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LE CURÉ DARS ET LANGOISSE DU SALUT

Conférence donnée lors du Colloque 2009 à Ars par le Père Jean-Philippe Nault, Recteur
du Sanctuaire dArs. [disponible aussi dans les Actes du Colloque dArs 2009 : Prêtre pour
le Salut du monde (voir Librairie)].

Permettez-moi de citer pour commencer le Pape Jean-Paul II, dans une méditation relative
à la question qui nous réunit. Cétait à Ars en 1986, le pape sadressait aux prêtres
présents1 : « Notre amour des hommes ne peut se résigner à ce qu'ils se privent du salut.
Nous n'avons pas prise directement sur la conversion des âmes. Mais nous sommes
responsables de l'annonce de la foi, de la totalité de la foi, et de ses exigences. Nous
devons inviter nos fidèles à la conversion et à la sainteté, dire la vérité, avertir, conseiller
et faire désirer les sacrements qui les rétablissent dans la grâce de Dieu. Le Curé dArs
considérait que cétait là un ministère redoutable, mais nécessaire : « Si un pasteur reste
muet en voyant Dieu outragé et les âmes s'égarer, malheur à lui ». On sait avec quel soin
[…] il rappelait les exigences de l'Évangile, dénonçait le péché et invitait à réparer le mal
commis. […] Le Curé d'Ars s'est montré vraiment solidaire de son peuple pécheur ; il a
tout fait pour arracher les âmes à leur péché, à leur tiédeur, pour les ramener à l'amour :
« Accordez-moi la conversion de ma paroisse et je suis prêt à souffrir ce que vous
voudrez, tout le reste de la vie ». Il avait, a-t-on dit, « une vision pathétique du salut » ; le
jansénisme lui a peut-être inspiré des expressions et un ton sévères. Mais il a su dépasser
ce rigorisme. Il préférait insister sur le côté attirant de la vertu, sur la miséricorde de Dieu
auprès de laquelle nos péchés sont « comme des grains de sable ».
Ce passage résume bien les enjeux de cette intervention : nécessité du salut, urgence de
la conversion, exigence de la vérité, solidarité du Curé dArs avec les pécheurs, place de
la miséricorde. Nous travaillerons ici en trois temps : tout dabord quelques définitions pour
ouvrir des perspectives, puis nous essayerons de pénétrer langoisse du salut chez le
Saint Curé au niveau personnel, et enfin son angoisse en tant que pasteur2.

I - PERSPECTIVES

Dans un premier temps, essayons de définir les mots qui composent le thème de cette
intervention. Il y en a trois :
• Le Curé dArs tout dabord… Humble pasteur, né en 1786, ordonné prêtre en 1815,
arrivé à Ars en 1818 où il restera 41 ans. Pasteur infatigable, totalement donné,
1
JEAN-PAUL II, Un modèle hors pair, Ed. Parole et Silence 2004. pp. 60-61.
2
Comme sources principales à utiliser, nous conseillons : les dépositions du Procès de lOrdinaire [Archives
Sanctuaire dArs] ; les grandes biographies (A. Monnin, F. Trochu, R. Fourrey et D. Pézeril) ; le petit
mémoire de Catherine Lassagne [réédité sous le titre : Le Curé dArs au quotidien, Éd. Parole et
Silence 2003] ; les travaux de labbé Nodet [entre autres : Le Curé dArs, sa pensée, son cœur, Éd. du Cerf
2006] ; les analyses du père Ravier, sj [Le Curé dArs, un prêtre pour le peuple de Dieu, Éd. Parole et
Silence 1999] ; les numéros des Annales dArs depuis 1904 rassemblant de multiples études et
analyses [Archives Sanctuaire dArs] ; les textes du magistère (encyclique de Jean XXIII et surtout les textes
de Jean-Paul II [Le Curé dArs, un modèle hors pair, Éd. Parole et Silence 2004]). [Pour plus de détails, voir
le site du Sanctuaire dArs : www.arsnet.org].
bouleversé par la perspective dune amitié personnelle avec Dieu, hanté par le salut de
chacun, martyr du confessionnal, apôtre de lEucharistie et de la charité… ses qualificatifs
son innombrables. Il mourra épuisé en 1859, et sera donné comme modèle aux prêtres de
France en 1905 et du monde entier en 1929.
• Langoisse. Une définition qui semble correspondre aux perspectives de ce travail vient
du Dictionnaire Larousse3 : « angoisse : expérience métaphysique par laquelle
lhomme prend conscience de la réalité du monde et de la sienne propre ». Dans
langoisse qui naît dune expérience, il y a un sentiment de peur ; pour le Curé dArs, la
peur est de ne pas être sauvé, déchapper au salut. Et plus Jean-Marie Vianney prendra
conscience de la vocation de chacun à la Vie éternelle, plus langoisse den être exclu
grandira. Comme le dit la définition citée, cest en percevant la misère de lhomme
pécheur, en en faisant lexpérience (déjà chez lui), quil mesurera lincapacité de lhomme
à en sortir seul. La nécessité dun Sauveur deviendra alors évidente.
• Le salut. Voici ce que dit le Père Bouyer dans son dictionnaire de théologie4 : « Le salut
désigne leffet, soit individuel soit collectif, de la rédemption, et plus
particulièrement son effet ultime dans la résurrection ». Il ne sagit pas de définir ici la
rédemption, mais de souligner le point précisé par le P. Bouyer, qui insiste sur leffet de la
rédemption. Le Curé dArs naura dautre ambition que “dappliquer” comme prêtre cet
effet, et donc de conduire au Christ lunique Sauveur. Pour lui le salut est bien le fait dêtre
sauvé du péché, de la mort, et donc dêtre rétabli dans lamitié avec Dieu en vue de la vie
éternelle. En arrivant à Ars, son intention est déjà claire, « Je te montrerai le chemin du
Ciel », et il précisera plus tard « la Croix est léchelle du Ciel » ; tout son “programme
pastoral” est là ! Jean-Paul II remarque : « La Rédemption du Christ a ouvert pour tous la
possibilité du salut. Le prêtre coopère à la Rédemption, y dispose les âmes en prêchant la
conversion, en donnant le pardon. C'est pour le salut que le Curé d'Ars a voulu être
prêtre »5.

