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Gaulme François. Un Document sur le Ngoyo et ses voisins en 1784 : l'« Observation sur la navigation et le commerce de la
côte d'Angole » du comte de Capellis. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 64, n°236, 3e trimestre 1977. pp. 350-
375;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.1977.2035
https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1977_num_64_236_2035
par
FRANÇOIS GAULME
INTRODUCTION
1. Sur cette famille, voir [Marquis René de Cintré], Les Capellis d'après d'anciens
mémoires généalogiques, Rennes, Simon 1900. La maison des Capelli est originaire
de Capoue. Elle émigra à Venise au ixe s. De la branche de Modène, fondée au
xne s., et traditionnellement attachée au Pape, fut issu Annibal Capello qui, en
1533, suivant Clément VII en France, se maria et s'établit à Carpentras. Cette
lignée française s'éteignit avec Hippolyte de Cappellis en 1813. Le nom fut ensuite
relevé. L'écu est d'or à chapeau de sable, les cordons noués en saut.
2. Hippolyte-Louis- Antoine de Capellis, marquis du Fort (en Gévaudan), né
le 18 août 1744 à Pernes (Vaucluse), décédé à Avignon le 7 janvier 1813 ; fils de
Jean-Antoine-François-Nicolas, marquis de Capellis (1711-1772) qui servit dans la
marine de 1764 à sa mort; frère de Jean-Louis-Gabriel (1762-1779), chevalier de
Malte, qui servit également dans la marine et périt en mer. De son second mariage
avec Mlle de La Billarderie en 1784, Hippolyte de Capellis eut quatre filles. Il
émigra en 1792 et servit en Russie jusqu'en 1800 (contre-amiral en 1799, ordre
de Sainte-Anne la même année).
3. Garde de la Marine le 19 juillet 1757, lieutenant de vaisseau le 14 févr. 1778
il commanda VEpervier en Guinée en 1779 (chevalier de Saint-Louis le 11 juill.
1779), fut lieutenant de vaisseau sur le Duc de Bourgogne pendant la guerre
(1780-83) (membre des Cincinnati, voir à son sujet Combattants français de
la guerre d'Amérique 1778-1783, Paris, 1903) avant de commander la Lamproie
(19 févr. -12 sept. 1784) ; il fut nommé capitaine de vaisseau le 1er juin 1786. (Les
indications qui précèdent proviennent de son dossier personnel (Arch. Marine,
C7 52) et des papiers de famille.)
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Rev. franc. d'Hist. d'Outre-Mer, t. LXIV (1977), n0 236.
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l'ordre de avec
Saint-Louis
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de Capellis,
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d'unmarquis
autre ordre
deduMademoiselle
Fort
qui n'a
(1744-1813),
pu deêtreCapellis,
identifié.
portantà Paris.
les insignes
Fig. 2. — « Plan du—fortArchives
de Cabinde,
nationales,
tel qu'ilColonies,
étoit lorsqu'il
C6 24 se(pièce
renditnonà Mr
numérotée).
de Marigny le 21 Juin 1784 ». V/n)
Fig. 2. — « Plan du—fortArchives
de Cabinde,
nationales,
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étoit lorsqu'il
C6 24 se(pièce
renditnonà Mr
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de Marigny le 21 Juin 1784 ». V/n)
LE NGOYO ET SES VOISINS EN Î784
En juillet 1783, les Portugais décidaient de contrôler la traite qui
se faisait au nord de l'embouchure du Zaïre. Ils envoyèrent un
dans le port de Cabinda, qui y débarqua des hommes, afin
un fort permettant de contrôler le commerce. Le 22 juillet le
mambouc de Cabinda « arraché » à un bateau français 4 est maltraité
par les Portugais. Il refuse cependant de donner, le 27, l'autorisation
à ces derniers de construire un fort 5. Deux navires marchands de
Nantes 6 qui stationnaient dans le port tandis que leurs capitaines
étaient en pleine traite, furent priés le 28 de quitter la rade dans les
vingt-quatre heures et furent contraints d'abandonner leurs
7. L'affaire prit de l'ampleur lorsque le cabinet de Versailles
considéra les pétitions des armateurs du Havre et de Nantes qui
le tort fait à la traite française (prépondérante sur cette côte) 8.
Une expédition fut décidée, dont on confia le commandement à Charles
Bernard de Marigny 9. L'on arma la frégate la Vénus, ainsi que les
gabares la Lamproie, confiée à Capellis, et Y Anonyme, commandée par
le chevalier du Loup 10. Les instructions royales adressées à Marigny
lui donnaient comme objectifs la revendication du commerce libre
(concurrent) jusqu'à Saint-Paul de Loanda et la destruction du fort
portugais de Cabinda (à moins du maintien de la liberté du commerce
par une déclaration portugaise) u.
