun permet de
comprendre cela, mais il explique par là qu’il ait chuté sur cette souche-ci alors qu’il a l’habitude de
ne pas chuter sur les souches ; c’est donc qu’il a été ensorcelé, puisque son attention a baissé. Pour
qu’il y ait sorcellerie, il n’est donc pas besoin qu’il y ait des sorciers, c’est le sentiment d’être ensorcelé
qui est premier14. On voit alors que la croyance à la sorcellerie est quelque chose de parfaitement
ordinaire : celui qui croit qu’il est ensorcelé n’a pas peur, comme le croyait Frazer, mais il est en
colère contre celui qui l’a ensorcelé ; il rentre dans un régime d’explication du monde qui est
fréquemment utilisé. Evans-Pritchard note d’ailleurs que lui-même avait recours à ce genre
d’explication par la sorcellerie après un long séjour chez les Azandés. Le deuxième moment est celui
du recours aux oracles, qui consiste à donner du poison à des volailles en posant une question dont
la réponse positive ou négative dépend de la mort ou de la survie du volatile. L’oracle permet ainsi
de désigner qui est le sorcier, et donc d’aller le voir pour lui demander d’arrêter son action maléfique.
Le troisième moment est alors celui du recours à la magie proprement dite, qui consiste en l’utilisation
de médecines pour guérir ou nuire à quelqu’un. À la différence de la sorcellerie, qui repose seulement
sur l’accusation ou l’attribution d’une mauvaise intention, la magie est donc bien réelle puisqu’on
peut observer le recours à des médecines par les individus : à la circulation des accusations succède
la circulation des produits magiques. C’est ici que se réintroduit la figure du magicien, qui fournit les
produits magiques, et on considérera qu’il y a de bonnes ou de mauvaises magies selon que
l’intention du magicien est de nuire ou de guérir.

12Le grand intérêt de cette analyse est d’introduire une plasticité des formes de magie en fonction
des situations. La magie ne nous apparaît contradictoire que parce que nous en prenons une vue
abstraite et théorique hors des situations pratiques où elle fonctionne. La magie fonctionne toujours
par fragments dans des chaînes d’action et non comme un mode d’explication total :

15 Evans-Pritchard, op. cit., p. 607. Une telle réflexion sur les contradictions apparentes au seul r (...)

« Je n’ai cessé de souligner la cohérence des croyances zandé quand on les considère dans leur
ensemble et quand on les interprète en fonction des situations et des relations sociales. J’ai tenté aussi
de montrer la plasticité des croyances dans les diverses situations. Ces croyances ne sont pas des
structures indivisibles d’idéation, mais des associations de notions plutôt décousues. Quand un écrivain
les rassemble dans un livre et les présente comme un système conceptuel, insuffisances et contradictions
apparaissent aussitôt. Dans la vie réelle, ce n’est pas comme un tout qu’elles fonctionnent, c’est en
fragments. Placé dans une certaine situation, un homme choisit dans les croyances celles qui lui
conviennent, et les utilise sans prêter la moindre attention aux autres éléments, alors qu’il pourra lui
arriver de s’en servir dans des situations différentes. Il s’ensuit qu’un même événement peut remuer
chez différentes personnes un certain nombre de croyances diverses et contradictoires. »15

13La notion de situation permet également de concilier l’existence d’un sens commun et le recours
à des notions mystiques, et donc d’introduire la possibilité d’un scepticisme par rapport à la magie.
Telle situation, comme la souche dans la terre, fera immédiatement recourir à l’idée de la sorcellerie ;
telle autre ne permet pas d’y recourir, à moins de passer pour un tricheur. Ainsi, celui qui recourt à
l’argument de la sorcellerie pour justifier un adultère sera l’objet de la risée de tous si l’on sait qu’il
est coutumier de ce genre d’écarts, et Evans-Pritchard note avec humour que le seul qu’il parviendra
à convaincre sera l’ethnographe lui-même. Il y a donc une sorte de sens commun de la magie, qui
permet de juger de façon critique dans quelle situation celle-ci peut être invoquée et dans quelle
autre elle ne le peut pas. Evans-Pritchard montre par exemple que les questions posées aux oracles
permettent toujours de contourner la question de l’efficacité : on pose à l’oracle la question de son
efficacité avant de lui poser une question sur une situation de malheur, et cette question est formulée
en des termes tels que la réponse de l’oracle ne peut pas être vérifiée ; on demandera : « si je plante
des graines dans tel champ à tel moment, aurai-je une bonne récolte ? », et non « aurai-je une
bonne récolte cette année ? ». L’oracle dit ce qu’il ne faut pas faire plutôt qu’il ne prédit ce qui va
arriver. Si l’oracle ne donne pas le résultat escompté, on redonne du poison à la volaille en lui
demandant si elle est un bon oracle.