Quen tirer comme conséquences pour le Curé dArs ? Un double écartèlement. Le


premier entre dune part, la prise de conscience de la beauté de la création et de la
vocation de lhomme à la vie éternelle. Dautre part, le non de lhomme à ce projet de Dieu,
la misère de son péché et la folie dun monde sans Dieu. Tout le drame de la vie humaine
quil côtoie est là. Le second écartèlement qui le concerne lui-même : entre dune part la
grandeur de sa vocation de prêtre appelé à donner le salut, et dautre part la prise de
conscience de sa propre misère, de son incapacité à répondre à cet appel particulier.
La réponse à ces deux écartèlements réside dans le salut, sa recherche, son accueil, son
application au monde. Toute sa vie de prêtre est dans ce mot de salut, depuis léveil de sa
vocation où il disait à sa maman : « je veux gagner des âmes au bon Dieu » jusquà
lensemble de sa vie pastorale comme pasteur dâmes quand il dit à son vicaire peu avant
de mourir « Cest si important le salut des âmes »6. Le Curé dArs est un veilleur nous
rappelle la liturgie de sa fête7 ; il lest dautant plus quil se trouve aux avant-postes de ce
combat, de ce drame qui se joue autour de lui et en lui. Nécessité absolue du salut, cest
bien ce qui caractérise la pensée du Curé dArs et limpulsion de toute son œuvre.
Langoisse a alors le sens dun souci permanent, presque dune obsession pourrait-on
dire. Dans la dénomination “angoisse du salut”, il y a au premier abord comme une
contradiction sous-jacente, là aussi un écartèlement. Ce nest pas langoisse du salut en

3
Dictionnaire LAROUSSE, éd 1993.
4
L. BOUYER, Dictionnaire de Théologie, Ed. Desclée 1990, p. 310.
5
JEAN-PAUL II, Un modèle hors pair, Ed. Parole et Silence 2004. pp. 58.
6
Procès de lOrdinaire, p. 134
7
Cf Première lecture (Ez 3,16), Propre de la Messe du Saint Curé.
tant que tel bien sûr, mais langoisse den être exclu. Cette angoisse deviendra
omniprésente car le monde entier dans lequel il baigne – et dont peut-être plus quun autre
il perçoit la misère –, “gémit en attendant la libération”8 ; si rien nest fait le monde va à sa
perte, et lhomme en tête. Il y a urgence ; tout le Curé dArs est là ! Il voit, il regarde
chacun comme quelquun à sauver, appelé à la sainteté ; « Je suis prêt à rester 100 ans
de plus sur terre pour réconcilier une âme avec Dieu » dira-t-il ; doù le prix dune âme
pour lui. On pourrait même dire que cest langle principal, le fil rouge, de ce quil a été et
de ce qua été sa pastorale ici à Ars, durant ses 41 ans de présence comme pasteur. Il
précise un jour : « Le bon Dieu nous a créés et mis au monde pour le servir, laimer et
travailler à notre salut, rien que cela ; tout ce que nous faisons en dehors de cela, cest du
temps perdu »9.

Suite à ces perspectives, nous allons développer la question en deux parties, la première
concernant la personne du Saint Curé en elle-même, et la seconde sa mission de pasteur.
Cette distinction ne doit bien sûr pas être forcée, elle permet de mieux appréhender la
question ; la personne du Curé dArs unifie ces deux aspects. À chaque fois, nous
regarderons comment sexprime et ce que signifie langoisse du salut, et comment le saint
Curé se confrontera à cette question.

II - ANGOISSE DU SALUT DANS SA PROPRE PERSONNE

Comment le Saint Curé vit-il en lui-même et pour lui-même cette angoisse du salut ? Doù
vient-elle et comment va-t-il y faire face ?