Partis de Brest le 29 février 1784, les trois navires firent escale à
ïénérife qu'ils quittèrent le 4 avril pour la « côte d'Angole », par la
12. Les détails qui suivent sont empruntés à Arch. nat., Marine, B4 267, « Extrait
de mon journal de navigation », par Bernard de Marigny, 2 juill. 1784.
13. L. de Grandpré, Dictionnaire universel de géographie maritime, Paris, 1803,
t. 2, p. 432, indique le « cap Nègre » (Baia dos Tigres) comme « [...] l'atterage
des vaisseaux qui veulent arriver par la grande route à la côte d'Angola » ;
il le place avec toutes réserves à 16° 3' S.
14. Voir les copies de ces lettres (19 juin-8 juill. 1784), Arch. nat., Colonies C6 24,
et correspondance complète (avec texte portugais), Arch. nat., Marine, B* 267.
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LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
a repris : trois navires traitent déjà dans le port. L'évacuation totale
des Portugais sur Loanda eut lieu le 8 juillet. U Anonyme, quant à lui,
arriva dans la rade de Cabinda le 27 juin : seules la Vénus et la
participèrent donc véritablement à cette entreprise de
du fort portugais. On peut s'étonner de la passivité apparente
des Portugais, mais ils étaient à bout de ressources, et comme le
le texte que nous éditons, des hommes en garnison à Cabinda
étaient morts de maladie depuis l'établissement du fort.
2) Le texte de V « Observation ».
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LB JVGOYO ET SES VOISINS EN 1784
* Arch. nat., Marine 3JJ 255, n° 15. — Les passages entre crochets sont ajoutés
en marge de la main de Capellis, sauf ceux placés entre guillemets, qui sont d'une
autre main, non identifiée.
1. Distinction classique dans la navigation à voile qui connaissait les deux routes
décrites par Capellis pour se rendre en Afrique équatoriale. Voir dans la même
série des Arch. nat., Marine, 3 JJ 255, n° 1, « Instructions pour la grande et la petite
route ». '
2. Quelques années plus tard, L. Degrandpré, Voyage à la côte occidentale
fait dans les années 1786 et 1787, Paris, 1801, t. 2, p. 1, écrit : « Cette route [la
petite route] est généralement préférée ». La période 1785-1793 correspond à une
très grande extension du trafic négrier français à Cabinda (voir P. Martin, The
External Trade of the Loango Coast 1576-1870, London, Oxford Univ. Press, 1972,
p. 90-91.
3. Nous avons décrit dans l'introduction du texte le voyage de la flottille de
Marigny. Les informations qui suivent sur les îles, puis sur les ports de la côte,
ne sont donc que de seconde main. Les Français arrivèrent à Cabinda par le Sud,
poussés par le courant.
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FRANÇOIS GAULME
d'avantage pour éviter les calmes. On trouve par sa latitude [« ce doit
être longitude »] les vents à Ouest et peu de tems après l'avoir dépassée
au Sud, on les trouve au Sud-Ouest ; on tient alors le plus près du
vent l'amure à tribord pour trouver le golfe de Guinée. L'opinion
générale est que les courants portent toujours dans le golfe et qu'on
s'en relève très difficilement quand on y est enfoncé. Les Anglois qui
traitent beaucoup au Bénin, au Galbard et au Gabond, ainsi que les
bâtiments de Nantes, sortent cependant quelquesfois sans beaucoup de
peine ; les navigateurs assurent que les courants varient de leurs forces
et leurs directions ; cela doit être dans le tems des pluies et des/ [3] tour-
nades ; ce sont des grains très violents, ainsi nommés par les
et qu'on éprouve sur toute la côte de Guinée, quand le soleil
approche du zénith. Ils sont accompagnés de tonnerre. Le vent qui
fait le tour de la boussole, force de la partie du S.E. La mer vient
très grosse malgré la pluie qui est extrêmement forte. Après quelques
heures succède le calme et le tems le plus serein avec une chaleur
extrême. C'est ce qu'on appelle la saison des pluies qui dure quatre
mois. Il est naturel qu'après ces grandes pluies les courants portent
moins dans le golphe de Guinée dont ils sont repoussés par les crues
d'eau des grands fleuves et des rivières qui y ont leur embouchure.
