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collection

« Interventions »
ISBN : 978-2-81000-867-4

© 2019, Éditions de l’Artilleur / Toucan – éditeur indépendant


16 rue Vézelay – 75008 Paris
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« Nous sommes des Frères-musulmans mais nous ne sommes pas les Frères-Musulmans. Tout le monde,
1
à mon avis, doit être fier des Frères-musulmans. »
Lahj Thami Breze
« Frères ! Dieu donne à la Oumma qui est habile dans la pratique de la mort et qui sait mourir une mort
noble, une vie exaltée dans ce monde et une félicité éternelle dans le monde à venir. Quel est le
fantasme qui nous a réduits à aimer ce monde et à haïr la mort ? Si vous vous ceignez pour un acte
noble et aspirez à la mort, la vie vous sera donnée. Sachez alors que la mort est inévitable et qu’elle ne
peut se produire qu’une seule fois. Si vous le subissez à la manière de Dieu, ce sera votre profit dans ce
2
monde et votre récompense dans le prochain. »
Hassan al-Banna
L’islamisme sait s’adapter, il se fiche de la culture du pays, il veut la détruire et imposer la sienne, et
comme il a trouvé des recrues en Algérie il trouvera des recrues en France. Aujourd’hui, il les sollicite,
les prie, demain il les forcera à assumer leurs devoirs de soldats du califat, et le premier de ces devoirs
est de libérer l’islam de la tutelle de l’État mécréant qu’est la France.
Boualem Sansal
1 . Propos de l’ex-dirigeant de l’UOIF/MF, Lahj Thami Breze au journal algérien L’Expression ,
16 mai 2002.
2 . Cinq secteurs de Hassan al-Banna : une sélection du Majmu à Rasail al-Imam al-Shahid Hassan
al-Banna. Presses de l’Université de Californie. p. 156, traduit et annoté par Charles Wendell.
Introduction
« Venez vite ! Il y a un terroriste dans la préfecture ! Il a déjà poignardé
plusieurs collègues », s’écriait le jeudi 3 octobre 2019, un peu avant
13 heures, une jeune femme effarée courant en direction d’un gardien de la
paix tout juste diplômé de l’école de police.
Un vent de fureur barbare venait alors de s’abattre sur la préfecture de
police de Paris.
Mickaël Harpon, 45 ans, un agent administratif à la direction du
renseignement de la préfecture de police (DRPP), habilité « secret-défense »,
converti à l’islam radical depuis une dizaine d’années, venait de massacrer au
couteau quatre de ses collègues. En à peine sept minutes.
Un attentat de plus et de trop qui, à l’instar de celui qui avait frappé nos
confrères de Charlie Hebdo en 2015, revêtait une dimension symbolique, les
Français prenant une fois de plus cruellement conscience du réel, à savoir que
le cœur même de notre société – en l’occurrence une structure du
renseignement – était infiltré par des islamistes.
La préfecture de police de Paris, l’un des poumons du renseignement civil
français, abritait donc un terroriste islamiste ! À quelle mouvance appartenait-
il ? Qui fréquentait-il à la mosquée de Gonesse, « tenue » par un imam
salafiste ? Avait-il communiqué le nom d’agents du renseignement à des
filières jihadistes ? Était-il en contact à la fois avec des éléments et des
prédicateurs liés à la mouvance des Frères musulmans et des agitateurs
salafistes, comme l’ont indiqué plusieurs « sources autorisées » ? Pourquoi,
enfin, ses positions radicales n’avaient-elles fait l’objet d’aucun signalement ?
Tant de questions qui ne se seraient peut-être jamais posées si, dès 2015,
alors qu’il justifiait l’attentat contre Charlie Hebdo , il avait été muté dans un
service moins sensible, voire démis purement et simplement de ses fonctions.

Le « paradoxe islamiste » : dissimulation


tactique et stratégie de conquête
Harpon dénonçait l’« islamophobie » de l’Occident. Il se sentait « exclu »
en raison de son handicap, de sa couleur et de son islamité. Il mentait d’une
façon inouïe en dénonçant le jour le jihadisme de Daech et en visionnant des
vidéos de décapitations la nuit. Il n’est pas venu au radicalisme via Internet
uniquement, mais aussi en fréquentant une mosquée et des imams « fréro-
salafistes », oscillant tout comme Oussama Ben Laden et ses maîtres, pairs et
disciples, entre l’idéologie de l’organisation des Frères musulmans et le
jihadisme salafiste-wahhabite.
Rappelons que dans la mosquée de Gonesse, dite « de la Fauconnière »,
prêchaient Youssef Baouendi, le chef du bureau de l’organisation de la Ligue
islamique mondiale à Mantes-la-Jolie (organisation qui diffuse l’islam
salafiste-wahhabite saoudien), ainsi que l’imam islamiste Hassan El Houari,
proche de la mouvance des Frères musulmans.
Tout un écosystème !
Lors d’un prêche datant de septembre 2019, ce dernier se déclarait ainsi
favorable à la création d’un État islamique « soft » régi par la charià . Et bien
qu’il soit membre du Conseil théologique musulman de France (CTMF)
directement lié à l’association Musulmans de France (ex-UOIF, mouvance
1
française des Ikhwan , ce sur quoi nous allons revenir dans ce livre), bien
que sur son compte Facebook il arbore le signe de ralliement des Frères
musulmans (quatre doigts de la main levés et un pouce rabattu, appelé Rabia)
et exhibe des portraits de Qardaoui, l’idéologue majeur des Frères, et bien
qu’enfin, il ait été diplômé de l’IESH, l’Institut de formation d’imams des
Ikhwan , notre homme affirmait sans complexe, quelques jours après
l’attentat, que lui et le CTMF n’avaient rien à voir avec les Frères
musulmans !
Rien de vraiment surprenant, pourtant. Car avant même les salafistes-
jihadistes, capables de nier leur foi et leurs convictions afin de tromper
l’ennemi, les Frères musulmans ont été les précurseurs de la stratégie de la
dissimulation et de l’infiltration.
Ainsi, de même que des jihadistes tels que Harpon ont dissimulé leurs
intentions et leur radicalisme avec une duplicité déconcertante, de même des
islamistes fréristes comme El Houari sont capables de nier leur appartenance
à la confrérie – y compris s’ils sont pris en flagrant délit – alors que tout les
relie à cette nébuleuse. Un classique au sein de la mouvance islamiste pour
qui le mensonge envers les mécréants est considéré telle une action
nécessaire.
Autre classique, qui soulève la vulnérabilité majeure de nos démocraties :
le laxisme judiciaire et la dévalorisation de l’intérêt national et des fonctions
régaliennes.
La mosquée de Gonesse fréquentée par Mickaël Harpon a été ainsi
codirigée par un « imam adjoint » marocain en situation irrégulière et fiché S,
Ahmed Hilali, 35 ans, sous le coup, depuis 2017, d’une « obligation de quitter
le territoire français » (OQTF) après avoir été exclu d’une mosquée de
Sarcelles avec pertes et fracas. L’homme était de surcroît connu pour ses liens
avec des délinquants.
Ubuesque, mais vrai, à l’image de nos institutions qui n’agissent pas
suffisamment, paralysées par la peur de se voir qualifiées d’« islamophobes ».
L’« imam adjoint » de la mosquée de la Fauconnière de Gonesse n’a de fait
jamais été expulsé de France malgré sa dangerosité idéologique connue, sa
situation irrégulière et sa collusion avec des voyous et des salafistes. Il a
même fini par bénéficier d’un titre de séjour après être parvenu, en tant que
père d’un enfant né en France, à faire abroger son OQTF.
Beaucoup de choses peuvent encore être dites sur le terrible drame de la
tuerie de la préfecture de police de Paris, notamment sur le volet de la
« guerre du renseignement », car les jihadistes et les islamistes fréristes ont
durablement réussi à infiltrer nos démocraties.
Beaucoup peut aussi être dit et déploré sur la façon dont ils parviennent à
livrer leur guerre de l’ombre en utilisant nos lois.
Des milliers de militants fréro-salafistes comme Hilali et El Houari se
jouent ainsi de nos libertés et de nos principes de tolérance, dans l’optique
avouée – et écrite, comme nous le démontrons dans ce livre – d’islamiser et
de conquérir nos sociétés.
Si l’on veut donc comprendre le « paradoxe islamiste », à savoir comment
l’on a pu en arriver à être infiltrés puis subvertis par ceux-là mêmes qui
obéissent à des organisations qui ont pourtant annoncé la couleur dans leurs
textes, tels les totalitaires nazis et les communistes, il est nécessaire de se
pencher sur les causes lointaines du phénomène – et de sa « matrice »
doctrinale et organisationnelle qu’est l’islam politique et révolutionnaire des
Frères musulmans, confrérie qui a déstabilisé la plupart des pays arabes,
conquis la Turquie, et qui a fait des petits dans le Golfe, le Maghreb, le
Pakistan et l’Asie du Sud, mettant à mal l’Europe, à commencer par la
France.
Le présent ouvrage a ainsi pour objectif de démontrer que les Frères
musulmans constituent la matrice du totalitarisme islamiste et que cette
organisation islamiste mondiale, puissante et incontournable, évolue depuis
son origine entre islam politique « soft » et jihadisme, déployant avec une
efficacité maintes fois avérée une stratégie planétaire d’infiltration et de
conquête fondée sur la duplicité, la dissimulation ( takiya ) et le victimisme.
Ces « ingrédients » se retrouvent tous dans le profil du terroriste-policier
Harpon. Il n’existe pourtant aucun ouvrage comme celui qu’il vous est donné
de lire ici, car le travail des deux auteurs a pour objectif de décrire de façon
très précise la matrice doctrinale ou continuum idéologique qui inspire tant les
« coupeurs de têtes » (« jihadistes ») qui ensanglantent les capitales du monde
entier depuis plus de trente ans – d’Alger à Bagdad en passant par l’Inde,
l’Europe, les États-Unis, l’Afrique – que les « coupeurs de langues »
(islamistes institutionnels, « modérés »), lesquels instrumentalisent les valeurs
des sociétés pluralistes pour asseoir progressivement un califat universel.
Les auteurs entendent également mettre en garde les responsables des
sociétés « ouvertes » occidentales contre les VRP de la charià et leurs alliés
en costumes-cravates qui répandent dans les journaux ou sur les plateaux de
télévision leurs concepts fourre-tout d’islamophobie dès lors que l’on ose
critiquer l’islamisme et ses théoriciens, ou que l’on s’érige contre le
séparatisme musulman et ses symptômes que sont les exigences de non-
mixité, de halal ou de voiles islamiques dans les lieux publics.
Car ces adeptes de l’« islamistement correct » agissent objectivement ou
subjectivement en bras médiatique et culturel, voire en « facilitateurs » du
totalitarisme islamiste au nom duquel les terroristes ont frappé nos jeunes au
Bataclan le 13 novembre 2015, ensanglanté Nice le 14 juillet 2016, égorgé en
pleine messe le père Jacques Hamel le 26 juillet 2016, assassiné le colonel –
et héros – Arnaud Beltrame le 24 mars 2018, et plus récemment les quatre
fonctionnaires du renseignement dont nous parlions plus haut. Sans compter
les centaines de milliers de musulmans, premières victimes de l’islamisme
totalitaire, tués par ceux qui ne les trouvent jamais « assez musulmans ».
La mise en garde est d’autant plus nécessaire que ces attentats récurrents
contre des cibles occidentales font dire à chaque fois aux belles âmes et aux
idiots utiles du fascisme vert que le jihadisme barbare ne serait qu’une
« réaction » à la « persécution » des musulmans et à l’« islamophobie » ; que
le « vrai islam » et la « vraie charià » n’auraient « rien à voir » avec
l’islamisme radical, et que l’« islamisme politique » n’aurait lui-même « rien
à voir » avec le jihadisme.
Cette stratégie de retournement des responsabilités, qui permet aux
partisans d’un islam orthodoxe d’être exemptés de faire le moindre travail
d’autocritique et de réforme des textes, et qui empêche de guérir cette
« maladie de l’islam » diagnostiquée par l’intellectuel tunisien Abdelwahab
Meddeb, est chère aux Frères musulmans, professionnels du victimisme et de
la « guérilla rhétorique », qui savent instrumentaliser à merveille la mauvaise
conscience postcoloniale européenne.
Une rhétorique de Diabolisation/Culpabilisation/Retournement (DCR) qui
leur permet de faire oublier que les pires massacres jihadistes sont commis
entre musulmans (Pakistan, Afghanistan, Yémen, Irak, Burkina Faso, Mali,
Nigeria, Soudan, Somalie, etc.) dans des pays où l’« islamophobie » n’existe
pas et où, au contraire, des musulmans dominent ou persécutent des non-
musulmans – exception faite de la Syrie et du Liban.
Les auteurs s’attachent ainsi à souligner que le terrorisme islamiste ne doit
pas être réduit à ses « petits soldats » jihadistes, souvent recrutés en Occident
au sein de milieux marginaux ou en terre musulmane au sein d’une jeunesse
désœuvrée, désespérée et endoctrinée depuis des décennies de
« réislamisation ». Ces mains droites du terrorisme islamiste, ainsi que leurs
officiers et théoriciens, ne forment en fait que la face émergée de l’iceberg
islamiste totalitaire, dont les fondements idéologiques, institutionnels,
théologiques et parfois étatiques doivent être scrutés et désoccultés, faute de
quoi il est impossible de comprendre « d’où parlent » les « coupeurs de
têtes », souvent formés doctrinalement par des « coupeurs de langues »
comme les Frères musulmans qui ont presque réussi, en Occident, à faire
oublier leur rôle de matrice originelle du totalitarisme vert dans ses
dimensions politiques, associatives et même jihadistes.
Les auteurs estiment également que l’étude du jihadisme ne peut pas faire
l’économie de celle du « continuum » qui le fait découler d’une matrice
idéologique fréro-salafiste et d’une souche virale théologique inhérente à une
e
vision obscurantiste d’une orthodoxie sunnite jamais réformée depuis le X
siècle. Le totalitarisme doit donc être étudié dans le contexte originel qui fut,
e
au début du XX siècle, celui de la Société des Frères musulmans, créée en
1928 par Hassan Ibn Ahmed Ibn Abd al Rahman al-Banna, dit Hassan al-
Banna.
Ce livre démontre ainsi, preuves à l’appui, que ce sont des doctrinaires
« fréristes » qui ont formaté les visions et influencé la praxis de la plupart des
mouvements terroristes sunnites – et parfois même chiites –, d’Al- Qaida,
créée par le Palestinien Abdallah Azzam, le Saoudien Oussama Ben Laden et
l’Égyptien Al- Zawahiri, à Daech, avec son « calife » autoproclamé Abou
Bakr al- Baghdadi, sans oublier le Hamas palestinien, qui fait régner une
terreur psychologique et physique à Gaza.
Trop souvent exonérée, voire dédouanée grâce aux discours lénifiants d’un
Tariq Ramadan ou au travail de sape de façades « démocratiques » fréristes
dans le monde arabe – Ennahda en Tunisie, PJD au Maroc, AKP en Turquie,
PJL en Égypte – ou en Occident (UOIE en Europe, CAIR aux États-Unis), la
matrice islamo-totalitaire des Ikhwan doit par conséquent être désoccultée,
son discours suprématiste, séparatiste et victimaire révélé, et sa double nature
politico-subversive et prototerroriste exhumée.
Les auteurs s’attellent enfin à faire la lumière sur les multiples
ramifications associatives, caritatives, partisanes et financières des Frères
musulmans qui ont influencé et accompagné la plupart des organisations
terroristes islamistes contemporaines, qu’il s’agisse du GIA, de Boko Haram,
de Daech ou d’Al-Qaida, et pas seulement les vitrines présentables, supposées
« démocratiques » des Frères qui se présentent en Occident, sous couvert de
« droit à la différence » et de défense des « minorités persécutées », comme
des « progressistes-antiracistes », soutenus par les forces révolutionnaires de
2
gauche athées « bonnistes », dont les pulsions xénophiles, tiers-mondistes et
antioccidentales semblent plus fortes que leur aspiration à la cohérence. N’en
déplaise à ces idéologues, les islamistes ne sont assurément pas leurs amis et
ne les paieront jamais en retour. Les nationalistes laïques, comme les forces
révolutionnaires de gauche et communistes en Iran, qui furent massacrées
juste après avoir prêté main-forte à l’ayatollah Khomeiny, en savent quelque
chose. Ceux qui, parmi eux, ont survécu aux campagnes d’éradication du
« Frère musulman chiite » qu’était Ruhollah Khomeiny se mordent encore les
doigts d’avoir parié sur une alliance rouge-vert contre nature.
D’évidence, la matrice du totalitarisme islamiste ne se limite pas au
« salafisme* » pur et dur des jihadistes et même au salafisme
« monarchique » ou « piétiste » propagé par l’Arabie saoudite wahhabite* et
sa Ligue islamique mondiale*. Elle remonte pour une très large part à
l’organisation des Frères musulmans, elle-même issue d’une forme hybride et
particulièrement duplice de salafisme hanbalite, soi-disant « réformiste ».
Longtemps appuyée par les Saoudo-wahhabites, avant de l’être par
d’autres États « amis » de l’Occident comme le Qatar, la Turquie d’Erdogan
ou encore le Koweït, la confrérie est parvenue en moins de quatre-vingt-dix
ans, aux côtés d’autres « pôles » de l’islamisme conquérant (Pakistan, Arabie
saoudite, Qatar, etc.), à toucher idéologiquement l’ensemble des sociétés
arabo-islamiques en faisant prédominer, jusqu’au cœur théologique de la plus
haute autorité du sunnisme – à savoir l’université islamique Al-Azhar
au Caire –, une conception rétrograde, révolutionnaire, subversive,
théocratique et néo-impérialiste de la religion islamique, fondée notamment
sur le mythe néo-impérial du « califat » et l’obsession la charià .

La « sève de l’islamisme mondial »


Pour Zidane Meriboute, docteur en relations internationales, l’un des
3
meilleurs connaisseurs de La Confrérie , les Frères musulmans constituent
4
en fait « la sève vitale de l’islamisme mondial » et l’objectif premier du
fondateur de cette organisation foncièrement métapolitique – « gramsciste »
avant l’heure – est « l’éducation des jeunes dans l’islamisme de la ‘da’awa
5
salafi » (« prédication salafie ») , donc de « l’islam sunnite purifié » . Cette
première approche montre d’emblée à quel point il est erroné d’opposer,
comme on le fait trop souvent dans les pays occidentaux (qui ont donné aux
Frères pignon sur rue), les « islamistes salafistes » (« extrémistes ») aux
« islamistes réformistes » (« modérés ») que seraient les Ikhwan , en réalité
eux-mêmes représentants de la salafiya , le salafisme originel. Le but de La
Confrérie est en fait de « créer un homo islamicus recouvert d’un vernis
moderniste », poursuit Meriboute. Or, « pour atteindre ce but, Hassan al-
Banna et ses successeurs se sont inspirés des méthodes d’initiation prônées
par des ordres soufis salafis . (…) Là où le mouvement s’implante, il crée ses
propres syndicats, ses associations d’étudiants, de médecins, de travailleurs,
d’avocats ou d’ingénieurs, ses banques, ses médias, ses journaux, etc. (…).
Les Frères exhortent les régimes musulmans à rejeter en bloc la laïcité, vue
comme un « blasphème », une « apostasie », puis à appliquer la charià sous
6
le gouvernement d’un califat suprême » .
On est en réalité très loin d’un islamisme « réformiste » et « modéré ». De
ce fait, on ne peut que donner raison à ceux qui préfèrent parler
« d’islamisme fréro-salafiste » afin de montrer la communauté de vues entre
salafistes officiels (hanbalites, wahhabites saoudiens « quiétistes »), salafo-
jihadistes et Frères musulmans, dont le prétendu « réformisme » est le
contraire de la Réforme telle qu’on l’entend en Europe, puisque les Frères
l’ont conçue comme un retour à l’islam des « pieux ancêtres » ( salaf ),
auxquels le « vrai » musulman devrait se référer pour retrouver « l’islam pur
des origines » dont l’objectif est de faire régner les lois de Dieu partout sur la
Terre après avoir combattu et/ou subverti les lois et valeurs du reste du
« monde de la mécréance », lequel, assimilé au Mal, ne fait qu’un ( « Kufru
millatûn wahida »).
Tel qu’inculqué par La Confrérie et la littérature de son fondateur Hassan
al-Banna, le développement de la foi islamique se subdivise en plusieurs
« étapes », de l’endoctrinement de l’individu dès son plus jeune âge à l’école,
jusqu’à l’échelon panislamique mondial, objectif ultime, en passant par les
cadres familial, national et califal. L’objectif de réislamisation et de conquête
islamique universelle est censé se dérouler en sept phases : 1/ à la base,
« l’individu musulman », 2/ le « foyer musulman », 3/ le « peuple
musulman », 4/ le « gouvernement islamique », 5/ le « Califat islamique »,
phase qui précédera 6/ la « reconquête de l’Occident », puis enfin 7/ la
domination universelle ou « le Tamkine * planétaire ».
Le projet Tamkine ou « Tamkine planétaire », objectif ultime des Ikhwan
devant déboucher à terme sur le Califat universel, désigne la stratégie
d’islamisation globale secrète des Frères musulmans. Longtemps demeuré
secret, ce plan néo-impérial d’islamisation mondiale a été décrypté par la
police égyptienne en 1992 lorsqu’elle mit la main sur le « document de
Tamkine », un texte secret de treize pages dont le programme consistait, à
travers un vaste réseau d’institutions, à faire accéder les Ikhwan au pouvoir,
aux niveaux local, régional, national et mondial, après avoir répandu à tous
les échelons et par « étapes », l’idéologie néo-califale et chariatique de
Hassan al-Banna, partout où vivent des membres de la « Oumma * ».

Cette stratégie d’entrisme et de conquête asymétrique « par étapes », via la


dissimulation initiale des vrais objectifs suprémacistes/conquérants, passe, en
milieu « hostile-mécréant », par l’utilisation du mensonge et du double
discours. Pour ce faire, les Frères puisent dans la Tradition islamique des
pieux « prédécesseurs » ( salaf ) et de la charià les sources de légitimation de
la manipulation vertueuse que sont la « taqiya », la dissimulation des vraies
intentions en milieu « impie » » ; la moudara , mensonge pieux ou politesse
simulée visant à imposer progressivement ses convictions tout en les niant
afin de faire baisser la garde à l’infidèle ; le ta’rid , qui consiste à dispenser
une « vérité » de façon équivoque pour faire comprendre le contraire au
« mécréant » – en l’occurrence l’occidental –, ou encore le kitman , qui invite
à ne dire qu’une partie de la vérité, comme le fait de ne citer que les passages
pacifiques du coran de la période mecquoise tout en sachant que ceux-ci ont
7
été abrogés par les versets belliqueux médinois post-hégire . Exemple de
dissimulation très courante chez les Frères musulmans en Occident, nombre
de membres de l’UOIF/MF, la principale structure de représentation de
l’islam français liée aux Ikhwan , nient leur appartenance à La Confrérie en
jouant sur le fait que l’on peut en effet adhérer moralement et
idéologiquement à la nébuleuse frériste sans en être formellement membre –
ce qui permet de nier en toute mauvaise foi l’appartenance aux Frères. À la
suite de Tariq Ramadan (voir chapitre II ), qui a toute sa vie démenti son
appartenance à La Confrérie tout en consacrant sa carrière à la diffusion de la
pensée de son fondateur (son grand-père maternel Hassan al-Banna), le
médiatique « imam de Bordeaux », Tareq Oubrou, ex-membre de l’UOIF
frériste, a expliqué publiquement que le changement de nom officiel de
l’UOIF en 2017, en Musulmans de France (MF) témoignait d’une volonté de
8
« s’éloigner des Frères musulmans » , ceci alors même qu’en avril 2017, le
président de l’ex-UOIF/MF, Amar Asfar, déclarait : « Nous ne faisons pas
partie des Frères musulmans. En revanche, nous nous inscrivons dans leur
courant de pensée », ajoutant que son mouvement représente « surtout l’islam
9
de France » . Dans une interview accordée à Egypt Today en 2004, Tariq
Ramadan avait d’ailleurs donné le ton et la méthode qui consistent à édulcorer
les revendications obscurantistes pour les faire accepter avec ce stratagème :
« Le terme charià est mal vu dans l’esprit des Occidentaux (…). Ce n’est pas
nécessaire de mettre l’accent là-dessus. […] Pour le moment, ce n’est pas
10
comme ça qu’on veut être perçus » .
Aujourd’hui, les Frères musulmans ont pignon sur rue en Europe, en
France et partout dans les sociétés occidentales, dont ils sont pourtant les pires
ennemis civilisationnels. Ils sont même souvent privilégiés par les pouvoirs
publics des pays démocratiques occidentaux, voire parfois bénéficiaires
d’aides financières publiques pour leurs projets de « représentation » et
d’encadrement institutionnel ou associatifs des communautés islamiques y
compris en Grande-Bretagne, en Allemagne, ou encore en Espagne. Pour en
avoir un exemple, il suffit de rappeler que la référence « spirituelle » et
juridique suprême des Frères dans le monde et en Europe, Youssef al-
Qardaoui, pourtant auteurs de fatwas appelant à tuer les Juifs, les
homosexuels et les apostats, a été officiellement salarié de la mairie de
Londres… Et qu’il a pu mettre sur pied en France, en Irlande et en Grande-
Bretagne des institutions panislamistes « européennes » comme l’Université
Saint Léger du Fourgeret à Château-Chinon, qui forme les « imams
européens », ou le Conseil européen de la fatwa , qui régit les comportements
que doivent avoir les musulmans afin de vivre selon la charià… (voir
chapitre II ). Cette incohérence est essentiellement due au fait que les Ikhwan
ont réussi à se faire passer pour des « islamistes modérés », mythe que cet
ouvrage a pour but de déconstruire.

Les Ikhwan , chantres du rétablissement du


Califat
En dépit de toutes les tentatives d’édulcoration et de dissimulation, le
thème hautement totalitaire du Califat demeure tout aussi central chez les
Frères musulmans que chez les islamistes sunnites les plus
terroristes/jihadistes. On rappellera seulement que dès la création de La
11
Confrérie par Al-Banna en 1928, la nécessité de « rétablir » le Califat*
islamique a été l’objectif majeur à long terme, une fois la charià elle-même
rétablie dans tous les pays musulmans. Les écrits et discours de Banna sur
l’obligation de reconstituer ce Califat – après avoir lutté contre toute forme de
nationalisme ethnolinguistique qui « diviserait la Oumma » – sont très clairs
et reviennent souvent sur ce but. Dans sa célèbre épitre Da’watuna (« notre
appel »), Hasssan al-Banna accuse les nationalistes du monde arabo-
musulman d’être coupables du péché de « division » de la Oumma , et donc «
12
d’être derrière la plupart des dissensions sur les terres d’Islam » : « Ils
veulent, avec leur patriotisme, diviser la Oumma* en différentes
communautés qui s’entrégorgent, se haïssent, échangent des insultes,
13
s’accusent mutuellement et se trahissent les unes les autres … » . À cette
« mécréance », le grand-père de Tariq Ramadan oppose le «
patriotisme des principes » et la notion de « fraternité islamique » selon
laquelle « le musulman considère que chaque parcelle de la terre où un
Frère professe la religion du Coran est de fait un terrain appartenant à la
vaste terre de l’Islam pour laquelle l’Islam exige de ses fidèles qu’ils luttent
pour la protéger et lui offrir le bonheur. Ainsi s’ouvrent grands les horizons
de la patrie musulmane, au-delà des frontières géographiques et de la
14
nationalité du sang » .
Hassan al-Banna rappelle aussi dans plusieurs textes que l’impératif de
« réunion des musulmans » autour d’une grande nation musulmane ( Oumma
al-islamiyya ) institutionnalisée dans un Califat, fait partie des « obligations »
de l’Islam : « Le califat est le symbole de l’unité des musulmans et la
réalisation de l’union entre les pays islamiques. C’est là un étendard de
l’Islam qui impose aux musulmans d’y prêter attention et de s’en
préoccuper : le califat est au cœur d’un grand nombre de prescriptions
islamiques… C’est pourquoi les Frères musulmans placent la pensée du
califat et l’action à mener pour sa restauration au sommet de leur
programme et ils pensent que cela nécessite un nombre conséquent de
préparatifs qui tous sont impératifs. Les étapes qui permettront de restaurer
le califat sont les suivantes : Une solidarité totale au niveau culturel, social et
économique entre tous les peuples islamiques est nécessaire. Il faut établir les
liens, signer des contrats, organiser des réunions et des congrès entre ces
pays (…). Il faudra ensuite créer une ligue des États islamiques : si nous
parvenons à cela, l’union sera réalisée et il sera possible de désigner
15
l’Imâm » . « C’est donc autour d’un califat que les musulmans du monde
entier doivent se réunir et non pas autour « d’États nations » ou de
fédérations « arabe », « berbère », « africaine » ou « celte » mais autour d’un
16
seul état Islamique, sans frontières et sans distinctions d’origines » .
L’invocation du mythe fondateur et unificateur du Califat est en fait
commune à tous les islamistes sunnites, lesquels ont quasiment tous été
influencés, de près ou de loin, par l’idéologie des Ikhwan . Ces derniers ont en
effet donné le ton, tant aux actuels salafistes-jihadistes qu’à des partis
islamistes « de gouvernement » plus « respectables », en Turquie, au Pakistan
et dans le monde arabe, qui pleurent tous eux aussi l’abolition (par Atätürk, en
1924) du Califat, et appellent à sa « résurrection ». Cela explique d’ailleurs le
ralliement d’ex-mouvements fréristes et de groupes salafistes-terroristes au
Califat proclamé en juin 2014 par l’État islamique d’Al- Bagdadi. La
nécessité de recréer ce Califat mythifié n’est donc pas propre aux seuls
jihadistes de Daech, loin de là. Et c’est pour cela que le monde libre a du
souci à se faire, comme l’a annoncé l’ex-porte-parole de l’État islamique, Al-
Adnani, qui affirmait (peu avant d’être abattu) que l’islamisme radical, même
s’il perd des territoires face aux bombardements « lâches » des « croisés »,
demeure vainqueur tant que le Coran, la charià et la Califat progressent dans
le cœur des musulmans, un but commun aux jihadistes « non-fréquentables »
et aux islamistes frérises « bon-teint ».
Avec l’impératif universel de la charià , la nécessité de reconstituer un
empire panislamique devant dominer à terme toutes les Nations, de gré ou de
force, est un point de convergence idéologique fondamental entre les
islamistes sunnites du monde entier, qu’il s’agisse de la tendance terroriste ou
de la tendance de l’islam politique, plus modérée, représentée notamment par
17
le mouvement Ennahda en Tunisie , l’ex-Parti de la Justice et de la Liberté
en Égypte (PJL), le parti de la Justice et du développement au Maroc (PJD),
ou leur modèle le plus abouti, celui du Parti de la Justice et du
Développement turc (AKP) du président Recep Taiyyp Erdogan, lui-même
grand protecteur des Frères musulmans et nostalgique du Califat islamique
ottoman. Le président-néo-Sultan turc a même publiquement appelé à le
« rétablir en 2024 », un siècle après son abolition par « l’apostat Atätürk »,
coupable d’avoir acculturé/désislamisé la Turquie. On se souvient également
de l’ancien Premier ministre tunisien Hamadi Jebali, membre d’Ennahda
(Frères musulmans) qui, à la suite des premières élections libres remportées
18
en 2011, lors d’un meeting prononcé à Tunis le 15 novembre 2011, appela
19
de ses vœux l’établissement futur du « sixième califat islamique » . Le
mythe du Califat et de la Oumma islamique est également inscrit noir sur
blanc au cœur de la Charte du mouvement islamiste-terroriste palestinien
20
Hamas , lui-même officiellement issu des Frères musulmans.
Pour comprendre l’état d’esprit conquérant et irrédentiste de ces islamistes
« modérés » que prétendent être les Ikhwan qui affirment être différents des
jihadistes-salafistes du fait qu’ils condamnent le terrorisme en Occident (jugé
ici « contre-productif »), il suffit de suivre les propos de leur plus grand
« savant » de référence, Youssef al-Qardaoui, survivant de la tendance
« canal-historique » qui a côtoyé le fondateur Al-Banna. Cette véritable star
mondiale de l’islamo-téléprédication, qui a animé durant des années sur la
chaîne qatarie Al- Jazeera l’émission « La charia et la vie », déclarait ainsi,
le 6 décembre 2002 : « L’islam va retourner en Europe comme un
conquérant et un vainqueur après en avoir été expulsé à deux reprises, une
fois au sud en Andalousie [Espagne – 1492] et une seconde fois à l’est quand
il frappa à plusieurs reprises aux portes d’Athènes [1830]. […] Cette fois-ci,
je maintiens que la conquête ne se fera pas par l’épée mais grâce au
prosélytisme et à l’idéologie ».

Apologie du Jihad et du martyr…


Bien avant les actuels « jihadistes-salafistes », La Confrérie a revendiqué
haut et fort le martyr pour ses partisans comme idéal. Depuis, elle n’a jamais
renié, ni même amendé ses textes fondateurs qui prônent le jihad guerrier au
nom d’un islam qui devrait conquérir toute portion de territoire où vivent des
musulmans avant de dominer, dans un second temps, la Terre entière, cela au
terme d’une véritable stratégie de conquête « par étapes » qui passe aussi par
le « jihad du verbe », via les médias, l’éducation, la formation, l’action
politique partisane, et dont le modus operandi est le double discours
subversif. Dans les faits, les objectifs de l’État islamique découlent en partie
de ceux des Frères musulmans originels et de leurs différentes succursales et
dissidences qui ont inventé les slogans et inauguré la « révolution islamique
mondiale » à l’époque du fondateur Al-Banna et du grand théoricien frériste
du jihadisme, Saiyyd Qutb, sur lequel nous reviendrons au cours du chapitre
suivant.
Rappelons que le même Youssef al-Qardaoui, cité plus haut, a autorisé
officiellement, par ses fatwas , les attentats-suicides commis (hors d’Europe)
par des hommes, des enfants ou même des femmes kamikazes. Considéré à
tort comme un « islamiste modéré », notamment par ses amis comme l’ex-
maire de Londres, Ken Livingstone, Qardaoui a été notamment l’organisateur
de la collecte du Hamas terroriste palestinien en Europe, via un réseau
d’associations implantées sur le continent européen et en France, notamment
le CBSP, le « Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens ». Tout
cela à la barbe des autorités occidentales qui ont longtemps toléré les
agissements et enseignements fanatiques de ce protégé de l’émirat du Qatar.
Malgré sa généalogie totalitaire, sa dangerosité subversive, ses liens avec des
groupes jihadistes palestiniens, syriens, libyens, égyptiens ou autres, son
antisémitisme virulent et son profond anti-occidentalisme, attesté par
plusieurs textes officiels de Hassan al-Banna et de ses disciples, cette
organisation, dont les membres ont été des alliés des régimes d’ Hitler et de
Mussolini dans les années 1930 et 1940 (voir chapitre I ), est aujourd’hui
présente « dans plus de 70 pays », selon les termes même de son vice-guide
21
Mohamed Habib – que nous avions interviewé en 2007 – notamment en
France, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, aux États-
Unis, au Canada, pays où elle a pénétré les universités, les grandes
entreprises, les écoles privées religieuses, les mosquées, les entreprises de
nourriture halal et, bien sûr, le monde associatif, médiatique et politique.

Des questions légitimes et vitales pour les


démocraties
Quels États se cachent derrière cette Confrérie ? Quelle est sa stratégie de
conquête ? Qui sont ses penseurs, ses cadres et ses alliés ? Pourquoi nos
politiques la laissent-ils prospérer pratiquement sans entraves dans nos
démocraties, le plus souvent sous forme d’associations culturelles, comme
c’est le cas en France avec l’Union des Organisations Islamiques de France (
chapitre II )? À toutes ces questions, ce livre a pour objectif d’apporter des
réponses précises, fondées et argumentées sur la base d’analyses,
d’interviews, d’enquêtes de terrain et de décryptages géopolitiques que nous
avons réalisés durant près de quinze ans au Moyen-Orient et en Europe.
Si nous nous accordons sur le fait que les rives orientales de la
Méditerranée comme celles du Golfe Persique et les confins du Moyen-Orient
rassemblent un tissu de cultures aussi diverses que remarquables, nous
sommes convaincus que nos sociétés démocratiques ne doivent pas confondre
« ouverture » et naïveté, car le fait d’encourager ou tolérer un islamisme
totalitaire importé depuis l’étranger – et à qui l’on donne en pâture les jeunes
citoyens européens de confession musulmane – n’est pas la marque de la
tolérance mais le symptôme d’une pathologie collective qui confine à
l’autodestruction. Donner une caution et une force de représentation
institutionnelle aux Frères musulmans et aux autres pôles de l’islamisme
radical en Europe constitue non seulement une atteinte aux valeurs du Monde
libre, mais aussi à la dignité des musulmans d’Occident que l’on assigne à
l’obscurantisme, comme si l’apport des Lumières et de la laïcité, constitutives
de nos systèmes, ne leur était pas accessible.
Ce postulat anti-intégrationniste, foncièrement relativiste, anti-
universaliste, différencialiste, constitue en réalité le vrai « racisme » caché par
la rhétorique victimiste des pseudo- « antiracistes », lesquels défendent les
projets des islamistes sous couvert de pluralisme et de « multiculturalisme ».
Car les parents de ces jeunes musulmans « réislamisés » par les prédateurs
ayant pignon sur rue ont souvent quitté un monde liberticide et totalitaire, et
c’est bien souvent déconcertés qu’ils assistent, impuissants, à la récupération
de leurs enfants par ceux qui veulent leur « désassimilation », au terme d’une
stratégie de séparatisme qui ne peut pas avoir, à terme, une issue positive ou
pacifique.
En assistant passivement à la banalisation progressive du « séparatisme
islamiste », qui ne cesse d’envahir l’espace et le débat public français et
européen, les dirigeants, intellectuels et les forces « progressistes »
occidentales qui défendent les suprémacistes islamistes sous couvert de lutte
contre la supposée « islamophobie de l’Occident », agissent en complices du
nouveau totalitarisme vert. Cette « nouvelle trahison des Clercs » n’est ni plus
acceptable ni moins dangereuse que l’ancienne. Et elle ne prépare pas des
lendemains qui chantent. Pourtant, tout observateur ayant voyagé aux quatre
coins du monde a pu constater, à chaque retour en terre démocratique
occidentale, que les musulmans qui y vivent ont mille fois plus de liberté
individuelle ou de pensée et de chances de réussite que dans la plupart des
pays musulmans, y compris les plus riches (Golfe) et avancés. Il est par
conséquent légitime de ne pas céder au chantage moral des islamistes qui
cachent leurs doléances totalitaires derrière un discours victimaire et
culpabilisateur qui trompe de moins en moins. Les militants islamistes
sincères, leurs stratèges et leaders ( « coupeurs de langues » comme
« coupeurs de têtes »), jouent pleinement leurs rôles en utilisant tous les
moyens possibles pour avancer leurs positions et œuvrer au « règne de Dieu
sur terre ». Toutefois, les partisans des sociétés libres et sécularisées ont le
droit et le devoir de nommer l’idéologie totalitaire de l’islamisme puis de
désocculter les plans et stratégies de conquête des partisans de la charià et du
Califat, quels que soient leur degré de radicalité et de violence et quelles que
soient leurs tactiques, parfois apparemment contradictoires et opposées – mais
en réalité complémentaires. Georges Clémenceau disait que « la Révolution
est un bloc ». L’islamisme, ceteris paribus, est un tout qu’il convient
d’analyser dans sa globalité et son continuum idéologique.

Une stratégie de long terme


La stratégie d’édification, d’une contre-société islamiste commandée par
une vision théocratique a été très intelligemment conçue et mise en œuvre
depuis des décennies en France et plus largement en Occident par une
multitude de structures associatives, cultuelles et culturelles islamistes dont
les Frères musulmans sont à la fois les pionniers, la matrice et les mentors.
Initialement conçue en Égypte par Hassan al-Banna et sa progéniture
« réfugiée » dans le ventre mou européen, ce plan d’islamisation globale par
étapes consiste essentiellement à masquer l’objectif suprémaciste néo-califal
en instrumentalisant les valeurs pluralistes et « tolérantes » des démocraties,
ainsi que l’a d’ailleurs assez honnêtement reconnu Ahmed Jaballah,
cofondateur de l’ex-Union des organisations islamiques de France, qui
déclarait dans les années 1990, que son entité « est une fusée à deux étages.
Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société
22
islamique » .
Les auteurs du présent essai s’interrogent notamment sur le fait que la
progression du séparatisme islamiste et l’appel des fréro-salafistes aux
musulmans à se « désassimiler » via un repli confessionnel-identitaire, ont été
banalisés dans notre société, alors même que dans le même temps, on
empêche de plus en plus des maires, en France et ailleurs, d’installer des
crèches de noël dans les mairies. Ils s’étonnent de la propension de
l’establishment et des élites médiatiques à stigmatiser l’identité
majoritairement judéo-chrétienne de la France et de l’Europe, à malmener
leurs ancêtres et à renier ses racines, tout en étant sommés de valoriser
l’identité particulière de descendants d’allochtones musulmans appelés quant
à eux à se réislamiser. En somme, pendant que la bien-pensance disqualifie
tout patriote républicain ou défenseur de l’identité occidentale en le
stigmatisant comme un « dangereux identitaire », les adeptes d’une idéologie
qui a pourtant fièrement flirté avec le nazisme (voir chapitre I ), et qui
demeure ouvertement complotiste, foncièrement anti-occidentale,
obscurantiste, néo-impérialiste – et donc hyper « identitaire » – progresse
quant à elle tranquillement avec l’appui des forces « progressistes », des
collectivités publiques et des vigiles « antifascistes » à l’indignation variable.
Cinglante ironie de l’histoire du totalitarisme.
Les auteurs reviendront, à la fin de ce livre ( chapitre VII ), sur le
formidable paradoxe des sociétés ouest-européennes complexées qui
dénoncent en leur sein la paille identitaire-populiste – même quand elle
n’existe pas ou est inoffensive –, mais exonèrent magistralement la poutre du
panislamisme hyper-identitaire, bien plus violent, intolérant et appuyé par des
forces étatiques et institutionnelles sans commune mesure. Ils s’interrogent
ainsi sur le fait que des sympathisants de La Confrérie, qui prône pourtant
dans ses textes fondateurs le retour au Califat et le culte du jihad, puissent
avoir pignon sur rue dans nos contrées , quand par ailleurs certains adeptes
d’une laïcité à sens unique veulent déboulonner des croix à l’entrée de
villages. Les auteurs s’étonnent enfin tout autant du fait que les opposants à
l’islamisme sont traités « d’islamophobes » par des alliés ignorants ou
complaisants d’un totalitarisme vert qui a pourtant pour corollaire – là où il
est pleinement appliqué – lapidations, attentats, misogynie, judéophobie,
christianophobie, athéophobie, homophobie, etc. Un totalitarisme politico-
religieux qui est véhiculé non pas par l’ensemble de nos concitoyens
musulmans – souvent parfaitement intégrés à nos sociétés – mais par une
minorité grandissante d’adeptes de l’idéologie fréro-salafiste qui condamnent
au ghetto volontaire et intimident moralement tous ceux (taxés de
« trahison ») qui désireraient s’assimiler et donc « ressembler » aux
« Infidèles », perçus comme « pervers » et ennemis naturels des musulmans.
La bataille contre l’islamisme radical se joue en fait sur plusieurs fronts.
Militaire, tout d’abord, comme en Syrie, en Irak, au Mali, en Libye ou en
Afghanistan. Sur celui du renseignement, bien sûr, mais aussi et avant tout sur
celui de l’éducation. Il va de soi que chaque religion, chaque culture, a le droit
au respect et à l’épanouissement dans nos sociétés pluralistes – ce que les
islamistes ne manquent jamais de rappeler dans le but d’instrumentaliser les
valeurs de tolérance pour combattre de l’intérieur les pays « mécréants » –
mais cela à condition de respecter les principes, les traditions et modèles qui
fondent l’existence et la cohésion sociale de nos sociétés. Car celles-ci ne sont
pas une « terra nulius » sans racines, donc vides et à conquérir, mais des
terres façonnées par une civilisation judéo-gréco-latino-chrétienne et des
traditions nationales fortement ancrées. Le respect des valeurs et racines de
nos sociétés occidentales n’est pas discutable, même si l’idéologie islamiste
qualifie d’ignorance barbare ( Jâhiliyya *) tout ce qui précède ou est étranger
à l’islam. Force est pourtant de reconnaître que la stratégie d’intimidation
victimiste qui consiste à retourner contre les Européens leur propension à
l’auto-critique s’est avérée extrêmement efficace depuis des décennies. Elle
constitue une arme de guerre plus redoutable encore que les bombes, les sous-
marins nucléaires, les chars d’assauts et les avions de chasse, incapables de
juguler une menace désormais essentiellement endogène. Elle a déjà permis
aux islamistes de gagner d’immenses « parts de marché » dans tous les pays
occidentaux où vivent des communautés musulmanes en pleine expansion
démographique et alimentées par une immigration extra-européenne
incontrôlée. Elle mine petit à petit la cohésion de nos sociétés piégées par un
mythe « multiculturaliste » et une pensée relativiste qui sont les meilleurs
alliés philosophiques des ennemis du monde « mécréant ».
Comme l’a prophétisé le grand dissident antisoviétique Soljenitsyne, les
bombes atomiques et les missiles intercontinentaux des Occidentaux, à la
pointe de la technologie, ne sont d’aucune utilité face aux ennemis
asymétriques du Monde libre qu’étaient hier les partis communistes pro-
Soviets – soi-disant « pacifistes » – et aujourd’hui les islamistes fréristes, qui
masquent mal leur prosélytisme conquérant et théocratique derrière le masque
orwellien de la liberté religieuse et de la « tolérance ». Chateaubriand disait
que « le péril s’évanouit quand on ose le regarder ». Regarder la vérité, et la
décrypter à l’aune du terrain, des rencontres et des textes fondateurs et
contemporains de l’islam politique est le choix qu’ont donc fait les auteurs.
Pour plus de simplicité dans le choix de la narration, ces derniers, qui ont
parfois enquêté ou interviewé certaines personnalités chacun de leur côté, ont
décidé d’écrire ce livre à la première personne du pluriel, leurs travaux depuis
15 ans étant toujours liés.

1 . Les Ikhwan (« frères » en arabe) ainsi que « fréristes » s’entendent comme synonymes de
Frères musulmans.
2 . Expression issue de l’italien buonista qui désigne la vision culpabilisatrice tant de la gauche
sociale immigrationniste que de l’aile tiers-mondiste promigrants de l’Église catholique.
3 . A enseigné à l’Université de Genève, Constantine et Tunis et chercheur à l’Université de
Londres/London School of Oriental Studies (SOAS/CISD).
4 . Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères musulmans – leur vision de l’État et
de la finance islamiques », International Develeppement Policy Revue, p. 155-172.
5 . Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères musulmans… », idem.
6 . Voir sites des Frères musulmans : http://www.ikhwanonline.com
(arabe) http://www.ikhwanweb.com (anglais).
7 . La sourate « mecquoise » (2 :256) « Nulle contrainte en religion ! » (la ikraha fil din ) a par
exemple été abrogée par la sourate abrogente « médinoise » suivante : « Désirent-ils une autre
religion que celle d’Allah, alors que se soumet à Lui, bon gré, mal gré, tout ce qui existe dans les
cieux et sur terre, et que c’est vers Lui qu’ils seront ramenés ? » (3,83,) et les autres sourates
mecquoises tolérantes envers juifs et chrétiens sont abrogées par cette sourate médinoise
supérieure : « Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs où que vous les trouviez.
Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent,
accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, alors laissez-leur la voie libre, car Allah est
Pardonneur et Miséricordieux », (Sourate 9,5).
8 . Loup Besmond de Senneville, « L’UOIF devient ‘Musulmans de France’ », La Croix,
28 février 2017.
9 . « L’Union des organisations islamiques de France change de nom pour redorer son image »,
sur La Croix , 4 mars 2018.
10 . « Le ministère des affaires étrangères du Canada promeut Tariq Ramadan comme un
visionnaire », 17 novembre 2014, http://pointdebasculecanada.ca/les-affaires-etrangeres-du-canada-
promeut-tariq-ramadan-comme-un-visionnaire/ .
11 . In Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme »,
1er juin 2015, Ihkwan France (revue et site français des Frères-musulmans),
https://freresmusulmans.wordpress.com/2015/06/01/hassan-al-banna-sur-le-racisme-le-racialisme-
et-le-nationalisme/ .
12 . In Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme »,
Op. cit.
13 . Risâlat da3watuna , pp. 20-21, cité in Ikhwan France
(https://freresmusulmans.wordpress.com/ .
14 . Risâlat ilâ ay shay’ nad3u An-nâs p. 52, cité in Ikhwan France , Op. cit.,
(https://freresmusulmans.wordpress.com/ .
e
15 . Discours prononcé par Al-Banna lors du 5 Congrès des Frères, voir « épitre » Mu’tamar al
khâmis , pp.134-135.
16 . Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme », Op. cit.
17 . Cf. Haddad, Mezri, La face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident, une
alliance à haut risque , éd, Paris, Apopsix, 2011.
18 . « Mes frères, vous vivez un moment historique, un moment divin, une nouvelle étape
civilisationnelle, si Dieu le veut, dans le sixième califat, une grande responsabilité nous attend »,
cité par Valentin Mbougueng, « On attendait Montesquieu, voici le sixième califat », Afrique-Asie,
décembre 2011.
19 . L’allusion du Premier ministre était certes symbolique, d’autant qu’Ennahda n’a pas inscrit
dans son programme politique le rétablissement du Califat, mais le propos inquiéta nombre de
Tunisiens attachés aux acquis de la Tunisie de Bourguiba, père de l’indépendance en 1956 : droits
des femmes, sécularisation, liberté de conscience, etc. Voir à ce propos l’ouvrage du philosophe et
ex-ambassadeur tunisien Mezri Haddad, La Face cachée de la révolution tunisienne, Op. cit.
20 . Alexandre del Valle, « La vraie nature de Monsieur Erdogan », Politique internationale ,
o
article n 17, Op. cit.
21 . Dans une interview réalisée pour le compte du magazine Arte Reportage en 2008, Mohamed
Habib, alors vice guide de La Confrérie égyptienne, expliquait que les Frères musulmans sont
présents dans plus ou moins 70 pays.
22 . Fiammetta Venner, « La face cachée de l’UOIF », L’express.ff , 2 mai 2005.
CHAPITRE I

Origines et réalités contemporaines de La


Confrérie
« Hitler s’est alors tourné vers les islamistes et il découvre l’existence de
e
Jamal Din El Afghani, qui avait prêché la renaissance de l’islam au XIX
siècle. Mais la renaissance, c’était reconstituer l’empire et revenir aux
origines. Le maître à penser de l’islamisme à l’époque était le grand mufti
de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, le diable en personne. Ce
dernier a appelé au jihad aux côtés du « frère Hitler », il l’appelait comme
ça. Une armée arabe a été créée et rattachée à la Wehrmacht. À la fin de la
guerre, ces soldats sont retournés chez eux avec un islam teinté vert-de-
gris… On ne se rend pas compte mais la jeunesse radicalisée aujourd’hui
parle d’Hitler avec respect. »
Boualem Sansal
1
La scène qui suit se déroule au Caire à l’été 2007, dans l’un des bureaux
de La Confrérie. Nous sommes assis dans une petite pièce aux murs jaunâtres,
face à Mohamed Habib, son vice-guide. L’homme, qui arbore une barbe
grisonnante parfaitement taillée, porte un costume bleu marine et une chemise
bleue légère à manches longues. Avec ses petites lunettes ovales, sa voix
posée, sa manière de s’employer à vouloir nous apparaître pédagogue, rien ne
laisse supposer qu’il soit l’un des cadres les plus importants d’une
organisation islamiste semi-secrète. Et pourtant ce jour-là, il ne nous cache
rien. Après avoir partagé un thé en notre compagnie et échangé quelques
banalités autour d’une petite table en bois, il se lève et nous dévoile une carte
du monde sur laquelle sont positionnés des stickers. « Vous voyez cette
carte avec ces petits points rouges ? », dit-il. « Elle indique de façon très
précise les pays du monde où nous sommes présents. Il y en a presque 70. En
80 ans, nous sommes devenus une organisation internationale, présente même
en Europe. Je ne peux pas vous dire combien nous sommes, ni le nom de
toutes nos filiales, mais vous aurez compris notre rayonnement ». Nous
l’interpellons sur la France : « Est-ce que l’Union des Organisations
Islamiques de France est l’une de vos filiales ? ». L’homme sourit, ajuste ses
lunettes qui glissent sur le bout de son nez, et répond avec un sourire : « Ce
n’est pas à moi de vous répondre (…). Mais si eux se réclament de nous, alors
nous n’avons aucune raison de dire le contraire (…). Comme je vous l’ai dit,
nous avons des relais dans toute l’Europe, y compris en France. Nous avons
en fait des contacts avec les Frères du monde entier (…). Dès qu’une
organisation naît dans un pays, qu’elle partage nos convictions, nous
considérons qu’elle fait partie de notre confrérie (…). En fait, nous sommes
très nombreux ». Le discours ambigu du vice-guide, qui cultive le secret en
nous passant toutefois quelques informations, masque à peine la
démonstration de force. Il veut, en nous parlant ainsi, nous montrer que le
combat des Frères, commencé huit décennies plus tôt, a fait de sa confrérie
une organisation puissante, incontournable, née d’un combat
« anticolonialiste », anti-occidental – et clairement antisémite – dans lequel
l’islamisme et le jihadisme contemporains puisent leur source. Depuis 2012,
les tentacules de ce mouvement à la pointe du renouveau islamique mondial
s’étendent du monde arabe à l’Afrique de l’Ouest (Mauritanie), sahélienne et
orientale, jusqu’à l’Asie du Sud-Est, l’Asie centrale, l’Occident et même
l’Amérique latine. Fier de ces états de services, le précédent guide des Frères
musulmans, Mohamed Mehdi Akef, avait confié : « Oui, nous constituons la
plus grande organisation au monde, et quiconque, dans l’arène
internationale, croit en l’approche des Frères musulmans est l’un des nôtres
2
– comme nous, nous sommes un des leurs » .

Genèse de l’organisation panislamiste la plus


influente dans le monde
Pour comprendre comment La Confrérie a essaimé, il faut en fait revenir
sur le contexte historique et géopolitique dans lequel elle est née. Pour cela, il
convient de remonter à la Première Guerre mondiale et à la chute du Califat-
Sultanat turco-ottoman, qui perdit ses dernières possessions arabes sous le
double effet de la victoire des forces de la Triple Entente face aux forces
turco-allemandes et de la colonisation franco-britannique du Proche et
Moyen-Orient (Mandats de la Société des Nations). On l’oublie souvent, mais
dès 1914, sur les rives orientales de la Méditerranée, les puissances de
l’Alliance et celles de la Triple Entente se livraient à des combats d’une
intensité extrême. Dès le début du conflit, les services secrets allemands,
voulant pousser les empires britanniques et français à mobiliser leur effort de
guerre au Proche-Orient et au Maghreb, incitèrent l’empire Ottoman, allié de
l’Allemagne, à proclamer « la guerre sainte contre les chrétiens » français et
anglais, une guerre sainte en réalité motivée par le pétrole et tournée contre
les ennemis communs des Allemands et des Turcs, ce qui incluait aussi bien
entendu les Arméniens de Turquie, accusés d’être une « cinquième colonne »
de la Russie tsariste, également en guerre contre les Turco-germaniques. À
l’époque déjà, l’approvisionnement en hydrocarbure oriental était un enjeu
majeur pour chacun des belligérants européens. Sans l’or noir, il leur était
impossible de faire fonctionner certaines industries, notamment les usines qui
fabriquaient armement et munitions en Allemagne, en France et en
Angleterre. Il fallait donc faire en sorte de mettre la main sur un maximum de
puits de pétrole et d’en assurer la protection.
Face à l’engagement turc-ottoman aux côtés des Allemands, les puissances
britanniques et françaises décidèrent, de leur côté, de pousser les bédouins
arabes, sous occupation turque, à se révolter contre la puissance ottomane.
L’idée, qui paraissait évidente, était que la majeure partie du Proche-Orient
vivant sous domination turco-ottomane, les Arabes feraient tout pour s’en
défaire, y compris par les armes. Mais bien qu’il existât déjà à cette époque
3
un mouvement nationaliste arabe désireux de s’affranchir de la tutelle
turque, la majeure partie de ses éléments était moins encline à se battre qu’à
faire revivre son héritage culturel et politique. Les Turcs, méfiants, faisaient
par ailleurs en sorte de payer abondamment les chefs de tribus bédouines pour
qu’ils ne leur viennent pas à l’esprit de prendre les armes. Il fut donc décidé
par Londres et Paris de déléguer sur place des émissaires qui auraient pour
tâche de convaincre les leaders bédouins de se révolter. Si les Français
dépêchèrent un émissaire spécial en la personne du Lieutenant-Colonel
4 5
Brémond , les Anglais envoyèrent auprès du Chérif hachémite Hussein de
la Mecque un jeune officier au caractère complexe, passionné par le monde
arabe, qui allait jouer un rôle essentiel : le lieutenant Thomas Edward
6
Lawrence. Plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie , Lawrence
proposa à Hussein de lancer ses troupes contre les Ottomans. En échange de
son soutien, il lui promit l’indépendance arabe sur l’ensemble des territoires
qui seraient libérés et assura le roi arabe hachémite du soutien et de
l’engagement ferme d’Arthur Henry McMahon, alors Haut-commissaire du
protectorat britannique sur l’Égypte. Persuadé qu’une fois la guerre terminée,
les Arabes pourraient enfin disposer de leur indépendance et de leurs nations
propres, le Chérif accepta de passer un accord et de lancer ses troupes contre
7
les Turcs, dès le 6 juin 1916. L’un de ses fils, Fayçal , joua un rôle
particulièrement important dans la direction des combats qui amèneront les
troupes bédouines à prendre Damas – ville symbole pour les Arabes – le
30 septembre 1918. Durant près de deux ans, les cavaliers bédouins pro-
hachémites remportèrent ainsi de nombreuses victoires. Et le 30 octobre 1918,
l’empire de la Sublime Porte, à la fois Califat universel sunnite et sultanat
turco-ottoman, défait, fut contraint de signer l’armistice de Moudros (Grèce),
qui mit un terme définitif à la guerre au Proche-Orient.
Fort de ses succès militaires, le Chérif Hussein de la Mecque attendait
donc que Britanniques et Français tiennent leurs engagements, tels qu’assurés
par leurs émissaires. Hélas pour lui, deux ans plus tôt, le 16 mai 1916, les
deux puissances avaient signé en grand secret – avec l’aval des Russes et des
Italiens – les accords Sykes-Picot, lesquels prévoyaient qu’elles se
partageraient le Proche-Orient en zones d’influences, futurs « mandats » de la
Société des Nations confiées aux vainqueurs de la Première Guerre mondiale.
Même si les mandats confiés par la SDN avaient vocation à « préparer les
pays arabes à l’indépendance nationale », ce projet d’émancipation de nations
arabes séparées était totalement opposé tant aux visées
transnationales/panarabes du roi hachémite qu’à celles des panislamistes
nostalgiques du Califat. Nous reviendrons sur cette opposition qui sera le
terreau de naissance des Frères musulmans, à la fois hostiles au stato-
nationalisme (les États « diviseraient la Oumma »), au colonialisme et au
réformisme séculariste des Tanzimat* ou des nationalistes arabes, tous
accusés de vouloir « comploter contre l’islam et la charià », seule source
légitime de la loi et du pouvoir. D’où l’habileté de leur démarche visant à se
présenter comme « salafis réformistes », c’est-à-dire partisans d’une réforme
à l’envers consistant à revenir au « vrai islam des pieux ancêtres » ( salaf ),
une vision théocratique et suprémaciste de leur religion. Telle est l’origine de
l’islamisme moderne.
Hussein comprit alors qu’il avait été trahi. À l’époque, il était d’autant plus
abasourdi qu’il avait plusieurs fois fait part de ses doutes à Lawrence quant à
la bonne foi de ses soutiens européens, qu’il soupçonnait de mener double
jeu. Mais l’officier anglais les avait balayés. Ces doutes étaient pourtant
d’autant plus fondés que, le 2 novembre 1917, le ministre britannique des
Affaires étrangères, Lord Balfour, avait déjà soutenu par écrit la création d’un
foyer hébreu en terre de Palestine, dans un courrier adressé à Lord Rothschild,
8
alors même que les Anglais avaient promis aux Arabes leurs propres nations
.
La « trahison » ne pouvait être plus amère, car ceux qui lui garantirent la
perspective de nations arabes libres promirent à peu près la même chose aux
Juifs sionistes (considérés comme des ennemis par les islamistes et les Arabes
sunnites les plus rigoristes), sur une partie du territoire concerné qui
deviendra la Palestine mandataire confiée aux Britanniques, puis à Israël.
Certes, en « compensation » de la perfidie franco-britannique, les fils
d’Hussein de la Mecque, Abdallah et Fayçal, héritèrent de la Transjordanie et
de l’Irak – qui restèrent sous contrôle des Européens. Toutefois, nombre de
combattants et leaders arabes ayant pris part à la guerre contre les Turcs et
auprès des Alliés se sentirent floués et une partie d’entre eux se réfugia dans
l’islamisme néo-califal, vu par certains comme l’un des fondements de la
« grande culture arabe » et comme la seule voie permettant réellement de se
couper de l’influence coloniale des « mécréants européens » et de leurs
mœurs « perverses » et acculturantes. Les Frères sauront habilement
instrumentaliser ce fort ressentiment anti-occidental, à la fois anti-français,
anti-britannique et antisioniste, d’où leur rapprochement vu comme naturel
avec les forces fascistes et nazies de l’Axe dès les années 1930 et durant la
Seconde Guerre mondiale. Ils tenteront également, sans succès, de séduire les
milieux nationalistes égyptiens – notamment les futurs nassériens –, ce qui
n’aura été qu’un leurre, leur objectif véritable étant le rétablissement d’un
Califat mondial foncièrement hostile à toute forme de nationalisme, fût-il
« panarabe ». D’où la lutte ultérieure acharnée, toujours en cours d’ailleurs,
entre Frères musulmans et Nationalistes, arabes, égyptiens, syriens, etc. En à
peine 10 ans, des « déçus » de la révolte arabe, devenus profondément
anticolonialistes et antisionistes vont alors grossir les rangs de comités secrets
qui donneront naissance, en 1928, à l’organisation des Frères musulmans.

