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Des dates fiables


pour les 50 000 dernières années
Édouard BARD, Guillemette MÉNOT-COMBES et Gilles DELAYGUE

Pour gagner en précision, la datation au carbone 14 est tributaire des variations


du carbone 14 dans l’atmosphère. Les coraux et les sédiments fourniront
bientôt une courbe de ces variations pour 50 000 ans.

n chronomètre précis pour chronologique (voir l’article de Carlo et l’augmentation en isotope « fils »,

U
dater les dernières dizaines de Laj dans ce numéro), l’archéologue date l’azote 14 produit lors de la désintégra-
milliers d’années est essentiel les sites d’occupation préhistorique et tion bêta moins (l’émission d’un
aux sciences de la Terre et à le géophysicien étudie la fréquence des électron). L’azote 14 né de cette désin-
l’archéologie. Le chronomè- éruptions volcaniques ou des trem- tégration ne peut pas être distingué de
tre principal pour ces périodes récen- blements de terre. l’azote « commun » qui compose 80 pour
tes est le carbone 14, une méthode très La paléoclimatologie illustre l’im- cent de l’atmosphère. Il est donc néces-
utilisée pour dater des objets anciens portance de la méthode au carbone 14 saire de connaître parfaitement la quan-
jusqu’à environ 50 000 ans (toutes les et plus particulièrement les besoins à tité initiale de carbone 14, exprimée, en
dates de cet article ont pour référence la fois en précision et en justesse des pratique, par rapport à la quantité de
l’année 1950 par convention interna- datations. Les changements climatiques carbone 12 « commun », soit le rapport
tionale). Grâce à cette méthode radio- sont étudiés dans des archives paléo- 14C/12C de l’organisme au moment de

climatiques variées et prélevées à diffé- sa mort, quand l’horloge se déclenche.


rentes latitudes. L’exactitude des âges
carbone 14, c’est-à-dire leur correspon- Un effort international
dance avec des âges vrais, non biaisés,
devient cruciale lorsque les variations Le carbone 14 des échantillons qui font
paléoclimatiques doivent être replacées l’objet de datation provient du gaz carbo-
par rapport à la chronologie absolue nique atmosphérique : les plantes photo-
des fluctuations de l’insolation calcu- synthétiques l’absorbent directement et
lées par les astronomes. le transmettent aux animaux via la chaîne
Cependant, la datation au carbone 14 alimentaire. La connaissance du rapport
diffère des autres méthodes radiochro- initial 14C/12C d’un échantillon dépend
nologiques classiques, telles les horloges donc de l’évolution au cours du temps
uranium-thorium (voir l’encadré de la de ce rapport dans l’atmosphère. Afin
page 56), en ce qu’on ne peut pas mesu- de déterminer des âges réels, aussi
rer conjointement la décroissance radio- nommés « âges calendaires », il faut donc
active de l’isotope « père » (le carbone 14) corriger ces fluctuations atmosphériques
à l’aide d’une courbe de calibration. On
1. LES VARVES sont des dépôts annuels établit cette dernière en comparant, dans
de sédiments qui se superposent. En les
étudiant dès la fin du XIXe siècle, le Suédois
des échantillons appropriés, les âges
Gerard de Geer a été le premier, en 1912, carbone 14 avec des âges vrais, obtenus
à proposer une durée fiable de la période indépendamment de la méthode au
postglaciaire, environ 8 700 ans. carbone 14. Cette courbe de calibra-

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J. Orempüller (IRD)
P. Plailly (CNRS)

2. LES RÉCIFS CORALLIENS (en haut, le récif de Tahiti) enregistrent les thorium, permettent d’établir des courbes de calibration pour le
variations climatiques. Les échantillons de coraux fossiles prélevés carbone 14. Les quantités de bérylium 10 et de carbone 14 des échan-
par forage, datés par le carbone 14 et par la méthode uranium- tillons sont mesurées par un accélérateur de particules (en bas).

