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Revue française d'histoire d'outre-

mer

Un Document sur le Ngoyo et ses voisins en 1784 : l'« Observation


sur la navigation et le commerce de la côte d'Angole » du comte de
Capellis
François Gaulme

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Gaulme François. Un Document sur le Ngoyo et ses voisins en 1784 : l'« Observation sur la navigation et le commerce de la
côte d'Angole » du comte de Capellis. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 64, n°236, 3e trimestre 1977. pp. 350-
375;

doi : https://doi.org/10.3406/outre.1977.2035

https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1977_num_64_236_2035

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NOTES ET DOCUMENTS

Un document sur le Ngoyo et ses voisins en 1784 :


F « Observation sur la navigation
et le commerce de la côte d'Angole »
du comte de Capellis

par
FRANÇOIS GAULME

INTRODUCTION

1) Le comte de Capellis et V expédition française de Cabinda.


D'une ancienne famille d'origine italienne x, Hippolyte de Capellis 2,
entré dans la Marine en 1757 3, participa comme commandant de la
gabare la Lamproie à l'expédition française de Cabinda en 1784.

1. Sur cette famille, voir [Marquis René de Cintré], Les Capellis d'après d'anciens
mémoires généalogiques, Rennes, Simon 1900. La maison des Capelli est originaire
de Capoue. Elle émigra à Venise au ixe s. De la branche de Modène, fondée au
xne s., et traditionnellement attachée au Pape, fut issu Annibal Capello qui, en
1533, suivant Clément VII en France, se maria et s'établit à Carpentras. Cette
lignée française s'éteignit avec Hippolyte de Cappellis en 1813. Le nom fut ensuite
relevé. L'écu est d'or à chapeau de sable, les cordons noués en saut.
2. Hippolyte-Louis- Antoine de Capellis, marquis du Fort (en Gévaudan), né
le 18 août 1744 à Pernes (Vaucluse), décédé à Avignon le 7 janvier 1813 ; fils de
Jean-Antoine-François-Nicolas, marquis de Capellis (1711-1772) qui servit dans la
marine de 1764 à sa mort; frère de Jean-Louis-Gabriel (1762-1779), chevalier de
Malte, qui servit également dans la marine et périt en mer. De son second mariage
avec Mlle de La Billarderie en 1784, Hippolyte de Capellis eut quatre filles. Il
émigra en 1792 et servit en Russie jusqu'en 1800 (contre-amiral en 1799, ordre
de Sainte-Anne la même année).
3. Garde de la Marine le 19 juillet 1757, lieutenant de vaisseau le 14 févr. 1778
il commanda VEpervier en Guinée en 1779 (chevalier de Saint-Louis le 11 juill.
1779), fut lieutenant de vaisseau sur le Duc de Bourgogne pendant la guerre
(1780-83) (membre des Cincinnati, voir à son sujet Combattants français de
la guerre d'Amérique 1778-1783, Paris, 1903) avant de commander la Lamproie
(19 févr. -12 sept. 1784) ; il fut nommé capitaine de vaisseau le 1er juin 1786. (Les
indications qui précèdent proviennent de son dossier personnel (Arch. Marine,
C7 52) et des papiers de famille.)
— 350 —
Rev. franc. d'Hist. d'Outre-Mer, t. LXIV (1977), n0 236.
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FlG. 1.Portrait
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de reproduit
Comte Ilippolyte
l'ordre de avec
Saint-Louis
l'aimable
de Capellis,
et autorisation
d'unmarquis
autre ordre
deduMademoiselle
Fort
qui n'a
(1744-1813),
pu deêtreCapellis,
identifié.
portantà Paris.
les insignes
Fig. 2. — « Plan du—fortArchives
de Cabinde,
nationales,
tel qu'ilColonies,
étoit lorsqu'il
C6 24 se(pièce
renditnonà Mr
numérotée).
de Marigny le 21 Juin 1784 ». V/n)
Fig. 2. — « Plan du—fortArchives
de Cabinde,
nationales,
tel qu'ilColonies,
étoit lorsqu'il
C6 24 se(pièce
renditnonà Mr
numérotée).
de Marigny le 21 Juin 1784 ». V/n)
LE NGOYO ET SES VOISINS EN Î784
En juillet 1783, les Portugais décidaient de contrôler la traite qui
se faisait au nord de l'embouchure du Zaïre. Ils envoyèrent un
dans le port de Cabinda, qui y débarqua des hommes, afin
un fort permettant de contrôler le commerce. Le 22 juillet le
mambouc de Cabinda « arraché » à un bateau français 4 est maltraité
par les Portugais. Il refuse cependant de donner, le 27, l'autorisation
à ces derniers de construire un fort 5. Deux navires marchands de
Nantes 6 qui stationnaient dans le port tandis que leurs capitaines
étaient en pleine traite, furent priés le 28 de quitter la rade dans les
vingt-quatre heures et furent contraints d'abandonner leurs
7. L'affaire prit de l'ampleur lorsque le cabinet de Versailles
considéra les pétitions des armateurs du Havre et de Nantes qui
le tort fait à la traite française (prépondérante sur cette côte) 8.
Une expédition fut décidée, dont on confia le commandement à Charles
Bernard de Marigny 9. L'on arma la frégate la Vénus, ainsi que les
gabares la Lamproie, confiée à Capellis, et Y Anonyme, commandée par
le chevalier du Loup 10. Les instructions royales adressées à Marigny
lui donnaient comme objectifs la revendication du commerce libre
(concurrent) jusqu'à Saint-Paul de Loanda et la destruction du fort
portugais de Cabinda (à moins du maintien de la liberté du commerce
par une déclaration portugaise) u.
Partis de Brest le 29 février 1784, les trois navires firent escale à
ïénérife qu'ils quittèrent le 4 avril pour la « côte d'Angole », par la

4. Arch. nat., Colonies, C6 24, « Mémoire du Sieur Mazois négociant à L'Orient


pour établir les indemnités qu'il est en droit de réclamer envers le gouvernement
portugais, relativement à l'invasion de cette nation à Cabinde lorsque le navire
françois VAffricain, armé par ledit Sieur Mazois y étoit établi pour y faire une
traite des Noirs ». Nous avons également le témoignage de J.-B. Candeau, capitaine
du navire YUsbeck de Nantes, Arch. nat., Marine, B* 267. Nous nous bornons à
citer les archives françaises, mais l'on peut suivre toute cette affaire dans P.
The External Trade of the Loango Coast, 1576-1870, London Oxford, Univ.
Press, 1972, p. 87-91.
5. Témoignage de Candeau, Arch. nat., Marine, B* 267.
6. Les deux navires cités n. 4.
7. D'après l'armateur Mazois, Arch. nat., Colonies, C6 24, « Mémoire... ». Selon
un autre document du même carton, « Extrait de la lettre du Sieur Henry Gayot
Capitaine du navire la Rosalie de La Rochelle dattée de Malymbe le 10e août 1783 »,
« Les deux navires nantais [...] ont permission d'y finir leur traite. » Cependant
Mazois accompagne son mémoire de pièces justificatives ; les deux copies du mémoire
aux Archives (Colonies C6 24 et FIB 2) semblent confirmer sa valeur.
8. Arch. nat., Colonies, C6 24.
9. Charles-René-Louis-Bernard, chevalier puis vicomte de Marigny (1740-1816),
chevalier de Saint-Louis (1775), commande la Vénus de janv. à sept. 1784, major
du Corps Royal le 20 août 1784 ; il reçoit 800 livres le 16 oct. 1784 (sur l'ordre de
Saint-Louis) .
10. Lieutenant de vaisseau ; Arch. Marine, B4 267.
11. Arch. nat., Colonies, F" 2, « Mémoire du Roi pour servir d'instruction
au Sr chevalier Bernard de Marigny, Cap. de Vau commandant la frégate
la Vénus, 23 jr 1784 » (copie, Arch. nat., Marine, B4 267).
- 351 —
FRANÇOIS GAULMB

« grande route » 12. Le 16 avril ils sont à 5° N, le 27 ils passent


C'est alors que, le biscuit gâté par le gros temps à bord de la
Lamproie, Marigny « n'a plus attention qu'a conserver » ce seul
avec sa Vénus. On voit la terre le 6 juin par 12°50' S et 10° 40' 0 1S.
On reprend alors le courant Sud-Nord, passant le 10 juin en vue de
Saint-Paul de Loanda, le 11 à la hauteur du cap Padraô. Le 16,
envoie un canot à Malemba pour avertir les navires marchands
de son arrivée sur la côte. Le 17, suivie de la Lamproie, « le branle-bas
fait », la Vénus arrive tard dans l'après-midi à Cabinda. Une frégate
portugaise stationne dans ce port. Un officier portugais vient dire aux
Français que la rade est interdite aux navires marchands. Marigny
répond qu'il s'agit de bâtiments du Roi désirant faire des
et de l'eau, mais il se place le lendemain de façon à menacer
le port. Il estime qu'il y a environ 600 hommes, dont beaucoup de
Noirs, dans le fort portugais. Le commandant de ce fort vient faire
des politesses à bord de la Vénus, et promet du poisson. Durant la
décisive du 18 juin, des contacts sont établis avec le mambouc
de Cabinda qui promet une aide de 800 hommes aux Français. A terre,
un commerçant français établi à Malemba, de Bauman, seconde les
officiers de marine qui ne sont pas libres de leurs mouvements. Capellis
est chargé de prendre position contre la frégate portugaise. Le 19 au
matin, Marigny fait connaître sa mission au commandant portugais.
Les troupes sont sur le pied de guerre sur la Lamproie et la Vénus.
Il y a négociations et échange de lettres entre les deux parties 14.
A minuit, les troupes débarquent de la Lamproie sur laquelle elles se
sont regroupées. Le 20, la Vénus menace le fort avec ses canons de
bâbord et la frégate portugaise avec ceux de tribord. Le « prince » du
pays prisonnier à bord de la frégate portugaise est libéré et amené
sur la Vénus. Le commandant du fort se rend à midi. Les Français
ayant donc triomphé, les travaux de démolition commencent le 21,
avec quelques égards : « m'étant aperçu que les travailleurs s'occu-
poient d'oter une pierre sur laquelle étoient les armes du Portugal,
j'ordonnai qu'elle fut portée chez M. le Commandant du fort. »
rend également visite au mambouc. Dans les jours suivants, des
difficultés se présentent. En effet, les Portugais ne veulent pas rendre
la Cour de Lisbonne garante de leurs conventions, mais le commerce

12. Les détails qui suivent sont empruntés à Arch. nat., Marine, B4 267, « Extrait
de mon journal de navigation », par Bernard de Marigny, 2 juill. 1784.
13. L. de Grandpré, Dictionnaire universel de géographie maritime, Paris, 1803,
t. 2, p. 432, indique le « cap Nègre » (Baia dos Tigres) comme « [...] l'atterage
des vaisseaux qui veulent arriver par la grande route à la côte d'Angola » ;
il le place avec toutes réserves à 16° 3' S.
14. Voir les copies de ces lettres (19 juin-8 juill. 1784), Arch. nat., Colonies C6 24,
et correspondance complète (avec texte portugais), Arch. nat., Marine, B* 267.
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LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
a repris : trois navires traitent déjà dans le port. L'évacuation totale
des Portugais sur Loanda eut lieu le 8 juillet. U Anonyme, quant à lui,
arriva dans la rade de Cabinda le 27 juin : seules la Vénus et la
participèrent donc véritablement à cette entreprise de
du fort portugais. On peut s'étonner de la passivité apparente
des Portugais, mais ils étaient à bout de ressources, et comme le
le texte que nous éditons, des hommes en garnison à Cabinda
étaient morts de maladie depuis l'établissement du fort.

