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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN

ESPAGNE AU SIÈCLE D'OR : LE SYMBOLISME DE LA COURONNE

Christian Bouzy

Armand Colin | Littérature

2007/1 - n° 145
pages 91 à 104

ISSN 0047-4800

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :
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Bouzy Christian , « Emblème et propagande théologico-politique en Espagne au Siècle d'or : le symbolisme de la
couronne » ,
Littérature, 2007/1 n° 145, p. 91-104. DOI : 10.3917/litt.145.0091
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‡ CHRISTIAN BOUZY, UNIVERSITÉ DE CLERMONT-FERRAND

Emblème et propagande
théologico-politique
en Espagne au Siècle d’or :
le symbolisme de la couronne

Dans le domaine espagnol et plus largement hispanique, aux XVIe et


XVIIe
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siècles, l’emblème joue un rôle expressif différent de celui qui lui

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était assigné en Allemagne ou en France par exemple. Quant aux
messages véhiculés, l’emblème du Siècle d’or semble plutôt s’accorder
sur le ton presque dogmatique du religieux, de l’éthique et du politique.
Avant d’éclaircir certains effets pragmatiques en matière théologico-
politique, il paraît opportun de brosser un bref historique de la recherche
sur l’emblématique hispanique.
Les livres d’emblèmes hispaniques seraient-il seulement à caractère
moral ? comme l’a souligné Aquilino Sánchez Pérez 1 dans un ouvrage
qui a suscité, il y a une trentaine d’années, le goût pour les études emblé-
matiques en Espagne. Avec lui, trois autres critiques éminents font figure
de pionniers et de déclencheurs de l’intérêt pour les livres d’emblèmes
espagnols et leurs épiphénomènes. Dans une thèse remarquable soutenue
une dizaine d’années auparavant 2 , Julián Gállego avait mis en évidence
les liens que la peinture espagnole du Siècle d’or entretenait avec
l’emblème littéraire. Presque en même temps, Giuseppina Ledda signait
un des premiers travaux d’ampleur sur ce que l’on nomme la littérature
emblématique hispanique 3 .
Avec eux, Santiago Sebastián a le mérite d’avoir mis en perspective
— dans une suite d’études fondatrices assemblées dans un ouvrage 4 —
les éléments culturels et artistiques qui ont fait de l’emblème une des
1. Aquilino Sánchez Pérez, La literatura emblemática española de los siglos XVI y XVII,
Madrid, SGEL, 1977.
2. Julián Gállego, Vision et symboles dans la peinture espagnole du Siècle d’Or, Paris,
Klincksieck, 1968, « Le signe de l’art », voir chap. III « Littérature et peinture. Les recueils
d’emblèmes, devises et hiéroglyphes », p. 73-107. Également édité dans une version espa-
gnole : Visión y símbolos en la pintura española del Siglo de Oro, Madrid, Cátedra, 1996,
« Ensayos Arte », chap. 8, p. 80-115.
3. Giuseppina Ledda, Contributo allo studio della letteratura emblematica in Spagna (1549-
91
1613), Università di Pisa, 1970. LITTÉRATURE
4. Santiago Sebastián, Emblemática e historia del arte, Madrid, Cátedra, 1995. N° 145 – MARS 2007
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‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

formes esthétiques les plus prégnantes de la Renaissance et du Baroque en


Espagne. Appliqué à cerner avec le maximum de précision les contours et
les contenus d’un mode d’expression en étroite relation avec le symbo-
lique, cet historien d’art a défini — à travers différentes disciplines, des
arts aux lettres en passant par le folklore — les caractéristiques et les
fonctions de cet iconicotexte que constitue l’emblème. Il a ainsi illuminé
la recherche universitaire qui méconnaissait, il y a encore un demi-siècle,
la plupart des manifestations auxquelles « ce petit objet sémiologique
[aujourd’hui] désuet » 5 avait donné lieu en Espagne au Siècle d’or.
Avant ou en même temps que Santiago Sebastián, quelques compa-
ratistes ou hispanistes de différentes nationalités comme Robert
J. Clements 6 , Geneviève Beaudoux 7 , Karl-Ludwig Selig 8 , Antonio Cama-
rero 9 et Héctor E. Ciocchini 10 avaient attiré l’attention sur le phénomène
emblématique en Espagne et ses avatars dans le domaine littéraire. Parmi
les chercheurs espagnols, F.J. de Ayala, F. Maldonado de Guevara et
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M. Baquero Goyanes virent les premiers l’intérêt des emblèmes 11 .

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Toutefois, entre les années 1945 et 1975, les travaux les plus perti-
nents, restent ceux de José Antonio Maravall 12 qui, loin d’isoler le fait
emblématique dans sa spécificité, le relie à la grande tradition des traités
politiques consacrés à l’éducation du Prince, depuis Tacite jusqu’à
Saavedra Fajardo en passant par Machiavel. En insistant sur l’impact
idéologique de l’emblème dans la société baroque, José Antonio Maravall
5. Gisèle Mathieu-Castellani, « Emblème, signe, communication », in Le langage comme
défi, Henri Meschonnic (éd.), Les Cahiers de Paris VIII, Presses Universitaires de
Vincennes, 1991, p. 179-189 (p. 179).
6. R.J. Clements, « Princes and Literature : a Theme of Renaissance Emblem Books »,
Modern Language Quaterly, XVI, 1955, p. 114-123.
7. « Alciat en Espagne » (compte-rendu du mémoire de maîtrise de Geneviève Beaudoux),
Bulletin Hispanique, LX, 1958, p. 393-394.
8. Dans une série de brefs articles regroupés dans un livre : Karl-Ludwig Selig, Studies on
Alciato in Spain, New York/London, Garland Publishing, 1990.
9. Antonio Camarero, « Teoría del símbolo, empresa y emblema en el humanismo rena-
centista (Claude Mignault 1536-1606) », Cuadernos del Sur, 11, 1972, p. 63-103.
10. Héctor Ciocchini, Góngora y la tradición de los emblemas, Bahía-Blanca, Instituto de
Humanidades, 1960.
11. F.J. de Ayala, « Ideas políticas de Juan de Solórzano », in Publicaciones de la Escuela
de Estudios Hispanoamericanos de Sevilla, XXII, serie 4, ensayo 1, 1946. Francisco Maldo-
nado de Guevara, « La teoría de los géneros literarios y la constitución de la novela
moderna », in Estudios dedicados a Menéndez Pidal, Madrid, 1952, III, p. 301-302 ;
« Emblemática y política. La obra de Saavedra Fajardo », in Cinco Salvaciones, Madrid,
Revista de Occidente, 1953. M. Baquero Goyanes, « El tema del Gran Teatro del mundo en
las Empresas Políticas de Saavedra Fajardo », Monteagudo, 1, 1953, p. 4-10.
12. José Antonio Maravall, Teoría española del estado en el siglo XVII, Madrid, 1944. Voir
la traduction française, La philosophie politique espagnole au XVIIe siècle dans ses rapports
avec l’esprit de la Contre-Réforme, traduit et présenté par Louis Cazes et Pierre Mesnard,
Paris, Vrin, 1955, chap. I : « La littérature politique espagnole au XVIIe siècle », p. 25-65 ;
« La literatura de emblemas en el contexto de la sociedad barroca », in Teatro y Literatura
92 en la sociedad barroca, Madrid, Seminarios y Ediciones, 1972, p. 147-188 ; « Saavedra
Fajardo : moral de acomodación y caracter conflictivo de la libertad », in Estudios de
LITTÉRATURE historia del pensamiento español, Serie tercera, Siglo XVII, Madrid, Ediciones Cultura,
N° 145 – MARS 2007 1975, p. 161-196.
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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN ESPAGNE ‡

