Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2007/2 n° 39 | pages 83 à 92
ISSN 1372-8202
ISBN 9782804154264
Article disponible en ligne à l'adresse :
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Résumé
Mots-clés
Thérapie brève – Paradoxe – Créativité – Humour – Métaphore.
Key words
Brief Therapy – Paradox – Creativity – Humor – Metaphor.
l’aurait paralysé et qu’il aurait été incapable de faire autrement. Ces tâches
sont prescrites comme des sortes de rituels magiques qui ont le pouvoir de
faire fuir les peurs. En d’autres mots, nous créons une réalité inventée qui pro-
duit des effets concrets (Nardone & Watzlawick, 2005).
Dans leur ouvrage extraordinaire, La logique de la communication,
Watzlawick et al. (1972) décrivent le caractère essentiellement paradoxale de
la créativité sous toutes ses formes (fantaisie, jeu, humour, rituels, métapho-
res, symbolisme, etc.). En fait, le paradoxe apparaît dans différentes formula-
tions de la thérapie stratégique brève, depuis les prescriptions paradoxales
décrites plus haut, jusqu’aux actions et communications paradoxales (Nar-
done & Watzlawick, 2005). Historiquement, le paradoxe a franchi pour la
première fois le seuil de la thérapie sous les auspices de « l’intention para-
doxale » de Viktor Frankl (1960), mais Bateson et ses collègues (1956) ont
été pour leur part les précurseurs de la reconnaissance du paradoxe en tant que
constituant de base des troubles mentaux et de l’utilisation systématique de
formulations paradoxales pour résoudre ce type de problèmes.
Le paradoxe est particulièrement utile pour créer une relation et un cli-
mat thérapeutiques adéquats, en particulier avec des patients très résistants. En
prescrivant un comportement opposé à ce qu’ils attendent, et donc en évitant
de faire pression à leur encontre, leurs défenses et résistances sont désarmées.
4 Une description complète de cette prescription peut être trouvée dans Brief Strategic
Therapy: Philosophy, techniques and Research de Nardone & Watzlawick, (2005).
L’usage de l’humour et d’autres actes créatifs comme véhicule de changement… 85
ici, devant moi. Vous vous sentez malade, pas vrai ? Vous me paraissez
sur le point de vous sentir vraiment mal bientôt. (Faible sourire).
Patiente : Mais docteur, que dites-vous, que je vais mourir ? Ainsi, c’est
vraiment vrai ! Je suis gravement malade. Mais docteur, pourquoi tous
les examens médicaux que j’ai faits n’ont-ils rien montré de négatif à
mon niveau ? Mais, êtes-vous vraiment sûr de ce que vous dites, que je
suis malade et que vous voyez réellement que quelqu’un a porté une
malédiction sur moi ?
Thérapeute : Mais bien sûr. (Léger sourire).
Patiente : Mais docteur, vous vous moquez de moi ! Je ne me sens pra-
tiquement pas malade du tout maintenant. En fait, en vous parlant, j’ai
cessé de transpirer et je me sens plus calme. Mais dites-moi, docteur,
comment se fait-il qu’à l’âge de quarante ans, notre cerveau nous joue
de tels tours ?
Les patients sont habituellement surpris et étonnés d’entendre que
leurs peurs sont justifiées et, dans la plupart des cas, cela a pour effet de les
amener à rechercher la preuve que le thérapeute est loin de la cible. D’autres
patients vont juste sourire lorsqu’ils comprennent le « gentil tour » que leur a
joué le thérapeute. Mais dans ces deux cas, le recours au langage paradoxal
humoristique permet de rompre le mécanisme obsessionnel des perceptions
et des réactions déformées, et d’amener un changement.
L’un des collègues de Bateson, Fry (1963), avait souligné l’impor-
tance de l’humour en thérapie en déclarant que : « durant le déroulement de
l’humour, on est soudainement confronté à une inversion de l’explicite et de
l’implicite lorsque la chute est donnée. […] Mais, ce retournement a égale-
ment pour effet unique de forcer les participants au jeu humoristique à redé-
finir intérieurement la réalité. […] Suite à cette inversion de contenu, ce qui
paraissait être la réalité peut être présenté maintenant en termes d’irréalité. »
(p. 153-154).
7 Thérapie menée par Giorgio Nardone. Une description plus détaillée de ce cas se
trouve dans Knowing through Changing: The Evolution of brief strategic Therapy
(Nardone & Portelli, 2005).