2) Le texte de V « Observation ».

C'est un manuscrit remarquable par son volume au milieu des autres


documents, relié dans la série du Service hydrographique (fonds ancien)
de la Marine (série cotée JJ), aux Archives nationales, et qui porte
la référence 3 JJ 255, n° 15. Il est constitué de 34 feuillets de 31 X
19 cm écrits recto verso. La marge laissée à gauche occupe
la moitié de chaque feuille. L'écriture très grosse et
est celle d'un copiste que nous n'avons pas identifié. Il y a d'assez
nombreuses ratures et corrections qui sont de la main du comte de
Capellis (nous l'avons vérifié en comparant l'écriture des corrections
avec celle de lettres faisant partie des papiers de famille).
Le titre complet semble annoncer des renseignements d'ordre
d'une part, d'ordre commercial de l'autre. Aussi, n'est-ce
pas sans étonnement qu'en lisant le texte nous avons découvert
des renseignements ethnographiques qu'il contenait. Ceux-ci
proviennent d'observations faites à Cabinda, comme le prouvent les
anecdotes personnelles, ainsi que l'examen du journal de bord de
Marigny qui permet de reconstituer le voyage de l'escadre française.
Le texte étant relativement long, nous avons choisi de n'en présenter
que les trente premières pages (que par commodité nous avons
bien qu'elles ne le soient pas sur le manuscrit) : ce sont elles
qui renferment en effet la partie ethnographique. La suite n'apporte
que quelques renseignements sur des régions par ailleurs bien connues :
Saint-Paul-de-Loanda et Saint-Philippe-de-Benguela. En outre, ce sont
plus des commentaires personnels qu'une information véritablement
neuve. Quant à la partie hydrographique (dont nous avons un exemple
dans le début du manuscrit), elle prend toute son ampleur vers le
milieu du texte. Cela était sans doute fort intéressant, avec de longues
discussions sur les corrections apportées par les Malouins à la carte du
dépôt de 1754, mais très technique. Telles sont les raisons qui nous
ont poussé à ne présenter que la première partie de ce document. Les
informations que nous publions ainsi sont à placer avec celles que nous
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FRANÇOIS GAULME

donne, sur les États de la rive droite du Zaïre, un corpus connu et


apprécié de longue date. Nous voulons parler des documents
de la période 1766-1776, publiés par Mgr J. Cuvelier, en
la relation attribuée à Jean- Joseph Descouvrières (« Relation
de la mission des prestres séculiers pour le royaume de Loango et des
environs », 1770, document n° 8 de la collection Cuvelier), du travail
de compilation de l'abbé Proyart (1776) et du récit de voyage de
L. Degrandpré (1786-1787, publié en 1801) qui a peut-être lu 1' «
» de Capellis, puisqu'il était officier de la marine royale. Les
notes accompagnant le texte que nous présentons ont pour but de
comparer les informations qu'il présente avec celles qui sont contenues
dans les documents que nous venons d'évoquer.
Nous avons conservé l'ortographe du manuscrit, sauf en ce qui
concerne l'emploi des majuscules.
L' « Observation » n'est pas le seul écrit consacré à l'Afrique
par le comte de Capellis. Les papiers de famille conservent des
autographes sur le Sénégal : « Entrée de la Rivière du Sénégal
extrait du journal de M. le comte de Capellis commandant YEpervier
dans l'Escadre du Roi commandée par M. le Mquis de Vaudreuil »,
28 janvier 1779, 4 p., ainsi que quelques feuillets sur le Sénégal (points
effectués, remarques pour des projets de cartes) ; enfin « Copie du
compte rendu au Ministère au retour de la côte de Guinée au mois de
juillet 1779 ». Nous n'avons pas su, jusqu'à présent, rattacher les
de cartes aux documents contemporains et anonymes provenant
du Service hydrographique de la Marine (portefeuille 111), déposés au
département des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale à Paris.
L'originalité et l'intérêt de 1' « observation » ne se trouvent que
renforcés par l'examen des autres œuvres de l'auteur. On appréciera
la fraîcheur d'un style sans apprêt, alliée à cette curiosité d'esprit si
caractéristique du siècle des Lumières qui transparaît à chaque page.
C'est l'avantage d'un document manuscrit sur le volume d'un écrivain
de profession comme Proyart, qui a laissé une œuvre trop littéraire,
et de seconde main.
Nous tenons à remercier le personnel et le chef du service historique
de la Marine, pour nous avoir permis de consulter et d'éditer ce texte.
Nous sommes également très reconnaissant envers Mademoiselle de
Capellis qui nous a très aimablement ouvert les archives familiales.

— 354
LB JVGOYO ET SES VOISINS EN 1784

OBSERVATION SUR LA NAVIGATION


[ET LE COMMERCE] DE LA COTE D'ANGOLE *

[Copie communiquée a M. de Chabert par M. de Capellis


en janvier 1785.]

On se rend d'Europe à la Côte d'Angole par deux différentes routes


qu'on appelle grande et petite 1. La saison devroit régler celle qu'on
doit suivre, cependant par spéculation de commerce, ou différence
d'opinion plusieurs capitaines pratiques de cette navigation prennent
toujours les uns la grande et les autres la petite, sans avoir égard à
la saison ; les navigateurs françois s'accordent moins sur cela que les
anglois et les hollandois qui prennent tous la petite route 2, persuadés
que, même dans la mauvaise saison, ils ne font pas de plus longues
traversées, que par la grande route. Je vais commencer par désigner
la petite route qui est la plus suivie ; je n'en puis parler que par ouï-
dire 3.
Lorsque l'époque du départ d'Europe mène a passer avant le mois
de janvier ou après le mois d'avril la latitude du cap de Palme qui est
de 4 à 5 degrés latde Nord on doit préférer la petite à la grande route ;
les anglois / [2] relâchent souvent à Madère, aux Iles du Cap Verd
ou à leurs Comptoirs de la côte de Guinée au Nord de ce cap, les navires
françois ne relâchent qu'en cas de nécessité, ou manque d'eau, ce qui
est très rare, à moins d'avoir été fort contrarié en partant d'Europe.
Il est bon de rectifier le point à la vue de quelque ile pour être sur
de passer à 20 ou 25 lieues au large du cap de Palme sans en approcher

* Arch. nat., Marine 3JJ 255, n° 15. — Les passages entre crochets sont ajoutés
en marge de la main de Capellis, sauf ceux placés entre guillemets, qui sont d'une
autre main, non identifiée.
1. Distinction classique dans la navigation à voile qui connaissait les deux routes
décrites par Capellis pour se rendre en Afrique équatoriale. Voir dans la même
série des Arch. nat., Marine, 3 JJ 255, n° 1, « Instructions pour la grande et la petite
route ». '
2. Quelques années plus tard, L. Degrandpré, Voyage à la côte occidentale
fait dans les années 1786 et 1787, Paris, 1801, t. 2, p. 1, écrit : « Cette route [la
petite route] est généralement préférée ». La période 1785-1793 correspond à une
très grande extension du trafic négrier français à Cabinda (voir P. Martin, The
External Trade of the Loango Coast 1576-1870, London, Oxford Univ. Press, 1972,
p. 90-91.
3. Nous avons décrit dans l'introduction du texte le voyage de la flottille de
Marigny. Les informations qui suivent sur les îles, puis sur les ports de la côte,
ne sont donc que de seconde main. Les Français arrivèrent à Cabinda par le Sud,
poussés par le courant.
— 355 —
FRANÇOIS GAULME
d'avantage pour éviter les calmes. On trouve par sa latitude [« ce doit
être longitude »] les vents à Ouest et peu de tems après l'avoir dépassée
au Sud, on les trouve au Sud-Ouest ; on tient alors le plus près du
vent l'amure à tribord pour trouver le golfe de Guinée. L'opinion
générale est que les courants portent toujours dans le golfe et qu'on
s'en relève très difficilement quand on y est enfoncé. Les Anglois qui
traitent beaucoup au Bénin, au Galbard et au Gabond, ainsi que les
bâtiments de Nantes, sortent cependant quelquesfois sans beaucoup de
peine ; les navigateurs assurent que les courants varient de leurs forces
et leurs directions ; cela doit être dans le tems des pluies et des/ [3] tour-
nades ; ce sont des grains très violents, ainsi nommés par les
et qu'on éprouve sur toute la côte de Guinée, quand le soleil
approche du zénith. Ils sont accompagnés de tonnerre. Le vent qui
fait le tour de la boussole, force de la partie du S.E. La mer vient
très grosse malgré la pluie qui est extrêmement forte. Après quelques
heures succède le calme et le tems le plus serein avec une chaleur
extrême. C'est ce qu'on appelle la saison des pluies qui dure quatre
mois. Il est naturel qu'après ces grandes pluies les courants portent
moins dans le golphe de Guinée dont ils sont repoussés par les crues
d'eau des grands fleuves et des rivières qui y ont leur embouchure.
La bordée au plus près du vent tribord amures et les variétés de
vent portent les navires qui ne marchent pas très mal au Sud du cap
de Lopes Gonzalve placé sur les cartes du Dépôt environ un degré
de lat.de Sud. Ils passent entre les îles de S*. Thomé et Anobon * plus
près de l'une ou de l'autre suivant qu'ils sont favorisés par les vents
et les courants ou contrariés par les calmes.
S*. Thomé appartient aux Portugais/ [4] ainsi que l'île du Prince.
Les navires de la Côte d'Or, du Galbard, du Bénin et du Gabon ou les
traites sont longues et qui font la même route y relâchent souvent.
Ils y mettent leurs nègres à terre dans de grandes cases faites exprès
et après les avoir soignés et rafraichis pendant un mois, ils en partent
sans avoir fait de grandes dépenses. L'ile est très abondante en fruits,
bestiaux et volailles. Celles d' Anobon est au Espagnols a qui les
l'ont cédée par le traité de 1778. Mais n'en ayant pas pris
avec assez de force, les naturels les ont chassés et sont les maitres.
Quand on approche de cette ile ils remplissent des pirogues de volailles
et de fruit et viennent à bord des bâtiments qui ne sont pas obligés
de mouiller a moins qu'ils ne veuillent de l'eau ou des bœufs. Le
est au nord de l'ile par 6 à 7 brasses fond de vaze à un quart de
lieue de terre devant l'aiguade, ou bien devant un village par 15 brasses.