montrait que l’étude des manifestations emblématiques n’était pas du seul


ressort des lettres et des arts, mais également de l’histoire des idées.
Au cours des années 1950, dans la même mouvance que les (re)décou-
vreurs, Henry Green 13 et Mario Praz 14, le comparatiste Robert J. Clements
soulignait, lui aussi, le rôle de l’emblème dans l’éducation du Prince et, par
voie de conséquence, l’effet des traités emblématiques dans la vie politique.
Certes, il ne prenait que quelques exemples dans le domaine hispanique,
mais les noms des emblémistes espagnols importants comme Juan de
Horozco, Sebastián de Covarrubias, Hernando de Soto, Juan de Borja, Juan
de Solórzano Pereira et Diego de Saavedra Fajardo étaient retenus 15.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’oubli quasi général de l’emblème
littéraire — en tant qu’objet de recherche sur les mentalités en Espagne au
Siècle d’or — avait épargné des auteurs comme Juan de Borja (Empresas
morales, Prague, 1581) et surtout Diego de Saavedra Fajardo (Idea de un
Príncipe Christiano-Político, rapresentada en cien empresas, Munich,
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1640). Tous deux faisaient un usage éthico-politique de l’emblème ou

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plutôt de la devise, puisque le titre de leur ouvrage comporte le mot de
empresas (devises) et non pas celui de emblemas.
On ne s’étendra pas ici sur des problèmes terminologiques propres à
l’espagnol, car le point a été maintes fois fait sur la question 16. Il est vrai que
les définitions des vocables utilisés (emblema, empresa, divisa, símbolo,
insignia, hieroglífico, pegma) péchaient parfois, à l’époque, par manque de
précision. Juan de Horozco avait pourtant éclairci le sujet et précisé, en
s’inspirant de Paolo Giovio, les différences entre emblema et empresa 17.
Remarquons que Juan de Borja et Diego de Saavedra Fajardo ont écrit en
prose la glose de l’image emblématique, à la différence des auteurs de
recueils d’emblèmes. Respectueux de la tradition épigrammatique instituée
par Alciat, ceux-ci préféraient accompagner la gravure d’une pièce poétique
sous la forme d’un dizain, d’une octavilla ou d’un sonnet 18.
13. Henry Green, Shakespeare and the Emblem Writers, London, 1870, reproduction anas-
tatique, New York, Burt Franklin, 1966.
14. Mario Praz, Studies in Seventeenth-Century Imagery, Second Edition considerably
increased, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 1964 « Sussidi Eruditi — 16 — ». Voir
plus particulièrement le chap. II : « The Philosophy of the Courtier », p. 55-82 (la première
édition de Milan, 1934, porte le titre de Studi sul Concettismo).
15. Entre autres dans : « Princes and Literature : a Theme of Renaissance Emblem Books »,
Modern Language Quaterly, XVI, 1955, p. 114-123 ; « The Philosophie of Cavaliers », in
The Peregrine Muse. Studies in Comparative Renaissance Literature, Chapel Hill, The
University of North Carolina Press, s.d., « Studies in the Romance Languages and Litera-
tures, 31 », chap. IX, p. 124-136.
16. Sur ce point, voir Aurora Egido, « Emblemática y literatura en el Siglo de Oro », Lecturas
de Historia del Arte, Ephialte, II, 1990, p. 144-159.
17. Juan de Horozco, Emblemas Morales, Segovia, Juan de la Cuesta, 1589, Livre I, chap.
I, « En que se declara que cosa son Emblemas, Empresas, Insignias, Divisas, Símbolos,
Pegmas y Hieroglíficos », f° 17 r°-21 r° et chap. XVIII, « De tres cosas en que las emblemas
y las empresas convienen, y ocho en que se diferencian », f° 65 v°-66 v°.
93
18. Voir Sagrario López Poza, « El epigrama en la literatura emblemática española », Analecta LITTÉRATURE
Malacitana, XXII, n° 1, 1999, p. 27-55. N° 145 – MARS 2007
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‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

Si l’étude des emblèmes a survécu en Espagne avant le milieu des


années 1970, c’est grâce aux éditions répétées (1946, 1959, 1967, 1972)
de l’Idea de un Príncipe Político-Christiano, connue sous le titre de
Empresas políticas, de Diego de Saavedra Fajardo. Écrit dans la meilleure
tradition du speculum regis 19 , ce traité d’éducation politique est toujours
resté au premier plan des lettres hispaniques, sans doute parce que « son
esprit est moderne » 20 ; il a ainsi permis à la littérature emblématique
espagnole de ne pas connaître une éclipse totale. Après 1975, trois
nouvelles éditions ont vu le jour (1976, 1988, 1999), et il convient
d’adresser une mention à la plus récente, réalisée par Sagrario López
Poza 21 . L’éminente spécialiste de l’université de La Corogne signe là un
travail remarquable, tant par l’étude du phénomène emblématique et des
traités politiques que par l’analyse et les commentaires des Empresas
políticas.
De même, vers le milieu des années 1970, l’intérêt pour les
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livres d’emblèmes s’est manifesté à travers la réédition des ouvrages