Hassan al-Banna : le fondateur des Ikhwan ,


adepte de la charià et nostalgique du Califat
La confrérie est créée cette année-là par un jeune instituteur égyptien
enseignant la théologie, Hassan al-Banna, né en 1906, diplômé de l’université
islamique du Caire, Al- Azhar, et imam à ses heures. Dès les origines du
mouvement, Al-Banna a eu l’habileté de récupérer le sentiment national
panarabe et anticolonial. Il est en fait surtout traumatisé, comme ses mentors
salafis et wahhabites – parmi lesquels le fanatique Rachid Rida –, par
l’abolition du Califat par le laïque et « apostat » Mustapha Kémal Atätürk.
Épouvantail absolu pour les islamistes du monde entier et pour les Frères, ce
dernier vient en effet de créer sur les ruines de l’empire islamique ottoman
une République laïque, socialiste et nationaliste totalement antinomique avec
le projet théocratique d’Al-Banna. Âgé de 22 ans, Hassan al-Banna a
également étudié à l’école normale du Caire, une structure cairote qui formait
les enseignants « progressistes ». Mais il a surtout été marqué, à Al-Azhar où
il a étudié la Sunna* rigoriste, par la pensée du maître incontesté de l’islam
salafiste radical, Ahmad Ibn Hanbal*, dont il va même éditer l’ouvrage
majeur, le Musnad . Précoce, cet intégriste islamiste est élu dès l’âge de 8 ans
président d’une « association pour les bonnes mœurs », créée à l’instigation
de l’un de ses instituteurs, puis il participe quelques temps plus tard à une
« association contre les violations de la Loi » dont les membres adressent
anonymement aux professeurs des remontrances sur des individus suspectés
d’avoir enfreint des principes religieux ou moraux. Cela en dit déjà long sur le
personnage. Plus tard, son objectif immédiat, en bon redresseur de torts, est
assez logique : réislamiser d’abord les sociétés arabo-musulmanes menacées
par les colonisateurs « judéo-croisés » et la laïcisation mortelle voulue par les
autochtones nationalistes, admirateurs d’Atatürk ou de l’idéologie
occidentale, notamment des Lumières et de la Révolution française réputées
« œuvres » judéo-maçonniques pour Al-Banna et l’ensemble de la mouvance
panislamiste. En Égypte, où ces idées « mécréantes anti-islamiques »
enregistrent un grand succès, la reconquête ne peut en fait se réaliser, selon
Hassan al-Banna, que « par le bas », puisque l’Égypte et la quasi-totalité du
monde arabo-musulman d’alors sont occupés par des puissances étrangères
non musulmanes.
Fort de ce constat, le fondateur des Ikhwan , qui estime que la société
devrait être organisée autour des seules valeurs de l’Islam ( charià et fiqh ),
qui définissent les règles cultuelles, juridiques, économiques et sociales,
estime qu’un double combat doit être mené contre « l’ennemi lointain » –
l’occupant européen – et contre « l’ennemi proche », le laïque/nationaliste-
moderniste. Le Califat islamique ayant été aboli par Atätürk, qui a fait
supprimer la charià et remplacer l’écriture arabe et le calendrier musulman
par l’alphabet latin et le calendrier chrétien, Al-Banna concevra donc sa
Confrérie comme une sorte de califat virtuel. Une « résistance » théocratique
asymétrique « par le bas » face au vaste processus de sécularisation
impossible à juguler frontalement par le haut. D’où son stratagème génial
visant à masquer et légitimer son projet obscurantiste en le présentant comme
une défense anticoloniale de type « indigéniste » capable de séduire certains
panarabistes. Pout Hassan al-Banna, l’urgence consiste à sauver les meubles
en empêchant, par le contrôle de l’éducation et l’infiltration des institutions
sociales, religieuses et étatiques, la « désislamisation » présentée comme une
perte d’identité. Les étapes successives, une fois les Infidèles chassés des pays
musulmans, seront donc – avant même la chasse inévitable aux « traîtres »
laïques nationalistes – le contrôle de la culture et de l’éducation. Gramsciste
avant l’heure, l’idée centrale d’Al-Banna est que « l’islam est le meilleur
mode de vie, voulu par Dieu » et que « l’éducation est le meilleur outil pour
l’installer ». C’est seulement une fois cette mission éducative réalisée que
sera rendue possible l’instauration de régimes chariatiques en vue du
rétablissement du Califat* universel aboli par Atätürk, accusé par les
islamistes turcs et arabes d’avoir été un « Juif masqué » (« dönme ») et un
franc-maçon. Un thème complotiste de la lutte contre la « conspiration judéo-
maçonnique » qui a d’ailleurs rendu naturel la collaboration entre Frères
musulmans ou autres islamistes et l’Allemagne nazie.

Les Frères musulmans :


matrice du totalitarisme islamiste et du
jihadisme
En 1933, La Confrérie comprend déjà 40 000 militants. Partisan d’une
militarisation extrême, Hassan al-Banna considère notamment que la femme
doit être soumise à l’homme, que les chrétiens et les Juifs ne doivent pas avoir
de postes clés dans l’administration, que la laïcité à l’occidentale est une
apostasie, que l’homosexualité et la mixité hommes-femmes puis les
musiques et divertissements modernes sont des péchés. Il encourage la
dénonciation des « mauvaises pratiques » – comme il le faisait déjà à l’école
9
ou lorsqu’il était jeune muezzin dans un lycée – que ce soit au travail ou
dans le cadre de la vie privée. Il veut également dissoudre les partis
politiques, revendique l’agencement des horaires de travail pour un meilleur
accomplissement des devoirs religieux. Il considère que le futur « État
islamique idéal » à édifier « par étapes » devra répondre aux moindres
problèmes des individus, lesquels devront être enrégimentés, endoctrinés,
contrôlés et surveillés depuis le plus jeune âge. En clair, point de salut pour la
10
société en dehors de l’Islam, la cité idéale d’Al-Banna, sorte de « 1984 »
avant l’heure, version théocratique. Le crédo de sa confrérie est d’ailleurs le
suivant : « Dieu est notre but, le prophète notre chef, le coran notre
constitution, le jihad notre voie, le martyre notre plus grande espérance ».
L’action du « Guide suprême » consista donc dans un premier temps à
envoyer des missionnaires prêcher un peu partout en Égypte contre toute
forme de laïcité et d’occidentalisation. À Ismaïlia, il inaugura la première
maison des « Frères ». D’autres « maisons » des Ikhwan se multiplièrent
rapidement un peu partout. Il fonda ensuite un « institut des mères
musulmanes » dans la même ville, dans l’objectif immédiat d’une « éducation
authentiquement musulmane » des jeunes filles et futures mères, donc
garantes de l’islamité ou de la réislamisation des Frères et Fils à naître.
Au Caire, il fonda le « journal des Frères Musulmans », le quotidien qui lui
permettait de prêcher par écrit, parallèlement à ses sermons et discours en
mosquées. En 1933, il organisa le premier congrès de La Confrérie au Caire,
l’une de ses premières actions étant de de collecter des fonds pour les
Palestiniens, alors en lutte jihadiste contre les Juifs, d’où le rapprochement
« naturel » avec l’Allemagne nazie.
Rapidement, Hassan al-Banna mit en place une structure pyramidale dont
les membres devaient garder le secret absolu sur tout ce qui concerne son
fonctionnement et ses objectifs. Celle-ci était dirigée par un guide, le
11
Murshid* , élu par une assemblée composée d’une centaine de sages . Une
12
fois son élection validée par la choura , il pouvait alors former un bureau
13
exécutif légitimé par l’appui de sa base . Ce bureau était composé d’une
quinzaine de membres ayant fait leurs preuves, lesquels étaient chacun en
charge de domaines spécifiques : affaires juridiques, sociales, financières,
secrètes, ces dernières formant une branche spéciale de l’organisation gérée à
part. Ces membres influents devaient servir le guide sans jamais le contester.
Ils lui prêtaient (et prêtent toujours) un serment d’allégeance par ces mots : «
Je m’engage envers Dieu, le Très Haut, à adhérer au message des Frères
musulmans, à combattre pour lui, à vivre selon les règles de ses membres, à
avoir entière confiance en son chef ». Chaque Frère qui rejoint l’organisation
doit en fait avoir pour objectif de créer sa propre cellule en recrutant des
disciples. Le recrutement doit se faire partout où résident des musulmans, afin
qu’émergent à terme, grâce à eux, des États islamiques « authentiques ». En
attendant, pour ne pas effrayer, il faut cultiver le secret et tenir un discours
rassurant à l’égard des profanes et des autorités politiques. Le travail
d’islamisation doit se faire dans l’ombre, via l’entrisme, mais en faisant
éliminer si nécessaire les indésirables par la manipulation ou l’assassinat,
déplorés en public, bien sûr.
Intrinsèquement totalitaire, l’organisation des Frères ressemble à s’y
méprendre, quant à son fanatisme doctrinal et son mode de fonctionnement
14
interne, aux ordres nationaux-socialistes autant qu’aux sectes . Afin qu’elle
puisse se développer, elle est censée s’appuyer sur des « organisations de
jeunesse » comparables aux jeunesses hitlériennes ou communistes : les
Jawwala ou « pionniers », spécialement entraînés pour assurer les services
d’ordre dans les manifestations. À côté de cela, l’organisation dispose d’un
appareil secret, la « Section spéciale », forte de mille membres habitués au
maniement d’armes et formés aux techniques du terrorisme urbain. Ces
derniers prêtent un serment d’obéissance et de silence sur un Coran et un
revolver : « La mort est un art. Le Coran a ordonné d’aimer la mort plus que
15
la vie … » . Cela n’empêche pas le petit-fils de Banna, Tariq Ramadan, de
déclarer : « Hassan Al-Banna refusait la violence et n’a admis l’usage des
armes qu’en Palestine pour résister à la colonisation sioniste. […]. Le refus
de la violence est resté un principe si fort que ceux qui y ont eu recours, dès
16
les années soixante, ont dû quitter bon gré mal gré l’association » .
Adressé aux autorités politiques du monde musulman, aux universités
musulmanes et « à tous ceux qui ont le souci de défendre la religion dans le
monde musulman », le manifeste en cinquante points rédigé par Hassan al-
Banna en 1936 éclaire sur la nature totalitaire de l’idéologie frériste.
Examinons-en ici quelques points significatifs :
« I – Domaine politique et juridique : 1 – Surmonter la division politique
et orienter la force politique de la Oumma vers un seul horizon […] ; 2 –
réformer les lois pour qu’elles se conforment à la législation islamique ; 3 –
fortifier l’armée et multiplier les phalanges de jeunes en les éduquant à la
ferveur de la guerre sainte (jihad) […] ; 4 – fortifier les liens entre tous les
pays musulmans afin de préparer une réflexion sincère et pratique concernant
le califat perdu […] ; 6 – contrôler le comportement personnel des
fonctionnaires sans distinguer l’aspect privé de la responsabilité publique du
fonctionnaire […] ; 7 - […] mettre un terme à l’oisiveté nocturne […] ;
II – Domaine social et scientifique : 1 – montrer de la fermeté dans
l’application des sanctions pénales relatives aux mœurs ; 3/4/5/10 – supprimer
la prostitution dans ses deux aspects, discrets et publique […] supprimer
toutes les sortes de jeux de hasard […], lutter contre la consommation du vin
et de la drogue ; 8 – interdire la mixité entre étudiants et étudiantes, […]
fermer les dancings, les jeux libertins et interdire la danse et tout contact
gestuel entre homme et femme […] ; 9 – encourager par tous les moyens le
mariage et la procréation […] ; 11/12/13 – exercer un contrôle sur le théâtre et
sur le cinéma, et filtrer les pièces à jouer et les films à diffuser […] ; Effectuer
avec rigueur un tri et un contrôle sur les chansons avant de les diffuser, […] ;
Bien choisir tout ce qu’on transmet à la radio en surveillant le contenu des
conférences et des thèmes à débattre. Utiliser la radio comme un moyen pour
promouvoir une éducation civique et morale, […] ; 14 – Confisquer les
romans d’excitation ainsi que les livres qui sèment le doute et pervertissent.
Interdire toute publication qui œuvre à la diffusion de la débauche et qui
excite le désir de manière la plus grossière ; 15 – organiser les camps de
vacances en mettant un terme à l’anarchie et au comportement licencieux
[…] ; 19 – revivifier le rôle de la “ hisba ” [la police des mœurs] et réprimer
tous ceux qui ne respectent pas les préceptes de l’islam ou ceux qui
n’observent pas ses obligations telles le jeûne du mois de ramadan, la prière
ou encore ceux qui insultent la religion […] 26 – réfléchir au meilleur moyen
d’unifier progressivement les uniformes vestimentaires dans toute l’ Oumma
; 27 – Mettre fin à l’esprit étranger [occidental] dans les foyers, notamment
pour ce qui touche à la langue, aux habitudes, aux habits, au recrutement des
éducatrices et des nourrices ; 28 – Orienter la presse vers le bien et
encourager les auteurs et écrivains à traiter des thèmes spécifiquement
islamique de l’Orient ;
III Domaine économique : 1/ 2/ 3 – Prohiber l’usure et organiser l’activité
bancaire […], nationaliser les entreprises étrangères , etc. »
On retrouve dans ce programme la plupart des caractéristiques du
totalitarisme énumérées par Hanna Arendt ou Raymond Aron : refus de la
liberté d’expression, contrôle des médias et de l’économie ; confusion des
domaines public et privé ; instauration d’un régime de terreur au moyen de
l’armée et de la police des mœurs ; exaltation de la violence guerrière ( jihad
) ; projet de conquête mondiale à travers l’unification de la Oumma ; enfin, et
c’est la spécificité du totalitarisme islamiste, rejet absolu de la laïcité, de la
mixité et haine totale envers la civilisation occidentale. Pour rappel, cette
organisation s’est distinguée dès sa création, en Égypte, par ses appels à la
haine et à la violence, les premiers Frères lançant des attaques contre des
cinémas, incendiant des hôtels et des restaurants, et attaquant au couteau ou
au rasoir des femmes dont la tenue vestimentaire était jugée « incorrecte ».
Il est important de garder présent à l’esprit que cette organisation est
malgré tout officiellement reconnue partout en Europe et aux États-Unis, où
elle contrôle la majorité des mosquées avec les pôles wahhabite, turc-néo-
ottoman et indo-pakistanais, et où elle est devenue depuis des décennies l’un
des interlocuteurs légitimes des pouvoirs publics.

Le « fréro-salafisme » : faux réformisme,


vrai fondamentalisme
Malgré sa posture professorale de sage mesuré, Hassan al-Banna a conçu
une véritable doctrine totalitaire, savant mélange d’anticolonialisme forcené
(tout en jouant un jeu trouble avec l’occupant anglais et plus tard avec la
CIA…), d’activisme caritatif et de fanatisme théocratique opportunément
17
habillé d’indigénisme . Pourtant, ses références théologiques sont les
théologiens majeurs du salafisme : Ibn Hanbal, qu’il étudia et fit republier,
18
nous l’avons vu, puis Ibn Taimiyya , le jurisconsulte sunnite fanatique du
e
XIII siècle connu pour ses fatwas condamnant à mort les philosophes arabes
éclairés et qui a écrit que « la défense des terres musulmanes est la première
19
obligation après la foi » .
Le postulat de base des Ikhwan est que la connaissance et le pouvoir
politique sont des « dons » exclusifs d’Allah et qu’ils ne peuvent s’exercer
qu’à travers le Coran et la charià . Leur ouvrage préféré d’Ibn Taimiyya
20
s’intitule d’ailleurs Le Politique selon la Sharià (« Siy ’asa Sharqiya ») et
son idée-force est qu’un bon musulman ne peut obéir qu’à l’ordre divin (
charià ) régi par le Califat, cadre politico-religieux incontournable de la
Oumma . Citant la célèbre phrase de Taimiyya : « Soixante ans sous
l’autorité d’un imam pieux ou d’un chef religieux injuste valent mieux qu’une
21
seule nuit d’anarchie » , les Frères musulmans ne chérissent pas plus les
valeurs sécularisées de nos sociétés pluralistes-démocratiques que les
salafistes pur jus. Leur « génie » tactique consiste en fait à instrumentaliser à
l’envi ces valeurs – qu’ils vomissent in petto – afin de les retourner dans le
cadre d’une guérilla rhétorique contre les États mécréants du dar al-harb
qu’ils escomptent détruire puis islamiser de l‘intérieur. En effet, s’ils peuvent
progresser grâce à ces valeurs pluralistes-libérales subverties et gagner des
« parts de marché » confessionnelles en bernant des Occidentaux naïfs,
pourquoi s’en priver ?
Cependant, les Ikhwan ne mentent pas totalement lorsqu’ils invoquent
aussi une généalogie « réformiste » puisqu’ils se réfèrent aussi à des penseurs
célèbres comme Jamal Eddine Al-Afghani, Mohamed Abduh (mort en 1905)
22
ou Rachid Rida (mort en 1935), qui ont théorisé un « salafisme réformiste »
( Salafiya islahiyya ), lequel instrumentalisait une forme de modernité
technologique non pas à une fin « progressiste » mais comme moyen de
mieux combattre l’Occident et de retrouver la « grandeur califale ». Déjà
maître en ambiguïté, Al-Banna, qui fut influencé par le soufisme orthodoxe au
niveau structurel (organisation, appartenance confrérique) et par le salafisme,
tant d’Ibn Hanbal et Ibn Taimyya (mort en 1328) que de sa version
saoudienne wahhabite, a réalisé un incroyable tour de passe-passe sémantique
en parvenant à plaquer le terme de « réformisme musulman » sur la pensée
totalitaire et totalement anti-réformiste au sens propre qu’est la salafiya , dont
le but est l’édification d’un suprémacisme panislamiste prédateur envers
toutes les autres civilisations et les musulmans libéraux.
Cette salafiyya est en fait commune aux Frères musulmans les plus
« modérés » et aux jihadistes salafistes les plus barbares, d’où l’expression
assez juste de fréro-salafisme.
Toujours est-il qu’en dehors des stratagèmes faits de dissimulation et de
mensonges pieux, le Frère musulman, comme le salafiste hanbalite-
wahhabite, doit rechercher in fine le Tawhid * (unicité de Dieu) et combattre
toute « association » ( shurk* ) de divinités autres qu’Allah, ce qui inclut le
rejet du culte des Saints (présent chez les soufis, les chiites, les chrétiens), des
valeurs des sociétés libérales judéo-chrétiennes laïques et/ou athées, et bien
sûr des mœurs « perverses » comme les danses, la musique et autres « arts
non islamiques ». Toutefois, au nom de la devise « chaque chose en son
temps », les Ikhwan, bien qu’interprétant de façon littérale les textes sacrés,
savent jouer sur les mots en feignant de « contextualiser » certains préceptes
non essentiels. Cédant souvent sur la forme, ils adhèrent in petto et in fine au
e
fixisme interprétationnel en cours depuis le X siècle dans le monde sunnite,
et ils sont les pires adversaires des vrais réformistes libéraux, ceux qui
voudraient dépolitiser totalement l’islam et rendre caducs tous les hadiths et
versets coraniques médinois incitant à la guerre contre les non-musulmans. Ils
valorisent en effet par-dessus tout les sourates politico-guerrières du « Coran
de Médine » (dites « abrogeantes ») et s’ils citent parfois les plus
intemporelles et tolérantes, dites « mecquoises » (plus pacifiques, mais
« abrogées » par les médinoises), c’est surtout pour tromper leurs ennemis
« mécréants » qui méconnaissent l’islam. Quant au jihad, la doctrine frériste
le place au sommet des commandements donnés aux croyants, ce qui est
parfois habilement nié par les Ikhwan mais clairement attesté par tous les
textes fondateurs de La Confrérie et d’Al-Banna.

La centralité et la sacralité du jihad guerrier


dans la pensée frériste
Pour se convaincre du fait que le jihadisme n’est pas propre à Al- Qaïda ou
Daech, mais qu’il est central au sein de l’ensemble de l’islamisme politique, y
compris celui, réputé aujourd’hui le plus modéré, des Frères musulmans, il
suffit de reprendre les paroles mêmes d’Al-Banna : « L’islam est idéologie et
23
foi, patrie et nationalité, religion et État, esprit et action, livre et épée (…),
Dieu est notre but (Allahu ghayatuna). L’Envoyé est notre modèle (Arrasulu
qadwatuna). Le Coran est notre loi (Al Qura’an chari’atuna). La guerre
sainte est notre chemin (Al jihadu sabiluna). Le martyre est notre désir
24
(Assahadatu amniyyatuna) » . Rappelons qu’à l’époque de Hassan al-
Banna, la « Section spéciale » de La Confrérie, évoquée plus haut, était
entraînée au maniement d’armes et aux techniques de terrorisme urbain et que
leur devise était la même que celle des jihadistes d’aujourd’hui : « La mort
25
est un art. Le Coran a ordonné d’aimer la mort plus que la vie » . Les
membres de cette « Section spéciale » qui enrégimentaient la jeunesse
égyptienne ont par la suite contaminé de nombreux pays musulmans, et les
nouveaux Frères installés en Europe, apparemment plus doux, ont utilisé ces
techniques d’embrigadement pour investir « les Banlieues de l’islam » en
Occident, déjà gagnées par le virus islamiste à la fin des années 1980 –
comme l’a montré l’essai éponyme de Gilles Kepel.
En 1936, les Ikhwan amorcent donc leur action politique à travers la cause
palestinienne, tissant dans ce contexte des liens étroits avec des représentants
nationaux-socialistes allemands basés au Caire, puis avec le Grand Mufti de
Jérusalem, Amine al-Husseini, parvenant même, grâce à cette cause première
antisioniste/anti-juive, à essaimer dans d’autres pays et à séduire d’autres
leaders arabes et musulmans. En 1947, ils rejettent donc violemment la
solution de partage de la Palestine adoptée par l’ONU puis déclenchent un
jihad armé contre « les Anglais et les Juifs ».

L’alliance des Frères avec le nazisme


occultée par leurs alliés « progressistes »
Particulièrement enclin à une forme de totalitarisme politico-religieux, Al-
Banna se montra alors très sensible à la politique anti-juive d’ Adolf Hitler,
également en guerre contre l’Angleterre et la France, deux pays qui
incarnaient à ses yeux l’ennemi infidèle et colonisateur à combattre. Il écrivit
d’ailleurs : « Hitler et Mussolini ont conduit leur pays vers l’unité, la
discipline, le progrès et le pouvoir. Ils ont imposé des réformes intérieures et
contribué à donner à leurs pays un grand prestige (…). Dès que le Führer ou
le Duce parlait, l’humanité, oui, l’univers obéissait avec un profond respect
26
» .
Entre les années 1920/1930, et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les
fascistes italiens puis les Nazis allemands multiplièrent les contacts avec les
leaders arabo-musulmans de tous bords. C’est dans ce contexte que les
responsables du renseignement allemand instrumentalisèrent les Frères
musulmans et leurs réseaux pour combattre les Britanniques au Proche-Orient
et en Afrique du Nord. La Confrérie leur servit de relais pour diffuser
localement la propagande de l’Allemagne nazie et donner une image idéale
d’Hitler, présenté comme un grand allié des musulmans, parfois même pour
un pieu musulman qui aurait secrètement embrassé l’islam et fait le
pèlerinage à la Mecque.
Amin al-Husseini, le Grand mufti de Jérusalem – proche de Hassan al-
Banna depuis la fin des années 1920, qui lui confia le secteur de la Palestine
pour les Frères – supervisa d’ailleurs personnellement le recrutement de
musulmans – notamment Bosniaques – au sein de la division SS Al-Handzar
27
, puis demanda à Hitler son soutien financier et paramilitaire pour organiser
la « résistance » contre les Anglais au Proche-Orient. On le voit d’ailleurs sur
de nombreuses photographies d’époque rencontrer le Führer, ou encore en
train de défiler devant ses troupes islamo-SS en faisant le salut nazi.
Grosso modo , la collaboration militaire directe entre le Troisième Reich et
des mouvances panislamistes, panarabes ou nationalistes du monde musulman
a concerné principalement (sans parler des mouvements politiques et milices
liés au Reich, voir infra ) trois grandes structures militaires : premièrement les
Divisions musulmanes de la SS ; deuxièmement, les Divisions nord-africaines
pro-nazies dans la LVF et la Phalange nord-africaine ; troisièmement la
Légion Arabe Libre « Freies Arabien » et les Légions arabes de Palestine
supervisées et parrainées par le Grand Mufti de Jérusalem. Concernant les
Divisions musulmanes de la SS, le rôle central joué par lui dans la création et
l’action des légions SS Handzar (bosniaque) et Skanderbeg (albanaise) dans
les Balkans est connue. Ces légions islamo-SS se livrèrent à de terribles
massacres de civils et perpétrèrent de nombreux crimes de guerre dans les
Balkans, au nom de leur antisémitisme islamo-nazi viscéral et de leur
soumission totale au Führer et à ses chefs-collaborateurs pro-nazis locaux.
Le 7 mai 1945 – la veille même de la signature de la capitulation
allemande –, le Grand Mufti de Jérusalem, pourtant recherché et condamné à
mort pour crime de guerre par le Tribunal de Nuremberg, parvint à s’enfuir et
partit pour Berne, où il demanda l’asile politique à la Confédération
helvétique. Après avoir été livré par les autorités suisses aux forces françaises
au printemps 1946, il s’évada mystérieusement de sa résidence surveillée.
Refoulé par les Britanniques en Palestine, il se rendit alors en Égypte où le
gouvernement et les Frères musulmans l’accueillent triomphalement. Les
Frères accueillirent maints dignitaires nazis allemands rescapés au Caire, et
Hassan al-Banna s’impliqua personnellement pour que le Grand Mufti
échappe à la potence après sa condamnation à Nuremberg. En 1946, à l’issue
d’une intense campagne médiatique et de pressions exercées sur le
gouvernement égyptien et la Ligue arabe, les Frères obtinrent son asile
politique. Hassan al-Banna, qui ne reniera jamais cette phase de son
engagement, s’adressera d’ailleurs ainsi à son ami Al-Husseini : « La valeur
du mufti est égale à celle d’une nation entière. Le mufti est la Palestine, et la
Palestine est le mufti. Ô Amin ! Quel grand homme tenace et formidable tu
es ! La défaite d’Hitler et de Mussolini ne t’a pas effrayé. Quel héros, quel
miracle d’homme ! Nous voulons savoir ce que feront la jeunesse arabe, les
ministres, les hommes riches et les princes de Palestine, de Syrie, d’Irak, de
Tunisie, du Maroc et de Tripoli pour être dignes de ce héros, oui, ce héros qui
a défié un empire et combattu le sionisme avec l’aide d’Hitler et de
l’Allemagne. L’Allemagne et Hitler ne sont plus, mais Amin al-Husseini
poursuivra le combat ». « Curieusement, cet épisode – qui en dit long sur les
affinités du Guide des Frères musulmans avec le nazisme – est rapporté par
Tariq Ramadan lui-même, qui se vante que son grand-père ait préparé et
28
organisé l’exil politique [de Husseini] en Égypte en 1946 » . Devenu le
héros du monde arabe avant Nasser, le Grand Mufti n’aura même pas à renier
publiquement son engagement pronazi ! Depuis la banlieue du Caire où il
s’installa, il organisa officiellement la base arrière de son mouvement
palestinien, aux côtés du gendre de Hassan al-Banna (et père de Hani et Tariq
Ramadan), Saïd Ramadan, chargé de créer la section palestinienne des
Ikhwan . Co-fondateur de la Ligue Arabe et du Congrès du monde musulman,
le Grand Mufti fut aussi consulté par de jeunes officiers égyptiens qui
rêvaient de révolution. Parmi les plus déterminés figurait le jeune capitaine
Gamal Abd Al-Nasser, alors membre des Frères, en qui le Grand Mufti
découvrit d’ailleurs un bon élève, puisque c’est sous Nasser que l’estocade
ultime fut donnée aux derniers Juifs qui devront fuir le pays dans un contexte
de pogroms et de propagande haineuse.
Même si elle lutta plus tard de façon impitoyable contre les Ikhwan ,
l’Égypte de Nasser, qui accueillit, comme la Syrie et d’autres pays arabes, de
nombreux nazis historiques, ne renia jamais ses sympathies envers l’idéologie
et le régime national-socialiste allemands. Le célèbre islamologue anglo-
américain Bernard Lewis précise à ce propos que « les nationalistes
extrémistes continuaient à voir dans l’Allemagne hitlérienne un modèle, une
source d’inspiration et un guide susceptible de les soutenir dans leur lutte
29
contre leurs deux ennemis jurés, l’Occident et les Juifs » . Anouar al-
Sadate, bras-droit d’Abdel Nasser et futur Président égyptien, fut lui aussi un
temps un zélé collaborateur du Reich et un membre des Frères musulmans ;
durant la guerre, il avait tenté de fomenter une révolte militaire sur le Nil qui
aurait apporté un appui décisif aux armées de Rommel au moment où la
guerre se déroulait en Lybie.
Frères musulmans et nazisme : cette alliance et cette fascination
réciproque ne doit jamais être oubliée, car elle éclaire non seulement sur la
nature totalitaire de l’islamisme frériste, mais surtout sur son incroyable
duplicité, sachant que toute la stratégie des Ikhwan en Europe aujourd’hui
consiste justement à se faire passer pour des victimes de « l’islamophobie » et
à s’allier tactiquement avec les forces de la gauche antiraciste et antifasciste.
Malgré ces stratagèmes – alliances rouges-vertes tactiques et dissimulation –
l’admiration pour Hitler perdure encore aujourd’hui largement au sein de tous
les mouvements islamistes, cela alors même que les Frères comme d’autres
intégristes islamistes implantés en Occident tentent de faire croire que les
musulmans victimes « d’islamophobie » seraient aujourd’hui l’équivalent des
Juifs persécutés hier. Une rhétorique fondée sur une extraordinaire inversion
des valeurs et des rôles, certes grossière, mais qui a trompé plus d’un
intellectuel « progressiste » et d’un dirigeant « démocrate ».

L’obsession anti-juive de ceux qui se font


passer pour des victimes du racisme
L’on peut citer à cet effet les propos du téléprédicateur vedette d’Al-
Jazeera, l’égypto-qatari Youssef al-Qardaoui, « savant » de référence de La
Confrérie et dont les sermons et discours télévisés conspirationnistes,
judéophobes, anti-chrétiens, anti-laïques, ont fanatisé depuis des décennies
des millions de musulmans. Auteur de fatwas justifiant des attentats
kamikazes en Irak ou en Israël, Al-Qardaoui affirmait par exemple, le
28 janvier 2009, sur Al-Jazeera, que « tout au long de l’histoire, Allah a
imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le
dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait –
et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits –, il a réussi à les remettre à
leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois ce sera
30
par la main des musulmans » . Il déclarait également à la télévision du
Qatar, en 2006 : « Les juifs sont protégés par les lois, des lois qui protègent
le sémitisme, de sorte que nul ne peut dire ne serait-ce qu’un mot sur le
nombre de victimes du prétendu Holocauste. Personne ne peut le faire, même
s’il écrit un travail de maîtrise ou de doctorat et s’il en discute de manière
scientifique. De telles affirmations ne sont pas acceptables. Lorsque Roger
Garaudy a parlé de cela, il a été condamné à la prison, conformément à la
31
loi » . L’exemple de Qardaoui est en fait loin d’être unique, puisque
jusqu’au Président turc Erdogan – proche de La Confrérie – nombreux sont
les islamistes qui citent régulièrement dans leurs discours ou leurs livres le
Führer avec nostalgie. Des faits que les chasseurs de « populistes-fascistes-
identitaires » européens se gardent bien de relater de peur que l’Occidental
« islamophobe » ne perde son statut de Mal absolu dont les peuples ex-
colonisés musulmans seraient les « victimes » et créditrices éternelles.

L’adaptabilité frériste :
de la vieille organisation pyramidale au
Tamkine
En 1942, Al-Banna crée « l’appareil secret », une milice jihadiste (avant
l’heure) de 2000 hommes formés aux techniques de combat. La structure de
La Confrérie est alors calquée sur celle des partis nazi-fascistes européens.
L’une de ses devises est « Action, obéissance et silence », qui rappelle le «
Croire, obéir et combattre » des fascistes italiens. Grâce à son organisation
pyramidale, le Guide est assisté par un conseil consultatif – Majliss choura –
et les Frères disposent de structures sociales, caritatives, universitaires, et
armées. La Confrérie parvient à infiltrer rapidement le tissu social égyptien,
investissant tous les secteurs socio-professionnels. Elle crée même une
section féminine pour les « Sœurs musulmanes ». Le 28 décembre 1948,
lorsque l’organisation dépasse un million d’adhérents, répartis en 2000
cellules, elle parvient à faire assassiner le Premier ministre Nuqrachi Pacha,
tout en condamnant publiquement la violence terroriste, assurant ne prôner le
jihad qu’en Palestine. En représailles, La Confrérie est officiellement dissoute
par le pouvoir égyptien. Créée à l’origine sous l’égide d’un intellectuel
apparemment présentable, l’organisation islamiste a en fait montré son vrai
visage : celle d’un mouvement islamiste subversif capable, au nom de sa
vision totalitaire de la religion, de subversion extrême et de violence. Le
12 février 1949, Al-Banna, devenu incontrôlable, est à son tour assassiné par
les services secrets égyptiens. Sa mort n’entame cependant en rien l’influence
de La Confrérie devenue clandestine, puisque son système organisationnel a
été pensé pour qu’un chef prenne sa succession en cas de décès.
La secte se fractionne alors en plusieurs branches. Le père d’Al-Banna,
Abd al-Rahman, garde la branche conservatrice. Salih Achmaoui assume la
direction de l’association dissoute, en se considérant comme le successeur
légitime. En 1951, le juge Hassan al- Hudaybi devient le nouveau Guide
suprême. Il déclare l’abolition de l’organisation secrète, considérant qu’il n’y
a « pas de secret dans le service de dieu. Pas de secret dans le message, ni de
terrorisme en religion », même si certains y voient en fait une « ruse de
guerre » qui a pour objectif de parvenir à la respectabilité. Afin d’amadouer
les autorités, Hudaybi affirme même que l’action des Ikhwan doit se résumer
au « prêche de l’islam dans la société où ils vivent ». Ses efforts sont vains,
car La Confrérie sera tout de même dissoute à nouveau en 1954 par Nasser.
Bien qu’ex-Frère lui-même, le raïs considère qu’elle est trop radicale et
incapable d’être en phase avec la modernité. L’année de son élection, lors
d’une allocution publique, il explique d’ailleurs pourquoi il a éloigné les
Ikhwan , après avoir évoqué en vain avec l’un de leurs hauts dirigeants leur
possible soutien au gouvernement. « Nous voulions vraiment honnêtement
collaborer avec les Frères musulmans pour qu’ils avancent dans le droit
chemin (…) Mais sa condition était que chaque femme porte le voile en
sortant dans la rue (…). Je lui ai répondu que c’était revenir à l’époque où la
religion gouvernait et où l’on ne laissait les femmes sortir qu’à la tombée de
la nuit (…) Je lui ai dit : Monsieur, vous avez une fille à la faculté de
médecine et elle ne porte pas le voile. (…). Si vous n’arrivez pas à faire
porter le voile à une seule fille, qui plus est la vôtre, comment voulez-vous
32
que je le fasse porter à 10 millions de femmes ? (…) » .
Pendant la longue période de répression (1954-1970), l’organisation
continue d’exister de façon clandestine en Égypte, au Soudan et dans de
nombreux pays musulmans, puis en Europe – sa nouvelle base-arrière avec
les pays du Golfe – où les Ikhwan trouvent refuge. Dans ce contexte, les
Frères musulmans, condamnés à la dissidence clandestine, connaissent une
nouvelle phase de radicalisation. Un groupe composé essentiellement de
jeunes activistes voit alors le jour sous le nom d’« organisation 65 » et prône
la violence comme ultime alternative pour combattre l’ordre officiel. C’est
alors que l’idéologue et précurseur majeur du jihadisme moderne, Saiyyd
Qutb (1906-1966), finalise son œuvre fondatrice et présente ses propres
préconisations.

Saiyyd Qutb, le Frère qui inspire la galaxie


jihadiste
Journaliste, enseignant et prédicateur ayant publié dans plusieurs revues
égyptiennes, marxistes et panarabes, en parallèle de son emploi de
fonctionnaire du ministère de l’Éducation égyptien, Qutb a hésité entre le
léninisme et le nationalisme avant de devenir islamiste au contact des Frères
musulmans. En 1948, cet agitateur jadis proche du pouvoir fut envoyé aux
États-Unis, officiellement pour étudier les programmes pédagogiques de
l’école américaine, officieusement pour l’éloigner car ses positions
33
révolutionnaires dérangeaient .
À son retour en Égypte en 1950, il dénonça violemment la société
américaine qu’il jugeait individualiste, spirituellement vide et décadente, puis
se rapprocha des Ikhwan , ce qui l’éloigna de ses anciens amis du comité des
Officiers libres dirigé par Nasser, lesquels prirent le pouvoir en 1952 à la suite
d’un coup d’État. Désormais en guerre avec les nationalistes nassériens et
devenu violemment anti-occidental, Saiyyd Qutb intégra formellement
l’organisation des Frères musulmans égyptiens en 1951, prenant même
rapidement la direction de leur publication et de leur appareil de propagande,
ce qui lui donnera un poids considérable. Qutb fut ainsi « nommé
responsable de la section propagande, autrement, de la Mission, du message,
34
de l’idéologie (Da’awa ) » , atteste Olivier Carré, l’un des plus grands
spécialistes universitaires de Saiyyd Qutb en France. En 1954, Nasser accusa
La Confrérie islamiste d’avoir reconstitué son association dissoute et Sayyid
Qutb fut arrêté pour avoir monté un groupe armé. Depuis sa prison, il forgea
la « théorie de la rupture islamique avec l’ordre établi », expliquée dans son
35
ouvrage Fi Zilaal Al-Quraan ( À l’ombre du Coran) , l’équivalent vert du
Que Faire de Lénine. L’idée-force est qu’un chef d’État n’exerce
légitimement son pouvoir que s’il met en œuvre la « volonté de Dieu »
contenue dans la charià . Poussée à son paroxysme, cette thèse justifie le
renversement par la violence du pouvoir « apostat », représenté par les
36
« mauvais musulmans » qui refusent d’appliquer la charià , d’où les
assassinats de Mahmoud Nakrachi Bacha en 1948, d’ Anouar al-Sadate en
1981, etc. Depuis sa geôle, Qutb écrit son autre livre majeur, Maâlim fi Tarîq
(« Signes de Piste »), qui sera d’ailleurs la vraie raison de sa condamnation à
mort quelques années plus tard. Son idée majeure est qu’un « véritable » État
musulman ne peut reconnaître que l’autorité de Dieu ( tawhid Hakimiyya, ou
« unicité divine dans le pouvoir »). On lui doit aussi la doctrine de la
37
Jâhiliyya * – cet « état d’ignorance préislamique » – selon laquelle un État
– même musulman – fondé sur des lois humaines ou qui abolirait tout ou
partie des lois corano-chariatiques (comme la Turquie de Mustapha Kémal
Atätürk ou l’Égypte de Nasser) pour les remplacer par des lois « positives »,
serait tyrannique ( « taghout », en arabe), « mécréant » (« jahilite »), et bien
entendu « apostat », donc à combattre par le jihad.
Pour lui, l’islam des pays arabes étant « déviant » et « contaminé » par les
idées « jahilites » des laïques ou/et « croisés » occidentaux, l’urgence absolue
est de favoriser un « retour aux vraies valeurs de l’islam ». Toutefois, les
masses populaires subjuguées par les tyrans nationalistes comme Nasser
n’étant pas encore « conscientes » et suffisamment mûres, il convient de
susciter tout d’abord une « avant-garde » révolutionnaire à la Lénine, qu’il
appellera le noyau-dur ( « annawâte assoulba »). Qutb est persuadé que pour
détruire la Jâhiliyya et édifier sur ses ruines un État islamique, seule une
violence révolutionnaire conduite par l’« avant-garde de l’Oumma » et
abreuvée aux seules sources salafistes du Coran et de l’âge d’or de l’islam
pourra mener à la victoire. Bref, retrouver la détermination absolue et la
combativité guerrière sans faille des « premiers musulmans » qui ont conquis
le Moyen-Orient, le Maghreb et jusqu’à l’Espagne en 80 ans. Dans son livre
Mushkilât al-hadâra (Problèmes de la civilisation ), Qutb explique que seul
l’islam constitue une civilisation et que les blocs de l’Est (socialiste) et de
l’Ouest (capitaliste) sont des zones jahilites ou d’« ignorance ». La théorie
38
qutbienne de la « souveraineté absolue de Dieu » ( Hakimiyya ) a influencé
non seulement La Confrérie jusqu’à nos jours, mais aussi l’idéologie
révolutionnaire de l’ ayatollah Khomeiny – qui vénérait Qutb –, le Hamas,
l’islamisme indo-pakistanais, Al- Qaïda, Daech, et l’islamisme turc.

Judéophobie pathologique et postérité


jihadiste
Une autre idée centrale de sa pensée, qui a également beaucoup influencé
les Frères et par la suite l’ensemble de la mouvance islamiste mondiale, est la
« lutte totale contre les Juifs », développée dans son opuscule Notre combat
39
contre les Juifs . S’appuyant sur la sourate 5, Qutb écrit : « Depuis les
premiers jours de l’islam, le monde musulman a toujours dû affronter des
problèmes issus de complots juifs. (…) Leurs intrigues ont continué jusqu’à
40
aujourd’hui, et ils continuent à en ourdir de nouvelles » .
D’après Antoine Peillon, Saiyyd Qutb a eu une double influence sur la
doctrine des Frères musulmans « dans un sens antimoderniste, anti-
41
occidental et antisémite » , mais aussi sur le plan du jihadisme
apocalyptique qui est issu des différentes scissions des Ikhwan . Certes,
nombre de Frères « modérés » nient l’importance de Qutb dans l’organisation,
mais son influence décisive est attestée par maints écrits, témoignages et
archives. Olivier Carré rappelle d’ailleurs que lorsque ce dernier est
momentanément libéré, entre 1964 et 1965, « le vieux Guide malade,
Hudaybi, privé de son fidèle bras droit, ‘Awda (pendu en 1954), s’en remet à
42
Qutb pour les affaires des Frères dans la clandestinité » .
Exécuté en 1966, Qutb a refusé d’être gracié, employant ces termes
terriblement lucides : « Mes mots seront plus forts s’ils me tuent ». Des
paroles prémonitoires, car sa postérité est indéniable. Ses œuvres ont eu une
influence considérable sur le monde musulman dans son ensemble, tant au
niveau de l’islam politique (sunnite et chiite) que de l’islamisme jihadiste. Ses
textes et ses positions, d’une violence inimaginable, ont également inspiré
l’Ayatollah Khomeiny, Oussama ben Laden, Ayman al- Zawahiri et même,
indirectement, Al- Bagdadi. Son ouvrage majeur, Ma’alim fi tarîq (1964, «
Signes de piste »), demeure l’une des références du jihadisme. Il a même
influencé le mentor d’Oussama ben Laden, Abdullah Azzam, un Frère
musulman palestinien devenu professeur de religion en Arabie saoudite, qui
créa avec Ben Laden l’embryon d’Al- Qaïda au Pakistan et en Afghanistan.
Ses écrits ont enfin été dévorés par les jihadistes du monde entier, y compris
plus récemment, en France, par Mohamed Merah ou par les Frères Kouachi,
auteurs des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015. La filiation existe
donc bel et bien. Les bombes humaines terroristes ne sont pas surgies de nulle
part. Et elles ne seront jamais neutralisées si le terreau idéologique qui les
porte n’est pas asséché sur le plan de la contre-propagande et de l’idéologie.
Un des disciples de Qutb, Shukri Mustafa (1942-1978), ingénieur
agronome égyptien, a repris de façon plus radicale encore les concepts de
jâhiliyya , de hakimiyya et de takfir* qui incitent à tuer les « apostats » en vue
de créer l’État islamique idéal. Shukri a tout d’abord fréquenté les Frères
musulmans égyptiens avant de créer le célèbre groupe Jama’at al-Muslimin,
plus connu sous le nom de Takfir wal-Hijra (excommunication et hégire-
émigration), qui prône l’excommunication ( takfir ) ou condamnation des
« faux musulmans » et la fuite (Hijra/émigration) ou séparation totale d’avec
la société jahilite/infidèle. En 1972, après une révolte universitaire du courant
islamiste contre les nassériens et les communistes, puis après la prise d’otage
et l’exécution, le 3 juillet 1977, du ministre Muhammad al-Dhahabi par les
Frères musulmans, Shukri Mustafa fut d’ailleurs condamné à mort avec
quatre autres ex-Frères.

Des Ikhwan « arabes » aux Frères indo-


pakistanais
Au niveau mondial, les Ikhwan n’ont pas que des références et des bases
arabes, car La Confrérie – et notamment Saiyyd Qutb – a été
considérablement inspirée par le célèbre théologien islamiste indo-
pakistanais, Sayid Abul Ala al-Mawdoudi, dit Maulana Mawdoudi, souvent
cité pour ses préconisations de reconnaître la souveraineté d’Allah
(rouboubiya) , puis de fuir la mécréance (kufr) et l’ignorance (jâhiliyya) .
Ce dernier fut le fondateur, en août 1941, du Jamaat-i-Islami, l’équivalent
islamiste indo-pakistanais des Frères musulmans dont l’influence au sein de la
nébuleuse panislamiste mondiale, jusqu’aux Balkans, au monde arabe, en
Asie et même en Grande-Bretagne et aux États-Unis, a été décisive.
Après la scission Pakistan-Inde de 1947, Mawdoudi prit naturellement part
au combat visant à faire de la nouvelle nation pakistanaise un État islamique
régi par la charià , influençant en cela toute une génération et nombre de
politiques parmi lesquels, en 1977, le président Zia ul-Haqq, qui soutiendra
quelque temps plus tard les jihadistes antisoviétiques en Afghanistan. En
1953, il lança également au Pakistan une violente campagne contre la
Communauté hétérodoxe des Ahmadiyya, provoquant les émeutes de Lahore
43
puis la déclaration de la loi martiale .
Comme Al-Banna, Qutb et Shukri, Al-Mawdoudi envisageait la création
d’un État chariatique qui s’étendrait progressivement à tout le sous-continent
indien puis au monde entier grâce au Jihad de la guerre ou de la propagande.
Pour lui, « Toute chose dans l’univers est « Musulman » car obéissant à Dieu
en se soumettant à Ses lois (…). L’Islam signifie politique, économie,
44
législation, science, humanisme, santé, psychologie et sociologie » . Il a
également popularisé la conception moderne – et fort ambiguë – de
« démocratie islamique ». Selon lui, cet État islamique démocratique, qui doit
être fondé sur l’unicité de Dieu (le tawhid ), l’Al-risâlah (la prophétie), le
khalifa (le califat) et la hakimiyya , concepts développés par Saiyyd Qutb,
sont pourtant clairement antinomiques de toute notion de démocratie libérale.
Toujours très populaire aujourd’hui au Pakistan, où ses ouvrages et son parti
politique exercent un véritable magistère, Mawdoudi estimait d’ailleurs que le
jihad doit servir à éliminer les gouvernements et lois non islamiques en vue
du triomphe final d’un État islamique mondial. Aujourd’hui, le Jamaat i-
islami est implanté partout dans le monde. En Inde, (Jamaat-e-islami Hindi),
au Bangladesh (Jamaat-e-Islami Bangladesh), au Cachemire, au Sri Lanka, ou
encore en Grande-Bretagne, où il entretient des « relations fraternelles » avec
tous les mouvements islamistes qui « travaillent sur différents continents et
45
sur différents pays » , particulièrement avec les Frères musulmans .
Exemple parmi tant d’autres de cette collaboration, c’est avec l’aide de la
Jama’at-e-Islami asiatique que les Ikhwan ont pénétré nombre d’institutions
académiques occidentales, comme l’Institut islamique de Londres, dirigé par
feu Kalim Siddiqui (1931-1996), citoyen britannique d’origine indienne qui «
se bat[tait] pour que les musulmans en Angleterre puissent appliquer les
principes de la vie coranique, y compris la polygamie, le divorce immédiat,
l’abolition de la mixité dans l’éducation, et des écoles publiques musulmanes
46
» .

La postérité d’Al-Banna et de Qutb,


ou l’incroyable résilience des Frères
musulmans
Banna assassiné, Qutb pendu, l’on pouvait penser, dans les années 1960,
que La Confrérie avait été définitivement vaincue, cela d’autant plus que la
mode était désormais au nationalisme arabe. Il n’en était rien. Rompue à la
clandestinité et à la lutte internationale, les Frères avaient en fait déjà essaimé
dans tout le monde arabe, au Pakistan et même en Europe. D’abord dans les
pays frontaliers ou géographiquement proches de l’Égypte. Dans les pays du
Golfe aussi, parmi lesquels l’ Arabie saoudite qui les protégera jusque dans
les années 1990. L’on va aussi retrouver un certain nombre de ses cadres
exilés au Soudan, où le mouvement accédera au pouvoir dans les années 1990
avec le tandem El-Béchir/ Tourabi (voir chapitre III ), puis en Syrie où ils
s’opposeront violemment au pouvoir, et même en Algérie où se déroule
depuis 1954 la guerre d’indépendance conte la France.
En Égypte, c’est en 1970, avec l’arrivée d’ Anouar al-Sadate, et surtout à
partir de 1979, dans un contexte de guerre froide, que les Ikhwan reviennent
en force par la voie légale, en se rapprochant tactiquement du pouvoir : le
nouveau raïs , qui a besoin de toutes les forces conservatrices contre le
nassérisme et le communisme, proclame une amnistie générale au moment où
Mohamed Ahmed Aboul Nasr devient Guide Suprême du mouvement. Les
Frères redeviennent dès lors un lobby toléré et puissant, capable de faire élire
des députés sous les étiquettes de partis politiques autorisés (néo-Wafd, parti
du travail, parti libéral, etc), mais aussi un groupe de pression théologique
redoutable qui infiltre l’Université islamique sunnite d’Al- Azhar. Sadate
permet également le retour de nombreux cadres du mouvement réfugiés en
Arabie saoudite et donne les coudées franches à La Confrérie dans les
universités. Son influence s’étend à nouveau sur les organisations syndicales,
les Frères parvenant même à se poser en médiateurs privilégiés entre les
extrémistes dissidents – qui leur reprochent leur « respectabilisation » – et
l’État « jahilite », qu’ils feignent d’aider. Une stratégie que l’on retrouve en
Occident aujourd’hui, où les Frères forcent les pouvoirs publics à leur confier
des mosquées et des quartiers en échange d’une pax islamica et d’une lutte
contre « plus islamistes qu’eux ». Anouar al-Sadate ne sera pourtant pas
récompensé pour sa magnanimité, puisque c’est un membre d’une
organisation issue des Frères musulmans, le Jihad islamique (structure
« jihadiste-salafiste » co-fondatrice d’Al- Qaïda, créée par Abboud Al-Zomar,
depuis emprisonné), qui assassinera en 1981 le « nouveau Pharaon ».
L’inspirateur de l’assassinat, Abdessalam Faraj, qui a subi l’influence des
Frères avant d’aller plus loin dans la violence insurrectionnelle, est l’auteur
d’un célèbre ouvrage, L’Impératif occulté , qui pousse à l’extrême la théorie
de rupture avec l’ordre établi, prônant le jihad contre tout souverain non
islamiste, même s’il est un musulman croyant. Les groupes terroristes
précurseurs d’Al-Qaïda, comme la Gamaà islamiyya en Égypte et le Jihad
islamique – également présent dans les territoires occupés, où il est parvenu à
islamiser l’ intifada – puisent leur idéologie révolutionnaire dans les écrits
d’Al-Banna, Qutb, Faraj et Shukri.
Les ex-fréristes militants du jihad participeront aussi à la guerre civile
libanaise (400 volontaires) ainsi, bien sûr, qu’à la guerre d’Afghanistan
(3 000) contre les Soviétiques. Ils ne cesseront de perpétrer des attentats en
Haute-Égypte, au Caire et ailleurs, notamment par le biais du groupe armé
islamiste Talaëh al-Fatah (« Avant-garde de la conquête » ), fondé au début
des années 1990 à Peshawar par d’anciens membres du Jihad islamique
égyptien, notamment l’ex-sympathisant des Frères et chef d’Al-Qaïda,
Ayman al-Zawahiri (voir chapitre III ). Jusqu’à nos jours, les Ikhwan sont
ainsi demeurés incontournables au sein de la vie politique de leur pays
d’origine et dans le monde musulman. En juin 2012, à l’issue du Printemps
arabe, ils ont même réussi à remporter les premières grandes élections
démocratiques égyptiennes qui ont porté au pouvoir le Frère musulman
Mohamed Morsi, à son tour victime un an plus tard d’un coup d’État perpétré
par son ex-chef d’État-major le Maréchal Al- Sissi, puis décédé en juin 2019
durant son procès.

Les ramifications de La Confrérie dans le


monde
Comme s’en est vanté auprès de nous Mohamed Habib, le vice-guide de
La Confrérie, l’organisation s’est entre autres implantée en Jordanie, au
Koweït – où elle est représentée au Parlement, mais contrôlée par le régime –
et dans le monde arabe en général, où elle agit à travers des sections : en Syrie
(opposition sunnite-CNS), au Yémen (al-Islah), et parfois, sous d’autres
appellations comme en Palestine et en Algérie ( Hamas), au Soudan (Front
national islamique), en Afghanistan (Mouvement islamiste de Niazi et
Rabbani), en Tunisie (MTI- Mouvement de la tendance islamique/Ennahda),
ou encore au Maroc (groupe « Justice et bienfaisance » et Parti de la Justice et
du Développement). Partout, La Confrérie rencontre une forte adhésion
populaire grâce à son activisme social, caritatif, médical, économique et
éducatif en faveur des « opprimés » et des pauvres. En Égypte, par exemple,
la Gamia Charia – la société de bienfaisance la plus puissante du pays – était
47
contrôlée, avant l’arrivée du Maréchal Al-Sissi, par les Frères musulmans .
Ces derniers y géraient des réseaux d’hôpitaux, des crèches, des dispensaires
ou des orphelinats, et ils « contrôleraient environ 20 % des organisations
48
non gouvernementales (caritatives) égyptiennes » . En Jordanie, avec
l’introduction du multipartisme dans le royaume hachémite en 1989, les
Ikhwan sont devenus la première force politique (« Front islamique
49
d’action ») . Les Frères musulmans sont également proches, comme nous
l’avons évoqué, du Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir
à Ankara depuis 2002 et de son leader et co-fondateur, Recep Taiyyp
Erdogan. En Syrie, la lutte contre le pouvoir baasiste/alaouite « impie » a été
initiée dès 1945 par le pionnier des Ikhwan du pays de Sham, l’intellectuel
Mustafa al-Siba’i, disciple d’Al-Banna. Al-Siba’i sut habilement fonder sa
propagande sur le rejet du colonialisme français « impie » et de l’ « injustice
féodale » puis sur la promotion de l’égalitarisme panislamiste face aux
nationalismes et aux féodalités chiites, alaouites, druzes et chrétiennes.
Rappelons que dans les années 1960, les Frères participèrent à des actions
violentes contre le Parti Baas, notamment celles de 1964 dans la ville de
Hama, devenue leur base. Lors des émeutes de 1973 contre le régime de
Hafez al-Assad, les Frères musulmans apparurent comme la seule formation
politique capable de s’opposer à l’hégémonie du Parti Baas. Parallèlement, ils
commencèrent à infiltrer l’armée et la police. En 1979, ils comptaient en
Syrie près de 10 000 militants et commettaient régulièrement des attentats
contre l’État. Le 16 juin 1979, des officiers fréristes infiltrés ouvrirent le feu
au sein de l’École d’artillerie d’Alep tuant ainsi 80 cadets majoritairement
alaouites. Cette tuerie provoqua un choc au sein de la population et de l’élite
alaouite. Lorsque de nouvelles émeutes éclatèrent sur fonds d’autres attentats
à Alep et Hama contre Baas, le pouvoir fit totalement interdire les Frères
o
musulmans et commença à s’attaquer à leur base arrière. Malgré la loi n 49
punissant de mort toute personne appartenant aux Ikhwan , de nouvelles
manifestations éclatèrent au nord du pays et un attentat perpétré le
29 novembre 1981 fit 175 morts à Damas. Le président Hafez al-Assad, père
de Bachar, lança alors fin 1981 une gigantesque purge des éléments fréristes
infiltrés au sein de l’appareil de sécurité et de l’armée. Quatre cents officiers
furent démis de leurs fonctions et 300 autres fréristes membres du Parti Baas
furent exécutés. Ainsi purgé, le régime décida de défaire définitivement La
Confrérie. Son fief, Hama, fut littéralement rasé. Le bilan s’élèvera à
20 000 morts.
Les Frères syriens entrèrent alors dans la clandestinité ou trouvèrent refuge
en Europe. On peut citer notamment Issam el-Attar, né en 1927, l’ex-second
Guide Suprême des Frères musulmans syriens et l’un des symboles de la
résistance contre Hafez al-Assad. Il put s’exiler à Aachen, en Allemagne,
dans les années 1970, où il poursuivit sa mission d’islamisation à l’ombre des
lois pluralistes occidentales. En Italie, les Ikhwan ont également réussi à être
reconnus officiellement comme représentants de l’islam national grâce à
l’entrisme d’un ancien islamiste radical ayant fui le régime de Damas, Nur
Dashan, créateur de l’Organisation des communautés islamistes italiennes
(UCOII), devenu citoyen italien après avoir été accueilli comme « réfugié
politique ». Plus récemment, en pleine guerre civile syrienne, c’est Ali Sadr
ad-din Al- Bayanouni, né en 1938, à Alep, ex- al-Mourakib al-’Am ,
« contrôleur général » des Frères musulmans en Syrie entre 1960 et 2010, qui
a trouvé refuge à Londres, d’où il a scellé une alliance d’opposition avec l’ex-
Premier ministre syrien devenu dissident Abdel Halim Khaddam. Lors du
printemps arabe, les Frères syriens ont tenté de refaire surface en récupérant
la révolution démocratique, parvenant même à prendre une place
hégémonique dans l’opposition du Conseil National Syrien (CNS) et infiltrant
également l’Armée Syrienne Libre (ASL, appuyée par la Turquie), puis
d’autres groupes islamistes combattants plus radiaux.
Au Liban, entre chrétiens et chiites, les Frères musulmans ont peu
d’espace, bien qu’ils disposent de fiefs dans le Nord-Ouest et dans les camps
palestiniens. Au « pays du Cèdre », ils se rattachent au courant théologique de
Fathi Yakan, proche des structures fréristes irakiennes.
En Irak, les Ikhwan irakiens sont essentiellement représentés par le Parti
islamique irakien. Ils ont infiltré des institutions stratégiques comme le Hayât
al-Ulema (conseil des oulémas en Irak) et le Haut Organisme pour la da’awa
et la fatwa de Zakariya al-Tamimi. Les Frères sont partagés en plusieurs
tendances : la première « pro-soudanaise », incarnée par le Hizb al-Islami
al-’Iraqi , le Parti islamique irakien Iyad al-Samarra’i, plus « souple » et qui
n’a pas hésité à s’allier au parti chiite Da’awa dans le cadre de l’Union des
forces islamiques, et l’autre, philo-saoudienne, qui a intégré le Bloc
islamique (Kutla al-Islamiya) du cheikh Mohammed al-Aloussi.
Au Maghreb, depuis les années 1980, les Ikhwan ont fait preuve d’une très
grande élasticité doctrinale et tactique, comme on le voit avec Ennahda en
Tunisie, qui a fait d’importantes concessions sur le plan des libertés
individuelles et du parlementarisme. Toutefois, l’objectif de la Hakimiyya
(souveraineté divine en vue du Califat mondial), via une stratégie progressive
de réislamisation de la société, reste intact.
En Algérie, les Frères musulmans sont apparus dans les années 1970 sous
couvert de politique de ré-arabisation, souvent grâce à des professeurs et
« coopérants » venus d’Égypte et du Moyen-Orient. En fait, les Frères étaient
populaires dans certains milieux intellectuels dès avant la « victoire »
(politique mais pas militaire) contre la France, en 1962. Résultat, en l’espace
de 30 ans, les Ikhwan ont réussi à « enfanter » une partie des futurs cadres de
l’Islamisme algérien le plus subversif et le plus violent. Les piliers du Front
islamique du salut (FIS) en sont issus. Cette stratégie pro-frériste d’une partie
du FLN sera l’une des causes de la guerre civile qui ensanglantera le pays au
début des années 1990, faisant près de 150 000 victimes. Depuis la fin des
années 1990, à la faveur de la politique de réislamisation et de « concorde
civile » voulue par l’ex-président algérien déchu Bouteflika, les Ikhwan sont
représentés au Parlement (Alliance de l’Algérie verte ; AAV), avec trois
partis (Al-Islah ; le Mouvement de la société pour la paix = MSP/Hamas ; et
Ennahda-Algérie), qui ont obtenu 58 sièges aux élections législatives en
mai 2012.

