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mon maître
Parthasarathi
RAJAGOPALACHARI
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MON MAÎTRE
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French translation of the book titled :


Version française du livre intitulé :

My Master

Première édition 1986 : 4000 exemplaires.


Deuxième édition1991 : 5000 exemplaires.
Troisième édition mars 2009 : 500 exemplaires.

Publishers :
Shri Ram Chandra Mission
World Headquarters Chennai
Babuji Memorial Ashram
Manapakkam
Chennai 600116
India
www.srcm.org

SRCM
23 rue du cardinal Lemoine
75005 Paris

Mon Maître
© Shri Ram Chandra Mission 2008
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays.
Les termes « Shri Ram Chandra Mission » et « Sahaj Marg »,
ainsi que l’emblème de la Mission sont des marques déposées
par la Shri Ram Chandra Mission.

ISBN 2-906219-37-1
Parthasarathi
RAJAGOPALACHARI

MON MAÎTRE

2009
EDITIONS SRCM
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Préface

Dans la postface des éditions précédentes de ce livre, j’ai relaté l’ex-


périence qui m’a amené à l’écrire en 1974. Il est le résultat de ce que je
considère comme un ordre intérieur qui s’est manifesté en moi et venait de
mon Maître. Je vais maintenant essayer de raconter ce qui s’est passé avant
cela et qui expliquera peut-être pourquoi cet ordre du Maître m’est venu.

Début 1974, mon Maître fut gravement malade, au point de devoir


être finalement hospitalisé à Lucknow où il demeura presque un mois
dans un coma profond. Vu son âge avancé (il avait à l’époque soixante-
quinze ans), on craignait beaucoup, sans pour autant le dire, que sa fin
ne fût proche. Pour la plupart d’entre nous, ce fut un véritable miracle de
le voir reprendre connaissance, puis se rétablir.

J’eus le privilège de passer quelque temps auprès de lui durant son


hospitalisation. Je l’accompagnai également à Shahjahanpur à sa sortie
de l’hôpital de Lucknow et restai auprès de lui de nombreux jours, jusqu’à
ce que sa santé soit un peu meilleure après cette longue épreuve d’un
mois. C’est à cette période qu’il me révéla qu’il m’avait choisi pour être
son représentant spirituel et lui succéder comme président de la Mission,
le moment venu. Ce furent pour moi des jours très émouvants, au cours
desquels je versai fréquemment des larmes. Ce furent des jours bénis
au cours desquels le flot de son amour profond et éternel se déversait
doucement sur moi et m’enveloppait comme la brume d’une eau de source
dans un soleil éclatant. Ce furent aussi des jours d’extrême intimité et
proximité au cours desquels plus rien ne semblait nous séparer, excepté

VII
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nos deux identités. C’était comme s’il avait enlevé toute barrière entre
nous et nous étions ensemble dans un état de béatitude et d’unité dont il
serait peut-être difficile de faire l’expérience plus tard.

Ce fut une période d’extrême bonheur pour moi et étonnamment une


période d’extrême chagrin aussi, car je dus alors affronter la certitude
qu’un jour mon bien-aimé allait me quitter pour aller dans le Monde
lumineux. Cette certitude me brisa presque le cœur. Il la devina bien
sûr immédiatement et me réprimanda avec douceur d’avoir de telles
pensées : « Je vais être encore auprès de toi pendant de nombreuses
années. Ne t’inquiète pas de cela maintenant. Madame Davies m’a
dit que j’allais vivre jusqu’en 2006 ou 2007 et d’autres également
me l’ont dit. Je vais rester avec toi longtemps. Nous devons tous
partir un jour. Mais, je te le répète, ce moment est très éloigné. » Il
me réprimandait et me réconfortait ainsi. Néanmoins, je ne pouvais
supporter de penser au moment où il ne serait plus avec moi et ce
tourment secret commença à se manifester dans mon cœur et ne me quitta
jamais, jusqu’à devenir en 1983 une réalité d’une force dévastatrice qui
me hantera jusqu’à la fin de mes jours.

Lorsque je pris conscience de cela, je me mis à penser à ce que je


devrais faire pour tenter de Lui montrer mon amour, de lui exprimer ma
gratitude, car les présents que, par amour, il m’avait faits n’étaient pas
des moindres  ! Je ressassais continuellement cette idée jusqu’à ce que,
sous l’effet de la pression intérieure qui augmentait progressivement en
mon cœur, ce besoin devienne une obsession. C’est dans cet état d’esprit
et de cœur, qu’un jour, à Madurai, le miracle se produisit  : je reçus
intérieurement ses instructions et fus amené ainsi à écrire ce livre.

Je suis convaincu qu’une telle pression intérieure doit être créée par
nos propres efforts ; alors, son aide se cristallise en nous et tout devient
possible. Seul l’amour pour lui peut rendre cela possible.

Bangalore, le 8 mars 1989.


P. Rajagopalachari

VIII
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première partie

LE MAÎTRE
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Je suis une lampe pour toi qui Me contemples.


Je suis un miroir pour toi qui Me perçois.
Je suis une porte pour toi qui frappes chez moi.
Je suis un chemin pour toi, voyageur.

Hymne de Jésus, d’après les Actes apocalyptiques de Jean.


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La première révélation

Shri Vira Raghavan, précepteur responsable du centre de


Madras, me fit entrer dans la Mission à la fin du mois de mars
1964. Avant d’adhérer à cette grande organisation, je n’en avais
même pas entendu parler ! Shri Vira Raghavan et mon père étaient
devenus amis, partageant un intérêt commun pour l’homéo-
pathie. Il avait coutume de nous rendre visite de temps en temps,
généralement pour examiner mon fils et, à l’occasion, conseiller
un traitement lorsqu’il tombait malade. Notre contact était alors
tout à fait superficiel, se limitant à des échanges de politesses. Un
jour de février – jour ô combien fortuné pour moi  !  – il s’avéra
que Shri Vira Raghavan remarqua quelques-uns des livres qui
m’intéressaient, en yoga, psychologie, philosophie, mysticisme,
etc. Il me dit : « Puisque vous vous intéressez à ce genre de choses,
pourquoi ne pas essayer une approche pratique ? » Je lui répondis
que j’avais tenté quelques expériences pendant un certain nombre
d’années, mais que faute de directives, j’avais cessé de poursuivre
la pratique de la sadhana yogique. Shri Vira Raghavan me dit
alors  :  «  Nous sommes quelques-uns à nous réunir ensemble
pour méditer. Si cela vous intéresse, vous pouvez vous joindre
à nous et essayer notre méthode. » J’acceptai sur le champ cette
proposition. Le dimanche suivant, qui se trouvait être le jour
du Basant Panchami, mon père se rendit au sitting. Ma propre
introduction fut cependant retardée de quelques semaines car je
dus quitter Madras pour un voyage d’affaires.

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A ce moment-là, Shri Vira Raghavan ne fit aucune allusion


spécifique au Maître, pas plus qu’à l’importance du Maître dans ce
système de yoga. Nous ne vîmes qu’une photographie à laquelle
je ne jetai qu’un regard distrait. Elle n’eut pas d’impact particulier
autre qu’une association d’idées : « Ah ! tiens, voilà la personne
qui guide les étudiants. Très bien ! » Shri Vira Raghavan nous dit
que ce gentleman de Shahjahanpur était venu à Madras l’année
précédente, précisant que nous avions été informés fortuitement
de sa visite et que nous n’y avions pas prêté attention. En effet,
je revois Shri Vira Raghavan nous disant que son acharya était
venu à Madras et qu’il serait occupé pendant quelques jours
jusqu’à son départ. A cette époque nous avions cru qu’il voulait
dire que son vaishnav-acharya était venu lui rendre visite. Malheu-
reusement il ne nous avait pas pleinement éclairés  : ainsi une
occasion précieuse de rencontrer le Maître face à face avait été
irrémédiablement perdue. Néanmoins, lors de notre adhésion à
la Mission, nous n’éprouvâmes pas réellement un sentiment de
perte, n’ayant jusque-là aucune idée du Maître. Cette prise de
conscience n’apparut que plus tard.

Dans le courant de 1964, je dus me rendre à Bareilly pour


un voyage d’affaires puis, de là, à Lucknow. Je traversai même
Shahjahanpur mais je n’avais pas sur moi l’adresse du siège de
la Mission et je ne me souciais pas non plus de la localiser pour
recevoir le darshan du Maître. Une deuxième occasion de le ren-
contrer fut ainsi perdue, mais cette fois du fait de mon propre
manque d’intérêt. Quelques mois plus tard, le premier signe de la
grâce du Maître se présenta sous la forme d’une autre proposition
de me rendre à Bareilly, une fois encore pour le compte de ma
société. Ce travail terminé, je me mis en route pour Shahjahanpur
un samedi après-midi, abandonnant mes collègues à Bareilly et
promettant d’être de retour le soir même. Vers 15 heures, j’arrivai
à Shahjahanpur, m’arrêtai tout à fait par hasard à une intersection
et demandai mon chemin pour me rendre chez le Maître. Un
agent de la circulation m’adressa à un marchand de confiseries
à environ cent mètres de là. Celui-ci me donna de plus amples
indications qui me conduisirent quelques minutes plus tard à la
résidence du Maître : l’ashram ainsi qu’on l’appelle généralement.
Tout avait été très direct et très simple.

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J’entrai dans l’ashram et demandai un entretien avec le Maître.


Il se reposait, me dit-on, mais je pouvais aller dans sa chambre
et m’y asseoir en prenant bien garde de ne pas troubler son
repos. Je trouvai le maître sur un lit bas, allongé face au mur,
me tournant le dos. Ceci fut ma première vision du Maître. Il
était couché sur le côté droit, les genoux repliés et semblait très
petit et peu impressionnant en tant que personne. Mon premier
sentiment fut le désappointement : « Comment, pensai-je, est-ce
là l’homme qui va me conduire jusqu’à mon but ? Il me semble
que c’est plutôt lui qui a besoin d’aide, même pour se mouvoir
physiquement. Comment alors va-t-il m’aider, moi  ?  »  Pendant
la demi-heure qui suivit, je continuai de ruminer. Ce n’est pas
un secret de dire que j’étais assez déçu et que je souhaitais à ce
moment-là ne pas être venu de si loin, seul, pour le voir. Comme
mes pensées me conduisaient à cette triste conclusion, soudain, il
se retourna, pleinement éveillé, et je vis son visage. Il me regarda
fixement, semblant me scruter en profondeur, et je le fixai en
retour, plutôt impoliment, je le crains. Je me présentai comme
étant un abhyasi du centre de Madras. Il s’assit alors, le dos et la
tête penchés légèrement en avant, son corps prenant appui sur
ses deux mains tenant le bord du lit. Il semblait ruminer quelque
pensée intérieure. Il paraissait être absorbé et son visage avait
une expression assez sombre. Après quelques instants, il me
regarda à nouveau et je vis ses yeux. Ce sont les yeux les plus
profonds que j’aie jamais vus. Généralement le regard humain
semble avoir une toile de fond, une limite à la transparence.
Certains sont même totalement opaques et l’on ne voit que la
surface extérieure de la cornée. Chez mon Maître, les yeux sont
complètement transparents et semblent indiquer le chemin vers
un autre monde, s’étendant derrière eux. Lorsqu’on regarde dans
les yeux de mon Maître, c’est comme si l’on regardait un ciel bleu
très clair. Le regard plonge dans l’infini, illimité et éternellement
et sans que jamais cette pénétration ne cesse. Les yeux de mon
Maître semblent contenir en eux-mêmes tout l’espace et toute la
création. Ce regard me conquit. Maintenant je pouvais vraiment
comprendre les récits des Puranas à propos de Yashoda voyant
le monde entier dans la bouche de Shri Krishna bébé. Je sus
immédiatement et intuitivement que j’avais trouvé la personne
qui seule pouvait être mon Maître et me mener à mon but.

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→ sommaire Mon Maître

Mon Maître se leva lentement, sortit de la chambre sur la


véranda et regarda autour de lui comme s’il cherchait quelque
chose. Il me demanda alors où étaient mes bagages. Je lui dis que
j’avais laissé ma valise dans la voiture sur la route principale. Sans
même me demander quels étaient mes projets, il envoya quelqu’un
la chercher pour y prendre ma valise et la mettre dans la chambre
près de celle qu’il occupait. Tout ceci fut fait sans me demander
mon avis ! Ensuite, il pria quelqu’un d’autre de m’apporter une
tasse de thé avec quelque chose à manger. Ceci fait, il entra dans
ses appartements, où comme je le découvris plus tard, résidait sa
famille, en ressortit avec une serviette qu’il déposa sur le muret
tout près du puits qui en ce temps-là était le seul point d’eau. Il
plaça un seau sous le jet et le remplit d’eau. Ensuite il alla s’asseoir
dans son fauteuil, sourit pour la première fois et dit : « S’il vous
plaît, faites votre toilette, l’eau est prête. » Ma première réaction fut
d’être peiné d’avoir laissé un homme âgé, bien plus âgé que moi,
préparer l’eau pour ma toilette. La seconde fut d’une nature que je
puis difficilement exprimer, même encore aujourd’hui. C’était un
mélange d’émotions diverses et confuses de gratitude, de respect
et d’amour auxquels se mêlait beaucoup de honte. De la honte, car
j’étais resté là à le regarder pomper pour remplir le seau, pensant
qu’il le faisait pour lui-même, et je ne lui avais même pas offert
de l’aider ! Pendant tout ce temps, j’avais souhaité pomper l’eau,
mais ma timidité m’en avait empêché. En tout état de cause, je fis
ma toilette comme demandé, tout à côté du puits, en plein air car
l’ashram à cette époque n’avait pas de salle d’eau. Entre-temps,
on apporta le thé et je me rafraîchis. Ensuite, je restai assis sous la
véranda tandis que le Maître vaquait à ses occupations, se levant
fréquemment pour entrer dans la maison, donner des directives
au personnel chargé des différentes tâches et ainsi de suite. Le
Maître me présenta aussi à la première personne que j’avais
rencontrée en arrivant à l’ashram, Shri Ishwar Sahai, qui s’avéra
être l’assistant personnel et le compagnon permanent du Maître.

Le Maître avait supposé que je resterais pour la nuit et je ne


lui dis pas que je devais partir le soir même. Je ne l’informai pas
de mes projets, faute de courage. Je restai donc simplement assis,
attendant inlassablement que quelque chose se produisît. Vers
19 heures à peu près, le Maître rentra dans la maison, en ressortit
presque immédiatement pour me demander si je mangeais des

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Première révélation → sommaire

oignons. Je répondis que non. J’étais intrigué par cette question,


mais je supposais qu’elle avait quelque rapport avec la pratique
spirituelle. Il s’absenta à nouveau à peu près un quart d’heure
puis regagna son fauteuil sous la véranda. Aux environs de 20
heures, quelqu’un vint lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Il
se leva aussitôt et me dit : « Venez, votre dîner est prêt. S’il vous plaît,
commencez. Je me suis arrangé pour qu’on vous apporte du lait caillé
car je sais que les Indiens du Sud ont l’habitude d’en prendre à tous
leurs repas.  »  Je ne m’attendais pas à cela mais je le suivis avec
humilité et pris mon repas. Après avoir fini de dîner, je demandai
la permission de partir. Le Maître eut l’air surpris : « Vous venez
juste d’arriver et vous venez de si loin. Ne pouvez-vous au moins rester
un jour de plus ? » Cette invitation à rester était si naturelle et si
affectueuse que je ne pus qu’y acquiescer. Quelques personnes
s’étaient entre-temps rassemblées, toutes disciples du Maître,
venant des environs. Nous nous assîmes autour de lui en demi-
cercle, restant le plus souvent silencieux. De temps à autre le
Maître faisait quelque remarque, puis il plongeait à nouveau dans
le silence. La soirée s’écoula ainsi jusqu’à ce que finalement vers
10 heures, le sommeil me gagnant, j’aille me coucher.

Comme me le fit découvrir mon expérience ultérieure de ce


qu’est la vie quotidienne du Maître, ce fut un jour plutôt inhabituel.
Mon Maître est généralement un interlocuteur charmant et vif,
doué d’un humour et d’un esprit immenses. Il sombre parfois
dans des périodes où il est taciturne, mais elles sont rares et de
courte durée. A ces moments-là, il est alors totalement absent
et semble être très loin, dans un autre monde. Mais lorsqu’il
parle, il a le don de présenter sa pensée philosophique profonde
sous la forme d’un dialogue simple, que même un illettré peut
comprendre, assimiler dans son existence et mettre en pratique
dans sa vie de tous les jours. Mais tout ceci me restait encore à
découvrir par ma propre expérience personnelle. Ce premier
jour avec le Maître avait cependant pour moi quelque chose de
décevant car il m’avait à peine adressé une douzaine de mots, qui
plus est, n’avaient pratiquement aucune signification spirituelle.
Tout ce qu’il m’avait montré de lui était son agréable courtoisie et
l’hospitalité d’un chef de famille. Toutefois, je remarquai un fait
important et caractéristique : chez lui ceci paraissait entièrement
naturel, était parfaitement sincère et faisait fondamentalement

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→ sommaire Mon Maître

partie de sa nature. Il n’y avait pas d’ostentation, aucune attitude


artificielle, aucun sentiment de condescendance. Au contraire,
comme hôte, il y avait dans son comportement une spontanéité
qui rendait tout cela naturel, tout comme le soleil est fait pour
briller ou l’eau pour mouiller. Pour la première fois de ma vie,
je me sentais en présence d’un parfait maître de maison qui
pouvait être hospitalier sans que son invité s’en aperçoive, qui
pouvait servir humblement son visiteur mais sans aucune trace
de servilité et qui pouvait être un maître par rapport au disciple
sans l’inutile pompe orgueilleuse et arrogante, ni la splendeur
outrancière qui, en Inde tout au moins, semble être la condition
pratiquement essentielle et préalable pour l’accession au niveau
de maître spirituel, surtout dans les hiérarchies religieuses. J’ai
été mis en présence de nombreuses personnes réputées pour être
de grandes âmes, des sannyasis, des saints et bien d’autres encore.
Ma carrière professionnelle a exigé que je me déplace souvent à
travers toute l’Inde et, au cours de ces voyages j’ai eu, à foison,
l’opportunité de telles rencontres. Mais j’ai rarement rencontré un
guru qui, même au niveau le plus bas de sa propre hiérarchie, n’ait
pas teinté sa condition de guru de l’arrogance du comportement,
d’ostentation dans sa présentation personnelle, qui n’ait pas
été verbeux en faisant une multitude de promesses et avide de
“collecter” les dons de ses disciples. Ici, à Shahjahanpur, j’avais
rencontré pour la première fois un guru qui était simple, direct,
sans faste et sans prétention, qui ne demandait absolument rien
et qui pourtant offrait non seulement le service spirituel suprême
de la libération mais encore était prêt à rendre service à l’abhyasi
même physiquement. Ceci était pour moi une énigme dépassant
tout entendement, et sans commune mesure avec le guru d’espèce
courante du paysage indien. Aussi n’est-il pas étonnant que je
sois allé me coucher en proie à tout un désordre d’impressions et
de pensées confuses.

Je ne dormis pas très bien cette nuit-là. Il y avait un grand


portrait du Grand Maître Lalaji Saheb, sur le mur près de mon lit,
et j’avais l’étrange impression qu’il me fixait du regard. Ceci me
rendit vraiment nerveux et incapable de me reposer. Je ne cessais
de me retourner dans mon lit et, même dans le noir, je continuais
de sentir les yeux pénétrants de Lalaji me transperçant jusqu’à
l’âme. Je me levai tôt ce matin-là et fus prêt avant 6 heures. Je

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Première révélation → sommaire

ne rencontrai encore personne. Sous la véranda, on avait préparé


un hookah à côté du fauteuil du Maître. J’appris que Babuji, ainsi
qu’on appelle affectueusement le Maître, commençait sa journée
en fumant un hookah. En effet, il apparut à 7 heures, alla droit à
son fauteuil et commença à tirer sur son hookah qui mit un peu de
temps avant de ‘‘fumer” convenablement. Pendant tout ce temps-
là, il était assis, détendu, totalement silencieux, avec dans les yeux
un regard lointain. Il but la moitié d’un verre de lait. Lorsqu’il
eut achevé de fumer son hookah, il se rendit au bureau, ouvrit
son nécessaire à pharmacie et prit une bouteille d’huile dont il
s’enduisit la peau du crâne en la faisant pénétrer par de vigoureux
mouvements de la main. Ensuite il alla prendre son bain, revenant
un court instant plus tard, vêtu comme à l’ordinaire d’un dhoti et
d’un vêtement cousu à la main, fait d’une étoffe de banian, pour
couvrir la partie supérieure de son corps. Lorsqu’il veut être chic,
il porte le kurta ; lors des réunions publiques, une longue veste,
descendant jusqu’aux genoux et boutonnée jusqu’au cou et,
sur la tête un calot blanc. Parfois aussi il porte des pyjamas. Ceci
représente l’éventail complet de sa garde-robe.

Babuji a un teint très clair et, quoique de petite taille et frêle, il


est extraordinairement beau avec sa belle barbe. Ses mains sont
très expressives et il s’en sert souvent, faisant des gestes nombreux
pour ponctuer la conversation. Ses pieds sont très doux, et tout
particulièrement la plante de ses pieds, aussi doux que des pétales
de fleurs. A les toucher, on comprend facilement l’origine du terme
“pieds de lotus”. Les pieds de mon Maître sont vraiment des pieds
de lotus tant par leur finesse que par leur couleur saine et rosée. Il
parle couramment l’hindi, l’urdu et l’anglais. Ce dernier est direct
et exact. Je ne l’ai jamais vu user d’un mot ou d’une phrase ambiguë,
tant dans ses paroles que dans sa correspondance. Il fait partie de
ces très rares personnes qui disent ce qu’elles pensent et pensent
exactement ce qu’elles disent. Lorsqu’on l’interroge, il donne des
réponses promptes et réfléchies avec une telle bonté qu’il rend
heureux son interlocuteur de lui avoir posé une question. J’ai
constaté que, quoiqu’il fasse bon accueil aux questions, il préfère
de loin qu’elles concernent la personne, individuellement. Mon
maître en général n’aime pas les questions purement théoriques
venant de ceux qui cherchent simplement la connaissance plutôt
que des conseils.

17
→ sommaire Mon Maître

Mon maître a l’art de se dérober à la controverse. J’ai remarqué


en lui une humilité authentique quand il dénie toute connaissance
des autres systèmes de pensée, de philosophie ou autre  ; mais
simultanément il est aussi ferme qu’une montagne en ce qui
concerne la connaissance émanant de sa propre expérience
du yoga. Dans ce cas, il est le Maître, dans toute l’acception du
terme, préparé à prouver ses affirmations ou ses arguments par
l’expérience pratique, plutôt que par une discussion verbeuse.
J’eus la démonstration de ce trait de caractère lorsque quelqu’un
posa une question au sujet d’un état spirituel particulier. Il sourit
et répondit : « Je ne peux vous l’expliquer mais si vos samskaras le
permettent, je peux vous donner l’expérience de cette condition.  »  En
émettant cette petite réserve, il ne chercha pas à s’esquiver. Ceci
n’est qu’un exemple de plus de son humilité profondément
enracinée. Il déclare rarement être capable de faire quoi que ce
soit. L’une de ses maximes préférées est  :  «  Par la grâce de mon
Maître toutes choses peuvent être faites. Après tout c’est lui l’Auteur. Si
Lalaji le souhaite, cela peut être fait en un instant ! » Déjà lors de cette
première visite, je trouvai en Babuji cet attachement profond,
personnel et spirituel, pour son propre Maître Lalaji, de même
que semblait présente une totale dépendance vis-à-vis de lui. Tout
d’abord, je fus légèrement dérouté. « Après tout, pensé-je, c’est un
maître. Pourquoi donc semble-t-il si dépendant de Lalaji  ? Ceci
indique-t-il une faiblesse personnelle ? Ou bien utilise-t-il Lalaji
comme excuse pour masquer ses propres défaillances  ?  »  Mais
je trouvai mes réflexions inexactes. Aucun mot, aucun acte ne
révélait chez mon Maître même le moindre doute ou l’incapacité
à mener ses propres affaires, que ce soit au sujet d’une discussion
ou bien de ce qu’il appelait son “travail”. Je remarquais qu’il avait
une foi immense et totale en Lalaji et ceci lui donnait une confiance
totale et une volonté de fer pour accomplir son propre travail.
Même en ce premier jour, Babuji fit cette remarque à plusieurs
reprises  :  «  Pour réussir dans le travail, une volonté infaillible est
nécessaire. Si l’on n’a pas foi dans le Maître, alors le travail ne peut être
fait. Le doute est l’ennemi de la spiritualité. Le doute montre réellement
un manque de foi dans le Maître. »

Vers 9 heures, Babuji nous appela tous – six personnes peut-


être – à l’intérieur et nous donna un sitting de groupe. Le sitting
dura près de trente minutes et ensuite il ressortit fumer son

18
Première révélation → sommaire

hookah. Plus tard, il s’occupa de sa correspondance, assisté de Shri


Ishwar Sahai. Alors que toutes les autres personnes, assurément
membres de la Mission depuis plusieurs années, le suivirent dans
une pièce, j’étais trop timide et nerveux pour entrer et m’asseoir
avec eux. Aussi restai-je seul sous la véranda jusqu’au déjeuner
que je pris à une heure, puis je demandai à Babuji la permission de
retourner à Bareilly. Il m’autorisa à partir. Au moment du départ
je sentis soudain une peine indescriptible envahir mon cœur,
un sentiment semblable à celui que j’aurais eu en quittant ma
propre maison pour un long voyage, abandonnant des êtres chers
derrière moi. Mes yeux s’emplirent de larmes, phénomène que
j’ai rarement éprouvé dans ma vie d’adulte. Il s’écoula près d’une
demi-heure avant que la peine disparaisse. En route pour Bareilly,
il y eut des moments où ce chagrin était presque insoutenable.

J’étais venu voir le Maître et j’avais reçu son darshan. Dans mon
esprit, toutes les impressions étaient chaotiques. Comment juger
cet homme  ? Comment le comprendre  ? Comment évaluer son
travail ? Et le plus grand mystère de tout ceci était : qu’avait-il fait
pour créer en moi ce sentiment de profonde tristesse et la détresse
qui avait envahi mon cœur au moment du départ ? J’avais côtoyé
cette personne durant à peine vingt quatre heures. Comment
alors une aussi forte émotion s’était-elle manifestée après une
rencontre si ridiculement brève, d’autant plus qu’elle avait été
si superficielle et dépourvue de toute forme d’intimité  ? J’étais
arrivé tel un parfait étranger et à mon avis repartais étranger. Ou
bien en était-il autrement ? C’était la question qui se posait ! En
vérité il se peut que j’aie besoin d’un temps infini pour “connaître”
Babuji. Mais lui, de son côté, avait-il besoin d’autant de temps
pour me connaître et travailler sur moi ? Non ! Il ne pouvait en
être ainsi et il n’en fallait pour preuve que ce violent impact
émotionnel de cette première rencontre. Je sentis avec certitude
qu’il avait agi dans les plus profonds replis de mon cœur, qu’une
graine y avait été pour ainsi dire semée tout au fond et que ceci
en était la première réaction. Aussi, bien que perturbé au niveau
superficiel de mon existence, j’avais, en profondeur, la certitude
qu’à compter de ce jour j’avais trouvé mon Maître et que je foulais
le vrai chemin qui devait me mener à mon but. C’est la nature
divine de mon Maître qui fait qu’aucun de ceux qui viennent à
lui ne repartent déçus, et moi, pour ma part, je trouvais dès ce

19
→ sommaire Mon Maître

premier contact, une plénitude intérieure avec ce que je vins à


qualifier dans mon esprit de “Divinité”.  «  Le travail du Maître,
pensé-je, commence au moment où le premier contact humain est
établi. » L’expérience ultérieure me démontra que je n’avais pas
entièrement raison dans cette conclusion.

20
→ sommaire

II

L’environnement

La maison de Babuji est très vieille, certaines parties sont


plus que centenaires, et même les nouvelles annexes – hormis
la construction récente pour les visiteurs de l’étranger – ont plus
d’un quart de siècle. Elle est grande et spacieuse, complètement
entourée de murs avec une porte principale à l’ouest et une plus
petite à côté. Le portail reste généralement fermé, les visiteurs
utilisant invariablement la petite porte sur la gauche. Dès l’entrée,
on se trouve dans une grande cour – non abritée – dont un tiers
environ est surélevé et pavé de briques. En la traversant, on accède
à la véranda du bâtiment principal. C’est là que mon Maître et ses
abhyasis passent la plupart de leur temps : Babuji a son fauteuil
face au portail, les abhyasis s’assoient face à lui, tournant le dos à
la porte.

Lors de ma première visite à Shahjahanpur, je n’avais rien


remarqué de particulier à propos de cette maison. Mais après deux
ou trois fois, je découvris qu’aussitôt franchie la porte d’entrée, je
me sentais comme aspiré dans un monde totalement différent.
“L’atmosphère” dans laquelle vit mon Maître est quelque chose
d’unique. Elle a une qualité spirituelle si subtile, qu’elle défie
toute description. A une ou deux reprises, j’ai vraiment senti une
forte palpitation tandis que je franchissais le seuil pour pénétrer
dans l’enceinte. La transition de l’extérieur vers l’intérieur est
aussi soudaine et rafraîchissante qu’un plongeon dans un bassin
d’eau froide. Plus la personne est sensible, plus la perception
en est pénétrante. Lors de ma première visite à Shahjahanpur,

21
→ sommaire Mon Maître

j’étais venu en visiteur et je n’avais remarqué aucune différence.


Au cours des visites suivantes, je trouvais que mon attirance
allait grandissant avec l’émotion de quelqu’un qui retourne dans
sa propre maison. Cette émotion se renforça au fur et à mesure
que je renouvelai mes visites, pour devenir si puissante que
même au départ de Delhi, l’intensité émotionnelle commençait
à se manifester de plus en plus profondément et ne fondait
naturellement et harmonieusement qu’avant d’entrer dans la
maison de mon Maître. J’ai souvent été si bouleversé par cette
sensation, qu’il m’est arrivé d’avoir à me reposer un peu pour
rétablir mon équilibre émotionnel avant d’entrer pour rencontrer
mon Maître. Aujourd’hui, cet assaut émotionnel me prend souvent
même au départ de Madras pour Shahjahanpur. Je commence à
ressentir une effervescence (restlessness) dans mon cœur et cette
“fièvre” augmente au fur et à mesure que la destination devient
de plus en plus proche, prenant parfois l’ampleur d’une douleur
quasiment physique au niveau du cœur. J’en discutai avec
mon Maître ; il rit puis me dit : « Oui, ton observation est correcte.
Beaucoup de personnes m’en ont fait la remarque. Mais, à vrai dire,
tout ceci n’est qu’une question de sensibilité. Développe ta sensibilité
et vois quelle béatitude tu peux éprouver. En vérité, une personne doit
créer son propre environnement où qu’elle aille. Ceci est le signe de la
spiritualité. Lorsque tu es assis près d’un véritable saint de haut niveau,
tu sentiras la paix et la tranquillité. Beaucoup de gens me demandent
comment reconnaître un saint. Je leur réponds que si, étant assis près
de lui, ils éprouvent de la paix, il y a alors de la sainteté en lui. » Je
lui demandai pourquoi ce sentiment d’intense fébrilité devait se
manifester quand nous venions le voir. « C’est un bon signe, dit-il,
cet état d’impatience est bon. Il indique la soif intérieure pour le but.
En vérité chez un abhyasi avancé, l’impatience est toujours présente,
mais sous-jacente. Maintenant, quand vous pensez à venir me voir, le
désir intense commence à croître et ce désir intense devient impatience
jusqu’à ce que le but désiré soit atteint. Ainsi, cette impatience naît avec
l’expérience. Maintenant, considérons ici l’environnement. Il est unique.
C’est l’expérience qu’ont presque tous les abhyasis : qu’il y a quelque
chose d’unique. C’est la grâce de Lalaji. Dans un tel environnement, il
est possible de croître spirituellement en très peu de temps. Vous devez
créer un tel environnement où que vous alliez. C’est tout à fait simple.
Alors vous constaterez que les pensées extérieures ne vous perturbent
pas, que l’environnement extérieur ne vous perturbe pas. C’est comme

22
L’environnement → sommaire

un plongeur portant un scaphandre. Il transporte son environnement


avec lui dans les profondeurs de l’océan et, ainsi, l’océan ne présente
pour lui aucune menace. »

Plus tard, après quelques années d’association personnelle avec


mon Maître, je commençai à lui rendre visite dans quelques-uns
des endroits où il séjournait. Là aussi je trouvais une atmosphère
de paix et de tranquillité, mais l’atmosphère changeait lorsqu’il
s’en allait. Quand je lui ai demandé pourquoi cela se produisait,
il rit : « Oui, le changement se produit là, comme tu l’as vu. Mais je n’y
suis pour rien. Je crée la même atmosphère partout où je vais, mais que
puis-je faire si les gens la détruisent après mon départ ? Pour conserver la
même atmosphère, nous devons contrôler nos pensées. Les pensées créent
l’atmosphère. Si on se rend dans certains lieux saints, on y trouve la paix.
Pourquoi ? Parce que les gens y viennent dans un esprit de recueillement
et restent calmes, en état de prière et, ainsi, l’atmosphère en est tout
imprégnée. Maintenant, si quelqu’un venait à construire un cinéma ou
un dancing au même endroit, tu constaterais que l’atmosphère change
immédiatement car les gens y viendraient avec d’autres pensées qui
modifieraient l’atmosphère. Ainsi à de tels endroits, je veux dire les lieux
saints, nous devons contrôler nos pensées et les orienter dans la bonne
direction. Les mouvements d’humeur et la colère doivent être évités,
tout comme la passion, car ces choses peuvent détruire l’atmosphère.
Mais même si cela se produit, cela peut être changé à nouveau par la
méditation et une attitude adéquate. J’ajouterai encore ceci, et c’est une
chose très précieuse à savoir : tu peux “lire” l’atmosphère d’un lieu et voir
quelle sorte d’événements s’y sont produits. C’est très facile. Concentre-
toi simplement et la lecture apparaîtra devant tes yeux. Si tu dépasses ce
stade, tu peux même te concentrer sur l’atmosphère de manière générale
et y “lire” l’histoire d’un pays. Que s’est-il passé ? Quand ? Tout est là !
Toutes choses y ont été enregistrées, extrêmement clairement ; encore faut-
il que quelqu’un puisse “lire” tout ceci. Tu as sans doute fait l’expérience,
quand tu pénètres parfois dans un nouveau lieu, de sentir des perturbations.
Ce peut être la peur ou bien la passion. Cela est automatique et devient
une seconde nature pour toute personne sensible. Alors, par la grâce du
Maître, si le pouvoir est donné, tu peux “nettoyer” cet endroit. Imagine
seulement que la grâce du Maître se déverse à travers l’endroit et entraîne
toutes les impressions. C’est tout. Tu vois combien c’est facile ! Mais la foi
doit être là, ainsi qu’une volonté ferme. »

23
→ sommaire Mon Maître

Je demandai au Maître comment développer la sensibi-


lité. « Développe la conscience (awareness), dit-il. Essaie toujours d’être
vigilant à ce qui se passe et la sensibilité se développera. Beaucoup de gens
méditent. Mais je regrette de dire que beaucoup d’entre eux ne savent pas
ce qui se passe dans le système pendant la méditation. Pourquoi en est-il
ainsi ? Parce qu’ils n’observent pas ce qui se passe. On doit être vigilant à
la transmission et à son action sur le système. C’est alors que la joie réelle
de la méditation commence. Maintenant je vais te dire une chose. Qu’une
personne ait des expériences ou non, la transmission agira et complétera
le travail. Mais le bonheur réel commence lorsque nous savons ce que
nous avons obtenu. Ainsi la sensibilité est-elle nécessaire. Alors que
nous développons notre sensibilité, vient un autre bienfait car le progrès
devient plus rapide : quand tu sais ce qui est en train de se faire, tu peux
coopérer activement avec le Maître. C’est donc un grand bénéfice. Mais
j’ajouterai encore ceci : la sensibilité peut, d’une certaine façon, devenir
une calamité, car tu deviens “ouvert” à toute chose. Tout t’affecte. Je ne
te cache pas que cela peut causer beaucoup de souffrance et de tourment.
Imagine que tu regardes n’importe où ou n’importe quoi ou n’importe qui
et qu’immédiatement tout apparaisse devant tes yeux. Comment peux-tu
ne pas en être affecté ? Une telle personne se verra contrainte de partager
les joies et les peines de tous ceux qui l’entourent. Parfois, je vais dans un
nouvel endroit où l’atmosphère est si mauvaise que j’en suffoque presque.
Alors, je dois la “nettoyer” autrement je ne pourrais pas y vivre. Aussi
devons-nous faire ce cleaning partout où nous allons. Voilà pourquoi je
dis à mes associés1 qu’un Maître est en réalité un balayeur, faisant un
travail de balayeur. Il attire toute la saleté et toute l’impureté puis il doit
toutes les éliminer. C’est pourquoi il est dit que, pour tout un pays, un
seul saint de haut niveau suffit. Il fonctionne comme un gros aspirateur,
nettoyant tout le pays, car toute la grossièreté (grossness) est attirée vers
lui. Tu comprends cette tamasha (plaisanterie) : un Maître est réellement
un “homme de ménage” ! C’est pourquoi je dis qu’un saint est une cible
pour toutes les peines du monde. Aussi, parfois, devons-nous contrôler
notre sensibilité afin de ne pas être trop affecté, sinon une personne
sensible deviendra victime de son environnement. »

Je me souviens d’un séjour dans une ville où j’avais accompagné


mon Maître pour y rencontrer des abhyasis. Nous étions logés

(1) NDT : Babuji a toujours considéré les abhyasis comme des “associés”
et non comme “ses disciples”.

24
L’environnement → sommaire

dans l’appartement de l’un d’entre eux. Dans la journée, tout se


passa bien, mais la nuit, Babuji fut extrêmement agité et se réveilla
plusieurs fois. Le matin, à mon réveil, je le trouvai bien nerveux et
épuisé. La nuit suivante, nous nous rendîmes dans un hôtel des
environs et je fus heureux de le voir dormir profondément et de
façon continue pendant toute la nuit. A son réveil, il dit : « Tu vois,
nous sommes dans un hôtel où des milliers de gens vont et viennent,
mais l’atmosphère est meilleure et plus pure ici qu’à l’endroit où nous
étions. N’est-ce pas une honte que l’atmosphère d’une maison soit si
grossière et si sale alors que celle d’un hôtel est plus pure ? Que dire des
gens qui vivent dans cette maison ! Il est honteux que les gens modèlent
leur vie d’une manière telle que leur environnement en devient pollué
et souillé. En vérité, le moindre de nos devoirs est de laisser le monde
au moins comme nous l’avons trouvé en arrivant, sans le souiller ni le
détruire. Nous devrions vraiment essayer de laisser le monde dans un
meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé. Vivre de façon
juste devient très important. Nous devons accorder nos vies de telle
manière que tout ce qui entre en contact avec nous s’améliore. Tout ce
que nous touchons doit se trouver divinisé. »

Je me suis rendu à Shahjahanpur vraiment très souvent pour


séjourner auprès de mon Maître. J’ai remarqué une chose en sa
présence : pendant la durée de mon séjour, toute pensée ou tout
souci concernant mon foyer ou ma famille s’évanouit au moment
même où j’entre dans sa maison. Ce n’est pas une chose que
j’essaie de réaliser moi-même ou pour laquelle je prie. Je n’en suis
même pas conscient. Cependant le résultat est que toute pensée
concernant la maison, la famille et, en vérité, le monde entier
extérieur à l’ashram semble quitter mon esprit, pour n’y revenir
qu’au moment où finalement je quitte l’ashram. Cette absence
totale de souci ou cette liberté d’esprit par rapport aux soucis est
une faveur et une bénédiction dont on n’a pas conscience tant
qu’elle dure, mais dont on ressent seulement l’absence quand cet
état mental ou cet état de conscience nous abandonne. Lors d’une
occasion comblée de grâce où j’eus l’unique privilège de vivre
avec mon Maître pendant trois mois consécutifs, je l’ai d’autant
plus ressenti. La réception d’une lettre de chez moi me rendait
soudainement conscient du fait que j’avais réellement un foyer et
une famille quelque part. Je revenais momentanément dans cet
autre monde, m’inquiétant peut-être un peu de la manière dont

25
→ sommaire Mon Maître

allaient les choses là-bas, mais aussitôt la lettre pliée et mise de côté,
je me retrouvais dans “l’ici et maintenant” de la divine présence
de mon Maître et le souvenir de tout le reste, brièvement réveillé,
s’évanouissait, me laissant en paix, me laissant jouir en paix d’une
tranquillité qui est entièrement hors de ce monde. J’ai souvent
réfléchi à ce phénomène et j’ai senti que ceci est l’état spirituel qui
nous bénira à notre mort. Nous n’oublions pas car il n’y a aucun
effort de notre part pour oublier. Mais, tel un don divin, naît un
état d’esprit ou une conscience qui nous transporte à un niveau
différent d’existence où tout autre chose cesse d’exister. Dans
cette condition, on est placé dans un état béni de proximité avec
le Divin ; cette proximité a un pouvoir d’apaisement, un don de la
grâce divine, qui transforme la possibilité de mener une vie non
conditionnée en réalité, dans notre existence et notre conscience
personnelles.

A un moindre niveau, j’aimerais rapporter une autre expérience


personnelle relative à l’effet de l’environnement de mon Maître
sur moi. En une certaine occasion, je séjournai environ quatre
semaines consécutives avec mon Maître à Shahjahanpur. Plusieurs
autres abhyasis, frères et sœurs, étaient présents, ainsi que la
propre famille de Babuji. Un jour, je dus me rendre à Bareilly
pour effectuer des courses urgentes. En y arrivant je vis un grand
panneau annonçant un film qui passait, à ce moment là, en ville.
Il représentait une actrice de cinéma renommée, dans une pose
suggestive, et l’idée de sexe me vint à l’esprit. C’est à ce moment
que je pris conscience du fait qu’au cours des quatre semaines
écoulées, la conscience du sexe avait été absente de mon esprit
bien que j’aie été entouré d’hommes et de femmes ! Ce fut une des
rares circonstances révélatrices démontrant, de façon frappante,
la capacité de mon Maître à modeler l’environnement et le mental
de l’aspirant.

J’ai assisté aux célébrations du Basant Panchami à Shahjahanpur


aussi souvent que je l’ai pu. C’est la seule célébration formelle
que les membres de la Mission célèbrent annuellement. C’est
l’anniversaire de Lalaji, et la célébration se déroule sur trois jours.
J’ai constaté qu’à Shahjahanpur, l’atmosphère pendant ces trois
jours est “hors de ce monde”. C’est très différent de l’atmosphère
habituelle. Mon Maître l’a confirmé  :  «  Tu ne trouveras plus cette

26
L’environnement → sommaire

atmosphère lorsque l’utsav sera terminé. Pendant ces trois jours, c’est
comme si une couverture ou une protection recouvrait cette maison. Et
à la fin de cette célébration, on dirait que Lalaji prend un coin de la
couverture et la tire d’un seul coup. Il y a une atmosphère divine durant
ces trois jours. C’est la grâce de Lalaji. Elle est si pure et si spirituelle
que c’est comme si l’on vivait dans un autre monde. » La seule fois où
j’ai senti l’atmosphère encore plus sublimement pure et radieuse,
fut durant les trois jours de célébrations à Madras en février 1973,
lors du rassemblement des abhyasis venus de toute l’Inde et de
nombreux centres de l’étranger, pour célébrer le centenaire de la
naissance de Lalaji. Les célébrations eurent lieu dans des locaux
loués pour cette occasion et servant habituellement aux mariages.
Cette salle est une des plus grandes et des plus belles que l’on
puisse trouver à Madras. J’ai été frappé par la nature particulière
de l’atmosphère durant ces trois jours. Babuji confirma mon
observation et ajouta en riant : « Par la grâce de Lalaji, cet endroit
a été tellement changé qu’il le restera pendant de nombreuses années.
Tous ceux qui viendront ici en tireront un bénéfice, par leur simple
présence. » Pourtant, lorsque les célébrations s’achevèrent et que
je vins pour régler la facture, l’endroit avait l’air si abandonné et si
vide, que j’eus envie de pleurer. La vie avait quitté ces lieux et ce
qui en restait n’était plus qu’une coquille vide. Cette atmosphère
spéciale, d’absolue pureté spirituelle s’était évaporée.