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fondamentaux. Ainsi parurent les Emblemas de Alciato, traduits par
Bernardino Daza el Pinciano (Lyon, Guillaume Rouillé, 1549), mais
dans une version quelque peu truquée qui mélangeait images et textes
de deux éditions différentes 22. Malgré le soin apporté à une publication
et à une traduction entièrement nouvelle des Emblemata d’Alciat par
Santiago Sebastián, Aurora Egido et Pilar Pedraza — qui signaient
tous trois, à cette occasion, d’excellentes études —, la fidélité et la
qualité esthétiques et éditoriales n’étaient pas du meilleur effet 23. En
2003, Rafael Zafra Molina, de l’université de Navarre, réalisait un
authentique fac-similé des Emblemas de Alciato 24, avec une excellente
présentation.
La publication dès 1975 de Amparo de pobres de Cristóbal Pérez
de Herrera 25, par Michel Cavillac, contribua pareillement à susciter un
début d’engouement pour l’emblématique hispanique. Ce mouvement
de réédition des emblèmes espagnols fut poursuivi par Carmen Bravo-
19. Voir Anne-Élisabeth Spica, « The Prince’s Mirror : Politics and Symbolism in Diego
de Saavedra Fajardo’s Idea de un Príncipe político cristiano », Emblematica, 10/1, 1996,
p. 85-105.
20. Azorín, Lecturas españolas, Buenos Aires-México, Espasa-Calpe Argentina, 1952,
p. 37.
21. Diego de Saavedra Fajardo, Empresas políticas, Sagrario López Poza (éd.), Madrid,
Cátedra, coll. Letras Hispánicas, 455, 1999.
22. Alciato, Emblemas, Prólogo de Manuel Montero Vallejo, Preparación de textos y notas
por Mario Soria, Madrid, Editora Nacional, 1975.
23. Alciato, Emblemas, éd. et comm. Santiago Sebastián, prologue d’Aurora Egido, trad.
Pilar Pedraza, Madrid, Akal, coll. Arte y Estética, 1985.
24. Andrea Alciato, Los Emblemas de Alciato traducidos en rimas Españolas (Lyon, 1549),
94 Rafael Zafra (éd.), prologue de Juan Gorostidi, Barcelona, Olañeta et UIB, coll. Medio
Maravedí, 2003. Recension à paraître prochainement dans Criticón (Toulouse).
LITTÉRATURE 25. Cristóbal Pérez de Herrera, Amparo de pobres, Michel Cavillac (éd.), Madrid, Espasa
N° 145 – MARS 2007 Calpe, coll. Clásicos castellanos, 1975.
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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN ESPAGNE ‡

Villasante, en 1978, avec un fac-similé des Emblemas Morales de


Sebastián de Covarrubias 26. Les principaux auteurs furent alors édités :
Juan de Borja 27, Hernando de Soto 28, Juan de Solórzano Pereira 29,
Francisco Nuñez de Cepeda 30, Francisco Gómez de la Reguera 31,
Diego de Saavedra Fajardo, Juan Velázquez de Acevedo 32, ainsi
qu’une remarquable miscellanée — sur le modèle de celle d’Albrecht
Schöne et Arthur Henkel — produite par Antonio Bernat Vistarini et
John T. Cull 33. Signalons la première traduction espagnole des Hiero-
glyphica d’Horapollon, avec une étude introductive de Jesús María
González de Zárate, pas toujours pertinente en raison, entre autres, de
l’omission des travaux pourtant incontournables de Claude-Françoise
Brunon 34.
Dans le domaine bibliographique, la première approche de Mario
Praz — complétée par Karl-Ludwig Selig 35 et confortée par l’ouvrage de
John Landwehr 36 — donnait déjà aux chercheurs un abondant matériau de
travail. En 1990, l’universitaire nord-américain Pedro Campa élargissait
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et approfondissait de manière magistrale les références bibliographiques
connues. Son ouvrage est devenu le manuel de référence fondamental
pour quiconque étudie l’emblématique hispanique 37 .

26. Sebastián de Covarrubias, Emblemas Morales, Madrid, Luis Sánchez, 1610, édition en
fac-similé et introduction de Carmen Bravo-Villasante, Madrid, FUE, 1978.
27. Juan de Borja, Empresas morales a la S.C.R.M. del Rey Don Phelipe nuestro Señor,
facsímil de la segunda edición de François Foppens (Bruselas, 1680), prf. Carmen Bravo-
Villasante, Madrid, FUE, 1981. À consulter également Juan de Borja, Empresas Morales,
Rafael García Mahíques (éd.), Valencia, Ayuntamiento de Valencia, 1998, doublée d’une
étude approfondie, Empresas Morales de Juan de Borja. Imagen y Palabra para una Icono-
logía, Valencia, Ayuntamiento de Valencia, 1998.
28. Hernando de Soto, Emblemas moralizadas, Madrid, Por los herederos de Juan Iñíguez
de Lequerica, 1599, édition en fac-similé et introduction de Carmen Bravo-Villasante,
Madrid, FUE, 1983.
29. Juan de Solórzano Pereira, Emblemas regio-políticos, Jesús María González de Zárate
(éd.), Madrid, Tuero, 1987.
30. Rafael García Mahíques, Empresas Sacras de Nuñez de Cepeda, prf. Santiago Sebas-
tián, Madrid, Tuero, 1988.
31. Francisco Gómez de la Reguera, Empresas de los Reyes de Castilla y de León, édition
et étude de César Hernández Alonso, Valladolid, Universidad, 1990.
32. Juan Velázquez de Acevedo, Fénix de Minerva o Arte de Memoria, Estudio introduc-
torio de Fernando Rodríguez de la Flor, Valencia, Tératos, 2002.
33. Antonio Bernat Vistarini, John T. Cull et Edward J. Vodoklys, Enciclopedia de los
emblemas españoles ilustrados, Fuentes clásicas y traducción de los motes por Edward
J. Vodoklys, presentación de Peter M. Daly et Sagrario López Poza, Madrid, Akal, 1999
[CDROM].
34. Voir notre recension : Criticón, 61, 1994, p. 122-126.
35. Karl-Ludwig Selig, « Addenda to Praz Bibliography of Emblem Books », Modern Language
Notes, LXX, 1955, p. 599-601.
36. John Landwehr, French, Italian, Spanish and Portuguese Books of Devices and Emblems
1534-1827. A Bibliography, Utrecht, Haentjens Dekker & Gumbert, 1976.
37. Pedro Campa, Emblemata Hispanica. An annotated Bibliography of Spanish Emblem
Literature to the Year 1700, Durham and London, Duke University Press, 1990. Travail
95
complété dans un article : « Emblemata Hispanica : Addenda et Corrigenda », Emblematica. LITTÉRATURE
An Interdisciplinary Journal for Emblem Studies, 11, 2001, p. 327-376. N° 145 – MARS 2007
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‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