16 Cet argument a été repris et développé par Jack Goody dans La Raison graphique, Paris, Minuit, 197 (...)

14Tout le problème pour Evans-Pritchard est alors de comprendre pourquoi ce sens critique dans
l’utilisation de la magie ne débouche pas sur une critique générale de la magie. Les Azandés déploient
des stratégies rationnelles dans l’utilisation de notions mystiques, mais ils ne retournent jamais cette
rationalité contre les notions mystiques elles-mêmes. Evans-Pritchard propose plusieurs réponses à
ce problème. Il note d’abord que ce qui apparaît comme contradictoire aux yeux de l’ethnologue ne
l’est que parce qu’il note sur un même papier des résultats qui sont donnés dans des situations
différentes, et il en conclut que c’est l’écriture qui permet de percevoir les contradictions du mode
de pensée magique. L’écriture substitue une totalisation théorique aux logiques souples de la
pratique, et elle permet de voir des contradictions logiques qui n’apparaissaient pas dans la
pratique16. Il note aussi que, sous l’influence de la colonisation européenne, la magie a cessé
d’influencer toute la vie sociale des Azandés et s’est retranchée dans des associations secrètes, qui
peuvent alors être contestées par le reste de la société, alors que la croyance à la magie était jusque-
là partagée par toute la société. Il note enfin qu’une telle influence de la magie n’est possible que
dans une société reposant sur l’autorité d’un roi, car toutes les contestations de la magie sont
résolues au niveau du roi qui procède à des oracles tranchant les conflits en dernière instance. Ce
sont donc des transformations dans le mode de transmission du savoir, dans les rapports avec
l’extérieur et dans l’organisation politique qui expliquent la critique de la magie en général.

17 Un tel intérêt pour les phénomènes de transe apparaît clairement dans les écrits des surréalistes(...)

15La tradition anthropologique anglaise a donc eu pour geste principal d’introduire la question de la
magie dans une analyse des situations ordinaires, posant ainsi le problème d’une conciliation de
l’ordinaire et du sacré, du sens commun et de la magie. L’intérêt d’une telle analyse est de laisser
de côté la figure de l’individu magicien, toujours soupçonné de leurrer les autres individus. En
transposant l’analyse de la magie au niveau d’une société, elle pose le problème de la coexistence
dans cette société du scepticisme et de la croyance à la magie. La résolution de ce problème est
fournie par une analyse des énoncés dans la plasticité des contextes où ils prennent sens, activités
techniques pour Malinowski, situations de malheur pour Evans-Pritchard, et donc par une analyse de
pratiques toujours fragmentaires dans des sociétés qui ne connaissent pas de mode de totalisation
théorique. La spécificité de l’approche française du problème de la magie est à l’inverse de se tourner
vers l’individu magicien pour comprendre comment un phénomène social s’exprime à travers lui, y
compris à travers ces formes très violentes que sont la transe ou le rite, qui étaient jusqu’alors
interprétées comme une superstition ou un débordement d’affectivité 17. L’opposition entre
l’approche anglaise et l’approche française est donc moins une opposition entre l’anthropologie de
terrain et l’anthropologie de cabinet, ou entre la plasticité des pratiques et la totalisation théorique,
qu’une opposition de problèmes théoriques posés à l’occasion de la magie, et qui viennent donc de
plus loin que le problème spécifique de la magie. Ce que la tradition française a cherché dans le
problème de la magie n’est pas une conciliation de l’ordinaire et du sacré, ou du scepticisme et du
fonctionnalisme, mais plutôt une conciliation de l’individuel et du social, de l’affectif et du rationnel.
On peut aborder à présent cette opposition à partir des textes de Mauss et de Lévi-Strauss.

