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Barcet André, Bonamy Joël. Services et transformation des modes de production. In: Revue d’économie industrielle, vol. 43,
1er trimestre 1988. Le dynamisme des services aux entreprises. pp. 206-217;
doi : https://doi.org/10.3406/rei.1988.1019
https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_1988_num_43_1_1019
André BARCET
Maître de conférence à l'université Lyon-Lumière
Joël BONAMY
responsable du CEDES (Centre d'échange et de documentation
sur les activités de services), CNRS, Économie et Humanisme
Nous montrerons dans un premier temps que la croissance des services ne peut
se comprendre que par l'articulation qui se noue entre services et activités
économiques, il y a donc de ce point de vue une intégration de plus en plus grande des
services et du système productif, si bien que les services ne se développent pas
de manière autonome mais comme facteur décisif de l'évolution du système
productif.
S'il existe bien des besoins intellectuels, rien ne permet de dire que ceux-ci devront
être satisfaits nécessairement par des activités de services. Mais là n'est sans doute
pas la question principale. C'est bien dans la conception même de ce qu'est un
service que réside le problème essentiel. Ce n'est pas directement le but de cette
réflexion de s'interroger sur la signification du concept de service. Toutefois, un
minimum de précision s'avère nécessaire. Un service est d'abord un acte sur
quelque chose ou quelqu'un, selon la définition de T. -P. Hill (1977). Il est alors
nécessaire de tirer les conséquences d'une telle approche. Le service, en effet, n'est pas
une finalité en lui-même, il ne se comprend que dans la relation qui se noue avec
quelque chose ou quelqu'un et qui a comme rôle de permettre à cette chose ou
à cette personne d'atteindre un certain état. La compréhension du service nous
semble nécessiter d'introduire le service dans une notion de système où il est non
seulement un élément, mais surtout un facteur de régulation, de maintien d'un
certain équilibre et d'un certain état. Ainsi, le service a essentiellement une
fonction « d'accompagnement » en « agissant sur » de manière à produire un effet.
Ainsi, c'est dans cette relation que le service doit être compris (A. Barcet 1987).
Si l'on examine la montée des services sur une période longue, ce ne sont pas
les services consommés directement par les personnes qui connaissent la croissance
la plus rapide. La plupart des services qui sont classés comme des services
consommés par les ménages ne le sont qu'indirectement. Dans un sens strict, ce ne
sont que les services sur les personnes qui sont l'objet d'une consommation directe.
Les autres sont dans des relations différentes avec des biens, ou des processus qui
permettront à terme une consommation dans des conditions normales. Autrement
dit, la consommation doit être conçue comme un système qui, au bout, permet
un acte d'assimilation de la part de la personne ; dans ce système il y a place pour
des fonctions différentes, pour des associations de biens et de services. Par
analogie avec la production, de nombreux services peuvent donc être compris comme
ayant une fonction intermédiaire dans un système de consommation.
Cette place du service comme intégré à un ensemble qui lui détermine à la fois
son rôle et sa finalité est encore plus présente dans l'ensemble des services rendus
à l'entreprise. Mais, là aussi, l'utilisation de la notion de système s'avère
nécessaire, dans la mesure où les services ne doivent pas être confondus avec le rôle
d'autres éléments du système. L'inconvénient de l'utilisation de la notion de
consommation intermédiaire est que, d'un point de vue comptable, elle assimile des
utilisations ou des dépenses qui n'ont pas le même rôle au sein du processus
productif. Le service n'est pas transformé au sens strict, il a une fonction plus
indirecte dans le processus de production. Il a une fonction plus d'accompagnement.
En toute rigueur, on devrait d'ailleurs considérer que la plupart des dépenses de
Ainsi, les services sont pour la plupart à comprendre dans la relation qu'ils
entretiennent dans un système pour permettre à celui-ci de fonctionner (A. Barcet et
J. Bonamy, 1983, 1984, 1985). Ainsi la notion d'intégration, utilisée par plusieurs
auteurs (Brender 1980, Leveson 1983, Petit 1986) rend compte de cette forme
particulière d'action des services.
