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L'Homme

B. Biebuyck, The Arts of Zaire. I : Southwestern Zaire ; II : Eastern


Zaire. The Ritual and Artistic Context of Voluntary Associations
Luc De Heusch

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De Heusch Luc. B. Biebuyck, The Arts of Zaire. I : Southwestern Zaire ; II : Eastern Zaire. The Ritual and Artistic Context of
Voluntary Associations. In: L'Homme, 1988, tome 28 n°105. La fabrication mythique des enfants. pp. 130-132;

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130 Comptes rendus

sous-développés un autre ordre inspiré du modèle oblatif — perspective qui préside aux
divers plans d'assistance et de coopération — méconnaît les fondements mêmes du don, qui
n'est jamais gratuit : la règle du don est fondamentalement loi d'échange d'une perte.
Denise Paulme
EHESS, Paris

Daniel Biebuyck, The Arts of Zaire. I : Southwestern Zaire. Berkeley-Los Angeles-London,


University of California Press, 1985, 313 p., bibl., index, 100 pi., 1 dépl. h.t.
— The Arts of Zaire. II : Eastern Zaire. The Ritual and Artistic Context of
Voluntary Associations. Id., 1986, xiii + 314 pi., append., bibl., index, pi.

Le premier volume de The Arts of Zaire est un guide bibliographique exhaustif des
populations du sud-ouest du Zaïre. Mais cette érudition extraordinaire ne nous aide guère à
mieux saisir le processus artistique en tant que tel, ni même l'insertion des œuvres d'art dans
la société. Après un premier chapitre consacré aux documents, l'auteur passe en revue
diverses classifications et analyses stylistiques proposées par ceux qui l'ont précédé, en
commençant par le pionnier des études d'esthétique africaine, Frans Olbrechts. Il aborde
ensuite, sans que l'on sache trop bien pourquoi, la description ethnographique des sociétés
concernées. Cette accumulation de données, plus ou moins arbitrairement retenues, déroute
le lecteur plus qu'elle ne l'instruit. Aucune analyse en profondeur n'est proposée et les
rapprochements sont parfois dilatoires.
Par exemple, la société initiatique mungonge, que l'on retrouve chez les Pende,
appartient à l'horizon culturel lunda et s'articule avec une cosmologie complexe qui n'est
discutée nulle part. Cette institution est mise sans raison sur le même pied que le culte des
nkita que l'on rencontre dans la partie occidentale de la région étudiée (les Suku-Yaka) et
qui caractérise l'ensemble de l'aire kongo. Or, c'est seulement en considérant le système
symbolique propre à cet ensemble culturel que l'on comprend pourquoi, chez les Yaka,
l'initiation aux nkisi nkita empêche les femmes de mettre au monde un albinos ou un enfant
ressemblant à un Pygmée (p. 66). Ce chapitre descriptif rassemble de manière hétéroclite des
informations relatives aux aerophones, au mariage des cousins croisés ou aux déformations
dentaires. A cet égard il constitue certes un catalogue utile, mais l'auteur ne tente jamais de
reconstituer les ensembles socio-religieux qui donneraient sens aux œuvres.
Celles-ci sont décrites au long des chapitres suivants. L'aire appelée « sud-ouest du
Zaïre » correspond en gros à la zone stylistique du Bas-Congo proposée jadis par Olbrechts
dans Plast iek van Congo (1946). Mais, à vrai dire, Biebuyck traite plus particulièrement de
l'une des trois sous-régions isolées par Olbrechts, l'aire du Kwango. Il souligne les
nombreuses imperfections de cette classification puis examine rapidement les travaux de
A. Maesen et J. Cornet, mais sans proposer aucune vision nouvelle. Il se contente de noter
qu'« un style tribal n'est pas nécessairement distribué de manière uniforme dans l'univers
tribal » et que « plusieurs styles, associés à des cadres institutionnels différents, peuvent
coexister dans un groupe tribal » (p. 97). Il note aussi à juste titre qu'un même style peut
appartenir à plusieurs ethnies distinctes. Mais il ne développe aucun de ces thèmes.
Biebuyck nous livre ensuite un catalogue régional aussi complet que fastidieux, référence
indispensable pour les collectionneurs d'art africain qui y découvriront de nouvelles sources
d'information. Les reproductions, malheureusement, ne montrent le plus souvent que des
pièces de médiocre qualité. On déplorera aussi l'absence de cartes qui ne facilite guère la lecture.
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Le second volume, consacré au Zaïre oriental, étudie tout d'abord la culture lega dont
