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Conférence donnée lors du Colloque 2009 à Ars par le Père Jean-Philippe Nault, Recteur
du Sanctuaire dArs. [disponible aussi dans les Actes du Colloque dArs 2009 : Prêtre pour
le Salut du monde (voir Librairie)].
Permettez-moi de citer pour commencer le Pape Jean-Paul II, dans une méditation relative
à la question qui nous réunit. Cétait à Ars en 1986, le pape sadressait aux prêtres
présents1 : « Notre amour des hommes ne peut se résigner à ce qu'ils se privent du salut.
Nous n'avons pas prise directement sur la conversion des âmes. Mais nous sommes
responsables de l'annonce de la foi, de la totalité de la foi, et de ses exigences. Nous
devons inviter nos fidèles à la conversion et à la sainteté, dire la vérité, avertir, conseiller
et faire désirer les sacrements qui les rétablissent dans la grâce de Dieu. Le Curé dArs
considérait que cétait là un ministère redoutable, mais nécessaire : « Si un pasteur reste
muet en voyant Dieu outragé et les âmes s'égarer, malheur à lui ». On sait avec quel soin
[…] il rappelait les exigences de l'Évangile, dénonçait le péché et invitait à réparer le mal
commis. […] Le Curé d'Ars s'est montré vraiment solidaire de son peuple pécheur ; il a
tout fait pour arracher les âmes à leur péché, à leur tiédeur, pour les ramener à l'amour :
« Accordez-moi la conversion de ma paroisse et je suis prêt à souffrir ce que vous
voudrez, tout le reste de la vie ». Il avait, a-t-on dit, « une vision pathétique du salut » ; le
jansénisme lui a peut-être inspiré des expressions et un ton sévères. Mais il a su dépasser
ce rigorisme. Il préférait insister sur le côté attirant de la vertu, sur la miséricorde de Dieu
auprès de laquelle nos péchés sont « comme des grains de sable ».
Ce passage résume bien les enjeux de cette intervention : nécessité du salut, urgence de
la conversion, exigence de la vérité, solidarité du Curé dArs avec les pécheurs, place de
la miséricorde. Nous travaillerons ici en trois temps : tout dabord quelques définitions pour
ouvrir des perspectives, puis nous essayerons de pénétrer langoisse du salut chez le
Saint Curé au niveau personnel, et enfin son angoisse en tant que pasteur2.
I - PERSPECTIVES
Dans un premier temps, essayons de définir les mots qui composent le thème de cette
intervention. Il y en a trois :
• Le Curé dArs tout dabord… Humble pasteur, né en 1786, ordonné prêtre en 1815,
arrivé à Ars en 1818 où il restera 41 ans. Pasteur infatigable, totalement donné,
1
JEAN-PAUL II, Un modèle hors pair, Ed. Parole et Silence 2004. pp. 60-61.
2
Comme sources principales à utiliser, nous conseillons : les dépositions du Procès de lOrdinaire [Archives
Sanctuaire dArs] ; les grandes biographies (A. Monnin, F. Trochu, R. Fourrey et D. Pézeril) ; le petit
mémoire de Catherine Lassagne [réédité sous le titre : Le Curé dArs au quotidien, Éd. Parole et
Silence 2003] ; les travaux de labbé Nodet [entre autres : Le Curé dArs, sa pensée, son cœur, Éd. du Cerf
2006] ; les analyses du père Ravier, sj [Le Curé dArs, un prêtre pour le peuple de Dieu, Éd. Parole et
Silence 1999] ; les numéros des Annales dArs depuis 1904 rassemblant de multiples études et
analyses [Archives Sanctuaire dArs] ; les textes du magistère (encyclique de Jean XXIII et surtout les textes
de Jean-Paul II [Le Curé dArs, un modèle hors pair, Éd. Parole et Silence 2004]). [Pour plus de détails, voir
le site du Sanctuaire dArs : www.arsnet.org].
bouleversé par la perspective dune amitié personnelle avec Dieu, hanté par le salut de
chacun, martyr du confessionnal, apôtre de lEucharistie et de la charité… ses qualificatifs
son innombrables. Il mourra épuisé en 1859, et sera donné comme modèle aux prêtres de
France en 1905 et du monde entier en 1929.
