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Langue française

Le cas de simple
Michèle Noailly

Abstract
Michèle Noailly : The particular case of simple
This article looks for the first time at the behaviour of the adjective simple. This adjective has ordinary uses as a qualifier, an
aspect that will receive little attention here. The analysis will focus instead on the uses of simple as a preceding attributive
adjective: une simple allusion, un simple soldat. A contextual study makes it possible to demonstrate the argumentative role
played by this adjective. This role, which is sometime close to that of the adjective seul, is clearly restrictive and contrasts with
that of pur (un simple divertissement vs un pur divertissement). In addition, the insertion of simple between a determinant and a
noun is related to different methods speakers use to make an enonciative issue of the denominative term they choose in order
to refer to a given speech object. On these grounds, it seems legitimate to include simple among the body of items known as
"enclosures". Until now, only the adjectives vrai and véritable were included under this heading. Their behaviour is however very
close in this respect to that of simple, but also to that of pur and, to a lesser degree, to that of plein and franc. This leads to a
much broader view about a body of adjectives used in a non-qualifier capacity than earlier studies had attempted to gather
together.

Citer ce document / Cite this document :

Noailly Michèle. Le cas de simple. In: Langue française, n°136, 2002. L'adjectif sans qualité(s) pp. 34-45;

doi : 10.3406/lfr.2002.6470

http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2002_num_136_1_6470

Document généré le 13/06/2016


Michèle Noailly
UMR 5610 du CNRS
Université de Brest

LE CAS DE SIMPLE

Simple serait-il un adjectif compliqué ? Non, pas vraiment. Il n'a que deux
emplois, clairement distincts, celui d'adjectif qualificatif ordinaire, épithète, apposé
ou attribut, « Un cœur simple », ce serait trop simple, et un autre, où il ne peut plus être
qu'épithète antéposée, une simple allusion, un simple citoyen. C'est le second de ces
emplois qui va retenir notre attention, car il s'agit bien alors d'un « adjectif sans
qualité ». On verra que, dans ce second cas, simple a un comportement syntaxique
contraint mais sans grande originalité ; en revanche, au plan argumentatif, il joue un
rôle qui, s'il est constant d'un emploi à l'autre, n'en est pas moins subtil, et d'autant
plus intéressant à observer.

1 . Simple, qualificatif ou pas

Avant toute chose, il n'est pas inutile de rappeler l'étymologie de cet adjectif :
simplex s'oppose à duplex et à complex, et sert à parler de ce qui a un seul pli (plecto,
plier, et sem-/sim-, qu'on retrouve dans semel, simul, une seule fois, et dans le grec
eis < *sem-s, "un"). Les emplois principaux de simple qualificatif ne sont pas
sensiblement éloignés de cette origine, qu'ils renvoient à du non-complexe (1) ou à du
non-compliqué (2) :
(1) « "Eh bien quoi ! le chocolat, c'est simple, tout simple, puisqu'il se suffit à
lui-même".
Les grands artisans, comme les grands cuisiniers, ont ainsi la maîtrise
vertigineuse et sophistiquée du simple. Du "pur simple", si l'on ose ce
concept... » (M. 21/09/1999)
(2) « Ce qui dans mon sujet, me plut, c'est que je le trouvai extrêmement
simple. Il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une
tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens.
Car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laissés. "Que ce que vous
ferez, dit Horace, soit toujours simple et ne soit qu'un". » (Racine, préface
de Bérénice)
On constate que l'adjectif peut aisément alors être substantive (par « dérivation
impropre », diraient certains) pour viser l'ensemble référentiel qui possède en
commun la propriété qu'il dénomme : c'est ainsi que, dans l'exemple (1), on passe de
l'adjectif au substantif sans aucune espèce de difficulté (« la maîtrise... du simple »).

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Pour le reste, cet adjectif a toutes les régularités d'un qualificatif ordinaire. Mais dans
l'usage contemporain, en fonction d'épithète, il est systématiquement postposé 4

L'antéposition est réservée de façon à peu près exclusive à un usage spécial, qui
va faire l'objet de ce développement, et qui peut être illustré par ces deux premières
attestations :
(3) « II n'y avait strictement personne à Paris que Mercadier eût souhaité voir,
et même une ou deux fois qu'il crut reconnaître sur le boulevard des
silhouettes de vagues relations parisiennes, il en frissonna et eut le réflexe
de se cacher : à vrai dire, sans raison, car c'étaient là de simples méprises. »
(Aragon, Les Voyageurs de l'Impériale, Gallimard, p. 274)
(4) « II n'y a pas besoin du Royaume de Prusse pour faire naître une
philosophie idéaliste : le simple foyer d'un professeur de seconde, près du
Panthéon, engendre une mystique, un système où s'organisent les étoiles du
ciel et les nuages du cœur. » (Aragon, id. p. 402)

Dans cet usage 2, l'adjectif antéposé semble jouer un rôle dans l'ajustement discursif
de la dénomination : ce n'était rien d'autre, rien de plus que des méprises ; pour faire naître
une philosophie idéaliste, le foyer d'un professeur de seconde est suffisant. Dès lors, comme
ses congénères, vrai, véritable, pur, faux, franc, plein, l'adjectif simple n'accepte plus les
degrés de comparaison, ni le moindre adverbe intensif, ni, évidemment la moindre
substantiation : si on tente c'étaient là de très simples méprises, c'étaient là d'assez
simples méprises, on retombe, quoique péniblement puisque ce n'est pas là sa position
normale, sur le qualificatif. Et le simple, avec une acception de ce genre, n'est tout
simplement pas concevable. Il n'est pas question ici de revenir sur le problème si
complexe de la position de l'adjectif épithète en français, mais seulement de
s'interroger sur les conditions d'apparition de simple antéposé au substantif, et sur celles de
son éventuel regroupement au sein de la petite série présentée au début de ce
paragraphe, et dont certains items sont maintenant traités dans la littérature comme des
enclosures.

