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1887)
LA TRADITION
REVUE GENERALE
des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires
Direction :
PARIS
Aux bureaux de la TRADITION
33, RUE VAVIN
COMITE DE REDACTION
MM. Paul ARÈNE, Emile BLÉMONT, Henry CARNOY, Raoul GINESTE,
Paul GINISTY, Ed. GUINAND, Gustave ISAMBERT, Charles LAN-
CELIN, Frédéric ORTOLI, Camille PELLETAN, Cnarles de SIVRY,
Gabriel VICAIRE.
II
I
La femme de bien n'a ny yeux ny oreilles.
A Regnard endormi rien ne chent en la gueule.
Mieux vaut un noigne de bonne vie que plein muy de clergie.
Trop achepte le miel qui sur espines le lèche.
Un clou pousse l'autre.
FORMULETTES ENFANTINES
1. — Il est midi, — Je vais monter sur mon p'tit ch'val gris, — Pour
aller à Paris, — Sur mon p'tit ch'val blanc — Pour aller à Rouen.
2. — J'ai une pomme rouge, — J'ia mets dans ma bouche; — J'ai une
pomme blanche, — J'ia mets dans ma manche ; — J'ai une pomme
verte, — Que je trouv' dans l'herbe, — Que j'mets dans ma gorgette
(Paris).
3. — Quelle heure est-il ? — Il est midi ! — La p'tit' souris ? — Dans
la chapelle ! — Que fait-elle ? — De la dentelle,— Pour les bell's dames
de Paris.
1. —J'ai des petits doigts, — Pour filer d'la soie, — Pour faire un
joujou — A Jésus, mon Sauveur. — Et toi, petite soeur, — Que donn'ras-
tu à Jésus ? — Mon mignon, une corbeille pleine de fleurs, — A Jésus,
mon Sauveur (Paris).
2. — Saint Nicolas, mon bon patron, — Apportez-moi quelque chose
de bon ; — Des poupées pour les petites filles, — Cent coups d'bâton
pour les garçons (Rouen).
3. — Le petit Jésus s'en va-t-à l'école, — En portant sa croix sur son
épaule. — Quand il savait sa leçon, — On lui donnait des bonbons, —
Une pomme douce, — Pour mettr' dans sa bouche, — Un bouquet de
fleurs, — Pour mettr' sur son coeur. — C'est pour vous que Jésus es-
mort en croix. — Au petit feu ! — Au grand feu ! — C'est pour éclairer
le bon Dieu! (Paris).
LA MÉDECINE AU VILLAGE
LE FOLKLORE POLONAIS
CRAGOVIE ET SES ENVIRONS
II
LES ESPRITS DU MAL (suite)
Le Strzygon (pron. stjygogne) — on dit en bon langage et en poésie
upior, pron. oupïor — est le Vampire. C'est un homme au visage très
pâle, ne différant des autres gens que parce qu'il dort pendant les
LA TRADITION 207
nuits de la pleine lune. Deson vivant,il cache son caractère,mais après
la mort, il est dangereux.Chaque upior a deux esprits, un pour le bien,
un pour le mal. On dit aussi qu'ils ont plusieurs esprits qui les forcent
à errer la nuit. On confond aussi les upior et les possédés. Aucune per-
sonne confirmée, ayant ainsi reçu une seconde fois le baptême, ne peut
devenir upior. C'est pourquoi l'Eglise a institué la Confirmation, et
pourquoi il y avait autrefois tant de vampires. Si un upior meurt sans
avoir été confirmé, son esprit pour le bien descend au tombeau avec
le corps, et y reste tranquille en attendant son esprit pour le mal. Ce
dernier esprit, par des tours joués aux hommes, s'efforce d'obtenir des
prières ou des exorcismes afin de rejoindre le corps. — Ordinairement-
l'upior se montre sous sa propre figure, mais il peut prendre toutes for,
mes. Il peut jusqu'à minuit se promener dans ses endroits de prédélec-
tion, qui sont les églises. Il fait des dégâts sur les autels et ronge les
cierges. C'est un ennemi acharné des abeilles,parce qu'elles font la cire
des cierges. Si un cultivateur devient upior, il vient pendant la nuit ar-
ranger les affaires de son ménage. Il peut cohabiter avec sa femme et
en avoir des enfants. Seulement, ceux-ci sont chétifset meurent jeunes.