• Langoisse. Une définition qui semble correspondre aux perspectives de ce travail vient
du Dictionnaire Larousse3 : « angoisse : expérience métaphysique par laquelle
lhomme prend conscience de la réalité du monde et de la sienne propre ». Dans
langoisse qui naît dune expérience, il y a un sentiment de peur ; pour le Curé dArs, la
peur est de ne pas être sauvé, déchapper au salut. Et plus Jean-Marie Vianney prendra
conscience de la vocation de chacun à la Vie éternelle, plus langoisse den être exclu
grandira. Comme le dit la définition citée, cest en percevant la misère de lhomme
pécheur, en en faisant lexpérience (déjà chez lui), quil mesurera lincapacité de lhomme
à en sortir seul. La nécessité dun Sauveur deviendra alors évidente.
• Le salut. Voici ce que dit le Père Bouyer dans son dictionnaire de théologie4 : « Le salut
désigne leffet, soit individuel soit collectif, de la rédemption, et plus
particulièrement son effet ultime dans la résurrection ». Il ne sagit pas de définir ici la
rédemption, mais de souligner le point précisé par le P. Bouyer, qui insiste sur leffet de la
rédemption. Le Curé dArs naura dautre ambition que “dappliquer” comme prêtre cet
effet, et donc de conduire au Christ lunique Sauveur. Pour lui le salut est bien le fait dêtre
sauvé du péché, de la mort, et donc dêtre rétabli dans lamitié avec Dieu en vue de la vie
éternelle. En arrivant à Ars, son intention est déjà claire, « Je te montrerai le chemin du
Ciel », et il précisera plus tard « la Croix est léchelle du Ciel » ; tout son “programme
pastoral” est là ! Jean-Paul II remarque : « La Rédemption du Christ a ouvert pour tous la
possibilité du salut. Le prêtre coopère à la Rédemption, y dispose les âmes en prêchant la
conversion, en donnant le pardon. C'est pour le salut que le Curé d'Ars a voulu être
prêtre »5.
3
Dictionnaire LAROUSSE, éd 1993.
4
L. BOUYER, Dictionnaire de Théologie, Ed. Desclée 1990, p. 310.
5
JEAN-PAUL II, Un modèle hors pair, Ed. Parole et Silence 2004. pp. 58.
6
Procès de lOrdinaire, p. 134
7
Cf Première lecture (Ez 3,16), Propre de la Messe du Saint Curé.
tant que tel bien sûr, mais langoisse den être exclu. Cette angoisse deviendra
omniprésente car le monde entier dans lequel il baigne – et dont peut-être plus quun autre
il perçoit la misère –, “gémit en attendant la libération”8 ; si rien nest fait le monde va à sa
perte, et lhomme en tête. Il y a urgence ; tout le Curé dArs est là ! Il voit, il regarde
chacun comme quelquun à sauver, appelé à la sainteté ; « Je suis prêt à rester 100 ans
de plus sur terre pour réconcilier une âme avec Dieu » dira-t-il ; doù le prix dune âme
pour lui. On pourrait même dire que cest langle principal, le fil rouge, de ce quil a été et
de ce qua été sa pastorale ici à Ars, durant ses 41 ans de présence comme pasteur. Il
précise un jour : « Le bon Dieu nous a créés et mis au monde pour le servir, laimer et
travailler à notre salut, rien que cela ; tout ce que nous faisons en dehors de cela, cest du
temps perdu »9.
Suite à ces perspectives, nous allons développer la question en deux parties, la première
concernant la personne du Saint Curé en elle-même, et la seconde sa mission de pasteur.
Cette distinction ne doit bien sûr pas être forcée, elle permet de mieux appréhender la
question ; la personne du Curé dArs unifie ces deux aspects. À chaque fois, nous
regarderons comment sexprime et ce que signifie langoisse du salut, et comment le saint
Curé se confrontera à cette question.
Comment le Saint Curé vit-il en lui-même et pour lui-même cette angoisse du salut ? Doù
vient-elle et comment va-t-il y faire face ?
8
Cf Rm 8, 22 : « Nous le savons en effet, toute la création gémit en travail denfantement, et non pas elle
seule, nous-mêmes qui possédons les prémices de lEsprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans
lattente de la rédemption de notre corps ».
