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Phan Marie-Claude. « A faire belle », à faire femme. In: Communications, 46, 1987. Parure pudeur étiquette. pp. 67-78;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1987.1687
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1987_num_46_1_1687
ou
la parure du visage dans l'Italie des XVe et XVIe siècles
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Décoctions et distillations.
La belle femme doit d'abord produire une tête sans défaut. Les
recueils de secrets de beauté qui offrent aux dames la masse souvent
profuse de centaines de compositions pour maintenir ou améliorer leur
beauté fournissent aussi des remèdes aux vices que l'on juge alors
susceptibles de gâter un physique. D'après ces ouvrages, sont sujets de
préoccupation : les signes et séquelles de maladie (teigne, variole, etc.),
les taches qui rompent l'unité de la carnation et en particulier les
taches de rousseur, véritablement abominées, les « marques de
blessures » et les verrues qui cassent la surface par leur creux ou leur saillant,
mais encore la pâleur et le hâle tous deux jugés désastreux. Cependant,
parce qu'ils présentent un caractère thérapeutique et occasionnel, les
efforts déployés pour pallier ces inconvénients n'entrent pas dans les
rites ordinaires de la beauté.
Le travail esthétique proprement dit consiste d'abord à prendre soin
du capital échu à chacune en partage. Les objectifs à atteindre : le
maintien d'une chevelure abondante grâce à des frictions de graisse, de
décoction de guimauve ou encore de lait de chèvre additionné d'aigre-
moine par exemple ; la production de dents nettes et blanches frottées
avec de la poudre de perles, de corail, puis rincées à l'eau claire ou,
mieux, avec un bon vin ; et surtout l'exhibition d'un beau teint, pur,
frais, éventuellement brillant et en tout cas très blanc. Les moyens
d'obtenir cette carnation ne manquent pas. Pour les nettoyages
radicaux, des poudres dont se frictionner et des masques dont s'enduire le
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visage : masques simples à réaliser avec des fèves ou des grains d'orge
broyés et mêlés à de la graisse ou à de la gomme adragante, masques
complexes comme l'« argentée » proposée par Isabella Cortese 3 et
nécessitant la mise en œuvre d'une à deux douzaines d'ingrédients.
Plus nombreuses, les compositions grasses, assouplissantes et
nettoyantes, comptent plus d'huiles que de « pommades », dont la plus
simple est sans conteste le lard finement râpé et utilisé tel quel. Mais
tous ces produits demeurent peu importants au regard de la gamme
des eaux. Les préparations aqueuses lavent — ce qui n'est pas
négligeable — et offrent des bienfaits variables selon les éléments qui y
entrent. Ce sont des décoctions de fleurs, plantes et surtout de
substances minérales (borax, alun, argent, litharge, etc.) ou encore d'eaux
distillées élaborées à partir de ces mêmes ingrédients parfois associés à
des poules, pigeons et autres hirondelles. Beaucoup de ces préparations
n'ont d'autre finalité que l'entretien de la fraîcheur de l'épiderme.
D'autres lui donnent un léger apprêt. Ainsi les eaux chargées d'alun
tendent la peau et lui confèrent un brillant prisé tandis que celles
contenant des poudres blanches en suspension laissent un léger voile
sur la figure.
Le petit quelque-chose apporté par ces eaux n'en fait pas pour autant
des fards. Ceux-ci appartiennent au second registre sur lequel
s'effectue le travail de beauté. Comme le souligne la Raffaella, célèbre
héroïne de Piccolomini 4, les fards ont du corps c'est-à-dire opacité,
épaisseur. Ils forment avec la teinture et l'épilation la panoplie des
substances et des techniques productrices de faux-semblants et
composant une apparence en trompe l'œil.
Relèvent du champ d'application de l'artifice déclaré tout d'abord les
cheveux, que l'on frise en les enduisant de certains produits et surtout
à l'aide du fer chauffé, incontestablement plus efficace. Grâce à lui les
femmes se composent des coiffures variables selon les moments, selon
les régions. La plus spectaculaire est assurément celle adoptée par
nombre de Vénitiennes dans la seconde moitié du XVIe siècle et que
Villamont, de passage dans la ville en 1589, décrit ainsi : « elles ont
leurs cheveux blonds pour la pluspart tressez gentillement et eslevés au
devant du front en deux cornes hautes quasi de demy pied 5 ». Car la
mode en ce siècle est résolument aux compositions savantes où se
mêlent boucles et tresses relevées sur la tête. Mais elle est d'abord au
blond. Pour obtenir cette nuance, les femmes ne ménagent ni temps ni
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Vertus et correspondances.
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Du plaisir à la nécessité.
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NOTES
1. Marcel R : Marsile Ficin, Commentaire sur le Banquet, Paris, Société d'édition Les
Belles Lettres, 1956.
2. A. Firenzuola, Del dialogo del Firenzuola Fiorentino, délie bellezze délie donne, intito-
lato Celso, Firenze, éd. de 1552 ; et Le bellezze, le lodi, gli amori e i costumi délie donne,
Venezia, 1622.
3. I. Cortese, I secreti délia Signora Isabella Cortese, Venezia, 1561.
4. A. Piccolomini, Dialogo délia bella creanza délie donne, Paris, éd. bilingue de 1884.
5. E. Rodocanachi, la Femme italienne à l'époque de la Renaissance, Paris, 1907.
6. L. B. Alberti, « L'Amiria », in Opère volgari, Firenze, éd. de 1850.
7. G. Marinello, Gli ornamenti délie donne, Venezia, éd. de 1574.
8. F. Luigini, // libro délia bella donna, Venezia, 1554.
9. Filareto, Brève raccolto di bellissimi secreti, Firenze, 1573.
10. M. Fonte, // merito délie donne, Venezia, 1550.
11. B. Castiglione, // libro del cortegiano, Milano, éd. de 1981.
12. G. Passi, / donneschi diffetti, Venezia, éd. de 1601.
13. M. Equicola, Nel primo libro di natura d'amore, Venezia, 1536.
14. Mauro, // terzo libro délie opère burlesche di F. Berni ed altri, Leida, éd. de 1824.
15. A. Pandolfïni, Trattato del governo délia famiglia, Milano, éd. de 1811.
16. L. Marinella, La nobiltà et Veccellenza délie donne, co' diffetti e mancamenti degli
huomini, Venezia, 1621.