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« On voulait le rai-
sonner, expliqua Kelley dans Business Week. "Steve, ça va coûter une for-
tune" ou "c'est impossible", sa réponse était invariablement : "Tu es un
petit joueur." Il avait l'art de vous faire passer pour un poltron. » Alors
Kelley et son équipe restèrent des nuits à plancher pour concrétiser les
lubies du patron. Devant un candidat, lors d'un simple entretien pour un
poste dans le service marketing, Jobs, d'un geste théâtral, avait retiré un
drap noir pour qu'il admire le support aux formes arrondies, avec dessus
un parpaing pour représenter le moniteur. Sous le regard interdit du
candidat, Jobs avait montré avec fierté le mécanisme pivotant, en lui di-
sant que le brevet était à son nom.

De tout temps, Jobs avait veillé à ce que les parties invisibles soient
d'aussi belle facture que la façade, en hommage à son père qui soignait
l'arrière de ses commodes. Dans ce domaine aussi, il poussa le perfec-
tionnisme trop loin. Il voulut que les vis à l'intérieur de la machine soient
recouvertes d'un placage doré. Il exigea également que l'intérieur de la
caisse reçoive la même finition mate que l'extérieur, même si uniquement
les réparateurs le verraient.
Joe Nocera, qui écrivait à l'époque dans Esquire, décrit assez bien l'hy-
peractivité de Jobs pendant les réunions :
Dire que Jobs « siégeait » au comité de direction induirait le lecteur en erreur. En réalité
Jobs ne demeurait jamais assis bien longtemps dans un siège ; il ne tenait pas en place. Il
s'agenouillait dans son fauteuil, puis la seconde suivante s'y étendait de tout son long ; puis
il se levait d'un bond, fonçait au tableau gribouiller un schéma. Il était plein de tics aussi ; il
se rongeait les ongles jusqu'au sang. Et scrutait de son regard foudroyant quiconque prenait
la parole. Ses mains, curieusement jaunâtres, étaient toujours en train de papillonner.

Mais c'est son « manque de tact » qui marqua le plus Nocera. Ce n'était
pas une simple incapacité à contenir ses émotions ; c'était plutôt un pro-
cédé, une volonté - un besoin pervers - d'humilier les gens, de les mettre
plus bas que terre, pour leur montrer à quel point il leur était supérieur.
Lorsque Dan'l Levvin lui tendait un organigramme, par exemple, Jobs
roulait des yeux en disant « c'est de la merde ». Mais son comportement
pouvait changer du tout au tout, comme du temps où il était à Apple. Un
gars du service financier débarqua en réunion et Jobs le couvrit d'éloges :
« C'est vraiment du bon travail, du très bon travail », alors que la veille il
lui avait dit « c'est nul à chier ».
L'un des dix premiers employés de NeXT fut un décorateur dont la tâche
était de relooker les premiers locaux de la compagnie, à Palo Alto. Même
si Jobs louait un immeuble tout neuf et joliment agencé, il le dé-pouilla
complètement pour tout refaire. Les murs furent remplacés par des parois
vitrées, les moquettes par du plancher. Les mêmes grands tra-vaux furent
lancés quand NeXT emménagea dans des bureaux plus vastes à Redwood
City en 1989. Le bâtiment était flambant neuf, mais le patron voulut retirer
les ascenseurs du rez-de-chaussée pour que le hall soit plus majestueux.
Au centre de l'espace, il demanda à I.M. Pei de concevoir un grand
escalier. La construction était si aérienne qu'elle semblait flotter dans l'air.
Le responsable du chantier assura que c'était impossible à construire. Mais
Jobs insista et la prouesse fut réalisée. C'est ce même es-calier que Jobs fera
installer dans la plupart des Apple Store.

L'ordinateur

Durant les premiers mois de NeXT, Jobs et Dan'l Lewin sillonnèrent le


pays, souvent accompagnés d'autres collègues, pour demander aux uni-
versitaires ce que serait, pour eux, la machine idéale. À Harvard, ils dî-
nèrent avec Mitch Kapor, le président de Lotus. Voyant Kapor étaler une
bonne épaisseur de beurre sur son pain, Jobs lui lança :
— Tu as entendu parler du cholestérol ?
— On va faire un marché, toi et moi. Tu ne fais aucun commentaire dé-
placé sur mon régime alimentaire, et moi je ne dis rien sur ton compor-
tement !
C'était lancé sur le ton de la plaisanterie. Et Lotus accepta de dévelop-
per un tableur pour NeXT. Mais Kapor dira plus tard de Jobs : « Les rela-
tions humaines, ce n'était pas son fort. »
Le patron de NeXT voulait un ensemble séduisant de logiciels livrés avec
l'ordinateur. Michael Hawley conçut donc un dictionnaire numé-rique.
Un jour, en achetant une nouvelle édition des oeuvres de Shakes-peare, il
découvrit qu'un de ses amis, aux Oxford University Press, avait participé
à la saisie informatique des ouvrages. Cela voulait dire que
quelque part, il y avait une bande magnétique contenant les oeuvres
complètes. S'il pouvait mettre la main dessus, il pourrait l'intégrer dans la
mémoire du NeXT. « J'ai soumis cette idée à Steve, et il a dit que ce serait
magnifique. Alors nous sommes partis tous les deux pour l'Angleterre. »
Par une belle journée de printemps de l'année 1986, ils pénétrèrent dans
le grand bâtiment de la maison d'édition au coeur d'Oxford et Jobs offrit
deux mille dollars plus soixante-quatorze cents par ordinateur vendu, en
échange des droits de l'édition numérique de Shakespeare. « Ce sera tout
bénef' pour vous. Vous allez être des précurseurs. C'est une première
mondiale. » Ils donnèrent un accord de principe et partirent boire une
bière et jouer aux fléchettes dans le pub au coin de la rue où Lord Byron
avait jadis ses habitudes. Lorsque le NeXT sera lancé, il sera livré égale-
ment avec un dictionnaire des synonymes et des citations, faisant de cette
machine une pionnière dans le domaine du livre électronique.
Au lieu d'utiliser des puces déjà existantes pour le NeXT, Jobs demanda
à ses ingénieurs d'en concevoir des originales qui puissent intégrer di-
verses fonctions. La tâche était déjà compliquée, mais Jobs en fit un casse-
tête insoluble à cause de toutes les modifications qu'il ne cessait d'ajouter
au projet initial. Au bout d'un an, il devint évident qu'ils allaient avoir
beaucoup de retard.
Jobs voulait aussi avoir une usine entière robotisée, à l'égal de celle qu'il avait
fait construire pour le Macintosh. Les problèmes rencontrés la pre-mière fois
n'avaient pas réfréné ses ardeurs. Il reproduisit les mêmes er-reurs, à une
échelle plus grande. Machines et robots furent peints et re-peints au fil des
ajustements esthétiques du patron. Comme dans l'usine Macintosh, les murs
étaient d'un blanc immaculé - on se serait cru dans un musée -, et il commanda
pour vingt mille dollars de fauteuils et d'escaliers de designers, comme pour le
siège social. Il voulait également que la chaîne d'assemblage, longue de
cinquante mètres, fabrique les cir-cuits imprimés de droite à gauche, pour que
les visiteurs puissent suivre plus facilement le processus de fabrication. Les
cartes vides devaient être insérées dans les machines à un bout, et sortir, avec
tous leurs composants et leurs connexions, vingt minutes plus tard, sans la
moindre intervention humaine, à l'autre extrémité de la chaîne. L'usine
fonctionnait suivant le principe japonais du « Kanban », où chaque machine
n'accomplissait sa

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