Saïd Ramadan, gendre d’al-Banna,


pionnier des Ikhwan hors d’Égypte
Quand Hassan al-Banna est assassiné par les services égyptiens en
50
février 1949, son gendre Saïd Ramadan, né en 1926, est chargé de
poursuivre sa mission de conquête et d’islamisation du monde, tant en terre
arabe que sur le sous-continent indien ou en Europe. Désigné comme son
héritier spirituel par Al-Banna, Saïd a épousé la fille aînée du fondateur,
Waka. Véritable globe-trotter de l’islamisme frériste – comme plus tard son
fils Tariq – il fonde tout d’abord, en octobre 1945 à Jérusalem, la branche
palestinienne de La Confrérie. En mai 1948, il repart pour la Palestine avec
des volontaires afin d’aider Abdel-Kader al-Husseini à lutter contre l’État juif.
En août 1948, il se rend au Pakistan, pays tout juste créé sur une base
islamiste anti hindous, dans le cadre d’une partition de l’Empire des Indes qui
mettra au monde une nation théocratique faite pour et par les musulmans, et
vidée de ses « mécréants ». Très apprécié, il intervient régulièrement sur
Radio Pakistan et va par la suite jouer le rôle d’ambassadeur culturel du
Pakistan dans les pays arabes. Il se coiffe alors du jinnah, le chapeau rendu
célèbre par Muhammad al-Jinnah, fondateur du « Pays des Purs », dont il
reçoit un passeport diplomatique qu’il utilisera lorsqu’il sera déchu de sa
nationalité égyptienne.
Brièvement autorisé à revenir en Égypte en 1950, Saïd contribuera à
intensifier les liens entre l’islamisme pakistanais de Saiyd Abou Ala al-
Mawdoudi et les Frères égyptiens, publiant, dès 1952, le mensuel Al-
Muslimoun , instrument qui lui permettra de diffuser la pensée de Mawdoudi.
Cette anecdote permet d’ailleurs de démentir l’affirmation de nombreux
fréristes selon laquelle la pensée du fanatique islamiste pakistanais serait
étrangère aux Frères et n’aurait été importée en Égypte « que » par le très
radical Saiyyd Qutb.
En 1954, considéré dangereux par le régime égyptien qui s’inquiète de son
prosélytisme politico-religieux, Saïd Ramadan est finalement arrêté suite à la
dissolution des Frères. Il bénéficie toutefois d’un sort bien plus clément que
celui de Qutb, puisqu’il sera simplement expulsé vers Damas. Dans cet autre
pays phare du nationalisme arabe « apostat » – ainsi que dans les pays
voisins –, il tentera de développer la pensée et des cellules des Ikhwan . Il
prêchera ainsi un temps à la mosquée Al-Husseini d’Amman en Jordanie,
fréquentée par le roi Abdallah lui-même.
En 1962 Saïd Ramadan fait partie des vingt personnalités co-fondatrices
de la Ligue islamique mondiale, créée par l’ Arabie saoudite qui finance La
Confrérie face au nationalisme arabe et au communisme, notamment via des
fonds de l’Aramco (Arabian-American Oil Company). Mawdoudi fait partie
de ces « vingt ». La Ligue islamique mondiale, bien que devenue hostile aux
Frères, est aujourd’hui l’une des plus puissantes organisations
intergouvernementales après l’ONU et la seule ayant un objet théocratique
d’islamisation mondiale, sorte de Califat en devenir. C’est dire le rôle central
de Saïd Ramadan. Le 30 août 1965, le régime de Nasser accuse ce dernier
d’avoir fomenté un coup d’État avec l’aide d’autres membres des Ikhwan . Un
procès s’ouvre au Caire. Saïd se vante depuis son exil genevois d’être le
« théoricien en chef » de La Confrérie. Il est condamné par contumace à trois
peines de 25 ans pour avoir alimenté en fonds et en armes des « terroristes »
en Égypte. Il perd alors sa nationalité égyptienne, ce qui ne l’empêchera pas
de poursuivre sa mission tant dans le monde arabe qu’en Occident avec un
passeport diplomatique jordanien. Toutefois, sa proximité alors structurelle
avec le wahhabisme saoudien n’empêchera pas ce doctrinaire paradoxal de
soutenir, des années plus tard, la République islamique chiite-iranienne,
pourtant la pire ennemie des Saoud.

Liens avec des suprémacistes islamistes noirs


et des tueurs du régime islamique iranien
Se considérant comme persécuté, sûr de son bon droit, et estimant pouvoir
se rallier des révolutionnaires de tous bords, Saïd entretient depuis la Suisse
une correspondance avec le militant suprémaciste noir islamiste Malcom X,
qu’il accueillera deux fois à Genève. Plus compromettant, il sera le mentor de
51
Daoud Salahuddin, pseudonyme d’un autre citoyen afro-américain converti
à l’islamisme, David Theodore Belfield, qui assassinera en 1980, à Bethesda
dans le Maryland (États-Unis), l’opposant iranien Ali Akbar Tabatabai,
président de l’Iran Freedom foundation, organisme d’opposition à la jeune
52
République islamique proclamée le 12 février 1979 . En décembre 1979,
Salahuddin avait d’ailleurs consulté Saïd Ramadan à propos de son intention
de devenir un agent du régime des Mollahs. Saïd Ramadan rencontra en fait
Belfield/Salahuddin en mai 1975 au Centre islamique de Washington, et
devint rapidement son ami. Fait ubuesque, on sait aujourd’hui que malgré
l’écho médiatique donné à l’assassinat de Tabatabai, notamment après la
parution d’un article publié le 24 juillet dans l’International Herald Tribune,
dans lequel le FBI identifiait l’auteur du meurtre, Belfield/Salahuddin put
passer encore tranquillement sept jours à Genève sans être inquiété. Saïd
Ramadan fut en fait soupçonné de l’avoir abrité sur le chemin de sa fuite vers
53
l’Iran alors qu’il était recherché par les polices européennes. En 2002,
Salahuddin déclara à propos de ses liens avec Saïd, pourtant occultés par ses
fils Hani et Tariq : « Je pense qu’aucune autre personne, même pas mes
54
parents biologiques, ne me connaissait aussi bien que lui » . Cette
complicité avec un agent-tueur au service de la République islamique de
Khomeiny démontre une fois de plus les complicités jihadistes/violentes de
figures fréristes qui se firent pourtant adouber en Occident…
Concernant les liens unissant certains Frères musulmans et l’islamisme
chiite-iranien issu de la Révolution de 1979, le journaliste israélo-américan
Israël Elad Altman a d’ailleurs rappelé, dans un article intitulé « The
Brotherhood and the Shiite question », que les Frères n’ont en fait jamais
caché leur admiration pour la Révolution islamique iranienne. Tout spécialiste
de la question connaît d’ailleurs l’influence décisive qu’ont eue les Ikhwan
sur l’Ayatollah Khomeiny, grand admirateur de Hassan al-Banna et de Saiyyd
Qutb. Dans sa thèse de doctorat apologétique sur son grand-père, Tariq
Ramadan a lui-même reconnu fièrement que les révolutionnaires chiites
iraniens furent inspirés par les idées de ces deux théoriciens.

Les Ikhwan et la Révolution islamique


iranienne
Saïd Ramadan ne fut pas le seul responsable frériste de poids à avoir établi
des ponts directs ou indirects avec la Révolution islamique iranienne. Le lien
entre les Frères et l’islamisme chiite-iranien existe en fait de longue date.
Parmi les principaux traducteurs en farsi de l’œuvre de Sayyid Qutb figure
même l’actuel guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Khomeiny
lui-même n’a jamais caché sa fascination pour les textes d’Al-Banna et Qutb.
Cette affinité n’a pas été seulement intellectuelle, car parmi ses principaux
soutiens armés, la révolution islamique déclenchée en 1979 par Khomeiny et
ses alliés islamo-gauchistes a eu pour principal soutien logistique et
55
opérationnel un mouvement lié à La Confrérie depuis 1949 : les Fedayin-é-
islam (littéralement, « ceux qui se sacrifient » – ou « dévots de l’islam »),
organisation islamiste radicale iranienne fondée en 1946 par Navab Safavi,
alors proche de Ruhollah Khomeiny. Leur journal porte la mention « l’Islam
est au-dessus de tout et rien n’est au-dessus de l’Islam ».
Très impressionné par le modèle des Frères égyptiens, avec lesquels il
entreprit de fusionner les deux organisations, Safavi popularisa en Iran
l’idéologie d’Al-Banna et de Qutb, qu’il alla rencontrer au Caire à plusieurs
reprises. Comme eux, son organisation perpétra plusieurs assassinats en Iran
dans les années 1950, afin de « purifier » l’islam et de « punir les traîtres ». Il
fut exécuté par le régime du Shah en décembre 1955. Il est aujourd’hui
honoré officiellement en Iran (de même que Qutb) comme un « martyr ».
En 1980, son organisation prendra pour chef l’Ayatollah Khomeiny, et elle
est reconnue comme parti politique officiel depuis 1989. Les Frères
56
musulmans ont ainsi inspiré le Conseil de la Guidance , qui calqua son
schéma organisationnel sur celui des Frères égyptiens. Dès sa constitution,
Khomeiny mit d’ailleurs en place, tel que le préconisait Al-Banna, un système
politique qui s’appuie sur des milices paramilitaires comme les Gardiens de la
Révolution. Dans les années 1980, la République islamique a d’ailleurs été
présentée par nombre de leaders fréristes comme un modèle. On peut citer à
ce sujet le Libanais Fathi Yakan, le Tunisien Rached Ghannouchi, fondateur
du Mouvement MTI – futur Ennahda – ou encore le Hamas palestinien.
Lorsqu’en juin 2012, Mohamed Morsi, issu des Frères, fut élu président de la
République égyptienne à la faveur de la révolution de la place Tahrir, l’Iran
applaudit en premier. Morsi se rendit d’ailleurs à Téhéran deux mois plus
tard, à l’occasion du Sommet des Pays Non Alignés, mettant ainsi fin à 33 ans
de froid diplomatique dû à la signature du traité de paix séparée entre Israël et
l’Égypte.
En 2013, le régime des Mollahs a d’ailleurs aussi vivement « condamné le
renversement du président égyptien Mohamed Morsi par l’armée ». Certes,
le soutien de Khaled Mechaal, leader du Hamas, et des Frères du monde
entier à l’opposition syrienne sunnite, fut mal perçue par Téhéran, mais en
février 2016, son responsable des relations extérieures Oussama Hamdan
s’était rendu à Téhéran et avait déclaré qu’il fallait ouvrir une « nouvelle
page » avec l’Iran, en raison de la « convergence sur la lutte pour la
Palestine et contre le sionisme », puis face à l’hégémonie occidentale dans la
région.

Des relais à Al- Azhar


Au printemps 2004, lors d’un voyage à la mosquée d’Al-Azhar, institution
religieuse phare de l’islam sunnite fondée au Caire en 970 qui abrite la plus
vieille université du monde musulman, un Frère d’une vingtaine d’années,
Abdel, nous avait confié voir passer de nombreux Français fréristes dans ce
haut lieu de l’islam officiellement sous contrôle de l’État égyptien. Voici ce
qu’il nous racontait : « ici, il vaut mieux ne pas dire que l’on est Frère, car
l’organisation est officiellement interdite et sous surveillance de la police
secrète. Mais c’est un lieu de rencontre important pour nos membres (…).
Nous avons des contacts avec des Frères dans le monde entier, même dans
toute l’Europe, en Angleterre et en France (…). Si vous avez besoin
d’informations, je pourrai vous les donner, mais vous ne devrez pas dire d’où
cela vient, c’est très dangereux (…) ». Un an plus tard, en juillet 2005, à
l’occasion d’un reportage pour le Figaro-Magazine sur La Confrérie, l’un
d’entre nous – Emmanuel Razavi – s’était à nouveau rendu à Al-Azhar. Là, il
avait cette fois rencontré de jeunes Frères tchétchènes venus se former à
l’islam qui lui avaient confirmé vivre en compagnie de Français. « Nous
sommes installés dans un quartier pas loin, avec eux, même si on ne se
mélange pas beaucoup. C’est un Frère plus âgé qui leur loue des chambres.
Ils sont là pour quelques temps, pour apprendre le Coran et l’Arabe comme
nous, mais il ne faut pas le dire, car on est surveillé par les autorités. Après
trois mois de formation, ils repartiront chez eux, en France, ou peut-être
ailleurs (…) ».
Al-Azhar, officiellement interdite aux Frères musulmans, sanctuaire
d’un islam dit « modéré » contrôlé par le gouvernement égyptien, dévoilait
alors son vrai visage : celui d’un carrefour frériste discret, en connexion –
entre autres – avec les Ikhwan de l’Hexagone. Et pour cause. Al-Azhar est
souvent présentée comme une université musulmane sunnite adepte d’un
« islam du juste milieu », « modéré », anti-islamiste. La réalité est en fait bien
plus complexe, car l’infiltration des Frères musulmans et autres islamistes
salafistes au sein de la plus prestigieuse institution universitaire sunnite
mondiale est notoire. Certes, le président égyptien Abdelfattah Al- Sissi tente
depuis son arrivée au pouvoir en 2013 de convaincre les responsables,
docteurs et imams d’Al-Azhar d’engager une « réforme radicale » de l’islam
et de combattre l’idéologie des Frères, bannie en Égypte.
Cette entreprise est toutefois rendue très compliquée par le fait que les
Frères musulmans demeurent très présents et même populaires au sein d’Al-
Azhar, non pas auprès de son Grand Imam, proche du pouvoir, mais au sein
de son corps enseignant et de ses étudiants. Peu après son accession au
pouvoir en juillet 2013 scellée par la destitution et l’emprisonnement de
Morsi, le grand imam d’Al-Azhar, qui s’était affiché aux côtés du président
al-Sissi, a été ainsi confronté à des frondes d’étudiants exigeant
quotidiennement sur le campus le retour du président Morsi. Il est clair que
l’université Al-Azhar du Caire, berceau de la pensée islamique sunnite depuis
un millénaire, est un enjeu politique et théologique de taille pour les Ikhwan
qui ont toujours tenté d’en faire leur bastion. Pour eux, Al-Azhar serait en
effet le talon d’Achille des autorités, un champ de bataille métapolitique
privilégié, attendu que « le corps professoral soutient, ouvertement pour une
petite partie et tacitement dans sa majorité, la contestation estudiantine »
pro-Frères. S’il est vrai que les sermons des imams doivent au préalable
passer sous les fourches caudines du ministère des Affaires religieuses, ces
pressions « n’ont pas altéré l’ardeur militante des étudiants d’al-Azhar
57
fréristes », affirme Jeanne Le Bras . Depuis, le campus d’Al-Azhar , qui
accueille chaque année 300 000 étudiants étrangers , est sous haute
surveillance, et les militants pro-Frères, s’ils ne peuvent pas afficher
ouvertement leurs convictions, demeurent un puissant lobby qui s’emploie de
l’intérieur à rendre impossible la grande réforme théologique voulue par Al-
Sissi.
Répondant à ses exigences, les dirigeants d’Al-Azhar ont banni des
professeurs pro-jihad ou pro- Ikhwan ; la bibliographie a été partiellement
renouvelée, mais la réforme du système éducatif demeure pour le moment
impossible en raison de profondes divergences au sein de l’institution. Et les
Frères musulmans infiltrés au sein de l’université cairote seraient encore au
moins 1 500, parfois installés à des postes clés. En réalité, « les autorités sont
obligées de mener une politique à deux vitesses », analyse Amr Ezzat :
« d’une part, elles préconisent le lifting d’une institution infiltrée par des
courants de pensée extrémistes et, d’autre part, elles se doivent de maintenir
des échanges avec La Confrérie. Car si demain Al-Azhar adopte des positions
radicales à l’égard des Frères musulmans, elle perdra de nombreux soutiens
et donc beaucoup de son influence ». De ce fait, en dépit d’un discours
dominant violement anti-Frères, « il ne faut pas oublier, poursuit Ezzat,
qu’ils sont la première force politique du pays, et c’est ce succès qui a
contribué à leur présence très forte au sein de l’institution. C’est ce qui
empêche aussi d’autres factions, encore plus radicales, de prendre le pouvoir
au sein d’Al-Azhar. Les autorités ont donc tout intérêt à maintenir un certain
58
équilibre » . Rappelons en passant qu’Al- Qardaoui et nombre d’autres
« savants » fréristes sont passés par Al-Azhar, que cette institution n’a jamais
dénoncé ou remis en question les pans totalitaires de la charià , y compris les
condamnations à mort par lapidation, crucifixion ou pendaison prévues pour
les apostats, les hérétiques ou les blasphémateurs ; qu’elle a soutenu et
légitimé l’excision, et qu’elle a toujours refusé de déclarer hérétiques les
islamistes sunnites. Rappelons également que des personnalités prestigieuses
comme le cheikh Gad al- Haq, Imam à Al-Azhar jusqu’en 1996, a prôné la
peine de mort pour tout musulman « apostat » et qu’il a édicté une fatwa
demandant au gouvernement égyptien d’exécuter les personnes opposées à
59
l’excision . Durant des décennies, la sacralité guerrière du jihad a été
confirmée à maintes reprises par la plus prestigieuse et influente université
sunnite du monde, et nombre d’islamistes fréristes et wahhabites y ont
enseigné ou étudié.
Ainsi, en 1968, eut lieu à Al-Azhar le plus grand colloque ( Fourth
Conference of the Academy of Islamic Research ) jamais consacré à la théorie
du jihad , où furent invités les principaux théologiens musulmans. Reprenant
dans un manuel de plus de 1 000 pages tous les grands textes de ces
« savants » sunnites, les intervenants démontrèrent l’actualité des théories du
jihad et du butin ( jiziya ). Les actes du colloque concluaient ainsi : « Le
jihad ne terminera jamais, il durera jusqu’au jour de la Résurrection, quand
ses buts seront atteints, par le rejet de l’agression et la reddition de l’ennemi
[…] Le jihad a renforcé la religion et augmenté le nombre de fidèles d’Allah
[…]. Pour ceux qui sont loin, le jihad est un devoir par procuration. Les
différents moyens de soutenir et consolider les combattants du jihad, tels
l’apport financier, l’usage de la langue et de la plume, le recours aux
tactiques politique, font partie du combat. Le jihad a été légiféré pour devenir
un moyen de propagation de l’islam. En conséquence, les non-musulmans
doivent venir à l’islam soit de leur plein gré, soit par la force. La guerre est à
la base des relations entre les Musulmans et leurs adversaires, à moins qu’il
y ait une raison valable pour faire la paix, par exemple l’adoption de l’islam
par l’adversaire ou un traité de paix mutuel. Mais les Musulmans sont libres
de rompre leur pacte avec leurs ennemis s’ils suspectent ceux-ci de vouloir
60
les trahir » .
Concernant les non-musulmans et les chrétiens, Al-Azhar n’a par ailleurs
jamais brillé par sa tolérance et son ouverture. « La foi en Dieu est commune
entre vous, chrétiens, et les idolâtres, tandis que la foi musulmane n’est pas
semblable à la foi chrétienne » ont expliqué les théologiens égyptiens d’Al-
61
Azhar . Véritables « théophages », puisque lors de la communion ils
mangeraient un « Dieu fait chair », les chrétiens y sont présentés comme plus
proches des païens que des Juifs. On comprend mieux de ce fait pourquoi les
chrétiens coptes sont honnis par tant d’Égyptiens fanatisés par les théologiens
de l’université. Enfin, si Al-Azhar n’a jamais désavoué théologiquement
l’islam fréro-salafiste qui l’a gangrénée, elle a en revanche toujours condamné
et excommunié les savants modérés-réformistes, à commencer par le célèbre
imam Abdel Razeq, qui fut accusé d’apostasie pour avoir écrit un ouvrage
réformiste en 1925 (« L’islam et les fondements du pouvoir »), ou, plus
récemment, le théologien réformiste Abou Zeid, accusé de rationalisme
mutazilite hérétique, et la plupart des penseurs qui remettaient en question la
violence sacrée et les grandes inégalités du corpus islamique.

L’avis du Frère du fondateur des Ikhwan :


Gamal Al-Banna, takiyya ou recul réaliste ?
Au mois de juillet 2007, dans le cadre d’un reportage sur les Frères
musulmans, nous avions rencontré au Caire, en Égypte, la mémoire vivante
de l’organisation, véritable gardien du temple de La Confrérie : Gamal al-
Banna, frère de Hassan et légataire de documents originaux inhérents à La
Confrérie.
L’octogénaire, qui nous avait reçus attablé derrière une pile de livres
anciens, avait accepté de nous parler des origines de La Confrérie : « À
l’époque, il y avait un vide religieux. Hassan l’a rempli avec sa Confrérie. Au
début, c’était un mouvement modeste, qui ne comptait que six personnes. Elle
était composée de travailleurs manuels, de chauffeurs et d’artisans qui
travaillaient au canal (de Suez). Peu de gens ont compris le sens de son
travail, même au sein de l’organisation », nous expliqua-t-il. « Je crois que
c’était un idéaliste, qui avait une vraie vision de ce que pouvait être l’islam
politique. Il faut toutefois replacer son action et ses propos dans un contexte
historique qui n’est plus d’actualité. Je pense que s’il a influencé
profondément les Frères actuels, rares sont parmi eux ceux qui mesurent la
portée de ses textes. Quoi qu’il en soit, son héritage demeure et les Ikhwan
représentent une véritable force d’opposition et de proposition, même s’ils
sont contraints de se faire discrets ou de se cacher ».
Lorsque nous avions évoqué le cas de son petit-neveu Tariq Ramadan, il
nous sourit et observa : « Mon neveu ? Il est intelligent. C’est peut-être le
plus intelligent de la famille. Mais personne, au sein de l’organisation, ne le
considère comme l’un de ses membres. Non. Je dirais plutôt que c’est une
sorte de VIP, qui relaye le discours d’Hassan al-Banna dans les médias, et
qui a assis sa légitimité sur le fait qu’il était son petit-fils. De mon point de
vue, il a tout d’un jet-setter. Tariq, c’est en quelque sorte une bouteille de
ginger ale . Vous savez, ce soda qui ressemble à de l’alcool, mais qui n’en est
pas… Et bien c’est pareil. Il ressemble à un Frère et il a le discours des
Frères en apparence. Mais il n’en est pas un. Il connaît bien sûr en partie
l’œuvre de son grand-père, qu’il n’a cependant pas lue entièrement, car je
suis l’un des rares à disposer de ce qui reste de ses textes (…). En fait, ce que
je veux vous dire, c’est que par son mode de vie, il ne peut pas être considéré
comme un membre de La Confrérie, car il s’expose trop, qu’il évolue dans un
monde superficiel, ce qui est contraire aux règles. De toute façon, que
connaît-il à nos problèmes, aux problèmes des Égyptiens ou des Arabes ?
C’est un occidental. Il a trouvé une façon de se médiatiser, et apparemment,
ça marche bien pour lui. Oui, voilà. C’est un homme de médias ». À la fin de
l’entretien, le petit homme aux yeux perçants (rasé de près) se leva
péniblement de sa chaise, nous montra une photo de son frère, quelques vieux
journaux des années trente, puis nous dit : « Vous voyez. Tout est là. Enfin, ce
qu’il reste, car beaucoup de choses ont été détruites ou confisquées il y a très
longtemps par la police ». En fait, si à l’instar de Tariq Ramadan nombre de
partisans des Frères nient leur appartenance à La Confrérie, ou si vice-versa ,
nombre de musulmans se disent fréristes sans être membres de l’Organisation,
ou sans être reconnus comme tels par La Confrérie, ce n’est pas forcément à
mettre sur le compte du mensonge. Comme pour faire écho aux propos de
Gamal al-Banna, Azzam Tamimi, l’une des figures mondiales de la nouvelle
garde des Ikhwan , nous l’a expliqué récemment : « Les Frères musulmans ne
sont pas juste une organisation. C’est en fait une idée qui fait consensus pour
la plupart des musulmans. C’est pourquoi lorsque vous voyagez à travers le
monde et que vous parlez d’eux, vous pensez probablement que tout le monde
en est membre, ce qui bien sûr n’est pas vrai. Le nombre de Frères stricts est
limité. Mais c’est l’idée qui rassemble les gens (…). La compréhension de
l’Islam des Frères musulmans est plus proche de ce que la plupart des
musulmans croient ».

1 . Voir le documentaire Les VRP de la Charia – Arte 2007, par Emmanuel Razavi et Dominique
Hennequin
2 . Akef, 2005b, cité par Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères musulmans… »,
idem .
e
3 . Ce mouvement nationaliste, politique et culturel né à la fin du XIX siècle, prônait l’unité de
tous les Arabes et le retour à l’héritage arabo-musulman.
4 . Edouard Brémond (né le 5 novembre 1868 et mort le 22 novembre 1948) fut l’un des
principaux acteurs de la révolte organisée par le Chérif Hussein de la Mecque, dont il conseilla les
forces.
5 . Issu de la dynastie Hachémite, Hussein ben Ali, né en 1853 à Istanbul, roi du Hedjaz de 1916 à
1924, est mort le 4 juin 1931 à Amman (Jordanie). Lors de la conférence des dirigeants arabes de
mai 1915 à Damas, il fut reconnu comme le porte-parole de la « Nation arabe ».
6 . Lire Lawrence d’Arabie de Jérémie Wilson (Editions Denoël, 1994).
7 . Fayçal ben Hussein al-Hachimi Eljai, né le 20 mai 1885 à la Mecque, fut le premier roi d’Irak
er
sous le nom de Fayçal I de 1921 à sa mort en 1933, après avoir été le premier et seul roi de Syrie
du 7 mars au 27 juillet 1920.
8 . « Cher Lord Rothschild, J’ai le grand plaisir de vous adresser, de la part du Gouvernement de
Sa Majesté, la déclaration suivante, sympathisant avec les aspirations juives sionistes, déclaration
qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui. Le Gouvernement de Sa Majesté envisage
favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les Juifs et emploiera tous ses
efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui
puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en
Palestine, soit aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste »
Arthur James Balfour .
9 . De 1920 à 1923, il est muezzin à la mosquée de l’école de Damâhur, fonction qu’il accomplit
avec tellement de zèle qu’il proteste contre l’horaire des cours qui ne tiennent pas compte des
heures de la prière.
10 . En référence à 1984 de George Orwell.
11 . Ce système d’organisation pyramidale a inspiré Khomeiny lors de sa prise de pouvoir en 1979
et les fondateurs d’al-Qaïda.
12 . L’assemblée des sages.
13 . « La base » se disant al-Qaïda en arabe.
14 . Dès 1937, Al-Banna prit comprit l’importance de l’embrigadement et créa une cellule
nommée « la famille », composée de 5 à 10 personnes devant passer ensemble deux nuits par
semaine, étudier les écrits du Guide, prier et se constituer une « personnalité totalement
islamique ».
15 . Cf, Mitchell et Gilles Képel, « Les Frères musulmans », in Histoire , N° 26.
16 . Alain Gresh, Tariq Ramadan, L’Islam en questions , Sindbad-Actes Sud, 2000, p. 29.
17 . Voir thèse de doctorat d’Alexandre del Valle « L’Occident face à la seconde décolonisation
portée par les idéologies islamistes et indigénistes, de la guerre froide à nos jours », Université Paul
Valéry – Montpellier III, 2012.
18 . Né à Harran en Turquie en 1263 et mort à Damas en 1328.
19 . Fath Al-Bari, 6/30 et Tafsir Al-Qourtoubi, 7/151.
20 . Republié en français et commenté par Laoust en 1939.
21 . Taimiyya, « Siy’asa Shar’iyya » , Laoust 1939.
22 . Cf, Olivier Carré, Les frères musulmans, 1928-1982 , L’Harmattan, 2002.
23 . Cité par Rochdy Alili, Qu’est-ce que l’Islam ?, Paris, La découverte & Syros, 2000, p. 323.
24 . Cf, Alexandre del Valle, Le totalitarisme islamiste , 2002, Les Syrtes ; Les Vrais ennemis de
l’Occident , 2016, Toucan, 2017.
25 . Cf, Mitchell et Gilles Képel, « Les Frères musulmans », in Histoire , N° 26, septembre 1980.
26 . Lire à ce sujet Le Fascisme islamique – Une analyse d’Hamed Abdel-Samad , éditions Grasset
2017.
e e
27 . Il y eut trois divisions SS musulmanes : La 23 division SS de montagne Kama - 13 division
e
SS de montagne Handschar et la 21 division de montagne Skanderberg
28 . Lurçat, Pierre Le Sabre et le Coran , Op. cit. , p. 56.
29 . Lurçat, Pierre, Le Sabre et le Coran , Op. cit ., p. 207.
30 . Qardaoui : « Après Hitler, les musulmans puniront les Juifs », Point de Bascule , 28-30
janvier 2009.
31 . Émission du 3 février 2006, « Youssef al-Qardaoui appelle à la colère contre les caricatures de
o
Mahomet et prend la défense de l’intellectuel négationniste Roger Garaudy », L’Arche , n 575,
mars 2006.
32 . Voir la vidéo du discours de Nasser : https://www.lepoint.fr/societe/quand-nasser-ridiculisait-
les-freres-musulmans-29-04-2016-2035815_23.php
33 . Son frère, Muhamad, soutient que ses critiques de la monarchie furent la vraie raison de son
éloignement.
34 . Olivier Carré, « Le combat-pour-Dieu et l’État islamique chez Sayyid Qotb, l’inspirateur du
radicalisme islamique actuel », Revue française de science politique, 1983, 33, 4, pp 681-705.
pp. 680-705.
35 . https://data.bnf.fr/fr/14553959/sayyid_qut_b_a_l_ombre_du_coran/
36 . Gilles Kepel, op. cit ., p. 488.
37 . Attention, ce que les Frères appellent « l’ignorance », ce n’est pas du tout la barbarie inculte,
anti-philosophique et l’obscurantisme comme on l’entend en Occident, mais au contraire l’apport
de la culture gréco-romaine, dont la philosophie et le droit ont inspiré la démocratie et le
libéralisme occidentaux, étrangers et « ennemis de la volonté de Dieu ».
38 . L’objectif stratégique suprême de la hakimiyya est de soumettre la Oumma tout entière aux
lois théocratiques d’un Califat géré par une choura (« assemblée de sages ») que Mahfoud Nahnah,
leader historique des Frères algériens, nomme la « chouracratie » .
39 . In Ronald L. Nettler, Past Trial and Present Tribulations : A Muslim Fundamentalist’s View
of the Jews , Oxford et New York, Pergamon Press, 1987, pp.30-67.
40 . Cité par Paul Berman, Les Habits neufs de la terreur, 2004, tr. Fr. Richard Robert, Paris,
Hachette Littératures, 2004, p. 114.
41 . Résistance ! Antoine Peillon, éditions Le Seuil, 2016 – 320 pages.
42 . Olivier Carré, « Le combat-pour-Dieu et l’État islamique chez Sayyid Qotb, l’inspirateur du
radicalisme islamique actuel », Revue française de science politique , 1983, 33, 4, pp 681-705.
43 . Jamaat e-islam, GlobalSecurity.org, 7 janvier 2007.
44 . Sayyid Abul Ala Mawdudi, Towards Understanding the Quran [« Vers la compréhension du
Coran »] Chapitre 7, Lahore, Pakistan.
45 . GlobalSecurity.org : Jamaat e-islam.
46 . K. Siddiqui, 1990, Cf Institute of Contemporary Islamic Thought Revue, Crescent
International , Zafar Bangash (2009). cf aussi Siddiqui, K. « Kalim Siddiqui : “l’affaire Rushdie est
une conspiration anti-musulmane” », P. Hazan, Journal de Genève , juillet 1990.
47 . Forte de 6 000 mosquées, 450 filiales, deux millions de membres, la Gamia Charia est « État
dans l’État » selon Sarah Ben Néfissa (cf, Salaün, 2006).
48 . Salaün, 2006, cité par Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères
musulmans… », idem.
49 . Frères musulmans en Jordanie, http://www.ikhwan-jor.com .
50 . Saïd Ramadan a épousé la fille aînée de Hassan al-Banna, qui lui a donné cinq garçons, dont
Tariq, et une fille.
e
51 . Pseudo choisi en mémoire d’un guerrier jihadiste célèbre du XII siècle qui se battait contre
les croisés.
52 . Dans le New Yorker , Salahuddin a avoué : « Je l’ai tué. […] C’était un acte de guerre et […]
un devoir religieux ».
53 . Robert Dreyfuss Hostage To Khomeiny , 1980 p. 174-175. Salahuddin n’a pas confirmé ce fait
mais a affirmé son attachement à Saïd Ramadan dans un article du New Yorker , 2002.
54 . Le Temps , « Tariq Ramadan et l’Iran : quels liens ? », 1er février 2010.
55 . Voir « Timbre commémoratif du martyre de Sayyid Qutb Iran 1984 : ttp ://www. ikhwan.
whoswho/blog/archives/8770.
56 . En Iran, le Velayat-e faqih , sorte de conseil de la guidance islamique, confère au pouvoir
religieux la primauté sur le politique. Le faqih est considéré comme le guide suprême de la
république islamique.
57 . Jenna Le Bras, « Islam : Al-Azhar, ou l’impossible réforme », Jeune Afrique , 17 juillet 2015.
58 . Ibid.
59 . Geneive Abdo, No God but God : Egypt and the Triumph of Islam, Oxford, Oxford University
Press US, 2002, p. 173.
60 . Ibid. , pp. 49-55.
61 . Revue officielle de l’Université d’Al-Azhar, 1979, citée par Péroncel-Hugoz, in Le Radeau de
Mahomet , op. Cit , p. 27.
CHAPITRE II

Les Ikhwan à l’assaut du dar al-Harb et


du joyau européen
« On observe une volonté de se distinguer du reste de la population,
d’apparaître comme une communauté à part, voire même en rupture pour
les plus radicaux . Les questions du halal et du voile agissent ici comme des
marqueurs de distinction, des leviers identitaires, des normes et des
modèles qui influencent le quotidien (…) le chiffre des 28 % de musulmans
classés comme “sécessionnistes et autoritaires” (…), est la résultante d’un
travail idéologique mené depuis plusieurs années par différents
mouvements qui se sont superposés : la prédication (Tabligh) dans les
années 1980, la mobilisation identitaire (frérisme) entre 1989 et 2005, un
mouvement obnubilé par la pratique religieuse (le salafisme)(…)»
Hakim al-Karoui
(La fabrique de l’islamisme ,
Institut Montaigne)

L’Occident : terre d’asile ou terre de Jihad


pour les Islamistes radicaux ?
Youssef Al- Qardaoui a été un des premiers penseurs fréristes à réfléchir
en profondeur à la façon de combiner l’impératif de conquête mondiale avec
une praxis tactiquement non violente capable de séduire les élites
occidentales. Il explique ainsi qu’en Europe et en territoire non musulman,
l’impératif islamique chariatique de combattre par le Jihad ou de fuir la
« société infidèle », pour gagner une terre islamique ( hijra vers le dar-al-
Islam , comme le prône Daech dans ses revues), s’exprime de manière
différente suivant les contextes et les rapports de force. Rappelons que
l’orthodoxie islamique sunnite (à laquelle se réfèrent les islamistes) divise le
monde en différentes zones ennemies : la « demeure de l’Islam » ( dar al-
islam ) – l’ensemble des pays où l’islam domine – et la « demeure de la
guerre » – ( dar-al-harb ), le monde infidèle, avec lequel la Oumma
musulmane ne peut théoriquement entretenir que des relations conflictuelles
tant que les infidèles ne sont pas convertis ou soumis à l’ordre islamique.
Dans le dar-al-islam , les non-musulmans sont « tolérés » moyennant le
paiement de la jiziya (tribut) et un statut de soumission-humiliation, à
condition toutefois d’être adeptes d’une religion abrahamique et de s’abstenir
de tout prosélytisme. Quant au dar-al-harb , il constitue un espace
géopolitique et religieux spirituellement « mécréant » et politiquement hostile
que le musulman ne peut en principe que fuir ou combattre. Les penseurs
jihadistes de Daech et Al- Qaïda, minoritaires au sein de la mouvance
islamiste-salafiste mondiale, sont adeptes de cette vision classique dominante.
Toutefois, Qardaoui rappelle qu’il existe une exception : les musulmans
peuvent dans certains cas contracter une trêve précaire avec les mécréants de
la « demeure de la guerre », si cette « trêve », due au principe de nécessité (
darura ) permet aux musulmans contraints de résider dans le dar-al-harb , d’y
prêcher leur doctrine, sans exiger en contrepartie le même droit de prédication
non musulmane en terre d’Islam. Youssef al-Qardaoui constate dès lors que si
les islamistes peuvent s’exprimer plus librement en terre occidentale que dans
leurs pays d’origine, ils n’ont aucun intérêt à prôner le jihad offensif et
doivent privilégier le jihad de la « prédication » pacifique ( da’ wa ).
Cette position de conciliation a été adoptée par toute la mouvance
islamiste européenne issue des Frères ou influencée par eux, de Tariq
Ramadan à Tareq Oubrou. Pragmatiques, ces islamistes « pacifistes »
estiment que la violence légale recommandée par la charià et le Coran face
aux mécréants du dar al-harb serait totalement contre-productive pour la
communauté musulmane puisque celle-ci est déjà pleinement libre de
s’étendre par la démographie et le prosélytisme, parfois même avec l’aide
financière des sociétés d’accueil. Cette situation intermédiaire, qui montre
bien que les organisations islamistes sont parfaitement conscientes que
l’Europe est loin d’être « islamophobe » – a contrario de ce qu’ils affirment
pour obtenir toujours plus de concessions – est nommée « terre de la
1
conciliation » ( dar-al-ahd ) ou « demeure de la prédication » ( dar-al-da’wa
, en référence à l’impératif de prosélytisme), idée également développée par
Fayçal al-Malawi, qui considère l’Europe non plus comme terre de la guerre
2
mais « demeure du contrat » ( dar al Sulh ) . D’autres parlent de dar al-
Shahada , ou « terre du témoignage ».
D’une manière générale, les Frères musulmans européens ont su
habilement renouveler l’approche de la jurisprudence islamique traditionnelle,
sans pour autant la contredire, ciblant la situation particulière des minorités
3
musulmanes d’Occident . Tareq Oubrou a ainsi repris le concept de «
4 5
charià de la minorité » , inspiré par Youssef al-Qardaoui , tandis que Taha
6
Jabir al-Alwani a développé celui, voisin, de « jurisprudence de la minorité
», édulcoré et vulgarisé par celui de « citoyenneté musulmane » élaboré par
Tariq Ramadan. L’idée étant de justifier, sous couvert de droit à la différence
et de liberté du culte, la prégnance de la charià auprès de la Oumma en
Occident.
Pour les Frères musulmans, la présence en Europe de 15 à 20 millions de
musulmans issus de l’immigration peut être la pire des choses si ces
musulmans s’intègrent aux sociétés d’accueil jugées immorales et « impies »
et donc se « désislamisent », d’où la nécessité impérieuse de compromettre
l’intégration via le repli communautaire, ou, à l’inverse, une chance
inespérée, un nouveau « miracle d’Allah », si les musulmans du dar al-harb
se réislamisent et deviennent le point de départ de la « troisième grande phase
d’expansion de l’islam » décrite par l’islamologue Bernard Lewis.
C’est ainsi qu’en Europe, les organisations liées aux pôles officiels de
l’Islamisation mondiale – Frères musulmans, Ligue islamique Mondiale,
Organisation de la Coopération islamique, wahhabisme saoudien, Qatar,
Islamisme turc et indo-pakistanais –, qui se disent les « garants » de l’islam
« orthodoxe », confirment toutes le caractère « licite » de la présence des
musulmans dès lors que ceux-ci se « désassimilent » en se réislamisant et à
condition que le prosélytisme islamique en « terre chrétienne » n’implique
aucune réciprocité pour les chrétiens persécutés dans les pays islamiques.
L’Europe est ainsi perçue de facto comme dhimmie*, ouverte à l’expansion
islamique, civilisationnellement soumise, donc à conquérir pacifiquement
avec son propre concours, plutôt qu’à vaincre par l’épée.

La da’wa ou conquête non violente plus


efficace que le jihad guerrier
Cela dit, croire qu’Al- Qardaoui ou les autres penseurs fréristes précités
auraient renoncé au jihad dans ses fondements théologiques serait une erreur
d’analyse majeure. Dans ses textes en arabe, ce dernier précise que la da’wa
(prédication pacifique) n’est qu’un outil secondaire à utiliser lorsque la force
n’est pas possible, puisque le jihad guerrier reste la meilleure des luttes, la
seule qui garantit l’accès au paradis. Toutefois, Qardaoui estime que l’appel
au jihad « défensif » doit être de mise dès que les musulmans se sentent
« opprimés ». Promouvant cette stratégie de paranoïsation, il ne cesse de
décrire dans ses ouvrages un monde islamique perpétuellement attaqué par
pléthore de forces anti-islamiques – Juifs, croisés, libéraux, communistes,
« hypocrites »/ mounafiqoun … –, et n’a de cesse de victimiser les
7
musulmans en Occident . Dans ce contexte, il est clair que les frontières
entre jihad défensif et offensif s’estompent. Ainsi, les dessins humoristiques
se moquant du prophète sont-ils une attaque contre l’islam ? Al-Qardaoui a
fourni des réponses limpides à ces questions puisqu’il qualifie les musulmans
libéraux « d’apostats » méritant la mort.
Interrogé sur l’assassinat, en 1992, de l’auteur laïc-libéral égyptien Farag
Foda par les jihadistes du groupe Gamaà islamiyya, il a violemment dénoncé
l’écrivain comme faisant partie de « ceux pour qui être apostat ne suffit pas,
8
et qui cherchent à propager l’apostasie » , plutôt que de condamner ses
assassins. En 2005, à la suite de l’affaire des caricatures de Mahomet publiées
dans le journal danois Jyllands-Posten , il a publiquement lancé une fatwa de
mort, retransmise à la télévision d’État qatarie contre les caricaturistes du
9
Danemark . Charlie Hebdo , qui voulut défendre ses confrères danois, n’a
pas davantage trouvé grâce à ses yeux. En outre, il a notoirement justifié ses
opérations suicides contre des civils israéliens et syriens, puis émis des fatwas
appelant à l’assassinat de l’ex-président égyptien Moubarak, ou justifiant
celui de Kadhafi. En 2012, il a même validé des opérations de « martyrs » en
Syrie, même lorsqu’elles impliquaient des civils, pour autant que le groupe
10
islamiste sunnite responsable de l’attaque les ait jugées nécessaires . Déjà,
en 2003, lors de la onzième session du Conseil européen de la recherche et de
la fatwa , basé à Dublin, Qardaoui avait décrété que « les opérations de
martyrs menées par les factions palestiniennes pour résister à l’occupation
sioniste ne sont en aucune manière incluses dans le cadre du terrorisme
11
prohibé, même parmi les victimes figurent des civils » , pour la bonne
raison qu’en Israël, tout le monde est un réserviste, et que même les bébés
innocents sont de futurs militaires « tueurs de Palestiniens », donc des cibles
licites, dans le cadre de ce qu’il nomme le « jihad de nécessité ». Il en a
d’ailleurs réitéré les contours sur Al- Jazeera et la BBC, ajoutant qu’il
considérait « ce type d’opération martyre comme une preuve de la justice de
12
Dieu » . Voilà qui préside aux destinées de l’islam européen de tendance
Frère musulman…
En fait, le guide spirituel/téléprédicateur préféré des Ikhwan explique que
s’il est matériellement impossible d’adopter la règle islamique par la force, les
musulmans doivent faire preuve de « patience » ( saber ) et adopter
l’approche plus subtile de la da’wa , qui consiste à essayer de changer les
« actes pervers » au moyen de mots, de l’écriture, de la prédication, donc en
« instruisant ». La da’wa est ici présentée non pas comme un instrument de
dialogue, comme cela plaît tant aux chrétiens œcuméniques ou aux
multiculturalistes naïfs, mais comme un autre outil de conquête dans le cadre
de la tactique « gradualiste » des Frères. Ce n’est pas par hasard si, dans son
traité sur le jihad ( Fiqh al-Jihad ), Al-Qardaoui décrit les médias et les
moyens de communication comme des « armes d’un nouveau jihad de
13
l’époque » . Pour lui, les soldats de cette guerre non armée sont les
musulmans d’Occident appelés à former des communautés parallèles «
14
immunisées contre le poison des valeurs et des mœurs occidentales » , de
véritables ghettos où ils doivent disposer de « leurs propres communautés
religieuses, éducatives et sociales, même les institutions de divertissement »
15
. Conformément au fameux « Projet » (voir infra , chapitre II) des Ikhwan ,
Al-Qardaoui appelle ainsi l’avant-garde frériste des musulmans du dar al-
da’awa à « infiltrer les infrastructures sociales et politiques des sociétés
16
occidentales afin de les subvertir de l’intérieur » . Pour le téléprédicateur,
cette Da’wa est l’outil majeur permettant de promulguer la conquête de
l’Europe afin de la sauver de sa condition « misérable », de son
« immoralité », de son « matérialisme déchaîné », et de l’horrible «
promiscuité qui permet aux hommes d’épouser des hommes et aux femmes
17
d’épouser des femmes » .

Allemagne et Suisse :
terres de mission et de prospérité pour les
Ikhwan européens
Avant qu’Al-Qardaoui ne devienne une sorte de Pape des grandes
institutions islamistes fréristes européennes, c’est Saïd Ramadan qui a été le
pionnier de l’implantation frériste en Europe. Le gendre de Hassan al-Banna
trouva en effet refuge en Europe parce que lui et son beau-père estimaient que
l’Europe libérale-démocratique – durablement traumatisée et culpabilisée par
les horreurs du totalitarisme nazi et le colonialisme – était « mûre » pour
devenir à la fois un refuge et une terre de mission pour les Frères. C’est ainsi
que les Frères égyptiens et Saïd Ramadan ont implanté, outre-Rhin chez nos
voisins helvétiques, les plus anciennes organisations islamiques européennes :
la Communauté islamique d’Allemagne (Islamische Gemeinschaft
18
Deutschland (IGD)) , qu’il dirigera jusqu’en 1968, avant d’être évincé par
son partenaire, Ghaleb Hammit ; le Centre islamique de Munich ; le Centre
islamique de Genève (1961), et même le centre islamique de Londres, en
partenariat avec des musulmans indo-pakistanais. Saïd Ramadan obtint pour
cela du prince saoudien Fayçal un soutien financier.
Suivant le cahier des charges missionnaires légué par son beau-père, Saïd
voyait à juste titre dans la Suisse neutre – en pleine Mittle Europa – la base
arrière géopolitique et financière idéale des Ikhwan sur le Vieux Continent.
Situé tout près du lac Léman, le Centre islamique de Genève qu’il créa à la fin
19
des années 1950, cofinancé par Riyad , est ainsi demeuré jusqu’à
aujourd’hui sous la coupe de la dynastie Ramadan.
En 1959, le très multinational Saïd obtint en parallèle de ses activités un
20
doctorat de droit (jurisprudence de la charià ) à l’université de Cologne,
dont la publication eut un fort retentissement sur la mouvance islamiste
mondiale. Son directeur de thèse le trouvait alors « intelligent mais un petit
21
peu fanatique » . En 1964, il établit un nouveau centre frériste à Londres,
autre fief grandissant des Ikhwan . Ironie de l’histoire, alors que son père avait
farouchement combattu l’empire britannique, Saïd Ramadan, comme Tariq
plus récemment, s’offrit le luxe d’enseigner dans la plus prestigieuse des
universités anglaises. En 1973, il participa d’ailleurs à l’établissement du
Conseil islamique européen à Londres. Les Saoudiens lui versaient alors un
salaire 12 000 francs suisses mensuels, puis ils le nommèrent Ambassadeur de
la Ligue islamique mondiale (LIM). Riyad finança enfin Al-Mouslimoun, sa
revue anti-occidentale aux positions antisémites.

Les amitiés helvético-nazies de Saïd


Ramadan
Durant son exil doré à Genève, Saïd Ramadan devient aussi l’ami et le
e
partenaire d’affaires de François Genoud, banquier suisse du III Reich et
légataire testamentaire d’Adolphe Hitler, qui s’est d’ailleurs converti à l’islam
au contact des milieux palestiniens et fréristes. Rappelons que Genoud, en
tant que financier et idéologue dévoué corps et âme à Hitler et invité par ce
dernier à appuyer la cause arabo-islamique pour poursuivre la lutte contre les
Juifs, a passé sa vie à recycler l’argent du régime nazi au profit des
nationalistes arabes, des terroristes palestiniens et des Frères musulmans. On
retrouva également en Suisse, autour de la famille Ramadan, l’ancien
journaliste helvétique néo-nazi Ahmed Huber – proche de François Genoud –
qui demeura jusqu’à la fin de sa vie un compagnon de route des Frères, tout
en restant fidèle à son idéal nazi. Converti à l’islam en 1962 au Centre
islamique de Genève, il établit ainsi de solides relations avec le régime
nationaliste nassérien et les Frères égyptiens. Lors de ses voyages en Égypte,
22
Huber se lia d’ailleurs d’amitié avec d’anciens dignitaires nazis allemands,
parmi lesquels le plus connu et haut « gradé » était Johannes von Leers, alias
Omar Amine (qui fut le bras droit de Goebbels pour la « propagande anti-
juive », et se convertit à l’islam au contact des Frères). Détail intéressant,
Ahmed Huber, très connu au sein de la nébuleuse négationniste islamo-nazie,
fit la connaissance, en Suisse, de Youssef Nada, le banquier en titre des Frères
musulmans, créateur de la Al-Takwa Bank (voir chapitre III ), basée en Suisse
italienne à Lugano. En 1988, Ahmed Huber et François Genoud siégeaient
ainsi au conseil d’administration de la banque de Youssef Nada, dont le rôle
était de financer les projets des Ikhwan à travers le monde. Dans les années
1990, Huber se rendait ainsi régulièrement à des événements du Muslim
Student Organization aux États-Unis, une organisation liée à la section locale
23
des Frères . Il était également devenu proche de la révolution islamique
iranienne, tenant un rôle d’intermédiaire entre les Ikhwan et l’Iran
24
khomeyniste .

Jugé dangereux par les services suisses,


mais protégé par les autorités fédérales
Malgré son radicalisme, les autorités suisses tolérèrent les activités
subversives de Saïd Ramadan, alors que le gendre d’Al-Banna ne possédait
même pas de permis de résident. Il fut en fait protégé grâce à deux facteurs :
son statut d’opposant « persécuté » et menacé par les services égyptiens, et sa
qualité de protégé officiel de plusieurs monarchies arabes et même des
services secrets britanniques et américains.
Dans son exil genevois, Saïd Ramadan fut en effet un temps menacé d’être
enlevé par des agents égyptiens. Les archives de Berne concernant les Frères
musulmans suisses et Saïd révélèrent que les services spéciaux du Caire
tentèrent même de le faire assassiner sur place, ainsi que le confessa son
ancien secrétaire personnel, Jawad el Ousta. La police suisse l’apprit et
expulsa les commandos égyptiens mis en cause. La République arabe unie
(nom de l’Égypte nassérienne à l’époque) accusa alors la Suisse de tolérer sur
son sol les activités d’un opposant islamiste dangereux, d’où l’ouverture
d’une enquête sur lui.
En février 1966, des responsables du renseignement helvétique le jugèrent
donc tout de même « indésirable », mais le département politique (Affaires
étrangères) lui sauva la mise en affirmant qu’il « incarne la tendance
conservatrice, pro-occidentale, qui de notre point de vue n’est pas
antipathique », relevant par ailleurs que Saïd « jouit de la protection du roi
Faisal d’Arabie saoudite », qu’il était un « personnage clé des intrigues
interarabes » et que « les services secrets anglais et américains suivent ses
25
activités avec bienveillance » . Opportuniste, le beau-fils d’Al-Banna
s’était en effet rapproché des anciens ennemis anglo-saxons, notamment des
services secrets américains, qui voyaient alors dans les Ikhwan des alliés
objectifs face à Abdel Nasser, aux mouvements panarabes du Moyen-Orient
et au communisme prosoviétique.
En 1953, Saïd participa dans ce contexte à un colloque sur la culture
islamique à l’université de Princeton, sous l’égide de la Bibliothèque du
Congrès, lequel officialisa peu après les relations entre le gouvernement des
États-Unis et des mouvances islamistes fréristes, indo-pakistanaises et
wahhabites. La même année, le président Eisenhower reçut à la Maison
Blanche une délégation d’islamistes au sein de laquelle figurait un certain
Saïd Ramadan. Cette alliance « islaméricaine » atteignit son apogée durant la
guerre d’Afghanistan marquée par l’aide de la CIA à la « résistance »
islamiste afghane face à l’armée russo-soviétique. Elle donna d’ailleurs
naissance à l’ancêtre d’Al- Qaïda, (« la base », en arabe, sous-entendu base de
volontaires/légions arabo-musulman(e)s pour le jihad afghan), centrale
terroriste créée par l’ancien sympathisant Frère musulman palestinien
Abdullah Azzam (voir chapitre III ) et son disciple milliardaire saoudien
Oussama ben Laden.
Les autorités suisses finirent par conclure que Saïd Ramadan était de facto
un « allié », face au communisme. C’est d’ailleurs à ce moment que son
passeport diplomatique jordanien lui fut retiré sous la pression de l’Égypte
nassérienne. Étonnament complaisants, les diplomates suisses savaient
pourtant que le Centre islamique de Genève diffusait, dans son journal Al-
Mouslimoun , une propagande politique islamiste radicale virulente, certes
anticommuniste et anti-nassérienne, mais également violemment anti-
occidentale et anti-juive. Un orientaliste travaillant pour l’ambassade de
Suisse au Caire, Robert Rahn, chargé d’analyser son contenu, constatait qu’y
transparaissait « un dénigrement systématique de tout ce qui est occidental »
26
. Dans l’un des numéros de 1964, il relevait une « violente attaque contre le
sionisme et l’alliance qu’il sut conclure avec l’idéologie des Croisés » :
Israël y était mentionné comme « une incarnation de la pensée de l’enfer »
obéissant au « Protocole des Sages de Sion », titre du célèbre best-seller
antisémite qui inspira Hitler. Les Occidentaux étaient désignés comme des «
Croisés motivés par la jalousie et une haine profonde de l’Islam ».
Saïd Ramadan et son éditeur avaient pourtant promis aux autorités suisses
qu’il s’abstiendrait de toute activité politique sur le territoire de la
Confédération… Les autorités helvétiques décidèrent alors que Saïd devait
quitter Genève avec sa famille avant le 31 janvier 1967. Six mois après,
l’exilé égyptien était toujours là, le Département politique estimant que si le
régime de Nasser venait à s’écrouler après la guerre des 6 jours, « il se peut
que les amis de Saïd Ramadan prennent le pouvoir dans les mois à venir dans
l’un ou l’autre État qualifié de progressiste ou socialiste, mais sévèrement
ébranlé par les derniers événements » (…). « Saïd Ramadan est, entre
27
autres, un agent d’informations des Anglais et des Américains » . Les liens
privilégiés de Ramadan avec des services secrets anglo-saxons ont été attestés
dans des documents d’archive. Dans les années 1980, Saïd Ramadan vit
toutefois ses financements en provenance d’ Arabie saoudite peu à peu
coupés. La publication de son journal fut interrompue. C’est à ce moment que
ses fils Tariq et Hani l’aidèrent à poursuivre son projet visant à « acclimater
et diffuser en Europe les idées islamistes – radicales ou modérées », selon les
28
goûts – que leur a léguées l’ancien théoricien des Frères » .
Contrairement à leur père, les enfants de Saïd Ramadan sont Suisses de
plein droit, intégrés socialement, culturellement et professionnellement,
légalement inexpulsables, et ils connaissent bien mieux de l’intérieur l’âme
culpabilisée des Européens. Quand Saïd mourut, en 1995, le nouveau Conseil
de direction de la mosquée et du Centre islamique de Genève fut donc confié
à son fils aîné, Ayman. Une fonction qui incomba par la suite à Hani
Ramadan, lequel en demeure d’ailleurs toujours le directeur, secondé par
Wafa, la fille d’Hassan al-Banna, Arwa et ses trois autres fils Yasser, Bilal, et
Tariq Ramadan. Dans le cadre de sa stratégie médiatique de respectabilisation
(avant d’avoir des déboires avec la justice pour affaires de mœurs), ce dernier
a cependant toujours prétendu qu’il n’avait rien à voir avec l’organisation des
Frères en tant que telle. Pourtant, le registre du commerce du canton de
Genève indique que la composition du Conseil de direction du Centre
islamique de Genève n’a pas changé depuis des décennies et que tous les
frères Ramadan, y compris Tariq, en sont membres.

