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Jacques Bouveresse
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« Faire la même chose » ?
JACQUES BOUVERESSE
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Collège de France
ABSTRACT : When we ask whether the rule which governs, for instance, the
continuation of a sequence of numbers like 2, 4, 6, 8, ... was or was not
followed correctly in a particular instance, a natural answer is that it was, if
and only if what has been done is ‘‘ the same thing ’’ as in all the preceding
applications. However, Wittgenstein observes that the two concepts ‘‘ to do the
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same thing ’’ and ‘‘ to apply the rule correctly ’’ are involved in each other in
such a way that such an answer is of no help. Some people could very well
continue in a deviant way and maintain nevertheless that they do the same
thing as what they have done from the beginning, a situation which suggests
the possibility of the ‘‘ sceptical paradox ’’ which Kripke questions. An impor-
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résultat qui concorde avec la règle et avec les applications qui ont été faites
jusqu’à présent de celle-ci revient, en fait, exactement au même. Faire pour
un cas nouveau la même chose qu’auparavant veut dire, en fait, simplement
faire ce que dit la règle dans le cas concerné : « Fais la même chose ! » Mais,
ce disant, je dois en fait montrer la règle. Il doit donc déjà avoir appris à
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appliquer celle-ci. Car que signifie sans cela son expression pour lui ? » (Z,
§ 305).
Wittgenstein considère qu’il n’y a aucune différence fondamentale entre
le problème d’une nouvelle application d’un mot comme « rouge » à une
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(BGM, ibid.) On peut avoir l’impression que ce que je dois écrire a été
déterminé une fois pour toutes et de façon particulièrement explicite pour
toutes les places, puisque je dois, à chaque fois, écrire simplement « le même
nombre ». Autrement dit, il n’y a apparemment pas, en pareil cas, le hiatus
qui pourrait exister entre l’intention générale qui résulte de la compréhen-
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sion de la règle et l’application qui est faite de celle-ci à tel ou tel cas
particulier qui n’a pas encore été envisagé. Mais Wittgenstein pense que la
différence est illusoire. A supposer, en effet, que l’on puisse réellement dire
que, dans le cas de la suite 2, 2, 2, ..., une intention particulière a été formée
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à l’avance pour tous les cas qui sont susceptibles de se présenter, le même
problème d’interprétation, s’il y a un problème de ce genre, risque de se
poser, au moment de l’exécution, pour cette intention particulière que pour
l’intention générale. Pour que je puisse continuer correctement, il n’est pas
nécessaire que j’aie déjà au préalable effectué en pensée toutes les étapes,
mais cela ne serait pas non plus, suffisant si c’était possible.
Ce que Wittgenstein veut dire est, entre autres choses, que la réponse
correcte à ce type de problème (faire pour un cas nouveau « la même chose »
que ce qu’on a déjà fait pour les cas anciens) est déterminée, dans le cas de
l’application de règles mathématiques strictes et explicites, d’une manière
qui ne diffère pas fondamentalement de celle dont elle l’est dans le cas de
l’application des règles, en principe beaucoup moins strictes et générale-
ment pas du tout explicites, qui gouvernent l’usage des mots de la langue
familière. Les règles du premier type donnent l’impression d’avoir disposé
par elles-mêmes une fois pour toutes de tous les cas qui peuvent se présenter
et de tous les problèmes d’application qui pourraient éventuellement se
poser, alors que celles du deuxième type ne déterminent, semble-t-il, que
partiellement ce qui doit être considéré comme une application correcte.
Wittgenstein estime pourtant que, dans les deux cas, nous ne pouvons parler
de la « bonne » réponse sans nous référer à une certaine pratique concor-
dante de l’utilisation de la règle dans des situations nouvelles. Pas plus dans
le cas des règles mathématiques que dans celui des règles de la deuxième
espèce, la correction de l’application n’est déterminée « en soi »,c’est-à-dire
indépendamment d’une certaine contribution de notre part.
