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Revue française d'économie

Effets de court terme des restructurations sur l'emploi : une


analyse sur données françaises 1996-2005
Monsieur Matthieu Bunel, Madame Lucie Gonzalez, Monsieur Richard Duhautois

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Bunel Matthieu, Gonzalez Lucie, Duhautois Richard. Effets de court terme des restructurations sur l'emploi : une analyse
sur données françaises 1996-2005. In: Revue française d'économie, volume 24, n°2, 2009. pp. 85-124;

doi : https://doi.org/10.3406/rfeco.2009.1730

https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_2009_num_24_2_1730

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Résumé
A partir de données françaises issues d’enquêtes et de sources administratives, cet article étudie
l’influence d’un certain type de restructuration, les fusions et acquisitions, sur l’emploi. Dans ce
but, sont mobilisées pour la période 1996-2005 : les données issues des fichiers des modifications
de structure (fichier MDST), des fichiers de coordination des informations et des traitements sur
les restructurations d’unités statistiques (fichiers Citrus) et les fichiers Suse (système unifié
statistiques d’entreprise). A l’instar des travaux de Brown et Médoff [1988], l’évolution conjointe de
l’emploi des entreprises cédantes et des entreprises bénéficiaires est étudiée. Les résultats
obtenus à l’aide d’un modèle de sélectivité sur les variables inobservables indiquent que les
restructurations affectent positivement le volume d’emploi un an après ce changement. Toutefois,
il existe des différences importantes selon le type de F&A considéré. En cas d’absorption ou de
changement d’employeur l’effet sur l’emploi est négatif à court terme.

Abstract
The Short-Term Impact of Mergers and Acquisitions on Employment : a French Data Analysis
(1996-2005).
The aim of this paper is to investigate the impact of takeovers on employment by using French
data from MDST Survey and Citrus Survey available over the 1996 to 2005 period. We merged
three enterprise databases (MDST, Citrus and Suse) to provide a sample where firms’
characteristics, the involvement in takeover activity and financial links between firms are available.
We followed the Brow and Médoff [1988] and analyzed the employment level of combined
acquired and acquiring firms. Then we estimated the short term effect of takeovers on employment
by using a selection regression model. The results indicate that mergers and acquisitions have a
positive impact on employment. However, identify strong differences among the different kinds of
M&A.
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Matthieu BUNEL
Richard DUHAUTOIS
Lucie GONZALEZ
Effets de court terme des
restructurations sur l’emploi :
une analyse sur données fran-
çaises (1996-2005)

L es restructurations se définissent de
manière très générale comme l’ensemble des modifications sub-
stantielles de l’organisation des entreprises destinées à améliorer
leur compétitivité. Elles intègrent les opérations de regroupement,
de prise de contrôle par transferts d’actifs (fusion, fusion absorp-

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tion, scission, cession partielle d’actif ), d’acquisition par prise


de participation financière (contrôle d’une minorité de blocage,
rachat de 50% ou de 100% des actions), et d’outsourcing (recours
aux intérimaires, externalisations des activités et développement
de réseaux de fournisseurs).
Ces changements et les réallocations d’emplois qui leur
sont associées sont un mouvement qui caractérise structurellement
l’activité économique. Ils sont identifiés depuis longtemps par
les économistes à travers le concept de « destruction créatrice »
de Schumpeter notamment, et apparaissent par vagues (Andrade,
Mitchell et Stafford, [2001]). Cependant, depuis la fin des années
1990, ils semblent toucher plus fréquemment l’ensemble des
pays industrialisés. D’après Aglietta et Rebérioux [2004], les
restructurations sont l’une des caractéristiques du « capitalisme
financier » moderne impulsées par la déréglementation financière,
les technologies de l’information et de la communication et la
mondialisation.
Quel est l’impact d’une restructuration sur la performance
ex post des entreprises ? Cette analyse peut s’effectuer de deux
façons différentes. L’approche financière consiste à examiner
l'évolution de la valeur boursière des entreprises ayant fait l'objet
d'une restructuration, alors que l’analyse économique porte sur
l’évolution de variables de performance économique et notamment
l’impact des restructurations sur l’emploi.
Pour étudier la première dimension, l’université de Chi-
cago a constitué une base exhaustive sur les opérations de fusions
et acquisitions (F&A) de 1960 à aujourd’hui pour l’ensemble
des entreprises cotées sur la place de New York. Un grand nombre
de travaux qui s’appuient sur cette base semblent indiquer que
ces fusions, qui sont très rarement hostiles, accroissent à court
terme la valeur actionnariale des entreprises mais l’effet sur le
long terme est beaucoup plus incertain (voir Andrade, Mitchell
et Stafford [2001] pour une synthèse de ces travaux et Dickerson,
Gibson et Tsakalatos [1997] pour une analyse complémentaire
sur données anglaises).
La littérature économique portant sur l’analyse écono-
mique est moins riche. Les travaux de Brown et Médoff [1988],

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sur données Etats-uniennes, ceux de Conyon et al. [2001, 2002]


sur données anglaises; ceux de Degorre et Reynaud [2003, 2007]
ou de Margolis [2006], sur données françaises, sont les plus
notables. Globalement leurs résultats semblent contredire l’idée
selon laquelle l’effet des F&A est systématiquement négatif sur
l’emploi.
Cet article s’inscrit dans la lignée de cette seconde catégorie
de travaux et vise à estimer un effet de court terme, i.e. un an
après, des fusions et acquisitions (F&A dans la suite) sur l’emploi.
L’objectif est de comparer la situation des entreprises prenant
part aux F&A et celle des entreprises qui sont épargnées par ce
phénomène. La constitution d’un échantillon représentatif per-
mettant d’éclairer cette question est délicate puisque rares sont
les entreprises qui connaissent ce type d’événement.
En outre, dans la majorité des F&A, l’effectif soit des
entreprises cédantes, soit des entreprises bénéficiaires est nul
avant ou après ce changement, rendant délicate l’analyse de l’évo-
lution du volume d’emploi de l’une ou l’autre de ces entreprises
ainsi que la constitution d’un groupe de contrôle. Pour faire face
à ces difficultés, Brown et Médoff [1988] proposent d’étudier
l’évolution conjointe de l’effectif des entreprises cédantes et béné-
ficiaires prenant part à la même F&A au lieu de se focaliser sur
l’un ou l’autre de ces deux types d’entreprises.
Les données mobilisées dans cet article sont issues des
fichiers de modifications de structure des entreprises (MDST),
des fichiers coordination des informations et des traitements sur
les restructurations d’unités statistiques (Citrus) et des fichiers
du système unifié de statistiques d’entreprise (Suse). Ces données
constituées par l’Insee permettent de disposer d’informations sur
les caractéristiques des entreprises, leur situation comptable et
financière, leur appartenance à un groupe et l’existence de F&A
sur une période relativement longue de 1996 à 2005. Nous nous
concentrons ainsi sur l’étude des F&A : les opérations de regrou-
pement et d’outsourcing ne sont pas traitées dans cet article.
Les résultats obtenus à l’aide d’un modèle de sélectivité
sur les variables inobservables indiquent qu’à court terme les
entreprises ayant bénéficié des restructurations ont vu leur effectif

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augmenter très fortement et significativement. En revanche,


lorsque l’on agrège l’emploi des entreprises cédantes et bénéfi-
ciaires, les restructurations affectent toujours positivement le
volume d’emploi à court terme mais de manière nettement plus
faible et hétérogène. En cas d’absorption ou de changement
d’employeur, l’impact sur l’emploi devient même négatif.
L’organisation de l’article est la suivante. La première
section propose une revue de la littérature des analyses théoriques
et empiriques portant sur les effets des F&A. La deuxième section
précise les données mobilisées et identifie les caractéristiques
relatives des entreprises cédantes et bénéficiaires. La troisième
section présente la méthodologie économétrique et les résultats
obtenus de l’effet net des F&A sur l’évolution de l’emploi à
court terme.

Revue de la littérature des analyses


théoriques

Globalement les analyses théoriques issues des approches finan-


cières, managériales et d’économie industrielle appréhendent les
restructurations comme un mécanisme de régulation de l’entreprise
qui devrait déboucher sur une amélioration des performances
boursières, organisationnelles et productives. Toutefois, les éva-
luations ex post des restructurations ont tendance à relativiser
cette conclusion.

Les analyses théoriques

Il existe une littérature théorique abondante en finance et gestion


d’entreprises ainsi qu’en économie industrielle analysant les
raisons qui président au développement des restructurations et
notamment des fusions et acquisitions. Ces analyses se concentrent

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sur quatre points principaux : i) la performance financière de


l’entreprise ; ii) la recherche de pouvoir de marché ; iii) la gestion
et le contrôle de l’équipe dirigeante ; iv) l’efficacité productive
(économies d’échelle, d’envergure et diversification de l’activité).