tion est le sésame pour une datation méthode, l’Américain Willard Libby, comportent également des couches
précise, aussi les efforts pour élaborer prix Nobel de chimie en 1960, qui s’est annuelles, nommées varves. Dès 1912,
la plus exacte possible sont-ils cons- toujours battu contre l’idée d’un biais soit bien avant l’utilisation du carbone
tants. La nouvelle courbe pour 2004 important. Toutefois, la démonstration 14, le Suédois Gerard de Geer (voir la
s’étend sur les derniers 26 000 ans. d’une telle erreur systématique a été figure 1) publia la première estimation
Cependant, de nouvelles archives, tels apportée dans les années 1960 par la fiable de la durée des temps écoulés
les coraux fossiles et les sédiments comparaison d’âges carbone 14 avec depuis la dernière glaciation, environ
marins, sont aujourd’hui étudiées, et ceux obtenus par d’autres techniques 8 700 ans, en comptant les varves de
l’on pense atteindre d’ici deux ou trois plus justes, mais applicables à seulement sédiments déposés par l’eau de la calotte
ans une nouvelle courbe valable pour quelques archives spécifiques. Parmi ces Scandinave à mesure que celle-ci fondait
les 50 000 dernières années. méthodes, la dendrochronologie (voir et se retirait progressivement vers le Nord.
La nécessité d’une telle courbe de l’article de David Houbrechts dans ce Dans un premier temps, l’abondance
correction de la méthode au carbone 14 numéro) date des objets à l’année près d’arbres fossiles sur les derniers 11500 ans
n’a pas été acceptée facilement par la par les cernes de croissance des arbres. a permis d’établir une courbe de cali-
communauté scientifique, et notam- D’autres archives, tels les glaces polai- bration à haute résolution en datant les
ment par l’inventeur même de la res et les sédiments lacustres et marins, cernes d’arbres simultanément par

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L’HORLOGE URANIUM-THORIUM
mes scientifiques, telle la datation des échantillons très récents à
L a méthode radiochronologique uranium-thorium est fondée
sur la décroissance radioactive d’isotopes intermédiaires, l’ura-
nium 234 et thorium 230, de périodes respectives 244 500 et 75 360
quelques années près. Par ailleurs, ces améliorations ont marqué
un renouveau de l’étude des coraux et des spéléothèmes, telles
ans, dans la chaîne de désintégration de l’uranium 238. Par exem- les stalactites. Aujourd’hui, à 95 pour cent de confiance, les incer-
ple, dans les coraux, le chronomètre est remis à zéro lors de la titudes sont de l’ordre de 30 ans pour des échantillons d’environ
formation du corail qui intègre dans son squelette des traces d’ura- 10 000 ans et de 1 000 ans pour des prélèvements de 100 000 ans.
nium (environ trois parties par million) à partir de l’eau de mer.
En mesurant la quantité de thorium 230 produite par l’uranium Chaîne de désintégration de l'uranium 238
234, on détermine le temps écoulé depuis la formation du carbo- 234U β 238U
92 4,469 × 10
9
nate. Cette méthode, utilisée depuis les années 1950, était néan- 244500 ans

Nombre de protons
ans
moins limitée par les très faibles quantités d’uranium et de thorium, α 234 β α
91 Pa
et par la faible précision de comptage en radioactivité alpha utili- 6,7heures
sée pour les déterminer : à 95 pour cent de confiance, les incerti- 230
Th 234Th
90
tudes sont de l’ordre de 2 000 ans pour des échantillons d’envi- 75360 ans 24,1 jours
ron 10 000 ans et de 10 000 ans pour des prélèvements de α
100 000 ans. Au cours des 15 dernières années, cette précision a
été notablement améliorée grâce à l’analyse directe en spectro- 140 142 144 146
métrie de masse, permettant de mesurer de manière bien plus Nombre de neutrons
La datation uranium-thorium est fondée sur la mesure des
sensible et précise la composition de traces d’uranium et de thorium. rapports de deux isotopes, le thorium 230 et l’uranium 234.
Désormais, grâce à cette technique, on aborde de nouveaux problè- Ces deux isotopes sont des sous-produits de l’uranium 238.