18 M Mauss et H. Hubert, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’Année Sociologique 7, 190 (...)

19 La solution du para-normal avait été retenue par Ernesto de Martino dans Le Monde magique, récemme (...)

20 Cf. E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1998, p. 430.
16L’Esquisse d’une théorie de la magie de Hubert et Mauss s’inscrit en effet dans une réflexion sur
le rapport de l’individu et du collectif18. Mauss part du fait que la magie est toujours effectuée par
un individu isolé et marginal, mais que ce qui s’exprime en lui est la pression de la société qui croit
en la magie. L’efficacité de la magie est donc morale et non physique, sociale et non individuelle, elle
est le produit d’une croyance collective et non le fait d’une mauvaise association d’idées comme le
voulait Frazer. Mauss tente d’établir la systématicité de la magie par-delà la diversité de ses rites et
de ses représentations, et c’est ici qu’il introduit la notion de mana, ce mot utilisé par les Mélanésiens
dans leurs rituels magiques et qui semble désigner la force du social. Tout le problème est alors de
décrire cette force du social sur l’individu sans en faire un phénomène para-normal19 : il s’agit de
comprendre comment un phénomène qui est anormal si on se place du point de vue de l’individu (la
transe, l’action à distance sur les corps) devient normal si on l’interprète du point de vue de la société
qui y croit. Mais cela suppose de comprendre la nature de la relation entre l’individuel et le collectif,
et en cela la magie pose un problème théorique essentiel dans la sociologie française, car elle oblige
à décrire de façon plus complexe que ne l’avait fait Durkheim l’action du social sur l’individu. Il est
notable en effet que Durkheim n’ait consacré que quelques pages dans Les Formes élémentaires de
la vie religieuse à la magie, qu’il dérivait de la religion comme véritable origine au lieu d’en faire la
source fausse comme chez Frazer ; pour Durkheim, la magie est un impératif hypothétique (Si tu
veux ceci, alors fais cela) alors que la religion est un impératif catégorique (Adore ton Dieu, c’est-à-
dire : respecte la société)20. La spécificité de l’approche de Mauss est de ne pas penser la relation
du social à l’individu comme une contrainte mais comme une expression de forces différenciées. On
comprend alors que la différence entre ces deux approches apparaisse dans l’interprétation
du mana : Durkheim y voit la substance du tout social, alors que Mauss le décrit comme un ensemble
de différences de potentiel, et de potentiel d’action : le mana est un verbe et non un nom. Mauss
renonce donc à une substantialisation du social, qui ne permettrait pas de comprendre la spécificité
du phénomène magique, pour voir comment le social s’exprime à travers des différences de potentiel
dans l’action de ces individus particuliers que sont les magiciens. La magie est une classification des
choses, un jugement synthétique a priori, dit Mauss, que la société postule pour agir sur la nature,
et qu’elle actualise à travers les individus magiciens. La magie n’est donc pas une unification du
monde dans le miroir du social, elle établit des différences et des contrastes. Il est essentiel que,
dans son analyse, Mauss ajoute aux deux lois de contagion et de ressemblance chez Frazer une loi
des contrastes : la magie ne rapproche pas ce qui est déjà proche, elle opère des découpes dans le
réel selon des différences, parce que la vie sociale est exigence de différences :

21 M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, p. 114.

« Ce que nous appelions place relative ou valeur respective des choses, nous pourrions l’appeler aussi
bien différence de potentiel. Car c’est en vertu de ces différences qu’elles agissent les unes sur les
autres. Il ne nous suffit donc pas de dire que la qualité de mana s’attache à certaines choses en raison
de leur position relative dans la société, mais il nous faut dire que l’idée de mana n’est rien autre que
l’idée de ces valeurs, de ces différences de potentiel. C’est là le tout de la notion qui fonde la magie, et
partant, de la magie. Il va de soi qu’une pareille notion n’a pas de raison d’être en-dehors de la société,
qu’elle est absurde au point de vue de la raison pure, et qu’elle ne résulte que du fonctionnement de la
vie collective. »21

17On est ici très proche des analyses de Lévi-Strauss, et Mauss compare d’ailleurs lui-même la magie
aux phénomènes linguistiques lorsqu’il la décrit comme un système de différences. Lévi-Strauss
reprend en effet les intuitions de Mauss, mais il ajoute une notion qui les clarifie : celle de symbolique.