Si l'on rencontre un upior, il faut lui donner un fort soufflet avec la
main gauche. Mais si l'upior vous souffle dans la bouche, on meurt
aussitôt. On reconnaît l'upior après la mort. Son corps est très flasque;
ses ongles sont rouges; il n'a pas de poils sous l'aisselle. Quand on
trouve ces indices, on met un silex dans la bouche de l' upior, en di-
sant : « Erre sous la terre, mais ne tourmente personne ! » On écrit le
nom de Jésus sur le front du cadavre ; on tourne le corps, le visage en
bas et on le frappe d'un coup de pelle sur le derrière.
Un paysan rencontra une fois un upior quiprétendit lui souffler dans
la bouche. Le paysan rusé lui donna des saucissons et lui-même man-
gea sans s'arrêter. En arrivant à sa maison, le paysan frappa le spectre
de sa main gauche et l'upior disparut.
On peut reconnaître un upior vivant : un homme mourut d'apoplexie.
Il avait sur le dos des ciseaux bleus ; ses ongles très grands étaient
rouges de sang ; ses dents étaient en double rangée ; sa bouche était ou-
verte. Aucune vieille ne voulut garder le corps. Son domestique, très
brave, resta auprès de lui. Pendant la nuit, les mains du cadavre
tombèrent en pourriture, le crucifix roula et le domestique fut si ef-
frayé qu'il en mourut.
Les upiors ont le sang froid et caillé. Mais ont dit qu'ils ont toujours
un côté chaud et que, par la force de ce côté du corps, ils peuvent sortir
du tombeau. Parfois les upiors se promènent pendant le jour. Ils at-
taquent surtout les gens colères, querelleurs ou ivrognes, et les étouf-
fent. — Une paysanne avait un mari ivrogne. Quand celui-ci était ivre,
il aimait à manger du foie.Un jour, la pauvre femme fut obligée d'aller
bien loin chercher du foie. Chemin faisant, elle trouva une chaumière
où il y avait trois tombeaux. Dans l'un, il y avait de la paille ; dans l'autre,
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il y avait des copeaux ; dans le troisième,le cadavie. Elle tira le foie du
cadavre et le donna à son mari. La nuit venue, le cadavre vint récla-
mer le foie. Les paysans épouvantés, moururent peu après.
h'upior se dissout parfois en poix. — Un voyageur dormait dans
une église. Un upior vint le tourmenter. Le voyageur se sauva dans
tous les coins jusqu'au moment où le coq chanta. De l'upior il ne resta
qu'un ruisseau de poix liquide.
La Zmora (en allemand, Droude ; en français, Cauchemar), est une
fille ou une femme. (En Allemagne, on rencontre parfois un Droude
masculin). C'est une personne très grande, très maigre et pâle. Elle a
des boursoufflures sous les yeux qui sont très petits et très profonds. Ses
lèvres sont épaisses; la lèvre inférieure est pendante. Dans une famille
où il y a sept filles de mêmes père et mère, la première et la dernière
devienent Zmora. Il en est de même pour les personnes qui ne sontbap-
tisées que d'un seul nom. Si entre deux femmes enceintes, il en passe
une troisième dans le même état, l'enfant de celle-ci sera Zmora.
On donne parfois à la Zmora le nom de Strzyga (pron. Stjyga).
Ce nom semble une figuration féminime du Strzygon. La Zmora est une
victime du pouvoir diabolique auquel elle doit fatalement obéissance.
Ce qui distingue le Strzygon de la Zmora, c'est que la zmora n'ayant
qu'une seule âme, ne peut revenir du tombeau, à moins que cette âme
ne soit pour le mal.
Parfois, on voit une femme ou une fille en somnolence dans la maison
en travaillant comme les autres. L'âme est bien loin. Obéissant aux
ordres du diable, elle enlace un homme ou un arbre, suce le sang ou
la sève. Le lendemain,elle ne se souvient de rien. Il peut arriver que
ces femme saient conscience de ce qui s'est passé. Mais elles gardent le
silence.
Un paysan avait une de ces femmes, qui était obligée de presser et
de sucer un arbre. Il dit à sa femme qu'il couperait cet arbre. La
femme l'ayant supplié vainement de n'en rien faire, mourut peu après.