Performances financières
D’un point de vue financier, les restructurations peuvent conduire
à une modification de la valeur d’une entreprise (Coutinet et
Sagot-Duvauroux, [2003]). En modifiant le rapport entre capital
propre et endettement et en jouant sur la fiscalité, les F&A
peuvent être l’occasion de modifier le partage de la valeur créée
par l’entreprise entre ses différents participants (dirigeants, salariés
et actionnaires).
Par exemple, l’arbitrage entre financer la restructuration
par fonds propres et financer par endettement n’est pas neutre
sur la rentabilité que peuvent en retirer les actionnaires. Puisque
la charge de la dette n’est pas liée au résultat d’exploitation, plus
le niveau d’endettement est important, plus les actionnaires s’en-
richiront si le bénéfice attendu de l’entreprise est important. Le
niveau d’endettement associé aux restructurations peut également
être fixé pour bénéficier d’économie d’impôt. Toutefois, un
endettement excessif accroît le risque de faillite de l’entreprise.
C’est pourquoi, la théorie financière met en évidence un niveau
d’endettement optimal que les F&A permettent d’atteindre.

Restructuration et pouvoir de marché


Les F&A sont également l’occasion de renforcer la situation des
entreprises sur un marché, par élimination des concurrents
(concentration horizontale) ou par la maîtrise de l’ensemble
d’une filière de production et de distribution d’un produit
(concentration verticale). Toutefois, les théoriciens des « marchés
contestables » (Baumol, Panzar et Willing, [1982]) ont mis en
évidence que le nombre de participants sur un marché n’indique
pas la capacité à modifier les prix proposés. C’est davantage
l’existence de barrières à l’entrée sur le marché qui procure un
pouvoir monopolistique à l’entreprise. Les F&A permettent dans

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certaines situations d’accroître les coûts d’entrée de concurrents


potentiels. Les travaux de Tirole [1993] montrent à l’aide d’un
modèle de type « proie/prédateur » que dans un secteur oligo-
polistique, les F&A peuvent être utilisées pour éviter aux entre-
prises d’être des proies futures. Compte, Jenny et Rey [2002] à
l’aide de la théorie des jeux soulignent que la menace d’une
acquisition peut être utilisée au sein d’un cartel comme représailles
lorsqu’un de ses membres a une attitude non coopérative.

Contrôle de l’équipe dirigeante


La littérature de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling,
[1976] ; Milgrom et Roberts, [2000]) analyse l’entreprise comme
un nœud de contrats. Cette organisation est ainsi composée
d’acteurs susceptibles d’avoir des intérêts divergents. Dans ce
cadre, ces travaux théoriques identifient les moyens pour faire
converger ces intérêts et accroître l’efficacité de l’entreprise dans
un contexte d’information imparfaite. Les restructurations et les
F&A sont des instruments parmi d’autres qui participent à la
sélection, à la régulation et au contrôle de ces organisations.
Si les décisions managériales ne sont pas optimales pour
les actionnaires, un investisseur extérieur peut décider de prendre
le contrôle de la firme, de remplacer les managers par des agents
plus compétents et d’améliorer ainsi l’efficacité de l’entreprise.
Théoriquement, les entreprises ayant fait l’objet d’une acquisition
devraient voir leurs performances s’accroître.
Cette conception de l’entreprise correspond au modèle
actionnarial associé aux pays anglo-saxons. La mauvaise gestion
d’une entreprise se traduit par une sous-évaluation des actions
par rapport au potentiel de la firme. Les entreprises mal gérées
sont alors la cible d’acquéreurs externes.

Efficacité productive
Les travaux d’économie industrielle mettent en évidence plusieurs
éléments qui sont à l’origine de l’amélioration de l’efficacité pro-
ductive des firmes consécutive aux restructurations. Ces dernières
sont l’occasion :

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- de dégager des économies de dimension (économies d’échelle,


économies de gamme et économies de réseau) en réduisant le
coût moyen de production et en bénéficiant de complémentarité
entre différentes productions (Baumol, Panzar et Willing, [1982]) ;
- de pénétrer plus facilement des marchés étrangers dans le cadre
de F&A transfrontalières par l’acquisition d’information straté-
gique et le contournement des barrières tarifaires et non tarifaires
(Tyson, [1992]) ;
- de contrôler les filières d’approvisionnement et de ventes par
l’internalisation des coûts de transaction, c’est-à-dire les coûts
de négociation, de rédaction et de contrôle des contrats ainsi
que les coûts associés à d’éventuels conflits entre les parties
contractantes (Williamson, [1985] ; Teece, [1986]) ;
- d’acquérir de nouvelles compétences ou de nouvelles technologies
sans devoir financer les dépenses de recherche et développement
et/ou de formation de la main-d’œuvre ;
- de se concentrer sur le cœur de son activité tout en maintenant
des activités secondaires qui peuvent devenir essentielles dans
un cadre de développement dynamique de la firme (Nelson et
Winter, [1982]).

Rupture des contrats implicites


Les F&A hostiles peuvent également conduire à un transfert de
rente des partenaires de l’entreprise (salariés, fournisseurs ou
clients) vers les actionnaires grâce à la rupture de contrats implicites
préexistants (Shleifer et Summers, [1988]).
Fama et Jensen [1983] et Williamson [1985] soulignent
que les entreprises, considérées comme des nœuds de contrats,
sont incitées à s’engager dans des relations de long terme avec
leurs partenaires afin de les encourager à investir en capital
humain spécifique. Pour ce faire, ils sont incités à passer des
contrats implicites. Toutefois, Shleifer et Summers [1988] sou-
lignent qu’il peut exister un conflit d’intérêts a posteriori sur le
respect de ces contrats implicites entre les actionnaires (share-
holders) d’une part, et l’équipe dirigeante et les autres parties
prenantes de l’entreprise (stakeholders), d’autre part. Dans cer-

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taines situations, respecter ces contrats devient un handicap pour


les actionnaires. L’équipe dirigeante en place ne peut pas pour
autant, pour des raisons de réputation, rompre ces contrats.
Dans ce cas, les actionnaires peuvent être incités à remplacer
l’équipe dirigeante et ne plus respecter les contrats implicites
qui liaient la direction aux salariés ou aux fournisseurs. En effet,
la nouvelle équipe dirigeante n’ayant pas participé à la conclusion
de ces contrats n’est plus tenue de les respecter. Cette opération
de hold-up permet de transférer des salariés vers les actionnaires
une partie de la rente provenant de la relation entre ces différentes
parties. Comme le notent Shleifer et Summers [1988], seules
les fusions hostiles permettent de mettre en place ce type de
stratégie. Cette modélisation permet de comprendre pourquoi
lors de fusion et acquisition, c’est essentiellement l’entreprise
cédante qui bénéficie d’une hausse de sa valeur actionnariale.

Les évaluations ex post des conséquences des restructura-


tions

Les études empiriques, analysant les conséquences des restruc-


turations, ne semblent pas mettre en évidence une amélioration
significative et systématique des performances de court et de
long terme des entreprises.
Les résultats diffèrent selon que l’on analyse les entreprises
absorbées ou les entreprises qui sont à l’origine de la F&A ou
encore lorsque l’on étudie les effets de restructurations réactives
(en réponse à un déclin des performances économiques) ou
proactives (en vue d’accroître l’efficacité de l’entreprise).
La majorité de ces études, le plus souvent sur données
Etats-uniennes, se concentrent sur l’évaluation financière et l’im-
pact sur la richesse des actionnaires ou sur la valeur boursière
des restructurations et des F&A. Plusieurs études estiment les
conséquences de ces mutations organisationnelles et financières
sur la rentabilité de long terme et sur l’emploi.

