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Fabien Théofilakis1
1 Université de Montréal (Centre canadien d’études allemandes et européennes), professeur DAAD (Deutscher
Akademischer Austauschdienst) invité.
2 Voir Bettina Stangneth, Eichmann vor Jerusalem. Das unbehelligte Leben eines Massenmörders, Zürich-
Hambourg, Arche Literatur Verlag, 2011. Une partie des éléments de présentation des deux premières catégories
d’écrits en est tirée.
3 Avner Werner Less, Lüge ! Alles Lüge ! : Aufzeichnungen des Eichmann-Verhörers, rekonstruiert von Bettina
Stangneth, Zürich-Hambourg, Arche Verlag, 2012, p. 113.
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4 Le 29 août 1960, Avner Less relève dans son journal : « Cet homme n’a pas une âme de petit fonctionnaire ; chez lui, tout
n’est que tactique, ruse à la Loki [référence au dieu nordique Loki, maître dans l’art d’évoluer en vérité et mensonge],
pour nous embrouiller, nous, ses adversaires pour ainsi dire », A. W. Less, Lüge ! Alles Lüge !…, op. cit., p. 148.
5 L.W. Avner, Lüge ! Alles Lüge !…, op. cit., p. 116.
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6 Il sera publié sans appareil critique par le quotidien allemand Stern comme feuilleton d’été du 12 août au
4 septembre 1999. Quelques pages sont consultables sur le site des Israeli State Archives : http://www.archives.
gov.il/NR/rdonlyres/363453D3-6BC6-4A4F-99E0-D50F6BA2EF72/0/eichmemo1.pdf.
7 Il a été publié par le magazine britannique People du 30 avril au 28 mai 1961.
8 Le manuscrit est conservé aux Israeli State Archives, mais plusieurs sites en proposent des versions en ligne,
notamment http://www.schoah.org/shoah/eichmann/goetzen.htm.
9 « Les autres ont parlé, je veux maintenant parler ! », 1957.
10 Christian Gerlach, « The Eichmann Interrogation in Holocaust Historiography », Holocaust and Genocide Studies,
vol. 15, n° 3, hiver 2001, p. 428-452.
11 Irmtrud Wojak, Eichmanns Memoiren. Ein kritischer Essay, Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag, 2001.
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12 Bundesarchiv Koblenz (BArch K), Nachlaß Eichmann, N 1497, DAT 1747/ I A, cité par I. Wojak, Eichmanns
Memoiren..., op. cit., p. 89.
13 Christopher Browning, « Browning, Another Look at Adolf Eichmann », in Collected memories : Holocaust history
and postwar testimony, Madison, University of Wiscotin Press, 2003, p. 3-36.
14 Ibid., p. 36.
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par pays) ; de notes de lecture qui valent prise de position – voire accusation
contre les anciens soi-disant camarades –, comme pour l’ouvrage sur
Dr. Hans Globke, Aktenauszüge, Dokumente18 ; d’exposés en lien direct avec
la procédure, où l’on voit Eichmann devenir l’assistant de son avocat dans la
critique méthodique des quelque 1 600 documents produits par l’accusation
pour lesquels il rédige les questions à poser et les réponses qu’il fournirait,
dans l’élaboration d’une contre-interprétation des responsabilités nazies
dans la Shoah fondée sur une autre combinaison des preuves et légitimée
– croit-il – par l’abondant recours à la bibliographie existante sur le sujet,
par les conseils et suggestions qu’il prodigue à son avocat, l’encourageant
à adopter un autre système de classement de la documentation que celui
adopté par l’accusation.
On est loin d’une narration continue, voire choisie par l’accusé, caractéristique
des autres écrits d’Eichmann. Cela explique sans doute la variété des formats,
comme le montrent les extraits ci-dessous, du petit feuillet à la page A4,
ainsi que du soin apporté à leur mise en page : le plus souvent rédigés au
stylo à bille, ils peuvent être mis en valeur par des soulignements en couleur
15 BArch K, All Proz. 6. Il a été constitué en 1979 par l’achat à l’avocat de ses documents relatifs au procès. Une
grande partie d’entre eux se trouve en copie dans les archives israéliennes (Israeli State Archives et fonds de
l’International Institute for Holocaust Research à Yad Vashem).