Comme ceux-ci, Dét. simple N entre préférentiellement dans des énoncés


attributifs, de caractérisation plutôt que de simple appartenance (ainsi dans l'exemple (3)).
Mais les GN concernés peuvent bien entendu occuper toute autre position
syntaxique, et avoir des déterminants autres que l'indéfini. Un démonstratif anapho-
rique est tout à fait envisageable : Je l'appelai d'un autre prénom que le sien. Cette
méprise/cette simple méprise le fit bondir. Toutefois le défini dans un GN sans expansion
determinative semble difficile, dans le même contexte spécifique de reprise du
moins : Je l'appelai d'un autre prénom aue le sien. La méprise/ma méprise le fit bondir.
vs ??La simple méprise le fit bondir, ??Ma simple méprise le fit bondir. On comprendra
plus loin pourquoi.

1. Il ne manque pas d'exemples, dans la langue classique, où simple qualificatif est employé en
épithète antéposée :
« Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
Vous employez tous deux le calme où je vous laisse. » (Racine, Athalie, cité dans Littré, à l'article
« simple »).
2. Attesté dès le XIIe siècle en français, mais sans correspondance dans le latin simplex, semble-t-il.

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2. Les compatibilités lexicales

On pourrait penser que les divers adjectifs énumérés ci-dessus, quel que soit leur
rôle exact, n'imposent pas de contrainte lexicale sur le N qui suit. Pourtant, quand on
construit des associations exemplaires avec tel ou tel, on s'aperçoit vite qu'elles ne
sont pas quelconques. Ainsi, avec pur, on pense à une pure merveille, un pur miracle, un
pur délice d'un côté, à une pure aberration, un pur scandale de l'autre, mais pas à lun pur
événement, lune pure cloison. Il semblerait donc qu'avec pur, soient privilégiés des
noms à forte charge evaluative.
Simple a priori est moins sélectif, et les exemples qui figureront ci-dessous dans les
citations font intervenir des termes en eux-mêmes dépourvus de tout effet
appréciatif : une simple exclamation, une simple affirmation, une simple acte de sa volonté,
la simple curiosité de savoir, une simple relation de mon voyage, de simples imprudences, un
simple titre de transport, un simple chef d'entreprise. Tout de même, on peut douter de
l'acceptabilité de groupes nominaux où simple serait associé à des noms contenant en
eux-mêmes l'idée d'un degré supérieur : un simple trésor, un simple palais, une simple
apothéose, une simple exaltation, un simple festin, une simple extase, etc. De même, alors
qu'on peut facilement imaginer un GN dans lequel simple serait suivi d'un N précédé
d'un qualificatif du type de « petit », une simple petite chaumière, une simple petite jupe,
un simple petit signe, il sera difficile à l'inverse de mettre en cette même place un
adjectif comme « grand » : lune simple grande maison, lune simple grande jupe, lun
simple grand signe. Nulle impossibilité grammaticale à cela, mais disons qu'il faudrait
un contexte diablement construit et un peu paradoxal pour permettre de telles
associations.
À l'inverse, les exemples privilégiés qui viennent à l'esprit mettent en scène des
noms qui ont plutôt tendance à exprimer un degré faible à l'intérieur de leur
domaine : une simple allusion, une simple présomption, une simple formalité, ou dans la
hiérarchie des fonctions sociales, un simple citoyen, une simple figurante. On dit une
simple peccadille, comme on dit une mince peccadille, une minuscule peccadille, avec des
adjectifs renforçant l'effet minorant du substantif. Est-ce à dire que simple aurait le
même pouvoir diminuatif que ces adjectifs-là ? À première vue, il serait bien difficile
de les assimiler. Pourtant la relation au petit, dans la mesure où le petit est estimé par
rapport avec ce qui pourrait être plus grand, plus prestigieux, est patente dans
certains exemples :
(5) « Quand Aurélien reçut l'invitation de Mme de Perseval... Ce n'était pas le
bristol avec "recevra". Non, un mot de sa main : Soyez là cinq minutes en
avance, je voudrais vous parler avant que les gens arrivent. Si vous voulez
absolument m'apporter quelque chose, que ce soit un tout petit bouquet de
violettes, pas des Parme, des simples violettes. » (Aragon, Aurélien,
Gallimard, p. 45)
L'effet minorant est ici partout : d'abord porté par « tout petit », puis par le nom
même de « violette », qui le contient et morphologiquement, par son diminutif, et
aussi - sème probablement afférent - par l'idée de modestie et d'humilité associée
ordinairement à cette fleur. À l'intérieur de la catégorie « violettes », plus
précisément, il se construit dans le texte une hiérarchie, que le locuteur possède d'avance, et
qui va se trouver imposée au lecteur, s'il ne la connaît pas. En d'autres termes, il y a

