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LES AUTRUCHES

par

J. DELACOUR

D'après les recherches les plus ré­ allongées, larges et souples ; à leurs
centes, il est généralement admis que vastes ailes qui forment éventails.
la classe des oiseaux se divise en deux Les véritables Autruches ont la tête,
sous-classes : les Archéornithes, éteints, le cou et les cuisses à peu près nus,· 1a
et le& Néornithes. Parmi ces derniers, queue bien développée et deux doigts
on peut reconnaître quatre superordres : aux pattes. Les Nandous, au contraire,
les O_dontognathes, éteints, pourvus de ont la tête, le cou et les cuisses emplu­
dents;_ les Paléognathes (Coureurs) ; més et possèdent trois doigts ; mais ils
les 1mpennés (Manchots), et les Néo ­ manquent complètement de queue et
gnathes, èes derniers comprennent l'im­ leur taille est de moitié moins grande.
mense majorité des ordres actuels. Ces quelques indications, ajoutées
Les Coureurs comprennent quatre aux photographies ci-contre, permet­
ordres bien particuliers : les Autruches tront à tous de se rappeler l'aspect de
(Struthioniformes), les Casoars (Casua­ ces grands oiseaux.
riformes), les Apteryx (A.pterygiformes) C'est du rôle des Autruches comme
et les Tinamous (Tinamiformes). Nous animaux d'ornement, de ménagerie et
ne nous occuperons ici que du premier, habitudes,
de rapport ; de leurs telles
réservant les autres pour de futures que nous les révèle la captivité ; de
études. Il ·comprend ·deux grandes fa­ leur élevage et de leur acclimatation
milles d'oiseaux coureurs actuels, qui que je parlerai ici. Je ne dirai que quel­
peuvent d'ailleurs être considérés comme ques mots de leur distribution géogra·
des rélictes, car l'existence de nom­ phique et de leurs mœurs à l'état sau­
breux fossiles nous apprend que les vage. Alors qu'au cours de nombrerix
espèces étaient à la fois nombreuses, voyages d'exploration zoologique,- j'ai
diverses et largement répandues autre­ pu observer et étudier dans la nature
fois sur la terre. Il en est de même bien des oiseaux, je n'ai jamais ren·
de l'ordre voisin des Casoars, dont contré de Coureurs en liberté, n'ayant
deux familles gigantesques : les Moas pas encore pénétré dans leurs différents
(Dinornis) de la Nouvelle-Zélande, et domaines. Par contre, je possède depuis
les }Epyornis de l\Iadagascar, sont dis­ longtemps des représentants vivants
parus récemment, il y a quelques siècles des différents genres.
tout au plus.
Je ne rappellerai pas ici les caractères 1. LES AUTRUCHES
morphologiques des Autruches ; on les
trouvera dans n'importe quel manne�. Les Autruches (Struthio camelus)
Disons seulement qu'on les recon�aît sont essentiellement éthiopiennes . de
immédiatement à leur long cou, à leur nos jours, bien qu'ayant été autrefois
tête large et aplatie, à leurs plumes largement distribuées en Asie� Il en
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subsiste encorP dans les déserts de la parmi les Coureurs, l'Autruche pré­
Syrie et de l'ArabiP. Il n'en existe qu'une sente un dimorphisme sexuel : le mâle
seule espèce, avec six races géogra­ a les plumes du corps noires, les rémiges,
phiques. Disons tout de suite que, seule les rectrices étant blanches, _tandis que

Photo. Ed. Dechambre.


F1G. f. - Autruche du Sénégal. Sexe mâle .

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la femelle est entièrement d'un gris jamais en Europe moyenne qu'un