Dans les Remarques sur les fondements des mathématiques, Wittgens-
tein observe que le concept d’une règle mathématique et de ce que c’est que
suivre une règle mathématique n’est pas lui-même un concept mathémati-
que. Il est, comme le concept de ce que c’est que suivre une règle en général,
intrinsèquement lié à une activité humaine spécifique : « Le concept de la
règle de formation d’une fraction décimale infinie n’est ¢ naturellement ¢
pas un concept spécifiquement mathématique. C’est un concept en liaison
avec une activité fermement déterminée dans la vie humaine. Le concept de
cette règle n’est pas plus mathématique que le concept : suivre la règle. Ou
QUE VEUT DIRE : « FAIRE LA MÊME CHOSE » ? 483
encore : ce dernier n’est pas défini de façon moins stricte que le concept
d’une telle règle lui-même. ¢ De fait, l’expression de la règle et son sens ne
sont qu’une partie du jeu de langage : suivre la règle » (BGM, p. 409). Ce
serait donc une erreur complète de croire que le concept de la règle peut être
complètement déterminé, alors que celui de ce qu’on appelle « suivre la
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règle » ne l’est que partiellement ou pas du tout. La règle ne peut justement
pas être plus déterminée que ne l’est la pratique qui consiste à la suivre ;
mais elle ne l’est pas non plus moins qu’elle, ce qui, d’une certaine façon,
constitue l’essentiel de la réponse à apporter au sceptique qui se demande
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qu’une partie du jeu de langage qui consiste à suivre la règle, que, même si les
règles qui gouvernent l’usage du langage étaient des règles « mathémati-
ques » et si l’idée, qui a été contestée systématiquement par Wittgenstein,
que parler un langage consiste à effectuer un calcul selon des règles strictes
avait une plausibilité réelle, elle ne pourrait remédier de façon décisive au
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sentiment d’insécurité, proche de la panique, que nous éprouvons, lorsque
nous devons affronter dans toute sa radicalité la question de savoir sur quoi
reposent exactement la régularité et la concordance remarquables que nous
observons dans la pratique des utilisateurs du langage et la conviction
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Corrélativement, l’appréhension de la signification est supposée inclure,
d’une façon qui ne peut pas ne pas sembler tout à fait mystérieuse, une sorte
de prise en considération anticipée et instantanée de toutes les circonstances
dans lesquelles la question de l’usage pourrait un jour ou l’autre se poser et
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pouvoir être et d’être généralement utilisées de façon intemporelle et comme
si, ce qui, dans la sémantique d’un mot, n’apparaîtra peut-être qu’avec le
temps pouvait correspondre à quelque chose qu’il a en réalité toujours déjà
signifié.
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sérieux, il n’y a pas non plus de garantie que même des règles énoncées
explicitement et suivies consciemment déterminent une notion de correc-
tion correspondante et des intuitions de correction concordantes chez les
sujets qui appliquent les règles en question.
McDowell décrit de la façon suivante le genre de représentation de ce
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qu’est une pratique gouvernée par des règles, que Wittgenstein voudrait
nous persuader d’abandonner :
Ce qui compte comme consistant à faire la même chose, à l’intérieur de la
pratique en question, est fixé par ses règles. Les règles tracent des rails suivant
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La description de l’usage d’un mot. Le mot est prononcé ¢ dans quel environ-
nement ? Nous devons donc trouver quelque chose de caractéristique dans ces
occasions individuelles, une espèce de régularité. Or nous n’apprenons pourtant
pas l’usage du mot à l’aide de règles. Comment pourrais-je donc donner à
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quelqu’un une règle lui indiquant quels sont les cas dans lesquels il doit dire qu’il
a mal ! Mais il y a, en revanche, une régularité APPROXIMATIVE dans l’usage
qu’un homme fait effectivement du mot.
Je veux donc dire : il n’est pas dit de prime abord qu’il y a quelque chose
comme ‘une description générale de l’utilisation d’un mot’.
Et s’il y a tout de même bien quelque chose de ce genre, ¢ alors il n’est pas dit
jusqu’à quel point une telle description doit être déterminée (LSPP1, p. 968-
969).
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l’utilisateur à peu près de la même manière qu’une loi naturelle détermine le
comportement régulier d’un objet inanimé. Et dire que quelqu’un a compris
l’instruction, c’est faire l’hypothèse que son comportement est et restera
dirigé par un mécanisme psychologique approprié de cette espèce.
