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DOCUMENTATION
28/09/2008

De la « maîtrise » des crises

par Claude HANSEN-GLIZE


Analyste de crises
Expert auprès du comité scientifique du projet ICRISIS, université de Nancy

1. Petit panorama sur l’état de l’art......................................................... SE 1 060 - 2


1.1 Cas AZF ........................................................................................................ — 2
1.2 Risque, urgence et crise ............................................................................. — 2
1.3 Urgence, crise et rupture ............................................................................ — 3
1.4 Menaces, vulnérabilités et résistance ....................................................... — 3
1.5 Des situations critiques aux désordres graves ......................................... — 4
2. Crises caractérisées................................................................................. — 4
2.1 Ce que l’on peut en dire .............................................................................. — 4
2.2 Crise grave post-accidentelle ...................................................................... — 4
3. Irruption d’une crise dans une « organisation » ............................. — 4
3.1 Organisation en marche .............................................................................. — 4
3.2 Apparition de tensions ................................................................................ — 4
3.3 Ajout de l’événement sur l’accident ........................................................... — 5
4. Affronter et réguler les crises – les dépasser –
avec des partenaires qui s’imposent .................................................. — 5
4.1 Ce qu’il faut affronter ................................................................................... — 6
4.2 Ceux qui affrontent ...................................................................................... — 6
4.3 Ce qu’il faut réguler ..................................................................................... — 7
4.4 Ceux qui régulent ........................................................................................ — 7
4.5 Ce qu’il faut dépasser .................................................................................. — 7
4.6 Ceux qui dépassent...................................................................................... — 8
5. Organisation en arrière-plan ................................................................. — 9
5.1 Son socle : un principe ................................................................................ — 9
5.2 Son appui : des lois ..................................................................................... — 9
5.3 Son cadre : des structures .......................................................................... — 9
5.4 Ses aides : des plans de secours ................................................................ — 10
5.5 Ses moyens : des acteurs............................................................................ — 10
6. Tous ces acteurs communiquent ......................................................... — 11
6.1 Information et communication ................................................................... — 11
6.2 Motifs de communication ........................................................................... — 12
6.3 Modes de communication .......................................................................... — 13
6.4 Quelques principes ..................................................................................... — 13
6.5 Informer et communiquer : les protagonistes .......................................... — 14
6.6 Quelques obstacles à la communication .................................................. — 14
7. Tous ces acteurs se préparent.............................................................. — 15
4 - 2008

7.1 Obligations légales et réglementaires........................................................ — 15


7.2 Modes de préparation ................................................................................. — 16
8. Conclusion.................................................................................................. — 18
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. SE 1 060
SE 1 060

orsqu’on cherche la place qu’occupe la gestion des crises dans les organi-
L grammes ou documents produits par les principaux organismes qui en ont
la charge (entreprises, services de l’État ou autres centres de formation), on la
trouve traitée dans les départements de maîtrise des risques. Pourtant... cette
proximité n’est pas évidente.

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DE LA « MAÎTRISE » DES CRISES _______________________________________________________________________________________________________

Après un survol rapide de l’état de l’art en la matière et l’énumération de


quelques constantes qui permettent de caractériser ces crises (y compris le
choix de traiter des crises graves post-accidentelles), je proposerai une repré-
sentation des types de problèmes qu’elles génèrent. En effet, j’aime à dire
qu’elles exigent d’être :
– affrontées sans faux-fuyant ;
– régulées par des décisions d’actions prises en contrôle continu ;
– dépassées, à chaud, par des anticipations partielles, fréquemment renou-
velées et partagées, et à distance, par les enseignements qui en sont tirés.
J’exposerai ensuite l’organisation qui existe en arrière-plan, en termes de
principes, de lois et d’acteurs qui sont chargés ou qui se chargent de la riposte,
sans oublier les besoins en communication qui accompagnent ces organisa-
tions de crise.
J’aborderai également des problèmes plus spécifiques, tels que les réactions
« handicapantes » repérées au cours d’études que j’ai réalisées, ainsi que ce
grave problème de la formation à l’efficacité dans des situations déstructurées,
avec des partenaires « obligés » ; là où modélisations, simulations et retours
d’expérience prennent toute leur importance.
J’aimerais terminer par quelques réflexions concernant le soutien psycholo-
gique aux impliqués et l’intervention de la justice.

1. Petit panorama Si vous êtes ingénieur, vous pouvez l’être de formation, ou


occuper cet emploi dans une entreprise ou dans des services de
sur l’état de l’art l’état ou de collectivités territoriales, ou encore dans un organisme
de type associatif... Dans tous les cas vous avez été – ou vous
êtes – confronté à des problèmes de maîtrise de risques et à des
1.1 Cas AZF décisions à prendre dans l’urgence. En effet, ces notions sont indu-
bitablement liées à la prévention d’accidents. Qu’ont-elles à voir
Jusqu’à ce matin du 21 septembre 2001, ce n’était que le nom avec l’irruption d’une crise ?
d’une entreprise appartenant au groupe Total-Fina-Elf dont peu de
gens connaissaient l’existence. Si vous faites une recherche Inter-
net aujourd’hui sur le sigle « AZF », le premier site qui apparaît est 1.2 Risque, urgence et crise
intitulé : « Toute l’info sur la catastrophe ». AZF est donc
aujourd’hui, avant tout, « une catastrophe » connue de tous... Pour essayer de s’y repérer je propose de prendre, un court
S’il y a eu médiatisation, de celles qui durent jusqu’à aujourd’hui moment, le chemin inauguré par la sociologie d’entreprise. Michel
– et ce n’est pas fini –, ce n’est pas seulement parce qu’il y eut un Crozier [1] posait, il y a plus de trente ans, la question suivante :
grave accident dans cette entreprise. C’est essentiellement parce
« À partir de quel degré, dans quelles conditions, des tensions
que la dévastation ne s’est pas limitée à l’intérieur du site, débor-
qui, jusque-là, avaient pour conséquences de renforcer le système
dant sur les entreprises voisines de la zone industrielle et, au-delà,
d’action existant, peuvent désormais provoquer son éclatement ? »
sur la ville elle-même. Sans compter les morts humaines, qui ont
mobilisé immédiatement l’appareil judiciaire, les conséquences Il avait déjà repéré, dans les entreprises où il était appelé en
continuent à peser considérablement sur la vie de la cité de Tou- consultation, que le mode de fonctionnement habituel des services
louse et de la région Midi-Pyrénées. Elles pèsent tout autant sur était d’être soumis à des tensions. Certaines étaient susceptibles
l’ensemble des réglementations concernant les sites industriels de provoquer des dérèglements pouvant aller jusqu’à l’éclatement
dans leur environnement et, plus particulièrement, les sites Seveso des structures.
(seuil haut). La disparition de plusieurs sociétés industrielles dans
la région et l’impact négatif sur l’image de l’industrie de la chimie On peut dire que, jusqu’à ce constat « d’éclatement », les entre-
ne sont que les parties visibles d’un phénomène qui continue de prises sont capables de supporter des situations critiques qui,
générer nombre de séquelles. certes, demandent des choix risqués à faire dans l’urgence, mais
« qu’au-delà », on entre dans une situation de crise. Cette analyse
Ce n’est donc pas qu’un accident de grande envergure. Cet évé- peut être élargie à différents types d’organisations, à savoir, une
nement est à l’origine de modifications profondes dans des domai- ville, une région, ou même une nation. Dans tous les cas, de quoi
nes que tout un chacun ne soupçonne pas encore, sans parler du est fait cet « au-delà » ?
traumatisme vécu par de nombreux toulousains, ni de l’énorme
besoin de réparation qui transparaît dans la ville et toute sa région. « Innombrables, les crises qui n’ont déclenché que des mécanis-
mes d’adaptation, voire accompagnés de régression. » écrit égale-
On voit bien qu’il y a eu crise, et que celle-ci n’est pas terminée,
ment M. Crozier [1]. À l’époque, le mot « crise », après avoir été
même si l’événement ne fait plus la « une » dans les médias. Ceci
assimilé à la notion de « situation critique », se devait de porter la
nous permet-il de comprendre ce qui distingue un accident, d’un
signature d’un réel changement, nécessaire et valorisant, même si
événement, ou d’une crise ? Pas tout à fait, on le sent bien. Or, si
« ... tout changement véritable signifie toujours rupture et crise ».
l’on veut avoir une attitude adaptée lors de la survenue d’une
crise, il faut pouvoir en identifier les composantes. Il est donc La crise était ainsi la manifestation du « vivant ». Il devenait
nécessaire de continuer cette réflexion, en tout cas concernant les donc important de savoir la gérer pour en obtenir les améliora-
ingénieurs dans leurs rapports avec la survenue d’une crise. tions indispensables dans ce processus de transformation.

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_______________________________________________________________________________________________________ DE LA « MAÎTRISE » DES CRISES

Mais lorsque, dans les années 90, les pouvoirs publics se sont Il semblerait donc que, pour lui, ce soit le « global » qui soit
lancés dans la nécessité de « gérer la crise » pour répondre à l’exi- devenu chaotique, et au niveau « local », chacun d’entre nous doit
gence de sécurité et de sûreté développée dans la société civile, il « ... acquérir les aptitudes qu’appellent les nouveaux défis de sécu-
s’agissait de crises post-accidentelles graves, les accidents pou- rité (...) Un travail opérationnel, exigeant, précis, est à engager
vant être de type « naturel », « technologique », ou « sociétal ». pour se doter de compétences profondément renouvelées – en
Pour peu que l’on tienne compte de la multiplicité des causes, des visions, en démarches, en outils... » [4].
intervenants, des territoires, et que l’on tire la leçon des catastro- Cet appel de P. Lagadec veut encore une fois nous alerter sur la
phes qui se développaient en France, ou ailleurs dans le monde ; nécessité de penser autrement l’existence des crises, en nous aidant
que l’on montre la nécessité d’une « bonne coordination » entre à comprendre que nous n’aurons jamais fini de nous attaquer à plus
les acteurs institutionnels ou émergents ; que l’on responsabilise « impensable » et que, inlassablement, il nous faudra « ... vingt fois
ceux qui n’étaient pas déjà responsables (les décideurs – publics et sur le métier (de la sécurité) remettre notre ouvrage (...) le polisser
privés – ou les opérationnels) comme les assureurs par exemple, sans cesse et le repolisser... » pour paraphraser Boileau.
l’espoir d’une gestion optimale de la crise autorisait à penser et à
laisser dire : « Plus jamais çà ! ».
Il semble bien que, de nos jours, le concept ait évolué. Même si 1.4 Menaces, vulnérabilités et résistance
les appels au changement sont toujours largement professés dans
les discours (sous des appellations plus modernes, il est vrai), la Claude Gilbert, dans un article intitulé « Comment gérer les
crise n’exerce plus du tout le même attrait, elle est même à nou- crises ? Les pouvoirs publics face à des risques polymorphes » [5],
veau redoutée. Elle a repris la dimension médicale qu’elle avait à développe sa propre réflexion en reprenant l’historique du pro-
l’origine dans les aphorismes hippocratiques : elle constitue le blème. Également pionnier en la matière, ayant perçu et analysé
paroxysme de la maladie. Dans le cadre qui nous occupe, on peut les dimensions sociales et politiques des crises, il en a suivi les
même aller jusqu’à parler de maladie de société, pour ne pas dire modifications dans leur nature même : « ... Le déplacement opéré
de civilisation. par les risques majeurs, puis par les risques sanitaires, dans
Et ce sont « l’affaire » du sang contaminé, la crise de la vache l’approche des crises, se double aujourd’hui d’un autre déplace-
folle, le risque de pandémie mondiale de la grippe aviaire, les trois ment qui modifie de façon plus radicale encore la notion de crise :
situées dans le domaine de la santé publique, qui ont fait considé- la crise peut également naître du croisement entre de nouveaux
rablement évoluer les regards que l’on porte actuellement sur la types de menaces et les vulnérabilités propres aux sociétés
crise, c’est-à-dire les représentations construites dans le discours contemporaines dans le contexte actuel de la mondialisation des
public. échanges... » [5].
Si bien qu’il est possible, aujourd’hui, de discerner la coexis- Cette phrase sert d’introduction à un chapitre intitulé : « Le
tence de plusieurs approches : SPECTRE * des crises globales, nouveaux types de menace et nou-
velles vulnérabilités ».
– la prise de conscience généralisée qu’il existe d’autres catégo-
ries de crises ; N’ayons pas peur des mots : c’est le fantôme d’une nouvelle
– l’effet d’une banalisation du concept passé dans le domaine guerre mondiale qui se profile à cet horizon. Sous la forme de ces
public ; grandes épidémies dévastatrices que l’humanité a toujours
– une inquiétude plus profonde parmi nos concitoyens. connues et que l’on voudrait croire éradiquées. Quelques chose
nous permet d’oser espérer la gagner. En effet, pour la première
fois dans toute l’histoire de notre humanité, avec l’apparition du
Ce qui a fait appeler « gestion de crise » tout règlement de SIDA, la recherche concernant le traitement et, donc, l’éradication
situation sortant de l’ordinaire, exigeant un traitement possible d’une maladie, s’est développée en même temps que sa
d’urgence, et appelant à prendre des décisions « risquées ». propagation. Mais, devant « l’état d’urgence » ou « d’exception »
que créerait la lutte contre une telle catastrophe, le spectre d’une
Mais, en même temps qu’apparaissaient brusquement de nou- militarisation des appareils de sécurité publics, que viendrait
velles menaces, que la notion de sécurité civile se développait sous-tendre le concept de sécurité globale, se profile à l’horizon de
dans les textes législatifs ou réglementaires [2], et qu’en parallèle, ces recherches [6].
les recherches spécifiques dans de nombreux domaines se pour- Même si nous en sommes déjà là, ce n’est tout de même pas en
suivaient, le concept de crise est lui-même devenu beaucoup plus ces termes que la dynamique des crises dans l’espace public est
« complexe ». analysée.
« ... Le développement de controverses scientifiques, l’interpella-
tion des autorités par des personnes ou des groupes (s’estimant
1.3 Urgence, crise et rupture ou redoutant d’être) exposés à des menaces, la survenue de
désaccords entre les décideurs et/ou entre les experts, l’activité
C’est à Patrick Lagadec que l’on doit une distinction entre « ... trois
propre des médias, etc... » [7] sont les manifestations qui peuvent
catégories de phénomènes : l’urgence, « simple brèche dans un uni-
faire qu’un événement devienne une « polémique », une
vers stable » ; la crise, correspondant à « un événement qui fuse
« affaire », un « scandale », avec des mises en accusations tour-
avec mise en résonance rapide du contexte » ; et enfin la rupture,
nantes.
« moment critique dans les processus de mutation globale... » [3].
Et comme Claude Gilbert avait écrit dans [8] : « ... Les situations
C’est dans ce sens qu’il parle de « ruptures créatrices ». Car,
de ce type se présentent comme une mise à l’épreuve, voire
pour lui, « ... nous sommes aujourd’hui à une période de rupture
comme une vérification, des capacités des autorités à assurer la
en matière de sécurité, sur tous les fronts – environnement, climat,
protection des collectivités dont elles ont la charge... », on peut
santé publique, technologie, dynamiques sociales, géostratégie,
voir le déplacement opéré dans la prise en compte des protagonis-
violence. Il nous faut nous saisir de ces questions, massives et
tes et des enjeux, en seulement une quinzaine d’années.
enchevêtrées qui, de plus en plus souvent, nous apparaissent rele-
ver de « l’impensable » (...) « Nous voici projetés dans un monde Aujourd’hui, ce n’est pas une plaisanterie de dire que la crise
qui perd ses repères comme ses frontières. Nous passons de crée des potentialités de crise qui, à leur tour, mettront à l’épreuve
l’accidentel – une défaillance spécifique, sur un terrain globale- les « dispositifs de veille et de gestion de crise » comme F.
ment stable – au chaotique : un terrain profondément et durable- Chateauraynaud le dit des systèmes d’alerte, toujours dans la
ment déstructuré, matrice de problématiques de sécurité dont les même revue [9].
lois nous échappent... » Nota : * les majuscules sont de l’auteur.