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violette et violette. Ladite Mme de Perseval refuse le luxe des violettes de Parme,
plus belles, plus grandes peut-être, et dit préférer la violette ordinaire.
On est donc bien dans le registre de la correction d'un dire antérieur, en d'autres
termes, d'un ajustement du dire. Ce type de configuration discursive est fréquent
avec Dét. simple N. C'est sans doute ce qui permet de comprendre que les énoncés
attributifs comportant simple soient plutôt de caractérisation que de stricte
appartenance (cf. 1.) : dans l'appartenance, le locuteur est censé fournir une information qui
ne relève pas de sa propre estimation ; dans la caractérisation, en revanche, il lui est
loisible de donner son point de vue sur la dénomination sélectionnée. Cela explique
aussi que les reprises en ce simple N soient possibles, alors que celles de forme le
simple N, mon simple N sont difficiles : avec ce, on recatégorise, on reprend à son
compte la dénomination ; avec le au contraire, ladite dénomination n'est pas
présentée comme impliquant une prise en charge énonciative.
Simple formule donc un commentaire sur le choix du N qui suit : on ne dit pas, de
ce N qu'on est en train de sélectionner pour nommer un réfèrent, qu'il est
inapproprié, mais on ne dit pas non plus qu'il va s'appliquer à ce réfèrent comme à un
prototype de la notion, comme ce serait le cas avec vrai, véritable, authentique : c'est une
{vraie, véritable, authentique} comédie vs c'est une simple comédie. En même temps, il ne
s'agit pas davantage de donner à comprendre que le réfèrent sélectionné se situe aux
marges de la dénomination retenue, ce que diraient d'autres enclosures bien
connues, comme une sorte de comédie, une espèce de comédie. Alors quel est le rôle exact
de simple, et quel type d'ajustement déclenche-t-il ?

3. Au-delà du groupe nominal, quels enchaînements


argumentatifs ?

Pour observer le rôle de simple, on voit bien qu'il est absolument nécessaire de
sortir du cadre étroit du GN dans lequel l'adjectif se trouve inséré : c'est tout le
mouvement de pensée qui conduit à la mise en place de cet adjectif devant le nom
qui doit être pris en considération. Car, de fait, si la présence de cet adjectif n'est
jamais nécessaire à l'identification du réfèrent, s'il ne sert pas à restreindre le
domaine dont il s'agit, comme feraient des qualificatifs, on s'aperçoit qu'il est utile à
la cohésion discursive. Si on le supprime, on obtient des enchaînements un peu
moins fluides, moins aisés : par exemple dans (4), ainsi reformulé :
(4 bis) II n'y a pas besoin du Royaume de Prusse pour faire naître une philosophie
idéaliste : le foyer d'un professeur de seconde, près du Panthéon, engendre
une mystique, un système où s'organisent les étoiles du ciel et les nuages du
cœur.
Ce rôle, d'améliorer et de rendre plus clairs les enchaînements, on le retrouve
nettement dans les exemples (6) et (7) qui suivent :
(6) « — J'allais précisément, me dit-il, vous adresser la prière de ne pas vous
éloigner de moi d'un pas. . .
Je le lui promis, mais une simple affirmation ne le satisfit pas. Il me fit
solennellement jurer que je ne ferais pas un geste... » (G. Sand, La Comtesse
de Rudolstadt, Phebus libretto, p. 110)

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(7) « Par un mot affectueux, par une simple exclamation admirative, il réussit
à se faire pardonner ses duretés et ses emportements... » (id. p. 106)

Dans l'exemple (6), simple entre dans la mise en place du contraste posé entre une
promesse et un serment solennel. La seconde de ces opérations est présentée comme
renchérissant sur la première, et simple sert à confirmer que la première opération
représente bien un stade inférieur par rapport à l'autre. L'exemple (7), quant à lui,
présente deux groupes prépositionnels juxtaposés. Si on supprime simple dans le
second, cette juxtaposition n'est rien de plus qu'une addition de deux termes, sans
effet de progression entre eux :
(7 bis) Par un mot affectueux, par une exclamation admirative, il réussit à se faire
pardonner ses duretés et ses emportements. . .

En revanche, avec simple, d'un groupe prépositionnel à l'autre, on entre dans un


enchaînement argumentatif . Il peut paraître curieux que simple figure cette fois-ci
dans le second terme de la paire. En quoi « une simple exclamation admirative »
marquerait-elle un argument plus fort que « un mot affectueux », puisque, malgré
tout, une exclamation (au sens probable de « interjection ») est moins qu'un mot en
principe ? C'est qu'ici il est question de souligner l'habileté de Frédéric de Prusse à
effacer chez ses interlocuteurs les duretés qu'il leur fait subir : qu'il ait peu de choses
à faire pour obtenir un tel effet est donc un signe de cette habileté, et qu'une « simple
exclamation admirative » y suffise fournit ainsi un argument plus fort que le « mot
affectueux » qui précède. Mais cela ne change rien au fait que le GN qui contient
simple marque une restriction, un moins par rapport au GN précédent.

