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Le 18 novembre 2014

Proposition de résolution
visant à réaffirmer un droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse

DECRYPTAGE

Le 5 novembre 2014, le Président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, annonçait qu’une


proposition de résolution visant à « réaffirmer un droit fondamental à l’interruption volontaire de
grossesse en France et en Europe » serait discutée le mercredi 26 novembre. Cette proposition de
résolution est présentée par la députée Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits
des femmes, 40 ans après l’ouverture des débats de la loi Veil.

Au-delà du simple symbole, il s’agit d’une action politique déterminée à sacraliser un prétendu droit
de la femme à disposer de son corps au mépris du droit français lui-même.

La proposition de résolution1 consiste notamment à :

 Réaffirmer « l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse


pour toutes les femmes en France, en Europe et dans le monde »

 Rappeler que « le droit universel des femmes à disposer librement de leurs corps est une
condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les
hommes, et d’une société de progrès ».

-L’IVG peut-elle être un droit ? Peut-elle devenir un droit fondamental ? (I)


-Disposer de son corps est-il un droit à part entière ? Est-ce un droit inscrit dans d’autres textes
nationaux ou internationaux ? (II)
-Quel impact une telle proposition de résolution peut-elle avoir sur l’IVG ? (conclusion)
-Dans quel contexte cette proposition de résolution arrive-t-elle ? (Annexe 1)

Autant de questions qui nécessitent des réponses pour comprendre, 40 ans après la loi Veil, l’enjeu
politique et sociétal de l’IVG qui est d’abord une atteinte à la vie humaine. Bien que la résolution soit
un texte dénué de portée normative, il est révélateur de l’avis du Parlement, avis qui encourage le
gouvernement à agir et impacte l’opinion publique.

1
La résolution est un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée. Elle n’a pas de valeur
normative, mais reflète l’avis de l’Assemblée sur un sujet donné. La résolution est encadrée par l’article 34-1 de la
Constitution. Elle peut être déposée au nom d’un groupe par son président ou par tout député. L’inscription d’une
résolution à l’ordre du jour est décidée en Conférence des présidents, à la demande d’un président de commission ou d’un
président de groupe, dès lors qu’un délai minimal de six jours francs à compter de son dépôt est respecté. Elle ne fait pas
l’objet de navette parlementaire (une seule lecture est requise). Le vote des résolutions constitue une des voies
d’affirmation du Parlement, lui permettant d’exercer une expression distincte de la réponse législative.

1
Le 18 novembre 2014

I. L’interruption volontaire de grossesse peut-elle être un droit ? Peut-elle devenir un


droit fondamental ?

Il faut rappeler que les droits fondamentaux sont tous les droits reconnus par la Constitution ou qui
font partie du bloc de Constitutionnalité. Il s’agit par exemple des droits issus de la déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, de la Charte de
l’environnement… Ainsi, la propriété, la sureté, l’égalité…sont des droits fondamentaux.

L’interruption volontaire de grossesse est encadrée par l’article L.2212-1 du code de la santé
publique (CSP). Elle est une dérogation au principe d’ordre public de protection de l’être humain
dès le commencement de sa vie.

En effet, cet article est précédé dans la loi Veil de deux principes généraux :

- l’article 16 du code civil, principe d’ordre public, qui dispose que :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et


garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. » (repris par l’article
L.2211-1 CSP)

- l’article L.2211-2 CSP qui renforce cette disposition :

« Il ne saurait être porté atteinte au principe mentionné à l'article L.2211-1 qu'en cas de
nécessité et selon les conditions définies par le présent titre. L'enseignement de ce principe et
de ses conséquences, l'information sur les problèmes de la vie et de la démographie nationale
et internationale, l'éducation à la responsabilité, l'accueil de l'enfant dans la société et la
politique familiale sont des obligations nationales. L'Etat, avec le concours des collectivités
territoriales, exécute ces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent. »

Les conditions encadrant l’IVG sont donc nombreuses, et démontrent qu’elles sont inhérentes à
l’interruption volontaire de grossesse et essentielles pour la cohérence du droit français dont le
principe fondamental est la protection de l’être humain dès le commencement de sa vie.

L’interruption volontaire de grossesse ne peut donc pas être qualifiée de droit, puisqu’elle
constitue une exception au principe d’ordre publique énoncé. Elle ne peut donc de surcroit être
qualifiée de droit fondamental.