Une fois, nous étions réunis dans la maison de Shri Umesh


Saxena, le fils de Babuji, à Besant Nagar à Madras. C’était une
réunion tout à fait informelle, rassemblant cinq ou six abhyasis de
la région et deux de l’étranger. Nous étions tous assis par terre
et Babuji sur un sofa. Les abhyasis de l’étranger lui avaient posé
une série de questions sur des sujets variés. De fil en aiguille le
sujet passa à celui de l’atmosphère et de son influence, ce que
nous appelons dans un sens plutôt restreint  : l’influence de
l’environnement. Le Maître expliqua comment l’atmosphère peut
changer selon la façon dont les gens pensent et mènent leur vie,
comment toute cette information est emmagasinée sous forme de
richas qu’un saint qualifié peut lire lorsque cela est nécessaire  ;
comment de telles conditions pouvaient être recréées si, et lorsque
cela est nécessaire, comment elles pouvaient être pour ainsi dire
“reconstituées”. Les abhyasis de l’étranger étaient ardemment
désireux d’assister à une démonstration pratique. Le Maître

27
→ sommaire Mon Maître

y consentit en souriant et dit qu’il allait recréer l’atmosphère


ambiante qui existait aux temps très anciens quand l’homme
commençait juste d’émerger à la vie en tant qu’espèce distincte
des autres formes de vie. Le Maître s’assit tout droit. Son visage
devint sérieux. Ses yeux semblèrent se concentrer sur un point à
environ deux mètres devant lui et à la même hauteur au-dessus du
sol. Il se tint ainsi pendant à peu près deux minutes. Brusquement,
il se balança d’avant en arrière, à trois reprises, tout en émettant
un son particulier comme  :  «  Hum... hum  !  »  Ensuite, il s’assit
immobile pendant une minute. Puis la tension se relâcha, il sourit
et nous demanda ce que nous avions senti. Je répondis que j’avais
senti l’atmosphère très grossière, lourde et oppressante et saturée
de terreur primitive. Le Maître répondit que cette lecture était
correcte. Les abhyasis de l’étranger étaient un peu désolés que le
Maître n’ait accordé qu’une minute à peine à cette expérience.
Il rit  :  «  Pensez-vous que vous auriez pu la supporter plus  ? Comme
Parthasarathi l’a dit, c’était chargé de terreur et très grossier. Si vous
en aviez été entourés plus longtemps, alors cela vous aurait affectés de
façon négative. Aussi vous en ai-je juste donné un aperçu. Vous voyez à
partir de quels stades la vie humaine a évolué. Mais tout ceci n’est pas
suffisant. Quand l’atmosphère divine sera créée, alors vous en profiterez
vraiment. Par la grâce de Lalaji vous expérimenterez aussi cela lorsque
vous serez prêt ! »

Tous les enseignants en yoga ont conseillé à leurs étudiants


de se réserver une pièce séparée, spécialement pour leurs prières
et la méditation. L’idée derrière ceci est bien sûr d’avoir une
pièce où l’atmosphère est gardée pure et non contaminée par la
routine de la vie courante. L’enseignement de mon Maître étend
ceci jusqu’aux confins d’un univers pur et saint, où l’univers tout
entier devient une salle de prière. L’idée précédente est restrictive.
Elle cherche à confiner la pureté dans un petit endroit, ce qui
implique que le reste de la maison peut être impur. Mon Maître
dit que ceci n’est pas suffisant. Nous pouvons commencer par un
point précis, notre propre cœur, mais la graine de pureté une fois
semée, celle-ci doit être nourrie et il faut veiller à sa croissance
de telle sorte qu’elle irradie au-delà des confins de l’organisme
humain individuel, irradie au-delà de son foyer, de son petit
monde, jusqu’à ce que finalement l’univers entier soit inclus dans
cet embrassement divin.

28
→ sommaire

III

LA TOLERANCE

Le Maître est un exemple vivant de son propre credo selon lequel


un être humain doit, tel un oiseau, voler de ses deux ailes, l’une
représentant le plan spirituel et l’autre le plan matériel. C’est l’un
des enseignements du Sahaj Marg, le plus fondamental et d’une
grande incidence. Cet enseignement signifie simplement qu’une
personne ne doit pas plus négliger son existence physique et
matérielle que sa vie spirituelle. C’est un message révolutionnaire
que mon Maître diffuse au monde et qui lui est révélé au moment
où il en a le plus besoin. Les instructeurs de yoga indien, dans
leur ensemble, furent enclins à dénigrer la vie physique comme
étant quelque chose de répugnant et de malpropre qu’un aspirant
devrait fuir à tout prix. Les méthodes d’entraînement prescrites sont
si compliquées et rigides qu’il est pratiquement impossible qu’un
individu parvienne à maîtriser et à contrôler son plan physique
durant cette existence présente. Quand va-t-il alors être à même
de poursuivre son progrès spirituel  ? La seule réponse possible
semblerait être : « Dans la prochaine ou les prochaines vies ! »

Mon Maître enseigne que la création matérielle et l’existence


matérielle de l’homme ne sont absolument pas mauvaises en soi.
Une fois qu’une âme s’est incarnée, elle est contrainte d’assumer
l’existence physique, que cela lui plaise ou non. Aucun choix ne
lui est laissé. Ce n’est pas uniquement la loi, c’est un principe
de base. Cette vie-ci est la seule dont nous puissions réellement
être sûrs. Elle est là. Nous sommes en train de la vivre.  «  Mais,
ajoute le Maître, on peut régler sa propre vie de manière à normaliser

29
→ sommaire Mon Maître

toutes les fonctions du système humain jusqu’à ce que la personne se


développe et devienne un être humain parfait. Ce terme “normaliser”
est particulièrement important dans ce contexte. On ne recherche pas
et on ne devrait pas convoiter l’acquisition de pouvoirs supra-normaux
du corps, ce que le hatha-yoga promet avec tant de prodigalité. Pas plus
qu’on ne devrait aspirer à l’acquisition de siddhis – tel que le pouvoir de
matérialiser des objets, la clairvoyance, la lévitation et tant d’autres – car
ces pouvoirs ne sont pas normaux dans l’existence humaine. Je répète
que nous ne devons pas avoir cela pour but dans la sadhana. »

Dans le cadre de la méthode de sadhana yogique du Sahaj


Marg, le Maître offre précisément cet entraînement, permettant de
normaliser sa propre vie dans le détail de ses fonctions. Le Maître
a déclaré que la plupart des êtres humains commencent leur vie
au niveau animal et que les humaniser devient la première étape
de la sadhana. L’homme animal devient un véritable être humain
en pratiquant la méditation qui discipline les fonctions du mental,
permettant ainsi à cette régulation de se répercuter sur le plan
physique. C’est par le mental que nous devons commencer. Tout
processus commençant par le corps mettrait, de manière évidente,
la charrue avant les bœufs. La méditation est du ressort de l’abhyasi,
c’est le rôle qu’il doit jouer dans cette aventure divine. Le travail
du Maître est de nettoyer l’abhyasi des samskaras du passé et de lui
transmettre l’énergie spirituelle. Je ne vais pas m’étendre davantage
sur ce sujet car tous les détails figurent dans les ouvrages écrits par
mon Maître. Un aspect important sur lequel je voudrais insister est
qu’il n’y a aucun contrôle des fonctions, ni élimination d’aucune
d’entre elles.Tout ce que l’on fait est d’essayer de normaliser chacune
des fonctions, sans aucune exception, et sans en annihiler aucune.

Le Maître fonde son enseignement sur la sagesse divine. Dieu


a créé l’univers. Il devait avoir une bonne raison pour créer un
univers matériel. Si la vie matérielle nous conduit à nous fourvoyer
et nous éloigne de notre but, de toute évidence, nous en sommes
responsables, parce que nous ne vivons pas notre vie matérielle
de manière appropriée. Donc, tout ce qui nous reste à faire pour
nous remettre sur le bon chemin, est de ramener notre vie à un
équilibre approprié afin que les deux aspects de notre existence
soient en harmonie et en équilibre. L’homme humanisé peut alors
continuer à évoluer vers l’état d’être humain parfait.

30
La tolérance → sommaire

Le Maître est comme je l’ai dit précédemment, l’exemple vivant


de cette façon de vivre. C’est un chef de famille qui a été marié et
qui a pris en charge les dures responsabilités d’une vie de famille.
Il a expérimenté toutes les joies de l’amour, les chagrins et les
malheurs de la séparation dont nous souffrons au cours de nos
propres vies limitées. Assurément, c’est un sujet d’émerveillement
qu’il ait si complètement vécu une vie de chef de famille tout en
développant simultanément en lui la capacité divine d’être aussi
un maître en spiritualité. Sa vie s’organise naturellement autour
de sa propre famille. Mais alors que le centre et la circonférence de
notre propre vie ont tous deux fusionné en un seul point qui repose
sur la famille, pour le Maître, le centre est la famille tandis que la
circonférence embrasse l’univers entier.Telle est la différence entre
sa vie et la nôtre. Et lorsque le Maître, par sa transmission divine,
nous aide à nous “épanouir” (expand) à des niveaux cosmiques et
supra-cosmiques de l’existence, il sépare la circonférence étriquée
de notre existence de son centre, relâchant la circonférence ou la
libérant, afin qu’elle puisse s’épanouir de plus en plus largement
jusqu’à ce qu’à son tour, elle puisse devenir universelle. Ainsi,
progressivement, l’âme et la conscience humaine individuelle
égocentrique se développent et s’épanouissent jusqu’à devenir
une personne universelle possédant une conscience universelle,
similaire à celle du Maître lui-même.

Le Maître est né dans une famille aisée, renommée et hautement


respectée. Son père pouvait indiscutablement être considéré
comme riche par rapport aux critères locaux. De son père il tient
l’héritage culturel familial, et son profond respect des traditions
lui vient de sa mère. Il a, à son tour, bâti sa propre vie sur les
piliers mêmes de ces fondations solides établies par ses parents.
Sa culture est si profonde qu’elle ne peut prêter flanc à aucune
critique injustifiée ou gratuite par ceux qui suivent d’autres modes
de vie. Pour lui, tout a une place dans la hiérarchie universelle. Il
enseigne que les autres instructeurs font aussi le travail de Dieu,
chacun à son propre niveau. La tolérance, telle qu’il l’enseigne,
n’est pas une vertu, mais un devoir précis, prescrit à l’abhyasi.
Aucun système ne peut s’attribuer l’exclusivité d’une importance
totale ou d’une efficacité absolue. Si une montagne possède un
sommet, c’est grâce à la base qui le soutient.

31
→ sommaire Mon Maître

Certains de nos abhyasis ont consacré nombre d’années à pratiquer


le yoga selon d’autres systèmes d’entraînement. Quand ils se ren-
daient finalement chez mon Maître, ils étaient enclins à pleurer
sur “leurs années perdues”, se lamentant de n’être pas venus aux
pieds du Maître plus tôt. Invariablement, le Maître les rassérénait
en leur disant : « Ne regrettez pas le temps passé à une autre méthode.
Cela était nécessaire à votre développement. Cela vous a préparé pour ce
chemin. Réjouissez-vous maintenant d’avoir trouvé le chemin qui peut
vous faire aller de l’avant. » Mon Maître enseigne que, bien qu’il y
ait d’innombrables gurus, le vrai guru n’est autre que Dieu lui-
même. Il est du devoir de chaque guru de conduire son disciple
vers celui ayant atteint un niveau plus élevé que le sien quand
son propre travail auprès du disciple est achevé. Aucun guru ne
devrait retenir ses disciples pour lui de façon possessive. Un guru
est là pour servir les autres et non pour accumuler des possessions,
du pouvoir et du prestige personnel.

La tolérance doit être étendue à toutes les facettes de notre


propre vie. Après plusieurs années d’association étroite et
personnelle avec mon Maître, je suis arrivé à la conclusion que
la tolérance est peut-être la plus importante vertu spirituelle car
elle semble embrasser et engendrer les autres vertus telles que la
compréhension, la charité, et jusqu’à l’amour lui-même. On m’a
souvent dit que l’amour engendre la tolérance, mais peut-être
l’inverse est-il vrai et la tolérance engendre-t-elle l’amour. C’est
un axiome admis en psychologie que seuls ceux qui entretiennent
la haine d’eux-mêmes en leur cœur, projettent cette haine sur le
monde. Une telle haine est de “l’auto-haine” et elle provient d’une
incapacité à accepter ses propres qualités. Dans la plus large
acception du terme, la tolérance implique que tout a une place
dans la hiérarchie universelle, et c’est la compréhension de cette
vérité première de la création que révèle la tolérance. La tolérance
révèle donc la perspective correcte dans le schéma universel des
choses. On nous a enseigné que le bien et le mal coexistent qu’ils
sont seulement les différentes facettes de la même réalité. On
nous a enseigné à considérer de la même manière le vice et la
vertu et tous les autres opposés de l’existence. Là où l’un existe,
l’autre doit exister. Il n’y a pas le choix. Qui sommes-nous donc
pour nous montrer offusqués face à ce que nous qualifions de
manifestations négatives ?

32
La tolérance → sommaire

Nous sommes souvent tourmentés par l’apparente contradic-


tion dans le caractère des gens, tel un homme riche se montrant
avare, un honnête homme se livrant en secret au vol, une personne
vertueuse cachant un côté peu reluisant de son existence, une
personne religieuse dont la vie privée est sombre et louche.
Tout ceci nous trouble et, ce qui est pire, nous freine dans notre
recherche de la connaissance et de la compréhension. La tolérance
peut accorder ce laps de temps qui nous permettra d’approfondir
et de voir la vérité sous-jacente. Voilà le bénéfice minimum que
confère la tolérance  : le temps d’étudier et de comprendre les
choses. Et inévitablement, lorsque nous tenons peu compte des
apparences extérieures et que nous approfondissons, alors, la
compréhension, la véritable compréhension se révèle et nous
nous apercevons que les gens sont différents de ce qu’ils semblent
être. Si nous sommes ardents dans notre effort et zélés dans notre
recherche, un jour viendra sûrement où nous pourrons voir le
saint dans le pêcheur. Ceci est une vision permanente pour mon
Maître. Il voit uniquement la véritable Réalité intérieure.

Une fois, nous discutions de la présence dans notre satsangh


d’une personne connue pour être hautement immorale. Quelques
abhyasis se demandaient comment une telle personne avait
été admise à la méditation. Après un interminable débat, il fut
décidé de demander un éclaircissement au Maître. Sa réponse fut
simple et directe. Il dit : « Je ne regarde pas les aspects les plus
bas. Mes yeux ne descendent pas à ce niveau.  »  Il ne prête pas
attention à toutes ces choses. Il voit ce qu’il y a de meilleur dans
une personne, alors qu’au niveau humain ordinaire, nous avons
tendance non seulement à voir, mais à chercher le pire. C’est là
toute la différence.

A ma connaissance personnelle, le Maître a rarement critiqué


quiconque sur quoi que ce soit. De même il ne donne que vrai-
ment très rarement des conseils. Une fois, j’ai demandé à Babuji
pourquoi il n’émettait pas de critiques lorsqu’il voyait une erreur
quelconque. Il répondit : « Lalaji Saheb ne donnait jamais de conseils
de façon directe. Bien sûr, il faisait des allusions voilées, mais combien
sont capables de comprendre de telles allusions ? Nous ne devrions jamais
donner de conseils à moins qu’on ne nous le demande. En tant que guide,
il est de son devoir d’opérer un changement en créant les conditions

33
→ sommaire Mon Maître

adéquates. Tel est le travail du guide. Voilà l’approche positive. Si tu


critiques, alors l’abhyasi peut commencer à s’inquiéter à ce sujet et cela
nuira à son progrès. J’ajouterai encore ceci. Suppose que je conseille à un
abhyasi de faire quelque chose et qu’il ne le fasse pas. J’ajoute alors à ses
difficultés en le rendant coupable du péché de désobéissance au Maître.
Ainsi au lieu de l’aider, je lui ai rendu un mauvais service. Comprends-
tu pourquoi je m’abstiens de donner des conseils directs  ? En fait je
donne un grand nombre de conseils, mais je les donne de façon générale,
quand tous sont avec moi. La personne intelligente en tiendra compte
et l’appliquera à sa propre vie. Dès lors, le progrès de cette personne
est plus rapide parce qu’à présent elle coopère avec le Maître. » Nous
voyons d’après ceci que l’attitude du Maître n’est pas simplement
celle de la tolérance, mais qu’elle s’étend bien au-delà, assurant
la responsabilité des progrès de l’abhyasi. Comme il l’a tant et tant
de fois répété : ceci est le devoir d’un guide spirituel.

Je me souviens d’une anecdote : c’était il y a quelques années,


alors que je me trouvais avec le docteur K. C. Varadachari et quel-
ques autres abhyasis chez lui à Tirupati. Nous discutions depuis
un moment quand une personne, de toute évidence un nouvel
abhyasi, entra dans la pièce, se prosterna devant notre hôte puis
s’assit à côté de lui et commença à lui parler. Il était très agité. Après
quelques instants, il s’exclama  :  «  Docteur, je suis un misérable
pécheur ! » Le docteur Varadachari s’indigna et demanda d’un ton
emporté  :  «  Quels péchés avez-vous commis  ? Quelque offense
mesquine  ? Une bouteille de vin  ? Une aventure amoureuse  ?
Venez me voir lorsque vous aurez fait quelque chose d’original.
Quel sot n’a pas commis de péché ? » Puis il se radoucit et avec
affection essaya de calmer l’âme troublée de l’abhyasi avec des
mots pleins de sagesse.

Voici où je veux en venir : qu’y a-t-il de si original concernant


le péché  ? Et nos propres péchés, qu’ont-ils de si uniques pour
que nous en soyons toujours tellement préoccupés  ? Le Maître
nous enseigne, avec beaucoup d’insistance, que les choses telles
que le péché et la vertu n’existent pas. Tout est samskara. Toute
action, qu’elle soit bonne ou mauvaise, qui forme des impressions
dans le mental, crée un samskara, ce qui du point de vue spirituel
est indésirable. Pécher ne semble certainement pas être pire que
de ressasser le péché car, en ressassant, nous faisons pénétrer les

34
La tolérance → sommaire

impressions de plus en plus profondément dans le mental, où se


forment des samskaras d’une dureté telle que beaucoup d’efforts
seront ensuite nécessaires pour nettoyer le système. Le Maître
nous conseille d’oublier le passé. Le passé ne devrait pas nous
préoccuper parce qu’il est passé et que nous ne pouvons rien faire
pour le modifier. C’est l’avenir qui devrait nous préoccuper, sachant
que nous pouvons le modifier par notre action présente. C’est dans
cette direction que nous devons canaliser nos efforts. Le passé
immédiat n’a pas plus d’importance que le passé plus ancien. « Ainsi,
dit le Maître, pensez que toutes les actions passées appartiennent à une
autre vie. Cela vous aidera à les ignorer et à vous concentrer pour établir
les bases de votre futur développement spirituel. » Ceci est pour nous,
abhyasis, un enseignement important.

Comment naissent les préjugés  ? Quels sont nos critères pour


définir le caractère d’une personne ? Qu’est-ce qui conditionne nos
relations avec les autres ? Pour définir le caractère d’une personne
et établir des relations avec elle, nous nous laissons guider par ses
antécédents Si nous pouvons développer la capacité de considérer
dès cet instant une personne comme une entité nouvelle et inconnue,
non conditionnée par un passé quelconque, nous développerons
alors la capacité de voir la personne réelle et non simplement l’être
extérieur, torturé, que tout le monde voit. Puis après quoi, une capacité
objective se développe qui pénètre au-delà des voiles extérieurs et
voit la vérité intérieure. Une personne peut avoir eu n’importe quel
passé. Qu’est-elle maintenant  ? Voilà ce qui importe  ! Mais nous,
la plupart d’entre nous, nous posons rarement cette question car
nous nous préoccupons avant tout et uniquement des antécédents.
En agissant de la sorte, la personne réelle nous échappe et nous ne
voyons que le filet enchevêtré et superficiel de trivialités, retenant
l’individu comme une mouche prise dans une toile d’araignée. C’est
la raison pour laquelle toutes les nouvelles connaissances sont si
fascinantes, si bienvenues, alors que nous nous disputons avec de
vieux amis dont souvent nous finissons par nous séparer. Vivre
au présent nous unit, tandis que vivre dans le passé peut tendre à
séparer les êtres les uns des autres et même, comme l’histoire nous
le rappelle, les nations les unes des autres.

Ceux qui projettent d’adhérer à ce système posent invariablement


cette question  :  «  Quelles sont les qualifications requises pour en

35
→ sommaire Mon Maître

devenir membre ? » Le Maître n’a qu’une seule réponse : « Votre


bonne volonté est la seule qualification nécessaire » et, invariablement,
les gens se demandent comment cela est possible. Un élément
d’ego est présent également dans cet étonnement. Après tout,
qui veut se joindre à une association de personnes où seule est
nécessaire une qualification apparemment aussi insignifiante  ?
Avant d’entrer dans une organisation, nous aimons que cela
soit aussi facile que possible. Mais si cela est trop facile, le doute
commence à poindre quant au bien-fondé de cette organisation.
Ainsi nous aimons que les barrières ne soient pas trop hautes
pour nous permettre de les franchir commodément pour atteindre
notre terrain d’élection, mais suffisamment hautes pour en tenir
éloignés les indésirables. Mais dans un système de yoga où le
présent est le seul critère, quelles autres qualités peuvent-elles être
importantes ? La bonne volonté seule est dans le présent. Toutes
les autres  : éducation, instruction, qualifications sont dépassées
et abandonnées. Elles ont des limites et dans tous les cas ne sont
pas éternelles. Elles servent simplement à établir les fondations.
La bonne volonté dénote un état d’esprit très important. Elle
indique qu’une personne s’est jaugée elle-même, qu’elle voit la
nécessité de changer et est prête à agir pour provoquer un tel
changement. Ainsi, les personnes ayant cet état d’esprit sont-
elles prêtes à agir et, encore plus important, elles sont prêtes à ce
qu’on agisse sur elles. Elles sont la vraie matière première pour
le travail du Maître. En définissant ainsi les qualités nécessaires,
le Maître révèle seulement cette vérité intérieure. Une fois, il dit à
un visiteur : « Ce que vous avez été n’est d’aucune importance. A quoi
bon avoir eu un maharajah pour grand-père si vous êtes maintenant un
mendiant ? Il eût été préférable que votre grand-père fût un mendiant
et vous un maharaja  ! Essayez donc de voir ce que vous pouvez faire
pour croître vous-même ! Pour cela vous devez commencer maintenant.
Et je suis prêt à vous aider ! » Ainsi, d’un seul coup, le Maître détruit
l’édifice du snobisme social en disant que la classe sociale est sans
importance, que la position sociale n’importe pas et hélas  ! que
même l’éducation n’est pas nécessaire. Tout ce qui est essentiel pour
réussir est contenu dans la bonne volonté de l’abhyasi à accepter le
Maître pour guide et à poursuivre le sentier inexorablement.

Si nous examinons attentivement ce concept de “bonne volonté”,


nous constatons en fin de compte qu’il tend vers la nécessité

36
La tolérance → sommaire

d’un total abandon au Maître. Comme Babuji l’a répété avec


insistance : « Pour que le travail du Maître réussisse, l’abandon est né-
cessaire.  »  Dans l’un de ses ouvrages, il a donné une indication
pour y parvenir. Quelle devrait être l’attitude idéale de l’abhyasi ?
Selon les propres mots du Maître : « Il doit être tel un homme mort
entre les mains d’un habilleur funéraire. » C’est-à-dire que l’abhyasi
doit être tel un corps mort, exempt de désir personnel, d’opinions
personnelles et complètement dénué de toute résistance. Un
tel abhyasi est un matériel idéal car il n’offre aucune résistance
d’aucune sorte, pas plus physique que mentale, aux pouvoirs
spirituels du Maître. Babuji s’est servi d’une autre image pour
souligner ce point. Il a rappelé qu’un menuisier peut aisément
fabriquer tout ce qu’il veut à partir de bois brut, mais si, pour
travailler, on lui donne une chaise comme matériau, que peut-il
faire  ? A partir de bois brut, il est libre de faire tout ce qui lui
convient et de façonner tout ce qu’il a décidé de créer, alors qu’à
partir d’une chaise, il se trouve face à de sévères limitations qui
généralement ne peuvent pas être surmontées.

Une fois, le Maître a clarifié ce point à l’aide d’un troisième


exemple. Que faisons-nous lorsque nous allons chez le médecin
pour nous faire soigner ? Nous acceptons tout ce qu’il dit. Nous
observons son régime et prenons des médicaments. Nous suivons
ses prescriptions sur ce que nous devons faire et ce dont nous
devons nous abstenir. Si une opération chirurgicale est nécessaire,
nous acceptons une anesthésie, nous plaçant dans une condition
de totale passivité pour lui permettre de nous opérer. Nous devons
faire tout cela si nous voulons que le médecin nous aide avec succès.
Cela n’implique-t-il pas l’abandon à la volonté du médecin et à sa
méthode ? Pouvons-nous mettre en doute sa méthode ? Pouvons-
nous demander une garantie de succès ? Sans tout cela pourtant,
nous sommes prêts à nous abandonner à la volonté du médecin.
Pourquoi donc ne pouvons-nous transposer cette attitude dans
notre vie spirituelle ? Dans la vie spirituelle nous demandons tout
d’abord des preuves – la preuve de l’existence de Dieu – disons,
la preuve de l’efficacité du système et ainsi de suite. Le Maître dit
que ceci est non seulement une démarche fausse mais de plus
illogique. Il ajouta  :  «  Supposez que je veuille apporter une preuve,
combien pourraient comprendre ? Supposez que vous demandiez à un
scientifique de prouver certains concepts abstraits, combien peuvent

37
→ sommaire Mon Maître

comprendre ce qu’il prouve ? Et plus le travail est de haut niveau, plus


il est difficile d’en comprendre la nature. Nous devrions donc essayer le
système et notre propre expérience du travail nous fournira la preuve
venant de l’intérieur de nous-même. » 

Il y a un autre point absolument vital à considérer quant


à l’offre faite par le Maître de nous aider et de nous guider. Il
demande simplement de la bonne volonté, ne tenant pas compte
de toutes les pensées et actions antérieures de l’abhyasi. Pourquoi ?
Précisément parce que “c’est du passé”. L’abhyasi ne peut rien
faire concernant son propre passé. Littéralement, nous sommes
les produits de notre passé, mais nous ne sommes pas, vis-à-vis
de notre avenir, les acteurs muets et impuissants que nous croyons
être. Le passé nous a conduits au présent. Au-delà, le passé n’a plus
d’emprise. L’avenir sera ce que nous en faisons maintenant, dans
le présent. Ainsi en changeant notre vie maintenant, l’avenir peut
être changé. Donc, le Maître nous enseigne à ne pas penser du
tout au passé, mais seulement, ce qui est encore plus important,
à agir dans le présent. Si l’on reprend la comparaison médicale,
le docteur regarde dans le passé simplement pour chercher les
causes de la maladie présente. L’action qui apporte une aide,
curative et créatrice, se situe dans le présent. Il est inutile qu’un
docteur reproche au patient les actes passés qui ont provoqué
la maladie présente. Un médecin digne de ce nom examine le
patient et, tranquillement, poursuit son travail de guérison. C’est
ce que fait le Maître dans son travail spirituel. Notre passé peut
être important pour lui, mais pour nous il n’a aucun intérêt ; au
contraire, ressasser notre passé servira seulement à renforcer nos
impressions, à les faire pénétrer de plus en plus profondément,
formant de solides samskaras qui sont plus difficiles à nettoyer.
D’où l’importance vitale d’abandonner notre passé au Maître, de
l’oublier et de vivre le présent comme il nous l’indique, afin que
notre avenir puisse être ce qu’il veut qu’il soit.

Tout ce que nous considérons comme désirable et convoitons


est ainsi mis au rebut, et on nous demande de prendre un nouveau
départ en nous présentant au Maître comme une âme ensevelie
dans un corps humain, à la recherche du but le plus élevé accessible
à l’humanité. Immédiatement et miraculeusement, s’offre à nous
la possibilité de créer une fraternité d’hommes où il nous est

38
La tolérance → sommaire

seulement demandé d’être des êtres humains. De même que le


Maître détruit les fallacieux édifices que l’homme a créés autour
de lui, qu’il s’agisse du pouvoir, de la fortune, de la célébrité, de
l’éducation et ainsi de suite, on nous demande de bannir tout cela
de notre propre mentalité. Ce qu’il fait, nous devons le faire à
notre tour. Ce qui est balayé doit l’être une fois pour toutes. Ainsi,
cette grande tolérance pour l’humanité, dans son ensemble et
pour chacune des entités qui la composent  : les êtres humains,
est inculquée et mise en pratique. Et ainsi, en ramenant toute
l’humanité à ses racines originelles, le Maître est extrêmement
bienveillant et semblable à Dieu. C’est le don le plus élevé de sa
divine sagesse selon laquelle, pour le Créateur, tous sont un. Un
homme peut-il différencier une fourmi d’entre les autres dans
une fourmilière ? Pour nous, toutes les fourmis se ressemblent.
Peut-être ont-elles un gouvernement, une structure sociale, une
échelle de classes, mais pour nous tous, ceci n’existe pas. A plus
forte raison, vus d’en haut, pour une vision divine, imaginez à
quel points les humains doivent être tous semblables  ! Quand
nous imitons le Maître et apprenons à voir “tous” comme étant
“un”, alors nous aspirons aussi à cette conscience divine en nous
et cette simple aspiration nous élève et nous ouvre la possibilité
de la réalisation.

Ainsi, pour en revenir à la tolérance, voyons-nous et compre-


nons-nous à quel point ce n’est pas seulement une vertu parmi
d’autres, mais la vertu cardinale  ? Et plus précisément encore,
c’est la perception de La vérité de la création : « Tous les hommes
sont créés égaux aux yeux de Dieu » et lorsque nous cherchons à
classifier et diviser ce qui a été créé en tant qu’unité, nous essayons
purement et simplement de détruire le fondement même d’une
telle création. Ainsi la tolérance consiste-t-elle à se conformer
à la volonté et au dessein de Dieu  ; cette conformité nous offre
l’opportunité de nager dans le sens du courant, ce qui permet à
notre voyage d’être non seulement débarrassé des perturbations,
mais aussi deux fois plus rapide. En cela réside la possibilité d’une
évolution rapide vers notre but, dans cette vie même.

Le bénéfice ultime de cet entraînement est qu’une personne est


capable de se voir elle-même telle qu’elle est réellement, dépouillée
de tous ses attributs ; et cette capacité à vivre avec soi-même se

39
→ sommaire Mon Maître

développe au fur et à mesure que nous grandissons jusqu’à aimer


ce que nous voyons. Après tout, lequel d’entre nous se connaît-
il vraiment  ? Mais pour se connaître soi-même, peut-être doit-
on commencer par connaître et comprendre les autres. Ensuite
ce regard entraîné doit être tourné de l’extérieur vers l’intérieur.
Et, alors que nous voyons les êtres humains ballotés ça et là par
leurs défauts et qualités, nous acquérons une perspicacité et une
compréhension profonde des mystères de l’existence, suivies
d’une tendresse et d’un amour qui se développent spontanément
à partir d’une aussi profonde compréhension.

Il n’y a plus alors aucune répulsion, ni aversion, ni dénigrement


car, aussi longtemps qu’hommes et femmes demeureront
tels qu’ils sont, les choses, elles, sont exactement comme elles
doivent être. Ici commence à poindre la sagesse qui dit que tout
changement doit commencer par soi-même. Au fur et à mesure
que je change et croîs, ma vision et ma conscience font de même.
Et avec cette croissance une possibilité parallèle m’est donnée,
celle d’aider les autres à lutter pour le changement et le progrès
et à le réaliser en eux-mêmes. Ainsi toute réforme doit, comme la
charité, commencer par soi-même.

Le type courant ou traditionnel de réformateur qui fulmine


devant un auditoire patient et résigné, prêchant le feu de l’enfer et
la damnation, peste simplement contre lui-même mais en utilisant
le public comme cible de substitution. Le véritable réformateur est
un travailleur silencieux qui ne prêche contre rien, qui ne condamne
personne mais qui, ayant œuvré sur lui-même silencieusement et
en secret, se met à l’ouvrage avec et pour les autres, de la même
façon secrète et silencieuse. Voici comment travaille mon Maître,
silencieusement, sans publicité ni propagande. Son travail est
soutenu par les ressources infinies de la Nature, en pouvoir et en
sagesse, lesquelles ont été mises à sa disposition sans réserve.

40
→ sommaire

IV

LE DEVOIR

L’interprétation donnée par mon Maître concernant des


concepts tels que la charité, le renoncement et le devoir est radica-
lement différente des idées ou significations qu’on leur attribue
habituellement. Nous pensons tous savoir ce qu’ils signifient.
A vrai dire, ces idées nous sont tellement familières que nous
serions étonnés si l’on nous disait que nous n’en connaissons pas
réellement la signification. La plupart des gens ont le sentiment
d’avoir appliqué ces concepts en accord avec les commandements
de la société et de la religion, occasionnellement aussi avec leur
conscience. Et notre propre compréhension s’accorde si bien avec
celle de notre entourage, que l’on voit difficilement comment il
pourrait y avoir une autre manière de comprendre ces concepts. De
toute façon, nous continuons de faire comme nous avons toujours
fait, confiants dans les principes religieux qui nous soutiennent.

Nous sommes tous familiarisés avec cette institution qu’est la


charité religieuse ! Je l’appellerais volontiers “la charité rituelle”,
elle est pratiquée par des hommes et des femmes bien-pensants
partout dans le monde, quelle que soit leur appartenance religieuse.
La pièce déposée dans le plateau, le tronc ou le réceptacle prévu
pour cela ! Des donations pour des motifs particuliers imaginés
par des personnes pieuses, des offrandes en nature, toutes ces
choses nous sont trop familières ! C’est aussi la pièce qu’on laisse
tomber dans les mains d’un mendiant à la sortie du lieu de culte.
Une telle charité est considérée comme un acte pieux, capable
d’élever le donateur et d’attirer sur lui les bénédictions du Tout-

41
→ sommaire Mon Maître

Puissant. Les religions orientales sont encore bien plus accablées


de cette vertu apparente que leurs homologues européennes.

Qu’offre le donateur ? Souvent ce n’est qu’une pièce de cuivre


de la plus faible valeur et, généralement, il accompagne son geste
d’admonestations et de reproches envers le pauvre mendiant. Quand
ce don, prétendument prescrit par la religion a été concédé, le visage
du donateur s’illumine d’un rayonnement “d’autosatisfaction” de
s’être acquitté de son devoir religieux. Souvent c’est le premier
d’une série d’actes expiatoires et propitiatoires à l’entrée d’un
lieu de culte. Un autre aspect de ce genre de charité consiste à
distribuer des restes de nourriture. Ceci serait louable si ce geste
était accompli pendant que la nourriture est encore comestible,
mais en général l’individu charitable préfère s’assurer qu’il ne
prive sa famille de rien. Aussi les restes sont-ils conservés jusqu’à
ce que personne ne puisse les manger et ensuite, ensuite seule-
ment, la nourriture est abandonnée à un pauvre mendiant qui
est trop affamé pour se soucier de la qualité de ce qu’il mange.
Une fois encore, cet acte charitable s’accompagne de beaucoup de
conseils bons et pieux et très souvent aussi d’injures.

Puis il y a les donations faites pour se conformer aux conseils des


astrologues. De tels dons peuvent être souvent très coûteux selon le
transit dont certaines planètes sont affectées. Dans de tels cas, les dons
de bijoux, soieries, vaisselle d’argent, etc., se font à d’autres membres
du cercle familial et non pas aux personnes réellement dans le besoin.
Ceci est fait à dessein, ainsi les donations restent dans la famille. Il y
a aussi des exemples de ce que j’appelle, faute d’un meilleur terme,
le “clou” de l’hypocrisie. Ceci s’applique dans le cas d’individus qui
s’engagent dans l’acte le plus pieux et vertueux  : la renonciation à
toute richesse et possession, stade préparatoire à l’entrée dans le saint
état de sannyasa. Dans de rares cas, certains individus distribuent
vraiment leurs richesses aux nécessiteux, mais le plus souvent de
telles personnes répartissent convenablement leurs biens entre leurs
amis et parents avant de revêtir la robe jaune. Ceci aussi, est de la
charité ! De nombreux sannyasis continuent de recevoir “cadeaux” et
“donations” qu’ils renvoient à leurs familles délaissées. Dans de tels
cas qui ne sont ni rares ni exceptionnels comme on pourrait le croire,
le sannyasi devient souvent une meilleure source de revenu qu’au
temps de son rôle antérieur de chef de famille incompétent.

42
Le devoir → sommaire

Je ne donne pas ces exemples pour critiquer les idées en cours ni


pour décrier les pratiques existantes. Après tout, les gens peuvent
seulement se comporter comme on leur a appris à le faire. Et quand
un tel enseignement est le produit de la pensée religieuse et de
ses préceptes tels qu’interprétés par les gardiens de la religion,
les prêtres, très peu de gens peuvent faire autre chose que d’obéir
aveuglément. La majorité de l’humanité ne connaît rien de mieux
que de suivre superstitieusement les instructions des écritures
saintes, telles qu’interprétées par le clergé. La superstition, et la
peur que cette dernière génère, sont les causes incontestables
qui sous-tendent de tels actes charitables. S’il pouvait être donné
aux gens de voir la lumière de la vérité et de se défaire de la
superstition, beaucoup de cette hypocrisie religieuse s’évanouirait
du même coup. En Inde, la religion exerce une emprise ferme et
tenace sur la vie d’un individu, et presque toutes les étapes de la
vie, depuis sa naissance jusqu’à l’échéance finale de la mort, sont
gouvernées par les règles du rituel et de l’usage. Les intérêts des
prêtres qui officient à chacune de ces cérémonies particulières,
tant celles qui concernent la vie que celles qui concernent la mort,
sont protégés avec zèle, du fait des honoraires prescrits à chaque
stade du rituel et appelés, par euphémisme, “offrandes”. Dans
une telle société les gens n’ont pas d’autre choix que de souffrir
en silence et de partager, avec une joie feinte, une partie de leur
revenu durement gagné. Les plus hardis et expérimentés de
ces fidèles marchandent avec le clergé afin de limiter leur perte
tout en s’arrangeant pour que le rituel soit aussi exhaustif que
possible, tandis que les humbles sont ceux qui souffrent le plus de
cette situation. La seule compensation pour ces pauvres victimes
est de faire contre mauvaise fortune bon cœur, ce qu’ils font, au
mieux de leurs possibilités !

Après avoir dit tout ceci, je dois ajouter en toute impartialité


envers toutes les religions, que ces dernières elles-mêmes ne
sont pas responsables de cet état de chose. Tout ceci n’est dû qu’à
l’emprise rapace d’un clergé cupide sur un public très crédule et
illettré, comme c’est le cas en Inde.

Qu’enseigne mon Maître à ce sujet  ? Premièrement, nul n’a


le droit de faire la charité tant que les besoins de sa famille ne
sont pas pleinement satisfaits. Personne n’a le droit de distribuer

43
→ sommaire Mon Maître

de l’argent ou des dons avant de s’être absolument assuré que


de tels dons proviennent de l’excédent disponible des moyens
d’existence de la famille. Autrement, cela revient tout simplement
à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Au premier abord, ceci
semble être une approche vraiment très égoïste. Une fois, j’eus
une longue discussion avec mon Maître sur ce sujet. « Regarde, me
dit-il, suppose que tu veuilles distribuer une somme d’argent par charité
et que ta famille vienne pour cela à en souffrir, peux-tu appeler cela
de la charité  ? J’appellerais seulement cela de la sottise. Quel est ton
devoir en tant que grihastha ou chef de famille ? En te mariant et en
acceptant les responsabilités d’une vie de famille, tu as accepté de remplir
certains devoirs envers elle. Ces devoirs sont absolument obligatoires.
Par conséquent si ton aumône doit faire souffrir ta famille, ce n’est pas
un don du tout, ce n’est pas de la charité. Tu voles réellement ta propre
famille. Alors qu’en dis-tu ? Comment peut-on appeler ce vol  ? De la
charité ? » Je demandai ensuite à Babuji si un tel acte de charité
serait justifié si les autres membres de la famille y consentaient.
Il répondit : « Non il ne peut pas se justifier ! Quelle épouse hindoue
ira à l’encontre des souhaits de son mari ? Et dans le cas d’actes ou de
cérémonies religieux, elle ne s’y opposera pas. Il t’appartient de décider ce
qu’est ton devoir et ensuite il est de ton devoir de l’accomplir correctement.
Si tu consultes les autres, tu essaies seulement de rejeter sur eux le blâme
et la responsabilité. » Je posai une troisième question : « Qu’en est-il
des dons négligeables faits aux mendiants, etc. ? » Mon maître rit,
d’un rire ironique : « Appelles-tu cela de la charité ? demanda-t-il.
Nourrir les pauvres et donner quelques haillons à tes frères humains n’est
pas de la charité. C’est ton devoir. C’est notre devoir d’êtres humains de
protéger nos frères et sœurs qui souffrent. C’est une honte de penser qu’il
s’agit là de charité ! » Ce dialogue mit amplement en évidence qu’à
moins qu’une personne puisse vraiment se permettre de faire un
don, elle n’a le droit d’en faire sous aucune forme. L’interprétation
de mon Maître est à considérer du point de vue du devoir.

C’est un paradoxe de voir que les gens pauvres semblent être


plus souvent en mesure de faire la charité que les gens riches. Les
sacrifices que les gens pauvres ont faits, non seulement en temps
ordinaires mais aussi durant les périodes de désastres nationaux,
de calamités naturelles ou autres, sont un sujet d’émerveillement.
L’interprétation du Maître qui différencie le “besoin” indispensable
(need), du “besoin” fabriqué (want), explique ce curieux paradoxe.

44
Le devoir → sommaire

Le Maître, à ma connaissance, n’a jamais utilisé le terme “want”


mais insiste toujours sur l’utilisation du terme “needs”. Ceci met
l’accent sur le fait qu’il y a une différence fondamentale entre ces
deux termes. Les besoins “needs” sont fondamentaux à l’existence
tandis que les besoins “wants” sont créés par les désirs et, d’une
certaine façon, superflus pour l’existence. C’est pourquoi les
gens pauvres sont en mesure de faire la charité, du fait de leurs
besoins très réduits, puisque leurs vies sont simples et en accord
avec la nature. Donc, aussi modestes que soient leurs revenus
et aussi bas que soit leur niveau d’existence, il semble qu’il leur
soit toujours possible de trouver un superflu quelconque à leur
propre existence, qu’ils peuvent offrir de tout cœur pour soulager
la misère de leurs frères humains. Dans le cas des riches qui sont
accablés par ce qu’on peut appeler d’une manière sophistiquée :
un niveau de vie supérieur, les besoins “wants” en matière de
luxe, d’attirail superflu, sont énormes, de telle sorte que, quel que
soit leur niveau de revenus, ils semblent toujours avoir besoin de
plus d’argent pour faire face aux dépenses créées par des désirs
toujours nouveaux, et cela continue ad infinitum. Quand cette
situation a duré un certain temps, certains riches commencent
souvent à se sentir coupables. Alors il n’est pas rare d’en trouver
quelques-uns donnant des sommes importantes aux œuvres de
charité. Mais leur esprit est tellement embrumé, que souvent
l’argent est gaspillé dans des spéculations donnant bonne
conscience, comme bâtir des temples au lieu d’aider la partie
la plus déshéritée de l’humanité à vivre une vie meilleure. De
telles personnes gaspillent souvent leur énorme richesse à faire
ce qu’elles considèrent être des actes charitables. Il est courant
qu’elles chassent un mendiant de devant leur porte alors que, sur
les indications des prêtres, elles sont prêtes à dépenser de petites
fortunes en une seule fois afin d’apaiser leurs déités familiales.
Il est rare de trouver chez de telles personnes un changement
intérieur de leur être, qui les conduirait dans la bonne voie.
Leur crainte d’une punition pour les méfaits commis, devient
simplement une force superstitieuse qui les renvoie de l’un à
l’autre, en quête d’un rituel religieux propitiatoire. Il n’y a pas
de remords dans leur cœur ; c’est simplement une échappatoire,
la restitution motivée par la peur d’une richesse mal acquise,
semblable à celui qui écoperait désespérément un bateau sachant
que celui-ci va sombrer. Si les riches simplifiaient leurs vies

45
→ sommaire Mon Maître

conformément aux enseignements fondamentaux de mon Maître,


le surplus libéré serait tout simplement énorme. Nous trouvons la
même loi opérant aussi à des niveaux internationaux où certaines
nations sont saturées par l’abondance économique mais sont
encore peu disposées, et souvent incapables, de distribuer leur
surplus aux nations les plus nécessiteuses. Ceci fait appel à la
compréhension universelle, par tous les êtres humains, de la
manière de diriger leur vie individuelle de sorte que les dons
dus à la bonté de la nature soient rendus accessibles à tous plutôt
que réservés à quelques-uns seulement. Je me souviens d’une
discussion tenue dans une capitale occidentale, ayant pour sujet
la réduction du taux de natalité dans les pays sous-développés.
Quelques intervenants bien-pensants essayaient de prouver que
si seulement des pays tels que l’Inde réduisaient rigoureusement
le nombre des naissances, alors la terre regorgerait de lait et
de miel. La discussion prit fin de façon quelque peu abrupte
lorsqu’un gentleman indien présent fit remarquer qu’un rapport
de la Commission des Nations Unies avait donné des statistiques
montrant que la dépense faite pour élever un bébé occidental
pendant sa première année suffirait à nourrir et élever cinq cents
bébés dans une nation sous-développée. Ceci montre l’énorme
surconsommation des nations occidentales et la nécessité qui
incombe à ces gens-là de réfréner leur consommation si l’on
veut que tous les peuples du monde, considérés comme un tout,
puissent bénéficier des ressources mondiales disponibles. A cet
égard, un fait significatif mérite l’attention : la pauvreté engendre
la charité alors que l’abondance engendre l’égoïsme.