l'auteur est le spécialiste incontesté. Institution centrale, la société initiatique bwami, qui
admet les femmes comme les hommes, a produit de savoureuses figurines en ivoire, en bois
et en os, aux traits fortement schématisés. Ces sculptures (généralement minuscules),
manipulées durant les rites, comprennent des figurines anthropomorphes et des masques, des
figurines zoomorphes, quelques rares figurines combinant des traits humains et animaux,
mais aussi une foule d'objets manufacturés tels que cuillères, sceptres, marteaux, canots
miniatures, etc. Elles sont présentées et commentées au cours de représentations dramatiques
qui comportent des danses et des chants énonçant sous forme d'aphorismes les
caractéristiques morales propres aux objets. Ce discours imagé, d'une importance sociale
considérable, est appelé « les mots du pays ». Chaque figurine évoque un trait humain, un
animal particulier, une idée ou un principe, mais ces significations varient selon le contexte
rituel, la danse et la configuration des objets. L'exhibition et la transmission de ces objets
constituent l'aspect essentiel des cérémonies du bwami. Ils sont chargés de sens, mais ne
représentent ni des ancêtres ni des esprits.
La deuxième partie est un examen systématique des figurines anthropomorphes. Ces
statuettes, de taille variable, font l'objet de commentaires à caractère éthique qui servent à
renforcer l'ordre social ou à illustrer la philosophie lega, commentaires accompagnés d'une
longue liste de leurs dénominations. Des figurines de même nom, mais pas nécessairement de
même forme, se retrouvent dans l'ensemble du pays lega. Ce nom apparaît généralement
dans l'aphorisme associé à la sculpture. Il est intéressant de noter que ni la société bwami ni
les objets qui en constituent le cœur rituel ne se réfèrent à un contexte mythologique, les
figurines tenant lieu en quelque sorte de substitut du mythe. C'est ainsi qu'une double
statuette Janus (à quatre têtes) sans bras « représente » Wasakwa nyoma (fig. 23), « celle
qui a de [beaux] tatouages sur le corps », personne âgée, jadis belle mais aujourd'hui
décrépite dont il est honteux de se moquer. Le texte exégétique fait aussi allusion à une
épouse favorite devenue prétentieuse et arrogante. On croit comprendre que la double figure
de Janus sans bras évoque ces deux transformations, mais l'auteur ne nous éclaire jamais sur
le rapport de la forme et du sens. Celui-ci apparaît le plus souvent arbitraire et lié au
contexte rituel.
Les figurines zoomorphes (3e partie) représentent notamment le pangolin géant, héros
culturel — une exégèse complexe entoure cet animal que protège un interdit de chasse
rigoureux — , mais aussi le crocodile, la loutre, le caméléon, le serpent, la grenouille,
l'éléphant, le chien, etc.
La quatrième partie est consacrée aux masques sculptés dans l'ivoire, l'os ou le bois qui
connaissent un grand développement dans le centre et le sud du pays lega. La langue lega
distingue cinq types de masques, mais on voit mal comment ils constituent des catégories
« sémantiques ». Notons seulement que les deux premières catégories comprennent les
masques de petite taille et les trois autres les grands masques, objet d'une appropriation
collective. Parmi ces derniers, ceux à figure blanche, dits Kayamba, sont placés sur la face,
le porteur étant drapé dans un manteau d'écorce de même couleur ; ils sont manipulés par
les instructeurs. Les grands masques Idimu en bois sont portés sur la face ou sur le côté du
visage. Les rares masques en ivoire de cette catégorie ne sont jamais portés et sont associés
au grade supérieur kindi.
Après avoir brièvement examiné d'autres sculptures (5e partie) représentant des
instruments ou des outils, voire des phallus, l'auteur termine ce copieux ouvrage par un
aperçu de la diffusion de l'institution du bwami dans les régions périphériques (Bembe,
Kanu, Konjo, Kwame, Leka, Komo, Zimba, Mitoko, Lengola). Il faut avouer que le lecteur
perd rapidement pied dans ces descriptions minutieuses d'objets et de rituels, qu'aucune idée
directrice ne semble animer.
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Guide précieux, le livre nous laisse cependant dériver au fil d'une institution initiatique
présentée de manière quelque peu désordonnée.
Luc de Heusch
Institut de Sociologie
Université Libre de Bruxelles