comptage et par carbone 14. Hélas, quelque 300 géochimistes et géophysi- précisément par comptage des couches
cette « dendrocalibration » ne peut être ciens réunis ont entériné la mise à jour annuelles de glace (voir l’article de Jean
étendue plus avant en raison de la rareté de la courbe de calibration, INTCAL04, Jouzel dans ce numéro). On utilise en
des fossiles d’arbres datant de la dernière qui précise la courbe INTCAL98 grâce à particulier des excursions climatiques,
période glaciaire et au-delà. D’autres un plus grand nombre de points, et la c’est-à-dire de brusques refroidissements
archives sont donc utilisées, parmi prolonge jusqu’à 26 000 ans. (des événements de Heinrich) ou
lesquelles des sédiments varvés et des Bien qu’aucun consensus n’ait été réchauffements (événements de
coraux tropicaux vivant à faible profon- atteint pour des périodes plus recu- Dansgaard-Oeschger) de large ampli-
deur (voir la figure 2), datés simulta- lées, différentes archives ont été propo- tude, survenues lors de la dernière
nément par la méthode uranium- sées récemment pour prolonger la période glaciaire (entre – 80 000 et
thorium et par celle au carbone 14. courbe de calibration entre 26 000 et – 10 000 ans). Ces excursions n’excè-
Reconstituer les variations atmosphé- 50 000 années calendaires. dent pas quelques millénaires, mais les
riques du carbone 14, pour calibrer cette transitions durent généralement moins
méthode de datation, représente un effort Horizon 50 000 d’un siècle, constituant ainsi de bons
international qui se traduit par la paru- repères chronologiques. Ces événements
tion régulière d’une courbe de calibra- Ainsi, à la réunion de Wellington, une se traduisent, dans les glaces, par des
tion « officielle » marquant le consensus enveloppe de calibration, c’est-à-dire variations rapides de la composition
du moment. La dernière courbe, une zone de calibration la plus proba- isotopique de l’oxygène, et dans les fora-
nommée INTCAL98, a été publiée ble, remontant à des âges plus anciens, minifères, par des variations des types
en 1998 dans un numéro spécial de la a été présentée parallèlement à la courbe d’espèces et des constituants chimiques
revue américaine Radiocarbon. Cette de calibration INTCAL04. Parmi ces enre- des sédiments marins.
courbe couvrait la période jusqu’à 24 000 gistrements, citons les varves du lac Cependant, dater ces événements
ans calendaires. En raison de la nature Suigetsu, au Japon, les coraux de terras- anciens reste délicat, car les quantités de
des archives utilisées (des fossiles d’ar- ses surélevées de Nouvelle-Guinée, les carbone 14 restant dans ces vieux échan-
bres, des sédiments varvés et des coraux), sédiments aragonitiques du lac fossile tillons sont faibles, environ un pour cent
le nombre d’échantillons disponibles Lisan en Israël, les spéléothèmes (les de la teneur actuelle (c’est-à-dire un
pour cette calibration décroît avec l’âge, concrétions calcaires) de grottes submer- rapport 14C/12C de l’ordre de 10–14 !).
augmentant l’incertitude. Des mises à gées aux Bahamas, ainsi que certains De plus, les échantillons les plus anciens
jour de cette courbe de calibration sont sédiments marins. Dans ces derniers, ont souvent subi une altération géochi-
proposées par le groupe de travail des événements climatiques datés par mique : par exemple, les coraux qui se
INTCAL et ratifiées par vote de la commu- carbone 14 en utilisant des organismes sont développés avant que la mer ait
nauté scientifique lors de conférences marins, les foraminifères (voir la figure 3), atteint son niveau le plus bas, soit il y a
internationales. La 18e de ces réunions sont corrélés avec leurs équivalents dans plus de 21 000 ans calendaires, ont été
a eu lieu en septembre 2003 à les carottes de glace prélevées au sommet émergés et altérés par le ruissellement et
Wellington, en Nouvelle-Zélande. Les du Groenland. Ces carottes sont datées l’acidité des pluies. Ces phénomènes

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modifient les datations par le carbone 14 res marines, apportent un jour nouveau
et par l’horloge uranium-thorium, et sur cette controverse. Lors de cette
empêchent leur utilisation pour la cali- réunion de Wellington, l’équipe de
bration du chronomètre carbone 14. Konrad Hughen, de l’Institut océano-
graphique de Woods Hole, aux États-
Une carotte bien placée Unis, a présenté des résultats de carot-
tes sédimentaires collectées dans le bassin
Encore très récemment, seules deux tropical de Cariaco, sur la côte du