Un autre paysan devait se marier avec une jeune fille.Pour certaines
raisons, il changea d'avis et épousa une autre femme. L'abandonnée
se maria dans un village éloigné. Or, elle était Zmora.A partir de ce mo-
ment, elle venait chaque nuit sucer le sang de son premier fiancé et
de sa femme. Un paysan réussit à la lier une nuit avec la ceinture de
Saint-François, mais la femme se changea en jument. Elle devait dès
lors servir le paysan pendant sept ans dans la maison. Elle devint de
plus en plus maladive. Un paysan pour lequel elle avait tenu un enfant
au baptême, vint la voir. La pauvre lui raconta son malheur et mourut.
Si un garçon recherche une fille Zmora, elle vient chez lui, le plus sou-
vent sous la figure d'une femme nue. Un garçon, en bouchant le trou
par lequel la Zmora entrait chez lui, la tint renferméedans sa chambre.
Il eut pitié de la belle et l'épousa, mais il eut soin de tenir bouché le
trou par lequel était venue la Zmora. La femme devint enceinte. Quand
LA TRADITION 209
la grossesse fut fort avancée, le paysan déboucha l'ouverture et dit: «A
présent, tu n'y passeras plus ! » Il se trompait. La Zmora sortit par le
trou et ne reparut jamais.
Un garçon vivait chez une Zmora. Celle-ci le nourrissait d'une bouil-
lie du sang sucé pendant la nuit et rendu au jour levé. La mère du
jeune homme était sorcière. Elle conseilla à son fils de précipiter la
Zmora du haut de la plateforme sur laquelle il couchait habituelle-
ment. Un matin, on trouva la Zmora blessée, au pied de la plateforme.
La Zmora jurait qu'elle couperait la tète du garçon.La sorcière prévint
son fils d'avoir à se cacher dans l'église durant trois nuits successi-
ves. La première nuit, le jeune homme se cacha dans la chaire, les
Zmoras ne pouvant monter l'escalier des chaires. Les Zmoras se ras-
semblèrentdans l'église et firent un échafaudage de bancs et de tom-
beaux. Le garçon toucha l'échafaudage avec le cierge des morts ; le
coq chanta, l'échafaudage se renversa et les Zmoras se dissipèrent. La
nuit suivante, le garçon se cacha sur l'autel. Les Zmoras ne l'aperçu-
rent point ! Elles amenèrent une jeune Zmora qui découvrit le paysan
et le montra aux furies. Le jeune homme se défendit avec les cierges de
l'autel. La troisième nuit, il se cacha près de la croix, au haut de la
coupole, au milieu de l'église. Personne ne pouvait le voir. Les Zmoras
allèrent solliciter une Bognièneka pour qu'elle leur prêtât un enfant
volé non baptisé. L'enfant montra le paysan. Les Zmoras allumèrent
un grand feu au-dessous de l'homme qui souffrit beaucoup, mais ne
tomba pas. Peu après il mourut.
Les Zmoras peuvent prendre toutes sortes de formes. Un garçon en
prit une sous la forme d'un saucisson. Il la coupa en deux. Le lende-
main on trouva la maîtresse de la maison coupée en deux morceaux.
Il y a différents moyens de se préserver des Zmoras. Le meilleur
c'est de mettre à la tète du lit une hache ou un couteau le fil en haut.
Ou encore de coucher sur un sac de blé. La Zmora a l'estomac sensible.
Si quelqu'un mange en faisant ses excréments, ou bien s'il mange de
ses ordures, la Zmora, dégoûtée, le laisse tranquille.
A ce sujet appartiennent encore nombre de sorcelleries. Le sorcier et
la sorcière se vendent volontairement au diable qui, en échange, leur
donne le moyen de vivre très bien sans travail. Pour se donner de l'au-
torité, ces gens racontent des choses inouïes à propos de leurs rela-
tions avec le diable. Les bergers sont des sorciers renommés. Le ber-
ger qui veut devenir sorcier, reste un an et six semaines sans se con-
fesser; alors il fait un trou dans son bâton, va se confesser, communie,
crache l'hostie dans le trou du bâton et bouche le trou. Son bâton
a désormais une telle puissance que les moutons suivent partout le
berger. Quand le berger veut redevenir bon chrétien, il se confesse en
communie en reprenant l'hostie dans le bâton.Les sorciers et les sorciè-
res vont le premier jeudi du mois au rendez-vous avec le diable,sous un
buisson de saules rouges nommés rokita (comp. avec le sanscrit). Les
210 LA TRADITION
plus grandes réunions ont lieu le dernier mardi du Carnaval, le Ven-
dredi-Saint et le dimanche de Pâques.