brun, blanchâtre aux ailes et à la queue. oiseau de curiosité. Si elle s'habitue
La forme typique (S. c. camelus) habite assez facilement à nos hivers froids et
le quart N.-0. de l'Afrique, au sud de à notre humidité, se contentant d'un
l'Atlas, à l'exception du Rio de Oro, abri sans chauffage, la fertilité des œufs
domaine d'une forme très voisine (S. c. s'en ressent, et il n'est pas facile d'ob­
spatzi). L'Autruche de Syrie (S. c. sy­ tenir des éclosions. Par contre, elle
riacus) ne paraît en différer que par réussit bien en Afrique du Xord et sur
sa taille inférieure. Celle du Kénya, et le littoral méditerranéen ; il y a une
du Tanganyika (S. c. massaicus) est vingtaine d'années, on en élevait chaque
aussi très voisine, mais le sommet de sa é té un bon nombre à :Xice, dans une
tête est revêtu de duvet, alors que chez ferme s péc iale. En Californie, aux
les autres, il est pourvu d'une plaque Indes, elle s'acclimate parfaitement.
calleuse. J..;cs Autruches que j'ai llosséd�es soit
Ces quatre races d'Autruches se dis­ à Yillers-Brl'tonnPaux, soit à Clères,
tinguent des deux suivante� par la colo­ habitent dPs prairiPs d'un hectare
ration rouge clair du cou et des cuisses environ, assez sèches, ayant accès 'à
chez le mâle; elle est gris-bleu chez une baraque en planches, oit on les
l'Autruche des Somalis (S. c. molyb ­ rentre chaque soir, sauf en été, et oil
dophanes), au crâne calleux, et gris elles restent enfermé(�s par tt>mps de
gel ou de neige. Elles se sont toujours
montrées parfaitement rustiques. Leur
nourriture comdste, outre l'herbe de
leur prairie, en biscuits pour chien,
maïs, son, toutes sortes de verdure,
pommes de terre cuites, betteraves et
autres légumes. Les jeunes reçoivent un
peu de viande crue, de l'huile de foie de
morue et du phosphate de chaux ; le
gravier leur est nécessaire. Elles boivent
beaucoup, il faut parfois les rationner
d'eau. Un grillage assez faible, haut de
1 m,50, suffit à les contenir. Il faut
Fm. �- Troupeau de jeunes Nandous
isoler chaque mâle adulte, avec une ou
-

gris et blancs au Parc zoologique de Clères.


plusieurs femelles. Ces dernières sont
ino:ffensives, mais leur compagnon est
clair, presque blanche, chez l'Autruche généralement méchant et dangereux.
australe (S. c. australis). Cette dernière, Il attaque le plus souvent quiconql).e
qui existait autrefois dans toute l'A· pénètre dans son enclos, frappant du
frique du Sud, à partir des rivières bec, de la. poitrine et des pattes et pou·
Cunéné et Zambèze, est devenue rare vant occasionner de très graves acci­
à l'état sauvage; mais elle a été domes­ dents. Toutefois, c'est par accès, et en
tiquée sur place et élevée en grand corrélation avec ses instincts amoureux,
nombre pour ses plumes, et aussi pour que le mâle se livre à ces attaques ; mais
son cuir et sa chair. on ne peut jamais savoir quelle sera sa
Bien qu'elle se soit reproduite sous disposition dans quelques minutes.
notre climat, notamment à Hambourg, Le mâle Autruche se livre à des
chez Hagenbeck, l'Autruche ne sera danses très curieuses sous l'empire du
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désir de se reproduire, et rugit comme L'Autruche, en captivité, se montre


un lion, mais plus faiblement. Tout susceptible aux maladies microbiennes,
d'abord il redresse verticalement les et il importe de ne pas les placer sur un
plumes de ses ailes et piétine ; puis il se terrain contaminé, ce qui est presque
couche sur les tarses, les ailes écartées, toujours le cas des vieux jardins zoolo­
le cou gonflé, qu'il rejette de droite et giques.

Photo Fra11çoir-Ed111ond Blanc.

Frn. 3. - Nandous blancs.

de gauche, en frappant les côtés de son


Il. LES NANDOUS
dos. Il s'accouple très fréquemment
aux femelles. Chacune de celles-ci pond L'Amérique du Sud, depuis le Brésil
le plus souvent une quarantaine d'œufs jusqu'à la Patagonie, est la patrie des
par saison, mais ce nombre est très va­ Nandous, qui composent la seconde
riable. Chez les sous-espèces camelus famille des Autruches. Il me paraît en
et syriacus, ces œufs ont une coquille effet tout à fait exagéré d'ériger ces
merveilleusemcn t lisse et polie ; chez oiseaux en ordre particulier ; de même,
les autres, l'écaille C'St parsemée de il est inutile de considérer comme deux
petites cavités. Ils sont toujours d'un genres différents les deux espèces bien
blanc légèrement jaunâtre à l'état frais, distinctes, mais somme toute voisines
et valent environ 35 œufs de poule. de Nandous.
Les deux sexes se remplacent sur le Le Nandou américain (Rhea ameri­
nid, qui n'est qu'une dépression creusée cana) est d'un gris plus ou moins bru­
dans le sol ; l'incubation dure 45 jours. nâtre (les deux sexes, chez toutes les
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formes, sont identiques). On le trouve La seconde espèce, le Nandou de


depuis le Nord du B résil jusqu'au Rio Darwin (Rhea pennata) v it au Sud et
Negro en Argentine, et on en distingue à l'Ouest de la précédente, depuis les
trois races géographiques : R. a. ameri­ hautes régions du Pérou et de la Bolivie
cana dans le N ord, brunâtre et sombre, jusqu 'à la Patagonie. Il en existerait
qu'on amène rarement en Europe et qui trois races, à vrai dire peu différenciées :
n'y est pas tout à fait rustique; R. a. R. p. garleppi au Nord; R. p. tarapa­
intermedia ·du Sud du Brésil et de l'Uru­ censis, dans le :X ord du Chili, et R. p.
guay, un peu plus petit, d'un gris cendré pennata, plus au S ud C'est ce dernier,
.