C6 4.24,Sur
« Des
les Isles
îles Sâo
de Fernandopo,
Tome et Annobôn,
Isle du Prince,
voir en S*particulier
Thomé etaux
Anobon
Arch.», nat.,
anonyme,
Col.,
s.l.n.d., portant au crayon la mention « vers 1780 ».
— 356 —
LE NCOYO ET SES VOISINS EN 1784
Le Pilote cotier anglais à la côte de Guinée parle de deux rochers qui
sont très près de cette ile mais qui paroissent hors de l'eau, il n'y a/
[5] pas d'autre ecueil [« ils sont a la pointe du N »].
Lorsqu'après avoir traversé le golfe de Guinée on atterre à la côte
d'Affrique, on trouve de fortes brises réglées de terre et du large. Celle
de terre règne la nuit et le matin du S.E. au S.S.O. Celle du large vient
vers les 10 hes du matin du S.O. à l'ouest. Le mouillage est bon tout
le long de la côte ; on dit que le cap de Lopès est une fort bonne
5, qu'on y trouve de l'eau excellente dans des étangs au bord de
la mer, ainsi que du bois, beaucoup de poissons et de buffles sauvages.
On peut y traiter de la cire et de l'yvoire. On assure qu'il y a plusieurs
bonnes rades et ports dans les environs, ou l'on pourroit abbatre des
vaisseaux de ligne sur un appareil à terre et que ce seroit un local excellent
pour un établissement européen 6 [mais il n'y a pas de traite de noirs.] 7
L'on profite des brises pour remonter la côte en louvoyant sans
jamais quitter le fond qu'on perd à 7 a 8 lieues de terre par 70 à 80
brasses, on mouille dans l'intervale des brises de manière que quand
celle du large finit on se trouve près de la côte, et vice versa. Quand

5. C'est l'opinion courante au xvme siècle, et les informations données ici sont
confirmées par les documents anciens sur le cap Lopez. Les avantages qu'on lui
trouvait étaient la possibilité de faire de l'eau grâce aux étangs proches du rivage,
ainsi que du bois mais aussi le fait que les habitants avaient meilleure réputation
que ceux de l'estuaire du Gabon, ou de la côte sud jusqu'à Mayumba qui n'était
que très peu fréquentée, et sur qui J. Barbot, An Abstract of a Voyage to the Congo
River or Zaïre, and to Cabinda in the Year 1700, dans A. Churchill, A Collection
of Voyages and Travels, Londres, 1732, t. 5, p. 468, émet l'opinion suivante : « The
Blacks are hère yet more deceitful and treacherous than those of Loango. »
6. Allusion assez imprécise et peut-être inspirée par les récits de Montauban,
Relation du voyage du Sieur de Montauban en Guinée en l'année 1695, Amsterdam,
1698, qui rapporte d'une manière assez confuse et peut-être romancée le naufrage
d'un flibustier français au large du cap Sainte-Catherine et l'hospitalité qu'il reçut
au « royaume du cap Lopez ». Cette côte est fort mal connue au xvine siècle comme
le montrent, aux Arch. nat., Marine, 3 JJ 255, les « Remarques sur la carte en deux
feuilles des côtes occidentales d'Afrique depuis l'Equateur jusqu'au Cap de Bonne
Espérance, dressée au dépôt des Cartes et Plans de la Marine pour le service des
vaisseaux du Roy en 1754 », où l'on peut lire : «... les François fréquentent peu
les Côtes de Congo et d'Angole et je n'ai presque pas de journaux où la navigation
de ces côtes soit détaillée... », puis concernant les cartes hollandaises et anglaises :
« Voici l'exemple d'une variété considérable entre les auteurs, à laquelle on ne
devroit gueres s'attendre du cap Ste Catherine à la rivière du Sette. »
7. En réalité seule la traite régulière et institutionnalisée n'existe pas à cette
époque ; voir L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxm-xxiv, qui écrit, parlant de
la côte entre le cap Lopez et Loango : « On ne touche à ces différentes places que
lorsque le vent et les courans contraires forcent à mouiller vis-à-vis : alors pour
employer le tems que l'on perd à l'ancre, on communique avec les habitans dont
on obtient des vivres et quelques esclaves. » Cette affirmation reprend celles du
négrier nantais Gaugy (Arch. nat., Marine, 3 JJ 255) qui fut un des rares
à fréquenter cette côte dans les années 1760, et qui échangea, dans la chaloupe,
quelques « captifs » dans un village qu'il nomme « Kinamina », au cap

— 357 —
Reo. franc. d'Hist. d'Outre-Mer, t. LX1V (1977), n° 236, 2*
FRANÇOIS GAULME

on éprouve des calmes on porte/ [6] des touées excessivement longues


et par ce moyen de petits bâtiments font encore 2 à 3 lieues par jour.
Les navires partant d'Europe embarquent souvent les pièces d'un
bateau de 30 à 35 pieds de long, ils le montent à bord pendant la
quand ils sont parvenus à la côte, ce bateau expédié en avant
avec quelque marchandise de traite, remonte à la voile et à la rame.
Il précède le bâtiment dans les comptoirs. Ce bateau s'établit dans
celui ou il trouve les meilleurs circonstances. Les ports ou la traite
est concurente 8 pour les François, Anglois et Hollandois, sans aucune
contestation entr'elles, sont au nombre de quatre sur cette côte. Le
plus Nord est Mayombe 9. Les François y traitent peu, les Anglois y
vont plus habituellement, ils en tirent des nègres, de l'yvoire, de la
cire et du bois rouge, semblable à celui de Campeche qu'on emploie
dans les teintures noires [et rouges]. On en traite de pareil au cap
de Monte à la côte de Guinée. Sans doute ce lieu de traite n'est pas
aussi avantageux que les autres, puisque les François/ [7] passent
devant sans s'y arrêter 10 ; peut-être [est ce] aussi parce qu'ils négligent
le bois de teinture plus recherché par les Anglois que par nous ; on y
vent ordinairement les restes des cargaisons mal assorties. On dit que
les traites y sont longues mais que toutes les marchandises médiocres
y passent. Les cargaisons des François sont ordinairement mieux
assorties que celles des autres nations n et ils ne traitent que des nègres
sur cette côte, les autres objets y étant très peu considérables. Les
Hollandois ont donné ce privilège à une compagnie à tant par tête
d'esclave, aussi prenent ils [biffé : « les effets »] [le rebut] des autres.
Les François sont beaucoup plus difficiles dans le choix des nègres
que les Anglois.
8. C'est-à-dire où le commerce est libre, ce que les Portugais tentèrent justement
d'abolir à Cabinda en juillet 1783.
9. Mayumba. La traite des Noirs y fut toujours moins importante qu'à Loango,
Malemba et Cabinda. L'ivoire n'est pas un produit de traite dans ces trois derniers
ports : selon Andrew Battell, dans E. G. Ravenstein, The Strange Adventures of
Andrew Battell in Angola and the Adjoining Régions, Londres, 1901, les gens de
Loango, vers 1600, se procurent de l'ivoire au nord de leur pays (sous la couverture
forestière) à Mayumba (p. 58). Le bois de padouk provenant de Sette Cama est au
xvne siècle vendu à Mayumba. O. Dapper, Description de l'Afrique, Amsterdam, 1686,
le nomme Tacoel (p. 323), transcrivant ainsi le terme tukula qui désigne
chez les Bavili la teinture rouge de bois de padouk (Pterocarpus Soyauxii
Taub., légumineuse-papilionée) . Quant à la cire, c'est un produit de traite courant
à l'époque, de l'estuaire du Gabon à Mayumba.
10. Mépris justifié par l'intérêt exclusif des Français pour les esclaves, et que
traduisent aux Arch. nat., Marine, 3 JJ 255 les « Remarques et observations du
Sieur Baudry, ancien capitaine, sur la carte de la côte d'Angole » : « ... depuis
Loango jusqu'au Cap de Lopez il n'y a que la Baye de Mayambé qui soit fréquentée
et encore ce n'est guerre que par des Anglois » ; ou encore cette formule de
L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxm : « ... On va rarement à la rivière de Mas-
soula, plus rarement encore à la baie de Mayombe. »
11. Voir ci-dessous, n. 30.
— 358 -^
LS NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
Le second port est Louango 12 plus commerçant que Mayombe, mais
beaucoup moins que Malimbe 13 et Cabinde 14 qui sont plus au Sud.
Pendant que le bâtiment remonte ou qu'il est mouillé au large, on
envoyé un canot traiter avec les princes et courtier du pays, on
du prix des Noirs dans les différentes places avant de se décider
pour l'une ou l'autre.
Cabinde et Malimbe sont les lieux ou la traite des nègres est la plus
abondante. Chacun à ses avantages/ [8] différents ; à Malimbe les
navires sont à l'ancre par 12 brasses d'eau, éloignés de deux lieues
d'une terre coupée à pic 15, au bas de laquelle il y a apeine assez
pour établir sur le sable les tentes des tonneliers ; un ruisseau qui
tombe de la montagne fournit avec facilité la meilleur eau qu'on trouve
à cette côte. Les capitaines y employent des nègres enchainés aux
ouvrages de force, les autres sont à bord. Leurs comptoirs sont au haut
de la côte 16 sur une plate forme assez élevée ou l'on monte par un
sentier très rapide et difficile ; ils font entourer à peu de frais par des
murailles de rozeaux les cases pour leurs logemens et marchandises,
des cours pour des bestiaux, ainsi que des jardins avec plus ou moins
de luxe et de commodité. Les marchands de l'intérieur conduits par les
courtiers du pays mennent les esclaves à leurs comptoirs et ils les
envoyent tout de suite a bord des bâtiments quand ils les ont achetés.
L'air est fort sain à Malimbe 17 mais les navires éloignés de terre y
roulent beaucoup. Les esclaves couchés nuds sur les planches / [9]
en souffrent et surtout pendant les rats de marées. Ils sont souvent
très forts, aux pleines lunes la mer grossit sans qu'il y ait de vent, au
point que la communication entre les navires et la terre est interom-
pue et que les canots sont déradés. On n'a pas ce dernier inconvénient
à Cabinde 18.