Une femme obtenait beaucoup de lait de ses vaches et sa soeur n'en
avait guère. Comme elle s'en plaignait, la première lui dit : « Si tu
veut avoir beaucoup de lait, viens avec moi le premier jeudi du mois
dans la forêt; apporte deux oeufs et j'évoquerrai un tel qui t'aidera. »
Allant aux rokitas, la première cria: « Rokita ! viens, »
Le diable protecteur des sorcières se nomme aussi Rokita. — Rokita
vint et fit un traité. La femme lui donna deux oeufs; Rokita lui donna
en échange un petit fromage, et disparut. Depuis ce temps le lait de
neuf maisons vint chez cette femme. Ce lait n'était pas seulement du
lait de vache, mais aussi de toutes les bêtes, même des souris, des la-
pins, etc., etc., à l'exception du lait des truies et des chiennes, ce lait
ne pouvant pas ensorceler, attendu que le diable lui-même se change
parfois en chien noir ou en cochon.
Lorsque cette femme alla à l'église, elle ne vit ni l'autel, ni Jésus-
Christ, ni le prêtre; elle ne vit que les gens et n'entendit que le chant,
ou qu'un bruit effrayant; au lieu des étendards de l'église, elle n'aperçut
que des balais et des tisonneurs. La femme eut peur :« Malheur à
moi s'écria-t-elle ; je ne verrai jamais la vie éternelle ! Je ne verrai pas
mon Dieu! » La première femme lui dit : « Voilà qu'arrivent les Quatre-
Temps ; il faut que tu apportes à Rokita un chariot de beurre et un
autre de fromage. » La seconde lui répondit : « Je ne veux plus être en
liaison avec Rokita. — C'est bien dangereux, dit sa soeur; il pourrait
t'arracher la tête; il faut lui rendre le petit fromage qu'il nous a donné
et que nous avons déjà mangé, en vue de faire que le lait des 9 mai-
sons vienne chez nous.» La malheureuse commença à faire le fromage,
mais elle ne pouvait y parvenir, les sorcières routinées seules s'y con-
naissant. Elle pria son initiatrice de lui venir en aide. Quand le petit
fromage fut prêt, elles allèrent à la forêt. La première s'écria : « Rokita,
viens ! » Rokita arriva. La vieille dit : « Voilà cette femme qui ne veut
plus de ton lait ; elle te rend ton petit fromage ; rends-lui les oeufs. »
Rokita était furieux. « Voilà tes oeufs, dit-il ; rends le fromage. »
En même temps un bruit infernal retentissait dans la forêt ; un coup
de vent brisait les arbres. Rokita saisit la tète de la malheureuse, l'ar-
racha et s'envola. Mais il était trompé. La pauvre mit sur sa tête le
seau à lait et, par dessus, le bonnet et le fichu de couleur avec lequelon
se couvre habituellement la tète. Grâce à cette ruse, elle était sauvée.
Depuis ce temps elle ne voulut plus être sorcière. Sa soeur demeura
sorcière et, avec le temps, arriva sur le chien (c'est-à-dire devint la
plus malheureuse de toutes les créatures). Elle devait faire du beurre
pour elle-même et pour le diable qui en dévore beaucoup.
Les sorciers et les sorcières cachent leurs secrets jusqu'à la mort. A
l'approche de ce moment, ils les confient à une personne élue.
Je me permets de souligner que tous les traités avec le diable se font
surtout moyennant du beurre, du lait, du fromage et des oeufs.
LA TRADITION 211
Par l'ensorcellement,on peut aussi endommager la santé, et le bien-
être d'une personne voulue. Alors, il faut chercher une personne plus
forte en fait de sorcellerie et la prier de refaire (mot à mot, odczynic
od, de ; czynic, faire) ce qui est endonné (mot à mot zadac = za,
derrière, en, dedans, dac, donner). Dans le cas d'une maladie grave,
le sorcier prend un verre d'eau, met dedans un grain enchanté qui
se dissout, et, d'après cette dissolution, il dit : « Je pourrais refaire'
mais cela ne m'est pas permis. »
L'autorité est sauvée. Si quelqu'un est volé, il vient chez une
sorcière ou un sorcier en le priant d'endonner au voleur. Alors le sor-
cier demande: «Est-ce que tu le prends sur ta conscience? —Oui!«Alors,
il endonne au voleur et celui-ci meurt en peu de temps. C'est aussi très
efficace de jeter le reste de la chose volée (par exemple, le grain que
le voleur n'a pu emporter) dans le tombeau de l'homme qui mourra
le premier ; le second mort sera le voleur. Si un sorcier a refait ce
qui était endonné par un autre, il faut tenir cette chose secrète ; le
sorcier viendrait et tâcherait d'emporter quelque chose de la maison.