22 C. Lévi-Strauss, « Le sorcier et sa magie » et « L’efficacité symbolique », inAnthropologie struc (...)

23 Cf. C. Lévi-Strauss, « Introduction à M. Mauss », Sociologie et Anthropologie, op. cit., p. XLIX.

18Lévi-Strauss a consacré deux textes à la magie en 1949, qui sont parmi les plus audacieux et les
plus problématiques de ce qui est alors son structuralisme conquérant 22, puisqu’il vise à résoudre
par la notion de structure symbolique le mystère de l’efficacité des pratiques magiques. Ce qui restait
peu clair chez Mauss, c’est de savoir comment un rituel dans lequel le social exerce une pression
peut avoir un effet sur le corps d’un individu. Lévi-Strauss élimine d’emblée le problème du
charlatanisme, puisqu’il prend pour exemple un Indien sceptique qui se fait initier à la magie pour
en montrer la fausseté, et qui finit par pratiquer la magie qu’on lui a enseignée en étant certain
qu’elle est meilleure que d’autres types de magie. Il n’y a donc pas au départ un charlatan qui tente
de faire croire la société à l’efficacité de sa magie, mais un ensemble de croyances diffuses sur la
magie, partagées au même niveau par le futur sorcier et par le reste de la société. Ce qu’il s’agit de
comprendre, c’est comment cette vague croyance à la magie, cet ensemble diffus de sentiments
collectifs, peut devenir une véritable expérience. Il faut pour cela que la croyance se cristallise dans
un schème, c’est-à-dire que la magie actualise une structure qui est d’ordre intellectuel, et qui est
autant une structure sociale qu’une structure cosmologique. Cette structure se reflète dans ce que
Lévi-Strauss appelle à la suite de Mauss le complexe shamanistique, qui unit le shaman, l’individu
qu’il guérit et la société, qui les soutient de sa croyance et qui en même temps trouve un intérêt vital
à leur interaction. Sont mises ainsi en rapport, sous le regard de la société, une pure activité, le
sorcier, et une pure passivité, le malade, c’est-à-dire d’un côté un trop-plein d’énergie et de l’autre
un trop peu d’énergie. Cette opposition renvoie pour Lévi-Strauss à l’opposition constitutive de la
nature humaine, qui est apparue avec le langage, entre une pensée qui signifie trop et un monde qui
ne signifie jamais assez. Le magicien rejoue donc sous le regard de la société la scène primitive de
rencontre de l’homme avec le monde, dans laquelle l’homme éprouve un trop plein de signifiants
qu’il doit épuiser en cherchant les signifiés qui leur correspondent dans le monde ; d’où la
réinterprétation du mana comme un signifiant flottant, analogue à « machin » ou « truc » dans
l’introduction au recueil de textes de Mauss23. La magie est donc d’abord d’ordre intellectuel, elle
est une situation d’interlocution angoissée avec le monde :

24 C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, p. 211.

« Si cette analyse est exacte, il faut voir dans les conduites magiques la réponse à une situation qui se
révèle à la conscience par des manifestations affectives, mais dont la nature profonde est intellectuelle.
Car seule l’histoire de la fonction symbolique permettrait de rendre compte de cette condition
intellectuelle de l’homme, qui est que l’univers ne signifie jamais assez, et que la pensée dispose
toujours de trop de significations pour la quantité d’objets auxquels elle peut accrocher celles-ci. Déchiré
entre ces deux systèmes de références, celui du signifiant et celui du signifié, l’homme demande à la
pensée magique de lui fournir un nouveau système de référence, au sein duquel des données jusqu’alors
contradictoires puissent s’intégrer. »24

19Mais comment alors comprendre que ces rapports intellectuels entre signifiants et signifiés
puissent avoir une efficacité sur l’organisme du malade ? C’est à cette question que répond Lévi-
Strauss par la notion d’efficacité symbolique. Analysant un mythe récité par un shaman pour favoriser
un accouchement, et dont les différentes étapes correspondent à un voyage du shaman à travers le
corps de la femme, il observe que la structure intellectuelle du mythe correspond à la structure
organique du corps à soulager. La fonction symbolique n’est alors rien d’autre que cette
correspondance entre des structures de nature différente, dont Lévi-Strauss va jusqu’à supposer
qu’elle reflète le caractère structuré du cerveau et du monde. Le symbolique joue donc le rôle
d’intermédiaire entre l’affectif et l’intellectuel, entre la structure du corps et la structure linguistique,
entre l’individuel et le social. Dire que la magie est symbolique, ce n’est donc pas nier son efficacité,
c’est au contraire expliquer son efficacité sans recourir à l’hypothèse d’un psychisme agissant
directement sur l’organisme : c’est intercaler entre le psychisme du magicien et le corps qu’il guérit
l’ensemble des structures (sociales, linguistiques, cosmologiques, en un mot symboliques) que cette
relation met en jeu. C’est donc faire de la magie un rapport structuré au monde, une façon de donner
sens au monde, et de participer au sens que le monde prend pour lui-même.

20On voit donc que chez Lévi-Strauss la magie est plus proche de la science que de la religion, elle
est une façon de structurer le monde qui a la même dignité que la science moderne. Il n’est alors
pas étonnant de voir revenir le triangle magie-religion-science dans La Pensée sauvage. Il est à noter
que Lévi-Strauss cite ici à la fois Evans-Pritchard et Mauss dans un texte qui est une critique sévère
de l’évolutionnisme de Tylor et Frazer :