4. Simple, un restrictif

4.1. Simple et ne... que

Par ailleurs, on constate aussi une excellente compatibilité des GN contenant


simple avec la négation dite restrictive :
(8) « Ce n'est point en passant que nous vous proposons de lire ces feuilles ;
nous ne vous disons point non plus qu'elles méritent toute votre attention ;
nous ne les vantons ni peu ni beaucoup ; nous vous les donnons seulement.
Prenez la peine de voir ce qu'elles sont ; n'en attendez d'avance ni plaisir ni
dégoût ; ne les lisez que dans la simple curiosité de savoir ce qu'elles
valent... » (Marivaux, Le spectateur français, Classiques Garnier, p. 337)
(9) «Je n'ai point de faits à vous révéler contre ces gens-là. Je n'ai à vous
donner qu'une simple relation de mon voyage dans un monde que j'aurais
pris pour le nôtre, sans une seule chose qui le distingue, et qui est
l'étonnante naïveté avec laquelle les hommes y disent ce qu'ils pensent. »
(id. p. 392) 3

3. Cf. de même cette citation de La Fontaine, dans Littré :


« Son raisonnement pouvait être / Fort bon dans la bouche d'un maître ; / Mais n'étant que d'un
simple chien, / On trouva qu'il ne valait rien. » (Fables, XI, 3).

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Dans ces deux extraits, Marivaux fait intervenir Dét. simple N dans des prédicats
marqués par ne... que, et à la suite d'énoncés pleinement négatifs, les enchaînements
étant sur le modèle « non p, simplement q ». Pour (8), « soyez curieux, mais
n'attendez rien de précis, qu'il vous suffise d'être curieux » ; pour (9), « il n'y aura
pas de révélation, il y aura seulement une relation de voyage ». Double précaution
d'auteur, qui prévient ainsi la déception d'un lecteur supposé avide de sensationnel.
Il est à remarquer que, si l'on peut faire intervenir seulement pour tenir lieu de
« simple » dans la paraphrase, comme je viens de le faire ci-dessus, il serait plus
difficile de l'intégrer à un énoncé comportant Dét. simple N. À cet égard comme à
d'autres, seulement ne se comporte pas comme ne... que* :
(8 bis) ??Lisez-les seulement dans la simple curiosité de savoir ce qu'elles valent. . .
(9 bis) ??Je n'ai point de faits à vous révéler contre ces gens-là. J'ai seulement à
vous donner une simple relation de mon voyage dans un monde que
j'aurais pris pour le nôtre.
Seulement tend à exclure simple, comme si les deux éléments étaient excessivement
redondants l'un par rapport à l'autre, alors que ne... que est compatible avec ce
même adjectif. Bien que ce ne soit pas le propos principal de cet article, on peut
s'attarder un instant sur ce point, qui concerne non seulement ne... que et seulement,
mais aussi seul, simple et simplement. On a quelque raison de penser que la restriction,
et l'inversion argumentative qui s'ensuit, sont le fait de seulement, mais sans doute
pas de ne... que, puisque cet effet ne se vérifie pas dans tous les emplois. En effet,
dans des contextes comme Décide-toi, tu n'as que trop tardé, Cet homme n'est que vertu,
Jules ne fait que pleurer, ne... que ne restreint pas à proprement parler, et renforce bien
plutôt l'élément sur lequel il porte, à l'exclusion de tout autre : tu as vraiment trop
tardé ; cet homme est tout entier vertu, Jules pleure sans arrêt. Il n'est pas supposé qu'il y
ait lieu de regretter ce qui est exclu, comme ce serait le cas avec seulement (cet homme
est seulement vertu : le locuteur regrette l'absence d'autres composantes). On
comprend mieux dès lors que simple restrictif s'accommode assez bien dene... que, et
soit incompatible avec seulement 5.
C'est cette nature restrictive de simple qui lui permet par ailleurs d'assurer une
connexion argumentative entre deux propositions à orientation inverse : ce ne sont
pas des amis, de simples relations. Sans l'adjectif simple dans la seconde partie de
l'énoncé, l'enchaînement ne peut être compris que comme une simple juxtaposition
et la négation porte sur l'ensemble (ce ne sont ni des amis, ni des relations). Si l'on veut
préciser et renforcer la cohésion, on peut bien sûr ajouter mais : ce ne sont pas des amis,
mais de simples relations, mais ce n'est pas indispensable.

4. C'est ce qu'avait montré, il y a longtemps déjà, M. Piot, mais à un point de vue distributionnel.
Ici, c'est plutôt au niveau sémantique que la différence nous paraît pertinente.
5. Je laisse de côté ici la comparaison de simple avec simplement. Dans les contextes de (8) et de (9),
il est facile de substituer simplement a ne... que. . . simple :
(8 ter) Lisez-les simplement dans la curiosité de savoir. . .
(9 ter) J'ai simplement à vous donner une relation de mon voyage
Par ailleurs, il faudrait examiner la quasi équivalence de seulement et de simplement, dans leurs
emplois de connecteur restrictif : je viendrais bien, { seulement, simplement], j'ai beaucoup de travail.
Sur les emplois argumentatifs de seulement, on a quelques développements dans Ducrot 1980,
pp. 57-60. Sur seul, cf. Ducrot 1972, pp. 152-165.

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Toutes ces observations jointes mettent en lumière que le rôle de simple dépasse
largement le cadre du groupe nominal : les substitutions, même approximatives,
avec des formes adverbiales comme ne. . . que ou seulement (ou simplement, cf. note 5)
le prouvent.