Le cas de Tariq Ramadan


Auteur de nombreux ouvrages sur l’islam et l’intégration, présenté comme
« islamologue », Tariq Ramadan, né le 26 août 1962 à Genève, est le cadet de
la fratrie des six enfants de Saïd Ramadan et Wafa al-Banna. Ce petit-fils du
fondateur des Ikhwan est devenu dans les années 1990 une référence au sein
de la jeunesse européenne issue de l’immigration maghrébine. Professeur,
écrivain, prédicateur, Tariq a longtemps été l’islamiste préféré des médias, de
certains milieux universitaires et même de mouvances « antiracistes », avant
29
de chuter subitement en raison d’affaires de mœurs – et non pas pour ses
liens avec la nébuleuse islamiste. Nous ne nous attarderons toutefois pas sur
cette facette de la vie de Tariq dans la mesure où elle est désormais dans les
30
mains des justices française et suisse . En revanche, son parcours associatif,
universitaire et médiatique, construit autour de nombreuses ambiguïtés, grâce
au soutien de puissants réseaux de gauche et qataris, est très éclairant sur la
façon dont un fils de Saïd, qui a bu le lait frériste depuis son enfance, a pu un
moment faire oublier qu’il était un islamiste.
Moins religieux au départ que ses autres frères, sa première passion était le
football : il jouait notamment à Collex-Bossy, en deuxième ligue, et au FC
Perly, dont il devint entraîneur. Alors qu’il aurait pu devenir professionnel, il
décrocha à la fin des années 1980, lorsqu’il s’intéressa plus sérieusement à
l’islam. Il étudia alors l’islamologie et la littérature française à l’université de
31 e
Genève . Désireux de devenir un jour le « réformiste de l’islam du XXI
e 32
siècle comme son grand père au XX » , il suivit la voie indiquée par ce
dernier, en devenant enseignant, à Genève (1988-1992). Souvent décrit
comme défenseur d’un islam « compatible avec les démocraties
occidentales », celui qui a tant contribué à réislamiser toute une jeunesse
islamo-européenne séduite par sa rhétorique enveloppante de la supposée
« identité musulmane » face à « l’islamophobie », est en revanche accusé par
ses détracteurs d’être un adepte de la takiya* , le double discours ou
mensonge pieux. Qu’en est-il vraiment ? La réponse se trouve dans ses écrits.
Si son père, Saïd, a fréquenté en Suisse le gratin nazi autour du banquier d’
Hitler François Genoud et du journaliste néo-nazi Ahmed Huber (voir supra ),
Tariq Ramadan doit quant à lui son ascension à l’alliance tactique qu’il a
scellée très tôt, depuis la Suisse, avec des cercles de la gauche et de
l’extrême-gauche tiermondiste suisse, française et occidentale, même si ce
sont les réseaux fréristes et qataris qui lui ont permis de devenir prédicateur
international et professeur à Oxford. D’après le quotidien suisse Le Temps ,
son engagement politique aurait débuté « dans le sillage des mouvements de
jeunes des années 80, Touche pas à mon pote et SOS-Racisme » . Ses
premiers soutiens auraient été les célèbres époux marxistes-tiersmondistes
suisses Jean Ziegler et Erica Deuber-Pauli. Ces derniers ont exercé un pouvoir
politique et médiatique conséquent en Suisse romande. En 1993, par exemple,
lorsque Tariq Ramadan fit campagne pour faire déprogrammer la pièce de
33
théâtre « Mahomet » de Voltaire (jugée « islamophobe »), donnée à Genève
34
, il fut soutenu par Erica Deuber-Pauli, alors attachée culturelle de la ville .
Faux « réformiste musulman », Tariq gagna alors sa première vraie bataille
obscurantiste contre la liberté d’expression et l’art en terre démocratique.
Il acquit aussi une certaine légitimité au sein des milieux associatifs tiers-
mondistes et humanitaires. Au début des années 1990, il avait notamment
contribué à créer l’association Coopération Coup de main, organisant des
séjours humanitaires en Afrique, au Brésil, en Inde, pour des jeunes de 15 à
18 ans qui donnaient des coups de main dans des dispensaires. Il rencontra
ainsi, avec eux, le Dalaï-Lama, Mère Teresa, Dom Elder Camara – le
fondateur de la théologie de la libération – ou encore l’abbé Pierre ou René
Dumontou. Ces rencontres lui permirent par la suite d’apparaître dans les
médias comme un « modéré » qui coopère « avec des chrétiens et des
35
humanistes agnostiques ou athées » .
En 1995, lorsqu’il se vit interdire par l’ex-DST l’entrée en France à la
suite d’attentats jihadistes et en raison de son idéologie islamiste, l’appui de
ces personnalités « progressistes » et spirituelles s’avérèrent précieuses.
Depuis la Suisse, c’est Jean Ziegler, alors parlementaire socialiste à Berne,
qui le défendit et qui suscita des pétitions d’intellectuels français en sa faveur,
puis exigea que le gouvernement suisse fasse pression sur les autorités
36
françaises . Ces dernières finirent par faire annuler son interdiction de
séjour, à peine la gauche revenue au pouvoir.
En 1991, Tariq Ramadan passa aux choses sérieuses et reprit le fil rouge
ou plutôt « vert » déployé par ses père et grand-père : il se rendit avec sa
femme et ses enfants au Caire afin de poursuivre sa formation en langue arabe
et en islamologie, conscient que sa méconnaissance des sujets islamiques
l’empêcherait d’être porté par les très utiles réseaux fréristes mondiaux. C’est
ainsi qu’entre 1992 et 1993, il étudia les sciences islamiques à l’université Al-
Azhar, où il obtient sept Ijazat (licences dont la détention est obligatoire pour
37
enseigner dans différentes matières islamiques) , ce qui était loin de faire de
lui un « savant » de la théologie et du droit islamique ( fiqh ), mais comblait
les lacunes les plus rédhibitoires pour un futur prédicateur musulman.
Il revint en Suisse en 1994 pour achever une thèse de doctorat sur les
« réformistes » musulmans, commencée en 1990 à l’université de Genève
sous la direction de Charles Genequand, professeur de philosophie et
spécialiste reconnu du monde arabe médiéval. Celui-ci jugea le travail de
Tariq Ramadan faible, apologétique et non académique. L’avis était partagé
par d’autres rapporteurs et futurs membres démissionnaires du jury.
Genequand déclara sévèrement : « C’est une thèse très problématique,
idéologique, tendancieuse, qui n’apporte rien de nouveau . […] J’ai
demandé à Tariq Ramadan de faire des corrections, mais il n’a pratiquement
38
rien changé dans son texte. Je suppose qu’il s’est moqué de moi » . Le
professeur refusa de valider la thèse car Ramadan y présentait abusivement
son grand-père Al-Banna comme faisant partie d’un courant « réformiste », «
en camouflant sa vision au contraire très conservatrice ». Il expliqua que la
thèse n’était qu’« une compilation de textes encyclopédiques, du copié-collé
enveloppé dans un discours apologétique ». Adepte de la takiya et du
renversement, Tariq y affirmait en fait « que la pensée de Hassan al-Banna
[s’inscrit] dans une lignée de penseurs qu’il associe au réformisme salafi »
et « que La Confrérie [des Frères musulmans] ne prônait pas la violence au
moment de sa fondation par Al-Banna ». Il prétendait même que des
éléments communs (et auxquels il s’associait) permettaient de regrouper dans
la catégorie de « réformisme salafi » les pensées distinctes d’Al- Afghani,
Mohamed Abdou, Rachid Rida, Al-Banna et même de l’ultra-fanatique
Saiyyd Qutb. D’ailleurs, Selon lui, « c’est l’assassinat d’Al-Banna en
février 1949, l’empoisonnement de Qutb et la violence du régime de Nasser
qui expliquent principalement la radicalisation des Frères. L’évolution de
l’action et de l’idéologie des Frères musulmans, tout comme pour le
mouvement réformiste en général, est indissociable de la manière dont ils ont
39
été traités par les États, notamment l’Égypte » .
Les parrains politiques gauchistes de Tariq Ramadan, Deuber-Pauli et Jean
Ziegler, menacèrent l’université d’un scandale médiatique et de représailles
politiques si la thèse était rejetée. Genequand persista dans sa décision de
démissionner du jury en signe de protestation contre les pressions de
40
Ramadan auquel il reprocha son « arrogance » . Le second directeur de
thèse, Ali Merad, islamologue de renom, qui émit lui aussi des critiques, se
plaignit également des menaces de plaintes si Ramadan n’obtenait pas son
doctorat : « J’ai été directeur de thèse pendant près de quarante ans. Je n’ai
41
jamais vu un étudiant se conduire de la sorte » . Fidèle à la stratégie
victimaire typiquement frériste, Tariq Ramadan parvint ainsi à intimider les
42
responsables de son université en criant à « l’islamophobie », ce qui, avec
le risque de « vagues » et de scandales médiatiques, les fera finalement plier
43
: la faculté décida en effet de remplacer le jury initial – rigoureux – par un
jury ad hoc – indulgent – notamment Reinhard Schulte, Bruno Étienne (le
professeur marxiste-islamophile aixois ex-conseiller de François Mitterrand),
ainsi que Richard Friedli. Selon le journaliste Ian Hamel, c’est grâce
l’intervention de Jean Ziegler et Erica Deuber-Ziegler puis aux menaces de
44 45
poursuites judiciaires que ce second jury fut formé . Malgré cela, la thèse
, bien que légèrement remaniée, était si subjective et de si faible qualité
académique que le nouveau jury dut donner à l’impétrant la pire note
possible : mention passable sans mérite, ce qui sauva de justesse le doctorat
mais compromit l’espoir de Ramadan d’occuper un poste académique
46
d’envergure en Suisse . Néanmoins, le prédicateur parviendra plus tard à
47
obtenir une chaire d’islamologie à Oxford, financée par le Qatar . «
Rappelons par ailleurs que les émirs du Qatar versent depuis des années à
Tariq Ramadan un salaire mensuel de 35 000 euros, plus 600 000 euros de
48
frais de justice », précise l’expert suisse-italien Stefano Piazza . Bien que
le jugeant superficiel et peu spirituel, les Ikhwan ont vu en lui « un produit
d’appel pour séduire la jeunesse musulmane ».

La « laïcité » des pays « mécréants » du dar


al-Shahada vue comme une ouverture à
l’islamisation
C’est d’ailleurs en poursuivant le travail de jurisprudence islamique
européenne d’Al- Qardaoui que Tariq Ramadan a cherché à répondre, « à la
lumière de la situation moderne » – mais sans renier la doctrine islamique – à
cette question cruciale : « est-il permis aux musulmans de vivre en terre
49
infidèle ? » Nous avons déjà évoqué l’avis d’Al-Qardaoui sur cette
question, et c’est en accord total avec ce dernier que Ramadan explique que «
nous serions proches, en Europe, d’une situation où le musulman peut vivre
pleinement selon le droit islamique », grâce à l’aubaine que sont le pluralisme
religieux, la liberté d’expression et l’indifférence permise par la laïcité
entendue comme une « neutralité bienveillante » à l’anglo-saxonne, et non
comme une mise au pas républicaine des religions. Selon Tariq donc, il
suffirait pour cela de « vivre religieusement ce que le droit laïc n’interdit
50
pas » . Ici, la laïcité des démocraties occidentales sécularisées, qui
fonctionnerait simplement comme un principe d’arbitrage garantissant la
liberté religieuse et non un principe anticlérical, permettrait en fin de compte
aux musulmans de vivre légitimement en terre infidèle (devenue « terre du
témoignage », dar al shahada ) et d’y faire rayonner la lumière de la « vraie
religion », ce devoir capital devant compenser le caractère « anormal » de leur
présence en terre infidèle. Quand bien même les musulmans auraient la
possibilité matérielle de regagner le dar al-islam , Tariq Ramadan déclare
qu’ils peuvent vivre en Occident selon la loi islamique puisque non seulement
il n’y a plus d’état de guerre entre « infidèles » chrétiens devenus
« indifférents » et musulmans, mais aussi parce que les premiers ont
solennellement renoncé à toute forme de prosélytisme et à toute hostilité vis-
à-vis des seconds. Aussi Ramadan estime-t-il que la présence en Europe de
51
millions de musulmans est fondée sur un « pacte implicite » ou « tacite »
, qui fait des pays occidentaux une « terre du témoignage » ( dar al shahada ).
Il explique toutefois qu’adopter la laïcité républicaine telle quelle sans exiger
au préalable des « adaptations » au communautarisme islamique équivaudrait
à une acculturation, une imitation servile de cet Occident ex-colonial qui
nuirait à la survie même de « l’identité islamique ». L’islamiste suisse affirme
de ce fait qu’un musulman ne peut tolérer la laïcité et les lois de la
République que si celles-ci acceptent des « aménagements » qui permettront
d’assurer le « respect de l’identité musulmane et de ses principes de pudeur
52
», comme le voile islamique .
En janvier 2007, la mairie de Rotterdam, qui voyait Ramadan comme un
intellectuel musulman « réformiste » et modéré capable d’œuvrer à
l’intégration, l’avait engagé en qualité de « conseiller en intégration et en
multiculturalisme ». Le petit-fils de Hassan al-Banna fut finalement licencié
en août 2010, lorsque le Maire de Rotterdam se vit reprocher que son
conseiller animait, depuis avril 2008, une émission de télévision sur une
chaîne iranienne – Press TV – financée et pilotée par les services du Guide
53
suprême Ali Khamenei. L’émission était intitulée L’Islam et la Vie , titre
qui rappelait étrangement celle de son mentor sur Al- Jazeera, intitulée La
Charià et la Vie .

Tariq Ramadan et la République islamique


d’Iran
L’émission de Tariq sur Press TV, animée depuis Londres, abordait à
l’instar de celle de Qardaoui les « problèmes rencontrés par les musulmans
en Occident » et recevait régulièrement des « personnalités » musulmanes.
Bien qu’il ait toujours nié avoir soutenu le régime iranien, Tariq Ramadan
savait parfaitement que Press TV , fondée en 2007 et diffusée en anglais, est
une chaîne « publiquement et officiellement affiliée au guide suprême Ali
Khamenei », affirme Mehdi Khalaji, expert au Washington Institute for Near
East Policy, donc qu’il travaillait avec un organisme d’information au service
54
du vrai dirigeant et de l’aile la plus dure du régime islamique iranien . Dans
55
son ouvrage, Frère Tariq , la journaliste Caroline Fourest confirme que «
Tariq Ramadan a toujours dit du bien de l’Iran, même au pire de la
répression (…). De plus, même si l’intellectuel genevois est inconnu en Iran,
son émission sur Press TV, jugée utile par le régime iranien, est très suivie ».
Comme nombre de Frères musulmans – notamment ceux les plus engagés
aux côtés du Hamas palestinien et, indirectement, du Hezbollah libanais pro-
iranien, qui combat aussi l’État hébreux par le terrorisme – l’intellectuel
égypto-suisse a en fait toujours entretenu des relations plus que cordiales avec
le régime de Téhéran, à l’instar de son père. Un fait troublant (dont d’ailleurs
peu de soutiens européens des Frères et des Ramadan ont parlé) a beaucoup
préoccupé les services anti-terroristes américains et suisses : on a retrouvé à la
tête du site internet de Press TV un certain Hassan Abdulrahman,
pseudonyme de David Theodore Belfield, alias Daoud Salahuddin, le fameux
tueur afro-américain converti à l’islamisme, devenu agent du régime iranien
et disciple de Saïd Ramadan, et qui avait assassiné, en janvier 1980, dans le
Maryland, sur ordre de Khomeiny, l’opposant et ex-attaché de presse de
l’ambassade d’Iran à Washington, Ali Akbar Tabatabai. Malgré les
dénégations de Tariq Ramadan à ce sujet, Abdulrahman a bien travaillé
comme rédacteur en chef du site internet de Press TV jusqu’en juillet 2009
avant de démissionner. Il est donc difficilement crédible que les enfants de
Saïd aient pu ignorer cet individu qui fut si proche de leur père et dont la
56
presse internationale a tant parlé .
En fin de compte, en dépit d’une pratique constante de la takiyya , Tariq
Ramadan est resté fidèle à la mission familiale confiée par son père Saïd et
son grand-père, Hassan al-Banna. Durant des années de prédication,
d’enseignement et de médiatisation au niveau européen et mondial, son
message a en effet contribué à convaincre nombre de jeunes musulmans issus
de l’immigration de ne pas s’intégrer aux valeurs « impies » et au contraire de
revendiquer une « identité islamique » aux termes d’une réislamisation qui
passe par une phase de « désassimilation ». Bien que jugé trop « jet-setter » et
médiatique par son propre grand-oncle, Gamal al-Banna, qui nous l’avait
confié dans un entretien retranscrit plus haut, Tariq a été très utile aux Frères
pour légitimer et médiatiser massivement leurs idées et stratégies de
réislamisation en « territoire impie ». Même s’il est vrai qu’il n’en a jamais
été membre à part entière, Tariq n’en a pas moins été fidèle à la pensée des
Frères. Dans plusieurs de ses ouvrages, il mentionne avec respect son maître-
à-penser (et préfacier), Youssef al- Qardaoui, dont il a vulgarisé nombre de
positions et thèses religieuses, juridiques et géopolitiques. Dans Aux sources
du renouveau musulman , notamment, Tariq Ramadan déplore que « la
pensée de Hassan al-Banna est très mal connue en Occident, […]. Un peu à
la façon d’al- Afghani, [Hassan al-Banna] appelle les gouvernants à prendre
leurs responsabilités en revenant aux enseignements islamiques et en créant
un front uni sous cette bannière. Au terme de son propos, il présente quelques
étapes de la réforme concrète, connu sous l’intitulé ‘Les cinquante demandes’
57
( al-Matâlib al-khamsûn )” » . Or quand on étudie ces cinquante points qui
constituent le programme de base des Frères (voir supra , chapitre I),
demandes d’essence totalitaire écrites dans le marbre par Al-Banna lui-même,
le caractère ambivalent du discours frériste éclate au grand jour. À cet égard,
son frère aîné Hani Ramadan, aujourd’hui plus en vue, mais plus franchement
radical et moins médiatique que Tariq, a fait preuve lui aussi d’une fidélité
exceptionnelle à la Mission confiée par son père et son grand-père, quoique
de façon souvent plus frontale et assez franche.

Hani : la tendance cash des fils de Saïd


Ramadan
En 1995, lorsque Saïd Ramadan meurt, son fils Hani Ramadan, le moins
connu des deux frères, né le 2 juin 1959 à Genève, devient le chef du Centre
islamique de Genève, la base initiale des Ikhwan en Europe. Un an plus tôt,
les deux frères Ramadan ont déjà fondé l’ Association Musulmans,
Musulmanes de Suisse , qui aspirait à devenir une organisation de référence
58
pour plusieurs mosquées arabes situées en Suisse romande . Docteur ès
lettres de l’université de Genève, Hani Ramadan a lui aussi enseigné (de 1981
à 2003) comme Hassan al-Banna l’y a toujours encouragé, et il donne un peu
partout des conférences sur l’islam puis écrit des articles et des ouvrages.
Aussi controversé que son frère Tariq, quoique pour des motifs parfois
différents – même si les deux frères sont plus complémentaires qu’opposés –
Hani est coutumier des polémiques et scandales médiatiques. En 1991, il a
notamment expliqué dans son ouvrage La femme en Islam que le rôle de la
gent féminine, conformément à la charià , doit se limiter à sa fonction
procréatrice, ce qui est jugé « discriminatoire » par ses collègues de
l’enseignement. En 2000, une nouvelle polémique éclate dans les médias à la
suite de son appel au jihad lancé à l’occasion d’une manifestation qu’il
codirige contre « l’occupation israélienne ». Il se défend en prétendant que
son jihad consistait en une « résistance pacifique ». Toutefois, d’après le
chercheur français Joachim Véliocas, directeur de l’Observatoire de
l’islamisation, l’objectif métapolitique de Hani est bel et bien de préparer à
l’instauration d’un État islamique mondial, objectif suprême inchangé des
Ikhwan : « Le monde musulman est en ébullition. Cette force peut et doit être
orientée vers un État islamique, un État appliquant le Coran et la Sunna.(…)
Les musulmans ne retrouveront jamais leur bonheur perdu s’ils ne reviennent
pas au jihad et ne cherchent pas à établir un État Islamique » , confirme sans
59
trop d’ambiguïté Hani dans un autre ouvrage paru en 2011 . En juin 2016,
alors qu’il était invité à Mayotte à l’invitation d’une association islamique
locale, Ramadan s’est exprimé sur le cas spécifique de ce département où
l’islam a des droits dérogatoires à la laïcité uniques en France (les appels du
muezzin et les juges musulmans ont un rôle officiel). Abordant dans sa
conférence le thème de la « compatibilité entre les valeurs de la République et
de l’islam », Hani a clairement posé les conditions de cette « compatibilité » :
« nous pouvons bien sûr solliciter les qadis [juges musulmans, ndlr ], pour
autant qu’ils soient indépendants et non soumis à l’autorité de l’État en place
», appelant « à un retour sur les sources de l’islam ». Quant à la question
d’un « islam modéré », sa réponse est significative du pseudo- « réformisme »
60
des Frères : « On n’a pas besoin de parler d’un Islam modéré » . Alors
qu’il était l’invité de la matinale en direct sur KTV et Kwezi FM, le
prédicateur frériste s’explique : « L’islam permet d’être ancré dans une
tradition mais d’épouser la modernité en même temps, on n’a pas besoin de
parler d’un islam modéré (…), Mayotte faisant partie de la France, les
musulmans mahorais devraient pouvoir vivre leur religion dans l’espace
public. Quand une jeune femme décide de porter le voile librement pourquoi
61
et au nom de quoi on veut lui interdire de pratiquer sa religion ? » ,
dénonçant ainsi la « laïcité intrusive ». Selon lui, en effet, l’État français, bien
que laïque, n’a pas à définir ce qu’est la religion, et il estime que des cadis
non soumis à la République sont en revanche habilités à trouver des solutions
en fonction de la charià , notamment en matière de statut personnel et
d’éducation ou encore de lutte contre la délinquance. Interrogé sur la laïcité, il
se demande « si la finalité est d’obtenir des croyants ou des athées »,
penchant pour cette « dernière crainte » selon Anne Perzo-Lafond qui
l’interrogeait pour le quotidien NDM . Quant à la religion catholique, il a
clairement rappelé, dans un département à 95 % musulman, qu’elle est «
fondée sur une Trinité non révélée dans la Bible », ce qui a choqué nombre
de locaux eux-mêmes. Et bien qu’étant revenu sur ses propos à propos des
femmes qui lui ont valu des problèmes en Suisse, il a refusé de serrer la main
62
d’Anne Perzo-Lafond puisque la charià interdit selon lui de serrer la main
des femmes.
En septembre 2002, Hani avait provoqué un scandale politico-médiatique
lorsqu’il avait justifié, dans le quotidien Le Monde , l’application de la charià
y compris la lapidation des femmes adultères. Dans cet article intitulé « La
charià incomprise », l’islamiste égypto-suisse présente la lapidation comme
une « mesure dissuasive » pratiquement impossible à appliquer dans la réalité
et facilement contournable mais légitime : « Parce qu’il s’agit d’une
injonction divine, la rigueur de cette loi est éprouvante pour les musulmans
eux-mêmes. Elle constitue une punition, mais aussi une forme de purification
63
» , écrit l’islamiste. Il établit alors un parallèle avec le SIDA qui ne
64
frapperait que « ceux qui ont un comportement déviant » , particulièrement
les homosexuels, les personnes adultères ou les drogués. Dans l’article, il
revient sur la condamnation à mort par lapidation d’ Amina Lawal,
au Nigeria, et il dénonce la réaction de la presse en qualifiant la sentence de
« volonté d’Allah ». La polémique gagne Genève où il enseigne, d’autant
qu’il récidive en exaltant dans la presse suisse les femmes voilées – « perles
protégées dans des coquillages » – et en dénonçant « la femme sans voile
qui est comme une pièce de 2 euros. Visible par tous, elle passe d’une main à
l’autre », insinuant par là même que l’Occidentale/mécréante dévoilée serait
l’équivalente d’une prostituée. Il ajoutera plus tard que si « le prophète ne
sert pas la main des femmes, l’imiter est donc un signe de respect vis à vis
des… femmes »…
Sans surprise, fin 2002, suite à des pétitions d’enseignants, Hani Ramadan
est exclu de l’enseignement par le département de l’instruction publique
suisse, au motif que « ses positions publiques sont incompatibles avec les
valeurs et les missions de l’école » . Mais il riposte en instrumentalisant les
incohérences de la justice suisse et l’arme redoutable de l’antiracisme : « Ce
tollé suscité par le refus d’une poignée de main montre bien que le moindre
prétexte est bon pour alimenter le processus de l’islamophobie ». Au terme
d’un efficace « jihad judiciaire » dans lequel les Ikhwan excellent, il finit par
avoir gain de cause contre l’État suisse. Le ministère de l’éducation devra le
réadmettre et même lui payer les années non rémunérées, bien qu’il soit
réintégré en tant que personnel non enseignant.
En 2006, il rebondit et est recruté comme responsable de travaux dirigés
par le centre de formation Shâtibî (librairie Tawhid) de Lyon, fondé en 1986
par une branche jeune des Ikhwan : l’Union des jeunes musulmans (UJM).
Le 23 août 2009, il déclenche malgré tout une énième polémique dans un
65
texte intitulé « Vol d’organes palestiniens ? » , dans lequel, reprenant un
article du site d’ Al-Manar (télévision du Hezbollah), il accuse l’État
hébreu de confisquer les cadavres des Palestiniens afin de faire commerce de
leurs organes. Il estime également que la politique israélienne vise à «
66
affirmer dans les faits la suprématie du peuple élu » . Enfin, il pense que
67
l’Europe est « infiltrée par Tsahal » . Le site Conspiracy Watch rappelle
qu’après les attentats du 13 novembre au Bataclan, Hani écrit sur son blog
que « l’islam n’a rien à voir avec tout cela », suggérant plutôt de «
68
surveiller le Mossad », en expliquant qu’il s’agirait d’une manipulation .
En août 2015, dans le quotidien suisse-francophone, la Tribune de Genève , il
s’offusque du fait que les trois Américains ayant maîtrisé le terroriste du
Thalys Paris-Bruxelles aient été présentés comme des « héros » et même
69
qu’ils aient reçu la Légion d’honneur , alors que des innocents subissent des
drames quotidiens en Syrie, l’opération de promotion de ces héros du Thalys
ne servant en fin de compte qu’à « rehausser le prestige des militaires
70
américains ». Dans une nouvelle tribune parue dans Le Temps , l’islamiste
dénonce les décennies de « complot juif » ourdi par l’organisation sioniste
71
mondiale (OSM) dont l’objectif serait de nuire au peuple syrien . Le 20 août
2017, il récidive sur Twitter à la suite de l’attentat de Barcelone et Cambrils
attribué à Daech : « a près chaque attentat, je recommande à chacun de ne
pas croire aveuglement à la version officielle que nous livrent les médias
72
depuis le 11 septembre. Les sionistes tiennent la presse et les médias » ,
écrit-il. Le 7 avril 2017, il fait finalement l’objet en France d’une interdiction
administrative du territoire pour « menace de l’ordre public ». Sur son blog,
Hani Ramadan réagira une fois de plus par le stratagème de la diversion et du
victimisme pro-palestinien, destiné à lui attirer le soutien de la gauche
antisioniste, en rétorquant que c’est plutôt le Premier ministre israélien «
Benjamin Netanyahu qui devrait être interdit de séjour en France, et ce sont
les comptes de l’État d’Israël qui devraient être bloqués, jusqu’à ce que ce
pays se trouve dans l’obligation de respecter les Conventions de Genève et le
73
droit international » . Une dialectique très « islamo-gauchiste » sur
laquelle nous reviendrons ultérieurement ( chapitre VII ).

L’Europe et l’Occident,
refuges pour les Frères
Les Ikhwan sont représentés dans chaque pays occidental à travers de
grandes associations : l’Union des Organisations Islamiques de France
(UOIF), l’Union des Communautés et Organisations Islamiques d’Italie
(UCOII), Council of American and Islamic Relations (CAIR) aux États-Unis,
la Muslim Association of Canada, etc. En Europe, chaque association
nationale est rattachée à la structure frériste continentale : la Fédération des
Organisations islamiques d’Europe (FOIE), qui regroupe 500 associations
dans 29 pays européens. La FOIE dispose d’une branche jeunesse, le Forum
of European Muslim Youth and Student Organisation (FEMYSO), reconnu
par l’Union européenne et présent dans 40 pays, et elle publie un mensuel en
arabe et en anglais, Al-Arabiyya . Jadis dirigée depuis Londres par Ahmed al-
Rawi, la FOIE est aujourd’hui pilotée par Chakib ben Makhlouf. En 1973, les
Ikhwan participent également à la fondation du Conseil islamique d’Europe.
Ils sont donc présents dans pratiquement toutes les initiatives panislamistes
mondiales et européennes. En 1996, la FOEI a mis sur pied, avec le soutien
74
du Qatar, l’European Trust , ou « Fonds européen », une institution
financière vouée à amasser des fonds pour financer ses différentes activités –
dont l’imposant Institut européen des sciences humaines de Saint-Léger-de-
Fougeret (que nous évoquerons plus loin) –, l’Association des écoles
75
musulmanes en Europe, puis son magazine de luxe, Al Europiya . Toujours
en 1996, la FOIE a établi en coopération avec l’Assemblée Mondiale de la
Jeunesse islamique (WAMY ), le Forum de la jeunesse musulmane
européenne et des organisations étudiantes. D’abord dirigé par Ibrahim al-
Zayat, ancien chef de la Communauté Islamique d’Allemagne (2002-2010) et
très haut dirigeant des Frères au niveau européen (stratégiquement installé à
Bruxelles), ce Forum se veut « la voix de la jeunesse musulmane en Europe
». Aujourd’hui, il supervise un réseau de trente-sept organisations membres et
entretient des relations avec le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et
76
les Nations-Unies .
En France, la structure locale des Frères musulmans, l’UOIF, devenue en
2017 Musulmans de France (MF), est l’organisation la plus importante et la
plus active de La Confrérie en Europe. Nous reviendrons plus loin en détails
sur le cas français.

Schéma administratif et organisationnel de la Fédération des Organisations Islamiques d’Europe


77

En Belgique, c’est la Ligue islamique interculturelle de Belgique (LIIB)


qui représente le canal historique du mouvement, rattaché à la FOIE. Fondée
en 1997 par Munsef Shatar et Karim Azzouzi, la LIIB est devenue en
février 2006 la Ligue des musulmans de Belgique (LMB), dont le « guide
spirituel » est Bassem Hatahet. La LMB possède dix mosquées et des bureaux
dans de nombreuses villes, dont Bruxelles, Anvers, Gand, etc, dirigées par le
médecin Marocain Karim Shemlal. Les Frères sont particulièrement présents
à Bruxelles et Verviers, également connues comme plaques tournantes du
jihadisme en Europe. Pour les Ikhwan , il est clair que la Belgique, de par son
ouverture extrême aux minorités, son laxisme migratoire motivé par un
clientélisme politique, ses divisions entre Wallons et Flamands, son
anticatholicisme institutionnel et l’extrême culpabilisation politiquement
correcte de ses élites médiatiques et politiques, constitue un terrain
d’expansion hors pair en Europe et même en Occident. C’est fort de ce
constat cynique que l’ex-président de l’exécutif des Musulmans de Belgique,
le converti Yacine Beyens, proche des Frères musulmans, déclarait dans
L’Express du 18 février 1999 : « L’islamisation se fera progressivement (…)
Les Musulmans doivent faire preuve du plus grand pragmatisme (…). Le
Coran dit qu’il faut procéder par étapes et tenir compte du contexte »…
Aux Pays-Bas, les Frères se regroupent dans la Liga van de Islamitische
Gemeenschap in Nederland (Ligue de la communauté musulmane des Pays-
Bas), fondée à La Haye en 1996 par un Marocain naturalisé hollandais, Yahya
Bouyafa. Fédération d’associations, la Liga rassemble notamment l’Europe
Trust Nederland Foundation, le Nederlands Instituut voor Humane Stuides, ou
encore « l’ONG d’Allah » Islamic Relief. On peut citer le cas particulier de la
Mosquée Bleue (Blauwe Moskee), qui désigne à la fois une mosquée et un
78
centre culturel situés à Amsterdam Nieuw-West , dont la construction a été
financée par le gouvernement du Koweït, grand soutien des Ikhwan dans le
monde après le Qatar, via ses bureaux d’Europe Trust Pays-Bas. Depuis 2008,
ce centre islamique/mosquée, très visible par son architecture ambitieuse et sa
couleur bleue (comme la mosquée bleue ottomane d’Istanbul), se targue
d’être à la fois « progressiste et moderne » et, comme savent si bien le faire
les Frères depuis le 11 septembre 2001, de « lutter contre l’extrémisme,
donner aux jeunes une version moderne et modérée de l’islam, puis créer des
ponts avec les autres communautés » . Cette mosquée Bleue a été pensée et
fondée par les Frères musulmans, avec l’appui décisif du directeur du Europe
Trust au Royaume-Uni, Ahmed al- Rawi, membre important des Ikhwan . Et
les orateurs régulièrement invités dans cette mosquée sont tout sauf des
modérés : citons par exemple Mahmoud al-Masri, un imam égyptien
antisémite interdit en France, ou encore le salafiste Remy Soekirman et le
Sheikh radical Khalid Yasin, qui y ont déclenché de vives polémiques à cause
de leurs propos suprémacistes et anti-juifs. Des associations néerlandaises de
citoyens ont d’ailleurs déposé une pétition contre le fait que la mosquée
dépendait du ministère koweïtien des Affaires religieuses et plus
particulièrement d’un éminent responsable des Frères koweïtiens, le Dr
79
Mutlaq Rashid Alkarawi . Selon le journal Het Parool , le ministère des
Affaires islamiques du Koweït financerait les activités et les salaires des
80
dirigeants de la Mosquée Bleue .
En Grande-Bretagne, les Frères sont représentés par la Muslim association
of Britain (MAB), fondée en 1997 par Kamal Al-Halbawi, ex-porte-parole
des Ikhwan en Europe, puis le Palestinien Azzam Tamimi. L’actuel président
de la MAB est Anas Altikriti, d’origine irakienne, qui préside également (voir
1
chapitre III ) la Fondation Cordoba , un « think tank indépendant » créé en
janvier 2005 qui a pour vocation de « favoriser le dialogue des civilisations
», en référence à l’époque de la Convivencia , lorsque musulmans, chrétiens et
juifs auraient coexisté en harmonie dans Al-Andalous (l’Espagne arabo-
81
musulmane) . Pourtant, sur la partie du site de la MAB concernant les
« questions fréquemment posées », Qardaoui est décrit comme « un érudit
compétent de l’islam qui a contribué positivement au discours islamique
moderne de bien des façons » .
Après les attentats jihadistes (initiés en 2005) qui ont incité le
gouvernement britannique à être un peu moins laxiste avec les prêcheurs du
jihad – jadis libres d’appeler au meurtre dans les places publiques et
mosquées – les Frères ont réussi à prendre le contrôle de la mosquée de
Finsbury Park en se faisant passer comme une voie « modérée » face aux
salafistes radicaux jadis à la tête de ce fief de jihadistes du Londonistan.
En Italie, les Ikhwan ont acquis depuis les années 1990 une position
hégémonique au sein de l’islam national, notamment avec l’Union des
communautés islamiques d’Italie (UCOII) et la Coordination des associations
islamiques de Milan, Monza et Brianza (CAÏM), très actives dans tout le
Nord du pays. Fondée en 1990 par un ancien activiste radical syrien réfugié
en Italie, Mohamed Nour Dashan, l’UCOII est de loin la plus puissante des
organisations islamiques d’Italie. Elle y compte 130 groupes et 80 % des
mosquées. Elle possède une branche culturelle, une section spéciale pour les
femmes et une autre pour les jeunes, sur le modèle classique des Ikhwan
égyptiens. Outre Dashan et le premier secrétaire général, Abu Shawima, ex-
imam du centre islamique de Segrate qui fut au cœur de nombreux scandales
liés aux liens avec des réseaux jihadistes, deux hommes convertis à l’islam
ont joué un rôle important au sein de l’organisation : Abd al- Rahman Rosario
Pasquini, qui prit la direction du centre culturel de Segrate et publia le
magazine Messaggero dell’Islam, et Hamza Piccardo, un ancien militant
d’extrême-gauche (mouvement Lotta Continua ) converti à l’islamisme. En
1998, il a fait partie des fondateurs du Conseil Islamique d’Italie, l’organisme
voulu par l’UCOII, la Ligue islamique mondiale et le Centre Islamique
Culturel d’Italie, pour donner aux musulmans italiens une représentation
unitaire face à l’État italien et stipuler une « entente » ( « Intesa », ex art. 8 de
la Constitution italienne). En 2005, il devint porte-parole du European
Muslim Network, créé à Bruxelles et présidé par Tariq Ramadan. Le premier
de ses cinq fils, Davide Piccardo, est responsable du précité CAIM.
Répondant à une polémique concernant l’islamisation progressive de l’Italie,
Piccardo avait lancé devant l’un des auteurs de ces lignes, en 2011, dans le
cadre d’un débat organisé à la mairie de Milan avec l’ex-Maire Mario
Formentini : « En 2025, nous, Musulmans, nous serons 5 ou 6 millions. Ce
seront les Musulmans qui fabriqueront votre pain (…). Nous aurons notre
82
parti politique et nos parlementaires » . D’après l’expert italo-suisse des
Ikhwan , Stefano Piazza, les relations entre le guide spirituel des Frères-
européens, « Youssouf al- Qardaoui et l’Italie, sont très fortes, à tel point que
le théologien a exprimé à plusieurs reprises son estime pour CAÏN. Qardaoui
a invité la Fondation Qatar à financer ses représentants, Yassine Baradei et
Davide Piccardo. Ce dernier a été pendant quelque temps employé
« frontalier » au Tessin pour Lord Energy SA de Lugano, une entreprise de
négoce de matières premières fondée et dirigée par Hazim Nada, fils de
Youssef Nada, connu pour être une figure importante de La Confrérie. Le
83
cercle de solidarité entre Frères fonctionne toujours » .
En Suisse, outre le Centre islamique de Genève, dirigé par Hani Ramadan,
que nous avons déjà mentionné plus haut, les Ikhwan sont officiellement
représentés par la Ligue des musulmans de Suisse (LMS), basée dans une
municipalité proche de Lausanne, aux côtés d’un grand centre culturel
islamique. Actuellement dirigée par Adel Mejri et forte de nombreuses
branches dans toute la Suisse (Bâle, Genève, Thyssen, Berne, Zurich), la
LMS a été fondée à Neuchâtel, en 1994, par le professeur de génie physique
helvéto-tunisien Muhammad Karmous, issu de la branche tunisienne des
Frères. Son épouse, Nadia, connue pour son militantisme pro-foulard intégral
(qui ne doit selon elle laisser paraître que « le visage et les mains ») et en
faveur du burkini, dirige sa section féminine : l’association culturelle des
femmes musulmanes en Suisse. Elle est également impliquée dans la
promotion des piscines pour femmes et défend les thèses créationnistes.
Devenu citoyen suisse et neuchâtelois, malgré son extrémisme religieux,
Muhammad Karmous a créé et anime toujours une dizaine d’organisations
islamiques, dont les objectifs obscurantistes sont systématiquement
dissimulés derrière une rhétorique victimiste qui a fait déclarer à
Mme Karmous : « Pour nous, il n’y a pas de montée de l’islamisme, mais
84
plutôt une montée de l’islamophobie » . Également en conformité avec le
double discours des Ikhwan , Mohamed Karmous a souvent assuré qu’il
n’était par un Frère musulman, alors même que la LMS qu’il a fondée est
membre de l’Union des organisations islamistes en Europe (UOIE), la
structure européenne officielle des Ikhwan . La LMS cite d’ailleurs comme
référence juridico-religieuse le « Recueil de fatwas » de Youssouf Al-
Qardaoui. En 2007, elle a invité à son congrès – consacré à « l’intégration des
musulmans », le cheikh saoudien Salmane Fahd al-Awda, qui défendait la
« guerre sainte » en Irak puis légitimait les attentats suicides contre les
« mécréants », appelant carrément Oussama ben Laden « frère ». Karmous a
par ailleurs fondé, en 2002, le Centre socio-culturel des musulmans de
Lausanne (actuellement à Prilly), la Comunità Islamica nel Cantone
Ticino (2004), puis a aidé à la création de l’Institut Culturel Musulman de
Suisse, dont le site internet (avec celui de l’Association de Nadia Karmous)
décrit le Coran comme la « transcription complète et exacte de la parole de
Dieu ». Karmous préside enfin le conseil de la fondation suisse Wakef, qui
rassemble les principaux responsables d’organisations islamiques helvétiques
et dont le but est de construire, d’acheter et d’assainir les lieux de culte
musulmans en Suisse.

Le « Projet », ou le plan des Ikhwan visant à


« établir le règne de Dieu sur terre »
En 2001, la maison de Lugano du « banquier » des Frères musulmans en
Europe, Youssef Nada, président de la Taqwa Bank, fut perquisitionnée dans
le cadre d’une enquête des agents de la « Task Force » antiterroriste mise sur
pied après les attentats du 11 septembre, pour retracer les réseaux de
financement du jihadisme. Les agents fédéraux y saisirent un document de
grande importance permettant de comprendre la stratégie de conquête globale
des Ikhwan : un texte de 14 pages préparé en décembre 1982 et intitulé « Le
projet ». Clairement conçu par des idéologues de La Confrérie, il présente un
plan de conquête/islamisation du pouvoir mondial en 12 points par divers
moyens comme la propagande, l’infiltration, l’entrisme, la promotion du
« jihad guerrier » (à l’extérieur) et du « jihad verbal » (en Europe). Le
« Projet » commence par ce passage : « Ce rapport présente une vision
globale d’une stratégie internationale pour la politique islamique. Selon ses
lignes directrices, et en accord avec elles, les politiques islamiques locales
sont élaborées dans les différentes régions . ». Le texte stratégique invite à «
étudier les centres de pouvoir locaux et mondiaux, et les possibilités de les
placer sous influence », à « entrer en contact avec tout nouveau mouvement
engagé dans le jihad où qu’il soit sur la planète », à « créer des cellules du
jihad en Palestine » et à « nourrir le sentiment de rancœur à l’égard des
juifs ». Tout cela dans le but de « coordonner le travail islamique dans une
seule direction pour […] consacrer le pouvoir de Dieu sur terre ». En 2005,
le rédacteur en chef du journal Le Temps, Sylvain Besson, a publié un livre,
85
La conquête de l’Occident , qui exposait la teneur de ce « Projet » et
reproduisait le document en totalité. Le plan d’action frériste exhorte
notamment les musulmans d’Europe à participer activement à la vie politique
des pays d’accueil afin d’influencer dans le sens de l’islamisation via les
organes exécutifs, parlementaires et syndicaux, puis à tout faire pour ne pas se
désislamiser et à ne pas s’intégrer aux valeurs et règles « impies » en prônant
86
un « droit à la différence » . D’après les services de renseignement
helvétiques, ce projet est « un texte fondamental pour comprendre les buts à
long terme des Frères (…), ce document décrit par le menu la stratégie
envisagée pour assurer une prise d’influence grandissante de La Confrérie
sur le monde musulman. Il y est stipulé que les [Frères musulmans] ne
doivent pas agir au nom de La Confrérie mais s’infiltrer dans les organismes
existants. Ils ne peuvent ainsi être repérés puis neutralisés ». Voici ses
principales recommandations :
« – Préparer une étude scientifique sur la possibilité d’établir le règne de
Dieu partout dans le monde (…).
– Accepter une coopération provisoire entre les mouvements islamiques et
les mouvements nationaux. Mais attention, il ne faut pas faire confiance aux
mouvements nationaux (…).
– S’aider de systèmes de surveillance divers et variés, dans plusieurs
endroits pour recueillir des informations et adopter une communication
avertie et efficace à même de servir le mouvement islamique mondial (…).
– Inviter tout le monde à participer aux conseils parlementaires,
municipaux, syndicaux et à d’autres institutions dont les conseils sont choisis
par le peuple dans l’intérêt de l’islam et des musulmans (…).
– Enfin, jeter des ponts entre les mouvements engagés dans le djihad dans
le monde musulman et entre les minorités musulmanes, et les soutenir autant
que possible (…).
– Et bien entendu : faire des études sur les juifs, ennemis des musulmans
(…).
– Recueillir suffisamment de fonds pour perpétuer le jihad (…).
– Chercher à posséder la majorité du capital de la banque et être ainsi en
position de la manipuler et de la diriger (…).
– Créer une couverture dans un cadre légal pour les investissements afin
de conserver secret les transactions financières ».
L’identité de l’auteur du projet demeure jusqu’à aujourd’hui inconnue.
Youssef Nada prétend ne pas en être le concepteur, affirmant qu’il aurait été
rédigé par des « chercheurs islamiques sans toutefois constituer la position
officielle des Frères musulmans ». Pourtant, le « Projet » reprend tant d’idées
développées durant les années 1960 dans le journal de Saïd Ramadan, Al
Muslimoun (publié à Genève, chapitre I ) qu’il y a peu de doutes. Rappelons
que dans sa revue, Al-Mouslimoun, étonnament jamais interdite par les
autorités helvétiques, Saïd Ramadan appelait à une « guerre idéologique »
contre l’Occident visant notamment à « répondre à la création de l’État
d’Israël », considérée comme un immense « complot contre la religion
musulmane » et ses fidèles : « c’est pourquoi nous sommes convaincus que
ce plan idéologique élaboré doit être contré par un plan idéologique tout
aussi élaboré, et qu’il faut répondre à ses attaques idéologiques, à sa guerre
87
idéologique, par une guerre idéologique » , expliquait le beau-fils d’Al-
Banna. L’article de Saïd Ramadan se réfère explicitement au best-seller
complotiste anti-juif, Le Protocole des Sages de Sion , qui décrit une
« conspiration juive » visant à dominer le monde. D’après les enquêteurs
helvétiques, le Projet et les autres documents découverts chez Youssef Nada,
« confirment le rôle joué par les Frères musulmans à la fois dans
l’inspiration et dans le soutien, direct ou indirect, à l’islam radical dans le
monde entier ». Le Projet est présenté comme un texte clef qui aurait pu «
jouer un rôle dans la création par les Frères musulmans et leurs héritiers
d’un réseau d’institutions religieuses, éducatives et caritatives en Europe et
aux États-Unis », notamment par le fait de « construire des institutions
sociales, économiques, scientifiques et médicales, et pénétrer le domaine des
services sociaux pour être en contact avec le peuple ». D’après un analyste
du renseignement italien, Le Projet témoigne d’« une idéologie totalitaire
d’infiltration qui représente, à terme, le plus grand danger pour les sociétés
européennes ». Il serait une véritable « feuille de route » dont certains
éléments ont déjà largement été mis en œuvre dans le monde : stratégie de
pénétration légale et pacifique en Europe ; guérilla contre Israël dans les
territoires palestiniens ; soutien à des groupes islamistes armés, de la Bosnie
aux Philippines, en passant par la Syrie.

Le Conseil de la Fatwa et de la Recherche


Dans la logique stratégique du « Projet », les Frères musulmans européens
de la FOIE ont créé, en mars 1997, le Conseil européen de la fatwa et de la
recherche (CEFR), dont la fonction est d’étudier et d’émettre des fatwas
collectives qui répondent aux préoccupations des musulmans d’Europe et
résolvent leurs problèmes, conformément aux règles et objectifs de la «
charià de minorité ». Fondation islamique privée, le CEFR est situé dans la
banlieue de Dublin, à Clonskeagh, dans un magnifique site créé grâce au
soutien de Cheikh Hamdan bin Rachid al-Maktoum, ancien ministre des
Finances des Émirats arabes unis et vice-souverain de Dubaï. Le site de
Clonskeagh, ouvert depuis 1996, abrite aussi le « Centre Culturel Islamique »
d’Irlande et sa grande mosquée. Le CEFR réunit plus de 30 organisations
fréristes en Europe. Composée de 33 « savants » (un tiers de cheikhs ne
résidant pas en Europe), cette structure théologique fondée et longtemps
présidée par Youssef al- Qardaoui a pour postulat théocratique que la charià
doit demeurer la « norme absolue pour les musulmans », y compris pour ceux
vivant en pays non islamiques. Son objectif consiste officiellement à édicter
collectivement pour les mahométans européens des avis juridiques, ou fatwas
, qui leur permettraient de vivre en pays occidental tout en respectant
intégralement la charià , certes, en « tenant compte de l’environnement local
et du statut de minorité religieuse des musulmans d’Europe ». Le CEFR
aurait par ailleurs pour vocation d’unir les érudits musulmans d’Europe et
d’aider à la formation d’imams en accord idéologique avec les Frères.
L’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon (voir infra ) et
le European Institute for Humanitarian and Islamic Studies au Royaume-Uni
poursuivent les mêmes buts. Comme elles, le CEFR aspire à être reconnu
comme une institution ayant autorité en matière de représentation de l’islam
d’Europe. Le CEFR entretient des liens étroits avec l’organisation islamiste
turque Milli Görüs, dont la principale branche européenne se trouve en
Allemagne. Le Conseil inclut dans son conseil d’Administration des
représentants français de l’UOIF comme Ahmed Jaballah, le Belge Mahmoud
Moujahed Hassan, ou encore Youssouf Ibram, imam de la Fondation
culturelle islamique (FCI) de Genève.
Les directeurs du CEFR affirment qu’il n’y a rien à craindre d’un centre
islamique qui ne défierait aucunement les lois des pays européens en vigueur
et qui ne ferait que publier des inoffensifs « avis juridiques » à l’intention des
bons croyants. Toutefois, lorsqu’il a été questionné par la journaliste de
Marianne , Martine Ghozlan, sur la nature problématique de fatwas édictées
en fonction de la charià sunnite jamais réformée, le Secrétaire général du
Conseil, cheikh Hussein Halawa, a répondu catégoriquement qu’il n’est « pas
88
question d’adapter la charià, pas un instant ! » . La véritable mission non
avouée de cet organisme vise en fait premièrement à réislamiser/désassimiler
les musulmans d’Europe, donc à empêcher leur intégration aux mœurs
occidentales « immorales » ; deuxièmement, à se servir de ce noyau dur et de
la liberté religieuse pour islamiser et conquérir le continent européen en voie
de déchristianisation. Le Conseil se réunit une fois par an. Il délibère sur toute
sorte de sujets comme « les femmes ne doivent pas se couper les cheveux
sans le consentement de leur mari », ou encore l’adoption, prohibée car «
une femme pourrait être vue en train de se déshabiller devant un enfant qui
ne serait pas sa progéniture biologique ». Plus grave pour les valeurs des
démocraties libérales, dans une fatwa concernant le châtiment de l’apostasie –
punie de mort dans la Charià – le Conseil a confirmé que la peine de mort est
le châtiment prévu par la charià pour les musulmans décidant de changer de
religion. Concernant le prêt, le CEFR a édité une fatwa incitant les
musulmans à exercer des pressions pour obliger les banques « à réviser leur
attitude vis-à-vis des musulmans » en faveur de l’islamic compliance . Le
CEFR délibère également en matière politique. Son autorité spirituelle
suprême, Youssef al- Qardaoui, a justifié à de nombreuses reprises dans des
conférences ou des fatwas que « les attentats suicides sont un devoir »
contre les ennemis de l’islam, en Irak ou en Israël notamment, et que les Juifs
89
devaient être tués . Surnommé le « théologien de la terreur », Youssef al-
90
Qardaoui a aussi appelé au meurtre des homosexuels .

Youssef al-Qardaoui, leader intellectuel


et spirituel des Frères européens
Présenté tour à tour comme l’autorité religieuse et idéologique majeure des
Frères musulmans, voire leur guide spirituel, mais aussi comme la plus
« respectable » des cautions religieuses du terrorisme et des attaques-suicides,
via ses fatwas et conférences, l’Égyptien naturalisé qatari Youssef al-
91
Qardaoui, né en 1926, est une « figure centrale des Frères musulmans » ,
sans en être leur chef officiel hiérarchique. Le titre de guide suprême des
Ikhwan lui aurait été proposé plusieurs fois, mais il a toujours décliné l’offre
afin de préserver sa marge de manœuvre médiatique. « Cependant, il a un
statut spécial parmi les membres des Frères musulmans et du Hamas, sa
branche palestinienne, puis du mouvement islamique en Israël, pour qui il est
92
l’autorité suprême sur la loi islamique » . Il est considéré par beaucoup
comme l’héritier d’Hassan al-Banna et de Sayyid Qutb, et même comme
l’autorité idéologico-religieuse la plus élevée des Frères musulmans.
Fondateur et doyen de la première université des études et sciences islamiques
au Qatar en 1977, président de l’Union internationale des savants musulmans
jusqu’en octobre 2018, du CEFR jusqu’en novembre 2018, Qardaoui vit au
93
Qatar depuis 1961 , après avoir été expulsé d’Égypte. Depuis Doha, il
préside également l’association des Érudits Musulmans. Il est devenu célèbre
grâce à ses nombreuses fatwas et prédications, à ses ouvrages et surtout,
comme nous l’avons évoqué, à l’émission grand public qu’il a animé durant
des années sur la chaîne d’info qatarie Al- Jazeera, « La charia et la vie ». Il y
diffusait chaque vendredi ses avis juridiques sur toute sorte de sujets
concernant l’islam. Partisan de la charià , Al-Qardaoui estime qu’elle est « la
norme absolue à laquelle toutes les valeurs et tous les comportements
humains doivent se conformer ».
Ne dissimulant pas les objectifs de conquête/islamisation de l’Occident,
Qardaoui déclara en 2003 que « l’Islam reviendra en Europe en conquérant
victorieux après en avoir été expulsé deux fois. Cette fois ce ne sera pas une
conquête par l’épée, mais par le prêche et la diffusion de l’idéologie
[islamique] » et que cette expansion serait le « début du retour du Califat
islamique ». Depuis des années, il invite à soutenir le président turc néo-
ottoman Erdogan : « Vous avez le devoir de le soutenir, de lui prêter
allégeance… », voyant en lui l’homme qui rétablira bientôt l’empire califal.
L’islamisation de l’Europe est pour lui à la fois une priorité et une
opportunité : « peut-être allons-nous conquérir ces terres sans armée. Nous
voulons qu’une armée de prédicateurs et d’enseignants présentent l’islam
94
dans toutes les langues et tous les dialectes » . En France et en Europe, il a
eu une très forte influence sur la troisième génération de musulmans
européens, à travers ses disciples comme Tariq Ramadan, et il a été souvent
l’invité d’honneur du Rassemblement annuel des musulmans de France
organisé au Bourget par l’UOIF (voir infra ), cela jusqu’en 2012, année où
Nicolas Sarkozy et son dernier ministre de l’intérieur, Claude Guéant,
demandèrent à l’émir du Qatar de le dissuader de se rendre au salon et lui
refusèrent un visa pour la France.

Qardaoui : pacifique chez les Européens


ouverts à l’islamisation,
jihadiste en Israël ou en Irak face aux «
apostats » du dar al-islam
Se référant à un verset du Coran, Youssef al-Qardaoui a développé la
doctrine de la « charià de minorité », laquelle commanderait aux musulmans
de « s’adapter au contexte socio-politique local » et d’être peu visibles afin
d’être plus efficaces, l’idée étant de « faire preuve de souplesse et de
tolérance dans les branches de la religion, quand la situation le réclame,
pour apaiser les gens et permettre aux fondements de la foi de se raffermir »
95
. En réalité, la « charià de minorité » vise, à long terme, l’islamisation
totale de la société occidentale. Dans son livre La Science des priorités ,
il rappelle que la priorité, qui va à la formation, « vise l’édification d’une
génération de vrais croyants, habilités à porter le flambeau de la réforme et
de la rénovation, préalable à toute action d’exhortation au combat sur la voie
de Dieu ; lequel combat fait du recours aux armes le moyen de procéder au
96
changement de la société et à l’instauration de l’État » .
Partisan de la polygamie et antisémite, il affirme sans complexe qu’« il
n’y a pas de dialogue entre nous et les juifs, hormis par le sabre et le fusil ».
97
Fervent soutien du terrorisme palestinien, y compris contre les civils , il a
aussi fondé l’Union of Good, jadis basée en Arabie saoudite, une ONG
caritative islamique destinée à lever des fonds pour financer le Hamas. En
décembre 2008, le Trésor américain a épinglé son Union of Good pour son
rôle de « courtier pour le Hamas en facilitant les transferts financiers entre
une toile d’organisations caritatives [y compris plusieurs terroristes] et des
98
organisations contrôlées par le Hamas ». En outre, le conseil
d’administration et les directeurs associés de la fondation de Qardaoui
comptent des leaders du Hamas et d’autres « terroristes SDGT » ( Specially
Designated Global Terrorists ). On y retrouve également le fameux Abdul
Majeed al-Zindani (leader des Frères au Yémen qui soutient Al- Qaïda). En
plus d’être banni dans plusieurs pays du Golfe et en Égypte, Qardaoui est
interdit d’entrée aux États-Unis depuis 1999 et en France depuis 2012. Il a
même été un temps recherché par Interpol à la demande de l’Égypte, où il a
été condamné à la prison à vie.
Preuve que les frontières entre islamisme politique et islamo-terrorisme
sont parfois étanches, en tout cas dans l’univers totalitaire polymorphe fréro-
salafiste, on rappellera qu’Al-Qardaoui a par exemple reçu Abderrahman al-
Nadawi Al Hindi, le fondateur du groupe terroriste Jamaat al-Tawhid, basé en
Inde, qui serait selon les autorités sri-lankaises le responsable des attentats
99
suicides ayant fait 359 morts et 500 blessés à Colombo (Sri Lanka) et dans
d’autres villes du pays. La rencontre est attestée par une photo qui a fait le
tour du monde sur laquelle on voit Al-Qardaoui poser fièrement en
compagnie d’Al-Nadawi. Père spirituel des branches du Jamaat al-Tawhid en
Asie du Sud, ce dernier a prêté serment à l’État islamique et a publiquement
incité à assassiner des étrangers et à verser leur sang : « Si vous êtes en
mesure de tuer un Américain ou un Européen, que ce soit un Français, un
Australien, un Canadien ou un Hindou, ceux qui ont déclaré la guerre à
100
l’État islamique, faites- le », déclara-il lors d’un séminaire islamiste .

Le droit de battre son épouse et de tuer les


apostats, version islamiste du « droit à la
différence »
Dans son ouvrage à l’usage des musulmans d’Europe, Al-Hallal wal-
101
Haram ( Le Licite et l’Illicite en Islam ), disponible dans les librairies
islamiques, les FNAC ou sur Amazon, Qardaoui explique que l’islam doit
toujours « être plus haut », que la charià est la loi à laquelle doivent obéir les
musulmans où qu’ils se trouvent ; que « la femme ne doit pas désobéir à son
mari, ni se rebeller contre son autorité […]. Quand le mari voit chez sa
femme des signes de fierté ou d’insubordination […], il doit la bouder au lit
102
[…], si cela s’avère inutile, il essaie de la corriger avec la main » .
Concernant l’homosexualité, il rappelle que « l’Islam a aussi interdit
l’homosexualité (…). Est-ce que les deux partenaires reçoivent le châtiment
du fornicateur ? (la lapidation). Est-ce que l’on tue l’actif et le passif ? Par
quel moyen les tuer ? Est-ce avec un sabre ou le feu, ou en les jetant du haut
d’un mur ? Cette sévérité qui semblerait inhumaine n’est qu’un moyen pour
épurer la société islamique de ces êtres nocifs qui ne conduisent qu’à la perte
de l’humanité ». Concernant les trois autres cas où l’on a le droit de tuer
quelqu’un, Qardaoui est plus formel : 1/ « Le crime prémédité. Si on détient
des preuves sûres qu’une personne a tué quelqu’un, on doit lui appliquer la
loi du talion : « vie pour vie ». 2/ « L’accomplissement prouvé de l’acte
immoral de la fornication (…) . 3/ « L’apostasie de l’Islam après l’avoir
embrassé et le dire ouvertement pour défier la société islamique ». Les
auteurs de ces lignes ont beau avoir montré à plusieurs ministres successifs de
l’Intérieur et du Culte les passages de cet ouvrage en violation de la loi,
l’essai n’a pourtant jamais été interdit en France depuis 1994 – excepté par
Charles Pasqua. Qardaoui demeure toléré et parfois courtisé par plusieurs
gouvernements occidentaux, car ses fatwas condamnant les attentats
terroristes en Europe et sa politique visant à conquérir le monde mécréant par
la prédication et non par le jihad lui ont valu d’être perçu comme « l’islamiste
capable de contenir les islamistes ».
En Espagne, on peut également citer une autre figure locale majeure du
fréro-salafisme : l’imam Kamal, président de la Communauté islamique
Suhail et du Majlis al-Fatwa, l’entité à laquelle doivent obéir les musulmans
de la péninsule, auteur de l’ouvrage La Mujer en el Islam , dans lequel sont
également énumérées les « méthodes licites » pour corriger les femmes…
Rappelons que le Président de la plus haute organisation islamique espagnole
d’alors (FEERI), Mansur Escudero, confirma cette disposition de la charià
103
lorsqu’il défendit un autre livre du genre : les Jardins du Juste , écrit par
l’Imam Nawawi Riyad Salihim, lequel justifiait le hadith : « il suffit de ne
pas frapper le visage (…), si elle a commis une faute trop grave, séparez-vous
d’elle du lit et frappez-la, mais sans brutalité », qui serait légitime puisque
fondé sur la sourate V, verset 35 du Coran. Le même Escudero – converti
d’origine marxiste et élève du négationniste français Roger Garaudy – alors
président de la Comision Islamica Espanola, avait d’ailleurs demandé, en
janvier 2005, au Premier Ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, de
« régulariser l’option matrimoniale de la polygamie ».