H. Eld
erfi
courbes de calibration étaient dotées Venezuela. Pendant cette même session,

eld
(Ca
mb
d’une précision satisfaisante et d’une notre équipe a proposé une courbe de ridg
e)

dispersion faible des données : celle calibration obtenue à partir d’une carotte
issue des sédiments varvés du lac sédimentaire profonde collectée au large 10 micromètres
Suigetsu et celle des spéléothèmes des de la marge ibérique, c’est-à-dire au-delà 3. GLOBIGERINA BULLOÏDES (vu ici au micro-
Bahamas. Cependant, ces courbes de du talus continental, par le navire océa- scope électronique à balayage) est un fora-
calibration diffèrent notablement : nographique français Marion Dufresne minifère qui vit dans les eaux de surface.
l’une d’elles, au moins, est inexacte (voir la figure 5). Le site de prélèvement Cet organisme a été sélectionné pour les
datations au carbone 14, en raison de son
(voir la figure 4). de cette carotte est idéalement localisé, abondance relative par rapport aux autres
Des résultats très récents, fondés sur car il est suffisamment proche du espèces dans la carotte de sédiment
la stratigraphie de carottes sédimentai- Groenland pour enregistrer les mêmes profond prélevée sur la marge ibérique.

47000

Âge calendaire = âge carbone 14


43000

39000 Peintures préhistoriques


de la grotte Chauvet
Âge conventionnel carbone 14

35000

31000

27000
J.-M. Chauvet, E. Brunel Deschamps et C. Hillaire

23000

19000
23000 27000 31000 35000 39000 43000 47000
Âge calendaire
4. LES ÂGES CARBONE 14 en fonction des âges calendaires au-delà du Groenland (GISP2). Ces courbes sont utilisées en archéologie
de la période couverte par la courbe officielle INTCAL98. Les données pour convertir des âges carbone 14 en âges calendaires. Par exem-
proviennent des analyses des coraux de la Barbade, de Mururoa et ple, l’âge des nombreuses peintures de la grotte Chauvet, en Ardèche,
de Nouvelle-Guinée (les points rouges) ; des varves du lac Suigetsu a été établi à partir d’une trentaine d’analyses sur des charbons :
(la courbe verte) ; des spéléothèmes des Bahamas (la courbe en bleu ce rhinocéros serait donc âgé d’environ 31 000 ans carbone 14 avant
foncé). De nouvelles données ont été obtenues par l’analyse de la le présent (la ligne rouge horizontale). Selon la courbe de calibra-
carotte de la marge ibérique (les points noirs) et du bassin de Cariaco tion choisie, l’âge vrai serait de 38 000 ans (la flèche bleu foncé) ou
(la courbe en bleu clair). Pour ces deux derniers travaux, les âges de 33 000 ans (la flèche verte). À partir des nouvelles données, cet
calendaires sont issus de la corrélation avec une carotte de glace âge serait de pratiquement 36 000 ans (la flèche noire).

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événements climatiques : les variations l’atmosphère, soit dans les flux de