Le Maître observe ces principes d’une manière rigoureuse


également avec ses abhyasis. Je l’ai vu maintes fois refuser des
dons offerts par ces derniers. Il demande invariablement à
l’abhyasi : « Où travaillez-vous ? Que gagnez-vous ? Etes-vous marié ?
Combien de personnes avez-vous à charge  ?  »  Et après tout cela, si
les réponses lui donnent satisfaction, il se peut qu’il accepte la
donation. Dans certains cas, il a refusé des donations même après
tous ces éclaircissements. Je lui ai demandé pourquoi il refusait
certaines donations : « Quelques personnes veulent sincèrement aider
la Mission, dit-il, si elles en ont réellement les moyens alors j’accepte ce
qu’elles donnent. Il y en a d’autres qui m’offrent un don uniquement pour
m’impressionner par leur générosité ! Le don ne vient pas du cœur mais

46
Le devoir → sommaire

seulement de leur porte-monnaie. Dans de tels cas, je le refuse. » Pour


le Maître, une donation ne représente rien en soi. L’argent n’a pas
d’importance à ses yeux. Mais c’est un signe de l’amour de l’abhyasi
pour le Maître et la Mission. Le Maître accepte donc les donations
seulement comme témoignage de l’amour du donateur. J’ai vu le
Maître refuser des donations vraiment importantes à deux reprises.
Les montants offerts étaient si importants que quelqu’un d’autre
que mon Maître aurait accepté immédiatement. Par ailleurs, je l’ai
vu profondément ému lorsqu’une abhyasi, les larmes aux yeux,
vint lui offrir très humblement, timidement et avec beaucoup
d’hésitations, une donation d’un montant incroyablement minime.
Mon Maître fut ravi de l’offrande, l’accepta instantanément et
ne cessa d’en parler à tout un chacun pendant des mois. Je lui
demandai pourquoi il faisait pareil cas d’une aussi petite somme.
Il répondit : « Si jamais Birla me donnait dix millions de roupies, cela
ne représenterait rien pour lui, parce que c’est une petite partie de sa
fortune. Mais ce que cette abhyasi a donné, même un montant aussi
minime, a été laborieusement économisé pendant plusieurs mois et
représente toutes ses économies. Vois-tu le degré de sacrifice et l’amour
derrière ce geste ? C’est pourquoi j’y attache une grande valeur. »

Une fois, à Shahjahanpur, un vieil homme de plus de soixante-


dix ans vint voir le Maître. Il était très actif, bien habillé et coiffé
d’un énorme turban enroulé autour de la tête. Le Maître accepta
de le rencontrer et de lui consacrer un moment. Il engagea la
conversation en lui demandant d’où il était et ce qu’il faisait. Cet
homme répondit qu’il habitait une ville voisine et qu’il faisait
un travail social. « Ah bon ! dit le Maître, eh bien ! je suis heureux
d’apprendre que vous travaillez dans le domaine social. C’est ce dont
notre pays a besoin. Que faites-vous au juste  ?  »  L’homme âgé fut
flatté par cette réaction et dit qu’il organisait des rassemblements
dans les villages, distribuant des vêtements aux nécessiteux, ainsi
que de la nourriture. « Oh, dit le Maître, vous appelez cela un service
social  ? Ce n’est pas ça du tout. En tant qu’être humain vous avez le
devoir envers vos frères et sœurs de vêtir ceux qui sont nus et de nourrir
les affamés. Il est regrettable que vous puissiez appeler cela un service
social. Le vrai service social ce n’est pas cela. Si vous pouvez faire quelque
chose pour élever vos frères et vos sœurs vers le vrai but de la réalisation,
alors cela peut être appelé un service social. » Quand cet homme fut
parti, le Maître me fit remarquer : « Vois à quel point nos valeurs ont

47
→ sommaire Mon Maître

dégénéré. Notre pays a toujours été réputé pour ses valeurs spirituelles et
pour la grande hospitalité de son peuple. Mais maintenant voilà ce que
nous sommes devenus. Mais malgré tout, je peux t’assurer que nulle part
ailleurs dans le monde tu ne trouveras une hospitalité semblable à celle
qui existe en Inde, même aujourd’hui. Par la grâce de Lalaji, l’Inde se
relèvera à nouveau pour être le guide spirituel de l’humanité. »

Dans la propre demeure du Maître, on peut voir que ses


principes sont appliqués avec exactitude. C’est une leçon en elle-
même d’observer à quel point mon Maître est l’exemple vivant
de son propre enseignement. Le logement offert aux visiteurs est
des plus simples tout en étant confortable. Le luxe en est exclu.
De même la nourriture offerte aux visiteurs est de bonne qualité
et nourrissante mais très peu variée. Il n’y a ni étalage, ni variété
impressionnante, ni artifice pour flatter le goût. J’ai découvert
que ceci s’apparentait au service offert par la nature. Une telle
alimentation nous aide à obtenir ce dont nous avons besoin, être
nourris, tout en écartant la gourmandise et l’abus. Le goût, le
goût artificiellement créé, provoque seulement la gourmandise
et conduit à un mode de vie en désaccord avec la Nature. Une
alimentation simple nous aide à vivre de la manière prévue par
elle et qui consiste à manger ce dont le corps a besoin pour une
existence saine et rien de plus. Ceci est une précieuse leçon que le
Maître nous enseigne par cet exemple direct.

Un jour, au cours d’un déjeuner à Shahjahanpur, un des


abhyasis se mit à critiquer violemment la qualité de la nourriture,
s’en prenant particulièrement à la monotonie du menu jour
après jour. Il parlait haut et fort pour exprimer ses critiques. Il
disait souhaiter plus de variété dans le menu et se demandait
pourquoi rien n’était fait pour donner plus de goût à la nourriture
et la rendre plus appétissante. Une fois le déjeuner terminé, nous
sortîmes tous de la salle à manger pour aller sous la véranda où
le Maître était assis dans son fauteuil habituel. Il était impossible
qu’il ait entendu les remarques de l’abhyasi. Pourtant, dès que
nous fûmes près de lui, mon Maître se leva de son fauteuil, fit
quelques pas pour venir à notre rencontre et dit à l’abhyasi
mécontent : « Ecoutez, je donne une nourriture simple pour le corps,
mais je donne une nourriture divine pour l’âme. » Puis il retourna à
son fauteuil et à son hookah. Quelques minutes plus tard, j’eus

48
Le devoir → sommaire

la chance d’être seul avec lui, il me dit alors : « Tu vois ce que ces
gens attendent de moi  ? Je leur ai dit que je peux prendre la complète
responsabilité de leur âme, mais pour ce qui est de leur corps, c’est à eux
de s’en occuper. J’essaie de donner une bonne nourriture. Nous devons
manger suffisamment pour conserver notre corps en bon état afin qu’il
nous aide à traverser la vie. La nourriture n’est pas faite pour le goût,
mais seulement pour s’alimenter. Et dans ce but, je pense que je donne une
nourriture suffisante et bonne. Je suis ici pour servir le besoin spirituel des
gens, mais s’ils pensent que je suis là aussi pour leur fournir des festins
gastronomiques, alors que puis-je faire ? »

De nombreuses familles se sont ruinées pour avoir affiché une


façade artificielle avec de l’argent emprunté. L’ego est la cause
d’un tel comportement. Nous vivons et nous divertissons au-delà
de nos moyens, uniquement pour impressionner notre entourage,
mais la bonne opinion ainsi achetée revient excessivement cher et
cela se paie amèrement à la fin. Les vrais chercheurs de la réalité
ne peuvent se prêter à un tel comportement aussi hypocrite. Nous
devons prendre le Maître comme exemple vivant et diriger notre
vie comme il conduit la sienne.

Dès que la Mission fut fondée en 1945, il y eut un afflux régulier


de visiteurs à Shahjahanpur. Au commencement ce n’était qu’un
ruisselet. Maintenant avec la croissance et l’expansion de la
Mission, le ruisselet est devenu une marée. Et pourtant, pendant
toutes ces années, le Maître a reçu tous ses hôtes en puisant dans
ses ressources personnelles. Ses ressources ont toujours été très
modestes. Qu’il ait pu nourrir les milliers de visiteurs qui viennent
le voir chaque année et, souvent en habiller également plus d’un,
est un sujet d’émerveillement. Ceux qui le connaissent savent que
lorsqu’il travaillait encore, il occupait dans la vie une situation
très modeste qui pouvait difficilement lui permettre de faire des
économies importantes. Mais en étudiant sa manière de vivre,
il est clair que si nous pouvons simplifier nos vies, et renoncer
à toute ostentation, tout superflu ou luxe inutile, alors même
un petit revenu peut servir à accomplir beaucoup de choses. Le
Maître lance un appel à l’humanité moderne  :  «  Soyez simple et
en accord avec la nature.  »  Il vit la vie qu’il demande aux autres
de vivre. Il considère toute manière artificielle de vivre comme
superflue, nocive et souvent hypocrite. Notre hospitalité doit être

49
→ sommaire Mon Maître

en accord avec nos moyens. L’hospitalité, l’hospitalité ostentatoire,


fondée sur de l’argent emprunté, ne peut être qu’hypocrite car
elle cherche à impressionner les autres, elle est fausse et irréelle,
et opposée à la Réalité. Ceci est une leçon de morale que nous
avons besoin d’apprendre et de propager.

J’ai eu de longues conversations avec mon Maître à propos


d’une condition que la plupart des religions semblent prescrire :
distribuer toute fortune et toute propriété avant de s’engager
dans la vie religieuse. Certains même prescrivent le renoncement
total à la famille et l’adoption de l’ascétisme. Mon Maître est
tout à fait convaincu que de telles recommandations ne sont pas
nécessaires et que certaines peuvent même aller à l’encontre
de la Nature.  «  Quel mal y a-t-il à la richesse tant qu’elle est bien
acquise ? Lorsqu’un homme travaille, il a droit au fruit de son travail.
Oui, il y a une façon juste d’utiliser sa fortune, de même qu’il y en a
d’innombrables mauvaises ! La fortune est seulement un pouvoir. Et tout
pouvoir est bon tant qu’on l’utilise de façon constructive pour le bien de
l’humanité. Chaque individu a le droit de gagner de l’argent légalement.
Je ne vois rien de mal à cela. Mais nous ne devons pas être attachés
à la richesse. Elle ne doit pas devenir le but. Notre but doit toujours
être clair et nous ne devons pas nous en écarter. Tout peut survenir sur
notre chemin, mais nous devons continuer sans cesse vers notre but.
Vous devez considérer la richesse comme une rivière. Prenez tout ce qu’il
vous faut et ensuite utilisez le reste au bénéfice de vos frères et sœurs.
Voilà l’attitude juste. Maintenant voyons ! Les religions disent que vous
devez quitter votre famille et vos enfants et vous enfuir dans la jungle
ou dans l’Himalaya. A quoi bon  ? Cela n’est pas facile à faire. C’est
contre nature. C’est aussi un acte de couardise puisque vous fuyez vos
devoirs et vos responsabilités. Lorsque vous serez dans la jungle vous
serez obsédé par votre foyer et votre famille. Comment voulez-vous
pratiquer tapasya dans de telles conditions  ? Alors quel est le moyen
le plus approprié  ? Je vous dis qu’il est préférable de mener la jungle
chez vous plutôt que de transporter votre foyer dans la jungle. Comment
y parvenir  ? En vérité c’est très simple. Pensez que vous n’êtes qu’un
invité dans votre propre maison. Vous constaterez que tous les problèmes
s’évanouissent. Traitez votre femme et vos enfants comme un bien que
Dieu vous a confié. Ils ne sont pas à vous. Ils ne sont ni votre femme, ni
vos enfants, mais ils vous sont confiés, mis sous votre garde. Comprends-
tu cela ? Tout esprit de possession doit disparaître. Ce n’est que lorsque tu

50
Le devoir → sommaire

penses “cette chose est mienne” que naît en même temps l’idée de perte.
Ce qui vous est confié, vous pouvez l’administrer objectivement et très
exactement. Vous serez à même de faire pour eux ce dont ils ont besoin, ce
qui est nécessaire. En vérité vous apprenez à bien accomplir votre devoir
seulement dans l’environnement familial. Lalaji avait coutume de dire
que la vie de grihastha ou de chef de famille est le lieu d’entraînement
le plus important, car c’est là que nous apprenons la véritable charité,
le véritable amour et le vrai renoncement. Ce n’est que dans la vie de
chef de famille que nous apprenons à penser aux autres avant de penser
à nous-même. Cela est donc très important. Et je vous assure que c’est
vraiment très facile. Changez simplement le cours de vos pensées. »

Mon Maître poursuivit  :  «  En vérité, je n’ai pas beaucoup de


considération pour le sannyasa. Bien sûr, il existe des sannyasis sincères
qui ont adopté ce mode de vie par véritable esprit de renonciation et de
désir ardent pour le Divin. Mais pour la plupart il s’agit seulement de
personnes ayant fui les responsabilités de la vie en vivant aux crochets
de la société. Certains d’entre eux ont également une façon de vivre et
une conduite morale assez déplorables. Mais on a dit à notre peuple de
les révérer et beaucoup en souffrent. »

Selon mon Maître, les anciennes traditions de renonciation


à la richesse et à la famille peuvent être extrêmement nuisibles
spirituellement et peuvent bloquer le progrès spirituel d’un
abhyasi, parfois pendant plusieurs vies. On m’a rapporté l’histoire
du cas spirituel d’un abhyasi qui pratiquait la méditation selon
le Sahaj Marg sous la conduite du Maître depuis près de quinze
ans. Cette personne stagnait cependant à un certain point où tout
progrès s’était arrêté. Le Maître avait fait plusieurs tentatives
pour l’aider à progresser plus avant, mais sans succès. A cette
étape, le Maître décida d’examiner la vie antérieure de l’abhyasi
et de chercher à voir s’il y avait là quelque cause mettant un frein
au progrès dans cette vie présente. Il examina la vie intérieure
au cours d’une méditation spéciale et découvrit que dans sa vie
précédente, cet abhyasi avait été une femme, mariée, avec plusieurs
enfants. C’était une femme d’une profonde dévotion qui désirait
sincèrement poursuivre l’obtention de l’antique mukti, une forme
limitée de libération à partir de laquelle il n’y a plus de renaissance
physique. Elle avait souffert terriblement d’avoir à mener la vie
d’une femme au foyer. Désireuse de devenir sannyasi, elle s’enfuit

51
→ sommaire Mon Maître

un jour de son foyer avec ses enfants, les emmena dans la jungle
et les abandonna là, sur la rive d’un fleuve. Puis elle s’enfuit en
courant. Les enfants effrayés poussèrent des cris déchirants qui
la poursuivirent dans sa fuite. Ne supportant pas d’entendre
leurs cris, elle se boucha les oreilles avec la paume de ses mains
et courut sans s’arrêter. Le Maître trouva que les cris des enfants
abandonnés avaient créé une impression si forte et si profonde
dans le mental de cette femme, qu’il en résultait la formation
de samskaras profonds. Cela avait empêché le progrès spirituel
de l’abhyasi dans la vie présente.  «  Regarde, dit mon Maître, elle
pensait avoir fait un acte vertueux qui lui accorderait mukti mais en
réalité c’était un acte cruel et sans cœur. Aussi la Nature l’a punie dans
cette vie en lui refusant le progrès spirituel, la chose même pour laquelle
elle avait renoncé à sa vie de famille ! » Puis il ajouta : « Du fait que
l’abhyasi est très sincère et désire ardemment progresser, j’ai supprimé
cette impression. Sais-tu ce qui s’est passé  ? La personne a franchi
immédiatement trois points ! Voilà ce que j’appelle la spiritualité. C’est
par la grâce de Lalaji que cela est possible. Où peut-on trouver un Maître
tel que lui ? Mais sans la grâce de Lalaji, je ne sais pas combien d’autres
vies cette pauvre femme aurait eues à subir avant de pouvoir progresser.
Nous ne devons pas aller contre la Nature. Tu vois les méfaits
commis à cause de l’ignorance des gens. Je te le dis, à moins que ces
méthodes d’approche erronées ne soient abandonnées, il est impossible
d’accéder à la spiritualité. »

Pour nous, l’histoire de ce cas a de profondes implications.


L’ascétisme n’est pas la bonne voie. Il est aussi faux et antinaturel
qu’un mode de vie totalement matérialiste. Ils ne sont que les
deux extrêmes de l’échelle et aucun ne peut réussir. Alors quel
est le moyen adéquat ? Mon Maître dit que l’existence équilibrée,
une vie dans laquelle tous les aspects de l’existence humaine sont
équilibrés, est l’unique mode de vie correct. Dans une telle vie, les
valeurs matérielles et spirituelles vont de pair, et l’une ne devrait
pas être négligée au profit de l’autre. Nous devons prêter une égale
attention aux deux plans de l’existence. Les deux plans de l’existence
sont comme les deux ailes d’un oiseau. Aucun oiseau ne peut voler
avec une seule aile. Les deux sont nécessaires. Pareillement, nous
devons vivre à la fois une existence matérielle et spirituelle d’une
manière équilibrée en les utilisant comme instruments pour
atteindre notre but. Elles ne devraient pas devenir des fins en elles-

52
Le devoir → sommaire

mêmes. Certaines personnes commettent l’erreur de prendre la


vie spirituelle ou la recherche comme une fin en soi. Notre but
doit être fixé et précis : réaliser la condition humaine parfaite. Sans
défaillance ni hésitation. La vie matérielle, la vie du corps et dans
le corps, offre la possibilité de chercher et d’atteindre ce but. Ainsi,
pour cela au moins, notre vie dans le corps est essentielle. C’est
dans cette vie, dans cette existence que nous pouvons et devons
chercher notre but. De même, la vie spirituelle est uniquement le
chemin que nous devons fouler, elle ne doit pas être confondue
avec le but. C’est cette méprise entre le chemin et le but qui cause
tant de souffrances humaines. La religion aussi a échoué, parce
qu’une vie religieuse ou pieuse, par elle-même, est incapable de
nous conduire au but. Quand les gens confondent le chemin et
le but, alors la vie perd toute signification et devient ritualiste et
mécanique. La stagnation s’installe alors dans l’individu, dans la
société et dans toute la nation. Le Maître met continuellement
l’accent sur cet aspect crucial de son système : les deux aspects de
la vie, le matériel et le spirituel, sont tous deux nécessaires pour
nous aider à atteindre notre destination spirituelle. Le degré auquel
ces aspects peuvent être normalisés et équilibrés, déterminera le
degré de notre succès. J’ai soumis certains problèmes personnels
au Maître, demandant son assistance pour réaliser un équilibre
parfait. Sa réponse fut concise mais lumineuse : « L’équilibre parfait
ne peut être acquis au cours de l’existence humaine. Si l’équilibre parfait
est obtenu, alors cette vie cesse immédiatement. Nous devons viser au
bon fonctionnement de toutes nos facultés. En soi, ceci est une grande
chose. C’est ce bon fonctionnement de toutes les facultés que j’appelle la
sainteté. L’équilibre parfait ne peut exister qu’en Lui ! »

En Inde nous avons beaucoup entendu parler de la non-


violence, au cours de notre vie. La non-violence ou ahimsa, qui
est le terme sanskrit, semblerait être un des aspects vitaux du
dharma hindou. Une des règles les plus importantes y afférant
nous dit  :  «  Ahimsa paramo dharmaha  »,  «  La non-violence est le
devoir le plus élevé.  »  Dans l’une des religions, cette pratique
de non-violence est poussée à l’extrême jusqu’à marcher pieds
nus afin de n’écraser aucun insecte ; la bouche et les narines sont
couvertes d’un voile pour que les formes de vie suspendues dans
l’air ne puissent être respirées et détruites dans notre organisme.
La quantité incroyable de bétail inutile que l’on peut rencontrer

53
→ sommaire Mon Maître

également à travers toute l’Inde répond aussi à la pratique


largement répandue de ce système. Mais cette dernière comporte
quelques réserves très curieuses. L’ahimsa pratiquée n’est pas
une ahimsa universelle. En fait, elle ne comprend pas dans son
étendue toute forme de vie, mais seulement celle sélectionnée et
protégée par chacune des religions. Pour les Hindous, la vache
est sacrée, donc la vache ne devrait pas être abattue. Parfois la
question de l’abattage des vaches prend de telles proportions
par l’importance qui lui est accordée et la publicité qui lui est
faite, qu’elle éclate en un débat national, les leaders politiques et
religieux se joignant à la bagarre. Mais ces mêmes protagonistes
de ahimsa sont prêts à détruire, avec un enthousiasme violent,
d’autres formes de vies pour lesquelles ils n’ont aucun respect.
Il y a une profonde antithèse entre précepte et pratique. Et
malheureusement le principe d’ahimsa semble ne pas trouver
sa place dans les relations interpersonnelles au niveau humain.
On peut rencontrer des exemples tragiques et ignominieux de
cette indifférence stupide et inhumaine envers la vie, dans la
destruction gratuite et préméditée de centaines de milliers de
vies humaines innocentes pendant les combats entre religions ou
communautés.

J’ai eu l’occasion de discuter avec le Maître au sujet de cette


question de l’ahimsa et son explication, comme toujours, est
très simple et facile à accepter. La destruction gratuite est himsa
ou violence. Je lui demandai plus d’éclaircissements. Il rit et
dit : « Suppose que tu sortes la nuit avec un peu d’argent dans ta poche
et un peu plus dans l’autre. Un voleur te menace avec un pistolet ou
un couteau et te demande de lui donner ton argent. Tu sors l’argent
d’une poche et le lui remets. Effrayé de s’approcher trop près de toi, il te
demande si tu en as davantage. Vas-tu lui répondre “Oui” et lui donner
l’argent de ton autre poche ? Ce serait certainement stupide. Pourquoi ?
Parce que ton devoir est de protéger tes biens et tout ce que tu fais pour
les protéger est juste. Suppose que quelqu’un s’introduise dans ta maison
avec violence, quelque bandit, et qu’il essaie de molester les femmes de la
maison. Vas-tu rester immobile pour pratiquer ahimsa ? Cela n’est que
de la couardise. Ton devoir est de protéger ceux dont tu es responsable
et si tu dois te battre pour le jeter dehors, tu dois faire cela. Je dirais que
ceci doit être observé au point de vue du devoir seul. Le dharma consiste
en ceci : faire son devoir est une conduite juste. Laisse-moi te dire autre

54
Le devoir → sommaire

chose. Cette idée de non-violence est une bonne idée, mais si on l’applique
mal, elle peut rendre les gens irrésolus et impuissants. Comment les
soldats peuvent-ils pratiquer la non-violence ? C’est leur devoir de tuer
l’ennemi. Dans la Gita, Shri Krishna dit la même chose à Arjuna. Il
lui dit d’aller détruire l’ennemi, sinon c’est de la couardise. Prends le
cas d’un médecin. Lorsqu’il soigne un malade, il le fait en détruisant les
microbes dans le corps. Strictement parlant c’est aussi de la violence,
mais quelqu’un serait-il prêt à mourir pour sauver des microbes  ?
Nous devons apprécier dans quel but la destruction est utilisée, si elle
est nécessaire pour accomplir correctement le devoir pour la création.
Ainsi, rétablir la santé est un acte créateur. Il ne peut donc y avoir de
création sans destruction. C’est pourquoi la destruction n’est ni bonne
ni mauvaise en elle-même. Au-delà des apparences, c’est le motif dont
il faut tenir compte. Il ne doit y avoir dans l’esprit ni pensée destructive
ni émotion. Cela est mauvais. Un soldat tue impersonnellement. Il ne
connaît pas celui qu’il tue. Ses actes ne sont motivés ni par intérêt ni
par haine personnels. Il remplit tout simplement son devoir. De la même
manière, un médecin n’a aucune haine en son cœur pour les microbes
qu’il détruit. Mais pour préserver la vie, il doit agir ainsi. Suppose qu’un
serpent vienne mordre ton enfant, vas-tu rester impassible ? Une telle
ahimsa serait pure folie. »

« En spiritualité, l’obéissance est de la plus haute importance. Quand


une personne s’abandonne à un maître, cela signifie qu’elle le fait
totalement sur tous les plans. Elle est devenue simplement un instrument
dans les mains du maître. Comment une telle personne peut-elle même
décider de ce qui est juste ou faux ? Ici, seule l’obéissance est correcte.
Il y a plusieurs niveaux d’existence et le devoir diffère d’un niveau à
l’autre. Le soldat obéit aux ordres du capitaine, mais quand il donne des
ordres à ses troupes, le capitaine à son tour ne fait qu’obéir aux ordres de
son officier supérieur immédiat, et ainsi de suite jusqu’au sommet de la
hiérarchie. Dans le travail spirituel, il n’est question ni de préférence ni
d’opinion personnelle. Le Maître nous guide sur tous les plans. Et si la
Nature réclame la destruction, il faut qu’elle s’exerce. Nous ne sommes
que des instruments. Si un instrument s’émousse et devient inutile,
l’artisan le jettera et en prendra un meilleur. Tu saisis cette idée ? Ainsi
l’obéissance est-elle la vertu la plus élevée. Après tout, Le Maître qui
travaille pour la Nature et met à exécution les ordres venus d’en haut,
sait ce qui doit être fait. » Là-dessus la conversation prit fin.

55
→ sommaire Mon Maître

Au cours d’une discussion ultérieure, je soulevai à nouveau


la question de l’obéissance et de la destruction. Je demandai à
mon Maître pourquoi on devrait blâmer les gens sincères qui
obéissent à leurs instructeurs religieux. Après tout, ils font
seulement ce que le Maître lui-même leur dit être ce qu’il y a de
plus important. Ils obéissent à leurs précepteurs. Le Maître admit
qu’un tel jugement était justifié. Il ajouta cependant quelque
chose qui éclaira parfaitement le sujet en disant : « L’obéissance est
une bonne chose et je comprends qu’ils obéissent et même si ce n’est que
partiellement, cependant l’esprit d’obéissance est là. Mais je te demande
ceci : supposons qu’ils obéissent à un dacoit (criminel) serait-ce correct ?
Non n’est-ce pas, c’est impossible ! Un dacoit détruit la vie uniquement
pour piller la fortune des gens, sans aucune autre motivation à son acte.
De la même manière, les gens peuvent obéir à ceux qui leur disent de
faire une chose ou une autre. Derrière toute cette obéissance, il n’y a
qu’une recherche de profit égoïste en vue d’un profit personnel. Pourquoi
les gens font-ils de grandes offrandes à des prêtres ou des astrologues ?
C’est simplement pour le profit personnel. Donc ceci est une chose, un
aspect. En second lieu, il peut y avoir des gens sincères qui obéissent
sans désir égoïste. Dans leur cas, où est la faute ? Tu trouveras certains
chelas grandement sincères et loyaux même à l’égard des voleurs et des
dacoits, allant presque jusqu’à les vénérer. Pourquoi cela ? Parce qu’ils
n’ont pas essayé de chercher à voir à qui ils s’étaient attachés. Et j’ai écrit
dans La Réalité à l’aube1 combien il est important de chercher un vrai
guru. Si tu obéis à un vrai guru, c’est bien et cela te mènera à ton but.
Mais si tu prends pour guide une mauvaise personne, alors l’obéissance
ne t’aidera en rien. Tu vois donc l’importance qu’il y a à chercher un vrai
guru ? A mon sens, ceci est la chose la plus importante : trouver un vrai
maître. Ensuite, lorsque tu l’as trouvé, tu ne devrais jamais le laisser
partir ! Si tu ne trouves pas un tel maître, alors il est préférable de prier
Dieu de t’en envoyer un vrai. Il viendra sûrement, mais il ne doit y avoir
aucun compromis à ce sujet. Je te dis qu’il est préférable de n’avoir pas
de guru du tout plutôt que d’en avoir un mauvais. Sans un vrai maître,
il se peut que tu ne progresses pas, mais cela vaut mieux plutôt que de
régresser avec un mauvais guru. Donc, je dis à mes associés que nous
devons être prudents dans ce domaine. C’est vraiment vital. Les gens me

(1) NTD : La Réalité à l’aube est un ouvrage de Shri Ram Chandra, affec-
tueusement appelé Babuji, paru dans Œuvres complètes, tome 1 : Le Sahaj
Marg, une nouvelle tradition spirituelle.

56
Le devoir → sommaire

demandent comment ils peuvent juger un maître. C’est facile. Votre cœur
vous donnera la réponse. Je vous ai dit que lorsque vous vous asseyez
près d’un véritable saint vous devez ressentir de la paix. Ceci est un des
signes. Si vous trouvez une personne qui selon vous peut vous guider,
alors suivez son enseignement avec sincérité pendant quelque temps.
Continuez si vous constatez un progrès, sinon, cherchez un autre guide.
On a souvent enseigné aux gens qu’ils ne peuvent pas changer de guide,
mais ceci n’est pas exact. Nous prenons un guide dans notre intérêt, pas
dans le sien. Et nous avons tous les droits de changer de guide jusqu’à
ce que nous trouvions le vrai Maître. A ce moment-là notre travail est
terminé. Une fois que nous nous sommes remis à une telle personne,
notre travail est achevé. »

Je revins alors sur le sujet de la destruction qui m’avait un peu


tracassé. Je demandai à mon Maître comment il était possible de
justifier la destruction. Il répondit : « Oui, je vois que tu as quelques
doutes. Mais c’est simplement parce que tu as une vue étroite sur la
question. Pense à la destruction comme à un changement. Qu’arrive-
t-il lorsque l’on abat un arbre ? Il est détruit. Mais le menuisier en fait
des meubles. Le bois est donc utilisé. Le bois est toujours là, la forme
seule a changé. Quand une personne meurt nous pensons que c’est la
fin. A notre point de vue la mort est une fin. Mais ce n’est pas exact. Ce
que nous voyons comme la mort n’est que la renaissance à une autre
vie. De même, ce que nous considérons comme une naissance lorsque
naît un enfant est nécessairement la mort dans une autre vie donnant
lieu ici à une naissance. Comprends-tu cela ? Ce n’est seulement qu’un
changement de forme. La vie continue sans arrêt, mais la forme change
continuellement jusqu’à ce qu’une personne ait la bonne fortune de
trouver un maître qui puisse lui accorder la libération. Ceci demande
bien sûr une compréhension supérieure. Il ne peut y avoir de progrès
sans changement. Sans changement, il n’y a que stagnation. C’est un
point important que je te révèle là. Sans changement aucun progrès n’est
possible ! »

Le Maître ajouta alors quelque chose de très important pour


une meilleure compréhension de la part de nos abhyasis. « Même
dans nos abhyas, dit-il, nous devons nous rappeler ceci : la condition,
c’est-à-dire la condition spirituelle, doit, s’il y a progrès, changer
constamment. Il arrive souvent qu’un abhyasi ayant eu à un certain
niveau une expérience agréable, souhaite la voir se répéter lors des

57
→ sommaire Mon Maître

sittings suivants. Mais je leur dis toujours que s’ils vivent sans cesse
la même expérience, ils doivent alors courir chez un précepteur, car la
répétition d’une telle expérience indique une stagnation et demande
correction. Ainsi, le changement est-il nécessaire parce que sans lui
aucun progrès n’est possible ! » 

58
→ sommaire

L’AMOUR

Toutes les religions prêchent l’amour. Il a constitué le thème


majeur de l’inspiration de la grande poésie dans le monde. Au
niveau individuel, chacun le recherche dans sa propre vie. L’amour
a été à l’origine d’actes héroïques, d’actes de grand courage et
de bravoure et de la plupart des créations artistiques mondiales.
Il est probablement tout à fait exact de dire que derrière toute
tentative humaine se trouve cette recherche d’amour. Et son œuvre
glorieuse d’une beauté inégalable, réside dans la manifestation
de la foi, foi à tous les niveaux, culminant dans la vie spirituelle où
l’amour trouve son épanouissement et sa gloire suprêmes dans la
quête de l’Ultime.

Mon Maître aussi fait souvent référence à la nécessité de


l’amour dans notre vie. L’une de ses idées les plus révélatrices est
que l’amour est une chose pieuse ou divine, et donc qu’il ne peut
être dédaigné. L’amour doit être orienté vers son objectif véritable
et naturel  : Dieu  ! Ce qui est demandé à l’être humain est de
réorienter son esprit afin que l’amour dans le cœur puisse être
dirigé vers son but réel.

La vie personnelle de mon Maître est l’expression de son


amour intérieur pour toute l’humanité. Le sien est un amour pur
et divin, universel dans son étendue et pourtant individuel dans
sa manifestation. Quiconque a observé mon Maître de près a
pu découvrir comme moi, qu’il est l’être le plus aimant, le plus
charitable et le plus hospitalier que l’on puisse trouver. Il est

59
→ sommaire Mon Maître

tout cela, mais d’une façon tellement silencieuse, si feutrée et si


entièrement naturelle, que la signification de ses actions se perd
généralement dans sa simplicité. Peu d’observateurs pénètrent sa
simplicité apparente et perçoivent la signification intérieure de ses
mots et de ses actes. En fait, la simplicité de mon Maître est tout à
fait trompeuse et c’est bien la seule chose en lui qui trompe les gens.
Une fois, alors qu’il parlait à l’un de nos précepteurs étrangers, il
dit : « Voyez donc ! Je ne déçois jamais personne mais que puis-je faire
s’ils se leurrent  ? Ma simplicité est la chose qui déçoit la plupart des
gens. Peu de personnes sont capables d’aller au-delà. Ma simplicité est
telle que toute ma vie les gens m’ont pris pour un simplet. » Le Maître
rit en disant cela et poursuivit : « Maintenant, écoutez ceci. Beaucoup
de gens viennent me voir, mais qui me voit réellement ? La plupart des
gens ne voient que l’apparence extérieure. Il est dommage que peu soient
capables d’aller au-delà et de pénétrer pour voir la réalité intérieure.
Tellement de gens viennent me voir, mais peu me voient vraiment. Ils
repartent comme ils sont venus. Aussi, voyez-vous, ma simplicité est
vraiment trompeuse et aujourd’hui je vous le révèle ! »

L’amour impersonnel du Maître pour ses fervents ne se mani-


feste pas par des actes spectaculaires ; mais l’amour se cache der-
rière chaque acte, aussi petit, insignifiant et inaperçu soit-il, dans
l’humble routine de l’existence quotidienne.

Lors d’une de mes visites à Shahjahanpur, environ une


vingtaine d’entre nous étions rassemblés autour de lui dans la
cour, le Maître assis dans une profonde chaise longue en toile, les
autres personnes groupées autour de lui, certaines sur des chaises,
d’autres sur des charpoys ou lits de corde tressée. C’était après dîner,
par une tardive soirée d’été, non pas fraîche mais extrêmement
douce et agréable. A partir de 9 heures, le nombre de personnes
se trouvant autour du Maître s’était progressivement réduit, les
abhyasis allant se coucher l’un après l’autre. Tous dormaient en
plein air sur les charpoys. Vers 11 heures, nous n’étions plus que
trois avec le Maître, les autres dormant dès lors profondément
tout autour de nous. Le Maître répondait à nos questions et
nous révélait des choses très profondes quand soudain, il se
leva brusquement, partit dans sa chambre et revint avec une
couverture dans les mains. Il alla jusqu’au charpoy le plus éloigné
de nous sur lequel dormait un abhyasi, étendit la couverture sur

60
L’amour → sommaire

lui, la borda sous les pieds, puis revint tranquillement à son siège
pour reprendre la conversation interrompue. Je présumais que
l’abhyasi avait dû avoir froid – j’appris le lendemain matin qu’il
s’agissait d’un de mes jeunes collègues de l’Inde du Sud – et d’une
certaine manière le Maître avait deviné cela et, avec amour, l’avait
recouvert d’une couverture. Sinon pourquoi cette personne-là et
celle-là seulement aurait-elle attiré cette attention particulière ?
Personne ne fut plus surpris que l’abhyasi lui-même lorsqu’il se
réveilla le lendemain en se trouvant enveloppé d’une couverture.

Durant les trois jours pendant lesquels le Basant Panchami est


célébré, il y a généralement un grand rassemblement avec des
gens qui dorment partout, dans toutes les chambres et les endroits
couverts. Quand il n’y a plus de place, ils sont logés dans d’autres
bâtiments tout proches. Les journées sont très remplies et elles
sont longues aussi car nous nous levons à 4 heures du matin et
nous ne nous couchons que vers minuit. Les repas sont servis
chez le Maître quel que soit l’endroit où résident les abhyasis.
Du fait du nombre important de participants, ils prennent leurs
repas par groupes et le service s’étale sur plusieurs heures. Un
soir, la première fois que je participais aux célébrations du Basant
Panchami, je me sentis un peu fatigué et indisposé. Le premier
groupe avait presque terminé de dîner mais il y avait tant de
personnes qui attendaient pour le second service que je décidai
de partir sans dîner et allai me coucher. Vers 10 heures 30, je vis
soudain le Maître entrer dans ma chambre où j’étais jusque-là
resté seul. Il m’appela par mon nom et me dit : « Tu n’as pas encore
mangé, s’il te plaît viens avec moi. J’ai préparé une place spéciale pour
toi à l’intérieur où tu pourras manger. On a servi ton repas. » Le plus
curieux c’est qu’il ne me demanda pas si j’avais déjà mangé, il me
dit que je n’avais pas encore mangé et me fit entrer. Je ne savais
que dire mais je l’accompagnai tranquillement à l’intérieur et il
me tint compagnie pendant mon repas. Les autres étaient bien
trop occupés pour m’avoir remarqué, et pourtant le Maître, malgré
toutes ses préoccupations, n’avait pas été trop accaparé pour
deviner que quelqu’un sous son toit n’avait pas dîné ! Ce fut pour
moi un sujet d’étonnement : comment m’avait-il différencié des
autres comme étant peut-être la seule personne qui n’avait pas eu
son dîner ? De tels exemples que j’ai vus se répéter plusieurs fois
avec émerveillement m’ont confirmé dans l’opinion que le Maître

61
→ sommaire Mon Maître

ressent à l’intérieur de lui-même, tout ce que les autres éprouvent


autour de lui et il y répond lorsqu’une réponse est nécessaire. La
réponse peut se manifester par un acte physique comme dans les
cas relatés ci-dessus ou encore par une transmission de sa propre
essence spirituelle. L’empathie du Maître avec ses semblables est
complète et naturelle, si naturelle en fait qu’on peut dire de lui
qu’il est un miroir reflétant ce qui lui est présenté.

Les célébrations du Basant Panchami se tiennent en hiver, et


l’hiver à Shahjahanpur peut être, et est généralement, très froid.
Il fait assez froid, non seulement pour surprendre les visiteurs
européens, mais il va parfois jusqu’à les incommoder aussi
considérablement. Les Indiens du Sud, peu familiarisés avec le
Nord, ne pensent généralement pas à la sévérité du froid et il est
par conséquent tout à fait normal pour quelqu’un qui y vient pour
la première fois en hiver de n’être pas habillé en conséquence
pour faire face au climat. Le Maître garde une petite réserve de
couvertures pour de tels visiteurs. Quelques-unes de nos sœurs
abhyasis tricotent aussi des pull-overs de laine tout au long de
l’année pour avoir une réserve prête au siège de la Mission à
Shahjahanpur. Pourtant, souvent la demande excède l’offre. Une
fois, le Maître était assis dans un coin, dans la partie ensoleillée
de la cour, son endroit de prédilection en hiver. Nous étions un
petit groupe autour de lui, la veille du jour de la célébration du
Basant Panchami. Il était à peu près 11 heures du matin, mais
même dehors au soleil, il faisait assez froid car l’hiver cette année-
là était particulièrement rigoureux. Le Maître était habillé comme
d’habitude d’un dhoti et d’un kurta et, attestant le fait que c’était
l’hiver, il avait mis un pull-over en laine sans manches, habillement
assez inadéquat par ce froid. Une couverture recouvrait ses genoux.
Son arme principale contre le froid semblait être son hookah qu’il
fumait avec grand plaisir et une satisfaction visible. Un abhyasi
de l’Inde du Sud entra alors dans la cour portant pour unique
bagage, un sac fourre-tout. Il était seulement vêtu de pantalons en
coton et d’une chemise en polyester et frissonnait dans le froid. Il
s’approcha du Maître et le salua de la manière traditionnelle puis
s’assit avec nous. Le Maître ne dit rien. Il retira son pull-over et
demanda à l’abhyasi de le mettre. L’abhyasi l’accepta avec gratitude.
Immédiatement nous fîmes tous des remontrances au Maître,
chacun d’entre nous offrant son propre pull-over. Il déclina notre

62
L’amour → sommaire

offre et s’assit, un sourire serein sur son visage, d’une innocence


presque enfantine. Pour ma part, je me sentis honteux qu’aucun
d’entre nous n’ait pu penser à un frère abhyasi en détresse, mais je
me consolai à la pensée que le Maître est unique et que personne
ne peut égaler sa rapide perception des besoins d’autrui, ni sa
réponse active et immédiate à cette perception. J’ai vu ce genre
de drames, petits certes, mais significatifs, se renouveler maintes
et maintes fois, mais c’est pour moi à chaque fois comme une
nouvelle révélation ; malgré leur répétition, mon émerveillement
dû à l’amour du Maître ne s’estompe jamais. Il est dommage qu’un
témoin silencieux de ce drame en soit souvent plus touché que
celui-là même qui est concerné et qui préfère souvent emporter
le pull-over en souvenir.

A une autre occasion, toujours à Shahjahanpur, j’étais au lit


épuisé, souffrant d’une douleur des membres inférieurs. J’étais
seul dans la chambre. Le Maître entra sans prévenir et je m’assis
promptement sur mon lit pour le saluer. Il me demanda ce qui
n’allait pas et je lui parlai de mes douleurs dans les jambes. Il s’assit
immédiatement pour les masser. Je m’en défendis énergiquement
et l’en empêchai. Il dit : « Pourquoi penses-tu que cela est mal ? N’as-
tu pas massé mes jambes et mes pieds bien souvent ? Maintenant quand
tu souffres, il est de mon devoir de te servir du mieux que je peux. » Je
lui dis qu’en tant que son disciple, je ne pouvais pas lui permettre
de me masser les jambes. La façon dont il rit fut rarement aussi
belle. Ses yeux qui sont toujours secs devinrent tout à coup un
peu humides. Il se perdit dans une réflexion pendant un moment.
Puis il dit : « Ecoute, je vais te dire une chose. Une fois, j’avais une forte
douleur dans les jambes. J’étais seul au lit. A ce moment-là, Lalaji Saheb
était déjà dans le Monde lumineux. Je lui répondis que je souffrais de
douleurs dans mes jambes. Il m’offrit de les masser mais je lui fis des
remontrances et Lalaji devint silencieux. Cependant, quelques secondes
plus tard, je sentis une vibration merveilleuse dans mes jambes. Tu vois
ce que mon Maître faisait pour moi ! En réalité il me massait les jambes.
Mes petits, où pouvez-vous trouver un Maître comme lui ? Mes douleurs
s’évanouirent immédiatement. » C’est étrange à dire, comme le Maître
concluait cet épisode révélateur de l’amour sacré de Lalaji pour
mon propre Maître, mes douleurs dans les jambes semblèrent
s’évanouir aussi.

63
→ sommaire Mon Maître

A une autre occasion encore, je fus témoin de ce qui a été pour moi,
l’une des expériences les plus émouvantes de ma vie. L’expérience de
ces quelques instants me laissa ébranlé, ému jusqu’au plus profond
de mon être et en larmes. C’était juste après le crépuscule d’une
longue journée d’été à Shahjahanpur. Un “senior-précepteur’’ du
Sud était venu rendre visite au Maître qui lui offrit de dîner, mais
il déclina l’invitation disant qu’il ne prenait généralement qu’un
repas par jour, mais qu’il prendrait volontiers un verre de lait. Le
Maître demanda à l’un des jeunes abhyasis d’aller chercher deux
verres de lait, l’un pour ce monsieur et l’autre pour mon père. On
apporta les verres de lait après quelques minutes et ce monsieur
et mon père s’éloignèrent avec leur verre, absorbés tous deux
dans quelque discussion. Je me retrouvai seul avec le Maître. Je
lui demandai si je pouvais aller lui chercher un verre de lait. Il eut
un sourire d’une douceur infinie et avec un regard animé d’une
profonde compassion, il répondit : « Je ne peux pas me permettre de
boire du lait. » Je fus ébranlé au plus profond de moi-même par la
simplicité et l’amour de sa réponse. Je ne savais que dire ni que
faire mais je m’assis simplement en sa présence bienveillante, les
larmes ruisselant sur mon visage. Ce drame secret de l’hospitalité
divine est devenu un souvenir si cher à ma mémoire, et faisant
tellement partie de ce que je sais de mon Maître, que même
maintenant, alors que j’écris ceci, je suis profondément ému par
ce souvenir. Hélas, quelles pauvres petites choses nous sommes
nous qui, voyant tout, sommes incapables de l’imiter même dans
le moindre de ses gestes !

Tous ces faits, et d’autres similaires, imperceptibles, ont semé


les graines de l’amour pour le Maître dans beaucoup de cœurs
éparpillés maintenant dans le monde entier. Chaque nouvelle
expression de l’amour divin du Maître nous renforce dans notre
amour pour lui. Ceci est le secret de l’attraction magnétique qu’il
exerce sur tous ceux qui entrent en contact avec lui. A maintes
reprises, j’ai vu des étrangers être amenés en sa présence et
qui, lorsqu’ils le quittaient, même après une brève conversation
avec lui, partaient, amoureux du Maître. Beaucoup ont fait cette
confidence que même après quelques minutes passées avec le
Maître, ils eurent le sentiment de l’avoir connu toute leur vie.
L’aide spirituelle de mon Maître est son amour invincible dans sa
forme la plus pure et la plus sainte, et qui pourrait lui résister et

64
L’amour → sommaire

rester invaincu ? D’autres peuvent utiliser le pouvoir, la peur ou


la tentation comme moyens de s’attacher leurs disciples. L’unique
arme de mon Maître est son amour divin pour l’humanité entière,
pour lequel il ne demande rien en retour ou, s’il demande quoi
que ce soit, ce n’est que notre cœur.