1- Angoisse de son propre salut


Doù vient cette angoisse ? Plusieurs points peuvent nous éclairer :
• Anxiété personnelle. Il faudrait peut-être parler déjà dun fond danxiété personnelle
présent chez Jean-Marie Vianney. À son vicaire qui lui demande un jour si, devant lafflux
des pèlerins qui viennent le voir il nest pas tenté par lorgueil, il répond : ma tentation cest
le désespoir ! Sa constitution, ses misères humaines, son histoire et les aléas de la vie lui
ont donné ce fond danxiété, déjà présent dans sa jeunesse, qui se révèlera comme une
véritable pauvreté. Sans être pathologique bien sûr, il ne faut peut-être pas nier son
influence dans la répercussion existentielle et métaphysique que cela entraînera vis-à-vis
du salut.
• Influences de sa formation…. Notons aussi linfluence de sa formation, tant familiale
que sacerdotale. Celle entre autres de lAbbé Charles Balley10, curé dÉcully, celui que
Jean-Marie Vianney appelait son maître. Sa forte personnalité, sa rigueur, son sens du
sacrifice et de labnégation, sa piété et sa foi profonde marqueront à jamais lâme du jeune
Jean-Marie. Mais M. Balley, par le biais de sa congrégation, les génovéfains, est marqué
par une pensée jansénisante qui marquera le jeune Jean-Marie. Ce jansénisme ambiant
influencera le futur Curé dArs dans ses premières années de ministère. Il faudra
linfluence de sa propre intimité avec Dieu et celle de la pensée dun Alphonse de Liguori à
partir de 1836, pour que la tendance sinverse. Un autre aspect enfin, sera linfluence née
de linstabilité de la période, celle de la révolution et de la période post-napoléonienne.

8
Cf Rm 8, 22 : « Nous le savons en effet, toute la création gémit en travail denfantement, et non pas elle
seule, nous-mêmes qui possédons les prémices de lEsprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans
lattente de la rédemption de notre corps ».
9
A. MONNIN, Vie de J-M Vianney, Ed. Douniol, Lyon 1861, Tomme I, p. 337.
10
Abbé Charles Balley [1806-1817], curé dEcully.
Ce contexte particulier engendre peur et angoisse face à lavenir, à la stabilité ultérieure,
et ne peut pas ne pas avoir de répercussion sur les sentiments personnels, même sur
ceux dun futur saint.
• Lamitié avec Dieu lui fait prendre conscience de sa propre misère. Son intimité
avec Dieu, son amitié comme il disait, va, par ricochet, lui révéler sa pauvreté, et la misère
totale de sa condition sans Dieu. Il ne perçoit pas uniquement sa misère à partir de
lexpérience de sa vie, mais plus il se rapprochera de Dieu, plus il prendra conscience de
son incapacité à répondre à lappel de Dieu, plus il aura conscience, comme S. Vincent de
Paul, quil pourrait faire davantage. Doù ce sentiment dangoisse qui grandira avec le
temps.
• « Un misérable pécheur ». Cest ainsi finalement quil se définit. Il en est profondément
convaincu, et quelques années avant sa mort il pense même quil va se damner. Ce nest
pas par fausse modestie, cest une réalité terrible qui le ronge et le mine. Dès son arrivée
à Ars il pensait « ne pas trouver un prêtre qui voulut se charger de la direction de son âme
car il se regardait comme le plus grand des pécheurs »11 confiera-t-il à lAbbé Toccanier.
Plus les pécheurs affluaient, « plus une sorte daffolement le saisit, à la pensée que ses
péchés entravaient laction de la grâce »12 souligne le P. Ravier, sj13. Cet état14 le
rapproche des plus grands mystiques, et explique en partie les raison de ses fuites dArs.
Ce nest seulement que dans les derniers jours avant sa mort, quil retrouvera la paix.

2- Une épreuve spirituelle


À côté dinfluences humaines ou sociales, on peut aussi parler chez le Curé dArs dune
véritable épreuve spirituelle.
• Épreuve spirituelle. Elle fut sans doute permise par Dieu, pour empêcher quil ne cède
à lorgueil, ou pour quil mange à la table des pécheurs ? La tentation du désespoir est
parfois si forte chez le Curé dArs quelle semble submerger son âme et quelle le jette
dans un état semblable au désespoir du damné. Il plonge dans le désespoir mais il ne
succombe pas. Cette angoisse naffectait pas ses activités sacerdotales ou pastorales, ni
son don de soi, ni même sa charité. Non ce qui provoquait en lui langoisse jusquà
plonger son âme dans une sorte dagonie, cétait de rencontrer le péché du monde, tout
spécialement dans son confessionnal. Sa tentation du désespoir, loin dabolir en lui
lamour de Dieu et le zèle pour les âmes, le purifiait chaque jour davantage et, remarque le
P. Ravier, lacheminait « vers ces états supérieurs de pur amour où lâme se dénude elle-
même, sanéantit pour laisser vivre en elle et agir à travers elle en toute liberté son
Créateur et Seigneur »15. La rencontre avec le péché va, petit à petit, envahir toute sa vie
« si je navais pas été prêtre, je naurai pas su ce que cétait que le péché »16. Cest la foi
et lespérance qui permettront au S. Curé de ne pas sombrer ; la paix profonde qui
finalement ne le quitta pas, montre bien que lépreuve était spirituelle. Cette “nuit” rejoint
celle du Seigneur à Gethsémani ; cest le drame de lhumanité auquel il communie, dans
les limites de son humble paroisse mais avec une rare ampleur ; il communie au mystère
même de la rédemption ; il se sent abandonné, pécheur, incapable dactes bons, destiné à
la perdition. Il goûte à la déréliction, reflète le visage humilié du Seigneur, ressentant à la
fois sa propre faiblesse et lampleur de la tâche à accomplir. Cette humiliation acceptée et