de températures enregistrées dans ces carbone 14 entre les différents réser-
sédiments marins correspondent bien à voirs de carbone, essentiellement l’at-
ceux des carottes de glace du Groenland. mosphère et l’océan.
Néanmoins, le site est suffisamment éloi- Les données de la marge ibérique
gné pour échapper aux fortes variations ainsi que celles des coraux indiquent
du rapport 14C/12C caractéristiques des que la teneur atmosphérique en
eaux des mers nordiques. Entre 33 000 et carbone 14 a augmenté de 70 pour cent
41 000 ans calendaires, période pour jusqu’à atteindre un maximum entre
laquelle les courbes de calibration des 39 000 et 41 000 ans calendaires. Une
sédiments du lac Suigetsu et aux spéléo- telle augmentation peut s’expliquer par
thèmes des Bahamas montrent un la diminution régulière de l’intensité
désaccord flagrant, de l’ordre de 5 000 du champ magnétique terrestre, enre-
années, les nouveaux résultats définis- gistrée par ailleurs dans les roches volca-
sent une courbe de calibration qui passe niques et sédimentaires : une diminu-
entre ces deux courbes. Par ailleurs, tion de ce champ laisse pénétrer dans
l’accord entre les deux toutes nouvel- l’atmosphère davantage de rayons
les séries de données démontre la fiabi- cosmiques responsables de la forma-
lité de cette méthode stratigraphique tion du carbone 14 (qui est un cosmo-
pour calibrer les âges carbone 14. nucléide de la même façon que le béryl-
L’exemple de la grotte Chauvet illus- lium 10 et le chlore 36). Le maximum
tre les conséquences archéologiques de d’abondance du carbone 14, enregis-
ces nouveaux résultats. Les peintures tré autour de 40 000 ans calendaires,
préhistoriques de cette grotte du Sud de pourrait correspondrait donc à l’ex-
la France (voir la figure 4) ont été datées, cursion magnétique de Laschamp,
à plusieurs reprises, par la méthode au pendant laquelle le champ magnétique
carbone 14, d’environ 31 000 ans a brutalement chuté.
carbone 14 (voir l’article d’Hélène Valladas Ces variations sont également visi-
dans ce numéro). Selon les résultats de bles dans d’autres enregistrements de la
la marge ibérique, confirmés par les même carotte sédimentaire de la marge
données du bassin de Cariaco, l’âge cali- ibérique. En effet, d’après les travaux
bré est d’environ 36 000 ans calendai- récents de nos collègues du CEREGE,
res. Cette valeur se situe entre les âges Didier Bourlès, Julien Carcaillet et
corrigés à partir des enregistrements des Nicolas Thouveny, l’excursion de
Bahamas (38 000 ans calendaires) et du Laschamp est bien mise en évidence 5. LE MARION DUFRESNE (en bas) est un
lac Suigetsu (33 000 ans calendaires), entre 41 000 et 42 000 ans par la navire de recherches français équipé d’un
respectivement trop vieux et trop jeune présence d’un minimum du champ carottier géant (en haut) utilisé pour forer
de longues séquences sédimentaires conti-
de 2 000 et de 3 000 ans. magnétique en accord stratigraphique
nues et bien préservées. On détermine
Cette nouvelle calibration carbone 14 avec un pic de béryllium 10. Par ailleurs, ensuite l’âge de ces sédiments afin d’éta-
a également des conséquences dans les en 1997, des maximum en béryllium 10 blir une courbe de calibration pour la
domaines de la géochimie et de la géophy- et en chlore 36 ont aussi été datés vers méthode de datation au carbone 14
sique. En effet, la différence entre les âges
carbone 14 et les âges calendaires est due,
nous l’avons vu, à des variations du
rapport 14C/12C dans l’atmosphère. La
cause de ces variations est à chercher, soit
dans la production du carbone 14 dans
F. Delbart (IPEV)
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Rayons cosmiques et
production constante de carbone 14
41 000 ans calendaires dans les carottes
de glace provenant du sommet de la Atmosphère
calotte groenlandaise. 0
– 500 800

Profondeur (en mètres)


– 1000 600
L’appel de l’océan – 1500
1000
1400

D’après Delaygue et al., 2003.


1000
– 2000 400
Toutefois, l’effet des variations de – 2500 1800 2200
production ne se fait pas sentir de la – 3000
même façon pour tous ces cosmonu- – 3500
cléides. Le carbone 14 produit dans
l’atmosphère est distribué dans les diffé- Rayons cosmiques et
rents réservoirs contenant du carbone, production constante de carbone 14
essentiellement l’océan et la biosphère.
Ces transferts entraînent un retard, de Atmosphère
0
l’ordre du millier d’années, des varia-
– 500
tions de la concentration atmosphé-
Profondeur (en mètres)