Je me souviens d’un événement survenu lorsque le Maître


visita l’un des centres de notre Mission en Inde du Sud. L’homme
chez qui nous séjournions avait préparé un grand déjeuner pour
environ cent cinquante personnes. Le Maître mangea quelques
petites bouchées de la nourriture qui lui était offerte puis il alla
s’asseoir à l’écart dans une autre pièce. Je finis mon déjeuner
rapidement pour aller m’asseoir près de lui. Un petit peu plus tard,
notre hôte vint le voir et demanda : « Maître, avez-vous déjeuné ?
Etait-ce à votre convenance  ?  »  Le Maître sourit et dit que tout
était bon mais qu’il ne pouvait manger que très peu. Notre hôte
lui demanda alors  :  «  Maître, y a-t-il quelque chose d’autre
que je puisse vous offrir  ?  »  Le Maître sourit tranquillement et
répondit : « Oui, vous pouvez m’offrir votre cœur ! » Notre hôte prit
cela apparemment pour un trait d’humour car il se mit à rire et
s’éloigna pour s’occuper de ses invités.

Je pense que l’amour du Maître étant si pur et si saint, ceux qui


lui sont dévoués sont capables de l’aimer pour lui seul. Son amour
est si pur et si désintéressé que les abhyasis peuvent développer
un amour réciproque, devenant progressivement plus pur et
désintéressé. A mesure que cet amour se développe chez l’abhyasi,
vient une étape où cesse l’idée de “transaction”. Il n’est plus
question d’amour “pour” ou “avec” un but. L’amour est là parce
qu’on ne peut vivre plus longtemps sans cet amour pour le Maître
dans le cœur. C’est une chose étrangement surprenante et belle,
mais à cette étape, l’idée d’être aimé par le Maître semble perdre
de son importance. Ce qui devient tout à fait important, c’est
l’amour pour le Maître dans notre propre cœur. A mesure que cet
amour croît de plus en plus, un stade survient où le cœur semble
véritablement sur le point d’éclater. Je considère la poussée de cet
amour divin comme étant le plus grand miracle dans l’évolution
spirituelle d’une personne. Il n’y a même plus la moindre pensée
de ce que peut donner le Maître. Même le don divin de la libération
qu’il peut octroyer d’un simple regard, perd son importance. Tout

65
→ sommaire Mon Maître

ce que l’aspirant désire profondément est d’être avec son Maître,


son véritable bien-aimé. A mesure que nous faisons don de notre
amour, le Maître déverse son amour en nous et ceci est la grâce et
ceci est la libération et ceci est la réalisation complète du but de
la sadhana spirituelle. L’amour lui-même devient tout, un puissant
pouvoir universel qui amène par sa présence même la conscience
du niveau le plus élevé  ! Appelez-le divin, appelez-le cosmique,
appelez-le comme vous voudrez. Cet amour porte en lui la qualité
de la perception divine que le Maître appelle en termes d’ici-bas
la “capacité de lecture”. Même au niveau humain ordinaire, nous
voyons que l’amour ouvre les yeux fermés. Quelqu’un qui aime
voit plus que quelqu’un qui n’aime pas. Est-il donc étonnant que
le Maître avec sa vision d’amour absolu voie tout ? Est-il étonnant
qu’il voie la faim de celui qui a faim, la douleur de celui qui souffre
et le désir ardent de réalisation spirituelle caché profondément
dans le cœur de l’aspirant dévoué ? Ainsi, l’amour est une grande
force qui peut nous donner la capacité de “lire”. Il est donc aisé
de comprendre que des personnes qui utilisent simplement la
capacité ou le pouvoir intellectuel ne parviennent pas à développer
cette vision en eux-mêmes. Nous devons nous tourner vers le
cœur pour cette faculté divine. Le Maître insiste sans cesse sur la
nécessité de se tourner vers le cœur. En fait, il ne fait pas confiance
à l’intellect. Il m’a souvent dit : « L’intellect ne te donnera pas ce que tu
veux. Ses réponses s’appuient sur l’information que tu lui fournis. Ainsi,
les décisions de l’intellect peuvent-elles être fausses, immorales même !
Mais si tu interroges le cœur, tu obtiendras le jugement correct. Dans le
doute, réfère-toi au cœur. Il te donnera la conduite correcte. »

Je demandai une fois au Maître de me révéler le secret du


progrès rapide en spiritualité. Il me répondit  :  «  Crée l’amour en
toi et vois alors le progrès ! En fait, l’amour peut tout conquérir et seul
l’amour peut faire cela. Toute autre chose, toute autre force ou pouvoir
crée une réaction qui n’est pas favorable. Si tu es contrarié, tu transmets
de la colère et l’autre personne se met en colère à son tour. Si tu utilises
la force physique, cela aussi crée de la résistance suivie par une réaction
à son propre niveau. Il en est de même pour toute autre chose. Mais si
tu crées de l’amour en ton cœur, alors la réaction est aussi une réaction
d’amour et d’amour seulement – et vois, ton travail est fait ! Alors, crée
l’amour ! C’est avec l’amour que nos anciens rishis étaient capables de
vivre dans les jungles avec des animaux sauvages autour d’eux. L’amour

66
L’amour → sommaire

conquiert même les animaux sauvages. Je te dis une chose : s’il y a dans
ton cœur de l’amour pour le Maître, le Maître commence alors à t’aimer.
Si tu peux obtenir ce résultat, ton travail est alors presque fini. La chose
importante est de frapper à la porte de son cœur si vigoureusement qu’il
soit obligé de l’ouvrir pour toi. Alors, que dire du progrès, tout est là
pour toi ? Quel est le vrai devoir de l’abhyasi ? A mon avis il doit tout
faire pour que le Maître se tourne vers lui ; et une fois que cela est fait,
l’abhyasi peut s’effacer et laisser le Maître travailler pour lui. Qui peut
résister à l’amour ? A mesure que l’amour de l’abhyasi croît, l’amour du
Maître croît aussi. Et le Maître commence maintenant à penser à ce qu’il
peut faire pour l’abhyasi. Celui-ci n’a plus besoin de demander quoi
que ce soit. Qu’est-il besoin de demander lorsque celui qui donne est lui-
même en train de penser à ce qu’il doit donner et quand le donner ? En
réalité, un vrai maître n’est qu’un miroir. Ce que l’abhyasi place devant
le miroir y est reflété. Comprends-tu cela ? Dans le Maître lui-même il
n’y a rien. Tu n’obtiens de lui que ce que tu projettes toi-même en lui.
Maintenant je vais te dire quelque chose. Il y a des gens qui accusent le
guru d’être partial vis-à-vis d’un abhyasi ou d’un autre. Vois-tu combien
cette idée est fausse  ? Et elle est également dangereuse car les idées de
méfiance et de haine peuvent grandir et celles-ci seront également reflétées.
Aussi devons-nous créer l’amour et ensuite voir comment il se manifeste.
J’insiste sur ce point, c’est le pouvoir le plus puissant de la Divinité. »

Au cours de ma propre expérience, j’ai vu cet amour du Maître


pour l’abhyasi faire des miracles. L’amour du Maître a apporté des
transformations dans le caractère des abhyasis qu’aucune menace
ou usage de pouvoir n’auraient pu faire naître. Lorsque nous
avons peur de notre Maître, nous ne changeons pas vraiment
ni ne permettons de transformation en nous-même. Tout ce que
nous faisons est de lui cacher certains côtés de notre vie et, ceci
s’ajoutant à cela, nous développons un complexe de culpabilité.
Si nous laissons cette tendance se développer, la peur du Maître
augmente jusqu’à ce qu’inévitablement une étape arrive où nous
ne pouvons même plus lui faire face. A ce stade, l’idée de sépa-
ration entre en jeu. Et à mesure que cette séparation grandit, nous
pouvons quasiment voir les rives de la spiritualité disparaître à
l’horizon comme lorsqu’un bateau s’éloigne du port. Il m’arriva
une fois d’écrire au Maître, ressentant de la culpabilité pour
quelque chose que j’avais fait. Je lui écrivis que j’avais même
peur de me trouver en sa présence. La réponse du Maître fut très

67
→ sommaire Mon Maître

prompte. Il écrivit : « Les êtres humains commettent des erreurs. Moi-


même je commets beaucoup d’erreurs. Nous devons essayer de nous
corriger et tenter de les éviter à l’avenir. Eloigne de toi cette idée de peur !
Si tu la laisses grandir, cela interférera avec ton épanouissement. » Le
conseil était très clair et précis. J’ôtai la peur de mon cœur, comme
si j’ôtais quelque chose de physique et, depuis lors, je me sens
exempt de tout sentiment de culpabilité.

De quelle manière agit son amour pour nous transformer  ?


Quand nous savons que le Maître nous aime, nous commençons
à sentir que nous devons mériter cet amour. Ainsi s’effectue le
premier pas de la prise de conscience qui crée automatiquement
la coopération chez les abhyasis. Nous continuons à progresser sur
le chemin spirituel. Etre tenté ou avoir à faire face à la tentation
est chose commune à nous tous. Mais celui qui est aimé du Maître
est armé de façon immensément supérieure aux autres pour
faire face aux épreuves. A chaque tournant de la vie, lorsque les
tentations nous confrontent à une épreuve douloureuse, nous
nous demandons : « Le Maître approuverait-il, si je faisais cela ?
Que ressentirait-il si je succombais et si je tombais ? Ne serais-je
pas la cause de beaucoup de peine et de déception pour lui, si
je lui fais défaut maintenant, lui qui a consacré tant de travail et
d’amour à mon développement spirituel ? » De telles questions
que nous nous adressons placent le fait clairement dans une juste
perspective et, au moment même où l’on se les pose, la tentation
a disparu. Quand nous comprenons cela, à savoir que la mise à
l’épreuve ne nous met plus en situation de lutte mais semble avoir
disparu, presque comme un mirage, alors la gratitude se lève
dans le cœur à l’égard de la grâce qui évita un désastre possible.
Cela, à son tour, renforce l’amour dans le cœur et le chemin
continue, chaque tentation n’étant plus pour nous un danger
mais simplement un instrument pour renforcer notre amour pour
le Maître, amour devenant de plus en plus partie intégrante de
notre essence même. Ainsi, l’amour accomplit-il ce que la peur ne
peut et ne pourra jamais réaliser. L’amour ne nous renforce pas
simplement, mais il nous transforme pour ainsi dire en vaisseaux
contenant l’amour divin.

L’amour pour le Maître nous donne ardemment envie de lui


ressembler et de grandir jusqu’à devenir une personne comme

68
L’amour → sommaire

lui. Ce désir de lui ressembler et d’être comme lui est déjà un


grand bond en avant sur le chemin spirituel puisqu’il nous
présente, pour la première fois peut-être, un but clair et bien défini
vers lequel tendre. Jusqu’à maintenant nous avons eu des buts
abstraits tels la “perfection” ou la “libération” ou la réalisation de
la paix, etc. Maintenant l’aspiration intérieure se voit concrétisée
en un désir ardent et précis : celui d’être comme quelque chose,
d’être comme quelqu’un. La différence entre notre aspiration
précédente, indéfinie et cette nouvelle aspiration concrète est
énorme. En effet cela montre un véritable changement dans
l’attitude mentale, partant de l’idée de “posséder” pour aller vers
celle de “devenir” et “d’être”. Comme l’explique le Maître de
façon si concise : « Prier c’est mendier » et, tant que l’idée “d’avoir”
ou “d’obtenir” persiste dans nos esprits, nous ne sommes que
des mendiants. Mais désormais le changement que l’amour crée
est subtil et certain. Lorsque le désir d’être comme le Maître
commence à poindre en nos cœurs, alors nous cessons d’être
des mendiants. Nous ne “demandons” plus rien, nous essayons
d’être quelque chose et ainsi, la coopération devient-elle plus
intense, amenant notre but à notre portée.

Peu après que le Maître m’eût donné la permission de travailler


comme précepteur, j’eus avec lui une courte discussion sur la
manière d’effectuer le travail de transmission, le cleaning, etc. Il me
dit certaines choses et souligna quelques techniques à suivre. En
conclusion il ajouta  :  «  Pense que je suis assis à ta place. Si cela est
nécessaire, imagine qu’il y a une barbe sur ton visage et que tu es comme
moi. Cela t’aidera dans le travail. » A ce moment-là je ne compris pas
suffisamment l’importance de ce conseil, mais j’ai toujours adopté
cette technique, souvent à l’exclusion de toute autre, et je trouvai
le travail plus enrichissant. J’ai senti que plus je suis capable
d’imaginer que je suis comme le Maître, meilleurs sont les résultats
pour l’abhyasi. Certains jours “je” suis totalement absent et seul
le Maître est là. Ces jours-là, l’abhyasi qui reçoit la transmission
en retire le plus grand bénéfice et m’indique que par rapport à
d’autres fois, il a trouvé le sitting meilleur et plus tranquille.

Une fois, le Maître me conta un petit épisode de sa propre vie


touchant cet aspect de la vie spirituelle. Il s’était préparé pour son
bain et se rendait au puits pour tirer de l’eau. En y allant, un désir

69
→ sommaire Mon Maître

d’une immense ardeur inonda son cœur – un désir ardent d’être


comme son Maître Lalaji Saheb. Comme ce désir ardent jaillissait
en son cœur, il entendit la voix de Lalaji disant : « Lorsque cette
pensée a pénétré en toi, tu es déjà devenu comme moi. Maintenant,
rien ne manque. »

Le Maître m’a parlé de l’amour que l’un des disciples de Lalaji


éprouvait pour Lalaji Saheb. Il me dit que c’était de l’amour de
l’ordre le plus élevé  :  «  Regarde, j’ai rarement été témoin d’un tel
amour. Tu sais, il était si attentif à Lalaji, que Lalaji lui-même en était
étonné. Une fois, Lalaji remplissait ses fonctions au tribunal. C’était
midi et Lalaji eut la soudaine envie d’une tasse de café. Tu sais que
par ici boire du café est très rare, encore maintenant. Cela devait être
encore plus rare en ce temps-là. Mais peu de temps après que se soit
manifesté ce désir, Lalaji vit ce disciple entrer au tribunal pour le trouver.
Il avait apporté du café à Lalaji. Celui-ci fut très satisfait de ce signe
de dévouement personnel.  »  Babuji continua  :  «  Maintenant regarde
comme il était attentif aux besoins de son Maître. Je vais te dire une chose
encore plus merveilleuse. Lalaji avait l’habitude de se lever parfois la
nuit pour aller aux toilettes. Mais sais-tu qu’il trouvait invariablement
ce même abhyasi l’attendant avec un broc à eau et une serviette pour
qu’il puisse se laver. Tu comprends ce que cela veut dire ? Même dans son
sommeil, l’abhyasi avait été réceptif et à l’écoute des besoins du Maître.
C’est pourquoi il était à même de se lever avant même que Lalaji ne se
réveille et d’être disponible pour lui. Ceci est de l’amour de la plus haute
qualité.  »  Sous l’impulsion du moment, je demandai au Maître
comment il se faisait que ce même abhyasi n’était pas devenu le
représentant spirituel de Lalaji et son successeur. J’aurais mieux
fait de me mordre la langue, mais voilà, la question venait d’être
posée et je m’attendais au pire vu ma grossière impertinence.
Mais le Maître sourit et répondit : « Tu sais, n’importe quel insecte
(mite) peut s’immoler dans une flamme vive, mais rare est l’insecte qui
peut s’immoler dans une flamme morte  !  »  Une fois de plus, j’étais
trop profondément ému pour dire quelque chose de plus. Que
signifiait cette révélation du Maître ? Quelle était sa signification
spirituelle  ? La réponse cachée derrière les mots était claire.
L’amour humain, même d’un ordre très supérieur, meurt lorsque
l’objet de son amour n’est plus présent. L’amour divin existe pour
toujours, pour toute l’éternité. C’est un amour qui a pénétré les
profondeurs les plus secrètes et mystérieuses de l’être du Maître

70
L’amour → sommaire

et qui a reconnu qu’Il était éternellement présent. Un tel amour ne


connaît ni la mort, ni l’absence et n’éprouve aucune séparation.

71
→ sommaire
→ sommaire

DEUXIÈME PARTIE

SON ENSEIGNEMENT
ET
SON TRAVAIL
→ sommaire

J’ai vu l’Eternité l’autre nuit,


Comme un grand anneau de lumière pure et infinie,
Calme, brillant,
Quelqu’un alors a murmuré :
« Cet anneau, le jeune marié ne l’a donné
à personne d’autre que sa femme. »

Vaughan le Siluriste
→ sommaire

VI

LE CHEMIN DE L’ESPRIT

Depuis des temps immémoriaux, la vie religieuse a été


considérée comme étant le sommet de l’existence humaine. Il
en a été ainsi dans toutes les nations du monde, primitives ou
évoluées. L’activité religieuse a toujours été décrite comme la plus
haute forme d’activité humaine et la vie religieuse, per se1, prônée
comme l’apogée parfaite de tout effort humain. L’aspirant initié est
toujours apparu entouré d’un halo particulier et, naturellement,
les prêtres ordonnés jouissaient d’un statut spécial beaucoup plus
élevé, qui leur était propre. Le pouvoir et le prestige de la prêtrise
ou du clergé étaient souvent d’une ampleur telle qu’ils éclipsaient
ceux des dirigeants laïcs de cette époque. L’Inde a tenu plus que son
rôle en ce qui concerne les religions, ayant donné naissance à deux
des grands systèmes du monde : l’hindouisme et le bouddhisme.
L’Inde a été aussi un de ces pays où la religion a pénétré dans
pratiquement chaque sphère de l’existence humaine. La religion
hindoue prend l’individu en charge dès sa conception et ne lui
rend sa liberté qu’après sa mort, son corps brûlé et ses cendres
cérémonieusement données en offrande à l’eau d’un fleuve ou de
la mer. Chaque phase de la vie de l’individu comprise entre ces
deux situations extrêmes, la conception et la mort, est gouvernée
par des rites appropriés à l’événement.

(1) NDT : locution latine signifiant ‘‘en soi’’

75
→ sommaire Mon Maître

Les grands sages de l’Inde, les rishis, ont distingué dans la vie
pieuse deux approches différentes de la Réalité  : la vie rituelle
et la vie contemplative. Les textes de l’hindouisme suivent cette
distinction, de même les Vedas. Les parties les plus anciennes,
traitant presque exclusivement des rites, sont classées sous le
titre de Karma-kanda  ; les parties ultérieures du texte védique,
le Gnana-kanda, traitent principalement des aspects mentaux et
supérieurs de l’approche de l’homme vers son créateur et sont
communément appelés Vedanta, ce qui signifie : “la fin de toute
connaissance”. Vedanta ne signifie pas simplement que cette partie
de l’enseignement védique vient chronologiquement à la fin duVeda.
Il signifie qu’à cet endroit est contenue une telle connaissance que
l’on peut la considérer comme étant la fin de toute connaissance :
le véritable apogée et l’essence de la connaissance.

Les rishis ont également expliqué très clairement et avec


beaucoup d’insistance, que la vie religieuse rituelle est un aspect
inférieur de l’existence humaine, alors qu’ils prônent la vie con-
templative comme étant la plus élevée et la plus pure. Les textes
eux-mêmes sont explicites lorsqu’ils affirment que les règles
formelles et restrictives s’appliquent seulement aux exécutions
rituelles pour lesquelles de strictes prescriptions doivent être
implicitement suivies quant au lieu, au temps et à la méthode.
Dans la vie contemplative cependant, de telles restrictions ne
contraignent plus l’individu. Celui-ci s’est échappé de la rigidité
physique existant dans l’exécution des rites religieux, pour accéder
à la liberté de contemplation mentale du Divin.

Avec une aussi claire énonciation des principes concernant le


culte, on se serait attendu à ce que les gens puissent les suivre
sans difficulté. Mais il est déconcertant de constater que règne
une situation de confusion presque totale. L’homme ordinaire
semble préférer se cramponner à la servitude de la vie rituelle.
Elle exerce sur lui cette attirance parce qu’aussi longtemps que
l’on obéit aux injonctions du prêtre pendant une période donnée,
réduite en général à quelques minutes par jour, on jouit d’une
liberté qui est presque permissive le reste du temps. Dans la vie
contemplative ou la vie mystique, il y a une liberté, qui n’existe
pas aux niveaux inférieurs de l’existence, mais cette liberté paraît
sans attrait à la plupart des gens, car elle implique la nécessité

76
Le chemin de l’esprit → sommaire

d’être responsable de ses actes. Une telle personne doit s’imposer


d’observer des valeurs éthiques et morales qui doivent guider sa
vie. Elle ne peut pas plus se contenter d’obéir à un ensemble de
règles souvent interprétées de façon élastique par le prêtre qui la
guide. Alors que dans l’autre cas, la responsabilité de suivre une
voie droite dépend d’elle et d’elle seule. Ainsi, l’apparente liberté
de la vie spirituelle semble receler une plus grande servitude,
de l’autodiscipline, de la maîtrise de soi... culminant dans le
principe de l’abandon de soi. Lorsque ceci est compris, les gens
semblent préférer le manque total de liberté pendant une période
déterminée, imposée par la vie rituelle, à l’apparente liberté des
contemplatifs.

Il y eut une fois une discussion intéressante sur ce sujet de


la liberté. Un précepteur étranger avait écouté le Maître parler
de la liberté qu’offrait une vie spirituelle, traitant de ce sujet
pendant assez longtemps. Lorsqu’il eut terminé, ce précepteur lui
dit : « Mais Maître, il me semble que la liberté diminue de plus
en plus à mesure que nous progressons. Vous nous demandez
l’abandon au Maître. N’est-ce pas alors une perte totale de la
liberté ? » Le Maître répondit : « Oui, vous avez raison. Mais je vous
prends seulement en charge pour finalement vous remettre à Dieu. Ceci
peut être fait seulement à cette condition. » Ce précepteur demanda
ensuite : « Mais alors, la liberté n’existe pas de la façon dont vous
l’exprimez  ? Qu’est-ce que la véritable liberté, Maître  ?  »  Et le
Maître répondit avec une expression sérieuse sur son visage : « A
vrai dire, la seule liberté est la liberté de faire ce qui est juste, il n’y a pas
d’autre liberté ! » J’ai songé à cette réponse de temps à autre au fil
des années, et j’en suis arrivé à la conclusion que c’est en effet la
seule liberté qui soit.

Une automobile, dans la rue, est libre de circuler mais


seulement où cela est permis. Elle ne peut pas s’engager dans
un sens interdit, elle ne peut pas dépasser les limites de vitesse
autorisées, elle ne peut stationner qu’aux emplacements prévus
spécialement à cet effet et ainsi de suite. Dans le cadre de ces
règlements, le conducteur jouit d’une complète liberté. Pourquoi
ces règles, ces règles restrictives sont-elles établies  ? Pour la
sécurité du conducteur lui-même  ! S’il n’y avait qu’une seule
voiture dans une ville, des règlements aussi rigides ne seraient

77
→ sommaire Mon Maître

pas nécessaires. Quand les véhicules sont plus nombreux, alors


les lois augmentent progressivement, devenant également de
plus en plus restrictives. Sur les rails, un train est libre, s’il quitte
les rails, il y a un désastre. Nous pensons qu’un aviateur est un
être “libre” et la plupart d’entre nous ont envié, à un moment
ou à un autre, la liberté totale dont il jouit apparemment. Nous
l’envions et souhaiterions être là-haut dans le ciel, libres de
faire ce qui nous plaît. Mais hélas ! cette liberté n’est qu’illusoire
elle aussi. Le pilote est strictement contrôlé dans pratiquement
tout ce qu’il fait. L’heure du décollage est fixée d’avance, son
plan de vol est strictement établi ainsi que son affrètement, sa
vitesse est contrôlée de même que l’altitude de son vol, etc. Il
est libre cependant, dans le cadre de ces limites, de faire ce qu’il
souhaite. Un aviateur a considérablement moins de liberté dans
les airs, qu’un automobiliste sur la route. Lorsque nous voyons
le travail des astronautes, nous découvrons à notre stupéfaction
que la liberté d’action a presque complètement disparu. Chacun
de leurs actes est rigoureusement contrôlé  ; non seulement les
détails techniques tels que les heures de vol, le plan de vol, etc.
sont établis avec rigueur, mais même les habitudes personnelles
comme leur sommeil et les périodes de repos, leur alimentation
et les heures de repas sont clairement stipulées. On ne peut être
qu’étonnés que ces personnes aient pu se soumettre si totalement
à cette discipline rigide et qu’elles aient été capables de faire
ce qu’on attendait d’elles. La raison en est très simple. Si elles
ne s’y conformaient pas, elles cesseraient d’exister. La sanction
de la désobéissance serait la redoutable peine de mort, la mort
instantanée. A ce niveau, l’obéissance totale est impérativement
nécessaire car elle décide si une personne continuera d’exister ou
non ! Nous voyons alors que la liberté semble porter en elle les
germes d’un désastre potentiel.

Il semble évident qu’à des niveaux inférieurs d’activité, la


liberté apparente de l’individu est plus grande, alors que l’activité
elle-même semble nécessiter un moindre degré de compétence
pour son exécution. A mesure que le niveau d’activité s’élève, la
capacité nécessaire à sa bonne exécution augmente de plus en
plus et, simultanément, le besoin d’une obéissance plus stricte
s’accroît, étape par étape. Aux niveaux les plus élevés, la liberté
individuelle semble être virtuellement inexistante et même avoir

78
Le chemin de l’esprit → sommaire

disparu ! La nécessité d’obéir est maintenant totale et la capacité


requise pour l’exécution correcte de sa tâche correspond au niveau
de “l’adepte”. Nous semblons en effet être arrivés au stade où la
seule liberté est vraiment la liberté de faire ce qui est juste ! Mais,
et ceci me paraît être un point significatif, toute la formation pour
mener une personne au niveau de l’adepte, semble finalement
culminer dans la transformation de cette personne en un être
instinctivement et totalement obéissant aux ordres du Maître.
Lorsqu’une personne a progressé jusqu’à ce niveau, il n’y a pas
de réflexion, pas de raisonnement. Lorsqu’un ordre est donné
par le Maître, l’activité nécessaire l’exécute immédiatement,
presque au niveau d’une action réflexe. Il me semble que ceci est
ce qui distingue le véritable adepte de la personne simplement
compétente et qui n’a pas développé cette capacité d’obéissance
parfaite, spontanée et instantanée.

A ce point, nous découvrons une loi selon laquelle, au fur et


à mesure que nous nous élevons, notre liberté va en diminuant !
Tout au moins, c’est apparemment ce qui se produit. Mais en
est-il réellement ainsi ? Tout dépend de nos idées sur la liberté,
des manières dont on nous a appris à la concevoir. Après avoir
étudié très en détail ce concept de liberté et m’être creusé la tête
pendant plusieurs années sur ce sujet, je suis arrivé à la con-
clusion que les idées que je m’en étais faites pendant tout ce
temps sont presque entièrement fausses. L’idée globale de liberté
me semble illusoire. Ou plutôt, pour exprimer cela d’une manière
différente, les niveaux inférieurs de l’existence, d’une existence
sans engagement, semblent jouir d’un certain degré de liberté,
mais elle s’amenuise progressivement jusqu’à ce qu’au niveau
le plus haut, il n’y ait plus de liberté du tout. Mais, et voici la
différence : il n’y a pas non plus de servitude ! L’erreur, je crois,
réside dans le fait qu’on identifie un état de non-liberté avec un
état d’esclavage. Ils ne sont en aucune façon identiques. Nous
faisons la même erreur lorsque nous pensons qu’une personne
sans richesse est pauvre ou qu’une personne sans connaissance
est ignorante. Ce que nous devons percevoir, c’est qu’il existe
un état intermédiaire dans chaque cas, une sorte de point zéro,
qui est un état absolument sans condition et que je crois être le
véritable état de l’existence spirituelle.

79
→ sommaire Mon Maître

Pour pousser plus loin cette réflexion, supposons qu’une


personne désire mentir à propos de son âge. Elle a une liberté
considérable pour choisir un nombre indiquant son âge, mais
à dire vrai, il n’y a en réalité aucune liberté de choix puisqu’il
n’existe qu’un seul nombre exact et un seulement. De même, la
plus courte distance entre deux points ne peut être qu’unique,
mais de plus longs chemins peuvent exister et ils peuvent être
aussi nombreux que nous le désirons. Nous voyons ainsi que
pour mentir ou emprunter un mauvais chemin, de nombreuses
voies existent. C’est-à-dire qu’apparemment, il y a un grand degré
de liberté. Alors que pour une conduite juste, une parole juste,
aucune liberté n’existe puisqu’il n’y a qu’un seul chemin que
nous devons suivre. A mesure qu’un être évolue spirituellement
et progresse jusqu’à des niveaux d’existence toujours plus élevés,
tout l’univers de choix illimité qu’il avait au départ est désormais
réduit à un seul but, avec un seul chemin pour y parvenir. Pour fouler
un tel chemin, aucune aptitude ni compétence n’est nécessaire,
peut-être même qu’aucune connaissance n’est nécessaire. Tout ce
qui est maintenant nécessaire, c’est une obéissance aveugle aux
instructions du Maître. Ceci, seul, garantira l’heureux aboutis-
sement de la quête spirituelle, rapidement et sans danger.

Ceci aussi nous permet de comprendre pourquoi, dans le


Sahaj Marg, aucune qualification particulière n’est requise chez
un aspirant. La seule qualification, comme je l’ai déjà expliqué
en détail auparavant est la bonne volonté à suivre le Maître avec
obéissance.

En examinant cette idée de liberté, nous sommes amenés à


conclure que ce que nous avons pensé être une perte de liberté
n’est en fait qu’un état d’abandon à la volonté du Maître. Nous
n’avons pas perdu la liberté dans le sens où nous en aurions été
dépossédés  : nous l’avons volontairement, de tout cœur et avec
dévotion, abandonnée au Maître de notre âme. Maintenant nous
voyons pourquoi le besoin d’un tel abandon est si primordial.
Choisir implique la connaissance de savoir comment choisir
et une volonté d’observer ce choix. Nous avons fait notre choix
lorsque nous avons choisi le Maître et son chemin. C’est comme
un célibataire qui a virtuellement un choix illimité de jeunes filles
à épouser mais qui, en ayant choisi une et l’ayant épousée, la

80
Le chemin de l’esprit → sommaire

question pour lui d’un autre choix ne se pose plus ! Le temps du


choix est révolu. A des stades d’évolution de plus en plus élevés,
l’idée même de choix cesse d’exister. Un niveau a maintenant
été atteint où même la connaissance n’est plus nécessaire. De
nombreux grands saints ont témoigné par leur expérience
spirituelle personnelle, qu’un état est atteint quand nous devons
nous détacher de la connaissance et de l’intellect. Cela ne veut
pas dire que nous abandonnons la connaissance comme quelque
chose d’indigne ou incapable de nous aider. Elle a joué son rôle
qui est maintenant révolu et le temps est venu pour elle de quitter
la scène. C’est tout ! Tout ce dont nous avons besoin maintenant,
c’est de volonté  ; la volonté d’agir et d’obéir au Maître dans le
moindre détail de son instruction. Pour ceux qui ont eu assez
de chance pour parvenir à cet état élevé, le Maître n’est plus
un guide pour la spiritualité seule. Il est maintenant devenu le
Maître de notre vie dans tous les aspects de l’existence. Il devient
le père, la mère, le fils, le professeur, le docteur, en fait il n’y a pas
de rôle qu’il ne joue pas dans la vie de l’abhyasi. Il a pris l’abhyasi
totalement en charge. Ainsi, nous voyons que seul notre abandon
au Maître peut apporter un état où il peut nous prendre en charge
complètement !

En poussant notre analyse encore plus loin, nous découvrons


avec étonnement que l’abhyasi se voit attribuer une très grande et
inimaginable liberté. C’est la liberté de la liberté elle-même !
C’est la liberté de l’invulnérabilité. Nous pouvons même dire
qu’il s’agit ici de la liberté de l’invincibilité. Nous ne sommes plus
redevables de nos actions. Nous obéissons tout simplement. La
personne qui donne les ordres, en l’occurrence le Maître, assume
l’entière responsabilité de tout ce que nous faisons. Nous ne
sommes plus vulnérables au monde. Alors un grand calme, une
grande liberté nous envahit. En échange de la perte apparente
de la liberté d’autrefois, largement illusoire comme nous l’avons
vu, nous recevons comme un don divin, la véritable liberté d’un
état spirituel, une liberté réelle que certains saints ont appelée la
“grande libération”.

Nous voyons ainsi que là où la religion “enchaîne”, la


spiritualité libère. Les grands sages et les mystiques de toutes les
religions l’ont enseigné, mais peu les ont suivis. Beaucoup lisent et

81
→ sommaire Mon Maître

entendent mais peu comprennent. Parmi ceux qui comprennent,


peu d’entre eux sont assez hardis pour secouer les chaînes d’un
esclavage traditionnel pour entreprendre une nouvelle recherche.
Quelques-uns accèdent à la réalisation qu’ils s’étaient fixée pour
but et, une fois qu’elle a eu lieu, ils s’émerveillent de la splendeur
et de la magnificence de la vérité qu’ils avaient recherchée, et que
seules sa proximité et son extrême simplicité nous cachaient.

A plusieurs reprises, j’ai discuté avec le Maître du rôle des


formes traditionnelles de culte. Un jour, je demandai à Babuji de
m’en expliquer les inconvénients éventuels : « Maître, ces méthodes
ont été suivies pendant plusieurs milliers d’années  ; comment
expliquer qu’elles n’apportent pas les résultats attendus ? N’ont-
elles pas contribué à ce que nos rishis et nos saints réalisent l’unité
avec le Divin ? J’ai du mal à le comprendre. Auriez-vous la bonté
de m’expliquer cela plus en détail ? » Le Maître répondit : « Je ne
dis pas que les méthodes traditionnelles sont mauvaises ou erronées. Je
dis seulement que la méthode d’approche doit correspondre à notre but
et, si ton but est la réalisation, alors la voie doit être subtile et suivie
correctement. Donc la personne, quelle que soit son identité, doit d’abord
définir son but et ce n’est qu’après que se pose la question des moyens
employés pour l’atteindre. Mais l’individu doit décider lui-même de
son but. Personne d’autre ne peut le faire pour lui. Suppose maintenant
que tu aies pour but l’acquisition d’une vaste fortune  : tu cherches
tout d’abord la personne qui peut t’aider à la gagner. Si tu cherches à
développer ta musculature, tu iras voir un pahalwan ou moniteur de
culture physique. Donc, en premier lieu : le but, et ensuite : le guide. Le
problème est que l’on voit un très grand nombre de personnes qui se sont
attachées à tel guru ou tel autre sans savoir pourquoi. Combien d’entre
elles savent ce qu’elles cherchent ? Faut-il s’étonner qu’elles ne sachent
pas ce qu’elles font ni pourquoi  ? C’est ça la difficulté  : nous avons
tendance à suivre aveuglément ce que d’autres ont fait. Je vais te dire
une chose : le discernement est nécessaire. Nous devons être capables de
décider par nous-même ce qui est bon pour nous. La confusion doit être
écartée. Alors le but peut être facilement atteint. Mais je te le dis, les gens
trouvent difficile d’avoir à changer leurs habitudes. Le changement est
toujours difficile si les gens n’ont pas de discernement ou la volonté de
changer. Toutefois, comme je te l’ai dit, il ne peut y avoir de progrès sans
changement. Les gens pratiquent une certaine méthode de rituel ou de
culte. Tout le monde le voit et s’exclame : “Regardez comme cet homme

82
Le chemin de l’esprit → sommaire

est pieux  ! C’est un saint  !’’ Et ainsi de suite. Cela donne une grande
satisfaction  ; l’ego est satisfait. Une telle personne veut-elle vraiment
atteindre Dieu ou la réalisation ? Réfléchis bien ! Tu vois alors : savoir
pourquoi nous faisons quelque chose est aussi important que savoir
comment nous le faisons. Tu vois, dès le départ, leur approche n’est pas
correcte. Comment peuvent-ils donc réussir ? »

« Maître, qu’en est-il de ceux qui sont sincères et sérieux dans


leur recherche ? » demandai-je. Et le Maître répondit : « D’accord,
pour eux le but est fixé comme étant le but réel. Nous abordons maintenant
la question du marg ou chemin. Je t’ai déjà dit que Dieu est simple et
que le chemin pour l’atteindre doit de même être simple. J’ai écrit dans
La Réalité à l’aube que pour ramasser une aiguille on ne se sert pas
d’une grue ! Mes associés trouvent cette image très amusante. As-tu lu
Kabir ? Il a écrit que si l’eau du Gange était vraiment sacrée alors chaque
crocodile qui la peuple devrait obtenir moksha  ! Comprends-tu  ? Un
acte grossier ne peut mener à un résultat subtil. Nous devons essayer
de comprendre cela. Nous nous sommes égarés dans notre mode de vie
rituel. Il est généralement facile à suivre et donne la grande satisfaction
d’avoir accompli son devoir. Pourtant, nous ne réalisons pas que cela
ne fait qu’accroître notre opacité. Je vais te parler d’un cas dont j’ai eu
à m’occuper. Un homme avait pratiqué puja pendant de nombreuses
années. Il avait pour habitude d’imaginer que Dieu siégeait dans son
cœur et qu’il faisait pradakshina c’est-à-dire des circonvolutions, des
centaines ou des milliers de fois autour de Lui. Un jour il vint me voir, à
moins que ce ne soit le Docteur Varadachari qui me l’ait amené, je ne m’en
souviens plus. J’examinai sa condition. Sais-tu ce que j’ai trouvé ? Son
cœur était complètement enveloppé comme un ver à soie dans un cocon !
Le cœur était sous une grande tension bien qu’il n’en fût pas conscient. Je
ne compris pas tout d’abord comment cela s’était produit, mais lorsqu’il
me parla de la pratique qu’il avait adoptée, alors je compris. Tu vois les
ravages qu’il avait faits. Pauvre homme, il pensait avoir fait une chose
très pieuse mais en réalité il s’était mis dans de sérieuses difficultés. Tu te
souviens de cette autre expérience que je t’ai racontée ? Celle au sujet du
singe ! » Le Maître éclata de rire. Je me souvenais de l’anecdote à
laquelle il faisait allusion. Le Maître avait mené personnellement
un satsangh dans l’un de nos centres en Inde du Sud. Près de
quarante ou cinquante personnes étaient présentes et le sitting
dura environ vingt cinq minutes. Plus tard lorsque nous fûmes
seuls, il me raconta que peu après avoir commencé à transmettre,

83
→ sommaire Mon Maître

il eut l’impression qu’un singe était assis dans le groupe. Il ouvrit


les yeux et son regard se posa sur un abhyasi de longue date, assis
dans le groupe. Il referma les yeux et, après quelques instants, la
même expérience se répéta : le singe était encore là ! Le Maître
une fois encore ouvrit ses yeux et rencontra le même abhyasi. « Tu
sais, dit-il, j’eus un mal fou à contrôler mon rire. Lorsque j’ouvrais les
yeux, je voyais cet abhyasi, lorsque je les fermais, il y avait un singe à
sa place. En soupçonnes-tu la raison ? Je vais te la donner ! J’examinai
ce cas et découvris qu’il s’était dédié au culte d’Hanuman pendant très
longtemps, peut-être dans quelque vie passée, et les impressions étaient
là, très tenaces et profondément enfouies. Pendant le cleaning, ces
impressions avaient dû remonter à la surface du mental. C’est pourquoi
j’avais l’impression d’avoir un singe assis devant moi ! »

Le Maître a donné beaucoup d’exemples similaires de “gros-


sièreté” due à des approches erronées dans la façon de pratiquer
le culte. Dans certains cas, l’opacité est si profondément enfouie
et si incrustée, qu’il est virtuellement impossible de la faire
disparaître. Je demandai au Maître comment il était possible
que même lui soit dans l’impossibilité d’apporter son aide. Il
répondit  :  «  Je vais t’expliquer. J’ai vu certains cas où le cœur était
entouré d’une opacité si dure qu’elle avait la consistance d’un roc ; c’est
comme si le cœur était encastré dans un roc solide. Si tu transmets dans
de tels cas, la transmission te revient tout simplement. » Je demandai
au Maître si dans de pareils cas on ne pouvait vraiment plus rien
faire. N’y avait-il aucune issue pour ces gens ? Il répondit : « En
fait, si l’on utilise le pouvoir cela est possible, sans aucun doute. Mais
le danger subsiste lorsqu’on brise l’opacité, la personne elle-même
peut être atteinte. Le processus devra être très lent et seule une totale
coopération de la part de l’abhyasi peut l’aider. Dans de tels cas, je leur
suggère de prier Dieu sincèrement tous les jours de les aider. On peut
ensuite revoir leur cas pour un cleaning en profondeur.  »  Je racontai
au Maître une expérience quelque peu curieuse qui m’était
arrivée une fois avec un abhyasi. J’étais en train de lui faire un
cleaning, lorsque subitement j’eus devant mes yeux la vision d’un
égout gigantesque, d’une dimension plus grande qu’un homme,
d’où se déversait une fange d’un aspect tellement immonde que
momentanément j’en eus la nausée. « Exact, dit le Maître, ceci est
le travail du précepteur. Je t’ai dit qu’un Maître n’est rien d’autre qu’un
balayeur. Mais le problème ne se pose que lorsque le travail s’effectue

84
Le chemin de l’esprit → sommaire

dans la région du cœur1. A proprement parler, la région du cœur est en


réalité l’égout de l’humanité. Nous devons plonger dans tout cela et faire
le travail. Bien sûr, une fois que l’abhyasi progresse et s’élève jusqu’à la
région du mental2 alors le travail devient un plaisir. Après cela, il suffit de
peu d’effort. Un maître qui en a la capacité peut faire ce travail juste en
un clin d’œil. Maintenant je vais te dire quelque chose. Dans mon propre
intérêt, je sors rapidement les gens hors de la région du cœur. Après tout,
qui aimerait y travailler plus longtemps qu’il n’est nécessaire  ? Mais
la coopération de l’abhyasi peut accélérer le processus et m’épargner
beaucoup de peine et de travail. »

Le Maître me narra une autre expérience relative au cleaning.


Lors d’une occasion, il s’était rendu à Bénarès et sans le savoir, il
s’était égaré dans une rue à la réputation douteuse. Instinctivement,
il sentit qu’il se trouvait en un mauvais endroit. A cet instant, il
entendit la voix de Lalaji lui demander  :  «  Que fais-tu là  ?  »  Le
Maître fut déconcerté et répondit : « Saheb, je suis ici par erreur. Je ne
sais pas où je me trouve ! » – « Puisque tu es là, répondit Lalaji, que
les gens de cet endroit tirent quelque bénéfice de ta présence  !
Nettoie l’atmosphère de ce quartier tout en le traversant  !  »  Le
Maître rit et ajouta  :  «  J’ai obéi aux ordres de Lalaji, mais regarde
sa grandeur. Il ne me gronda pas de m’être rendu là ; mais son amour
pour l’humanité transparaît dans l’ordre qu’il m’a donné. Où que nous
puissions aller, nous devons toujours nous efforcer de laisser la lumière
de la Réalité briller là où nous sommes passés. Lalaji Saheb transmettait
de façon continue vingt-quatre heures par jour. Même lorsqu’il voyageait,
il continuait à transmettre. Où trouver un tel Maître ? A vrai dire, Lalaji
est un prodige de la nature ! »

Lorsque j’entendis prononcer le nom de Lalaji, je fus curieux


de savoir de mon Maître si Lalaji avait lui-même pratiqué quelque
forme rituelle de puja. Mon Maître devint méditatif : « Je vais te dire
une chose  : Lalaji Saheb avait le plus grand respect pour la tradition.
Il ne critiquait jamais quoi que ce soit ou qui que ce soit. Il enseignait
aux gens ce qu’il savait être la meilleure approche pour atteindre le But,
mais il faisait toujours cela sans pour autant décrier d’autres systèmes
de puja ou de culte. C’est la raison pour laquelle il était très aimé et

(1) (2) : Voir appendice

85
→ sommaire Mon Maître

que des gens de toutes castes et de toutes communautés avaient coutume


d’aller le voir pour un conseil et une ligne de conduite. Ils avaient foi
en lui car il donnait toujours le bon conseil en toute circonstance. Mais
je peux te dire qu’il était tout à fait contre les rites. Sa mère était très
pieuse et très pratiquante, mais elle décéda lorsque Lalaji était très jeune.
De son vivant, il chantait pour elle. Lalaji avait une très belle voix que
tous aimaient à entendre. Il chantait des chants sacrés et l’un de ceux
qu’il préférait était Dinana dukh haran Nath santana hitkari. Il est
fort dommage qu’à son époque il n’y ait eu ni magnétophone ni autre
chose de ce genre. Non, il ne pratiquait jamais de rite. Mais je vais te
dire une chose : un jour d’amavasya – jour de la nouvelle lune – je le vis
pratiquer le tarpana. Il versait de l’eau d’une manière rituelle, l’offrant à
ses ancêtres dans le monde supérieur. Je me mis tout de suite à son écoute
pour voir ce qu’il faisait réellement. C’était extraordinaire à observer  ;
je découvris qu’il transmettait l’essence de l’eau qu’il offrait au monde
supérieur. Comprends-tu cela ? C’est ce que nous devons faire lorsque
nous offrons bhog. Maintenant je vais te dire quelque chose. Suppose
qu’une personne puisse transmettre l’essence d’une chose, alors il est
utile de faire tarpana et toutes ces choses. Sinon à quoi cela sert-il ? Cela
devient un simple rituel sans aucune signification ni utilité. Il est préféra-
ble de s’asseoir en méditation et de penser aux âmes défuntes. Elles en
retireront certainement un plus grand bénéfice. Et si cette personne est
un précepteur, il devrait transmettre avec l’idée que la transmission
atteindra l’âme où qu’elle soit. Tu vois, il existe des moyens d’aider. Mais
que pouvons-nous faire si les gens s’attachent à des formes grossières de
rituels par ignorance et par crainte ? »

Un jour j’ai discuté avec le Maître du culte des temples. Il


m’avait dit que toutes les religions dépendaient de deux moyens
de pression : la crainte et la tentation. Pour le Maître, l’idée d’ap-
procher Dieu par peur était totalement répugnante  :  «  Lorsque
nous craignons quelque chose, nous le fuyons  ; c’est une réaction
naturelle. Comment donc est-il possible d’aller vers Dieu en ayant dans
nos cœurs peur de lui  ? Cela n’est pas possible  : la peur ne peut que
nous détourner de lui ! Je te dis que tout système fondé sur la peur ne
fera que détourner les gens de Dieu. Alors vois-tu, pour contrecarrer
cela ils utilisent l’autre arme, celle de la tentation, la tentation de la
prospérité matérielle, des richesses, de la santé et finalement de moksha.
Maintenant, cette tentation est efficace jusqu’à un certain point, mais les
gens ne veulent que ce qu’ils peuvent voir ou sentir, les choses physiques.

