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D. BREYSSE
CDGA, Université Bordeaux I
RESUME : La variabilité spatiale des propriétés géométriques et mécaniques des terrains est facteur
de désordres sur les ouvrages. On peut estimer ses conséquences, par l’analyse de la sensibilité de la
réponse de l’ouvrage à la variation des paramètres géotechniques, mais quantifier les tassements
différentiels et leurs conséquences demande une analyse plus fine. Nous illustrerons, au travers de
deux exemples (radier rigide et structure souple hyperstatique), dans quelle mesure la variabilité
spatiale conditionne les tassements différentiels et nous distinguerons les différents niveaux de
couplage sol-structure et les différentes sources de non-linéarité. Nous mettrons en évidence le rôle
du rapport entre les dimensions de l’ouvrage et la longueur de corrélation des propriétés de sol, et le
rôle des redistributions causées par la souplesse de l’ouvrage. Au travers de ces exemples, nous
montrerons comment l’ingénieur pourrait mettre en œuvre des approches simplifiées pour estimer,
avec un degré de précision satisfaisant, les risques encourus par les ouvrages en situation réelle.
Les désordres d’origine géotechnique affectant les ouvrages (fondations de bâtiments, réseaux
enterrés) sont fréquemment dus à la mauvaise reconnaissance ou à la mauvaise prise en compte de la
variabilité des sols : couches d’épaisseur non uniforme ou avec variations latérales de faciès,
présence d’hétérogénéités locales (points durs, cavités, zones décomprimées…).
Réduire ces désordres requiert que l’on soit capable :
- de reconnaître et de quantifier l’hétérogénéité, en recourant aux méthodes géophysiques ou
géotechniques, et en s’appuyant sur les compétences du géologue,
- de modéliser cette hétérogénéité, en tenant compte de la variation spatiale des propriétés
physiques et mécaniques qui contrôlent la réponse des ouvrages,
- de décrire les mécanismes d’interaction entre le sol et l’ouvrage.
Deux voies principales peuvent être employées pour traiter ces problèmes. La première consiste à
quantifier globalement l’hétérogénéité par des plages de variation des paramètres géotechniques et à
estimer la sensibilité de la réponse de l’ouvrage à cette variation. Duncan (2000) a récemment
proposé une approche simplifiée, utilisable par les ingénieurs, pour estimer les probabilités de
défaillance des ouvrages dues aux incertitudes que l’on a des propriétés des sols, que ces incertitudes
résultent de la variabilité naturelle ou d’un échantillonnage insuffisant.
Une autre approche, plus ambitieuse, consiste à modéliser la structure de variabilité des sols et à
simuler le comportement de l’ouvrage en interaction avec le sol. Cette approche [Magnan (1982),
Deplagne (1993), Breysse (1999)] utilise des outils tels que la géostatistique mais se heurte à deux
limites : la disponibilité des données permettant d’identifier la structure de variabilité du sol et la
qualité du modèle mécanique mis en œuvre. S’il est possible d’identifier finement la façon dont les
propriétés du sol varient dans l’espace (travaux de Deplagne (1993) sur une digue, de Jaksa (1995)
sur les sols urbains, de Barthélémy (1999) sur un remblai de tranchée, de Przewolcki (2000) sur un
site de carrière d’argile) il est impossible, dans l’état actuel les procédures de reconnaissance, de
procéder à ces investigations pour des projets courants.
Un deuxième niveau de complexité apparaît dans le cas de l’interaction sol-structure, c’est à dire
dans la situation où la réponse de l’ouvrage est non seulement différente de celle attendue sur un sol
homogène, mais dépend en outre de l’ouvrage lui-même. Dans ce cas, les efforts que l’ouvrage
exerce sur le sol sont fonction des déplacements du terrain, qui ne peuvent être calculés simplement,
puisqu’ils sont causés par ces mêmes efforts. La figure 1 illustre le principe de cette interaction,
classique dans le domaine des soutènements. Mais la réalité est plus riche encore : sous l’effet des
déplacements et des efforts transmis à l’ouvrage, le matériau qui le constitue peut s’endommager ou
se fissurer. Dans ce cas, les rigidités qui gouvernent le problème sont modifiées… et le système est à
nouveau perturbé.