La bordée au plus près du vent tribord amures et les variétés de
vent portent les navires qui ne marchent pas très mal au Sud du cap
de Lopes Gonzalve placé sur les cartes du Dépôt environ un degré
de lat.de Sud. Ils passent entre les îles de S*. Thomé et Anobon * plus
près de l'une ou de l'autre suivant qu'ils sont favorisés par les vents
et les courants ou contrariés par les calmes.
S*. Thomé appartient aux Portugais/ [4] ainsi que l'île du Prince.
Les navires de la Côte d'Or, du Galbard, du Bénin et du Gabon ou les
traites sont longues et qui font la même route y relâchent souvent.
Ils y mettent leurs nègres à terre dans de grandes cases faites exprès
et après les avoir soignés et rafraichis pendant un mois, ils en partent
sans avoir fait de grandes dépenses. L'ile est très abondante en fruits,
bestiaux et volailles. Celles d' Anobon est au Espagnols a qui les
l'ont cédée par le traité de 1778. Mais n'en ayant pas pris
avec assez de force, les naturels les ont chassés et sont les maitres.
Quand on approche de cette ile ils remplissent des pirogues de volailles
et de fruit et viennent à bord des bâtiments qui ne sont pas obligés
de mouiller a moins qu'ils ne veuillent de l'eau ou des bœufs. Le
est au nord de l'ile par 6 à 7 brasses fond de vaze à un quart de
lieue de terre devant l'aiguade, ou bien devant un village par 15 brasses.
C6 4.24,Sur
« Des
les Isles
îles Sâo
de Fernandopo,
Tome et Annobôn,
Isle du Prince,
voir en S*particulier
Thomé etaux
Anobon
Arch.», nat.,
anonyme,
Col.,
s.l.n.d., portant au crayon la mention « vers 1780 ».
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LE NCOYO ET SES VOISINS EN 1784
Le Pilote cotier anglais à la côte de Guinée parle de deux rochers qui
sont très près de cette ile mais qui paroissent hors de l'eau, il n'y a/
[5] pas d'autre ecueil [« ils sont a la pointe du N »].
Lorsqu'après avoir traversé le golfe de Guinée on atterre à la côte
d'Affrique, on trouve de fortes brises réglées de terre et du large. Celle
de terre règne la nuit et le matin du S.E. au S.S.O. Celle du large vient
vers les 10 hes du matin du S.O. à l'ouest. Le mouillage est bon tout
le long de la côte ; on dit que le cap de Lopès est une fort bonne
5, qu'on y trouve de l'eau excellente dans des étangs au bord de
la mer, ainsi que du bois, beaucoup de poissons et de buffles sauvages.
On peut y traiter de la cire et de l'yvoire. On assure qu'il y a plusieurs
bonnes rades et ports dans les environs, ou l'on pourroit abbatre des
vaisseaux de ligne sur un appareil à terre et que ce seroit un local excellent
pour un établissement européen 6 [mais il n'y a pas de traite de noirs.] 7
L'on profite des brises pour remonter la côte en louvoyant sans
jamais quitter le fond qu'on perd à 7 a 8 lieues de terre par 70 à 80
brasses, on mouille dans l'intervale des brises de manière que quand
celle du large finit on se trouve près de la côte, et vice versa. Quand
5. C'est l'opinion courante au xvme siècle, et les informations données ici sont
confirmées par les documents anciens sur le cap Lopez. Les avantages qu'on lui
trouvait étaient la possibilité de faire de l'eau grâce aux étangs proches du rivage,
ainsi que du bois mais aussi le fait que les habitants avaient meilleure réputation
que ceux de l'estuaire du Gabon, ou de la côte sud jusqu'à Mayumba qui n'était
que très peu fréquentée, et sur qui J. Barbot, An Abstract of a Voyage to the Congo
River or Zaïre, and to Cabinda in the Year 1700, dans A. Churchill, A Collection
of Voyages and Travels, Londres, 1732, t. 5, p. 468, émet l'opinion suivante : « The
Blacks are hère yet more deceitful and treacherous than those of Loango. »
6. Allusion assez imprécise et peut-être inspirée par les récits de Montauban,
Relation du voyage du Sieur de Montauban en Guinée en l'année 1695, Amsterdam,
1698, qui rapporte d'une manière assez confuse et peut-être romancée le naufrage
d'un flibustier français au large du cap Sainte-Catherine et l'hospitalité qu'il reçut
au « royaume du cap Lopez ». Cette côte est fort mal connue au xvine siècle comme
le montrent, aux Arch. nat., Marine, 3 JJ 255, les « Remarques sur la carte en deux
feuilles des côtes occidentales d'Afrique depuis l'Equateur jusqu'au Cap de Bonne
Espérance, dressée au dépôt des Cartes et Plans de la Marine pour le service des