Eriger l’interruption volontaire de grossesse en droits inhérents à la personne est un non sens
juridique. En effet inscrire dans un texte juridique un droit fondamental à interrompre sa grossesse
aboutirait à développer un « droit postmoderne […] incohérent »2 comme l’évoque la juriste Anne-
Marie Le Pourhiet (voir annexe 4), à créer un conflit de normes et serait source d’insécurité
juridique. Cela reviendrait à inscrire des « principes virtuels » pour reprendre la notion évoquée par
le constitutionnaliste Bertrand Mathieu3, dont « la portée n’est pas définie » et qui seraient utilisés
au gré de la volonté individuelle.

2
« IVG discrétionnaire : la dictature néo-féministe »17 février 2014 – Causeur.fr par Anne-Marie Le Pourhiet
3
Le contrôle de constitutionnalité virtuel de la législation relative à l’ IVG, par Bertrand Mathieu - JCPG 8/9
2
Le 18 novembre 2014

Enfin, il est intéressant de relire les propos de Grégor Puppinck sur le lien entre avortement et
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (voir annexe 2):
« La CEDH exclut la logique unilatérale « d’un droit à l’avortement » et recherche une mise en balance
proportionnée des droits, libertés et intérêts concurrents en jeu. Pour la CEDH, l’enfant à naître existe, il
« appartient à l’espèce humaine » et mérite protection.
4 5
En droit international, et européen , il n’existe pas de « droit à l’avortement » qui obligerait un Etat à
légaliser l’avortement, mais seulement un droit à la vie et à la santé pour tout être humain, qui peut
justifier éventuellement un avortement lorsque la grossesse met en péril la vie de la mère. Ce droit à la
vie est lui-même accompagné par un droit des femmes enceintes et des familles à recevoir le soutien de
la société.
Il existe en revanche un consensus quant à la nécessité de lutter contre l’avortement, notamment en
développant une politique de prévention. La Conférence internationale du Caire de 1994 affirmait que
« L'avortement ne devrait, en aucun cas, être promu en tant que méthode de planification familiale »
et invitait vivement tous les gouvernements « à renforcer leur engagement en faveur de la santé de la
femme (…) et à réduire le recours à l'avortement » sachant que « tout devrait être fait pour éliminer la
6
nécessite de recourir à l'avortement. » De même, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe,
dans sa Résolution 1607 du 16 avril 2008 réaffirmait que « L’avortement doit être évité, autant que
possible. »

II. Un droit à disposer de son corps ?

Il convient de rappeler que le « droit à disposer de son corps » n’est inscrit dans aucun texte national
ou international. Il s’agit d’une fabrication qui peut être appliquée de manière inquiétante car sans
limite. Dans le domaine de la santé, le « droit à disposer de son corps » développera l’avortement
eugénique et pourra justifier la procréation médicalement assistée de convenance, la vitrification
ovocytaire de convenance, la gestation pour autrui, l’accès à ces techniques pour les personnes
homosexuelles, ou les célibataires, la prostitution, la vente d’organes... Eriger un droit à disposer de
son corps peut toucher tous les domaines de la procréation, et s’étendre sans limite sous couvert du
principe de la liberté et de l’autonomie.

Conclusion :

Cette résolution impactera le cadre juridique français, l’opinion publique, et surtout les femmes.

Impact juridique
Affirmer que l’IVG est un droit fondamental est incompatible avec le code civil (article 16) et le code
de la santé public (article L.2211-1) qui posent comme principe fondamental le respect de l’être
humain dès le commencement de sa vie. L’IVG est une dérogation à ce principe. Eriger l’IVG en
principe fondamental au même titre que le respect de la vie constituerait un conflit de normes
inextricable. Si cette proposition de résolution est votée le 26 novembre prochain, c’est un
renversement des valeurs de la République et une impasse juridique qui en résulteront.