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Impacts sur la valeur boursière de l’entreprise et sur la producti-


vité et la rentabilité de long terme
L’efficacité des restructurations est le plus souvent appréciée à
partir de l’évolution des cours boursiers. La base exhaustive des
F&A réalisées par les entreprises cotées sur la place de New York
constituée par les chercheurs de l’université de Chicago de 1960
à aujourd’hui, a été largement mobilisée pour diagnostiquer les
effets de ce changement (Andrade, Mitchell et Stafford, [2001]).
Les mises en garde contre la « malédiction du vaincu »
ou la « malédiction du vainqueur » indiquent que la valorisation
boursière des F&A n’est pas garantie (Weston et Weaver, [2001]).
Le processus de surenchère conduit parfois à acquérir la firme à
une valeur supérieure à la valeur moyenne estimée par le marché.
Par ailleurs, les moyens de défense utilisés par les entreprises
cibles peuvent également réduire la profitabilité de ce type d’opé-
ration (parachutes dorés).
Il existe relativement peu d’études sur l’impact de l’effi-
cacité productive des entreprises ayant fait l’objet de restructu-
rations. Aux Etats-Unis, les rares études existantes ont mené à la
conclusion que le rendement des entreprises ayant fait l'objet
d'une acquisition demeure au mieux inchangé par la suite et,
qu'en règle générale, il décroît (Ravenscraft et Scherer, [1987 et
1989] ; Hall, [1988] ; Lichtenberg, [1992]).
Sur données françaises, Degorre et Reynaud [2003, 2007]
mettent en évidence que les réductions d’effectif se concentrent
dans les sociétés ayant des performances médiocres et sont suivies
par un redressement important de leur rentabilité économique.
Toutefois, lorsque l’on tient compte du biais de sélectivité, l’effet
positif sur les performances se trouve atténué.
Globalement, les effets bénéfiques des réductions d’effectifs
font l’objet d’une grande incertitude. Les recherches empiriques
soulignent que les réductions d’effectifs pourraient tout aussi
bien avoir des effets positifs que négatifs sur les performances
économiques des entreprises. Les effets négatifs sont liés à la
combinaison de divers mécanismes : coûts induits (indemnités
de licenciement), dégradation de la productivité du travail impu-

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table à la désorganisation du processus productif ou à la moindre


motivation des salariés ou encore à l’accroissement du « turno-
ver ».
Le rapprochement de deux entreprises ayant une orga-
nisation, une culture d’entreprise, une politique de rémunération
ou encore une prise de risque qui diffèrent ne conduit pas au
résultat attendu. L’existence de conflits, de comportements
opportunistes ou de faible investissement peut réduire les gains
des synergies anticipées entre les deux entités qui fusionnent.

Impact sur l’emploi et les salaires


Il existe plusieurs travaux sur données américaines sur les effets
du « downsizing », c'est-à-dire les stratégies destinées à améliorer
les profits des entreprises à travers une réduction de l’effectif.
La plupart de ces évaluations empiriques se basent sur des études
de cas et conduisent à des résultats statistiquement non significatifs
(voir Degorre et Reynaud, [2003]). Plusieurs études proposent
des évaluations plus systématiques.
L’analyse de Brown et Médoff [1988] porte sur un échan-
tillon de plus 16 000 restructurations sur la période 1978 et
1984 issu d’une base de données trimestrielles, quasi exhaustive,
de près de 200 000 entreprises dans l’Etat du Michigan. Ils dis-
tinguent trois catégories de restructurations : les achats d’entre-
prises sans transfert d’actif et deux types de fusions avec transfert
d’actif. Ces deux dernières catégories de fusions se distinguent
par l’ampleur des transferts d’effectif. Pour la première, moins
de 50 % de la variation de l’effectif de l’entreprise cédante se
retrouvent dans la variation de l’entreprise bénéficiaire. Pour la
seconde, ce seuil est supérieur à 50%. Cette dernière catégorie
correspond selon les auteurs à de « véritables F&A ». Seules 15%
des fusions, analysées par ces auteurs, appartiennent à cette caté-
gorie.
Brown et Médoff [1988] observent qu’il existe des écarts
importants concernant l’effet des F&A sur l’emploi et les salaires
pour les différentes catégories de restructurations. Pour les « véri-
tables F&A », ils identifient un accroissement d'environ 2 % de

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l'emploi total et une baisse d'environ 4 % des salaires. Alors que


pour les autres fusions, l’effet sur l’emploi est de -5% et de +5%
pour les salaires. Lorsque l’on prend en compte l’impact sur
l’emploi pour l’ensemble des fusions, l’effet est négatif mais de
faible ampleur.
Les travaux de Conyon, Girma, Thompson et Wright,
[2002] analysent l’impact de plusieurs catégories de F&A observées
dans l’économie anglaise sur la période 1967 à 1996. Les résultats
obtenus soulignent que toutes les F&A ont un effet significati-
vement négatif sur l’emploi. Toutefois, l’ampleur de cet effet
varie selon que ces fusions sont intra-sectorielles (effet sur l’emploi
de -19%) ou inter-sectorielles (effet sur l’emploi de -8%). La
baisse des effectifs est également plus importante pour les entre-
prises dont l’effectif est inférieur à celui de l’effectif médian. En
revanche, il ne semble pas y avoir de différences significatives
entre fusions hostiles et amicales.
Il existe relativement peu d’études analysant les effets des
restructurations et des F&A sur l’emploi mobilisant des données
françaises. Les plus notables sont les travaux de Margolis [2006]
et Degorre et Reynaud [2003, 2007].
Margolis [2006] considère le rôle de la politique de rému-
nération et des pratiques en matière de gestions des ressources
humaines des entreprises cédantes et acquéreuses lors de F&A.
Il précise la nature des salariés qui restent avec l’entreprise
absorbée ou reconstituée. Sans surprise, les facteurs individuels
des salariés sont importants dans le choix des employeurs : ceux
qui restent avec la nouvelle entité sont les salariés dont les carac-
téristiques sont les plus valorisables sur le marché du travail.
Degorre et Reynaud [2003, 2007] caractérisent la nature
et l’ampleur des réductions d’emplois en fonction du type de
stratégie de l’entreprise visant, soit à augmenter les résultats
financiers (dans un but de downsizing), soit à limiter les pertes
(dans un but de survie). Ils tentent ensuite de vérifier ex post les
effets de ces réductions sur les performances des entreprises.
Dans l’étude de 2007, ils distinguent la situation des entreprises
cotées de celle des entreprises non cotées. Ils montrent que les
réductions d’effectifs sont le fait d’entreprises en difficulté (donc

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sans doute dans le but de survivre) et que ces réductions ont


souvent un rôle positif sur les performances des entreprises. Cet
effet semble toutefois faible lorsque l’on contrôle du biais de
sélection. Par ailleurs, les entreprises cotées recourent aux restruc-
turations afin d’accroître leur rentabilité alors que les entreprises
non cotées le font pour éviter la faillite.
Notre étude s’inscrit dans la lignée de ces derniers travaux
et vise à caractériser les entreprises touchées par des opérations
de F&A qui conduisent le plus souvent à une restructuration de
l’emploi puis à étudier l’impact de ce choc sur l’évolution des
effectifs à court terme.

Caractéristiques des entreprises


cédantes et bénéficiaires des fusions
et acquisitions

Les entreprises qui sont affectées par une F&A possèdent des
caractéristiques bien spécifiques. Toutefois, à l’exception de l’ana-
lyse de Margolis [2006], peu d’études sur données françaises
représentatives permettent de quantifier ces différences. L’objectif
de cette section est d’exposer, à l’aide d’un échantillon représentatif,
les éléments structurels (taille, secteur, localisation géographique
et appartenance à un groupe) et les éléments comptables et finan-
ciers (taux de marge, productivité apparente du travail, taux
d’endettement) propres aux entreprises cédantes et bénéficiaires
de ces restructurations.
Les données utilisées sont principalement issues des
fichiers de l’Institut national de la statistique et des études éco-
nomiques (Insee) portant sur les modifications de structure des
entreprises (MDST) et la coordination des informations et des
traitements sur les restructurations d’unités statistique (Citrus).
Ces données et leur appariement avec les fichiers Suse sont pré-

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sentés ci-après. La construction d’un groupe d’entreprises témoins


est ensuite exposée. Les statistiques descriptives sont enfin pré-
sentées.

Les données mobilisées

Les fichiers MDST et Citrus recensent les entreprises qui effec-


tuent des fusions, des acquisitions ou des restructurations (Beau-
vois, Rivière, Beaudreau et Corbel, [1999] ; Bunel, Duhautois,
Gonzalez, [2009]). Le fichier Citrus est le plus complet et fournit
des informations détaillées sur les étapes, le type de transferts
d’actifs ou de contrat lors de la restructuration. Toutefois, il n’est
stabilisé que depuis 2000. Pour la période antérieure, il est néces-
saire de coupler ce fichier avec les MDST. Ces deux fichiers per-
mettent d’obtenir des informations quasi exhaustives pour les
entreprises de 20 salariés et plus dont l’actif est supérieur à 1,2
million d’euros sur la période 1996 à 2004. Toutefois, les infor-
mations portant sur le type des transferts d’actifs ne sont utilisables
que sur la période 2000 à 2004 (voir Bunel, Duhautois, Gonzalez,
[2009]). C’est pourquoi, l’analyse se limite dans cet article à
étudier l’évolution des effectifs des entreprises cédantes et béné-
ficiaires.
La période retenue, 1996-2005, se caractérise par un
nombre relativement important de restructurations. Près de
18 000 F&A sont répertoriées affectant plus de 28 000 entreprises,
soit plus de 3 000 par an. A titre de comparaison, seulement
1 400 sont comptabilisées en 1995 et 580 en 1990. Une même
entreprise peut être affectée par plusieurs fusions ou acquisitions
au cours d’une même période (notamment pour les entreprises
bénéficiaires des restructurations). En outre, plusieurs entreprises
cédantes ou bénéficiaires peuvent participer à une même F&A.
A l’instar de Margolis [2006], pour simplifier l’analyse,
les entreprises qui apparaissent simultanément comme cédantes
et bénéficiaires sur la période, celles qui réalisent plusieurs F&A
à des dates différentes, celles qui comme cédantes ou bénéficiaires
participent au cours d’une même année à plusieurs F&A avec

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page98

98 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

des entreprises différentes sont exclues de la base. Comme la


récurrence des F&A est faible, cette stratégie affecte peu la base
initiale. Enfin, les F&A qui font intervenir des entreprises cédantes
et bénéficiaires qui disposent simultanément de moins de 20
salariés et d’un actif inférieur à 1,2 million d’euros sont également
écartées de la base.