11
A. RAVIER, Le Curé dArs - un prêtre pour le peuple de Dieu, Ed. Parole et Silence 1999, p. 97. (désormais,
noté : RAVIER, 97).
12
RAVIER, 98.
13
RAVIER, 98.
14
Souligne le même père jésuite, RAVIER, 100-104.
15
RAVIER, 101.
16
B. NODET, Jean-Marie Vianney, Curé dArs - Sa pensée, son cœur, Le Puy, 1958, p. 147 ; [désormais cité :
NODET, 147].
offerte portera elle aussi un fruit déternité. Dans le brouillard et lincompréhension il pose
des actes dabandon ou de charité, et parfois ne peut pas faire plus. Au soir de sa dernière
fuite il dira simplement en venant se rasseoir dans son confessionnal « jai fait lenfant ».
• Tenté par le grappin. Il faudrait enfin souligner, ce qui ne peut être écarté chez le Saint
Curé, linfluence du démon. Il a été plus quun autre tenté par celui qui mesurait tout le
bien fait par ce prêtre : « Que tu me fais souffrir !... S'il y en avait trois comme toi sur la
terre, mon royaume serait détruit... tu m'as enlevé plus de quatre-vingt mille âmes »17. Le
grappin se chargera douloureusement de le lui rappeler. Si le Seigneur a permis les
attaques quotidiennes et souvent spectaculaires du démon durant plus de 30 ans18, cest
peut-être pour quil ne tombe pas dans lorgueil, peut-être aussi pour faire grandir sa force
dans ladversité, force jaillie de sa foi et de son abandon confiant. Certainement enfin pour
que ce pasteur hors norme prenne la mesure de la nécessité du salut. La force des
attaques ne fera que renforcer les convictions du curé. Il plaisantera même des ruses du
démon « avec le grappin, on est quasi camarade tellement on se connaît »19.

3- Sur une ligne de crête…


Toute sa vie le Curé dAs sera en quelque sorte sur une ligne de crête, entre sa joie
profonde dêtre prêtre et son angoisse de pasteur, oscillant selon les moments, dun côté
ou de lautre. Il remarquera un jour : « si javais su tout ce quil y aurait à souffrir étant curé,
je serais mort de chagrin »20.
• Sa joie dêtre prêtre nest pas feinte. Donner Dieu aux hommes, donner les hommes à
Dieu. Depuis longtemps quil porte ce désir de gagner des âmes au bon Dieu, sa joie est
grande den être lhumble artisan ; toute sa vie le démontre largement ainsi que la
postérité quen donnera lÉglise.
• Mais il connaît aussi langoisse du pasteur. « Ah ! quil est terrible pour un curé de
paraître au tribunal de Dieu »21. Le curé est responsable des âmes devant le Seigneur.
« Et si certains venaient à se perdre à cause de mon manque de zèle, de mes péchés ou
de mon manque de courage ? » Ce fut un véritable combat intérieur. Comme prêtre, il est
“sauveur” cest-à-dire selon son expression « médiateur entre Dieu et le pauvre
pécheur » ; or il se sent écrasé par cette responsabilité quil exerce envers ses paroissiens
et les milliers de gens qui accourront vers lui. Submergé il ne peut faire face et mesure les
pans entiers de ce quil reste à faire. Le P. Ravier souligne : « Dieu permet que la tentation
du désespoir sinsinue entre sa joie dêtre prêtre et son désir de gagner des âmes […] que
ce prêtre se croit damné parce quil a des âmes en charge, que cette responsabilité
pastorale qui justifiait son sacerdoce en devienne précisément la condamnation »22. Ses
multiples démarches pour changer de ministère rajouteront au dramatique de la situation.
Sa responsabilité de pasteur fut aussi une des raisons de ses fuites dArs, avec la
conscience de sa misère et la rencontre avec le péché. Cest toujours la perspective du
salut de ses paroissiens qui le fit revenir.

4- Sa réponse de prêtre
Face à cette détresse spirituelle, son unique horizon est le Christ Sauveur et lunion à Lui.
Elle se manifeste sous différents angles :