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ont pu avoir lieu et auxquels nous nous référons pour dire que quelqu’un est
désormais capable de continuer. On est tenté de dire que c’est seulement
dans certaines circonstances que « Il connaît la formule » peut être considéré
comme réellement synonyme de « Il peut continuer ». Mais il serait tout à fait
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vain d’essayer de donner a priori une liste complète de ces circonstances qui
doivent être réalisées en plus de l’occurrence de la phrase « Je connais la
formule », pour que l’on puisse conclure qu’il est désormais capable de
continuer. Ce que Wittgenstein trouve suspect est la tendance que nous
avons à croire qu’il y a un état ou un processus déterminé, qui correspond à
ce qu’on appelle la « capacité de continuer » et qui a un caractère plus ou
moins caché, ce qui fait que nous ne disposons jamais pour l’atteindre que de
phénomènes concomitants accessoires ou de symptômes, qui peuvent tou-
jours être trompeurs. C’est, bien entendu, cette tendance à considérer la
compréhension comme un état ou un processus caché qui est à l’origine de
l’idée qu’on ne peut jamais savoir avec certitude si quelqu’un a ou non
compris la règle. À cela Wittgenstein répond que les autres choses dont nous
pouvons avoir besoin, en plus de l’occurrence de la phrase « Je connais la
formule », pour nous sentir autorisés à affirmer que quelqu’un peut désor-
mais continuer, ne sont nullement des choses cachées et sont, en fait,
exactement sur le même plan qu’elle. Nous n’avons pas besoin d’accéder à
un niveau supérieur ou de descendre à un niveau plus profond que celui des
circonstances concomitantes et de ce qu’on peut appeler l’environnement de
la déclaration : « Nous sommes justifiés dans le fait de dire que la phrase « Il
peut continuer... » a une signification différente de celle-ci : « Il connaît la
formule ». Mais nous ne devons pas imaginer que nous pouvons trouver un
état de choses particulier ‘auquel la première phrase fait référence’, qui est
situé pour ainsi dire sur un plan supérieur à celui des occurrences spéciales
(telles que connaître la formule, imaginer certains termes ultérieurs, etc.)
qui ont lieu » (BrB, p. 115).
Cela amène Wittgenstein à mettre en question la tendance générale que
nous avons à parler d’un état présent hypothétique dont découle ce qui va
être fait ensuite, la raison de cette méfiance étant, bien entendu, le fait que
l’état en question risque d’être conçu comme n’étant pas seulement hypo-
thétique, mais également intrinsèquement caché. Ce dont il faut se persua-
der est que la compréhension n’est justement pas un état ou un processus
caché et qu’il n’y a donc pas de place réelle pour la question sceptique que
cela pourrait susciter, si c’était le cas. Wittgenstein constate que :
QUE VEUT DIRE : « FAIRE LA MÊME CHOSE » ? 491
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sont des descriptions d’états qui existent au moment où nous parlons.
La même tendance se manifeste dans le fait que nous appelons la capacité de
résoudre un problème mathématique, la capacité d’apprécier un morceau de
musique, etc., certains états de l’esprit ; nous ne voulons pas dire par cette
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expression ‘phénomènes mentaux conscients’. Ce qui est vrai est plutôt qu’un
état de l’esprit dans ce sens est l’état d’un mécanisme hypothétique, un modèle de
l’esprit destiné à expliquer les phénomènes mentaux conscients. (Des choses
telles que des états mentaux inconscients ou subconscients sont des caractéristi-
ques du modèle de l’esprit.) D’une façon qui est également analogue, nous ne
pouvons pratiquement pas nous empêcher de concevoir la mémoire comme une
espèce d’entrepôt. Remarquez aussi à quel point les gens sont sûrs qu’à la
capacité d’additionner ou de multiplier ou de réciter un poème par cœur il doit
correspondre un état du cerveau de la personne, bien que, d’un autre côté, ils ne
sachent à peu près rien sur ce genre de correspondances psycho-physiologiques.
Nous regardons ces phénomènes comme des manifestations de ce mécanisme, et
leur possibilité est la construction particulière du mécanisme lui-même (BrB,
p. 117-118 ; cf. le texte un peu différent de la version allemande du Brown Book,
Eine philosophische Betrachtung, p. 170).