Moyennant cet objet, il a le pouvoir de rendonner. S'il brûle cet ob-
jet, et jette la cendre dans l'eau courante, si surtout cette cendre pas-
se par la roue d'un moulin, rien au monde ne peut plus refaire l'en-
chantement. Contre l'ensorcellement,on emploie des herbes (en majorité
vénéneuses),la poussière et les os des cimetières, les cheveux et les on-
gles d'un cadavre, les doigts d'un pendu, la cire du cierge pascal. En
endonnant, il faut réciter un pater secret qui n'est connu que des sor-
ciers et des sorcières initiés. Si l'on se trompe, même d'un mot, l'en-
donnage ne réussit pas.
Si on met des os humains, des ongles, etc., etc., dans un coin de la
maison, des maladies et des calamités de toute sorte surviennent. Ce-
lui qui passe par dessus ces objets devient malade également.
Un paysan avait son étable atteinte d'épidémie. Son voisin n'en souffrait
pas. Le premier porta chez son voisin les ossements des bêtes mortes ;
l'épidémie fut endonnée dans l'étable.
Si on met sur l'orgue un objet, chaque son de l'orgue résonne comme
une douleur rhumatismale dans le corps du propriétaire de l'objet.
Beaucoup de personnes qui disent connaître l'art de ? efaire ce qui
est endonné, (les refaiseurs, odczyniaez) ou qui assurent avoir la force de
préserver du malheur se servent souvent de l'urine pour reconnaître la
source et la place du mal. Il y a des spécialistes dans ces métiers. Les
uns sont pour les chiens enragés, les autres pour les serpents, etc..
Un devin est une sorte de chiromancienostensiblement adversaire du
diable. Il fait, avec une faucille, un cercle autour de la personne dési-
gnée, puis il récite des formules en se servant du rosaire,
Le peuple le soupçonne de liaisons diaboliques ; ce devin ne dévoile
ses secrets qu'à une seul personne choisie.
Un garçon fut mordu par un chien enragé. Le devin, après avoir ré-
212 LA TRADITION
cité son rosaire secret, coupa l'endroit blessé, et frotta la plaie avec la
pierre infernale et d'autres choses semblables.
Un paysan avait un garçon très faible. Un de ces hommes lui donna
le conseil de tuer son chien noir et d'envelopper l'enfant dans la peau
sanglante de la bête. Malgré cela, l'enfant mourut au bout de quel-
ques jours. Probablement quelques prescriptions n'avaient pas été
observées.
Les femmes sont les plus versées dans toutes ces choses magiques.
La foi est si grande à ce sujet chez notre peuple, que tous les bon-
heurs sont attribués aux mauvaises influences. Une femme est-elle tra-
vailleuse, son ménage est-il bien tenu? c'est l'affaire du diable ! La va-
che ne donne que peu de lait, les poules ne pondent pas.... La malice
d'une voisine en est la cause ! Vous avez gagné un procès devant le tri-
bunal. Le diable était votre avocat!... Ces sorcelleries se rapportent sur-
tout aux affaires du ménage. Il y en a une foule. Je me restreins aux
plus caractéristiques. Comme on l'a déjà dit, les sorcières reçoivent le
lait de tous les animaux, mais jamais de la chienne, de la truie ni delà
brebis. La brebis est exclue, parce que Jésus-Christ fut l'Agneau.
De temps en temps, la sorcière se change en truie ; le diable trans-
formé en chien noir, la tête.
A partir du dernier mardi de Carnaval, il faut mettre de côté un peu
du lait de chaque vendredi. Le Vendredi-Saint, on en fait du beurre, avec
lequel on frotte les essieux du chariot. On remplit le chariot avec beau-
coup de fumier et l'on passe par les rues du village. Les sorcières ac-
courent et vous prient de ne pas aller plus loin, car leurs os se tordent
comme sous l'effet de rhumatismes.
Aux endroits où sont les haies (claies) mitoyennes, il faut arracher un
peu du bois des claies, en faire du feu, puis, dans un pot plein d'eau
faire bouillir les épingles qu'on a portées sur la couronne nuptiale,
ainsi que la toile par laquelle on passe le lait pour le nettoyer. On prend
ensuite le soc de la charrue, on le chauffe fort et l'on verse l'eau bouil-
lante sur le fer. Aussitôt arrive la sorcière qui supplie de cesser cet en-
chantement qui la brûle horriblement.