17
MONNIN , Tome I, p. 439.
18
De 1824 à 1858.
19
NODET, 177.
20
NODET, 105.
21
CONVERT, Méditations sacerdotales, P. 27.
22
RAVIER, 90.
• Prière et abandon. La première réponse face à cette angoisse existentielle et
métaphysique est dabord sa prière, « quand je suis désespéré, je me jette au pied du
tabernacle comme un petit chien au pied de son maître »23 remarque-t-il un jour. Il va
percevoir dans la prière une profonde consolation qui sexprime par son amitié avec Dieu.
Or lamitié sous-entend réciprocité et donc intimité. Une amitié quil reçoit dabord de Dieu
et à laquelle il répond de tout son cœur ; « il était presque en permanence en présence de
Dieu » relevait lAbbé Toccanier. Dans sa prière, il a goûté la miséricorde de Dieu, cest la
prière dun humble ; « si jétais triste, jirais me confesser »24.
• Consolation par la Présence réelle. Son autre grande consolation sera la Présence
réelle. “Dieu est là à côté de moi, pour moi, là, à quelques mètres…” On comprend mieux
la vie du Saint Curé si on perçoit cette grâce particulière qui lui fut donnée de goûter cette
présence toute simple de Dieu qui se donne. Sil passe de longues heures devant le
tabernacle, ce nest pas pour avoir le Seigneur à lusure mais pour se laisser aimer. Pour
Jean-Marie Vianney, lEucharistie est bien sûr un sacrifice, le lieu où Dieu se donne aux
hommes et lhomme à Dieu ; comme prêtre, il est par excellence à cette jonction.
Ladoration lui permit de communier aux sentiments du Christ : « Je suis venu apporter le
feu ; comme je voudrais quil embrase la terre ». Jean-Marie Vianney était si heureux en
présence de Dieu quil se serait presque contenté de ce bonheur sur la terre : « Je me
reposerai en Paradis. Je serais bien à plaindre sil ny avait pas de Paradis ! Mais il y a
tant de bonheur à aimer Dieu dans cette vie que cela suffirait, lors même quil ny aurait
pas de Paradis dans lautre vie »25.
• Le salut par la Croix. Il répondra enfin à ce combat par ses pénitences et loffrande
quil fera de lui-même. La Croix, chez le saint Curé, va prendre un relief particulier ; elle est
plantée au cœur de sa vie et de son ministère : « Oh, javais des croix ! jen avais presque
plus que je nen pouvais porter. Je me suis mis à demander lamour des croix, alors je fus
heureux »26. Par ses mortifications, qui feront couler tant dencre car mal comprises ou
objets de la moquerie de ses confrères il veut sunir au don suprême et entrer lui-même
dans le combat. Il est au pied de la Croix et comme prêtre, il a perçu quil devait entrer
dans ce don total, cette identification au Christ qui se donne complètement pour le salut du
monde. Ses pénitences, malgré les excès de jeunesse quil reconnaissait bien volontiers,
neurent jamais un côté morbide ou ostentatoire. Rares sont ceux qui les connaissaient.
Tout est donné, offert et prend sens uni à la passion du Christ. On perçoit ce que lon
pourrait appeler une “substitution” : je souffre pour vous et avec vous, de ce que vous ne
voulez pas souffrir : « Ah mon Dieu ! –prie-t-il– Faites-moi la grâce de souffrir en vous
aimant, de vous aimer en souffrant »27. Il me semble que lon mesure mal lampleur de cet
aspect, non seulement dans sa vie personnelle mais aussi dans sa dimension
surnaturelle. Jean-Paul II remarque : « C'est pour cela que Jean-Marie Vianney s'est
dépensé jusqu'à l'épuisement, pour cela qu'il acceptait de faire pénitence, comme pour
arracher à Dieu les grâces de conversion. Pour leur salut, il craignait, il pleurait. Et lorsqu'il
était tenté de fuir sa lourde charge de curé, il revenait, pour le salut des paroissiens ».

En conclusion de cette partie, on peut dire que face à son angoisse personnelle, face à
son propre salut, cest finalement une vie de foi, despérance et de charité quil mettra en
œuvre. Il répondra aux attaques de toutes sortes par la foi et dans lespérance, et par le
développement de ses vertus, tout spécialement la patience et la maîtrise de soi.

23
NODET, 204.
24
NODET, 15.
25
NODET, 94.
26
NODET, 184.
27
Acte damour, prière attribuée au Saint Curé dArs.
Retournant à son adversaire le mérite de son offrande, il sera doublement vainqueur
même sil en ressortira meurtri et touché. Mais les épreuves spirituelles ne lui feront pas
perdre la paix. Ses désirs de fuite, la tentation du désespoir lancreront douloureusement
mais fermement dans un dépouillement confiant ; « certains jours je rentre avec dégoût
dans mon église » confiera-t-il même. Ce fut profondément un homme de foi et un héraut
de lespérance, et cela nourrira son humble fidélité. La joie de la victoire finale illumine son
combat.

III - ANGOISSE DU SALUT EN TANT QUE PASTEUR

Mais le Curé dArs fut déjà et surtout un pasteur. Le premier souci du pasteur cest le salut
de ceux qui lui sont confiés et dont mystérieusement il a la charge. Son angoisse est
dannoncer efficacement ce salut en face de la misère et de la médiocrité humaine.
Lurgence de cette annonce explicite la radicalité de sa mise en œuvre chez M. Vianney :