L’ISESCO : le projet frériste d’une «


UNESCO islamique »
Afin de donner à leur stratégie de conquête des allures scientifiques et
humanitaires, les Frères musulmans ont également misé sur des organisations
internationales avec lesquelles ils n’ont pas forcément de liens structurels
directs, mais où ils comptent des relais majeurs. Utilisant plus globalement
tout ce qui peut servir leur cause, ils n’hésitent pas à s’appuyer sur ces
structures dès lors qu’elles peuvent servir leur projet, leur discours et leur
méthodologie. C’est ainsi qu’ils ont pu utiliser le travail de recommandation
réalisé par l’Organisation islamique internationale pour l’Éducation, la
Culture et les Sciences (ISESCO), sorte d’Unesco musulman, qui préconisait,
104
en l’an 2000, à travers un rapport de 109 pages , intitulé Stratégie de
l’Action Islamique culturelle à l’extérieur du Monde islamique , comment
faire rayonner la culture arabe et la religion musulmane dans le monde
occidental, à commencer par la France. Si l’ISESCO n’a rien à voir
officiellement avec La Confrérie, elle a tout de même comme « savant » de
référence l’incontournable Al- Qardaoui. On se souvient d’ailleurs que la
première réunion préparatoire à l’élaboration de son document de travail s’est
tenue à Château-Chinon en 1993, où se trouve l’Institut Européen des
Sciences Humaines (IESH). Finalisé à Madrid en 1996 puis à Bruxelles en
1997, le texte fondateur a été approuvé, en 2000, à Doha (Qatar) – sanctuaire
de La Confrérie – lors de la neuvième conférence islamique. Il existerait en
fait selon ce document deux sociétés distinctes : celle de l’Occident et celle du
monde musulman, avec au milieu les musulmans résidant notamment en
Europe, particulièrement en France, pays mentionné à de nombreuses reprises
comme élément stratégique de la réislamisation des immigrés venus du
monde arabe. Nous avons sélectionné ci-dessous plusieurs passages de ce
rapport, encore une fois non pas qu’il soit l’œuvre directe des Frères, mais
plutôt l’un des points d’appui et de légitimation de leur prosélytisme, compte
tenu des éléments cités dans les lignes précédentes.

Extraits de la stratégie
de l’Action Islamique culturelle
Contexte général
(…) Si « l’alignement culturel » menace sérieusement les peuples
musulmans dans leurs propres pays par l’effet de la mondialisation
de la communication, que pourrait-on dire du sort qui attendrait les
enfants des communautés et minorités musulmanes établies dans les
pays non musulmans où les nouvelles générations naissent,
grandissent et suivent leur éducation et leur formation dans des
établissements qui n’ont pas été conçus pour eux initialement ? (…).
(…) la préservation de cette identité exige dès maintenant une
éducation islamique appropriée et saine, des programmes
judicieusement élaborés ayant pour objet la conscientisation, la
culturation, l’orientation, la protection sociale, suivant la lettre et
l’esprit de l’Islam (…).
Sur l’enseignement
(…) Le bilan de la scolarisation des enfants des communautés
musulmanes dans les écoles occidentales ne répond ni aux attentes
des occidentaux qui aspiraient à l’effacement de la personnalité de
ces enfants et à l’aliénation de leur identité pour les intégrer
négativement dans le modèle occidental, ni aux attentes des parents
qui aspiraient à tirer profit de l’accès de leurs enfants (…).
Sur les programmes scolaires à caractère laïque
(…) Certains problèmes dont souffrent les enfants d’immigrés
musulmans dans les pays occidentaux sont en bonne partie dus aux
programmes scolaires qui sont destinés aux musulmans et aux
occidentaux de manière égale et qui ont essentiellement un caractère
laïque. En effet, il est difficile pour un enfant qui a reçu une
éducation occidentale laïque de s’en départir, tant il en a été
imprégné. De fait, ces enfants et jeunes musulmans se voient
inculquer les valeurs occidentales et ancrer le modèle de pensée et
les coutumes locales et ne reçoivent aucun enseignement de la langue
maternelle. Les expériences réalisées dans ce sens sont très limitées
dans le temps et l’espace (…)
Le problème de l’échec scolaire
L’inadaptation scolaire est rédhibitoire chez les enfants des
milieux d’immigrés musulmans en Europe, en raison de l’incapacité
des écoles locales à se doter de structures nécessaires pour l’accueil
de ces enfants d’une part, et de procéder à des amendements de leurs
systèmes pédagogiques, de leurs programmes pour être en harmonie
avec la réalité des enfants d’immigrés (…)
(…) Approvisionner les bibliothèques des mosquées et des centres
culturels islamiques, qui se trouvent dans les différents pays non
musulmans, en livres spécialisés dans les diverses disciplines
islamiques et dans les domaines d’action (…).
Les principes du plan d’information :
1. Se conformer aux préceptes de l’islam dans toutes les opérations
informatives et de communication.
2. Garantie de la liberté d’information nécessaire pour tous dans le
cadre de la charia islamique et en application du code qui régit le
domaine.
3. Garantie de la couverture information pour toutes les
communautés musulmanes en dehors du Monde islamique par
l’utilisation des moyens les plus modernes et les plus adéquats pour
chaque catégorie.
4. Les menus d’information doivent couvrir tous les aspects de
l’information et l’activité informative doit s’étendre à toutes les
fonctions informatives.
5. Nécessité de coordination entre les différents plan d’information
afin d’éviter la répétition ou la contradiction et garantir la
complémentarité (…).

Si ce rapport en dit long sur la volonté de réislamiser les générations issues


de l’immigration musulmane en Occident, il faut souligner que c’est à dessein
que la France est citée en exemple. Celle-ci est en effet le pays où se trouve le
plus grand nombre de musulmans en Europe. Le fait de s’affranchir de
l’enseignement laïc en dénonçant une forme d’apartheid et d’échec de
l’intégration constitue donc un élément d’accroche fort pour tous ceux qui
réclament aujourd’hui un « moratoire sur la laïcité » et contribuent au
communautarisme. En clair, ce qui nous est dit là c’est que toute forme
d’alignement social et culturel sur le modèle français constituerait un risque
majeur – pour les générations issues de l’immigration musulmane – de se voir
« coupées de leurs racines culturelles et religieuses ». Bien sûr, l’on nous
objectera à raison que ce rapport n’émane pas des Frères. Reste à savoir
pourquoi l’ISESCO a fait tant référence à Qardaoui ; pourquoi son document
a été en partie élaboré à Château-Chinon et Doha, plaques tournantes des
Ikhwan mondiaux ; et pourquoi La Confrérie l’a diffusé. Le fait est que, selon
105
la NEFA Fondation , organisation engagée dans la recherche et l’analyse
en matière de terrorisme, l’ISESCO aurait un protocole de coopération avec la
Fédération des organisations islamiques d’Europe (FOIE), précitée. Enfin, la
NEFA précise que l’un des responsables de cette dernière, Ibrahim al-Zayat,
ancien dirigeant de la Communauté islamique en Allemagne (Islamische
Gemeinschaft in Deutschland – IGD), fut conseiller de l’ISESCO en Europe.

Le projet global des Ikhwan en France


Dans la patrie de Voltaire, La Confrérie a pignon sur rue, via de
nombreuses structures qui regroupent des associations à objets culturels et des
centres de formation. Si aujourd’hui le Qatar et la Turquie demeurent les
soutiens privilégiés des Frères français, la filiation spirituelle avec le berceau
originel de leur organisation, l’Égypte, demeure réelle. C’est d’ailleurs en
s’inspirant des Ikhwan égyptiens que l’ex-Union des Organisations islamiques
de France (UOIF) s’est imposée dans le paysage social, politique et
médiatique. En France, il n’existe ainsi pas une seule grande ville où le pôle
frériste ne dispose pas d’un centre culturel, d’une mosquée, d’une salle de
prière ou d’une librairie. Dans presque chacune d’entre elles, ses responsables
régionaux sont souvent devenus les interlocuteurs des élus locaux et des
pouvoirs publics. Qu’il s’agisse de la maison mère UOIF, de l’IESH (voir
infra ), ou de lycées d’enseignement privé, ces organisations participent du
projet global frériste, puisqu’elles lui servent de relais religieux, politique,
socio-éducatif et sémantique, à différents niveaux de la société.
Même si elle semble avoir perdu des « parts de marché » depuis les années
2000 face à la « concurrence » salafiste-wahhabite, La Confrérie demeure de
loin « le mouvement le plus structuré et le plus influent sur le territoire
national », d’après les conclusions d’une importante étude de la DGSI (
« Rapport 2018 sur l’état des lieux de la pénétration de l’islam
fondamentaliste en France »), qui indique que « la Confrérie dispose d’une
assise importante en raison du nombre de lieux de culte qu’elle contrôle par
le biais des Musulmans de France [ex-UOIF, ndlr ], de son quasi-monopole
sur la formation des imams, de sa visibilité médiatique et des procédés
sophistiqués de guerre de l’information qu’elle met en œuvre pour attaquer
ses ennemis idéologiques ». Les associations fréristes se structurent autour
des grandes métropoles de France et de leurs périphéries, en particulier l’Île-
de-France (Seine-Saint-Denis ; Val-d’Oise), les Hauts-de-France, notamment
le Nord-Pas-de-Calais, ou encore le Rhône et PACA (Nice), régions les plus
actives au niveau associatif. Toujours d’après le document de la DGSI précité,
« le maillage sectoriel et territorial des associations liées aux Frères
musulmans vise à faire de ces derniers les principaux influenceurs des
français de confession musulmane ».

L’OPA des Frères sur l’islam de France


Comme nous l’avons évoqué, La Confrérie a pris souche en France en
106
1983, via l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF) , créée à
107
Nancy par un étudiant tunisien, Abdallah ben Mansour et un ingénieur
nucléaire irakien, Zuhair Mahmood. Pour l’anecdote, Ben Mansour, secrétaire
général l’UOIF jusqu’en 1993, avait déclaré, à Lille, lors du rassemblement
islamique annuel du Bourget de 2012 (intitulé « Construire un destin des
musulmans de France ») : « Quand les musulmans auront mis en place la
charià partout dans le monde, tout le monde sera heureux. (…) Le jour où
l’islam mettra en œuvre la charià sur le monde entier, il y aura la paix » .
Conférencier de renom qui a souvent partagé la tribune avec Hani Ramadan
108
, Ben Mansour défendait l’objectif d’étendre la charià , à terme, partout sur
le continent européen là où vivent des communautés islamiques. Il expliquait
dans toutes les entités qui l’invitent à parler que les États-Unis « persécutent
les musulmans ». « Ici en Occident, quand on entend « Charià », on a des
frissons parce qu’on a peur. Quand ils entendent le mot « Charià », c’est
comme si Charià c’était un monstre, « oh ! ces gens-là ils veulent appliquer
109
la Charià !” Mais heureusement qu’ils veulent appliquer la Charià ! » , a-
t-il affirmé à Aulnay-sous-Bois.
Afin de s’assurer de la fidélité persistante de l’UOIF aux Frères
musulmans, il suffit de lire la brochure de l’organisation publiée en 1999 qui
reproduisait la conférence de Moshen Ngazou, prononcée le 3 mai 1998 lors
du rassemblement annuel de l’UOIF du Bourget. Dans cette conférence
consacrée aux « critères pour une organisation musulmane en France », Al-
Banna était présenté comme l’un des « grands penseurs et réformateurs de
l’époque de la renaissance de la pensée islamique et comme l’héritier et le
prolongement de Jamal-Al-Din Al- Afghani, Mohamed Abdoù, Mohamed
Rachid Rida et bien d’autres », Ngazou s’en prenant à ceux qui « trouvent
du plaisir en dénigrant Ibn Taimiyya, Mohamed Ibn Abdelwahhab, Sayyid
Qutb, Youcef Qardawi ou Fayçal Mawlawi [tout deux références des Frères
110
musulmans européens) [et qui veulent] détruire la mémoire musulmane » .
La place primordiale accordée à Hassan al-Banna transparaît d’ailleurs autant
dans les écrits de Tariq Ramadan que dans les conférences et brochures de
l’UOIF ou revues de l’association des Jeunes Musulmans de France (JMF),
proches de l’UOIF, ainsi qu’on a pu s’en apercevoir à la lecture du document
intitulé À la source du Rappel , publié par « HAB productions » (HAB sont
les initiales de Hassan Al-Banna) dont l’auteur, Farid Abdelkrim, faisait du
fondateur des Ikhwan un modèle de spiritualité.
En 1989, l’« Union des organisations islamiques en France » a été
rebaptisée « Union des organisations islamiques de France », une nuance
témoignant d’une volonté d’autochtonéisation. En avril 2017, son président,
Amar Lasfar (voir infra ), a annoncé la re-nomination de son organisation en
111
« Musulmans de France » pour mettre en avant son « côté citoyen » .
L’association est propriétaire d’une trentaine de lieux de culte dans les
grandes villes françaises et en contrôle 200, soit autant que la mosquée de
Paris, son organisation rivale présidée par le réformiste soufi Dalil
Boubakeur, lequel doit composer avec toutes les tendances légales de l’islam
de France mais désapprouve l’islam politique et incarne l’un des rares pôles
112
modérés de l’islam de France officiel . L’UOIF contrôle par ailleurs
plusieurs « associations spécialisées » comme les JMF précités ; les étudiants
musulmans de France (EMF), l’ex-UISEF (Union islamique des étudiants de
France), la Ligue française des femmes musulmanes (LFFM); l’Association
médicale Avicenne de France (AMAF) ; le European Halal Services (EHS),
ou encore le Comité de Bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP).
L’association gère aussi des établissements scolaires privés à Lyon, Lille,
Marseille et en Île-de-France.
Musulmans de France dépend toujours, comme l’ex-UOIF, de la FOIE,
elle-même assistée du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche
(CEFR). Anciennement membre du Conseil Français du Culte Musulman
(CFCM), l’Association, qui s’en est détachée en 2013 et cherche depuis à la
réintégrer, se décline dans les différentes régions de France en des structures
locales, comme l’association des musulmans d’Alsace (AMAL),
l’Association cultuelle lyonnaise ou encore l’Association des musulmans des
Alpes-Maritimes (AMAM). L’UOIF est inscrite depuis novembre 2014 sur la
liste des groupes terroristes publiée par les Émirats arabes unis, aux côtés de
81 autres organisations dans le monde et en Europe. Ceci n’est certes pas une
preuve en soi, vues les rivalités inter-islamiques, mais ce fait démontre que
les Frères sont plus libres et acceptés en Occident que dans certains pays
musulmans.

Un changement de nom opportun


Bien que son site internet assure que le changement de nom de l’UOIF en
113
Musulmans de France montre que l’association frériste « entre dans une
phase de sécularisation, c’est-à-dire revenir aux contenus religieux et aux
développements théologiques issus de notre école réformiste », les propos de
son président, Amar Lasfar, demeurent ambigus. Lasfar est une des figures
centrales des Frères musulmans en France. Né en 1960, à Nador, au Maroc, ce
dernier, qui dirige aujourd’hui le Lycée privé musulman Averroès controversé
après avoir présidé l’UOIF/MF, assurait que sa « fédération s’inscrit dans la
pensée réformatrice des Frères musulmans et non dans leur organisation »
114
et affirme depuis des années que sa mouvance incarne un pôle « modéré »
115
de l’islam de France. Pourtant, dans une vidéo tournée en arabe le 28 mai
1994, lors d’une conférence à Leyde aux Pays-Bas, récemment exhumée par
l’essayiste Zineb El-Rhazoui, il faisait la promotion de l’entrisme islamique
dans les institutions politiques occidentales afin de faire avancer
« progressivement » les normes de l’islam, notamment en infiltrant les
116
conseils municipaux . Lasfar expliquait ainsi les « pistes pour conquérir
117
l’Occident » , privilégiant certes la piste politique pacifique, mais
n’écartant a priori aucune option : « La force mal utilisée , expliquait-il, si
elle n’est pas utilisée au moment opportun, au bon endroit, devient une tare,
118
provoque la discorde » … Du Qardaoui dans le texte. Il citait par ailleurs
dans la conférence de 1994 le Hizb ut-Tahrir, le parti de la libération
islamique (PLI), formation sunnite ultra-radicale d’origine frériste, présente
notamment au Liban, mais interdite dans nombre de pays arabes et même à
119
Gaza pour son extrémisme néo-califal. Dans la vidéo Amar Lasfar ,
expliquait enfin que les « cousins » juifs auraient « soumis l’Occident, ses
lois et ses richesses au service d’une cause existentielle pour eux, à savoir
leur présence sur cette terre ». Certes, il se défend en affirmant aujourd’hui :
« J’ai évolué, on a tous évolué », ce qui revient à reconnaître la tonalité
radicale de son discours en arabe.
En guise d’autre exemple de modération républicaine, l’UOIF fut à
l’origine – en 2006, avec la Grande Mosquée de Paris (qui a regretté entre
temps cette action) – d’une plainte déposée contre le magazine Charlie Hebdo
pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur
religion » , suite à la publication de caricatures du prophète Mahomet. Nous
en avons parlé avec le Recteur de la Mosquée de Paris qui nous a avoué
regretter aujourd’hui cette action imposée par les pressions communautaires
internes, bien réelles. Aucune amende honorable de ce type n’a été constatée
120
de la part de l’UOIF, fer de lance des fameuses affaires de Creil . En clair,
l’UOIF, bien qu’association constituée sous la loi de 1901, théoriquement
culturelle et non religieuse, a toujours cherché à réformer les lois en vigueur
au profit d’une vision prosélyte de l’Islam frériste et d’un communautarisme
différentialiste. Sans que l’on y prenne garde, l’UOIF a en fait rayonné dans
tout l’Hexagone en quelques années, via son tissu associatif, diffusant et
banalisant son idéologie dans les quartiers, les universités et les médias.
Depuis l’origine, malgré ses dérapages, elle a été largement soutenue par des
militants et des élus de gauche, fascinés par son discours victimaire et tiers-
mondiste. Ces derniers, en mal de sens idéologique après la chute du
communisme, cherchaient une cause à défendre. L’islam politique ayant fait
de l’anticolonialisme et de la victimisation son credo, cela ne pouvait que les
séduire. En à peine trois décennies, sa banalisation et son hypermédiatisation
ont eu pour effet d’impacter deux générations qui se sont accoutumées au
voile, à la sémantique de la halalisation , ainsi qu’à un certain vocabulaire
islamique, ce sur quoi nous reviendrons plus loin. Plus que son schéma
structurel, c’est donc tout un ensemble d’éléments qui lui ont permis de
s’établir durablement dans la société française, notamment dans des quartiers
où elle a su habilement faire imposer ses codes.

Rencontres islamiques du Bourget


L’UOIF/MF organise chaque année, depuis 1984, la Rencontre Annuelle
des Musulmans de France (RAMF) au Bourget (93), qui réunit de 150 à
200 000 personnes. Cet évènement est devenu le plus grand rassemblement
musulman en France. Parmi les conférenciers habituels : Tariq et Hani
121
Ramadan, Hasan Iqioussen, Nabil Ennasri , proche du Qatar ; Youssef al-
Qardaoui (jusqu’en 2012), Mohamad Ratib al-Nabulsi, islamologue syrien
prônant la peine de mort pour les apostats, ou encore Abouzaid al-Mokrie El-
Draussi, un professeur à l’université de Casablanca qui appelle à la
122 .
destruction de l’État d’Israël Signe des profils radicaux des intervenants,
en 2012, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant – plus lucide que ses
prédécesseurs sur les Frères – avait interdit la participation de six
personnalités radicales au rassemblement, dont Qardaoui. Parmi les invités de
e
la 12 rencontre organisée le 10 février 2019, à « Lille-Grand-Palais », sur le
thème « un destin à construire », on peut citer l’imam complotiste Ahmed
Miktar, qui manie un discours d’autant plus ambigu qu’il ambitionne d’être
nommé un jour « Grand Mufti de France » ; l’imam branché Abdelmonaïn
Boussenna, qui prit la défense de Tariq Ramadan lors d’un sermon
d’octobre 2017 visionné par 220 000 fidèles musulmans ; Amar Lasfar,
président de l’UOIF/Musulmans de France (MF) et du très controversé lycée
islamique Averroès, qui défend le droit au port du voile islamique dans les
écoles publiques et privées et qui expliquait en 1994 dans une conférence
comment conquérir l’Occident progressivement en infiltrant les structures
politiques et éducatives ; Naïma Ben Yaïch, du parti de la Justice et du
Développement marocain (PJD), etc. L’UOIF/MF organise également au
niveau local nombre de Rencontres Annuelles régionales (à Marseille, à
Nantes, à Mulhouse, à Lille, au Havre…).

Double financement « endogène » et Qatari


L’autofinancement de Musulmans de France, supérieur à 80 %, serait
assuré par ses membres. MF affirme que seuls 30 % de ses fonds
proviendraient de sources étrangères. Dans son ouvrage OPA sur l’islam de
France : les ambitions secrètes de l’UOIF (2005), Fiametta Venner affirme
pourtant qu’une grande partie des fonds dits d’origine française sont octroyés
123
par de grands mécènes du Golfe , l’argent transitant via des liquidités et
investissements dans des murs ou des projets qataris. Le Qatar aurait ainsi
financé (4,4 million d’euros) la construction de la mosquée Assalam de
Nantes, gérée par l’Association islamique de l’Ouest de la France (AIOF), un
satellite régional de MF ; ou encore la mosquée Assalam de Mulhouse gérée
par l’Association des Musulmans d’Alsace, érigée grâce à un don de 2
124
millions d’euros de l’ONG qatarie Qatar Charity Organization (QCO) (voir
infra chapitre IV ). L’Émirat du Qatar financerait par ailleurs la future grande
mosquée à Marseille.
Pour soutenir ses projets, l’UOIF a créé une fondation, Al-Wakf France,
organisme gestionnaire des dons religieux qui sert à recevoir des donations
mobilières/immobilières et à reverser les dividendes issus de la gestion de ces
biens à « des structures utiles aux MF » . Cela permet de financer les
établissements scolaires liés aux Frères. L’organisation mise sur 11 millions
d’euros de patrimoine d’ici vingt ans. Par ailleurs, les Frères ont investi
depuis les années 1990 le marché de la sacrification et de la
commercialisation de la viande certifiée halal (cf. Association AVS), ce qui a
permis de faire entrer beaucoup d’argent. Ce marché très lucratif
représenterait un chiffre d’affaires annuel de 6 milliards d’euros, et les
Ikhwan détiendraient un monopole de fait pour l’exportation de la viande
125
halal vers les pays du Golfe et pour la sacrification dans plusieurs régions.
Il est utile de préciser que c’est à la fois pour des raisons « d’auto-
financement » et de mobilisation identitaire, donc politiques, que la mode du
halal a été progressivement imposée dans les années 1980, à l’instigation des
mouvances fréro-salafistes partout dans le monde musulman, puis ensuite en
Europe dès les années 1990, dans une logique révolutionnaire de repli
identitaire et de « désassimilation ». Dans son ouvrage L’islam, une religion
française , Hakim El Karoui rappelle que c’est dans l’entourage des « fréristes
ramadiens », proches des réseaux de Tariq Ramadan que fut lancée, en 1991,
À votre service (AVS), l’association qui a réussi à imposer « un mode de
certification draconien » en faisant de son label très rigoureux une «
garantie auprès des consommateurs ». Saida Keller Messahli précise, quant à
elle, qu’il « ne faut pas sous-estimer les sociétés liées au marché alimentaire
conformes à la charià » et dédiées aux pèlerinages à La Mecque, qui «
126
constituent une force économique importante pour les Frères en Europe »
.

« L’université » de Château-Chinon :
des Imams fréristes pour la France et
l’Europe
Il est utile de revenir plus en détail sur l’histoire de la fondation de
l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH), basé à Château-Chinon et
longtemps présidé par Al- Qardaoui, car elle en dit long sur la galaxie frériste.
C’est en fait la branche française des Frères qui fut l’initiatrice directe de
l’ouverture, en 1990 de l’IESH, aujourd’hui piloté par la structure européenne
des Ikhwan mais siégeant toujours à Saint-Léger-de-Fougeret, près de
Château-Chinon. L’IESH, qui forme les imams européens à l’idéologie
« fréro-salafiste », a été concrètement fondé par des personnalités proches du
noyau dur de La Confrérie, comme Ahmed Jaballah, Zuhair Mahmoud,
Qardaoui, membre de son conseil scientifique, sans oublier Faysal Mawlawi,
le guide spirituel historique de l’UOIF et l’un de ses fréquents visiteurs et
conférenciers.
En collaboration avec les monarchies sunnites du Golfe, cet institut, forme
une dizaine d’imams et accueille annuellement 250 étudiants, lesquels suivent
des cours de coran et d’arabe dans le cadre bucolique morvandiau. Également
appelé « Faculté Européenne d’Études Islamiques de la Nièvre , le centre
aurait déjà formé entre 1990 et 2004 plus de trois cents imams. Il est relié au
Conseil Mondial des Mosquées d’ Arabie saoudite ainsi qu’à l’Institut
Islamique pour la formation des prédicateurs et imams en Europe, qui siège
127
également dans la capitale belge . Le site internet de l’IESH publie enfin
les fatwas du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche. Ayant ouvert
ses portes en 1990, ce centre de théologie, d’apprentissage du coran et de
formation d’imams dispose d’un site internet très actif sur lequel on peut
128
trouver son historique dont voici quelques lignes ci-dessous :
L’Institut d’enseignement de Théologie Musulmane faisait son
chemin dans l’esprit de plusieurs responsables au sein de la
communauté musulmane de France et d’Europe dès les années 80.
C’était le résultat d’une évolution de la communauté Musulmane
européenne, devenue sédentaire en occident. Les dirigeants de
l’Union des Organisations Islamiques d’Europe (U.O.I.E.) étaient
persuadés qu’il était devenu nécessaire de donner à l’islam des
structures stables répondant aux besoins des musulmans tout en
tenant compte des spécificités et de la réalité environnante. En effet,
la formation de cadres musulmans ayant à la fois une qualification
scientifique théologique et une bonne assimilation de la réalité
occidentale, représente le moyen le plus efficace pour une intégration
positive des musulmans dans les sociétés européennes.
C’est dans ce cadre, que l’Union des Organisation Islamiques de
France (U.O.I.F.), représentant de l’U.O.I.E en France, en association
avec des penseurs, des chercheurs, des théologiens…, a pris
l’initiative de créer en 1990 une association régie par la loi 1901
nommée « Institut Européen des Sciences Humaines » (IESH). L’idée
fut accueillie avec grand enthousiasme dans le monde musulman. Des
fonds furent rassemblés et un vaste domaine de 110 000 mètres carrés
fut acquis. L’endroit était utilisé jusque-là pour des colonies de
vacances et se prêtait donc à l’accueil d’une collectivité. Les plus
grands savants du monde musulman rejoignirent le conseil
scientifique de l’IESH. Ces savants se mirent au travail pour définir le
programme d’études. L’IESH fut inaugurée en 1992.
La première promotion qui rejoignit l’Institut en 1992 comptait 12
étudiants. Sheikh Youssouf Al- Qardaoui se déplaça pour remettre les
diplômes Conseil et Fatwa
Le Conseil Européen de la fatwa et des Recherches (CEFR) sera
notre référant dans ce domaine. Voir le site e-cfr.org
Il est composé d’éminents savants parmi eux : Le Cheikh Youssef
Al-Qardaoui (Président du conseil)
Le Conseil Européen de la fatwa et des Recherches (CEFR) sera
notre référant dans ce domaine. Voir le site e-cfr.org
Il est composé d’éminents savants parmi eux : Le Cheikh Youssef
Al Qardaoui (Président du conseil)

Il est, selon son site, titulaire d’un compte bancaire postal à Dijon, qui sert au
dépôt et au transit de fonds, comme le stipule le texte ci-dessous.
129
Les virements à l’IESH sont à transférer sur le compte CCP Dijon : IBAN
FR63 20041 01004 0537901N025 17
BIC : PSSTFRPPDIJ
Spécifier DONS, ZAKAT AL MAL, etc.
Résumons ainsi la situation : l’UOIF et la FOIE, représentation de La
Confrérie égyptienne en France et sur le vieux continent, ont contribué dans
les années 1990 à mettre en place un institut, l’IESH, qui se vante, sur son
site, d’avoir partie liée avec le fanatique Youssouf al-Qardaoui. Ce site
indique officiellement qu’une banque française établie à Dijon a accepté de
lui ouvrir un compte sur lequel il peut déposer du cash provenant de dons pas
toujours simples à tracer… Tout cela au vu et au su des autorités françaises.
Car ce fut sous la présidence de François Mitterrand, et en particulier sur
demande insistante de son épouse Danièle, que fut ouvert ce centre sur sa
terre d’élection : la Nièvre, avec une faveur d’octroi d’un terrain pour un
franc symbolique.
L’IESH dispose aujourd’hui de deux antennes, à Paris et à Strasbourg,
ouvertes respectivement en 1999 et 2008. Fayçal Malawi, l’un de ses
cofondateurs – disparu en 2009 – particulièrement radical et proche de
Qardaoui, était secrétaire général de la Jama’a al islamiya, antenne libanaise
de l’organisation frériste (voir chapitre II ). Mahmood Zuhair, son directeur,
un irakien d’origine qui enseigne la tradition prophétique ( ahadith ), a quant
à lui été sous surveillance des services de renseignement en raison de ses liens
avec le Qatar. Un ancien cadre des services de la Direction de la Surveillance
130
du Territoire (DST) nous a ainsi expliqué : « nous avons établi des notes
concernant certains jeunes ayant transité par l’IESH, qui ont rejoint la
Bosnie, le Pakistan puis l’Afghanistan à la fin des années 90 pour y faire le
Jihad. Mais c’était impossible de se faire entendre par notre hiérarchie. Il y
avait un blocus total sur tout ce qui concernait l’IESH, alors que nous
savions, simplement par la présence de Qardawi, qu’il était lié à la nébuleuse
islamiste (…) Ce ne sont pas les notes blanches qui ont manqué sur cet
institut et les gens qui le fréquentaient, mais rien n’y a fait, il est toujours en
place (…) ». On se demande comment il est possible que, depuis, rien n’ait
été fait pour dissoudre cette association, qui gênerait des élus locaux selon nos
sources. L’agent poursuit : « Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre
ce qui se passe. D’une part, il y a le Qatar qui protège les Frères musulmans
et fait du chantage aux contrats commerciaux. Ça implique implicitement que
si la France ferme ou interdit ces associations, ils arrêteront de commander
des avions ou d’ouvrir leurs chantiers de construction aux sociétés
françaises. D’autre part, il y a un cynisme sans limite de certains élus, maires
ou députés, qui font de l’électoralisme en se montrant complaisants avec ces
associations. Sans parler de la prise d’otage à l’islamophobie, qui leur fait
peur (…)». Toujours dans la ligne de mire des services de renseignement,
l’IESH est en réalité – avec ses succursales – un véritable carrefour de
rencontres, qui multiplie les journées portes ouvertes, délivre des certificats
de finance islamique, des formations pour devenir aumônier et fait même de
131
la formation à distance . En quelques années, il est devenu l’une des
plateformes de l’enseignement théologique des Ikhwan en France et en
Europe, qui répond pleinement aux objectifs de stratégie d’influence des
132
Frères musulmans et de la fondation caritative Qatar Charity Organisation
(voir infra chapitre IV). `
Infiltration de l’enseignement et des milieux
universitaires et politiques
Au début des années 2000, on ne comptait qu’une école privée musulmane
en France. En 2015, il y en a 40 sous contrôle des Frères et l’on en prévoit
une cinquantaine d’ici quelques années. Dans son ouvrage Pourquoi j’ai
133
quitté les Frères musulmans, retour éclairé vers un islam apolitique ,
Mohamed Louizi, ancien membre de La Confrérie et ex-président des
Étudiants musulmans de France, qui fut employé du Lycée frériste Averroès,
affirme que « les Frères musulmans s’emploient depuis le début des années
1980, sur le vieux continent à acquérir divers « territoires » privés pour
inscrire, dans la durée, leur récit islamiste comme élément du récit national
de chaque pays de l’Europe. Cette opération s’appelle le « Tawtine » * ». Le
terme tawtine désigne en fait le modus operandi des Ikhwan en Europe
visant à infiltrer les sociétés par étapes progressives, notamment via la
construction de mosquées-cathédrales, les acquisitions immobilières, les
constructions d’établissements scolaires privés ou de centres culturels
islamiques. Sans l’objectif territorialiste du « Tawtine », explique Louizi,
l’objectif final du Tamkine visant à instaurer la loi d’Allah sur terre ne peut
134
être mené efficacement . L’auteur relate par exemple que, dans un autre
document en langue arabe destiné aux riches donateurs des pays du Golfe,
l’équipe de gestion du Lycée Averroès précise un des objectifs non avoués :
« former et préparer une élite, choisie parmi les enfants de la communauté
musulmane, pour qu’elle puisse occuper des postes sensibles au sein de la
société française comme : l’ordre des avocats, l’enseignement supérieur, la
médecine, les médias (…). En vue des prochaines élections présidentielles,
parlementaires et municipales, il va falloir sélectionner et préparer une élite
qui s’occupera de l’action politique. Il faudrait intégrer les partis politiques
135
pour les influencer de l’intérieur » ! Dans ce lycée comme dans d’autres
structures de l’UOIF, les jeunes initiés apprennent le chant-slogan de La
Confrérie : « Allah est notre ultime but. Le Messager est notre exemple et
guide. Le Coran est notre constitution. Le jihad est notre voie. Mourir dans le
sentier d’Allah est notre plus grand espoir ». Soufiane Zitouni, lui aussi ex-
enseignant démissionnaire du Lycée Averroès, a raconté dans un ouvrage très
136
documenté les pressions qu’il a subies de la part des dirigeants du lycée et
d’autres Frères musulmans et islamistes suite à sa tribune dans Libération
137
condamnant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher . Ce
professeur de philosophie affirme avoir reçu des « avertissements de ses
collègues », dont certains ont même décroché son texte affiché en salle des
professeurs. Il affirme que ceci lui attira les foudres de ses élèves, imprégnés
de préjugés antisémites et de théories du complot. Il dénonce également
l’hypocrisie des Ikhwan qui donnent des noms prestigieux – comme
Averroès – à des lycées ou centres islamiques, ceci afin de donner une image
« éclairée » dans une logique de takiya , alors que leur idéologie condamne
les philosophes musulmans rationnalistes et éclairés comme Averroès, dont
d’ailleurs aucun ouvrage ne serait présenté aux élèves du Lycée Averroès ou
ailleurs dans les structures des Frères. Après sa démission du Lycée Averroès,
Zitouni a confessé avoir « ouvert les yeux » : « J’ai fini par comprendre au
bout de cinq mois éprouvants dans cet établissement musulman sous contrat
avec l’État français (mon véritable employeur en tant que professeur certifié),
que les responsables de ce lycée jouent un double jeu avec notre République
laïque : d’un côté montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier
d’une bonne image dans l’opinion publique et ainsi continuer à profiter des
gros avantages de son contrat avec l’État, et d’un autre côté, diffuser de
manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre
que l’islamisme, c’est-à-dire, un mélange malsain et dangereux de religion et
138
de politique. »
En milieu universitaire, l’infiltration des Ikhwan est déjà ancienne à
Oxford, où Tariq Ramadan a pu devenir professeur grâce au financement en
sa faveur d’une chaire islamique par le Qatar. On peut citer également
l’Université de Fribourg, en Suisse, dont le petit-fils de Hassan al-Banna et
des professeurs pro-Frères ont fait un temps un bastion. Tariq y a été chargé
de cours entre 1997 et 2004. En France, l’université Paris-VIII est une
université refuge pour les Ikhwan depuis longtemps, grâce à une alliance
rouge-verte déjà ancienne. Le CNRS est lui-même producteur depuis des
années de chercheurs ouvertement favorables aux Ikhwan , comme Vincent
Geisser ou François Burgat (voir chapitre VII). Cette présence se manifeste
aussi par des colloques universitaires. En mai 2017, par exemple, l’École
Supérieure du Professorat et de l’Éducation de l’académie de Créteil organisa
un colloque intitulé « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en
éducation », animé par des adeptes des thèses néo-racialistes et pro-fréristes
des indigénistes. Certains thèmes abordés avaient pour titre « L’institution
scolaire au risque de l’islamophobie », ou encore « Comment l’institution
scolaire fabrique le “ problème musulman” ». En s’alliant avec des islamistes,
notamment l’EMF, la branche étudiante des Frères, et en choisissant une
étudiante vêtue de l’uniforme des Frères musulmans, le syndicat étudiant de
gauche UNEF a clairement rejoint ce mouvement de fond. La chercheuse
suisso-tunisienne Saïda Keller-Messahli, essayiste et journaliste (fondatrice
du Forum pour un islam progressiste), qui a reçu le Prix suisse des droits de
l’homme 2016, le confirme : « Dans les grandes universités, il existe des
organisations de l’association des étudiants musulmans. De là partent
d’autres branches du monde universitaire : l’idée est notamment de noyauter
la recherche et les études islamiques comme cela est le cas au CSIS de
Fribourg, le centre suisse de la société islamique fondé par des citoyens
allemands, mais aussi comme on le voit avec des centres de formation en
France, en Angleterre ou en Allemagne. Le Qatar cofinance maints centres
comme le Conseil européen des fatwas et de la recherche ou l’Union
internationale des érudits musulmans, structures qui utilisent leurs réseaux de
mosquées et d’imams aumôniers qui visitent les prisons, les hôpitaux les
écoles publiques pour y assurer des cours de religion ».
Sur le plan politique, les Frères incitent les musulmans d’Europe à «
prendre part à la vie politique, économique et sociale » du pays dans lequel
ils vivent, apparaissant ainsi comme des bons citoyens : Hani Ramadan parle
de ce fait « d’intégration positive ». Toutefois, ils ne privilégient pas encore
la création de partis politiques islamistes, qu’ils appuient parfois, mais
auxquels ils préfèrent l’infiltration dans des partis aux idéologies « impies »
mais bien « disposés » à l’égard du processus d’islamisation et d’immigration
incontrôlée. En France, les Frères du Collectif des musulmans de France
139
(CMF) d’Abdelaziz Chambi, tout comme l’UOIF, le CCIF ou les réseaux
de Tariq et Hani Ramadan, qui se posent en défenseur des « intérêts des
musulmans de l’Hexagone », appellent régulièrement à voter dans l’intérêt de
la Oumma et des Frères, c’est-à-dire non pas pour les partis (droitistes) qui
partagent des thèses les plus réactionnaires, pro-famille, anti-avortement, anti-
mariage homosexuel, et conservatrices – pourtant sociétalement plus proches
de celles des Ikhwan et des islamistes en général – mais en faveur des partis
de gauche plus ouverts à l’islamisme et à l’immigration de masse. C’est ainsi
qu’en 1995, déjà, au congrès du Bourget, le prédicateur de l’UOIF, Hassan
Iqioussen, appela officiellement à voter pour Lionel Jospin à l’élection
présidentielle, ce que l’UOIF reproduira systématiquement depuis lors à
chaque élection, même face à Nicolas Sarkozy qui fut pourtant l’homme
politique (de droite) qui donna la plus large représentation aux Frères
musulmans au sein du CFCM. En 2007, à l’occasion de l’élection
présidentielle, les Frères musulmans du CMF appelèrent à voter en faveur de
José Bové et ils se rapprochèrent, comme Tariq Ramadan, des mouvements
d’extrême gauche et « altermondialistes », dans une logique tiers-mondiste,
pro-palestinienne et anti-occidentale (voir chapitre VII). En 2007, en 2012 et
en 2017, les Frères ont systématiquement appelé à voter en faveur du PS ou
d’En Marche, non seulement face au danger du RN, mais aussi face à celui
incarné par la droite sarkozyste et gaulliste, jugée moins ouverte en matière
d’immigration, de voile islamique, de cantines halal et de communautarisme
islamique. De la même manière, en Grande-Bretagne, cette stratégie
d’alliance cynique avec une gauche pourtant pro-LGBT et athée, est
appliquée à la lettre : la Muslim Assembly of Britain (MAB) encourage
systématiquement les musulmans britanniques à voter en faveur des
travaillistes pro-palestiniens (comme l’ex-maire de Londres Ken Livingstone
ou Jeremy Corbin), du parti néo-trotskiste pro-islamiste Respect, ou des
Verts. En Suède, les Frères sont d’ailleurs parvenus à faire nommer de 2014 à
2016 un ministre, Mehmet Güner Keplan, d’origine turque et membre du parti
des Verts, en charge du Logement et du Développement urbain. Celui-ci a
toutefois dû démissionner en raison de son « extrémisme islamiste ».

Islam de France ou en France ?


la marque des Ikhwan
Bien que les Frères soient présents à travers toute la France, ils sont tout
particulièrement implantés dans certaines régions. En région parisienne, ils
contrôlent notamment une grande mosquée de 1 500 places, à la Courneuve,
140
en Seine-Saint-Denis . On peut également mentionner l’inauguration, le
7 avril 2019, en compagnie du préfet de l’Essonne, du maire et de
représentants des cultes, de la mosquée frériste de Massy, dont la chaîne
Youtube diffuse les conférences d’invités « prestigieux » comme les radicaux
Hassan Iqioussen ou Hani Ramadan. Une autre grande mosquée avec coupole
et minaret a été achevée en 2019, à Bussy-Saint-Georges, où un reportage
photo du site Dômes et Minarets montre le référencement de livres à la gloire
de Sayyid Qutb, d’ Abu Bakr al-Jazairi et le Fiqh al Sunna du Frère
musulman cheikh Sayid Sabiq (mort en 2000), surnommé le « Mufti du
sang » en Égypte.
Parallèlement à l’activisme cultuel et communautaire du ministère turc des
Affaires religieuses et de ses réseaux islamistes pro- Erdogan (Diyanet,
DITIB et Milli Görüs), souvent associés aux Frères, l’Est de la France semble
être devenu une nouvelle terre de conquête pour les Ikhwan . En Alsace, MLF
a inauguré, en mai 2019, la nouvelle mosquée géante de Mulhouse, nommée
Ennour (« la lumière »). Ce bâtiment de 11 000 mètres carrés a mobilisé
trente entreprises et a nécessité un investissement de 22 millions d’euros en
dix ans, issus de dons de fidèles et d’associations, le Qatar ayant avancé deux
millions. Le projet était soutenu par Youssef al- Qardaoui, qui a même
produit un clip vidéo pour appeler aux dons des fidèles. En plus de l’espace
réservé au culte, qui ne représente que 13 % de la surface totale, l’édifice
comprend une école, un centre culturel, un espace bien-être, un espace
141
mortuaire et même un coiffeur . Il s’agit là d’un nouveau bastion
stratégique pour les Ikhwan . En région Alsace, d’autres mosquées sont
désormais sous influence d’imams passés par l’UOIF/MF : la mosquée Al-
Imane, avec son imam Mohsen Ayachi ; la mosquée du quartier du Port du
Rhin, dont un des fondateurs, Abobacar, a été formé à l’IESH, ou encore celle
du quartier de la gare, qui a pour imam l’égyptien Ahmed Sami. Dans la
capitale alsacienne, un centre médical musulman est en préparation avenue
François Mitterrand, à l’initiative de l’association Passerelle abondée par la
« Qatar Charity ». Enfin, une école dénommée Iqraa, basée à Lingolsheim, à
côté de Strasbourg, a été financée par le Qatar à hauteur de 101 000 euros.
Toujours dans l’Est, en Champagne, la grande mosquée de Reims a été
également inaugurée en mars 2019, en présence du sous-préfet, de la députée
LREM Aina Kuric, de représentants du Qatar et du Koweit, et d’ Amar
142
Lasfar, président de MF et directeur du lycée islamique sous contrat
Averroès.
L’UOIF/MF a ainsi réussi à conquérir la présidence du Conseil régional
du culte musulman en Rhône-Alpes et à être finalement reconnu, après des
années de résistance, comme l’interlocuteur privilégié de la cité phocéenne,
laquelle l’a chargé de la gestion de la future Grande mosquée. À
Villeurbanne, par exemple, la mosquée frériste Othmane, membre de l’UOIF-
143
MF, est en train d’être étendue . Lancé officiellement le 14 juin 2019, le
chantier devrait être achevé fin 2021 pour un coût de trois millions d’euros.
Le président de la mosquée, Azzedine Gaci , responsable de l’UOIF/MF dans
le Rhône, n’a jamais dissimulé les activités pro-fréristes de sa mosquée qui a
organisé notamment des conférences durant le ramadan avec des prédicateurs
144
radicaux . D’autres projets en cours sont soutenus par des élus de tous les
bords, comme à Grenoble, où, l’association des musulmans unis (AMU),
membre de l’UOIF/MF, a mis sur pied un projet de grande mosquée (dite de
Teisseire) avec minaret . Joachim Véliocas rapporte que l’imam Allal Jamad
145
, né en 1959 au Maroc, a bénéficié d’une naturalisation française alors
même que ses liens avec des prédicateurs radicaux sont connus. L’association
a notamment invité, en février 2019, Hassan Iqioussen, prédicateur fanatique
146
de la mouvance frériste qui nie notamment le génocide arménien, et prône
la haine envers les sionistes et Israël. Dans une conférence de janvier 2013
consacrée à l’Empire ottoman, il a exposé sa stratégie en vue d’un retour du
califat, où les lettrés et les savants de l’islam auraient pour rôle de « ramener
les musulmans dans le giron de l’islam pour recréer cette entité politique qui
a pour objectif de permettre aux musulmans de vivre leur foi dans tous les
domaines : économiques, politiques, et tout ce que vous voulez. Donc
le califat est en train de revenir, ça va prendre du temps mais il y a un début à
toute chose, regardez : révolutions, on renverse les tyrans despotes, d’accord,
147
qui étaient tous laïcs, islamophobes » .
Autre prédicateur – salafiste cette fois – invité par l’AMU, Ismaïl Abou
Ibrahim, imam de la mosquée des Bleuets à Marseille, qui évoque dans ses
conférences la notion phare des salafistes saoudiens, « l’Alliance et le
désaveu » ( al-Walaa wal-Bara*) , qui interdit de se lier d’amitié avec des
148
mécréants et n’autorise que les relations commerciales avec eux . Autre
preuve de l’alliance fréro-salafiste, cet imam est membre du mouvement
L.E.S Musulmans, créé par le frériste et directeur exécutif du CCIF, Marwan
Muhammad. Dans l’une de ses conférences de janvier 2019, l’imam Ismaïl a
dressé un tableau apocalyptique de la situation des musulmans en France en
toute logique victimaire : « Plus on avance, plus la situation s’aggrave. On
en a marre de la situation dans laquelle on vit. Cette situation d’humiliés,
cette situation de rabaissés. (…) depuis 1989 ils ont pris des mètres et des
mètres, des kilomètres, on se dit qu’on est au dernier centimètre : nos
femmes, interdiction de travailler pour elles. Interdiction d’étudier avec le
hijab. À chaque fois elles ne peuvent rien faire. Les enfants, tu veux leur
donner une éducation, c’est quasi impossible. Car déjà vous vous préférez les
149
mettre là où c’est gratuit (…) » . L’idée est d’inciter les fidèles à inscrire
les enfants dans les écoles musulmanes de Marseille, justement fondées par
des associations de l’UOIF. Le prédicateur prend l’exemple des salafs ( pieux
prédécesseurs), qui ont dû souffrir aussi à leur époque.
Ailleurs en France, les Frères progressent en termes de contrôle de
grandes mosquées, écoles et centres islamiques. C’est ainsi que dans la
mosquée de Cenon, en banlieue bordelaise, les responsables fréristes sont
parvenus à bloquer leurs concurrents du Tabligh ou du salafisme wahhabite.
Dans le Sud-Ouest, dans le Limousin et dans le Nord, ils disposent de grands
centres islamiques. À Rouen, une mosquée avec minaret nommée Al
Kaouthar est en fin de construction. Elle est pilotée par l’Union des
Musulmans de Rouen, qui diffuse entre autres les textes d’Al-Banna et de
Qardaoui sur son site internet.

Suède, pays d’Europe du Nord le plus


perméable au projet d’islamisation des
Frères
En Suède, les Frères sont massivement présents depuis la fin des années
1970 et ils ont réussi, grâce à une stratégie victimaire et à un discours
rassurant bien huilé, à pénétrer les institutions et partis politiques de gauche et
des Verts, qui leur ont offert leur plate-forme politique pour promouvoir
l’islam. Récemment, les auteurs d’un rapport confidentiel de l’Agence pour la
protection civile (ministère suédois de la Défense), ont accusé les Ikhwan de
« vouloir intégrer les organisations civiles, les institutions ou des partis
politiques du pays afin d’y mettre sur pied une société parallèle, cherchant à
s’attirer les faveurs de gouvernements et de partis politiques par des slogans
trompeurs évoquant les Droits de l’homme et la démocratie ». Anila Suder, la
responsable des opérations au sein de l’Agence, affirme que de nombreuses
associations islamiques liées à La Confrérie et établies en Suède (Islamic
Relief Worldwide, Association Ibn Rushd pour l’Éducation, Association des
Jeunes Musulmans de Suède ; Association Islamique en Suède-AIS),
tenteraient « d’augmenter le nombre de leurs partisans en intégrant les
vagues de migrations en provenance du continent africain et du Moyen-
Orient, tout en exerçant leur influence au sein des communautés de réfugiés »
.
Comme en Belgique ou en Allemagne, de généreux financements publics
sont accordés aux associations cultuelles reconnues, dont les structures
salafistes, turques pro- Erdogan et frérises telle l’AMS. Illustration
intéressante de la stratégie revendicatrice des Ikhwan , Mahmoud Aldebe,
ancien dirigeant de l’AMS, avait écrit en 2006 une lettre au gouvernement
suédois demandant l’adoption du calendrier islamique et la possibilité, pour
les imams, de dissoudre les mariages. Comme ailleurs en Europe, l’AMS,
pourtant la principale structure des Ikhwan en Suède, nie l’affiliation à La
Confrérie, tout en vouant « une fidélité totale au chef spirituel Youssouf al-
Qardaoui »… En 2006, le dirigeant de l’Association, Mohammed al-Dabahi,
avait provoqué un scandale en envoyant une lettre ouverte aux partis
politiques suédois pour exiger des droits spécifiques pour que les étudiants
150
musulmans soient exemptés de la loi sur le divorce . L’expert en sécurité et
essayiste Stefano Piazza rappelle que si l’association affiche sur son site
(Muslim.se) son intention de « jeter des ponts entre les musulmans et les
Suédois », la réalité diffère : « comme l’a raconté le quotidien “Gefle
Dagblad” lors d’une enquête en 2015, l’imam salafiste de la ville de Gävle,
151
Abo Raad , à l’origine de ce site web – désormais fermé – a notamment
affirmé que l’homosexualité devait être punie de mort. Raad est pourtant une
personnalité éminente de l’Association des musulmans de Suède, qui a reçu
chaque année plus de 400 000 couronnes (l’équivalent de 45 000 euros) du
gouvernement suédois pour faire ce genre de propagande au lieu de “lutter
contre l’islamophobie et le racisme dans la société” », comme il prétend
vouloir le faire sur son site, conclut Piazza. Encore plus que les autres pays
européens, déjà très laxistes, la Suède est l’exemple-type d’un pays occidental
multiculturaliste dont la mauvaise conscience semble concourir à ouvrir la
porte à ses propres ennemis idéologiques et civilisationnels. Après avoir
déploré que la Suède ait fait de facto interdire nombre d’églises de faire
sonner leurs cloches pour ne pas choquer les musulmans lorsqu’ils sont
nombreux, Piazza explique que « le gouvernement suédois a donné le feu
vert à la propagation de l’adhan (l’appel islamique à la prière lancé par le
e
muezzin) dans la 22 ville la plus peuplée de Suède, la ville de Växjö ». Idem
en 2013 à Botkyrka (banlieue de Stockholm), où la mosquée locale a obtenu
un minaret de 30 mètres de haut, et à Karlskrona (au sud de la Suède). Il
rappelle que « le gouvernement suédois a été vivement critiqué, tant chez lui
que dans le reste de l’Europe, pour son attitude soumise envers l’extrémisme
islamique » . Haras Rafuiq, présidant la Fondation Quilliam, groupe de
réflexion de Londres impliqué dans la lutte contre le terrorisme, est encore
plus sévère : « La Suède, plus que tout autre pays, permet aux prédicateurs
de la haine d’entrer dans le pays et de tenir des conférences pour diffuser des
152
messages. La Suède devrait se pencher sur cette question. »

Allemagne : présence ancienne des Ikhwan


et coopération stratégique avec l’islamisme
turc
Sur les 19 organisations musulmanes d’outre-Rhin, chapeautées par le
Zentralrat der Muslime, qui sert d’interlocuteur aux pouvoirs publics, les neuf
plus puissantes sont fréristes. Il est vrai que l’Allemagne est – comme la
Suisse – une terre de refuge des Ikhwan et de la famille Ramadan depuis les
années 1950. La principale organisation des Frères est la Communauté
islamique en Allemagne (Islamische Gemeinschaft in Deutschland – IGD),
qui siège à Cologne et qui a été fondée par Saïd Ramadan, qui l’a dirigée de
1958 à 1968. En 1973, ce fut son homme de confiance, Ali Ghaleb Himmat,
Syrien naturalisé italien co-fondateur de la Taqwa Bank (voir infra ,
chapitre III), basée à Lugano, qui le remplaça et en devint le président. L’IGD
travaille en étroite coopération avec le Centre islamique de Munich (CIM),
cofondé par Saïd Ramadan dans les années 1960. Comme ailleurs, les
Muslimische Brüder (Frères musulmans d’Allemagne), démentent tantôt leur
appartenance qu’ils réaffirment ailleurs : l ’ IGD se présente auprès des
pouvoirs publics allemands – qui financent le culte musulman – comme
adepte d’un islam « ouvert sur le monde et la démocratie pluraliste », mais
dispense des positions obscurantistes hostiles à l’intégration. Quant au CIM, il
prône sur sa page d’accueil la soumission des femmes aux hommes et
présente le divorce et le droit de choisir son conjoint comme devant être régis
par la charià .
Après la démission de Himmat en 2002, le germano-égyptien Ibrahim
153
Farouk al- Zayat en prit la direction. Tour à tour chef de l’Union des
étudiants musulmans, de la Fédération des organisations musulmanes de
jeunes et d’étudiants (FEMYSO), représentant européen de l’Assemblée
Mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY), co-fondateur de la FOIE et de
la Gesellschaft Muslimischer Sozial und Geisteswissenschaftler (GMSG),
administrateur de l’IESH, fiduciaire du European Trust et même membre du
conseil d’administration de l’ONG « Islamic Relief Germany » et de
« Islamic Relief Worldwide » à Birmingham (Royaume-Uni), Al-Zayat
incarne mieux que quiconque l’alliance stratégique et idéologique unissant les
Frères musulmans arabes et l’islamisme turc en Europe. Il est d’ailleurs marié
à Sabiha Erbakan, la sœur de Mehmet Sabri Erbakan, le propre neveu du
pionnier de l’islam turc Nehmettin Erbakan (mentor de Recep Taiyyp
Erdogan), qui fut longtemps le secrétaire général de Millî Görüş en
Allemagne.
L’IGD est aujourd’hui dirigée par Ahmad Khalifeh, un cadre ikhwan
d’origine turque proche du pouvoir à Ankara. Conscients que l’essentiel des
musulmans d’Allemagne est d’origine turque, les Ikhwan y ont
opportunément misé sur la coopération avec le Millî Görüş turc, créé à
Cologne en 1986 par Necmettin Erbakan, ancien Premier ministre turc décédé
154
en 2011 . Parmi les organisations liées au Milli Görüş, on peut citer
l’Union des associations islamiques de Berlin, de Niedersachsen, de Brème,
de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et de Hesse, dont le nombre de partisans,
évalués à deux millions, constituent un soutien précieux aux Frères. Les
Ikhwan ont également mobilisé d’autres associations : l’Union turque des
associations culturelles islamiques en Europe (ATIB), l’Union des centres
islamiques albanais en Allemagne (UIAZD), l’association islamique des
bosniaques en Allemagne (IGDB), ainsi que la Ligue des associations
islamiques en Allemagne au Rhine-Main (DIV).

L’inquiétude des services de renseignements


allemands
Le développement des Ikhwan outre-Rhin inquiète sérieusement les
services de renseignement allemands, ainsi que l’a montré une enquête menée
par le Kölner Stadt-Anzeiger , publiée sur son site Internet le 10 décembre
2018. Selon les services allemands du Bundesamt für Verfassungsschutz
(BfV), les Ikhwan poursuivraient des objectifs « foncièrement hostiles à la
démocratie et aux valeurs occidentales , sous couvert d’un discours officiel
155
prônant la non-violence » » . S’appuyant sur un très large réseau de
mosquées, écoles coraniques et organisations reconnues par les pouvoirs
publics, l’IGD aurait pour objectif officieux de créer en Europe « des États
islamiques de droit divin ». D’après le BfV, cette menace serait « plus grave
encore que celle représentée des organisations terroristes comme Al- Qaïda
ou l’État islamique ». Particulièrement actifs dans les land de Rhénanie-du-
Nord-Westphalie et de Saxe, où ils détiennent sept lieux de réunion, les Frères
d’Allemagne disposeraient d’un noyau dur d’un millier de membres actifs et
recruteraient depuis quelques temps parmi les réfugiés (notamment syriens-
anti-Assad), auxquels ils confieraient un rôle « d’espions », alerte le BfV.
Une autre étude menée par le CEMO, le Centre des Études du Moyen-
Orient, alerte les autorités allemandes face à la menace des Ikhwan qui «
propagent leur idéologie dans le cadre de la loi germanique et imposent aux
musulmans leur interprétation particulière du Coran et de la charià. Le
Rassemblement islamique en Allemagne tente d’étendre son règne sur toutes
les organisations islamiques modérées qui mènent des dialogues constructifs
avec les autorités et avec l’Église en Allemagne. La Confrérie tient ainsi à
étendre son influence sur toute la société ». Plus récemment, le ministre
bavarois de l’Intérieur, Joachim Herrmann, a déclaré que les Frères ont des
positions « opposées à la Constitution allemande », et que « l’État se doit
d’être vigilant à cet égard ». Le 16 mars 2019, c’est cette fois-ci un membre
du Parti social-démocrate allemand d’origine égyptienne, Hussein Khodr, qui
a présenté une requête à l’assemblée générale du parti réclamant l’interdiction
des Frères musulmans en Allemagne compte tenu de leurs slogans radicaux et
pro-terroristes. Khodr a également requis la création d’un comité qui
présenterait périodiquement des rapports sur les Ikhwan , ainsi que les voies et
moyens de lutter contre ce groupe. Il a d’ailleurs été réélu président du groupe
156
chargé de l’émigration et de la diversité au sein du Parti social-démocrate .