88 Giorgio Nardone, Claudette Portelli
mettre volontairement dans une certaine disposition mentale où tout est jugé
à l’aide d’une méthode différente de l’ordinaire et pourtant en accord avec
certains principes rationnels de ce cadre d’esprit. » Ces termes sont tout à fait
applicables à la thérapie. La plupart des patients viennent en thérapie, piégés
par leur perception et leur croyance d’avoir un problème insoluble. Une atti-
tude trop sérieuse du thérapeute amènera par conséquent à confirmer cette
conviction.
En thérapie, l’humour est souvent joliment associé à la métaphore. On
peut utiliser cette dernière pour éviter d’être littéral, échapper aux perceptions
étroites ou oppressives, s’écarter du langage tabou ou inacceptable, apporter
du soulagement ; elle offre des moyens indirects de dire les choses. La méta-
phore permet de se distancer d’un objet, d’une personne ou d’une situation.
Cette technique réduit les résistances car on ne demande pas ici aux patients
de faire quelque chose et on ne critique ni leurs opinions, ni leur comporte-
ment. Le message passe sous une forme déguisée, dans une manière de parler
(Nardone & Watzlawick, 2005).
En thérapie brève, nous faisons souvent usage de métaphores ou d’anec-
dotes humoristiques pour créer en douceur une aversion envers une tentative
de solution dysfonctionnelle qui maintiendrait et aggraverait le problème. Par
exemple, pour faire comprendre à une personne obsessionnelle et phobique, le
côté contre-productif de s’écouter elle-même sans arrêt et donc d’accroître
ainsi son anxiété jusqu’à l’attaque de panique, le thérapeute peut raconter
l’histoire apparemment ridicule du mille-pattes. Ce récit évoque un mille-
L’usage de l’humour et d’autres actes créatifs comme véhicule de changement… 89
pattes en train de se promener avec élégance quand une fourmi l’arrête et lui
exprime son étonnement devant la manière dont il arrive avec tellement
d’aisance à coordonner si adroitement tant de pattes. C’est la première fois
que le mille-pattes le remarque lui-même, et donc, il commence à réfléchir à
la manière dont il s’y prend pour mouvoir tant de pattes en même temps ;
mais ce faisant, il n’arrive plus à marcher et finit par trébucher. Ce type de tac-
tique est de loin plus efficace que celle de donner des explications scientifiques
sérieuses au patient. Au cours de la thérapie, il est plus important que le patient
arrive à sentir que quelque chose a besoin de changer que de le comprendre
(Nardone & Salvini, 2004). Les suggestions sont intégrées et communiquées
au travers des métaphores sans que le patient ne soit impliqué directement,
mais le pouvoir évocateur de l’image humoristique contrebalancera les per-
les perceptions et les sentiments directement ; en effet, ils revêtent des signifi-
cations multiples et permettent donc différentes lectures. Le thérapeute peut
dès lors aider le patient à utiliser ces figures de langage comme échappatoire ou
pour se libérer du poids d’une vision de la réalité trop perturbante sur le plan
émotionnel. La métaphore consiste à user d’un langage autre que littéral, elle
est une émotion. Elle ne se borne pas à susciter nos émotions ou à permettre
leur expression. Le vécu de la métaphore est une émotion ou une sensation en
elle-même. Ce dispositif offre une expérience émotionnelle correctrice qui
touche (Nardone & Portelli, 2005b). En fait, le langage analogique joue un rôle
toujours significatif dans le dialogue stratégique 8 en évoquant des sensations
chez des patients bloqués au niveau émotionnel 9. Ce qui amorce le processus
de changement, ce sont nos sentiments ; tout le reste, les changements de com-
portement ou de cognition, va suivre ensuite. On peut très bien comprendre
8 Le dialogue stratégique est une technique stratégique brève destinée à rendre une
séance thérapeutique inductrice de changements chez l’interlocuteur. La dernière
évolution de la thérapie stratégique brève aborde la première séance et l’usage du
dialogue stratégique, instrument d’intervention et de discrimination qui implique les
trois axes de cette approche – l’utilisation du langage, la relation et la logique de
l’intervention – et est caractérisée par son orientation constante vers le changement.
Vous pourrez trouver une explication plus détaillée et des exemples de cet instru-
ment dans Knowing through Changing. The Evolution of Brief Strategic Therapy
(Nardone & Portelli, 2005b).
9 Les patients sont habituellement bloqués par la colère, la douleur, la peur ou le plaisir
(les quatre sensations de base). Communication de Giogio Nardone au cours d’un sé-
minaire organisé en novembre 2006 à Milan (Italie).