4.2. Simple et seul

Un autre adjectif, l'adjectif seul, a lui aussi donné lieu à une confrontation avec
ne. . . que. Le Grand Robert fait état d'emplois conjoints de seul et de ne. . .que, mais pour
préciser que de tels emplois sont condamnés par les puristes (Musset : « II n'y a pas
que l'amour seul qui donne de la jalousie »). Et il se trouve que ce même dictionnaire
renvoie de « seul » à « simple » à propos d'exemples comme cette citation de Proust,
« Pour la seule raison qu'ils avaient voulu faire un peu de sa besogne, un jour qu'elle
était souffrante... », susceptible d'être réécrite pour la simple raison que... Certains
emplois de seul conduisent ainsi à tenter un rapprochement de cet adjectif avec
simple. Dans les deux cas, on a des adjectifs plus ou moins compatibles avec ne... que,
et qui, parallèlement, semblent jouer un rôle proche de celui de ce marqueur.
Le rapprochement ne vaut, en fait, que pour des emplois très limités de seul, qui
présente par ailleurs une syntaxe beaucoup plus originale et libre que simple et
mérite à cet égard d'autres développements {cf. F. Renaud 1998). Le problème de
l'équivalence des deux adjectifs ne se pose, en effet, qu'avec déterminant défini :
sinon, seul renforce un déterminant indéfini et porte sur lui (un seul = pas plus d'un).
Mais en dehors de tout contexte de quantification, seul porte sur le GN pris tout
ensemble : cette seule méprise = cette méprise et rien d'autre, rien de plus qu'elle. Seul est
d'ailleurs à ce moment-là déplaçable, et susceptible de figurer après l'ensemble dét
+ N : cette méprise seule. . ., ordre qui peut sembler plus logique (et que le Grand Robert
- article SEUL, III. I. с - juge moins littéraire que l'ordre dét. seul N). Il est aussi
susceptible d'être renforcé par unique : pour la seule et unique raison que (de même pour
la simple et unique raison que...). L'équivalence apparaîtrait de même entre des
énoncés comme sa seule conversation me ravit, et sa simple conversation me ravit ; le seul
talent ne suffit pas, et le simple talent ne suffit pas. La construction du sens, alors, semble
suivre les mêmes voies : le talent à lui seul, c'est-à-dire sans rien qui l'accompagne ; le
talent et rien de plus que le talent.

4.3. Plus qu'un simple N

Dans un autre contexte, les deux exemples suivants font voir de même l'impact
restrictif dû à l'emploi de simple, mais avec des enchaînements d'un genre différent :
(10) « L'héritière du ticket de métro [il s'agit de la carte à puce Navigo] veut
devenir bien plus qu'un simple titre de transport. « II s'agit de faire de
Navigo un véritable outil d'accès à la ville », assure J.L. Lamalle, chef de
projet Navigo à la RATP. » (M. 8/12/2001)
(11) « Fourmillant d'idées et de projets, drôle, intuitif, Heineken était plus qu'un
simple chef d'entreprise, même si son sens des affaires ne faisait de doute
pour personne. » (M. 6-7/01/2002, p. 12)
Là encore, l'adjectif n'est pas absolument nécessaire, mais sa présence renforce la
démarche argumentative. En d'autres termes, simple, ici nettement dépréciatif,

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ramène N (« titre de transport » ou « chef d'entreprise ») à n'être que ce qu'il est,
c'est-à-dire à se situer au-dessous de ce qu'il pourrait être. On peut noter qu'on peut
être plus qu'un simple N, mais qu'il serait difficile d'imaginer ce que serait le moins
qu'un simple N : ? c'est moins qu'un simple titre de transport, le' est moins qu'un simple chef
d'entreprise sont des énoncés très peu naturels, comme s'il était difficile de concevoir
un degré inférieur à un simple N.
À l'inverse, vrai, véritable, enclosures bien reconnues comme telles, serviraient à
mettre en valeur le N qui suit, à valider le choix de ce N, quelque inattendu qu'il
puisse paraître, et de ce fait, seraient inappropriés dans les exemples (10) et (11),
comme s'il y avait une contradiction à l'intérieur d'un même point de vue :
(10 bis) ?L 'héritière du ticket de métro veut devenir bien plus qu'un vrai titre de
transport
(11 bis) ?Heineken était plus qu'un véritable chef d'entreprise