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1.5 Des situations critiques 2.2 Crise grave post-accidentelle


aux désordres graves
Même si la recherche ne peut, ni ne doit, s’empêcher de toujours
Des ambiguïtés certaines demeurent – et peut-être encore pour progresser et s’attaquer à toujours plus « impensable », il paraît
longtemps – concernant la définition de la crise et de sa gestion. souhaitable, dans ce domaine comme dans d’autres, de ne pas
En appeler aux concepts « risque », « urgence », « rupture », oublier, pour autant, d’exploiter les avancées déjà repérées. Or, les
« vulnérabilité », « menaces », sans oublier celui plus générique de crises graves post-accidentelles (L’Erika, les tempêtes de 99, AZF,
« sécurité », c’est s’appuyer sur des domaines en pleine évolution « le » tsunami,...) génèrent toujours des retours d’expérience et des
qui s’alourdissent en permanence de nouvelles significations et de modifications dans les réglementations et les comportements. Elles
nouvelles réglementations. permettent de dissocier l’accident de l’événement. Elles sont tou-
jours difficiles à accepter et à faire accepter. De grande amplitude,
Mais, pour la poursuite de mon propos, je citerai encore une fois à cinétique rapide au départ, elles forcent l’implication brutale de
P. Lagadec : « ... Certes, les risques d’hier – l’installation qui l’ensemble des partenaires de la société civile. Chacun les vit en
connaît l’accident spécifique – n’ont pas disparu, loin s’en faut, et il totale immersion, toujours dans l’urgence. Leurs effets restant visi-
faut être en mesure d’aligner les capacités de prévention (...), de bles pour une longue période, il est très difficile de les nier. Elles
réaction connues et indispensables (...) Et attention : bien des mettent en vive lumière les mécanismes sous-jacents dans toute
compétences peuvent se perdre, même en peu d’années... » [4]. situation critique, même s’ils apparaissent négligeables en temps
ordinaire. Enfin, l’apparition de conflits est inéluctable et nécessite
Autrefois, quand on parlait de « risque majeur », la plupart des
des médiations. Pour toutes ces raisons, il m’apparaît légitime de
personnes ne discernaient pas vraiment s’il s’agissait de celui dont
concentrer notre attention sur cette catégorie de crise.
on redoutait la survenue ou de ce qui avait (déjà) entraîné un
accident grave d’ordre technologique ou naturel. Aujourd’hui, il Pour citer Jean-Pierre Bourdier, directeur délégué coordination
semblerait qu’un phénomène équivalent se développe dans le Groupe EDF, au moment des tempêtes de décembre 1999 » [10] :
vocabulaire employé pour la gestion des entreprises et autres « ... Gérer la crise, ce n’est donc pas seulement réparer des lignes
« organisations du vivant ». D’un côté, il y a des situations criti- ou des installations, c’est mobiliser des moyens humains, médi-
ques apparaissant dans des environnements instables, dangereux caux, psychologiques pour éviter que les situations dramatiques
mais maîtrisés. Celles-ci génèrent cependant des sentiments ainsi créées ne se traduisent par des pertes de vies ou des dégâts
d’insécurité et d’instabilité qui font demander aide et assistance à sociaux irrémédiables. (...) Gérer la crise, c’est s’en tenir aux faits,
des personnes compétentes dans le traitement de ces urgences : décrire où on en est, rendre compte des actions entreprises, pas à
elles en appellent à la maîtrise des risques. De l’autre côté, on a vu pas. (...) Apprendre collectivement à gérer la crise est certes beau-
que pouvaient se développer des situations de désordre grave ou coup plus lent et beaucoup plus complexe que l’apprendre
gravissime, mettant en danger « les fonctions vitales » des structu- « chacun dans son coin », mais c’est une magnifique école de
res atteintes, quelle que soit leur échelle, et dépassant donc le civisme et de cohésion sociale... »
simple cadre des entreprises. Et celles-là, immanquablement géné-
ratrices de crises, exigent alors des attitudes et des réactions pro-
fondément différentes de la part de toutes les parties prenantes
dans la société civile. C’est ce que je propose de développer dans
le texte qui va suivre.
3. Irruption d’une crise
dans une « organisation »
Ces schémas qui entendent représenter la dimension de la crise
2. Crises caractérisées dont il va être question par la suite, sont le fruit d’un travail de
« décantation » que j’ai mené lentement à la recherche d’un outil
qui permette de clarifier pour mes interlocuteurs – en particulier
2.1 Ce que l’on peut en dire les étudiants – la plupart des notions utiles à la compréhension du
phénomène de crise.
Les crises, cependant, ne seront pas obligatoirement causées
par une occurrence de grande importance. Le domaine dans lequel
elles se développent ne servira pas, non plus, à les caractériser. Il 3.1 Organisation en marche
pourra s’agir, aussi bien de crise surgissant dans les secteurs
industriel, économique, alimentaire, financier, social ou humani- Le rectangle (figure 1) symbolise une « organisation ». Ce terme
taire... désigne autant une entreprise, qu’un groupe ou une filière, une
Les crises apparaissent comme ayant leur vie propre. Cepen- ville, une région, etc. Disons que c’est une dynamique vivante qui,
dant, on remarque qu’elles sont caractérisées par l’ampleur et les lorsqu’elle vise à conserver sa structure, utilise des procédures qui
grands nombres : qu’il s’agisse d’acteurs, de victimes, de régions sont de l’ordre du préventif, du curatif ou du correctif, afin de maî-
ou de pays impliqués, sans oublier les commissions d’analyses, triser les écarts par rapport à une norme. Même si les définitions
les expertises, etc. Elles ont toujours un caractère exceptionnel, qui m’ont été proposées par des ingénieurs pour ces trois termes
dans la démesure ou la disproportion. Elles nécessitent toujours n’ont pas eu les mêmes contenus, aucun d’entre eux n’a récusé
des dérogations, par dépassement des limites habituellement cette triade.
autorisées. S’y ajoute une très grande intrication des données, des
domaines, des spécialités contribuant ainsi à leur complexité. Si
bien que les effets de correction sur leurs trajectoires sont particu- 3.2 Apparition de tensions
lièrement imprédictibles.
Mais cette organisation est forcément soumise à des tensions :
incidents et clignotants surviennent (figure 2)... mais, comme il est
Et puis, effet souvent très mal ressenti, la diffusion immé- d’usage, seulement aux quelques personnes concernées, à des
diate dans le grand public de ce qui les constitue, leur donne moments différents, avec des intensités variées et avec des signifi-
ipso facto une coloration politique – au sens premier du cations différentes pour chacun...
terme. C’est ainsi qu’elles peuvent être considérées comme
Et puis, par moments, certains incidents deviennent vraiment
des « catastrophes » en elles-mêmes.
menaçants, des actions s’imposent dans l’urgence. La situation est

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une organisation en marche... le vital est atteint...

CORRECTIF

PRÉVENTIF

Crise post-accidentelle
ACCIDENT + ÉVÈNEMENT

CURATIF
CURATI
CUR TIF

... redoute de perdre la maîtrise des écarts ... cadres et barrières sont détruits

Figure 1 – Représentation schématique d’une organisation en marche Figure 3 – Représentation schématique de la crise

intervenir, les limites entre l’interne et l’externe disparaissent à de


nombreuses occasions, l’information est devenue obligatoire, le
l‘organisation... domaine public est concerné et impliqué : l’événement est créé, et
c’est le début de LA CRISE.

C’est un phénomène entropique, un désordre


« désorganisé » (le terme de Claude Gilbert est toujours
d’actualité) qui met à mal toutes les instances impliquées,
elles-mêmes souvent désorganisées. Mais, surtout, elle
revient en boomerang et à plusieurs reprises sur les acteurs.
LES
URGENCES
RESSENTIES
SONT
PARFOIS
VRAIES
DES ÉCARTS
DEVIENNENT 4. Affronter et réguler
INCIDENTS
ET MENACES les crises – les dépasser –
clignotants
avec des partenaires qui
s’imposent
... raisonne encore comme en situation maîtrisée
Il s’agit, d’abord et avant tout, de lutter contre cette désorganisa-
Figure 2 – L’organisation subit des tensions et des incidents
tion massive. Mais, surtout, il faut tenter d’interrompre l’enchaî-
nement des aggravations que ces désordres engendrent, et penser
à poser les jalons d’une reconstruction féconde.

redoutée, des responsables se trouvent dans une situation critique, On pourrait penser à un ordre chronologique. De loin, dans
mais il ne s’agit toujours que de problèmes, graves, certes. l’après-coup, c’est ce que nous aimons à dire. Ce n’est pas le cas
pour ceux qui sont aspirés dans un tel maelström. On peut le
Tout le monde raisonne encore comme en situation maîtrisée, constater dans l’exemple des inondations de la Nouvelle-Orléans.
en tout cas maîtrisable. Dès les tout premiers jours, alors que la survie d’un nombre
considérable de personnes était encore en jeu dans une ville sub-
mergée, on pouvait observer à travers les témoignages qui nous
3.3 Ajout de l’événement sur l’accident parvenaient, que des régulations s’amorçaient dans tous les
domaines, techniques, scientifiques, sociaux, juridiques, poli-
La crise, la voilà : l’éclatement est arrivé directement, par un tiques,... Il était évident qu’elles devraient être soutenues long-
accident dans l’organisation, indirectement par la survenue d’une temps et, déjà, des gens montraient qu’ils réfléchissaient à une
catastrophe dans l’environnement (figure 3). reconstruction qui ne se contenterait pas de colmater les « brèches
désastreuses » dans toutes les acceptions du terme.
Cadres et barrières sont détruits, les « fonctions vitales » sont
atteintes. La survie est menacée. L’organisation ne peut plus, de sa Cette façon de réfléchir oblige à se poser des questions
propre autorité, maîtriser la situation. Les pouvoirs publics doivent « basiques ». Quant aux réponses...

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En ce qui me concerne et, en toute fausse modestie, j’ai repensé de bois puissent traverser certains départements afin d’atteindre
à cette phrase de Saint Augustin dans « Les confessions » : « ... les aires spéciales de stockage venant d’être créées. Trois mois
Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. s’étaient écoulés, et certaines personnes renâclaient à délivrer ces
Si je veux l’expliquer à qui me le demande, je ne le sais plus... ». autorisations. Les tempêtes étant vieilles de plus de trois mois,
Donc, pour parler de l’importance du temps, à défaut de lui trouver elles ne voyaient plus où était l’urgence. La filière bois avait
une définition, je vais me contenter de voir les problèmes qu’il engagé une course contre le risque de décomposition des grumes
pose lors de la phase d’affrontement. par les insectes xylophages, les préfectures n’étaient concernées
que par des autorisations de transit sur des territoires qui n’avaient
pas connu de tempêtes.
4.1 Ce qu’il faut affronter
■ Mais, il arrive aussi que ce soit l’accident lui-même qui change
En effet, après avoir analysé ces situations, je pense que ce sont de nature. Nous avons en mémoire l’exemple ancien, mais
majoritairement des problèmes de décalage dans le temps – simul- typique, de l’incendie de l’usine Sandoz à Bâle. En l’espace d’un
tanéités, successions, durées – imprévisibles et conflictuels – qu’il week-end, l’urgence à traiter était passée d’un incendie dans une
faut affronter. Que de multiples problèmes surgissent en même usine chimique à un nuage toxique, pour se transformer en cette
temps est une évidence, et nous avons pléthore d’exemples. gigantesque pollution du Rhin qui, partie de Suisse, a concerné la
Prenons « la crise des Chablis » en France. Les tempêtes de la France, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Quand les uns
fin de décembre 1999 ont gravement endommagé les forêts fran- parlaient incendie, leurs interlocuteurs répondaient nuage,
çaises, couvrant le nord et le sud du territoire, à 48 heures d’inter- pendant que la police fluviale allemande alertait les mêmes autori-
valle. Quelle est la situation ? tés sur la progression de la pollution des eaux fluviales.

