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1934-2014_4348629_3382.html

Amiri Baraka (LeRoi Jones), poète afro-américain (1934-


2014)
Le Monde.fr | 15.01.2014 à 18h12 • Mis à jour le 15.01.2014 à 23h08 | Par Francis Marmande

Fils d'un postier et d'une assistante sociale, Amiri Baraka, né Everett Leroi Jones à Newark (New
Jersey) le 7 octobre 1934, est mort le 9 janvier 2014 à l'hôpital d'État de sa ville natale, entouré des
siens, à l'âge de 79 ans. Historien radical du blues, dramaturge à scandale, griot révolutionnaire,
poète, éditeur, romancier, infatigable fondateur de revues et de mouvements sociaux, il fut aussi un
chroniqueur demandé par toutes les revues (Metronome, Down Beat, et même, à Paris , Jazz
Magazine).

LE CHAÎNON PRÉSENT

Amiri Baraka / LeRoi Jones, c'est le chaînon trop présent entre le sociologue William Edward
Burghardt « W. E. B. » Dubois, les écrivains Richard Wright, Langston Hughes (« être nègre aux
Etats-Unis, c'est se lever en furie tous les jours ! »), et les musiciens free . Il fait le lien entre le scat
des boppers et The Last Poets (quel nom, messeigneurs !). Il n'est pas le premier à vouloir
l'impossible, mais lui, il y va. Le plus souvent, les autres reprennent un gin-tonic. Du coup, la
locution qui revient le plus souvent dans les nécrologies gênées aux entournures, c'est « poète
activiste ». Pensâtes-vous jamais à décorer Agrippa d'Aubigné du qualificatif d' « activiste » ?

Après des études de philosophie sans obtenir de diplôme, Jones s'engage en 1954 dans l'US Air
Force, où une bonne âme le dénonce comme communiste : hop, au trou puis à la plonge. La même
année, il quitte l'armée pour Greenwich Village, le quartier bohême de New York où il s'engouffre
tout à la fois dans le jazz et dans le mouvement beat, poètes et musiciens main dans la main, voix
dans la voix, défonce dans la défonce. Il édite Kerouac et Ginsberg (1957). En 1960, son voyage à
Cuba l'emballe. Il publie Cuba Libre. En 1964, il met en scène ses pièces L'Esclave, puis Dutchman,
Le Métro fantôme. Énorme tabac dans les champs de coton et bien au-delà. L'époque est aux
guerres coloniales, aux émeutes pas toujours étudiantes et aux films de Godard.

SOUS LES SARCASMES

En 1963, il publie une somme, Blues People, sous-titrée Negro Music in White America, dans
laquelle il explique l'histoire des Afro-américains par la musique et la musique par l'histoire . Toujours
dans les années 1960, il grave ses poèmes scandés avec Albert Ayler, Don Cherry, Sunny Murray,
Sun Râ. À Cooper Square, il vit dans le même petit immeuble qu'Archie Shepp. Leur projet est
illimité : se réapproprier leur musique, affirmer leur autonomie, arracher le mot de « jazz » aux
margoulins. LeRoi Jones fomente des foyers culturels afro-américains – The Spirit House à Newark,
le Black Arts Repertory à New York. Incroyable débauche d'énergie sous les sarcasmes, les
attentats et les mises à mort. Il sait que Malcolm X (le dur) et Martin Luther King (l'ange) ont des
rendez-vous secrets. Et il verra que l'un, en 1964, et l'autre, en 1968, se feront dézinguer comme à
la Foire du Trône.

Devenu un « nationaliste culturel », il rompt avec la mouvance Beat, en majorité blanche, et se


radicalise, revendiquant la violence révolutionnaire. Dans son poème Black Art, en 1965, il il exige «
des poèmes qui tuent ». En phase avec Nation of Islam , le mouvement politique dont Malcom X est
une figure, il multiplie les provocations, navigue sans souci de nuance de l'antisionisme à
l'antisémitisme. Air connu. Après l'assassinat de Malcom X en 1965, il quitte sa femme et ses deux
enfants et s'installe à Harlem. Il milite dans les quartiers insalubres. C'est en 1967 qu'il change de
nom et devient Baraka. En 1968, il est arrêté à Newark, accusé de port d'arme illégal et de rébellion
lors des émeutes de l'année précédente dans la même ville. Il est condamné à trois ans de prison
ferme mais sera finalement acquitté en appel.

Sur le plan artistique, il produit les Jihad Singers (1970) auxquels succèdent les Advanced Workers.
Avec le précieux George Gruntz, il tente un opéra, Money, de grande envergure (1982). Dans un loft
de Soho, les répétitions – avec Chico Freeman et Dee Dee Bridgewater – avaient une sacrée
gueule.

LA LANGUE EN BANNIÈRE
De 1979 au milieu des années 1980, il enseigne les black studies ou african studies dans différentes
universités . Dans la décennie suivante, tout en continuant de publier , il fait moins parler de lui.
Jusqu'au jour où, retombant dans les dérives antisémites qu'il avait lui-même reniées en 1980 et
donnant dans le conspirationnisme couillon, ses propos sur le 11 septembre 2001 défraient la
chronique. « Qui a prévenu les quatre mille employés juifs du World Trade Center de rester à la
maison, ce jour-là ? », glisse-t-il en 2002 dans son poème Somebody Blew Up America. Cela lui
vaudra d'être destitué de son statut de Poète lauréat du New Jersey, état où il aura longtemps
enseigné.

Bon, dormez, braves gens, Amiri Baraka est mort. Il s'appelait aussi LeRoi Jones. Il n'était pas
simple, pas de tout repos, et rédiger sa nécrologie est à peu près aussi facile que faire l'éloge
funèbre de Sade, Céline ou Frantz Fanon. Mais poète, oui, il le fut. Un poète absolu. La conscience,
l'émancipation, la résistance, la rage mais surtout et toujours la langue en bannière. On n'a jamais
demandé à Villon, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Césaire, Bernard Noël, de mettre des patins
avant d'entrer . Faisons avec.

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