vaisseaux du Roy en 1754 », où l'on peut lire : «... les François fréquentent peu
les Côtes de Congo et d'Angole et je n'ai presque pas de journaux où la navigation
de ces côtes soit détaillée... », puis concernant les cartes hollandaises et anglaises :
« Voici l'exemple d'une variété considérable entre les auteurs, à laquelle on ne
devroit gueres s'attendre du cap Ste Catherine à la rivière du Sette. »
7. En réalité seule la traite régulière et institutionnalisée n'existe pas à cette
époque ; voir L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxm-xxiv, qui écrit, parlant de
la côte entre le cap Lopez et Loango : « On ne touche à ces différentes places que
lorsque le vent et les courans contraires forcent à mouiller vis-à-vis : alors pour
employer le tems que l'on perd à l'ancre, on communique avec les habitans dont
on obtient des vivres et quelques esclaves. » Cette affirmation reprend celles du
négrier nantais Gaugy (Arch. nat., Marine, 3 JJ 255) qui fut un des rares
à fréquenter cette côte dans les années 1760, et qui échangea, dans la chaloupe,
quelques « captifs » dans un village qu'il nomme « Kinamina », au cap
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Reo. franc. d'Hist. d'Outre-Mer, t. LX1V (1977), n° 236, 2*
FRANÇOIS GAULME
sont qu'on peut les tromper et il est naturel qu'ils adoptent les mêmes.
Ces queréles entrainent quelquefois des manières très menaçantes :
mais elles sont bientôt appaisées par les princes. On leur fait des
et ils en ont tout l'avantage. Ces queréles sont plus fréquentes
à Malimbe qu'a Cabinde ou les Naturels sont plus doux.
Les esclaves de la côte d'Angole sont fort estimés dans les iles de
l'Amérique et surtout les femmes qui sont fort laborieuses 29. Ils coûtent
plus cher que ceux de la Côte de Guinée, mais les traites s'y font plus
vite et les traversées pour l'Amérique étant moins longues que celles
du golfe de Guinée les nègres arrivent moins fatigués. On en perd peu
[biffé : « moins et ils mangent »] [parce qu'ils séjournent] moins long-
tems abord.
Les cargaisons [biffé : « sur »] [pour] la côte d'Angole sont plus
riches que pour les autres parties, on fait de plus beaux présens aux
rois et aux princes en argenterie, galons, étoffes de soie et draps, ce
sont des espèces de droits qu'ils retirent au commencement et à la fin
de la traite 30.
Les rois habitent toujours dans l'intérieur des terres et ne
[14] jamais de leurs habitations. Comme ces peuples sont fort
superstitieux ils attachent une espèce de maléfice à ce que le roi ne
voye pas la mer 31.
29. Ce sont elles en effet qui font traditionnellement les travaux agricoles.
30. Nous avons un bon exemple des cargaisons françaises de l'époque dans
la liste dressée par le capitaine du navire VAffricain qui fut contraint par les
le 28 juillet 1783, d'évacuer le port de Cabinda en abandonnant les
versées d'avance sans pouvoir embarquer d'esclaves. Les Archives
possèdent deux copies du « Mémoire du Sieur Mazois négociant à L'Orient
pour établir les indemnités qu'il est en droit de reclamer envers le gouvernement
portugais, relativement à l'invasion de cette nation a Cabinde lorsque le navire
françois l'Affricain armé par ledit Sr Mazois y étoit établi pour y faire une traite
des
C6 24Noirs.
et Colonies,
Le tout F">
suivant
2). pièces au soutient à la suite de ce mémoire. » (Colonies,
On peut comparer ce document avec l'état de la cargaison du navire le Solitaire,
armé en avril 1782, dans P. Dieudonné Rinchon, Pierre- 1 gnace-Lièvin van Alstein,
Dakar, 1964, p. 359-360. On constate en particulier l'identité des étoffes figurant
dans les deux cargaisons.
Les « coutumes » versées à l'arrivée à Cabinda sont au début du xvme siècle,
selon J. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Paris, 1723,
t. I, p. 1070-1071, caculées par rapport à celles que reçoit le « Roy » : le « Mam-
bouck, premier capitaine ou ministre » reçoit la moitié des coutumes du roi, le
« second capitaine ou lieutenant de la côte qu'on nomme autrement Mafougue »,
la moitié de celles du Mambouck, le « Machingue, autre capitaine », la moitié de
celles du Mafougue. On verse également des coutumes au « Mallambelle, dernier
des officiers du Roy de Cabindo » et au « secrétaire du Roy ». Pour la signification
de ces titres voir n. 47 et P. Martin, The External Trade..., p. 99.