Présentation des données complémentaires mobilisées


La base de données Citrus (coordination des informations et des traitements
sur les restructurations dʼunités statistiques), Beauvois, Rivière, Beaudeau, Corbel,
[1999] construite par lʼInsee est quasi exhaustive pour les entreprises cotées
(dont les titres sont inscrits à la cote officielle ou à celle du second marché dʼune
bourse de valeurs) et leurs filiales qui doivent publier les avis de fusions, de
scissions et de convocation aux assemblées générales extraordinaires (AGE) au
bulletin des annonces légales obligatoires (Balo). Lʼautre source dʼinformations
de type légal est le bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc)
déposé au greffe des tribunaux de commerce. Cette base est disponible sur la
période 1998 à 2004 mais elle nʼest réellement quasi exhaustive que depuis 2000.
La base MDST (modification de structures des entreprises) est une base existant
depuis 1986 qui répertorie les transferts dʼactifs dʼun montant minimum (supérieur
à 1,2 million dʼeuros depuis 1996), contenant les identifiants de lʼentreprise qui
bénéficie du transfert dʼactif et de celle qui le cède. Cette base contient très peu
dʼinformations complémentaires au-delà de lʼannée de la F&A.
Les fichiers Suse (système unifié de statistiques dʼentreprises) répertorient lʼen-
semble des entreprises imposées aux bénéfices industriels et commerciaux (BIC)
et aux bénéfices non-commerciaux (BNC) dont le chiffre dʼaffaires annuel est
supérieur à 70 000 euros (Insee, [1995]). Ils permettent de bénéficier de données
longitudinales sur les caractéristiques générales de lʼentreprise (activité, code
juridique, localisation, appartenance à un groupe, indice de concentration industrielle)
et sur leurs résultats (chiffre dʼaffaires, valeur ajoutée, production, immobilisations
corporelles, excédent brut dʼexploitation).

Les fichiers MDST et Citrus contiennent relativement


peu d’informations sur les caractéristiques des entreprises qui
ont connu des restructurations. Pour pouvoir étudier plus en
détails le profil des entreprises cédantes et bénéficiaires de restruc-
turations, leurs performances économiques et financières et les
conséquences de ce changement sur l’emploi, il est nécessaire
d’apparier ces fichiers avec d’autres sources statistiques. L’encadré
ci-dessus présente les données complémentaires mobilisées issues

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page99

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 99

des fichiers Suse (Système unifié de la statistique d’entreprise).


Le taux d’appariement est de l’ordre de 80%.
Le sous-échantillon finalement constitué comporte 6 710
F&A. Parmi elles, 95% affectent une seule entreprise cédante et
une seule entreprise bénéficiaire soit 12 816 entreprises. Pour
les 302 F&A restantes, on comptabilise 302 entreprises bénéfi-
ciaires et 951 cédantes.
L’appariement des différentes bases permet d’obtenir des
données d’entreprises qui rassemblent des informations sur les
caractéristiques de l’entreprise (taille, secteur, appartenance à un
groupe, localisation géographique), ses performances économiques
(chiffre d’affaires, valeur ajoutée, rentabilité économique, taux
de marge, productivité apparente du travail) et l’existence de
fusions et acquisitions. Des informations sectorielles sont égale-
ment calculées à l’aide des fichiers Suse. Il s’agit d’un indice de
concentration sectorielle (indice d’Herfindahl), de la part du
chiffre d’affaires exporté, du taux de sortie et d’entrée des entre-
prises sur trois ans et des niveaux de rentabilité économique et
d’endettement médians.
Bunel, Duhautois et Gonzalez [2009], sur la période
2000 à 2004, identifient - en mobilisant uniquement les données
Citrus - plusieurs types de F&A en termes de transferts d’actifs.
Il s’agit des absorptions, des fusions des transferts partiels d’actifs,
des scissions partielles et des changements de propriétaires. L’évo-
lution brute de ces différentes catégories apparaît alors comme
fortement hétérogène. Comme nous l’avons déjà mentionné, il
n’est pas possible de reprendre cette typologie sur longue période
faute de données sur le code Mére (mouvement élémentaire de
restructuration de l’entreprise). En revanche, à l’aide des données
sur l’emploi, il est possible d’identifier quatre types de F&A
(graphique n°1).
Ces différentes catégories se définissent en fonction de
l’évolution de l’effectif des entreprises cédantes et bénéficiaires
avant et après la F&A. Il s’agit i) des transferts partiels d’emplois
(31%) ii) des absorptions d’emplois (29%), iii) des changements-
partiels d’employeurs (21%) iv) des changements d’employeurs
(14%). Les 4% restants correspondent à des changements partiel

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page100

100 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

ou non d’employeurs faisant intervenir plusieurs entreprises


cédantes1.

Graphique 1
Typologie des fusions-acquisitions en termes d’emploi

Fusion-acquisition
Avant Après

Emploit-1 (B) > 0

Emploit-1 (C) > 0


Emploit (B) > 0

Emploit (C) > 0 } Transfert partiel


dʼemplois
(31 %)

Emploit-1 (B) > 0

Emploit-1 (C) > 0


Emploit (B) > 0
} Absorption
dʼemplois
(29 %)

Emploit-1 (C) > 0


Emploit (B) > 0

Emploit (C) > 0


} Changement partiel
dʼemployeur
(21 %)

Emploit-1 (C) > 0


Emploit (B) > 0
} Changement
dʼemployeur
(14 %)

Note : les 4 % restants font intervenir plusieur cédantes.

Sur la période 1996-2004, le nombre de F&A a eu ten-


dance à croître sensiblement. Le volume de F&A semble relati-
vement pro-cyclique. On observe une forte progression sur la
période 1997 à 2000 puis une nette diminution par la suite.
L’année 2004 semble marquée par une nouvelle hausse des F&A.
La structure des F&A a fortement évolué. Jusqu’en 2000, les
changements partiel ou total d’employeurs constituaient plus de
40% de l’ensemble des F&A. Depuis, ils n’en représentent plus
que 30%.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page101

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 101

Graphique 2
Evolution du nombre et des types de F&A de 1996 à 2004

Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est


supérieur à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Construction des entreprises témoins

Afin de pouvoir comparer l’évolution à court terme de l’emploi


des entreprises qui ont connu des F&A à celle des autres entre-
prises, il est nécessaire de constituer un groupe témoin n’ayant
pas connu de F&A. On conserve, en premier lieu, les entreprises
issues des fichiers Suse qui sont pérennes au moins deux années
consécutives sur la période 1996 à 2005. Puis on écarte celles
de moins de 20 salariés et disposant d’un actif brut inférieur à
1,2 million d’euros. On obtient une base de 850 000 entreprises
dont moins de 1,5% a connu une F&A. Comme ces restructu-
rations sont un événement rare, il existe un déséquilibre très
important entre le nombre d’entreprises affectées par ce chan-
gement, et les autres.
Afin de conserver les entreprises témoins qui ont des carac-
téristiques similaires aux entreprises traitées, on stratifie la base
Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV
ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page102

102 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

de sorte à évincer les entreprises non traitées qui n’ont pas de


support commun avec les entreprises ayant fait face à une F&A.
Quelles références retenir parmi les entreprises traitées :
celles des entreprises cédantes, celles des bénéficiaires, ou la somme
des deux ? Notons que, dans près de 70% des cas, la F&A fait
intervenir, soit une entreprise bénéficiaire dont l’effectif était nul
avant cette opération, soit une entreprise cédante dont l’effectif
devient nul après cette opération. Pour l’ensemble de ces cas, il
est très difficile de trouver des entreprises témoins. C’est pourquoi,
à l’instar de Brown et Médoff [1988] et Conyon et al. [2002b], il
est préférable d’utiliser comme référence l’effectif joint des entreprises
cédantes et bénéficiaires avant et après la F&A. Cette stratégie
offre en outre deux avantages : elle s’inscrit dans un cadre théorique
d’utilisation optimale de la main-d’œuvre et permet d’appréhender
l’effet global de ce changement structurel sur l’emploi.
Ainsi, pour stratifier l’échantillon des entreprises ayant
connu une F&A, on retient la somme de l’effectif de la cédante
et de la bénéficiaire avant ce changement (8 tranches sont consi-
dérées), leur secteur d’activité (64 types) et leur localisation géo-
graphique (2 tranches). Cette stratification est réalisée chaque
année. Il existe potentiellement 1 024 sous-strates mais seulement
576 contiennent au moins une entreprise ayant connu une F&A.
On conserve alors uniquement les entreprises du groupe témoin
appartenant à l’une de ces strates soient 78 369 entreprises repré-
sentant 358 717 témoins. L’écart entre ces deux grandeurs, pro-
vient du fait qu’une même entreprise peut intervenir comme
témoin pour deux années différentes.