90 Giorgio Nardone, Claudette Portelli
que l’on a besoin de changer, mais il est nécessaire de le ressentir aussi, afin
de faire quelque chose pour y arriver (Nardone & Portelli, 2005b).
Blaise Pascal a déclaré qu’« avant de convaincre l’intellect, il est néces-
saire de toucher et de prédisposer le cœur », indiquant ainsi l’importance fon-
damentale de l’éveil des émotions pour accéder à l’argumentation incluse dans
tout processus de persuasion. Toutes les figures rhétoriques du discours et des
formes poétiques sont employées dans cette intention. De fait, il n’y a aucune
limitation linguistique pour ce qui concerne l’éveil d’une sensation dans le dia-
logue. Un facteur important est que la formulation communicative provoque
chez l’interlocuteur un effet évocateur planifié et utile pour atteindre le niveau
prédéterminé de dialogue. En d’autres mots, il n’y a aucune différence entre
la persuasion visée.
Ainsi, un thérapeute stratégique est plus efficace s’il est assez créatif et
flexible pour pouvoir se montrer dramatique, sérieux, enjoué et humoristique
lorsque c’est nécessaire. Il est souvent plus difficile d’être naturellement humo-
ristique en thérapie que sérieux ou dramatique. Dziemidok (1993, p. 153) a dit :
« L’esprit est une preuve d’intelligence. Personne ne peut jouir d’un sens actif
et créatif du comique ou être vraiment spirituel s’il n’a pas un esprit vif, brillant
et critique. »
L’humour, le paradoxe et d’autres actes créatifs représentent incontes-
tablement des outils essentiels pour le thérapeute stratégique. La recherche
empirique et clinique a prouvé que ces procédés constituent de puissants
moyens pour nous permettre de transcender l’étroitesse d’esprit et d’aller au-
delà du bien et du mal, du vrai et du faux ; ils nous aident ainsi à atteindre les
niveaux supérieurs de perception et de sentiment, et dès lors, à agir différem-
ment. L’humour et les autres actes créatifs nous renvoient à la réalité d’une
manière qui ne pourrait être réalisée par la logique rationnelle ordinaire. Ils
frustrent et sapent intentionnellement les idées rigides, les plongeant dans la
contradiction et dans l’absurde. Bien qu’ils soient souvent sous-estimés, ils
constituent des moyens pour créer une situation occasionnellement planifiée
qui bouleverse discrètement une résistance de l’intérieur afin d’amener le
changement désiré. On peut donc conclure que l’utilisation d’actes créatifs est
réellement un art, et pourtant c’est aussi une science qui exige de la flexibilité
tout autant que de la rigueur, de la spontanéité mais aussi de la prévisibilité.
L’usage de l’humour et d’autres actes créatifs comme véhicule de changement… 91
Références
Firenze. Trad. Fr. (2004): Manger beaucoup, à la folie, pas du tout. Editions du
Seuil, Paris.
NARDONE G. & WATZLAWICK P. (1990) : L’Arte del Cambiamento: manuale
di terapia strategica e ipnoterapia senza trance. Ponte alle Grazie, Milan.
NARDONE G. & WATZLAWICK P. (1993): The Art of Change: Strategic The-
rapy and Hypnotherapy Without Trance. Jossey-Bass Inc., San Francisco, CA.
Trad. fr. (1993): L’art du changement, thérapie stratégique et hypnothérapie
sans transe, L’Esprit du Temps, Bordeaux.
NARDONE G. & WATZLAWICK P. (eds) (2004): Brief Strategic Therapy: Phi-
losophy, Technique and Research. Rowman & Littlefield Publishers-Aronson
group, Maryland, USA.
PORTELLI C. (2004): Advanced Brief Strategic Therapy for Obsessive-Compul-
sive Disorder, Brief Strategic & Systemic Therapy: European Review 1: 88-94.
SCHIMEL J. (1978): The Function of Wit and Humor in Psychoanalysis. Journal
of the American Academy of Psychoanalysis 6 : 369-379.
WATZLAWICK P., BEAVIN-BAVELAS J. & JACKSON D. (1972): Une logi-
que de la communication, Ed. du Seuil, Paris.
WATZLAWICK P. & NARDONE G. (a cura di) (1997): Terapia breve strate-
gica, Raffaello Cortina Editore, Milan. Tr. Fr.: (2000): Stratégie de thérapie
brève. Seuil, Paris.
WATZLAWICK P., WEAKLAND J. H. & FISCH R. (1974), Change: principles
of problem formation and problem solution. W. W. Norton & Co., New York,
NY. Trad. Fr. (1975): Changements: paradoxes et psychothérapie, Ed. du
Seuil, Paris.