■ Des récoltes (déjà achetées sur pied, ou à venir) sont par terre, ■ Nous avons évoqué plus haut les « chambres de doléances ».
les accès aux parcelles sont devenus impraticables, les bois abat- Les demandes d’aides et d’assistance, si elles sont considérées
tus forment des mélanges d’essences, d’âges, de tailles souvent comme justifiées au moment d’un accident catastrophique, ne
inextricables. Comment les récolter ? Comment maintenir le tardent pas à être beaucoup plus difficilement supportées au fur et
marché du bois ? à mesure où le temps passe, alors qu’elles-mêmes ne cessent pas.
Surtout lorsque les personnes chargées de recevoir les appels ne
■ De nombreux propriétaires sont gravement touchés sinon sont pas autorisées à proposer de solution.
ruinés ; des organisations de la filière « bois » (principalement des Dans la crise des « Chablis », les propriétaires forestiers atten-
entreprises) étaient déjà en pleine restructuration ; l’approvision- daient des aides que les représentants de l’État ne pouvaient leur
nement des industries du bois est menacé et le contexte écono- donner. En même temps, il fallait les convaincre de ne pas vendre,
mique est difficile. ou bien s’attendre à des boycotts de ventes, lorsque celles-ci
À la même période, le naufrage de l’Erika, la menace du bogue avaient été organisées après d’intenses négociations...
informatique de l’an 2000 et la crise de la vache folle ont déjà
■ À l’inverse, ce ne sont pas les suppliques, mais les exigences
mobilisé bon nombre de partenaires dans un environnement per-
des clients qui bousculent et accentuent la détresse d’une usine
turbé. À ces problèmes, des réponses sont à apporter immédiate-
dévastée dont la dernière livraison en partance vient d’être détruite
ment. Quel est le plus urgent ? Que peut-on décaler ?
par une inondation brutale.
■ À la direction de la forêt du ministère de l’Agriculture, à Paris
donc, les actions simultanées ont porté sur une évaluation rapide Affronter tous ces décalages dans le temps consomme une
des pertes sur l’ensemble du territoire, la production d’un plan énergie considérable.
national promis par le ministre pour le 15 janvier 2000, la recherche
de groupes d’alliance, la mise en place de plusieurs groupes de tra-
vail interinstitutionnels, l’assouplissement indispensable de dispo- 4.2 Ceux qui affrontent
sitifs préexistants, la production d’outils d’aide à ce type de
négociation. ■ Dans cette phase où l’urgence est reine, en tout premier lieu, ce
sont les victimes. Parmi celles-ci, il y a celles qui ont tout perdu,
■ Et sur le terrain ? Et localement ? Et régionalement ? Les même la vie. Et puis, il y a celles que le plus grand dénuement
services déconcentrés des niveaux régionaux et départementaux, n’empêchera pas d’organiser la lutte pour leur survie et celle de
les bûcherons et toutes les structures travaillant en forêt sont leurs proches. Il fut un temps où les pouvoirs publics associaient
mobilisés par, et dans, les cellules de crise préfectorales et munici- « victime » et « passivité ». Or, les victimes, une fois le premier
pales, afin d’aider au dégagement des bois tombés, étant donné moment de stupeur ou d’hébétude passé, sont en général très
leurs connaissances des lieux. Mais, intimement mêlés aux activi- « actives », même si ce n’est pas dans le sens souhaité par les
tés de ces cellules de crise, il ne sera pas question, pendant plus gens qui s’en sentent responsables.
de huit jours, qu’ils se limitent aux seuls domaines censés les
concerner. Ils vont partager l’ensemble des problèmes centrés sur ■ Autour d’elles gravitent ceux que l’on nomme les « impliqués ».
le dégagement et la mise en sécurité des personnes et de leurs Ceux qui sont dans la proximité – pas uniquement géographique –
biens. Nombre d’entre eux deviendront des « écoutants » dans ces des victimes. Il s’agit aussi bien de leur famille, proche ou éloi-
« chambres de doléances » spontanées qui se créent partout où les gnée, de leurs collègues ou associés, que de leurs dirigeants, ou
téléphones ne sont pas coupés. Régionalement, d’âpres négocia- même des membres des nombreux groupes auxquels elles appar-
tions d’un côté, la constitution de groupes de travail et l’accueil tiennent (syndicaux, culturels, confessionnels, sportifs,...). Tous
des émissaires venus de Paris, en parallèle, s’ajoutent à la diver- vont se mobiliser... et cela fait rapidement du monde.
sité des problèmes déjà évoqués.
■ En général, on pense plutôt d’abord aux professionnels du
■ Dans ce genre de situations, on conçoit facilement que ces par- secours : pompiers, SAMU, police, gendarmerie, sécurité civile,...,
tenaires tellement nombreux changent souvent d’interlocuteurs qui sont aux premières lignes et sous le feu des projecteurs. Mais,
et, concentrés sur leurs préoccupations, soient en décalage perma- depuis quelques temps, personne n’ignore l’immédiate mobilisa-
nent les uns par rapport aux autres. Et quand, à distance de l’évé- tion des « opérationnels de terrain » (EDF, France Télécom, l’Équi-
nement, de nouveaux partenaires doivent être impliqués, le pement, par exemple), tous ceux qui sont chargés de maintenir à
décalage réside dans l’importance des décisions à prendre. tout prix les flux vitaux des communautés atteintes.
Je pense, en particulier, aux problèmes des autorisations de cir- ■ Enfin, les associations caritatives spécialisées dans l’urgence
culation exceptionnelles indispensables pour que les transporteurs sont très présentes.

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4.3 Ce qu’il faut réguler fiques et techniques. L’un des protagonistes, expert dans une cel-
lule de crise, m’a dit un jour : « Nous naviguions en permanence
■ Des conflits ? Oui, bien évidemment. Mais, en situation de crise entre solidarité et bras de fer ».
ouverte et intense, ce sont les dérapages de toutes natures que les
uns et les autres n’arrêtent pas d’enrayer. On les trouve, par Ces régulations, en forme de « pilotage à vue » de pro-
exemple, dans les objectifs donnés, les priorités à déterminer, les blèmes qui se « superposent comme des tuiles », ajoutera-t-il,
stratégies et les procédures à adopter, les rôles et les fonctions à demandent énormément d’endurance.
assumer, les informations données et demandées, les systèmes de
communication choisis.
■ L’explosion de AZF, en septembre 2001, peut aider à mettre du 4.4 Ceux qui régulent
contenu derrière ces mots. On a pu voir, dans ce qui précède, se profiler les protagonistes
• Un premier dérapage dans les objectifs est antérieur à la concernés. Il s’agissait des responsables de ceux qu’on appelle
catastrophe. En effet, le département de Haute-Garonne disposait « les opérationnels ».
d’un plan particulier d’intervention (PPI) pour 17 établissements Aux niveaux hiérarchiques plus élevés, des décisions devaient
Seveso, d’un plan rouge, d’un plan blanc, pour le CHU, et d’un réguler toutes ces conduites commandées par la primauté de
plan Sesame pour les établissements scolaires. Essais de sirènes l’action dans l’urgence et l’instabilité. On aborde ici l’aspect déci-
mensuels, réseau radio, consignes de secours diffusées, des plans sionnel de la crise avec les acteurs appartenant aux trois grands
d’organisation interne des entreprises (POI) testés annuellement, domaines classiques :
Toulouse se préparait activement. Sauf que... l’hypothèse d’une – les représentants de l’État et leurs services ;
explosion à l’échelle de la ville n’avait pas été prévue [11]. – les élus et leurs administrations territoriales ;
• Le problème de l’hébergement, puis du relogement, a été – les gestionnaires des entreprises et leurs groupes.
longtemps crucial étant donnée la destruction importante due à Ces responsabilités, existant au plus haut niveau de l’État autant
l’onde de choc (27 000 logements ont été touchés plus ou moins que sur le terrain (on se souvient de la chute de la tribune sur le
gravement, sans compter les établissements scolaires, universitai- stade de Furiani, et des mises en examen qui ont suivi), la multipli-
res, les dispensaires, les hôpitaux). De ce fait, la cellule cation des acteurs empêche chacun d’y voir clair et de discerner
« hébergement » municipale s’est rapidement doublée d’une cel- où réside l’autorité.
lule des « architectes de l’urgence » quadrillant la ville en repérage Ces multiples franchissements de limites, de barrières, en
des immeubles très dangereux. Puis, comme les gens, au bout de brouillant le regard de chacun quant au repérage de l’autorité dont
quelques jours, ne pouvaient plus « camper » chez eux, ni suppor- il dépend, laissent la place pour la consultation précoce (pour ne
ter plus de 10 jours de cohabitation « solidaire » avec ceux qui pas dire immédiate) des experts que l’on voudrait désespérément
avaient offert de les héberger, la « cellule logement », constituée considérer comme des oracles, ce dont ils se défendent, à très juste
de 30 personnes, a fonctionné 7/7 jours en prenant de plus en plus titre. Mais, ils se trouvent, en même temps, sommés de dire les cau-
d’importance, avant de voir son activité décliner au profit de celles, ses, les effets, les menaces de l’événement, par un monde média-
délocalisées, qui s’occupaient des problèmes d’assurances (36 663 tique polymorphe. Car les médias ont également cette fonction
dossiers d’indemnisation déposés). redoutée de régulation qu’on leur reproche violemment d’exercer.
• Les structures d’accueil des blessés, hôpitaux, dispensaires, Certains trouvent qu’ils agissent de façon par trop frauduleuse. Ce
ont dû réviser leurs priorités par rapport au plan blanc, et improvi- qui leur est reproché me semble surtout lié au fait qu’ils n’y vont
ser des modes de fonctionnement étant donné le grand nombre de pas par quatre chemins pour faire apparaître, quand elle se fait jour,
victimes, le manque de communication par destruction, ou satura- l’impuissance et la vulnérabilité de ceux qui sont le symbole du sys-
tion, des équipements et des routes. À l’hôpital de Rangueil, tème censé protéger les citoyens. J’y reviendrai ultérieurement.
l’explosion a provoqué une chute de verre de 9 étages sur l’entrée Disons, pour le moment, que ce dévoilement en forme d’accusa-
des urgences, et les ascenseurs ont cessé de fonctionner. Prévenus tion est justifié par la référence à l’opinion publique. La vox populi,
par un de leurs médecins qui avait vu l’usine exploser, ils savaient en ces instants, devient la référence parée de cette toute-puissance
que « c’était chimique ». Évacuer immédiatement ou rester que l’on dénie à ses représentants. Elle réussit à contraindre, sans
nettoyer ? Ils ont décidé de rester à cause du vent favorable et pour autant descendre dans la rue, les dirigeants à modifier leurs
pour ne pas avoir à abandonner 200 personnes alitées. Et puis, les trajectoires, ou bien à affirmer haut et fort leur efficacité.
blessés sont arrivés. Mais dit un des médecins : « tout le monde
De la position de décisionnaire qu’elle occupait, la responsable
nous a fui... personne n’est venu nous aider : on était considéré
du PC en l’Hôtel de ville de Toulouse, qui s’exprimait à la tribune
comme zone sinistrée... ».
d’un congrès de médecine de catastrophe, en décembre 2002, a pu
• Les formations de la Sécurité civile fournissent un bon exemple dire « La crise n’a pas été engendrée. Nous avons géré une catas-
de l’évolution, pour ne pas dire la transformation, des missions qui trophe, mais pas de crise ».
leur ont été assignées, donc de leur rôle et de leurs fonctions. Les Elle n’avait pas tort, de son point de vue. En effet, si notre
unités basées à Brignoles et Nogent-le-Rotrou, mises en alerte par perception reste celle d’une crise, c’est parce que l’industrie chi-
le COGIC, reçoivent l’ordre de se mettre à la disposition du préfet mique, en général, et les Engrais, en particulier, en vivaient déjà
de Haute-Garonne. Lui-même les met à la disposition du maire, qui une à l’époque et cette explosion a très gravement endommagé
va les rattacher aux cellules de quartier. Ils disent avoir fait la mise leur crédit (au sens premier du terme). Et puis, toutes les crises ne
en sécurité d’ascenseurs, du soutien psychologique auprès des durent pas éternellement, toutes ne ressemblent pas au monstre
populations, accompagnés et introduits par des « grands frères » du Lochness, quelques-unes se résorbent, ou plutôt se dépassent.
dans les immeubles, sans oublier d’aider à la mise en sécurité de
l’usine AZF avec une opération de colmatage, « autant de travaux
qui ne sont pas très courants pour eux » dit leur rapporteur, plus 4.5 Ce qu’il faut dépasser
habitués à des interventions sur crash d’avion ou attentats.
Dans ces gigantesques mises à l’épreuve généralisées, qui
• La demande d’expertise, et l’introduction des experts dans la comportent désintégrations, destructions, dilutions, déstabilisa-
connaissance et la reconnaissance de ce qui se passait à Toulouse tions, pertes de repères, décrédibilisation, je dirais, pour faire
est peut-être ce qui aura demandé le plus de régulations et obligé court, que chaque instance, impliquée directement ou secondai-
à réfléchir sur les dérapages provoqués par l’irruption de ces rement, est appelée à dépasser les conséquences des choix ris-
accidents graves. Et pas seulement dans les domaines scienti- qués qui ont dû être faits.

