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Béatrice Jongy
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BÉATRICE JONGY
ATTACHÉE TEMPORAIRE D’ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE EN LITTÉRATURE COMPARÉE
UNIVERSITÉ BLAISE PASCAL (CLERMONT II)
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d'un plaidoyer pro domo. Ionesco en fait le lieu d'une quête
métaphysique, hélas entravée, rendue intermittente par les maux
de la vieillesse et le désir de se mettre en scène pour la postérité.
Mais ce journal est aussi le portrait authentique de la condition
humaine, dont le vieillard, plus lucide que les autres, devient le
paradigme. En outre, situé à chemin entre le monde des vivants et
celui des morts, il est l'intercesseur privilégié auprès de Dieu.
LA QUÊTE
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LES INTERMITTENCES DU MOI
2. Ibid., p. 24. Freud écrivait à
l’âge de 65 ans, à l’occasion
La vieillesse est vécue par Ionesco comme un traumatisme. C’est
du départ de son fils pour le une métamorphose brutale que décrit le diariste : « Dire qu’il y a
service militaire : « Le 13 mars
de cette année, je suis entré encore très peu de temps, seize mois, à plus de soixante-quinze
brusquement dans la véritable ans, j’étais jeune, mais j’ai sombré psychologiquement et physi-
vieillesse. Depuis, la pensée
de la mort ne m’a pas quement et soudainement dans la vieillesse… » 2. Il évoque les
quitté… » Lettre du 8 mai
1921 à Sandor Ferenczi.
« cinq jours qui [l]’ont traumatisé, qui ont été la révélation d’une
odieuse, affreuse, implacable vérité… » Commentant ce passage,
3. Florence Dibie-Racoupeau,
« Devenir du traumatisme au la gérontopsychiatre Florence Dibie-Racoupeau constate que « la
cours du vieillissement »,
contribution aux
prise de conscience de la vieillesse s’impose brutalement au psy-
e
IV Rencontres Scientifiques chisme, sur le mode de la rupture, de l’effraction », c’est-à-dire sur
de la Société Française de
Victimologie, 2001. le mode du trauma 3. Fréquemment, la vieillesse « se caractérise
Article en ligne, p. 4 par la dépression, le repli sur soi, le désinvestissement du monde
4. Jacques Messy, La extérieur » 4.
personne âgée n’existe pas.
Une approche
psychanalytique de la La vieillesse et l’approche de la mort soulèvent un questionnement
vieillesse, Paris,
Rivages Psychanalytiques, sur l’identité. Ionesco redoute une altération de l’essence de l’être
1992, p. 82. en raison des métamorphoses physiques imposées par l’âge. « Et si
la vieillesse n’était q’une maladie qui ne toucherait pas à mon
5. Eugène Ionesco, La Quête essence ? » 5, espère-t-il. Son propre corps, méconnaissable, lui est
intermittente, op.cit., p. 26.
devenu étranger. « C’est comme si j’avais un autre corps, j’ai un
6. Ibid., p. 32. autre corps » 6, constate l’écrivain. En effet, le corps vieilli est moins
gratifiant que celui de la jeunesse. La réalité ne correspond plus
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sonnalité. Les défaillances de celle-ci renvoient à des « creux de
néant, des morceaux de vide » 11. Si la mémoire humaine est si fra- 11. Ibid. L’expression en
italiques est entre guillemets
gile, où le passé est-il conservé ?, s’interroge le diariste 12. Et sur- dans le texte.
tout, comment le « revoir » 13 ? C’est tout le rapport au monde, chez 12. Ibid., pp. 22-23.
la personne âgée, qui subit une dégradation. Ionesco ne cesse de 13. Ibid., pp. 98-99. Terme en
italiques dans le texte.
comparer la mémoire de sa femme à la sienne 14, et craint la perte,
14. Ibid., p. 69.
pour elle et lui, des capacités intellectuelles, en raison, d’une part
de l’âge lui-même, d’autre part de la prise de médicaments 15. 15. Ibid., p. 102-103.
par une brume qui entoure son passé et son existence 17. Pour Jean 17. Ibid., p. 118-119.
réserves narcissiques » 19. Ceci explique que Ionesco, quatorze ans 19. Henri Bianchi, « Vieillir
après Freud », in Psycha-
après le Journal en miettes, ait éprouvé le besoin de reprendre son nalyse et vieillissement, éd.