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une explication causale des actions dont il détermine l’effectuation. Mais il
ne peut rendre compte par lui-même de la distinction qui est faite, sur la base
de la compréhension de la règle, entre une action qui est en accord avec la
règle et une action qui ne l’est pas :
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Par exemple, l’idée d’une plante est supposée me rendre capable d’identifier
quelque chose comme une plante, d’apporter une plante lorsqu’on me l’ordonne,
de définir ‘plante’, etc. ; et ces phénomènes sont considérés comme étant en
accord ou en désaccord avec l’idée. Si, par ‘idée générale’, nous entendons la
cause de l’accord et du désaccord, il n’y aurait pas de difficulté, car, dans ce
cas-là, l’idée serait une chose existante du genre d’un acide qui produit une
réaction d’un certain type. Mais nous ne voulons pas que la relation entre l’idée
et un phénomène qui est en accord ou en désaccord avec elle soit une simple
relation causale. La concordance que nous voulons n’est pas du tout une concor-
dance établie par l’expérience. Ce n’est pas une question d’expérience que de
savoir si une chose sera en accord avec notre idée générale, comme c’est le cas avec
un mécanisme à propos duquel nous ne pouvons formuler des prédictions en
toute certitude. Si nous considérons l’idée comme un phénomène naturel qui
peut faire des choses telles que celle qui consiste à nous rendre capables d’appli-
quer un mot général ou d’en donner une définition, l’examen auquel nous la
soumettons est psychologique. Nous sommes dans le domaine du ‘doit’. Mais
nous avons tort de considérer l’examen de l’idée générale comme consistant dans
un examen des causes et des effets d’un phénomène naturel (WLC 1932-1935,
p. 85).
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performance remarquable qu’elle réalise (la détermination de la totalité de
ses applications correctes) par le biais de la compréhension qui s’interpose
comme un intermédiaire essentiel entre la première et les secondes, ne nous
avance à rien, si la manière dont l’usage résulte de la compréhension doit être
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mystérieuse une réponse unique pour une multiplicité indéfinie de cas
nouveaux dans le futur (encore moins, que mes intentions le font). Nous
devrions dire plutôt que ce qui est important est qu’il est de la nature de
l’opération consistant à stipuler des règles que les cas futurs (de façon
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caractéristique) soient des cas anciens, que chaque application d’une règle
consiste à faire à nouveau la même chose. » 5
Le problème est que, lorsque nous considérons que nous avons fait
quelque chose « à cause de la règle » ou « parce que » la règle nous le disait,
nous avons l’impression que nous devrions pouvoir trouver dans ce qui s’est
passé au moment de l’action une expérience particulière (celle qu’aurait
justement, si l’on peut s’exprimer ainsi, un véhicule contraint de se déplacer
sur des rails), que l’on pourrait appeler l’expérience du « parce que » ou de
l’« influence » et que pourtant nous ne trouvons, dans ce que nous avons
expérimenté alors, aucun élément que nous serions disposés à appeler de ce
nom. Ce qui se passe est en réalité ceci : « J’aimerais dire : ‘‘ Je vis l’expé-
rience du parce que ’’. Mais non pas parce que je me souviens de cette
expérience ; c’est en fait parce qu’en réfléchissant sur ce que j’expérimente
dans un cas de ce genre, je regarde la chose à travers le milieu du concept
parce que (ou influence, ou cause, ou liaison) (PU, § 177). C’est seulement
après coup qu’intervient « l’idée de l’influence éthérée, insaisissable en
5. G. P. B and P. M. S. H, Scepticism, Rules and Language, B. Blackwell,
Oxford, 1984, p. 88.
QUE VEUT DIRE : « FAIRE LA MÊME CHOSE » ? 495
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dans ce que je fais par la suite. Mais cela signifie naturellement uniquement
que je suis astreint dans mes jugements sur ce qui est conforme à la règle et
ce qui ne l’est pas » (BGM, p. 328-329).
Lorsque nous effectuons une action déterminée en application d’une
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lien entre l’image verbale et le son que nous proférons. Car si je parle de
l’expérience vécue de l’influence, de la causalité, du guidage, alors cela doit
vouloir dire en vérité que je sens en quelque sorte le mouvement des leviers
qui rattachent la vision des lettres à la parole » (PU, § 170). Nous sommes
exposés, dans le cas des règles, à une tentation qui est exactement du même
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type. Nous interprétons en termes d’influence et d’absence d’influence la
différence qui existe entre une règle que nous comprenons et qui est capable
de nous faire faire certaines choses et une suite de signes qui ne nous dit rien
et n’a aucun effet sur nous ; et nous nous imaginons que nous saurions
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exactement ce que c’est que suivre une règle si nous pouvions, dans l’immé-
diat, appréhender directement et peut-être plus tard, lorsque la science que
nous avons de ces choses aura suffisamment progressé, décrire objective-
ment de l’extérieur le mécanisme qui fait la liaison entre notre perception du
signe de la règle et l’action que nous effectuons.