12. Il s'agit de la baie de Loango, et non de Bwali, la capitale du royaume, l'actuel


Diosso, à quelque km de la mer. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxv, confirme
ce dédain des Français pour Loango : « L'insalubrité du lieu où la traite est établie
à Loango, et la qualité inférieure des esclaves, écartent les vaisseaux de ce port.
Il est peu fréquenté. »
13. Malemba, port du Kakongo.
14. Cabinda, port du Ngoyo.
15. A Malemba, en effet, le rivage est une falaise abrupte. Sur la situation du
port, voir une étude comparée des documents anciens dans P. Martin, The External
Trade..., p. 95.
16. En 1768, des missionnaires français résidèrent à Malemba dans un de ces
comptoirs pendant quelques mois, selon J. Cuvelier, Documents sur une mission
française au Kakongo, 1766-1776, Bruxelles, 1953, p. 48.
17. Ce jugement confirme celui des missionnaires cité par Cuvelier : « ... tout
le monde convient que l'air est beaucoup plus sain à Cacongo et surtout a Banze-
malimbe qu'a Loango ... ».
18. « Le plus joli des trois ports » selon Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxv.
Voir dans P. Martin, The External Trade, p. 95, une description du mouillage de
Cabinda.
— 359 —
FRANÇOIS GAULME

On y est mouillé plus près de terre quand on ne tire pas plus de


17 pieds d'eau et le roulis ne s'y fait sentir que dans les rats de marées,
les terres y étant beaucoup plus basses [au bord de la mer] et
de bois entremêlés de [biffé « : brouillards »] [broussailles]. Les
environs sont fort malsain 19. Les comptoirs sont sur la pointe voisine
des vaisseaux et aportée les uns des autres auprès du local ou les
et beaucoup plus anciennement les Anglois avoient bâti un fort.
Les capitaines ont la précaution de faire élever une case à 10 ou 12 pieds
du sol sur des piquets. Ils n'osent cependant pas y coucher, s'en
à bord le soir 20 ; ils laissent leurs marchandises à terre sous la
garde des nègres qui sont leurs garçons/ [10] de comptoir : le pays en
général et les princes répondent de leur fidélité pour les objets qu'ils
ont en compte ; c'est au point que malgré Fanimosité des nègres contre
les Portugais on crut que le moyen le plus sur de conserver les effets
qu'ils ne pouvoient pas emporter, étoit de les mettre dans l'entourage
d'un comptoir françois à la charge des garçons noirs, comme des
de traite appartenantes aux capitaines.
Les Portugais ont perdu prodigieusement de monde à Cabinde 21
pendant la mauvaise saison et ceux qui n'en sont pas morts étoient en
si mauvais état que depuis trois mois que les pluies étoient finies on
n'avoit pas repris les travaux du fort. Ils avoient mal choisis leur local,
leur établissement auroit été beaucoup plus sain sur la montagne qui
n'est qu'a un mille du rivage. Ils auroient commandés la rade par une
batterie faite au bord de la mer dominée et vue par eux seuls. La dépense
auroit peut être été un peu plus forte mais dans un pais aussi/ [11]
des hommes on ne sauroit trop payer leur santé. Comme
commencé dénotoit un projet tel qu'ils l'ont exécuté à S*
22 et à S* Paul 23, ce que le gouverneur nous a confirmé, ils auroient
[biffé : « rendu l'intérieur inhabitable par la chaleur extrême arrêtant
le vent »] [sans doute dans la suite formé une ville mais en dehors du
fort dont la petite enceinte n'auroit pas été habitable par les mêmes
chaleurs.]

19. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxv, affirme pour sa part : le pays « est


réputé malsain d'après le récit qu'en font les naturels, qui n'aiement pas à voir
les étrangers s'établir à terre. » II est vrai que Degrandpré se montre dans son livre
partisan d'établissements européens sur le continent africain qui mettraient en
valeur le pays et rendraient ainsi la traite négrière inutile.
20. Ibid., p. xxv-xxvi : « [les naturels n'aiment] pas à voir les étrangers
à terre ; en conséquence l'usage veut que les Européens couchent à bord de
leurs vaisseaux. » Capellis pour sa part s'en tient à la crainte traditionnelle chez les
Européens de coucher à terre, pour des raisons sanitaires.
21. Depuis leur établissement en juillet 1783. C'est une des raisons de leur
Voir P. Martin, The External Trade..., p. 90.
22. Saint-Philippe-de-Benguela.
23. Saint-Paul-de-Loanda.
— 360 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
Les navires font de l'eau abondamment dans une rivière à 3/4 de
lieue du mouillage, elle n'est pas très bonne et c'est une besogne très
fatiguante. On prend beaucoup de poisson à Cabinde 24, c'est une
pour les équipages peu nombreux. On ne la pas à Malimbe ou
la mer brise trop pour pouvoir y jetter la saine.
Les avantages de ces deux places étant assez balancés c'est le nombre
de bâtiments qui s'y trouve et l'époque de leur départ qui décide les
arrivants.
Cabinde et Malimbe ne sont que des comptoirs 25 ou les marchands
de l'intérieur mènent les esclaves. Il y en a fort peu au bord de la mer
et ceux qui [biffé : « les »] en ont, les vendent rarement/ [12] II en vient
quelquefois de très loin dont personne n'entend la langue 26. Les nègres
courtiers parlent presque tous françois, anglois et hollandois [biffé :
« C'est »] avec une facilité naturele et bien étonnante, ne sachant n'y lire
n'y écrire même dans leur propre langue. On est étonné de la quantité
de nègres qui parlent françois 27. Le commerce s'y fait avec une bonne
foi qui n'est qu'apparente. Les capitaines avancent des marchandises
aux courtiers 28 qui vont fort loin dans l'intérieur au devant des
d'esclaves et les engagent à venir dans leurs ports, les capitaines
traitent ensuite avec les marchands en précomptant les avances
Comme la totalité du pays en répond, ils ont leurs sûreté et
la fin de la traite ils soldent leurs comptes avec les courtiers, ils
les rendent tous solidaires et retiennent ce que les autres leur doivent.
On a souvent malgré cela des querelles avec eux qui ne viennent pas
toujours par la faute des Noirs : / [13] les principes des Européens

24. Selon le journal de Marigny, Arch. nat., Marine, B4 267, le gouverneur du


fort portugais, ignorant encore les intentions véritables des Français, vient le
18 juillet 1784 faire des politesses à bord de la Vénus et promet de faire porter du
poisson.
25. Contrairement à Loango (Bwali) qui est une capitale. Celle du Kakongo,
Kingele, comme celle du Ngoyo, Mbanza Ngoyo, sont situées dans l'intérieur.
Loango même n'est pas sur le rivage, mais à quelques distance, voir ci-dessous,
n. 31.
26. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. xxvi, indique que la traite de Loango
est « Mayombe, Montéké, Quibangue », celle de Cabinda « Congue, Mondongue et
Sogne ». Comme le remarque P. Martin, The External Trade..., qui consacre un
chapitre (p. 117-135) aux circuits de traite, cela ne veut pas dire que ces esclaves
sont des Bayombe, Bateke, Bubangi, Bakongo du royaume de Congo, ou seulement
du Sonyo, mais que ces peuples ont servi d'intermédiaires dans la traite (p. 123).
Le terme « Mondongue » est très vague et désigne selon elle les individus provenant
des régions les plus éloignées de la côte (p. 132). Ses conclusions, et la carte qu'elle
dresse (p. 116) montrent que les routes de traite s'étendent sur des distances
de la latitude de l'Ogooué à celle de Loanda.
27. Degrandpré a relevé quelques termes de ce français de traite, comme « poi-
gner », réduire quelqu'un en esclavage, privilège des « princes », ou «t paquer »,
envelopper le cadavre d'un notable dans un accumulation de pièces de tissu.
28. Ces avances correspondent à la moitié du prix des esclaves y compris les
pourcentages des chefs politiques ; cf. n. 30.
— 361 —
FRANÇOIS GAtILME

sont qu'on peut les tromper et il est naturel qu'ils adoptent les mêmes.
Ces queréles entrainent quelquefois des manières très menaçantes :
mais elles sont bientôt appaisées par les princes. On leur fait des
et ils en ont tout l'avantage. Ces queréles sont plus fréquentes
à Malimbe qu'a Cabinde ou les Naturels sont plus doux.
Les esclaves de la côte d'Angole sont fort estimés dans les iles de
l'Amérique et surtout les femmes qui sont fort laborieuses 29. Ils coûtent
plus cher que ceux de la Côte de Guinée, mais les traites s'y font plus
vite et les traversées pour l'Amérique étant moins longues que celles
du golfe de Guinée les nègres arrivent moins fatigués. On en perd peu
[biffé : « moins et ils mangent »] [parce qu'ils séjournent] moins long-
tems abord.
Les cargaisons [biffé : « sur »] [pour] la côte d'Angole sont plus
riches que pour les autres parties, on fait de plus beaux présens aux
rois et aux princes en argenterie, galons, étoffes de soie et draps, ce
sont des espèces de droits qu'ils retirent au commencement et à la fin
de la traite 30.
Les rois habitent toujours dans l'intérieur des terres et ne
[14] jamais de leurs habitations. Comme ces peuples sont fort
superstitieux ils attachent une espèce de maléfice à ce que le roi ne
voye pas la mer 31.

29. Ce sont elles en effet qui font traditionnellement les travaux agricoles.
30. Nous avons un bon exemple des cargaisons françaises de l'époque dans
la liste dressée par le capitaine du navire VAffricain qui fut contraint par les
le 28 juillet 1783, d'évacuer le port de Cabinda en abandonnant les
versées d'avance sans pouvoir embarquer d'esclaves. Les Archives
possèdent deux copies du « Mémoire du Sieur Mazois négociant à L'Orient
pour établir les indemnités qu'il est en droit de reclamer envers le gouvernement
portugais, relativement à l'invasion de cette nation a Cabinde lorsque le navire
françois l'Affricain armé par ledit Sr Mazois y étoit établi pour y faire une traite
des
C6 24Noirs.
et Colonies,
Le tout F">
suivant
2). pièces au soutient à la suite de ce mémoire. » (Colonies,
On peut comparer ce document avec l'état de la cargaison du navire le Solitaire,
armé en avril 1782, dans P. Dieudonné Rinchon, Pierre- 1 gnace-Lièvin van Alstein,
Dakar, 1964, p. 359-360. On constate en particulier l'identité des étoffes figurant
dans les deux cargaisons.
Les « coutumes » versées à l'arrivée à Cabinda sont au début du xvme siècle,
selon J. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Paris, 1723,
t. I, p. 1070-1071, caculées par rapport à celles que reçoit le « Roy » : le « Mam-
bouck, premier capitaine ou ministre » reçoit la moitié des coutumes du roi, le
« second capitaine ou lieutenant de la côte qu'on nomme autrement Mafougue »,
la moitié de celles du Mambouck, le « Machingue, autre capitaine », la moitié de
celles du Mafougue. On verse également des coutumes au « Mallambelle, dernier
des officiers du Roy de Cabindo » et au « secrétaire du Roy ». Pour la signification
de ces titres voir n. 47 et P. Martin, The External Trade..., p. 99.
31. Ce qui explique la situation des capitales, voir ci-dessus, n. 25. Une telle
se retrouve sans doute plus au nord, jusqu'au cap Lopez. Selon J. Atkins,
A Voyage to Guinea, Brésil and the West Indies, Londres, 1735, p. 197, les
du cap résident, par crainte, dans l'intérieur. Il semble peu probable qu'une
peur temporaire des pirates, comme le suggère K. D. Patterson, The Northern
— 362 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
La succession de la royauté est attribuée au fils aine de la fille du
roi quelqu'en puisse être le père 32 ; les princesses nées de princesses
ont de très grands droits33; quand elles croyent qu'un nègre a gagné
dans le commerce avec les blancs, elles le demandent en mariage et
l'obtiennent toujours même malgré lui. Il est forcé d'abandonner les
autres femmes pour n'avoir plus de commerce qu'avec la princesse
sous peine de la vie, sur les plaintes qu'elle en porteroit aux princes et les
preuves qu'on en auroit. Aussi sont-ils toujours accompagnés d'un
serviteur de leur femme qui répond de leur conduite à cet égard. Ils
portent une canne a pome d'argent quand ils en ont une et entrent
les premiers dans les habitations. S'ils y apperçoivent des femmes ils