Espagne : les Frères musulmans « d’Al-


Andalous » sous influence syrienne et
marocaine
Le 11 juin 2017, le cheikh égyptien Ayman Khamis déclarait en direct, sur
le plateau de Mekameleen TV , une chaîne de télévision liée aux Frères
musulmans basée en Turquie, que « l’Andalousie est exactement comme la
Palestine (…). Nous disons à l’Occident, nous n’oublierons jamais nos terres.
Nous vous la reprendrons car c’est une terre occupée. L’Andalousie est
occupée par les Espagnols exactement comme la Palestine est occupée par
157
les Juifs. Et nous la récupérerons » . Si le propos paraît inepte, il n’a rien
de surprenant lorsque l’on connaît la vision islamiste irrédentiste de
l’Espagne, qui continue de faire vivre le mythe d’Al-Andalus. En 711, près de
7 000 soldats musulmans, emmenés par Tariq ibn Zyad, un général omeyyade
d’origine berbère, traversèrent le détroit de Gibraltar et partirent à la conquête
de l’Espagne, où ils défirent le roi wisigoth don Rodrigo. Cette défaite
marquait le début de la conquête islamique de l’Espagne – ils y restèrent
jusqu’en 1492 – les territoires sur lesquels ils avaient fait main basse
demeurant jusqu’en 750 sous la tutelle des califes de Damas.
De ce fait, les Frères musulmans voient le pays de Cervantès comme une
ancienne terre d’islam ( dar al-islam ) à « reconquérir » qui appartiendrait au
patrimoine et à l’histoire arabo-musulmanes. Pour les islamistes, l’Espagne
est un pays islamique « confisqué » par les chrétiens. On retrouve d’ailleurs
cette vision frériste et salafiste de la « reconquête » à rebours de l’Espagne sur
de nombreux réseaux sociaux, dans nombre de prêches et textes, ainsi que
dans tant de mosquées et lieux de prières. En Espagne, la situation est en fait
très particulière.
Si les Frères ne disposent pas d’une entité apparente et officielle
centralisée comme l’UOIF en France et semblent par contraste assez discrets,
voire absents du débat politique, ils sont en fait très présents et influents, à
travers une stratégie singulière. Arrivés à la fin des années 1960, ils ont
bénéficié d’une loi promulguée en 1964 qui permettait de créer des
fédérations religieuses au niveau national et provincial. Ainsi, dès 1971, un
syrien natif de Homs, dénommé Nizar Ahmad al-Sabbagh, installé à Grenade,
158
ville symbolique, créa une maison d’édition, The Islamic House , qui
publiait notamment les textes de Hassan al-Banna, Saiyyd Qutb ou Abou Ala
al-Maoudoudi. Ce fut là l’un des premiers actes fondateurs de La Confrérie en
terre ibérique.
Rapidement, des Frères « persécutés » dans leurs pays d’origine
réussissant à trouver refuge en terre mécréante démocratique ouverte à tous
les vents vinrent créer maintes associations dans toute l’Espagne. Parmi
159
celles-ci, le Centre Islamique de Grenade, l’Islamic relief , le centre
islamique de Valencia – dirigé dans les années 2000 par un membre du parti
160
Ennahda en Tunisie, Ridha Barouni – suspecté par les autorités espagnoles
d’avoir des liens avec des organisations terroristes au Soudan – ou encore la
Ligue islamique pour le dialogue et la coexistence (LIDCOE). L’Union des
communautés islamiques d’Espagne (UCIDE), basée à Madrid, reconnue
quant à elle par les autorités dont elle est devenue un interlocuteur privilégié,
est aussi liée à la FOIE.
Preuve de l’importance de l’Espagne aux yeux des Frères musulmans :
leur nouveau chef spirituel qatari, Jassim Sultan, s’y est déplacé
161
personnellement à l’invitation des Communautés islamiques de Catalogne,
notamment à l’occasion de leur congrès en 2015. L’objet des débats a par
exemple concerné la « participation citoyenne des musulmans dans la société
». Sa venue correspondait à un moment charnière, puisque son sponsor
émirien – également sponsor du Barça – redouble d’efforts pour se rapprocher
des milieux d’affaires à Barcelone, mettant notamment en place, via Al-
Jazeera, des partenariats dans le domaine du sport avec le groupe audiovisuel
Médiapro, spécialisé dans l’acquisition des droits télévisés liés au football.
S’en est d’ailleurs suivi depuis cette période une valse de lobbyistes,
investisseurs et autres agents d’influence dans la capitale catalane mais aussi
dans la province de Valencia, tous en lien, de près ou de loin, avec des
membres de l’organisation au Qatar ou en France. En Espagne, les Ikhwan ont
pris intelligemment racine en se fondant dans la société en évitant d’être trop
apparents. Pour nombre de spécialistes du renseignement, s’ils y sont
implantés depuis longtemps, ils n’en sont qu’au début de leur stratégie de
« réislamisation », le Qatar étendant peu à peu son empreinte.

La tête du serpent : Les Frères à la conquête


de l’Amérique du Nord
Les États-Unis compteraient aujourd’hui 8 millions de musulmans, dont
56 % issus de l’immigration et 42 % en provenance de la communauté noire-
américaine. En fait, le besoin d’unifier les différents pôles de réislamisation,
fort dispersés dans le Continent, motiva la création dans les années 1950 par
la seconde génération d’immigrants, d’une Fédération des Associations
Islamiques des États-Unis et du Canada (FIAUSC), dont le siège est à Détroit.
En 1963, la Muslim Student Association (MSA) fut également mise sur pied
dans les collèges et campus universitaires pour coordonner les activités des
structures étudiantes, dans le but d’édifier une « communauté musulmane
idéale au service de l’Islam » . La MSA, qui a fait de l’islamisation des États-
Unis l’un de ses objectifs officiels, a d’ailleurs incité à la création de
nombreuses autres structures : la Muslim Community Association,
l’American Muslim Social Scientists, la Muslim Youth of North America,
l’American Muslim Scientists and Engineers, l’Islamic Teaching Center,
l’Islamic Medical Association et l’American Muslim Mission.
En 1971 sont apparues également l’American Islamic Trust, en 1981,
l’International Institut of Islamic Thought dans les années 1980, l’Islamic
Society of North America, l’American Muslim Council, en 1990, la Muslim
162
American Society (MAS) en 1992 . Ces structures, à la fois proches des
Frères musulmans ou de la Jamat i- Islami pakistanaise, sont coiffées par l’un
des principaux lobbies islamiques américains : l’Islamic Society of North
America (ISNA). Nombre de groupes musulmans ont émergé depuis 1985,
comme les United Muslims of America et l’Islamic Society of Greater
Houston, qui ont encouragé les Musulmans américains à s’engager dans la
politique et à lutter contre « l’islamophobie ». C’est dans ce contexte que les
lobbies et organisations ayant vocation à lutter en faveur de la « défense des
droits civils et politiques » des musulmans américains « opprimés », ont été
mis en place ces dix dernières années : l’American Muslim Alliance (AMA),
le Muslim Public Affairs Council (MPAC), et surtout le Conseil pour les
Relations américano-islamiques (Council for American Islamic Relations –
CAIR), fondé en 1994 à Washington par Nihad Awad, un Palestinien
naturalisé américain. Représenté dans tous les États américains, le CAIR
163
dispose de publications et d’un site internet particulièrement dynamiques .
Il s’emploie à lutter contre « toute menace à la liberté religieuse des
musulmans en Amérique » et il incite les organisations fondamentalistes
à présenter le plus possible l’islam frériste de façon positive. Depuis deux
décennies, il se décrit comme « la plus importante organisation de défense
164
des droits civils des musulmans aux États-Unis » et il y domine la
nébuleuse frériste. Son directeur de recherches, Abb as Barzegar, affirma que
les « Frères-musulmans sont un simple mouvement social », mais personne
n’est dupe des liens du CAIR avec les Frères égyptiens, palestiniens ou autres
mouvances islamistes-suprémacistes mondiales, voire même terroristes
palestiniennes. Le CAIR a en fait été créé par l’Association Islamique pour la
Palestine, un groupe qui avait été qualifié par l’officier fédéral du FBI Oliver
165
Revell comme le « paravent du Hamas aux États-Unis ». La seconde plus
grosse organisation frériste d’Outre-Atlantique est la Muslim American
Society (MAS), basée à Falls Church, en Virginie. Dans son site internet, elle
gomme sa dimension frériste en se présentant comme une « organisation
dynamique charitable, religieuse, sociale, culturelle et éducative disposant de
plus de 50 chapitres à travers les États-Unis ». Pour les milieux sécuritaires,
la MAS est pourtant connue comme une organisation subversive, qui, sous
couvert de combat social et civique et de lutte contre « l’islamophobie », a
soutenu le Hamas, demeure fanatiquement antisioniste et a même défini le
166
jihad comme un « droit divin légal » pour défendre et propager l’islam .
L’objectif des dirigeants de ces grands lobbies islamiques nord-américains
est parfaitement conforme au projet frériste du Tamkine et de la Hakimiyya :
ainsi, Ibrahim Hooper, l’un des leaders du CAIR, souhaite que « les États-
167
Unis deviennent un pays musulman » , tandis qu’ Abdulrahman Al-
Amoudi, alors à la tête de l’American Muslim Comunity (AMC), déclarait,
lors d’une conférence de l’Association Islamique pour la Palestine tenue à
Chicago en décembre 1996 : « les États-Unis deviendront un pays musulman,
même si cela doit prendre une centaine d’années (…), il faut travailler
168
au renforcement du pouvoir des Musulmans américains » . En 2004, Al-
Amoudi fut condamné à 23 ans d’emprisonnement pour complicité de
tentative d’attentat contre le roi Abdullah 1er d’ Arabie saoudite, jugé « pro-
sioniste », puis pour avoir fait parvenir à Al- Qaïda et d’autres groupes
terroristes, au nom de l’association de charité musulmane Holy Land
Foundation for Relief and Development, des millions de dollars à travers des
montages bancaires frauduleux. Cet Érythréen de naissance accueilli en 1979
aux États-Unis, installé à Falls Church, en Virginie, et naturalisé américain en
1996, devint un important lobbyiste islamiste. Il fut même reçu officiellement
par les Présidents Bill Clinton et George W. Bush, sensibles à sa stratégie de
« lutte contre l’islamophobie » et de « communautarisme modéré », qui
169
seraient des antidotes contre le jihadisme . D’après Steve Emerson, l’AMC
et le CAIR sont animés par « une idéologie de violence, de suppression de la
vraie liberté d’expression et de discrimination entre hommes et femmes et
170
défendent les réseaux et militants islamistes, parfois même terroristes » .
C’est ainsi que l’AMC aide régulièrement à la collecte de fonds à destination
du Hamas, dont l’un des leaders , Moussa Abou Marzuk, lorsqu’il fut arrêté à
l’aéroport JFK en juin 1995, fut ardemment défendu par le CAIR et l’AMC
puis relâché peu après. C’est d’ailleurs dans le but de contrebalancer les
lobbies sionistes que ces associations fréristes et d’autres (United Muslims of
America et Islamic Society of Greater Houston) ont lancé des campagnes
encourageant les musulmans à s’engager en politique. En 1990, la Muslim
Arab Youth Association (MAYA) déclarait, lors d’une conférence organisée
en décembre 1989 à Kansas City : « la solution islamique est la seule
solution, la lutte, c’est la solution militaire, l’Amérique est l’ennemi absolu et
c’est à partir d’ici que les Juifs attaquent et se fournissent en armes et en
171
soldats » .

L’islamisme frériste choyé par Barak


Obama et Hillary Clinton
Avec l‘arrivée au pouvoir de Barak Hussein Obama, le rapprochement
entre l’administration américaine et les Frères s’est intensifié. Deux indices
révèlent la perméabilité d’Obama vis-à-vis de l’islamisme et des Ikhwan .
Tout d’abord son fameux discours du Caire de 2009, qui vantait les
« lumières et la modération du monde musulman », d’Al- Azhar et des Saoud
aujourd’hui, et des califats abbassides et ommeyyades hier, pourtant
prédateurs de l’Europe chrétienne et qui soumirent les chrétiens d’Orient.
Ensuite, son entourage issu des Frères musulmans puis le soutien qu’il
apporta à La Confrérie durant le Printemps arabe. D’importantes
personnalités fréristes ont gravité autour d’Obama : Arif Ali-khan, avocat
indo-pakistanais professeur à l’Université de la Défense Nationale, nommé en
2009 secrétaire adjoint à la Sécurité intérieure puis Conseiller du président
pour les pays musulmans. Fondateur de l’Organisation mondiale islamique
des Frères, ce dernier servit d’intermédiaire entre l’Administration Obama et
les mouvements islamistes lors du « printemps arabe ». Il défendit l’accession
au pouvoir du Frère Mohamad Morsi en Égypte et d’Ennahda en Tunisie ;
l’américano-égyptien Mohamed Elibiary, Frère musulman dont les parents
ont fui les répressions de Nasser, admirateur de Saiyyd Qutb, ex-directeur de
la section de Houston du CAIR. C’est lui qui rédigea le discours d’Obama
appelant Hosni Moubarak à quitter le pouvoir au profit des Frères lors du
Printemps arabe ; l’avocat américano-indo-pakistanais Rached Hussein,
devenu en janvier 2009 conseiller juridique à la Maison Blanche et qui
172
rédigea le fameux discours du Caire ; l’américano-irakien Salem el-
Marayati, ex-directeur du Muslim Public Affairs Council, nominé en 2002
pour rejoindre la National Security Agency malgré les soupçons qui ont pesé
sur la MPAC après le 11 septembre 2001 ; l’américano-soudanais Mohamed
Majid, spécialiste de l’exégèse coranique et fils de l’ancien mufti du Soudan
émigré aux États-Unis en 1987, qui a été enseignant à l’Université de Howard
puis a milité pour la criminalisation de toute « diffamation de l’islam » avant
d’être nommé en 2011 conseiller au Department of Homeland Security (DHS)
chargé de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, puis conseiller du FBI.
Enfin, l’indo-américain Eboo Patel, sociologue frériste, membre du Comité
consultatif religieux du Council on Foreign Relations. Ce proche ami de Hani
Ramadan a été consultant au département de la Sécurité intérieure et membre
173
du conseil du Barak Obama’s Advisory .
Hillary Clinton a elle aussi été secondée par une personnalité très proche
des Frères, Huma Mahmoud Abidin, une indo-pakistanaise ayant grandi et
étudié en Arabie saoudite. Cette influente ex-chef de cabinet adjoint de
Mme Clinton joua un rôle majeur au début du « printemps arabe ». Son
174
pédigrée islamiste familial est impressionnant . Rappelons également que,
lors d’une rencontre privée à West-Beaumont, l’homme d’affaire pakistanais
Tahir Javed offrit 500 000 $ à la fondation chargée de financer la campagne
d’Hillary Clinton et l’Arabie saoudite finança plus de 20 % du coût de la
campagne présidentielle d’Hillary, ainsi que l’a révélé le prince Mohammed
175
ben Salmane lui-même. Déjà en 2008, la Clinton Foundation, présidée par
Bill Clinton et sa femme, avait accepté 25 millions de dollars du royaume
176
saoudien .

La stratégie victimiste du CAIR pour


masquer son suprémacisme judéophobe
Le CAIR, auquel nous avons fait référence, a été créé en 1990, comme le
stipule son site internet, afin de « remettre en question les stéréotypes de
177
l’Islam et des musulmans » , en tant que « groupe de défense islamique
basé à Washington » dédié à « contester la discrimination anti-musulmane
du pays ». Cette organisation clairement judéophobe et liée au Hamas affirme
qu’elle « a une expérience réussie dans la défense des libertés civiles et de la
tolérance ». Pourtant, lors du procès de la Holy Land Foundation (qui a
conduit à une condamnation pour le transfert de fonds au profit du Hamas en
2008), des documents saisis ont permis d’incriminer l’association pour ses
178

activités subversives sur le sol américain, notamment sa « stratégie visant


179
à éliminer et détruire la civilisation occidentale de l’intérieur » . En 2007,
des procureurs fédéraux ont accusé le CAIR d’avoir participé à un « complot
criminel » visant à soutenir financièrement le Hamas. Récemment, ce sont les
Émirats arabes unis qui ont classé le CAIR parmi les organisations terroristes
internationales liées au Hamas. Le CAIR s’est alors plaint auprès de
l’administration Obama, qui a obtenu de la part du porte-parole du
département d’État américain, Jeff Rathke, une déclaration assurant que les
États-Unis « ne considèrent pas cet organisme comme organisation
terroriste ». En février 2016, la Commission de Justice de la Chambre des
représentants a adopté une résolution, par 17 voix contre 10, demandant
malgré tout au département d’État d’inscrire les Frères musulmans (donc le
CAIR) sur la liste des organisations terroristes. Selon le président de la
Commission, Bob Goodlatte, les Frères constitueraient une « grande menace
180
et un danger pour la sécurité nationale » .
Plus récemment, le successeur de Barak Obama, Donald Trump, a évoqué
son intention de faire interdire l’organisation frériste et même de la placer sur
la liste des mouvements terroristes. Ce projet faisait déjà partie des bagages
du secrétaire d’État Mike Pompeo lors de sa prise de fonction. Il a d’ailleurs
été reformulé par les sénateurs Ted Cruz et Mario Diaz-Balart le mois même
de l’investiture de M.Trump, pour contraindre le département d’État à
indiquer au Congrès « si les Frères musulmans remplissaient les critères
181
pour être désignés comme une organisation terroriste étrangère » .
Comme pour faire oublier ses déboires, le CAIR a contre-attaqué en
dénonçant « l’islamophobie » américaine croissante. Et lors des graves
évènements de meurtres de policiers blancs tués par des snipers noirs en
réaction à des meurtres de jeunes noirs tués par des policiers blancs, le CAIR
a appelé les musulmans américains « victimes de racisme », à faire cause
commune avec les Noirs. Comparant leur sort avec celui des musulmans,
Khalilah Sabra, présidente du chapitre « Immigrant Justice Center » de la
Muslim American Society, puis Nihad Awad, le président-fondateur du
182
CAIR, ont soutenu la campagne « BlackLivesMatter » . Malgré cela, les
Frères ont toujours pignon sur rue aux États-Unis, où les démocrates les
aident à lutter contre « l’islamophobie de Donald Trump ».

Les Frères musulmans officiellement


interdits en Russie
En Russie, pays qui compte une forte proportion de musulmans mais qui
combat les islamistes et l’islam politique fréro-wahhabite ou « takfiriste », La
Confrérie est considérée comme « organisation terroriste ». Par une décision
du 14 février 2003, la Cour suprême de Russie a en effet prohibé les Frères
musulmans, accusés d’avoir aidé à la création d’une organisation islamique
terroriste caucasienne, Le Majlis ul-Shura militaire suprême des Forces unies
des Moudjahidine, fondée et dirigée dans les années 1990 par les chefs
terroristes tchétchènes Ibn Al-Khattab et Chamil Bassaev. Cette organisation
a perpétré maints attentats terroristes en Russie dans les années 1990. Dans
l’arrêt précité, la Cour suprême russe stipule que « la Société des Frères
musulmans est une organisation fondant ses activités sur les idées de ses
théoriciens et dirigeants Hassan al-Banna et Sayyid Qutb, avec pour objectif
la destruction des gouvernements non islamiques et la création d’un
gouvernement islamique mondial par la reconstruction du ‘Grand Califat
islamique ‘ », dans les régions à majorité musulmane, incluant celles de
Russie, et des pays de la CEI. Elle indique aussi que l’organisation est illégale
dans certains pays du Moyen-Orient (Syrie, EAU, Arabie saoudite, Jordanie,
Égypte, Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan, etc) et que ses principales
formes d’activité vont de la propagande islamiste guerrière à l’intolérance.
Cette description, par la justice russe, des Frères musulmans d’après leur
histoire, leurs buts et leur idéologie, dénote avec la façon dont ils sont
considérés dans la plupart des pays occidentaux, comme de simples
« conservateurs ».

L’Autriche et son « islam national » fermé


aux ingérences étrangères,
un exemple pour la France ?
Ailleurs, en Occident, les Frères ont récemment subi quelques revers,
notamment en Autriche, qui a fait interdire officiellement le symbole des
Ikhwan et qui a mis sur pied, entre 2014 et 2015, un islam national. D’autres
pays membres de l’Union européenne pourraient s’inspirer de l’exemple
autrichien – qui, en 2015, donc avant l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir,
a réussi à faire interdire le financement des lieux de culte par des puissances
étrangères (Turquie, Arabie saoudite, Pakistan, Maroc, Qatar, Iran, etc) – pour
bâtir un véritable islam respectueux des valeurs nationales et occidentales en
vigueur. N’oublions pas que l’Autriche, depuis l’empire austro-hongrois, pays
de très vieille tradition musulmane, a toujours représenté le culte musulman
au niveau officiel. Ces dernières années, les autorités de Vienne se sont rendu
compte que l’islam était monopolisé par des fanatiques et/ou des puissances
étrangères ayant pour but d’empêcher l’intégration de leurs sujets/ex-
concitoyens et d’en faire des communautés séparées exigeant des extra-
territorialités juridico-civilisationnelles. Vienne a de fait interdit les mosquées
salafistes, a fait expulser tous les imams pro-saoudiens, pro- Erdogan ou
fréristes.
Quant à la France, le 25 avril 2019, à l’issue d’une longue consultation
nationale sur l’islam hexagonal, le président français Emmanuel Macron avait
déclaré qu’il fallait être « intraitable » face à « un islam politique qui veut
faire sécession avec notre République », semblant ainsi désigner les Frères
musulmans. Toutefois, les décisions prises par le gouvernement français et les
initiatives tolérées ou même encouragées des différentes structures des
Ikhwan en France semblent confirmer qu’il n’en est rien.

L’islam de France,
otage des Frères musulmans ?
La volonté politique d’organiser l’islam en France remonte déjà aux
décennies 1980-1990. Elle a abouti à la création, en 2003, par Nicolas
Sarkozy, du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). L’ex-ministre de
l’Intérieur et du Culte d’alors avait pris acte, de façon assez cynique, du fait
que les plus prompts à s’investir dans cette entreprise d’islam de France
étaient – certes en concurrence avec la mosquée de Paris et les pôles
marocain, turcs et tablighis – les personnalités et structures fréristes.
Grâce à cette capacité à s’adapter et à jouer sur plusieurs tableaux, les
Frères musulmans français avaient bénéficié d’un procédé de vote voulu par
Nicolas Sarkozy favorisant les mosquées ayant les plus grandes superficies,
souvent fréristes, et ils avaient été les premiers dirigeants du CFCM. Ils sont
aujourd’hui partie prenante des trois projets ambitionnant de contribuer à
organiser le nouvel « islam de France », encouragé par Emmanuel Macron :
183
1/ Le projet porté par Hakim al-Karoui , l’ex-banquier d’affaires proche
du président et de l’Institut Montaigne, qui a réalisé pour ce dernier trois
rapports sur la réorganisation de l’islam en France et qui préconise, dans « La
Fabrique de l’islamisme » (2018), la création de l’Association des Musulmans
pour l’Islam de France (AMIF), qu’il aurait créée avec l’appui officieux de
l’Élysée.
2/ Le projet du CFCM, qui a récemment créé l’Association pour le
Financement et le Soutien du Culte Musulman (AFSCM).
3/ Le projet de Marwan Muhammad : L.E.S. Musulmans, qui, à l’issue
d’une « consultation des musulmans », a créé cette nouvelle structure,
également nommée « plateforme nationale de coopération des communautés
musulmanes ». Celle-ci regrouperait 160 associations et mosquées.
D’après Amar Dib, analyste, entrepreneur et intellectuel lyonnais, grand
acteur et observateur de l’islam de France depuis des années, conseiller du
recteur Dalil Boubakeur et adepte d’un islam français ouvert et loyal envers
les valeurs de la République et de l’Occident, « le CFCM et les autres pôles
de l’islam de France se sont sentis obligés de lancer à la va-vite des
initiatives pour ne pas en laisser le monopole à El-Karoui. En fait, l’AMIF,
les Musulmans de France, leurs alliés turcs, Marwan Mohammad et les
Marocains, ont tous un projet, les Turcs étant en ce moment les plus actifs
autour du halal et de l’appel aux musulmans turcs de France à investir
massivement le champ religieux et politique. (…) ». Mais à la fin du compte,
poursuit-il, « ces différents courants de l’islam de France – endogènes
comme ceux pilotés par des puissances étrangères (Turcs, Marocains, etc.) –
finiront par être obligés de trouver un relatif consensus, en mixant les
initiatives, et une direction collégiale finira par intégrer tout le monde à
travers une ‘neutralisation réciproque’, le président Macron étant à mon avis
capable de susciter cela ».
À propos des Frères musulmans, dont les multiples de Grandes mosquées
et lycées musulmans font couler de l’encre depuis des mois, l’honorable
expert estime ainsi qu’il y a « trop de projets de mosquées, de centres
islamiques et de lycées financés par l’étranger avec à leurs têtes des imams
qui n’ont aucune formation, malgré leur connaissance par cœur du Coran
(…). Il est donc urgent de bien les former avant de construire de nouvelles
mosquées, ou encore des écoles dans lesquelles l’enseignement est souvent
rétrograde, avec des filles voilées dès l’âge de 5 ans… Nous devons rester
vigilants, car je pense que de nombreux projets nous échappent ainsi même
parfois qu’aux services de renseignements qui ne peuvent pas voir tout. On
observe en effet sur le terrain une rupture inquiétante entre des pseudo-
leaders de l’islam en France, des prêcheurs obscurantistes qui par exemple
déclarent la fête de Saint Valentin anti-islamique ou interdisent les sapins de
Noël en déclarant « apostats » les musulmans qui s’y adonneraient (…).
Quant à Ahmed Ogras, dont le mandat est arrivé à échéance durant l’été
2019, il ne fait plus l’unanimité, même si les Turcs demeurent importants. »
À propos du projet de Marwan Mohamed, des Frères musulmans, officiels
ou officieux, ou encore de personnalités comme Tareq Oubrou, sur lequel
nous reviendrons plus tard, il est intéressant de recueillir l’avis éclairé du
conseiller personnel du recteur de la Mosquée de Paris Dalil Boubakeur,
Amar Dib, par ailleurs consultant, sociologue et ancien travailleur social. Il
nous explique que chacun doit avoir un discours clair, et que « des
personnalités en vue qui ont été des piliers et même des têtes pensantes de
l’UOIF pendant 15 ans [donc des Frères-musulmans en France, ndlr] et qui
demeurent des cadres actifs et des références de MF, ne peuvent pas d’un
coup prétendre être étrangers à cette mouvance en changeant le discours
mais pas le fond doctrinal. Quand on ne bouge pas sur le voile, présenté
comme obligatoire pour les femmes, on doit à un moment ou à un autre dire
d’où l’on parle et choisir son camp. Il importe que les futurs promoteurs de
projets pour l’islam de France soient transparents sur leurs idéologies (…). Il
faut faire attention au double discours. Cela est valable pour tout le monde, y
compris ceux qui, à l’opposé, sont réellement adeptes d’un islam ouvert,
privatisé et français, mais qui par opportunisme, vont s’adresser à des pays
étrangers du Golfe, très rigoristes. Je rappellerai que si la question des fonds
est incontournable, d’autres expériences dans le passé allaient dans le bon
sens, lorsque le projet de Fondation de l’islam de France de Dominique de
Villepin avait vocation à s’adresser non pas à des puissances du Golfe, mais
à des entreprises telles Dassault, ce qui me semble plus acceptable et plus
« français » . »

L’AMIF, ou le projet du pragmatique


El- Karoui
Pour Hakim El-Karoui et Abdelaq Nabaoui, l’islam de France devrait être
intégré dans le régime concordataire alsacien qui permet de bénéficier des
subsides publics, ce qui n’est pas légal dans le reste de la France, sujette au
régime de la stricte laïcité. L’idée, au départ louable, consiste à profiter du
système concordataire pour faire « émerger un islam français » . Bien
qu’adepte d’un islam éclairé, El-Karoui s’est associé à plusieurs personnalités
fréristes et ex-UOIF qui prétendent lutter contre le salafisme, tout en se
rapprochant des Émirats arabes unis qui mènent une croisade internationale
contre les Frères. Toujours est-il que pour El-Karoui, le centre du problème
demeure le volet économique, d’où son idée de taxe halal et de financement
d’un islam de France organisé et centralisé.
En réalité, derrière le projet d’un « islam de France », que Charles Pasqua
et Jean- Pierre Chevènement n’ont pas réussi à installer lorsqu’ils étaient
ministres, se cachent les stratégies d’entrisme extrêmement efficaces de
curieux « réformistes » qui sont en fait d’anciens Frères et dont la formation
les pousse à nier le fond du problème : les injonctions belligènes et
intolérantes envers les non-musulmans et les femmes contenues dans la
tradition islamique ( Charià, Sira, Hadith, Fiqh, Coran ). Il est certes difficile
de contester la légitimité de l’objectif d’El-Karoui, exprimé dans son rapport
La fabrique de l’islamisme , visant à lutter contre les financements et
ingérences d’États étrangers qui radicalisent l’islam depuis des décennies et
empêchent ainsi la pleine intégration des musulmans appelés à demeurer des
« sujets » des pays d’origine ou/et à se « désassimiler ». Toutefois,
« l’islam français » n’est pas forcément plus « modéré » que l’islam
consulaire. Dans les faits, le seul pôle modéré de l’islam de France demeure
celui de la mosquée de Paris, lié à l’État algérien, via son recteur Dalil
Boubakeur, adepte des Lumières et de Voltaire. En dehors de lui et de
quelques imams modérés, mais très isolés, comme Hassen Chalghoumi,
l’islam qui « monte » auprès des jeunes musulmans de France détachés des
pays d’origine est le salafisme et le frérisme, qui disposent le plus de
financements autonomes ( via fidèles et le commerce du hallal ),
parallèlement au pôle « turco-ottoman » en pleine ascension, au Maroc et au
Qatar. Cet islam « fréro-salafiste », imprégné de la doctrine obscurantiste de
e
la 4 école juridique sunnite, le hanbalisme, s’étend dans les cités
abandonnées par l’État, dans les prisons, et dans les universités ou
associations de formation analysées précédemment. Parmi les membres de
l’AMIF, partenaires majeurs d’El-Karoui, certains profils n’ont pas l’air
d’incarner la modération et l’élan « réformiste-laïque » affiché, leur point
commun étant de ménager les idéologues et jurisconsultes de référence de La
Confrérie. Outre El-Karoui et l’ex-Frère musulman Abdelhaq Nabaoui, le
président du conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Alsace qui sévit
184
sur Oumma.com , cités plus haut, l’AMIF a comme figures de référence
l’ex-Frère musulman Tareq Oubrou, intellectuel autodidacte ami d’Alain Jupé
et imam de la mosquée de Bordeaux, et le « réformiste » Mohamed Bajrafil,
lui aussi rompu au discours ambigu.

Mohamed Bajrafil
Imam d’Ivry-sur-Seine d’origine comorienne, le médiatique Bajrafil est
185
l’auteur de la Lettre à un jeune musulman . À l’instar de Ramadan, il est
souvent présenté comme un spécialiste loué pour son combat en faveur d’un
« islam républicain ». En réalité, Bajrafil est membre du « Conseil
Théologique des Musulmans de France », composé de prédicateurs favorables
aux Frères, et dont le vice-président et co-fondateur n’est autre que l’islamiste
radical et prédicateur de renom Mohamed Najah. Bajrafil a d’ailleurs été
formé à l’école de Safwat Hijazi et Youssouf al- Qardaoui, qu’il présente dans
ses déclarations comme « ses références » (cf. son site officiel). Dans son
186
livre Islam de France an I , Bajrafil qualifie de « livre de référence du
droit musulman dans la gestion du pouvoir » (p. 37) l’ouvrage Les Statuts
gouvernementaux d’Al- Mawardi (972-1058), référence majeure de
l’islamisme radical dont le « traité de droit » a pour objectif de guider les
musulmans vers le « Califat idéal ». Parmi les dispositions chères à Mawardi,
jamais dénoncées par Barjafil, figurent l’interdiction d’édifier des églises en
terre d’islam et les mesures discriminatoires chariatiques contre les chrétiens
et les infidèles ( dhimmitude ). Voici deux des passages édifiants du traité de
Mawardi : « ils ne peuvent élever en pays d’islam de nouvelles synagogues
ou églises, qui sont, le cas échéant démolies à leur détriment » ; « on doit
combattre ceux qui, après y avoir été invités, se refusent à embrasser l’islam,
jusqu’à ce qu’ils se convertissent ou deviennent tributaires » . Bajrafil loue
également les mérites du « grand juriste musulman » Ibn Qayyim al-Jaziyya
187
, l’auteur d’un traité intitulé Le Statut des tributaires (Akâm ahl al
dhimma), qui invite à dominer les chrétiens et leur interdit de sonner les
cloches ou d’exhiber des croix. Bajrafil vante également Youssef al-Qardaoui,
qualifié d’homme « respectable », car « il a fini ses études de doctorat en
1979 quand j’étais encore en couches. Je n’ai pas à me moquer de lui ». En
2012, il déclare d’ailleurs que « c’est un humaniste convaincu avec lequel on
peut être d’accord ou ne pas être d’accord ». À l’instar d’autres
« réformistes », Bajrafil n’a jamais dénoncé l’idéologie totalitaire des Ikhwan
, encore moins les nombreuses références du Coran, des ahadith , de la Sira ,
de la Charià et du Fiqh qui invitent à tuer, soumettre, humilier ou assujettir
les non-musulmans « apostats » ou insoumis. Enfin, concernant Tariq
Ramadan, Bajrafil ne l’a jamais désavoué, disant de lui : « au moins il a
travaillé, il a fait réfléchir sa tête, il a sorti de sa tête ce qu’il croit être bon
pour sa communauté (…) Pourquoi faire des mises en garde contre Tariq
Ramadan ? » . Rappelons en outre que cette figure du « nouvel islam
modéré national » a organisé dans sa mosquée d’Ivry des « Weekends du
ramadan » en juin 2018, avec la participation de Noureddine Aoussat, soutien
inconditionnel des Frères égyptiens, qui affirma lors d’une conférence chez
l’imam Khattabi de Montpellier : « C’est Allah qui a envoyé son Messager,
avec la religion de la vérité, afin qu’elle triomphe, qu’elle prenne le dessus
sur tout, même si les polythéistes et les Mécréants voudraient autre chose,
188
voudraient l’arrêter, ils ne pourront pas le faire » . Sur son site officiel,
Bajrafil cite deux théoriciens du « jihad offensif » : Al- Bouti, qualifié d’une
de ses « plus grandes rencontres », et le Cheikh Abu Bakr al-Jazaïri, qu’il a
eu lui aussi « l’honneur » de rencontrer. Al-Jazairi affirme par exemple, dans
La Doctrine du croyant , que « l’Europe connaîtra un jour le pire malheur, et
endurera la pire agonie pour ses crimes contre l’Islam, la religion d’Allah
qui est aussi la sienne, car elle ne peut en avoir d’autres. Pour ce qui lui
arrivera elle ne devra s’en prendre qu’à elle-même car Allah n’est pas
189
injuste » . Malgré tout cela, les médias présentent le Conseil théologique
de Mohamed Najah et Bajrafil comme un outil de réflexion au service d’un «
islam modéré » . On se demande à quel genre de « modération » on a affaire
quand on se souvient que Barjafil a condamné (vidéo à l’appui) la foi
« hérétique » des Ahmadiyya, une secte musulmane soufie.

Tareq Oubrou
L’actuel imam de la mosquée Al-Houda de Bordeaux (qui se fait appeler
« Grand Imam de Bordeaux »), membre de l’UOIF pendant 35 ans – il l’a
quittée en mai 2018 – développe lui aussi un discours républicain, prône une
« faible visibilité des musulmans » et diffuse l’idée de « charià de minorité ».
À travers le concept ambigu, typiquement frériste, d’une « charià
intégratrice qui ne se pose pas en rupture », Tareq Oubrou affirme que la
charià pourrait s’appliquer en plusieurs domaines aux musulmans dès lors
que celle-ci aurait été dépouillée de son caractère hégémonique conditionné à
son statut majoritaire. Il est notamment l’auteur de le la tribune des «
30 imams indignés prêts à nous mettre au service de notre pays » qui avait
été publiée dans Le Monde et dénonçait le terrorisme et l’antisémitisme en
France, en réponse au « Manifeste contre l’antisémitisme » (sous-entendu
190
islamique) publié par 300 personnalités et rédigé par Philippe Val, ancien
directeur de Charlie Hebdo . Bien que se défendant de répondre aux 300 qui
demandaient que les « versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment
des Juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les
autorités théologiques » , Oubrou a riposté dans une contre-tribune co-signée
191
par d’autres figures musulmanes , en niant la réalité : « Je ne sais pas dans
quelle langue ils ont lu le texte coranique . Il n’y a pas d’appel au meurtre, ni
à l’époque du Prophète, ni aujourd’hui. Il faudrait changer les lunettes et
l’esprit et la perception qu’on a du texte. L’Islam appelle à la paix et ce
combat, mené par le Prophète, est pour asseoir la paix, pour que chacun
choisisse la religion qu’il entend ».
Mais revenons aux propos les plus explicites de celui qui critique
l’idéologie néo-califale de Daech et vante dans le même temps le projet
suprémaciste califal dans une vidéo récemment exhumée : « Le Califat est
déclaré aboli par Atatürk (…) un Juif d’origine et qui s’est déguisé en
musulman…(…). Le Califat est une obligation, et la réunion des musulmans
autour de ce Calife est une obligation, et tant que les Musulmans ne sont pas
réunis autour du Califat, ils sont des pécheurs, sauf ceux qui œuvrent pour
instaurer ce Califat ! […]. La frontière entre deux pays musulmans est une
hérésie méprisable par l’Islam. Les Frères Musulmans ne reconnaissent pas
les frontières entre les peuples musulmans. Ils reconnaissent une communauté
qui doit être réunie autour d’un Califat qui a ses représentants dans ces
différents pays (Wilaya). C’est un gouvernement car la politique est un
élément, une partie de l’Islam. (…) Il dirige la vie par la religion. C’est une
manière de vivre, c’est une conception des choses, c’est un mode vie selon la
volonté d’Allah (…). C’est parce que Allah nous a demandé de construire des
individus musulmans, des familles musulmanes, des sociétés musulmanes, des
états islamiques, un califat islamique qui réunit tous les états islamiques !
C’est parce Allah nous a demandé de faire ça qu’on le fait ! ». Et celui qui
assure aujourd’hui ne pas être un Frère musulman fait l’éloge du fondateur
des Ikhwan : « Hassan El Banna, bien sûr qu’il est dangereux pour
l’Occident (…) ils ont fêté sa mort… ici en Europe toutes les églises ont fait
sonner leurs cloches. Mais l’Imam El Banna était très intelligent, il ne se
manifestait pas, il procédait étape par étape… [.] C’était trop tard pour eux
[…] Il a laissé des générations qui se sont infiltrés dans les sociétés. (…) Bien
192 193
sûr c’est un dang er ! » Interrogé sur RMC par un journaliste qui lui
pose la question suivante : « Considérez-vous toujours Qardaoui et Al-Banna
comme des références ? Vous avez pendant 35 ans été proche des Frères
musulmans avec lesquels vous avez mené des conférences très importantes, et
d’ailleurs dernièrement » , Oubrou répond : « Je ne suis pas un homme de
rupture. Je rencontre les Frères musulmans, les salafistes, les sionistes, les
juifs, les chrétiens de tous bords. Mais ça a été ma famille quand j’avais
19 ans. Ce sont des gens avec lesquels j’ai vécu. L’UOIF, aujourd’hui, c’est
une institution très sécularisée, contrairement à ce qu’on dit. (…). Les Frères
musulmans, c’est un mot qui recouvre des réalités multiples et
complexes (…). Al-Banna c’est un homme de son temps. En 1948, il a voulu
renoncer à l’engagement politique parce qu’il a vu que le politique allait
phagocyter tout son mouvement. Malheureusement, ses disciples ne l’ont pas
194
suivi » . Oubrou prend ensuite la défense d’Al-Banna, reconnaît son
appartenance à l’UOIF, puis loue les pires ennemis de l’islam modéré et
195
réformiste : Al- Ghazali – l’adversaire d’Averroès qui fixa l’orthodoxie
sunnite, bannit le soufisme hétérodoxe et le rationalisme mutazilite puis
196
condamna Averroès et les philosophes – ainsi qu’ Ibn Taimiyya , référence
suprême de tous les Fréro-salafistes. Dans son livre, il explique : « si le
mensonge permet la réconciliation, le mensonge devient alors moral, il
197
devient recommandé, voire obligatoire car il n’est plus mensonger » .
En dépit de cette avancée des Frères ou ex-Frères « modérés » dans
l’hexagone, il semble que depuis quelques années, du fait de la réaction aux
attentats terroristes notamment, le climat général en Occident leur soit moins
favorable. Outre les propos très durs du Premier ministre français Manuel
198
Valls sur le caractère subversif et « islamo-fasciste » de l’idéologie frériste,
même la Grande-Bretagne, d’habitude si « islamistement correcte », semble
avoir pris conscience du danger que constitue l’action de cette organisation en
termes de sécurité et d’intégration des citoyens musulmans issus de
l’immigration. C’est ainsi qu’en avril 2014, le Premier ministre britannique
David Cameron a diligenté une enquête sur les liens des Frères musulmans en
199
Grande-Bretagne avec les mouvances extrémistes et terroristes . Cette
décision a été immédiatement saluée par l’Égypte du Maréchal président
Abdel Fatah Al-Sissi, lui-même en guerre contre l’ Ikhwan . Du coup, les
Frères ont subitement déplacé leur siège de Londres en Autriche, afin
200
d’échapper à l’enquête dont les résultats auraient prouvé les liens avec des
groupes ayant « pour but réel de propager le fondamentalisme en Grande-
201
Bretagne et dans le monde arabe » .
1 . S. Amghar, « Les Frères musulmans en Europe : vers un islamisme de la minorité », in
S. Amghar (dir.), Islamismes d’Occident : états des lieux et perspectives , Paris, Lignes de repères,
2006.
2 . Fayçal Mawlawi, Fiqh Al ‘Ibadat (« La jurisprudence des actes d’adoration »), 2001, Beyrouth.
Mawlawi, (1941-2011), homme politique et religieux libanais, a été vice-président du Conseil
européen pour la Recherche et l’Iftaa, et secrétaire général de la Jamaà islamiyya, parti islamiste
libanais financé par le banquier suisse nazi François Genoud.
3 . Samir Amghar, « Europe, terre d’influence des Frères musulmans », Politique étrangère , été
2009, pp 377 à 388.
o
4 . Tareq Oubrou, « Introduction théorique à la charia de la minorité », Islam de France, n 2,
p. 199.
5 . Youssef Al-Qardaoui, Fi Fiqh al-Aqaliyyat al-Muslima : Hayat al-Muslimin Wasat al-
Mujtama’at al-Ukhra (« La jurisprudence de la minorité musulmane : l’attitude modérée du
musulman dans une autre société »), Le Caire, Dar al-shuruq, 2001, p. 57.
6 . T. Jabir al-Alwani, Introduction au statut des minorités. Vers un fiqh des minorités musulmanes
en Occident, Paris, IIIT France, 2007.
7 . Soage, « Sheikh Youssef Al-Qardaoui », p. 567.
8 . Ibid.
9 . Valentina Colombo, « Vietato in Nome Di Allah. Censura E Violenza dell’Islam Europeo »,
l’Occidentale, 25 mai 2010.
10 . « Gulf Officials Blast Sheikh Yousuf Al-Qardaoui ».
11 . « Al-Qardaoui Speaks In Favor of Suicide Operations at an Islamic Conference in Sweden »,
MEMRI, 24 July 2003, https://www.memri.org/reports/al-qaradhawi-speaks-favor-suicide-
operations-islamic-conference-sweden .
12 . Fiametta Vener, « Youssef Al Qardaoui recherché par Interpol ? La riposte contre les Frères
viendra du monde des « anciens musulmans » méprisés par Qardaoui, et pas forcément de la
manière la plus démocratique », Huffington Post, 8 décembre 2014.
https://www.huffingtonpost.fr/fiammetta-venner/qui-est-youssef-al-qarada_b_6286738.html .
13 . Marc Lynch, « Qaradawi’s Revisions », Foreign Policy, 9 July 2009,
https://foreignpolicy.com/2009/07/09/qaradawis-revisions/ .
14 . Il décrit ainsi les musulmans en Occident comme du « sel dans l’eau », luttant pour ne pas
perdre leur « identité islamique », in Haji Mohamad, « European Islam and Reform », p. 66.
15 . Haji Mohamad, p. 67.
16 . Haji Mohamad, p. 68-69.
17 . Sheik Yousuf Al-Qaradhawi : « Islam’s “Conquest of Rome” Will Save Europe from Its
Subjugation to Materialism and Promiscuity », MEMRI, 28 July 2007,
https://www.memri.org/tv/sheik-yousuf-al-qaradhawi-islams-conquest-rome-will-save-europe-its-
subjugation-materialism-and . voir aussi Qardaoui on Homosexuals’, YouTube, 27 January 2013.
18 . Fondé par d’anciens transfuges de l’Armée rouge issus des républiques musulmanes d’URSS,
l’IGD devient la branche allemande des Frères.
19 . La Fondation culturelle islamique de Genève (FCIG) fait partie de l’Union des organisations
musulmanes de Genève, présidée par Hani Ramadan. Le consul d’Arabie saoudite à Genève est
membre de droit de la FCIG.
20 . « La Sharî’a. Le droit islamique, son envergure et son équité », Université de Cologne, 1959.
Thèse téléchargeable http://terment.ru/fr2/?
q=La+Shari%27a.+Le+droit+islamique%2C+son+envergure+et+son+%C3%A9quit%C3%A9+-
+Sa%C3%AFd+Ramadan .
21 . Bernard Gensane, « Connaissez-vous le père de Tariq Ramadan ? », Mediapart , février 2018.
22 . Sur Ahmed Huber, voir Pierre Péan, L’extrémiste. François Genoud, de Hitler à Carlos ,
Fayard/Le Livre de Poche, p. 205-208. Sur von Leers, voir
http://www.phdn.org/negation/rassinier/leers.html .
23 . « Swiss Neo-Nazi/Islamist Tied To Muslim Brotherhood Dies At Age 80 », The Global
Muslim Brotherhood Daily Watch , 27 mai 2008.
24 . Après avoir accueilli avec enthousiasme la révolution iranienne de 1978-1979, Huber s’est
rendu en Iran en 1983 et y a approché des responsables qui l’ont chargé de forger une alliance entre
islamistes iraniens et extrême droite européenne contre « les trois grands Satans » : le sionisme, le
marxisme et le mode de vie américain. Martin Beglinger, « Herr Huber », Das Magazin , 2 mai
2004.
25 . Sylvain Besson, « Quand la suisse protégeait l’islam radical au nom de la raison d’État »,
op.cit. Cf aussi, Le Temps , 26 octobre 2004.
26 . Sylvain Besson, Le Temps, 26 octobre 2004.
27 . Sylvain Besson, Idem.
28 . Idem.
29 . En 2017, il est accusé de viol et harcèlement sexuel par plusieurs femmes, ce qui conduit à sa
mise en congé de l’université d’Oxford. En février 2018, il est mis en examen pour « viol sur
personne vulnérable » et placé en détention provisoire en France ; il ne reconnaît que des relations
sexuelles extraconjugales avec les plaignantes. En septembre 2018, il est inculpé en Suisse pour des
faits similaires. Il est libéré et placé en liberté conditionnelle en novembre 2018.
30 . Ian Hamel, « Tariq Ramadan ou la chute d’un nouveau prophète », swissinfo.ch , 7 novembre,
2017.
31 . Il se marie alors, à 24 ans, à Iman, Française bretonne convertie à l’islam – avec laquelle il
aura quatre enfants.
32 . Ariane Bonzon, « Tariq Raadan, une histoire très française », slate.fr, 5 février 2016.
er
33 . Caroline Fourest, « Tariq Ramadan et la censure de Voltaire », 1 février 2007 ; Adrian
Morgan, « Voltaire’s ‘Mahomet’ : Still Controversial After All These Years [Incl.
Tariq Ramadan] », Middle East Forum , 31 août 2010.
34 . « Les Frères musulmans en Suisse Part 2 », European Eye on Radicalisation , 12 juin 2019.
er
35 . Ian Hamel, « Tariq Ramadan et les femmes : 30 ans d’impunité ? », Le Point, 1 février 2018.
36 . Jean Ziegler, « Interpellation betreffend Einreiseverbot nach Frankreich gegen Professor
T.Ramadan », 7 décembre 1995.
37 . Biographie, cf site de Tariq Ramadan.
38 . « Les Frères musulmans en Suisse Part 2 », European Eye on Radicalisation , 12 juin 2019.
39 . Natacha Tatou, « De Genève à Oxford, comment Tariq Ramadan s’est imposé à
l’Université », L’Obs, 7 novembre 2017.
40 . Site internet de l’auteur.
41 . Mathieu Magnaudeix, « Tariq Ramadan, vitrine consentante du Qatar » (5/5), mediapart.fr ,
26 avril 2016.
42 . « Pour obtenir sa thèse, Tariq Ramadan a-t-il menacé le jury et crié au racisme ? », La Libre
Belgique , 10 mars 2018.
43 . Ian Hamel, La vérité sur Tariq Ramadan. Sa famille, ses réseaux, sa stratégie. , Favre, 2007,
pp.216-7.
44 . La thèse est validée par le second jury, composé de Philippe Borgeaud, Bruno Étienne,
Reinhard Schultze, Richard Friedli et Sylvia Naef, et sera publiée chez Bayard, en 1998 sous le
titre : Aux sources du renouveau islamique : d’al-Afghani à Hassan al-Banna : un siècle de
réformisme islamique .
45 . Soutenue et publiée en 1998 sous le titre Aux sources du renouveau islamique : d’al-Afghani à
Hassan al-Banna : un siècle de réformisme islamique .
46 . Sylvain Besson, « Tariq Ramadan, genèse d’une star de l’islam. »
47 . Ian Hamel, « Tariq Ramadan ou la chute d’un nouveau prophète », swissinfo.ch , 7 novembre,
2017.
48 . Stefano Piazza, « I Fratelli Musulmani alla conquista dell’Europa », Panorama, 10 juillet
2019.
49 . Tariq Ramadan, Être musulman européen , études des sources islamiques à la lumière du
contexte européen, Tawhid, Paris, 1999, p. 267 ; voir aussi Tariq Ramadan avec Alain Gresh,
L’Islam en questions , Sindbad-Actes Sud, 2000, pp. 29-34.
50 . Tariq Ramadan, Être musulman européen,… idem , p. 186.
51 . Tariq Ramadan, Être musulman européen , ibid. , p. 277.
52 . Tariq Ramadan, Être musulman européen, ibid., p. 186
er
53 . Stéphane Bussard, « Tariq Ramadan et l’Iran : quels liens » ? Le Temps , 1 février 2010
54 . Mehdi Khalaji ajoute que « le financement de Press TV figure dans le budget de l’État iranien
» et que pour le Guide suprême et le régime des Mollahs en général, la diplomatie publique « est le
principal champ de bataille de l’Iran contre l’Occident. Et la multitude de radios (dans près de
trente langues différentes) et les 2-3 chaînes de TV satellitaires ont pour but d’accroître la
popularité de l’Iran dans le monde . »
55 . Grasset, 2004.
56 . https://www.newyorker.com/magazine/2002/08/05/an-american-terrorist
57 . Tariq Ramadan, Aux sources du renouveau musulman , Bayard, 1998, pp. 26 ; 205.
58 . Elisabeth Eckert, « Les musulmans de Suisse étaient… français », L’Hebdo , 22 décembre
1994.
59 . Sermons du vendredi, rappels et exhortations, éditions Tawhid, 2011, page 465.
60 . in Anne Perzo-Lafond, Hani Ramadan : « Il faut revenir aux sources de l’islam à Mayotte »,
Le Journal de Mayotte (JDM) , 20 juin 2016.
61 . « On n’a pas besoin de parler d’un Islam modéré » – Hani Ramadan, Kwezi , 17 juin 2016,
https://www.linfokwezi.fr/on-na-pas-besoin-de-parler-dun-islam-modere-hani-ramadan/ .
62 . in Anne Perzo-Lafond, Hani Ramadan : « Il faut revenir aux sources de l’islam à Mayotte »,
op. cit .
63 . Caroline Hayek, « Tariq Ramadan, le crépuscule d’une idole », lorientlejour.com, 3 novembre
2017.
64 . Bernard Bendossa, « Enquête sur Hani Ramadan et son activité pour l’État de Genève ».
65 . « Vol d’organes palestiniens ? » sur haniramadan.blog.tdg.ch
66 . « Fait divers : trois Palestiniens tués à Gaza, trois autres grièvement blessés »,
haniramadan.bog.tdg.ch, 27 septembre 2009.
67 . « Visages de l’imposture : l’Europe infiltrée par Tsahal », haniramadan.blog.tdg.ch, 23
octobre 2009.
68 . « Hani Ramadan sur les attentats : “Commençons par surveiller le Mossad” », Conspiracy
Watch, 21 novembre 2015.
69 . Ian Hamel, « Hani Ramadan s’en prend aux héros du Thalys », sur lepoint.fr , 30 août 2015.
70 . Eugénie Bastié, « De qui se moque-t-on, le frère de Tariq Ramadan critique les héros du
Thalys », lefigaro.fr, 30 août 2015.
71 . Vous avez dit « théorie du complot » ? Hani Ramadan, Le Temps, 2 septembre 2015.
o
72 . Le Canard Enchaîné n 5052, mercredi 23 août 2017, « La noix d’honneur », page 1.
o
73 . Le Canard Enchaîné n 5052, mercredi 23 août 2017, « La noix d’honneur », page 1.
74 . Six administrateurs de ce fonds sont membres de l’UOIE, et les deux organismes, Al-Taqwa
Bank et European Trust ont été dirigés un temps par Ahmed Al Rawi.
75 . « Islamic group’s ties reveal Europe’s challenge », Ian Johnson, The Wall Street Journal,
29 décembre 2005.
76 . Site du FEMYSO : http://www.femyso.net/about.html .
77 . https://www.globalmbwatch.com/wp-content/uploads/2015/06/The-Federation-of-Islamic-
Organizations-in-Europe.pdf .
78 . Redmon, Rachid, « Over Ons », blauwemoskee.nl, 8, octobre 2015
79 . Topman Europese Moslimbroederschap stond aan wieg van Blauwe Moskee in Slotervaart
Door Carel Brendel, 12 novembre 2012.
80 . « Kuwait Controls Amsterdam’s Blue Mosque », Netherlands News . 28 May 2013.
Retrieved 4 April 2016.
81 . En réalité, l’association est une fenêtre officieuse des Frères musulmans en Europe, et elle a
même été inscrite par les Émirats arabes unis dans une liste de 75 organisations musulmanes
soutenant indirectement l’islamisme violent
82 . Hamza Piccardo, cité in « Le richieste dei Musulmani, La nostra legge è il Corano », La
Gente, 6 janvier 2001.
83 . Entretien à Lugano avec Alexandre del Valle, 20 juin 2019, idem .
84 . 11 février 2015. « Faire place à l’islam : l’insatiable activisme de Mohamed Karmous », Le
Blog de Mireille Valette, juillet 2019.
85 . Sylvain Besson, La Conquête de l’Occident, le projet secret des islamistes , Le Seuil, Paris,
2005.
86 . Sylvain Besson, Le Projet… ibid.
87 . Sylvain Besson, « L’islamisme à la conquête du monde », 6 octobre 2005.
88 . Martine Ghozlan, « Dans les coulisses du Conseil européen de la fatwa », Marianne , 14 mai
2011.
89 . Sheikh Yusuf Al-Qardaoui, Theologian of Terror, Anti-Defamation League, 3 mai 2013.
90 . « “Theologian of terror” held radical Islamic council session here » – Independent.ie »,
Independent.ie , 6 mars 2005. Matthew Moore, « Muslim cleric Yusuf al-Qardaoui refused visa »,
The Telegraph ,ý 7 février 2008.
91 . Meir Amit, « A portrait of Muslim brotherhoods Supreme Authority : Sheikh Yusuf
Qaradawi, who preached in Tahrir Square 10 days ago, loathes Israel, justifies suicide bombings
against its civilians », Jerusalem Post , mars 2011.
92 . Voir Meir Amit, ITIC sur les Frères musulman , op.cit., « Chapitre 11 : Qardaoui ».
93 . En dehors d’un court séjour en Égypte en 2011, durant la présidence du Frère musulman
Mohamed Morsi.
94 . Al Jazeera, « La charià ou la vie », 24 janvier 2003.
95 . Les caractéristiques du « juste milieu », Pages halal, site web musulman,
http://www.pageshalal.fr/actualites/les_caracteristiques_du_juste_milieu_-fr-11069.html .
96 . La Science des priorités , éditions Maison d’Ennour, Paris, p. 222.
97 . Rapport du Meir Amit ITIC, op.cit.
98 . US Treasury, « Treasury designates Union of Good », 12 novembre 2008.
99 . Le leader du groupe au Sri Lanka, Zahran Hashim s’est en effet fait exploser à l’hôtel Shangri-
La de la capitale Colombo, dimanche 21 avril 2019).
100 . https://www.alyamanalaraby.com/382575 .
101 . Youssef Qardaoui, Le licite et l’illicite, (alhallal wal haram ), Al Qalam, 1992, réédition
2004.
102 . Le Licite et l’illicite… ibid .
103 . In Rosa Maria Rodriguez Magda, La Espana convertitda al-Islam , 2006, p. 89.
104 . Stratégie de l’Action Islamique culturelle à l’extérieur du Monde islamique –
https://www.isesco.org.ma/fr/wp-content/uploads/sites/2/2015/05/Strategie-action-culturelle-
islamique.pdf
105 . https://www.globalmbwatch.com/wp-content/uploads/2015/06/The-Federation-of-Islamic-
Organizations-in-Europe.pdf
106 . L’UOIF a pour filiales des associations telles : Jeunes Musulmans de France, Étudiants
musulmans de France, Lligue Française de la Femme Musulmane, IESH Paris, Association
médicale Avicenne de France, European Halal Services, Comité de bienfaisance et de secours aux
Palestinien (…) pour ne citer que celles qui figurent sur son site.
1
107 . Il est l’actuel président de la FIDEC (Forum international de dialogue et d’entente entre les
civilisations), et de la FOIE (Federation of Islamic Organisations in Europe ) de 2014 à 2018.
108 . https://www.youtube.com/watch?v=TEDjHEzxMIg4 ;
https://www.europe1.fr/societe/roubaix-un-imam-influent-sur-les-reseaux-sociaux-soutient-tariq-
ramadan3479072 https://ieshdeparis.fr/coran/ .
109 . https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdallah_Ben_Mansour .
110 . Moshen Ngazou, « Les critères pour une organisation musulmane de France », conférence
islamique annuelle de l’UOIF, Bourget, 3 mai 1998.
111 . Amar LASFAR, président de Musulmans de France (MF/ex-UOIF), prend pour référence
absolue Hassan al-Banna et Youssef al-Qardaoui.
112 . Cf « Entretien d’Alexandre del Valle avec Cheikh Dalil Boubakeur », Valeurs Actuelles ,
novembre 2018.
113 . http://www.musulmansdefrance.fr
114 . Source RFI : http://www.rfi.fr/emission/20170423-turquie-islamisation-referendum-uoif-
musulmans-france-bouzar- anthropologue-hoffner
115 . https://www.youtube.com/watch?v=X4t1IGWQf-E
116 . Éditions Ring, « Une conférence choc d’Amar Lasfar, Président de l’UOIF, refait surface »,
27 mars 2018.
117 . https://www.youtube.com/watch?v=X4t1IGWQf-E
118 . http://www.valeursactuelles.com/societe/quand-le-president-de-luoif-evoquait-des-pistes-
pour-conquerir-loccident-94407
119 . Antoine Menuisier, « Les voix dissidentes écartées du rassemblement musulman du
Bourget », 4 avril 2018.
120 . En 1989, éclata à Creil dans l’Oise l’affaire du port du voile islamique à l’école. Très
largement médiatisée, celle-ci donnera lieu à un débat houleux. Source :
http://www.leparisien.fr/podcasts/code-source/creil-1989-premiere-affaire-de-voile-en-france-11-
10-2019-8171220.php
121 . Formé à l’IESH, président du Collectif des Musulmans de France, Ennasri se présente
comme un « spécialiste du Qatar ». Sa thèse en science politique, soutenue à l’IEP d’Aix-en-
Provence en 2017, s’intitule : « Yousouf al-Qardaoui et la politique étrangère du Qatar : une
diplomatie ‘religieuse’ ? 2003-2013 » ; sa source biographique quasi unique est Al-Qardaoui…
122 . « Un doigt d’honneur de l’UOIF à la République », Le Club Médiapart, 7 février 2016.
123 . Fiammetta Venner, « La face cachée de l’UOIF », L’Express.fr, 26 avril 2016.
124 . La Qatar Charity Organization, « ONG d’aide au développement et d’aide humanitaire au
Moyen-Orient », est tenue par la famille royale qatarie, via la présidence du cheikh Hamad ben
Nasser al-Thani. Elle est accusée de financer l’islamisme en Europe.
125 . Fabrice Maulion., L’organisation des frères musulmans : évolution historique, cartographie
et éléments d’une typologie , Sous la direction de Xavier Raufer.t. 1, Paris, Université Panthéon-
Assas – Paris II – Département de Recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines, 2004,
p. 43, 44 et 47.
126 . « La majorité des Imams suisses est islamiste », Le Temps , 27 août 2017.
127 . L’IESH offre plusieurs diplômes en études islamiques/théologie. Son but officiel est de
former des imams maîtrisant les préceptes de la jurisprudence islamique dans le souci de
« s’insérer » dans à la réalité ambiante.
128 . Nous avons fait la copie et la capture d’écran de ces lignes concernant l’IESH sur le site.
http://iesh.org/index.php/home/info-iesh .
129 . Le compte chèque postal (CCP) désigne un compte courant ouvert auprès de la filiale
bancaire d’un établissement de la Banque postale.
130 . La DST est devenue la Direction générale de la Sécurité intérieure après deux réformes, la
dernière en 2014 (DGSI)
131 . https://ieshdeparis.fr/wp-content/uploads/2019/06/Guide-des-formations-et-CPF.pdf
132 . https://www.qcharity.org/en/qa
133 . Mohamed Louizi, Pourquoi j’ai quitté les Frères-musulmans ? Retour éclairé vers un islam
apolitique , Paris, Michalon, 2016, p. 213.
134 . http://www.lesalonbeige.fr/les-freres-musulmans-ont-une-ideologie-semblable-a-celle-de-
toutes-les-organisations-terroristes-al-qaida-al-nosra-daesh/ .
135 . https://www.facebook.com/mohamed.louizi/posts/10209447245643002?fref=nf .
136 . Confessions d’un fils de Marianne et de Mahomet , Les Échappées, Paris, 2016.
137 . Libération , « Aujourd’hui, le Prophète est aussi “Charlie” », Soufiane Zitouni, 14 janvier
2015.
138 . Libération , « Pourquoi j’ai démissionné du lycée Averroès », Soufiane Zitouni, 5 février
2015.
139 . Voyant que l’UOIF était incapable de convertir ses succès sur le terrain politique et social, de
nombreux jeunes s’en sont éloignés, rejoignant le Collectif des musulmans de France (CMF) ou
Participation et spiritualité musulmanes (PSM).
140 . L’UOIF qui a son siège à La Courneuve, est à l’origine, avec sa structure locale affiliée, la
Fédération des Musulmans de La Courneuve (FMC), d’un projet de Grande mosquée de 3 500 m²
et 1 500 places.
141 . Les deux étages supérieurs sont réservés à la partie culturelle avec 11 classes de collège et
une médiathèque. Le sous-sol, est, lui, consacré au sport/bien-être avec une salle de fitness, une
piscine de 25 mètres, un hammam, un spa et un sauna.
142 . De la littérature d’Abu Bakr Al Jazairi a été repérée dans la librairie de la mosquée,
notamment La voie du musulman, où il interdit d’édifier des églises en terre d’islam et insiste sur le
jihâd afin « d’éradiquer toute autre adoration que celle du Seigneur ». La présence d’Amar Lasfar
marquait l’importance de cette mosquée de 3700m² avec minaret et coupole abritant 2000 fidèles
143 . Le Progrès, 13 juin 2019.
144 . Comme l’islamiste malien Mohamed Minta, formé à l’Université salafiste de Médine, imam
de la mosquée de Décines, et fondateur du centre islamique Shâtibi, ou encore le Tunisien Kamel
Oueslati, trésorier de l’école « Nouvel Horizon », salafiste. Ouverte en 2011 en tant qu’école
coranique, elle est devenue une école primaire, fin 2011 malgré un refus de l’État en raison du
bilinguisme arabe-français trop poussé et de son islamisme. Membre de la Fédération Nationale de
l’Enseignement privé Musulman (FNEM), branche scolaire des Frères, elle est restée ouverte…
145 . Cf, Joachim Véliocas, http://islamisation.fr/2017/06/02/la-nouvelle-mosquee-de-marseille-
15eme-a-ouvert-en-totale-illegalite/
146 . Cf, Joachim Véliocas, Mosquées Radicales, ce qu’on y dit, ce qu’on y lit (éditions DMM).
147 . Dans une conférence à la Grande mosquée de Dunkerque (inaugurée par le sénateur-maire
PS en 2013, Michel Delebarre) le prédicateur aborde le génocide arménien : « Cinq cent mille
arméniens ont fait pression sur l’ex-président de la France Sarko pour qu’il vote une loi pour
condamner les turcs, pour un péché qu’ils n’ont pas commis. On est bien d’accord, le pseudo
génocide arménien. La loi n’est pas passée hein, donc je peux dire que ça existait pas. (…). Donc
là je peux m’éclater ! Regarde je parle, il n’y a pas eu de génocide, et j’ai les preuves historiques
qu’il n’y a pas de génocide ».
148 . Vidéo mise a été en ligne le 17 mai 2019 sur sa page Facebook Ismail-Marseille. Il partage
sur Facebook des citations de Al-Utheymine, ex-membre du Comité de hauts savants de l’Arabie
saoudite, référence salafiste. Ses ouvrages traduits en français se vendent très bien dans les
librairies musulmanes. Dans son Commentaire sur les grands pêchés (éditions Al Madina, 2013),
il rappelle que les musulmans qui délaissent la prière s’excluent de l’islam et que le fondateur de
son école juridique ibn Hanbal, prévoit la peine de mort pour cela. Al-Utheymine prescrit aussi la
peine de mort pour les homosexuels ou même les couples hétérosexuels non mariés récidivistes.
149 . Site de l’Observatoire de l’islamisation, http://islamisation.fr/observatoire-
islamisation/veran/
150 . Le site explique : « l’Association islamique de Suède, basée à Stockholm depuis 1980, est
dirigée par les Frères musulmans. Elle incarne une institution centrale, composée de quarante
associations musulmanes travaillant dans le secteur de l’éducation, possède la grande mosquée de
Stockholm et supervise celle de Göteborg, deux des plus grandes du pays » .
151 . Abo Raad ou Riyadh Al Duhan, alias de Riyadh Abdulkarim Jassim, né en Irak en 1965, a
étudié en Arabie saoudite dans l’université où les extrémistes Shaykh Ibn Baz (†1999) et Shaykh
Ibn Uthaymin († 2001) ont prêché. En 1996, il a obtenu un permis de séjour permanent en Suède. Il
a tenté de devenir Suédois en 2002 et 2008, mais les autorités ont refusé en raison de son
extrémisme. En 2007, il est devenu imam de la mosquée de Gävle « Al-Rashideen », ex-église
méthodiste de Södra Rådmansgatan, achetée par le Qatar. L’un des fondateurs, Abd al-Rahman bin
Umayr al-Nuaimi (1954), ex-professeur à l’Université du Qatar, préside la Qatar Football
Federation, qui a créé son ONG « Alkarama » à Genève. Al-Nuaimi figure sur la liste des
terroristes des États-Unis, de l’UE et de l’ONU pour son financement du djihadisme (Irak, Syrie,
Yémen, Somalie).
152 . Ingrid Carlqvist, « Sweden : A Place to Islamize », mai 2015, Gatestone Institute,
https://www.gatestoneinstitute.org/6044/sweden-islamization .
153 . Ancien dirigeant de la Communauté islamique en Allemagne (Islamische Gemeinschaft in
Deutschland – IGD) et haut-responsable des Frères musulmans en Europe notamment en charge de
la collaboration avec le Milli Görüs turc.
154 . Plusieurs centres islamiques dans 30 villes allemandes œuvrent sous la bannière de
l’Association islamique. Le Conseil Islamique à Berlin est dirigé par Cheikh Khadr Abdelmaata,
également coordinateur général du Conseil européen des imams et des prédicateurs et important
dirigeant au sein de l’Organisation internationale.
155 . In Kölner Stadt-Anzeiger, « Islamische Gemeinschaft in Deutschland in Köln : Eine
Bedrohung wie der IS oder Al Kaida » ; « Verfassungsschützer alarmiert Kölner
Muslimbruderschaft gilt als extrem gefährlich », https://www.ksta.de/politik/verfassungsschuetzer-
alarmiert-koelner-muslimbruderschaft-gilt-als-extrem-gefaehrlich—31716570 .
156 . http://www.lareference-paris.com/485 .
157 . Source : https://lesobservateurs.ch/wp-content/uploads/2017/06/Espagne-Andalousie.mp4
158 . https://www.atalayar.com/content/los-hermanos-musulmanes-diluidos-en-espa%C3%B1a-y-
en-europa
159 . Islamic relief Espagne est liée à Islamic relief Worldwide, une ONG liée aux Frères. Lire :
http://www.ikhwan.whoswho/blog/archives/7092
160 . https://www.lasprovincias.es/valencia/20081106/mas-actualidad/espana/supremo-revoca-
asilo-presidente-2008 11061937.html
161 . https://www.youtube.com/watch?v=HOxH2jle03g
162 . John Mintz et Douglas Farah, ibid.
163 . http://www.cair-net.org .
164 . John Mintz et Douglas Farah, « In Search of Friends Among The Foes U.S. Hopes to Work
With Diverse Group », The Washington Post , 10 septembre 2004. En 1963 fut créée la Muslim
Students Association (MSA) ; en 1971 le North American Islamic Trust ; suivie de l’Islamic
Society of North America et de l’International Institute of Islamic Thought en 1981 ; puis de
l’American Muslim Council en 1990 et de la Muslim American Society en 1992.
165 . The New Republic , 12 juin, 1995.
166 . « A rare look at secretive Brotherhood in America », in chicagotribune.com, 19 septembre
2004.
167 . Steven Emerson op. cit , p. 75.
168 . Steven Emerson, idem .
169 . Il créa l’Islamic Center of Boston et la Grande Mosquée de Massachussetts, fréquentée par
les terroristes Dzokhar et Tamerlan Tsarnaev, Tarek Mehanna et Aafia Siddiqui. Il soutint le
Hamas. Les enquêtes policières révélèrent des conversations téléphoniques où il déplorait que les
attaques de 1998 contre les ambassades étatsuniennes en Afrique ne firent pas de morts américains
et glorifiait l’attentat du Hezbollah en 1994 contre le Centre juif AMYA de Buenos Aires.
170 . Steven Emerson, op cit .
171 . Colloque annuel de l’association MAYA, Kansas City, Missouri, 19 décembre 1989.
172 . Il a participé en 2012 à la Conférence annuelle de l’American Muslim Council
d’Abdurrahmane Alamoudi, condamnée pour financement de terrorisme, puis au comité
organisateur du Critical Islamic Reflection aux côtés de Frères-musulmans américains (Jamal
Barzinji, Hichem al-Talib, Yacoub Mirza).
173 . Cf, Ahmed Chawki, « Un homme et six Frères à la Maison Blanche », Rose el-Youssef,
22 décembre 2012.
174 . Sa mère, Saleha Mahmood Abedin, est membre de la branche féminine des Ikhwan (« Sœurs
musulmanes »), puis de la Ligue islamique mondiale et elle était proche de Mohamed Morsi. Elle
dirige le Comité international islamique pour la femme et les enfants, issu de la Ligue islamique
mondiale. Son père, Nassef, est membre de l’Institut des affaires des minorités musulmanes
(IMMA), un think tank saoudien dont l’objectif est de « fortifier une population agressive non
assimilée vers la suprématie islamique qui va progressivement mais radicalement modifier le
caractère de l’Occident », selon le Center of Politics Studies, et dont Huma Abedin a été
rédactrice en chef. Sa mère et son père sont aussi membres du Conseil international islamique pour
la da’wa sous la direction d’Al-Qardaoui.
175 . Agence jordanienne Petra, 15 juin 2016
176 . Les gouvernements étrangers qui ont donné de l’argent aux époux Clinton via leur fondation
sont la Norvège, le Koweït, le Qatar, Brunei, Oman, l’Italie et la Jamaïque, qui ont versé ensemble
environ 20 millions de dollars.
177 . Cf lettre du CAIR au vice-président Gore le 6 octobre 1995.
178 . « United States, v. Holy Land Foundation », The NEFA Foundation , 5 mars 2010. Sept
personnalités du CAIR ont été soit arrêtées pour terrorisme soit interdites d’entrer sur le territoire
américain (Siraj Wahhaj, Bassem Khafagi, Randall (« Ismail ») Royer, Ghassan Elashi, Rabih
Haddad, Muthanna Al-Hanooti et Nabil Sadoun).
179 . Andrea Elliott, « The Man Behind the Anti-Shariah Movement » , The New York Times ,
30 juillet 2011.
180 . « Un projet sur les Frères musulmans adopté aux États-Unis », www.trt.net.tr ; Julian
Pecquet, « Who’s behind vote to label Muslim Brotherhood a terror group ? », AI Monitor ,
2 février 1996.
181 . Middle East Eye ; David Hearst, « Interdiction des Frères musulmans : le message mortel de
Donald Trump aux Arabes et aux islamophobes blancs », 5 mai 2019.
182 . Cf, « Appel à soutenir le mouvement BlackLivesMatter, révolte », conférences vidéos des
deux cadres fréristes américains postées sur le Web : https://www.youtube.com/watch?
v=xQOujfrFDu4 ; http://www.postedeveille.ca/2016/07/usa-freres-musulmans-revolution.html ;
https://www.youtube.com/watch?v=tRn6dQ3VF1o .
183 . Fin 2018, Hakim El Karoui, qui a dénoncé l’islamisme radical dans deux rapports de
l’Institut Montaigne, notamment La Fabrique de l’islamisme (2018), propose d’édifier sur les
ruines du CFCM cet « islam de France » jusqu’à peu exclusivement contrôlé par des associations et
puissances islamiques étrangères (Turquie néo-ottomane d’Erdogan ; Arabie saoudite/wahhabisme,
Qatar, Frères musulmans, Maroc, Algérie, etc.). L’AMIF a pour vocation officielle de
« préparer l’islam de France », à l’instar du CFCM créé par Nicolas Sarkozy en 2003, lequel n’a
d’ailleurs pas atteint l’objectif affiché.
184 . Transfuge de l’ex-UOIF, Nabaoui est en conflit ouvert avec le CFCM et a été pour cela
démis de ses fonctions d’aumônier national des hôpitaux. Il est soutenu par les Marocains de
l’Union des mosquées de France, le Consul du Maroc et Mohamed Moussaoui, ex-président du
CFCM. Il en appelle à « un islam pluriel riche des génies arabes, turcs et caucasiens qui doit
trouver sa place en Europe ». Pourtant, le but des Marocains qui le soutiennent est plus de contrer
les Ditib et Milli Görüs turques accusés « d’immixtion étrangère dans les cultes » que de susciter
un « islam français », puisque l’État marocain, islamique, persécute les convertis au christianisme
et autres athées-apostats et est lui-même un pôle islamique étranger qui contrôle politiquement et
maintient les descendants marocains dans leur statut de « sujets » de sa Majesté Mohamed VI.
185 . Réveillons-nous, Lettre à un jeune Français musulman , Éditions Plein Jour, 2018.
186 . Éditions Plein jour, 2015.
187 . Op. cit, p. 28.
188 . Conférence à la Mosquée Aïcha de Montpellier en décembre 2015.
189 . Éditions Al Azhar, 2016.
190 . Cf « Manifeste contre le nouvel antisémitisme », 22 avril, Le Parisien.
Céline Pina, « Tribune des 300 contre l’antisémitisme, tribune des 30 imams : le décryptage de
Céline Pina », Figarovox, 25 avril 2018.
191 . À la suite du manifeste du Parisien, Oubrou a été l’instigateur, le 24 avril, d’un contre-appel
à la prudence publié dans Le Monde , avec trente imams de France, invitant certes les « imams à
dispenser un discours d’apaisement » mais demandant instamment aux intellectuels qui
« n’hésitent plus à avancer en public et dans les médias que c’est le Coran lui-même qui appelle au
meurtre », à « faire preuve de discernement ».
192 . http://www.islametinfo.fr/2015/02/13/quand-tareq-oubrou-parlait-comme-daesh-du-califat-
video-choc/ .
193 . Réf RMC « Grand oral », 6 juin 2019.
194 . Idem .
195 . Al Ghazali (1058-1111) est un mystique dogmatique, il a condamné l’usage de la raison, et
ramené le soufisme dans le cadre de la charia orthodoxe. Il faut relever que l’UOIF a appelé son
lycée privé lillois « Averroès », dans la droite ligne de la tactique de récupération des Frères
musulmans.
196 . Ibn Taimiyya (1263-1328) est un théologien traditionnaliste. Opposé à la philosophie et à
toute innovation, il a influencé le wahhabisme et le salafisme.
197 . Voir ici .
198 . « Valls veut combattre le discours des frères musulmans en France », Le Point (sources AFP)
9 février 2015.
199 . Florentin Collomp, « Londres enquête sur les activités des Frères musulmans sur son sol »,
Le Figaro, 7 avril 2014.
200 . « Cameron gêné par un rapport sur les Frères musulmans en Grande-Bretagne », Le Figaro,
17 mars 2015.
201 . Idem .
CHAPITRE III