par l’Association Internatio-
journal. En effet, comme le rappelle Béatrice Didier, le journal est nale de Gérontologie
tenu lorsque le moi est menacé ou n’est pas encore constitué 20. Or Psychanalytique. Congrès 1
(1980), Paris, Sopedim, 1980,
l’aboutissement du vieillissement et des métamorphoses physiolo- pp. 1-26 ; p. 23.
giques est la pure et simple disparition de l’ego. Ionesco songe au 20. Béatrice Didier,
manque que son absence laissera dans le monde 21. Chaque matin, Le journal intime, Paris, PUF,
1976, p. 115.
il est soulagé d’être encore en vie. « Toujours là », écrit-il le 15 août 21. Eugène Ionesco, La Quête
1986, dans l’un des rares fragments datés. Il déclare à sa femme intermittente, op.cit., p. 52.
22. Ibid., p. 69. que tous deux seront sans doute morts dans un délai de trois
23. Par exemple p. 144. ans 22. Craignant chaque jour que son dernier jour ne soit arrivé 23,
24. Ibid., p. 126. il n’ose fixer de rendez-vous éloignés dans le temps 24.
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27. Ibid., p. 109-110. contre la mort concerne également ses lectures 27, et les pays qu’il
28. Ibid., p. 126. a visités 28 – mais cette fois elle a lieu au sein même du journal. Ces
énumérations ont une fonction différente des premières. Il s’agit ici
de dresser le bilan d’une vie bien remplie, afin de rendre l’inacti-
vité et l’immobilité présentes moins douloureuses, et la perspec-
tive de la mort moins tragique. La liste des pays, en outre, est dres-
sée en roumain et en français. Au désir d’un contenu exhaustif,
s’ajoute l’usage des deux langues qui constituent la personne
ionescienne. Certes, il y a dans tout diariste quelque chose du col-
lectionneur, une forme du ressassement, un attachement au passé.
Le journal intime, rappelle Béatrice Didier, est tenu contre la fuite
29. Béatrice Didier, Le journal du temps 29. Il est un « livre de comptes », un bilan de l’existence 30.
intime, op.cit., p. 18.
Cependant les énumérations de La Quête intermittente visent plus
30. Ibid., p. 49-50.
particulièrement à rassembler les fragments épars du moi, à consti-
tuer des unités complètes du sujet. Béatrice Didier observe que le
journal, malgré son écriture fragmentaire, est en réalité tenu pour
31. Ibid., p. 14. faire échec au morcellement 31.
Cette lutte contre la mort donne également lieu à des jeux d’écri-
32. Eugène Ionesco, ture. Dans une liste intitulée « Exercices de style (? )» 32, Ionesco fait
La Quête intermittente,
op.cit., p. 62-63. part de ses hésitations concernant sa condition de mortel. Dans
des formules fonctionnant par oppositions binaires, il manifeste la
dualité de ses convictions. En outre, il introduit quelquefois, au
sein de l’une, voire des deux hypothèses, une autre alternative,
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36. Michel de Montaigne,
Les fragments de La Quête intermittente se déploient donc sous Essais, Livre II, Paris, Garnier-
Flammarion, 1969, pp. 44-45.
forme d’exercices spirituels.
L’EXERCICE SPIRITUEL
La Quête intermittente représente un mélange du modèle rous-
seauiste et augustinien. Ionesco se livre, comme Saint-Augustin et
le Rousseau des Confessions, à un examen de conscience. Comme
eux, il rappelle ses fautes passées.
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plaidoyer pro domo. Comme son illustre prédécesseur genevois,
Ionesco souligne l’injustice et la persécution dont il est victime
parmi les hommes : « Victime, eh oui, victime, je suis, d’une désin-
42. Ibid., p. 42. formation délibérée. Il y a tellement de gens qui me détestent » 42.
Le coupable Ionesco devient un innocent envié pour ses grandes
qualités. Évoquant son anti-communisme, il écrit : « Ils m’en veu-
43. Ibid., p. 43. lent donc d’avoir vu, su, voulu savoir avant eux » 43. Selon lui, c’est
la raison pour laquelle on travestit à son désavantage l’Histoire lit-
téraire. L’écrivain rétablit la vérité à son sujet. Il rappelle que c’est
44. Ibid., pp. 44-47. lui, et non Beckett, qui est l’inventeur du théâtre de l’absurde 44.
Sur un ton qui rappelle les dialogues rousseauistes, il déclare qu’il
peut facilement fournir la preuve que les premiers essais d’écriture
de La Cantatrice chauve datent de 1943. C’est le même modèle lit-
téraire qui semble présider à la justification avancée par Ionesco
pour avoir ainsi exposé son originalité créatrice : « Je demande
45. Ibid., p. 49. On entend ici d’être excusé si je parle tant et tant de moi, de mon œuvre. C’est
l’écho de Rousseau juge de parce que, si on ne me fait pas justice, il faut que je me fasse jus-
Jean-Jacques, in Jean-
Jacques Rousseau, Œuvres tice à moi-même » 45.