ouvrage
non linéarités
matériau
lois de l’équilibre
Les tassements différentiels subis par les ouvrages sont la manifestation de ce type d’interaction. La
variabilité spatiale du sol introduisant, en amont, un degré supplémentaire de complexité. On peut
estimer les risques de tassements différentiels de plusieurs façons :
- en considérant que leur amplitude ne peut dépasser un certain pourcentage du tassement absolu
attendu, ce pourcentage dépendant éventuellement d’un coefficient d’homogénéité du sol (Ménard,
1975) qui intègre la dispersion mesurée des propriétés,
- en évaluant les probabilités de fortes disparités de tassements par des règles statistiques simples
(Duncan, 2000),
- en simulant les conséquences effectives de disparités similaires à celles effectivement relevées
(Bolle, 1978).
Dans ce cernier cas, la figure 1. révèle que l’amplitude des tassements différentiels dépendra aussi de
la rigidité de la structure. Nous allons, à partir de deux exemples, illustrer comment une prédiction
plus rationnelle des tassements nous semble possible.
4,6 0,0 00 5
Fig.2. Variabilité de la raideur k(x) du sol Fig. 3. Ecart-type et fractile à 95 % et 99 % de la
0,0 00 45 ABS (R otation) 95%
4,4
rotation du0,0radier.
00 4 ABS (R otation) 99%
lc=2m E ca rt-type(Ro ta tio n)
4,2 15m 0,0 00 35
200m 0,0 00 3
4
0,0 00 25
2.2. Analyse
3,8
de la réponse du système et facteurs0,0influents
00 2
On constate que la variance échantillonnée sur la fenêtre0,0 00 15 de longueur L = 20 m est très inférieure à la
3,6
valeur visée de 0.09 MN2/m2. L’allure des signaux de la 1figure 2 appelle d’autres commentaires :
0,0 00
0,0 00
- pour Lc faible (= 2 m), le signal est très agité, sa mémoire
3,4 05 spatiale s’étendant peu sur la fenêtre
Xi (m) 0
d’étude.
3,2 Les valeurs moyennes à gauche et à droite de 0
la fenêtre
50
résultent
10 0
d’un grand
15 0
nombre
20 0
de
tirages
0 dans une
5 large10distribution.
15 Elles20seront statistiquement voisines. peuvent être considérées
comme des tirages indépendants dans une même distribution. La rotation du radier sera faible,
- pour Lc fort ( = 200 m), le signal est peu contrasté, et semble quasiment constant à l’échelle de la
fenêtre. Seule une fenêtre beaucoup plus large révélerait des variations significatives. Là encore,
les raideurs moyennes à gauche et à droite sont du même ordre. Les rotations attendues sont
faibles,
- pour un Lc intermédiaire (= 15 m), le contraste apparaît à l’échelle de la fenêtre : sur le signal
visualisé, le sol à gauche de la fenêtre est sensiblement moins raide qu’à droite. Il en résultera un
tassement différentiel.
Les simulations ont été effectuées pour des valeurs de Lc respectives de 0 m60, 2 m, 6 m, 10 m, 15
m, 20 m, 60 m, 100 m et 200 m. Pour chaque valeur de Lc, le traitement statistique porte sur 1000
valeurs du déplacement moyen 'moy (au centre de l’ouvrage), de la rotation : (en fait sa valeur
absolue) et du déplacement maximal 'max (à l’extrémité gauche ou droite selon le signe de la
rotation). On peut donc analyser, pour chacune de ces variables globales, la moyenne, l’écart-type et
les valeurs correspondant à des fractiles particuliers (p.ex. 95 % ou 99 %). On ne s’attachera pas à
commenter les valeurs numériques des tassements ou des rotations, car elles dépendent évidemment
des choix faits pour les distributions statistiques des données, et du modèle simplifié pris pour le sol.
Cependant quelques points intéressants sont à souligner :
- le tassement moyen ne dépend pas de Lc. De fortes valeurs de Lc peuvent cependant générer des
tassements s’éloignant sensiblement de cette valeur moyenne. Cet effet est cependant mineur
devant les aspects liés à l’incertitude des propriétés du sol,
- les variations des écart-types et des fractiles de : (figure 2) ne sont pas monotones : les fortes
rotations sont plus probables pour les valeurs de Lc comprises entre 10 et 20 m.