86
Le chemin de l’esprit → sommaire

Alors en recherchant de tels sansthas, ils le font seulement pour des


bénéfices matériels. Résultat, la religion s’est progressivement altérée.
Les idéaux se sont systématiquement effondrés. Maintenant les gens
ont atteint un niveau si bas, qu’ils sont prêts à faire des affaires avec
Dieu. Tu sais, on me dit que quelques hommes d’affaires l’ont même
associé à leurs affaires ! N’y a-t-il pas de quoi s’étonner ? N’est-ce pas le
comble de la bêtise ? Tout dans l’univers Lui appartient et à lui seul. Ce
que nous avons, nous l’obtenons de lui. Mais maintenant, les gens ont
commencé à penser qu’ils ont “gagné” eux-mêmes ce qu’ils ont acquis.
Ceci n’est qu’ignorance. Et ils y ajoutent l’arrogance d’offrir à Dieu une
part de leur revenu ! Regarde à quel point ils sont insensés et égoïstes !
Ils pensent qu’ils peuvent soudoyer Dieu pour qu’il leur donne de plus
en plus, afin qu’Il puisse obtenir une plus grande part pour lui-même !
Aussi vois-tu, tout cela doit être changé. On doit suivre le droit chemin
de l’amour et rechercher Dieu pour lui seul et non pas pour ce qu’il peut
nous donner ! »

Je fis alors au Maître le résumé d’une longue discussion que


j’avais eue un jour avec le docteur Varadachari, à Tirupati, au sujet
du culte des temples. Quelques personnes présentes étaient
d’avis que nous ne devrions pas sevrer les gens de leurs propres
pratiques traditionnelles afin de ne pas leur faire du tort. D’autres
sentaient que les temples existant depuis des siècles, nos aïeux
savaient certainement ce qu’ils faisaient lorsqu’ils les édifièrent
et les établirent comme centres de prière. Le docteur Varadachari
présenta toute la question du culte des temples sous un angle
nouveau. Il expliqua que peu de personnes sont suffisamment
évoluées pour attirer vers elles un guru vivant, en personne ; qu’il
fallait un niveau d’évolution déjà assez élevé avant même qu’un
individu pense à un guru. Que leur restait-il alors à faire  ? De
telles personnes se trouvant à des niveaux inférieurs d’évolution,
représentaient la masse de l’humanité. Les grands instructeurs
religieux avaient donc institué le culte dans les temples pour ces
gens-là. Pour ceux-ci le temple jouait le rôle d’un guru inanimé.
Des saints du passé avaient consacré ces temples et chargé les
idoles en les remplissant de leur propre pouvoir. De telles charges
étaient loin d’être éternelles. Elles duraient un certain temps, tout
dépendait du pouvoir et du développement du saint qui avait
chargé l’idole. Une fois la charge épuisée, le temple ne pouvait plus
conférer le moindre bénéfice aux personnes qui venaient y prier.

87
→ sommaire Mon Maître

Le docteur Varadachari ajouta que c’était la raison pour laquelle


certains temples tombèrent en désuétude et devinrent de simples
vestiges archéologiques. Il continua en disant que la pratique qui
consistait à amener un nouveau-né au temple pour lui raser la
tête tenait d’un rite initiatique. L’enfant était symboliquement
offert à la déité qui protégeait ce temple et il devenait par la suite
le disciple de cette déité. Le docteur Varadachari fit alors une
remarque très pertinente. Il ajouta que lorsque l’enfant devenait
un homme, il devait se mettre à la recherche d’un guru vivant,
capable de l’aider pour sa future évolution. A ce stade, le culte
du temple devait être abandonné et l’approche spirituelle la
plus élevée, entreprise en accord avec l’enseignement du guru,
en vue d’une nouvelle évolution. Telle fut l’essence de la longue
conversation avec le docteur Varadachari sur ce sujet.

Le Maître convint que le culte du temple avait sa place dans le


schéma général. « Mais, demanda-t-il, où sont les saints aujourd’hui
ayant le pouvoir de charger les idoles de force spirituelle ? S’ils peuvent
le faire, alors cela a en soi une signification. Je vais te dire autre chose :
si une personne ayant le pouvoir de transmission existe, devrions-nous
recevoir d’elle la transmission ou lui demander de charger une idole et
prier ensuite cette dernière pour notre développement ? Comprends-tu
cette idée ? Nous devons aller droit au but, suivre le chemin le plus direct.
Nous ne devrions pas avoir d’intermédiaire entre nous-même et Dieu !
Bien sûr, si quelqu’un peut trouver un maître déjà en laya avec Dieu,
on peut alors le prendre pour guide. Autrement, cela est inutile. Il est
préférable de ne pas avoir de guru plutôt que d’être avec une mauvaise
personne. Peut-être ne progresserons-nous pas sans guru, mais avec un
mauvais guide nous pourrions régresser et finalement chuter. Le grand
danger est là. Maintenant, je vais te dire une chose importante et dont il
faut bien se souvenir. Le culte de l’idole n’est pas entièrement mauvais.
Il ne l’est que dans la mesure où il est mal pratiqué. Quel est le bon
moyen  ? Nous ne devrions pas rendre un culte à l’idole elle-même,
mais à Dieu que l’idole représente ! C’est le sens exact. L’idole est tout
simplement une image ou une représentation de Dieu pour se rappeler
au fidèle et l’aider à entrer dans un état contemplatif. Mais que faisons-
nous  ? Nous prions l’idole comme si c’était Dieu lui-même. Voilà la
grande erreur et c’est ainsi que s’accroît l’opacité. En vérité, Dieu n’a ni
forme, ni nom. C’est nous qui donnons ces formes et ces noms à Dieu, lui
imposant ainsi des limitations. Alors, l’opacité commence à se former.

88
Le chemin de l’esprit → sommaire

Quelle sottise  ! Nous devrions essayer de nous épanouir et de croître


mais au lieu de cela, nous essayons en fait de limiter Dieu lui-même.
De telles pratiques peuvent-elles jamais nous mener au but ? Je vais te
dire une autre chose importante. Les gens honorent beaucoup de dieux
mais nous devrions honorer le Dieu dont tous ces dieux détiennent, non
seulement leur pouvoir mais, leur existence même. Nous devrions aller
à la Source. Telle devrait être notre approche ! Tout objectif inférieur à
cela nous fera chuter avant le but et créera l’opacité. Je vais te dire autre
chose : les gens pratiquent tirtha-yatra. Ils vont de lieu en lieu, passant
de nombreuses années à dépenser beaucoup d’argent pour se baigner
dans les fleuves sacrés et prier dans les temples renommés. Certains font
cela toute leur vie. Mais quel est le résultat ? En ont-ils retiré un bénéfice
spirituel ? Ils ont seulement la satisfaction de s’être baignés dans tant
de lieux et d’avoir honoré tant de temples ! C’est tout ! Voici une chose
très importante : le vrai yatra est le yatra intime de l’âme. C’est cela le
vrai yatra. C’est ce que nous faisons dans notre pratique. Après tout, au
cours de notre voyage spirituel ce n’est pas le déplacement du corps qui
nous mène au but, dit-il en riant. C’est l’âme qui, devenue prisonnière
dans le cœur doit être amenée à se mouvoir, ensuite à s’élever point
par point jusqu’à ce que la destination soit atteinte. Voilà le vrai yatra.
Je vais te dire encore une chose, continua le Maître  : il n’est pas fait
mention du culte des temples dans les Vedas. Après tout, nous citons les
Vedas qui font autorité pour chaque chose que nous faisons. Mais ils ne
disent rien au sujet des temples. Le docteur Varadachari l’a confirmé. Tu
sais, il a étudié les Vedas et c’est un philosophe. Il m’a dit que pas une
fois il n’est fait mention des temples dans les Vedas car à vrai dire, à
l’époque védique, les temples n’existaient pas du tout. Cela veut-il dire
que les gens ne priaient pas en ce temps-là ? Cela signifie en vérité que
les temples ne sont pas “essentiels” à la prière. Dieu est partout. Nous
devons aussi être capables de prier n’importe où, et cela est possible.
Chaque chose dans la nature témoigne de la présence de Dieu. Existe-t-il
quelque chose qui ne témoigne pas de sa présence ? L’univers entier est
sa création et il est dans chaque atome qui le compose. Donc, la prière
doit être possible n’importe où. L’idée de réserver un lieu à part pour
prier est venue bien plus tard, quand l’homme s’est développé loin de
la nature. A l’époque védique, l’homme faisait partie intégrante de la
nature, de son environnement et il voyait Dieu en tout. C’est pourquoi
les hommes adoraient la pluie, le tonnerre, le feu et toutes ces choses.
Il est dommage que les étrangers aient mal compris cela et disent que
les hindous vénèrent ces éléments matériels. Ceci n’est pas correct.

89
→ sommaire Mon Maître

En vérité, les anciens voyaient Dieu en tout et rentraient en extase et


priaient toute chose comme étant divine. Ils n’adoraient pas le feu mais
le Dieu que ce feu représentait, similairement pour les autres éléments.
Il en fut de même au sujet du culte des idoles, mais plus tard cependant
ces idées se sont avilies. Je voudrais maintenant te donner une bonne
définition de la prière. On demanda une fois à notre révéré M. Ishwar
Sahai ce qu’est la prière. Il répondit que c’est en fait une expression de
la gratitude envers Dieu pour tout ce que nous recevons. Nous mangeons
du riz, du blé, buvons du ghee et tant d’autres choses. Nous en sommes
naturellement reconnaissants, cependant pouvons-nous dire : “Merci riz,
merci blé” et ainsi de suite ? Non ! Aussi disons-nous merci au créateur
de toutes ces choses qui sont Dieu. Ainsi la prière devrait-elle être, en
réalité, un sentiment de gratitude dans notre cœur et non pas une quête
pour mendier plus de choses encore. Si nous demandons toujours plus,
cela montre seulement notre ingratitude pour tout ce que nous avons déjà
reçu et je considère cela comme étant le plus grand crime contre Dieu. »

Le Maître continua : « Par la grâce de Lalaji, nous avons un chemin


facile pour atteindre notre but. C’est la voie la plus simple et la plus
naturelle qu’il nous ait offerte. C’est vraiment un Sahaj Marg, une voie
simple et naturelle pour la réalisation de Dieu. Mais je te dis que peu de
gens apprécient son efficacité car ils se demandent comment quelque chose
de si simple et de si facile peut produire de si merveilleux résultats. Les
gens sont habitués à suivre des méthodes difficiles, des méthodes exigeant
de longues années de pratiques exténuantes. Et maintenant, lorsque nous
disons que Dieu peut être facile à atteindre, ils sont sceptiques. Mais si
nous faisons preuve de sagesse, nous devons choisir la voie juste qui nous
mènera à notre but et non la plus difficile. Ils préfèrent quémander de plus
en plus de profits matériels alors que dans notre méthode nous recevons
la grâce divine dès le début. J’ai dit que prier c’est mendier mais que
méditer c’est recevoir. Pourquoi ? Parce que lorsque nous nous asseyons
en méditation, nous avons une attitude réceptive de façon à créer un vide
dans le cœur. Seul un récipient vide peut être rempli ! Qui peut remplir un
récipient déjà plein ? Vois-tu la différence ? Ils mendient, dit-il en riant,
alors que nous recevons ! C’est la grandeur de notre système. C’est par
la grâce de Lalaji qu’un système si simple d’une aussi grande efficacité
est accessible aujourd’hui ! Mais très peu en bénéficient. Alors que faire :
bien des gens disent même qu’ils n’ont pas le temps ? Au début, j’avais
prescrit une heure de méditation le matin ; je l’ai maintenant réduite à

90
Le chemin de l’esprit → sommaire

une demi-heure1 ! Même cela, les gens ne sont pas disposés à le faire. Je
vais te raconter une histoire qui va t’amuser : une fois quelqu’un vint
me voir, c’était un haut fonctionnaire du gouvernement à Delhi. Il était
amené par l’un de nos associés. Il voulait connaître notre système et je
lui en parlai. Lorsqu’il apprit qu’il devait méditer une demi-heure par
jour, il dit que c’était impossible car il était trop occupé pour y consacrer
tant de temps. Je lui demandai alors d’en réduire la durée. Il répéta qu’il
était trop occupé. Je lui dis alors de méditer chaque jour dix minutes. Tu te
rends compte ? Il se fâcha ! “Quelle est cette tamasha (plaisanterie) me
dit-il ? Je vous dis que je suis un homme très occupé et vous continuez à
me demander de faire cela ! Je ne dispose même pas de cinq minutes par
jour !” Alors Lalaji me donna une idée. Tu vas voir comme il nous aide ! Je
demandai à ce fonctionnaire : “Pouvez-vous me dire s’il existe quelqu’un
de plus occupé que vous ?” Il se fâcha à nouveau et répondit : “Voilà
bien une question stupide ! Bien sûr qu’il y a des gens plus occupés que
je ne le suis ! Le Premier ministre a beaucoup plus à faire que moi !” Je
lui demandai alors de ne pas prendre un exemple aussi extrême mais de
penser à quelqu’un juste un peu plus occupé que lui. “Mon voisin est un
haut fonctionnaire ayant plus de responsabilités et bien plus occupé que
moi,” dit-il. Alors sais-tu ce que je lui répondis, dit le Maître en riant
aux éclats : “Saheb, donnez-moi la différence de temps entre le temps de
votre occupation et celui de la sienne. Cette différence nous donnera un
peu de temps pour la méditation !” Le pauvre homme pensa que je me
moquais de lui et s’en alla vraiment courroucé ! » Le Maître me donna
alors un autre exemple du même type, celui d’une personne qui
prétendait être trop occupée pour méditer. « Sais-tu ce que je lui
répondis ? Je lui dis que Dieu devait être blâmé pour ne pas avoir créé
des journées de plus de vint quatre heures. C’est la faute de Dieu. S’il
avait créé des journées de vingt six heures de telles personnes si occupées
auraient pu prendre le temps de méditer. » 

Le Maître ajouta : « Je te l’ai déjà dit, seul celui qu’Il choisit réussira.
Alors que puis-je faire ? » Demanda le Maître. « De toute façon nous
faisons notre travail et laissons le reste au Maître ! »

(1)NDT : la méditation est à nouveau d’une heure.

91
→ sommaire

VII

L’APPROCHE DE LA RÉALITÉ

Quand et comment naît réellement la recherche d’un but encore


indéfini  ? Dans la plupart des cas, les premiers tressaillements
timides de l’éveil de l’âme semblent s’être perdus dans les souve-
nirs d’enfance d’un individu. De nombreux aspirants affirment ce
fait disant que les premiers appels spirituels et le souvenir qu’ils
en ont, encore vifs lors de leur adolescence, sont enfouis par la
suite sous les pressions de l’existence. Dans quelques cas heureux,
cette aspiration remonte à la surface après que l’individu s’est
établi dans la vie. Toutefois, dans la majorité des cas, le nouvel
éveil du désir spirituel ne se fait qu’aux abords de l’âge mûr
et dans nombre de ces cas, l’éveil semble se produire ou s’être
produit seulement dans des périodes de crises personnelles. Dans
quelques rares cas, les premiers “remous” de la fin de l’enfance
restent à l’état latent et assoupis, pour ressurgir lors de la vieillesse.
Dans ces derniers cas, les chances de réussite sont plus restreintes
que dans les autres, à moins que ces personnes soient capables
d’attirer l’attention du Maître par leur amour et leur dévotion. Le
Maître me dit une fois qu’il avait fait quelque chose de vraiment
important pour un abhyasi âgé : « Tu vois, dit-il, c’est un vieil homme
et par compassion je lui ai donné cette possibilité en cadeau. Je l’ai fait
parce qu’il est très dévoué et sincère. Les gens âgés n’ont pas beaucoup de
temps pour travailler à leur évolution, alors je leur donne cette possibilité,
mais vous, les jeunes, il vous faudra travailler pour la vôtre. »

Pour revenir à la question du début de l’éveil, cela dépend de


l’individu, de l’environnement et de la nature des pressions que

93
→ sommaire Mon Maître

ce dernier exerce sur lui. On admet généralement que la semence


est à l’intérieur de l’individu, faisant partie de son héritage
karmique et samskarique. La graine doit toutefois rencontrer les
conditions d’un environnement approprié qui lui permettra de
germer. Les conditions ultérieures doivent continuer à rester
favorables pour que la germination produise un arbre de grande
taille. De telles conditions d’environnement doivent être créées,
tout d’abord et avant tout, dans la famille ou l’entourage familial.
Là, dans le berceau et au sein du foyer, la graine peut germer si les
conditions sont bonnes. Si ce premier environnement est hostile
à la germination des impulsions karmiques vers la recherche
spirituelle, cette lutte, si elle a lieu, risque d’être longue et amère.
Une étude de l’enfance du grand Maître – Lalaji – et de mon
Maître, révèle qu’ils ont eu tous deux des parents sereinement
pieux, leur mère surtout, et qu’ils avaient une attitude positive
envers la vie supérieure. L’atmosphère de leur famille respective
était donc adéquate et propre à favoriser un tel développement.

Je me souviens que mon épouse Sulochana demanda une fois


au Maître à quel moment une personne devrait commencer la
sadhana spirituelle. Elle posa cette question parce que d’habitude
le Maître ne permet pas aux personnes de moins de dix-huit ans
de méditer. « En vérité, répondit-il, le processus devrait commencer dès
la conception. Lalaji avait l’habitude de dire que c’était le bon moment
pour commencer une sadhana. Mais comment déterminer le moment de
la conception ? C’est impossible ; donc le travail ne peut être commencé
à ce moment-là. Cependant, ce que nous faisons, est de transmettre à la
mère alors qu’elle porte son enfant et la transmission correctement dosée
atteindra le bébé automatiquement. On ne devrait jamais transmettre
directement à l’enfant, cela peut être extrêmement dangereux, mais nous
devrions seulement transmettre à la mère, à son cœur, comme nous faisons
normalement. » Les cas où une mère est elle-même sur le chemin,
et par conséquent apte à conférer le don divin d’un entraînement
spirituel à son enfant en gestation, sont très rares. Mais ce que dit
le Maître sert à accentuer la nécessité de commencer la recherche
véritable aussitôt que possible, le plus tôt étant le mieux !

J’avais un ami et collègue qui s’intéressait à la vie spirituelle,


mais d’une manière plutôt timide et distante. J’avais essayé de
l’amener à commencer à méditer. Il remettait toujours cela à plus

94
L’approche de la réalité → sommaire

tard disant qu’il était encore jeune, célibataire, et avait bien du


temps encore pour ce “genre de choses”. Il appuyait son objection
à commencer la vie spirituelle sur le fait qu’il devait encore passer
par les épreuves de la vie familiale et donc que toute sadhana,
quelle qu’elle soit, serait prématurée tant qu’il n’aurait pas traversé
cette épreuve particulière. Il se maria. Je lui parlai à nouveau de
la sadhana mais il répondit cette fois que, venant de se marier,
il lui fallait encore quelques années de plus pour s’habituer à
cette vie. Il me demanda d’attendre qu’il ait cinquante ans, âge
auquel il entreprendrait certainement une sadhana spirituelle. Le
tragique de cette histoire, c’est qu’après deux ans de mariage, il
mourut subitement d’une brève maladie bénigne. C’est l’un de
mes grands regrets de n’avoir pu le conduire sur le sentier quand
il en avait la possibilité.

Il me vient à l’esprit un deuxième cas, au dénouement plus


heureux que le précédent. Il s’agit d’un abhyasi qui était à ce
moment-là le seul abhyasi de sa ville. Il montrait un grand
intérêt pour notre système de méditation et il pratiquait selon
l’enseignement de mon Maître. Il progressait tant, que le
Maître pensait lui confier la tâche de précepteur dans sa ville.
Malheureusement il tomba malade brusquement et très peu de
temps après il mourut. J’écrivis au Maître à son sujet. Il répondit
qu’il avait étudié son cas et qu’il avait trouvé l’âme de l’abhyasi
paralysée et déconcertée. Il ajouta : « J’ai fait ce qu’il fallait pour lui. Il
renaîtra une fois encore et sa prochaine vie sera la dernière. » Il termina sa
lettre d’une phrase de la plus haute signification. « S’il avait pratiqué
notre méditation pendant quelques mois encore, il aurait été possible de
le libérer dans cette vie même ! Dans son cas une autre naissance sera
nécessaire ! » Je me réfère à ces deux exemples pour insister avec
le plus de force possible sur la nécessité d’une action immédiate.
Il est possible d’être libéré maintenant dans le présent ! Qui peut
dire ce qui arrivera dans l’avenir ? « Ne remettez jamais à demain
ce que vous pouvez faire le jour même ! » C’est un adage qui se
rapporte plus à la sadhana spirituelle qu’à toute autre chose !

Je vais évoquer maintenant un troisième cas dont m’a parlé


le Maître lui-même et qui démontre que repousser la recherche
spirituelle peut la retarder indéfiniment, peut-être pour plusieurs
vies. « Regarde, dit-il, les gens qui viennent à moi sont en général au

95
→ sommaire Mon Maître

premier point. Le yatra n’a pas commencé. Ceci est normal. Un jour
quelqu’un vint me voir. Que dire de lui, sinon que je le trouvais déjà au
quatrième point ! C’était un niveau d’accomplissement élevé prouvant
son travail dans sa vie passée. Il vint me voir une fois mais ne revint
jamais. Son samskara dut l’en empêcher. S’il était revenu, ses progrès
auraient été certains. Un petit cleaning aurait probablement activé
ses progrès. Il est dommage qu’il ne soit jamais revenu  ! Maintenant
qui sait combien de vies lui seront nécessaires pour trouver le chemin ?
C’est le seul cas qui vint à moi déjà si évolué. » Ceci nous montre le
besoin impératif d’atteindre notre but dans cette vie même. Nous
sommes ici. Notre Maître est disponible pour nous et cette vie est
certaine, quelle que soit sa durée. Notre devoir solennel envers
nous-même est de nous assurer qu’avec son aide nous achèverons
notre voyage spirituel jusqu’à sa destination dans cette vie, la
seule dont nous pouvons être sûrs.

Ainsi que le Maître me l’expliqua lui-même à une autre occasion,


nous pouvons être sûrs de cette vie-ci : nous la vivons. Il n’est pas
besoin de preuve de son existence. En ce qui concerne nos vies
passées ou futures, les religions ont à ce sujet un enseignement
différent. La chose importante, en ce qui nous concerne, c’est que
toute cette question de vies passées et futures devient sans objet
quant à l’issue de la réalisation spirituelle. Nous sommes ici en
train de vivre cette vie ; le Maître est avec nous et le but existe ;
l’association de ces trois facteurs doit nous permettre d’atteindre
notre but dans cette vie. Voilà ce qui est important dans l’ensei-
gnement du Sahaj Marg. Je peux personnellement croire à
l’existence de vies antérieures ou futures. Ce fut l’enseignement
de la religion dans laquelle j’ai été élevé, par conséquent il est
naturel pour moi d’avoir une telle croyance. Mais, pour d’autres,
cette croyance n’est pas nécessaire dans le domaine de la pratique
spirituelle. Seules à présent nous concernent les vérités suprêmes
et perceptibles de notre existence, de l’existence de notre Maître
et de l’existence d’un but à réaliser : ici et maintenant !

A une autre occasion pourtant, quelqu’un souleva l’idée selon


laquelle de nombreuses vies seraient nécessaires pour atteindre
le but. Il cita la Bhagavad Gita, le passage où Shri Krishna dit
que même ceux qui ont une grande connaissance ne l’atteignent
seulement qu’après bien des vies. Le Maître répondit  :  «  C’est

96
L’approche de la réalité → sommaire

possible ! Mais je vais vous dire une chose importante. C’est un signe
de faiblesse de penser que le but est lointain et le parcours très difficile.
Je dis :“Commencez au moins le voyage et vous saurez vraiment ce qu’il
en résulte réellement  !”Autrement, si vous vous appuyez sur ce que
les autres vous disent, ce n’est que de la faiblesse. Faites au moins un
pas dans la bonne direction et voyez ce qu’il en est ! Ensuite, décidez !
J’ai autre chose pour tous ceux qui viennent me dire  :“La réalisation
demande plusieurs vies !”Comment pouvez-vous présumer que cette vie
soit la première ? Pourquoi ne pas penser que c’est votre dernière vie et
que le but doit être atteint lors de cette vie même ? Comprenez-vous ce
que je dis ? La première attitude est celle de la faiblesse, l’autre est une
approche positive. Qui peut dire avec certitude combien de vies nous
avons encore à vivre ? Moi je vous dis que c’est à vous de décider. Si nous
adoptons la bonne méthode sous la direction du véritable Maître alors
il n’est plus besoin d’autres vies. Oubliez donc cette idée d’autres vies.
Nous ne devons pas attendre la prochaine vie pour continuer notre route.
Qui sait dans quel environnement nous pourrions naître et de quoi notre
vie sera faite ? Il est facile de perdre le chemin ! Je dis :“Une fois que vous
trouvez le Maître et la méthode, suivez-les sans relâche. Attachez-vous
le Maître de telle manière que ce lien soit un lien permanent ! Le succès
est alors assuré.’’ »

Ayant examiné l’origine de la recherche spirituelle, regardons


maintenant comment elle évolue. Le Maître a relaté ses propres
expériences de pratique des rituels religieux et des exercices
yogiques, préconisés par le hatha-yoga et qui en découlaient,
suivis finalement par son passage à la sadhana spirituelle. Il com-
mença ses expériences alors même qu’il était encore écolier. Ce
que nous devons remarquer attentivement dans sa vie, est que
ses expériences étaient menées avec sincérité et minutie. Lorsque
ces méthodes se révélaient insuffisantes pour la réalisation de son
but personnel, il les abandonnait. Il refusait d’être prisonnier de
méthodes qui ne pouvaient l’aider. Il jugeait ces méthodes valables
et justes, mais lorsqu’elles cessaient de l’être, il les abandonnait. Il
avait le grand courage de faire ceci parce qu’il savait précisément
ce qu’il cherchait. Il ne recherchait pas la satisfaction de l’ego, ni à
répondre aux attentes de la société ; il ne cherchait pas à se faire un
nom, une réputation ou à acquérir des richesses. Ce qu’il voulait,
c’était Dieu et Dieu seul. Aussi, après avoir essayé de nombreuses
approches, il les abandonna et eut recours à la prière directe à

97
→ sommaire Mon Maître

Dieu, priant pour que celui-ci lui donne un guru compétent qui soit
à même de le guider vers Dieu lui-même. Comme nous le savons
tous, cette prière fut exaucée et le contact entre le Maître et Lalaji
fut établi. Le chemin était enfin trouvé et la recherche atteignit son
apogée, culminant dans la suprême réalisation : brahma-laya.

Une aspiration vers quelque chose d’indéfinissable existe au


fond de la plupart des cœurs. Bon nombre de nos abhyasis nous
ont confié les détails du début de leur recherche. Certains furent
à même de trouver le Maître facilement et de venir à lui tranquil-
lement avec une acceptation facile et immédiate. D’autres
n’arrivèrent aux pieds de mon Maître qu’après d’épuisantes et
longues années consacrées à des disciplines diverses, parfois
dangereuses, et le cœur au désespoir. Beaucoup de ces derniers
ont admis, les larmes aux yeux, que leurs toutes premières
expériences avaient été inutilement prolongées pour l’unique
raison qu’ils avaient manqué de volonté et de courage personnels
pour abandonner un chemin inefficace et qui, ils le savaient, ne
pouvait les mener à la destination choisie. Ce qui les retenait
enchaînés à une pratique inutile, était la peur superstitieuse d’un
châtiment possible. Il est déplorable de constater qu’il existe des
gurus qui alimentent de telles superstitions afin de garder leurs
disciples sous leur coupe, dans un esclavage permanent, pour leur
propre satisfaction égoïste.

Le Maître enseigne que Dieu est simple et donc que le chemin


pour l’atteindre doit l’être également. On demande souvent au
Maître de définir Dieu, de le décrire ou de donner une idée de
ce qu’il est ou de ce qu’est Dieu. La réponse caractéristique du
Maître, dans chacune de ces occasions, est : « Dieu est Dieu ! Qu’est-
ce que Dieu peut être d’autre ? Permettez-moi de vous dire une chose.
On ne peut connaître Dieu, mais on peut en faire l’expérience. » Ceci
est une indication claire que la connaissance ne peut nous servir
là où Dieu est l’objet ou le but de notre recherche. Nous pouvons
sentir la présence de Dieu, nous pouvons l’expérimenter, et la
technique pour acquérir cette expérience, pour la vivre, est ce que
mon Maître enseigne par une voie pratique.

Je me souviens d’une discussion au sujet de Dieu qui avait eu


lieu à Hyderabad il y a de nombreuses années. Le Maître s’y était

98
L’approche de la réalité → sommaire

rendu pour une courte visite. Il était accompagné de son fidèle


compagnon Shri Ishwar Sahai. Parlant de Dieu, Shri Ishwar Sahai
tenta de montrer que la différence entre l’homme et Dieu ne
réside ni dans la forme ni dans le contenu. Il fit une description
de la différence en termes de pureté et de subtilité. Il prit pour
exemple l’atmosphère qui entoure notre globe terrestre.  «  L’air
au niveau du sol est le même qu’à quatre-vingts kilomètres au-
dessus du sol, dit-il, mais l’air au niveau du sol est lourd, dense
et impur. A mesure que l’on s’élève, l’air devient de plus en
plus pur et de plus en plus léger, jusqu’à ce que tout en haut ses
qualités soient caractérisées par une telle pureté et légèreté que
l’existence même de l’air peut être mise en doute. » Utilisant cette
analogie, Shri Ishwar Sahai dit : « L’homme est lourd, grossier et
impur alors que Dieu est léger, pur et subtil. » Cette analogie nous
permet de comprendre que les qualités ou attributs de la Divinité
n’appartiennent pas au domaine du monde physique. Tout ce
que nous pouvons faire lorsque nous essayons de décrire une
expérience spirituelle divine, est d’avoir recours à des analogies.
Dans la Baghavad Gita, l’avatar Shri Krishna est lui-même
contraint d’utiliser ce moyen. Pour parler de lui-même à Arjuna
son dévoué disciple, il est forcé d’utiliser des analogies  : parmi
les fleuves, il est le Gange, parmi les oiseaux, Garuda, et parmi
les hommes, il est Arjuna, etc. Cela montre clairement que même
Dieu Tout-Puissant ne peut se décrire lui-même. Cependant
il peut se révéler à ses disciples bien-aimés, tout comme Shri
Krishna s’est révélé à Arjuna. Ceci attire notre attention sur deux
vérités importantes dans la recherche spirituelle. La première
étant que Dieu ou la Réalité ne peuvent être connus mais peuvent
être vécus. La seconde est que cette expérience n’est elle-même
possible que lorsque l’Ultime choisit de se révéler à son fervent
ou à la personne de son choix, quelle qu’elle soit. Le Maître m’a
souvent parlé de l’importance considérable d’attirer à soi la grâce
divine. Il m’a dit : « Je te révèle un secret très important. Tout abhyas
est purement préparatoire. Les abhyas en eux-mêmes ne peuvent rien
donner. C’est seulement un moyen d’attirer son regard bienveillant vers
nous. A vrai dire, seuls reçoivent la grâce divine, ceux qu’il choisit pour
la leur donner. Ceci est un grand secret que je te révèle. » Je demandai
au Maître comment faire pour que cela se produise. Comment
faire pour que le Maître Tout-Puissant tourne son regard vers
nous ? Il rit et me dit : « Tu me demandes de te révéler encore un autre

99
→ sommaire Mon Maître

secret ! Je te le dis, celui-ci vaut plus de cent mille roupies ! Il n’y a qu’une
seule manière. Aime-le tant, qu’il commence à t’aimer en retour ! Tu dois
frapper à sa porte si fort qu’il entendra et qu’il t’ouvrira. Alors ton travail
est achevé. Le secret c’est l’amour. Qui peut y résister  ? Dieu attend
seulement pour se donner lui-même, mais il est dommage que personne
ne se tourne vers lui. Dans ce pays les gens étaient renommés pour leurs
réalisations spirituelles. Maintenant, regarde-les  ! Le matérialisme
grossier a mis son emprise sur eux. Qui est responsable de cela  ? Les
gens eux-mêmes ! Ils ne peuvent s’améliorer que s’ils se tournent vers
lui et adoptent l’approche juste. Maintenant, je vais te dire autre chose.
Tu rencontreras quantité d’individus qui viendront te parler de Dieu. En
Inde c’est le plus grand sujet de conversation et de discussion. Tout le
monde parle de Dieu. Un grand nombre de livres sont écrits sur de tels
sujets. Tout le monde le prie également. Alors pourquoi y a-t-il tant de
malheur et de corruption ? Je vais te le dire. L’approche est mauvaise. La
méthode de culte doit être changée ! »

Je demandai au Maître de développer cette idée un peu


plus : « Qu’y a-t-il d’erroné dans les méthodes qu’ils adoptent ? » Il
répondit : « Tu connais le chemin spirituel. Tu le suis toi-même. N’as-tu
pas remarqué le changement en toi ? Tu as aussi vécu des expériences que
tu n’avais pas vécues auparavant. C’est toi-même qui me l’as raconté.
Alors c’est clair, nous devons suivre la bonne voie. J’ai écrit à ce propos
dans La Réalité à l’aube. Maintenant les gens passent beaucoup de
temps et dépensent beaucoup d’argent pour des formes grossières de
culte. Mais à quoi cela sert-il ? Ils s’alourdissent de plus en plus, voilà
ce qui se passe. N’importe qui ayant des yeux pour voir peut le voir. Une
forme de culte grossière ne peut amener que des résultats grossiers. J’ai
écrit : Dieu est simple, par conséquent la manière d’atteindre Dieu doit
également être simple. Mais les gens aiment suivre des voies difficiles,
passer beaucoup de temps et dépenser beaucoup d’argent. Pourquoi
font-ils cela  ? Je vais te le dire. De telles pratiques leur apportent des
satisfactions. Maintenant regarde bien, les gens rendent des cultes pour
leur satisfaction ! Ou, s’ils sont un peu plus évolués, il se peut qu’ils le
fassent pour obtenir la paix du mental ! Vois à quel point nous sommes
déchus ! Nous ne prions pas pour avoir Dieu. Nous prions pour obtenir
de la satisfaction ou encore la paix de l’esprit ou d’autres choses du même
ordre. Je vais te dire autre chose : même un voleur prie son Dieu avant de
quitter sa maison la nuit pour aller voler. Tu vois, il prie Dieu de l’aider
en cela aussi  ! Il m’a été dit que pendant la guerre tous priaient pour

100
L’approche de la réalité → sommaire

la gagner. En Angleterre, les Anglais priaient dans leurs églises pour


obtenir la victoire pendant qu’en Allemagne et en Europe ils priaient
aussi pour leur propre succès. Tu vois comment la prière est utilisée ! »

« J’ai dit que prier c’est mendier, continua le Maître. Par la prière
nous ne faisons rien d’autre. Tout n’est que mendicité, Dieu, donne-moi
ceci, Dieu, donne-moi cela, sans arrêt. Plus on reçoit, plus on demande et
plus cette mendicité est sans fin. Je vais te raconter une histoire amusante.
Un sannyasi se rendit à la cour moghole pour recevoir des cadeaux de
l’empereur. Il fut admis mais on le pria d’attendre car l’empereur était
en prière. Le sannyasi dit qu’il était lui-même un saint homme et qu’il
aimerait se joindre à l’empereur si cela était permis. On le conduisit et
on lui demanda de s’asseoir à l’extérieur du lieu de prière. Il entendit le
grand empereur qui priait à haute voix : “Dieu, accordez-moi la victoire
sur mes ennemis, donnez-moi encore plus de royaumes à gouverner
afin que votre grandeur se manifeste sur la terre’’ et ainsi de suite. Le
sannyasi se leva et s’apprêtait à partir lorsque l’empereur se retourna et
lui demanda d’attendre, lui disant qu’il serait bientôt libre car il arrivait
au bout de ses prières. Le sannyasi, n’en tenant pas compte, continua son
chemin. L’empereur lui demanda à nouveau de s’arrêter et aussi pourquoi
il partait. Alors le sannyasi répondit : “Je suis venu vous demander la
charité, mais je vous ai trouvé occupé à mendier vous-même. A quoi me
servirait-il de mendier auprès d’un autre mendiant ? Autant m’adresser
à celui auprès de qui vous mendiez  !’’ Et il s’en alla.  »  Le Maître rit
de bon cœur en concluant cette histoire. Puis il devint sérieux
et dit  :  «  Même quand je plaisante, il y a une raison. Saisis-tu cette
tamasha (plaisanterie) un grand empereur qui est un mendiant ? »

Le Maître continua : « Tu vois, tout cela est le résultat des désirs. Nos
désirs sont sans limites. Nous obtenons plus et puis nous voulons encore
davantage et cela continue indéfiniment. Nous devenons seulement de
plus grands mendiants et rien d’autre. Ainsi aujourd’hui sommes-nous
une nation de mendiants. Nous ne pensons à Dieu que lorsque nous
avons besoin de quelque chose. Nous ne pensons jamais à Dieu pour
lui-même ! N’est-ce pas stupide ? Si nous avons Dieu, nous aurons tout,
alors que si nous possédons des objets matériels, nous ne possédons que
des choses périssables. Tout ce qui est matériel périra. C’est seulement
une question de temps. Nous devons rechercher les choses impérissables.
Le désir en soi n’est pas mauvais. J’ai dit que le kama ou le désir n’est
pas mauvais. En réalité c’est une chose divine ou plutôt une création

101
→ sommaire Mon Maître

divine. Kama et krodha, l’amour et la colère sont tous deux divins.


Nous ne devons désirer que Dieu et Dieu seul. Le désir est alors utilisé
avec justesse, comme une force pour nous guider vers lui. La même force
de désir mal appliquée envers les possessions matérielles nous éloigne
de lui. Il en est de même pour tout pouvoir. Le pouvoir en lui-même
n’est ni bon, ni mauvais. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Il est dit
que le pouvoir corrompt, mais je dis que le pouvoir peut nous élever et
nous libérer s’il est utilisé correctement. Le pouvoir en lui-même ne peut
ni nous corrompre ni nous ennoblir. Cela dépend de la manière dont
le pouvoir est utilisé. C’est pourquoi le pouvoir spirituel est rarement
donné aux personnes avant qu’elles soient purifiées intérieurement
par les méthodes de notre sanstha. C’est une chose très importante.
Comment peux-tu blâmer un enfant s’il se coupe avec un couteau que tu
lui as donné ? C’est pourquoi dans notre sanstha il existe des moyens
de prévenir un mauvais usage du pouvoir. Je peux dire que dans le Sahaj
Marg il est impossible d’en faire une mauvaise utilisation. Par la grâce de
Lalaji, nous bénéficions d’un système de formation par lequel l’abhyasi
se trouve purifié à mesure qu’il progresse, étape par étape. Qu’est-ce
que cela signifie ? A mesure qu’une personne croît spirituellement, elle
devient aussi plus pure, de sorte qu’aux niveaux les plus élevés elle est
absolument pure. Le pouvoir peut être conféré en toute sécurité à de
telles personnes. Elles travailleront sous la conduite de la conscience
supérieure de sorte que le mauvais usage, délibéré ou non, est impossible.
Normalement tu trouveras des gens qui utilisent le pouvoir avec leur ego.
Le pouvoir devient alors dangereux. En de tels cas, le pouvoir est utilisé
pour se donner de l’importance et non pour le bien des autres. Tu verras
cela partout. Chez ces gens-là bien sûr le pouvoir corrompt. A vrai dire,
cela ajoutera à la corruption existante. Il n’y a pas eu de purification
morale, ni de préparation de base. En fait on ne peut blâmer ces gens. Ils
travaillent sous la pression de leurs samskaras. En fait, la faute en revient
aux gens qui ont conféré un pouvoir à de telles personnes ! Vois-tu comme
la pureté devient très importante pour bien travailler ? L’intelligence, la
sagesse, tout cela est bon dans une certaine mesure et nécessaire jusqu’à
un certain point. Mais la pureté est essentielle. Sans cela on ne peut faire
de bon travail. Comprends-tu cela ? Et là, seul le cœur peut nous aider.
Réfère-toi à ton cœur pour être conseillé et il te donnera la réponse ! »

« C’est la raison pour laquelle nous commençons par le cœur dans


notre sanstha, continua le Maître. Si le cœur est purifié, la pureté s’étend
alors à l’ensemble du système. La circulation est gérée par le cœur. En

102
L’approche de la réalité → sommaire

réalité, c’est là que le processus doit vraiment commencer. D’autres points


existent et sont utilisés par d’autres systèmes tels que le point du nez, le
point entre les sourcils et ainsi de suite. Mais nous nous commençons
par le cœur, nous choisissons le cœur pour notre travail. D’autres points
de concentration peuvent être utiles pour les siddhis, pour l’acquisition
de pouvoirs et pour une croissance limitée. En choisissant le cœur dans
notre système, nous nous assurons que la purification et la croissance
spirituelle s’effectuent parallèlement. Ce nettoyage est très important. A
vrai dire, aux étapes préliminaires de la sadhana de notre sanstha, il
est très important de faire le cleaning régulièrement. A mesure que la
purification progresse en enlevant l’impression des samskaras passés,
s’ouvre la possibilité de progresser. Ce cleaning est donc vraiment
très important. Te souviens-tu de l’exemple que je t’ai donné de ce cas
où j’avais dû nettoyer les impressions d’une vie antérieure  ? Tu vois
combien ces samskaras sont incrustés  ? Il est peut-être nécessaire de
remonter encore plus loin. C’est pourquoi je dis qu’un vrai précepteur ou
formateur est quelqu’un qui peut lire la vie passée. Bien sûr, cela n’est
pas nécessaire dans tous les cas. »

Lorsque le Maître parla des “garde-fous” ou moyens de sauve-


garde dans notre méthode, je me rappelai une expérience que je
fis le 15 février 1967, le lendemain du Basant Panchami. Le jour
du Basant Panchami, le Maître m’avait accordé la permission
provisoire de transmettre et de former les gens spirituellement.
C’était à Shahjahanpur. Le jour suivant j’arrivai à Lucknow où
l’un de nos abhyasis avait appris que j’avais été fait précepteur et
me demanda de lui donner un sitting. Il voulait être la première
personne à recevoir une transmission par moi. J’acceptai et nous
nous assîmes pour méditer. Je ne savais pas quoi faire. Je priai
le Maître que la transmission commence et que ce qui était
censé se produire puisse avoir lieu. Après environ dix minutes
j’eus soudain une vision aussi claire que si je voyais de mes yeux
grands ouverts. Je me retrouvai assis, l’abhyasi face à moi. A ma
droite, il y avait un mur avec une porte qui s’ouvrit alors pour
laisser passer le Maître. Il passa par cette porte ouverte, une
chaise à la main, l’installa à côté de moi et s’y assit. A la suite de
quoi il observa minutieusement ce que je faisais. Après quelques
instants, la vision s’évanouit. Je racontai ceci au Maître et il me
répondit : « Oui, quel que soit l’endroit où un précepteur travaille, cela
se fait toujours sous la surveillance du Maître. Le pouvoir en soi est le

103
→ sommaire Mon Maître

même, que je transmette ou qu’une autre personne transmette, mais il est


dispensé selon le besoin de l’abhyasi et en rapport avec la capacité du
précepteur. C’est une force très puissante et qui doit être dosée avec soin.
Mais tu vois, cela ne peut faire aucun mal. Tu l’as toi-même constaté. »

Le Maître me raconta alors l’une de ses propres expériences.