Statistiques descriptives

Les graphiques nos 3a, 3b et 4 présentent la structure par taille


et par secteur d’activité des entreprises cédantes et bénéficiaires
touchées par une fusion ou une acquisition ainsi que celle des
entreprises témoins sur la période 1996-2005.
Les graphiques nos 3a et 3b montrent que les grandes
entreprises (de 250 à 500 salariés) et les très grandes entreprises

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page103

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 103

(de plus 500 salariés) sont largement surreprésentées parmi les


entreprises qui se restructurent. Dans le cas des absorptions ou
des transferts partiels d’emploi, l’effectif des bénéficiaires est près
de deux fois supérieur à celui des cédantes (tableau n°1). En
outre, les cédantes qui participent à des changements total ou
partiel d’employeur, disposent d’un effectif plus élevé que celui
des autres entreprises cédantes. La restructuration conduit souvent
à la disparition des entreprises cédantes, puisque dans 46% des
cas, leur effectif est nul après la restructuration. Enfin, les entre-
prises témoins se concentrent fortement parmi les PME de 20 à
50 salariés.
Les différences sectorielles sont nettement moins marquées.
Les entreprises industrielles et celles du secteur des services aux
entreprises sont surreprésentées. Inversement, les entreprises de
la construction, du secteur des services à la personne, du commerce
et réparation sont sous-représentées (graphique n°4).

Graphique 3
Répartition par taille des entreprises bénéficiaires et cédantes
avant et après une restructuration

a) Avant la restructuration

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page104

104 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

b) Après la restructuration

Graphique 4
Répartition par secteur des entreprises avant la restructura-
tion
Industrie automobile

Industrie de biens
Industrie biens de

intermédiaires et
agroalimentaire

consommation

dʼéquipement

Commerce et

Services aux

Services à la
Immobilières
Construction

entreprises
et de biens

financières
réparation

Transport

personne
Industrie

Activités

Activités
énergie

Champ  : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est


supérieur à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Le tableau n°1 présente la situation financière et comptable


des entreprises cédantes et bénéficiaires participant aux F&A.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page105

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 105

Dans le cas des absorptions ou des transferts partiels d’emploi,


le taux de marge, l’intensité capitalistique et la productivité appa-
rente du travail des entreprises bénéficiaires avant la F&A sont
plus élevés que ceux des entreprises cédantes. Les écarts observés
en termes de chiffre d’affaires ou de valeur ajoutée s’expliquent
en grande partie par un effet de taille.
Toutefois, ces écarts ne sont pas systématiques. Les entre-
prises bénéficiaires sont de plus petite taille dans 32% des cas,
ont des taux de marge plus faibles dans 47% des cas et leur pro-
ductivité apparente du travail est moindre dans 45% des cas.
En outre, les entreprises cédantes ne semblent pas être caractérisées
par un niveau d’endettement ou une rentabilité économique
structurellement différents de ceux des entreprises bénéficiaires.
Notons que les restructurations ne semblent pas conduire
à une réallocation sectorielle de l’activité puisque la structure
des cédantes et celle des bénéficiaires sont relativement proches.
Si, pour 40% des F&A les secteurs de l’entreprise bénéficiaire et
cédante diffèrent en NAF600, ce pourcentage n’est plus que de
24% lorsque la classification en 36 secteurs est retenue. Un
constat identique est fait sur données américaines (Andrade,
Mitchell et Stafford, [2001]). Les F&A de type changement
partiel ou total d’employeur sont plus fréquemment de type
intra-sectoriel.
Concernant la localisation géographique, les F&A se
concentrent très largement en région parisienne (30%). Ce
résultat s’explique, entre autres, par une répartition sectorielle
particulière des fusions et acquisitions et par une forte proportion
d’entreprises appartenant à un groupe parmi celles qui se restruc-
turent. En effet, les stratégies de groupe sont un des vecteurs
importants des mécanismes de F&A. Sur l’ensemble des restruc-
turations observées, moins de 28% sont réalisées par des entreprises
cédantes et bénéficiaires indépendantes qui n’appartiennent pas
à des groupes. Notons que les entreprises cédantes appartiennent
moins souvent à un groupe que les bénéficiaires (52% contre
62%). Ainsi, le processus de fusion et acquisition a tendance à
renforcer la place des groupes dans l’économie française2.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page106

106 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

Tableau 1
Indicateurs économiques des entreprises cédantes et béné-
ficiaires avant la restructuration
Transfert partiel
Cédantes Absorption dʼemploi
Chgt Chgt partiel
dʼemployeur dʼemployeur Cédantes Bénéf. Cédantes Bénéf.
Chiffre d'affaires médian 7 813 15 451 5 716 11 684 3 854 8 098
Valeur ajoutée (va) médiane 2 363 4 140 1 488 2 998 1 032 2 218
Effectif médian en n-1 51,0 88,0 32,0 58,0 25,0 45,0
Coût du travail 34,1 35,9 34,6 36,6 34,9 35,7
Productivité apparente
du travail (va/effectif) 43,1 46,0 43,3 47,0 43,4 45,6
Taux de marge (ebe/va) 16,2% 16,0% 15,9% 16,5% 14,5% 16,1%
Total des actifs bruts 5 853 11 889 3 942 9 827 2 800 6 475
Rentabilité économique 16% 14% 16% 13% 13% 15%
Niveau dʼendettement 9,3% 9,5% 8,2% 10,7% 8,9% 9,4%
Intensité capitalistique 38,62 48,87 32,50 52,09 35,72 41,46
Ecart entre le niveau
dʼendettement de lʼentreprise
et le niveau sectoriel médian 0,011 0,002 0,020 0,021 0,013 0,023
Taux dʼentrée sectoriel 12,6% 12,6% 12,8% 13,2% 13,8% 13,4%
Taux de sortie sectoriel 10,7% 11,6% 11,9% 11,9% 12,2% 12,0%
Taux dʼexportation sectoriel 12,1% 11,8% 9,9% 10,7% 9,2% 9,2%
Concentration sectorielle
(indice d'Herfindahl) 1,61% 1,73% 1,24% 1,24% 1,11% 1,14%
Nb de F&A 1 089 1 374 1 987 2 260

Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est supérieur
à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Le tableau n°2 présente les caractéristiques financières et


comptables jointes des entreprises bénéficiaires et cédantes parti-
cipant à la même F&A selon le type considéré. La dernière colonne
expose la situation des entreprises témoins. Globalement les entre-
prises témoins sont de plus petite taille et se caractérisent par un
niveau d’endettement et une intensité capitalistique moindres.
Leur rentabilité économique est également nettement plus élevée.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page107

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 107

Ces entreprises se situent dans des secteurs d’activité moins ouverts


à l’international (le taux d’exportation sectoriel est plus faible) et
moins concentré (mesuré par l’indice d’Herfindahl).

Tableau 2
Indicateurs économiques des entreprises témoins et des
entreprises participant aux F&A (cédantes + bénéficiaires)
avant la restructuration
Changement

Changement
d'employeur

d'employeur

entreprises
Absorption

avec F&A
Total des
Transfert

Témoins
d'emploi
partiel

partiel
Chiffre d'affaires médian 7 813 15 451 20 590 16 410 16 771 5 203
Valeur ajoutée (va) médiane 2 363 4 140 5 205 4 254 4 379 1 656
Effectif médian en n-1 51,0 88,0 106,0 87,0 91,0 38,0
Coût du travail 34,1 35,9 35,5 35,5 35,4 32,8
Productivité apparente
du travail (va/effectif) 43,1 46,0 45,7 46,1 45,7 42,5
Taux de marge (ebe/va) 16,2% 16,0% 16,7% 15,8% 16,1% 16,6%
Total des actifs bruts 5 853 11 889 15 764 12 869 13 241 3 702
Rentabilité économique 16,0% 14,0% 15,0% 14,0% 14,0% 19,0%
Niveau dʼendettement 9,3% 9,5% 11,5% 11,2% 11,1% 9,1%
Intensité capitalistique 38,62 48,87 47,60 45,18 48,63 33,16
Ecart entre le niveau
dʼendettement de
lʼentreprise et le niveau
sectoriel médian 0,011 0,002 0,033 0,036 0,030 0,008
Taux dʼentrée sectoriel 12,6% 12,6% 13,2% 13,4% 13,6% 13,1%
Taux de sortie sectoriel 10,7% 11,6% 11,9% 12,0% 11,8% 11,4%
Taux dʼexportation sectoriel 12,1% 11,8% 10,7% 9,2% 10,7% 6,7%
Concentration sectorielle
(Indice d'Herfindahl) 1,61% 1,73% 1,24% 1,14% 1,25% 0,89%
Nb obs. 1 089 1 374 1 987 2 260 6 710 358 717

Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est supé-
rieur à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page108

108 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

L’effet de court terme des restructu-


rations sur l’emploi

Quel est l’effet des restructurations sur l’emploi ? Ces changements


sont-ils destructeurs d’emplois comme le pense l’opinion publique,
ou permettent-ils une meilleure allocation de l’emploi entre les
entreprises ? L’objectif de cette section est d’estimer les effets
nets des F&A sur le volume d’emploi à court terme, i.e. un an
plus tard.
Sur la période 1996 - 2005, l’évolution de l’effectif total
des entreprises cédantes et bénéficiaires est la suivante : 570 000
emplois ont été perdus dans les entreprises cédantes et 690 000
emplois ont été créés dans les entreprises bénéficiaires. Le diffé-
rentiel est donc positif de près de 120 000. Le taux de croissance
de l’emploi à court terme est globalement de 6%. Il varie forte-
ment selon le type de F&A considéré. Il est notamment de 12%
en cas de changement partiel d’employeur et nul en cas d’ab-
sorption. Notons que les données mobilisées ne permettent pas
d’analyser l’évolution du risque de chômage pour les salariés
issus des entreprises cédantes et bénéficiaires. Les emplois créés
et détruits ne concernent pas nécessairement les mêmes individus,
ni les mêmes types de poste3. En outre, cette analyse brute ne
tient compte, ni des caractéristiques particulières des entreprises,
ni des effets de la conjoncture sur l’emploi.
Pour contrôler l’influence des caractéristiques observables
et inobservables des entreprises sur la probabilité de connaître
une F&A, un modèle de sélectivité sur les variables inobservables
est proposé (voir ci-après). Les estimations obtenues et les
résultats en termes d’évolution de l’emploi sont ensuite exposés
(voir plus loin). Les données mobilisées couvrent un cycle éco-
nomique et permettent de contrôler l’effet conjoncture. En effet,
la période 1997-2000 se caractérise par un fort dynamisme de
la croissance économique et des créations d’emplois alors que
la période 2001 à 2004 a été nettement moins favorable à l’em-

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page109

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 109

ploi. Enfin, il est possible de distinguer l’impact des F&A selon


le type considéré.

Tableau 3
Effet sur l’emploi à court terme des restructurations sur la
période 1996-2005
d'employeurs
Changement

Changement

d'employeur

Absorption

Total des
Transfert

Témoins
dʼemploi
partiel

partiel

F&A
Effectif total
des cédantes
avant la F&A 304 755 459 423 331 435 141 868 1 237 481 -
Effectif total
des bénéficiaires
avant la F&A 0 255 855 327 167 583 022 -
Effectif avant
la F&A 304 755 459 423 587 290 469 035 1 820 503 23 739 615
Effectif total
des cédantes
après la F&A 0 359 961 306 462 0 666 423 -
Effectif total
des bénéficiaires
après la F&A 329 315 154 445 318 382 470 094 1 272 236 -
Effectif après
la F&A 329 315 514 406 624 844 470 094 1 938 659 24 028 949
Taux de croissance 8,06% 11,97% 6,39% 0,23% 6,49% 1,22%
Nb obs. 1 089 1 374 1 987 2 260 6 710 358 717

Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est supé-
rieur à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Stratégie économétrique

L’évaluation de l’effet des F&A sur l’emploi pose un problème


d’endogénéité du choc étudié et de choix des effectifs de référence.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page110

110 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

Comme le soulignent les graphiques nos3a et 3b, dans la majorité


des F&A, l’effectif soit des entreprises cédantes, soit des entreprises
bénéficiaires est nul avant ou après ce changement. Pour ces
F&A, il est délicat d’analyser l’évolution de l’emploi et de trouver
des entreprises témoins ayant un profil similaire. C’est pourquoi,
on analyse ici l’évolution des effectifs joints des entreprises
cédantes et bénéficiaires avant et après la F&A.
La principale difficulté technique associée à cette éva-
luation provient de l'endogénéité et de la simultanéité des variables
étudiées. Les déterminants observables (taille, secteur, caracté-
ristiques du secteur d'activité, performances passées de l’entreprise)
et inobservables (qualité du management ou climat social dans
l’entreprise par exemple), qui expliquent la situation de l’entreprise
à l’égard des restructurations, peuvent également influencer ses
choix en termes d’emploi.
Ainsi, pour évaluer l’effet propre des F&A, il est nécessaire
de tenir compte de ce biais. Il existe plusieurs approches écono-
métriques tenant compte de cet effet de sélection, développées
dans la littérature pour l’évaluation des politiques publiques (Rubin,
[1974] ; Heckman, Lalonde et Smith, [1999] ; Dehejia et Wahba,
[1999]) et appliquées sur données françaises (Crépon et Iung,
[1999] ; Janod et Saint-Martin, [2004] ; Bunel et Jugnot, [2003] ;
Brodaty et al., [2004]). Toutes ces techniques s’appuient sur une
comparaison entre des entreprises affectées par un traitement (par
exemple une mesure de formation, un contrat de travail aidé ou
subventionné, un changement organisationnel ou le passage aux
35 heures) et des entreprises issues d’un échantillon témoin qui
ne le sont pas. La technique retenue ici pour évaluer l’effet des
restructurations sur l’emploi est celle de modèle de sélectivité sur
variables inobservables. Présentons la stratégie retenue.
Soit la variable R qui prend la valeur 1 si l’entreprise est
bénéficiaire de la restructuration au cours de la période 1996 à
2004 et 0 sinon. Cette variable est déterminée par la variable
latente R* fonction de variables explicatives Z observables avant
ce changement et de variables inobservables v. On note :
{
R* = Zα + υ avec R = 1 si R*≥ 0
0 sinon (1)

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page111

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 111

Soit ΔlnY1 la variable reflétant l’écart de logarithme de


l’effectif avant et après une F&A. Cet écart permet d’annuler
l’effet fixe de l’entreprise et dépend de variables observables X1
et inobservables u1. Pour analyser l’impact global sur l’emploi
des F&A, il est nécessaire de prendre en compte simultanément
la situation des entreprises bénéficiaires et celle des entreprises
cédantes. C’est pourquoi, la variable ΔlnY1 est calculée en agré-
geant l’effectif de l’entreprise bénéficiaire et celui de ou des entre-
prises cédantes avant et après la restructuration. Précisons que
les variables X1 portent sur l’année précédant la F&A.
L’équivalent de ces variables pour les entreprises du groupe
témoin (n’ayant pas connu de F&A) est noté ΔlnY2, X2 et u2.
Pour une année donnée, où a lieu une F&A, on observe l’évolution
des effectifs des entreprises témoins avant et après cette date
ainsi que les caractéristiques de ces entreprises l’année précédente.
Les variables ΔlnY1 et ΔlnY2 sont supposées être engendrées par
le modèle de régression linéaire suivant :
ΔlnYi = BiXi + ui pour i = 1,2 (3)
β est un vecteur de paramètres associés aux variables X
observables avant la restructuration. Dans les équations (1) et
(3) les résidus u1, u2 et v sont supposés suivre une loi normale
de moyenne 0 et de matrice de variance-covariance Σ. On a :

avec

Cette hypothèse de normalité sur la forme de la loi jointe


des résidus, permet d’identifier l’effet moyen du « traitement
sur les traités », c'est-à-dire la variation du logarithme de l’effectif
pour les entreprises ayant connu une restructuration. En notant
φ la fonction de densité de la loi normale standard et Φ sa
fonction de répartition, l’écart en logarithme de l’effectif avant
et après la restructuration pour les entreprises touchées par ce
changement s’écrit :

(4)

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page112

112 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

Cet écart pour les entreprises appartenant au groupe


témoin s’écrit :

(5)

L’effet moyen induit par les restructurations sur l’emploi


pour les entreprises affectées par ce changement (l’effet moyen
du traitement sur les traités) s’obtient alors par l’égalité suivante :

Cet effet moyen est estimé en maximisant la fonction de


vraisemblance suivante :

(6)

caractérisée par

avec

et

Notons que le paramètre σ12 ne peut être estimé par le


modèle (6) puisque les variables ΔlnY1 et ΔlnY2 ne sont jamais
observées simultanément pour une même entreprise. Ce paramètre
est donc fixé à zéro.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page113