31. Ce qui explique la situation des capitales, voir ci-dessus, n. 25. Une telle
se retrouve sans doute plus au nord, jusqu'au cap Lopez. Selon J. Atkins,
A Voyage to Guinea, Brésil and the West Indies, Londres, 1735, p. 197, les
du cap résident, par crainte, dans l'intérieur. Il semble peu probable qu'une
peur temporaire des pirates, comme le suggère K. D. Patterson, The Northern
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LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
La succession de la royauté est attribuée au fils aine de la fille du
roi quelqu'en puisse être le père 32 ; les princesses nées de princesses
ont de très grands droits33; quand elles croyent qu'un nègre a gagné
dans le commerce avec les blancs, elles le demandent en mariage et
l'obtiennent toujours même malgré lui. Il est forcé d'abandonner les
autres femmes pour n'avoir plus de commerce qu'avec la princesse
sous peine de la vie, sur les plaintes qu'elle en porteroit aux princes et les
preuves qu'on en auroit. Aussi sont-ils toujours accompagnés d'un
serviteur de leur femme qui répond de leur conduite à cet égard. Ils
portent une canne a pome d'argent quand ils en ont une et entrent
les premiers dans les habitations. S'ils y apperçoivent des femmes ils
Gabon Coast to 1875, London, Oxford Univ. Press, 1975, p. 33, soit à l'origine du
choix de cette résidence : les documents antérieurs montrent que le « roi du cap
Lopez » n'habite pas le rivage. L'explication d'Atkins nous semble procéder d'une
psychologie étrangère à l'Afrique. P. Van den Broegke, Reizen naar West Afrika
(1605-1614), éd. K. Ratelband, La Haye, 1950, p. 49-50 et 57-58, montre l'amitié
que le roi de Loango lui témoigne en l'accompagnant jusqu'à son entrepôt lors de
son départ en 1610, alors qu'il ne s'était jamais écarté auparavant d'une portée
de mousquet de son palais, et en venant l'accueillir en 1612, ce qu'il n'avait encore
jamais fait. Selon R. E. Dennett, At the Back of the Black Man's Mind, Londres,
1906, p. 105, l'océan est considéré comme un principe actif et mâle par les Bavili,
car c'est de lui que provient la pluie qui féconde le sol, principe passif et femelle.
En prenant garde au rôle de faiseur de pluie attribué traditionnellement au roi
de Loango, l'on comprend que dans ces conditions il ait des précautions particulières
à prendre dans ses rapports avec la mer.
32. Nous sommes dans un système généalogique matrilinéaire. C'est ce que l'abbé
Phoyart, Histoire de Loango, Kakongo et autres royaumes d'Afrique, Paris, 1776,
p. 128, exprime de la manière suivante : « la noblesse ne se communique que par
les femmes » ; L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, est plus précis : « A Cabende,
Malembe, Sogne, Mayombe et Sainte Catherine, le trône est héréditaire » (p. 163).
« Le trône de Loango est électif ; mais il ne peut être occupé que par un prince-né,
et ce prince peut être choisi non seulement parmi tous ceux du royaume, mais
encore parmi ceux de tous les états tributaires » (p. 167). Le terme de « prince »
ou de o princesse » si employé dans les relations de la fin du xvine siècle traduit
l'appartenance à un clan aristocratique. Les membres de celui-ci sont désignés sous
le nom de fumu qui, stricto sensu, indique leur origine : ils descendent des
Buvandji et se différencient à Loango en deux lignages, Konde et Nkata.
Ils font précéder leur nom de la particule Mwe, et se distinguent du commun,
befioti (ce qui a été considéré abusivement comme un nom ethnique, « les Fiots ») ;
voir F. Hagenbugher-Sagripanti, Les Fondements spirituels du pouvoir au royaume
de Loango, Paris, O.R.S.T.O.M., 1973, p. 61.