On observe là un comportement typique de l’interaction sol-structure : sur un terrain dont les
propriétés varient spatialement, les réponses (et en particulier les réponses ‘à risque’) dépendent à la
fois du terrain et de l’ouvrage, en particulier par le biais du rapport entre la dimension de l’ouvrage L
(ici 20 m) et la longueur de corrélation des propriétés du sol. En fait, l’ouvrage se comporte comme
un filtre de la variabilité :
- si Lc est faible, l’indépendance des valeurs de raideur dans les différentes zones sous l’ouvrage
induit un tassement qui peut être ramené à la valeur moyenne, avec une faible dispersion
(l’ouvrage ‘réduit la variance’),
- si Lc est fort, ce sont les propriétés du sol elles-mêmes qui varient peu à l’échelle de L. La
variance n’apparaît que dans la dispersion des résultats entre deux ouvrages,
- si Lc est de l’ordre de L, les effets de la variabilité sont les plus sensibles.
On peut rapprocher ce phénomène des lois statistiques de réduction de la variance (Vanmarcke,
1977). L’ouvrage agit ici comme un opérateur ‘réducteur de variance’, par la physique du
mécanisme intégrateur qui permet de passer du champ E(x) à une variable scalaire :. Pour
simplifier, on peut dire que, à variance totale donnée, cette variance se décompose, pour un support
(un ouvrage) de taille donnée en la somme d’une variance sur la longueur du support (qui peut
générer des tassements différentiels importants si L et Lc sont du même ordre) et d’une variance
entre les moyennes obtenus sur différents tirages aléatoires (d’où une dispersion des réponses
moyennes entre ouvrages). Il en résulte que :
- le risque de tassement différentiel ou de rotation importants pour un ouvrage sera maximal pour
L du même ordre que Lc,
- la dispersion entre ouvrages sera maximale si Lc est très grand devant L,
- les effets de la variabilité spatiale pourront être négligés si Lc est très petit devant L.
Le même type de phénomène (et de conclusions) ont été étudiés dans le cas de la stabilité aux grands
glissements d’une digue de sol compacté par couches (Breysse, 2000).
3.3. Les tassements différentiels sur un sol homogène et sur un sol hétérogène
Une première analyse paramétrique a été menée sur un modèle simplifié, dans lequel on a considéré
fixes et égales toutes les rigidités verticales d’appui, en laissant libres les autres degrés de liberté
(kvi/khi = 10 et kci/kvi = 0). Dans ce cas, la résolution du problème ne nécessite pas de calcul itératif
(contrairement au cas où on utilise la formule pressiométrique pour calculer le tassement). Les
valeurs que peuvent prendre les efforts d’appuis V1 et Vc décrivent l’ensemble de la plage théorique
attendue (entre les deux hypothèses extrêmes citées plus haut).
Si l’on simule le système avec les hypothèses plus correctes citées plus haut (formules
pressiométriques, semelle centrale plus large), la redistribution conduit à un calcul itératif dont les
résultats sont rassemblés dans le Tableau 1.
Tableau 1. Effet du module de sol sur la redistribution des efforts et les tassements.
On constate que les variations des efforts d’appuis demeurent faibles (de l’ordre de 10 %) et que les
tassements différentiels restent toujours acceptables.