4
Cf. inter alia, La déclaration de San José du 25 mars 2011 qui met en avant qu’aucun traité de l’ONU ou s’imposant dans
l’ordre international, pas plus qu’un jugement d’une Cour internationale ne garantit un tel « droit. »
5
CEDH, A. B. et C. c. Irlande, n° 25579/05, 16 December 2010, §214, « Article 8 cannot, accordingly, be interpreted as
conferring a right to abortion ».
6
Programme d’action, § 8.25. Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-
13 septembre 1994, Nations-Unies, New-York, 1995. Consultable à l’adresse suivante :
http://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/publications/2004/icpd_fre.pdf
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Le 18 novembre 2014

Impact psychologique
Dans la législation française, l’IVG n’est pas un droit mais une dérogation au principe d’ordre public
de respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. L’avortement est et « restera un
drame » pour les femmes, selon les mots de Simone Veil elle-même. La décision d’interrompre une
grossesse fait partie des décisions les plus difficiles à prendre pour une mère. Cet acte laisse des
séquelles, souvent profondes et traumatisantes. La souffrance des femmes qui vivent un avortement
doit être accompagnée par les pouvoirs publics.

Or en considérant l’IVG comme un droit fondamental, l’on nie aux femmes le droit de souffrir et
d’exprimer publiquement cette souffrance. En faisant de l’IVG un droit fondamental, l’on balaye
d’un revers de main les milliers de femmes qui réclament de l’aide pour poursuivre à terme leur
grossesse, et celles qui souffrent du syndrome post-avortement. (Pour en savoir plus sur l’impact
psychologique, voir annexe 3 l’interview de Benoit Bayle).

Le rôle du législateur n’est pas d’affirmer un prétendu droit fondamental à l’IVG mais d’offrir aux
femmes des alternatives sérieuses à l’avortement quant celles-ci souhaiteraient garder leur enfant
mais sont en manque de moyens et nécessitent d’être soutenues par les pouvoirs publics.

Impact symbolique
Ce texte n’aura pas de portée normative mais aura une portée symbolique forte car il reflète l’avis
de l’ensemble des députés. La résolution sera un signal en direction de l’opinion publique et peut
servir de levier à une nouvelle loi sur l’IVG. Alors que les citoyens sont aujourd’hui en attente de
repères clairs en cohérence avec la réalité, le Parlement peut-il continuer à célébrer comme un droit
l’atteinte à la vie humaine ?

***

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Le 18 novembre 2014

ANNEXE 1
Eléments de contexte : la proposition de résolution poursuit les objectifs du HCEfh

La proposition de résolution correspond aux objectifs poursuivis par le Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes (HCEfh).

-Le 13 septembre 2013, le HCEfh présentait son premier rapport relatif à « l’accès à l’IVG- volet 1
information sur l’avortement sur internet ».

-Le 7 novembre 2013, le HCEfh publiait le deuxième volet de ce travail intitulé « Accès à l’IVG dans
les territoires ».

-Janvier 2014, le Parlement adoptait en première lecture le projet de loi relatif à l’égalité entre les
femmes et les hommes intégrant par voie d’amendement la suppression de la notion de détresse et
l’extension du délit d’entrave à l’avortement.

-Le 5 août 2014, après plusieurs lectures, et une saisine du Conseil Constitutionnel, la loi pour
l’égalité entre les femmes et les hommes est promulguée : l’interruption volontaire de grossesse ne
fait plus référence à une détresse de la femme, et le délit d’entrave à l’IVG est étendu à
l’information.

-Le 1er octobre 2014, la délégation aux droits des femmes auditionne la présidente du HCEfh. Le
compte rendu affiche plusieurs objectifs tels que : supprimer le délai de réflexion de 7 jours
obligatoire avant de procéder à un avortement, supprimer la disposition relative à la clause de
conscience expressément attachée à l’IVG, restaurer l’activité d’IVG dans les établissements de santé
qui l’ont arrêtée et l’imposer à tous les établissements disposant d’un service de gynécologie, créer
un plan national « sexualité-contraception-IVG »…

Forts de la dernière discussion sur l’IVG au Parlement, sur la suppression de la notion de détresse,
validée par le Conseil Constitutionnel, le HCEfh poursuit ses objectifs en choisissant le jour
anniversaire des débats de la loi Veil pour aller plus loin et inscrire pour la première fois dans un
texte juridique un « droit fondamental à l’IVG ».