Dès 1980, des thèses sur le sujet ont été entreprises en Espagne, en
Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis. On accor-
dera une mention spéciale aux travaux de Philipp Lloyd-Bostock 38 , Jesús
María González de Zárate 39 , Rafael García Mahíques 40 , José Julio García
Arranz 41 , Gloria Truche-Bossé 42 , María Dolores Alonso Rey 43 et Francesca
Perugini 44 .
La liste est longue des chercheurs espagnols, italiens, français,
anglais, allemands et nord-américains, tous de qualité, qui se sont penchés
et continuent de se pencher sur le sujet 45. Toutefois, dans le panorama
actuel, deux chercheurs — outre Sagrario López Poza — se distinguent par
la richesse de leurs interprétations et par la diversité des liens qu’ils établis-
sent entre les disciplines, montrant ainsi que l’écriture emblématique n’a
rien d’un genre mineur, mais qu’elle fut réellement un mode expressif qui
a investi les débuts de la littérature 46. À Saragosse, depuis une vingtaine
d’années, Aurora Egido mène avec finesse et érudition une investigation
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exhaustive sur les apparitions emblématiques chez les grands auteurs du

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Siècle d’or 47. À Salamanque, Fernando Rodríguez de la Flor, en philosophe
de l’emblématique, analyse, synthétise et conceptualise avec une extrême
pertinence ces manifestations symboliques dans leurs rapports avec les
mentalités, la culture, les lettres, le pouvoir, les arts, les fêtes, etc. 48
De manière coordonnée, jaillissent actuellement en Espagne maintes
études sur le sujet, tant dans le domaine artistique que littéraire. C’est là
une des spécificités de la recherche hispanique. Conçue en 1992 à La
Corogne et officiellement constituée en 1995 à Alcalá de Henares,
l’active Sociedad de Emblemática Española fédère ce bouillonnement en
organisant des rencontres internationales et interdisciplinaires auxquelles
38. Philipp Lloyd-Bostock, A Study of Emblematic Theory and Practice in Spain between
1580 and 1680, Oxford University, 1979.
39. Jesús María González de Zárate, Literatura Emblemático-política del siglo XVII español,
Tesis doctoral de la Universidad de Valencia, 1984.
40. Rafael García Mahíques, Flora emblemática. Aproximación descriptiva del código icónico,
Tesis de la Universidad de Valencia 1991, Valencia, Servicio de Publicaciones de la Univer-
sitat de València, 1991, « Tesis doctorales, microfichas 465-3 ».
41. José Julio García Arranz, Ornitología emblemática. Las aves en la literatura simbólica
ilustrada en Europa durante los siglos XVI y XVII, Cáceres, Universidad de Extremadura,
1996.
42. Gloria Truche-Bossé, Des hiéroglyphes aux vanités : une lecture de l’emblématique
espagnole (1581-1613), thèse d’Études Hispaniques, Tours, 2002.
43. María Dolores Alonso Rey, Emblèmes et iconographie dans la dramaturgie caldéro-
nienne : les autos sacramentales, thèse d’Études Hispaniques, Tours, 2002.
44. Francesca Perugini, thèse très prometteuse en cours sur l’emblématique chez Gracián.
45. Voir la bibliographie mise en ligne par Sagrario López Poza et Nieves Rodrígues Brisaboa,
http://rosalia.dc.fi.udc.es/emblematica/. Autres sites à consulter http://www.emblematica.
com/es/ ; http://www.rediris.es/
46. Pour le domaine français, lire les très belles pages d’Yves Delègue, La perte des mots.
Essai sur la naissance de la « littérature » aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, PUF, 1990.
96 47. Aurora Egido, De la mano de Artemia. Estudios sobre literatura, emblemática, mnemo-
tecnia y arte en el Siglo de Oro, Barcelona, Olañeta et UIB, coll. Medio Maravedí, 2004.
LITTÉRATURE 48. Fernando Rodríguez de la Flor, Barroco. Representación e ideología en el mundo
N° 145 – MARS 2007 hispánico (1580-1680), Madrid, Cátedra, coll. Crítica y Estudios Literarios, 2002.
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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN ESPAGNE ‡

participent de nombreux chercheurs, dont beaucoup de jeunes 49 . Il


s’ensuit une intense activité éditoriale autour des principaux centres 50 de
La Corogne 51 , Majorque 52 , Salamanque 53 , Saragosse 54 , Barcelone 55 ,
Castellón de la Plana 56 , Valence 57 , Madrid 58 , Cáceres 59 et Pamplune 60
qui publient de belles collections d’actes et d’ouvrages collectifs 61 .
Ce très succinct panorama de la recherche universitaire espagnole,
dont les enjeux et perspectives actuels sont exposés par Sagrario López
Poza dans ce même volume, est néanmoins révélateur de l’extrême
richesse que la littérature du Siècle d’or propose à la sagacité des cher-
cheurs ès matières emblématiques 62 . Notre participation consistera à
49. Le dernier événement s’est produit du 12 au 15 mars 2005 à Cáceres. Une telle associa-
tion reste à créer en France.
50. En note, les noms des chercheurs les plus accrédités avec mention d’une de leurs
dernières publications ou celle le plus en rapport avec l’emblème politique.
51. Sagrario López Poza, « La erudición en las Empresas políticas de Saavedra Fajardo »,
in Christoph Strosetzki (éd.), Actas del V Congreso Internacional de la AISO (Münster,
1999), Madrid, Iberoamericana-Vervuet, 2001, p. 813-825.
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52. Antonio Bernat Vistarini et John T. Cull, « Guerra y paz en la emblemática de los jesuitas