Il avait été grandement impressionné par l’amour et la dévotion
de l’un des abhyasis qui était à ce moment-là un des premiers
précepteurs de la Mission. L’amour de cet abhyasi attirait très
fortement le Maître et en retour il était impatient de faire quelque
chose pour lui. Le Maître raconta  :  «  Cette personne a un amour
considérable pour moi. C’est un homme qui a en lui beaucoup d’amour
et de dévotion. Mon cœur était impatient de lui donner quelque chose. Il
vint me voir lorsque j’étais à Vijayawada. Je lui demandai de s’asseoir en
méditation. Je voulais lui faire passer sept points. Tu te rends compte, sept
points ! Tu comprends ce que cela signifie ? Plusieurs vies sont nécessaires
pour un tel progrès. Mais son amour était très grand et je décidai de le
faire. Je le fis monter d’un point, puis de deux points. J’étais arrivé au
troisième point lorsque j’entendis la voix de Lalaji. Lalaji était en colère
après moi :“Que fais-tu, demanda-t-il, veux-tu le détruire ? Arrête cette
sottise !”» Babuji se mit à rire et dit : « Naturellement je devais obéir
à mon Maître. C’était un ordre direct ! Maintenant tu vois le soin que le
Maître apporte à son travail ? Notre transmission est une force puissante
et elle doit être utilisée avec beaucoup de précaution. Mais les freins
sont là. Aucun mal ne peut jamais en découler  ! Plus tard l’abhyasi
m’écrivit, disant que pendant un mois il avait eu un mal de tête presque
insupportable. Mais sais-tu ce qu’il ajouta ? Que malgré la souffrance
que lui causait son mal de tête, il me suppliait de ne pas le supprimer car
il y avait aussi trouvé un certain plaisir ! Vois-tu, dans mon emballement
j’avais fait cela et c’était trop. Mais Lalaji veillait. Je fais souvent cela
dans mon empressement à préparer certaines personnes. Mais les freins
sont là. Cela ne peut faire aucun tort. »

Afin de montrer que la surveillance du Maître agit aussi dans


l’autre direction par rapport aux besoins de l’abhyasi, voici une
expérience qui m’est arrivée  : le Maître était venu à Madras et
résidait chez son fils Chi Umesh à Besant Nagar. J’étais allé là-bas
un matin pour passer un moment auprès de lui. Nous n’étions
que trois ou quatre. Le Maître était préoccupé, morose et très
taciturne. En fait cela faisait quelques jours qu’il était comme cela

104
L’approche de la réalité → sommaire

et nous étions tous inquiets à son sujet. Il est d’ordinaire si gai, si


joyeux et vif que ce changement d’humeur nous contrariait. Nous
étions assis en silence depuis environ une heure. Soudain il se leva
manifestant un extrême empressement et me demanda : « Es-tu
libre ? Peux-tu entrer pendant quelques minutes ? » J’étais libre bien
sûr et le suivis dans sa chambre. Il ferma la porte, étendit un drap
sur le sol et me demanda de m’y asseoir, face à son lit. Alors à ma
surprise il mit lui-même son calot et s’assit dans un coin faisant
également face au lit. Il dit alors : « Assieds-toi en méditation, Lalaji
Saheb est là – montrant le lit – et souhaite te transmettre  !  »  J’étais
intimidé et m’assis en méditation. Le sitting fut un des plus brefs
que j’ai reçu, durant à peine trois minutes. Le Maître dit : « C’est
tout » et j’ouvris les yeux. Le Maître parut extatique, vint à moi et
me dit : « Sabash ! Je suis très heureux aujourd’hui. Tu sais, depuis trois
ou quatre jours je voulais faire quelque chose pour toi mais je ne savais
pas quoi faire. Je pensais à cela lorsque Lalaji me dit : “Pourquoi es-tu
inquiet à ce sujet ? Si tu ne peux le faire, envoie-le moi pour quelques
minutes. Je m’occuperai de cela moi-même  !”»  Le Maître débordait
de joie. Il me serra dans ses bras et me dit : « Je suis très content
que tu aies pu attirer l’attention de Lalaji sur toi. Puisses-tu croître
spirituellement ! » J’étais trop ému et étranglé par l’émotion pour
répondre. Je touchai simplement ses pieds en signe d’adoration.
Ce fut la première fois que je reçus une transmission directe
de Lalaji, le grand Maître. Je raconte cela pour montrer que
la vigilance du Maître ne s’exerce pas simplement comme un
contrôle restrictif envers une mauvaise utilisation du pouvoir.
Au contraire, c’est une conscience positive qui sert à assurer une
utilisation correcte et à propos du pouvoir divin, pour le bénéfice
spirituel de l’abhyasi. Ceci est l’unique considération.

Il y a plusieurs années, je fus amené à participer à un événement


qui souligne d’une manière frappante cet aspect du travail de
mon Maître, le soin avec lequel il s’occupe d’un abhyasi et de la
satisfaction de ses besoins intérieurs. J’étais allé à Tiruchirapalli
pour un travail et, l’ayant terminé dans la matinée, j’avais
mon après-midi à moi. Je décidai de rendre visite à mon oncle
maternel qui résidait à Tiruvarur, à quatre-vingts kilomètres de
Tiruchirapalli. Je quittai Trichy vers 11 heures du matin et arrivai à
Tiruvarur vers 13 heures. Je partis m’enquérir du domicile de mon
oncle, ce qui n’était pas chose facile car je n’avais pas son adresse.

105
→ sommaire Mon Maître

J’avais pensé pouvoir trouver facilement sa maison car j’avais


l’impression que Tiruvarur était une petite ville, ne l’ayant jamais
visitée auparavant. Cependant, trouver mon oncle s’avéra plus
fatigant que je ne l’avais pensé. Après m’être informé auprès d’une
demi-douzaine de bureaux de poste et après avoir téléphoné à
différentes adresses suggérées par les services postaux, je décidai
d’arrêter les recherches. Finalement je quittai Tiruvarur car il était
déjà 16 heures et j’avais une longue route à faire pour rejoindre
Madurai.

Je quittai le centre de la petite ville et pris le chemin du retour.


Traversant la place du marché, je m’arrêtai pour acheter à boire dans
une petite boutique à bétel car j’avais très soif. Alors que je buvais,
quelqu’un que je ne me rappelais pas avoir rencontré auparavant
s’approcha de moi. Il me salua et me dit qu’il était abhyasi de notre
Mission, ajoutant que durant toute la nuit passée, il s’était senti
malheureux et abandonné et qu’il avait pleuré et prié toute la nuit
pour obtenir la grâce du Maître. Alors même qu’il me disait cela
les larmes lui vinrent aux yeux. Il ajouta : « Monsieur, vous ne vous
souvenez pas de moi ? Mais je vous ai vu à Trichy il y a deux ans,
lorsque vous êtes venu avec le Maître. Il n’y a pas de centre ici et je me
sens complètement abandonné. J’ai l’impression que mes prières et
mes larmes de cette nuit vous ont amené ici. Je suis reconnaissant au
Maître de vous avoir envoyé vers moi. Auriez-vous la bonté de venir
jusqu’à ma chambre et de me donner un sitting ? » Je l’accompagnai
et lui donnai un sitting. Il était extrêmement et sincèrement
reconnaissant de ce signe de la grâce du Maître.

Après l’avoir quitté et pris le chemin du retour, je réfléchis à


cet événement banal en apparence. Je fus totalement émerveillé
de tout ce qui s’était passé car il m’apparut évident que toute cette
situation avait été programmée bien que j’y fusse étranger ! L’idée
vint à mon esprit que les travailleurs de la Mission et du Maître
sont en réalité comme un escadron de police mobile, envoyés
là où c’est nécessaire. J’étais venu à Tiruvarur pour mes affaires
personnelles, mais le Maître m’en avait détourné en faveur des
siennes  ! Tel est l’amour de mon Maître pour ses abhyasis. Cet
épisode me révéla que là où existent une sincère aspiration et
un désir ardent dans le cœur d’un abhyasi, l’aide du Maître est
toujours présente et infaillible dans ses résultats.

106
→ sommaire

VIII

LE RÔLE DU GURU

Le guru occupe et joue un rôle fondamental et décisif dans la


vie spirituelle d’un aspirant et celle-ci s’en trouve entièrement
imprégnée. Il peut sembler n’être qu’un simple guide jouant un
rôle assez limité au début de la pratique, mais dans une relation
de guru à disciple parfaite et croissante, son rôle gagne de plus en
plus d’importance et prend une place toujours plus grande dans
la vie de l’aspirant. Finalement, une condition spirituelle des plus
élevées est atteinte au moment où l’existence de l’aspirant est
gouvernée dans sa totalité, et motivée, par la direction du Maître.
C’est ici la position généralement acceptée dans le système du
Sahaj Marg.

En général si l’on considère les gurus en tant que tels, nous


constatons que cette appellation les désigne tous, du simple
enseignant du rituel et des textes sacrés au suprême guru de la
spiritualité, qui lui seul, peut être appelé un maître. Entre ces
deux extrêmes, il y a des gurus ayant toutes sortes de pratiques
et de préceptes, jouant des rôles variés tels ceux de professeur,
de prêtre, de mendiant, d’astrologue et ainsi de suite. Beaucoup
dirigent leur propre organisation appelée mutts, alors qu’un
grand nombre sont itinérants et sillonnent le pays de long en
large. Novices pour la plupart, ces derniers font les pénitences
et les pratiques prescrites dans la recherche de leur propre
salut. Mais comme ils portent la robe safran du sannyasi, ils sont
universellement révérés comme gurus. A dire vrai, l’institution de
sannyasa prête souvent à confusion lorsqu’il s’agit de différencier

107
→ sommaire Mon Maître

l’aspirant de l’enseignant. Les sannyasis forment la masse des


gurus en Inde. Le guru “chef de famille” est rare, ceci surtout
parce que l’enseignement de l’advaita-vedanta tel qu’interprété
par les grands gurus du passé, prescrit le célibat comme
condition primordiale rigide, avant d’aborder une voie spirituelle.
L’enseignement de mon maître présente un aspect important  :
ce dernier s’est appliqué à rendre Dieu accessible à tous. Et de
plus, mon Maître enseigne que le chef de famille est la personne
dont on peut attendre qu’il possède en lui l’esprit grandissant du
véritable vairagya spirituel ou renoncement. A maintes reprises, le
Maître a spécifié que c’est au cœur de la famille, en accomplissant
ses devoirs, que se développe le véritable vairagya. Le système de
sannyasa encourage au contraire la fuite, c’est une auto-exclusion
hors de la société, pour ceux qui cherchent dans ce système tout
simplement un refuge qui les soustrait aux exigences de la vie de
famille. Le sannyasa encourage ainsi la faiblesse et augmente le
nombre déjà trop élevé de vagabonds itinérants qui vivent aux
crochets de la société sans apporter aucune contribution signifi-
cative en retour. C’est un fardeau que, dans le contexte présent, la
société peut difficilement continuer à supporter tant sur le plan
matériel que spirituel.

La majeure partie de la population en Inde sait que même la


vie religieuse ne peut être abordée sans que des rites initiatiques
prescrits soient dirigés par un prêtre. Par conséquent le prêtre
s’immisce tôt ou tard dans la vie de chaque individu et ensuite,
il devient généralement le guru des membres de la famille qu’il
a sommairement adoptés. Etant donné ces conditions prédo-
minantes, il n’est donc pas rare de voir que la plupart des gens
en Inde comptent parmi leurs chères possessions, un guru à titre
personnel. On change rarement de guru, par crainte supersti-
tieuse de malchance ou par peur d’encourir la malédiction
du guru rejeté. Un tel guru devient généralement un fardeau
patiemment supporté et la vie religieuse dégénère en un jeu de
marchandage hypocrite, le chef de famille luttant pour minimiser
les dépenses occasionnées par les rites, alors que le guru ou le
prêtre utilise tout son génie, sa persuasion et tout un ensemble
de rites liturgiques dans le but d’augmenter au maximum son
propre revenu. La déité familiale est le témoin muet de cette joute
religieuse où chacun joue au plus fin. Cette lutte se déroule en

108
Le rôle du guru → sommaire

présence même de cette déité qui, emprisonnée dans une idole,


se trouve dans l’impossibilité de s’exprimer. Il y a des prêtres qui
croient sincèrement à l’efficacité suprême de ces rituels et qui les
accomplissent avec une foi totale, sans avidité ni avarice, mais ils
sont peu nombreux.

Tout ceci est quelque peu troublant, particulièrement pour


ceux qui n’habitent pas l’Inde et surtout pour ceux qui, y arrivant
pour la première fois et ayant étudié notre littérature, viennent
dans ce pays ayant par avance une vénération pour le guru en
tant qu’institution. La plupart de ces visiteurs sont désorientés
lorsqu’ils se rendent compte qu’une petite partie de la population
prétend être guru d’envergure internationale, chef de mutts,
guide de cultes et de sectes ou professeur de yoga, et donc guru
non seulement de droit divin, mais aussi de leur propre chef. La
confusion augmente un peu plus lorsqu’ils voient que même les
disciples de tels gurus jouent les gurus de second ordre. Une telle
confusion n’est guère surprenante, venant de visiteurs étrangers,
car seulement une toute petite, sinon une infime partie du peuple
indien lui-même, semble avoir conscience des qualités réelles
dont un être doit disposer avant de pouvoir devenir guru. La
confusion est si grande que de simples récitants de prières, des
mendiants vêtus de safran, des astrologues et, à l’occasion, même
le patron du bureau ont été adoptés comme guru.

On attend d’un guru qu’il prenne sur ses épaules le fardeau


karmique de toute personne qu’il accepte comme son disciple.
Dans ce pays opprimé par le karma, les gens ont généralement
hâte de trouver un guru sur qui déposer la charge du karma qu’ils
ont accumulé. Il semblerait que presque n’importe qui, pour
autant qu’il soit disposé à assumer ce fardeau, puisse alors être
accepté comme guru. Les gens ne veulent pas aller au fond des
choses. On trouve rarement une aspiration positive au progrès
spirituel, l’attitude généralement adoptée consiste simplement à
se débarrasser du karma accumulé. Du fait que l’office de guru
apporte traditionnellement des bénéfices pécuniaires et en nature,
cette charge attire réellement un grand nombre de personnes qui
se glissent facilement dans ce rôle. Il n’est donc pas surprenant
que l’institution de guru se soit dégradée jusqu’à n’être plus
qu’une simple profession et, à dire vrai, pas très honorable,

109
→ sommaire Mon Maître

attirant ceux qui ont le moins de dispositions possibles pour


cette noble tâche. La plupart ne sont que de simples escrocs et
des charlatans abusant sans vergogne de la confiance d’un public
crédule, assistés par toute une clique de chelas ou disciples dont
la seule tâche est de chanter très fort la gloire de leur seigneur et
maître, tout en le protégeant d’un regard public trop inquisiteur.
Voici le niveau de dégradation maintenant atteint par une
institution autrefois respectable, sainte et vénérée au plus haut
degré. En dépit de la corruption générale et de la dépréciation
des valeurs, quelques âmes sincères et élevées existent encore,
même aujourd’hui, menant une vie disciplinée, dans la prière et
se consacrant au service de l’humanité.

Toutefois, ce qui précède n’exclut en rien la nécessité réelle d’un


guru de grande envergure pour guider notre vie spirituelle et nous
aider à évoluer. La nécessité en est plus impérieuse que jamais.
Mais de nos jours, la recherche d’un guru est une affaire longue,
hasardeuse et compliquée qui peut même mener au désarroi car
c’est parfois plus difficile que de chercher la proverbiale aiguille
dans une botte de foin  ! Il n’est pas surprenant que beaucoup
d’âmes sincères aient gâché une partie considérable de leurs
existences dans une telle quête à la recherche d’un véritable guru.

L’un de nos propres associés de l’étranger m’a fait le récit de


l’épopée de sa propre recherche, épopée qui ne fut pas de moindre
importance. Il était déjà venu en Inde à plusieurs reprises, six
ou sept fois au moins, dans la seule intention de chercher et de
trouver une personne qu’il pourrait accepter comme son guru afin
d’être guidé dans son voyage spirituel. A chacune de ses visites, il
avait passé plusieurs mois à aller d’ashram en ashram, de guru en
guru, se rendant dans les lieux saints, l’un après l’autre, à tel point
que selon ses propres mots, il ne pouvait guère avoir raté un guru
de tant soit peu d’importance ou d’une certaine réputation, entre
les Himalayas et Kanyakumari. Sa peine profonde était de n’avoir
pas pu trouver dans ce pays renommé pour la spiritualité, une
seule personne qu’il puisse accepter de tout cœur comme guru.
Il en était arrivé au point où il avait décidé que ce voyage serait
sa dernière visite en Inde et il fit à nouveau le tour des gurus et
des ashrams. A la fin de son voyage, deux jours avant son départ
définitif, le destin le conduisit vers l’un de nos précepteurs et ainsi

110
Le rôle du guru → sommaire

le contact spirituel fut établi avec mon Maître. Il a vraiment eu de


la chance de trouver son guru, mais pour une de ces recherches
couronnée de succès, il y en a littéralement des milliers où les
personnes ont eu des expériences amères, frustrantes et parfois
même tragiques. Nous avons avec nous des abhyasis qui ont
passé la plus grande partie de leur vie à la recherche d’un guru ;
beaucoup d’entre eux ont souffert de solitude, de privation,
d’appauvrissement et même d’humiliation extrême avant que le
destin ne leur donne le courage de se reprendre et de chercher
à nouveau. Certains nous ont fait des récits déchirants de ce
qui se passe dans l’intérieur confiné de certains ashrams et des
dangers physiques personnels auxquels ils avaient dû faire face
lorsqu’ils s’en étaient échappés. Quelques-uns de ces évadés
avaient même été menacés des conséquences les plus extrêmes
s’ils n’abandonnaient pas leur nouvelle association avec mon
Maître pour retourner au bercail. Si l’on considère la recherche
d’un vrai guru d’envergure, on peut dire alors qu’il y a en effet de
la pauvreté dans ce pays d’abondance, si fertile en gurus.

J’avais un jour discuté de ce sujet avec le Maître, lui exposant


les difficultés auxquelles beaucoup de nos abhyasis devaient faire
face. Le Maître sourit doucement mais resta silencieux. J’insistai
pour qu’il s’exprime à ce sujet. Il répondit : « La véritable recherche
devrait être une recherche intérieure. Une personne peut aller de place
en place tout autour du monde, y passer sa vie entière, sans réussir
pourtant à trouver un guru. L’erreur que nous faisons est de chercher ou
de rechercher un guru. Prier pour un guru est la démarche correcte. Que
devrions-nous faire ? Nous devrions prier Dieu directement avec un désir
intense et profond en nos cœurs, afin qu’il nous envoie un guide de valeur.
Et lorsque nous serons prêts à le recevoir, le guru frappera lui-même à
notre porte. Je vous ai raconté comment j’ai rencontré mon Maître. C’est
du fait de sa grâce. Ainsi, la recherche devrait-elle vraiment se faire par la
prière et une recherche intérieure ; alors le succès est alors assuré. » Ceci
devrait ouvrir les yeux à tous ceux qui souhaitent suivre le chemin
de la vie spirituelle et chercher un guide dans ce but.

L’un de nos abhyasis occidentaux atteste de l’efficacité d’une


telle recherche intérieure, toute en prière. Pendant bien des années
cette personne avait ardemment désiré s’élever spirituellement
mais elle n’avait pu trouver qui que ce soit pour l’aider. Elle tomba

111
→ sommaire Mon Maître

dans un état d’abattement et de désespoir intense. L’étincelle


divine dans le cœur était cependant suffisamment vive. Elle prit
la résolution solennelle de s’asseoir en prière chaque jour et de
prier sincèrement pour la venue d’un guru et ceci pendant un an
très exactement. Si la prière devait être exaucée, ainsi soit-il ! Dans
le cas contraire, eh bien ! l’aspiration même à suivre un chemin
spirituel serait une fois pour toutes abandonnée. La prière fut
faite sincèrement chaque jour. A cette étape, “miraculeusement”
comme le dit l’abhyasi, le contact fut établi avec mon père qui se
trouvait alors à Rome. Mon père reçut une lettre lui demandant
de se rendre dans la ville où résidait l’abhyasi. La manière dont
cette personne vint à savoir que mon père se trouvait à Rome ne
fut jamais divulguée. C’était et c’est toujours pour lui un mystère
jusqu’à ce jour. Mon père s’y rendit, donna plusieurs sittings à
cette personne et y établit un centre de la Mission. Cette anecdote
est un témoignage évident et superbe de l’efficacité de la prière
sincère qui vient du cœur. Le guru est en définitive venu à cette
personne. L’angoisse était présente bien sûr comme elle ne cessa
de me le répéter par la suite, mais il s’agissait cette fois d’une
angoisse personnelle et intérieure, génératrice de pureté et de
purification, capable d’orienter l’état de prière qui s’ensuivit dans
une direction bien définie. Le succès vint ensuite rapidement. Cela
prouve clairement que ce que mon Maître m’a dit est possible, si
toutefois une telle preuve était encore nécessaire.

L’un des rôles d’un vrai guru semblerait donc être celui
d’attendre l’appel d’un cœur dévoué et d’y répondre. Lorsqu’on
approfondit cette question, on s’aperçoit que même cette vision
peut sembler superficielle. Ce qui se passe en réalité est que le
Maître, comme il le dit lui-même, “prépare le terrain” par un
travail continu d’une nature spirituelle. Les âmes réceptives sont
attirées vers lui et le contact devient un contact spirituel direct. Il
conviendrait mieux de dire que l’aspirant prêt au voyage spirituel,
attend chez lui dans une attitude de prière invitant ainsi le guru
à venir à lui. C’est en effet le moyen le plus simple et le meilleur,
puisque nous pouvons rarement connaître l’endroit même où
chercher le guru dans le cas où nous décidons de partir à sa
recherche. « Tout vient à point à qui sait attendre » dit un vieil adage,
et ceci s’applique tout particulièrement à la venue d’un guru dans
la vie d’un individu. Le guru pour sa part, déploie des “antennes

112
Le rôle du guru → sommaire

spirituelles” pour ainsi dire ; lorsqu’elles captent l’attention d’une


personne réceptive, le guru en est aussitôt averti. Il commence
alors, sur le champ, la préparation de l’abhyasi par transmission. La
rencontre physique entre le guru et le disciple peut n’intervenir que
beaucoup plus tard. Le moment précis où la relation personnelle
s’établit est sans importance pour ce qui est de la préparation de
l’abhyasi. La fréquence des rencontres personnelles avec le Maître
apporte surtout une satisfaction à l’abhyasi et le manque d’un tel
contact face à face ne peut en aucun cas interférer avec notre progrès
si nous avons un Maître d’envergure, capable de transmettre et qui
est lui-même en brahma-laya.

La manière dont tout cela se passe est confirmée par le Maître


lui-même. Il me raconta comment il avait débuté le puja rituel,
suivi par la pratique de méthodes yogiques et ainsi de suite, priant
finalement Dieu de lui accorder un guru compétent. Il arriva aux
pieds divins de Lalaji lorsqu’il avait vingt-deux ans. Quelque
temps après, il apprit que Lalaji, désirant savoir qui allait continuer
son œuvre, avait médité à ce sujet et le visage de mon Maître lui
était alors apparu dans sa vision. Lalaji avait immédiatement
commencé à transmettre à la personne dont il avait eu la vision.
Ceci se passait bien des années avant qu’ils ne se rencontrent.
Le Maître, faisant concorder les époques, découvrit à sa grande
surprise que le moment où Lalaji commença à lui transmettre
coïncidait avec le moment où il se mit à faire ses prières de petit
garçon selon le rituel prescrit, sous la conduite de sa mère. Le
Maître me dit  :  «  Si Lalaji n’avait pas commencé à me transmettre,
peut-être n’aurais-je même pas fait la prière. Ce fut sa transmission qui
éveilla en moi l’impulsion et me mit sur le chemin de la spiritualité. »

Au cours de l’une de ses conférences publiques à Allahabad,


le Docteur Varadachari parla de cet aspect de la vie spirituelle. Il
dit : « Mon Maître a pu choisir ses hommes dans toutes les couches
de la société. Je dis bien “choisir” même s’il nous semble que nous
allons vers Lui. Lorsque nous entrons en contact avec lui, après
un cleaning préliminaire, une relation directe est alors établie avec
le Divin.  »  Au cours de sa conférence, il déclara également que
le Maître lui avait dit  :  «  Non seulement je choisis l’individu mais,
après l’avoir attiré à moi, je me donne moi-même à lui. » Ainsi, la toute
première leçon à tirer est qu’une personne désirant ardemment

113
→ sommaire Mon Maître

suivre un mode de vie spirituel et souhaitant sérieusement se


remettre entre les mains d’un guru, devrait prier jour après jour
et rechercher le guru par sa prière au Tout-Puissant. Le guru se
présentera alors à lui lorsqu’il sera prêt pour le recevoir.

Ceci est donc bien le tout premier rôle du guru. Il prépare


le terrain de telle façon que son pouvoir spirituel se dirige vers
l’endroit choisi, trouvant une place dans les cœurs réceptifs des
aspirants qui l’appellent ardemment. Dans de tels cœurs, le
pouvoir du Maître commence immédiatement le travail de trans-
formation. L’aspirant n’est pas conscient de ce travail qui est
fait sur lui. Le guru travaille en secret jusqu’à ce que vienne le
temps de la rencontre face à face entre l’aspirant et lui. A ce stade,
l’aspirant devient un disciple conscient du travail que son Maître
fait sur lui. Le travail jusqu’alors effectué en secret est maintenant
révélé. La graine a germé secrètement et la jeune plante s’est
désormais tournée vers le soleil glorieux du monde extérieur.
C’est la nature du travail cosmique que les processus créatifs se
déroulent en secret, loin des regards scrutateurs, sauf de celui
de Mère Nature elle-même. Ceci semble être une loi universelle.
Lorsque le processus créatif est achevé, alors seulement le
résultat de ce travail est dévoilé. Ensuite survient le processus de
croissance. Au processus créatif succède la phase de croissance.
C’est précisément à ce moment-là que le travail vient au grand
jour. Nous voyons ainsi que l’aspect le plus important du travail
du Maître, la préparation du terrain et l’ensemencement du cœur
de l’individu, s’accomplissent dans le plus grand des secrets que
voile la Nature elle-même !

Ceci explique la raison pour laquelle le succès du travail de


mon Maître ne nécessite ni publicité ni propagande. Il travaille
seul, utilisant le pouvoir divin mis à sa disposition. Le travail dans
son aspect essentiel et créatif est secret. Non seulement la publicité
et la propagande ne sont pas nécessaires pour ce travail, mais il
se pourrait même qu’elles soient nuisibles lors des premières
étapes du travail si on en faisait usage. Il est intéressant de noter
qu’entre le moment où le Maître commence à préparer le terrain
et celui où le travail se développe aux yeux de tous, le temps
nécessaire est, ou plutôt, a duré dans le passé environ de vingt
à vingt-cinq ans. En aucun cas je ne dirais qu’il en est toujours

114
Le rôle du guru → sommaire

ainsi. A mesure que le travail se fait, il est certain qu’il s’accélère


mais son “aspect visible”, comme l’analyse précédente tente de
le montrer, demeure le stade de la croissance, celui-là seul que
nous voyons et, par conséquent, à partir duquel on peut, puisque
le travail est désormais visible à tous, envisager d’en faire état par
la publicité.

Pour illustrer cette première étape du travail du Maître, je


voudrais citer le cas d’une personne qui est maintenant “senior-
précepteur” de la Mission. Il y a environ quinze ans, ce monsieur
avait lu un article à propos de La Réalité à l’aube dans les journaux.
Il écrivit au Maître, disant l’intérêt qu’il portait à la méthode
d’entraînement yogique Sahaj Marg, décrite dans ce livre. Le
Maître lui répondit qu’il mettait ses services à sa disposition et
lui demanda d’essayer la méthode en pratiquant la méditation.
Le Maître le pria de l’informer préalablement du moment précis
où il souhaitait méditer afin qu’il puisse transmettre au moment
opportun. Au fil de son récit, ce monsieur me dit  :  «  Quand je
reçus la lettre du Maître je décidai que lorsque je me mettrais
en méditation, je ne l’en tiendrais pas informé à l’avance. Après
tout, il prétendait être capable de donner l’entraînement par la
transmission. Aussi, pourquoi aurais-je dû l’informer à l’avance ?
En un sens je voulais le tester. Dans cet état d’esprit je m’assis pour
méditer dès le lendemain matin. Ce fut une expérience vraiment
merveilleuse. Presque tout de suite après avoir commencé mon
sitting, je sentis une énorme puissance se déverser dans mon
cœur, comme si l’on avait coulé du plomb en moi. » Ce monsieur
comprit alors que le Maître ne dépendait pas de son signal pour
commencer son travail. Son travail divin avait commencé bien
plus tôt. Il était seulement nécessaire que l’abhyasi le sente par un
acte de participation consciente dans le travail.

D’une certaine manière, cette première étape du travail du


Maître est la plus importante. C’est peut-être aussi celle qui est la
plus facile pour lui. A ce niveau de fonctionnement, il n’y a aucune
résistance car l’aspirant, n’ayant pas conscience du travail qui se fait
sur lui, ne peut offrir aucun obstacle au travail. Il n’existe aucune
réceptivité ou coopération consciente puisque l’aspirant ignore
que le Maître travaille sur lui. Son propre appel ou son désir ardent
agissent comme une force puissante qui attire la grâce du Maître

115
→ sommaire Mon Maître

en lui, et cela seul agit comme le puissant facteur de coopération


permettant au Maître de travailler sur lui. Le Maître, possesseur
du pouvoir spirituel qu’il utilise consciemment, bénéficie de la
coopération de son partenaire inconscient, l’aspirant, alors qu’il
en profite rarement dans les étapes ultérieures de son travail. Une
fois que le rapport du Maître avec l’aspirant est précisé et qu’il revêt
la forme d’un rapport guru disciple, le travail se révèle au grand
jour. Alors son problème commence réellement, le disciple ayant
maintenant la possibilité de résister à son travail, consciemment
ou de toute autre manière. A ce stade, le disciple est conscient du
fait que l’on travaille sur lui. Il commence à remettre en question
l’efficacité du pouvoir, l’existence du pouvoir, puis la source de
ce pouvoir lui-même. Peut-être commence-t-il aussi à douter de
la capacité du Maître  ? Et cela va croissant, de doute en doute,
puis la résistance s’accroît. Nous voyons qu’au niveau conscient,
la résistance peut être considérable. Toutefois, il n’est pas très
difficile pour le Maître de surmonter cet obstacle en parvenant
à convaincre l’abhyasi par le raisonnement et par l’exemple, en
lui demandant d’observer sur lui-même le résultat du travail du
Maître. Un degré de confiance peut être ainsi créé qui, à mesure
que le travail progresse d’un niveau de conscience à des niveaux
supérieurs, d’un niveau d’être à d’autres encore plus élevés, se
transforme en foi, puis en amour, pour culminer enfin en un état
d’abandon. Cependant si la résistance est subconsciente, le travail
peut s’avérer bien plus difficile et prendre plus de temps.

Le Maître a, schématiquement et avec justesse, divisé les abhyasis


en deux classes. Les uns sont apparemment très coopératifs au
niveau conscient, mais la résistance se trouve toute à l’intérieur,
dure comme un roc, et le Maître les compare à une mangue à
l’apparence extérieure douce et pulpeuse mais dont le noyau est
dur. Les autres sont extérieurement et consciemment résistants.
Il semblerait qu’ils n’acceptent pas tout ce que le Maître dit ou
fait. La résistance semble considérable. Pourtant à l’intérieur, la
coopération est quelque chose d’extraordinaire. De tels individus
sont comparables à l’amande dont la coque est dure à l’extérieur,
mais dont le noyau est doux et tendre.

Si l’on regarde bien, on peut voir très clairement cette distinction


parmi les abhyasis. Il en existe de très souples et très doux, appa-

116
Le rôle du guru → sommaire

remment coopératifs au plus haut degré mais faisant des progrès


très lents et, dans certains cas, aucun. Ils restent attachés au
système pendant des années. J’ai même eu l’impression qu’une
sorte d’injustice était faite à l’un des abhyasis dans ce cas. Il faisait
partie de la Mission depuis bien des années avant même que je ne le
rencontre pour la première fois, mais je trouvais le Maître toujours
très critique à son égard, lorsqu’il parlait avec lui. C’est quand je
lui demandai pourquoi une âme apparemment si coopérative était
traitée si durement que le Maître expliqua ce cas : « Regarde, dit-il,
il est très docile et dit qu’il s’est complètement abandonné à moi. Mais à
l’intérieur il est comme un roc. Il y a une résistance intérieure tenace. J’ai
essayé de l’aider mais la transmission ne parvient pas jusqu’au cœur.
Son cœur est complètement fermé. La transmission me revient comme
un écho. Vois-tu le problème ? Comment aider une telle personne ? On
peut y parvenir mais c’est un processus très long et l’abhyasi doit être
patient et essayer de créer un état de coopération en lui-même. » J’étais
quelque peu déconcerté par cette explication. Je demandai au
Maître comment cette résistance subconsciente était survenue
brusquement alors que son désir ardent avait été assez puissant
pour l’avoir conduit vers le Maître. Je pouvais bien comprendre
qu’une résistance consciente puisse surgir chez certains abhyasis.
C’est une chose normale dans une relation interpersonnelle et
que l’on peut comprendre facilement. Mais comment la résistance
subconsciente pouvait-elle surgir brusquement ? Cela me rendait
perplexe. Le Maître me dit : « J’utilise le mot subconscient simplement
dans le sens ordinaire de ce terme pour indiquer que c’est un état d’esprit
dont l’abhyasi n’a pas connaissance ou n’est pas conscient. Je n’aime
pas me servir du mot “inconscient” car il a une signification tout à fait
différente, bien qu’il ne soit pas réellement incorrect. J’expliquerai cela
d’une autre manière. Ce sont les samskaras qui créent cette résistance.
Les samskaras sont parfois si profonds qu’ils sont difficiles à surmonter.
La pratique régulière du cleaning est nécessaire pendant longtemps.
Ceci est l’effet des samskaras ; je veux dire cette résistance. Alors vois-
tu, de telles personnes doivent être patientes et essayer d’établir une
coopération. Il y a une difficulté supplémentaire. Au niveau superficiel
ou conscient, ils sont très impatients d’évoluer. Mais il ne devrait pas y
avoir d’impatience. L’impatience implique que le doute est latent. C’est
le désir intense qui est nécessaire. Une aspiration tout entière consacrée
à la réalisation, voilà ce qu’il faut. Mais ces personnes-là confondent
l’impatience de surface avec un désir ardent et leur disponibilité à

117
→ sommaire Mon Maître

coopérer, c’est pourquoi le changement d’attitude devient très difficile à


effectuer. Généralement quand je leur dis ceci, la résistance ne fait que
s’accroître. A ce moment-là que puis-je faire  ? Je travaille donc à ma
manière, mais bien sûr il faudra du temps. »

Ceci nous conduit à la seconde étape du travail du Maître : le


cleaning et la purification de l’abhyasi afin qu’il progresse rapide-
ment tout en consolidant ce progrès. Qu’est-ce que l’on nettoie ?
Le Maître répond en général que tout le système doit être complè-
tement nettoyé. Ceci inclut le cœur et les points supérieurs, l’un
après l’autre. Le travail le plus important se fait sur le cœur et
la région du cœur où la plupart du résidu samskarique se trouve
enfoui sous forme d’opacité. Le Maître enseigne que de quelque
façon que nous agissions – le terme “agir” étant pris dans le sens le
plus large, incluant toute activité sensorielle et mentale – l’action
laisse une “impression” qui est appelée samskara lorsqu’elle est
très profonde. Il est évident que les impressions superficielles
sont facilement nettoyées. Il est facile d’essuyer une ardoise et
de la nettoyer. Mais ce n’est pas le cas avec un ancien disque
de soixante-dix-huit tours par exemple, où les impressions ont
été gravées assez profondément de façon à former des sillons
permanents. Lorsque nous nous “impliquons” dans nos actes, le
danger de former des impressions profondes est beaucoup plus
grand : les impressions accumulées qui sont en nous forment le
fardeau samskarique du passé. Cela doit être nettoyé par le Maître
grâce à l’utilisation de son propre pouvoir spirituel. A mesure
que s’effectue ce processus de cleaning, l’abhyasi expérimente une
vraie “légèreté” pendant ses sittings de méditation.

Un jour, j’eus un problème personnel à ce sujet-là et j’en discutai


avec le Maître. Tout au début, lorsque je commençai la méditation,
bon nombre de pensées surgissaient et m’importunaient, mais
en suivant la technique du Maître qui consiste à ne pas y prêter
attention, l’afflux des pensées se réduisit progressivement
jusqu’à expérimenter des intervalles “d’absence de pensées”
(thoughtlessness). Mais, et ceci était mon problème, après quelques
années de sadhana, je découvris soudain des pensées d’une
nature des plus viles et des plus sordides surgissant dans mes
méditations. Naturellement j’en fus profondément troublé car je
craignais que ceci puisse être non pas un signe de progrès mais

118
Le rôle du guru → sommaire

de régression. Le Maître élucida rapidement le problème pour


moi.  « Vois-tu, dit-il, la poussière qui se dépose chaque jour sur cette
table peut être facilement enlevée. Elle est superficielle et facile à retirer.
Supposons que de l’encre ait été versée sur la table et qu’on l’ait laissée
s’en imprégner, alors le nettoyage est plus difficile. Ainsi, la nature de
l’impression fait la différence. Maintenant je vais te dire encore une chose.
Nous avons parfois de mauvaises pensées, je veux dire consciemment.
Nous nous sentons honteux et nous les refoulons à l’intérieur de sorte
que les mauvaises pensées, même les pires, sont cachées profondément
dans le mental. C’est pourquoi par le cleaning, elles peuvent remonter
à la surface en dernier. Dans ton cas c’est ce qui est arrivé. Tu devrais
être content que ces pensées viles aient enfin été retirées. Le progrès sera
désormais plus rapide, comprends-tu ceci ? Prends l’exemple d’un étang.
Les feuilles et les déchets flottent à la surface et peuvent être facilement
retirés. Mais les saletés lourdes déposées au fond, il faut faire un effort
pour les nettoyer. Dans le cleaning, elles remontent donc en dernier.
C’est pourquoi il n’y a pas de quoi s’alarmer. Mais je te rappelle qu’il est
important que tu retires tout ce qui s’est accumulé dans la journée même.
Sans cela, demain tout sera devenu un peu plus dur et solide et demandera
plus d’effort. C’est pourquoi je préconise un cleaning quotidien à effectuer
par les abhyasis eux-mêmes. Ce processus, s’il est suivi correctement,
effacera l’accumulation journalière. Le reste est du ressort du Maître.
Vois-tu maintenant l’importance du cleaning quotidien ? »

Un jour, plusieurs années après avoir commencé la sadhana,


je me suis rendu à Shahjahanpur. Le Maître m’avait dit que
mon progrès était bon et qu’il était, d’une manière générale, très
satisfait. Il me donna un sitting individuel qui dura près d’une
demi-heure. A la fin de ce sitting il me dit  :  «  Voilà maintenant,
j’ai nettoyé ton système et en ai retiré l’opacité. » Je fus quelque peu
troublé d’entendre cela car j’avais l’impression qu’il ne pouvait
pas y avoir grand-chose à nettoyer. Je dis au Maître que je n’avais
rien fait consciemment qui puisse avoir ajouté de la “grossièreté”
(grossness) dans mon système. De plus, il m’avait écrit pour me
féliciter de mes progrès. Je lui demandai d’expliquer comment
cette grossièreté avait pu s’infiltrer en moi au point que j’aie
besoin d’un cleaning. Le Maître rit et me dit : « Tu ne devrais pas te
faire de souci pour cela. Il n’y avait pas grand-chose mais tu sais, je suis
un perfectionniste et je ne peux pas supporter de voir même la moindre
tache sombre dans le système. Je vais te dire une chose. Sur une chemise

119
→ sommaire Mon Maître

noire, une tache sale ou même une poussière ne se verra pas, mais sur une
chemise blanche, même la plus petite tache d’encre ressortira et attirera
l’attention. De toute façon, ceci est de mon ressort et tu ne devrais pas
t’en inquiéter. » Mais je pressai le Maître de me dire comment cette
grossièreté était venue. Il répondit : « Aussi pure que puisse être notre
action, elle laisse toujours une impression. Ceci est inévitable au niveau
humain. Moi aussi je me charge de grossièreté que mon Maître nettoie
lorsque cela est nécessaire. Je vais te dire autre chose encore. Lorsque
nous nous asseyons en méditation, il y a dans le cœur un désir ardent
pour quelque chose. Cela crée un vide et la grossièreté de l’atmosphère
environnante est attirée et se dépose en nous. De cette manière, l’abhyasi
qui médite convenablement accumule par conséquent aussi, un peu de
grossièreté. C’est pourquoi il suffit qu’il y ait un saint d’envergure dans
un pays. Il attire toute la grossièreté de l’endroit et la prend sur lui. Voilà
pourquoi j’ai dit qu’un saint est la cible de toutes les peines du monde ! Je
te dirai encore une chose qui est très surprenante. La grossièreté peut en
vérité nous être transmise également par nos parents et nos aïeuls ! J’ai
rencontré cela dans plusieurs cas, où la grossièreté avait été transmise de
cette manière. Ainsi vois-tu, ceci peut arriver de diverses manières, mais
tu ne dois pas t’en inquiéter. »

Lors d’une autre discussion, le Maître souligna l’importance


du cleaning par rapport au progrès.  «  Par la grâce de Lalaji, dit-il,
nous avons une technique dont je peux dire qu’elle est d’une qualité
insurpassée. Sais-tu ce qui en fait un système aussi merveilleux et facile ?
C’est le processus de cleaning tel qu’il se pratique selon le Sahaj Marg.
A vrai dire, ce sont nos impressions passées qui nous retiennent ici-bas
et créent les schémas de comportement que nous sommes incapables de
modifier. Nous sommes les esclaves de notre passé. Nous pensons que
nous sommes libres de penser et d’agir comme nous le désirons, mais
à dire vrai ce n’est qu’une illusion. Nous sommes conditionnés en tout
par le passé. Alors, comment changer quelqu’un dans ces conditions ?
Là est la grandeur de Lalaji, qui par ce processus de cleaning assure la
suppression totale des effets du passé, par étapes bien sûr. Mesures-tu
ce qui nous est donné ? A quoi cela sert-il de dire à quelqu’un qu’il doit
changer ? Chacun, bien sûr, voudrait changer mais ce n’est pas possible.
Pourquoi  ? Parce que le mental est conditionné par le passé. Aussi tu
vois, le changement peut survenir seulement en nettoyant le mental des
impressions passées. L’abhyasi peut de la sorte se voir lentement libéré de
son passé. En vérité ceci est notre seul esclavage. Nos impressions passées

120
Le rôle du guru → sommaire

créent en nous des tendances que nous trouvons difficiles à modifier.