16 BARch K, All Proz 6/165, p. 273.
17 BARch K, All Proz 6/164, p. 12.
18 BArch K, All Proz 6/171. Il s’agit de l’ouvrage de R.-M. Strecker, Dr. Hans Globke, Aktenauszüge, Dokumente,
Hambourg, Rütten und Loening, 1961. Juriste en poste, sous le IIIe Reich, au ministère de l’Intérieur, Globke participe à
l’élaboration des lois de Nuremberg qu’il commente. En 1953, il devient conseiller du chancelier Adenauer. Servatius,
à la demande de son client, veut le faire citer comme témoin. Ni Israël ni la RFA n'accèdent à cette requête.
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quand ils sont préparés à l’avance ou par des ratures et une écriture très
expressive lorsqu’ils sont réalisés en séance. L’un des traits frappants de cette
production frénétique est qu’elle se déploie également sur la feuille, donnant
une matérialité particulière à l’archive-objet : il n’est pas rare qu’après avoir
noirci plusieurs pages, Eichmann, par ajouts successifs, écrive entre les
lignes, puis dans les marges et finisse par faire des renvois. Cette écriture par
accumulation ininterrompue ne cherche sans doute pas tant à convaincre
qu’à avoir le dernier mot. La note choisie comme illustration donne à voir la
réaction d’Eichmann – par écrit – à la déposition du « Dr Meier » (pour Franz
Meyer), qui témoigne le 26 avril 1961 lors d’une séance consacrée aux Juifs
de Vienne.
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IVe Reich.
Pour l’historien qui travaille, 50 ans plus tard sur le procès, certains de ces écrits
offrent la possibilité de considérer l’évolution d’Eichmann entre l’Argentine
et Jérusalem, la fin de la guerre et 1961. En donnant du procès depuis les
coulisses de la défense – ces notes n’étaient pas destinées à être publiées –,
ils permettent de mieux suivre le double jeu, le double langage d’Eichmann,
comme lorsqu’il commente les témoins et peut-être de mieux comprendre
sa stratégie de défense comme ses relations avec son avocat. Elles font
partie des rares écrits de responsables nazis donnant une vue subjective et
personnelle sur la « Solution finale de la question juive » et le fonctionnement
du régime nazi, « la plupart des dirigeants nationaux-socialistes – comme le
relèvent justement Jürgen Matthäus et Frank Bajohr – se concevaient comme
des “hommes d’action” qui versaient peu dans la contemplation ou même la
réflexion critique, d’autant que ces qualités ne furent pas particulièrement
appréciées à l’intérieur du parti19 ». Enfin, les archives du procès Eichmann
contiennent toute une série d’écrits de nature diverse – commentaires,
dactylographiés ou manuscrits, discussions dans le cadre du cercle Sassen
à propos de leur publication dans Life, correspondance privée, courriers
administratifs réglant la succession d’Eichmann, réponses manuscrites au
questionnaire de Paris Match – qui montrent Eichmann soucieux jusqu’au
bout de l’image publique qu’il laissera.
19 Alfred Rosenberg, Die Tagebücher von 1934 bis 1944 (édité et commenté par Jürgen Matthäus et Frank Bajohr),
S. Fischer Verlag, Francfort-sur-le-Main, 2015, p. 16. Voir le compte rendu de l'ouvrage dans ce numéro, p. 359-36.
La version française du journal de Rosenberg paraît en septembre 2015 aux éditions Flammarion.
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20 Nous préparons pour 2016 un ouvrage sur le procès à partir des écrits de l’accusé. Nous nous permettons de
renvoyer à une première utilisation de ce corpus de Jérusalem : Fabien Théofilakis, « Adolf Eichmann à Jérusalem
ou le procès vu depuis la cage de verre (1961-1962) », dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire de Sciences Po,
n° 120/4, p. 71-85.
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