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en España », in Sagrario López Poza (éd.), Estudios sobre literatura emblemática española.
Trabajos del Grupo de Investigación « Literatura Emblemática Hispánica » (Universidade
da Coruña), Ferrol, Sociedad de Cultura Valle-Inclán, coll. SIELAE, 2000, p. 9-29.
53. Outre les travaux de Fernando Rodríguez de la Flor, voir les études d’Emilia Montaner, dont
« Imágenes de divina y humana política : la portada en los libros de educación de príncipes », in
Antonio Bernat Vistarini et John Cull (éd.), Los días del Alción. Emblemas, Literatura y Arte del
Siglo de Oro, Barcelona, Olañeta/ UIB/ College of the Holy Cross, 2002, p. 419-428.
54. Outre les travaux d’Aurora Egido, voir les ouvrages de Juan Francisco Esteban Lorente,
Tratado de iconografía, Madrid, Istmo, 1990 ; La iconología, Barcelona, Península, 1991.
55. Federico Revilla, Diccionario de Iconografía y Simbología, Madrid, Cátedra, 1999,
3e éd.
56. Víctor Mínguez, Los reyes solares. Iconografía astral de la monarquía hispánica, Castelló
de la Plana, Publicacions de la Universitat Jaume I, 2001.
57. Outre les études de Rafael García Mahíques, nombreux travaux de Pilar Pedraza, « Apunts
sobre L’Emblemática Política i Popular », in Cabanilles i el Barroc Valencià, 1999, p. 87-97.
58. Víctor Infantes, « La primera traducción de Alciato en España : Hernando de Villa Real
y su Emblema o scriptura de la justicia (1546) », in Rafael Zafra et José Javier Azanza (éd.),
Emblemata Aurea. La emblemática en el arte y la literatura del Siglo de Oro, Madrid,
Fundación Universitaria de Navarra/Ediciones Akal, 2000, p. 235-250.
59. José Julio García Arranz, « La imagen jeroglífica en la cultura simbólica moderna », in
Antonio Bernat Vistarini et John T. Cull, Los días del Alción, op. cit., p. 229-255.
60. Ignacio Arellano, « Emblemas en el Quijote », in Emblemata Aurea, op. cit., p. 9-31.
61. Actas del I Simposio Internacional de Emblemática, Teruel, 1 y 2 de octubre de 1991,
Teruel, IET, 1994 ; Literatura Emblemática Hispánica, Actas del I Simposio Internacional,
La Coruña, 14-17 de septiembre de 1994, Editadas por Sagrario López Poza, Universidade
da Coruña, 1996 ; Sagrario López Poza et Nieves Pena Suerio (éd.), La Fiesta. Actas del II
Seminario de Relaciones de Sucesos, Ferrol, Sociedad de Cultura Valle-Inclán, coll.
SIELAE, 1999 ; Víctor Mínguez (éd.), Del libro de emblemas a la ciudad simbólica, Actas
del III Simposio Internacional de Emblemática Hispánica, Castelló de la Plana, Publica-
cions de la Universitat Jaume I, 2000, 2 vol. ; Rafael Zafra et José Javier Azanza (éd.),
Emblemata Aurea. La emblemática en el arte y la literatura del Siglo de Oro, op. cit. ;
Sagrario López Poza (ed.), Estudios sobre literatura emblemática española…, op. cit. ;
Antonio Bernat Vistarini et John T. Cull (éd.), Los días del Alción. op. cit. ; Sagrario López
Poza, Florilegio de estudios de Emblemática. A Florilegium of Studies on Emblematic.
Actas del VI Congreso Internacional de Emblemática de The Society of Emblem Studies,
Ferrol, Sociedad de Cultura Valle-Inclán, 2004.
62. Voir Sagrario López Poza, « Los estudios sobre Emblemática : logros, perspectivas y
97
tendencias de investigación », SIGNO, Revista de Historia de la Cultura Escrita (Univer- LITTÉRATURE
sidad de Alcalá), 6, 1999, p. 81-96. N° 145 – MARS 2007
06_bouzy.fm Page 98 Vendredi, 9. mars 2007 2:29 14

‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

attirer l’attention sur l’emblème (ou la devise) dans ses rapports avec le
politique, afin de voir comment l’alliance iconico-verbale de cette forme
brève opère comme instrument « non seulement de l’éducation du fils du
Roi, mais de l’éducation de tous » 63 , ainsi que le déclarait Bossuet à
propos des traités d’éducation du Prince. Par le biais de cette utilisation
didactico-politique, l’emblème devient en effet un moyen de propa-
gande 64 — au sens le plus large et le moins négatif du terme 65 — au
service d’une idéologie dans laquelle la part du religieux est primordiale.
Toutefois, avant d’envisager une telle praxis, il convient de faire un
bref détour par les fondements théoriques tels que les concevait Juan de
Horozco dans le premier livre de ses Emblemas Morales. Il fut le seul
emblémiste espagnol du XVIe siècle à avoir tenté une approche sémiolo-
gique et raisonnée de ce mode d’expression iconotextuel, dans lequel
entrent de manière combinatoire — à la fois visuellement et scripturaire-
ment — le symbole, l’allégorie et la métaphore 66 .
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L’ouvrage est marqué par la fonction ecclésiastique de l’auteur 67 qui