La Confrérie et ses liens persistants avec


le jihad
« Le jihad est le quatrième pilier, parmi dix, de l’allégeance aux Frères
musulmans en Orient comme en Occident. Les membres de l’UOIF, sœurs
et frères, ont exprimé leur adhésion à cette structure, jurant fidélité jusqu’à
1
la mort à ce pilier comme aux neuf autres. »
Mohamed Louizi

Ex-Frères musulmans et pseudo-sécessions


Quand on parle d’islamistes violents ex-Frères musulmans, certains
cherchent à donner plus d’importance au fait qu’ils ne seraient donc plus du
tout membre des Ikhwan . On y verrait la preuve que l’organisation serait
« modérée », puisque ses éléments les plus extrêmes seraient partis rejoindre
d’autres groupes clairement jihadistes. C’est d’une part méconnaître
l’endoctrinement auquel sont soumis les Frères, lequel s’étale sur plusieurs
années, chaque étape n’étant abordée que lorsque la précédente a été
minutieusement consolidée. C’est mal juger, d’autre part, le continuum
idéologique qui fait que le jihadisme et le terrorisme sont la suite logique des
enseignements des Frères. En réalité, comme le rappelle Zuhdi Jasser,
fondateur de l’American Islamic Forum for Democracy (AIFD) et du Center
for Islamic Pluralism, qui combat le fanatisme et réclame une séparation entre
Mosquée et l’État dans les pays musulmans, « le terrorisme est approprié
quand il convient aux FM et à ses affiliés. Sheikh Yousouf Qardaoui, le Al-
Banna d’aujourd’hui, dans ses discours et ses livres, engage le même
2
processus de pensée sur le salafisme-jihadisme » . Les éventuelles
dissensions entre membres de l’organisation et certains de ceux qui l’ont
quittée ne se font donc pas sur l’objectif à atteindre, mais plutôt sur les
moyens, et ce non à l’aune d’une éthique de vie, du respect des droits et des
libertés, mais parce que le moyen (violent) pourrait mettre en péril le but
ultime que les Ikhwan se sont fixé, à savoir la suprématie islamique
universelle. L’apparente « modération » des Frères dans nos sociétés
occidentales est donc tactique – la confrontation exclusivement violente au
moyen d’attentats risquant de susciter une répression. Ainsi, « ceux qui ont
vanté la modération des Frères [en Égypte] ont erronément privilégié dans
leur analyse les manœuvres politiques du groupe qui ont changé au cours du
temps tout en minimisant les objectifs antioccidentaux et totalitaires qui
3
définissent les FM depuis leur conception » . Les ex-Frères musulmans qui
rejoignent des groupes ouvertement jihadistes ne le font pas en reniant leur
endoctrinement, ils ne font que l’accomplir en s’inscrivant dans son schéma
théorique et structurel originel. Comme le souligne Jasser, « il n’y a pas de
meilleur exemple d’une organisation de portée mondiale qui produise sans
cesse une descendance terroriste islamiste que celle des Frères musulmans »
4
. Nombre d’entre eux ont ainsi rejoint les rangs de Daech, d’Al- Qaïda ; et
d’autres groupes terroristes « épousent » l’idéologie des Ikhwan . Bien qu’Al-
Qaïda, Daech et les Frères se soient mutuellement rejetés ou condamnés, ces
trois groupes sont, en définitive, selon lui, « liés par leur idéologie partagée
5
et leur vision d’un califat global gouverné par la loi islamique » .

Le Soudan d’Al- Tourabi ou la convergence


fréro-jihadiste officielle des années 1990
Parfois surnommé le « Pape noir du terrorisme », Hassan al-Tourabi,
6
ancien numéro 2 du régime militaro-islamiste génocidaire de Khartoum allié
du général Omar El-Béchir, est la figure la plus emblématique de la
convergence entre Frères musulmans « étatiques » et terrorisme islamiste.
Rappelons en préliminaire que si l’organisation soudanaise des Frères,
géographiquement proche de la maison-mère égyptienne, a été une simple
ramification de La Confrérie égyptienne, son rôle de « pont » entre les Ikhwan
et le terrorisme international a été central. Né en 1932, Tourabi dirigea le
Front de la Charte islamique de 1964 à 1969, le parti de La Confrérie au
7
Soudan , dont il devint vite le chef charismatique. Cela lui valut d’être un
temps emprisonné sous le président Jaafar Muhammad an-Nimeiry.
Toutefois, en 1985, une fois Nimeiry renversé par un coup d’État, Tourabi –
libéré – réorganisa son parti en un Front islamique international. Et c’est sous
son influence idéologique que le général Omar El-Béchir – ancien officier
formé au Caire – prit le pouvoir par un coup d’État, le 30 juin 1989. Président
du parlement de 1995 à 1999, puis chef du Congrès national, le principal parti
politique, émanation du Front islamique national, Tourabi, alors tout-puissant,
prêchait un « panislamisme révolutionnaire ». Dans ce contexte, il organisa, à
Khartoum, en 1991, un Conférence populaire islamique internationale, qui
réunit des dirigeants du Front Islamique du Salut algérien (FIS), de la
Jama’at-é Islami pakistanaise, du Jihad islamique égyptien, du Hamas
palestinien et même du Hezbollah chiite-libanais, sans oublier l’actuel chef
8
d’Al- Qaïda, Ayman al-Zawahiri ou encore Tariq Ramadan . Autrement dit,
Tourabi fit de Khartoum à la fois la plaque tournante du gotha islamo-
terroriste international et le centre névralgique mondial et régional de La
Confrérie, alors en difficulté avec les autorités égyptiennes et de moins en
moins soutenue par les Saoudiens. Du terroriste marxiste pro-palestinien néo-
salafiste Carlos, qui se réfugia au Soudan en 1991, à Oussama ben Laden, qui
s’y installa de 1992 à 1996, Khartoum exerça un pouvoir d’attraction majeur,
bien avant même les Talibans, sur de nombreux activistes islamistes et
jihadistes. D’où le fait que ce pays fut alors classé dans le liste des « rogue
9
states » par les États-Unis . La personnalité de Tourabi est en fait
importante, car si elle illustre le côté opportuniste des Frères musulmans, elle
montre aussi très concrètement les liens qu’ils sont capables d’entretenir avec
le terrorisme international, tout en condamnant ce même terrorisme ailleurs.
Ainsi, c’est parce qu’il rêvait de faire du Soudan une nouvelle Arabie saoudite
que Tourabi invita Oussama ben Laden – avec femmes, enfants et garde
rapprochée – à s’installer à Khartoum. À l’époque, si Ben Laden faisait figure
de héros du jihad contre les Soviétiques aux yeux de Tourabi, il lui
apparaissait surtout comme un visionnaire-stratège qui ne manquait pas
d’argent et qui pouvait donc l’aider à développer son pays. En échange de sa
protection, Tourabi l’entraîna dans la construction de routes et
d’infrastructures qui devaient servir ses ambitions politiques. Mais celui que
l’on a surnommé « le pape noir du terrorisme » et qui se rêvait en calife
moderne du monde musulman n’eut pas que Ben Laden en tête. Il devait
s’appuyer sur un maximum d’organisations internationales susceptibles de
permettre à La Confrérie de renforcer son rôle face à l’Occident et aux pays
arabes. En 1996, sur pression des États-Unis – qui placèrent le Soudan sur la
liste des États soutenant le terrorisme et menacèrent de le bombarder –,
10
Tourabi proposa de remettre Ben Laden à la CIA , qui ne donna pas suite à
la proposition, jugeant ne pas disposer d’assez de preuves pour le faire arrêter.
Après avoir fait confisquer les biens de ce dernier, le régime soudanais
l’expulsa en direction de l’Afghanistan, où les Talibans lui accordèrent l’asile.
En 2002, la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-
Unis – également appelée commission du 11 Septembre, chargée des
investigations quant aux circonstances des attentats contre les tours jumelles –
déclara tout de même Hassan al-Tourabi comme l’un des « principaux
soutiens d’Oussama ben Laden et d’Al-Qaïda en Afrique ». Décédé le 5 mars
2016 après avoir produit soudainement des fatwas « progressistes » et
favorables aux femmes, Tourabi demeure le parfait symbole de l’ambivalence
des Frères, qui sous couvert de « défense des musulmans face à leurs ennemis
», n’ont jamais hésité à soutenir le jihad quand cela est possible, tout en
condamnant le terrorisme… Étrangement, son nom continue de fasciner la
nouvelle génération des Frères.

La Confrérie et ses liens persistants avec le


jihad
La scène que nous allons vous raconter se passe au Liban au printemps
2010, dans le camp palestinien d’Ain el al-Helweh, au nord de Beyrouth. Créé
en 1948 pour accueillir les exilés de la guerre israélo-arabe, cet endroit où
vivent près de 70 000 réfugiés palestiniens à l’époque des faits, est tenu par
plusieurs milices armées. Dès l’entrée du camp, passés les check-points
contrôlés par des soldats de l’armée libanaise très discrets, on ne fait pas cent
mètres sans croiser des hommes armés de fusils d’assaut Kalachnikovs ou de
11
M16. Certains sont membres du Fatah , le mouvement de libération de la
Palestine créé par Yasser Arafat en 1959, d’autres du Hamas, l’organisation
islamiste palestinienne qui règne en maître à Gaza. On croise même des
membres d’Osbat al-Ansar, une organisation jihadiste wahhabite liée à Al-
Qaïda qui a sévi en Irak. Et c’est justement d’anciens combattants de la
12
faction d’Al- Zarkaoui en Irak (précurseur de l’État islamique) qu’un des
auteurs de cet ouvrage, Emmanuel Razavi, est venu interviewer dans le cadre
13
d’un reportage pour l’émission « Enquête Exclusive » de M6, produite par
Bernard de La Villardière. Il était accompagné d’un confrère réalisateur afin
d’interviewer l’un des chefs de ce groupe terroriste caché dans le camp.
14
Dénommé Abu Tarik , ce chef est recherché à l’époque par de nombreux
services secrets occidentaux et arabes, compte tenu de son implication dans le
jihad en Irak, mais aussi dans des actions terroristes perpétrées par son
organisation au Pays du Cèdre. S’il a accepté de les rencontrer après plusieurs
jours de tractations, c’est parce que le responsable de la branche locale du
Hamas, Fadl Taha, a insisté auprès de lui. Rencontrer des journalistes français
pour redorer l’image de leurs mouvements respectifs et faire passer quelques
messages apparaît en effet important à ce dernier.
Sur les images du documentaire, on voit le leader du Hamas et le
combattant d’Al-Qaïda poser côté à côte, tels de vieux amis. Sur une photo
prise à la sauvette, on les aperçoit tous deux déambuler ensemble, en toute
quiétude, dans les rues du camp de réfugiés, entourés de gardes armés. Le
premier est vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise kaki rebondissant sur
son ventre bedonnant, arborant un keffieh sur le crâne et une barbe longue. Le
second, fidèle au look des cadres du Hamas, est vêtu d’un costume sombre,
15
portant quant à lui une barbe courte bien taillée. L’entretien se tient dans un
local où est installé un studio de postproduction vidéo du Hamas, qui sert à
monter et diffuser des films de propagande et d‘attaques kamikazes.
Très fier de son installation, Fadl Taha explique : « Ici, nous diffusons les
actions de nos héros, les actions commandos contre l’ennemi. C’est avec ces
images de nos héros que nous implantons l’amour de la Palestine dans le
cœur de nos enfants. C’est comme ça qu’on les pousse à s’engager dans la
résistance » . Nous demandons alors au chef du Hamas, qui se tient assis sur
un canapé à côté du responsable d’Al-Qaïda : « Le Hamas dit qu’il n’est pas
une organisation terroriste. Mais vous côtoyez Abu Tarik qui appartient à Al-
Qaïda et qui a combattu en Irak. Cela veut dire que Hamas et Al-Qaïda ont
des liens ? » Réponse du cadre du Hamas : « Les médias occidentaux, vous
voulez toujours nous faire passer pour des terroristes (…) Mais ce n’est pas
le cas. C’est plus compliqué que ce que vous racontez (…) Nous sommes tous
des résistants. Nous avons les mêmes ennemis, les sionistes et les Américains
(…). Nous n’avons pas toujours les mêmes stratégies et nous ne sommes pas
toujours d’accord sur tout, mais il est important que nous échangions
ensemble. C’est un combat commun, il faut que tout le monde se concerte,
que nous parlions de politique (…). Peut-être qu’un jour nous amènerons les
gens d’Al-Qaïda à privilégier l’action politique. : si l’ennemi sioniste décide
à nouveau d’attaquer le Liban, nous serons dans les rangs de la résistance et
nous ne serons pas les seuls. Il y aura aussi le groupe d’Abu Tarik, Osbat al-
Ansr (…) ». La réponse d’Abu Tarik est elle aussi, on ne peut plus claire : «
Du point de vue religieux, il n’y a pas de différence entre nous et le Hamas.
Nous voulons tous libérer Jérusalem. Mais il y a des positions que le Hamas
ne peut pas adopter. Par exemple, je suis allé combattre les Américains en
Irak. Le Hamas est d’accord sur le principe. Sauf qu’eux, ils n’y vont pas ! ».
La réponse du cadre du Hamas, comme celle d’Abu Tarik, prouvent la
convergence idéologique entre leurs mouvements, malgré des divergences de
16
forme. Rappelons que le Hamas, comme l’indique sa Charte originelle , est
« la filiale de l’organisation égyptienne des Frères Musulmans », laquelle a
inspiré les cadres fondateurs d’Al-Qaïda. S’il s’est quelque peu désolidarisé
de La Confrérie ces deux dernières années, le mouvement palestinien défend
la même idéologie, puisant, à l’instar d’Al-Qaïda, ses références dans les
textes d’Hassan al-Banna, de Saiyyd Qutb ou d’ Abdallah Azzam. L’article 2
de ladite Charte originelle du Hamas stipule d’ailleurs que « le Mouvement
de la Résistance Islamique est l’une des ailes des Frères musulmans en
Palestine. L’organisation des Frères musulmans est un mouvement universel
qui forme le plus vaste mouvement islamique de notre temps. Il se caractérise
par une profonde compréhension, une portée exacte et une adoption complète
de tous les concepts de l’islam dans la vie : culture, croyance, politique,
économie, éducation, société, justice, jugement, éducation, art, information,
science occulte, conversion à l’islam, et diffusion de l’islam ». Voilà donc la
réalité, telle que la dépeint une rencontre sur le terrain, couplée aux textes.
Pourtant, dans de nombreux cercles intellectuels occidentaux, des âmes
« progressistes » s’évertuent encore à considérer le Hamas comme un
mouvement de résistance et non comme un mouvement terroriste issu de La
Confrérie. Ce mouvement n’a d’ailleurs jamais combattu pour la
« libération » d’un territoire, la Palestine – qui a légitimement droit à la
reconnaissance – mais pour l’instauration d’un État islamique sur cette zone
et partout ailleurs. L’on pourrait dire, en somme, que le Hamas opère la
parfaite synthèse entre Al-Qaïda et les Frères, tant il s’applique aussi bien à
diffuser le discours de ces derniers – jouant le jeu lors des élections
municipales et législatives palestiniennes – qu’à passer à l’action terroriste
dès lors qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. En fait, le Hamas montre que le
discours frériste peut déboucher sur de l’activisme terroriste, tant il est
totalitaire et suprémaciste, sa Charte précisant que « son cadre de référence
17
est l’Islam qui détermine ses principes, ses objectifs et ses moyens » .

Le Hamas, ou comment le jihadisme


palestinien donna le ton
Présentée par le Trésor américain comme « une organisation terroriste
qui a intentionnellement tué des centaines de civils innocents et continue à
18
tuer et mutiler dans le but de terroriser une population civile » , le Hamas
19
est une « excroissance » des Frères, « canal historique » . En mai 2017,
Khaled Meshaal, ex-leader du Hamas, depuis lors résident au Qatar, présentait
un document cherchant à préciser les principes et la politique du mouvement.
Nombre de journaux virent cela comme une rupture avec les Frères, puisque
l’organisation mère égyptienne n’y était plus mentionnée. Le contexte
politique de l’époque expliquait en fait ce changement d’attitude, les Frères
musulmans étant alors de plus en plus décriés par l’ Arabie saoudite et
l’Égypte, comme interférant dans la politique des États. Le Hamas avait de ce
fait tout intérêt à se redéfinir comme « un mouvement palestinien local qui
« souligne la nécessité de construire des institutions nationales
palestiniennes » plutôt que [de faire] partie d’une organisation
20
panislamique » . Quelques jours plus tard cependant, le site Albhazab News
rapportait que les Frères musulmans avaient publié leurs félicitations sur la
21
nomination d’Ismail Haniyéh à la tête du bureau politique à la suite de
Meshaal, mettant ainsi en doute la désaffiliation du Hamas. Et le 8 mai 2017,
le site internet des Frères ( Ikhwan Online ), publiait cette déclaration : « Le
mouvement Hamas et ses sœurs des mouvements de résistance en Palestine
est la pierre de touche qui empêche toujours le projet sioniste d’avancer dans
22
la destruction des terres et du matériel » , l’expression « moyens de
résistance » servant à décrire le terrorisme anti-israélien. « En louant
Haniyéh, les Frères placent le chef du Hamas dans une longue lignée de chefs
23
Frères Musulmans » . En mai 2017, le site Al Arabiya rapportait quant à lui
que des tribus bédouines du Sinaï se plaignaient du soutien du Hamas à l’État
24
Islamique, laissant des terroristes quitter Gaza pour rejoindre Daech . Enfin,
en 2003, le Trésor américain avait désigné comme terroristes six leaders du
25
Hamas et six ONG- Charities finançant le Hamas , parmi lesquels figurait
Khaled Meshaal.

Différences de degré, pas de nature


Depuis 2001 – et surtout depuis les Printemps arabe – les Frères
musulmans ont réussi, en Occident, à être perçus, par contraste avec les
jihadistes-salafistes de Daech et Al- Qaïda, comme le « pôle modéré »,
« réformiste » de l’islamisme, en phase avec la modernité. Le contraste entre
des images d’exécutions commises par des jihadistes armés de fusils d’assaut,
scandant en arabe les versets les plus violents du coran, et celles de fréristes
« bien sous tous rapports » – professeurs, docteurs, avocats des droits de
l’homme – avait de quoi convaincre. Car rappelons-le : l’organisation des
Ikhwan a toujours pris soin de mettre en avant dans les médias des
intellectuels et universitaires rassurants.
Cette juxtaposition flatteuse a longtemps nourri l’illusion d’une sorte de
pare-feu entre ce que serait l’islamisme « acceptable » des Frères et celui,
« condamnable », des terroristes. Avec le Printemps arabe, les partis
islamistes au Moyen-Orient sont ainsi devenus des acteurs importants sur la
scène internationale, et certains gouvernements occidentaux ont révisé leur
copie au profit d’une plus grande particularisation des différentes branches
des Frères, d’où la distinction entre les branches « violentes » des Frères
musulmans et celles qui ne seraient qu’ « idéologiques ». Les secondes ne
sont pourtant que le continuum et la mise en pratique des premières.
En réalité, les liens entre Frères et terrorisme se font à des degrés divers. À
l’intensité la plus faible, il s’agira seulement d’un discours ambigu et d’une
réticence à dénoncer le terrorisme islamiste. Ensuite, sans commanditer
d’attaques proprement dites, il y a une promptitude à s’associer avec des
organisations salafistes ou jihadistes, ce qui laisse supposer fortement que les
nuances idéologiques censées cloisonner le salafisme de l’héritage d’Hassan
al-Banna sont un artifice langagier. Un degré plus haut, c’est la continuité qui
s’opère des Frères musulmans à des groupes terroristes comme Al-Qaïda,
d’ex-Frères quittant l’organisation pour rejoindre des groupes plus violents,
les deux ayant pour différence de mettre en actes ce que les Ikhwan font par le
discours. Enfin, au dernier échelon, il y a l’appui financier, logistique et
idéologique des Frères à des organisations terroristes, quand ils ne produisent
pas eux-mêmes leurs propres groupuscules armés, ainsi qu’on l’a vu en
Palestine, en Algérie, en Syrie, en Libye ou au Yémen. À bien des égards, le
Qatar, totalement acquis à la cause des Frères qu’il sponsorise, est l’exemple
type de ces liens structurels entre islamisme transnational, islamisme d’État et
jihadisme.

Filiations et affiliations :
du Frère Sayyid Qutb au Hamas et aux ex-
Ikhwan d’Al-Qaïda et Daech
Ayman al- Zawahiri, bras droit de Ben Laden et chef actuel d’Al-Qaïda,
Abu Bakr al-Bagdadi, à la tête de Daech, Abdallah Azzam, l’imam du jihad et
mentor de Ben Laden, pour ne citer que ceux-là, ont tous été formés ou en
partie inspirés par les Ikhwan . Bien loin des discours rassurants, La Confrérie
égyptienne a engendré des générations de jihadistes. Le plus connu d’entre
eux est sans aucun doute Oussama ben Laden, dont le mentor, le palestinien
26
Abdallah Azzam (surnommé « l’imam du Jihad »), a été un membre officiel
des Frères musulmans avant d’aller plus loin dans le jihadisme. Grâce à son
enseignement, Ben Laden, qui a lui-même fréquenté les Frères en Arabie
saoudite, en Afghanistan et au Soudan, va non seulement s’inspirer du
système pyramidal de La Confrérie pour organiser Al-Qaïda, mais reprendra
les éléments de langage d’Al-Banna sur le Califat. Il empruntera son
idéologie jihadiste au précurseur, Saiyyd Qutb, notamment concernant
l’action violente contre « les apostats, les infidèles et les judéo-croisés ».
L’Égyptien Ayman al-Zawahiri, l’actuel numéro 1 d’Al-Qaïda, a lui aussi été
très influencé par le culte frériste du jihad et du Califat (Nous y revenons dans
les pages qui suivent). On notera que Zawahiri fut le cofondateur, dans les
années 1970, de l’organisation armée Jihad islamique avec d’autres Frères. Le
jihad islamique est entre autres à l’origine de l’assassinat du Président
égyptien Anouar el-Sadate, le 6 octobre 1981. Un rapport de la House
Oversight and Government reform Committee, qui émane du Congrès
américain, a révélé que l’idéologie frériste est « largement perçue comme la
passerelle vers la violence jihadiste. En effet, les dirigeants et adhérents à Al-
Qaïda et à l’État islamique ont tous pris inspiration chez Al-Banna, Qutb, et
27
d’autres penseurs des Frères-musulmans » .
Comme le rappelle Jonathan Schanzer, vice-président de la recherche à la
Foundation for Defense of Democracies, « ce n’est pas une coïncidence si
Qutb (…) a également inspiré Oussama ben Laden, des dirigeants d’Al-
28
Qaïda, et des jihadistes radicaux sur toute la planète » . Comme on l’a vu
aussi durant la guerre civile syrienne, les membres d’une mouvance islamiste
passent aisément d’un groupe à l’autre, prêtent souvent allégeance à plus fort
qu’eux, au gré des évolutions de rapports de force et succès sur le terrain. De
ce fait, si l’idéologie est fondatrice et fondamentale, ces groupes ne sont pas
sourds à leurs intérêts réciproques, d’autant plus accommodables que les
objectifs utiles sont communs : « règne de Dieu sur Terre » ; rétablissement
de la charià partout et unification de la Oumma dans un Califat universel.

Le témoignage de Mahfouz Azzam,


oncle de Zawahiri
Une légende entretenue par un certain nombre de chercheurs voudrait
qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda né en 1951 au Caire, n’ait jamais
eu de lien avec La Confrérie. Il y a une dizaine d’années, nous avons
rencontré Mahfouz Azzam, son oncle, dans l’un des quartiers résidentiels
29
du Caire . Cet avocat était son confident et principal soutien. Grand
30
admirateur de Sayyid Qutb (qu’il avait eu pour maître), il nous avait reçu
pour nous parler des liens de son neveu avec l’organisation des Frères
musulmans. Précisons que Mahfouz Azzam, véritable mémoire vivante de
31
l’histoire de La Confrérie, avait collaboré avec l’une des revues des Ikhwan
dirigée par Qutb, avant de devenir son conseiller personnel. Il nous avait
indiqué à cet effet que son neveu avait croisé la route des Frères à l’âge de
14 ans et qu’il « l’avait beaucoup entendu parler du courage de Qutb et que
cela l’a sans doute influencé (…). Les Frères musulmans ont beaucoup
compté dans l’éducation politico-religieuse d’Ayman », nous avait-il dit. «
Pourtant, il n’appartenait pas leur organisation. En réalité, il pensait qu’ils
étaient trop pacifistes, pas assez combatifs et qu’ils ne pouvaient rien changer
au système. Pourtant, comme d’autres jeunes en Égypte, il a subi leur
influence, comme celles d’autres organisations islamistes (…). Il a beaucoup
milité pour que les Frères se métamorphosent en mouvement jihadiste
politique ayant pour but d’organiser un coup d’état (…) ». Revenant sur les
déboires de Zawahiri avec la justice égyptienne, à la suite de l’attentat contre
Sadate, il nous expliqua comment son neveu avait rejoint, après sa sortie de
prison, la nébuleuse jihadiste qui allait donner naissance à Al-Qaïda au
Pakistan et en Afghanistan. « Quelques années plus tard, des Frères
membres de l’association médicale islamique associés au croissant rouge
Koweitien et basés au Pakistan où ils disposaient d’un hôpital, ont demandé à
Ayman de s’y rendre. Bien que les membres de cette institution soient des
Frères musulmans égyptiens, il a quand même accepté (…) ». Listé parmi les
top extrémistes dans l’annuaire des 500 musulmans les plus influents du
monde, Al-Zawahiri a donc non seulement côtoyé les Frères, mais il leur
devait également son passage au Pakistan, où il avait rejoint grâce à eux les
milieux jihadistes qui seraient, des années plus tard, à l’origine des attentats
des tours jumelles. Dans une longue publication sur le site du New Yorker , en
2002, Lawrence Wright rapporte lui aussi son entretien avec Mahfouz Azzam
à propos de Zawahiri : « déjà, étudiant, Zawahiri rêvait de mettre en
32
application les principes de Saiyyd Qutb » . À la mort de ce dernier en
1966, galvanisé par son martyre, il « participa à la naissance d’une cellule
clandestine, la Jamaat Islamiyya, qui œuvre dans l’ombre des Frères
33
musulmans » . Quelques années plus tard, il la regroupa « avec quatre
autres groupes clandestins afin de former le Jihad islamique [al-Jihad al-
Islam, cf infra] égyptien ». Accusé d’avoir fomenté l’assassinat du président
Anouar al-Sadate, il fut arrêté et poursuivi. Durant les trois années de procès
qui s’ensuivent, Zawahiri se lia avec « un des accusés les plus célèbres dans
les milieux intégristes : le Cheikh aveugle » Omar Abdel Rahman, chef
spirituel de Al-Jama’a al-Islamiyya ( cf. infra ), groupe terroriste dissident des
Frères musulmans. « Ils sont d’accord sur un objectif : renverser le
gouvernement égyptien. Le cheikh pense galvaniser les masses musulmanes
par ses prêches et les amener au jihad. Homme de l’ombre, Zawahiri préfère
les complots et les cellules clandestines. (…) Bientôt, on voit œuvrer ensemble
ces deux fortes personnalités, au sein d’Al- Qaïda, en Afghanistan et aux
34
États-Unis » . En 2001, Al-Zawahiri fusionne le Jihad islamique égyptien
avec Al-Qaïda. « Bien qu’ Oussama ben Laden soit devenu le visage du
terrorisme islamique, les membres du Jihad Islamique et sa figure directrice,
Ayman al-Zawahiri, étaient la colonne vertébrale du leadership de
35
l’organisation plus large » . Notons que le frère d’Ayman, Mohamed Al-
36
Zawahiri , est l’une des « figures » de l’ « islamisme radical dans le Sinaï »
37
.
38
Abdallah Azzam, « l’imam du jihad »
Une autre grande figure majeure du jihadisme passée par les Ikhwan est le
Palestinien Abdallah Azzam (1941-1989). Ce dernier est considéré comme
l’un des pères spirituels de Ben Laden et il contribua également à
« radicaliser » le jeune al-Zawahiri. Ses deux plus célèbres ouvrages, La
Défense des territoires musulmans et Rejoins la caravane !, où il prône un
39
jihad militaire mondial, sont des classiques de la littérature jihadiste . Les
auteurs des attentats du 11 septembre, issus de la « cellule de Hambourg » en
Allemagne, mise sur pied à la fin des années 1990, furent notamment inspirés
40
par Azzam . Membre officiel des Ikhwan , élevé dans les enseignements
d’Al-Banna, influencé lui aussi par Saiyd Qutb, Azzam se lia à la famille de
celui-ci et à celle de Hassan al-Hudaybi, l’ancien guide général des Frères
musulmans égyptiens, ainsi qu’au « cheikh aveugle » Omar Abdel Rahman,
l’inspirateur-instigateur de l’attaque contre le World Trade Center en 1993 . Il
rejoignit les Ikhwan dans les années 1950 et fut présenté à leur « contrôleur
général » en Transjordanie. « Pendant cette période, il s’initia aux écrits
41
d’Al-Banna et lut d’autres publications de La Confrérie » . Azzam étudia le
droit musulman à Damas en Syrie, où il rencontra nombre de religieux
extrémistes, dont Mohammad Said Ramadan al-Bouti (proche des Frères) et
Marwan Hadid, autre figure légendaire de la mouvance islamiste. « Au début
des années 1970, il devint le chef d’une aile révolutionnaire des Frères (…) ».
La mort de son mentor (Qutb) « renforça sa détermination à continuer à
œuvrer pour la cause islamique et à reprendre le flambeau » en sa mémoire.
Il poursuivit ses études à l’université Al- Azhar du Caire. « Son affiliation
politique aux Frères musulmans et son inscription à al-Azhar le placèrent
dans une situation unique pour tisser un vaste réseau de contacts dans le
42
mouvement islamiste égyptien » . Devenu professeur de charià à
l’université jordanienne, Abdallah Azzam acquit une véritable renommée,
certains l’appelant même le « Sayyid Qutb jordanien ». C’est à ce titre qu’il
instruisit dans le radicalisme toute une génération d’étudiants. En 1975, il
devint même membre du conseil de la Shoura, la structure collégiale de
commandement de La Confrérie. En 1980, il rencontra Oussama ben Laden à
Djeddah, en Arabie saoudite, alors qu’il enseignait à l’université : « Ben
43
Laden tomba alors sous son charme » . Les deux hommes collaboreront au
Pakistan lors de l’occupation soviétique de l’Afghanistan : « ce partenariat
allait être le germe d’Al- Qaïda aujourd’hui. Azzam aida également à établir
le groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba (…) Et il fut une figure
centrale dans la création du groupe terroriste palestinien Hamas, aidant à
44
rédiger sa charte fondatrice » . S’il fut baptisé « l’imam du jihad » par des
islamistes radicaux du monde entier, c’est « en raison de son rôle capital
dans le développement du « mouvement de jihad mondial » apparu à
45
l’occasion de la guerre d’Afghanistan » . Assassiné au Pakistan en 1989, il
continue aujourd’hui d’être une source d’inspiration majeure pour les
terroristes islamistes. « Son travail glorifiait les opérations-suicides et le
martyre, les éléments essentiels des tactiques d’Al-Qaïda. Ainsi que l’ex-chef
des services secrets israéliens, le Mossad, me l’a dit il y a des années, Azzam
est à la fois le père du jihad global et l’inspiration intellectuelle la plus
46
importante de la guerre des jihadistes contre l’Amérique. » Azam Tamimi,
l’un des théoriciens de La Confrérie que nous avons interviewé en compagnie
de notre consoeur Peggy Porquet du site d’informations
GlobalGeoNews.com, répondit à la question suivante posée par Emmanuel
Razavi : – Certains théoriciens des Frères, comme d’Abdallah Azzam ont
rejoint Al-Qaïda. Vous évoquez pourtant une organisation pacifique.
Comment l’expliquez-vous ? Réponse de l’intéressé : « Cela n’est pas vrai
qu’Abdallah Azzam était membre d’Al-Qaïda. Il n’a rien à voir avec ça.
Malheureusement, il s’agit d’une fausse information que vous pouvez trouver
parfois dans certains livres. Cer taines personnes prétendent être expertes
sans avoir mené leurs propres recherches scientifiques. Abdallah Azzam était
membre des Frères musulmans. Il est allé en Afghanistan pour soutenir la
population Afghane contre l’Union soviétique. Al-Qaïda s’est installé et a
prospéré grâce à Ayman al-Zawahiri, qui n’a jamais été membre des Frères
musulmans mais qui, tel un bon musulman, partageait leurs idées. »
Témoignage intéressant…

Abu Bakr al-Bagdadi,


des Ikhwan à Daech
Lui aussi formé par les Frères musulmans en Irak, Al-Bagdadi, passé par
Al-Qaïda avant de rejoindre Daech, a été introduit par son oncle auprès des
Ikhwan . « Bagdadi se plongea dans les écrits de ces Frères qui avaient
embrassé le jihadisme (…). Le frère aîné de Bagdadi (…) faisait partie de ce
mouvement. Le mentor de Bagdadi aussi, Muhammad Hardan, fut autrefois
47
membre des Frères musulmans (…) » Suite à l’invasion américaine de
l’Irak en 2003, Al-Bagdadi créa un groupe militant sunnite, la Jamaat Jaysh
Ahl al-Sunnah wa-l-Jamaah (Armée du Peuple de la Sunna et de la solidarité
commune) , pour ensuite rejoindre Al-Qaïda en Irak et en devenir un « haut
fonctionnaire », destiné à combattre les troupes américaines au nord et au
centre de l’Irak. Arrêté en 2004, il fut relâché dix mois plus tard, en
décembre, après avoir fait nombre de contacts en prison, véritable « usine à
jihadistes ». Le Jordanien Abu Musab al-Zarkaoui ayant été en charge de la
cellule d’Al-Qaïda en Irak, il voulut l’utiliser pour mettre en place un État
islamique. Mais tué en juin 2006 par des frappes aériennes américaines,
Zarkaoui fut remplacé par l’Égyptien Abu Ayyub al-Masri qui poursuivit son
plan : dissoudre Al-Qaïda-Iraq, « annonçant que ses soldats faisaient
maintenant partie de l’État Islamique. (…) Les nouveaux dirigeants de l’État
Islamique prêtèrent serment en privé à Oussama ben Laden, mais en public
ils maintinrent la fiction selon laquelle l’État était indépendant d’Al-Qaïda »
48
. Bagdadi fut alors mis à la tête des affaires religieuses de l’État Islamique.
Un an plus tard, il devenait docteur en Sciences coraniques. Remarqué par Al-
Masri, il devint ensuite superviseur du Comité de la charià . En 2010, Al-
Masri se fit exploser plutôt que de se rendre lors d’une attaque jihadiste ayant
mal tourné, alors que les forces irakiennes-américaines encerclaient son
repaire. La direction de l’État Islamique étant à pourvoir, Bagdadi lui succéda
49
. La suite est connue : la proclamation par Daech, en 2014, du Califat
islamique en Irak et en Syrie, accomplissement du but suprême affiché depuis
des décennies par les Frères musulmans. Comme le rappelle un article du
Counter-Extremism Project, « Al-Bagdadi est loin d’être le seul extrémiste
dont le chemin vers le radicalisme violent a commencé avec l’idéologie
extrémiste des Frères musulmans. Des combattants étrangers d’ISIS [Daech]
(…) illustrent l’influence radicalisante que l’idéologie des Frères Musulmans
continue d’avoir dans l’orientation de jeunes hommes et femmes sur la route
50
de l’extrémisme violent. »

Yémen : le cas du Sheikh Abd-al-Majid al-


51
Zindani, SDGT
Au Yémen, qui subit une terrible une guerre civile opposant chiites
houthistes sécessionnistes et sunnites fréristes, tribus rivales, Nord et Sud, sur
fond de conflit par procuration entre Saoudo-émiratis et Iraniens, la
convergence entre Frères musulmans officiels et jihadistes d’Al-Qaïda est
plus flagrante que partout ailleurs. Le chef des Frères musulmans dans ce
pays, Abdul Majeed al-Zindani, né en 1942, a été classé par le Trésor
52
américain parmi les « Specially Designated Global Terrorists » (SDGT) .
En fait, cet officiel qui a dirigé la Commission sur les signes scientifiques
53
dans le Coran puis a créé en 1995, avec le soutien de la Ligue islamique
mondiale et du Qatar, l’université Iman de Sanaa, aurait toujours été un pont
entre frérisme, islamisme institutionnel et jihadisme. Le département du
Trésor américain a affirmé que nombre d’étudiants de son université sont
devenus des jihadistes et qu’il a entretenu une « longue histoire de
collaboration avec Oussama ben Laden » pour qui il aurait été un « leader
spirituel ». Le Trésor US l’a également accusé d’avoir formé les jihadistes qui
ont tué trois missionnaires protestants américains puis le dénommé John
Walker Lindh, converti à l’islam et devenu membre d’Al-Qaïda. Le Bureau
des affaires publiques américain a publié à son propos une note en 2004, qui
le décrit comme un « loyaliste de Ben Laden » et un « supporter d’Al-
Qaida », y compris pour le recrutement au sein des camps d’entraînement et
l’achat d’armes pour le compte de la nébuleuse et d’autres groupes terroristes
54
. Al-Zindani incarne en fait la dualité-duplicité des Frères dont la main
gauche politique peut ignorer la main droite jihadiste. À l’instar de Qardaoui,
il a en effet toujours soutenu le jihad défensif , façon de tourner l’agression en
situation de légitime défense. En 2006, il avait également rencontré Khaled
Meshaal, l’ex-leader du Hamas, afin de lever des fonds pour le groupe
palestinien. Une fois de plus, ces convergences illustrent la solidarité entre les
branches des Frères et les groupes terroristes, certes souvent opposés sur les
tactiques, mais unis par un même objectif néo-califal théocratique.