avec le cou fauve blanchâtre et une provenant des plaines méridionales; qui
tache grise entre .les scapulaires, égale­ a été importé en de rares occasions.
ment peu importé ; enfin le Nandou C'est un oiseau d'un gris un peu bru­
gris (R. a. albescens) de l'Argentine, nâtre et assez clair, toutes les plumes
qu'on a acclimaté en. Europe; il est du dessus du corps étant terminées par
grand, gris cendré, avec une bonne une large bande blanche; . cela donne
partie du cou et une plaque sur la poi­ au plumage un aspect floconneux et
trine . noires. moucheté fort joli, qui est sùrtout bril­
Le Nandou blanc n'est qu'une variété lant après la mue. Par la forme, cette
albine accidentelle du Nandou argentin, espèce est bien différente du Nandou
fixée par sélection 1• C'est un superbe américain; si son corps est presque
oiseau, d'un blanc de neige, avec les aussi volumineux, il a le cou, les jambes
mêmes marques noires sur le cou et la et le bec beaucoup plus courts ; ses pro­
poitrine, les pattes et le bec jaunes, portions sont plus arrondies, mais
les yeux bleus. Il est aussi fort et aussi anguleuses et moins allongées, et c'est
rûstiqùe que le gris, et beaucoup plus un oiseau beaucoup plus gracieux. En
ornemental. outre, une partie de son tarse . est cou­
Les poussins du Nandou américain verte de plumes.
sont couverts d'un duvet ras et grossier, Le poussin du Nandou de Darwin est
fauve pâle, marqué de raies brunes sur ravissant, avec son petit bec et ses fines
le. dos; leurs plumes poussent rapide­ pattes ; il est beaucoup plus rond que
ment et ils ressemblent vite à des celui du Nandou américain, et son duvet
adultes en miniature� Ceux de la variété bien plus fin et plus souple est d'un joli
albine sont d'un blanc de lait avec par­ gris perle rayé de noir. L'amf est d'un
fois quelques taches brunes qui dispa­ jaune verdâtre vif, passant au jaunâtre
raissen� vite. sale après quel qu es jours. La durée de
·Lorsqu'on croise des sujets blancs et l'incubation est aussi de 45 jours..
gris, ori obtient surtout dés jeunes gris, Les Nandous sont, sous notre climat,
quelquefois des blancs; il n'y a jamais des oiseaux de parc et de prairie de pre­
de sujets panachés, et je n'ai vu que mier ordre. Leur forte taille les met à
très rarement des intermédiaires, d'un l abri des attaques des chiens et des
'

fauve pâle assez laid, à l'aspect sale. renards, et une clôture à moutons suffit
L'amf de Nandou ne vaut guère que à les contenir. Ils se montrent complè­
le tiers de celui de l'Autruche. Frais tement rustiques, et ne demandent
pondu, il est jaune citron, puis passe aucun abri autre que ceux fournis par le
au blanc; l'incubation est de 45 jours. terrain et les arbres. Ils mangent surtout
de l'herbe, qu'on supplémente simple­

t. Il est curieux que le type de la sous-espèce ment avec du son, de la drèche, des
soit justement l'un de ces albinos sauvages. pommes de terre, des betteraves, de s
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Photo P. Baf"'fuel.
Frn. •· - Nandou de Darwin au Parc zoologique de Clères.

choux, du biscuit, etc... ; le grain n'est en fait un ornement remarquable; ils


pas digéré. En somme, la nourriture courent vite et décrivent au galop des
habituelle des h<'stiaux leur convient. courbes extraordinaires.
A de très rares exceptions près, ils sont Les Nandous se rendent utiles en
absolument inoffensifs pour l'homme détruisant les mauvaises herbes, en
et pour les autres animaux, même particulier les pissenlits et les plantains,
faibles. Leur aspect agréable et bizarre et on peut les associer avec succès aux.
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bestiaux, aux daims, etc... Les plumes suivant la qualité du pâturage. La nuit,
ont de la valeur et leur chair est excel­ ils s'accroupissent, le cou appuyé sur
lente. le dos, souvent au pied d'un arbre, et
Dans leur patrie, ce sont des oiseaux alors toujours du côté opposé au vent.
de prairies, paissant comme des herbi­ Au printemps, les mâles se querellent
vores. Bien qu'ils aient disparu de cer­ un peu, mais sans jamais se faire de mal,
tains districts, ils sont encore nombreux et il s'établit bientôt une hiérarchie
dans une partie de leur domaine. entre eux.