9
A. MONNIN, Vie de J-M Vianney, Ed. Douniol, Lyon 1861, Tomme I, p. 337.
10
Abbé Charles Balley [1806-1817], curé dEcully.
Ce contexte particulier engendre peur et angoisse face à lavenir, à la stabilité ultérieure,
et ne peut pas ne pas avoir de répercussion sur les sentiments personnels, même sur
ceux dun futur saint.
• Lamitié avec Dieu lui fait prendre conscience de sa propre misère. Son intimité
avec Dieu, son amitié comme il disait, va, par ricochet, lui révéler sa pauvreté, et la misère
totale de sa condition sans Dieu. Il ne perçoit pas uniquement sa misère à partir de
lexpérience de sa vie, mais plus il se rapprochera de Dieu, plus il prendra conscience de
son incapacité à répondre à lappel de Dieu, plus il aura conscience, comme S. Vincent de
Paul, quil pourrait faire davantage. Doù ce sentiment dangoisse qui grandira avec le
temps.
• « Un misérable pécheur ». Cest ainsi finalement quil se définit. Il en est profondément
convaincu, et quelques années avant sa mort il pense même quil va se damner. Ce nest
pas par fausse modestie, cest une réalité terrible qui le ronge et le mine. Dès son arrivée
à Ars il pensait « ne pas trouver un prêtre qui voulut se charger de la direction de son âme
car il se regardait comme le plus grand des pécheurs »11 confiera-t-il à lAbbé Toccanier.
Plus les pécheurs affluaient, « plus une sorte daffolement le saisit, à la pensée que ses
péchés entravaient laction de la grâce »12 souligne le P. Ravier, sj13. Cet état14 le
rapproche des plus grands mystiques, et explique en partie les raison de ses fuites dArs.
Ce nest seulement que dans les derniers jours avant sa mort, quil retrouvera la paix.
11
A. RAVIER, Le Curé dArs - un prêtre pour le peuple de Dieu, Ed. Parole et Silence 1999, p. 97. (désormais,
noté : RAVIER, 97).
12
RAVIER, 98.
13
RAVIER, 98.
14
Souligne le même père jésuite, RAVIER, 100-104.
15
RAVIER, 101.
16
B. NODET, Jean-Marie Vianney, Curé dArs - Sa pensée, son cœur, Le Puy, 1958, p. 147 ; [désormais cité :
NODET, 147].
offerte portera elle aussi un fruit déternité. Dans le brouillard et lincompréhension il pose
des actes dabandon ou de charité, et parfois ne peut pas faire plus. Au soir de sa dernière
fuite il dira simplement en venant se rasseoir dans son confessionnal « jai fait lenfant ».
• Tenté par le grappin. Il faudrait enfin souligner, ce qui ne peut être écarté chez le Saint
Curé, linfluence du démon. Il a été plus quun autre tenté par celui qui mesurait tout le
bien fait par ce prêtre : « Que tu me fais souffrir !... S'il y en avait trois comme toi sur la
terre, mon royaume serait détruit... tu m'as enlevé plus de quatre-vingt mille âmes »17. Le
grappin se chargera douloureusement de le lui rappeler. Si le Seigneur a permis les
attaques quotidiennes et souvent spectaculaires du démon durant plus de 30 ans18, cest
peut-être pour quil ne tombe pas dans lorgueil, peut-être aussi pour faire grandir sa force
dans ladversité, force jaillie de sa foi et de son abandon confiant. Certainement enfin pour
que ce pasteur hors norme prenne la mesure de la nécessité du salut. La force des
attaques ne fera que renforcer les convictions du curé. Il plaisantera même des ruses du
démon « avec le grappin, on est quasi camarade tellement on se connaît »19.
4- Sa réponse de prêtre
Face à cette détresse spirituelle, son unique horizon est le Christ Sauveur et lunion à Lui.
Elle se manifeste sous différents angles :
17
MONNIN , Tome I, p. 439.
18
De 1824 à 1858.
19
NODET, 177.
20
NODET, 105.
21
CONVERT, Méditations sacerdotales, P. 27.
22
RAVIER, 90.