Lorsque les impressions sont effacées, on peut facilement changer les
tendances et dans de nombreux cas, cela se produit automatiquement.
Par ailleurs, la pensée et l’action deviennent alors justes et naturelles,
c’est pourquoi transmettre ne suffit pas. Le cleaning est très important.
Sans cela l’abhyasi peut progresser, mais le danger de chute est toujours
présent car les impressions du passé peuvent le faire régresser. Pour
que le progrès devienne permanent, la purification du système est
essentielle. C’est pourquoi je demande à nos précepteurs de faire plus
particulièrement attention à cet aspect du travail. C’est un aspect très
important. Mais cela demande beaucoup de travail, surtout aux étapes
inférieures. Aussi, quelquefois il existe une certaine tendance à ignorer
ceci, mais ce n’est pas rendre service à l’abhyasi. Nous sommes là pour
le servir et si le cleaning est négligé, nous ne le servons pas vraiment. Je
ne cesse de répéter cela encore et toujours à nos précepteurs. »

La question du cleaning revient constamment dans mes


discussions avec le Maître. C’est un processus auquel il accorde
la plus grande importance et auquel il attribue aussi une grande
efficacité. Lors d’une de ces séances de discussion, je lui demandai
combien de temps cette nécessité du cleaning durerait. Le Maître se
mit à rire et dit : « Cela dépend de toi. S’il y a coopération totale, le travail
est alors facile. Supposons que je continue à nettoyer et que l’abhyasi
continue à ajouter de plus en plus de grossièreté, que puis-je faire alors ?
Donc tu vois, l’abhyasi doit coopérer également. Il doit modifier sa vie
de telle façon que cela aide à son progrès. Retirer les accumulations du
passé est du ressort du Maître. Toutefois, l’abhyasi devrait veiller à ne
pas ajouter davantage de grossièreté par ses pensées et ses actions. Cette
vigilance est donc nécessaire. Et si le processus d’auto-purification est
effectué quotidiennement, on peut alors atteindre, par la grâce de Lalaji,
une étape où la formation des impressions ne se produit plus et où cesse
la formation de samskaras. C’est un niveau très avancé mais ce n’est
en réalité que le début du voyage. Une fois que s’arrête la formation des
samskaras, le but est alors en vue. Les accumulations passées peuvent
encore subsister ou bien quelques scories, mais c’est la responsabilité
du Maître. Je te dirai autre chose encore. Aussi longtemps que nous
sommes dans ce corps, une certaine opacité demeurera. Si le système
devient complètement pur, alors ici-bas, la vie ne peut plus continuer.
Mais, dit-il en riant, nous ne devrions pas créer d’opacité en nous-
même pour prolonger notre vie ! Toutefois lorsque cesse la formation des

121
→ sommaire Mon Maître

samskaras, c’est un signe que le but se rapproche de nous. A ce moment-


là, la personne vit et travaille normalement mais aucune impression ne
se forme. C’est la condition que j’ai appelée l’état de “mort vivant”  !
Mais pour y arriver, l’abhyasi doit coopérer. Comment faire ? Je vais te
le dire. Suppose que je voie une belle rose, je l’admire. Il n’y a pas de mal
à cela. Mais je ne dois pas la regarder sans cesse et créer en moi de fortes
impressions dues à sa beauté, car l’impression se produit dans le mental.
Si l’impression est assez forte, nous voulons regarder à nouveau la rose,
ce qui renforce davantage la précédente impression. Ensuite le désir de
la posséder entre en jeu et si nous y cédons, l’action commence. Alors tu
vois, une simple pensée si on la laisse se développer sans contrôle, peut
nous amener à une action répétée et à ses conséquences. Autrement dit :
l’action est alors la conséquence inévitable de la pensée. Les événements
s’enchaînent ainsi et nous entraînent dans leur engrenage. C’est pourquoi
nous devons rester très vigilants. »

Le Maître a précisé que le mot  ‘‘impression’’  désigne les


bonnes comme les mauvaises. Les bonnes impressions ne sont
pas meilleures que les mauvaises. Les deux sont également
indésirables car elles créent des obstacles au progrès. Ceci nous
indique un aspect très important de l’enseignement du Maître.
Une vie menée correctement, dirigée selon des principes de bonne
conduite, de charité, en accord avec les codes religieux et ainsi de
suite, ne suffit pas à rendre un “progrès spirituel” possible. Pour
arriver à ceci, une vie de simple vertu sociale et éthique n’est pas
suffisante. Toutes ces qualités forment des samskaras. Une telle vie
peut assurer un meilleur avenir, mais notre but est la libération.
Alors tous ces concepts ne sont d’aucune valeur pour l’abhyasi
dans le système du Sahaj Marg. A quel point ceci s’avère exact m’a
été révélé alors que je discutais un jour de la pratique religieuse
qui consiste à réciter des mantras sacrés à l’oreille d’un mourant.
De tels mantras s’appellent karma-mantras et on dit qu’ils sont
hautement efficaces pour guider l’âme s’apprêtant à voyager
vers son but. On dit qu’ils sont efficaces, même si on les récite à
l’oreille d’une personne inconsciente, en train de mourir, à la seule
condition que la personne ne soit pas déjà morte. J’interrogeai le
Maître à ce sujet et il devint pensif.  «  Puisque tu me le demandes
sincèrement, dit-il, je vais te le dire  : cette pratique n’est d’aucune
utilité pour le progrès spirituel. Oui, cela peut assurer à la personne une
meilleure renaissance, mais à quoi cela sert-il ? Nous ne cherchons pas

122
Le rôle du guru → sommaire

à renaître, aussi bonne que puisse être la prochaine vie ! Notre but est
la libération. Maintenant je vais te dire ce qui est correct. Au moment
de la mort, notre mental devrait être complètement vide. On ne devrait
y admettre aucune pensée, pas même celle des dieux ou autre chose de
ce genre. Il doit être totalement vide pour qu’au moment de la mort, il
puisse fusionner avec la Source où la condition est celle du rien. Et je te
dis que pour les abhyasis de notre sanstha, ceci est très facile puisque
c’est cela même qui leur est enseigné chaque fois qu’ils se mettent en
méditation. Pour nous, cela devient une seconde nature. Lorsque nous
commençons la méditation, le mental est vide de toute pensée et ainsi, ce
que nous expérimentons est en quelque sorte une condition semblable à
ce qui se passe lors de la mort. Appelle cela un état de mort dans la vie si
tu veux. Ainsi, quand le moment arrive, nous entrons automatiquement
dans cet état d’esprit et il n’y a aucun obstacle, même au dernier moment.
Maintenant vois-tu, le tort que peut causer ce karma-mantra ! C’est en
fait une méthode qui ramène l’âme vers cette existence, au lieu de lui
permettre de poursuivre son chemin. Si je dis cela aux pandits, ils vont
fondre sur moi ! Pourtant ce que je te dis est juste. »

Que le cleaning ne se limite pas au système individuel humain


nous est déjà apparu évident ! Un saint attire la grossièreté venant
de l’atmosphère. Il agit comme un aspirateur cosmique. Ainsi, le
nettoyage de l’atmosphère est un autre aspect important du travail
du Maître. L’environnement étant ainsi purifié, l’effet produit sur
le mental humain est significatif. Des pensées justes viennent à
l’esprit des gens et ainsi des actions pures ou des actions justes
s’ensuivent naturellement. Ainsi en agissant à un niveau cosmique,
l’individu en tire-t-il bénéfice. A son tour, comme la condition
spirituelle de l’individu s’améliore, cela affecte l’environnement.
Et de cette façon cela continue. Ce qui a commencé au niveau
cosmique en tant que préparation de terrain culmine une fois
encore au niveau cosmique après avoir traversé le niveau de
l’individu. Qu’arrive-t-il à toute l’opacité enlevée au cours de ce
processus ? Les précepteurs ont seulement été formés à la retirer
et la rejeter. Qu’arrive-t-il ensuite ? C’est la question que je posai
au Maître. Il répondit qu’une telle opacité pouvait être brûlée
mais que seule la personnalité spéciale pouvait le faire ! Seule la
personnalité spéciale a le pouvoir de consumer et détruire l’opacité.
Les autres ne peuvent que la retirer et la jeter quelque part.

123
→ sommaire Mon Maître

La croissance doit être entretenue. Il ne peut y avoir de


croissance sans une nourriture appropriée. Ceci est le troisième
rôle du Maître  : il “nourrit” les abhyasis de sa transmission
spirituelle et il les entretient de manière que la croissance
continue à être forte et saine. Le Maître a défini une fois ce que
nous appelons transmission comme la “nourriture spirituelle”.
Le corps vit et croît au niveau physique et subsiste grâce à une
nourriture physique. L’âme, étant par nature spirituelle, a besoin
de nourriture sur ce plan. Je demandai un jour au Maître si la
transmission était la même en qualité ou si elle différait selon
la condition de l’abhyasi. Il répondit qu’elle ne pouvait changer
étant donné qu’elle était la force ou puissance de la Divinité la
plus subtile, et de ce fait immuable. J’étais un peu surpris et me
demandai comment le même pouvoir pouvait accomplir tout ce
que lui prêtait le Maître, à tous les niveaux de développement.
Je lui exposai ce point de vue. Très amusé, il rit et dit : « Lorsque
nous plantons une graine, nous l’arrosons, lorsqu’elle devient une jeune
pousse nous l’arrosons ; lorsque c’est une plante robuste, nous l’arrosons,
puis nous continuons à l’arroser toute sa vie. Cette même eau assure la
croissance de la plante étape après étape. »

Une autre fois le Maître décrivit la transmission en d’autres


termes. Il dit  :  «  Le corps vit uniquement parce que l’âme est en lui.
Au moment de la mort, l’âme s’envole  : nous disons que la personne
est morte et appelons le corps un cadavre. Ainsi le corps vit-il par
l’âme. Comment l’âme vit-elle  ? Je vais te le dire  : l’âme vit par la
transmission que nous pouvons considérer comme étant l’essence de la
Divinité. Le docteur Varadachari a appelé ceci : “l’âme de l’âme”. Il en
a donné une description tout à fait juste. Il me dit qu’en sanskrit c’est
pranasya pranaha ce qui signifie “l’âme de l’âme”. Ainsi, à vrai dire,
sans transmission, l’âme est comme une chose morte. La toute première
transmission donne vie à l’âme. C’est la touche de Divinité elle-même.
Je vais te dire une des plus merveilleuses choses. Une seule transmission
peut, à elle seule, transformer l’avenir d’une personne de façon très
importante. La transmission d’un maître d’envergure peut transformer
quelqu’un instantanément. Le pouvoir est le même. Mais la volonté doit
être là. Il doit y avoir une volonté sans faille. Le résultat est alors
merveilleux. En réalité, en spiritualité, la chose véritablement la plus
importante est que l’instructeur ait une volonté infaillible. Je vais te
dire encore une chose : quand nous doutons de l’efficacité du pouvoir de

124
Le rôle du guru → sommaire

transmission, cela signifie en réalité que nous doutons de notre Maître.


Alors le travail en souffre. Le pouvoir peut être donné par le Maître, mais
tu dois toi-même développer la force de ta volonté. Après tout, quel que
soit l’instrument utilisé, une force doit être appliquée. Supposons que
tu veuilles couper du bois et que je te donne une scie. Il faudra mouvoir
la scie avec toute la force de ton bras. A ce moment-là seulement elle
coupera le bois. Tu me suis ? Donc, un outil seul ne suffit pas. Tu dois
utiliser la force de ta volonté pour le faire fonctionner efficacement. En
réalité, que ce soit moi ou un précepteur qui transmette, le résultat devrait
être le même. Mais si la transmission n’est pas soutenue par la volonté,
le travail ne se fait pas convenablement et alors l’abhyasi sent bien la
différence. »

On peut donc dire que la transmission est le seul pouvoir qui


élève spirituellement. Elle permet à l’abhyasi de se développer
niveau après niveau en passant d’une région spirituelle à l’autre,
finissant ainsi par atteindre le but. Tout au long de ce voyage divin,
l’aide active du Maître et ses directives sont essentielles. Le Sahaj
Marg est unique en ceci, que le rôle du guru se poursuit jusqu’à ce
que l’abhyasi ait été amené au niveau de spiritualité le plus élevé
auquel l’homme puisse parvenir. En fait, le besoin que l’on a d’un
guru augmente en fonction de notre développement. Le Maître
expliqua un jour la raison de ceci. « A mesure que l’abhyasi croît, dit-
il, la transmission et le cleaning lui donnent accès à des régions de plus
en plus élevées. Mais à ces niveaux plus élevés, une résistance survient,
venant d’un niveau supérieur. C’est un peu comme si la nature s’opposait
à son développement. Ici le Maître doit utiliser le pouvoir dont il dispose
pour faire accéder l’abhyasi au niveau supérieur. L’abhyasi ne peut pas
entreprendre cela par lui-même. Je vais te dire encore une chose. Il y a
des régions que personne ne peut traverser seul. Un guide compétent qui
est en laya avec l’Ultime et qui a lui-même parcouru le chemin, peut,
seul, le faire. A de tels stades, le Maître prend l’abhyasi “à l’intérieur de
lui-même” et lui fait traverser la région, puis il l’en sort à nouveau afin
qu’il continue le voyage sous la conduite et la supervision du Maître.
Le docteur Varadachari avait coutume de plaisanter à ce sujet et de dire
que le Maître est comme un kangourou  ! Le kangourou, comme vous
le savez, est pourvu d’une poche spéciale dans laquelle il place le bébé
kangourou lorsqu’il y a danger. C’est ce que le Maître doit faire pour son
abhyasi lorsque cela devient nécessaire. » Ce qui précède révèle à notre
connaissance une autre fonction du Maître : celle de protecteur.

125
→ sommaire Mon Maître

Nous en arrivons donc à une compréhension assez complète


des divers rôles du Maître qui sont ceux de la préparation du
terrain, de l’ensemencement du cœur de l’individu, de l’entretien
de la croissance de l’abhyasi et de sa protection tout au long de
son voyage spirituel jusqu’à ce que le but soit en vue. A ce stade,
le Maître estime que l’abhyasi a pénétré dans la région centrale1 et
a également traversé plusieurs des sept anneaux de splendeur de
cette région. Pourtant le Maître l’emmène encore plus loin jusqu’à
ce que tous les cercles soient traversés. Après cela, il ne reste plus
qu’à nager encore et encore en direction du centre, dans ce que le
Maître appelle : l’océan de béatitude. A cette étape, selon le Maître,
l’abhyasi est mis en contact direct avec Dieu. Ceci représente le
point culminant du rôle du Maître dans la sadhana de l’abhyasi.

Cependant je dois avouer que bien que l’abhyasi soit maintenant


en contact direct avec Dieu, je crois que sa relation avec le Maître,
de par sa nature même, ne cesse pas pour autant d’exister,
puisqu’elle est spirituellement et éternellement permanente.

Je discutais récemment de cet aspect du lien entre le Maître et


l’abhyasi, une fois que le Maître a relié celui-ci à Dieu. Le Maître
n’a pas voulu donner de réponse directe mais il a suggéré qu’à
ce stade, l’abhyasi devait décider lui-même s’il souhaite conserver
ce lien ou non. « Pour ceux qui ont besoin de l’aide du Maître même
après cette étape, dit-il, elle reste offerte à l’abhyasi.  »  Après cette
déclaration pleine de sens, il devint silencieux. Sœur Kasturi était
présente. Elle me dit que même aux stades les plus élevés de la
spiritualité, on ne pouvait pas écarter la possibilité de croissance
de l’ego. Or ce lien direct avec Dieu, établi pour l’abhyasi par le
Maître, pouvait mener à l’ego si l’abhyasi manquait de prudence et
d’équilibre. « Après tout, par quel moyen le lien direct avec Dieu
est-il établi ? demanda-t-elle. Par la seule grâce du Maître. Alors,
comment la question de la rupture de son propre lien avec le
Maître peut-elle se poser ? J’ai le sentiment que lorsque le Maître
fait une telle déclaration à un abhyasi, c’est qu’il le met réellement à
l’épreuve. A ce niveau, il faut être extrêmement prudent et se garder
de commettre l’erreur suprême d’abandonner le Maître.  »  Puis
elle me fit part d’une vision qu’elle avait eue à ce sujet. En une

(1) : Voir appendice

126
Le rôle du guru → sommaire

certaine occasion, le Maître lui avait dit qu’un abhyasi avait été mis
en contact direct avec Dieu. Toutefois, lorsqu’elle étudia ce cas de
plus près, il lui apparut dans sa vision qu’au moment où l’âme
de l’abhyasi s’approchait de Dieu, elle était renvoyée au Maître.
Lorsque cette âme tenta de nouveau d’approcher Dieu, la même
chose se répéta : l’âme fut rejetée vers le Maître. « Vois-tu, frère, dit
Sœur Kasturi, ceci est une révélation directe que le rôle du Maître
ne prend jamais fin même pas après que le lien de l’abhyasi avec
Dieu a été établi ! En effet le voyage vers le but est, dans un sens,
un voyage sans fin. Nous nous approchons toujours du Centre,
de plus en plus près de lui, mais nous ne parvenons jamais au
Centre lui-même. Cela ne pourra survenir qu’au moment du
maha-pralaya quand tout sera ramené au Centre. »

Ma propre croyance est que si un abhyasi a aimé le Maître,


sincèrement et avec dévotion, alors il ne pourra jamais avoir la
pensée de couper ce lien. En conséquence, le véritable lien avec le
Maître est éternel, quel que soit le niveau d’évolution spirituelle
que l’abhyasi ait pu atteindre, puisque le besoin de l’aide du
Maître et de ses directives est toujours présent.

127
→ sommaire
→ sommaire

IX

EXPÉRIENCES SPIRITUELLES

Mon Maître enseigne que les expériences spirituelles ayant


une réelle signification sont rares et donc qu’on ne devrait pas leur
accorder une importance exagérée ; cela pourrait nous détourner
de notre but. Ceux qui leur donnent trop d’importance risquent de
ne voir que “l’arbre qui cache la forêt”. Une trop grande importance
a été donnée aux rêves, aux visions, aux voix entendues et autres
manifestations dans les ouvrages traditionnels traitant de la religion,
du yoga et du mysticisme. Cela a mené les aspirants à conclure de
façon erronée, que si de telles expériences ne se produisaient pas,
quelque chose allait vraiment très mal dans leur pratique de la
méthode. Mon Maître a fermement exprimé que les expériences,
en tant que telles, n’ont aucune valeur puisque ce qui devrait
nous préoccuper c’est d’atteindre le but et non les expériences
rencontrées en cours de route. Nous pouvons les constater tout
comme nous regardons défiler un paysage au cours d’un voyage.
Il ne faut pas y attacher plus d’importance. De toutes façons, avoir
besoin d’expériences ou en être avide est assurément une attitude
à proscrire et elle devrait être rectifiée sans plus tarder.

Un jour, le Maître se trouvait à Hyderabad et un groupe im-


patient de personnes l’entourait, le pressant de questions. Un
jeune homme lui demanda la valeur à accorder aux expériences
spirituelles. Le Maître donna sa réponse habituelle  :  «  Nous ne
devrions pas nous en inquiéter. » L’abhyasi insista toutefois pour obtenir
une réponse, demandant si de telles expériences n’indiquaient
pas des étapes sur le parcours et de ce fait, si elles ne servaient

129
→ sommaire Mon Maître

pas de repères nous indiquant où nous en étions. Utilisant une


analogie, le Maître répondit  :  «  Monsieur, lorsque je voyage d’ici
à Bombay par train, les gares passent dans un certain ordre. Ainsi,
en sachant dans quelle gare nous sommes arrivés, je peux juger de la
proximité de ma destination. Assurément les expériences spirituelles ont
une valeur similaire. » Shri Ishwar Sahai qui était présent sourit et
dit : « Ce que vous dites est vrai si je voyage en train. Supposez
que je prenne l’avion, comment vais-je savoir alors quelles
étapes du voyage ont été parcourues  ? Nous devons alors nous
fier au commandant de bord pour nous dire où nous sommes
et quel chemin il nous reste à parcourir avant d’arriver à notre
destination. Même si le commandant nous dit où nous sommes,
le renseignement ne nous dira peut-être rien. Voilà la réponse à
votre question. » Le jeune homme rit et lui dit : « Oui, je vois ce
que vous voulez dire. Avec vous, nous prenons l’avion ! »

D’une manière très générale, les expériences se classent en


trois groupes. Le premier contient les expériences provenant de
la propre imagination de l’abhyasi, comme le résultat de sa propre
projection. Les abhyasis, comme tous les êtres humains d’ailleurs,
sont enclins à discuter de certains sujets entre eux et de se faire part
mutuellement de leurs expériences. Dans la sadhana spirituelle cela
n’est guère conseillé, car pendant le même sitting, chaque abhyasi
peut vivre différentes expériences. Cela ne veut pas dire que les
uns progressent plus, voire plus rapidement que les autres. Les
expériences dépendent de facteurs très divers tels que les samskaras
de l’individu, ses antécédents, son environnement social et ainsi
de suite... Si les abhyasis discutent entre eux de leurs expériences,
certains peuvent penser qu’ils ne vivent pas l’expérience correcte
lors de leur méditation et ils peuvent se sentir découragés ou
pire encore, ils peuvent projeter inconsciemment ces mêmes
impressions au cours des sittings suivants et vivre des expériences
qui ne sont que leur propre création. Le Maître conseille donc
aux abhyasis de ne pas discuter entre eux de leurs expériences
spirituelles mais seulement avec le Maître lui-même ou avec le
précepteur. De telles expériences ne sont pas authentiquement
spirituelles et n’ont aucune espèce de valeur.

Le deuxième groupe d’expériences couvre toutes celles résultant


du processus de cleaning. Le Maître déclare que lorsque le système

130
Experiences spirituelles → sommaire

de l’abhyasi est purifié, alors les impressions passées sont retirées.


Lorsque ces impressions affleurent à la surface du mental,
l’expérience ou l’activité qui, à l’origine, a créé l’impression,
se reproduit à nouveau dans le mental. L’abhyasi vit alors une
“expérience”. En général, les expériences vécues par les abhyasis
appartiennent à cette catégorie. Les visions de dieux et de déesses
qu’expérimentent les abhyasis pendant la méditation sont de ce
type. Lorsque survient une telle expérience, c’est précisément
l’indice d’une implication passée avec cette déité. Je me suis déjà
référé ailleurs à une telle expérience où le Maître lui-même vit
un singe à la place d’un abhyasi. Beaucoup d’abhyasis ont des
visions de dieux ou de saints d’une clarté surprenante. Un bon
nombre d’entre eux commettent la tragique erreur de penser
que le but a été atteint puisque le dieu de leur choix personnel
leur a accordé son darshan. Il est regrettable que des personnes
qui pratiquent sans la direction d’un maître capable prennent de
telles expériences pour des révélations divines et retournent aux
formes traditionnelles de culte de la déité particulière qui leur
est apparue. Les abhyasis, face à de telles interprétations erronées
de leurs expériences, doivent rester sur leurs gardes. Beaucoup
d’abhyasis disent avoir des visions de jardins, de villages dans
les collines et autres choses de ce genre. Celles-ci appartiennent
encore à la même catégorie. Quelques expériences peuvent aussi
avoir un rapport avec une vie antérieure. En général, l’abhyasi ne
sera pas apte à s’en rendre compte. Mais le Maître et les précepteurs
seront capables d’interpréter et d’évaluer correctement de telles
expériences, surtout si elles se sont produites pendant les sittings
avec le Maître ou un précepteur.

La troisième catégorie d’expériences renferme ce à quoi


le Maître s’est référé en parlant “d’expériences révélatrices”.
Celles-ci sont d’une nature inestimable car elles contiennent
des messages provenant du Soi intérieur de l’abhyasi et, si elles
sont convenablement interprétées, elles peuvent l’aider consi-
dérablement lors de son cheminement. De telles expériences
peuvent survenir pendant les sittings de méditation ou sous
forme de rêve. Le Maître a également affirmé que des ordres, des
instructions et des conseils venant du Maître lui-même, peuvent
être communiqués sous cette forme.

131
→ sommaire Mon Maître

Environ huit mois après avoir commencé la pratique de la


méditation selon le système du Sahaj Marg, je fis un rêve. Dans
ce rêve, il y avait une rivière étroite et, tout à côté, une route
goudronnée. De l’autre côté de la route, en retrait de la rivière,
se trouvait une grande bâtisse. Je montai les marches qui y
conduisaient et trouvai une énorme quantité de chaussures
déposées devant la porte. J’en conclus qu’il y avait une grande
réunion à l’intérieur. Dans la scène suivante, je vis le Maître sortant
de cette salle. Je le rejoignis.Tous deux nous marchâmes sur la route
le long de la rivière. Nous arrivâmes à un petit pont enjambant
cette rivière, nous nous engageâmes pour traverser et, juste à mi-
chemin, je m’inclinai pour toucher ses pieds. Ce rêve fut pour moi
la source d’une immense satisfaction. Au niveau conscient j’avais
pleinement accepté mon Maître. Ce rêve confirma donc qu’à un
niveau subconscient, il y avait eu aussi une acceptation du Maître
et ainsi, cette acceptation était maintenant totale. J’acceptai ce rêve
comme la révélation d’une condition intérieure.

Quelques années plus tard j’eus une période dépressive qui


dura près de trois mois. Pendant cette période, je ne parvenais
plus à méditer convenablement et, si mes souvenirs sont exacts,
j’avais arrêté de méditer pendant quelque temps. Au plus profond
de cet état dépressif, je me rendis à Bangalore pour une visite
officielle. Avant d’aller dormir, je priai le Maître, lui disant que
j’étais incapable de m’aider moi-même de quelque façon que ce
soit, et que c’était maintenant à lui de me remettre sur le chemin
dont je semblais m’être écarté. Je priai pour qu’il me guide et qu’il
m’aide à retrouver le chemin. Je dormis très profondément cette
nuit-là. Je me réveillai comme d’habitude vers 5 heures mais chose
étrange, je me rendormis et sombrai dans un sommeil très profond.
Pendant ce long sommeil, j’eus un rêve. Je rêvai que j’étais dans
une grande propriété  ; j’entrai dans un grand bâtiment dont la
moitié était une cour découverte où plusieurs femmes semblaient
couper et préparer des légumes pour les faire cuire. L’autre moitié
de la cour était couverte. J’y rentrai. Il y régnait une obscurité
absolue. A une extrémité se trouvait une estrade surélevée et sur
celle-ci était assise une personne que je ne pouvais pas encore voir.
Comme je la regardais, un peu de lumière commença à rayonner
derrière elle. Je vis sa silhouette. Lentement, la lumière s’intensifia
et je vis Lalaji assis sur l’estrade, un sourire radieux sur son beau

132
Experiences spirituelles → sommaire

visage, sa barbe éclairée par la lumière derrière lui, portant un


châle sur les épaules. Je restai là, muet devant lui. Lalaji me parla.
Il dit : « Jusqu’à présent vous avez médité d’une certaine façon.
Maintenant je vais vous apprendre une autre méthode. Méditez
sur ma forme comme étant celle d’où tout l’univers manifesté a
été créé. » Bien que ce fût Lalaji qui parlât, la voix que j’entendis
était celle de mon Maître Babuji Maharaj. Dès que je me réveillai,
je m’assis en méditation, méditant comme on venait de me le
conseiller, pendant près d’une heure. La méditation fut très
profonde et je me trouvais dans une condition semblable à celle
de samadhi. Ma dépression disparut. C’était comme si un nouveau
commencement venait de se produire. Lorsque je fis part de cette
expérience à mon Maître, il s’exclama  :  «  Tu as eu une expérience
merveilleuse. Un secret t’a été révélé. Sais-tu lequel  ? Il t’a été révélé
que mon Maître et moi ne faisons qu’un, même si les gens nous voient
comme des êtres séparés. »

Peut-être un an plus tard, j’eus un autre rêve lumineux. Je


rêvais que je dirigeais la méditation collective du soir dans un
pavillon qui n’avait qu’un toit de chaume. Il n’y avait aucun mur
autour, seulement des poteaux pour soutenir le toit. C’était le
crépuscule et il commençait à faire sombre. Je fermai les yeux et
commençai à donner le sitting. Quelques instants plus tard, j’eus
le sentiment que tous les abhyasis qui méditaient s’étaient levés et
se déplaçaient. J’ouvris les yeux et vis qu’en effet tous les abhyasis
se déplaçaient mais avaient les yeux fermés. Chacun d’eux avait
à la main un poignard qu’il essayait de plonger en moi. Je fus
effrayé et criai : « Maître ! Maître ! » Je m’éveillai à ce moment-là.
Je parlai de ce rêve à mon Maître et il me dit : « C’est un bon rêve !
Il montre que les vrittis inférieurs sont en train d’être détruits. C’est un
signe d’avancement et de progrès. »

Si nous analysons la situation, nous découvrons une tendance


importante. Les expériences imaginaires et celles projetées
par l’abhyasi lui-même viennent très tôt dans la vie spirituelle
d’un individu et heureusement ne durent pas longtemps. Les
expériences provenant du cleaning peuvent être nombreuses et
peuvent durer plusieurs années selon la condition de l’abhyasi.
Les “expériences révélatrices” se produisent lorsque l’abhyasi est
bien assuré sur le chemin et que son dévouement pour le Maître

133
→ sommaire Mon Maître

a empli son cœur. Pour cette expérience, il n’y a pas de moment


déterminé. Cela peut arriver le jour même où l’on commence les
abhyas ou jamais.

En dehors de ces expériences, il y a celles qui peuvent être


générées par le pouvoir de la transmission lui-même, lorsque cela
est fait consciemment et avec cette intention. Je me souviens d’être
allé chez le docteur Varadachari à Madras pour un sitting par une
chaude soirée d’été. En arrivant chez lui, j’avais chaud et étais en nage.
Quelques minutes après mon arrivée, il me demanda de méditer
avec lui. Je continuais d’avoir très chaud et le ventilateur n’était
pas branché. Toutefois, chose curieuse, deux ou trois minutes après
avoir commencé à méditer, je sentis un souffle d’air frais autour de
moi. Je me sentis tout de suite rafraîchi. La brise continua à souffler
et je commençai même à avoir un peu froid. En même temps, j’étais
conscient que l’atmosphère autour de moi était toujours aussi
chaude que d’habitude. J’étais perplexe mais j’appréciais beaucoup
la brise fraîche qui semblait souffler pour moi seul. Lorsque le sitting
se termina, le docteur Varadachari me demanda ce que j’avais senti.
Je lui fis part de la sensation étrange que j’avais éprouvée. Il éclata
de rire, son regard s’anima malicieusement. « Voyez-vous, me dit-il,
voilà la beauté de ce système. Je savais que vous aviez chaud et je
vous ai transmis du centre de l’eau. Ainsi vous avez senti la fraîcheur
et vous vous êtes senti rafraîchi. Un précepteur compétent doit être
capable de travailler sur le système comme un musicien joue d’un
instrument. »

J’ai entendu parler d’un second exemple de ce genre relaté par


le Maître lui-même. C’était dans les premiers jours de sa sadhana.
Il voulait tester les effets de la transmission à différents niveaux.
Il transmit à un abhyasi à partir d’un centre particulier qui était
censé produire des signes d’ivresse. « Ecoute, me dit-il, lorsque le
sitting fut terminé, cet abhyasi put à peine se lever. Il montrait tous les
signes d’ébriété. Il était complètement intoxiqué. C’était une transmission
d’un niveau inférieur, matériel. Mais il ne faut pas le faire car cela n’a
aucun intérêt pour l’abhyasi. Nous devons toujours transmettre d’un
niveau aussi subtil que possible. »

Un troisième exemple concerne mon père. Il avait très envie de


visiter la sainte chapelle, à Badrinath ; il en avait le désir depuis

134
Experiences spirituelles → sommaire

l’enfance. Nous étions arrivés à Shahjahanpur pour assister au


mariage du fils du Maître, Chi Umesh. Mon père exprima le désir
de se rendre de là à Badrinath et demanda au Maître la permission
de s’absenter. « Pourquoi voulez-vous aller là-bas, demanda-t-il, c’est
dangereux, les routes sont mauvaises et voyager en ce moment présente
beaucoup de risques. Si vous voulez absolument vivre l’expérience que
vous espérez y avoir, asseyez-vous en méditation et je vous ferai vivre
tout de suite l’expérience ici même. Il n’est pas nécessaire d’entreprendre
un voyage aussi pénible et aussi risqué pour cela.  »  Ceci a des
implications énormes. Je vais vous donner un exemple bien précis
afin de montrer à quel niveau de telles expériences peuvent être
transmises à un disciple si le Maître en a le désir. Il y avait eu bon
nombre de nouvelles hypothèses concernant la lune, plusieurs
années avant même que des voyages sur celle-ci ne soient envisagés
en Occident. Notre Sœur Kasturi avait exprimé le désir de connaître
quel genre de conditions il y avait sur ce satellite.  «  Très bien, dit
le Maître, asseyez-vous en méditation. Je vais essayer de vous donner
l’expérience de cette condition.  »  Sœur Kasturi me dit qu’elle eut
vraiment une expérience profonde dont elle avait noté les détails
dans son journal. Les voyages ultérieurs effectués par les astronautes
américains révélèrent comme exactes certaines conditions qu’elle
avait expérimentées bien des années auparavant.

Nous voyons ainsi que des expériences spirituelles d’un


autre ordre sont maintenant introduites dans le schéma général.
Nous devons reclasser le genre des expériences spirituelles
en deux catégories principales. La première consiste en toutes
celles qu’un abhyasi vit lui-même pendant sa méditation, avec
ou sans précepteur, tout comme dans les rêves. Cette catégorie
est soumise aux trois subdivisions auxquelles je me suis référé
plus haut. La deuxième catégorie d’expériences contient toutes
celles que le Maître provoque en nous délibérément ou qu’il nous
permet d’expérimenter. De telles expériences peuvent se situer à
n’importe quel niveau de l’être. Je me souviens de notre précepteur
Shri S. K. Rajagopalan me racontant, il y a de nombreuses années,
la visite faite à mon Maître par un fonctionnaire de haut rang. Ce
dernier désirait être éclairé sur divers sujets. A la fin, il demanda
au Maître ce qu’était l’état de jivan-mukti. Le Maître lui répondit
qu’il ne pouvait expliquer ni décrire cet état mais qu’il pouvait
lui en faire vivre l’expérience s’il le désirait.  «  Je vois  »  dit-il,

135
→ sommaire Mon Maître

puis il s’en alla ! Shri S. K. Rajagopalan se lamentait toujours de


l’ignorance de ce fonctionnaire qui l’avait privé d’une opportunité
envoyée par le ciel de se voir accorder la grâce immédiate. Qui
peut expérimenter un tel état, ne serait-ce que pour un moment
et être à jamais le même  ? Les expériences que le Maître nous
accorde sont de cet ordre lorsque chacune d’elles nous élève à
des niveaux “d’être” qu’il nous serait impossible d’atteindre par
notre propre effort. De telles expériences ne sont pas simplement
des expériences, ce sont des moments de grâce et de béatitude où
l’abhyasi baigne dans l’amour infini du Maître.

136
→ sommaire

LE CADEAU DE LA LIBÉRATION

Le but ultime de la sadhana dans le système de raja yoga1 du


Sahaj Marg est appelé d’une manière très imprécise : libération ou
réalisation. Ces deux termes sont généralement utilisés de façon
interchangeable comme s’ils étaient synonymes et se référaient à
la même condition ou état d’être. Ceux qui furent plus proches du
Maître, et qui ont eu plus d’expérience de l’utilisation qu’il faisait
de la terminologie de son système, constatent qu’il n’y a pas
simplement une différence entre ces deux mots mais que celle-
ci est vraiment très grande et très significative. Une troisième
expression est parfois utilisée  : “la parfaite condition humaine”
ou la “condition de l’être humain parfait”. Ainsi donc, jusqu’ici, le
but est généralement décrit en ces termes, le terme exact utilisé
dépendant du degré d’intimité de la personne avec le Maître, et
de sa propre évolution et expérience du système.

Pour autant que j’aie pu comprendre ce sujet, il me semble que


la libération est d’un moindre niveau d’accomplissement comparée
à la réalisation. Selon la terminologie du Sahaj Marg, la libération
est assurément d’un niveau bien plus élevé que l’émancipation
religieuse traditionnelle appelée mukti ou moksha, deux termes se
référant généralement à un état de salut, à partir duquel il n’y a
plus de retour sur le plan physique de l’existence. Mukti ou moksha
n’excluent pas toutefois une renaissance dans un monde supérieur,

(1) : Voir appendice

137
→ sommaire Mon Maître

sans existence physique, renaissances qui, selon le Maître, sont


nombreuses. Ainsi mukti et moksha sont-ils des concepts limités,
alors que la libération du système du Sahaj Marg offre une
délivrance permanente du cycle des naissances et des morts.

Il y a une différence plus significative encore. En ce qui concerne


la religion traditionnelle, elle semble offrir, dans un sens général,
et seulement après la mort, la délivrance. Celle-ci est appelée
videha-mukti, ce qui veut dire mukti, après que l’individu a quitté
le corps. L’état de jivan-mukti qui est l’état de délivrance dans cette
vie même, de notre vivant, est connu pour être un niveau de mukti
très élevé, accessible à quelques rares êtres seulement. Dans le
système du Sahaj Marg, l’accent est mis sur l’accès à la libération
dans cette vie même, ici et maintenant, au cours de la vie normale,
que l’on soit chef de famille ou autre.

Mon Maître opère la transformation de l’abhyasi en utilisant


la force divine et le pouvoir infini dont il dispose. Ce pouvoir est
utilisé pour éveiller les forces spirituelles assoupies chez l’abhyasi.
Par ce processus doublé de celui du cleaning, notre corps physique
est lentement transformé à l’aide de la fission et de la reconstitution
de chaque atome jusqu’à ce que, finalement, aucune trace de
matérialité ne subsiste en lui. A toutes fins utiles, il s’agit ici de
notre corps physique matériel, aussi bien apparemment que fonc-
tionnellement mais en réalité ce corps est maintenant devenu pur
et spirituel. On dit qu’un tel corps a transcendé les cinq koshas ou
enveloppes  ; en tout cas c’est le seul de cette nature qui puisse
être le corps d’une âme libérée. On sait que les personnes ayant
atteint cet état sous la direction de mon Maître possèdent un tel
corps. Une âme libérée occupant un corps spiritualisé et divinisé,
tout en continuant à vivre la durée de sa vie terrestre, voilà la
libération que mon Maître nous offre. Nous n’avons pas besoin
pour ce faire d’attendre la mort. Cela a pu être nécessaire dans
d’autres disciplines où le véhicule de l’âme, c’est-à-dire le corps,
ne pouvait être purifié et divinisé pour contenir une âme libérée.
Mais mon Maître est capable de reconstituer le corps physique
grossier en un nouveau corps spirituel, en travaillant sur ce
qu’on peut appeler, faute d’une meilleure expression, le niveau
atomique. Il parvient à cela par le pouvoir de sa transmission.

138
Le cadeau de la libération → sommaire

Lorsque je demandai au Maître de donner une brève définition


de la libération, il me dit : « Chez quelqu’un qui a été libéré, la première
chose brisée est le “temps”. » Oui, le temps est détruit en premier,
ce qui est suffisamment clair dans la mesure où l’on sous-entend
qu’un être libéré n’est plus assujetti à l’influence du temps. Pour
une telle personne, toute temporalité cesse d’exister et elle pénètre
dans l’éternité. J’ai longtemps essayé de comprendre ce concept
d’éternité. La seule compréhension claire à laquelle je sois parvenu
est que l’éternité ne signifie pas une extension illimitée dans le
temps. Il semble qu’elle appartienne à un autre ordre d’existence.
Ma compréhension aujourd’hui n’est pas meilleure que lorsque
j’ai commencé à méditer sous la direction de mon Maître, il y a
dix ans. Mais une fois, j’ai fait l’expérience de l’éternité et je ne
l’oublierai jamais. Cela se passait vers la fin de 1968, je m’étais
rendu à Shahjahanpur pour passer quelques jours avec le Maître
au cours d’un voyage en Inde du nord. Un matin, il me donna
un sitting individuel. Je me sentis profondément absorbé et perdu
loin de ce monde. Vers la fin du sitting, pendant quelques minutes
je me suis senti soudain flotter dans un océan de brillance.
Brillance n’est peut être pas le mot juste. Luminescence serait plus
approprié. Tout autour de moi, au dessous et au-dessus de moi, il
n’y avait que le ciel, rien que le ciel. Peut-être devrais-je appeler
cela espace au lieu de ciel. J’étais assis dans la posture habituelle
de méditation et je flottais sereinement dans cet espace-là qui
était d’un bleu doux, lumineux en apparence. Il n’y avait personne
d’autre, rien d’autre dans l’univers entier, que moi. Pas même
le Maître  ! C’était une expérience extatique et même lorsque je
devins momentanément conscient de cette impression pendant la
méditation, elle persista ; ensuite c’était l’impression d’être seul,
totalement et béatement seul dans toute l’immensité de l’espace !
Après le sitting, le Maître me demanda comment je me sentais. Je
lui décrivis mon expérience et il me dit : « Tu as eu un avant-goût de
l’éternité. Ceci vient généralement à des niveaux supérieurs mais cela t’a
été donné aujourd’hui. »

Je demandai au Maître comment cet état pouvait devenir


permanent, devenir mien pour ainsi dire. Il rit et dit  : « Puja est
la seule méthode. Je veux dire la méditation telle qu’on nous enseigne
à la pratiquer. Mais je vais te dire une chose. Pendant puja, la tête doit
s’incliner dans une attitude de soumission. Si tu es conscient de pratiquer

139
→ sommaire Mon Maître

puja, alors ce n’est pas puja. Je vais te dire encore une chose. Dans puja,
nous allons vers Dieu pour recevoir sa grâce. Dieu a tout. Après tout, il
est Dieu ! Aussi a-t-il toute chose ; mais que se passe-t-il lorsque nous
allons vers lui ? Nous y allons avec de petits sacs. Que peut-il mettre à
l’intérieur d’un sac si petit ? Nous devons donc devenir des vases dignes
de sa grâce. Ce point est essentiel et c’est ce que nous faisons par notre
pratique de méditation et de cleaning. Nous sommes transformés en
vases prêts à recevoir sa grâce lorsqu’il souhaite la déverser en nous. »

« Je veux te dire autre chose. Les gens parlent de la recherche de Dieu.


A mon avis ce n’est pas une bonne expression. Si tu cherches quelque
chose, cette chose se cachera de toi. S’il y a recherche, alors la distance
entre toi et la chose recherchée ne fera qu’augmenter. Quand je sais
que Dieu est là, comment peut-il être question de le chercher ?
En réalité, rechercher Dieu signifie se chercher soi-même. Autrement dit,
l’idée de recherche doit être éliminée. A quoi bon passer toute sa vie à
chercher ? Nous devons faire, non pas chercher. » Le Maître eut un
grand éclat de rire et continua : « Comme si, sachant que ton fils est
chez toi, tu allais le chercher au marché ! Je te dis encore ceci : cherche
chez toi, dans ton cœur et tu Le trouveras ! »

Un jour, alors que le Maître se trouvait à Madras, je pris un


sitting individuel avec sœur Kasturi. Le sitting était très profond. Je
me sentis plonger de plus en plus profondément dans une sorte
d’état de non-conscience. Au point le plus élevé de cette sensation,
je me retrouvai dans une obscurité totale. Il y avait face à moi un
point luminescent. Je sentis que je m’en approchais rapidement.
Je regardai en arrière et découvris que je me déplaçais rapidement
sur des sortes de rails. Je sus que je me trouvais dans un long tunnel.
Je regardai à nouveau en avant, continuai d’avancer rapidement
et soudain je me trouvai debout hors du tunnel, sous un soleil
éclatant. Non loin de moi je découvris une très grosse boule de
cristal. De là où je me trouvais, je regardai à l’intérieur et j’y vis
le visage et la silhouette de mon Maître. Comme je marchais en
direction de cette boule et arrivais à mi-distance, je découvris que
l’image de mon Maître s’était changée en celle de Lalaji, le grand
Maître. Je continuai à marcher dans la même direction. Comme
j’arrivais à sa hauteur, je vis que l’image avait de nouveau changé.
Lalaji avait disparu et ce que je découvris fut mon propre visage !
Je fis aussitôt part de cette expérience au Maître. Il en fut très

140
Le cadeau de la libération → sommaire

heureux. Puis il sourit et dit : « C’est une très bonne expérience. Il est


dit qu’il faut se perdre soi-même afin de trouver Dieu mais en réalité,
tu te perds toi-même pour retrouver ton Soi. Ceci est la vérité et je suis
heureux que tu aies fait cette expérience dans la méditation  ! Voilà la
grâce de Lalaji. »

Plus tard dans la même soirée, pendant un court instant où


il était seul, le Maître revint sur mon expérience : « La méditation
est le seul moyen. Mais il faut la faire correctement. Méditer signifie en
réalité que le mental doit être habitué au Centre lui-même plutôt que
d’être occupé ailleurs. A l’échelle humaine, le mental vagabonde çà et là,
nous entraînant avec lui. Il se nourrit de nous ! Mais par la méditation
nous le mettons au point et commençons à travailler sous ses ordres. Je
te dis une chose importante. Le mental est l’instrument de la réalisation.
C’est également l’instrument de notre chute. Maintenant les gens parlent
de concentration. La concentration est la méthode qui conduit à la
révélation. La méditation est celle qui nous mène à la réalisation. La
concentration peut révéler la nature de l’objet ou de la chose sur laquelle
on se concentre mais elle ne peut pas conduire à la réalisation. Si tu veux
connaître la condition d’un abhyasi, concentre-toi seulement sur lui et
la condition se présentera à toi. Vérifie avec le cœur et il t’indiquera si ta
lecture est exacte. Une autre chose très importante. La concentration peut
tout révéler, sauf Dieu. Si tu te concentres sur Dieu, tu ne peux pas le voir
puisqu’il y a absence de pensée ! Seul le Divin peut voir le Divin ! Ce qui
arrive, c’est que les gens désirent atteindre leur but. Mais la principale
difficulté est qu’ils tournent le dos au soleil et qu’ensuite ils le cherchent.
Qui est à blâmer s’ils ne trouvent que l’ombre et non la Réalité ? Si tu
veux aller vers le soleil, ferme les yeux et ensuite marche vers lui. Marche
avec foi. Après cela la question suivante est de savoir : comment marcher
les yeux fermés ? Il se peut que tu trébuches et tombes. Aussi te faut-il
l’assistance de quelqu’un pour te guider. Tu as besoin d’un maître qui
peut marcher vers le soleil, les yeux ouverts et qui peut te mener en toute
sûreté vers ton but. »

Poursuivant sur le même sujet, le Maître dit : « Le Maître doit


être un guide compétent, quelqu’un qui a lui-même parcouru ce chemin
et atteint la destination, sinon cette personne ne saurait servir de guide.
C’est pourquoi nous devons être prudent quant au choix d’un guide. Une
telle personne doit elle-même avoir fusionné avec l’Ultime. Celui-là seul
peut alors nous aider. Un guru est au service des autres mais, de nos jours,

141
→ sommaire Mon Maître

il est difficile de trouver une personne qui soit prête à servir l’humanité.
Les gens sont plutôt prêts à se servir eux-mêmes. Je vais te raconter une
bonne histoire. Un jour, quelqu’un vint voir un guru et le pria de l’accepter
comme son disciple. Le guru posa beaucoup de conditions : il dit que le
chela devait se réveiller tôt le matin pour préparer le petit déjeuner du
guru, qu’ensuite, il devait lui laver ses vêtements, préparer le déjeuner et
s’assurer que tout était prêt. L’après-midi, pendant que le guru se reposait,
il devait lui masser les pieds et ainsi de suite. Cette personne l’écouta
patiemment. Lorsque le guru eut terminé, elle lui dit tranquillement  :
“S’il vous plaît, acceptez-moi comme votre guru.” N’est-ce pas une bien
bonne histoire ? Il n’y a pas de mal à ce que le disciple offre un service
personnel au maître, mais le maître ne doit pas le demander. Lorsque
le disciple a besoin d’un service personnel, le maître doit être disposé à
le lui offrir. C’est en cela que réside la véritable humilité et l’abandon.
Celui qui s’est abandonné à l’Ultime doit sentir qu’il s’est abandonné à
la création tout entière. C’est le véritable état d’abandon. En réalité, la
fusion commence avec l’amour et l’abandon commence avec l’amour et
la dépendance. N’essaye pas de t’abandonner car lorsque tu essayes, le
moi est présent. La vraie manière de s’abandonner est d’être dépendant.
Essaye de créer une dépendance totale. Je te dis une chose. L’abandon est
complet seulement lorsque tu te sens toi-même abandonné à chaque être,
même si c’est un imbécile ou un animal. Un véritable état d’abandon
rend l’absorption par le Divin possible et lorsque celle-ci se produit,
alors chaque cellule du corps devient énergie, puis atteint son état parfait
absolu, c’est-à-dire qu’elle devient divine ! Le Maître prépare le terrain.
Le Divin effectue le travail de transformation de la matière en énergie et
de l’énergie en son absolu. Vois-tu la merveille de ce travail ? Tout cela
se produit dès que l’on attire le regard du Maître. Que savons-nous de
Dieu ? Une approche directe de Dieu n’est pas possible. Seul un guide
d’envergure peut conduire un abhyasi à Dieu. »

« Dieu est l’être le plus subtil qui soit et tu dois essayer de devenir le
plus subtil possible, ajouta le Maître. Plus tu deviens subtil mieux cela
est car, par cette méthode, tu te rapproches de Dieu. En conséquence, fais
ton possible pour devenir plus subtil. Les problèmes que je rencontre
chez un abhyasi ne durent que le temps que celui-ci met pour traverser
le pin-pradesh ou région du cœur1. Tout le travail s’effectue dans cette

(1) : Voir appendice

142
Le cadeau de la libération → sommaire

région seulement. Aussi faut-il beaucoup de temps pour y faire le travail.