complètes, vol.1, Paris,
Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, pp. 657-992 ; pp. La quête évoquée par le titre de ce journal est de nature méta-
664-665.
physique. Dans sa jeunesse, l’écrivain a fait l’expérience de l’extase
46. Ibid., p. 116-117.
Cet épisode est narré dans le mystique 46. Dressant le bilan de sa vie passée, il observe qu’il a
Journal en miettes, op.cit., perdu son temps, car il n’a pas vécu uniquement « dans la
p. 60-92.
47. Ibid., p. 14. recherche du Sacré » 47. Il se considère comme un littéraire qui n’a
Dieu » 54. L’anachorèse à laquelle le contraint la vieillesse le voue à 54. Ibid., p. 108.
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toutes les causes de mort possibles 57. Cet exercice est proche de 57. Gilles Ernst,
« Déjà fini », art.cit., p. 93.
l’expérience continuelle de la mort faite par Loyola depuis la bles-
sure très grave qui lui avait été infligée lors du siège de Pampe-
lune 58. Chez le dramaturge, c’est « l’accident » qui tient lieu de 58. Maurice Giulani, Préface,
in Ignace de Loyola, Écrits,
point de départ spirituel. Et de fait, l’ouvrage est parsemé de Paris, Desclee de Brouwer,
1991, pp. 7-18 ; pp. 10-11.
maximes 59 qui pourraient figurer dans les écrits du mystique de 59. Au sens de « règles
Manrèse. « Mais ce qu’il faut, c’est aimer Dieu au point de vouloir de vie ». Cf Alain Montandon,
Les formes brèves, Paris,
fondre en Lui » 60, écrit Ionesco. Or, ce qui est cherché, à travers la Hachette, 1992, pp. 31-33.
mortification ignatienne, c’est l’union avec Dieu. Les exhortations 60. Eugène Ionesco,
La Quête intermittente,
à soi-même présents dans La Quête, souvent à la première per- op.cit., p. 136.
sonne du pluriel, rappellent également la manière d’Ignace de
Loyola. « Communion avec les morts. Être avec eux », note Ionesco,
ou encore : « Soyons dans l’instant 61 ». 61. Ibid., pp. 127 et 34.
ceux qu’il aime, mais surtout par Dieu. L’examen de conscience est
une quête de salut. Parce qu’il a consacré sa vie à sa propre gloire,
il redoute de n’avoir pas plu à Dieu. Il espère cependant que ses
écrits aient pu être une aide pour quelqu’un. « Ai-je sauvé quel-
64. Ibid., pp. 150 et 151.
qu’un ? » se demande-t-il 64. Ionesco croit à la grâce efficiente. S’il
a sauvé quelqu’un, alors lui-même sera sauvé. Il espère que son
65. Ibid., p. 137. travail littéraire le place au nombre des élus 65. Il veut aller de la lit-
66. Ibid, p. 123. térature à la religion, puis de la religion à la métaphysique 66. La
littérature est donc une propédeutique à la métaphysique, dans
laquelle le journal intime joue un rôle fondamental. En effet, son
auteur observe chez lui, depuis la reprise de son journal, un retour
67. Ibid, p. 115. à la spiritualité 67. L’autoportrait, pour Michel Beaujour, est « écri-
68. Michel Beaujour, Miroirs vaillerie coupable » 68. Ionesco inverse cette proposition : ce sont
d’encre, op.cit., p. 13.
les autres activités qui relèvent de l’oisiveté. Le diariste cherche en
effet à suivre la Via negationis de Saint Jean de la Croix, telle que
l’explique Jean Baruzi : « Il faut, tandis que nous cherchons Dieu,
non seulement repousser, mais nier les choses et tout ce qui, en
69. Jean Baruzi,
« Les aphorismes de Saint
nous, les prolonge » 69. L’objectif que se fixe Ionesco dans cette
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Jean de la Croix », in Les Dits écriture quotidienne est de dire l’indicible, de parler à Dieu 70. Il
de lumière et d’amour, Paris,
Corti, 1991, pp. 117-127, p. désire accomplir le même parcours que Saint Augustin, à savoir
125. Ionesco lit d’ailleurs les que « le texte de Dieu« devienne le centre du sien 71. Il espère en
écrits de cet auteur sur Jean
de la Croix. Cf La Quête inter- effet que son désarroi touchera le Seigneur 72. Cet ultime journal
mittente, op.cit., pp. 111-113.