1000
– 1000 800
rique en carbone 14 par rapport à celle – 1500 1000 1000
du taux de production de ce cosmo- – 2000
1400 1800
nucléide. L’âge calendaire de ce maxi- – 2500 2200
mum de production de carbone 14 – 3000 1800 2600
(l’excursion de Laschamp) se situerait – 3500
donc entre 40 000 et 42 000 ans calen- 60°N 40°N 20°N 0°N 20°N 40°N 60°N 60°N 40°N 20°N 0°N 20°N 40°N
daires, en accord avec l’âge du pic de Atlantique Pacifique
béryllium 10. Par ailleurs, même quand 6. L’ÂGE CARBONE 14 des eaux océaniques dépend de leur circulation. Le carbone 14,
la production de carbone 14 est cons- produit dans l’atmosphère par le rayonnement cosmique, est incorporé dans l’océan
tante, les échanges de carbone 14 entre lentement par rapport à sa période de décroissance radioactive : les eaux profondes sont
les réservoirs varient et modifient alors ainsi plus pauvres en carbone 14 que les eaux de surface et apparaissent donc plus vieilles.
On représente l’âge carbone 14 des eaux (entre zéro, en vert, et – 2500 ans, en violet) en
la quantité de ce cosmonucléide dans utilisant un modèle numérique de la circulation océanique. Par exemple, avec la circula-
l’atmosphère. On peut tenir compte tion actuelle (en haut), la simulation révèle les âges carbone 14 des eaux, selon la lati-
de ces variations du carbone 14 grâce tude et la profondeur, dans les océans Atlantique (à gauche) et Pacifique (à droite).
à un modèle mathématique décrivant Cependant, à certaines époques, la circulation était ralentie : les modèles d’âge carbone 14
le devenir du carbone 14 dans le cycle des eaux des deux océans (en bas) montrent que le transfert du carbone 14 vers les profon-
deurs de l’océan était alors réduit (les eaux profondes sont plus âgées). En conséquence,
du carbone. En outre, grâce à un tel
la teneur atmosphérique en carbone 14 était supérieure d’environ quatre pour cent à
modèle, on peut tester différentes origi- celle d’aujourd’hui. Une telle augmentation est responsable d’un rajeunissement d’en-
nes pour des variations connues du viron 300 ans des âges carbone 14. Cette diminution du transfert dans l’océan est égale-
carbone 14 ou, à l’inverse, prédire une ment responsable du vieillissement des eaux profondes.
calibration de l’âge carbone 14 en
faisant varier le champ magnétique en mélangeant l’eau de surface « jeune » ibérique et du bassin de Cariaco. Ces
terrestre ou les flux de carbone entre avec des eaux plus profondes et plus nouveaux enregistrements étofferont
les réservoirs. Ainsi, on a découvert vieilles. Or différents marqueurs géochi- cette calibration préliminaire. De plus,
que des modifications de la circulation miques, telles la composition isotopique la nouvelle carotte de glace, nommée
océanique influent aussi sur la quan- et chimique du carbonate des forami- NorthGRIP, récemment forée au
tité de carbone 14 atmosphérique, car nifères, indiquent que cette circulation Groenland, améliorera sans doute la
l’océan est le plus important réservoir océanique a notablement ralenti à certai- précision de l’échelle de temps abso-
échangeant du carbone avec l’at- nes périodes, réduisant ainsi les apports lue sur laquelle est fondée cette
mosphère. Depuis, des courbes de cali- de carbone 14 dans l’océan profond. La méthode stratigraphique. Au final, une
brations à haute résolution fondées sur quantité de carbone 14 a donc dimi- courbe de calibration complète remon-
des sédiments varvés ont montré l’exis- nué dans les eaux profondes, mais tant jusqu’à 50 000 années calendai-
tence de telles variations rapides du augmenté dans l’atmosphère. Une telle res sera vraisemblablement présentée
carbone 14 atmosphérique lors de la augmentation du rapport 14C/12C et ratifiée lors de la prochaine confé-
dernière déglaciation. atmosphérique perturbe la méthode rence radiocarbone, en 2006, à Oxford.
Dans l’océan (voir la figure 6), le radiocarbone en rajeunissant les âges
carbone 14 atmosphérique diffuse lente- carbone 14 de cette époque.
ment par rapport à sa période de décrois- L’étude des carottes sédimentaires Édouard BARD est professeur au Collège de
sance radioactive, ainsi les eaux sont n’en est qu’à ses débuts. En effet, France et membre du groupe INTCAL. Il travaille
avec Guillemette MÉNOT-COMBES et Gilles
d’autant plus « vieilles », c’est-à-dire plusieurs carottes de sédiments marins DELAYGUE au CEREGE, à Aix-en-Provence.
pauvres en carbone 14, qu’elles sont profonds ont été récemment collec-
éloignées de la surface. La circulation tées par le Marion Dufresne à proxi- E. BARD, F. ROSTEK et G. MÉNOT-COMBES, A better radio-
des masses d’eau rajeunit donc l’océan mité des premiers forages de la marge carbon clock, in Science, vol. 303, pp. 178-179, 2004.

JANVIER-MARS 2004 / ©POUR LA SCIENCE


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