25 C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 23 s.

« La pensée magique, cette ‘gigantesque variation sur le thème du principe de causalité’, disaient Hubert
et Mauss, se distingue moins de la science par l’ignorance ou le dédain du déterminisme que par une
exigence de déterminisme plus impérieuse et plus intransigeante, et que la science peut, tout au plus,
juger déraisonnable et précipitée (citation d’Evans-Pritchard). Entre magie et science, la différence
première serait donc, de ce point de vue, que l’une postule un déterminisme global et intégral, tandis
que l’autre opère en distinguant des niveaux dont certains, seulement, admettent des formes de
déterminisme tenues pour inapplicables à d’autres niveaux. Mais ne pourrait-on aller plus loin, et
considérer la rigueur et la précision dont témoignent la pensée magique et les pratiques rituelles comme
traduisant une appréhension inconsciente de la vérité du déterminisme en tant que mode d’existence des
phénomènes scientifiques, de sorte que le déterminisme serait globalement soupçonné et joué, avant
d’être connu et respecté ? Les rites et les croyances magiques apparaîtraient alors comme autant
d’expressions d’un acte de foi en une science encore à naître.»25

26 Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss présente la magie comme un problème de classement : il s’agit (...)

27 Op. cit., p. 26 : « On se priverait de tout moyen de comprendre la pensée magique si l’on prétenda (...)

21Dire que la magie est un acte de foi en une science encore à naître, ce n’est pas dire comme Tylor
et Frazer que la magie est l’origine fausse et affective d’une science vraie et rationnelle. Au contraire,
la magie est entièrement rationnelle, puisqu’elle opère des systèmes de classification détaillés et
rigoureux26, et elle connaît « la vérité du déterminisme », puisqu’elle veut tout expliquer de ce que
la science moderne doit diviser en niveaux pour en établir les déterminations. Si la magie anticipe la
science, c’est au sens où elle cherche à établir des rapports entre les choses dans une vision
systématique du monde, et Lévi-Strauss note que ces rapports établis par la magie peuvent être
retrouvés par la science, comme lorsque l’armée américaine utilisa les classifications des plantes des
Indiens pour leurs techniques de déshydratation des aliments. C’est pourquoi la magie, au lieu d’être
la strate enfouie par la science, en est plutôt « l’ombre »27, tantôt derrière la science et tantôt
devant. Il s’agit là de deux systèmes de pensée qui peuvent se recouper ou s’éloigner, mais qui ont
chacun une cohérence égale. Ce qui a permis à la science de l’emporter sur la magie, c’est qu’elle a
opéré sur des éléments plus simples, les qualités premières (quantité, étendue…), pour remonter
ensuite aux phénomènes les plus complexes, alors que la pensée magique est partie des qualités
secondes (saveur, couleur, contact…), qui sont les phénomènes les plus complexes et que la science
moderne commence à peine à retrouver dans la chimie. Mais en droit ces deux systèmes de pensée
ont une cohérence égale et un fonctionnement différent.

28 C. Lévi-Strauss, Du miel aux cendres, Paris, Plon, 1966, p. 408.

22Mais alors se pose le problème du passage de la magie à la science. Comment expliquer que dans
certaines sociétés cette rationalisation des qualités secondes qu’est la magie ait cédé la place à une
rationalité plus modeste, qui part des qualités premières, et qui de là rejoint l’ensemble des
phénomènes ? Sur ce point Lévi-Strauss ne se prononce pas. Bien plus, c’est le caractère
énigmatique de ce passage qui sert de preuve à sa thèse selon laquelle la magie n’est pas une science
fausse mais un autre mode de rationalité. Il désigne en effet cette énigme sous le nom de « paradoxe
néolithique » : le développement de techniques comme la poterie, le tissage, l’agriculture et la
domestication des animaux remonte à la période néolithique, c’est-à-dire à un moment où la pensée
est essentiellement magique, et donc des siècles avant la naissance des sciences modernes en Grèce.
Le fait que la pensée magique se soit arrêtée au néolithique est la preuve pour Lévi-Strauss qu’elle
avait alors atteint un développement achevé, qu’elle avait exprimé toutes ses possibilités comme
système total d’explication du monde, et qu’elle n’avait nul besoin de la science. Mais alors comment
comprendre que la science soit née en Grèce au Ve siècle ? Sur ce point, Lévi-Strauss ne fait que
quelques allusions, et lorsqu’il y revient au terme du deuxième tome de Mythologiques, dans lequel
l’analyse des mythes a pu exhiber une « logique des relations » proche des mathématiques grecques,
il refuse de voir là une transition possible du mythe à la science et conclut : « Une recherche tout
entière tendue vers les structures commence par s’incliner devant la puissance et l’inanité de
l’événement. »28