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Ces choix de décisions, d’actions ou, au contraire, le fait qu’elles ■ Les assureurs sont de puissants acteurs dans le dépassement
aient manqué, ont été assumés par des personnes différentes, à de des crises graves. Dans le cas des accidents catastrophiques, ils
nombreux niveaux, dans de nombreux domaines, sans possibilité interviennent très tôt. Ainsi, à Toulouse :
de recul et, surtout, dans une grande solitude après les moments « ... Comme lors des tempêtes de décembre 1999, les sociétés
de surchauffe. d’assurances se mobilisent. Dès le lendemain, les premiers repré-
Fermeture de l’entrepôt, de l’usine, du quartier ? Délocalisation ? sentants des compagnies arrivent sur place, aux côtés de nom-
Maintien des activités, chômage technique, abandon de projets de breux experts, pour une première évaluation des sinistres... Le
développement urbain ?... processus de règlement des différents contrats de prévoyance est
enclenché dès la semaine suivante.
C’est le moment où responsabilités, culpabilités, font partie des
Dans le même temps, des membres des chambres départemen-
leçons à tirer. De ce qu’on appelle l’évaluation. C’est le temps pro-
tale et régionale des agents d’assurance tiennent des permanences
pre à la crise. Celui où se confrontent un regard distancié sur le
dans les centres d’hébergement provisoires mis en place par la mai-
passé encore récent et une projection sur un avenir bien incertain.
rie à l’intention des toulousains touchés par la catastrophe. Car il
Moment où chacun est appelé à rendre des comptes, ou bien
faut avant tout les conseiller sur les démarches les plus urgentes à
essaiera d’éviter d’avoir à le faire, en même temps que la vie
effectuer. Conserver les objets endommagés, prendre des photos,
présente apportera son lot de nouvelles exigences.
demander les devis des réparations nécessaires, ces conseils sont
maintes fois répétés à travers les journaux de la presse écrite régio-
Dépasser ces épreuves exige beaucoup de détermination, de nale, les radios et télévisions locales. Un numéro vert est également
lucidité et de concertations... après ce qui a, souvent, exigé du mis en service par la fédération française des sociétés d’assurance
dépassement de soi. (FFSA) » (...) « Face à l’ampleur de la tragédie, et avant même d’en
connaître les causes exactes, la FFSA décide rapidement de prendre
des mesures exceptionnelles. Les dossiers liés à la catastrophe sont
4.6 Ceux qui dépassent traités en priorité. Les formalités sont simplifiées pour accélérer le
Nous trouvons ici les acteurs chers à notre système démocra- versement des indemnités... Mi-octobre, enfin, une cellule de liaison
tique depuis « L’esprit des Lois » de Montesquieu : le pouvoir judi- est créée autour d’un « Monsieur bons offices ». Elle doit favoriser
ciaire, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. le dialogue entre assureurs, victimes de l’explosion et autorités
locales. Dans les 48 heures suivant le drame, les assureurs reçurent
■ Dans le registre des accidents catastrophiques, le procureur de en effet quelque 40 000 déclarations de sinistres... » [13].
la République est immédiatement alerté et décide de la poursuite Mais leur rôle et, surtout, celui des compagnies de réassurance
éventuelle : « ... Représentant des intérêts de la société tout se poursuit dans les conclusions à en tirer : « ... Reste que cette
entière, c’est après une enquête fouillée qu’il appréciera s’il y a eu explosion a mis en évidence les conséquences de l’urbanisation et
fatalité ou si cette enquête fait apparaître des manquements à cer- la prévention de plus en plus en complexe de ce type de drame.
tains règlements, des imprudences ou des négligences ayant un Une réflexion s’engage désormais sur l’ensemble de la protection
lieu de causalité direct avec les morts, les blessures, ou les dom- des risques industriels... » [13].
mages causés aux personnes, à la faune ou à la flore... S’il estime
que l’enchaînement des événements ne résulte pas de la fatalité, ■ Parmi ces acteurs qui concourent au dépassement, j’appelle
mais de maladresses, de négligences ou d’imprudences, le procu- « analystes » la grande famille de ceux que l’on va mandater pour
reur s’attachera à identifier les responsables de ces actions en explorer les arcanes de ces crises graves, y débusquer les germes
abstentions dommageables. Il saisira un juge d’instruction pour de dysfonctionnements ou, au contraire de « bonnes » attitudes, et
poursuivre les investigations et procéder, s’il y a lieu, aux mises en les exposer dans des rapports qui aideront à alimenter la réflexion
examen des personnes dont l’activité ou l’inaction a été à l’origine générale et influeront sur les décisions qui modifieront l’avenir.
des dommages. • En font partie les experts, mais il peut s’agir aussi bien de per-
Lorsque tous les éléments seront réunis, et si des charges sérieu- sonnes dont la compétence dans leur domaine aura été reconnue
ses pèsent sur des personnes, le juge d’instruction renverra l’affaire et respectée, que d’organismes, d’instituts, ou encore de commis-
devant le tribunal correctionnel pour que celui-ci juge et condamne, sions ad hoc.
s’il estime établies les infractions d’homicide involotaire ou blessu- Et comme le domaine de la crise reste toujours étroitement lié à
res involontaires ou pollution, ceux qui en sont les auteurs. celui du risque, nous en connaissons tous un certain nombre dont
la notoriété n’est plus à démontrer. Certains sont institutionnels,
Ainsi, la Justice contribue à faire reculer la fatalité. Elle analyse
d’autres indépendants. Certains sont financés par des fonds
les événements, met en cause des pratiques, incite les détenteurs
publics, d’autres par des fonds privés. Certains sont adoubés par
de certains pouvoirs (élus, administrateurs, industriels...) à réflé-
les autorités, d’autres restent leur « poil à gratter », etc.
chir sur les possibilités de réduction des risques, à solliciter, s’il en
est besoin, scientifiques et chercheurs pour trouver des solutions, • Dans leur proximité se tiennent les chercheurs. Ils sont dans la
et à prendre les mesures appropriées pour éviter le renouvel- mouvance universitaire, sont souvent consultés par les précédents,
lement d’événements catastrophiques. Les recherches effectuées mais sont encore peu nombreux à être spécialisés dans le registre
par le procureur de la République et le juge d’instruction, leur ana- de la crise, si on veut bien la séparer du risque. Leurs champs de
lyse des causes des catastrophes, les décisions des tribunaux qui recherche couvrent des disciplines extrêmement variées, autant
s’ensuivent sont autant d’aiguillons pour sortir du fatum, dans les sciences dures, que dans les sciences humaines. Après un
c’est-à-dire objectiver l’événement et utiliser les connaissances important développement, ces dernières années, dans le domaine
scientifiques et techniques actuelles pour repousser les limites de du nucléaire d’un côté, et du management de l’autre, il semble
l’inexplicable. Et en ce sens, avec des préoccupations, des qu’aujourd’hui l’accentuation soit dirigée sur la recherche en santé
méthodes, et des moyens différents de ceux des personnes et publique.
organes qui interviennent sur les conséquences des catastrophes ■ Dernier acteur dont je parlerai ici : l’« Inconscient ». Il ne me
pour en minimiser les effets et porter secours aux victimes... » [12]. paraît pas possible en effet de passer sous silence cet « acteur »
Nous verrons dans le paragraphe suivant les instances qui sont – en tant que rôle incontournable – dans les facteurs de dépas-
chargées de faire appliquer la loi à travers l’exemple de la loi de sement d’une crise grave.
modernisation de la sécurité civile. Disons simplement ici que En effet, depuis S. Freud, qui le premier a su élaborer une théo-
chaque nouvelle crise grave post-accidentelle est à l’origine de rie sur son existence, ses multiples manifestations ont droit de cité
lois, de réglementations et d’accords pluri partenariaux qui modi- dans la vie de chacun d’entre nous et dans la vie publique. Un pro-
fient souvent profondément, en les bousculant, les modes de fonc- fond différent s’est instauré entre S. Freud et C. Jung sur l’exis-
tionnements qui leur préexistaient. tence d’un « inconscient collectif ».

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Impossible ici d’entrer dans le débat, j’en retiendrai seulement 5.2 Son appui : des lois
que tous deux explorent la prégnance des mythes et du symbo-
lique dans nos comportements et dans les leçons que nous tirons Les deux plus importantes sont la loi no 2003-699 du 30 juillet
de l’histoire. Que tous deux constatent qu’il influe sur nos façons 2003 relative à la prévention des risques technologiques et natu-
d’absorber, ou non, les catastrophes subies (ou dépassées) indivi- rels et à la réparation des dommages (dite « loi Bachelot » – JO du
duellement et collectivement. Notre société et notre culture nous 2 août 2003) et la loi no 2004-811 du 13 août 2004, dite « de
en donnent une trace (forcément dévoyée du point de vue freu- modernisation de la sécurité civile ». (JO du 17 août 2004).
dien) avec la mise en place des « cellules de soutien
psychologique », lors d’accidents catastrophiques. Mais, ceci n’est ■ Prenons pour exemple la loi de modernisation de la sécurité
que la partie visible d’un iceberg que beaucoup d’entre nous civile : art. 1 :
rechignent encore à explorer. « La sécurité civile a pour objet la prévention des risques de toute
Déjà en 1990, Henri-Pierre Jeudy, sociologue au CNRS, écrivait nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protec-
un ouvrage intitulé « Le désir de catastrophe ». En effet, qu’est-ce tion des personnes, des biens et de l’environnement contre les acci-
qui pousse les gens à reconstruire à l’endroit même où il est notoi- dents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise
rement devenu dangereux de le faire ? Qu’est-ce qui fait qu’une ville en œuvre de mesures et de moyens appropriés relevant de l’État,
entière va croire pendant plusieurs années qu’« on lui a caché le des collectivités territoriales et des autres personnes publiques ou
nombre exact de ses morts » ou que « Paris a détourné les eaux de privées. (...) Elle concourt à la protection générale des populations,
la Seine sur la Somme pour ne pas être inondé » ? Qu’est-ce qui en lien avec la sécurité intérieure... et avec la défense civile (...) (par-
fait que, contre toute attente, des communautés refusent ce qui tie) de l’organisation générale de la défense... (...) L’État est garant
apparaît à leurs édiles comme une amélioration certaine de leur de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la
condition, ou au contraire adhèrent à des projets totalement doctrine et coordonne ses moyens. (...) Il évalue en permanence
« irresponsables » (à leurs yeux) lors de la phase de reconstruction ? l’état de préparation aux risques et veille à la mise en œuvre des
Qu’est-ce qui « nous agit » à notre insu ? Qu’est-ce qui fait qu’il ne mesures d’information et d’alerte des populations... » *.
s’agit pas que de « perversion du savoir » ou de « volonté Nota : * termes en gras, soulignés par l’auteur.
d’oublier » ? Quels sont ces deuils, enfin, qui ne peuvent se faire et
qui témoignent de traumatismes psychiques parfois alarmants ? ■ On remarque que les crises ne sont pas mentionnées dans ce
principe de sécurité civile. Mais le lien est fait avec la sécurité inté-
Impossible donc, de dénier à cette dimension psychanalytique la rieure (ministère de l’Intérieur) et avec la défense (ministère de la
place qui lui revient. Mais lorsqu’on appartient au monde de la Défense). Les risques étant « de toute nature », les crises issues de
production, de l’agir, de la création, on a vite fait d’assimiler une ces risques sont soumises, par voie de conséquence, aux effets de
réflexion sur les situations de crise grave à un discours de la cette loi, on le constatera d’ailleurs ultérieurement, car le mot
plainte. La tentation est forte d’accuser ces approches, de type apparaît dans les décrets d’application et les réglementations.
sociopolitique ou sociopsychologique, de vouloir renforcer l’idée
d’impuissance et de passivité (trop) chère à nos concitoyens. Si Cette loi est conçue comme une dynamique qui se trouve affir-
bien que nombre de discours sur la « gestion de crise » adoptent mée dans l’article 3 : « ... La politique de sécurité civile doit per-
des styles volontaires, dynamiques, concrets et entreprenants. mettre de s’attaquer résolument aux risques en les anticipant
Passons donc à la riposte. davantage, de refonder la protection des populations et de mobili-
ser tous les moyens encourageant les solidarités... »
Et la notion de solidarité est précisée à l’article 4 : « ... Toute per-
sonne concourt par son comportement à la sécurité civile. En fonc-
5. Organisation tion des situations auxquelles elle est confrontée et dans la
en arrière-plan mesure de ses possibilités, elle veille à prévenir les services de
secours et à prendre les premières dispositions nécessaires... »
■ Ce facteur est si important que la loi précise que la sensibilisa-
5.1 Son socle : un principe tion aux risques doit commencer, dès l’école primaire, jusqu’au
service national. Ceci entraîne, par exemple, le développement des
Article 2 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen
associations agréées ou organismes habilités chargés de cette for-
(1789) reprise dans l’article 8 de la Constitution de 1793 :
mation, tout comme la création de réserves de sécurité civile. Mais
« ... Le but de toute association politique est la conservation des ce n’est pas tout. D’autres créations viennent « refonder la protec-
droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la tion des populations ».
liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression...
■ Il me semble important au point où nous en sommes de repréci-
La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à
ser les questions pour lesquelles ce dossier veut apporter des
chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de
éclairages. En cas de crise grave, quels sont les systèmes mis en
ses droits et de ses propriétés (...) Les secours publics sont une
place pour empêcher l’aggravation des dommages déjà causés,
dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheu-
compenser la perte de fonctions essentielles et anticiper les répa-
reux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens
rations souhaitables ? Ceci implique de mettre l’accent sur les
d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler... »
instances mises en jeu à ces moments-là.
Dans leurs préambules, les constitutions de 1946 et 1958 réaffir-
ment « solennellement les droits et les libertés de l’homme et du
citoyen consacrés par la déclaration des Droits de l’homme de 5.3 Son cadre : des structures
1789 ».
Celles-ci sont définies par l’État.
Ce principe est confirmé dans la déclaration universelle des
Droits de l’homme (Article 3) : ■ Pour l’État
« Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa • Au plan national, c’est au ministre de l’Intérieur de coordon-
personne ». ... et cela fait du bien de reprendre connaissance de ner les opérations de secours, dès que leur ampleur le justifie. Il
ces textes. À la fois conquête et tradition, la sûreté de chacun fait est aidé en cela par le directeur de la Défense et de la sécurité civi-
partie de notre patrimoine que l’État se doit de protéger. les et ses services chargés « des actions de secours visant à la
Ce principe se trouve précisé dans les lois de juillet 2003 (loi sécurité des personnes et des biens, en temps de paix comme en
Bachelot) et d’août 2004. temps de crise ».

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tionnement, ainsi que de cadres chargés de préparer leur mise en


Apparaît donc ici le concept de « crise », mais en tant œuvre immédiate. Devenues le symbole de la gestion des crises,
qu’opposé à celui de « paix », c’est-à-dire avec une coloration leurs structures et leurs fonctionnements font l’objet d’importantes
« guerrière ». recommandations dans de nombreuses publications.

Il a également à sa disposition le centre opérationnel de gestion 5.4 Ses aides : des plans de secours
interministérielle de crise (COGIC) qui « informe en permanence le
cabinet du ministre (...) prépare et coordonne l’action des moyens En effet, la modernisation annoncée de la sécurité civile
d’intervention gouvernementaux ». Ce centre, interministériel, s’applique à réaménager et mieux coordonner les nombreux plans
dépend donc du Premier ministre. qui existaient déjà pour être en cohérence avec les structures qui
Le Conseil national de sécurité civile créé par cette loi, quant à viennent d’être évoquées.
lui, évalue et « émet de façon pluridisciplinaire des avis sur (...) la
gestion des crises, les actions de protection des populations et Ces plans sont les outils majeurs de la mise en jeu rapide et
contribue à l’information du public dans ces domaines ». efficace des moyens dont dispose l’État pour lutter contre tous
• À l’échelon zonal, ce sont les sept préfets de zone et leurs les dangers graves et immédiats.
états-majors qui dirigent l’action des préfets de région dans « un
souci de cohérence des plans civils de protection et des plans mili- ■ Le plan ORSEC (pour ORganisation des SECours) est le plus
taires de défense ». ancien. Il date de 1952. Après qu’on lui ait adjoint, pendant sa
longue carrière, une multitude de plans d’urgence très diversifiés
• À l’échelon régional, le préfet de région aidé de ses collabora- (ceci pour des raisons de spécialisations des domaines d’interven-
teurs (en particulier le service interministériel régional des affaires tions et, également, pour des questions d’indemnisation des
civiles et économiques (SIRACED-PC) œuvre « à la gestion des dépenses effectuées après réquisition), ce plan a repris vigueur et
crises économiques (sécurité des stocks d’hydrocarbures, du prépondérance avec cette dernière loi. Il est décliné en trois
réseau routier, des télécommunications, des réseaux d’électricité, parties : départemental, zonal et national. C’est une organisation
etc.) », c’est-à-dire les fluides vitaux. globale qui prévoit dispositions générales et spécifiques, en fonc-
• À l’échelon départemental, le préfet a la responsabilité des tion des catégories de risques et de menaces recensés. Il existe un
mesures « non-militaires ». Il a à disposition tous les services opé- plan ORSEC maritime, un autre radiologique.
rationnels que nous connaissons : police, gendarmerie, Samu,
■ Le Plan Rouge (nombre important de victimes en un même lieu)
sapeurs-pompiers, équipements..., et tous ceux qui font automati-
et le Plan Blanc (afflux massif de victimes en milieu hospitalier)
quement partie des cellules de crise qu’il convoque en cas de
sont des plans d’urgence.
besoin.
■ Existent également des plans particuliers d’intervention (PPI).
■ Pour les collectivités territoriales
Ceux-ci concernent les entreprises. En effet, « les plans particuliers
À l’échelon communal, le maire reste le responsable de la sécu- d’intervention ou PPI sont établis pour faire face aux risques parti-
rité sur le territoire de sa commune. Cette même loi instaure la culiers liés à l’existence ou au fonctionnement d’ouvrages ou
création de « réserves communales de sécurité civile » placées d’installations dont l’emprise est localisée et fixe ».
sous son autorité et chargées « d’appuyer les services concourant
à la sécurité civile en cas d’évènements excédant les moyens habi- • Ces PPI sont très exigeants et très contraignants. Par
tuels ou dans des situations particulières... » exemple, il est demandé à l’exploitant d’y exposer les mesures
d’urgence qu’il devra prendre à l’égard des populations voisines,
Plus on s’éloigne de l’échelon ministériel et plus on voit que la
en cas de danger immédiat. Avant l’intervention de la police, il lui
gestion de crise perd son caractère militaire pour se concentrer sur
faudra assurer la diffusion de l’alerte, interrompre la circulation sur
la sécurité des personnes et de leurs biens. Reste le problème des
les infrastructures de transport, couper les réseaux et canalisations
entreprises. La loi les implique dans le fonctionnement des plans
publics, et éloigner les personnes au voisinage du site.
de secours qu’elle restructure.
On peut comprendre que ces plans mettent très longtemps
■ Pour tous les organismes concernés avant d’être négociés, élaborés et signés.
Les cellules de crise font partie intégrante des dispositifs à
• Les entreprises classées Seveso doivent être capables de maî-
mettre en place. Au début de leur apparition, elles ne concernaient
triser un sinistre en interne. Surtout, si elles sont classées « seuil
que le niveau préfectoral et avaient comme modèle les centres
haut ». Et même si elles sont classées « seuil bas », le préfet peut
opérationnels de défense (COD). Depuis, le concept s’en est élargi
leur imposer la mise en place d’un plan d’opération interne (POI).
et toute organisation désirant anticiper les effets d’une crise
redoutée met en place une cellule de crise. Quelles vont être leurs Ce POI a pour but d’organiser la lutte contre tout sinistre et doit
particularités ? détailler les moyens et équipements mis en œuvre en interne.
Construit à partir d’une étude de danger, ce POI doit produire les
Tout d’abord, leur constitution n’a pas vocation à être pérenne.
mesures d’urgence qui permettent d’alerter et de protéger le (ou
Elles cessent de fonctionner quand la crise est surmontée. Elles
les) commune(s) avoisinante(s) et l’environnement.
gardent les caractéristiques de la réquisition : les personnes sollici-
tées pour y assister ont obligation à le faire. ■ La loi de 2004 instaure également la création d’un plan
Les cellules de crise sont elles-mêmes divisées en sous-cellules communal de sauvegarde pour les communes. Celui-ci doit
(opérationnel, expertise, logistique, communication, etc.) dont les permettre au maire de compléter par son organisation les plans
tâches sont spécifiques et constituent des aides à la décision du ORSEC, et par voie de conséquence les PPI et POI en vigueur sur
pôle qui les a réunies. Elles travaillent dans l’urgence et pour sa commune. L’objectif étant, entre autres, « d’assurer la
l’urgence. Elles sont contraintes par l’obligation de communiquer continuité de la vie quotidienne jusqu’au retour à la normale ».
souvent et pour de larges publics. Les circonstances modifient les
rapports que les participants peuvent avoir eus auparavant (ce
n’est pas toujours le cas). 5.5 Ses moyens : des acteurs
À géométrie variable (selon la durée, la nature et l’importance Toute cette organisation repose sur ceux qui sont chargés de la
de la crise), elles bénéficient souvent de locaux spécifiques dotés faire fonctionner. Il ne va pas être possible de tous les énumérer,
d’importants moyens de communication et de sécurité de fonc- ni même de reprendre tous ceux auxquels il a déjà été fait réfé-