• Prière et abandon. La première réponse face à cette angoisse existentielle et
métaphysique est dabord sa prière, « quand je suis désespéré, je me jette au pied du
tabernacle comme un petit chien au pied de son maître »23 remarque-t-il un jour. Il va
percevoir dans la prière une profonde consolation qui sexprime par son amitié avec Dieu.
Or lamitié sous-entend réciprocité et donc intimité. Une amitié quil reçoit dabord de Dieu
et à laquelle il répond de tout son cœur ; « il était presque en permanence en présence de
Dieu » relevait lAbbé Toccanier. Dans sa prière, il a goûté la miséricorde de Dieu, cest la
prière dun humble ; « si jétais triste, jirais me confesser »24.
• Consolation par la Présence réelle. Son autre grande consolation sera la Présence
réelle. “Dieu est là à côté de moi, pour moi, là, à quelques mètres…” On comprend mieux
la vie du Saint Curé si on perçoit cette grâce particulière qui lui fut donnée de goûter cette
présence toute simple de Dieu qui se donne. Sil passe de longues heures devant le
tabernacle, ce nest pas pour avoir le Seigneur à lusure mais pour se laisser aimer. Pour
Jean-Marie Vianney, lEucharistie est bien sûr un sacrifice, le lieu où Dieu se donne aux
hommes et lhomme à Dieu ; comme prêtre, il est par excellence à cette jonction.
Ladoration lui permit de communier aux sentiments du Christ : « Je suis venu apporter le
feu ; comme je voudrais quil embrase la terre ». Jean-Marie Vianney était si heureux en
présence de Dieu quil se serait presque contenté de ce bonheur sur la terre : « Je me
reposerai en Paradis. Je serais bien à plaindre sil ny avait pas de Paradis ! Mais il y a
tant de bonheur à aimer Dieu dans cette vie que cela suffirait, lors même quil ny aurait
pas de Paradis dans lautre vie »25.
• Le salut par la Croix. Il répondra enfin à ce combat par ses pénitences et loffrande
quil fera de lui-même. La Croix, chez le saint Curé, va prendre un relief particulier ; elle est
plantée au cœur de sa vie et de son ministère : « Oh, javais des croix ! jen avais presque
plus que je nen pouvais porter. Je me suis mis à demander lamour des croix, alors je fus
heureux »26. Par ses mortifications, qui feront couler tant dencre car mal comprises ou
objets de la moquerie de ses confrères il veut sunir au don suprême et entrer lui-même
dans le combat. Il est au pied de la Croix et comme prêtre, il a perçu quil devait entrer
dans ce don total, cette identification au Christ qui se donne complètement pour le salut du
monde. Ses pénitences, malgré les excès de jeunesse quil reconnaissait bien volontiers,
neurent jamais un côté morbide ou ostentatoire. Rares sont ceux qui les connaissaient.
Tout est donné, offert et prend sens uni à la passion du Christ. On perçoit ce que lon
pourrait appeler une “substitution” : je souffre pour vous et avec vous, de ce que vous ne
voulez pas souffrir : « Ah mon Dieu ! –prie-t-il– Faites-moi la grâce de souffrir en vous
aimant, de vous aimer en souffrant »27. Il me semble que lon mesure mal lampleur de cet
aspect, non seulement dans sa vie personnelle mais aussi dans sa dimension
surnaturelle. Jean-Paul II remarque : « C'est pour cela que Jean-Marie Vianney s'est
dépensé jusqu'à l'épuisement, pour cela qu'il acceptait de faire pénitence, comme pour
arracher à Dieu les grâces de conversion. Pour leur salut, il craignait, il pleurait. Et lorsqu'il
était tenté de fuir sa lourde charge de curé, il revenait, pour le salut des paroissiens ».
En conclusion de cette partie, on peut dire que face à son angoisse personnelle, face à
son propre salut, cest finalement une vie de foi, despérance et de charité quil mettra en
œuvre. Il répondra aux attaques de toutes sortes par la foi et dans lespérance, et par le
développement de ses vertus, tout spécialement la patience et la maîtrise de soi.
23
NODET, 204.
24
NODET, 15.
25
NODET, 94.
26
NODET, 184.
27
Acte damour, prière attribuée au Saint Curé dArs.