Dire que l’expression de la règle nous conduit est une métaphore, parce
que nous ne voulons évidemment pas dire que c’est l’expression de la règle
qui nous fait par elle-même agir comme nous le faisons. Ce qui le fait est
plutôt le sens que nous donnons à la règle ou la manière dont nous l’inter-
prétons. Ce que nous faisons ne semble pas pouvoir résulter d’une action
causale directe exercée par la formule de la règle sur notre façon d’agir.
Suivre une règle est en principe très différent de quelque chose comme un
simple réflexe conditionné, puisque nous disons également que ce que nous
faisons en application de la règle manifeste notre « compréhension » de
celle-ci. Nous ne réagissons pas simplement d’une certaine façon caractéris-
tique à l’énoncé de la règle : le propre de la règle est de susciter des jugements
et des évaluations, de fournir des justifications et des raisons, de rendre
possibles la critique et la correction de l’action. Mais, d’un autre côté, nous
n’avons aucune notion de causalité qui permette de rendre compte de façon
satisfaisante de la manière dont quelque chose qui est de la nature d’une
signification que nous avons réussi à un moment donné à appréhender peut
déterminer la suite d’actions qui est censée en découler. Nous nous rendons
compte aisément que la causalité de la règle, s’il y en a une, n’est pas de la
même nature que celle d’un mécanisme, que celui-ci soit psychologique,
neurophysiologique ou purement physique. (On peut dire de l’expression de
la règle, justement, qu’elle nous « guide »,mais non qu’elle nous contraint.)
Mais, comme la seule notion de causalité que nous ayons à notre disposition
est celle qui est suggérée par l’idée d’un mécanisme sous-jacent quelconque,
nous pouvons être tentés de conclure finalement qu’il n’y a aucun sens
auquel on puisse dire que nous sommes conduits ou dirigés par la règle. C’est
un peu comme s’il y avait, d’un côté, ce que dit la règle et que nous
comprenons et, de l’autre, ce que nous faisons en conséquence de cela, sans
que nous parvenions à donner un sens réel à l’idée d’une connexion essen-
QUE VEUT DIRE : « FAIRE LA MÊME CHOSE » ? 497
tielle qui existe entre les deux ou à construire une représentation acceptable
de cette connexion.
Wittgenstein proteste contre la tendance que nous avons à interpréter
l’action que la règle est supposée exercer sur nous, lorsque nous sommes,
comme nous disons, « conduits » par elle, comme une contrainte que nous
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subissons passivement : « Qu’est-ce qui me contraint donc ? ¢ L’expression
de la règle ? ¢ Oui ; une fois que j’ai été éduqué ainsi. Mais puis-je dire qu’elle
me contraint à la suivre ? Oui ; si l’on se représente ici la règle non pas
comme une ligne que je suis, mais comme une formule magique qui nous
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été donné à l’expression « la même chose » et par conséquent aucune règle
introduite. Wittgenstein remarque que celui qui procéderait de la façon
indiquée pourrait dire qu’il fait toujours la même chose, bien qu’il ne suive
pas une règle, alors que celui qui suit véritablement une règle pourrait dire,
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que règle.
‘‘ La ligne m’inspire de quelle façon je dois me diriger ’’ : c’est seulement une
paraphrase pour : ¢ elle est la dernière instance que j’invoque pour savoir
comment je dois me diriger (BGM, p. 414-415).
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question que nous nous posons : 1) l’intuition ne doit pas nous dicter notre
conduite d’une façon que nous serions tentés de qualifier d’irresponsable,
elle doit se régler elle-même en permanence sur ce que dit exactement la
règle, ce qui nous ramène au problème de la compréhension correcte de
celle-ci ; 2) si l’intuition nous communique ce que nous devons faire par le
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biais d’une instruction quelconque ou de quoi que ce soit du même genre,
nous ne devons pas oublier qu’une instruction doit encore être comprise et
peut toujours en principe l’être de différentes façons.