Gabon Coast to 1875, London, Oxford Univ. Press, 1975, p. 33, soit à l'origine du
choix de cette résidence : les documents antérieurs montrent que le « roi du cap
Lopez » n'habite pas le rivage. L'explication d'Atkins nous semble procéder d'une
psychologie étrangère à l'Afrique. P. Van den Broegke, Reizen naar West Afrika
(1605-1614), éd. K. Ratelband, La Haye, 1950, p. 49-50 et 57-58, montre l'amitié
que le roi de Loango lui témoigne en l'accompagnant jusqu'à son entrepôt lors de
son départ en 1610, alors qu'il ne s'était jamais écarté auparavant d'une portée
de mousquet de son palais, et en venant l'accueillir en 1612, ce qu'il n'avait encore
jamais fait. Selon R. E. Dennett, At the Back of the Black Man's Mind, Londres,
1906, p. 105, l'océan est considéré comme un principe actif et mâle par les Bavili,
car c'est de lui que provient la pluie qui féconde le sol, principe passif et femelle.
En prenant garde au rôle de faiseur de pluie attribué traditionnellement au roi
de Loango, l'on comprend que dans ces conditions il ait des précautions particulières
à prendre dans ses rapports avec la mer.
32. Nous sommes dans un système généalogique matrilinéaire. C'est ce que l'abbé
Phoyart, Histoire de Loango, Kakongo et autres royaumes d'Afrique, Paris, 1776,
p. 128, exprime de la manière suivante : « la noblesse ne se communique que par
les femmes » ; L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, est plus précis : « A Cabende,
Malembe, Sogne, Mayombe et Sainte Catherine, le trône est héréditaire » (p. 163).
« Le trône de Loango est électif ; mais il ne peut être occupé que par un prince-né,
et ce prince peut être choisi non seulement parmi tous ceux du royaume, mais
encore parmi ceux de tous les états tributaires » (p. 167). Le terme de « prince »
ou de o princesse » si employé dans les relations de la fin du xvine siècle traduit
l'appartenance à un clan aristocratique. Les membres de celui-ci sont désignés sous
le nom de fumu qui, stricto sensu, indique leur origine : ils descendent des
Buvandji et se différencient à Loango en deux lignages, Konde et Nkata.
Ils font précéder leur nom de la particule Mwe, et se distinguent du commun,
befioti (ce qui a été considéré abusivement comme un nom ethnique, « les Fiots ») ;
voir F. Hagenbugher-Sagripanti, Les Fondements spirituels du pouvoir au royaume
de Loango, Paris, O.R.S.T.O.M., 1973, p. 61.
33. Ibid., id., « princesse », fumu ntchiento. Selon l'abbé Proyart, Histoire de
Loango..., p. 92, « La condition des autres femmes forme [...] le contraste le plus
frappant avec celui des princesses. » L'exemple le plus net du rôle politique très
important joué par une Princesse est sans doute celui de la maconda à Loango,
dont Dapper, Description..., p. 329, fait mention de la manière suivante : « Le
conseil d'état' choisit la plus âgée de race Royale et lui donne le titre de Maconda
c.-à-d. Mère du Roi ou régente du Royaume ... Le Roi ... n'entreprend rien sans
la consulter ... elle pouroit exciter une sédition contre lui. » Cela est à rapprocher
du rôle joué dans tout le Gabon par l'association féminine du Ndjembe, Nyemba,
Nyembi, très crainte des hommes, qui se réfère à une mère-fondatrice appelée
Ngvcakanda, « la Mère Akanda » ; voir A. R. Walker & R. Sillans, Rites et croyances
de» peuples du Gabon, Paris, 1962, p. 239-253.
— 363 —
FRANÇOIS GAULME

avertissent leur maitre de ne pas entrer qu'elles ne soient retirées 3i.


Ces malheureux payent bien cher le vain titre de prince qu'ils ont
acquis par leur mariage. Les lois n'en sont pas à beaucoup près égales.
Indépendamment de la fidélité/[15] qu'ils doivent à leurs femmes et
dont elles ne se piquent pas envers leurs maris 35, etans obligé de fournir
sans cesse à leurs fantaisies, ils sont bientôt ruinés ; alors elles les ren-
voyent pour en prendre un autre. Le répudié n'a pas la permission de
reprendre les femmes qu'il avoit auparavant ; ordinairement elles
garde les enfants qui étant prince et princesse ont les mêmes droits
que leur mère 86. La magnificence des princesse consiste à donner à
ceux qui les entourent et c'est ce qui les ruine 37. Car excepté quelques
coliers de corail, elles ne sont pas plus habillées que les autres qui
n'ont qu'une ceinture de toile et elles vivent de même.
Le roi gouverne peu par lui même 38. Son premier officier qui est
toujours auprès de lui est un de ses parens par les femmes, c'est
le fils d'une sœur de celui qui a occupé cette place. Il s'appelle

34. Le mari d'une princesse porte le titre de Nuni fumu, selon F. Hagenbucher-
Sacripanti, Les Fondements..., p. 61. Les privilèges des princesses ont beaucoup
frappé les auteurs de la fin du xvme s. ; voir J. Cuvelier, Documents..., p. 52, et
Proyart, p. 90-92, qui nous apprend qu' « elles choisissent les plus riches du pays » ;
l'élu se frotte le corps d'huile de palme et se peint en rouge, il fait une retraite
d'un mois dans sa case, en consommant des mets frugaux et en ne buvant que de
l'eau (p. 91) ; L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 113 : le mari d'une princesse ne
doit ni voir ni être vu d'une autre femme que son épouse ; « ainsi toutes les fois
qu'il sort, il est précédé sur son chemin d'une espèce de cloche de muletier, que
l'on appelle Gongon » et à ce signal les femmes disparaissent. En réalité, il y a ici
une allusion à la cloche double ngondji, dont le symbolisme est lié au pouvoir
et qui est agitée en particulier au moment de l'intronisation royale à Loango,
selon F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 81. Quant à la canne
mentionnée dans notre texte, c'est un symbole de l'autorité communément utilisé
en Afrique équatoriale par les messagers ou les représentants d'un chef.
à ce que l'on pourrait croire, les précautions qui sont ici décrites ne proviennent
pas de la « jalousie », au sens que nos contemporains lui attribuent, mais très
de la sacralisation attachée au statut de fumu.
35. O. Dapper, Description..., p. 329, à Loango « plaisant privilège » : « l'époux
de la régente [Makonda] perd la vie [s'il la trompe] , elle peut le tromper. »
36. C'est une conséquence de l'organisation matrilinéaire.
37. La redistribution de ses biens à ceux qui lui sont soumis est un des devoirs
essentiels du chef en Afrique équatoriale.
38. A première vue les informations se contredisent : L. Degrandpré, Voyage...,
t. 1, p. 163, déclare « le roi est maitre absolu, nomme les officiers et les destitue
suivant son bon plaisir. » Tandis que le document n° 8 de J. Cuvelier, Documents...,
p. 48, indique que « quand le roy veut nommer quelqu'un de ses officiers ou qu'il
veut établir quelque loy nouvelle, il convoque une assemblée des grands du pais
les plus voisins du lieu de sa résidence. » Le rôle du conseil assistant le chef se retrouve
dans toutes les sociétés, pyramidales ou segmentaires, du Gabon et du Congo.
A notre sens, cela n'est pas le signe d'une conception démocratique à l'européenne,
mais provient d'un des caractères moraux attachés traditionnellemnt à la
de chef, l'impassibilité, qu'a bien mis en valeur A. Avaro, « La Notion n'Anyam-
biè (Dieu) dans les civilisations claniques du Gabon avant les Blancs », Présence
afrie., 4e trim. 1969, p. 96.
— 364 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
macaï 39. Leur principal revenu provient des droits que payent les
navires et des exactions qu'ils font sur leurs sujets à leur caprice 40.
Ils ont en outre des terres sur lesquelles habitent des espèces de /[16]
qui leurs fournissent ce qu'ils demandent pour se nourrir 41.
Quand ils sont en guerre avec leurs voisins, ils rassemblent un certain
nombre de leurs sujets 42, leurs prêtent des fusils et après les avoir
passés en revue, quelque peu éloigné que soit l'ennemi, ils les mettent
sous les ordres du chef qu'ils nomment capitaine guerre 4S. Ils les
envoyent faire des incursions sur les terrres ennemies et tout ce qu'on
pille, même les prisonniers, appartiennent au roi qui les fait esclaves,
les vend ou les garde. Les princes nés ne vont jamais à la guerre, le
membou 44 qui habitait à une lieue du fort portugais attendait
chez lui ce qui seroit décidé entre les Portugais et nous.
Il avoit envoyé 1 000 hommes 45. Comme l'usage et la force leurs
donnent le droit de mort sur leurs sujets sans forme n'y procès, ils
en ont un incontestable sur leurs richesses et ils en usent

39. Makaka ou Makaga. Selon Proyart, Histoire de Loango..., p. 130-131, [sauf


à Loango et N'Goïo] « le Roi désigne son successeur en le mettant en possession
d'un fief qui ne peut être possédé que par celui qui doit succéder à la couronne.
Ce fief s'appelle Kaïa ; et le Prince à qui le Roi donne l'investiture, quitte ses autres
titres pour s'appeler Ma-Kaïa. » L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 196, indique qu'à
Loango le « Macaye » a le « même emploi que le capitaine-mort » ou encore « soldat-
roi » (p. 182), c'est-à-dire le chef de guerre, alors qu'ailleurs il est « premier ministre »
(p. 196). D'après nos propres recherches, chez les Nkomi du xixe siècle, (ce qui
correspond à la région de « Sainte Catherine » de Degrandpré) le titre d'Akaga
correspondrait au premier ministre du roi Rengondo ; mais il est ambigu, il peut être
attribué au chef de guerre et même au gouverneur d'un territoire comme on le
voit à cette époque dans les lagunes Ngove et Sette Camma. Selon A. Walker,
Notes d'histoire du Gabon, Brazzaville, 1960, p. 53, le chef de clan mpongwè est
assisté lui aussi d'un akaga. Il semblerait donc que ce personnage que l'on retrouve
sur le littoral depuis le Gabon jusqu'au Congo n'ait pas le statut strict de premier
ministre, mais assure simplement ce rôle actif qui est refusé au chef d'où découle
l'autorité ; cf. n. 38.
40. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 190 : « Le roi impose ses sujets comme
il le juge à propos ».
41. Ce sont les « chefs de terre », fumu si, possesseurs d'un territoire clanique (si) ;
voir F. Hagenrucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 62.
42. Il n'y a pas d'armées royales régulières dans les États côtiers et au royaume
de Congo, puisque les documents ne mentionnent rien d'autre qu'une garde d'esclaves
(qui sont donc la propriété personnelle du chef et qui sont rattachés à son clan) :
ainsi le roi de Congo avait une garde d' « Anziques » (Bateke) dont l'origine étrangère
montre la condition servile. P. Martin, The External Trade..., p. 23, s'étonne de
l'absence de documents sur la taille et l'organisation de l'armée à Loango, mais
celle-ci n'existe qu'en temps de guerre.
43. Ou « capitaine-mort » (port, capitâo mor = « capitaine major »), ou « soldat-
roi » ; cf. n. 39.
44. Voir ci-dessous, n. 47.
45. D'après le journal de Marigny, Arch. nat., Marine, B4 267, le Mambouc
800 hommes aux Français.
— 365 —
FRANÇOIS GAULME