Cependant, dans la pratique, les propriétés du sol peuvent varier localement, du fait de
l’hétérogénéité spatiale des propriétés du sol (zone décompactée, cavité…) ou d’une variabilité
longitudinale de l’épaisseur de la couche compressible (présence d’un point dur). En gardant un
module égal à 5 MPa sous les appuis latéraux, nous pouvons simuler les effets d’une rigidité
supérieure (point dur) ou inférieure (zone de faiblesse) sous l’appui central. Cette hétérogénéité
provoque des transferts d’efforts et des tassements différentiels synthétisés sur les figures 4, 5 et 6 où
l’on porte en ordonnée le module sous l’appui central (le module général du terrain est égal à 5 MPa)
Figure 4. Variation de V1 et Vc Fig. 5. Déplacements d’appuis (cm) Fig. 6. Variation du rapport L/diff
en fonction du module sous l’appui central. en fonction du module
10 00
sous l’appui
350 1
central
300 0,01 0,1 1 10 100 1000
80 0
Vc L
250
On constate, qu’à la différence du sol homogène, 0,1 ce type de configuration engendre
60 0 de fortes
200
redistributions, et des
VL
déplacements conséquents
c (le tassement sous l’appui central
40 0
est plus faible
150
que sous les appuis latéraux100si le module au centre excède 20 MPa, et est plus élevé dans les autres
0,01 20 0
cas). Des tassements différentiels
50 significatifs ne peuvent être rencontrés que pour une raideur
ème
inférieure du sol sous l’appui0 central. Le tassement différentiel excède le 1/300 de0la portée entre
0,0 1 0,1 1 10
appuis
0,01 si
0,1le module
1 10 sous
100 l’appui
1000 central ne0,001
dépasse pas 1 MPa.
4. CONCLUSION
Nous avons entrepris, sur deux exemples apparemment simples, même si les mécanismes en jeu en
font rapidement croître la complexité, l’analyse des tassements différentiels de fondations d’ouvrages
causés par les hétérogénéités de sols.
Les simulations sur un radier rigide montrent l’importance essentielle du rapport entre la longueur de
corrélation des propriétés du sol et la taille caractéristique de l’ouvrage. C’est quand ces deux
grandeurs sont voisines que les risques de forts tassements différentiels sont les plus élevés.
Quand la souplesse de l’ouvrage entre en jeu, la modélisation doit être capable de décrire les
redistributions générées par les déplacements. Ces redistributions sont significatives même pour de
très faibles déplacements et les actions estimées sur les semelles par une descente de charge usuelle
sont erronées. L’intensité des tassements différentiels dépend à la fois du rapport entre les rigidités
respectives du sol et de l’ouvrage, et de l’intensité de la variation des propriétés du sol (gradient
horizontal). S’il reste nécessaire d’étudier le couplage sol-structure à l’échelle d’une semelle isolée
(effets non linéaires géométriques liés à l’excentricité du chargement par exemple), il convient aussi
de ne pas oublier l’importance du couplage ‘par le haut’, c’est à dire lié à la rigidité de l’ouvrage. Ce
fait banal ne semble pas avoir été étudié sérieusement, même si Ménard avait développé une
approche empirique fort astucieuse de ces risques.
La prédiction efficace des tassements différentiels repose sur une double condition : la modélisation
de la variabilité longitudinale des terrains (intensité, longueur de corrélation) et la modélisation fine
du couplage (sol-structure). Il existe un dernier niveau d’interaction, plus complexe encore, quand
les sollicitations créées dans la structure en provoquent l’endommagement : de nouvelles
redistributions s’opèrent encore, qui modifient les modes de transfert d’efforts, et donc les
déplacements. L’étude plus précise des risques de tassements différentiels (affectant les structures
maçonnées ou les réseaux enterrés) et la mise au point de méthodes simples permettant d’évaluer les
probabilités de tassements excessifs devraient, en améliorant les règles de construction, permettre de
réduire sensiblement les coûts de sinistralité.
Il nous semble qu’il y a là un vaste champ d’études, trop peu défriché, du fait sans doute de la
profonde césure entre les spécialistes des ouvrages et les mécaniciens des sols. Nous croyons que la
communauté du génie civil et de la géotechnique possède pourtant les données et les outils requis
pour s’atteler à une étude sérieuse visant à quantifier de façon moins intuitive la fiabilité des
ouvrages vis à vis des risques de tassements différentiels, pour laquelle les Eurocodes se bornent
aujourd’hui à fournir quelques indications à caractère général.
5. REFERENCES
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sur les ouvrages, Mém. DEA MSOE, Ecole Centrale Paris, 1999.
Bolle G., Wojnarowicz M., Tassements des réservoirs d’hydrocarbures et comparaison avec les
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Duncan J.M., Factors of safety and reliability in geotechnical engineering, J. Geot. Geoenv. Eng.,
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Vanmarcke E.H., Probabilistic modeling of soil profiles, J. Geot. Eng. Div., ASCE, v. 103, GT11,
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