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rence depuis le début de ce dossier. Ils sont vraiment trop nom- Au vu du nombre très important des victimes et de la variété de
breux, puisque dans les cas qui nous préoccupent, tous les pans leurs préjudices, il a été négocié entre les différents membres du
de la société civile sont censés subir les effets de ces crises graves. comité de suivi concernés par l’indemnisation des victimes une
Mais, puisque nous en sommes au registre organisationnel, réflé- convention pour l’indemnisation des victimes de l’explosion. Cette
chissons à la façon dont ils peuvent être classés. convention prévoit pour chaque grande famille de dommages
(matériels, professionnels, corporels) des procédures de règlement
■ Si on prend les partenaires référencés dans les textes officiels, amiable des litiges simplifiées, rapides et protectrices de l’intérêt
ils existent selon les catégories suivantes : des victimes, sans exclure les voies de recours classiques ouvertes
– les représentants de l’État ; à tous... »
– les élus (Assemblées, Conseil régional, Conseil général) ; (...)
– les industriels et entrepreneurs ;
– les victimes et les populations. « ... La convention a été signée le 31 octobre 2001 par le groupe-
ment des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA), Grande
Ils sont déclinés d’après la hiérarchie administrative. Paroisse SA/groupe Total-Fina-Elf et ses assureurs, par l’Ordre des
■ Si on se réfère aux documents produits par toutes les instances avocats au barreau de Toulouse, la Mairie de Toulouse, le Conseil
concernées par l’urgence, on obtiendra une autre classification : général de Haute-Garonne, le service d’aide aux victimes d’infor-
mation et de médiation (SAVIM), le service de médecine légale de
– les décideurs (publics ou privés) ; Toulouse, la compagnie des experts près la cour d’appel de
– les managers ; Toulouse, la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse, en
– les opérationnels ; présence du ministère de la Justice. La fédération française des
– les experts ; sociétés d’assurance (FFSA), bien que ne souhaitant pas être signa-
– les magistrats ; taire, s’est engagée à en appliquer les principales dispositions... »
– les assureurs ;
– les associations – caritatives (ONG) ou de sécurité civile, ou de
victimes ;
– les impliqués ; 6. Tous ces acteurs
– les populations.
Cette classification vaut également pour ceux qui font retour sur
communiquent
les évènements. Et si on regarde du côté des chercheurs, comme
le Delaware Research Center (USA), on voit se préciser des distinc- 6.1 Information et communication
tions entre les organisations traditionnelles, dont la vocation est
l’urgence, et celles qui « en extension » ont prolongé certaines de Nous venons de parcourir rapidement l’organisation chargée de
leurs compétences dans les situations d’urgence qu’elles veulent la riposte lors de l’irruption d’une crise grave post-accidentelle.
maintenir. Ils repèrent également celles qui, « en expansion » ont, Elle repose sur un principe, des lois, des structures, des plans, des
comme la médecine de catastrophe, développé leur activité dans acteurs. Il me faut aborder maintenant ce que j’appelle l’épineux
le registre de la catastrophe et de la crise grave. Ils ajoutent enfin problème de la communication.
les organisations « émergentes » qui naissent d’une crise particu- En effet, à lire les très nombreux ouvrages, rapports et articles
lière. On pense aux associations de victimes, par exemple. consacrés à la communication de crise, il devient vite difficile de
discerner qui parle de quoi. D’un certain côté, au vu du nombre
■ On peut comprendre la complexité des concentrations, négocia- d’acteurs concernés, il est légitime qu’ils s’expriment – eux ou
tions et décisions prises et à prendre entre tous ces acteurs à tra-
ceux qui parlent en leur nom – et cela fait beaucoup de monde,
vers l’exemple qui suit. Ce document provient de la préfecture de
donc beaucoup d’avis autorisés. D’un autre côté, les sens donnés
Haute-Garonne :
aux mots « communication » ou « information » sont si disparates,
« ... À la suite de la catastrophe industrielle survenue à Toulouse et les glissements de sens entre « crise », « gestion de crise » et
le 21 septembre 2001, et à l’instar des dispositifs mis en place pour « communication de crise » si constants, qu’il est très difficile de se
venir en aide aux victimes d’autres accidents collectifs tels l’effon- repérer parmi tous ces points de vue.
drement du stade de Furiani, l’incendie du tunnel du Mont-Blanc ou
Pour tenter de rester claire, je vais m’en tenir à la même
encore l’accident de l’avion Concorde, le Ministère de la Justice en
démarche que précédemment, et me servir de questions simples
accord avec les chefs de juridictions toulousaines, a mis en place
telles que : Pourquoi communiquer ? Quelles sont les obligations
un comité de suivi des victimes de l’explosion. Ce comité, animé
légales ? Quels sont les besoins ? En information, en
par la Direction des affaires criminelles et des grâces, réunit, à Tou-
communication ? Quels sont les modes de communication choisis
louse, depuis le 10 octobre 2001, plusieurs fois par mois, magistrats,
en situation de crise ? Par quels types d’acteurs ?
avocats, représentants de la Préfecture et du Conseil général de
Haute-Garonne, de la Municipalité de Toulouse, membres de la Je poursuivrai par quelques principes, qu’à mon tour, j’ai pu
direction du groupe Grande Paroisse/Total-Fina-Elf et de ses assu- dégager de mes contacts avec de nombreuses personnes qui
reurs, représentants des compagnies et mutuelles d’assurance, du venaient de vivre de telles crises graves.
service d’aide aux victimes locales, d’associations de victimes... J’insisterai, ensuite, sur ces facteurs handicapants qui gênent gra-
Il s’est donné trois objectifs : vement les échanges entre toutes ces personnes obligées de faire
– veiller à l’indemnisation rapide et équitable des victimes de avec des désordres qui sont déjà là, et pas seulement redoutés.
l’explosion, quelle que soit la nature de leurs préjudices (matériels, Je vais donc préciser maintenant ce que j’entends ici par infor-
corporels, commerciaux...) ; mation et communication.
– assurer une information claire des victimes sur les dispositifs
mis en place pour leur prise en charge et sur le déroulement des ■ L’information va concerner le contenu de messages que l’on
procédures judiciaires ; peut objectiver. La communication, quant à elle, va englober tout
– offrir un soutien psychologique aux victimes pour les ce qui s’échange entre l’ensemble des partenaires concernés. Une
accompagner et évaluer leurs préjudices de cette nature. démarche scientifique – ou, dans un autre registre, autoritaire –
cherchera à n’échanger que de l’information, débarrassée du plus
Après cinq mois de réunions d’abord hebdomadaires puis grand nombre d’artéfacts ou de parasites possibles : « les faits,
bimensuelles du comité, il peut être fait le bilan intermédiaire rien que les faits » (...) « Abrégez, pas de commentaires » (...) « Je
suivant : ne veux pas le savoir » (...) « Ça n’a rien à voir » (...) « Vous mélan-
(...) gez tout »... dit-on à ce propos.

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■ Avec la communication, le phénomène est plus compliqué sous Voici des besoins de repérages dans l’immédiat (j’ai volontaire-
ses apparences de simplicité. En même temps qu’il émet, l’indi- ment laissé se mélanger les catégories d’exemples dans l’espoir
vidu-source peut, par exemple, être influencé par la personne à que perce l’émotion ressentie par ces personnes évoquant, après
laquelle il s’adresse (par son attitude, sa position, etc.) et modifier un peu plus d’un an, ce qu’elles avaient vécu) :
son message en conséquence. Et l’individu-cible a rarement le rôle
passif qu’on veut bien lui prêter. Chacun a l’habitude de filtrer les • Localiser :
messages reçus et de n’entendre que ce qu’on veut bien entendre. Où aller ? Pour porter secours, pour dégager les voies d’accès,
On peut appeler cela le « non-dit ». Ceci est également valable les lignes EDF, les câbles téléphoniques, pour se mettre à l’abri,
pour les groupes (que l’on dit parfois « de pression »). pour obtenir des informations, ... ?
On voit poindre, en filigrane dans ce qui précède, la composante Où accueillir, les blessés, les morts, les sinistrés, les déchets, les
de persuasion que cette conception introduit, sans pour autant eaux polluées, ... ?
aller toujours jusqu’à la manipulation, mot très souvent connoté Où se réunir ? Où fonctionnent des moyens de communication
péjorativement. encore intacts ? Où vont bien pouvoir arriver les informations ?
Cette distinction peut aider à caractériser le type de À qui faire appel ? Pour intervenir, répartir les tâches,
communication développé dans les organisations et spécialement comprendre ce qui arrive, se faire accompagner dans des bois
en cas de crise grave. devenus impénétrables ou, même, méconnaissables ?
• Quantifier, mesurer :
6.2 Motifs de communication Combien de morts, de routes coupées, de bûcherons, ou de
forestiers isolés. Combien de centaines d’hectares ou de milliers
de stères de bois à terre ? Combien de stocks disponibles, pour
6.2.1 Obligations légales combien de temps, ... ?
Le schéma classique de crise, en France, veut que dans • Estimer les dégâts, les besoins en matériels, en personnels,
l’urgence les opérationnels remontent de l’information vers les les coûts, pour traiter sept années de récoltes abattues d’un seul
dirigeants pour que ceux-ci fassent descendre, en retour, leurs ins- coup avant que les bois ne pourrissent, ...
tructions. Cette évidence est consolidée dans les textes législatifs
et réglementaires. En effet, nous avons vu dans la loi de 2004 que ■ Des besoins de même nature sont apparus ultérieurement. Ils ne
les premiers maître-mots étaient « l’information et l’alerte des sont pas restés limités à la période d’urgence et, souvent, se sont
populations ». Dans ce cas, il s’agit bien d’information. renouvelés dans le temps :
Mais, comme dans la phrase suivante il est dit que « ... la prépa- Où stocker les chablis ? Dans quelles conditions ? Quelles sont
ration et la mise en œuvre de mesures et de moyens les modalités d’indemnisation ? Quels vont être les prêts
appropriés... » relèvent « ... de l’État, des collectivités territoriales consolidés ? Qui pourra en bénéficier ? À qui s’adresser ? Quelles
et des autres personnes publiques et privées... », il faut bien que vont être les conditions de recrutement de bûcherons ? Quels
toutes ces instances communiquent entre elles pour se coordon- seront, à chaque étape, les partenaires incontournables ?
ner et harmoniser leurs interventions. ■ Les réponses à ces questions contenaient des messages objecti-
Et, si la mise en œuvre se prépare en prévision des sinistres et vables, comme je le disais plus haut. Elles étaient techniques.
des catastrophes, elle est d’autant plus nécessaire en temps de Chacun, je pense, peut transposer dans son domaine de
crise. D’autant que l’harmonisation doit se faire verticalement compétences des questions du même ordre qui pourraient se
(l’État veille à la cohérence de l’ensemble) et horizontalement poser (ou qui se sont déjà posées) dans une situation de crise
selon les découpages administratifs. Ce que l’on peut constater aussi déstabilisée.
dans les décrets d’application des POI ou des PPI.
Cette distinction, qui peut apparaître négligeable à certains ■ Et si l’on ajoute à cette réflexion les problèmes qu’apportent la
d’entre vous, permet pourtant d’éclairer les confusions de sens, les nécessaire vérification de la validité des informations émises ou
incompréhensions ou même les hostilités dont font preuve – ou reçues, ainsi que le choix des vecteurs que l’on juge les mieux
que subissent – celles et ceux qui sont chargés de la mise en place appropriés à leur circulation, on obtient un petit panorama de ce
de cette modernisation de la sécurité civile, ou bien qui, dans les qui concerne les besoins en informations lors d’une crise grave.
entreprises, développent ce concept de communication de crise. On peut également comprendre que la plupart des directives,
Nous allons le mettre mieux en évidence en distinguant les des plans, des consignes, élaborées par les structures conscientes
besoins en information des besoins en communication. de la nécessité de se préparer à gérer des crises, s’attachent
d’abord à résoudre, le plus souvent grâce à des fiches réflexes, ces
types de problèmes.
6.2.2 Besoins en informations
Mais, comme le travail d’élaboration de ces fiches (ou autres
documents préparatoires) est long, méthodique et minutieux, tant
une situation de crise est complexe, on peut y trouver une des rai-
Les besoins les plus évidents sont des besoins de repérages. sons qui font que la plupart des équipes qui s’y attellent en restent
à ce niveau de préoccupation. Elles oublient de, ou même se
Ces besoins sont les mêmes pour tous, absolument. Même si, refusent à, traiter ce qui touche à la communication proprement dite
bien évidemment, ils ne sont pas vécus aux mêmes niveaux de et à ses stratégies. Le vieux schéma d’« action/réaction » prédomine
responsabilités. Autant reprendre l’exemple de la crise des Chablis ainsi, là où il devrait le moins se manifester, et dans l’illusion que
de décembre 1999. Mais, en se focalisant cette fois-ci sur les le mieux est d’obéir à des consignes... alors que celles-ci ont été
échanges d’informations et les stratégies de communications éla- rédigées dans l’ignorance de ce qui va faire crise cette nouvelle fois.
borés au fur et à mesure des besoins qui émergeaient après cette Le paragraphe suivant devrait permettre d’étayer ce propos.
modification profonde des territoires forestiers.
6.2.3 Besoins en communication
■ Dans ce qui suit, j’ai repris des questionnements entendus,
autant à la direction de la forêt au ministère, qu’auprès d’experts,
d’industriels, de patrons d’entreprises, ou encore de propriétaires, Les besoins les plus évidents sont des besoins de négocia-
grands ou petits, et à tous les échelons. tion et de persuasion.