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considère l’emblème comme un moyen d’enseigner (de propager) la
parole évangélique, à l’instar d’autres emblémistes espagnols, hommes
d’Église comme lui. En ce sens, Juan de Horozco est, à sa façon, un
propagandiste religieux. Aussi la centurie d’emblèmes des deuxième et
troisième livres de ses Emblemas Morales a-t-elle une veine prédicatoire
et catéchistique de tout premier ordre 68 . Ce sera également le cas des
Emblemas Morales de son frère Sebastián de Covarrubias 69 et de l’Idea
de un Buen Pastor ou Empresas Sacras de Francisco Nuñez de Cepeda. Juan
de Horozco a ainsi la conviction que, à partir de l’apparition de l’arc-en-ciel
63. Jacques-Bénigne Bossuet, Lettre à Voetius, 1er juin 1672.
64. Comme l’analyse Fernando Rodríguez de la Flor, La península metafísica. Arte, litera-
tura y pensamiento en la España de la Contrarreforma, Madrid, Editorial Biblioteca Nueva,
1999, p. 62 (notre traduction) : « L’efficacité et la nouveauté même de la formule iconico-
linguistique la rendraient particulièrement apte comme langage de pouvoir, quasiment
comme système de propagande […] » (notre traduction).
65. Tel que l’a défini Gisèle Mathieu-Castellani, « Le défi de l’emblème », Revue de Litté-
rature Comparée, Les Emblèmes en Europe, 256, n° 4, octobre-décembre 1990, p. 597-603.
Il doit rester clair cependant qu’il ne saurait être question, à propos de l’emblème, de propa-
gande auprès des masses, mais bien de propagande dans les cercles restreints d’une élite
culturelle, lectrice des livres d’emblèmes.
66. Voir Alain Michel, « Rhétorique et Philosophie de l’emblème : allégorie, réalisme,
fable », in M.T. Jones-Davies (dir.), Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, Paris,
Jean Touzot, 1981, p. 23-31.
67. Successivement de 1580 à 1610 : archidiacre à Cuéllar, évêque à Agrigente puis à Guadix.
68. Sur les valeurs prédicatoires de l’emblème, voir Giuseppina Ledda, « Los jeroglíficos
en los Sermones barrocos. Desde la palabra a la imagen, desde la imagen a la palabra », in
Actas del Primer Simposio Internacional de Literatura Emblemática Hispánica, op. cit.,
p. 111-128.
69. Comme le précise Juan de Dios Hernández Miñano, « La condena de la usura y el
comercio marítimo en los Emblemas Morales de S. de Covarrubias y en el sermonario cris-
98 tiano de su época », Norba-Arte, XIV-XV, 1994-1995, p. 81-92 : « […] les Emblemas
Morales de Sebastián de Covarrubias ont comme finalité primordiale de faire pénétrer
LITTÉRATURE l’homme dans les mystères de la foi, à la manière d’un jeu didactique, calculé pour ensei-
N° 145 – MARS 2007 gner de façon intuitive une vérité morale » (notre traduction).
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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN ESPAGNE ‡

— premier emblème naturel de la Genèse 70 — jusqu’à l’édification du


chrétien, se tresse une immense chaîne dont chaque maillon a une
profonde signification. Cette idée va dans le sens d’une conception natu-
raliste d’obédience néostoïcienne, celle de l’ordre du monde conçu
comme une harmonie profonde entre l’homme et la nature (tous deux
créations divines). Elle est la traduction chrétienne du consensus omnium
ou continuum des stoïciens.
L’idée de l’origine divine de l’emblème ou de la devise est naturelle
sous la plume d’un prélat qui oriente son message dans une perspective
éthico-religieuse, elle relève d’une vision encore médiévale de l’univers
comme vestigium Dei. Cinquante ans plus tard, elle sera reprise par Diego
de Saavedra Fajardo dans le prologue « Au lecteur » de ses Empresas
Políticas : « Personne ne pourra juger que le sujet des Devises est peu
sérieux, car Dieu en est l’auteur » 71 . À la suite, l’auteur donne comme
exemples de devises divines ceux déjà avancés par Juan de Horozco : le
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Serpent d’Airain, le Buisson Ardent, la Toison d’Or de Gédéon, etc. Ce

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passage du religieux au politique est facilité par le fait que Fajardo dédie
son ouvrage à un Prince qu’il déclare político-christiano. Il s’agit concrè-
tement du fils aîné de Philippe IV, l’infant Baltasar Carlos qui, promis à
la couronne, n’aura cependant pas l’occasion de mettre en pratique les
leçons de prudencia politique du diplomate, en raison de son décès
prématuré à l’âge de dix-sept ans, en 1646.
Une telle récupération du divin, apparemment anodine pour
l’époque, est cependant lourde de signification, car elle affirme implicite-
ment l’essence divine de la légitimité monarchique. Elle est d’autant plus
significative que Saavedra Fajardo, tout au long de son ouvrage, propose
au jeune prince — et donc à tous ses lecteurs — un monarque modèle (tel
est un des sens du mot Idea du titre originel), son aïeul Ferdinand le
Catholique. Celui-ci est le souverain qui « a élevé la monarchie avec
courage et sagesse et l’a affirmé par la religion et la justice » 72 , comme le
déclare le panégyrique final. On conçoit ainsi à quel point la probléma-
tique idéologique de la monarchie de droit divin et du Roi Chrétien 73
sous-tend la construction interne des Empresas Políticas et comment,
presque un siècle après le Concile de Trente, continue de s’affirmer en
Espagne l’adage essentiel dans le jeu théologico-politique du Cujus regio,
ejus religio.
En un mot, la couronne — en tant qu’elle est emblème 74 de la
royauté — constitue l’enjeu de la reconnaissance du pouvoir céleste
70. Juan de Horozco, op. cit., f° 21 r° : « admirable peinture divine […], signe choisi par
Dieu pour montrer aux hommes la paix et le pardon ».
71. Diego de Saavedra Fajardo, op. cit., p. 174.
72. Ibid., p. 1046.
73. Sur ces deux points, voir Jean-Paul Roux, Le roi. Mythes et symboles, Paris, Fayard,
99
1995, chap. VIII, p. 243-281. LITTÉRATURE
74. Au sens moderne le plus large du terme. N° 145 – MARS 2007
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‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