33. Ibid., id., « princesse », fumu ntchiento. Selon l'abbé Proyart, Histoire de
Loango..., p. 92, « La condition des autres femmes forme [...] le contraste le plus
frappant avec celui des princesses. » L'exemple le plus net du rôle politique très
important joué par une Princesse est sans doute celui de la maconda à Loango,
dont Dapper, Description..., p. 329, fait mention de la manière suivante : « Le
conseil d'état' choisit la plus âgée de race Royale et lui donne le titre de Maconda
c.-à-d. Mère du Roi ou régente du Royaume ... Le Roi ... n'entreprend rien sans
la consulter ... elle pouroit exciter une sédition contre lui. » Cela est à rapprocher
du rôle joué dans tout le Gabon par l'association féminine du Ndjembe, Nyemba,
Nyembi, très crainte des hommes, qui se réfère à une mère-fondatrice appelée
Ngvcakanda, « la Mère Akanda » ; voir A. R. Walker & R. Sillans, Rites et croyances
de» peuples du Gabon, Paris, 1962, p. 239-253.
— 363 —
FRANÇOIS GAULME
34. Le mari d'une princesse porte le titre de Nuni fumu, selon F. Hagenbucher-
Sacripanti, Les Fondements..., p. 61. Les privilèges des princesses ont beaucoup
frappé les auteurs de la fin du xvme s. ; voir J. Cuvelier, Documents..., p. 52, et
Proyart, p. 90-92, qui nous apprend qu' « elles choisissent les plus riches du pays » ;
l'élu se frotte le corps d'huile de palme et se peint en rouge, il fait une retraite
d'un mois dans sa case, en consommant des mets frugaux et en ne buvant que de
l'eau (p. 91) ; L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 113 : le mari d'une princesse ne
doit ni voir ni être vu d'une autre femme que son épouse ; « ainsi toutes les fois
qu'il sort, il est précédé sur son chemin d'une espèce de cloche de muletier, que
l'on appelle Gongon » et à ce signal les femmes disparaissent. En réalité, il y a ici
une allusion à la cloche double ngondji, dont le symbolisme est lié au pouvoir
et qui est agitée en particulier au moment de l'intronisation royale à Loango,
selon F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 81. Quant à la canne
mentionnée dans notre texte, c'est un symbole de l'autorité communément utilisé
en Afrique équatoriale par les messagers ou les représentants d'un chef.
à ce que l'on pourrait croire, les précautions qui sont ici décrites ne proviennent
pas de la « jalousie », au sens que nos contemporains lui attribuent, mais très
de la sacralisation attachée au statut de fumu.
35. O. Dapper, Description..., p. 329, à Loango « plaisant privilège » : « l'époux
de la régente [Makonda] perd la vie [s'il la trompe] , elle peut le tromper. »
36. C'est une conséquence de l'organisation matrilinéaire.
37. La redistribution de ses biens à ceux qui lui sont soumis est un des devoirs
essentiels du chef en Afrique équatoriale.
38. A première vue les informations se contredisent : L. Degrandpré, Voyage...,
t. 1, p. 163, déclare « le roi est maitre absolu, nomme les officiers et les destitue
suivant son bon plaisir. » Tandis que le document n° 8 de J. Cuvelier, Documents...,
p. 48, indique que « quand le roy veut nommer quelqu'un de ses officiers ou qu'il
veut établir quelque loy nouvelle, il convoque une assemblée des grands du pais
les plus voisins du lieu de sa résidence. » Le rôle du conseil assistant le chef se retrouve
dans toutes les sociétés, pyramidales ou segmentaires, du Gabon et du Congo.
A notre sens, cela n'est pas le signe d'une conception démocratique à l'européenne,
mais provient d'un des caractères moraux attachés traditionnellemnt à la
de chef, l'impassibilité, qu'a bien mis en valeur A. Avaro, « La Notion n'Anyam-
biè (Dieu) dans les civilisations claniques du Gabon avant les Blancs », Présence
afrie., 4e trim. 1969, p. 96.
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LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
macaï 39. Leur principal revenu provient des droits que payent les
navires et des exactions qu'ils font sur leurs sujets à leur caprice 40.
Ils ont en outre des terres sur lesquelles habitent des espèces de /[16]
qui leurs fournissent ce qu'ils demandent pour se nourrir 41.
Quand ils sont en guerre avec leurs voisins, ils rassemblent un certain
nombre de leurs sujets 42, leurs prêtent des fusils et après les avoir
passés en revue, quelque peu éloigné que soit l'ennemi, ils les mettent
sous les ordres du chef qu'ils nomment capitaine guerre 4S. Ils les
envoyent faire des incursions sur les terrres ennemies et tout ce qu'on
pille, même les prisonniers, appartiennent au roi qui les fait esclaves,
les vend ou les garde. Les princes nés ne vont jamais à la guerre, le
membou 44 qui habitait à une lieue du fort portugais attendait
chez lui ce qui seroit décidé entre les Portugais et nous.