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Pour en faire la démonstration, je garde encore la crise des Cha- ■ Pour le groupe de chercheurs, de spécialistes et d’experts (une
blis car, en matière de communication, ce qui s’est passé reste trentaine, associés à des décideurs et à des gestionnaires), on peut
exemplaire. En effet, il y eut une catastrophe : les tempêtes. Et, il y même parler d’une véritable mutation de leur travail, devenue une
a eu crise : le marché du bois allait s’effondrer. réelle aide à la décision politique. « Nous n’avions jamais été solli-
Voici, résumées, les démarches qui ont prévalu : cités pour une telle urgence dans une telle urgence », avec un dou-
ble objectif : « mobiliser l’information déjà existante et combattre
– évaluation rapide des pertes ; les idées reçues ».
– production d’un plan national ;
– recherche de groupes d’alliance ; Sont illustrés ainsi des effets de stratégies de communication
– mise en place de nombreux groupes de travail ; qui, cependant connexes, me semblent fondamentaux.
– assouplissement de dispositifs ;
■ Je souhaite enfin porter une attention particulière à une création
– aide à la négociation ;
de la mission plan Chablis. Elle s’est appelée « Info-Chablis ». Ce
– diagnostic permanent de l’évolution de la situation. fut un outil de communication vertical et transversal mis en place
L’accord général sur la nécessité de commercialiser les Chablis très rapidement.
le plus vite possible s’est traduit par un maillage intense impulsé
À diffusion réservée et périodique, cet ensemble de notes élec-
par la direction de la forêt et soutenu par l’ONF. Il a fonctionné grâce
troniques (c’est ainsi que son créateur a tenu à les nommer) était
à la création de groupes de travail (centrés sur la consolidation des
chargé d’expliquer les mesures et les directives en accompa-
informations, sur la recherche et l’expertise, ou sur l’aide à la négo-
gnement de la mise en place du plan, sur tous les territoires
ciation) et par une constante campagne d’information basée sur des
touchés. Pour la mission, cette forme de diffusion des textes repré-
déplacements multiples intra- et inter- régions. Il fallait, en effet,
sentait une économie de moyens, par rapport au téléphone, servait
changer le système de commercialisation, introduire une stratégie
aux échanges d’informations et d’expériences entre les régions,
de négociation permanente, impulser des collaborations inter-ser-
mais surtout était chargé d’être un support pour impulser l’action
vices inter-structures dans toute la filière.
dans ces régions.
Ces instances ont été le lieu d’âpres négociations et, dans la
durée, ont dû prendre en compte la grogne des élus des conseils Un de ses effets bénéfiques a d’ailleurs été de déminer certaines
généraux et des associations de communes, ainsi que la révolte situations explosives. Mais, c’était une gageure pour plusieurs
des propriétaires. raisons.
Pour reprendre l’exemple des aires de stockage, leur trouver des • D’abord, dans les directions départementales ou dans
emplacements possibles dans quelques régions, apprendre à stoc- certaines autres structures, tout le monde n’était pas familiarisé
ker les différentes essences d’arbres, convaincre les communes, avec Internet. Ensuite, le volume des dossiers transmis découra-
d’une part de la nécessité de le faire et, d’autre part, les autres geait des gens déjà immergés dans des flots d’informations. Mais,
ministères (et leurs services déconcentrés) de l’efficacité de la le plus intéressant, à mon avis, a été dans les réactions que ces
démarche. Autant de problèmes qui demandaient des autorisa- notes électroniques ont provoquées, en venant d’une administra-
tions, mais aussi des improvisations et des attitudes nouvelles tion centrale pour la partie « verticale » des informations.
chez chacun, puisque les solutions ne pouvaient être que locales.
• Certains des destinataires attendaient que ces textes les sécu-
Et, en même temps, il a fallu passer à l’échelle européenne et risent et les stabilisent en leur disant la règle et la loi. Ce qui n’était
même mondiale... et à l’Internet, pour vendre les bois, ou acheter pas toujours le cas, puisqu’il s’agissait aussi de concertation et de
de nouveaux matériels, ou encore recruter des personnels quali- consultation. En conséquence, tout ce qui ne ressemblait pas à une
fiés (bûcherons).. instruction était mis en attente. Mais, si les textes avaient l’appa-
rence d’une directive, alors ils étaient épluchés et interprétés avec
Parce que cet exemple a une dimension nationale, autant plus de prudence encore qu’à l’accoutumée.
géographiquement que politiquement, il permet de voir, • Ambivalence donc vis-à-vis du crédit attribué, en situation
comme avec une loupe, ce qui se passe à des échelons plus exceptionnelle, à des textes issus d’une autorité centrale. Certains
réduits, ou plus localisés. s’enthousiasmaient de ce nouveau mode relationnel qui, dans le
C’est dans cette globalité là qu’il me semble nécessaire de même temps, en déconcertait d’autres.
concevoir ce qu’il en est d’une communication de crise.
■ Un mot encore sur la performance des réseaux que l’on active
dans ces circonstances. Ils sont, au départ, majoritairement basés
6.3 Modes de communication sur des relations de proximité. D’abord territoriales, surtout quand
les systèmes de communication habituels sont coupés, puis proxi-
En poursuivant avec cet exemple, nous allons voir que les mité d’intérêts professionnels et personnels (importance des
modes et les méthodes de communications pratiqués ne sont pas carnets d’adresse !). Ensuite, au fur et à mesure où les problèmes
ceux auxquels on penserait spontanément. évoluent, de nouveaux partenaires apparaissent et les informa-
Les nombreux déplacements dans les régions de la mission tions sont déportées vers de nouveaux lieux de négociations, sans
« plan Chablis » ont eu pour résultat l’homogénéité des discours et toujours perdre en intensité dans leur secteur d’origine.
la cohérence des repères donnés par chacun. Celles-ci ont forte- Mais, même si les circuits relationnels se complexifient en
ment contribué à l’attitude globalement positive ayant répondu à même temps que les objectifs se diversifient, les difficultés de
cette forte dynamique. communications et de compréhension s’arrangent très bien de la
fluidité que ces réseaux procurent.
■ La même homogénéité se retrouve dans la constitution, la mise
en place et le fonctionnement des grands groupes de travail, char-
gés de chercher l’information, de la recueillir, de la traiter, et de la
diffuser. Que ce soit le groupe d’expertise scientifique collective à 6.4 Quelques principes
l’institut national de la recherche agronomique (INRA), ou les grou-
pes de réseaux à l’office national des forêts (ONF). Pluridisciplinai- Dans l’exemple de cette crise des Chablis, l’énormité des enjeux,
res, pluri-institutionnels, sous la responsabilité d’hommes choisis l’impossibilité pour quiconque de maîtriser la totalité de données,
pour la circonstance, ils étaient structurés autour de thèmes et de ont conduit à la prolifération de modes et de moyens de
localisations géographiques. Les mêmes objectifs, les mêmes communication.
contraintes, les mêmes obligations de résultats les ont rendus Toutes les situations de crise n’atteignent pas cette ampleur, ni
performants. ce besoin d’inventions en matière de communication. Chacune

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d’entre elles, cependant, apporte son lot d’innovations. Et, chaque ■ L’objectif de toutes les instances décisionnelles est de pouvoir
fois qu’il est donné à quelqu’un, ou à une équipe, d’analyser leurs limiter l’engorgement des réseaux afin de laisser le champ libre à
composantes, la logique veut qu’on en dégage des principes pour l’arrivée des informations. Mais, en même temps, ces instances
apporter une contribution à ce qui n’est pas encore une théorie de font l’expérience qu’il faut aller chercher ces informations pour
la communication de crise. Au stade où nous en sommes ici, qui obtenir les plus pertinentes d’entre elles. De même, obtenir
est celui des constats et des recommandations, j’en resterai aux l’énoncé de faits bruts sans qu’ils soient interprétés est une chance
quelques évidences qui se dégagent de ce qui précède. pour mieux appréhender les conduites à tenir, ou anticiper les
chaînes de conséquences. Mais, en même temps, la sécheresse
des faits sans leur environnement émotionnel laisse la porte
D’abord, rappelons-le, les cadres habituels ont volé en ouverte à toutes les erreurs d’interprétations sur la réception pos-
éclats. La première nécessité est donc de construire des sible des décisions prises, ou des discours tenus.
cadres de références provisoires pour rendre possible toute
action réparatrice. L’objectif des médias grand public (pour les différencier des
médias spécialisés, que beaucoup d’entre nous pratiquons dans
La communication et les informations y jouent un rôle pri-
nos environnements professionnels) est, au contraire, de faire par-
mordial, mais elles ne sont pas « la » crise. Elles y contribuent
ticiper le plus grand nombre aux émotions que procure l’écla-
seulement, soit en aidant à en réduire les effets désastreux,
tement des cadres qui, ordinairement, permettent l’équilibre et
soit en les aggravant par elles-mêmes.
assurent la pérennité de notre organisation sociale. Ils fonction-
nent donc comme une immense caisse de résonance. Les uns vont
redouter ces explosions émotionnelles, les autres vont, au
Une fois que les axes prioritaires d’intervention ont pu être repé- contraire, y trouver leur compte.
rés et déterminés, les différents partenaires (contraints à s’enten-
dre, rappelons-le) doivent avoir la conviction de leur validité. Cela À y regarder de plus près, les informations que ces médias diffu-
ne peut se faire que s’il leur est possible d’échanger, discuter, sent n’en restent pas au plan événementiel. On peut remarquer
argumenter, protester, pour accepter de modifier leurs modes de qu’ils opèrent également une distanciation en sélectionnant les
fonctionnement et leurs comportements. informations qui vont renforcer les convictions de leurs publics.
Enfin, ils fonctionnent à un niveau rationnel, car ils cherchent à
Ensuite, maintenir la cohérence et la cohésion (cohérence pour reconstituer la chronologie des faits et à identifier les responsabili-
limiter les dérapages et cohésion pour renforcer les solidarités) va tés. Ils recherchent, en conséquence, toutes les informations
reposer sur deux critères : la légitimité et la crédibilité des person- fiables et vérifiables qui peuvent leur permettre de construire une
nes et des messages. Ces deux critères ne peuvent être maintenus histoire cohérente.
que s’il subsiste un état de confiance réciproque.
■ Les situations de crise rendent visibles de véritables guerres de
Mais attention ! Quand il y a complet bouleversement des manipulations, souvent par médias interposés, portées jusqu’à la
méthodes d’analyse et de fonctionnement, ces critères deviennent caricature avec leur inévitable corollaire de « l’arroseur arrosé ».
extrêmement volatiles. Ils n’appartiennent plus à telle ou telle Mais, ce ne sont que les manifestations exacerbées et, donc
personne ou à telle structure comme à l’ordinaire. Bien qu’il y ait souvent incontrôlables, de ces luttes d’influence qui nourrissent au
un vrai débat sur ce sujet, parce qu’il touche au problème de la quotidien notre vie sociale. Par voie de conséquence, l’impact éco-
responsabilité exercée, je veux dire qu’il va être souvent néces- nomique et financier qui les sous-tend apparaît au grand jour, de
saire de vérifier où légitimité et crédibilité (et captation, disent les façon parfois impudique. Ce qui fait redouter l’irruption des crises.
spécialistes de la communication) apparaissent à ce moment-là et
prendre appui sur ces instances pour que se maintienne la
confiance. 6.6 Quelques obstacles
Et pour continuer à rendre visible cet enchaînement, on a pu à la communication
constater que la confiance s’enracine et se nourrit dans la lutte
contre le terrifiant sentiment d’isolement que toute personne plon- Ces situations de crise ne font pas que renforcer d’immenses
gée dans une crise profonde a toujours éprouvé. Si une manifesta- solidarités, ou même apparaître dérisoires certaines de nos préoc-
tion de solidarité, la plus basique soit-elle, vient briser ce cupations quotidiennes. Elles ont tendance à justifier ce vieil
sentiment de solitude absolue, alors confiance et gratitude s’épa- adage : « l’homme est un loup pour l’homme ».
nouissent... et dureront tant qu’elles continueront à être alimen- Loin de moi la prétention de croire qu’il serait possible de trou-
tées... par des solidarités manifestées. Sinon la place sera libre ver une façon d’éradiquer ces violences qui se révèlent dans ces
pour des comportements individualistes et redoutés ou pour les situations. Mais, lorsqu’on essaie de comprendre d’où peuvent
vieux antagonismes. Ces solidarités peuvent atteindre une telle venir tous ces « malentendus », on découvre des raisons qui, si
force symbolique qu’elles sont capables de supporter d’être elles étaient mieux connues et donc prises en compte, allégeraient
parfois plus virtuelles que vécues. Mais pour éviter les profondes beaucoup de ces tensions souvent insupportables.
maladresses, les déclarations trop intempestives, il faut une
certaine familiarité avec ces registres. C’est ce que j’appelle les réactions « handicapantes ». En voici
quelques-unes.