29 Il est à noter que Lévi-Strauss cherche précisément à décrire une telle logique des fragments par (...)

23Au terme de ce parcours, on voit que l’anthropologie s’est posé le problème de la rationalité de la
magie et de son rapport avec une rationalité critique comme celle qui se produit dans la science.
L’évolutionnisme de Tylor et Frazer a le premier posé la question de la rationalité de la magie si on
la considère comme un système total, mais il en a fait une rationalité manquée, anticipant seulement
la rationalité critique et la menaçant toujours de ses violentes résurgences. L’anthropologie anglaise,
à partir de l’invention du terrain par Malinowski, a montré comment rationalité magique et rationalité
critique pouvaient coexister dans un même espace social, et comment, en fonction des situations,
on pouvait recourir à l’une ou à l’autre. Ce que découvraient ces observateurs de terrain comme
Malinowski et Evans-Pritchard, c’est que la rationalité de la magie est une rationalité pratique, c’est-
à-dire une rationalité qui assemble des fragments de discours prenant des sens différents selon les
situations sociales où ils sont intriqués. Cette rationalité pratique doit être distinguée d’une rationalité
théorique, qui prend sur la vie sociale une position de surplomb, et qui range ces fragments de
pensée magique que sont les énoncés et les actes rituels dans une totalité où ils perdent tout leur
sens. Mais la plasticité des situations obligeait alors l’analyse à suivre le cours sinueux de ces
pratiques en reconfiguration permanente, et faisait échouer l’effort pour mettre au jour cette logique
en elle-même29. L’anthropologie française, en partant de l’idée durkheimienne de l’origine sociale
de la logique, essayait de montrer dans le cas des rapports entre l’individu magicien et celui qu’il
guérit comment cette logique sociale prend corps dans une situation d’interaction. Mais il fallait alors
recourir à l’idée d’une structure totalisant un ensemble de différences et de relations, en perdant
ainsi la plasticité des pratiques au bénéfice d’une analyse purement théorique. À terme, l’analyse
structurale se rendait incapable de rendre compte du passage de la magie à la science, c’est-à-dire
d’une rationalité pratique à une rationalité théorique. Dans un cas, on accentuait l’analyse des
pratiques au détriment de leur logique ; dans l’autre, on privilégiait la mise à jour d’une logique au
détriment des pratiques.

30 Cf. J.-P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1962.

31 Cf. A. Laks, « Les origines de Jean-Pierre Vernant », Critique, mai 1998, n° 612, p. 268-282.

32 G.Lloyd, Magie, raison et expérience, Paris, Flammarion, 1984 (Magic, Reason and Experience, Studi (...)

33 J.-P. Vernant et M. Detienne, Les Ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, Paris, Flammarion, (...)

24On a grossi volontairement une telle opposition, car elle permet peut-être de comprendre des
divergences dues à l’existence de ces traditions anthropologiques différentes. Ainsi, la divergence
entre les analyses de Geoffrey Lloyd et de Jean-Pierre Vernant est symptomatique des différences
entre ces deux traditions. Jean-Pierre Vernant a posé le problème du passage du mythe à la raison,
analogue au problème du passage de la magie à la science, en termes de mutation brusque d’un
système de pensée à un autre30 ; il fallait donc pour décrire cette mutation analyser la production
de structures sociales et de structures de pensée nouvelles à partir de structures anciennes – tâche
difficile, et qui luttait sans cesse avec l’idée du miracle grec ou de la révolution d’un système à un
autre. À terme, on se retrouvait toujours soit dans un système soit dans un autre, désespérant de
se retrouver sur leur limite31. Geoffrey Lloyd a montré qu’il fallait au contraire analyser comment
s’opérait, dans des énoncés particuliers, le passage d’une rationalité de type magico-religieuse à une
rationalité de type scientifique32. Ainsi, analysant le fragment Des maladies sacrées, Lloyd montre
que, pour la première fois, la magie n’y est pas critiquée dans ses applications mais globalement,
avec un raisonnement par l’absurde du type : si la magie est vraie, alors toutes les maladies sont
voulues par les dieux, donc les dieux sont mauvais, ce qui est impossible. Le passage de la magie à
la science est donc rendu possible par une totalisation théorique d’énoncés qui restaient pris jusque-
là dans des situations pratiques. C’est donc à l’intérieur du mode de penser magique, par passage à
la limite, que se produit une rationalité scientifique et critique. Dans Les Ruses de l’intelligence33,
Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne ont d’ailleurs opéré un mouvement semblable en analysant
une rationalité pratique comme celle de la mètis des Grecs, rationalité qui n’est pas celle du mode
de penser positif inventé par la cité athénienne, mais qui possède sa propre cohérence interne.