se doit d’être un livre de prières ; l’écrivain y récite le Pater Noster,
70. La Quête intermittente,
et termine sur un credo : « J’espère : Jésus-Christ » 73. Mais cette
71. Eugène Vance, « Le moi
comme langage : Saint formule trahit la difficulté de la quête. Au verbe croire s’est sub-
Augustin et l’autobiographie », stitué le verbe espérer, vecteur sémantique du doute et de l’in-
in Poétique 14, 1973, p. 171.
quiétude.
72. Eugène Ionesco, La Quête
intermittente, op.cit., p. 152.
73. Ibid., pp. 107 et 169.
L’INTERMITTENCE
LE DÉGOÛT DE LA VIEILLESSE
« Tout le monde ne peut prétendre à la sainteté », écrit Ionesco,
constatant qu’il ne jeûne pas, et qu’il ne sait pas prier. Il voit dans
ses défaillances mémorielles le signe de son incapacité spirituelle.
En effet, observe-t-il, Saint Augustin lie spiritualité et nécessité de
74. Ibid., p. 33. la mémoire 74. Le diariste craint que l’âme ne soit atteinte par la
75. Ibid., p. 142. dégénérescence du cerveau 75. D’ailleurs, remarque-t-il, il n’y a pas
76. Ibid., p. 143. de saint sénile 76. En outre, il évoque l’égoïsme et le gâtisme de
l’âge. Il dit n’avoir plus d’intérêt pour rien, ni la politique, ni la lec-
77. Ibid., p. 12. ture, ni la conversation 77. Les psychanalystes soulignent cette inat-
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ments eux-même sont causes de troubles 85. Ces infirmités plon- 83. La Quête intermittente,
gent l’écrivain dans le désespoir : « On se sent vaincu ou brisé, p. 129.
brisé de vivre » 86. Cet état déclenche le rire ionescien caractéris- 84. Ibid., p. 104.
85. Ibid., 76.
tique, celui de la terreur face à l’absurde : « C’est classique, c’est
86. Ibid., p. 129.
classique ; tellement classique que cela me donne envie de rire,
87. Ibid., p. 146.
de rire et de rire ! (…) de rire… de peur d’avoir peur » 87. Quel-
quefois, c’est dans un style télégraphique, d’une pudeur pathé-
tique, que le diariste évoque ses douleurs, comme dans cette
phrase averbale : « Les souffrances physiques ». 88. L’écrivain se 88. Ibid., p. 139.
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que le scandale de la mort elle-même. (…) Car le mal
102. Lucian Pintilie, s’insinuait perfidement dans le corps » 102.
« Travelling latéral », in
Lectures de Ionesco, op.cit.,
pp. 41-47 ; p. 41.
La répugnance envers les personnes âgées émerge à plusieurs
reprises dans le journal. Ionesco constate qu’aucun des locataires
du Rondon, ces « piteux vieillards », ne serait prêt à sacrifier ce qui
103. La Quête intermittente, lui reste de vie pour le fils de l’intendant 103. La vieillesse est assi-
op.cit., p. 74.
milée à une maladie contagieuse. Dès le début de l’ouvrage, l’au-
104. Ibid., p. 15. teur constate : « Entouré de vieillards, je suis un vieillard… » 104. Sa
terreur de l’épidémie déclenche sa violence : « Je les évite, je les
écarte, je les chasse, je ne veux pas leur parler, qu’ils soient loin de
105. Ibid., p. 24. moi, que nous ne nous touchions pas » 105. Le diariste va même jus-
qu’au déni le plus complet de son appartenance à cette catégorie :
106. Ibid., p. 24. « Non, je ne suis pas comme eux, je ne suis pas eux » 106.
107. Nous savons cependant Superstitieux, il ne mentionne jamais son âge 107, donne peu de
qu’il a 77 ans. Cf note 2.