■ Prenons, par exemple, la première représentation de l’événe-


6.5 Informer et communiquer : ment que se construit toute personne que l’on informe de la surve-
les protagonistes nue d’un accident catastrophique.
Celle-ci va dépendre de sa culture personnelle et profession-
nelle. Pour chacune, les logiques institutionnelles, les logiques
Il ne faut pas se leurrer, la réalité est là : tout le monde
d’acteurs (selon la personnalité mais, surtout, selon les grades, les
communique avec tout le monde. C’est une compulsion pro-
fonctions, les formations) vont aider à construire cette représenta-
fonde. Les seules limites qui y sont apportées sont la destruc-
tion. Nous savons donc que ces représentations diffèrent parfois
tion ou le degré de fiabilité de tous les moyens de
très largement les unes des autres. Ce que nous savons moins,
communication utilisables (depuis le satellitaire jusqu’au pli
c’est que la « première » est souvent la plus durable, qu’elle ser-
par porteur), et les tentatives de régulation des flux par les
vira de filtre permanent pour les informations qui vont suivre, et
uns et par les autres.
qu’elle sera très difficile à modifier.

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Si l’information vous arrive d’un énorme nuage « jaunâtre »


dans un ciel intensément bleu, en vous disant qu’il pourrait être 7. Tous ces acteurs
toxique, l’intermédiaire prudent que vous êtes ne pourra pas éviter
qu’il le devienne quasi automatiquement dans les têtes de plu-
se préparent
sieurs de vos destinataires, surtout qu’autour d’eux l’idée diffusera
par d’autres canaux. Philippe Essig, dans le rapport intitulé « débat National sur les
risques Industriels » qu’il a remis au Premier ministre, en Janvier
Il sera très difficile à ces personnes de modifier l’idée première
2002 à la suite de l’accident de Toulouse, a écrit :
qu’elles se sont faite. À moins de vérifier de façon répétitive
qu’elles sont conscientes de cette représentation et que l’ensemble « ... Nous manquons en France d’une vraie culture de sécurité »
des partenaires parlent bien de la même chose. et la développer passe par une « obligation éthique de regarder les
problèmes dans toutes leurs dimensions : scientifique, écono-
■ L’événement lui-même peut évoluer, entraînant un changement mique, managériale, administrative, sociologique, sociétale,
de focalisation, parfois rapide, parfois dans la durée. Le naufrage sociale... » [15].
de l’Erika, puis l’expansion de la marée noire, puis les
Les propositions contenues dans ce rapport ont été largement
conséquences en chaîne de ses effets, en fournissent un bon
reprises dans les lois et décrets cités précédemment, et traduites
exemple. Si bien qu’au même moment, si on n’y prend pas garde
par des obligations et des incitations à la formation, en ce qui
et même si les acteurs poursuivent les mêmes objectifs, ils ne
concerne le risque, mais aussi les crises. De l’obligation éthique,
traitent pas des mêmes choses et donc de vrais dialogues de
nous sommes passés à l’obligation légale dans ce domaine des
sourds s’installent.
crises post-accidentelles. Cependant, des efforts très sérieux
■ Cependant, une des réactions les plus handicapantes est liée à avaient déjà été entrepris, tant par la recherche universitaire, que
l’objectif que chacun se donne pour la résolution de la crise. par certaines entreprises pour que les responsables, qui appa-
J’évoque ici ce qui se forge en nous et qui touche à nos raissent en première ligne, lors de l’irruption de crises graves,
convictions les plus fortes, quelles que soient les directives explici- assument avec intelligence et efficacité ce qui était exigé d’eux en
tes données dans ces situations intensément contraignantes et, milieu brutalement désorganisé.
indépendamment des fonctions ou des missions assumées.
Vont ainsi se juxtaposer des objectifs, tels que : 7.1 Obligations légales et réglementaires
– le retour à l’ordre antérieur ;
– le souci de la pérennité des institutions ; Dans les orientations de la politique de sécurité civile qui
– la sauvegarde des individus et de leurs biens ; figurent en annexe à la loi de modernisation de la sécurité civile,
– la préservation des moteurs de l’économie ; on trouve ceci :
– l’effacement le plus rapide possible des traces ; « ... Ces orientations présentent deux caractéristiques :
– la prévention de l’aggravation du malaise social ; – elles sont volontaristes, traduisant l’impératif de mobiliser les
– l’évitement des conséquences pénales ; énergies et les moyens pour obtenir des progrès mesurables dans
– l’occasion de changement politique, économique ou social ; l’action face aux conséquences des risques de défense et de sécu-
– la mise en valeur des acteurs ou de nouveaux dispositifs. rité civiles ;
– elles imposent une coordination dépassant les frontières habi-
Ces objectifs, s’ils n’ont pas l’occasion d’être formulés, pro- tuelles des services, de leurs attributions et de leurs prérogatives,
voquent des conflits de priorités aux conséquences parfois désas- pour mieux les faire travailler ensemble.
treuses.
On peut les regrouper sous les trois axes suivants :
■ Restent des obstacles liés aux leçons tirées d’expériences mal- – s’attaquer résolument aux risques, en les anticipant davantage
heureuses de crises comme, par exemple, le traitement de la (I. – Connaître, prévoir et se préparer) ;
« transparence » et de ses liens avec la vérité. – refonder la protection des populations (II. – Affirmer la place
du citoyen au cœur de la sécurité civile) ;
Tous les départements « communication » l’affirment : mieux
vaut jouer la transparence. Mais cette prescription reste maniée – mobiliser tous les moyens, en encourageant les solidarités (III.
avec difficulté. Pourtant, elle apparaît comme le seul rempart – Organiser la réponse à l’événement).
contre les rumeurs que l’on redoute et dont on croit qu’elles (...)
peuvent être maîtrisées. S’attaquer résolument aux risques (Connaître, prévoir et se pré-
C’est l’étude d’une rumeur (à la suite de la première inondation parer). Il faut aujourd’hui appréhender toute la réalité du danger :
de Nîmes) qui m’a conduite à réfléchir au mécanisme de la trans- anticiper les crises, prendre de vitesse les catastrophes, travailler
parence et à son difficile maniement. Lorsque des responsables sur chaque risque de défense et de sécurité civiles, en combinant
pratiquent la transparence, ils impliquent être dans la vérité. En le souci de la prévention et celui de l’intervention.
effet, si vous n’êtes pas dans la transparence, vous êtes dans la Dans cette perspective, s’attaquer aux risques, c’est :
dissimulation. Or, qui dit dissimulation, dit mensonge. Donc, trans-
– synthétiser l’état des connaissances sur les risques dans une
parence égale vérité. Il est, par conséquent, bien préférable de
démarche pour la première fois réellement pluridisciplinaire, allant
choisir la transparence et la clarté, même si ce n’est pas toute la
de l’analyse scientifique des phénomènes à l’organisation des
vérité. Mais, ce n’est pas si simple.
secours ;
Car, cette logique du discours transparent a tendance à rejeter – repenser la planification opérationnelle ;
tout autre forme de discours du côté du mensonge. Or, les dis- – élargir la pratique des exercices à des entraînements en vraie
cours collectifs sont rarement transparents. C’est ainsi que les dis- grandeur... »
cours officiels, en prônant la transparence, renvoient subtilement
« ... Les nouveaux exercices seront menés à trois niveaux :
les citoyens dans l’obscurité du mensonge. Cela provoque leur
cadres et états-majors, acteurs multiples des crises, population
défiance en retour, et renforce leur hostilité à ces discours d’auto-
elle-même. L’entraînement des gestionnaires de la crise sera déve-
rité. Et les rumeurs y trouvent un terreau fertile.
loppé à l’échelon local au-delà des seuls services de secours. La
Difficile communication en temps de crise... et tâche redoutable programmation pluriannuelle des exercices, sur les priorités
pour ceux qui cherchent les stratégies, méthodes et moyens pour ressortant de l’analyse des risques, assurera une démarche cohé-
« alerter, informer, clarifier » en évitant ces écueils [14]. rente de préparation à la crise. On y intégrera l’entraînement à une

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réponse rapide aux attentes du public et des médias déjà pratiqué « ... Il s’attachera en particulier à identifier les lacunes des
dans certains exercices de sécurité civile, la communication des systèmes existants vis-à-vis des risques et menaces de toutes
pouvoirs publics apparaissant en effet essentielle pour la maîtrise natures. Il devra permettre de proposer, selon ce diagnostic, des
de la crise. Les exercices feront l’objet d’un suivi par des évalua- axes d’amélioration organisationnels, sociologiques et technolo-
teurs indépendants, dotés d’instruments objectifs de nature à giques, ainsi que des concepts de prévention, de protection et de
garantir la fiabilité des enseignements... » gestion de crise vis-à-vis de ces menaces. Des feuilles de routes
pourront être proposées à l’issue de ces études... »
« ... L’information doit être précédée d’une formation de base.
La généralisation, au collège ou au lycée, de l’apprentissage aux « ... Des résultats concrets sont également attendus sur la base
gestes élémentaires de sauvetage et de sécurité, et de la formation de démonstration de faisabilité d’outils permettant : la gestion des
sur l’organisation de la sécurité civile, est indispensable pour alertes ; la modélisation et la simulation visant à mieux analyser et
atteindre un niveau satisfaisant de mobilisation et permettre, gérer la complexité de la sécurité des systèmes ; l’aide à la déci-
comme indiqué dans l’exposé des motifs du projet de loi, que la sion ainsi que l’étude notamment rétrospective de la gestion d’une
sécurité civile soit effectivement l’affaire de tous... » crise ; le traitement de l’information : perception de la situation,
fusion de données hétérogènes et exploitation de celles-ci... ».
J’ai détaché en gras ce qui concerne plus particulièrement les
crises. On part de « la réponse à l’événement » pour « prendre de Modélisation, donc, pour l’étude notamment rétrospective de la
vitesse les catastrophes », « en combinant le souci de la préven- gestion d’une crise ? Ce n’est pas tout à fait ce qui est dit. On en
tion et celui de l’intervention ». En élargissant « la pratique des reste encore à ne vouloir modéliser que la sécurité des systèmes.
exercices à des entraînements en vraie grandeur » avec une pro- Pourtant, au début des années 90, un programme de recherche
grammation pluriannuelle, en y renforçant la « communication des européen, auquel j’ai participé en tant que membre de son comité
pouvoirs publics », en évaluant la « fiabilité des enseignements », scientifique, a choisi de modéliser des crises à partir d’un outil
on atteindra « un niveau satisfaisant de mobilisation pour la commun que nous avions mis deux ans à construire ensemble et
maîtrise des crises ». C’est, qu’en effet, les pouvoirs publics qui considérait la crise comme une organisation en soi, ayant vie
veulent obtenir de l’ensemble des populations qu’elles soient tota- et développements, certes éphémères, mais autonomes.
lement impliquées. Il me semble que cette démarche, à base de construction de pro-
La question se pose immédiatement des moyens. Comment les cessus (acteurs, actions, finalités opératoires, messages) et de pha-
choses se présentent-elles aujourd’hui ? ses, alliait la mise en espace des constituants des crises à leurs
rythmes d’évolution dans le temps. Ceci permettait d’étudier des
situations hautement instables et non-reproductibles. Mais, même
si nous avions pu produire des préconisations en fin de contrat,
7.2 Modes de préparation nous avions conscience que les modélisations sont (sûrement)
nécessaires mais absolument (non) suffisantes pour savoir gérer
Pendant un temps, la tentation a été grande de faire accoler au une crise.
terme de préparation celui de prévention, et d’appliquer les règles
de la prévention au management des crises. Mais vouloir, par
exemple, prétendre au risque zéro en tout lieu et en toute circons- 7.2.2 Simulations
tance est un précepte qui, assez rapidement, a fait long feu. Il a Elles sont l’outil privilégié des opérationnels. Indispensables à
bien fallu reconnaître que d’améliorer autant qu’il était possible la leurs formations, elles ont acquis leurs lettres de noblesse en
qualité de la prévention, ne pouvait éradiquer ni les accidents, ni dépassant le cadre de l’entraînement de base pour accéder à la
les crises. D’autant que l’ensemble de la société civile n’est pas dimension de laboratoire grandeur nature. Nous venons de voir
une entreprise et que gérer une crise exige d’autres stratégies, que certains types d’entre elles entraient dans le cadre réglemen-
d’autres moyens, d’autres outils. taire. Elles sont les héritières de ce qu’on a appelé exercice,
J’ai pu observer que la façon dont s’organise la préparation à manœuvre, entraînement, mise en situation, jeu de rôle, etc.
l’irruption des crises s’oriente autour de trois grands pôles : les
modélisations, les simulations et les retours d’expériences. ■ Certaines servent à tester la mise en place ou le fonctionnement
d’installations ou de dispositifs. Elles sont alors connotées scienti-
fiquement ou militairement. Dans ce cas, elles sont évaluées de
7.2.1 Modélisations façon rigoureuse.

Elles restent l’outil privilégié du monde scientifique. En ce qui ■ D’autres vont tester les comportements des individus dans les
concerne les crises, elles demeurent affaires d’expert. fonctions qu’ils ont à exercer. Elles ont alors besoin de discrétion
vis-à-vis des problèmes managériaux qu’elles soulèvent en interne
Les premiers modèles d’analyse systémique ont cependant été ou inter institutionnellement. Plus fréquemment encore, leur but est
ensuite développés par les pionniers des cindyniques dont le but d’aider à la prise de conscience de la complexité des situations
était de faire comprendre à des non-scientifiques l’intérêt des qu’une crise engendre dans la société civile. Souvent alors les cri-
modélisations pour maîtriser l’approche des crises. Il me semble tères d’évaluation de la pertinence de leur mise en place sont très
avoir perçu dans leur enthousiasme comme une précipitation à flous.
vouloir faire de ces approches modélisées des outils de décision et
non pas, prudemment, des moyens d’observation et d’analyses ■ On peut repérer quatre grands types de simulation :
pouvant éclairer des prises de décisions ultérieures.
• Les simulations grandeur réelle sur le terrain des opérations.
La succession des crises graves avec leurs changements de Les plus récentes ont porté sur des actes terroristes – à Nancy, en
nature, tout autant que le relatif succès de la mise en pratique des 2005, par exemple – ou sur une pandémie grippale (gouvernement
préconisations ainsi élaborées ont, semble-t-il, contribué à calmer français, 2006).
le jeu. Cependant, ce travail de recherche reste majeur. Voici un
Pour les entreprises, ces exercices sur le terrain sont organisés
extrait de l’appel à projet de l’agence nationale de la recherche
soit sur un ou plusieurs sites (EDF), soit dans des instituts de for-
2006 [16] :
mations spécialisés (type CNPP). Elles sont réglementées, voire
« ... Le présent appel à projets vise à susciter une recherche contrôlées, quelquefois auditées (Normes ISO 14001). Ces simula-
scientifique et technologique de haut niveau, appelée à soutenir tions demandent un long travail en amont, la mobilisation de plu-
l’émergence d’une approche globale et systémique de la sécurité sieurs partenaires, et elles rencontrent de nombreuses difficultés,
en favorisant les regroupements d’acteurs majeurs, académiques, dont le coût et l’organisation de leurs évaluations ne sont pas les
industriels et d’utilisateurs finaux... » moindres.