1- Proclamer notre vocation à la Vie éternelle


« Je te montrerai le chemin du Ciel ». Cette phrase programmatique éclaire son intention
profonde : faire tout dabord découvrir un Dieu qui aime et apprendre à laimer. Il le fit de
plusieurs façons :
• Annoncer un Dieu bon. Le saint Curé parlait déjà et surtout de Dieu et de son amour
infini, de sa bonté sans limites. Les témoins sont tous unanimes : plus il avançait en âge,
plus cette part de sa prédication devenait importante, et plus il y revenait sans cesse.
Parler de lamour de Dieu, en vivre, que demander et que chercher de plus grand ! Cest
donc en montrant la grandeur de ce quest Dieu quil fit entrer chacun dans le mystère de
la divinité. Tout convergeait vers cela : la liturgie, la prédication, la beauté des lieux de
culte ou le déploiement des célébrations, lintensité de la prière, les processions… Cest
peut-être sa grande découverte et sa grande joie ; passer dune vison morale à une vision
aimante de Dieu. « Pour se sauver, disait-il, il faut connaître, aimer et servir Dieu »28.
• Prêcher la beauté et la grandeur de la vocation de lhomme. Après le mystère de
Dieu, cest celui de lhomme et de sa vocation qui loccupait. Il revenait sans cesse sur la
vocation extraordinaire de lhomme, sur le dessein de Dieu, et la joie quil y avait à
connaître et à aimer Dieu : « aimer Dieu et être aimé de Lui, quel bonheur ! »29. Être
enfant de Dieu, voilà sa joie !
• Dénoncer lhorreur de lenfer. Prêcher sur lenfer doit inviter le pécheur à réfléchir sur
son sort. On voit là linfluence de lAbbé Balley, et ses premiers sermons, les seuls que
lon possède vraiment, sont sévères et développés sur cette question de lenfer. La peur
de lenfer, la prise de conscience de labsurdité dun monde sans Dieu qui ne peut que se
perdre, doit écarter le chrétien du chemin qui y mène.
• Inviter à la liberté. Il pourra alors, après avoir montré le but et les dangers de sen
détourner, mettre en relief la grandeur de notre adhésion au projet de Dieu. Cest un
champion de la liberté pourrait-on dire, car celle-ci sous-entend la beauté du but et malgré
la difficulté du chemin, la grandeur de lhomme qui peut choisir et donc adhérer au bien.
Sil passe tant dheures au confessionnal, cest bien pour que chacun goûte la joie dêtre
enfant de Dieu et puisse librement dire oui à Dieu. Cest parce quil a perçu et goûté la joie
de lintimité avec Dieu que, par ricochet, il mesure la folie du péché et est prêt à donner sa
vie pour que chacun goûte à cette joie. La liberté nest pas le simple libre arbitre, cest la
grâce de Dieu vécue au quotidien.
28
MONNIN, Esprit du Curé dArs, p.47
29
NODET, 59.
2- Montrer les exigences de la Vérité
Après avoir montré lhorizon qui doit être le nôtre, le Curé dArs pourra alors inviter à faire
le bien et à éviter le mal.
• Proclamer la vérité. Soulignons dabord sa prédication. Dès son arrivée, il chercha à
enseigner par le catéchisme et par le biais de ses homélies. Il nattire pas les gens à lui, il
na pas un enseignement qui veut séduire. Si lon regarde ses homélies ou ce que lon en
connaît, elles nont rien de tendre ou de mièvre, elles paraissent même parfois austères ou
sévères. Il considère que chacun, aussi humble soit-il, a droit à la vérité. Jusquà la fin de
sa vie, il sera tourmenté par la pensée quil se damne en attirant les gens à lui, et que si
les gens viennent si nombreux, cest parce quil nest pas assez strict avec la vérité ; ce
sera lune des raisons de ses fuites. Il prêche la Parole de Dieu, il y est profondément
fidèle, mais il en est dabord le disciple.
• Un témoignage lumineux. Son témoignage personnel est fondamental « il fait ce quil
dit ». Dans le cas du saint Curé ce fut un des traits majeurs que ses contemporains
révélèrent, effrayés parfois de lampleur de ses exigences personnelles. Son souci de la
vérité accueillie et vécue totalement est un exemple. Le Curé dArs ne badine pas avec la
vérité et il souffrira dautant plus des calomnies qui circulent sur son compte. À son procès
de béatification Guillaume Villier, dArs, fait cette remarque : « quand on était à côté de lui,
on avait envie dêtre meilleur » ; sans rien dire, on percevait lampleur du don de lui-même
qui entraîne vers le haut.
• Dénoncer le mal. Notons aussi, dans son annonce de la Vérité, sa dénonciation du
grappin, le prince du mensonge. Il naura de cesse, comme il le précisait, de le traiter par
le mépris. En face du grappin, il vaut mieux se focaliser sur la splendeur de la Vérité que
sur le néant du mal. Dénoncer le mal, cest dabord pour lui, mettre en avant le bien, et
ridiculiser Satan en soulignant sa perversité. Il y arrivera avec succès, les attaques
personnelles dont il fut témoin tendraient à le prouver. On notera cependant une évolution
durant ses longues années de ministère pastoral à Ars : plus il avancera en âge, et peut-
être en sainteté, plus il mettra en avant lamour de Dieu, en face de la dénonciation du
péché et de sa dangerosité. Jean-Paul II remarquait : « Nous avons raison de miser sur
l'amour plutôt que sur la crainte et la peur. D'ailleurs, c'est aussi ce que faisait le Curé
d'Ars »30.