Les rois habitent a plusieurs lieues de la mer 46. Il y a un prince/


[17] nommé (mambouck) dans chaque port de traite qui en est le
ou pour bien dire le maitre absolu 47. Le roi qui le nomme à
vie n'est pas toujours le maitre du choix, ce ne peut être qu'un prince
né d'une princesse ; il exige les droits du roi et les lui fait parvenir
comme il veut. Étant le maitre de tout le commerce et courtier lui
même, il acquiert de grandes richesses qu'il accumule toujours pour
le besoin. Il a le même empire que les rois sur ses sujets.
Tous les princes nés s'arrogent le droit de vexer les peuples, mais
comme ils sont soumis aux rois, aux macaïs et aux mamboucks, ils
les en empêchent souvent, sans doute dans l'intention de le faire eux
mêmes. Ces princes nés habitent des terres ou ils sont comme seigneurs,
entourés de plus ou moins de vassaux, qui leur sont dévoués et vivent
à leur dépens ou les font vivre 48. On a pour eux le plus grand respect,
mais on ne leur parle pas a genouil comme au roy, au macaï et au
mambouc 49./ [18] II en coûte peu pour nourrir beaucoup de nègres ;

46. Voir ci-dessus, n. 25 et 31.


47. Marigny évoque le mambouc de Cabinda « qui n'est cependant pas roi mais
Qui en à toute l'autorité. » L. Degrandpré, Voyage..., montre p. 182 que dans les
Etats où la succession au trône est héréditaire (cf. n. 32) l'héritier présomptif, second
personnage après le roi, se nomme Mambouc ; il vient avant le premier ministre
macaï ; p. 196-197, il fait du Mambouc le neveu du roi, qui est son héritier
et qui est plus puissant que lui. Proyart, Histoire de Loango..., p. 130, faisait
du Ma-Kaïa l'héritier présomptif du roi de Kakongo, tout en indiquant, p. 132 :
« personne ne doute, au royaume de Kakongo, qu'après la mort du Roi actuel, la
couronne ne soit disputée au Ma-Kaïa par le Ma-nboukou, Prince qui est au dessus
de lui en dignité et qui le surpasse en puissance. » Notre auteur semble bien avoir
raison, oependant, car les documents anciens nous montrent que pour Cabinda,
par exemple, le mambouc réside dans ce port et non dans la capitale du Ngoyo.
Ainsi, aux Arch. nat., Col., F3 61, on trouve dans les « Instructions pour le voyage
de la côte d'Angolle d'après un voyage fait en 1784 » : ... « traite à Cabinde ... les
principaux courtiers quand j'y étois étoient le manbouq, le mogolf, le manibel »...
C'est sans doute le commerce de Cabinda qui a donné son importance au mambouc :
selon Proyart, p. 133-134, « tout récemment » le prince élu roi s'est battu contre
le Ma-nboukou qui s'était allié au comte de Sogno, son voisin de la rive gauche
du Zaïre ; le Ma-nboukou a fait trancher la tête au souverain, mais le comte de
Sogno s'est alors retourné contre lui. Le 22 juillet 1783, les Portugais débarquaient
à Cabinda et maltraitaient le mambouc (Arch. nat., Col., C6 124, « Mémoires du
Sieur Mazois »...). Il ne faut pas confondre le mambouc avec le mafouc [mafuka)
que l'on trouve également dans chaque port mais qui, comme l'indique
Voyage..., t. 1, p. 199, « n'est pas prince né » : c'est un personnage «
riche » qui joue le rôle d' « intendant général du commerce ».
48. Selon Proyart, Histoire de Loango..., p. 126, « il y a dans toutes les provinces
et dans toutes les villes, un gouverneur pour le roi » ; L. Degrandpré, Voyage...,
t. 1, p. xxvii, remarque: « on retrouve chez ce peuple exactement les mêmes lois
féodales qui existaient chez nous autrefois », tandis qu'il note l'existence de «
» et « gouverneurs » dans tous les royaumes du littoral (p. 182). Sur la noblesse,
voir p. 32 et 41.
49. Indication qui contredit Proyart, Histoire de Loango..., p. 72-73 : « Celui
qui rencontre un homme qui lui est notablement supérieur se prosterne, baisse la
tête, touche la terre du bout des doigts, les porte à sa bouche, et se relevé en bat-
— 366 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
quelques légumes grossiers et du bled d'Inde grillé font toute leur
nourriture 50. La plus grande partie des terres à une lieue de la mer
sont couverte de bois et impénétrable partout où on peut débarquer,
ils les regardent comme leurs remparts contre les Blancs. Il y a dans
l'intérieur quelque champs cultivés par les femmes, elles brûlent l'herbe
et jettent quelque graine dans des trous qu'elles remplissent de terre,
les pluies, qui viennent peu de tems après leurs semences, font germer
ces graines qui produisent abondamment de quoi nourrir les habitans
des villages [biffé : « qui sont quelquefois »] [quoique souvent] très
nombreux.
Il n'y a de bœufs domestique sur la côte d'Angole que ceux que
les Portugais ont transportés dans leurs établissements. Les seuls
sont de mauvais moutons qui ont du poil comme les chiens
et quelques chèvres et cabrits ; les poules et les canards y sont/[19] en
petite quantité 51. L'intérieur doit en être plus fournis que les bords
de la mer. Les Nègres y sont moins paresseux que les habitants des
côtes qui sans cesse occupés du commerce jouissent des avantages
qu'il leur procure et passent la journée à se soûler d'eau de vie et de
vin de palme. Cette liqueur découle d'une incision faite aux palmiers
au bas de laquelle on attache un vaze pour la recevoir. Elle est blanche
comme du lait coupé avec de l'eau, piquante et assez agréable quand
elle vient d'être recueillie : mais quand la chaleur la fait fermenter,
elle perd de sa qualité et devient aigre, elle grise au moins autant que
du vin. Aussi y a t il beaucoup de palmiers autour des villages et ils
sont absolument dévolus aux princes ; cet arbre 52 dont la tige est fort
élevée et les branches peu nombreuses et courtes ne porte pas de fruit.
Ce vin de palme est très bon contre le scorbut.
C'est au commerce des Européens que les nègres doivent la plupart
de leurs vices. Les marchandises qu'ils portent étant devenues
aux princes leur font commetre tous les crimes et ont rendus
tant des mains. La personne qui a été aînsi saluée, fut-ce un Prince ou même le
Roi, ne se dispense jamais de rendre le salut, en faisant un génuflexion, et en
des mains. » Le document n° 8 de J. Cuvelier, Documents..., p. 48, indique
simplement que quand le roi sort de chez lui, « tous les nègres qui le rencontrent
sur son passage se mettent a genoux. »
50. J. Cuvelier, Documents..., p. 50 (document n° 8] : « la nourriture la plus
ordinaire de ces peuples est le mahiaea » (manioc). « Les nègres cultivent aussi du
bled de Turquie, ou grain turc » (millet) ; ... « Ils sèment des pois et des autres légumes
de plusieurs espèces. Ils plantent aussi plusieurs sortes de racines, différentes
du mayaca, et plus saines. Ils plantent beaucoup de pistaches ». Voir Proyart,
Histoire de Loango..., p. 14-28 pour les légumes et les fruits.
51. J. Cuvelier, Documents..., p. 51 : « II y a dans le pays des bœufs sauvages,
des sangliers, des biches et d'autres gibiers en abondance, mais on y élève peu
d'animaux domestiques. Il n'y a qu'un petit nombre de chèvres, de moutons, de
cochons, de canards, de poules, etc. » Voir Proyart, Histoire de Loango.., p. 31-42
pour les animaux.
52. Raphia vinifera.
FRANÇOIS GAULME
le peuple paresseux./[20] La plus nuisible de toute pour eux est l'eau
de vie dont ils boivent et font boire tant qu'ils en ont. Il est d'usage
de la leur donner pure en présent et on la donne avec moitié eau en
payement. Les autres marchandises sont des toiles de différentes espèces
presque toutes des Indes 53, ils les coupent dans toute leur longueur
et s'en font des ceintures fort large qui leur couvre le bas des reins.
Les élégants en font traîner un bout à terre. Ils employent les draps
et l'ecarlate au même usage ainsi que les étoffes de soie, ils appellent
cela des pagnes, ils ne blanchissent jamais celles qui sont de toile
et quand ils les ont portées quelques fois ils les donnent et passant de
subalterne en subalterne, elles finissent par être pourrie. Aussi la mode
n'est pas d'en porter de blanche. Ils n'ont pas d'autre habillement.
Quelques uns portent par luxe des vestes galonnées sans chemises 54.
Le roi lui même va toujours pied nud il porte différentes espèces de
bracelets d'argent 55 ou d'autres métaux, aux jambes, au col, et aux
bras et des coliers de corail de la valeur de 25 à 30 [biffé : « louis »]
[« louis. On leur donne aussi »], des fusils fort mauvais/[21] de la poudre
faible, et beaucoup de grains de verre de différentes formes et couleurs
sans compter toutes les drogues qu'on peut imaginer en petite clincail-
lerie 56. Ils ne donnent en échange que des nègres. Les dents d'elephants
y sont très rares et ne sont pas un objet de traite 57.
La circoncision et la seule trace de mahometisme trouvé parmi les
naturels d'Angole. Ils ne la regardent que comme une précaution de
propreté sans aucun trait à la religion 58. Ils croyent à une être créateur
et auteur de tout. C'est la toute leur théologie, sans culte d'aucune
espèce. Ils ne le prient point 69. Presque tous et surtout les princes et

53. Cf. n. 30.


54. En 1783, la cargaison de Y Affricain comprend des vestes dans les
de traite. Cf. n. 30.
55. Le bracelet est un des symboles de l'autorité royale.
56. Voir les cargaisons du Solitaire (1782) et de V Affricain (1783) Cf. n. 30.
57. Cf. n. 9.
58. La circoncision n'a évidemment aucun rapport avec l'islam. Chez les
du littoral, du Gabon au Congo, elle est une cérémonie toute simple qui se
pratique dans la petite enfance, et qui ne comporte donc pas de rites initiatiques
associés à la puberté. Cela les distingue des gens de l'intérieur comme les Bakota.
Voir A. R. Walker, R. Sillans, Rites et croyances..., p. 163, et F. Hagenbucher-
Sacri-panti, Les Fondements..., p. 46.
59. J. Cuvelier, Documents..., p. 55 (document n° 8) : « Tous reconnoissent un
dieu qui est au dessus de tout, qui a tout créé, et qui gouverne tout ; ils croyent
qu'il a fixé son séjour dans le ciel. » Les Bavili nomment ce dieu Nzambi ; il n'est
pas l'objet d'un culte. Sur cette question capitale, dans le monde bantu, voir, pour
les Bavili, F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 29-31 ; pour le
Congo ancien (discussion de la question), W. G. L. Randi.es, L'Ancien royaume
du Congo des origines à la fin du XIXe siècle, Paris, Mouton, 1968, p. 30-31.
comme Mgr A. Le Roy, La Religion des primitifs, Paris, 1925 (7e éd. ; 1er éd. :
1910), p. 173-198, assimilent le dieu des peuples bantu au Dieu chrétien, d'autres
comme A. Avaro, t La Notion d'Anyambie »... p. 98-100, rejettent avec force
— 368 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
gens riches 60 ont dans leur habitation des figures 61 souvent
grotesquement faites, ordinairement ornées de plumes et
armées ; quelquefois ce sont seulement des flèches, des morceaux de
bois ou de fer 62. Ils les appellent fétiche 63, ils ont beaucoup de respect
pour [biffé : « eux »] [ces espèces d'idoles] et leurs attribuent le pouvoir de
leur sauver la vie et leur porter bonheur dans tous les cas. Ils en portent
sur eux à la guerre 64 et croient que si le fétiche est bon ils ne peuvent
pas être tués. Les princes en sont entourés par la croyance qu'ils ont
ou qu'ils veulent donner/[22] que le fétiche feroit mourir à l'instant
celui qui formeroit le projet de les empoisoner. Il y a beaucoup
fort parmi eux 65 qui n'y croyent pas, ainsi on peut dire qu'ils
n'ont aucune espèce de religion sans être atée.
Ils ont beaucoup de respect pour les morts et leurs funérailles coûtent
beaucoup relativement à l'état du défunt ; ils font d'abord une petite case
peu éloigné de celle qu'il habitoit 66 ; ils commencent par l'enveloper avec