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Le 18 novembre 2014

ANNEXE 2
Avortement et Convention européenne des droits de l’homme
Analyse de Grégor Puppinck, docteur en droit, directeur de l’ECLJ
et Andreea Popescu, ancienne juriste à la CEDH

L’extension du délit d’entrave et la création d’un droit à l’avortement


dans le Projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes
sous l’angle de la Convention européenne des droits de l’homme

18.01.2014
(…)

SELON LA CEDH, L’AVORTEMENT N’EST PAS UN DROIT, MAIS UNE EXCEPTION

À la première phrase de l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, le projet prévoit de


remplacer les mots : « que son état place dans une situation de détresse » par les mots « qui ne
veut pas poursuivre une grossesse ». Ce changement supprime la condition de l’existence d’une
« situation de détresse » justifiant l’avortement afin que l’avortement ne soit plus une exception
au droit à la vie de tout être humain, mais un droit en soi. La différence entre les deux approches
est fondamentale : elle est la même que celle distinguant la légitime défense de l’assassinat.

Le régime de l’avortement comme exception au droit à la vie ne déshumanise pas totalement


l’enfant ni sa mère, car ce régime juridique reconnaît l’existence de l’enfant à naître et confère à
l’avortement, au moins en théorie, la justification de l’état de nécessité résultant d’un conflit
d’intérêts entre la mère et l’enfant. La reconnaissance de l’existence de cet être humain vivant en
gestation exclut qu’une personne puisse avoir un pouvoir absolu sur sa vie, et donc puisse disposer
d’un droit fondamental à l’avorter. L’avortement est alors une question d’équilibre des droits et
intérêts en jeu.
En revanche, l’affirmation d’un droit à l’avortement sur simple demande retire toute justification à
l’avortement, autre que la volonté de la mère. L’avortement devient alors l’expression d’une volonté-
liberté unilatérale. Cette seconde approche a deux implications possibles :
- Soit l’enfant à naître est déshumanisé, il n’est qu’un amas de cellule, ce qui rend anodin sa
destruction, mais alors on ne comprend pas l’existence d’un délai maximal à l’avortement sur
demande ;
- Soit la femme enceinte dispose du pouvoir, résultant de sa seule volonté, de mettre fin à la
vie d’un être humain qu’elle porte.

La CEDH exclut la logique unilatérale « d’un droit à l’avortement » et recherche une mise en balance
proportionnée des droits, libertés et intérêts concurrents en jeu. Pour la CEDH, l’enfant à naître
existe, il « appartient à l’espèce humaine » et mérite protection.
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Le 18 novembre 2014

En droit international,7 et européen8, il n’existe pas de « droit à l’avortement » qui obligerait un Etat
à légaliser l’avortement, mais seulement un droit à la vie et à la santé pour tout être humain, qui
peut justifier éventuellement un avortement lorsque la grossesse met en péril la vie de la mère. Ce
droit à la vie est lui-même accompagné par un droit des femmes enceintes et des familles à recevoir
le soutien de la société.
Il existe en revanche un consensus quant à la nécessité de lutter contre l’avortement, notamment en
développant une politique de prévention. La Conférence internationale du Caire de 1994 affirmait
que « L'avortement ne devrait, en aucun cas, être promu en tant que méthode de planification
familiale » et invitait vivement tous les gouvernements « à renforcer leur engagement en faveur de la
santé de la femme (…) et à réduire le recours à l'avortement » sachant que « tout devrait être fait
pour éliminer la nécessite de recourir à l'avortement. »9 De même, l’Assemblée Parlementaire du
Conseil de l’Europe, dans sa Résolution 1607 du 16 avril 2008 réaffirmait que « L’avortement doit
être évité, autant que possible. »

Interrogé en juillet 2013 sur l’existence d’un droit à l’avortement, le Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe a déclaré que « faute de consensus, il n’a pas été possible d’adopter une réponse à la
Question ».10 De même, le Parlement européen a rejeté le 10 décembre 2013 un projet de Résolution
désireux d’affirmer l’existence d’un droit à l’avortement.11 Enfin, la Commission européenne a eu
souvent l’occasion de préciser que la réglementation de l’avortement ne relève pas de la
compétence de l’Union européenne.12
L’absence de droit à l’avortement au titre de la Convention européenne des droits de l’homme est
parfaitement établie et admise par ceux-là même qui souhaitent qu’un tel droit soit consacré13. Au fil
de sa jurisprudence, la Cour européenne a précisé que la Convention ne garantit pas un droit à subir
un avortement14, ni un droit de le pratiquer15, ni même de concourir impunément à sa réalisation à
l’étranger16. Enfin, l’interdiction en soi de l’avortement par un État ne viole pas la Convention17.
S’agissant de l’autonomie de la femme, dont le respect est garanti par l’article 8 relatif à la protection
de la vie privée, la Cour a répété, depuis l’arrêt A., B. C. contre Irlande18, que « l'article 8 ne saurait
(…) s'interpréter comme consacrant un droit à l'avortement »19. De fait, l’avortement était largement