Retournant à son adversaire le mérite de son offrande, il sera doublement vainqueur
même sil en ressortira meurtri et touché. Mais les épreuves spirituelles ne lui feront pas
perdre la paix. Ses désirs de fuite, la tentation du désespoir lancreront douloureusement
mais fermement dans un dépouillement confiant ; « certains jours je rentre avec dégoût
dans mon église » confiera-t-il même. Ce fut profondément un homme de foi et un héraut
de lespérance, et cela nourrira son humble fidélité. La joie de la victoire finale illumine son
combat.
Mais le Curé dArs fut déjà et surtout un pasteur. Le premier souci du pasteur cest le salut
de ceux qui lui sont confiés et dont mystérieusement il a la charge. Son angoisse est
dannoncer efficacement ce salut en face de la misère et de la médiocrité humaine.
Lurgence de cette annonce explicite la radicalité de sa mise en œuvre chez M. Vianney :
30
JEAN-PAUL II, 59.
31
NODET, 100.
qui ne savent pas que Jésus a besoin deux pour être les membres de son Corps ?
Comment aurait-il pu se résigner à voir le Corps du Christ mutilé de la sorte ? Il se méfiait
beaucoup de cette tentation de résignation quéprouvent bien des prêtres qui font de leur
mieux pour agrandir la communauté des fidèles et que la lassitude paralyse : « Ce qui est
un grand malheur pour nous autres curés, cest que lâme sengourdit. Au
commencement, on était touché de létat de ceux qui naimaient pas le Bon Dieu. Après
on dit : "En voilà qui font bien leur devoir détat, tant mieux ! En voici qui séloignent des
sacrements, tant pis ! Et lon nen fait ni plus ni moins..." »32. Le saint Curé fit alors de son
proche environnement une terre de mission, il avait bien conscience que la mission
commençait autour de lui. Notons aussi la place des sacrements dont il fut le ministre
fidèle. On pense immédiatement à la Messe et à la confession, mais il fut un curé qui
baptisait, mariait et soccupait des malades. Les sacrements furent pour lui le principal
canal de la grâce dans ce petit village dArs, et le lieu dune rencontre personnelle avec
Dieu ; cest là quil voyait le Sauveur agir. Comme tout prêtre, il en usa avec joie et, dans
ses premières années à Ars, son temps disponible lui permettait daller aider ses confrères
à les donner.
• Prêcher la miséricorde. Il convient aussi de parler de cet aspect de son ministère qui le
caractérise peut-être le mieux. Ce fut un extraordinaire témoin de la miséricorde de Dieu.
On peut aisément souligner deux aspects chez lui, sa bienveillance miséricordieuse
envers les pauvres et les petits, et celle envers les pécheurs. Nous retiendrons ici surtout
la seconde dont il est devenu presque licône. Jean-Paul II le considère comme un martyr
du confessionnal33. Son instrument de pénitence, rapporte son dernier vicaire, devint son
seul confessionnal ; on pourrait ajouter que ce même confessionnal fut aussi linstrument
du salut pour beaucoup. 17 heures par jour sans repos, dans une église glacée lhiver et
surchauffée lété, à écouter la misère du monde se déverser, sans autre appui ou aide que
Dieu seul… Aucun péché ne peut alors empêcher le salut : « tous nos péchés réunis sont
un grain de sable devant la montagne des miséricordes de Dieu ».
• Se donner toujours plus. Prêcher, il le fit avec succès. Mais il accompagna toujours sa
parole et ses actes du don total de lui-même. Répondant un jour à une personne qui lui
demandait quel était son secret, il répondit simplement : « mon secret est bien simple,
cest de tout donner et de ne rien garder »34. Au-delà de lintention première de celle qui
linterroge, tout le Curé dArs est là. Ce fut un homme totalement donné, et ce dans toutes
les dimensions de sa personne et de son ministère. Il entre dans la logique du don, la
logique de la sainteté : le Père se donne au Fils, le Fils se donne au Père, et de ce don
total jaillit lEsprit Saint qui nest que don : cest un mouvement de charité qui lenvahit et
qui déborde… Il se donne à Dieu et à chacun, il ne sappartient plus et cherche, comme
son Maître, à être tout à tous : attentifs à chacun, soucieux de tous, de toutes les
catégories de personnes…
• Une mission dampleur universelle. Son action du salut ne sarrêtera pas aux portes
de sa paroisse. Il mettra toute son énergie à faire que lannonce de la bonne nouvelle du
salut soit large : « Être missionnaire cest laisser déborder son cœur » précisera-t-il un
jour. Deux exemples le vérifie :
Tout dabord son amour des missions diocésaines. « On trouve toujours assez de
personnes pour acheter des bannières ou des statues, disait-il, mais le salut des âmes par
les Missions doit être préféré »35. Il se fit donc fondateur de missions paroissiales. Il disait
du haut de la chaire : « Jaime tant les missions que si je pouvais vendre mon corps pour
32
NODET, 104.
