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2.

LA DESCRIPTION

1. La DESCRIPTION est centrée sur l'assertion des « énoncés d'état ».


Lié souvent ŕ un arrangement effectivement spatial des propositions, substituant ŕ la linéarité
dominante du type narratif une tabularité dominante, le descriptif est, plus largement, en rapport avec le
discours lexicographique, la compétence lexicale des usagers de la
langue, actualisant un réservoir ou un savoir encyclopédique de ceux-ci.
G. LUKÁCS disait que si « le récit structure, la description nivelle » (Problčmes du réalisme: 147)
et R. BARTHES estimait que le modčle lointain de la description n'est pas le discours oratoire, mais une
sorte d'artefact lexicographique (Le plaisir du texte: 45).
La description ralentit le cours des événements, elle amčne un suspense. Soit cet exemple:
(1) Ce soir froid de février 1924, sur les sept heures, un homme paraissant la soixantaine bien
sonnée, avec une barbe inculte et d'un gris douteux, était planté sur une patte devant une boutique de la
rue de la Glacičre, non loin du boulevard Arago, et lisait le journal ŕ la lumičre de la devanture, en
s'aidant d'une grande loupe rectangulaire de philatéliste. Il était vętu d'une houppelande noire usagée, qui
lui descendait jusqu'ŕ mi-jambes, et coiffé d'une casquette sombre, du modčle des casquettes mises en
vente vers 1885; avec une sous-mentonničre ŕ deux ailes, actuellement relevées de chaque côté sur le
dessus. Quelqu'un qui l'aurait examiné de pris aurait vu que chaque détail de son accountrement était «
comme de personne ». Sa casquette était démodée de trente ans; sa houppelande était retenue, au col, par
deux épingles de nourrice accrochées l'une ŕ l'autre et formant chaînette; le col tenant de sa chemise
blanche empesée était effrangé comme de la dentelle, mettant ŕ nu le tissu intérieur, et sa cravate était
moins une cravate qu'une corde vaguement recouverte de place en place d'une étoffe noire passée; son
pantalon flottant descendait bien de quinze centimčtres plus bas que les tailleurs appellent « la fourche »;
le lacet d'une de ses bottines (des bottines énormes) était un bout de ficelle qu'on avait eu l'intention de
peindre en noir avec de l'encre (Montherlant, Les Célibataires).
Alors que l'énoncé narratif est traversé par un déroulement événementiel que son lecteur / récepteur
perçoit et attend, l'énoncé descriptif est réglé, d'une part, par ses structures sémiotiques de surface et,
d'autre part, par ses structures lexicales.
2. Les descriptions, nommées par Paul VALÉRY « cartes postales » [45], ont fait l'objet d'une étude
hautement moderne et explicative entreprise par Ph. HAMON (1981). L'hypothčse de Ph. HAMON est
que le descriptif est un mode d'ętre des textes oů se met en scčne « une utopie linguistique, celle de la
langue comme nomenclature, celle d'une langue dont les fonctions se limiteraient ŕ désigner terme ŕ terme
le monde, d'une langue monopolisée par sa fonction référentielle d'étiquetage d'un monde lui-męme
"discret" , découpé en "unités" » (1981: 6).
2.1. Le descriptif convoque en texte les instances énonciatives particuličres de descripteur et de
descriptaire, tendant ŕ solliciter avec priorité une certaine compétence linguistique (lexicale) de ce dernier,
constituant toute description comme une sorte de 'mémento' ou de 'mémorandum lexicologique'. Le
descriptif organise (ou désorganise), de façon privilégiée, la lisibilité de l'énoncé, étant toujours, ŕ la fois,
énoncé didascalique (il s'y transmet les signes, indices, indications plus ou moins explicites de la régie
nécessaire ŕ la compréhension globale du texte par le lecteur / descriptaire) et énoncé didactique (il s'y
transmet une information encyclopédique sur le monde, vérifiable ou simplement possible).
Employé et étendu ŕ outrance [46], le type textuel descriptif risque de compromettre soit l'efficacité
de la démonstration, soit - si on l'introduit dans des énoncés littéraires - l'unité globale de l'śuvre.
Puisque les termes de 'détail' ou de 'morceau' ont une forte charge négative, la description semble
devoir rester 'auxiliaire'.
Le type textuel / discursif DESCRIPTIF illustrerait bien ce que J.-Bl. GRIZE (1976: 96) appelle «
discours qui s'accommodent bien ŕ l'objet mais qui traitent encore l'auditeur comme un objet pareil aux
autres ».
2.2. La description est ŕ distinguer de la définition; si la seconde est logique, scientifique ou
philosophique, gouvernée par la raison et la réflexion, la premičre est une 'définition imparfaite'.
Le descripteur est un commentateur du monde, un 'scientifique en chambre', un 'savant austčre, peu