3- Urgence du salut et de la miséricorde


Après lannonce du but, urgence de sa mise en œuvre. Comme prêtre, il se sait associé
d'une façon particulière à lœuvre de salut, pour la rendre présente et efficiente partout
dans le monde. Saint Jean-Marie Vianney allait jusqu'à dire : « Sans le prêtre, la mort et la
passion de Notre Seigneur ne serviraient de rien. C'est le prêtre qui continue l'œuvre de la
Rédemption sur la terre »31. Il y a urgence, car à tout moment lhomme peut se perdre, ou
se retrouver devant le Seigneur ; ne sera-t-il pas trop tard ? Le message de Notre-Dame à
la Salette en 1846 vient fortement le lui rappeler.
• Inciter à la conversion. Lurgence du salut, il ne cessa de la prêcher ; ce fut même son
unique souci. Son âme de pasteur est là. Il prêche, sanctifie et gouverne en vue du salut.
Le Curé dArs avait un vrai cœur de pasteur, conscient dêtre configuré au Christ, envoyé
du Père dans le souffle de lEsprit. Il met alors tout en œuvre pour inviter à la conversion,
même si celle-ci est une grâce, un don de Dieu. Comment le priant quil fut aurait-il pu
rester insensible à cette immense portion de lhumanité qui manque au Corps du Christ ?
Comment aurait-il pu se résigner à constater cette foule immense dhommes et de femmes

30
JEAN-PAUL II, 59.
31
NODET, 100.
qui ne savent pas que Jésus a besoin deux pour être les membres de son Corps ?
Comment aurait-il pu se résigner à voir le Corps du Christ mutilé de la sorte ? Il se méfiait
beaucoup de cette tentation de résignation quéprouvent bien des prêtres qui font de leur
mieux pour agrandir la communauté des fidèles et que la lassitude paralyse : « Ce qui est
un grand malheur pour nous autres curés, cest que lâme sengourdit. Au
commencement, on était touché de létat de ceux qui naimaient pas le Bon Dieu. Après
on dit : "En voilà qui font bien leur devoir détat, tant mieux ! En voici qui séloignent des
sacrements, tant pis ! Et lon nen fait ni plus ni moins..." »32. Le saint Curé fit alors de son
proche environnement une terre de mission, il avait bien conscience que la mission
commençait autour de lui. Notons aussi la place des sacrements dont il fut le ministre
fidèle. On pense immédiatement à la Messe et à la confession, mais il fut un curé qui
baptisait, mariait et soccupait des malades. Les sacrements furent pour lui le principal
canal de la grâce dans ce petit village dArs, et le lieu dune rencontre personnelle avec
Dieu ; cest là quil voyait le Sauveur agir. Comme tout prêtre, il en usa avec joie et, dans
ses premières années à Ars, son temps disponible lui permettait daller aider ses confrères
à les donner.
• Prêcher la miséricorde. Il convient aussi de parler de cet aspect de son ministère qui le
caractérise peut-être le mieux. Ce fut un extraordinaire témoin de la miséricorde de Dieu.
On peut aisément souligner deux aspects chez lui, sa bienveillance miséricordieuse
envers les pauvres et les petits, et celle envers les pécheurs. Nous retiendrons ici surtout
la seconde dont il est devenu presque licône. Jean-Paul II le considère comme un martyr
du confessionnal33. Son instrument de pénitence, rapporte son dernier vicaire, devint son
seul confessionnal ; on pourrait ajouter que ce même confessionnal fut aussi linstrument
du salut pour beaucoup. 17 heures par jour sans repos, dans une église glacée lhiver et
surchauffée lété, à écouter la misère du monde se déverser, sans autre appui ou aide que
Dieu seul… Aucun péché ne peut alors empêcher le salut : « tous nos péchés réunis sont
un grain de sable devant la montagne des miséricordes de Dieu ».
• Se donner toujours plus. Prêcher, il le fit avec succès. Mais il accompagna toujours sa
parole et ses actes du don total de lui-même. Répondant un jour à une personne qui lui
demandait quel était son secret, il répondit simplement : « mon secret est bien simple,
cest de tout donner et de ne rien garder »34. Au-delà de lintention première de celle qui
linterroge, tout le Curé dArs est là. Ce fut un homme totalement donné, et ce dans toutes
les dimensions de sa personne et de son ministère. Il entre dans la logique du don, la
logique de la sainteté : le Père se donne au Fils, le Fils se donne au Père, et de ce don
total jaillit lEsprit Saint qui nest que don : cest un mouvement de charité qui lenvahit et
qui déborde… Il se donne à Dieu et à chacun, il ne sappartient plus et cherche, comme
son Maître, à être tout à tous : attentifs à chacun, soucieux de tous, de toutes les
catégories de personnes…
• Une mission dampleur universelle. Son action du salut ne sarrêtera pas aux portes
de sa paroisse. Il mettra toute son énergie à faire que lannonce de la bonne nouvelle du
salut soit large : « Être missionnaire cest laisser déborder son cœur » précisera-t-il un
jour. Deux exemples le vérifie :
Tout dabord son amour des missions diocésaines. « On trouve toujours assez de
personnes pour acheter des bannières ou des statues, disait-il, mais le salut des âmes par
les Missions doit être préféré »35. Il se fit donc fondateur de missions paroissiales. Il disait
du haut de la chaire : « Jaime tant les missions que si je pouvais vendre mon corps pour

32
NODET, 104.
33
JEAN-PAUL II, 23.
34
NODET, 220.
35
NODET, 35.
en établir une encore, je le vendrais ! »36. Le confesseur ne cache pas la satisfaction que
lui procurent les missions : « On ne sait pas tout le bien que les missions opèrent. Pour
lapprécier, il faudrait être à ma place, il faudrait être confesseur »37.
Un autre exemple fut son attachement à la mission universelle de lÉglise, spécialement
par le biais de Pauline Jaricot38. Il fut dailleurs abonné à la revue de La Propagation de la
foi. Le fait quil ait été nommé, en 1929, “patron de tous les curés de lunivers” le souligne
aussi.