33
JEAN-PAUL II, 23.
34
NODET, 220.
35
NODET, 35.
en établir une encore, je le vendrais ! »36. Le confesseur ne cache pas la satisfaction que
lui procurent les missions : « On ne sait pas tout le bien que les missions opèrent. Pour
lapprécier, il faudrait être à ma place, il faudrait être confesseur »37.
Un autre exemple fut son attachement à la mission universelle de lÉglise, spécialement
par le biais de Pauline Jaricot38. Il fut dailleurs abonné à la revue de La Propagation de la
foi. Le fait quil ait été nommé, en 1929, “patron de tous les curés de lunivers” le souligne
aussi.
CONCLUSION
36
TOCCANIER, Procès Apostolique, p. 290. En 1855, M. J-M. Vianney avait procuré deux cent mille francs à
lœuvre des missions décennales ; TROCHU, Le Curé dArs, 1925, p. 440.
37
NODET, 227. « Des personnes ont pensé que Monseigneur serait mécontent de ce que javais vendu mon
camail. Je lui ai écrit quil me manquait encore cinquante francs pour compléter une fondation de mission et
quil ne serait pas fâché dy avoir contribué ». NODET, 210.
38
Pauline Jaricot [1799-1862].
39
JEAN-PAUL II, 59.
40
Par exemple : « Le souvenir de la lutte qu'elle avait soutenue devant moi, sous mes yeux, ce grand
combat pour la vie éternelle dont elle était sortie épuisée, invaincue, m'est revenu si fort à la mémoire que
j'ai pensé défaillir. Comment n'ai-je pas deviné qu'un tel jour serait sans lendemain, que nous nous étions
affrontés tous les deux à l'extrême limite de ce monde visible, au bord du gouffre de lumière? Que n'y
sommes-nous tombés ensemble! "Soyez en paix", lui avais-je dit. Et elle avait reçu cette paix à genoux.
Qu'elle la garde à jamais! C'est moi qui la lui ai donnée. Ô merveille, qu'on puisse ainsi faire présent de ce
qu'on ne possède pas soi-même, ô doux miracle des mains vides! » [G. BERNANOS, Le journal dun curé de
campagne, Ed. Pocket 2008, p. 200].
• Le Curé dArs fut enfin un formidable témoin de lespérance. Cest peut-être le titre
quil aurait, a fortiori, préféré. Le regard fixé sur le Ciel avec léternité comme horizon, il
neut de cesse que de permettre à chacun dy goûter. Ce quil chercha pour lui, il se donna
totalement pour que chacun puisse librement y accéder.
Jean-Paul II concluait ainsi son intervention à Ars : « Chers frères, beaucoup de nos
contemporains semblent devenus indifférents au salut de leur âme. Nous soucions-nous
assez de cette perte de foi, ou bien nous résignons-nous ? Certes, nous avons raison
d'insister aujourd'hui sur l'amour de Dieu qui a envoyé son Fils pour sauver et non pour
condamner. Nous avons raison de miser sur l'amour plutôt que sur la crainte et la peur.
D'ailleurs, c'est aussi ce que faisait le Curé d'Ars. En outre, les hommes sont libres
d'adhérer ou non à la foi et au salut ; ils réclament hautement cette liberté, et l'Église aussi
veut que leur démarche soit libre de contraintes extérieures41, étant sauve l'obligation
morale pour chacun de chercher la vérité et d'y adhérer, d'agir selon sa conscience. Enfin,
Dieu lui-même est libre de ses dons. La conversion est une grâce »42.
41
CONCILE VATICAN II, Déclaration Dignitatis humanae, n°3.
42
JEAN-PAUL II, 59.