7
Cf. inter alia, La déclaration de San José du 25 mars 2011 qui met en avant qu’aucun traité de l’ONU ou s’imposant dans
l’ordre international, pas plus qu’un jugement d’une Cour internationale ne garantit un tel « droit. »
8
CEDH, A. B. et C. c. Irlande, n° 25579/05, 16 December 2010, §214, « Article 8 cannot, accordingly, be interpreted as
conferring a right to abortion ».
9
Programme d’action, § 8.25. Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-13
septembre 1994, Nations-Unies, New-York, 1995. Consultable à l’adresse suivante :
http://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/publications/2004/icpd_fre.pdf
10
Réponse du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, 3 juillet 2013, à la Question écrite n° 633 : « La Convention
européenne des droits de l’homme contient-elle un droit à l’avortement ? ».
11
Projet de Résolution et Rapport n°2013/2040(INI) sur la santé et les droits sexuels et génésiques, 3 décembre 2013.
12
« Compte tenu de la dimension éthique, sociale et culturelle de l'avortement, il appartient aux États membres d'élaborer et
de faire appliquer leurs politiques et leur législation en la matière. » Réponse donnée par M. Dalli au nom de la
Commission, le 30 avril 2012. E-002933/2012
13
Ch. Zampas et J. M. Gher, “Abortion as a Human Right —International and Regional Standards”, Human Rights Law
Review, 8:2(2008), p. 287; D. Fenwick, “The modern abortion jurisprudence under Article 8 of the ECHR”, Medical Law
International, 2012 12, 249, 2013, p. 263
14
Silva Monteiro Martins Ribeiro c. Portugal, N°16471/02, Déc., 26 oct. 2004
15
Jean-Jacques Amy c. Belgique, N°11684/85, 5 oct. 1988
16
Jerzy Tokarczyk c. Pologne, N°51792/99, Déc., 31 janv. 2002
17
Voir notamment dans A., B. et C. les requérantes A et B qui ont contesté sans succès l’interdiction de l’avortement pour
motif de santé et de bien-être.
18
A. B. C., § 214
19
P. et S. c. Pologne, N° 57375/08, 30 oct. 2012, § 96
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Le 18 novembre 2014

interdit en Europe lors de la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme20 et


demeure interdit dans de très nombreux pays, y compris en Europe.
Si le législateur national décide de permettre l’avortement, la Cour estime alors qu’il « jouit d'une
ample marge d'appréciation pour définir les circonstances dans lesquelles il autorise l'avortement »21,
mais « le cadre juridique correspondant doit présenter une certaine cohérence et permettre de
prendre en compte les différents intérêts légitimes en jeu de manière adéquate et conformément aux
obligations découlant de la Convention »22. Ainsi, la Convention n’impose ni ne s’oppose à la
légalisation de l’avortement, mais le cas échéant, le cadre juridique de l’avortement doit respecter la
Convention. Lorsque la Cour est saisie d’une affaire particulière, il lui appartient alors de « contrôler
si la mesure litigieuse [c'est-à-dire le droit interne] atteste d'une mise en balance proportionnée des
intérêts concurrents en jeu »23. Il s’agit là du principe pivot du raisonnement développé par la Cour ; il
s’appuie sur la jurisprudence constante dont « il résulte (…) que la solution donnée procède toujours
de la confrontation de différents droits ou libertés, parfois contradictoires »24.
La CEDH exclut la logique unilatérale « d’un droit à l’avortement » et recherche une mise en balance
proportionnée des droits, libertés et intérêts concurrents en jeu. Au fil de sa jurisprudence, la CEDH a
précisé que ces droits, libertés et intérêts sont ceux de l’enfant à naître, de la femme enceinte, du
père et des autres membres de la famille de l’enfant, du personnel médical et de la société toute
entière. C’est cette mise en balance qui justifie l’interdiction de « l’avortement sur demande »,
puisqu’un tel avortement n’est justifié par aucun motif sérieux objectif, il porte atteinte à la vie de
l’enfant à naître sans autre motif que la volonté de la femme. C’est cette mise en balance qui justifie
l’interdiction également de l’avortement tardif, forcé25, ou encore des avortements sélectifs selon le
sexe de l’enfant26.