Si maintenant, comme nous avons, semble-t-il, les meilleures raisons de
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tion ne semble rien déterminer du tout. Wittgenstein décrit la situation de la
façon suivante :
Est-ce qu’une ligne me contraint à la suivre ? ¢ Non ; mais lorsque je me suis
décidé à l’utiliser ainsi comme modèle, alors elle me contraint. ¢ Non ; alors je
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me contrains à l’utiliser ainsi. Je m’attache pour ainsi dire à elle. ¢ Mais il est tout
de même important ici que je puisse en quelque sorte une fois pour toutes
adopter et maintenir la décision avec l’interprétation (générale), et que je n’inter-
prète pas de nouveau à chaque fois (BGM, p. 414).
deux ¢ qui est une commune dépendance à l’égard d’un même trait de la
civilisation : à savoir que celle-ci compte de la part de ses membres sur une
acceptation et une compréhension complètes. Alors même qu’elle peut si peu en
dire sur la manière dont s’accomplit en son sein cette acquisition. Normalité ou
anormalité : dans les deux cas vous devez poursuivre seul ; dans le premier cas,
vous avancez dans l’acceptation ; dans l’autre, dans la sécession 7.
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Le sentiment de sécurité dont il était question plus haut est celui qui
correspond à la certitude que nous avons, lorsque nous avons compris une
règle, de pouvoir continuer correctement sur une distance aussi longue que
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l’on voudra ; et l’espérance est que ceux qui ont reçu le même apprentissage
donneront à chaque fois la même réponse que nous et avec la même impres-
sion d’évidence totale, qui élimine toute espèce d’hésitation ou de doute.
Wittgenstein suggère que l’idée du mécanisme dans lequel les réponses sont
déjà en quelque sorte présentes sous la forme de mouvements possibles de la
machinerie hypothétique constitue simplement une expression métaphori-
que et hyperbolique de l’assurance que nous éprouvons en pareil cas, et non,
à proprement parler, une explication ou une justification de cette assurance,
une chose dont nous pourrions considérer qu’elle nous autorise réellement à
l’avoir et à la manifester. A la différence de la plupart des philosophes qui
réfléchissent sur ce type de question, il ne semble pas du tout gêné par l’idée
que nous devrions peut-être simplement nous satisfaire de l’existence de ce
sentiment de sécurité, sans nous croire obligés d’en expliquer la prove-
nance :
« Je sais tout de même à chaque étape ce que j’ai à faire. Je le vois tout à fait
clairement devant moi. Cela peut-être ennuyeux, mais il n’y a aucun doute sur ce
que j’ai à faire. »
D’où provient cette sûreté ? Mais pourquoi posé-je cette question ? N’est-il
pas suffisant que cette sûreté existe ? Pourquoi dois-je chercher une source pour
elle ? (Et des causes pour elle, je peux bien en indiquer, BGM, p. 350).
C’est un fait essentiel que, sinon pour toutes les règles, du moins pour un
bon nombre d’entre elles, nous nous considérons comme capables de distin-
guer et nous distinguons sans la moindre hésitation une action unique qui
s’accorde avec la règle et qui est exigée par elle, parmi un nombre plus ou
moins important d’actions qui correspondent à des façons théoriquement
concevables de la comprendre et constituent des candidats possibles au
statut d’applications de la règle. On peut se demander d’où provient cette
assurance. Mais Wittgenstein n’a, en tout cas, aucun doute sur le fait qu’elle
existe et ne manifeste aucune tendance à la considérer comme suspecte ou
7. Stanley C, The Claim of Reason, Wittgenstein, Skepticism, Morality and Tra-
gedy, Oxford University Press, Oxford, 1979, p. 111-112, tr. fr. par S. Laugier et N. Balso, Le
Seuil, 1996, p. 179-180.
QUE VEUT DIRE : « FAIRE LA MÊME CHOSE » ? 503
abusive : « Je peux donc dire que le poteau indicateur ne laisse tout de même
ouvert aucun doute. Ou plutôt : il laisse parfois ouvert un doute, parfois non.
Et ce n’est plus à présent une proposition philosophique, mais une proposi-
tion d’expérience » (PU, § 85). Puisque Wittgenstein a été fréquemment
soupçonné d’adopter sur ce point une attitude que l’on pourrait qualifier de
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« sceptique », il est donc important de rappeler pour finir que ce qu’il pensait
est plutôt qu’il y a des faits qui sont plus fondamentaux et plus sûrs que
toutes les explications que nous pourrions songer à en donner.
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