En conclusion de cette seconde partie, rappelons ce que précisait Jean-Paul II en 1986 à


Ars : […] « Le mot salut est un de ceux qui reviennent le plus souvent chez le Curé d'Ars.
Qu'est-ce à dire pour lui ? Être sauvé, c'est être délivré du péché qui éloigne de Dieu,
dessèche le cœur, et risque de séparer de l'amour de Dieu pour toujours, ce qui serait le
plus grand malheur. Être sauvé, c'est vivre uni à Dieu, c'est voir Dieu. Être sauvé, c'est
également être réintroduit dans une vraie communion avec les autres, car nos péchés
bien souvent consistent à blesser l'amour du prochain, la justice, la vérité, le respect de
ses biens et de son corps, ses droits humains, tout cela est contraire à la volonté de Dieu.
Et il y a une solidarité profonde entre tous les membres du Corps du Christ : on ne peut
l'aimer, lui, sans aimer ses frères. Le salut permet donc de trouver une relation filiale avec
Dieu et fraternelle avec les autres »39. Le salut annoncé et proposé va finalement faire
aussi grandir la communion avec Dieu et entre les hommes.

CONCLUSION

Comment conclure ? Quelques remarques pour nous y aider…


• Un drame qui se joue. Dans la rencontre avec le Saint Curé, on est immergé dans un
drame, presque à la Bernanos40, un combat entre le démon et la grâce dont on connaît
déjà le vainqueur, mais où lon craint déchapper à leffet quil suscite, comme disait le P.
Bouyer dans sa définition. Un drame qui marquera toute la vie du Saint où, au nom de son
Sauveur, il est en première ligne, se battant avec les pécheurs contre le grappin, et
cherchant à lui extorquer, âme après âme, le salut de chacun. Aujourdhui encore il reste
un formidable intercesseur.
• « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Cest la formule actuellement utilisée
par la liturgie au début de loffertoire. Cela aurait pu être la devise du Saint Curé. Tendu
vers le Ciel, vers la gloire de Dieu, le salut est lunique chemin auquel il dédiera toute sa
vie. La joie profonde du pasteur en sera le fruit merveilleux.

36
TOCCANIER, Procès Apostolique, p. 290. En 1855, M. J-M. Vianney avait procuré deux cent mille francs à
lœuvre des missions décennales ; TROCHU, Le Curé dArs, 1925, p. 440.
37
NODET, 227. « Des personnes ont pensé que Monseigneur serait mécontent de ce que javais vendu mon
camail. Je lui ai écrit quil me manquait encore cinquante francs pour compléter une fondation de mission et
quil ne serait pas fâché dy avoir contribué ». NODET, 210.
38
Pauline Jaricot [1799-1862].
39
JEAN-PAUL II, 59.
40
Par exemple : « Le souvenir de la lutte qu'elle avait soutenue devant moi, sous mes yeux, ce grand
combat pour la vie éternelle dont elle était sortie épuisée, invaincue, m'est revenu si fort à la mémoire que
j'ai pensé défaillir. Comment n'ai-je pas deviné qu'un tel jour serait sans lendemain, que nous nous étions
affrontés tous les deux à l'extrême limite de ce monde visible, au bord du gouffre de lumière? Que n'y
sommes-nous tombés ensemble! "Soyez en paix", lui avais-je dit. Et elle avait reçu cette paix à genoux.
Qu'elle la garde à jamais! C'est moi qui la lui ai donnée. Ô merveille, qu'on puisse ainsi faire présent de ce
qu'on ne possède pas soi-même, ô doux miracle des mains vides! » [G. BERNANOS, Le journal dun curé de
campagne, Ed. Pocket 2008, p. 200].
• Le Curé dArs fut enfin un formidable témoin de lespérance. Cest peut-être le titre
quil aurait, a fortiori, préféré. Le regard fixé sur le Ciel avec léternité comme horizon, il
neut de cesse que de permettre à chacun dy goûter. Ce quil chercha pour lui, il se donna
totalement pour que chacun puisse librement y accéder.

Jean-Paul II concluait ainsi son intervention à Ars : « Chers frères, beaucoup de nos
contemporains semblent devenus indifférents au salut de leur âme. Nous soucions-nous
assez de cette perte de foi, ou bien nous résignons-nous ? Certes, nous avons raison
d'insister aujourd'hui sur l'amour de Dieu qui a envoyé son Fils pour sauver et non pour
condamner. Nous avons raison de miser sur l'amour plutôt que sur la crainte et la peur.
D'ailleurs, c'est aussi ce que faisait le Curé d'Ars. En outre, les hommes sont libres
d'adhérer ou non à la foi et au salut ; ils réclament hautement cette liberté, et l'Église aussi
veut que leur démarche soit libre de contraintes extérieures41, étant sauve l'obligation
morale pour chacun de chercher la vérité et d'y adhérer, d'agir selon sa conscience. Enfin,
Dieu lui-même est libre de ses dons. La conversion est une grâce »42.

Père Jean-Philippe NAULT, prêtre du diocèse de Belley-Ars, SJMV, recteur du Sanctuaire


dArs.

41
CONCILE VATICAN II, Déclaration Dignitatis humanae, n°3.
42
JEAN-PAUL II, 59.

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