Une fois que la région du cœur a été franchie, mon travail devient facile.
Lorsque les anneaux de splendeur sont traversés, je n’ai alors plus rien
à faire avec l’abhyasi. Après cela, la Nature prend le relais pour faire le
travail. Maintenant tu peux poser la question : “Si la Nature prend le
relais une fois les anneaux de splendeur franchis, pourquoi la Nature ne
peut-elle pas faire le travail dans les régions les plus basses de la même
manière ?” Ce n’est pas une question importante. La Nature peut sans
aucun doute faire le travail, mais quelques personnes ont la “permission”
de le faire, voilà tout. De telles personnes sont des maîtres d’envergure,
car lorsque la permission pour faire ce travail est donnée, le pouvoir
pour le faire est aussi donné automatiquement. Ceci est un secret de la
Nature : lorsque le travail est donné, le pouvoir nécessaire pour le faire
est donné avec. »

Un jour, Shri Ishwar Sahai parla de la réalisation. La façon


de la concevoir me plut beaucoup. Il me dit  :  «  Qu’est ce que la
réalisation ? La plupart des gens ne savent pas ce que cela veut dire.
Certains pensent que la réalisation c’est lorsqu’ils ont un sentiment
de paix, de shanti. D’autres pensent que c’est la réalisation si, par
leur pratique, ils obtiennent un peu de bonheur. Mais tout cela
n’est pas correct. La réalisation signifie : devenir tout ce que Dieu
est et avoir tout ce qu’il a, c’est-à-dire devenir divinisé. Voilà ce
que veut réellement dire la réalisation. »

J’ai entendu plusieurs personnes parler sur ce sujet, mais


souhaitant entendre le Maître lui-même sur ce que la réalisation
signifie vraiment, je lui demandai de me l’expliquer. Il me
dit  :  «  La réalisation est une chose telle que si quelqu’un découvrait
son secret, ce que c’est réellement, il n’en voudrait pas. Je vais te dire
quelque chose. Lorsque j’étais abhyasi, je demandai un jour à mon
Maître, Lalaji Maharaj : “Monsieur, vous avez passé beaucoup de temps
et vous avez fait tellement d’efforts pour moi et, de mon côté, j’ai fait des
efforts considérables. Avons-nous fait tout ceci seulement pour cela ?“
Lalaji répondit : “Oui, tout ceci a été fait seulement pour cela. Mais vous
me semblez faire peu de cas de cette condition. Puis-je vous poser une
question? Si je devais vous priver de cette condition seulement pendant
cinq minutes, comment vous sentiriez-vous  ?” Je dis à mon Maître  :
“Plutôt mourir que connaître cela !” Lalaji répondit alors : “Voyez-vous,
la réalisation est une condition telle que nous pourrions peut-être penser

143
→ sommaire Mon Maître

qu’elle est sans valeur, mais sans cette condition, notre existence même
serait impossible !” Mais, ajouta le Maître, je ne suis pas encore prêt à
en révéler le secret. Néanmoins je te dirai ceci. Si l’on peut expliquer la
réalisation, ce ne sera plus la réalisation. Si Dieu peut être expliqué ou
défini, il cesse d’être Dieu. La réalisation et Dieu ne peuvent être délimités.
Je te donne cet indice ! Juste une chose encore : lorsque quelqu’un a atteint
l’état de réalisation, son soi est alors dissous. A ce stade, si tu essaies de
méditer, le soi ne te viendra pas du tout à l’esprit. »

Un jour, je fus désireux de savoir comment la libération peut


se faire ou plutôt comment procède le Maître. Il rit et dit : « Est-
ce tout  ? La libération est peu de chose. Je te dis que chaque abhyasi
sincère de la Mission l’obtiendra. Mais ce n’est que le commencement de
la spiritualité. La libération peut donner une certaine idée de la liberté
que les gens désirent intensément. Mais qu’est-ce que la liberté ? Je vais
te dire une chose : les voleurs sont tous mis en prison et enfermés. Les
geôliers qui les gardent sont aussi à l’intérieur de la prison. Mais les
uns se sentent prisonniers alors que les autres pensent qu’ils sont libres.
Comprends-tu la différence ? En réalité prisonniers et geôliers sont en
prison, mais certains se sentent libres  ! Donc cette idée de liberté est
bien dans le mental. Mais je te dis que le geôlier a l’idée de liberté alors
qu’il est réellement en prison. C’est donc que la vraie liberté n’existe que
lorsqu’il y a liberté de la liberté elle-même. »

Je demandai au Maître d’expliquer si la mort pouvait être


considérée comme une libération en elle-même. Certains sentent
qu’il en est ainsi.  «  La mort, répondit le Maître, ne résout pas les
problèmes de la vie, mais crée des complications pour la prochaine vie.
La mort nous conduit à un autre état pour que nous ne sentions pas la
continuité de nos afflictions. Il doit y avoir un intervalle entre cette vie-
ci et la prochaine à venir. Les hommes sont enfermés dans des cachots.
Mais s’ils restent pendant des années dans un cachot obscur, ils auront
besoin d’un changement. Alors on les fait sortir de temps en temps pour
faire de l’exercice avant qu’ils n’y retournent à nouveau. C’est cela la
mort. A vrai dire, seuls les imbéciles meurent, les saints ne meurent
pas. Les saints sont éternels dans leur état d’être. Ainsi, la mort a une
valeur pour les autres personnes tourmentées. Pour les saints, c’est sans
objet. Maintenant je vais te dire quelque chose de très important : notre
véritable objectif devrait être la vie dans la vie. »

144
Le cadeau de la libération → sommaire

Un jour, j’écrivis une lettre au Maître à propos de cette idée


de liberté, disant que je ne me sentais pas libre du tout et je lui
demandai des éclaircissements. Il me répondit ceci : « Pourquoi te
soucies-tu de la libération puisque tu libères toi-même quelque chose
pour le bien d’autrui ? Ce que tu me demandes montre qu’il y a de la
liberté en toi mais que le sentiment de liberté est absent. Je pense que
tu désires développer un sentiment de ce genre en toi. C’est-à-dire que
tu veux voir l’œil avec l’œil ! Ne te préoccupe pas de ce qui se passe !
N’attends pas de voir ce qui va se passer ! A mon avis la liberté est inutile
si elle te donne l’idée de la liberté. Avoir la liberté et la ressentir sont
deux choses qui ne peuvent coexister. Si la liberté est là dans sa forme
dépouillée, le sentiment d’être libre sera absent et vice-versa. »

Quelque temps après, peut-être quatre ou cinq mois plus


tard, j’eus l’occasion d’écrire au Maître pour lui faire part d’un
état de paresse particulière qui s’installait en moi. Dans ma
lettre, j’appelais cela de la paresse, mais c’était réellement une
profonde aversion pour toute activité quelle qu’elle fût. Dans un
sens, j’éprouvais une certaine béatitude mais je voulais que le
Maître éclaircisse cette condition. J’en parle ici car ceci se rattache
au sujet de la réalisation. Le Maître m’écrivit  :  «  Au moment de
la réalisation, un homme devient généralement paresseux. Il aime
vivre dans un endroit où il y a absence d’activité. Dans un tel cas, la
personne concernée devrait veiller à ce que la paresse ne devienne pas
prédominante et qu’en conséquence son travail n’en souffre pas. La
paresse est la vie de l’âme et l’activité la vie de l’ego. Les deux
devraient être modérées.  »  Quelque temps après, je rencontrai le
Maître et discutai à nouveau de cela. Il rit et dit : « Ne t’inquiète pas
à ce sujet. C’est une très bonne condition pour laquelle on doit beaucoup
prier, même les sages. Je vais te dire une chose encore : je suis moi-même
très paresseux mais je fais beaucoup de travail dans cette condition. En
fait, il y a de l’activité dans l’inactivité et c’est la plus haute forme de
travail. Seulement un sankalp au début est nécessaire pour que telle et
telle chose soit faite et elle est faite. On peut même en fixer le temps, dire
qu’elle devrait être achevée en tant d’heures ou tant de jours et cela se
passera exactement ainsi. Cependant la volonté doit être présente, une
ferme volonté sans faille. Par la grâce de Lalaji, tout cela est possible. »

Ce “calme” ou “repos” du mystique contemplatif a toujours


émerveillé le monde. Il est apparemment contradictoire qu’une

145
→ sommaire Mon Maître

personne au repos puisse travailler de manière telle que même


la personne la plus active ne puisse l’égaler. Van Ruysbroek
écrivit  :  «  Le calme paradoxal du contemplatif n’est que la
tranquillité extérieure, essentielle à son travail intérieur. Dieu
est éternel repos ! Ce qui, pour nous, est de l’action, est du repos
pour lui.  »  Comme le dit Evelyn Underhill  :  «  Le paradoxe des
mystiques réside en ce que la passivité vers laquelle ils semblent
tendre est en réalité un état de la plus intense activité  : mieux
encore, là où cette passivité est entièrement absente, aucune
action créatrice importante ne peut avoir lieu.  »  Jakob Böhme a
écrit : « La passivité de la contemplation est alors un préliminaire
nécessaire de l’énergie spirituelle ; un nettoyage indispensable du
terrain. Elle retire des rivages des sens, la marée de la conscience
et arrête la roue de l’imagination. » Maître Eckhart résume le point
de vue des mystiques de la façon suivante  :  «  En nous coupant
du plan temporel, sorte de réalité inférieure, la contemplation
donne la possibilité d’accéder au plan éternel et aux pouvoirs qui
peuvent communiquer avec ce plan. »

Toutefois, la meilleure clé de ce mystère est fournie par le Maître


lui-même avec son principe d’invertendo. Le voici très simplifié :
toute chose telle qu’elle se manifeste à un niveau inférieur
manifeste son contraire à un niveau supérieur. Par conséquent, ce
qui paraît être une action au niveau ordinaire apparaît comme de
l’inaction à un niveau supérieur. Je crois que c’est l’explication la
plus simple et la plus claire de cette loi cosmique que le Maître a
énoncée pour nous.

Le Maître enseigne un grand secret pour que nous progressions


rapidement vers notre but  : nous devrions détruire notre
petite création personnelle qui nous assujettit à elle et à ce
monde. «  Détruisez votre propre création et Dieu vient  ! Toute chose a
une base. Si vous détruisez cette base, le Divin vient alors. » Ce grand
secret me fut révélé alors que je rapportais au Maître un rêve très
net que j’avais fait. J’avais rêvé que j’étais assis auprès de mon
Maître. Soudain deux œufs ou deux choses semblables à des œufs
tombèrent de ma bouche et deux serpents en sortirent. C’étaient
deux longs serpents noirs. Le Maître me dit  :  «  Ne les laisse pas
revenir en toi ! C’est ton travail ! Pour cela je ne peux rien faire ! » Je fis
immédiatement appel à toute la force de ma volonté, transmis et

146
Le cadeau de la libération → sommaire

coupai les serpents en pièces et les jetai au loin. Interprétant ce rêve,


le Maître m’écrivit : « C’est un très bon rêve et de plus révélateur. L’un
des œufs est réel et sa destruction indique que pour toi la possibilité d’une
vie prochaine est maintenant détruite. L’autre œuf représente ta propre
création et sa destruction montre que ta création elle aussi a été détruite.
C’est vraiment un très bon rêve ! » En conclusion il donna ce conseil
très significatif : « Détruis ta propre création, Dieu vient ! Pour chaque
chose, il y a une base. Si tu détruis la base, alors le Divin viendra. »

J’ai dit que la libération est un “cadeau”, un cadeau du Maître.


Un jour, il me dit que le moment le plus adéquat, ou celui qui
offre le plus de facilités pour la libération, est celui de la mort. Il
dit : « Au moment de la mort, il est très facile de libérer quelqu’un. Je n’ai
qu’à le prendre simplement et à le mettre là-haut. » En disant cela, il
indiqua par un geste le passage d’un niveau inférieur à un niveau
supérieur, comme lorsqu’on déplace un flacon d’une étagère basse
sur une étagère plus haute ! « Plus tard cela devient difficile, l’âme
ne doit pas s’être réincarnée. Supposons qu’elle se soit réincarnée et que
je la libère, la personne en qui elle sera de nouveau incarnée mourrait.
Vois-tu la difficulté ? Et si l’âme s’est réincarnée plusieurs fois, il n’y a
plus rien à faire. C’est la raison pour laquelle je dis : essayez de l’obtenir
dans cette vie même. Comment savoir si le Maître sera disponible pour
vous servir au moment exact de votre mort ? Alors essayez maintenant !
Je vais te dire une chose : le cœur est le cœur s’il est tourné vers
Dieu. L’âme est l’âme si elle se jette dans la Réalité ultime.
Nous devons essayer d’atteindre l’état immuable. Lorsque nous avons
un but comme celui-là, alors des changements sont nécessaires. Les
changements développent la puissance nécessaire à notre croissance
ultime. Les gens intelligents sont nombreux, mais ils n’essaient pas
d’atteindre ce qui est le plus important. Ces gens-là ne sont pas vraiment
intelligents. Connais-tu ma définition de l’intelligence ? L’intelligence
est ce qui est tangible intérieurement. J’appelle intellectuel
celui qui est intérieurement talentueux et lorsque le talent fait
une recherche intérieure. Un tel homme est intelligent en vérité ! »

La générosité du Maître est si extrême qu’on ne peut la qualifier


autrement que de divine. La Mission est pleine d’abhyasis qui, par
la grâce du Maître, ont atteint le point de libération et poursuivent
leur évolution sous sa conduite divine. Cela, nous pouvons le
considérer comme le service que le guru doit à l’abhyasi. Que dire

147
→ sommaire Mon Maître

des cas où le Maître a libéré des âmes pour des raisons autres que
le fait d’avoir effectué des abhyas sous sa conduite ? De tels cas
témoignent de son extrême générosité envers ceux qui sont venus
se placer sous sa protection. Mais ayant dit tout cela, il n’en demeure
pas moins que la libération demeure un accomplissement d’un
ordre inférieur par rapport à l’étendue des possibilités offertes
par le système yogique du Sahaj Marg. Je cite à nouveau le Maître
pour éclairer ce point de vue. « Le but le moins élevé de l’existence
humaine est la libération et, cependant, on considère cela comme un
summum, suffisant de surcroît. Mais le plus heureux est celui qui avance
plus loin dans le royaume de Dieu. A mon sens, la libération est une
vision très étroite de la Réalité car nous devons aller de l’avant sans
cesse pour atteindre l’ultime destination de l’homme. Quand le charme
de la libération est présent, nous oublions l’étape suivante, la véritable
étape, et c’est une erreur très courante parmi les êtres humains. C’est
également la faute du Maître s’il n’encourage pas ses disciples à tendre
vers le Plus Haut, ce que nous appelons layavastha ou absorption en
Brahman. Lorsqu’un homme arrive dans la région centrale et traverse les
sept anneaux de splendeur, il entre dans l’état sans état. Puis il continue
plus avant. A ce stade, c’est l’aube de la sagesse divine suivie enfin par
la vision de l’absolu. Toutefois, ce n’est pas la fin du voyage car ensuite
vient l’étape de layavastha. Ce que je viens de décrire est le travail de
Dieu. Lui seul peut le faire. Bien que ce soit la fin de toutes nos activités,
quelque chose demeure pourtant. C’est ce que j’ai appelé “nager dans
l’Infini”. Lorsque commence layavastha en Brahman, il se produit une
rotation très rapide sous le nombril et là, il faut un contrôle. C’est le
travail du Maître. Par la suite, ce même mouvement rotatif s’élève et
atteint, par étapes, la proéminence occipitale. A partir de ce moment-là,
le processus est achevé ! Parfois une petite force continue d’agir dans le
cerveau, mais cela diminue petit à petit. Nous avons maintenant atteint
une condition qui est rarement donnée à des êtres humains. Elle est
accordée à celui-là seul qui est mort au monde et vit pour Dieu seul. En
d’autres termes, un tel être devient un “mort vivant”. Aucun bhakti ou
tapas ne peut conduire quelqu’un à un tel résultat. Le seul moyen est de
nous attacher à un maître qui a atteint cet état sans état, écartant tout
autre culte excepté celui de Dieu absolu dans sa forme pure. »

La libération est seulement un cadeau et un cadeau bon marché


comme l’affirme le Maître lui-même. Quand nous demandons
cela, nous sommes de simples mendiants, bien que mendiant un

148
Le cadeau de la libération → sommaire

bien supérieur aux profits matériels. L’essence de l’enseignement


du Sahaj Marg est que nous devrions rechercher le Maître
seulement pour lui-même et non pour ce qu’il peut nous donner.
Nous ne devrions rien solliciter venant de lui, mais lui demander
qu’il se donne à nous. C’est un tel aspirant qu’un maître attend
avec grande impatience, espérant envers et contre tout qu’un tel
être viendra. Comme le Maître me l’a dit une fois avec presque du
chagrin dans la voix : « Il est moins difficile de trouver un vrai maître
que de trouver un vrai disciple. C’est une chose très rare ! »

Il y a plusieurs années, alors que j’étais à Tirupati pour l’inau-


guration d’un ashram de la Mission qu’on venait d’y construire,
j’entendis une histoire très belle et très émouvante concernant
Sœur Kasturi. Au cours d’une de ses premières visites à Tirupati
avec le Maître, quelqu’un avait offert de la conduire à Tirumalai et
de lui montrer le fameux temple où les pèlerins, venus de tout le
pays, se rendent par milliers tout au long de l’année. On raconte
que Sœur Kasturi sourit, pleine de sérénité, désigna le Maître et
dit : « Puisque je suis avec le Créateur lui-même, qu’ai-je besoin
de regarder sa création ? »

La supplication immortelle de Rabia, le grand mystique soufi,


est ici de circonstance :

« Ô Dieu ! Quelle que soit la part de ce monde


dont tu m’as fait don,
donne-la à tes ennemis
et quelle que soit la part du monde à venir
dont tu m’as fait don,
donne-la à tes amis,
Toi seul me suffit.
Ô Dieu ! Si je te révère dans la crainte de l’enfer,
brûle-moi en enfer,
et si je t’adore dans l’espoir du paradis,
chasse-moi du paradis.
Mais si je t’adore pour toi-même,
ne me refuse pas ton éternelle beauté ! »

Que nous puissions atteindre Dieu seulement par l’intermédiaire


du guru est la seule très grande vérité que l’hindouisme ait enseignée

149
→ sommaire Mon Maître

toujours et encore. Le guru est Dieu, dit cette religion très profonde.
Nous devons en réaliser la vérité dans nos vies.

J’eus un sitting individuel avec Sœur Kasturi vers la fin de


1972 si je me souviens bien. Quelque chose faisait obstruction au
début, j’eus l’impression qu’un rouleau compresseur bloquait
mon chemin. Au bout d’un moment, je surmontai cet obstacle et
continuai. Je me trouvais face à un personnage imposant, assis
comme Bouddha, juste dans mon chemin. Il était de couleur
dorée, d’un aspect magnifique. Son visage rayonnait d’une beauté
hors de ce monde et reflétait l’éclat doré du soleil. C’était Lalaji
le grand Maître. Il me sembla alors tomber en avant et tomber
complètement en lui. A ce moment-là, le sitting s’acheva.

Je racontai cela à Sœur Kasturi. Elle me dit  :  «  Oui, il y a eu


une obstruction initiale, je l’ai vue comme une charrette à bras
barrant votre chemin. Votre expérience de Lalaji est correcte. Quel
merveilleux chemin est le nôtre  ! Frère, un grand secret vous a
été révélé aujourd’hui. Lorsqu’on commence à atteindre laya
avec notre Maître, on réalise automatiquement laya avec
Lalaji. C’est l’important secret révélé par cette expérience. » Plus
tard, je réfléchis à cela et en un éclair, m’est venue à l’esprit
comme une révélation  : en fait cela signifierait alors, que nous
atteignons automatiquement laya en Brahman, puisque le Maître
et le grand Maître ont tous deux atteint layavastha en Brahman.
Cette expérience me fut donnée par la grâce du Maître, pour me
prouver dans ma propre expérience consciente que laya avec le
Maître n’est en fait que laya en Brahman.

De Dieu nous ne savons rien. Nous ne savons ni comment ni où le


rechercher. Mais le guru est celui qui nous est envoyé précisément
pour nous enseigner comment, à travers lui, le trouver et fusionner
avec Lui ! Selon les paroles immortelles de Saint Augustin :

« L’homme est ce qu’il aime.


S’il aime une pierre, il est une pierre,
s’il aime un homme, il est un homme,
s’il aime Dieu, je n’ose en dire plus
car si je disais qu’en fait il est Dieu,
peut-être me lapideriez-vous ! »

150
Le cadeau de la libération → sommaire

Je terminerai cet ouvrage sur une prière du poète anglais


William Blake, un grand mystique occidental :

« Ô Sauveur ! Imprègne-moi
de ton esprit d’humilité et d’amour.
Annihile l’individualité en moi,
sois toute ma vie ! »

Puisse le Maître nous donner de sa propre sagesse divine, nous


permettant de chercher Cela que seul nous devrions chercher et
de trouver Celui seul que nous devons trouver.

151
→ sommaire
→ sommaire

POST SCRIPTUM

Dans la soirée du 15 mai 1974, je donnais un sitting collectif au


centre de la Mission à Madurai. Depuis le début de la méditation,
quinze minutes s’étaient écoulées et le groupe était silencieux.
On n’entendait ni souffle, ni murmure. Un calme régnait sur
l’assemblée. C’était une tranquillité très apaisante, chacun étant
parfaitement détendu et absorbé. A ce moment-là, il me sembla
sentir la présence du Maître près de moi. J’entendis une voix
comme si elle vibrait en mon cœur. Dire que c’était une voix
ne serait peut-être pas tout à fait juste. Il ne s’agissait pas d’un
son comme nous l’entendons avec nos oreilles. C’était plutôt
à l’intérieur du cœur, une vibration que je percevais au niveau
sensoriel comme un son. Le Maître me dit ceci  :  «  Beaucoup ont
écrit sur la Mission et beaucoup a également été écrit sur la méthode.
Maintenant écris quelque chose sur le Maître. »

C’était un commandement auquel je me hâtai d’obéir. Je


commençai le travail à Munnar deux jours plus tard, le vendredi 17
mai, me sentant un peu coupable d’avoir déjà perdu deux jours.

Le travail fut achevé le 23 août. C’est ainsi qu’à la demande


expresse de mon Maître, ce livre vous est parvenu.

153
→ sommaire

Le Maître a enseigné que l’on peut se montrer possessif à


l’égard de trois choses dans cet univers : le Maître, sa Mission et
sa méthode.

Ce livre est donc intitulé : “Mon Maître”.

Pour ma part, la rédaction de cet ouvrage a été un plaisir


absorbant et une révélation. Je prie pour qu’il en soit de même
pour vous.

Madras 1er décembre 1974

P. Rajagopalachari
→ sommaire

Appendice

(Ch 6)
La région du cœur : « Les gens pensent généralement que le
cœur est uniquement fait de chair et de sang. Lorsque l’idée du
cœur leur vient à l’esprit, ils le situent au niveau du cœur composé
des éléments cités plus haut. Ceci est l’une des limitations qui
empêchent de voir la région du cœur au sens large. Il s’agit en
réalité d’un vaste cercle recouvrant tout : l’intérieur et l’extérieur.
Tout ce qui est après le Mental originel appartient à la région du
cœur.Tous les lotus ou chakras sont situés à l’intérieur de ses limites.
Autrement dit, on peut tout à fait les considérer comme faisant
partie de cette vaste région. Les étapes de l’approche humaine
y sont dissimulées ; la supra-conscience y réside, sushupti en fait
partie. Dans cette région, nous sommes comme des poissons dans
l’eau. Le stade de l’intercommunication avec les âmes libérées
du monde plus lumineux commence à cet endroit. Le mental
individuel joue son rôle dans cette région. C’est l’artère principale
de Dieu. Nous ne pouvons L’atteindre sans la traverser.  » Ram
Chandra, L’efficacité du raja yoga, publié dans Œuvres complètes,
tome 1, Le Sahaj Marg, une nouvelle tradition spirituelle.

(Ch 6)
La région du mental : « Après avoir traversé la région du cœur,
nous entrons dans le Mental originel ou Supra-mental de Dieu.
Aucun mot ne peut exprimer la condition que l’on perçoit ici. Seuls
certains symptômes nous donnent une idée de cette vaste région.
Ce que l’on acquiert dans la région du cœur est au-delà de toute
conception. A présent nous abordons le stade supérieur. L’essence

155
→ sommaire Mon Maître

de la région du cœur y réside. La forme actuelle de l’univers est due


aux actions de ce grand Mental. Elles sont tout pouvoir, sans fusion
ni lumière. Nous avons dit que le calme demeure prédominant
dans la région du cœur, lorsqu’il apparaît dans sa forme originelle.
Le genre de calme qui prévaut ici est au-delà de toute conception,
mais pour l’exprimer d’une façon ou d’une autre, je dirai que si
le calme qui règne dans la région du cœur était raffiné, il pourrait
grossièrement exprimer le type ou la nature du calme de la région
du mental. Il ne reste désormais qu’une idée du calme ; en d’autres
termes, l’état d’oubli du calme règne ici, or ce n’est pas la seule
chose à acquérir... » Ram Chandra, L’efficacité du raja yoga, publié
dans Œuvres complètes, tome 1, Le Sahaj Marg, une nouvelle tradition
spirituelle.

(Ch 8) :
La Région centrale : Après avoir traversé la région du mental,
on arrive à la région centrale. La supra-conscience du type le plus
raffiné se manifeste dans cette région. (…) Voici maintenant la fin
de toutes nos activités et nous sommes à présent entré dans la
région de Dieu, sous sa forme pure. Notre but est atteint et, en elle,
nous sommes admis. Le Soi est réalisé. Nous sommes au-dessus
de la conscience qui existe et réside dans la région du cœur et de
sa potentialité qui prend racine dans la région du mental. Nous
sommes maintenant libres du cycle sans fin des renaissances.

Les gens peuvent qualifier cette étape de vérité. En fait, ce


n’est pas réellement à la vérité que nous sommes arrivé. La vérité
a été laissée derrière et nous ne sommes plus sous sa sphère
d’influence. La vérité porte en elle le sens de quelque chose qui
n’est pas là. En réalité, la vérité est le déchet de la condition décrite
comme “Rien-té”.

(…) La Vérité a sa propre définition. Mais ce à quoi nous devons


finalement parvenir est au-delà de toute chose.

Avant la découverte de la région centrale, la vérité prédominait


dans presque tous les esprits. La Vérité est partout, à chaque étape
du développement humain. Dans la science spirituelle, les gens
utilisent en général ce terme pour qualifier les choses comme
réelles. Tout ce qui est éloigné de la matière peut être nommé

156
Appendice → sommaire

vérité, c’est-à-dire que ce qui reste là où prend fin la matière,


est nommé vérité. Mais comment appelleriez-vous l’endroit où
les deux cessent  ? Pourriez-vous l’appeler vérité  ? Non  ! Car
lorsque la matière ou solidité prend fin, une activité spécifique
ou stimulus se manifeste – chaitanyata. Si vous allez plus loin et
traversez les deux, vous atteignez le niveau d’où ces choses sont
venues. Tant que vous ne les traversez pas, vous restez dans les
limites de la Vérité. Quand vous la traversez, elle disparaît aussi et
seule demeure l’inactivité ou Rien-té.

(Ch10)
Le raja yoga : « Le raja yoga est l’antique système, ou science,
suivi par les grands rishis et les saints pour les aider à réaliser le
Soi ou Dieu. Répandu en Inde bien avant l’époque du Ramayan, il
fut d’abord introduit par un grand rishi qui vécut soixante-douze
générations avant Raja Dashrath de la dynastie Suryavamsh,
dynastie du soleil ou surya. Il voua la majeure partie de son temps
à réfléchir intensément, afin de découvrir la véritable méthode
pour atteindre la libération qui permettrait aux problèmes de
la vie d’être aisément résolus. Etant principalement relié au
Centre lui-même, il nageait dans la région centrale, telle qu’elle
est décrite dans ce livre. Son état était proche de celui de la
Personnalité qui œuvre actuellement pour le changement requis
par la nature. Après avoir longuement réfléchi sur le sujet, ce
grand sage découvrit enfin la méthode qui aboutit à ce qui est
connu sous le nom de raja yoga. Alors qu’il se trouvait en contact
étroit avec le Centre, il découvrit la réalité du monde ainsi que sa
cause ou force toujours existante. Il découvrit que c’est la mise
en mouvement ou vibration d’une force provenant de sous le
Centre, qui engendra l’existence du monde actuel. Cette pensée-
impulsion est, en d’autres termes, l’upadan karan ou kshobh. Enfin,
il parvint à la conclusion qu’il s’agit là de la conséquence du
pouvoir qui est similaire ou identique au pouvoir de la pensée
chez l’homme. Il en déduisit naturellement que la pensée pouvait
engendrer de tels résultats et que son pouvoir est illimité. Se
servant alors du pouvoir de la pensée dont nous fûmes dotés, il
commença l’entraînement.

Ceci est la base du raja yoga ou “roi des yogas”. L’élément royal
en nous est la pensée qui, à la fin, se développe et nous dirige

157
→ sommaire Mon Maître

vers notre but. Les sages, l’un après l’autre, l’ont améliorée et
développée au fur et à mesure de leur expérience pratique. La
pensée prend finalement la forme de la réalité et apparaît pour
ainsi dire sous sa forme nue. Tout ceci peut être vérifié par les
personnes dotées d’un haut niveau de clairvoyance. Cette science
peut être enseignée selon différentes méthodes mais le principe
directeur reste le même. Avec ce pouvoir ou cette force, nous
établissons un lien avec Dieu. Des améliorations ont parfois été
apportées par les grands sages pour faire évoluer cette méthode
selon les besoins du moment. » Ram Chandra L’efficacité du raja
yoga, publié dans Œuvres complètes, tome 1, le Sahaj Marg, une
nouvelle tradition spirituelle.

158
→ sommaire

GLOSSAIRE

A
Abhyas : pratique d’une discipline, d’une méthode. Eléments de
cette pratique.
Abhyasi : celui ou celle qui pratique les abhyas selon la méthode
enseignée par son Maître et qui suit ses enseignements.
Acharya  : littéralement, qui enseigne par son exemple. Maître
spirituel authentiquement qualifié.
Ahimsa : la non violence.
Ahimsa páramo dharmaha  : la non violence est le plus grand des
dharma.
Arjuna : un des Pandavas. Fils de Kunti Devi et d’Indra, le roi des
dieux. Fidèle compagnon et disciple de Shri Krishna, il est le
héros de la Bhagavad Gita qui est une partie du Mahabharata.
Ashram : ensemble des bâtiments où résident les disciples ; lieu
spirituel ou religieux où l’on trouve un apaisement loin du
“stress” de la vie quotidienne.
Avastha : condition.
Avatar : incarnation divine, en possession de pouvoirs divins. « Les
avatars viennent dans un but défini, dotés de tous les pouvoirs
nécessaires à l’accomplissement du travail qu’ils ont à faire...
Bien que l’origine de l’homme et de l’avatar soit la même,
l’avatar est en contact plus étroit avec le Divin. Tout ce dont il a
besoin lui arrive de l’éternelle réserve. Il reçoit les ordres divins
pour le guider dans son travail, ce qu’on appelle communément

159
Mon Maître

les inspirations divines (deva vani) ». Ram Chandra, Philosophie


du Sahaj Marg dans Œuvres complètes, tome 1, Le Sahaj Marg, une
nouvelle tradition spirituelle.
Awareness : être conscient de, avoir la conscience de...

B
Basant Panchami : de basant, le printemps et panchami, le cinquième
jour, le cinquième jour du printemps du calendrier lunaire.
C’est la date anniversaire de la naissance du grand Maître
Samarth Guru Shri Ram Chandraji Maharaj de Fatehgarh le
2 février 1873.
Bétel : sorte de chique à base de feuilles du même arbre, poivrier
grimpant de l’Inde.
Bhagavad Gita  : un des livres sacrés de l’hindouisme accepté
comme étant l’un des trois piliers de la tradition hindoue.
Ecrit sous la forme d’un discours fait par le Seigneur Krishna
à son disciple Arjuna sur le champ de bataille, il fait partie de
l’épopée du Mahabharata.
Bhakti : dévotion (amour de Dieu).
Bhog : souffrance ; le fait de subir les effets d’une action, processus
d’élimination des impressions (samskaras).
Brahman : l’Ultime.
Brahma-laya : dissolution dans le Brahman

C
Centre  : Ultime, point d’où est née toute chose (voir note sur la
région centrale dans l’appendice).
Chela  : celui (ou celle) qui est devenu(e) le (la) disciple d’un
instructeur spirituel ou guru.
Cleaning : de “to clean”, nettoyer. Processus de nettoyage.

D
Darshan  : bénédiction, regard du Maître, vision intérieure du
Maître.
Dharma : faire la chose juste à laquelle on doit se tenir.
Dhoti : pièce de toile ceinte autour de la taille.

E
Expand : dilater (pour un gaz, un liquide, un métal), se dilater, se
développer, s’accroître, augmenter, s’élargir, s’étendre. Ex.  :

160
Glossaire

“The expanding universe theory” : “La théorie de l’expansion


de l’univers”.

G
Garuda : coursier de Vishnu, figuré par un oiseau de proie à tête
humaine avec trois yeux et un bec d’aigle.
Ghee : beurre clarifié.
Gita : la Bhagavad Gita, une partie de l’épopée du Mahabharata au
cours de laquelle le dieu Krishna prodigue un enseignement
au guerrier Arjuna.
Gnana-kanda : deuxième partie des Vedas traitant de la connais-
sance divine. Se réfère spécialement aux Upanishads.
Grihastha : personne qui mène une vie de famille.
Grossness : grossièreté, lourdeur, opacité (mot que le Maître oppose
à subtil).
Guru : maître, guide, instructeur spirituel.

H
Hanuman : roi des Singes, un dévot de Rama.
Hatha-yoga  : selon Patanjali qui codifia les yogas, le hatha-yoga
est une des étapes préliminaires concernant exclusivement le
corps physique et n’agissant pratiquement que sur celui-ci.
Himsa : la violence ou les troubles.
Hookah : Pipe à réservoir d’eau.

J
Jivan-mokta : personne libérée durant le cours de sa vie.
Jivan-mukti : libération durant cette vie dans un corps physique.

K
Kabir (saint)  : poète et mystique Indien du XVème siècle, grand
réformateur de la société, dont se réclament les hindous et les
musulmans.
Kama : signifie à la fois amour et désir. Dans sa forme la plus élevée,
c’est l’amour ; dans sa forme la plus basse, c’est le désir.
Kanyakumari : ville située à la pointe sud de l’Inde.
Karma  : signifie littéralement “action”. Il est déterminé par
l’ensemble des samskaras puisque toute action du corps ou
du mental produit un effet. Il est épuré par l’effet de bhog.
Toute action dérive, comme effet, de causes antérieures.

161
Mon Maître

Normalement chaque effet devient à son tour la cause d’effets à


venir. Le karma est la série ininterrompue, l’enchaînement des
causes et des effets dont se compose toute activité humaine.
On ne peut s’en évader que par la libération.
Karma-kanda  : première partie des Vedas traitant des sacrifices
rituels aux dieux.
Karma-mantra : mantra supposé modifier le karma. Mantra chanté
dans l’oreille d’un mourant dans l’intention de le libérer du
cycle des renaissances.
Karmique : adjectif qualifiant le résultat du karma.
Krishna : Avatar, il est considéré comme la huitième incarnation
du dieu Vishnu. Krishna signifie « noir ». Krishna était noir. On
le représente bleu parce que c’est la couleur du brahmanda.
Krodha : colère.
Kurta : chemise de toile au col droit.

L
Laya : fusion, littéralement “immersion”, voir brahma-laya.
Layavastha  : condition de fusion, d’absorption totale (avastha  :
condition).
Libération/libéré  : la libération du cycle des renaissances. Traité
principalement dans le chapitre X.

M
Maha-pralaya : de maha, grand et pralaya, dissolution. La complète
dissolution en Dieu de l’univers qui selon Ram Chandra doit
survenir dans 52 millions d’années.
Mantra : de mana : mental et traya : protection. Hymne védique
censé renfermer un pouvoir. Vibration sonore spirituelle qui
a pour effet de libérer l’être en purifiant le mental de ses
tendances matérielles. Répété sans cesse, le mantra est censé
contrôler l’activité du mental. Dans le christianisme, on peut
considérer que les chants grégoriens ont une fonction similaire,
du fait de leur litanie apparemment monotone.
Moksha : le salut.
Mukti : mot communément utilisé pour désigner la libération. Fait
d’échapper aux lois strictes de la nature matérielle : naissance,
vieillesse, maladie, mort.
Mutts : littéralement : groupe ; désigne en général des monastères
où l’on s’adonne à des pratiques ascétiques.

162
Glossaire

P
Pandit : prêtre, personne lettrée.
Personnalité spéciale  :  «  La Nature demande actuellement un
changement, une remise en état complète et dans ce but, je peux
vous assurer qu’une personnalité spéciale est déjà née et travaille
depuis environ deux ans et demi. Les grands sages d’aujourd’hui,
de la plus haute valeur spirituelle, peu connus du monde en
général, œuvrent sous sa direction. (…) Le temps est proche où,
dès qu’il aura préparé le terrain, sur son ordre, les diverses forces
de la Nature se mettront à l’œuvre sous sa direction. » (L’efficacité
du raja yoga ; ce livre a été écrit vers 1944).
Pin-pradesh : la région du cœur (voir l’appendice). Le microcosme
dans la littérature yogique traditionnelle.
Point  : chakras, lotus.  «  Durant notre marche vers la liberté,
nous traversons divers chakras ayant différentes formes et
couleurs. Ils sont tous dans la région du cœur. » (L’efficacité du
raja yoga).  «  Ce sont les centres où se concentre l’énergie du
véritable pouvoir de la force divine dont l’homme a hérité. Ils
sont situés à différents endroits du corps humain. » (La Réalité
à l’Aube).
Pranasya pranaha : l’âme de l’âme.
Précepteur : personne qui a reçu la permission du Maître de donner
l’entraînement spirituel selon la méthode du Sahaj Marg.
Seul le Maître possède le pouvoir de donner à un abhyasi la
possibilité de transmettre et d’effectuer ce travail. Ce dernier
devient alors un précepteur du Maître. Le précepteur reste
néanmoins un abhyasi puisqu’il doit continuer de pratiquer
la méthode et effectuer ses propres abhyas comme auparavant
pour sa propre évolution spirituelle.
Puja : littéralement : culte ; pratique religieuse traditionnelle (dans
le Sahaj Marg, la pratique de la méditation).
Puranas : dix-huit poèmes épiques : ouvrages destinés à ceux qui
ne peuvent pénétrer les textes sacrés tels que les Vedas.
Pyjama : pantalon de toile qui se porte avec le kurta.

R
Raja yoga : yoga royal, se distingue du hatha yoga car il n’utilise
que l’esprit et commence par la septième étape du yoga de
Patanjali : la méditation ; le Sahaj Marg est un système de raja
yoga. (Voir l’appendice).

163
Mon Maître

Réalisation : la réalisation du Soi ou Dieu, but de la vie humaine.


Restlessness : agitation, nervosité due à l’impatience.
Richas  : enregistrement cosmique de toutes les pensées et
événements.
Rishis : sages.

S
Sabash : exclamation de grande appréciation.
Sadhana : pratique, particulièrement pratique spirituelle.
Sahaj Marg : de sahaj : naturel, simple et de marg : chemin, voie ;
la Voie Naturelle. « Dans le système d’entraînement spirituel
du Sahaj Marg, nous partons de dhyan, la septième étape du
yoga de Patanjali  : fixer le mental sur un point unique pour
pratiquer la méditation… La pratique suivie dans notre
Mission est la méditation sur le cœur. La même méthode a été
recommandée par Patanjali. » C’est le raja yoga. (La philosophie
du Sahaj Marg).
Samadhi  : la condition qui était au commencement. L’état de
samadhi est censé être l’aboutissement du yoga traditionnel.
Samskaras : impressions. Leur formation, provoquée par nos actes
et nos pensées ajoute de plus en plus d’enveloppes à notre
âme.
Samskarique (héritage)  : adjectif qui s’applique à l’accumulation
des impressions du passé, bonnes ou mauvaises.
Sankalp (ou sankalpa) : faire un acte de volonté. Prendre la résolution
que l’on va entreprendre quelque chose. Dans le Sahaj Marg,
cela signifie l’application de la volonté à une pensée qui doit
mener à des résultats.
Sannyasa  : vie d’ascétisme, de renoncement à la vie du monde.
Selon la tradition, quatrième et dernière étape de la vie
spirituelle ; renoncement total à toute vie familiale et sociale
dans le but de maîtriser parfaitement les sens et le mental.
Sannyasi : celui qui obéit aux lois du sannyasa.
Sanskrit  : langue issue de l’indo-européen le plus archaïque, le
sanskrit constitua d’abord avec l’iranien ancien une langue
commune dite le plus souvent indo-iranien.
Sanstha : de sa : association, groupe et de tha : se tenir. Littéralement
groupe, association de gens, organisation, institution.
Satsangh  : assemblée spirituelle. Le Maître traduit ce terme par
“relation étroite avec la Réalité et la Vérité”.

164
Glossaire

Senior précepteur  : précepteur membre de la Mission depuis de


nombreuses années.
Shanti : la Paix.
Siddhis : littéralement “pouvoirs”.
Sitting : travail fait par le Maître ou le précepteur sur une personne
ou un groupe.

T
Tapas (ou tapasya) : concentration de force de volonté spirituelle.
Tarpana : offre rituelle à des ancêtres défunts.
Thoughtlessness : de thought, pensée. Par cette expression le Maître
indique une condition, un état caractérisé par l’absence de
pensée.
Tirtha-yatra : littéralement, visite de lieux où se trouvent des eaux
sacrées. Dans le Sahaj Marg  : voyage à travers les régions
spirituelles.
Transmission : pranahuti (ou transmission yogique, de prana, la vie
et huti, le don), littéralement le don de vie. Energie yogique ou
lumière divine infusée dans l’abhyasi.

U
Upanishads : textes sacrés hindous composés en sanskrit et ayant
pour sujet essentiel la transposition sur le plan philosophique
et moral des expériences mystiques.
Utsav : célébration religieuse.

V
Vairagya : le renoncement.
Vaishnav-acharya  : selon la tradition, un guru de Vaishnava ou
disciple de Vishnu. Celui qui voue sa vie à l’ultime Réalité.
Vedas (Ecritures védiques)  : connaissance sacrée, enseignement
sacré  ; ils comprennent quatre livres  : le Rig-Veda, le Yajur-
Veda, le Sama-Veda et l’Atharva-Veda ainsi que les cent huit
Upanishads qui constituent leur partie philosophique.
Vérité : voir dans l’appendice ce qui concerne la région centrale.
Vishnu : deuxième terme de la triade brahmanique, conservateur
du monde, dieu de la préservation.
Vrittis : les tendances du mental.

165
Mon Maître

Y
Yashoda : mère de Lord Krishna.
Yatra : voyage ; se réfère généralement aux pèlerinages ou voyages
spirituels (voir tirtha-yatra).
Yoga : littéralement “union avec l’Absolu”.
Yogi : celui qui a atteint la sagesse par le yoga.

166
TABLE DES MATIÈRES

I Première révélation 11

II L’environnement 21

III La tolérance 29

IV Le devoir 41

V L’amour 59

VI Le chemin de l’esprit 75

VII L’approche de la réalité 93

VIII Le rôle du guru 107

IX Expériences spirituelles 129

X Le cadeau de la libération 137

Post scriptum 153

Appendice 155

Glossaire 159

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