Il avoit envoyé 1 000 hommes 45. Comme l'usage et la force leurs
donnent le droit de mort sur leurs sujets sans forme n'y procès, ils
en ont un incontestable sur leurs richesses et ils en usent
cette solution. Dans tout cela, l'essentiel nous paraît résider dans ce que cet 8 0eoç
n'a pas de culte.
60. A rapprocher de la formule du traitant hollandais Cappelle (1642) sur le
Loango, traduite ainsi par L. Jadin, « Rivalités luso-néerlandaises au Sohio, Congo,
1600-1675 », B. Inst. hist. belge de Rome, 1966, p. 231 : « En somme, plus grand
seigneur, plus grand. magicien. »
61 . Ce sont les Bakisi, « les dieux inférieurs, accessibles aux prières des hommes »,
comme le rappelle F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 30, qui
distingue fortement entre Nkisi si (de la terre), « esprit divinisé de l'ancêtre qui,
le premier occupa et délimita la terre du clan », qui est honoré dans un sanctuaire,
tehibila, par un prêtre, tchintomi, qui est en général le chef de clan, nkasi nkanda
(p. 31), et Nkisi esprit qui frappe et agit en dehors de toute limite géographique
et qui n'appartient pas à un clan (p. 106). Il fait justement remarquer (p. 34) :
« L'ancêtre du clan, honoré au cours de cérémonies publiques, constitue la
religieuse de la distribution du pouvoir et de la bipartition de la société
entre les Fumu (« princes ») et les Fumu si (détenteurs de la terre). » Capellis décrirait
donc ici des Nkisi si.
62. Trait caractéristique des figurines de l'aire que nous étudions. A Paris, le
Musée de l'homme possède de bons exemples à clous et lames de fer, n° 34.173.1
et 92.70.4 (voir reproductions et commentaires dans Sculptures africaines dans les
collections publiques françaises, Paris, 1972, p. 116-117.) C'est une figurine
ornée de clous, la main droite armée d'une flèche, d'aspect très menaçant
et provenant du Mayombé qui nous semble le mieux correspondre à la description
de notre texte : elle est conservée au Musée des arts africains et océaniens de Paris,
sous le n° 66.14.3 (reproduction et description, ibid., p. 124).
63. Expression courante dans le français de traite. F. Hagenbucher-Sacripanti,
Les Fondements..., p. 103, remarque : « les concepts de génie, force magique, fétiche,
charme ont été respectivement employés pour qualifier le Nkisi, dont ils ne livrent
qu'une traduction imparfaite à laquelle nous avons préféré l'emploi du terme verna-
culaire kikongo. »
64. On peut rapprocher notre texte de J. Cuvelier, Documents..., p. 53
n° 8) : « ils portent presque tous quelque petite idole pendue a leur coté. »
65. Mgr Le Roy, La Religion..., p. 58, emploie le terme de « libre-pensée » pour
qualifier le scepticisme individuel qu'il a parfois remarqué en Afrique, mais il
ajoute : « Seulement en certaines occasions, il est telles pratiques qui s'imposent
... il faut s'y soumettre, et la tentation vient rarement de s'y soustraire. »
66. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 143-145, précise que le corps du défunt,
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FRANÇOIS GAULMK
des nates faites d'herbes sèches *7 ; elles ne sont propres qu'a cela
encore faut-il les coudre ensemble parce qu'elles n'ont pas plus d'un
pied encarré sans compter la frange. Ils asseyent le cadavre 68 et à force
d'enveloppes ils lui donnent douze ou quinze pieds de tour, en figurant
seulement le buste et les épaules sans bras. Ce ridicule massif est
d'une tête de bois et fort mal faite 69. Quand c'est un grand
seigneur on le conserve ainsi plus d'un an, on l'envelope ensuite de
toile et marchandise de toute espèce autant qu'il peut en avoir ou
que ses parens peuvent en fournir. Le jour marqué pour
ils se rassemblent des/[23] environs souvent au nombre de
milliers ; on fait un creux dans la terre ou on jette cette masse
après avoir tiré beaucoup de coups de fusil, beaucoup dansé et surtout
prodigieusement bu d'eau de vie, autant que le chef du deuil peut en
fournir. Ils crient par intervale des mots qui signifient, pauvre défunt,
ils pleurent et rient en même tems. Quand on leur demande a quoi
bon ces cérémonies et qu'on leur dit qu'il est ridicule de perdre
souvent la valeur de 20 esclaves, ils répondent pauvre défunt
jusque là exposé sur un lit dans sa case, est remplacé par un simulacre « le second
jour ». Il est alors emporté dans une case spécialement construite pour les préa-
rations funéraires. Les auteurs de la fin du xvme siècle décrivent tous les honneurs
funéraires accordés aux cadavres des « princes », ntotila, ou d'une « personne
», mvumbi, que F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 168,
distingue soigneusement de celui d'un « individu de basse condition, tchibayi ».