25La divergence entre la tradition anglaise et la tradition française est donc l’indice d’un
problème, qui est celui de la logique de la pratique. Si la magie a constitué un objet anthropologique
fécond, c’est parce qu’elle donnait à voir une logique insérée dans la pratique. Dire que la magie est
une logique pratique, c’est revenir à son sens premier de volonté d’agir sur le monde, volonté d’action
qui est toujours partie prenante d’un ensemble de pratiques socialement acceptées ; mais c’est aussi
prendre en compte le fait que la magie, en voulant agir dans le monde, doit en suivre les lois, et
donc respecter une certaine logique. Le remplacement de la magie par la science ne serait donc pas
le remplacement de l’irrationnel par la rationalité mais celui d’une logique profondément enracinée
dans un contexte social par un système de lois valant en dehors de toutes pratiques socialement
déterminées. Il n’est pas sûr alors qu’une telle distinction sépare radicalement la magie de la
science ; elle est plutôt une coupure qui passe à l’intérieur de chaque science entre sa dimension
sociale et pratique et sa dimension universalisable et théorique, coupure continuée qu’on n’aurait
jamais fini d’effectuer. La magie viendrait alors toujours inquiéter la science comme le souvenir de
cette coupure avec la pratique qu’elle n’a jamais véritablement opérée.

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Notes

1 Cf. E.B. Tylor, La Civilisation primitive, 2 vol., Paris, Reinwald, 1876-1878 (Primitive Culture. Researches
into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art and Custom, Londres, Murray, 1871). Sur
Tylor et son rôle fondateur pour la tradition anthropologique anglaise, cf. G.W. Stocking, After Tylor, British
Social Anthropology, 1888-1951, Londres, Athlone, 1995.

2 C’est la fameuse notion de survivance pour laquelle Tylor est resté célèbre. Toute la recherche de Tylor
sur « la culture primitive » est animée par l’angoisse que les comportements primitifs fassent résurgence
dans le monde moderne. Sur ce point, cf. M. Detienne, L’Invention de la mythologie, Paris, Gallimard,
1981, p. 46.

3 Cf. J. Frazer, Le Cycle du rameau d’or, 12 vol., Paris, Geuthner, 1925-1935, rééd. Le Rameau d’or, 4
vol., Paris, Robert Laffont, 1981-1984 (The Golden Bough, A Study in Magic and Religion, Londres, Mac
Millan, 12 vol., 1911-1915).

4 Tylor et Frazer se réfèrent tous deux à la psychologie associationniste de Hume, selon laquelle l’esprit
associe les idées selon les principes de ressemblance et de contiguïté (auxquels Hume ajoute le principe
de cause à effet). Cf. D. Hume, Enquête sur l’entendement humain, Paris, Flammarion, 1983, p. 81.

5 Cf.S.Tambiah, Magic, Science, Religion and the Scope of Rationality, Cambridge, Cambridge University
Press, 1990, p. 53, et L. Scubla, Lire Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 73.

6 B. Malinowski, Les Jardins de corail, Paris, Maspero, 1974 (Coral Gardens and their Magic, Londres,
Georges Allen and Uwin, 2 vol., 1935). Sur la méthode de terrain de Malinowski, cf. B.De l’Estoile,
« L’invention du terrain », Sciences Humaines, Hors Série n° 23, Décembre 1998-Janvier 1999, p. 12-16.

7 B. Malinowski, Coral Gardens and their Magic, p. 215 (ma traduction).

8 Op. cit., p. 232. Selon Piaget, l’enfant s’approprie le monde magiquement parce qu’il n’a pas la force de
le contrôler réellement. Cf. J. Piaget, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris, Alcan, 1926.

9 C’est ce que remarque S. Tambiah, qui fonde toute son interprétation de la magie sur le caractère
performatif au sens d’Austin des énoncés magiques. Cf. S. Tambiah, op. cit., et « Form and Meaning of
Magical Acts, A Point of View », in R. Horton-R. Finnegan, Modes of Thought, Londres, Faber and Faber,
1973.

10 B. Malinowski, Magic, Science and Other Essays, New York, Doubleday, 1948.

11 Cf. C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 26-29.

12 Cf. E. Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford, Clarendon Press, 1965.

13 Cf. E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, Paris, Gallimard, 1972
(Witchcraft, Oracles and Magic among the Azandés, Oxford, Clarendon Press, 1937). Pour une présentation
stimulante d’Evans-Pritchard et de ses problématiques, cf. M. Douglas, Evans-Pritchard, Collins, Londres,
1970, et De la souillure, Paris, Maspero, 1971, chap. 4 (Purity and Danger, Londres, Routledge and Kegan
Paul, 1967).

14 Jeanne Favret-Saada a développé cette idée en la liant à une perspective lacanienne dans son livre
sur la sorcellerie dans le bocage normand : ce qui compte dans la sorcellerie, ce ne sont pas les actions du
sorcier mais la croyance qu’un sorcier a agi et les mots qui sont échangés dans une procédure infinie
d’accusation. La sorcellerie prend sens dans un triangle qui enserre celui qui se sent malade, celui qui dit
au premier qu’il est ensorcelé, et celui qui le désensorcelle. Dans ce triangle, l’ensorceleur joue le rôle du
Grand Autre dont on parle sans cesse mais qui n’apparaît jamais ; à la limite, il n’y a pas besoin de sorcier
pour qu’il y ait sorcellerie. Cf. J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le Bocage,
Paris, Gallimard, 1977.