dates, et ne précise jamais de quel « accident » il a été victime. D’un
108. Eugène Ionesco, autre patient du Rondon, il écrit : « Il n’a pas eu l’accident » 108. Le
La Quête intermittente,
op.cit., p. 101. Les italiques terme employé, précédé de l’article défini, renvoie à une interven-
sont dans le texte. tion du destin. C’est la « malheureuse fatalité » qui est à l’origine de
109. Ibid., p. 24. son vieillissement soudain 109, dans lequel sa femme a également
sombré. Ionesco est donc lui-même porteur de ce germe conta-
gieux de la vieillesse. Celle-ci est une malédiction : « On vous sou-
haite de vivre vieux, quand on est jeune, hélas, ils ne savent pas
110. Ibid., p. 129.
Et citation suivante. ce qu’ils vous souhaitent » 110. Elle est une punition, une plaie
LE LITTÉRATEUR
Le désir de Ionesco est de penser à Dieu et à la mort 114. Mais il 114. Eugène Ionesco,
La Quête intermittente,
oublie, tombe dans le divertissement. Il se compare, pour se ras- op.cit., p. 44.
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surer, aux autres pensionnaires du Rondon 115 et aux membres du 115. Ibid., pp. 24 et 100.
conseil constitutionnel 116. Il envie Beckett, convaincu que celui-ci 116. Ibid., p. 79.
vieillit mieux que lui 117. Éprouvant le besoin de se sentir vivant, il 117. Ibid., p. 57.
énumère toutes ses activités 118, s’intéresse aux polémiques litté- 118. Ibid., p. 41.
raires et intellectuelles 119. Conscient de l’intermittence de sa quête, 119. Ibid., pp. 42-43.
il se reprend : « Je retombe dans l’inessentiel » 120. Mais il revient 120. Ibid., p. 44.
pas la quête. C’est l’intermittence 122 », déplore le diariste. 122. Ibid., p. 50.
diariste reste écrivain. Il a d’ailleurs clos ce journal sept ans avant 124. Ibid., pp. 13 et 148.
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LE RACHAT
Ionesco a une vision pascalienne de la condition humaine. Nous
sommes promis à l’abattoir, le pain quotidien n’est que « la ration
133. Eugène Ionesco, des prisonniers » 133, et le monde une géhenne 134. La fraternité
La Quête intermittente,
op.cit, pp. 9 et 18. s’effectue par le négatif. « Ma détresse est celle de tous les au-
134. Ibid., pp. 17-18.
135. Ibid., p. 105. tres » 135, écrit-il. Ainsi s’explique le passage final à la troisième per-
sonne du singulier. Michel Beaujour observe que tout autoportrait
cesse d’être individuel. Le sujet y devient « le microcosme d’une
136. Michel Beaujour, Miroirs culture », « voué à la mort », à une « mémoire archaïque » 136. Ici, le
d’encre, op.cit., p. 25.
sujet ionescien se remplit de toutes les consciences qui l’ont pré-
cédé et qui suivront. Toutes les générations sombrent en effet dans
le même naufrage immense de la mort. Le monde n’est peut-être
137. La Quête intermittente, qu’une illusion 137, et l’existence une sorte de farce que Dieu a faite
op.cit., p. 32.
aux hommes. Tous sont dupes, jusqu’aux lecteurs de La Quête, eux
138. Ibid., p. 14. aussi en sursis 138. Dès lors, le diariste est un moribond écrivant
139. Ibid., p. 19. pour des agonisants 139.
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« sain d’esprit » 146. Dans Ruptures de silence, « l’homme qui ne sait 146. Eugène Ionesco, Un
Homme en question, Paris,
pas qu’il va mourir » est décrit comme un « infirme » 147. Le vieillard NRF / Gallimard, 1979, p. 96.
infirme de La Quête intermittente ne serait-il pas, en réalité, le 147. Eugène Ionesco,
Ruptures de silence.
mieux-portant de tous, sur le plan métaphysique ? Dans Antidotes, Rencontres avec André
Ionesco évoque cette expérience métaphysique faite en 1975, Coutin, Paris, Mercure de
France, 1995, p. 84. Les
alors qu’il se croyant mourant. Il explique que s’il était resté dans entretiens eurent lieu en 1978.
ce « no man’s land » plus longtemps, quelque chose de révélateur
se serait produit 148. La vieillesse est peut-être cette occasion. Dans 148. Eugène Ionesco,
Antidotes, Paris, Gallimard,
ce même ouvrage, il observe que poser la question du sens de 1977, p. 196.
l’existence, c’est manifester notre liberté 149. L’expérience de la 149. La Quête intermittente,
op.cit., p. 222.
vieillesse, en tant qu’elle permet l’interrogation métaphysique, est
donc aussi une expérience de la liberté humaine.
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