II s'agit d'une vision très partielle, puisque ne sont pris en compte que les
services classés dans services rendus principalement aux entreprises (T 33). Les
données sur l'évolution en volume de la consommation des entreprises et des
administrations semblent indiquer une croissance annuelle moyenne plus forte que celle
de la production de ces mêmes entreprises.
1959-1973 1974-1984
Transports et télécom 8,3 % 3,2 %
Télécommunication seule 8,2 %
(1970-1984)
Services aux entreprises 8,2 % 2,9 %
Crédit-bail immobilier 6,3 °?o 6,3 97o
Source : Rexervices C. Fontaine (1987)
Cette intégration des services nécessite alors d'examiner la place qu'ont pris les
services. Si nous nous situons au niveau du système économique dans sa
globalité, il apparaît alors que les services aux entreprises ont comme rôle de produire
les conditions économiques et sociales nécessaires à la valorisation du capital.
Le schéma suivant montre la place que les services ont pris en relation avec les
deux actes fondamentaux de l'économie marchande : la production et l'échange.
Conditions Conditions
du procès du procès
de production d'échange
Le procès d'utilisation concerne les conditions dans lesquelles les biens vont être
utilisés pour permettre d'obtenir les effets attendus de leur consommation. D'un
point de vue microéconomique, ce procès d'utilisation tend à s'allonger, pour la
raison très simple que l'utilisation n'est plus strictement déterminée par les
caractéristiques intrinsèques des biens, mais qu'elle nécessite le développement de tout
un ensemble d'activités. Une première forme de développement du procès
d'utilisation, tout à fait traditionnelle et ancienne, concerne les activités de maintenance
et de réparation, de manière à permettre une utilisation satisfaisante du bien. Une
seconde forme se développe dans la nécessité d'un apprentissage d'élaboration,
d'une méthodologie d'utilisation. En effet, certains biens n'ont pas un usage
entièrement prédéterminé et immédiat pour l'utilisateur (ceci va de la voiture à
l'ordinateur). Enfin, une troisième forme ouvre potentiellement de nombreuses
possibilités. Il s'agit du développement de tous les outils techniques qui sont créateurs
d'une possibilité, qui ne sont en fait qu'une infrastructure organisée qui demande
à tout moment d'être activée, de recevoir un contenu. Le développement des
services doit permettre cette activation d'un potentiel, et ceci sur une période
longue. Il y a donc, de ce point de vue, la nécessité de créer un flux régulier de
services. Les exemples des Télécommunications, de la création de divers réseaux
illustrent ce développement (audiovisuel, cinéma, information à distance).
Enfin, les services se sont aussi développés dans une articulation directe avec
l'acte de production proprement dit et l'acte d'échange. Cette place des services
est ancienne, ce qui ne signifie pas qu'elle ne se transforme pas, comme en
témoignent le commerce, le transport ou simplement la gestion de production. Une telle
nécessité implique la mise en place d'activités régulières. En terme de « volume »
d'activités ou d'emplois, de tels services peuvent prendre une place significative.
Cette logique est remise en cause de deux points de vue : l'un relatif à la
production, l'autre au marché. Certes, la production restera toujours un acte
fondamental, et l'organisation de cette production est et sera toujours fondamentale
pour la détermination des coûts et par là de la compétitivité. Mais la question
plus essentielle est bien celle de la conception, des produits et des processus. Dans
une certaine mesure, l'efficacité du processus de production tend à se déplacer
de la partie réalisation concrète du processus à la partie conception du processus.
Et ceci est la conséquence directe de la mutation technique en cours liée à
l'automatisation de la production sous différentes formes techniques concrètes ; ceci
s'articule également à la diminution du rôle du travail humain comme producteur
direct. Si l'efficacité du processus de production dépend plus de la conception de
ce processus que de son déroulement concret, cela implique que l'activité de
laboratoire prend une place centrale dans le processus économique (Weinstein 1987).