15 Evans-Pritchard, op. cit., p. 607. Une telle réflexion sur les contradictions apparentes au seul regard
du théoricien est ici une critique implicite de Lévy-Bruhl et de sa notion de prélogique comme ce qui ignore
les contradictions.

16 Cet argument a été repris et développé par Jack Goody dans La Raison graphique, Paris, Minuit, 1979
(Titre original : The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 1977).

17 Un tel intérêt pour les phénomènes de transe apparaît clairement dans les écrits des surréalistes
comme Michel Leiris ou Georges Bataille (il faut noter que le texte de Lévi-Strauss intitulé « Le sorcier et
sa magie » est une discussion avec Leiris), mais il revient aussi chez des anthropologues plus classiques
comme Roger Bastide. On peut l’expliquer par l’intérêt pour les figures considérées comme pathologiques
d’hystériques et de mystiques à la fin du XIXe siècle en France.

18 M Mauss et H. Hubert, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’Année Sociologique 7, 1903
(reproduit dans Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1950). Sur Mauss, cf. B. Karsenti, L’Homme total.
Sociologie, anthropologie et philosophie dans l’œuvre de Marcel Mauss, Paris, PUF, 1997, notamment p.
222-244.

19 La solution du para-normal avait été retenue par Ernesto de Martino dans Le Monde magique,
récemment republié chez Synthélabo, 1999.

20 Cf. E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1998, p. 430.

21 M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, p. 114.

22 C. Lévi-Strauss, « Le sorcier et sa magie » et « L’efficacité symbolique », inAnthropologie structurale,


Paris, Plon, 1958. Pour une critique de la notion d’efficacité symbolique, cf. V. Descombes, La Denrée
mentale, Paris, Minuit, 1995, p. 143 s.

23 Cf. C. Lévi-Strauss, « Introduction à M. Mauss », Sociologie et Anthropologie, op. cit., p. XLIX.

24 C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, p. 211.

25 C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 23 s.

26 Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss présente la magie comme un problème de classement : il s’agit
pour le magicien qui veut guérir un mal de dents avec un bec de pic de déterminer si on peut « faire aller
ensemble » le bec de pic et la dent de l’homme, c’est-à-dire s’ils appartiennent à la même classe d’êtres
dans le monde (p. 21).

27 Op. cit., p. 26 : « On se priverait de tout moyen de comprendre la pensée magique si l’on prétendait
la réduire à un moment ou à une étape de l’évolution technique et scientifique. Ombre plutôt anticipant
son corps, elle est en un sens complète comme lui, aussi achevée et cohérente, dans son immatérialité,
que l’être solide par elle seulement devancé. »

28 C. Lévi-Strauss, Du miel aux cendres, Paris, Plon, 1966, p. 408.

29 Il est à noter que Lévi-Strauss cherche précisément à décrire une telle logique des fragments par sa
métaphore du bricolage.
30 Cf. J.-P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1962.

31 Cf. A. Laks, « Les origines de Jean-Pierre Vernant », Critique, mai 1998, n° 612, p. 268-282.

32 G.Lloyd, Magie, raison et expérience, Paris, Flammarion, 1984 (Magic, Reason and Experience, Studies
in theOrigin and Development of Greek Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1979).

33 J.-P. Vernant et M. Detienne, Les Ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, Paris, Flammarion, 1974.
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Pour citer cet article

Référence électronique
Frédéric Keck, « Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et
française », Methodos [En ligne], 2 | 2002, mis en ligne le 05 avril 2004, consulté le 14 mars 2019.
URL : http://journals.openedition.org/methodos/90 ; DOI : 10.4000/methodos.90
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Cet article est cité par

 Kalampalikis, Nikos. (2014) The magic of social thought. Public Understanding of Science, 23.
DOI: 10.1177/0963662514537586

 Laks, André. (2013) Phénomènes et références : éléments pour une réflexion sur la rationalisation
de l’irrationnel. Methodos. DOI: 10.4000/methodos.205

 Dousset, Laurent. (2016) La sorcellerie en Mélanésie. L Homme. DOI: 10.4000/lhomme.28929

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Auteur

Frédéric Keck
Université de Lille 3, UMR « Savoirs et textes »

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 Le primitif et le mystique chez Lévy-Bruhl, Bergson et Bataille [Texte intégral]

Paru dans Methodos, 3 | 2003

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