Photo Ed. Dechambre.


Fm. 5. - Nandou gris en position de repos.

A la saison des amours, souvent déjà Les Nandous ne forment pas de


en plein hiver, le mâle rugit avec une couples, et les femelles sont fécondées
intonation assourdie et ventriloque. Peu tour à tour par différents mâles. Le chef
après, il se met à hérisser les plumes de de la bande est généralement le premier
sa tête et de son cou, déploie ses ailes à faire son nid, une simple cavité creusée
comme deux éventails pendants et dans le sol où il amasse quelques herbes.
parade en suivant les femelles, qui, Plusieurs femelles viennent y pondre et
elles, sont muettes et ne montrent leurs il se met bientôt à couver, aplati par
sentiments que par un petit frémisse­ terre. Il ramène au nid les amfs dis­
ment de leurs ailes collées au dos. persés et ne se lève que rarement pour
En captivité, on peut garder un bon se nourrir. Lorsqu'il a réuni une couvée
nombre de Nandous des deux sexes suffisante, quinze œufs en moyenne, un
dans le même parc ou le même enclos, autre mâle se met à couver, les femelles
à raison de trois ou quatre par hectare, se portent vers lui pour pondre, et ainsi
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de suite jusqu'à ce que tous les mâles avec un peu d'œuf au début et du phos­
tiennent le nid. On obtient les meilleurs phate de chaux. Après un mois, on sup­
résultats en conservant 3 ou 4 mâles· prime le poêle, et on donne aux jeunes
pour deux femelles, ces dernières pon­ l'accès d'un enclos plus vaste, les ren­
dant en général davantage d'œufs que trant la nuit jusqu'à l'âge de quatre
leurs compagnons n'en peuvent couver. mois. Ils croissent rapidement et attei­
Les Nandous ne se reproduisent qu'à gnent leur taille définitive au bout
l'âge de deux ans accomplis et même d'une année environ.
souvent l'année suh-ante seulement; il Les Nandous américains, gris et
arrive que les mâles ne couvent pas blancs, se reproduisent volontiers en
avant leur quatril•me année. Les femelles captivité, et chaque année de "nombreux
se désintéressent complètement de l'in­ jeunes sont élevés à Clères. Les Nan­
cubation et de 1' élevage des jeunes, qui dous de Darwin sont beaucoup plus
sont entièrement dévolus au père. La délicats, tant adultes que jeunes, bien
ponte des Nandous américains a lieu qu'ils proviennent de régïons froides et
d'avril à juillet; celle des Nandous humides. Le gel leur est donc· indiffé­
de Darwin la précède de plus d'un rent, mais ils craignent la chaleur. Quoi­
mois. que réclamant la même nourriture que
Le mâle est bon couveur et bon éle­ les précédents, ils sont encore plus her­
veur, et on peut le laisser conduire sa bivores, mais ne peuvent supporter
famille, mais on obtient les meilleurs l'herbe dure et grossière. Celle de la
résultats en lui enlevant l<>s œufs quel­ Normandie et de l'Angleterre, surtout
ques jours avant l'éclosion et en les lorsqu'elle est tenue bien rase par des
plaçant alors dans un incubateur main­ moutons ou des cervidés, leur convient
tenu à 38° ; on évite ainsi tout accident. parfaitement, mais ailleurs, il faut sou­
On met ensuite les poussins dans une vent les garder sur un terrain nu où la
cabane contenant un poêle d'éleveuse végétation est détruite et leur fournir
à charbon, sur un plancher recouvert de la verdure cultivée. C'est aussi une
de sable ; on pratique une très large condition indispensable à l'élevage des
aération, et au bout de deux jours, on jeunes.
les laisse sortir et rentrer à volonté sur Il y a actuellement à Clères un bon
une herbe sèche et courte. Il faut avoir troupeau de cette belle espèce ; de
soin de s'assurer qu'ils se mettent à nombreux jeunes sont nés au printemps
manger, et le leur apprendre au besoin. dernier, de sorte que l'acclimatation
On les nourrit d'une pâtée de verdure définitive en Europe de cette belle
hachée, de biscuit, de pain et de son, espèce paraît être en bonne voie.

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