Lorsque la vache, aprèr avoir vêlé, ne revient pas à son état normal,
on lui frotte le dos avec un vieux balai que l'on jette à un carrefour.
Que Dieu nous préserve de brûler les vieux balais, car, ce faisant, on
augmente le supplica des pauvres âmes du Purgatoire !
Pour que la sorcière ne puisse nuire au veau, il faut, quand on le se-
vre, lui faire faire trois fois le tour de la vache.
Les sorcières sortent souvent dans les champs avant le lever du soleil
avec un seau à lait et une passoire. Parcourant les champs couverts
d'herbes mouillées de rosée, elles trainent le linge à passer le lait et le
tordent dans le seau.
Un palefrenier, pour se moquer de la sorcière, la poursuivit en traî-
nant les brides de sa jument. Revenu à la maison, il vit le lait couler
LA TRADITION 213
en ruisseau des mamelles de sa jument. Il alla se confesser et le mal-
heur disparut.
L'Urok (pron. Ouroque) ou enchantement, peut être jeté par un homme
méchant, même par un personne du caractère le meilleur, dans un
moment malheureux. On jette l'enchantementpar le voeu ou par la ma-
lédiction, même dite en plaisautant.
Il y a aussi des hommes qui ont le mauvais oeil ; même contre leur
propre volonté, ils peuvent causer beaucoup de malheurs.
Celui qui est enchanté perd l'apétit, devient lourd.a des maux de tète,
vomit, et tombe en évanouissement.
Si quelqu'un a conscience de posséder le mauvais oeil, il doit, en
voyant quelque chose pour la première fois, regarder en haut, cracher
et dire : « L'enchantement sur le chien ! » (Urok napsa).
Si une personne est malade, il faut d'abord savoir qui a jeté l' urok.
On prend trois morceaux de pain et trois charbons ardents qu'on jette
sur de l'eau. Si le pain s'enfonce le premier, c'est une femme qui a
jeté l'urok ; si c'est le charbon, c'est un homme. Alors on se frotte les
yeux avec le pantalon ou avec le jupon. De même, il est bon de boire
un peu de cette eau. Pour savoir si l'on a affaire à un vrai urok ou à
une simple maladie, on jette 9 charbons — par trois fois — en comp-
tant de la manière suivante: « Non-un, non-deux,non-trois, etc., etc..}
Si les charbons s'enfoncent, cela indique que l'enfant est simplement
malade ; sinon c'est la preuve d'un enchantement. On peut détruire
l'enchantement en soufflant 3 fois depuis les pieds jusqu'à la tète.
Si une sorcière a des filles, elle les marie bien vite et très bien, et
elles accouchent sans douleur. Toutes les affaires réussissent aux sor-
cières ; l'argent payé par elles leur retourne.
Chaque nouveau jeudi, les sorcières se frottent les mains et les ais-
selles avec un onguent de l'herbe Sabina. Puis, se servant en guise de
chevaux, les sorcière de balais et de tisonniers,et les sorciers, de mortiers
à blé, ils s'envolent vers la Montagne chauve (il y en a plusieurs) où
demeure le Czort chez lequel se font les réunions diaboliques. Le Czort
accueille tout le monde avec la plus grande amitié; il leur donne beau-
coup à manger et à boire, mais malheur à qui prend de ces choses,
car ce sont des excréments et de l'urine. En congédiant ses convives, le
Czort donne à chacun une toque rouge à trois cornes.
Il faut prendre garde qu'au retour le vent emporte cette toque, par-
ce que l'enchantement disparaîtrait, l'homme se trouverait tout nu par-
fois à des centaines de lieues de sa demeure. Cela arrive souvent à
ceux qui sont venus au Mont-Chauve par curiosité ou par hasard,
comme il advint à un garçon qui, imitant une sorcière, parvint au lieu
de l'orgie. Un prêtre, voulant examiner la petite toque, Fôta pour un
moment, et voilà qu'il se trouva en France. Heureusement qu'il ren-
contra un prêtre qui l'habilla et le renvoya à sa maison. Rentré chez
lui, il fit saisir la femme qui l'avait conduit à cette réunion et la fit
placer sur le bûcher. Dès que le feu commença à brûler, elle cria
214 LA TRADITION
«Au secours, Rokita ! » Elle fut jetée hors du feu. Ce fait, se répéta
deux fois. Enfin le prêtre aspergea le bois avec de l'eau bénite, et la
sorcière fut brûlée.