accordé à celui qui la porte. En effet, par sa position sur la tête, elle est le
symbole même du « don venu d’en haut », et elle indique, par sa forme
circulaire, « la perfection et la participation à la nature céleste, dont le
cercle est le symbole » 75 . La couronne est également « image du soleil,
surtout quand elle est en or, métal royal » 76 , anneau du monde ou
diadème chargé d’une force cosmique. Dans la mythologie, la couronne
de laurier d’Apollon (dieu solaire) est symbole d’immortalité, de victoire,
de gloire, de vertu et de sagesse 77 . C’est par elle que Juan de Borja
commence ses Empresas Morales pour dire que seule la vertu mérite la
gloire 78 . Dans la Bible, la couronne est à l’origine une bande de lin ceinte
autour du front du grand-prêtre ; son caractère religieux est ainsi patent.
Le motif de la couronne royale figure dans trois devises chez Saavedra
Fajardo, mais seule la devise n° 20 avec le mote FALLAX BONVM (« Faux
bien » ou « Bien trompeur ») retiendra notre attention, pour plusieurs raisons
(fig. 1). Tout d’abord, avec le coussin sur lequel elle est posée, la couronne
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compose le motif principal de la vignette ; ensuite, le premier paragraphe de

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la glose est entièrement consacré à la définir, ce qui n’est pas constant dans
les Empresas políticas ; enfin, elle a tout d’une couronne christique,
puisqu’elle est bardée d’épines, ce que l’iconographie laisse à peine deviner
mais que le texte révèle dès les premières lignes. Cette allusion à la Passion
du Christ est une recherche de l’équivalence entre Christ-Roi et rex
Christus 79, élément fondamental de l’idéologie du Roi chrétien 80 qui doit
tendre à l’imitation de Jésus-Christ. La couronne, symbole de pouvoir,
devient ainsi symbole de servitude : le souverain la porte comme le Christ
portait sa croix, de la même manière que le religieux portait la rasure,
couronne de cheveux, symbole d’abandon et d’obéissance 81.
Le jeu des influences a déjà été examiné 82 à propos de la propension
de Saavedra Fajardo à réinvestir du même sens, ou d’un sens nouveau, des
devises déjà existantes 83. Il convient à présent d’approfondir la signification
de la relation qui existe entre la teneur éthico-politique ou théologico-
politique du message et les moyens rhétorico-poétiques que l’emblème (ou
la devise) se donne dans la triple perspective héritée de Quintilien : docere,
delectare, movere. Là se trouve la clef de l’histoire des mentalités qui
75. Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont/
Jupiter, 1982, p. 303a.
76. Jean-Paul Roux, op. cit., p. 209.
77. Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, op. cit., p. 563a.
78. Voir le commentaire que lui consacre Rafael García Mahíques, Empresas Morales de
Juan de Borja. Imagen y Palabra para una Iconología, op. cit., p. 55-57.
79. Rex Christus = roi oint, c’est-à-dire consacré.
80. Voir Jean-Paul Roux, op. cit., p. 224-242 et p. 259-260.
81. Voir Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, op. cit., p. 955b.
100 82. Voir Diego de Saavedra Fajardo, op. cit., p. 348, note de Sagrario López Poza.
83. Voir José Luis Gómez Martínez, « Los supuestos modelos de las Empresas de Saavedra
LITTÉRATURE Fajardo y su caracter ensayístico », Nueva Revista de Filología Hispánica, XXVIII, 1979,
N° 145 – MARS 2007 p. 374-384.
06_bouzy.fm Page 101 Vendredi, 9. mars 2007 2:29 14

EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN ESPAGNE ‡

permet de mieux comprendre la phénoménologie symbolico-emblématique 84


telle qu’elle avait cours aux XVIe et XVIIe siècles.
Il est évident que cette prégnance de l’emblématique, que nous
proposons d’appeler emblématisme, est caractéristique d’une certaine
manière d’appréhender et de vivre le monde. Emblèmes et devises (avec
leur glose) ne sont-ils pas des réponses aux questions de l’homme de la
Renaissance et du Baroque face à la constitution et à l’évolution du
monde ? L’emblème donne une première réponse axiologique à la ques-
tion « quel savoir ou quelle valeur transmettre ? » (docere) ; puis, une
seconde réponse esthétique à la question « comment flatter les sens pour
mieux pénétrer l’esprit ? » (delectare) ; et finalement, une troisième
réponse téléologique à la question « quelle action et à quelle fin ? »
(movere : à la fois émouvoir et mouvoir). Tout cela entre dans le système
de propagande de l’emblème, de son effet sur les sensations, les émotions,
les consciences et les actes.
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La devise à la couronne d’épines posée sur un coussin, avec son mot

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et sa glose — outre qu’elle est un symbole constitutif du concept de
monarchie de droit divin —, apporte plusieurs éléments de réponse. Dans
un premier temps, la sentence FALLAX BONVM — par sa simple signifi-
cation et du fait qu’elle est tirée de l’Oedipe de Sénèque 85 — invite à
considérer la teneur stoïcienne du message 86 . La couronne, symbole de
pouvoir et de richesse par les perles, les diamants et les rubis qui l’ornent,
est un faux bien (pour les stoïciens le seul bien véritable était la vertu),
même si par ailleurs elle a une valeur religieuse qui confine au sublime.
« Elle n’est que circonférence sans centre fixe, symbole d’un mouvement
perpétuel 87 de soucis », explique l’auteur, car les pierres précieuses bles-
sent les tempes du souverain ; la couronne est difficile à porter, au propre
comme au figuré. Cette sentence est représentative des valeurs à trans-
mettre : le bien contre le mal, le vrai contre le faux, la résistance face aux
épreuves. Dans un deuxième temps, l’effet rhétorico-poétique se fonde
sur la sempiternelle antithèse, à la fois visuelle — moelleux du coussin vs
piquant des épines — et verbale, à travers l’oxymore de la sentence
FALLAX BONVM.
Finalement, l’auteur étire la glose, elle est le lieu explicatif et argu-
mentatif où affluent force figures : métaphores, anaphores, comparaisons,
interrogations, questions rhétoriques, exclamations, apostrophes, c’est-à-
dire les prises à parti qui font du lecteur un interlocuteur virtuel. L’auteur
84. Voir Daniel Russell, « Emblème et mentalité symbolique », Littérature, n° 170, 1990,
p. 11-22.
85. Sénèque, Oedipus, 6.
86. Voir Sagrario López Poza, « Neostoic Virtues in the Empresas políticas of Saavedra
Fajardo. The influence of Justus Lipsius », in Wolfgang Harms et Dietmar Peil (éd.), Poly-
valenz und Multifunktionalität del Emblematik. Akten des 5. Internationalen Kongresses der
101
Society for Emblem Studies, Frankfürt am Main, Peter Lang, 2002, 2 vol. LITTÉRATURE
87. Rappelons que le mouvement perpétuel était une autre notion chère aux stoïciens. N° 145 – MARS 2007
06_bouzy.fm Page 102 Vendredi, 9. mars 2007 2:29 14

‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

y déroule le tapis rouge de la persuasion, brodée d’exemplification, afin


de gagner l’assentiment du prince et, partant, de ses sujets. La glose est le
lieu où se déploient les subtilités du système de propagande ; l’argumen-
tation y est à l’honneur, car elle permet de dépasser l’effet-slogan de
l’image et de la sentence. Là se noue la dialectique iconicotextuelle entre
le corps et l’âme de l’emblème ou de la devise.
Les citations font évidemment partie de l’arsenal rhétorique
déployé. Aussi l’érudit diplomate ne manque-t-il pas de citer le fameux
aphorisme de Valère Maxime à propos de la couronne « Qu’il te soulève,
celui qui ne te connaît pas » 88 , celui-là même dont Juan de Horozco avait
fait le mote — sous sa forme latine — de l’emblème XXXIII du livre
deux : TOLLAT TE QVI TE NON NOVIT (fig. 2). Cet exemple indique,
s’il était nécessaire, que l’éducation politique est une des dimensions des
Emblemas Morales, trop souvent considérés sous la seule facette morale
en raison de leur titre.
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La couronne comme représentation du pouvoir royal est d’ailleurs

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plus récurrente chez Juan de Horozco que chez Saavedra Fajardo. Elle
compose en effet le motif de cinq emblèmes différents (II, 2 ; II, 4 ; II,
16 ; II, 33 ; III, 30) qui sont à intégrer dans un ensemble plus vaste d’une
vingtaine d’emblèmes (un cinquième des emblèmes de l’ouvrage) dans
lesquels l’auteur développe une théorie politico-morale structurée. Cet
ars gubernandi dans les règles de l’art met en exergue les différentes
fonctions royales et principalement celle du roi-juste ou roi-juge, voire
justicier.
Si le motif de la couronne prend tant d’importance dans les
Emblemas Morales, c’est parce qu’il permet à Juan de Horozco de mettre
sa pratique de l’emblème en symbiose avec sa théorie déclinée dans les
chapitres XXXII, XXXIII et XXXIV du premier livre. En effet, ces trois
chapitres (f° 93 v°-101 r°), consacrés à la couronne, sont à lire comme un
authentique traité du symbolisme coronaire à travers les âges et les civili-
sations, mais aussi comme un plaidoyer de la monarchie de droit divin.
Pour ce plaidoyer, la source vétéro-testamentaire est mise à contri-
bution dans un premier temps, puisque ce sont les Psaumes qui permettent
à Horozco d’établir la relation théologico-politique : « la couronne est la
récompense de la vertu et du véritable honneur, elle est accordée au juste
que Dieu couronne de gloire et d’honneur […] et comme cette couronne
est l’emblème des Rois elle appartient aux justes et aux saints, dont on dit
qu’ils règnent avec le Christ ». Aussitôt après cette assertion, Juan de
Horozco confirme l’assimilation du politique au théologique par le biais
d’un parallèle entre la couronne des rois et la bande de lin dont les
102 grands-prêtres des Hébreux, comme les rois de Perse, ceignaient leur
front.
LITTÉRATURE
N° 145 – MARS 2007 88. Valère Maxime, Dictorum factorumque memorabilium libri IX, V, 7, 2.
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EMBLÈME ET PROPAGANDE THÉOLOGICO-POLITIQUE EN

Fig. 1 : Diego de Saavedra Fajardo, Le Prince chrestien et politique Fig. 2 : Juan de Horozco, Emblemas morales (Segovia, 1589).
ESPAGNE

(trad. I. Rou, Amsterdam, Jean Schipper, 1670).



145 –
MARS
103
LITTÉRATURE
2007
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‡ L’EMBLÈME LITTÉRAIRE : THÉORIES ET PRATIQUES

Dans un deuxième temps (fin du chapitre XXXIV), pour rétablir


l’indispensable équilibre biblique, Juan de Horozco a recours à une source
néotestamentaire : l’Apocalypse de saint Jean dont il adapte un passage à
son propos afin d’esquisser un rapport d’égalité entre « ceux qui sont
consacrés à Dieu pour être ses ministres, car il est celui qui nous a fait
Rois et prêtres ».
Ces trois chapitres sur le symbolisme de la couronne — plus
complets et mieux documentés que l’article « CORONA » du Tesoro de
la lengua castellana o española du propre frère de Juan de Horozco,
Sebastián de Covarrubias — sont d’un intérêt majeur pour l’histoire de
l’emblématique hispanique, comme d’ailleurs tout le premier livre des
Emblemas morales de Juan de Horozco. En ce qui concerne la forme, on
y trouve définis les procédés symbolicistes mais aussi poétiques et rhéto-
riques 89 qui vont habiller la pratique de l’emblème ou de la devise jusqu’à
la Idea de el Buen Pastor ou Empresas sacras de Francisco Nuñez de
Cepeda (Lyon, 1682). De tels procédés sont le fondement formel du
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contenu des stratégies de propagande morale, politique et religieuse qui
sous-tendent de manière générale l’écriture de l’emblématique hispanique
et plus particulièrement celle des Empresas políticas de Diego de
Saavedra Fajardo.

104 89. Voir notre article, « La poétique de l’emblème au Siècle d’Or : Juan de Horozco, théori-
LITTÉRATURE cien du symbole », in Hommage des Hispanistes français à Henry Bonneville, Tours,
N° 145 – MARS 2007 SHFES, 1996, p. 75-110.

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