20
Brüggemann et Scheuten c. RFA, N°6959/75, 12 juil. 1977, §64, traduction non officielle, ci-après Brüggemann.
21
A. B. C., § 249
22
A. B. C., § 249, R. R. c. Pologne, No°27617/04, 26 mai 2011, § 187 : P. et S. c. Pologne, § 99 ; Tysiac c. Pologne,
N°5410/03, 20 mars 2007, § 116, ci-après Tysiac
23
A. B. C., § 238
24
Vo, § 80
25
Résolution n°2012/2712(RSP), sur le scandale suscité par un avortement forcé en Chine, adoptée le 5 juillet 2012.
26
Résol. APCE 1829 (2011) et Recom. 1979 (2011) sur l’avortement sélectif en fonction du sexe du 3 oct. 2011.
8
Le 18 novembre 2014

ANNEXE 3
Point de vue d’un professionnel sur la volonté de libéraliser l’avortement.

Interview de Benoit Bayle, psychiatre et docteur en philosophie 27 accordée à Gènéthique.org

Lettre mensuelle n°161 – Janvier 2014

G : Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes vise à instaurer un « droit à
l’avortement » en supprimant la condition de « situation de détresse » de la femme enceinte qui
souhaite pratiquer un avortement. Qu’en pensez-vous ?

B.B. : La loi Veil a dépénalisé l’avortement en prenant en compte une tension qui oppose deux réalités
contradictoires : d’un côté, la loi proclame le respect de l’être humain dès le commencement de sa
vie ; et de l’autre elle admet une dérogation, qui autorise la femme à interrompre sa grossesse sous
condition, à savoir, précisément, cette « situation de détresse » de la femme. Respecter cette tension
psychologique et éthique est très important, car cela illustre la réalité de l’interruption volontaire de
grossesse (IVG) : il s’agit pour la femme de mettre fin aux jours de l’enfant à naître qu’elle porte en
son sein, et il faut un motif sérieux pour le faire. Supprimer ce motif, c’est nier la réalité existentielle
de l’IVG et le drame qu’elle représente ; c’est nier aussi le chemin que la femme aura à accomplir pour
« accepter » l’acte qu’elle a posé, car cet acte, qu’on le veuille ou non, engage la vie d’autrui. La
femme qui a gardé son enfant alors qu’elle s’était posé la question de l’IVG le sait chaque jour en
voyant son enfant grandir. Celle qui l’a pratiqué ne l’ignore pas davantage… Modifier cette condition,
c’est aussi renforcer le pouvoir déjà exorbitant de l’adulte sur l’enfant à naître, en passant outre le
principe du respect de l’être humain dès son commencement. Dans un essai sur l’avenir de la
procréation humaine (« À la poursuite de l’enfant parfait », Robert Laffont, 2009), j’ai souligné
combien l’instrumentalisation de l’enfant à naître a des conséquences majeures sur la psychologie
individuelle et collective, et sur la société. Il serait temps d’en prendre conscience !

G : Cette volonté de libéraliser l’IVG vous semble-t-elle justifiée au regard de la situation des femmes
qui demandent et subissent un avortement ? A votre avis quelles seront les conséquences sur les
femmes d’un tel projet de loi ?

B.B. : L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est toujours une solution d’échec. Elle est en elle-
même le signe d’une détresse, et c’est d’ailleurs aussi pour cette raison qu’il faut que la loi conserve

27
Benoît Bayle, psychiatre et docteur en philosophie, est spécialisé dans la psychologie de la procréation
humaine et de la périnatalité, ainsi que dans les questions bioéthiques liées à la médecine de la procréation.
Auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels L’embryon sur le divan (Masson, 2003), L’enfant à naître (érès,
2005) et Perdre un jumeau à l’aube de la vie (érès, 2013), ses travaux ont été récompensés par le Trophée 2010
de la Recherche en éthique. Son essai À la poursuite de l’enfant parfait. L’avenir de la procréation humaine
(Robert Laffont, 2009) a également reçu le Prix coup de cœur 2010 de l’Association des journalistes médicaux
grand public (AJMED).
9
Le 18 novembre 2014