cette solution. Dans tout cela, l'essentiel nous paraît résider dans ce que cet 8 0eoç
n'a pas de culte.
60. A rapprocher de la formule du traitant hollandais Cappelle (1642) sur le
Loango, traduite ainsi par L. Jadin, « Rivalités luso-néerlandaises au Sohio, Congo,
1600-1675 », B. Inst. hist. belge de Rome, 1966, p. 231 : « En somme, plus grand
seigneur, plus grand. magicien. »
61 . Ce sont les Bakisi, « les dieux inférieurs, accessibles aux prières des hommes »,
comme le rappelle F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 30, qui
distingue fortement entre Nkisi si (de la terre), « esprit divinisé de l'ancêtre qui,
le premier occupa et délimita la terre du clan », qui est honoré dans un sanctuaire,
tehibila, par un prêtre, tchintomi, qui est en général le chef de clan, nkasi nkanda
(p. 31), et Nkisi esprit qui frappe et agit en dehors de toute limite géographique
et qui n'appartient pas à un clan (p. 106). Il fait justement remarquer (p. 34) :
« L'ancêtre du clan, honoré au cours de cérémonies publiques, constitue la
religieuse de la distribution du pouvoir et de la bipartition de la société
entre les Fumu (« princes ») et les Fumu si (détenteurs de la terre). » Capellis décrirait
donc ici des Nkisi si.
62. Trait caractéristique des figurines de l'aire que nous étudions. A Paris, le
Musée de l'homme possède de bons exemples à clous et lames de fer, n° 34.173.1
et 92.70.4 (voir reproductions et commentaires dans Sculptures africaines dans les
collections publiques françaises, Paris, 1972, p. 116-117.) C'est une figurine
ornée de clous, la main droite armée d'une flèche, d'aspect très menaçant
et provenant du Mayombé qui nous semble le mieux correspondre à la description
de notre texte : elle est conservée au Musée des arts africains et océaniens de Paris,
sous le n° 66.14.3 (reproduction et description, ibid., p. 124).
63. Expression courante dans le français de traite. F. Hagenbucher-Sacripanti,
Les Fondements..., p. 103, remarque : « les concepts de génie, force magique, fétiche,
charme ont été respectivement employés pour qualifier le Nkisi, dont ils ne livrent
qu'une traduction imparfaite à laquelle nous avons préféré l'emploi du terme verna-
culaire kikongo. »
64. On peut rapprocher notre texte de J. Cuvelier, Documents..., p. 53
n° 8) : « ils portent presque tous quelque petite idole pendue a leur coté. »
65. Mgr Le Roy, La Religion..., p. 58, emploie le terme de « libre-pensée » pour
qualifier le scepticisme individuel qu'il a parfois remarqué en Afrique, mais il
ajoute : « Seulement en certaines occasions, il est telles pratiques qui s'imposent
... il faut s'y soumettre, et la tentation vient rarement de s'y soustraire. »
66. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 143-145, précise que le corps du défunt,
— 369 —
FRANÇOIS GAULMK

des nates faites d'herbes sèches *7 ; elles ne sont propres qu'a cela
encore faut-il les coudre ensemble parce qu'elles n'ont pas plus d'un
pied encarré sans compter la frange. Ils asseyent le cadavre 68 et à force
d'enveloppes ils lui donnent douze ou quinze pieds de tour, en figurant
seulement le buste et les épaules sans bras. Ce ridicule massif est
d'une tête de bois et fort mal faite 69. Quand c'est un grand
seigneur on le conserve ainsi plus d'un an, on l'envelope ensuite de
toile et marchandise de toute espèce autant qu'il peut en avoir ou
que ses parens peuvent en fournir. Le jour marqué pour
ils se rassemblent des/[23] environs souvent au nombre de
milliers ; on fait un creux dans la terre ou on jette cette masse
après avoir tiré beaucoup de coups de fusil, beaucoup dansé et surtout
prodigieusement bu d'eau de vie, autant que le chef du deuil peut en
fournir. Ils crient par intervale des mots qui signifient, pauvre défunt,
ils pleurent et rient en même tems. Quand on leur demande a quoi
bon ces cérémonies et qu'on leur dit qu'il est ridicule de perdre
souvent la valeur de 20 esclaves, ils répondent pauvre défunt

jusque là exposé sur un lit dans sa case, est remplacé par un simulacre « le second
jour ». Il est alors emporté dans une case spécialement construite pour les préa-
rations funéraires. Les auteurs de la fin du xvme siècle décrivent tous les honneurs
funéraires accordés aux cadavres des « princes », ntotila, ou d'une « personne
», mvumbi, que F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 168,
distingue soigneusement de celui d'un « individu de basse condition, tchibayi ».
67. Ibid., id. : « ce sont des pagnes de raphia, nleli ngonbo. »
68. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 146 : le cadavre est placé « la face vers
le couchant, les deux genoux plies légèrement, le pied gauche levé en arrière, le
bras droit tombant allongé, la main droite fermée tournée vers l'Orient, le bras
gauche levé, la main gauche ouverte, les doits séparés et crochus tournés vers
le couchant, comme un homme qui voudrait saisir une mouche au vol. » Au
xvne siècle, le rapport de F. Cappelle (L. Jadin, « Rivalités »..., p. 234) indique
que les cadavres sont exposés assis sur la place du village (ils sont enterrés assis).
A. R. Walker R. Sillans, Rites et croyances..., p. 113, reproduisent un dessin
du xixe siècle montrant le cadavre d'un chef aduma du Gabon exposé assis, le bras
droit levé, le gauche pendant, contre le mur d'une case.
69. L. Degrandpré, Voyage..., 1. 1, p. 152, donne les détails suivants sur la dépouille
d'Andriz Poucouta, « mafouc puis macaye » de Cabinda, mort en 1787 : un an fut
employé à le « paquer » (envelopper de pagnes et de marchandises) et à le pleurer.
Son cadavre enveloppé formait « une masse d'au moins vingt pieds de long, quatorze
de haut, huit d'épaisseur, surmontée d'une petite tête, qui désignait celle du mort ».
M. Briault, Les Sauvages d'Afrique, Paris, 1943, p. 131, donne une gravure
le cadavre d'un « chef », mvoumbi, atteignant déjà en hauteur le double
de la taille humaine (« chez les Dondos de Kimbenza »). F. Cappelle ne dit rien sur
l'empaquetage du cadavre au xvne siècle, mais celui-ci ne se pratique que pour les
chefs et les princes. On peut le remarquer à la fin du xixe siècle dans le haut Ogooués
d'après une gravure extraite de P. Savorgnan de Brazza, « Trois explorations
dans l'Ouest africain », Tour du Monde, 1888, reproduite également dans L. Per-
rois, « Chronique du pays kota (Gabon) », Cahiers O.R.S.T.O.M., série Sciences
humaines, 7 (1970), 2, pi. IL Notre auteur a omis de mentionner ici le fumage du
cadavre ; cf. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 147, et F.
Les Fondements..., p. 169.
— 370 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784

cela le rend comptant [« content »] 70. Il n'y a point d'esprit fort sur
cette matière, n'y d'incrédule et on mépriseroit beaucoup les parents
d'un mort qui ne le feroient pas enterrer avec un luxe proportionné
à ses richesses n. Dans la régie on devroit mettre dans la fosse tout
ce qu'il possède : mais on se permet de cacher le meilleur en sacrifiant
le plus brillant : on entourre les princes de beaucoup de galons et d'étoffes
de soie. J'ai vu plusieurs cadavres à Cabinde parens ou officiers du
mambouk qui n'étoient encore entourés que de pagne. L'interruption
du commerce/[24] depuis l'arrivée des Portugais les avoit privé des
marchandises d'Europe et les premières qu'ils dévoient avoir étoient
destinées d'avance a ces enterrements.
Il sembleroit d'après cela qu'ils croient a un autre vie, mais après
[avoir fait] beaucoup de questions, je n'en ai trouvé aucune trace dans
leur réponse. Ils me disoient fort étonnés comment peut-on savoir
cela. D'autres plus spirituels me répondoient chaque peuple à ses
usages et ils comparoient les leurs au peu qu'ils connoissent de notre
religion 72.
Presque tous les hommes ont une ou plusieurs femmes ; il est plus
difficile de les avoir que de les nourrir, puisqu'elles seules travaillent 73.
Les esclaves étrangères qu'on achette facilitent cette pluralité. La
superstition les porte a croire que si un homme avoit commerce avec
une fille avant qu'elle fut nubile 74, ou même avec sa femme sur l'herbe
ou sur le sable ou autrement que sur un lit élevé au dessus de terre 75,
ce crime attireroit la sécheresse sur le pays./[25] C'est le seul fléau qu'ils
craignent 76, les pluies seules faisant germer les graines qu'ils jettent dans
une terre inculte et sabloneuse. La tirannie attire souvent la ruine des