67. Ibid., id. : « ce sont des pagnes de raphia, nleli ngonbo. »
68. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 146 : le cadavre est placé « la face vers
le couchant, les deux genoux plies légèrement, le pied gauche levé en arrière, le
bras droit tombant allongé, la main droite fermée tournée vers l'Orient, le bras
gauche levé, la main gauche ouverte, les doits séparés et crochus tournés vers
le couchant, comme un homme qui voudrait saisir une mouche au vol. » Au
xvne siècle, le rapport de F. Cappelle (L. Jadin, « Rivalités »..., p. 234) indique
que les cadavres sont exposés assis sur la place du village (ils sont enterrés assis).
A. R. Walker R. Sillans, Rites et croyances..., p. 113, reproduisent un dessin
du xixe siècle montrant le cadavre d'un chef aduma du Gabon exposé assis, le bras
droit levé, le gauche pendant, contre le mur d'une case.
69. L. Degrandpré, Voyage..., 1. 1, p. 152, donne les détails suivants sur la dépouille
d'Andriz Poucouta, « mafouc puis macaye » de Cabinda, mort en 1787 : un an fut
employé à le « paquer » (envelopper de pagnes et de marchandises) et à le pleurer.
Son cadavre enveloppé formait « une masse d'au moins vingt pieds de long, quatorze
de haut, huit d'épaisseur, surmontée d'une petite tête, qui désignait celle du mort ».
M. Briault, Les Sauvages d'Afrique, Paris, 1943, p. 131, donne une gravure
le cadavre d'un « chef », mvoumbi, atteignant déjà en hauteur le double
de la taille humaine (« chez les Dondos de Kimbenza »). F. Cappelle ne dit rien sur
l'empaquetage du cadavre au xvne siècle, mais celui-ci ne se pratique que pour les
chefs et les princes. On peut le remarquer à la fin du xixe siècle dans le haut Ogooués
d'après une gravure extraite de P. Savorgnan de Brazza, « Trois explorations
dans l'Ouest africain », Tour du Monde, 1888, reproduite également dans L. Per-
rois, « Chronique du pays kota (Gabon) », Cahiers O.R.S.T.O.M., série Sciences
humaines, 7 (1970), 2, pi. IL Notre auteur a omis de mentionner ici le fumage du
cadavre ; cf. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 147, et F.
Les Fondements..., p. 169.
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LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
cela le rend comptant [« content »] 70. Il n'y a point d'esprit fort sur
cette matière, n'y d'incrédule et on mépriseroit beaucoup les parents
d'un mort qui ne le feroient pas enterrer avec un luxe proportionné
à ses richesses n. Dans la régie on devroit mettre dans la fosse tout
ce qu'il possède : mais on se permet de cacher le meilleur en sacrifiant
le plus brillant : on entourre les princes de beaucoup de galons et d'étoffes
de soie. J'ai vu plusieurs cadavres à Cabinde parens ou officiers du
mambouk qui n'étoient encore entourés que de pagne. L'interruption
du commerce/[24] depuis l'arrivée des Portugais les avoit privé des
marchandises d'Europe et les premières qu'ils dévoient avoir étoient
destinées d'avance a ces enterrements.
Il sembleroit d'après cela qu'ils croient a un autre vie, mais après
[avoir fait] beaucoup de questions, je n'en ai trouvé aucune trace dans
leur réponse. Ils me disoient fort étonnés comment peut-on savoir
cela. D'autres plus spirituels me répondoient chaque peuple à ses
usages et ils comparoient les leurs au peu qu'ils connoissent de notre
religion 72.
Presque tous les hommes ont une ou plusieurs femmes ; il est plus
difficile de les avoir que de les nourrir, puisqu'elles seules travaillent 73.
Les esclaves étrangères qu'on achette facilitent cette pluralité. La
superstition les porte a croire que si un homme avoit commerce avec
une fille avant qu'elle fut nubile 74, ou même avec sa femme sur l'herbe
ou sur le sable ou autrement que sur un lit élevé au dessus de terre 75,
ce crime attireroit la sécheresse sur le pays./[25] C'est le seul fléau qu'ils
craignent 76, les pluies seules faisant germer les graines qu'ils jettent dans
une terre inculte et sabloneuse. La tirannie attire souvent la ruine des
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