Le Vendredi-saint, à minuit, les sorciers et les sorcières ont rendez-
vous sur les carrefours, et il sont alors tout nus. Pour les voir, il faut
se procurer une planche de cercueil, mais il faut qu'il y ait dans cette
planche un noeud de bois qui, ayant sauté, laisse un trou.
Par ce trou, on aperçoit tout ce qui se passe. Toutes les sorcières de
la paroisse sont obligées d'assister dans l'église au service de la nuit du
jour de Pâques.
Pendant la procession, ces sorcières font seulement une fois le tour
de l'église et tâchent de s'enfuir de l'église par la porte du côté.
La sorcière capable de voler dans l'air, se nomme la sorcière double
et aussi Czarnoksieznica (pron. Tcharnoxengeniza), c'est-à-dire Ap-
partenant au Prince Noir.
Sainte-Lucie estime sainte de la Lumière, comme son nom le prouve.
Le jour de la fête est le treizième avant Noël. On achète 13 bougies;
chaque jour on en brûle une en partie, puis, le soir de Noël, on les
allume toutes et on les laisse brûler jusqu'au bout. Ainsi la sorcière
perd tout son pouvoir sur la maison.
Pour notre peuple, le prototype de l'homme méchant ou d'un sor-
cier, c'est Judas.Avant lui, on ne connaissait pas le suicide. Un homme
qui fait beaucoup de tort à son prochain, est rongé par le remords et
il ne peut finir autrement que par le suicide.
Le diable en éprouve une extrême joie qu'il manifeste par un grand
orage. Les richesses ramassées parées gens mauvais à l'aide du diable,
sont enterrées ; elles reviennent au diable ; celui-ci les porte en Enfer.
Au moment de la mort, les diables placent les richesses devant les
yeux des moribonds ; l'âme du pécheur tombe en agonie et, ne pou-
vant se réconcilier avec Dieu, n'est pas en état de prendre les derniers
sacrements. A la fin de l'agonie, le Czort en personne présente au
mourant le chirographe de tous ses méfaits ; il lui donne un fort coup
de corne, saisit l'âme, l'emballe sur la brouette, et la porte à Lucifer.
MICHEL DE ZMIGRODZKI.
NOTE
Cedeuxième chapitre est extrait comme le premier de l'important
ouvrage de feu M. Oscar Colberg, Lud, immense recueil de Folklore po-
lonais. Cette étude qui sera continuée dans La Tradition, comprendra
encore les chapitres suivants :
III. — Cosmographie, Géographie et Sciences naturelles ;
IV. — Médecine ;
V. — Les Coutumes : a) le Baptême; b) le Mariage; c) les Funérailles; d)
la Moisson ;
VI. — La Poésie et la Musique ;
VII. — Les Contes et les Proverbes.
M. de Z.
LA TRADITION 215
II
LA SIENNE
Lous abis que lou sort balhe Les avis que donne le sort
Per et qu'èren mespresatt : Étaient par lui méprisés :
Lous culhès en croutz pausats Los cuillères posées en croix
E le sau sus le tabalhe ! Et le sel sur la nappe !
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES RECOMMANDES
OEuvres de Léon Valadc. — Le second volume des OEuvres complètes
du très regretté Léon Valade vient de paraître dans la petite Bibliothèque
littéraire de l'éditeur Alphonse Lemerre ; il contient les OEuvres posthu-
mes. Nous ne saurions apprécier ici en quelques lignes le plus délicat et
le plus subtil des poètes de notre temps. Détachons simplement une page
de ce livre exquis. Cette page lue, on voudra ; certainement connaître le
reste du volume.
LUNE EN MER
La mer pleine se pâme avec de longs sanglots,
Vers la lune en son plein, là-haut froide et muette,
Distincte et blanche, ainsi qu'une aile de mouette,
Une voile au lointain file, rasant les flots.
Bonne chance à ceux-là qui voguent les yeux clos !
Mais la sérénité de la nuit m'inquiète :
Et j'ai peur— aujourd'hui j'ai relu la Tempête ! —
Pour le sommeil bercé des pauvres matelots.
O pilotes, veillez ! Songez bien, ô vigies,
Au prompt déchaînement des célestes magies,
A l'éveil toujours prêt des souffles malfaisants :
Car là-bas où le roc sonne comme une enclume,
Dans les remous d'eau blême, aux pointes des brisants,
Les esprits de la mer dansent, vêtus d'écume.