Le second point de vue s'organise autour de la question du marché. Il y a une
double tendance. La première concerne l'introduction d'une différenciation
beaucoup plus forte des marchandises. Il y a là aussi un basculement dans la logique
économique, où il s'agit maintenant d'intégrer l'utilisateur et l'utilisation dans
la production des marchandises. Il y a, dès lors, un rapprochement entre la
production des biens et celle des services, ces derniers incluant nécessairement
l'utilisateur comme partie prenante de la production. Cette différenciation des produits
comme résultat de la production manufacturière conduit dans certains cas à des
associations entre biens et services, le service étant précisément le moyen de la
différenciation. D'une manière plus générale se pose à la production
manufacturière, dominée par la logique de la production de masse, la question de savoir
comment offrir une valeur ajoutée plus élevée. La réponse apparaît bien passer
quelque part par l'introduction d'un plus d'intelligence, d'un plus de qualité, d'une
meilleure utilisation, c'est-à-dire par l'intégration à un moment ou à un autre d'une
place au service.
La mise en place d'un tel mouvement concerne aussi bien la consommation des
ménages que celles de l'entreprise. On peut sans doute faire l'hypothèse que dans
un premier temps ce sont plus les entreprises qui seront concernées par la mise
en place de ces ensembles réseaux-équipements-services. Il y a là la base d'un
développement de nouveaux emplois, pour permettre la conception et surtout la
maîtrise de ces nouvelles potentialités.
Dans cette mutation, les pays n'ont sans doute pas exactement la même place.
Le développement, notamment de la sphère d'utilisation, est sans doute plus rapide
là où les innovations d'informatique et de télécommunication ont été le plus
élaborées (USA, Japon). De même, la transformation microéconomique des
processus de production (automatisation, informatisation...) est assez différente selon
le type d'entreprises (taille, capacité de financement) et selon le secteur d'activité
économique. Les services de type conseil, audit, ont alors un rôle assez
fondamental d'impulser les transformations nécessaires à l'ensemble des activités
économiques.
Dans la phase actuelle, deux tendances semblent s'articuler. Dans une très large
mesure, la période passée a laissé une place centrale aux services financiers, en
ce qu'ils assuraient une fonction macroéconomique d'impulsion des normes de
production, d'échange et de hiérarchisation des différentes économies et des
différentes activités. Cette fonction d'organisation d'ensemble du système était
accomplie par les sociétés holdings, les grandes banques d'affaires, les établissements
financiers, notamment certains à contrôle étatique, et dans une moindre mesure
les banques commerciales. La crise économique actuelle témoigne à sa manière
d'une insuffisancce d'un tel processus d'organisation et d'impulsion d'une norme,
dans la mesure où la simple gestion du capital financier n'a pas été suffisante pour
maintenir un processus de rentabilisation. On peut dès lors faire l'hypothèse que
de nouveaux services prennent un rôle actif dans la gestion et la transformation
du système productif : il s'agit essentiellement des services autour de la gestion
de la technologie (choix des techniques, mise en place, conséquences de ce choix).
Il est, nous semble-t-il, particulièrement révélateur que les grandes sociétés d'audit,
qui avaient une vision essentiellement financière, développent l'audit technique.
V. — CONCLUSION
Bibliographie
A. Barcet, J. Bonamy, A. Mayere, Innovation et modernisation dans ¡es services. Économie
et Humanisme, Lyon, 1987. Pour le Commissariat Général du Plan.
A. Barcet, La montée des services : vers une économie de la servuction. Économie et Humanisme
- CEDES/Université Lyon II — Économie des changements techniques, Lyon, 1987. 333 p.
Thèse de doctorat d'État es sciences économiques.
C. Clark, Les conditions du progrès économique. PUF, Paris, 1960. 505 p.
Commissariat Général du Plan. Investissement non matériel et croissance industrielle.
Documentation française, Paris, 1982. 282 p.
A. -G. Fischer, Primary, secondary, tertiary production. Economie record. 1939.
C. Fontaine, L'expansion des services : un quart de siècle en France et dans le monde développé.
Tome 1 : la dynamique des services. Tome II : les mesures de l'évolution des services : la
demande de services. Tome III : les mesures de l'évolution des services : l'offre de services.
REXERVICES, Paris, 1987, 3 vol. : 106 p. + 273 p. + 261 p.