cette notion. Les militants du droit à l’avortement voudraient faire croire qu’il s’agit d’un acte libre,
qui ne concerne que la femme et qui n’engage qu’elle seule. C’est un terrible mensonge dont les
femmes font elles-mêmes les frais. Il est temps de le dénoncer. Comme je le disais, l’IVG engage la vie
d’un enfant à naître, et c’est là son drame existentiel, pas seulement pour l’enfant qui meurt, mais
aussi pour la femme. Un grand nombre de femmes s’en rendent compte après avoir pratiqué une IVG.
Elles s’accusent d’avoir tué un enfant, leur enfant, et elles en souffrent cruellement, en silence. Elles
ne peuvent en parler, non seulement parce qu’elles ont honte d’elles-mêmes, mais aussi parce que la
société est muette sur ce sujet tabou. Les années passent. Le drame perdure. « Mon enfant aurait cinq
ans aujourd’hui », « huit ans », et ainsi de suite au fil des années... Cette blessure peut parfois affecter
profondément la relation du couple, semer un germe de haine à l’égard du conjoint, ou réveiller une
fragilité psychologique personnelle, favoriser une dépression ou une addiction par exemple, avoir des
conséquences sur les enfants. L’IVG est le théâtre de souffrances psychologiques tues. La banaliser,
prétendre qu’elle est le signe d’une libération sociétale, en faire un droit, sont autant de voies qui
engagent la société dans une impasse. Plus on transformera l’IVG en un droit de la femme, plus la
femme devra se taire face aux souffrances qui sont les siennes au regard d’une IVG prétendument
libératrice, et qu’il ne faut par conséquent, en aucun cas, contester ou critiquer car elle est sacralisée.
Cette loi du silence que personne ne dénonce est déjà lourde à porter pour les femmes, et on veut la
renforcer encore…

G : L’Espagne tend à encadrer plus strictement l’IVG en ne l’autorisant plus qu’en cas de danger pour
la santé psychologique et physique de la femme, attesté par deux médecins, ou en cas de viol. Quel
est votre réaction ?

B.B. : L’avortement revêt de multiples facettes. Il peut sans doute s’agir, parfois, d’un acte libre,
assumé en pleine responsabilité et conduisant à refuser l’irruption d’autrui dans sa vie, car c’est le
propre de l’être humain de faire des choix. Mais l’interruption de grossesse est aussi, dans d’autres
situations, un acte posé dans des conditions de pressions environnementales ou de déterminismes
psychologiques oppressants qui sont rarement pris en considération et qui peuvent pourtant faire le
lit de terribles souffrances psychologiques ultérieures. Par exemple, je prends en charge depuis
plusieurs années une femme qui ne parvient pas à se remettre de son interruption de grossesse. Elle a
pratiquée cette IVG à contrecœur, alors que sa mère lui avait promis de couper les ponts si elle
attendait un deuxième enfant. Qui s’est préoccupé de prévenir ce drame ? Personne ! Elle doit faire
face maintenant, à la suite de cette IVG, à un deuil pathologique extrêmement douloureux qui retentit
sur le développement de son troisième enfant : celui qu’elle a eu après l’IVG et qu’elle s’est, cette fois,
bien promis de garder en vie…

L’IVG est un acte qui entre en résonance avec le processus complexe de l’accès à la parentalité et de
l’accueil de la vie. Accueillir un enfant à naître, devenir mère, tout comme devenir père, ne vont pas
de soi. Le refus d’enfant qu’exprime volontiers, mais pas systématiquement, la demande
d’interruption de grossesse traduit bien souvent des aléas de ces processus psychologiques qui
gagneraient à être accompagnés davantage pour soutenir l’accueil de l’enfant. Ailleurs, enfin, nous
devons nous interroger sur la vision du couple et de la sexualité, prétendument libérée, que promeut
la société et qui semble parfois un véritable cache-misère ! La liberté sexuelle est un leurre, si elle
s’affranchit de la responsabilité à l’égard de l’enfant à naître. Je crois pour ma part que des

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alternatives à l’IVG gagneraient à être explorées et encouragées, au moins à titre expérimental, non
pas pour des raisons idéologiques, mais parce que d’authentiques souffrances se cachent derrière ces
décisions. Elle suppose une vision du couple, de la sexualité et de la procréation humaine, qui
réconcilie cette fois l’homme, la femme et l’enfant à naître. Je n’idéalise donc pas le passé (sexualité
taboue et oppression de la femme), mais je réclame une autre voie !