4.4. Simple et la négation


Ces observations vont être confirmées par le test de la négation. L'exemple (12), il
est vrai, présente le GN Dét. simple N entre guillemets, mais ces guillemets ont-ils un
rôle si décisif pour l'interprétation ?
(12) « Recherchant "les raisons profondes du drame", le procureur a considéré. . .
À ses yeux, le prêtre n'a pas commis "de simples imprudences", puisqu'il
a sciemment pris le risque de jouer avec la vie d'autrui en bafouant des
règles qu'il connaissait parfaitement, qu'il avait choisi d'enfreindre par
principe philosophique ou éducatif. » (M. 21/10/2001)
Les guillemets, ici, signalent que le groupe « de simples imprudences » est emprunté
soit à l'abbé Cottard (puisque c'est de lui qu'il s'agit, évidemment), soit à ses
défenseurs devant la justice, et la négation s'inscrit dans une reprise polémique d'une
affirmation antérieure. Si on supprime et les guillemets, et l'adjectif simple,
l'interprétation de l'énoncé négatif est tout autre : le prêtre n'a pas commis d'imprudences
argumente tout bonnement en faveur de l'innocence du prêtre. Le même énoncé avec
guillemets cette fois, le prêtre n'a pas commis d'« imprudences » est plus ambigu, parce
qu'on comprend dès lors que c'est le nom en citation qui est jugé inadéquat à
l'analyse de la situation. Mais on ne peut décider si le terme rejeté l'est parce qu'il est
trop fort (il ne s'agirait alors que d'une faute plus légère) ou parce qu'il est trop faible
(ce qu'il a fait, c'est plus qu'une imprudence, le mot ne convient pas parce qu'il est
trop faible). Avec le prêtre n'a pas commis de simples imprudences, sans guillemets,
l'interprétation devient indécidable, douteuse, du moins sans accent d'emphase sur
« imprudences ». Tout se passe comme si on ne pouvait que rajouter mentalement
les guillemets absents.
Enfin, sous la forme exacte de l'exemple (11), c'est au contraire très clair : le terme
sélectionné et cité est donné pour inadéquat parce que trop faible : ce que le prêtre a
commis, c'est plus (en l'occurrence, beaucoup plus) que de simples imprudences. On
aurait de même ce n'est pas une simple promesse = c'est plus qu'une promesse ; ce ne sont
pas de simples violettes = c'est plus que de simples violettes. La négation, comme ce serait
le cas avec vrai, véritable, met en cause, par la médiation de l'adjectif, le N retenu : ce
ne serait pas le cas avec un adjectif qualificatif (dans je n'aime pas les fleurs rouges,
l'incidence de la négation ne remet pas en cause mon goût pour les fleurs).

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Les diverses manipulations testées dans cette partie, et en particulier cette
épreuve finale de la négation, confirment l'orientation argumentative vers le négatif
de l'adjectif simple en situation d'épithète antéposée. Si l'on compare les effets qu'il
produit alors aux valeurs qu'il est susceptible de véhiculer en tant que qualificatif, il
est piquant de constater qu'on est loin des emplois à appréciation positive des
citations (1) et (2), dans lesquels la qualité de simplicité était fortement valorisée.

5. Simple et l'approche culiolienne de la notion

L'approche tentée ici n'est pas étrangère aux réflexions d'A. Culioli sur les
phénomènes de dénomination. Quand A. Culioli écrit : « Tout terme peut être
considéré (en production) comme le résultat matériel d'une chaîne complexe d'opérations
mentales » (1992, p. 3), on voit bien en quoi une telle position répond aux problèmes
que pose l'interprétation des GN Dét. simple N.
Or il se trouve qu'en outre, A. Culioli croise, sans s'y attarder, il est vrai, le
problème posé par simple. C'est, dans le même article, quand, cherchant à expliquer
que telle occurrence d'une notion va renvoyer à l'« attracteur », il commente :
« occ1 peut être repérée par rapport à l'attracteur : ça, c'est un stylo ! (« cela mérite le
nom de (vrai) stylo »)... L'occurrence dite occ1 renvoie à l'occurrence notée occ0, qui
est ici la notion /être stylo/. On a ainsi : un stylo (qui mérite le nom de) stylo, c'est-à-
dire un stylo stylo, un vrai stylo, et non pas un stylo (forcément quelconque), un simple
stylo, comme on trouve dans le simplement définitoire. » 1992, p. 5 [c'est moi qui
suis responsable du caractère gras].
Le problème est de savoir si « un simple stylo » est un stylo simplement définitoire.
Ce n'est pas si sûr. Ce n'est pas non plus un stylo quelconque. Pour la seule raison
que, lorsqu'il s'agit simplement de ne pas discerner qualitativement une occurrence,
on dira « un stylo » tout court, ou, pour reprendre un des exemples antérieurs, « il a
commis une imprudence ». L'adjonction de simple complique la représentation
construite par l'énoncé. Mais alors par rapport à quoi se situe l'occurrence marquée par
simple ? Le paradoxe, c'est que, simple disant que le réfèrent n'est rien d'autre que ce
que le N sélectionné indique, cela devrait produire une occurrence repérée par
rapport au type, comme dit Culioli, c'est-à-dire à la valeur définitoire de la
représentation lexicale : conformité à des caractéristiques stables. Or, le fait de préciser que le
réfèrent ne possède aucun trait autre que ceux qui sont impliqués par le choix de la
dénomination N conduit au contraire à l'interprétation restrictive qui a été analysée
ci-dessus, repérable à la fois par les sélections lexicales (compatibilité préférentielle
de simple avec des noms dépréciatifs ou diminuatifs, incompatibilité avec des noms
comportant un sème /excellence/ ou /grandeur/) et par l'affinité avec les
marqueurs restrictifs (ce n'est qu'une simple imprudence). On aboutit donc à une espèce
de paradoxe : pour pouvoir mériter le nom de « stylo », être « un vrai stylo », il
faudrait ainsi que le réfèrent visé ait des propriétés qui ne soient pas seulement celles
qui sont banalement définitoires du stylo.
À l'inverse, des adjectifs proches comme pur ou même franc et plein, quoique ce
dernier présente des contraintes beaucoup plus spécifiques, tout en confirmant la
pertinence du choix de N, n'ont aucunement ce caractère restrictif, bien au contraire.