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 113

Résultats obtenus

Les résultats de l’estimation des coefficients du modèle (6) sont


présentés dans le tableau n°4. Les colonnes 2 et 3 exposent les coef-
ficients et les écarts-types associés à l’équation portant sur la pro-
babilité de connaître une F&A. Les colonnes suivantes exposent
les paramètres associés à l’équation d’emploi pour les deux catégories
d’entreprises. Commentons rapidement les résultats obtenus.
L’identification du modèle est obtenue par l’introduction
dans l’équation (1) d’au moins une variable qui n’est pas présente
dans les équations (3). Plusieurs variables permettent d’identifier
le modèle. Il s’agit du logarithme de l’intensité capitalistique au
carré, de la variable binaire croisant l’appartenance à un groupe
et la cotation de l’entreprise et l’écart du niveau d’endettement.
Cet écart correspond à la différence entre le niveau d’endettement
de l’entreprise - rapport entre sa dette et le total de ses actifs
bruts – et le niveau d’endettement médian du secteur auquel
l’entreprise appartient (en Naf600). Cette dernière variable
permet d’identifier théoriquement et économétriquement le
modèle alors que les deux autres variables d’indentification servent
à tester la significativité de cette variable. Les coefficients ρ1 et
ρ2 sont significatifs et de signe négatif et positif respectivement.
Ainsi, il existe un biais sur les inobservables qui a tendance à
sous-estimer l’effet des F&A sur l’emploi.
Pour un secteur donné, les entreprises qui disposent d’un
niveau d’endettement plus faible que celui des autres entreprises de
leur secteur risquent d’être la cible de F&A. De même, les entreprises
qui ont les capacités de réaliser une F&A, disposent avant celle-ci
d’un niveau d’endettement plus faible que les entreprises du secteur.
Le nombre de restructurations a été significativement
plus important au cours des périodes 1997-2000. L’effectif total
de l’entreprise affecte positivement la probabilité de bénéficier
d’une F&A. Les entreprises issues des secteurs des services aux
particuliers, des transports, de la construction et de l’immobilier
sont significativement sous-représentées alors que celles issues
des secteurs des services aux entreprises et de l’industrie des biens
de consommation sont surreprésentées.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page114

114 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

L’appartenance à un groupe influence très fortement et


significativement la probabilité de connaître une restructuration.
En revanche, être coté en Bourse ou verser des dividendes affectent
négativement cette situation.
Tableau 4
Résultats de l’estimation du modèle 6
α β1 β2
coef std coef std coef std
Constante -4,017*** 0,078 0,517*** 0,210 -0,146*** 0,004
Taille et secteur
Industrie agroalimentaire 0,200*** 0,066 0,002 0,022 0,013*** 0,002
Industrie biens de
consommation et automobile 0,181*** 0,058 -0,018 0,022 -0,004*** 0,002
Industrie biens d'équipement 0,016 0,088 0,037 0,042 0,014*** 0,004
Industrie de biens
intermédiaires et énergie 0,131** 0,060 -0,013 0,020 0,001 0,001
Construction -0,077*** 0,023 0,002 0,019 0,000 0,001
Commerce et réparation Ref. Ref. Ref.
Transport -0,132*** 0,023 0,053*** 0,017 0,027*** 0,001
Activités immobilières
et financières 0,109*** 0,039 0,030 0,020 -0,031*** 0,003
Services aux entreprises 0,144*** 0,021 0,019 0,014 -0,004*** 0,002
Services à la personne -0,198*** 0,033 -0,017 0,030 -0,008*** 0,002
20-30 salariés Ref. Ref. Ref.
30-40 salariés 0,265*** 0,022 -0,086*** 0,025 -0,007*** 0,001
40-50 salariés 0,402*** 0,022 -0,142*** 0,030 -0,016*** 0,001
50-100 salariés 0,980*** 0,043 -0,207*** 0,043 -0,015*** 0,001
100-250 salariés 1,241*** 0,044 -0,262*** 0,055 -0,008*** 0,002
250-500 salariés 1,535*** 0,048 -0,314*** 0,068 -0,011*** 0,004
500 et plus 1,917*** 0,052 -0,356*** 0,085 -0,022*** 0,006
Autres caractéristiques
Appartenance à
un groupe (groupe) 0,104*** 0,016 0,012 0,012 0,000 0,001
Groupe*industrie -0,067*** 0,026 0,028 0,020 -0,006*** 0,001
Société cotée ou
versant des dividendes (cote) -0,114*** 0,018 0,019* 0,011 0,002*** 0,001
Groupe*cote -0,045* 0,024 - -
Localisation sur Paris 0,119*** 0,015 -0,011 0,011 -0,028*** 0,001
Année considérée
1996 0,022 0,027 -0,030 0,020 -0,019*** 0,001
1997 Ref. Ref. Ref.
1998 0,051* 0,026 -0,012 0,019 -0,016*** 0,002
1999 0,086*** 0,025 0,047*** 0,018 0,013*** 0,001
2000 0,179*** 0,025 0,171*** 0,020 0,003* 0,002
2001 0,021 0,027 0,006 0,020 -0,009*** 0,002
2002 0,030 0,025 -0,001 0,018 -0,021*** 0,001
2003 -0,035 0,025 0,045*** 0,018 -0,013*** 0,001
2004 0,074*** 0,024 0,012 0,017 -0,020*** 0,001

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page115

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 115

α β1 β2
coef std coef std coef std
Intensité capitalistique
log(intensité capitalistique) 0,291*** 0,021 -0,001 0,005 0,001** 0,000
log(intensité capitalistique)2 -0,020*** 0,002 - -
log(intensité capitalistique)
*industrie -0,064*** 0,015 - -
log(intensité capitalistique)
*(effectif>50) -0,056*** 0,010 - -
Situation comptable et financière
Entreprise dont lʼEbe est positif -0,054*** 0,021 0,018 0,016 0,042*** 0,001
Taux de marge (ebe/va) -0,248*** 0,064 0,074*** 0,029 -0,038*** 0,003
Log(productivité
apparente du travail) 0,075*** 0,012 -0,005 0,006 0,015*** 0,001
Log(productivité
apparente du travail)2 - -0,001 0,001 0,005*** 0,000
Log(productivité
apparente du travail)*
Taux de marge 0,037*** 0,013 - -
niveau dʼendettement
(Dette / actif total brut) <4% Ref. Ref. Ref.
niveau dʼendettement
[4% et 10% 0,123*** 0,017 -0,003 0,013 0,003*** 0,001
niveau dʼendettement
[1% et 20% 0,209*** 0,017 -0,021 0,015 0,005*** 0,001
niveau dʼendettement
[20% et plus 0,209*** 0,024 -0,020 0,014 0,005*** 0,001
Ecart d'endettement (différence
entre le niveau d'endettement
et le niveau médian sectoriel) -0,193*** 0,056 - -
Rente économique
(ebe/capital) < 20% Ref. Ref. Ref.
Rente économique
20%-40% -0,029* 0,016 0,019* 0,011 0,018*** 0,001
Rente économique
40% et plus -0,055*** 0,020 0,032** 0,014 0,021*** 0,001
Information sectorielle
Indice de concentration
sectorielle (Indice dʼHerfindahl) -0,539*** 0,104 0,060 0,088 0,028*** 0,008
Indice de concentration
sectorielle* industrie 0,498*** 0,189 0,088 0,117 -0,040*** 0,012
Taux d'entrée
des entreprises 0,752*** 0,118 -0,094*** 0,044 -0,057*** 0,003
Taux de sortie
des entreprises 0,275* 0,151 0,153* 0,094 0,020** 0,009
Taux d'exportation 0,612*** 0,048 -0,129 0,116 -0,067*** 0,011

Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est supérieur
à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

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ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page116

116 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

L’analyse des variables financières et comptables indique


que les entreprises qui bénéficient d’une restructuration sont
globalement plus endettées et disposent d’un taux de marge et
d’une rentabilité plus faibles. En revanche, leur productivité
apparente du travail est significativement plus élevée. Enfin, ces
entreprises se concentrent dans des secteurs d’activité dont le
taux de turn-over est plus élevé et sont davantage tournées vers
l’international.
Ces différents résultats confirment, toutes choses égales
par ailleurs, ceux identifiés dans la partie descriptive précédente.
Concernant les équations portant sur l’évolution des effectifs,
il apparaît que les années 1999 et 2000 ont été favorables à l’emploi
pour les deux groupes d’entreprises. Pour les entreprises ayant
connu une F&A, l’année 2003 a également été bénéfique pour
l’emploi. Disposer d’une productivité apparente du travail et d’une
rentabilité économique élevées affectent positivement l’emploi.