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ANNEXE 4
Tribune d’Anne-Marie Le Pourhiet, juriste,
Professeur agrégé de droit public à l'université de Rennes 1, publiée dans

IVG discrétionnaire : la dictature néo-féministe


Publié le 17 février 2014 à 12:00 dans Politique Société

Faire de l’IVG un « droit comme les autres » en ôtant toute condition légale à son exercice au nom
de l’égalité des sexes : il ne se fait pas un jour sans que les néo-féministes qui nous gouvernent ne
profèrent une nouvelle énormité juridique.

Aucun droit n’est absolu ni illimité. La définition de la liberté donnée par la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789, à laquelle renvoie notre Constitution, l’affirme: « La liberté
consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque
homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de
ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »

L’interruption volontaire de grossesse ne concerne pas seulement la faculté pour une femme de
disposer de son corps, elle implique aussi celle de mettre fin à la vie d’autrui. Ce sont donc deux
droits antagonistes que le législateur a le devoir de concilier : la liberté de la femme et le droit de
vivre de l’enfant à naître.

Dans son célèbre arrêt de 1973 Roe vs. Wade, réputé favorable à l’avortement, la Cour suprême
américaine s’est référée à la détresse de la mère pour juger que « si le droit à la vie privée inclut la
décision d’avorter, il n’est pas possible de le considérer comme étant de nature absolue » et que «
l’État est parfaitement fondé à exciper de ses intérêts importants à protéger la santé, à maintenir
la déontologie médicale et à sauvegarder la vie à naître ».

En 1993, c’est la Cour constitutionnelle allemande qui s’est appuyée sur le principe de dignité
humaine consacré par la Loi fondamentale pour juger que « l’État doit assurer les conditions
juridiques du développement de l’être humain qui n’est pas né » et que celui-ci possède « un droit
propre à vivre qui n’existe pas seulement lorsque la mère l’accepte ». Elle ajoute qu’il revient au
législateur de « définir de façon précise les situations exceptionnelles justifiant l’avortement en se
fondant sur leur caractère intolérable » et que « la Constitution oblige l’État à maintenir et
développer dans la conscience collective le droit de l’enfant à naitre à être protégé ».

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a jugé en 2001 qu’ « en portant à douze semaines le délai
dans lequel une femme enceinte que son état place en situation de détresse peut avorter, le
législateur n’a pas rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part la
sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, d’autre part
la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 ».

La Cour européenne des droits de l’homme a aussi estimé, en 2010, que la Convention qui affirme
à la fois le « droit à la vie » et le droit au respect de le vie privée « ne saurait s’interpréter comme
consacrant un droit à l’avortement » et qu’il convient nécessairement de laisser aux États « une
marge d’appréciation quant à la façon de ménager un équilibre entre la protection de l’enfant à
naître et celle des droits concurrents de la femme enceinte ».

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Aucun texte ni aucune jurisprudence constitutionnel ou conventionnel n’a donc jamais consacré
un droit absolu à l’avortement reposant sur la seule « volonté » de la mère. Une telle conception
contredirait en effet de plein fouet l’éthique des droits de l’homme qui est à la base du droit
occidental et qui inspire nos textes fondamentaux. Il ne s’agit pas de christianisme ni d’une
quelconque religion mais de l’application de la philosophie humaniste et il convient de réfléchir
aux contradictions fondamentales dans lesquelles est en train de s’enfoncer un droit postmoderne
devenu incohérent.

L’amendement adopté au parlement, tendant à supprimer la condition de détresse de l’IVG et


donc toute référence à l’idée de nécessité, sera sans doute dépourvu d’effet concret puisque les
tribunaux ont toujours considéré que la femme est, en tout état de cause, seule juge de l’existence
de sa détresse. Inspirée du rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
remis à Mme Belkacem le 7 novembre 2013, cette disposition se veut donc purement
« doctrinale ». Son but est seulement d’afficher un pouvoir sans limite dont la « violence
symbolique » impressionne.

Il n’est pas anodin que ce refus de toute condition à l’avortement vienne cependant se greffer sur
un projet de loi égalitariste de facture liberticide dont l’esprit tout entier est de s’immiscer
partout, dans les institutions comme dans les chaumières, pour y redresser les mœurs par la
coercition. Libertarisme échevelé d’un côté et autoritarisme émasculateur de l’autre, tels sont bien
les deux visages du néo-féminisme. Aucun des deux n’est aimable.

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