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Pour pur et franc, il semblerait que l'occurrence de la notion soit repérée par rapport à
l'attracteur : une pure comédie, un franc succès, c'est une comédie qui approche autant
que faire se peut de la quintessence de LA comédie ; c'est un succès massif et
indiscutable. Pur et simple, disant l'un et l'autre que le N choisi est parfaitement adéquat
au réfèrent à dénommer, produisent donc sur cette adéquation des jugements à peu
près inverses, et la font juger dans un cas comme restrictive (c'est ça, mais ce n'est
que ça), dans l'autre comme valorisante (c'est ça mais alors vraiment ça, ça à l'état
pur, sans scories étrangères)6.

Plein dans cette perspective est un peu à part, comme je viens de le signaler, dans
la mesure où il affecte de façon à peu près exclusive des N qui supposent soit un
espace, soit un déroulement temporel : en plein été, en pleine représentation, en plein
effort ; la pleine campagne, la pleine saison, etc. Plein dans ces GN (souvent
prépositionnels, après en ou dans), indique que c'est le centre de l'espace ou le milieu de la durée
qui est concerné. Le centrage se fait probablement aussi sur la notion, car d'une
certaine manière, la pleine campagne, c'est « la campagne dans ce qu'elle a de plus
campagne », et de même en plein jour, c'est « dans le cœur du jour, quand le jour est
totalement jour et ne comporte aucune part d'ombre ». Mais le fait que les referents
visés aient une existence spatio-temporelle fait que cette représentation centrale de la
notion renvoie, plus concrètement, au centre, ici de l'espace, là de la durée concernés.
L'effet restrictif mis en place par Dét. simple N oblige donc à opposer « ce qui n'est
que N » à autre chose, et met en place un paradigme contrastif. Reste à voir comment
se construit ce paradigme, et de quoi il est fait. Avec vrai, véritable7 (auprès desquels
je rangerais volontiers pur), tout se passe comme si à l'intérieur de la notion
s'établissait une hiérarchie des occurrences. On peut par exemple bâtir une échelle de valeurs
au sein de tout ce qui peut peu ou prou mériter le nom de comédie. Et les
occurrences produites sous cette forme, une véritable comédie, une pure comédie, une franche
comédie, marqueront alors, pour reprendre encore le vocabulaire de Culioli, un
repérage par rapport à l'« attracteur » du domaine.

En revanche, il semble qu'avec simple, la mise en contraste soit moins uniforme.


Certes, dans l'exemple (5), quand des « simples violettes » sont opposées à des
violettes de Parme, on peut considérer qu'on est encore dans ce schéma-là : les
Parme, quintessence de la violette, sont opposées à la simple violette, celle qui n'a
pas de qualité autre que. . . d'être violette. La mise en contraste s'opère non pas par
renvoi à un extérieur de la notion « violette », mais par l'établissement d'une
hiérarchie à l'intérieur de celle-ci. En outre, ce que cet exemple a d'un peu particulier, c'est
qu'il n'est pas sûr que le contexte y soit totalement dépréciatif . D'un côté, on pourrait
penser que LA violette par excellence, c'est la violette de Parme. Mais de l'autre, on

6. Cette opposition argumentative est d'autant plus étonnante que, dans l'emploi qualificatif, les
valeurs de pureté et de simplicité sont au contraire souvent associées. D'ailleurs il peut arriver
aussi que pur et simple argumentatifs forment couple, dans une association largement
préconstruite (toujours épithète, mais susceptible de postposition) : un oubli pur et simple, une pure et simple
obligation, une pure et simple merveille. Que reste-t-il alors de leur rivalité argumentative ? (Voir
aussi le très curieux « du pur simple », de l'exemple 1).
7. Vrai et véritable sont invoqués ici sans considération de la nature métaphorique ou non du N
devant lequel ils interviennent. Je partage en effet le point de vue de D. Legallois {cf. ici même) et
estime qu'ils servent, métaphore ou pas, à renforcer le bien-fondé de toute espèce de dénomination.

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peut dire aussi, en opérant sur la notion une répétition-recentrage (telle que les
définit E. Richard, 2000, et selon l'exemple du « stylo stylo » de Culioli) : « non, pas
des Parme, des violettes-violettes ». Alors on renie l'authenticité de ce qui n'est pas
strictement N pour valoriser ce qui est simplement N8.