70. Chez les Mitsogo du Gabon, on vérifiait également à certains signes


de la palme qu'il tenait dans la main) si le mort était content des cérémonies
funéraires, selon A. R. Walker R. Sillans, Rites et croyances..., p. 112.
71. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 148 : « plus un mort était riche, plus on
le paque. »
72. J. Cuvelier, Documents..., p. 55, (document n° 8) : « Les habitants de Cacongo
et de Goio ont quelque idée de la religion chrétienne, à cause de la proximité du
royaume du Congo ou la foy a été établie par des missionnaires portugais depuis
plusieurs siècles. D'ailleurs il y a a Cacongo et a Goio quelques habitants qui ont
passé quelque temps en France, ou ils ont été instruits et baptisez. » En 1784, les
tentatives missionnaires françaises au Loango et au Kakongo (1766-1776) étaient
abandonnées, s'étant achevées par un échec.
73. Ibid., p. 51 : « Les femmes sont chargées de labourer la terre, de faire la
cuisine, de servir leur mari a table ; elles ne mangent jamais avec luy, elles luy
parlent et le servent ordinairement a genoux ».
74. Même remarque chez O. Dapper, Description..., p. 325, qui précise que la
loi exige que « le coupable vienne se justifier devant le Roy de Loango et toute sa cour ».
75. Le lit est connu au Congo ancien avant les Européens ; voir W. G. L. Randles,
L'Ancien royaume..., p. 82.
76. Le roi est chargé de faire tomber la pluie à Loango. Selon Proyart, Histoire
de Loango..., p. 120, il se décharge de cette tâche sur un de ses ministres à qui « ij
donne l'ordre de faire tomber sans délai » la pluie.
— 371 -r-
FRANÇOIS GAULME

particuliers industrieux dont les richesses sont enviées des princes ou


de leurs serviteurs [biffé : « par un crime supposé »] [qui leur supposent
des crimes] ".
Quand une fille a pour la première fois des marques de puberté,
elle s'enduit le corps, la tête et les mains avec le suc du [« ne »] racine
fort rouge 78. C'est un avis aux [biffé : « amateurs »] [épouseurs]. Elles
conservent cet usage quand elles son mariées tant que les marquent
subsistent et se rougissent à toutes les périodes 79. Les mariages se
font avec moins de cérémonies que les enteremens. Un homme qui
veut épouser une fille libre, la demande à ses parents, qui l'accordent
si elle y consent. Le prétendant donne alors une pièce de toile bleue
au père comme s'il l'achetoit réellement et elle est censée son esclave.
Les parents la mènent à la case de son mari et l'y laissent. Elles sont
ordinairement épouses fidèles, après avoir été toute/[26] très
ayant la dessus toute licence avant le mariage ; elles en usent
sans que cela leur fasse tort mais si elles sont surprises en adultère,
le mari peut les vendre et il le fait 80. La première femme a toujours
de la prépondérance dans la maison et une sorte de commandement
sur les autres, et les maris par goût ne donnent pas la préférence aux
plus jeunes. Beaucoup de nègres ont quatre à cinq femmes et bien
peu n'en ont qu'une ou deux. Les princes en ont souvent trente ou
quarante. Ils sont très jaloux et l'usage n'étant pas de faire des eunuques,
le mari seul a le détail de son sérail. Les femmes se gardent
ne sortant jamais que plusieurs ensemble, pour aller travailler
à la terre, chercher du bois, ou de l'eau. Elles n'entrent jamais le jour
chez le prince et n'y viennent que quand il les fait appeler la nuit.
Rarement il va dans leurs cases. Ses plus intimes favoris ne lui parlent
jamais d'elles, ni de rien qui ait trait aux femmes. Le mambouc de
Cabinde étant malade, un chirurgien françois/[27] dit à ses serviteurs
que ses remèdes n'agiraient pas s'il voyait ses femmes. Ils répondirent
ne pas pouvoir lui dire cela et le chirurgien s' étant chargé de
l'ordonnance, ils le prièrent de ne pas le dire devant eux et
d'attendre d'être seul avec lui, ce que fit le chirurgien des qu'ils furent
sortis. Le mambou se retourna avec humeur sans parler pendant
tems 81. Les nègres qui vont faire une visite au mambouc ou princes

77. Ce sont des accusations de sorcellerie. Voir sur ce sujet, F. Hagenbucher^


Sacripanti, Les Fondements..., p. 169-190.
78. Tukula (cf. n. 9). Ce sont les rites de puberté correspondant à la période dite
de tchikumbi ; voir F. Hagenbucher-Sacripanti, Les Fondements..., p. 35-46.
79. Selon Proyart, Histoire de Loango..., p. 87-88, une fiancée doit se peindre le
corps en rouge pendant une période d'environ un mois précédent son mariage.
80. J. Cuvelier, Documents..., p. 52 (document n° 8) : « Le vol et l'adultère
sont punis de l'esclavage. »
81. Ces coutumes s'expliquent sans doute par le rôle de faiseurs de pluie qu'il
— 372 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
doivent avoir une peau de chat pendante à la ceinture entre les cuisses
outre les habillements, et cet oubli serait un crime capital. Ses
et officiers sont de même et comme ils habitent toujours chez
lui, ils ne peuvent pas avoir leur femme dans le village et si ils y avoient
commerce avec elles ce seroit un crime 82. [Ils vont les voir a une lieue
au moins].
Leur code criminel n' entraine pas de lenteur, les rois, les mambous
et macaïs ayant le droit de tuer tout de suite et sans appel n'y procès
suivant leur caprice. Ils en usent cependant très rarement et ils aiment
mieux se faire donner un ou deux esclaves s'ils peuvent les avoir de
celui qui a fait un crime vrai ou suposé. Quand un Blanc et un Noir/
[28] ont querelle, si le Blanc fait du sang au Noir, il est obligé de
la valeur d'un esclave, et le Noir dans le cas contraire est esclave
ou en donne un à sa place. Aussi on se querelle beaucoup, on bat même
les Noirs, mais avec précaution.
Quand ils ont entr'eux des procès ou autres affaires, il viennent les
exposer au manibanse 83 du prince sous lequel ils vivent et les officiers
du mambouk et lui jugent sans appel ; souvent le prince lui même juge
assisté d'eux 84. J'ai vu juger une affaire de vétille pour laquelle on
me dit qu'il y auroit à parler au moins six heures. On boit de l'eau
de vie de tems en tems, ou du vin de palme et on recommance à parler
les uns après les autres et avec beaucoup d'ordre 85.
Il n'y a point de lieux de traite au Sud de Cabinde qui soient
entre les nations. Les Portugais n'ont revendiqués la possession
faut accorder, d'après notre texte, non seulement au roi de Loango, mais aussi
aux « princes », fumu (cf. n. 32).
82. En raison de la présence princière (cf. n. précédente). Le prince ne quitte
pas sa résidence (cf. n. 31).
83. L. Degrandpré, Voyage..., t. 1, p. 203 : le « manibanze » s'occupe de « tout
ce qui regarde les coffres du roi. » En réalité, d'après son nom, sa fonction doit être
plus vague ou mieux plus difficile à définir pour un esprit européen : le banza, mwanza,
bandja est la « salle d'audience », la « case à palabres » qui est aussi, dans une région
s'étendant de l'ancien royaume du Congo jusqu'à l'estuaire du Gabon, un lieu de
culte (culte des ancêtres, associations initiatiques) destiné aux cérémonies publiques.
Les anciens voyageurs ont souvent par erreur fait de banza un synonyme de « ville »
(voir par exemple J. Cuvelier, Documents..., p. 49) ; c'est en fait l'édifice dans
lequel s'affirme publiquement l'autorité d'un chef. Le manibanza nous semble donc
plutôt une sorte de porte-parole, personnage essentiel dans les usages politiques
africains qui veulent que les chefs ne s'expriment pas et même n'agissent pas
C'est de la sorte que l'on peut expliquer que le « manibanse » de notre texte
reçoive les plaintes judiciaires.
84. Dans les sociétés traditionnelles du Gabon et du Congo, l'une des
essentielles du chef est de juger. On lui prête, en effet, de par sa
un pouvoir surnaturel qui lui permet de reconnaître les « sorciers » qui agissent
constamment dans l'ombre. Il juge lui-même les affaires les plus délicates, mais
toujours entouré de son conseil.
85. J. Cuvelier, Documents..., p. 49 : ... « souvent on en appelle devant le
roy qui les juge luy mesme après avoir entendu les parties plaider leurs causes
par des discours souvent fort longs, sans que l'un ose interrompre l'autre. »
— 373 —
Rev. franc, d'hist. d'Outre-Mer, t. LXIV (1977), n° 236. 25
FRANÇOIS GAULME

de toute la côte qu'en 1783. Ils avoient l'air de croire auparavant,


que leur exclusive finissoit au fleuve du Zaire et se contentaient de
temp à autre /[29] de chasser des corvettes et bateaux que les navires
en traites à Malimbe et à Cabinde envoyoient au bas de la rivière de
Loze ou Ambris, y achetter quelques esclaves. Ils ne commettoient
pas de vexation assez forte pour que les capitaines et armateurs s'en
pleignissent au Ministère, au moyen de quoi il n'y avoit pas eu
entre les cours avant la dernière guerre.
Les Portugais prétendent que le Royaume d'Angole 86 leur
en entier. Ils lui donnent pour limites les établissements hollan-
dois qui sont au Nord du cap de Bonne Espérance, et le cap de Lopès
Gonsalve que la carte du Dépôt de 1754 place par 50' mtes de latde
Sud. Ils ne fréquentent cependant pas la côte au dessus du cap Nègre,
non plus que les autres nations. La France prétend que l'exclusive
des Portugais commence au Nord du cap Nègre à la baye Rouge située
par 13 dégrés 30' mtes Nord 87 et qu'elle finit à la rivière de Bengo située
à 4 1. au Nord de S* Paul de Loango 88, par 8° 40' Sud. Les Portugais
pour assurer leur prétention avoient commencé un fort à Cabinde dont
le projet à moitié exécuté étoit très considérable ; les nègres du pays
s'y étant inutilement opposés s'étoient retirés dans leurs bois/[30] et
se contentoient d'assassiner les Portugais pour peu qu'ils s'éloignassent
de leur retranchement. Après avoir fait et fini leur établissement à
Cabinde, ils se proposoient d'en faire un à Loango et par le moyen
de quelques corvettes armées, empêchant les navires d'aller à Malimbe,
ils auroient été unique possesseur de tout le commerce de cette côte,
ce qui auroit fait diminuer le prix des esclaves ce que les Nègres vou-
loient éviter par la concurrence.
Il y avoit cependant bien peu d'apparence que la France renonçât
sans y être obligée à [biffé : « 18 »] 8 ou [biffé : « 20 »] 10 mille esclaves 89
qu'elle en tire annuellement pour ses colonies qui en auroient manqué.
On estime a ce nombre la traite de cette côte faite par 50 à 60 batimens
du Havre, S* Malo, Nantes, La Rochelle et quelques Marseillois. Celle
des Anglois ne va tout au plus qu'à la moitié et celle des Hollandois

86. Cette expression ne correspond à aucune réalité contemporaine sur le littoral


africain. La « côte d'Angole » désigne ici une succession d'États côtiers indépendants
incluant la colonie portugaise d'Angola.
87. Lire : « Sud ». Le cabo Negro correspond à l'actuelle Baia dos Tigres (16° 50' S.),
au-dessus de l'embouchure du rio Cunene, délimitant la frontière de l'actuel Angola
avec la Namibie.
88. Lire : « Loanda ».
89. P. Martin, The External Trade..., p. 86, estime à 10 000 à 15 000 esclaves
par an la traite française, vers 1780 (selon les commerçants français). Les
anglais suggèrent une traite de 13 000 à 14 000 esclaves par an, pour
des nations européennes, dans leurs échanges avec les trois États de Loango,
Kakongo et Ngoyo.
— 374 —
LE NGOYO ET SES VOISINS EN 1784
ne va pas à moitié de celle des Anglois, aussi la France atelle été la
première a s'opposer aux projets des Portugais. La démolition des
ouvrages qui lui ont coûté beaucoup donnera la facilité de laisser le
commerce sur l'ancien pied. [...]

[Suivent 19 feuillets de même format que les précédents, dont le


contenu repose sur les observations faites par la Lamproie le long de
la côte, jusqu'à Saint-Philippe-de-Benguela, puis, au retour 90, sur
Saint-Paul-de-Loanda et l'embouchure du Zaïre. En dehors de remarques
hydrographiques d'une grande précision, ces feuillets ne contiennent
que de brèves indications sur les établissements portugais et les
du Zaïre, que l'auteur n'a pas rencontrés. Le rapport se termine
par quelques pages consacrées au climat de la côte.]

90. En ramenant à Saint-Paul-de-Loanda les Portugais évacués sur les gabares


françaises.

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