Poésies complètes de Léon Dierx. — A la librairie Alp. Lemerre, pa-
raît également le second volume des Poésies complètes de Léon Dierx :
« Les paroles du vaincu, —
La rencontre, — Les amants. » Nous ai-
mons tout particulièrement l'inspiration pensive et profonde de Léon
Dierx, qui sait nous émouvoir jusqu'à l'âme par des strophes comme
celle-ci :
Le ciel est loin; les dieux sont sourds,
Mais nos âmes sont immortelles !
La terre s'ouvre ; où s'en vont-elles ?
Souffrirons-nous encor, toujours ?...
Les Provençales, par A. Joseph Bermond (imp. Figère et Guiglion, à
Cannes). — Ces Provençales sont des poésies en vers français ; et Mis-
tral, le grand maître du félibrige, pour qui M. Joseph Bermond a rimé un
si gracieux Envoi, ne les trouvera certainement pas moins sincères ni
touchantes que si l'auteur les avait écrites en langue d'oc. Nos lecteurs y
rencontreront d'aimables stances traditionnistes, celles par. exemple sur
Les feux de la Saint-Jean : « D'où viennent ces senteurs de myrte et de
bruyère?...» M. Bermond a bien mérité de la belle patrie, que Paul Arène
appelle encore avec tendresse : « la Gueuse parfumée ».
E. B.
Emile Blémont. — L'Esthétique de la Tradition ; un vol. de 124 p. —
Tome VII de la Collection internationale de la Tradition.
Nous recommandons vivement à nos lecteurs l'étude que vient de faire
paraître M. Emile Blémont. Ce travail n'avait pas encore été entrepris.
C'est dire tout l'intérêt qu'il offre aux amateurs de Traditionnisme.
Dans le prochain numéro de la Revue, nous nous proposons de donner un
compte rendu détaillé de cet essai curieux.
Le Gérant : HENRY GARNOY.
Laval, Imp. et stér. E. JAMIN, 41, rue de la Paix.
PUBLICATIONS DE DAVID NUTT, 270, STRAND, LONDRES.
LACOUPERIE (Terrien de). The Languages of China beforo the Cbinese. Researches on the
Languages spoken by the pre-Chinese races of China proper previously tho the
Chinese occupation. 8vo. 1887. (148 pp.) Oloth. (Only 200 copies printed; nearly
outofprint.) 10 s. 6 d.
Notes MSS., Languages, and Races (including a note on nine For-
— Formosa. MSS. byon G. Baber;. 8vo. 1837. (82
mosan E. pp.) 3 plates, 5 s.
— The Old Babylonian Charaoters and their Chinese dérivâtes. Roy. 8vo. 1888 (27 pp.) (Re-
printed from the Babylonian add Oriental Record). 2 s. 6 d.
The Noble and Ioyous Book entytled Le Morte Darthur notwythstondyng it treateh
—
of the Byrth Lyf and Actes of the Sayd Kyng Arthur of His Noble Knyghtes
of the Rounde Table / theyr Meruayllous Enquestes and aduentures. / Tha-
chyeuync of the Sangreal/ and in Thende the Dolorous Deth and Departxng out
of thys World of tliem al / whiche Book was Reduced in to Englysshe by Syr
Thomas Malory Knigth / Faithfully Edited word for word, line for line, and
page for page, from the Edition (148-5) of W. Caxton in Lord Spencer's Library,
Althorp, Northampon.'With a Bibliographico-critical Introduction, the various
readings of Wynkyn de Worde's Edition (1529), a Treatise on Malory's relation
to the Merlin in the Huth Library and other of his French sources ; an Ex-
planatory and Glossarial Index, and a Photographie Facsimile Spécimen Page,
by Dr. H. Oskar Sommer ; accompanied by an Essay upon Malory as a Prose
Writer, by Mr. Andrew Lang, etc. In two volumes, one containing the Text,
the other the editorial matter, Together, upwards of 1200 pages. Royal 8vo.
Priée £1 10 s. nett; or Large Paper, Là 5 s. Vol. I just issued. Vol. II. Easter
1890.
NUTT (Alfred). Studies on the Legeni of the Holy Grail with especial référence to the hypo-
thesis of its Celtic Origin. 8ro. 1883, (xvi, 285 pp.) Cloth. (100 copies printed on
stout paper at 12 s. 6 d.) 10 s. 6 d.