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CONTREPOINT

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Quel rôle l’incertitude joue-t-elle
dans ma vision stratégique ?
Carlos Ghosn
Président-directeur général de Renault SAS.

O
ù que nous soyons dans le monde, deux évidences s’imposent aujour-
d’hui : nous devons partager et gérer des ressources limitées, et nous
devons composer avec un environnement incertain.
Cette double contrainte est devenue la réalité quotidienne des individus
mais également des États et des entreprises.
Renault est un groupe qui se développe sur les marchés internationaux tout
en restant fidèle à ses racines françaises. C’est également un constructeur qui a déve-
loppé depuis quinze ans une Alliance unique en son genre avec le japonais Nissan.
En cela, Renault incarne parfaitement l’entreprise mondialisée du XXIe
siècle, présente sur tous les continents, en prise directe avec les différentes écono-
mies de la planète. Dans un tel contexte, les paramètres de décision tendent à se
multiplier, avec pour chaque marché ou région, la nécessité de prendre en compte
des attentes clients, des contraintes réglementaires, des situations économiques et
des environnements politiques spécifiques. Cette inflation est une réalité évidente
que les entreprises doivent intégrer dans leur stratégie.
Pour le dire autrement, plus elle navigue dans un environnement incertain,
plus l’entreprise se doit d’avoir une stratégie claire, cohérente et constante. C’est la
condition de sa survie comme de sa performance.
C’est ce que Renault a fait ces dernières années, et c’est ce qui lui a permis,
non seulement de surmonter la crise violente qui a secoué l’Europe, mais qui plus
est d’en sortir plus fort. En dépit des vents contraires, nous avons su garder le cap
et nous en tirons aujourd’hui les bénéfices.
Dans le même temps, l’entreprise a évolué, car maintenir son cap ne signi-
fie pas rester statique. Nous nous sommes adaptés aux mutations des marchés, des
consommateurs, des technologies et du jeu concurrentiel. Nous avons voulu anti-
ciper plutôt que subir.

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Les Accords de compétitivité que nous avons signés en France et en
Espagne en sont une bonne illustration. Dans un contexte de crise économique
européenne, ils ont donné à Renault les moyens de renouer avec la compétitivité
et de continuer à s’affirmer comme un acteur majeur de l’industrie automobile. Ils
ont également apporté la preuve tangible qu’une entreprise française peut à la fois
développer une empreinte mondiale et moderniser sa base nationale, dans une
logique de complémentarité et de profitabilité pour tous.

Le défi majeur des grandes entreprises


Cette capacité à persévérer dans ses objectifs tout en sachant se transformer
est le défi majeur des grandes entreprises d’aujourd’hui. Pour y parvenir, nous
devons tenir compte de quatre variables clés.
Premièrement, la mondialisation : l’émergence de nouvelles économies est
un fait. Notre stratégie doit en tenir compte et se donner les moyens de profiter de
la croissance là où elle se trouve. Cela passe à la fois par une organisation au plus
près des marchés et par la mise en place de partenariats avec d’autres constructeurs,
afin d’atteindre une masse critique suffisante et de bénéficier d’effets d’échelle per-
mettant de faire partie du peloton de tête des compétiteurs mondiaux.
Deuxièmement, les flux : la complexité de l’orchestration des flux matériels
et immatériels est une source de vulnérabilité et donc d’incertitude. La fermeture
d’un détroit ou d’un canal consécutive à un conflit géopolitique, un tsunami inter-
rompant la disponibilité d’une pièce, et c’est l’ensemble de la chaîne qui se grippe.
Cela nécessite une veille proactive et un véritable savoir-faire en matière de gestion
de crise pour anticiper les risques et en minimiser les effets.
Troisièmement, la dépendance : les industries automobiles fonctionnent en
étroite synergie structurelle avec le réseau de leurs fournisseurs, avec parfois même
une situation de « mono-sourcing ». Elles sont également sensibles aux notations des
places financières ainsi qu’aux variations de taux de change. Ces facteurs de dépen-
dance doivent également être surveillés avec vigilance.
Quatrièmement, la médiatisation : le contexte d’hypermédiatisation des
sociétés contemporaines, guidées avant tout par l’émotion et le principe de pré-
caution, est source de confusion et de dévoiement. On peut ainsi voir de mauvaises
décisions habilement justifiées être mieux comprises que de bonnes décisions mal-
adroitement expliquées. L’une des fonctions de la communication est précisément
de réduire l’incertitude, en particulier chez les salariés. C’est donc un enjeu majeur
pour l’entreprise.
Voilà pour ce qui est du cadre à la fois fixe et mouvant dans lequel l’entre-
prise doit s’inscrire pour parvenir à définir sa stratégie et réaliser ses objectifs, en
dépit d’un environnement incertain.

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Qu’en est-il du chef d’entreprise et de son rôle ?
Pour réussir à naviguer dans l’océan d’incertitudes qui est notre quotidien
aujourd’hui, je crois que nous devons avant tout accepter qu’il faut sans cesse
remettre l’ouvrage sur le métier et que les solutions qui ont marché hier ne sont pas
forcément celles qui marcheront demain.
En 1999, lorsque j’ai accepté le défi de redresser Nissan, dont Renault
venait de devenir actionnaire, je suis parti d’une feuille blanche. Avec mon équipe,
nous n’avions pas de « business case » pour nous guider, pas de littérature managé-
riale sur le sujet. Non seulement nous devions redresser une entreprise en grande
difficulté, mais il fallait le faire en faisant travailler ensemble des Français et des
Japonais. C’était une situation inédite, et qui le reste à ce jour.
Aujourd’hui, quinze ans plus tard, on continue de s’interroger sur les clés
de ce double succès : le redressement spectaculaire de Nissan tout d’abord, le carac-
tère durable et profitable de l’Alliance Renault-Nissan ensuite.
Avec le recul, je dirais que ma seule certitude, c’est que vous êtes obligé
d’innover, de créer quelque chose de radicalement nouveau. Cela vaut pour tout :
votre manière d’écouter, de « manager », de communiquer, de décider.
Ce qui peut vous aider sur cette route inconnue qui s’ouvre devant vous,
c’est votre formation académique et les repères qu’elle vous donne, certes, mais
c’est avant tout votre expérience de vie et la confrontation à la réalité.
L’incertitude n’est pas un risque. C’est une chance à saisir, une ouverture,
une opportunité. Il faut simplement apprendre à ne pas la craindre, pour mieux la
retourner à son avantage.

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Février/Avril 20 14

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