Anthony D. Buckley, Yoruba Médecine. Oxford, Clarendon Press, 1985, xi + 275 p.,
append., bibl., index, fig.

Voici un livre exemplaire sur le savoir empirique que possèdent un ou plusieurs médecins
traditionnels du pays yoruba (Nigeria occidental). Que l'auteur ne puisse trancher entre le
caractère idiosyncrasique ou partagé de ce savoir est dû à son caractère ésotérique et à la
complexité de son enseignement : Buckley n'a pu l'acquérir lui-même de manière aussi
approfondie que par apprentissage auprès d'un maître unique, ce qui n'entache nullement la
qualité de l'ouvrage. L'auteur a cependant le sentiment que le savoir médical est toujours très
personnel, partagé par les spécialistes quant à ses prémisses les plus générales seulement :
bien des systématisations transmises par son maître semblent lui appartenir en propre.
Cela ne veut pas dire que chaque médecin traditionnel dispose d'un savoir original, mais
plutôt que, le savoir s'acquérant au cours d'un long apprentissage, des lignées de transmission
distinctes se créent, « enseignements » qui se perpétuent parallèlement de génération en
génération, contribuant ainsi à maintenir en pays yoruba la diversité de l'expertise médicale.
Il est sans doute tout à l'avantage du patient, la réussite du traitement demeurant aléatoire,
qu'il puisse ainsi se tourner successivement vers des praticiens dépositaires de savoirs
différents ; il n'en va pas autrement chez nous. On pense aussi aux populations dont la survie
à long terme dépend du maintien en leur sein d'un patrimoine génétique varié.
La maladie n'est qu'une des manifestations du malheur conçu comme ce qui prive de ses
forces la personne atteinte ; mais l'impuissance, les peines de cœur ou les revers de fortune
appartiennent au même ensemble. La nosographie distingue les maladies selon l'âge et le
sexe (homme, femme, enfant) et la partie du corps affectée. L'étiologie retient, parmi les
agents pathogènes, l'action des sorciers, 1'« empoisonnement », l'action du dieu (oricha), de
la variole Chonponno, et les insectes qui pénètrent dans le corps (leur présence ne déclenche
la maladie qu'en cas de prolifération). La sémiologie joue sur le rapport réciproque des trois
couleurs, noir, rouge et blanc : la santé correspond au mélange équilibré du blanc (le
sperme, le lait) et du rouge (le sang) dans l'enceinte que détermine le noir (la peau) ; la
maladie correspond à toute autre combinaison : apparition du blanc et du rouge en surface,
changement dans la couleur habituelle (sang devenant noir, lait devenant rouge, etc.). La
pharmacopée comprend des décoctions, des prières, des « paroles fortes » (èpè) et des
incantations empruntées au corpus interprétatif de la divination inspirée par Y oricha Ifa.
C'est à partir de ce schéma assez simple que chaque médecin se construit un savoir
synthétique combinant ce qu'il a acquis par apprentissage et expérience personnelle. Une
méthode se bâtit à partir de sous-systèmes dont Buckley souligne qu'ils ne sont pas
nécessairement compatibles mais constituent autant d'alternatives qui se chevauchent
partiellement. La cohérence se reconstitue dans la pratique, dans l'entêtement thérapeutique
pouvant pousser à sacrifier les principes jusqu'à ce que la guérison soit obtenue. Encore une
fois, rien qui doive surprendre, mais cela cadre mal avec ce que nous préjugeons d'une
médecine traditionnelle : Buckley insiste en particulier sur le fait que l'aspect psycho-

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