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• Les simulations grandeur réelle virtuelles ont comme objectif d’importants axes de développement. La caractéristique de leur
de faire fonctionner des cellules de crise en salles. Il semble que dynamique actuelle est la recherche d’une approche globale du
l’on teste alors à la fois différentes catégories de situations, dif- retour d’expérience (REX ou RETEX).
férents types d’outils (surtout des modélisations informatisées), en
même temps qu’on veut mettre à l’épreuve les différents acteurs ■ Il reste cependant qu’ils correspondent encore aujourd’hui à
que l’on estime peu familiers des situations de crises graves. trois grandes tendances. La première s’est développée à partir de
l’analyse a posteriori d’incidents ou d’accidents mineurs. Le REX
Les approches de ce type de simulations sont nombreuses, est alors un outil de management pour l’encadrement. Pour le
selon qu’elles sont issues des instituts de formation publics, GIS-REXAO, cela va même plus loin : il s’agit de « développer des
d’entreprises, des acteurs territoriaux, ou de cabinets de méthodes dans la perspective de la gestion des connaissances
consultants. implicites à partager par le plus grand nombre », c’est-à-dire en
• Les simulations en modèle réduit sont les plus nombreuses. faisant participer les salariés.
Elles s’apparentent à des jeux de rôles. Chacune est conditionnée ■ Le REX est ensuite un outil de contrôle. Dans la directive Seveso
par la capacité de l’organisme qui la produit à mobiliser et à II (à l’article 14), l’exploitant doit fournir à l’autorité compétente un
s’entourer de partenaires externes. certain nombre d’informations après un accident majeur. Sur la
S’il est fait appel aux opérationnels locaux, la dominante sera liste donnée figurent « les enseignements tirés des accidents ». De
opérationnelle. Si elle est dominée par les médias, elle sera son côté, la norme ISO 14001 parle d’actions correctives et préven-
communicationnelle. Si des experts en management sont sollici- tives dans le chapitre intitulé « non-conformité », tandis qu’elle cite
tés, la dominante sera organisationnelle, etc. le retour d’expérience dans le chapitre consacré aux « situations
d’urgence ».
• Les simulations en kit adoptent les modèles de jeux de
société : type Monopoly (plan horizontal), ou plots magnétiques à ■ Le REX est également une méthode d’étude pour la recherche.
déplacer sur des tableaux (plan vertical). Elles ont un maître du jeu Par exemple l’association nationale de valorisation interdiscipli-
(un individu, un groupe) qui est aussi maître du temps naire des sciences humaines et sociales auprès des entreprises
(« Emergo-train System » suédois, repris et adapté par l’école (ANVIE) a constitué, en 2006, un groupe de travail interentreprises
nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) intitulé : « Le retour d’expérience ou comment mieux prendre en
sous l’appellation « Simcata »). compte le facteur humain dans la gestion globale des risques ».
■ Ces simulations posent quelques problèmes dont le coût en Dans la présentation de ce groupe de travail, il est dit : « ... Tous
énergie, en temps et en argent que demandent le travail de prépa- les systèmes (techniques, informatiques...) et les procédures ne
ration, leur montage et leur suivi, sans oublier leur évaluation, fonctionnent que grâce et par les interactions avec les opérateurs,
appelée souvent « retour d’expérience » par « contamination » lesquels sont par définition au cœur de la maîtrise des risques. La
avec la réalité. prise en compte du facteur humain est donc indispensable à la
compréhension des mécanismes de survenance et de résolution
Ceux qui se chargent de les monter leur demandent peut-être
des risques et des crises... »
plus qu’elles ne peuvent donner. Le scénario doit être le plus
complet, le plus minuté possible. Dans ce cas, risques et crises sont mis sur le même plan. Car
c’est une démarche globale qui vise à constituer une réponse à
• On souhaite également faire coïncider le scénario l’opacité des systèmes complexes qui y est recherchée. En même
« technique » avec l’implication des supérieurs qui ont d’autres temps, l’organisation en cause peut retirer de ce dispositif une
enjeux dans l’évolution de la crise. On veut monter un système meilleure connaissance collective d’elle-même, de ce qui fonde
d’information de crise au préalable, parce que la formation à la son histoire, sa culture, ses valeurs.
communication de crise est devenue un problème à part entière.
On cherche, ou on tend, à hiérarchiser les acteurs à mobiliser prio- C’est ainsi que les retours d’expérience, quoi que l’on puisse
ritairement. On veut fonctionner en partenariat avec les autres ins- penser du facteur humain, du contenu et de la place qu’on lui
tances et, donc, les impliquer dans le montage des scénarii. donne, peuvent aider les entreprises à se préparer à l’irruption de
crises et, plus particulièrement, celles qui nous concernent, les
• Enfin, on veut impliquer « le public ». crises post-accidentelles.
Alors, il n’est pas rare de rencontrer, chez ceux qui n’en sont pas ■ Mais alors, dans le cas où il s’agit d’accidents et de crises graves
à leur première expérience de simulation, un sentiment de décou- – ce qui constitue la troisième tendance – apparaissent quelques
ragement et d’inutilité des efforts accomplis. Car les résultats sur questions auxquelles ils sont confrontés. Quels liens peuvent exis-
le terrain, lors de la survenue de nouvelles crises, ne sont pas pro- ter entre les REX et les travaux d’expertise ? Entre les REX et les
bants à leurs yeux. enquêtes administratives et judiciaires ? Dans quelles conditions
■ Il ne faut pas non plus oublier les développements de l’intelli- ces dispositifs, conçus pour aider à améliorer le fonctionnement
gence économique, de l’intelligence territoriale qui conduisent à des entreprises et de leurs salariés, ne vont-ils pas obtenir un
des propositions de formations plus agressives. Voir à ce propos résultat inverse ? Dans le cadre d’instructions, d’investigations
l’institut pour une culture de sécurité industrielle (ICSI) et le haut voulues par chaque instance concernée, comment peuvent fonc-
comité français pour la défense civile (HCFDC)... Des enjeux plus tionner le devoir de réserve, parfois l’obligation de confidentialité
durs, des combats plus menaçants sont autant de conditions qui et même du secret ?
vont peser sur la réussite de ces simulations [17]. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne que, surtout lors
Des simulations souples aux infrastructures légères, pouvant d’investigations sur les managements en cause, les retours d’expé-
inclure en chemin de nouveaux acteurs, de nouveaux moyens de rience peuvent, au-delà des luttes d’influence, provoquer des résis-
communication (et également assumer la privation de ces tances, des conflits, et même des crises. Les méthodes permettant
moyens), avec un pilotage informatisé interactif innovant, font d’objectiver l’ensemble des conditions qui entrent en jeu au
actuellement l’objet de recherches pilotées par le pôle pédago- moment crucial où les décisions urgentes sont prises, que ce soit
gique de l’équipe système et risques, Laego, Nancy [16]. par des opérateurs ou des décideurs, c’est-à-dire objectiver le rôle
de l’inconscient dans ces moments où l’irruption du « réel » est
traumatisante, ces méthodes donc, ne semblent pas avoir encore
7.2.3 Retours d’expérience fait leurs preuves.
Ce sont les outils privilégiés par et pour les militaires et les ■ Pour avoir dû travailler sur les rumeurs et par conséquent sur
grandes entreprises. Tout comme les simulations, ils bénéficient l’inconscient collectif en cas de crise, j’ai eu à réfléchir au rôle de la

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transmission orale dans nos cultures, où l’écrit a toujours force de ments sont repris ensuite pour être analysés afin d’en tirer des
loi. L’oral peut être utilisé comme un contrepouvoir par rapport à enseignements.
la lettre. Mais, l’oralité dépasse largement cette fonction. Par
Dans l’état actuel des connaissances, les organisations choisis-
exemple, les savoir-faire que l’ouvrier transmettait à ses apprentis
sent entre modélisations, simulations et retours d’expérience pour
ne passaient pas souvent par l’écrit. Pour développer les
se préparer à la survenue de telles crises. La tendance générale est
connaissances, il y avait l’exemple et la parole qui racontait les
de les inclure dans le développement global d’une nouvelle culture
expériences passées...
de sécurité.
Et j’ai cru discerner dans certains textes sur les retours d’expé-
rience qui proposaient de les décomposer en plusieurs niveaux ■ Juste une dernière réflexion pour permettre d’aller plus loin
(dont celui de l’unité de base) comme un retour de cette dimen- Il reste à creuser le difficile problème de la capacité à prendre
sion du partage du savoir par l’échange verbal uniquement. De la des décisions sans connaissances suffisantes et dans des milieux
même façon, j’ai eu connaissance d’un certain type de réunions déstructurés, quel que soit le niveau hiérarchique ou de responsa-
entre de hauts responsables de ma région où des décisions impor- bilité de chacun. Comment développer et étayer cette capacité ? Il
tantes étaient prises collégialement, à condition qu’il n’y en ait pas semble que cette culture de sécurité, telle qu’elle est prônée
de compte-rendu écrit... et cela a duré bien des années. aujourd’hui, fait quand même encore l’impasse sur cet aspect du
On retrouve ici le problème de la confiance... si difficilement problème.
partageable dans la durée en cas de crise ! C’est pour cela que j’ai Cherchant à voir comment cette culture allait pouvoir s’enraci-
été tentée d’intituler ce chapitre « la narration », et non pas « le ner, j’avais annoncé dans mon introduction que j’ajouterais des
retour d’expérience ». J’avais dans l’idée d’étendre le terme de réflexions sur l’intervention de la justice et sur le soutien psycholo-
narration à plusieurs des formes qu’elle peut prendre : témoi- gique aux impliqués. J’ai ébauché au passage les notions de réel,
gnages, récits, jeux de rôles, analyse des pratiques, etc. d’imaginaire et de symbolique qui sont de précieuses clés pour
C’est-à-dire des formes où la symbolique peut s’exprimer sans comprendre ce qui se passe dans une crise post-accidentelle avec
entrer en conflit avec la vérité. Et, j’aurais inclus le retour d’expé- les résurgences de mythes archaïques qui s’y devinent. J’aurais
rience dans cette liste. souhaité développer le lien avec la catharsis de la tragédie
grecque... ce que je n’ai pas fait.
Car, chemin faisant, il me devenait de plus en plus clair que ce
8. Conclusion qui était en question était la capacité des individus à se sentir
suffisamment en sécurité à l’intérieur d’eux-mêmes pour prendre
des risques en assumant leurs responsabilités, être capable tout
Aujourd’hui, la menace d’une pandémie mondiale de la grippe bonnement de sang froid. C’est-à-dire avoir trouvé et développé
aviaire, largement médiatisée, ou celle du terrorisme nucléaire, suffisamment de confiance dans leur environnement.
appréhendée avec plus de discrétion, font deviner, par l’ampleur Pourquoi cette chose si banale était-elle devenue un si énorme
de la mobilisation qu’elles engendrent au niveau des États, la souci ? En particulier dans les entreprises dont le principal objet a
dimension extraordinaire, au sens propre du mot, que peut toujours été de produire dans la confiance ? Ou même dans la
prendre une crise. « Nous sommes aux frontières du chaotique » société civile organisant le maintien de l’ordre pour assurer la
dit Patrick Lagadec. Nouveaux types de menaces, mais aussi sécurité de tous ? Pourquoi la gestion de la crise à EDF a-t-elle sus-
« nouvelles vulnérabilités », analyse Claude Gilbert. cité, chez J.P. Bourdier que j’ai cité au début de ce dossier, ce type
Dans ce contexte, l’accident de Toulouse, comme il est quelque- de commentaire que je reprends : « Apprendre collectivement à
fois appelé, apparaît bien modeste aujourd’hui. Sauf qu’il devient gérer la crise est... une magnifique école de civisme et de cohésion
facile, rétrospectivement, d’oublier que l’explosion a réellement sociale », l’enthousiasme et la chaleur que l’on ressent dans le
existé, entraînant son lot de destructions et de détresses, dont coude à coude devant l’adversité étant traduits ici dans le
certaines continuent de se manifester, et mettant les acteurs au « apprendre collectivement » et « école... de cohésion sociale » ?
pied du mur de la crise. Plus tard, de nouvelles lois, de nouvelles La question serait donc que les apprentissages, qui nous per-
réglementations, de nouvelles structures sont venues renforcer les mettent de développer un fort sentiment de sécurité intérieure et
responsabilités de nombreuses catégories de partenaires, donnant de confiance en nous, ne seraient plus aujourd’hui, ni pertinents,
l’illusion que l’ordre était à nouveau établi, et que semblable ni suffisamment performants dans le contexte de la demande
évènement ne pourrait se reproduire. Or, il est impossible de dire sociale de sécurité. Et cela, en dépit de bien des discours et des
que cet accident n’a pas entraîné de crise. manifestations qui affirment tout à fait le contraire.
Ce type de crise grave post-accidentelle n’est peut-être pas le Il n’y a pas si longtemps encore les ouvrages qui traitaient de
chaos, mais elle le préfigure, et elle l’est sans doute pour les crises individuelles n’étaient lus que par des petits cercles spéciali-
acteurs directement impliqués. Elle exige des attitudes et des réac- sés. Aujourd’hui ils touchent un public beaucoup plus large et les
tions profondément différentes, par rapport aux accidents ou crises sont associées à une « souffrance sociale ». Le titre d’un
risques usuels, de la part de toutes les parties prenantes dans la ouvrage, édité en 2005, par le sociologue François Dupuy précise
société civile. C’est ce que j’ai essayé de montrer. même sa cible : « La fatigue des élites, le capitalisme et ses
cadres » [18]. De nouvelles vulnérabilités émergent donc qui
■ On l’a bien compris, les crises ne se « gèrent » pas : on les
témoignent de situations de crise imputables à l’évolution même
affronte, on les régule, on les dépasse. On ne les maîtrise pas, du
de notre société.
moins pas encore. On affronte de multiples décalages dans le
temps, on doit réguler de multiples dérapages dus aux pilotages à Dans ce contexte, on comprend mieux que l’obligation qui nous
vue, en même temps que l’on doit affronter les conséquences des est faite d’appréhender les crises, de quelque nature qu’elles
choix faits en urgence dans des contextes de grande incertitude. soient, en nous y étant préparés, nous plonge dans l’embarras et
parfois dans le malaise. On comprend mieux que certains ne
Les exemples que j’ai donnés témoignent du nombre
sentent galvanisés par l’irruption d’une crise grave alors que
considérable d’acteurs légitimement impliqués dans cette effer-
d’autres voudraient pouvoir ne pas la voir.
vescence. Ils démontrent les obligations qu’il y a à se concerter, à
négocier, souvent âprement, à aller chercher les informations et à On peut comprendre également que ces différentes catégories
les vérifier, souvent en inventant des modes de fonctionnement de crises se font écho les unes par rapport aux autres. Et se prépa-
« sur le tas », à cause des obstacles qui ne cessent de se présenter. rer aux unes peut aider à affronter les autres dans une recherche
Ceci se vérifie à tous les niveaux de hiérarchie. Ces fonctionne- de cohésion sociale.

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Dossier délivré pour


DOCUMENTATION
28/09/2008

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