Mais dans plusieurs des autres exemples, il semble que ce soit un paradigme plus
étendu qui se mette en place, et qui outrepasse largement ce qui relève de la
dénomination sélectionnée : dans l'exemple (4), c'est explicite, puisque le texte se construit
sur l'opposition très contrastée « royaume de Prusse » vs « foyer d'un professeur de
seconde ». Dans (12), c'est assez simple aussi, le contexte droit livrant au lecteur ce
qu'il faut entendre par « bien plus qu'un simple titre de transport » : un « véritable
outil d'accès à la ville ». (6) et (7) confrontent aussi, à leur façon, mais toujours
explicitement, le simple X à un Y : exclamation vs mot ; affirmation vs serment solennel.
Mais dans les autres exemples, où on ne dispose pas de cette précision, c'est au
lecteur de se construire la représentation nécessaire. Ainsi, dans (12), de simples
imprudences, l'occurrence « imprudences » est mise en relation implicite et en
contraste avec... ce qui serait un plus de l'imprudence, un au-delà de l'imprudence.
Mais quel nom donner à un au-delà de l'imprudence ? De l'inconscience, peut-être.
De l'irresponsabilité tout aussi bien. Ou de la folie. Nul ne peut l'établir. Le locuteur
pourrait peut-être le dire, mais l'interlocuteur peut reconstruire le paradigme des
culpabilités d'une autre façon, différente et aussi légitime. Et de même dans (11), s'il
n'est pas dit explicitement ce qu'est celui qui est plus qu'un chef d'entreprise, on
peut comprendre que le locuteur le suggère dans les appositions frontales de la
phrase : fourmillant d'idées, drôle, intuitif, qui semblent avoir pour rôle de légitimer le
prédicat qui suit : en ce qu'il était plein d'idées, drôle et intuitif, Heineken dépassait
largement la définition du chef d'entreprise. Mais cela ne nous dit pas quelle autre
dénomination pourrait s'appliquer à cet ensemble de traits 9. De même, quand on
parle d'une simple formalité ou d'un simple citoyen, on laisse à l'interlocuteur le soin de
concevoir et d'identifier ce que seraient (et comment se nommeraient) les objets de
discours qui dépasseraient le stade de la « formalité » ou du « citoyen » 10.

6. Conclusion

L'étude du comportement de simple, outre qu'elle met en lumière un terme


jusque là passé inaperçu, et qui méritait mieux que cette obscurité, a aussi, on le voit,
l'intérêt de conduire à des vues très élargies sur un ensemble d'adjectifs en emploi
non qualificatif que la tradition n'avait pas trop songé à rassembler. On est amené

8. On pourrait à la limite se demander si, dans cet emploi, et en dépit de l'antéposition, simples a
exactement sa valeur argumentative. Car en matière de fleurs, on oppose souvent les fleurs
simples et les fleurs doubles. La violette de Parme serait-elle une « fleur double » ?
9. En fait, la démarche est plus compliquée encore, du fait de la subordonnée en même si qui vient
ensuite. En gros, cela revient à dire : Heineken était plus qu'un chef d'entreprise, même si c'en
était un quand même.
10. À la limite, et comme me le suggère le relecteur anonyme de cet article, on peut dire aussi « un
simple festin suffit parfois à vous faire croire en Dieu » {cf. le début de 2.), et dans ces conditions,
on comprendra que, dans l'esprit du locuteur, il pourrait falloir plus que ce plaisir délicat mais
matériel pour justifier de l'existence de Dieu.

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ainsi à observer les différents procédés dont disposent les locuteurs pour rendre
manifeste leur point de vue sur la dénomination qu'ils retiennent pour référer à un
objet de discours donné. Le comportement des adjectifs antéposés vrai et véritable, à
cet égard, ne se distingue pas radicalement de celui de pur, simple, et dans une
moindre mesure, de ceux de plein et franc. Les uns et les autres ont alors une portée
qui dépasse la structure interne du groupe nominal, et qui leur confère le même rôle
discursif que pourraient avoir certains adverbes d'énonciation : fournir une
instruction pour l'interprétation.
Il semble légitime de traiter l'ensemble de ces adjectifs comme des « enclosures ».
Ce terme, tantôt réservé de façon trop étroite à vrai et véritable (associés le plus
souvent à une espèce de, une sorte de), est aussi parfois étendu excessivement à toutes
sortes d'adverbes ou de locutions adverbiales {d'une certaine manière, à certains égards,
au fond, a mon avis, et même très n). Il vaudrait mieux sans doute le limiter à
circonscrire l'ensemble des formes « encloses » entre déterminant et adjectif et qui ont pour
rôle de marquer la trace des opérations mentales auxquelles le choix dénominatif a
donné lieu.

Bibliographie
CULIOLI A. 1992 : « Un si gentil jeune homme ! et autres énoncés », dans l'Information Grammaticale
55, pp. 3-7.
CULIOLI A. 1997 : « À propos de la notion », dans Actes du Colloque « La Notion », tenu en février
1996, à Paris VII, Rivière C. & Groussier M.-L. éd. Ophrys, Gap-Paris.
DUCROT 0. 1972 : Dire et ne pas dire. Hermann, Paris.
DUCROT 0. 1980 : Les échelles argumentatives. Les Éditions de Minuit, Paris.
Kleiber G. & Riegel M. 1978 : « Les grammaires floues », dans La notion de recevabilité en
linguistique, Klincksieck, Paris, pp. 67-124.
Moeschler J. & Reboul A. 1994 : Dictionnaire Encyclopédique de Pragmatique, Seuil, Paris.
NOAILLY M. 1999 : L'adjectif en français, Ophrys, Gap-Paris.
PlOT M. 1975 : « Les "restrictions" ne... que et seul(e)(s) (aperçu à partir de leur distribution) »,
dans Recherches Linguistiques de Vincennes 3, Paris VIII.
RENAUD F. 1998 : « Seul : quantification et argumentation », dans Revue de Sémantique et de
Pragmatique 4, pp. 11-43.
RICHARD E. 2000 : La répétition : syntaxe et interprétation. Thèse soutenue à l'Université de Brest
(dir : M. Noailly).

11. Cf. par exemple le Dictionnaire Encyclopédique de Pragmatique, p. 378.

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