L’effet de court terme sur l’emploi

L’estimation précédente permet de calculer les espérances (4) et


(5) et l’effet des F&A sur l’évolution des effectifs. Le tableau
n°5 présente les résultats obtenus pour différents groupes de
F&A.
La colonne 2 présente l’effet sur l’emploi obtenu à l’aide
du modèle des MCO sans tenir compte de la sélectivité sur les
observables et les inobservables. Les colonnes 3 et 4 présentent
l’évolution moyenne de l’emploi pour les entreprises traitées et
non traitées conditionnellement au traitement. Enfin, la dernière
colonne présente l’intervalle de confiance de l’écart entre l’évo-
lution moyenne de l’emploi pour les deux catégories d’entreprises
obtenu par « bootstrap » pour 200 tirages.
Les deux dernières lignes du tableau n°5 présentent l’évo-
lution de l’emploi des entreprises cédantes et bénéficiaires. Seuls
les cas où l’effectif de ces entreprises est resté positif avant et
après ont été retenus puisqu’il n’est pas possible de calculer un
taux de croissance de l’emploi lorsque l’effectif est nul. Lorsque

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page117

Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 117

l’étude ne porte que sur les entreprises bénéficiaires, l’impact


des F&A semble très favorable sur l’évolution des effectifs. L’écart
par rapport aux entreprises témoins est de près de 28 points de
pourcentage. Lors d’une F&A les entreprises bénéficiaires ont
tendance à absorber une large partie de l’effectif des entreprises
cédantes. Inversement, pour les entreprises cédantes, l’impact
est négatif et de l’ordre de 9 points de pourcentage.
Les résultats obtenus pour ces deux catégories d’entreprises
ne permettent pas de conclure sur l’effet global des F&A sur
l’évolution de l’emploi car ces entreprises sont de taille différente.
En outre, comme nous l’avons déjà mentionné, ces estimations
ne permettent pas d’intégrer les F&A où les bénéficiaires ou les
cédantes ont un effectif nul avant ou après la F&A (cas des chan-
gements partiels ou total d’employeur ou des absorptions). Ainsi,
à l’instar des études de cas ou des analyses statistiques portant
uniquement sur l’une ou l’autre de ces entreprises, les résultats
obtenus sont incomplets.
Afin d’analyser l’impact global sur l’emploi des F&A, la
première ligne du tableau n°5 prend en compte simultanément
la situation des entreprises bénéficiaires et celle des entreprises
cédantes. Les résultats obtenus indiquent que l’effet sur l’emploi
est très largement positif, compris entre 5,66 et 7,35 points de
pourcentage. La prise en compte de l’effet de sélection et de
l’effet de corrélation sur les inobservables, accroît de près d’un
point la borne basse de cet intervalle. Cet écart provient du fait
que les grandes entreprises appartenant à un groupe issues de
l’échantillon témoin ont vu leur effectif augmenter moins que
les autres. Or, ces caractéristiques affectent positivement la pro-
babilité de connaître des F&A.
Notons qu’il existe des différences très importantes selon
le type de F&A. En cas d’absorption ou de changement total
d’employeur, l’impact sur l’emploi devient négatif. Il est compris
entre -1,42 et -1,26 point de pourcentage pour les premières et
entre -1,23 et -1,12 pour les secondes. En revanche, en cas de
changement partiel d’employeur ou de transfert partiel d’emploi,
l’évolution de l’emploi est importante, de l’ordre de 20 et 12
points respectivement.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


ART Bunel_Duhautois_gonzalez_ART VIVIER 02/11/09 09:22 Page118

118 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

Tableau 5
Estimation d’un effet net sur l’emploi

de lʼécart à 95% obtenu


Intervalle de confiance
Ecart à 95% obtenu
à lʼaide des MCO

avec 200 tirages


E(ΔlnY1 ⏐ R = 1)

E(ΔlnY2 ⏐ R = 0)

par bootstrap
Tous [5,66 ; 7,35] 6,33% -0,12% [6,39 ; 6,50]
Période 1998 à 2001 [6,52 ; 8,82] 8,48% 0,55% [7,85 ; 8,01]
Types de F&A
Changement
dʼemployeur [-3,31 ; 0,33] -1,29% -0,12% [-1,23 ; -1,12]
Changement partiel
dʼemployeur [23,36 ; 27,88] 20,60% -0,12% [20,69 ; 20,80]
Transfert partiel dʼemploi [11,51 ; 13,06] 12,93% -0,12% [12,99 ; 13,10]
Absorption [-2,93 ; 0,41] -1,46% -0,12% [-1,42 ; -1,26]

Bénéficiaires [26,44 ; 29,31] 27,84% -0,12% [27,88 ; 28,04]


Cédantes [-9,97 ; -7,82] -7,96% 1,18% [-9,14 ; -9,17]

Remarque : aucune estimation spécifique nʼa été réalisée pour les F&A faisant intervenir
plusieurs entreprises cédantes car la taille de ce sous-échantillon est trop faible.
Champ : entreprises de 20 salariés et plus du secteur marchand dont lʼactif est supérieur
à 1,2 million dʼeuros.
Sources : fichiers MDST-Citrus-Suse.

Enfin, lorsque l’on restreint l’analyse à la période de 1997


à 2001 caractérisée par une forte croissance de l’emploi, l’effet
des F&A sur l’emploi est légèrement plus important, de l’ordre
de 1 point de pourcentage.
L’analyse proposée dans cet article ne porte que sur les
effets de court terme des F&A sur l’emploi. Bunel et al. [2008]
soulignent que sur la période 1997 à 2001, s’il existe un effet de
court terme positif, cet effet semble persister deux ans après mais
de manière hétérogène selon le type de F&A. Lorsque l’on observe
l’évolution de l’emploi des entreprises pérennes ayant connu une
F&A, à l’aide des données mobilisées ici, il apparaît que l’emploi
a eu tendance à diminuer, de l’ordre de 6%, 3 ans après pour

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


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Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 119

celles ayant connu une restructuration entre 1996 et 2002.


Concernant le groupe des entreprises témoins, l’emploi a eu ten-
dance à augmenter de l’ordre de 1,4% sur le même laps de temps.
La proportion d’entreprises pérennes pour ces deux catégories
d’entreprises (ayant connu ou non une F&A) est sensiblement
la même. Plus de 70% d’entre elles sont pérennes sur les 4 années
considérées. Ainsi, l’effet à moyen terme des F&A semble rela-
tivement faible, voire négatif.

Peu d’analyses sur données françaises étudient l’influence


des restructurations sur l’emploi. La constitution d’un échantillon
représentatif est délicate puisque peu d’entreprises connaissent
ce type d’événement. En outre, les F&A affectent simultanément
les effectifs des entreprises cédantes et bénéficiaires. Pour évaluer
l’impact global de ce changement, il est nécessaire de prendre
en compte la situation jointe de ces deux types d’entreprises.
Enfin, se concentrer uniquement sur les entreprises bénéficiaires
ou cédantes pose un problème de biais de sélection puisque,
dans la plupart des cas, l’effectif soit des entreprises cédantes,
soit des entreprises bénéficiaires est nul avant ou après ce chan-
gement.
Cet article tient compte de ces différentes spécificités
pour étudier l’impact à court terme (un an après l’opération de
F&A) des F&A sur l’évolution des effectifs. Les résultats obtenus
à l’aide d’un modèle de sélectivité sur les variables inobservables
indiquent que les fusions-acquisitions affectent dans l’ensemble
positivement le volume d’emploi. Toutefois, la situation est très
hétérogène selon le type de F&A. L’effet sur l’emploi est, par
exemple, négatif en cas d’absorption ou de changement d’em-
ployeur. Il est en revanche largement positif en cas de transfert
partiel d’effectif. Des analyses complémentaires devront être réa-
lisées afin d’approfondir la relation entre transferts d’actifs et

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


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120 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

transferts d’effectifs. Elles permettront d’éclairer l’hétérogénéité


des effets sur l’emploi entre les différents types de F&A.

Matthieu Bunel est maître de conférences à l’université de Technologie de Belfort


Montbéliard - Département humanités - 90010 Belfort Cedex - Tel : 03-83-58-31-
11 - Fax : 03-83-58-31-78 - Mail : matthieu.bunel@utbm.fr
Richard Duhautois est attaché Insee.
Adresse : Centre d’études de l’emploi - TEPP - Université Paris-Est - Marne la
Vallée - Crest.
Lucie Gonzalez est maître de conférences.
Adresse : Insee-Crest, 15 boulevard Gabriel Péri, 92245 Malakoff cedex.

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


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Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez 121

Notes

1. Notons que les effectifs considérés de l’entreprise, les difficultés écono-


ne concernent ni systématiquement ni miques doivent être appréciées au regard
nécessairement les mêmes individus ou du secteur d’activité du groupe ». C’est
les mêmes postes. notamment le cas lorsque les difficultés
2. Ces F&A intragroupe sont contrôlées économiques sont invoquées pour jus-
par le législateur puisque la jurispru- tifier une procédure de licenciement
dence française en cas de fusion-acqui- économique.
sition d’après l’arrêt de la chambre
sociale de la Cour de cassation du 5 3. Pour préciser le rôle des restructura-
avril 1995 stipule que « la suppression tions dans le processus de réallocation
ou la modification substantielle du des emplois, l’accès aux données Dads
contrat de travail est examinée au niveau est nécessaire (Margolis, [2006]).

Revue française d'économie, n° 2/vol XXIV


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122 Matthieu Bunel, Richard Duhautois et Lucie Gonzalez

Références

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