disert', un interprčte du monde; le descriptaire est un récepteur particulier, dont l'activité est plus
rétrospective que prospective (comme il en est du récit), un récepteur enseigné par un descripteur
enseignant (spécialiste des mots et des choses, donc possédant un savoir lexical et encyclopédique plus
élevé que lui), un récepteur occupant le poste de 'moins savant' dans cette « communication de type
pédagogique et didactique » (Ph. HAMON, 1981: 44 - 45).
2.3. La description modifie surtout, dans un texte, l'horizon d'attente du lecteur. Cet horizon d'attente
paraît davantage focalisé sur les structures sémiotiques de surface que sur les structures profondes, sur les
structures lexicales du texte plutôt que sur son armature logico-sémantique fondamentale, sur la
manifestation et l'actualisation des champs lexicaux et lexico-discursifs, plutôt que sur une syntaxe
présidant ŕ la structuration des contenus orientés.
Le savoir mobilisé par le texte descriptif amčne une superposition ou une confusion entre plan
lexical et plan référentiel.
La description « réembraye le lecteur sur sa propre histoire personnelle, celle de son apprentissage
du vocabulaire, d'une part, celle de son expérience (savoir encyclopédique des choses), de l'autre. Elle
provoque donc un décentrement des structures logiques de l'énoncé et un recentrement pragmatique sur les
participants ŕ l'énonciation »
(Ph. HAMON, 1981: 265). Ŕ ce sujet, le descriptif ancre le texte dans une double dimension:
réflexive et culturelle.
3. La tradition rhétorique a établi une taxinomie des descriptions. Ainsi P. FONTANIER distingue-t-
il les types suivants de descriptions: la TOPOGRAPHIE (description qui a pour objet un lieu quelconque,
tel un vallon, une montagne, une plaine, une ville, un village, une maison, un jardin, etc.), la
CHRONOGRAPHIE (description du temps, des périodes, des âges d'un événement, etc.), la
PROSOPOGRAPHIE (description de la figure, du corps, des qualités physiques, de l'extérieur, etc.),
l'ÉTHOPÉE (description des mśurs, des caractčres, des vices, des talents, des défauts, des qualités morales
d'un personnage réel ou fictif), le PORTRAIT (description physique ou morale d'un ętre animé), le
PARALLČLE (deux descriptions, consécutives ou mélangées, par lesquelles on rapproche l'un de l'autre,
sous leurs rapports physiques et moraux, deux objets dont on veut montrer la ressemblance ou la
différence) et le TABLEAU (certaines descriptions vives et animées de passions, d'actions, d'événements,
etc.). La description donne souvent lieu ŕ l'HYPOTYPOSE, « lorsque l'exposition de l'objet est si vive, si
énergique, qu'il en résulte une image, un tableau ».
4. Vu les traits du descriptif et son inflation męme, ce type de texte / discours n'apparaît jamais seul,
indépendant. Le descriptif est toujours associé au narratif, au poétique (ou rhétorique), ŕ l'informatif, ŕ
l'argumentation. C'est que les fonctions du systčme descriptif sont nombreuses: la focalisation de
l'information, des effets de savoir, l'argumentation pour un certain présupposé du texte, l'accentuation de la
relation du lecteur ŕ un stock lexical, etc.
Le narratif et le descriptif sont indissociables.
Le rôle d'une description dans un récit illustre un jeu de dominantes textuelles, un sursis ou un
ralentissement dans le cours des événements. Les indices du descriptif « avertissent le lecteur du
changement de dominante textuelle, ils le préviennent du fait qu'un nouveau pacte de lecture lui est
proposé qui modifie les données et ses horizons d'attente. Le vraisemblable de l'énoncé et l'embrayage /
désembrayage des différents pactes de lecture prend appui soit sur le regard (voir) des personnages
(acteurs ou narrateur), soit sur leur parole (dire), soit sur leur action (faire) » (J.-M. ADAM, 1984: 48 -
49).
5. La fonction argumentative du texte descriptif joue un rôle de réglage discursif et assure une
communication réussie et efficace, qui emporte l'adhésion et assure la persuasion des auditeurs / lecteurs.
Étudier la vertu argumentative d'un texte / discours, c'est voir de quelle maničre un micro-texte / micro-
discours qui le constitue contribue ŕ la dimension perlocutoire du message, ŕ son haut degré de pertinence.
Qu'on observe, ŕ ce sujet, le rôle argumentatif de la fameuse description de la casquette de Charles Bovary
au début du roman classique de FLAUBERT ou la pertinence argumentative des portraits renfermés dans
Les Caractčres de LA BRUYČRE. Nous proposons au lecteur d'étudier les « caractčres » de Giton (le
riche) et de Phédon (le pauvre), chefs-d'śuvre du chapitre « Des biens de fortune ».

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