Groupes terroristes égyptiens liés


aux Ikhwan
Presque dix ans avant le 11 septembre, le 26 février 1993, 500 kilos
d’explosifs placés dans une camionnette dans le garage souterrain du World
Trade Centre furent mis à feu. La détonation fit « un cratère de cinq étages
dans les sous-niveaux des tours et endommagea le sol d’un hôtel voisin »,
55
faisant six morts et mille blessés . Plusieurs terroristes furent arrêtés, dont le
Frère musulman égyptien Mahmoud Abu Halima, qui fut condamné à la
prison à vie (il est incarcéré aux États-Unis). Il n’avait eu aucune peine à
« s’associer » alors avec le Pakistanais Ramzi Yousef, neveu de Khalid
Sheikh Mohammed (membre d’Al-Qaïda), lié au groupe terroriste Abu
Sayyaf (le « Daech des Philippines »), avec le Palestinien Mohammed
Salameh (qui assistait aux prêches de Omar Abdel Rahman, leader spirituel
du groupe terroriste Al-Jama’a al-Islamiyya, lié aux Frères musulmans),
Abdul Rahman Yasin (lié à Al-Qaïda), ou encore Ahmed Ajaj, qui aurait été
entraîné par Al-Qaïda en Afghanistan.
Créée à la fin des années 1960 en Égypte, Al-Jama’ah al-Islamiyya est
l’organisation jihadiste la plus active en Égypte. Elle commença comme une
organisation étudiante affiliée aux Ikhwan . Au milieu des années 1970, Al-
Jama’à se « dissocia » toutefois des Frères lorsque ceux-ci renoncèrent à la
violence, tout en poursuivant les buts selon les préconisations de Al-Banna et
Qutb. Al-Jama’a conserva également une structure similaire à celle des Frères
et produisit une série de sous-groupes opérant en Haute-Égypte, au Caire et à
Alexandrie. Elle se rapprocha alors du groupe Al-Jihad (fondé par Al-
56
Zawahiri) et les deux collaborèrent à l’assassinat de Sadate en 1981 . Le
leader spirituel du groupe, Sheikh Omar Abdel-Rahman (le fameux cheikh
aveugle), fut fortement influencé par Ibn Taimiyya et par Saiyd Qutb. Il
rencontra par ailleurs Abdullah Azzam durant ses études et les deux devinrent
amis. Abdel-Rahman fut l’inspirateur des attentats contre le World Trade
Center en 1993. Il est mort en 2017, emprisonné aux États-Unis. Entre 1992
et 1998, la « Gama’a al-Islamiyya », selon la translitération dialectale
égyptienne, livra une guerre jijadiste contre l’État égyptien qui entraîna la
mort de 800 soldats, policiers égyptiens, civils et terroristes. Le groupe fut
tantôt aidé par les gouvernements du Soudan, de l’Iran et par Al-Qaïda. Il est
également à l’origine de multiples assassinats de chrétiens coptes. On se
souvient aussi de l’attentat contre des touristes à Louxor qui fit 58 morts en
1997. Quant au groupe Al-Jihad al-Islami, un temps proche de Al-Jama’a, il
commença ses activités en 1975 mais fut réprimé après l’assassinat de Sadate,
ce qui mena à son émigration au Pakistan sous le commandement d’Ayman
al-Zawahiri, à l’époque le deuxième bras droit de Ben Laden. Organisation
complexe (conseils, différentes branches dédiées à la levée des fonds et au
recrutement), Al-Jihad compte des officiers dans plusieurs pays arabes et
effectue des levées de fonds en Europe. Dirigé par al-Zawahiri, Al-Jihad
comptait des milliers de membres actifs. Tout comme pour les Frères
musulmans, les répressions menées par le régime égyptien contre
l’organisation l’ont poussé à essaimer et à créer un réseau de cellules en
Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Arabe saoudite, en Jordanie, au Soudan,
en Tchétchénie, mais aussi aux États-Unis et en Europe. Finalement, Al-Jihad
rejoignit Al-Qaïda en 1998 et, en 2001, Al-Zawahiri annonça « que son
organisation avait décidé de cesser ses activités anti-régime, mais insista sur
la nécessité de continuer les attaques terroristes contre des cibles
57
occidentales » .
On peut également citer Al- Takfir wal-Hijra, cette autre organisation
terroriste égyptienne idéologiquement issue des Frères ou, encore, plus proche
de nous, Ansar Beit al-Maqdis, officiellement la branche de Daech en Égypte,
qui est responsable de la plupart des attaques dans le Sinaï. Cette branche «
appartenait jadis à Al-Qaïda avant de rejoindre l’État islamique (ISIS) en
2014. Or des rapports indiquent que Ansar Beit al-Maqds était jadis
58 59
« structurellement » liée aux Frères musulmans. » Qualifié par la BBC de
« groupe le plus dangereux en Égypte », Ansar Beit al-Maqdis – rebaptisée
Sinaï Province en 2014 – a revendiqué de multiples attaques jusqu’à
aujourd’hui.
Enfin, l’on peut mentionner le Mouvement des armes de l’Égypte
(Ḥarakat Sāwa’d Miṣr, ou HASM) ainsi que Liwa al-Thawra (Brigades de la
Révolution). Dans un article très documenté intitulé « L’attentat à la bombe
du Caire expose l’inclinaison jihadiste des Frères musulmans », le reporter du
Washington Post , Eric Trager, écrit à propos des convergences entre Frères et
HASM : « quand des forces de sécurité ont tué un militant en juillet, HASM
et le parti politique des Frères le réclamèrent comme l’un des leurs. De même
HASM a pleuré l’ancien guide suprême des Frères musulmans Muhammad
Mahdi Akef comme un » mujahid » (guerrier saint) quand il est mort en
60
septembre [2017] après quatre années en prison » . Trager ajoute que «
depuis que le dirigeant Frère musulman Mohamed Morsi a été évincé de la
présidence en 2013, (…) des groupes militants prolifèrent en Égypte. Bien
qu’ils ne puissent être liés avec certitude à la chaîne de commande
fameusement rigide des Frères musulmans, (…) ils épousent ouvertement
l’idéologie et le récit des Frères ». Qaaf, le média qui informe régulièrement
le public des attaques jihadistes, rend d’ailleurs souvent hommage aux figures
historiques des Ikhwan. Sur les réseaux sociaux, il a fait référence à la devise
des Frères musulmans en implorant leurs lecteurs : « Avez-vous oublié que le
jihad est notre voie, et la mort au nom d’Allah notre aspiration la plus haute
? » Rappelons aussi que Mahdy Akef, ex- Murshid des Frères, a
explicitement soutenu les attentats suicides en Irak et a dirigé, à Munich, le
plus actif des centres islamistes d’Allemagne de 1984 à 1987. Eric Trager
précise que « les Frères revendiquèrent même tous deux une attaque en
61
juillet 2017 contre les forces de sécurité comme étant la leur » . Il ajoute
d’ailleurs qu’en janvier 2015, un réseau de télévision basé à Istanbul et «
aligné sur les Frères musulmans » avait ordonné aux étrangers (compagnies,
résidents, touristes, diplomates) de quitter l’Égypte ou de faire face à la «
rétribution révolutionnaire ». « Peu de temps après, un organe des Frères
Musulmans publiait un rapport intitulé « La Jurisprudence de la Résistance
Populaire au Coup », qui cautionnait la violence contre les chrétiens et un
large panel de « collaborateurs » du gouvernement ». (Le document n’est
disponible qu’en arabe).
Ainsi que l’a fait observer l’universitaire Mokhtar Awad dans un rapport
publié en juillet 2017 intitulé « Small Arms Survey », « la première vague de
militants à émerger après l’expulsion de Morsi n’avait pas d’entraînement et
était armée de cocktails Molotov et de petits revolvers. Arrivés à la moitié de
2016 cependant, l’émergence de HASM et Liwa al-Thawra signalait un
basculement vers des groupes bien entraînés avec des systèmes de
commande-et-contrôle effectifs et des communications professionnalisées. Et
tandis qu’ils ont largement ciblé des hauts gradés de la sécurité égyptienne et
des installations de police, ces groupes tiennent également compte des appels
chez les Frères musulmans à attaquer des civils : HASM a tenté d’assassiner
l’ancien Grand Mufti Ali-Gomaa l’année dernière, et Liwa al-Thawra a
publié une liste de ses cibles qui inclut un homme d’affaires en vue, un
journaliste, un juge, et un avocat copte. » Notant les capacités accrues et les
cibles élargies, Trager remarque en fin de compte que l’écart entre ces
groupes militants alignés sur les Frères et les salafistes-jihadistes se rétrécit.
D’après lui, en pleurant Akef, le groupe lançait un appel pour gagner les
cœurs de plus de membres des Ikhwan . « Si de telles ouvertures réussissent,
conclut l’expert, il se peut que Hasm et des groupes similaires recherchent
l’expertise d’Al- Qaïda et deviennent encore plus menaçants. »

LA GAAC ou l’association avec des


organisations terroristes au nom du « jihad
défensif »
En 2003 une organisation multiforme a été créée et a ensuite réuni,
pendant plus de douze ans, des individus et organisations salafistes, jihadistes
et fréristes, parties prenantes d’une série de conférences destinées à
promouvoir le « jihad défensif » : la Global Anti-Aggression Campaign ou
62
GAAC .
À nouveau, la séparation idéologique qui ferait que les Frères refuseraient
de s’associer aux salafistes-jihadistes a montré toute sa flexibilité. Au moins
sept des dirigeants de la GAAC sont fichés terroristes pour leur soutien
financier ou logistique à Al-Qaïda, le recrutement dans les camps
d’entraînement jihadistes, et le cautionnement de fatwas appelant à des
attaques-suicides. On a pu retrouver de la sorte, assis à la même table pour
« combattre l’agression de la Oumma par les sionistes et les Américains », à
peu près 495 « membres fondateurs », comprenant des leaders du Hamas, des
salafistes-jihadistes, et nombre de Frères musulmans et leurs leaders, réunis
autour des buts communs : créations d’un « troisième front jihadiste »,
désignation de l’Occident maléfique, en particulier des États-Unis. Parmi eux
figurait – sans surprise – l’incontournable Youssef al-Qardaoui, le précité Al-
Zindani, le leader des Frères au Yémen ; Mohammed Sawalha, ex-
commandant du Hamas réfugié en Grande-Bretagne et co-fondateur de la
British Muslim Initiative, un front frériste ; et nombre de salafistes épinglés
par les États-Unis pour leur soutien à Al-Qaïda. Pour « revitaliser »
l’organisation, une deuxième campagne a été organisée en 2005. Safar Al-
Hawali a pu notamment déclarer aux participants que « la Troisième Guerre
mondiale n’est pas militaire mais plutôt une guerre religieuse, hostile à nos
valeurs et notre morale profondément ancrées dans toutes les terres
musulmanes. » Ce deuxième débat de la GAAC a été présidé par Abdul
63
Rahamn Bin Umair Al-Nuaimi , désigné comme terroriste par Washington
64
pour son soutien à Al-Qaïda . L’ex-leader politique du Hamas Khaled
Meshaal était présent ainsi qu’Abbassi Madani, l’ex-président du Front
Islamique du Salut (FIS) algérien ; Ali Sadreddine Al-Bayanouni, leader des
Frères en Syrie, aujourd’hui en exil à Londres ; Ishaq Farhan, leader du parti
Islamic Action Front (branche des Frères-musulmans jordaniens) ; Sulaiman
Abu Naro, émir des Frères au Soudan, etc, étaient également au rendez-vous.
Des participants ont même représenté des associations mondialement
reconnues comme la World Association of Muslim Youth, l’Islamic
Assembly of North America, Alkaram Foundation. La GAAC organise
principalement des conférences sur le thème de la « résistance au sionisme »
et aux « impérialistes américains ». En 2013 la GAAC a intégré une nouvelle
coalition de fréro-salafistes incluant l’International Union of Muslim
Scholars, fondée et présidée par Qardaoui, puis la Cordoba Foundation, créée
par Anas Altikriti, précédemment cité pour ses activités fréristes en Grande-
Bretagne et au niveau européen. La présence de Qardaoui n’est pas
surprenante. Son association Union of Good, fichée par le Trésor américain
65
pour son soutien au terrorisme (2008 ), travaille de concert avec d’autres
associations « caritatives » fichées par Interpol, comme Al-Waqfiya (branche
66
de Union of Good, contrôlée par le Hamas ), ou la Qatar Charity. L’on peut
67
citer une autre « ONG d’Allah » : Al-Quds International Foundation , basée
au Liban et contrôlée par le Hamas, qui figure toujours sur le site des Nations
Unies, ou encore la Holy Land Foundation (maintenant fermée, fichée
terroriste en 2002), jadis dirigée par le Frère musulman Mohamed Abou
Marzook, leader politique du Hamas. D’après Steven Merley, du Global
Muslim Brotherhood Research Center , il est clair qu’« en posant comme un
groupe des droits de l’homme, cette coalition représente la nouvelle tendance
en croissance chez les Frères Musulmans à un niveau global, c’est-à-dire la
création d’une nouvelle organisation de façade utilisant le manteau des droits
68
de l’homme. »

Frères musulmans et financement du


terrorisme : le cas d’Al- Taqwa Bank
Parmi les instruments utilisés par la nébuleuse des Ikhwan dans le monde
en vue du financement du jihad et du prosélytisme, via des dons à des ONG
d’Allah, une banque a joué durant des décennies un rôle déterminant : Al-
Taqwa Bank (du terme arabe « crainte de Dieu » ou « piété »). Al-Taqwa
Management est en fait un système bancaire disposant de bureaux dans
plusieurs pays (Suisse, Bahamas, Italie, Caraïbes, Autriche, Liechtenstein),
qui a été fondée en Suisse en 1988 par deux hauts dignitaires des Frères
musulmans : les banquiers Youssef Nada, d’origine égyptienne, et le syro-
italien Ali Ghaleb Himmat, les deux étant établis entre Lugano et la
commune-enclave italienne voisine de Campione d’Italia, au bord du lac de
Lugano, connue pour son statut d’exemption fiscale. Emprisonné par Nasser
de 1954 à 1956, Nada, le plus en vue des deux, a trouvé refuge en Libye dans
les années 1960, puis dut s’enfuir quand le colonel Kadhafi prit le pouvoir.
Commença alors un long exil en Europe, de la Grèce tout d’abord, à
l’Autriche, puis enfin à l’Italie et à la Suisse italienne. Cette région lui réussit,
puisqu’il y fit croître sa fortune acquise, notamment, dans le ciment. Il investit
ensuite dans la banque. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des pères de la
finance islamique.
Avec trois sièges-bases dans le monde (Suisse, Liechtenstein et les
Bahamas), la Banque islamique a prospéré pendant des décennies et a récolté
des fonds en provenance des pays du Golfe pour les redistribuer à des
organisations islamistes fréristes européens. Al-Taqwa créa ainsi un vaste
réseau réticulaire d’ONG, de mosquées et de centres islamiques liés à La
Confrérie. Opérant dans trente pays, l’institution gère des fonds en
provenance du Koweït, d’ Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats arabes
unis. Officiellement, Al-Taqwa sponsorisait des « opérations humanitaires »
dans des pays musulmans. Les lieux de destination de certains financements
étaient pourtant curieux. Youssef Nada se rendit par exemple en 1989 en
Afghanistan où il rencontra notamment Gulbuddin Hekmatyar, l’un des
islamistes les plus radicaux impliqué dans le trafic d’héroïne et allié d’Al-
Qaïda et des Talibans, après avoir été Premier ministre.
Quant à Ali Ghaleb Himmat, il avait fréquenté Kaboul dès 1993… Ces
voyages confirment que les Frères musulmans, qui condamnent officiellement
le terrorisme, peuvent entretenir des liens étonnants avec la nébuleuse
jihadiste internationale. Parmi les actionnaires historiques de la Taqwa Bank,
ont siégé Youssef al- Qardaoui, Ahmed Idris Nasreddin, co-fondateur du
groupe et ancien consul du Koweït à Milan (d’ailleurs interpellé après le
11 septembre 2001 en raison de ses liens présumés avec Al-Qaïda), ainsi que
69
des membres du Hamas et des individus liés à Al-Qaïda . Précisons que
parmi les actionnaires et créditeurs d’Al-Taqwa, on retrouvait également
Huda Mohamed ben Laden et Iman ben Laden, deux frères de l’ex-chef d’Al-
Qaïda, ou encore la branche grenobloise de l’Union Islamique des étudiants
de France, rebaptisée depuis 1996 Étudiants Musulmans de France (EMF).
En 2001 les États-Unis ont classé la banque comme organisation terroriste
pour son soutien financier à Al-Qaïda – certains fonds transférés via ou à cette
banque ayant servi à financer le 11 septembre – mais aussi au Hamas et
d’autres groupes telle la Gama’a al-Islamiyya en Égypte. Comme l’ont révélé
différentes enquêtes lancées sur la nébuleuse Al-Qaïda en Italie et en Suisse,
le financement aux groupes extrémistes s’est effectué via des « ONG
70
d’Allah », dont l’association turque l’Insani Yardim Vakfi , alias IHH,
soutenue par le parti AKP d’ Erdogan et qui défraya la chronique en 2010 à
l’occasion de l’affaire de la flottille de Gaza (Navi Marmara). Cette puissante
ONG turque, liée au Hamas, a notamment aidé des groupes jihadistes
tchétchènes, bosniaques, syriens, somaliens (Al- Shabbab ; Al-Qaïda-Al-
Nosra, etc). On peut également citer une autre « ONG d’Allah » célèbre, liée
à la fois aux Frères et aux monarchies du Golfe, très active en Afrique sub-
saharienne : l’Islamic Relief International Organisation (IIRO, voir supra ),
qui possède notamment un bureau à Milan.
Nous avons évoqué dans le chapitre I le fait qu’un texte décrivant un plan
stratégique secret de conquête des Frères musulmans de l’Occident (« Le
Projet ») avait été trouvé en 2001 lors d’une perquisition au domicile privé de
Youssef Nada. Lors d’une nouvelle perquisition au siège d’Al-Taqwa Bank,
les agents de la police suisse ont trouvé un second texte qui détaillait les
structures financières créées par les dirigeants fréristes durant les années 1970
grâce à des fonds des pays du Golfe. On y apprenait notamment qu’après la
Suisse, l’autre place forte des Ikhwan en Europe était le Luxembourg,
d’ailleurs mentionné dès les premières pages : « la Banque Islamique
Internationale au Luxembourg est l’unité principale qui dirige et contrôle
toutes les autres institutions. ARINCO, une entité affiliée gère les
investissements à long terme. » En fait, ces structures servaient à financer
clandestinement des centres islamiques de La Confrérie partout en Europe, au
Canada et aux États-Unis afin, afin, comme l’écrit Sylvain Besson, d’«
étendre la sphère de l’islam et mettre fin à l’hégémonie de la civilisation
occidentale sur le monde ». L’homme clef de ce dispositif prosélyto-
financier au Luxembourg était le banquier Gamal Attia, considéré avec
l’Égyptien Abou Saud et Youssef Nada, comme l’un des pères de la finance
islamique. Lui aussi égyptien et membre important des Ikhwan en Europe,
très proche de Youssef Nada, Attia avait été expert pour les Nations Unies
dans les années 1980.
Malgré les éléments accablants contenus dans les saisies de documents et
les preuves de financement indirect du terrorisme par Al-Taqwa Bank et ses
filiales ou sociétés écrans sœurs, Youssef Nada est parvenu, en véritable
expert en « jihad judiciaire », à faire condamner la Suisse en 2012 par la Cour
européenne des droits de l’homme, laquelle a estimé que les autorités
helvétiques avaient « violé son droit au respect de sa vie privée » lors des
perquisitions post-11 septembre. Berne a donc dû en conséquence lui payer
une amende de 30 000 euros.

Mohammed Sawalha
Conformément aux directives formulées dans « Le Projet » saisi au
domicile de Youssef Nada ainsi que dans le modus operandi des Frères en
Europe contenu dans le principe de Tawtine (voir chapitres I et II ), les
Ikhwan sont passés maîtres dans la multiplication d’associations, think tanks,
fondations, dont le but affiché est souvent la défense des libertés et des droits
de l’homme, et à la tête desquelles on retrouve souvent les mêmes noms. Le
président de l’une est vice-président de l’autre, le fondateur de la première est
co-fondateur de la suivante, etc. En Grande-Bretagne en particulier, le cas de
Mohammed Sawalha illustre la différence de traitement d’une organisation
qui, en Égypte, appelle au jihad, et, ici, prétend défendre le « vivre-
ensemble ». Sawalha est un ancien haut-membre du bureau politique du
Hamas et il a été actif au sein de la branche militaro-terroriste du groupe
palestinien en Judée Samarie. Il a été responsable de l’acheminement de fonds
au Hamas et a soutenu activement le jihad. Toutefois, lorsque le site internet
des Ikhwan le présente comme un « fonctionnaire au Royaume-Uni du
Comité politique des Frères musulmans » internationaux, ce n’est pas pour
autant un mensonge car les deux sont vrais ! En réalité, Sawalha a trouvé
refuge en Grande-Bretagne dans les années 1990 au moyen de faux papiers.
Cette entrée illégale, son pédigrée islamo-terroriste et son fanatisme religieux
ne l’ont pas empêché de demeurer en Grande-Bretagne où, après avoir fondé
la Muslim Association of Britain (MAB), puis la British Muslim Initiative,
qu’il préside, il est devenu une des personnalités de référence de l’islam
anglais reconnues par les autorités. La MAB et la BMI diffusent en fait
l’idéologie radicale des Ikhwan : elles ont par exemple organisé et/ou
participé à des « marches » contre Israël, aux côtés de gens arborant les
drapeaux du Hezbollah et du Hamas.
En novembre 2017, les news britanniques ont « révélé » que le chef de la
Mosquée de Finsbury Park avait été un ex-officier du Hamas en charge
71
d’opérations terroristes , ce que savaient déjà les services secrets. La
« découverte » se fit dans le cadre de la visite d’une délégation du Hamas en
Russie en septembre 2017 conduite par Sawalha et dont le site du Hamas
publia des photos prouvant sa rencontre avec l’ex-diplomate russe Mikhaïl
Bogdanov. Toutefois, Sawalha ne fut pas inquiété, car en Grande-Bretagne,
seule la soi-disant « branche armée » du Hamas (les « brigades » Izz al-Din
al-Qassam) est reconnue comme organisation terroriste. Or ce dernier affirma
n’avoir des liens qu’avec la branche politique… Du seul fait de cette étrange
nuance, l’on considère donc outre-Manche que Sawalha n’aurait commis
72
aucun acte répréhensible et demeurerait fréquentable.

Anas Altikriti
Dans ces deux organisations (MAB et BMI), un autre homme, Anas
Altikriti, a occupé le poste de président. Officiellement, Altikriti incarnerait la
face la plus politiquement correcte des Frères en Grande-Bretagne : policé,
souriant, son organisation reconnue d’utilité publique, la Cordoba Foundation,
qui prône le multiculturalisme sur le modèle d’Al-Andalus, publie des
rapports sur « l’islamophobie », trouvant l’appui de « forces progressistes »,
antiracistes et tiers-mondistes. Le spécialiste de l’islamisme Samir Afghar,
qui distingue trois « courants d’expression » de la pensée des Frères
musulmans, classe pourtant Altikriti parmi ceux qui sont sous l’autorité du
73
Guide suprême (Égypte) . Et tout comme le précité Sawalha, Anas Altikriti
figure parmi les membres « fondateurs » de la Global Anti-Aggression
Campaign ou GAAC (GAAC, cf supra ) qui – on l’a vu – rassemble des
représentants de diverses organisations pro-jihadistes, aux côtés de sa
Cordoba Foundation. Dans un tweet du 11 juin 2012, Altikriti n’a pas démenti
sa proximité avec le Hamas puisqu’il a informé ses abonnés de son déjeuner
74
avec le « premier ministre palestinien », Ismail Haniyéh, à la tête du Hamas
. Le site Hurry Up a conservé une photo postée par Altikriti où il posait,
souriant avec Haniyé, mais qui ne figure plus sur son « fil twitter ».
Rappelons enfin qu’Altikriti, « porte-parole et lobbyiste des Frères
75
Musulmans en Grande-Bretagne » , était dans le panel de « témoins »
invités par le parlement britannique lors de son enquête sur l’islam politique
et les Ikhwan . Un échange entre Altikriti et l’un des députés du parlement
mérite qu’on le reproduise :
Nadhim Zahawi : – Dans votre soumission par écrit, vous êtes bien
disposés envers les Frères musulmans et vous êtes (…) perçu comme ayant
des liens organisationnels avec eux. Mais ai-je raison en ce que vous n’êtes
(…) pas membres des Frères Musulmans ?
Q80 Dr Altikriti : – Je crois que “perçu” est le mot magique dans votre
question. L’on perçoit qu’il y a des liens organisationnels. Il n’y a pas de lien
au niveau de l’organisation avec les Frères musulmans. Mais il est clair que
l’idéologie des Frères symbolise quelque chose dans une région qui est privée
d’humanité, de démocratie et de libertés civiles depuis un siècle au moins et
qui en a grand besoin. La base idéologique des valeurs islamiques devant
pénétrer toutes les sphères de la vie, en particulier en politique, dans le cadre
d’une transformation et d’une réforme pacifique de la société et des
Gouvernements, incluant chacun et n’excluant personne – oui, cette base
idéologique, je la partage entièrement.
Q81 Nadhim Zahawi : – Mais vous n’êtes pas membre des Frères
Musulmans où que ce soit ?
Dr Altikriti : – Et bien, en Grande-Bretagne nous n’avons pas de Frères
Musulmans. Nous n’avons pas d’organisation Frères Musulmans. Ceci est
mon pays ; j’appartiens à ce qu’il y a comme organisation ici. Et la plus
proche qui soit des Frères Musulmans et qui épouse les principes de base de
l’idéologie des Frères, est la Muslim Association of Britain, dont je suis un
76
membre fondateur, dont j’étais président, et dont je suis le chairman » .
L’extrait ci-dessus illustre toute la complexité du problème. Il n’est pas
difficile de dire que le terrorisme n’a « rien à voir avec l’islam » si l’on
affirme qu’il « n’y a pas de terrorisme dans l’islam par essence », ou si l’on
qualifie de « résistance » le meurtre de civils innocents. Et l’on peut
facilement se prétendre « démocrate » si l’on considère la charià comme
« démocratique ». La langue orwellienne pratiquée par les Frères dans tout
l’Occident côtoie de près les « arrangements » de contenu et de formes selon
les publics. Ainsi le rapport du parlement notait que les messages en arabe
tendaient à plus de « conservatisme » que leurs versions en anglais, au ton
plus « libéral et conciliateur ». Citons un autre extrait : en 2012, la foule en
colère se déchaînait sur le site de l’ambassade américaine au Caire pour
protester contre un film (tourné aux États-Unis) jugé « insultant » envers
l’islam. Un échange eut lieu sur Twitter, entre le compte en anglais des
Frères, et l’ambassade US : « Nous sommes soulagés qu’aucun membre du
personnel de l’ambassade du Caire n’a été blessé et espérons que les
relations US-Egypt soutiendront [sic] les turbulences des événements de
mardi ». L’ambassade américaine répondit : « Merci. Au fait, avez-vous jeté
un œil à votre fil twitter en arabe ? J’espère que vous savez que nous le lisons
aussi » . Le compte Twitter en arabe des Frères Musulmans exhortait la foule
à la violence…

L’Espagne, centre névralgique européen


de l’alliance fréro-jihadiste
En Espagne, l’islamisme – tant frériste que salafiste – est en pleine
expansion depuis les années 2000. Si l’Andalousie pleurée par tant
d’islamistes (assimilée à la mythifiée « Al-Andalous » arabo-islamique du
passé) incite des organisations fréro-salafistes, marocaines ou pakistanaises à
essaimer, c’est toutefois en Catalogne que l’on trouve la concentration
d’associations islamistes la plus impressionnante, en particulier dans le
Quartier du Raval, à Barcelone, surnommé « Ravalkistan » et qui concentre
une forte population musulmane d’origine marocaine et Pakistanaise, et où
pullulent les associations islamistes les plus radicales. Ses rues étroites et
77
pavées, que nous avons arpentées à maintes reprises , sentent bon le cumin
et les épices. Les hommes y portent bien souvent le shalwar kamiz et les
78
femmes sont souvent drapées dans de longs voiles . Dans les faits, s’il y a
près de deux millions de musulmans en Espagne, la Catalogne est la zone
géographique qui en héberge le plus, 500 000 d’entre eux résidant dans la
capitale catalane et ses environs. Pour organiser leur culte, ces derniers
disposent de 265 salles de prières et de trois mosquées, à Cornellà, Salt et
Torroella de Montgrí. Selon les données du gouvernement de Catalogne et de
79
l’Institut royal Elcano , une centaine de ces lieux seraient salafistes, et la
proximité entre les Frères et les salafistes est quasi naturelle dans la région.
À l’instar de Paris et de Londres, Barcelone vit donc dans la crainte
permanente du terrorisme. La police espagnole est d’autant plus sur les dents
qu’elle garde le souvenir du terrible attentat qui frappa Atocha, la gare de
Madrid, en mars 2004 (qui fit 191 morts et 1 800 blessés), comme celui des
Ramblas en août 2017, lequel fit quant à lui 16 morts et 130 blessés. Le site
80
Wikileaks a ainsi révélé un document du 2 octobre 2007 , dans lequel
l’ambassade américaine à Madrid aurait affirmé que la Catalogne est « le plus
grand centre d’activité des islamistes radicaux en Méditerranée » . Ce
document souligne « l’importance de l’immigration légale et illégale, en
provenance d’Afrique du Nord, comme du Pakistan et du Bangladesh » . La
majeure partie de ces populations issues de l’immigration maghrébine et sud-
asiatique étant très intégrée à la vie de la cité, il est facile de passer inaperçu
en leur sein, ce qui fait que les associations fréristes ont essaimé, diffusant un
discours très apaisant envers les autorités, mais bien souvent subversif envers
les plus jeunes de leurs coreligionnaires, car mettant sans cesse en avant les
« persécutions » dont feraient l’objet les musulmans à travers le monde, et
appelant ces derniers à « défendre leur cause ». S’il n’est pas répréhensible, ce
discours a pourtant tourné la tête à plus d’un. Ainsi, entre 1996 et 2012, une
81
étude estime que 6 % des terroristes morts dans des attentats suicides ont
entamé leur processus de radicalisation dans les années 1980, en pleine guerre
d’Afghanistan et de répression des Frères musulmans en Syrie par le régime
d’ Hafez al-Assad. Si tout cela peut paraître anecdotique, la réalité est que ces
propos victimaires, diffusés par les Frères d’origine syrienne, notamment, ont
radicalisé deux générations d’Espagnols issus de l’immigration musulmane.
Bien sûr, en Espagne comme en France, les membres de l’organisation nient
la plupart du temps en faire partie et assurent ne pas diffuser des idées
pouvant pousser les plus jeunes au terrorisme. Pourtant, les preuves du
contraire ne manquent pas. Pour s’en rendre compte, il suffit d’étudier le cas
82
d’Imad Eddin Barakat Yarkas , alias Abou Dahdah, considéré comme l’ex-
chef local d’Al- Qaïda, jugé en 2007 pour sa participation à la préparation des
attentats contre les tours jumelles du World Trade Center. Selon l’accusation
de l’époque, « ce Syrien appartenait aux Frères musulmans avant de
83
débarquer en Espagne dans les années 1980 » . Avec la complicité d’un
certain Driss Chebli, Dahdah aurait organisé, en juillet 2001 à Tarragone
(Catalogne), une réunion avec Mohamed Atta et deux complices parmi
lesquels Ramzi Bin Shibh, un terroriste d’Al-Qaïda lié à la cellule de
Hambourg, pour régler les derniers détails des attaques-suicides contre les
84
tours jumelles . L’on peut évoquer encore le cas de Mustafa Setmarian
Nasar, dit Abu Musab al-Suri, autre Frère musulman syrien naturalisé
espagnol et devenu le théoricien référent d’Al-Qaïda, auteur d’un célèbre «
Appel à la résistance islamique mondiale » de 1 600 pages. Cet appel
recommande carrément la guerre civile en Europe pour parvenir à la
destruction de l’Occident et faire régner à terme la bannière de l’islam. Il a
fait de nombreux émules dans les milieux jihadistes espagnols.
En Espagne, 700 individus suspectés de jihadisme ont été arrêtés depuis
2004, parmi lesquels 200 ont été emprisonnés. Soixante-dix pour cent des
personnes radicalisées l’ont été « en face à face », d’après l’Institut royal
Elcano, c’est à dire par le biais d’une personne physique, « activiste,
personnage religieux ou jihadiste avec lequel il existe des liens affectifs de
parenté, de voisinage ou d’amitié ». Soixante pour cent de ces radicalisés
appartiennent à la deuxième génération issue de l’immigration, notamment
marocaine, les Marocains de première ou seconde génération représentant
41 % du contingent de jihadistes recensés dans l’étude. Un quart des
arrestations effectuées sur le territoire espagnol concernerait la seule province
de Barcelone. « Située à une heure et demie de la frontière française,
Barcelone offre aux terroristes d’Al-Qaïda et de l’organisation État islamique
e
un axe géographique déjà utilisé par les contrebandiers au XVIII siècle.
Aujourd’hui, cet axe est devenu une porte de sortie vers l’Hexagone »,
explique un responsable des services de renseignements espagnols qui
85
travaille notamment sur les Frères musulmans .
Docteur en sociolinguistique et journaliste à la RTVE, la radio-télévision
nationale espagnole, Bouziane Ahmed Khodja est l’un des grands spécialistes
espagnols du terrorisme, du monde arabe et de l’islam. Ce quinqua à l’allure
86
élégante, que nous avons interviewé pour Valeurs Actuelles au lendemain
de l’attentat des Ramblas (août 2017), expliquait qu’en Espagne, « les
parents musulmans font bien souvent le lit du radicalisme de leurs enfants en
les mettant dans des écoles coraniques ou entre les mains de salafistes dès
leur plus jeune âge […]. De jeunes musulmans nés en Espagne sont élevés
dans la haine de l’autre, l’Espagnol, le Catalan. Ils appartiennent à une
communauté hermétique, repliée sur elle-même, qui reproduit les schémas
sociaux du pays d’origine et le déni de l’autre, ce qui peut déboucher sur une
forme de violence où l’islamisme devient un refuge ». Concernant le profil des
terroristes qui ont attaqué Barcelone, il ajoutait : « Sur le plan sociologique,
il faut chercher du côté de leur éducation islamique, de leur radicalisation
rapide au contact d’un imam extrémiste et de leur basculement vers la
violence comme recours à une vengeance plus religieuse et ethnique que
sociale ». Un contexte sociologique et familial qui a facilité l’implantation de
La Confrérie et de ses alliés/concurrents salafistes, lesquels n’ont pas eu
besoin de recourir à de grands stratagèmes, puisque le terreau était fertile.
Des imams au discours sulfureux, nous en avons rencontré un certain
nombre en Catalogne, notamment dans le cadre d’une enquête que nous avons
menée sur un projet d’attentats multiples, ourdi par une cellule jihadiste auto-
baptisée Fraternité Islamique qui sévissait à Barcelone, mais aussi dans ses
proches banlieues de Sabadell et Terrassa. Ce groupe d’une dizaine de
personnes, qui avait pour objectif de faire sauter, en 2015, le quartier général
de la police catalane ainsi que plusieurs lieux touristiques, enrôlait, par
l’intermédiaire de recruteurs, de jeunes adultes d’origine marocaine pour aller
combattre en Syrie, aux côtés de Daech. L’une des recruteuses de l’État
islamique – d’ailleurs suspectée d’avoir embrigadé ses propres enfants
87
auxquels nous avons consacré un reportage en 2017 – elle-même mariée à
un sympathisant des Frères musulmans, était à la fois en lien avec des Frères
marocains et des salafistes. « Vous savez, l’Espagne est un pays en
apparence très calme sur le plan religieux. Personne ne s’est soucié de
l’arrivée des islamistes. D’abord parce que durant des années, la principale
préoccupation en matière de terrorisme était l’ETA. Ensuite, parce que le
pays est très intégrateur. Particulièrement Barcelone, qui est très
cosmopolite. En fait, tout cela s’est fait sans que l’on se rende compte de rien,
d’autant qu’il y avait un besoin réel de main d’œuvre » , nous a expliqué un
expert espagnol de l’antiterrorisme, sous couvert d’anonymat . « Aujourd’hui,
les institutions policières ont mis en place des cellules de surveillance des
Frères musulmans. Elles ont conscience de leur porosité avec des
organisations plus radicales de type salafiste et jihadiste. Mais il n’est pas
toujours simple d’agir. Nous avons donc privilégié la surveillance de ces
structures et de certains de leurs membres via un réseau d’informateurs, et
partageons nos données avec les services français et marocains notamment,
car elles concernent le plus souvent des espagnols d’origine marocaine qui
agissent dans ces trois pays. On sait par exemple qu’il y a une coordination
des réseaux islamistes et jihadistes entre le Maroc, l’Espagne et la France.
Mais c’est un travail de très longue haleine, et en Espagne, les Frères
musulmans ne représentent qu’une partie du puzzle, sans doute la plus
politique, ce qui les rend difficile à appréhender, même si l’on a conscience
de la dangerosité de leurs discours (…). Ajoutez à cela qu’ils s’impliquent
aussi dans le monde associatif et le commerce, cela rend la tâche très
complexe, d’autant que contrairement à la France, aucun d’entre eux ne
s’affiche ouvertement comme membre de La Confrérie . »

1 . Mohamed Louizi, Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans ? Retour éclairé vers un islam
apolitique , Paris, Michalon, 2016, p. 213.
2 . Zuhdi Jasser, op. cit.
3 . Jager cité par Zuhdi Jasser, op. cit.
4 . Zuhdi Jasser, op. cit.
5 . Counter Extremism Project, « The Muslim Brotherhood’s Ties to ISIS and Al-Qaeda », op.cit.
6 . Massacres d’un millions de noirs chrétiens animistes au Sud et de 300 000 musulmans noirs du
Darfour.
7 . En 1969, le général Nimeiry prend le pouvoir lors d’un coup d’État et l’arrête. Il reste en prison
6 ans avant de s’enfuir en Libye. En 1979, lorsque Nimeiry se rapproche des Frères, Al-Tourabi
revient au Soudan et devient procureur général.
8 . Source : https://www.lepoint.fr/monde/khartoum-disparition-d-hassan-al-tourabi-pape-noir-du-
terrorisme-07-03-2016- 2023551_24.php
9 . Hassan al Tourabi a étudié à la Sorbonne dans les années 1950. De 1964 à 1969, il a dirigé le
Front de la charte islamique, parti des Frères musulmans soudanais.
10 . Deux ans plutôt, Tourabi avait livré Carlos à la France.
11 . Le Fatah se déclare laïque, même si nombre de ses cadres sont musulmans. Il est membre de
l‘Internationale socialiste.
12 . Abou Moussab al-Zarkaoui, né le 30 octobre 1966, fut le chef d’Al Qaïda en Irak.
Responsable de centaines d’attentats meurtriers, il a été tué le 7 juin 2006 lors d’un bombardement
de l’armée américaine.
13 . Le reportage intitulé « Business, tourisme et kalachnikov : les mille visages de Beyrouth », fut
diffusé le 30 mai 2010.
14 . Nom de combat de notre interlocuteur
15 . Tout l’entretien des journalistes se tient sous la garde et la menace des miliciens d’Al-Qaïda
armés de Kalachnikovs. Une partie a été diffusée sur M6 en mai 2010. Les réponses d’Abu Tarik
sont extraites des rushes du film et de notes prises durant l’interview.
16 . Élaborée en 1988, le Hamas l’a modifiée en mai 2017, supprimant de son article 2 l’allusion à
son affiliation aux Frères.
17 . Extrait de l’article 1 de la charte du Hamas.
18 . US Treasury, « U.S. designates Five charities funding Hamas and Six Senior Hamas Leaders
as Terrorist entities », 22 août 2003, https://www.treasury.gov/press-center/press-
releases/Pages/js672.aspx
19 . The Avalon Project, «Hamas Covenant 1988 », Yale Law School,
http://avalon.law.yale.edu/20th_century/hamas.asp
20 . Adam Hoffman, « The « Hamas Document » and the Muslim Brotherhood : Ideological or
Political shift ? », Tony Blair Institute for Global Change, 4 mai 2017,
https://institute.global/insight/co-existence/hamas-document-and-muslim-brotherhood-ideological-
or-political-shift
21 . Albawabhnews, http://www.albawabhnews.com/2519981
22 . Ikhwan Online, « The Muslim Brotherhood congratulates Hamas for electing its new office »,
8 mai 2017, http://ikhwanonline.com/official_statements/229838/Default.aspx
23 . The Investigative Project, « Muslim Brotherhood invokes antisemitism in Pro-Hamas
Statement », 17 mai 2017, https://www.investigativeproject.org/6125/muslim-brotherhood-
invokes-anti-semitism-in-pro
24 . Christopher W. Holton, « HAMAS, the Muslim Brotherhood and the Islamic State », Center
for Security Policy, 31 mai 2017, https://www.centerforsecuritypolicy.org/2017/05/31/hamas-the-
muslim-brotherhood-and-the-islamic-state/
25 . US Treasury, op.cit.
26 . Né en 1941 à Jénine, ce docteur en droit musulman a appartenu au bureau politique des
Ikhwan jordaniens. Il enseigna dans les années 1980 à la King Abdul Aziz University de Djeddah
(Arabie saoudite), où il croisa la route de Ben Laden avant de rejoindre le Pakistan. Il y créa le
MAK, organisation qui préfigura Al Qaïda.
27 . Le House Oversight and Government reform Committee est un comité faisant partie du
Congrès américain qui réunit des Républicains et des Démocrates, un des plus influents de la
Chambre, avec sept sous-comités, dont celui de la Sécurité Nationale. Il a rappelé, le 11 juillet
2018, que « les Frères sont un organisation islamiste radicale qui a généré un réseau d’affiliés
dans plus de 70 pays. Les Frères sont fichés comme une organisation terroriste dans de multiples
pays y compris l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les États-Unis ont fiché
nombre d’affiliés des Frères musulmans comme organisations terroristes, y compris le Hamas. Le
31 janviers 2018, le State Department a désigné les affiliés des Frères musulmans HASM et Liwa
al-Thwara ainsi que le leader politique Ismail Haniyé, comme Terroristes Mondiaux
Spécifiquement Désignés (SDGT) par ordre exécutif », https://oversight.house.gov/hearing/the-
muslim-brotherhoods-global-threat/ .
28 . Zuhdi Jasser témoignant devant le House Oversight and Government Reform Committee,
11 juillet 2018, p. 5.
29 . Voir Arte reportage : Les VRP de la Charia 2007 – Reportage réalisé par Emmanuel Razavi et
Dominique Hennequin. Cf aussi Emmanuel Razavi, « Frères Musulmans dans l’ombre d’al
Qaïda », éd. J-C. Godefroy, Paris, 2005.
30 . Si l’entretien fut court – nous avions refusé de lui verser de l’argent en contrepartie de son
témoignage –, ses explications, brèves, nous avaient permis de faire le lien entre Zawahiri et La
Confrérie.
31 . voir : The Looming Tower : Al Qaeda’s Road to 9/11 de Lawrence Wright (2006).
32 . Lawrence Wright, « The man behind bin Laden », The New-Yorker, 16 septembre 2002.
33 . Fabrizio Calvi, 11 septembre, la contre-enquête , Fayart (2011).
34 . Fabrizio Calvi, op.cit.
35 . Lawrence Wright, op.cit.
36 . Muhammad Rabi al-Zawahiri, frère cadet d’Ayman ex-membre du Jihad islamique égyptien,
fut l’une des 14 personnes soumises à une restitution par la CIA avant la guerre contre le terrorisme
de 2001.
37 . Ivan Sand, « La place du Sinaï au sein des rivalités de pouvoir en Égypte (2011-2013) »,
Confluences Méditerranée 2014/4 (N° 91), p. 143-163.
38 . Thomas Hegghammer, «Abdallah Azzam, l’imam du jihad », in Gilles Kepel et al., Al-Qaida
dans le texte, Presses Universitaires de France « Quadrige », 2008, pp. 113-137
39 . Thomas Hegghammer, op.cit .
40 . Bruce Riedel, « The 9/11 Attacks’ spiritual father », Brookings Institute, 11 septembre 2011,
https://www.brookings.edu/opinions/the-911-attacks-spiritual-father/
41 . Rapport du Meir Amit ITIC sur les Frères Musulmans, op cit., p. 95.
42 . Ibid.
43 . Bruce Riedel, op. cit.
44 . Ibid.
45 . Thomas Hegghammer, op.cit.
46 . Ibid.
47 . William McCants, « Abu Bakr Al-Baghdadi. The Believer. How an Introvert with a passion
for religion and soccer became leader of the Islamic State », Brookings, 1er septembre 2015,
http://csweb.brookings.edu/content/research/essays/2015/thebeliever.html
48 . Ibid.
49 . Ibid.
50 . Counter Extremism Project, « The Muslim Brotherhood’s Ties to ISIS and Al-Qaeda », op.cit.
51 . SDGT, acronyme de Specially Designated Global Terrorist.
52 . « United States Designates bin Laden Loyalist », 24 février 2004.
53 . The Muslim 500 , op. cit. p. 129.
54 . US Treasury, « United States Designates bin Laden Loyalist », note du 24 février 2014.
55 . 9/11 Memorial & Museum, « 1993 World Trade Center Bombing »,
https://www.911memorial.org/1993-world-trade-center-bombing
56 . Rapport du Meir Amit, op.cit. p. 90.
57 . Ibid, p. 94.
58 . Zuhdi Jasser, op.cit., p. 8
59 . BBC Monitoring, « Sinai Province : Egypt’s most dangerous group », BBC, 12 mai 2016.
60 . Eric Trager, « Cairo Bombing Exposes the Muslim Brotherhood’s Jihadist Tilt », The
Washington Institute , 2 octobre 2017.
61 . Matthew Levitt, « New Palestinian and Egyptian Designations Highlight Iran and the Muslim
Brotherhood », The Washington Institute, 31 janvier 2018,
https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/new-gaza-and-egypt-designations-
highlight-iran-and-the-muslim-brotherhood
62 . Steven Merley, « The Global Anti-Aggression Campaign 2003-2016 », The Global Muslim
Brotherhood Research Center, (2017), https://www.globalmbresearch.com/wp-
content/uploads/2017/02/Global_Anti-Aggression_Campaign_2003-2016.pdf
63 . Abd Al-Rahman al-Nuaimi, né en 1954, est un sujet qatari, avocat et co-fondateur de l’ONG
de défense des droits humains Al-Karama. Il a enseigné les études islamiques à l’Université du
Qatar, présidé le Qatar football Association et a été membre du board de la Qatar Islamic Bank,
avant d’être accusé d’être « un des plus prolifiques financiers du terrorisme » par les autorités
judiciaires et le Trésor américain, cf : https://en.wikipedia.org/wiki/Abd_Al-Rahman_al-Nuaimi .
64 . US Treasury, « Treasury designates Al-Qaida Supporters in Qatar and Yemen », 18 décembre
2013, https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl2249.aspx .
65 . US Treasury, op.cit.
66 . Ibid.
67 . US Treasury, « Treasury Sanction two Hamas-controlled charities », 4 octobre 2012,
https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/tg1725.aspx
68 . Steven Merley, « The Global Anti-Aggression Campaign 2003-2016 », op. cit.
69 . Matthew Lewitt, « Islamic Extremism in Europe », 27 avril 2005, Washington Institute,
https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/islamic-extremism-in-europe-beyond-al-
qaedahamas-and-hezbollah-in-europe
70 . İHH/İnsan Hak ve Hürriyetleri İnsani Yardım Vakfı, ou « Fondation pour l’aide
humanitaire », créée en 1992 à Istanbul, avait pour objectif à l’origine d’aider les jihadistes
bosniaques face aux Serbes puis les combattants tchétchènes face aux Russes. Elle soutint aussi des
groupes islamiques en Somalie. Elle a une antenne à Gaza. En 2006, le rapport du chercheur
américain Evan Kohlman The Role of Islamic Charities in International Terrorist Recruitment and
Financing, qui cite entre autres un rapport du juge Jean-Louis Bruguière, montre que l’ONG a été
liée à Al-Qaïda et qu’elle a été impliquée dans une tentative d’attentat contre l’aéroport de Los
Angeles. Elle compte parmi ses instances dirigeantes, Murat Mercan, ex-président de la
commission des affaires étrangères du Parlement turc et cadre de l’AKP, qui a participé au convoi
de la flottille de Gaza. En janvier 2014, l’IHH a été accusée d’avoir acheminé un camion
humanitaire rempli d’armes à destination des jihadistes syriens.
71 . David Brown, Catherine Philip, Richard Spencer, « Finsbury Mosque leader Mohammed
Sawalha part of Hamas Politburo », The Times , 7 novembre 2017,
https://www.thetimes.co.uk/article/finsbury-mosque-leader-mohammed-sawalha-part-of-hamas-
politburo-0cdn3gs80 .
72 . Ibid.
73 . Samir Afghar, « L’Europe, terre d’influence des Frères musulmans », in Politique étrangère,
Vol. 74, N° 2 (ÉTÉ 2009), p. 3777-388
74 . https://twitter.com/anasaltikriti/status/2121566989478 87105.
75 . Steven Merley, op.cit.
76 . http://data.parliament.uk/writtenevidence/committee evidence.svc/evidencedocument/foreign-
affairs-committee/political-islam/oral/34225.html%20.
77 . Emmanuel Razavi, Reportage « Ravalkistan fief Pakistanais à Barcelone »,
https://www.valeursactuelles.com/monde/le-ravalkistan-un-fief-pakistanais-a-barcelone-29193 .
78 . Si l’on n’a pas pris rendez-vous, des fidèles baraqués dissuadent les curieux de s’aventurer
trop près de leurs centres culturels. Exception faite des prostituées et des dealers qui envahissent le
quartier à la tombée de la nuit, on croirait arpenter les rues de Peshawar, dans ce « barrio » où
Beaucoup de Pakistanais et de Marocains ont ouvert des restaurants et des boucheries halal .
79 . http://www.realinstitutoelcano.org/wps/portal/rielcano_es/contenido?
WCM_GLOBAL_CONTEXT=/elcano/elcano_es/zonas_es/terrorismo+internacional/reinares-
espagne-sur-la-route-des-jihadistes
80 . https://elpais.com/elpais/2010/12/10/actualidad/1291972643_850215.html
81 . http://www.realinstitutoelcano.org/wps/portal/rielcano_es/contenido?
WCM_GLOBAL_CONTEXT=/elcano/elcano_es/zonas_es/terrorismo+internacional/dt16-2013-
reinares-gciacalvo-radicalizacion-terrorismo-yihadista-espana
82 . Source : https://www.liberation.fr/planete/2005/04/22/une-branche-d-al-qaeda-jugee-a-
madrid_517313 – François Musse
83 . https://www.liberation.fr/planete/2005/04/22/une-branche-d-al-qaeda-jugee-a-madrid_517313
84 . Source : https://www.elwatan.com/archives/internationale/proces-dal-qaida-en-espagne-23-
04-2005 .
85 . « Longtemps, nous avons considéré que les islamistes se servaient de notre région comme
d’un centre logistique permettant de fournir des faux papiers et de l’argent liquide à des individus
en situation irrégulière ou sur le point de partir faire le djihad. C’est en fait devenu un lieu de
passage pour les djihadistes, comme pour d’autres types de réseaux criminels. Nous savons qu’un
certain nombre d’entre eux ont utilisé l’aéroport de Barcelone pour aller en Syrie (…). Ils ont
bénéficié de soutiens liés aux Frères, notamment ».
86 . Lire : https://www.valeursactuelles.com/monde/barcelone-sanctuaire-djihadiste-87834 .
87 . Arte. Tv – Espagne : un modèle antiterroriste ?
CHAPITRE IV

Le Qatar, « hyper-centre »
de l’islamisme mondial et des Frères
L’émir Hamad bin Khalifa al-Thani cultive depuis toujours des liens avec
des mouvements comme le Hamas, et plus généralement avec la mouvance
des Frères musulmans. Il a donné l’asile politique à Abassi Madani, le
leader historique du Front islamique du salut (FIS) algérien. Sa référence
en matière de religion, c’est un téléprédicateur égyptien, cheikh Youssef al-
Qardaoui, une des figures emblématiques des Frères musulmans. En
entretenant des relations étroites avec ces personnalités et ces mouvements
radicaux, l’émir espère se mettre l’abri contre toute poussée terroriste sur
son territoire, notamment celle d’Al- Qaïda.
Christian Chesnot et Georges Malbrunot

Depuis des décennies, le Qatar – à la fois allié de Riyad au sein du Conseil


de Coopération du Golfe (CCG) et rival dans la promotion du fanatisme
islamiste (le Qatar appuie les Frères musulmans et l’Arabie le « salafisme-
wahhabite officiel ») – est un pôle majeur de l’islamisme mondial malgré sa
petite taille, cela grâce à ses énormes moyens financiers, à sa diplomatie
offensive et à son soft power médiatique. Presqu’île située en bordure du
golfe Persique qui partage une frontière terrestre avec l’ Arabie saoudite et
des frontières maritimes avec le Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Iran,
l’émirat est devenu le point de passage obligatoire de tous les VIP des Frères
musulmans. Depuis quinze ans, le Qatar défraye la chronique en raison des
investissements extravagants mais aussi de l’obtention de la coupe du monde
2022, qui lui a été attribuée dans des conditions assez opaques. Entre show
off, bling bling et soft power parfois irrationnels, ce petit émirat à peine plus
grand qu’un département français fait figure de nouvelle puissance financière
mondiale, voire d’Eldorado. C’est oublier que dans ce pays on asservit les
employés venus du Pakistan ou des Philippines – souvent traités comme des
esclaves – que l’on y emprisonne les homosexuels, et que l’on place la charià
(wahhabite) au-dessus de toute autre forme de justice. Peu importe, car pour
la plupart des dirigeants occidentaux, l’émirat est devenu incontournable tant
sur le plan diplomatique qu’économique, puisque la majeure partie des
grandes entreprises européennes y font des investissements juteux. Il figure
sur la liste des quatre premiers pays producteurs de gaz naturel après les
États-Unis, la Russie et l’Iran. Doha, sa capitale, a jailli du désert sans plan
d’urbanisation cohérent. Depuis 1971, année de son indépendance,
immeubles, hôtels de luxe et grands magasins ont poussé comme des
champignons, n’importe où et n’importe comment, les rues ayant été
construites le plus souvent sans trottoir. Un contexte de développement qui
est à l’image de la politique internationale du pays. Autrement dit, le Qatar
veut tout et très vite, misant souvent sur des options politiques incertaines qui
lui permettent de rayonner et d’apparaître comme une puissance
incontournable.

Nain politico-militaire mais géant


économique :
le Qatar Investment Authority
Le Qatar, monarchie wahhabite comme l’Arabie saoudite, mais à l’image
plus moderne, est dirigé depuis 150 ans par la dynastie des Al-Thani, forte de
3 000 membres et tiraillée par d’âpres rivalités entre tendances
« modernistes » pro-Occidentaux (concept relatif dans ce pays) et wahhabites
ou pro-Frères musulmans. Peuplé de 3 millions d’habitants, dont seulement
300 000 qataris (80 % de la population est étrangère), le Qatar est un tout petit
pays de 11 400 km² dont la puissance, sans commune mesure avec la taille de
son territoire, vient du fait qu’il est le premier exportateur mondial de gaz
naturel liquéfié (GNL) devant la Russie et l’Iran. Par ailleurs, le Qatar
héberge l’une des plus grandes bases militaires américaines dans la région en
vertu d’un traité conclu avec les États-Unis en 1995. Afin de préparer l’après-
hydrocarbures, les Al-Thani ont investi dans une cinquantaine de pays dans
les domaines suivants : finance, industrie, énergie, hôtellerie, produits de luxe,
médias, mode, immobilier, etc. En Occident, le Qatar est implanté notamment
à Paris, Barcelone, Milan, et bien sûr Londres (il possède les magasins
Harrods, le Hyde Park, le complexe résidentiel le plus cher de Londres, ou
encore le Shard, l’immeuble le plus haut de la ville). En échange d’avantages
1
fiscaux exceptionnels , il a particulièrement visé ces dernières années la
France, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas
Sarkozy. Ce processus s’est poursuivi sous François Hollande, bien que celui-
ci ait un fort prisme pro-saoudien, et même sous Emmanuel Macron, bien que
ce dernier ait une préférence pour les Émirats arabes unis, où la France
entretient une base militaire. On se rappelle notamment que sous la
présidence de François Hollande, le phénomène trop souvent attribué au seul
Nicolas Sarkozy s’est poursuivi : un fond d’investissement commun avait été
créé en juillet 2014 par la Caisse des dépôts et la Qatar Holding LLC afin de
constituer un fonds de 300 millions d’euros destiné à investir dans des PME
2
françaises .
Dans le cadre de cette stratégie de diversification économique vers
l’étranger, l’outil principal a été le Qatar Investment Authority (QIA), le fond
souverain officiel qatari. Présidé par Ahmad Mohammed Al-Sayed, le QIA
fut créé en 2005 par l’ancien émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al-Thani,
pour placer l’excédent budgétaire issu de l’exploitation de réserves de gaz et
de pétrole. Il détiendrait selon Hussein al-Abdallah (membre du conseil
d’administration du Qatar Investment Authority) « beaucoup plus » que 100
milliards de dollars d’actifs. Le fonds investit surtout à l’international, en
particulier aux États-Unis, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. La Qatar
Investment Authority est l’actionnaire de Qatari Diar, du Qatar Holding
LLC ; de Qatar Sport Investments (QSI), etc. QIA détient 16,67 % des parts
de la banque Qatar Islamic Bank , la première institution financière
islamique du Qatar qui propose des services financiers en « conformité avec
la Charià ».
Dans l’industrie, le QIA contrôle 7,5 % du capital d’EADS, 10,3 % des
actions du London Stock Exchange ; 17 % de Volkwagen ou encore de 3 %
de Total, de 12,83 % du Groupe Lagardère, 6 % de Vinci, 5 % de Veolia,
Veolia Environnement (5 %), Suez Environnement, de Vivendi (2 %). Le
QIA est présent au sein de Porsche et il est aujourd’hui le plus grand
détenteur d’actions privilégiées du constructeur automobile allemand. Depuis
septembre 2018, le QIA investit en Allemagne dans les technologies de
l’information, l’intelligence artificielle, la santé, la High-Tech, le gaz naturel
liquéfié et le secteur financier et bancaire (notamment 6,1 % de la Deutsche
Bank). Ailleurs dans le monde, le QIA a des participations dans le Banco
Santander Brasil ; la Barclays ; le Bulgarian-Qatari Company, le Crédit
Suisse ; Dragon Capital ; le QIA Malaysia fund ; le Vietnam-Qatar Fund ;
Qatar-Britain Clean Energy Investment Fund, le Qatar-Sri Lanka Investment
Fund ; Commercialbank, le Philippines and Qatar fund ; TFI-Gazprombank
fund ; Qatar-Britain Clean Energy Investment Fund ; Qatar Holding
Indonesia ; ou encore la London Stock Echange. En 2016, la filiale médias de
la QIA, BeIN Media, a racheté les célèbres studios de cinéma Miramax. Les
Qataris ont également d’importantes participations dans la plus grosse banque
maltaise (de capital britannique). En France, le QIA a beaucoup investi dans
3
l’hôtellerie de luxe, le luxe en général et le sport . Il arrive en dixième
position au niveau mondial, possède outre le Virgin et 35 000 mètres carrés
sur les Champs-Élysées, 27 % de la Société des casinos de Cannes (Barrière
Croisette et Les Princes, hôtel Majestic et Gray d’Albion), 13 % du groupe
1 % de LVMH, sans parler du soft power que constitue l’achat du PSG.

La « Qatar Charity »
Comme le rappelle Stefano Piazza, « l’autre côté de la médaille est qu’en
contrepartie de ces investissements généreux, les émirs du Qatar financent en
même temps des dizaines et des dizaines de mosquées et de centres culturels
4
islamiques en France et en Europe » , notamment à travers la Qatar Charity
Organization. Rappelons que l’un des objectifs de la « Qatar Charity »,
exprimé en particulier dans le « programme Al-Baith », dirigé par le cheikh
Ahmad Al- Hamadi, est de garantir la « propagation de l’identité islamique
en Europe et dans le monde ». Il s’agit ainsi, conformément au fameux
« Projet » des Ikhwan , et en particulier de la stratégie « territoriale » du «
Tawtine », de construire des mosquées conçues comme des centres vitaux
avec, si possible, des écoles, des centres commerciaux, des crèches, des
centres funéraires, des services médicaux, sociaux et résidentiels, de sorte que
« l’individu musulman soit accompagné de la naissance à la mort dans le
cadre de l’islam global prôné par les Frères musulmans. Nul doute que ce
sont des contre-sociétés qui favorisent le communautarisme », conclut
Stefano Piazza. Dans leur livre-enquête Qatar Papers , les journalistes
français Christian Chesnot et Georges Malbrunot, estiment que le
financement du Qatar alloué aux mosquées et centres islamiques en Europe,
5
entre 2014 et 2017, s’élèverait à 72 millions d’euros . Dans le cadre du
« programme Al Baith », la Qatar Charity aurait ainsi financé 138 écoles et
mosquées en Europe, de la Norvège à l’Italie, en passant par l’Allemagne, le
Royaume-Uni, la Suisse, la Belgique, les Balkans ou la France. Le mécénat
prosélyte du Qatar est particulièrement visible en France à travers les projets
récents grandes mosquées et centres islamiques à Mulhouse, Nantes,
Marseille, Lille, Poitiers, au Havre, ou en Île-de-France. Le budget évalué par
les deux auteurs serait de 30 millions d’euros, soit le double des estimations
officielles, tant les circuits de financements qataris, certes récemment assainis
sous contrainte internationale, demeurent opaques et souvent indirects. La
mosquée de Mulhouse a par exemple reçu la somme d’un million d’euros de
6
la part de l’émirat .
La Qatar Charity a également contribué au financement du lycée Averroès
7
à Lille (trois millions d’euros selon Malbrunot et Chesnais) et Al Kindy de
8
Decines . Dans la confédération helvétique, « la QCO aurait investi plus de
4 millions de francs suisses entre 2011 et 2014 rien que dans cinq projets
d’organisations musulmanes à Prilly (canton de Vaud), Bienne (Berne), La
Chaux-de-Fonds (Neuchâtel) et Lugano », estime Stefano Piazza, qui
rappelle le rôle central joué par Mohamed et Nadia Karmous, responsables de
l’impressionnant musée des civilisations de l’IslamLink (La Chaux-de-
Fonds), grâce à l’entremise desquels le centre a reçu du Qatar au moins sept
virements de fonds totalisant près de 1,4 million de francs suisses.
L’objectif des Frères et de leurs alliés qataris serait de récupérer et de
formater la jeunesse diasporique via ces lycées islamiques (fréristes ou turcs)
et à travers l’éducation en général. Fondée en mars 2012, la branche
britannique de Qatar Charity, ou « Charity UK » (QCUK), nommée Nectar
9
Trust jusqu’en octobre 2017, aurait ainsi fait don de 1,5 million de livres
sterling en 2015/16 à la Human Relief Foundation, une ONG islamiste
10
interdite par Israël en raison de son soutien au Hamas . Les médias
britanniques ont par ailleurs accusé le responsable qatari de Charity UK
11
d’avoir créé un site internet antisémite . Charity UK aurait également
soutenu en Italie la puissante association frériste UCOII (voir supra ,
12
chapitre I) et, en France, le fonds de dotation Passerelles . Ce dernier a
notamment contribué à la création de centres islamiques, mosquées et écoles
coraniques en France, et autres associations communautaires, notamment
Confluences, à Mulhouse.
En 2015, le Qatar a fait don d’un nouveau bâtiment de 12,76 millions
d’euros au St Antony’s College d’Oxford, là-même où Ramadan a eu une
chaire universitaire grâce au Qatar. Rappelons en passant que l’ONG qatarie a
un temps salarié Tariq Ramadan à raison de 35 000 euros mensuels en tant
que « consultant »… La Qatar Foundation verse de la sorte des dizaines de
millions de dollars à des écoles, universités et autres établissements
d’enseignement en Europe et en Amérique du Nord, au point que l’émirat est
devenu le plus grand donateur étranger des universités américaines. Les fonds
versés servent à financer des programmes dont certains portent sans fard une
marque idéologique, comme ce cours destiné aux écoles américaines intitulé :
« Exprimez votre loyauté envers le Qatar ». L’émirat « exerce une influence
directe sur les décideurs et le public occidentaux… Ses médias en langue
anglaise diffusent une propagande subtile sous couvert de rhétorique libérale
occidentale… Le Qatar est le plus grand donateur étranger des universités
13
américaines » , explique l’islamologue américain Daniel Pipes, président
du Forum du Moyen-Orient. La Suisse n’est bien sûr pas en reste : le
complexe culturel musulman de Lausanne a reçu 1,6 million de dollars.

L’Italie, nouvelle cible du Qatar et de ses


gazo-dollars
Selon les estimations du ministère italien du Développement économique,
le commerce entre le Qatar et l’Italie a atteint une valeur d’environ
1,7 milliards d’euros en septembre 2015, soit un bond de 10 % par rapport à
2014. Dans le domaine de l’immobilier, les émirs « ont financé une
gigantesque opération commerciale à Milan, dans le quartier de la Porta
Nuova, et acheté le Grand Hôtel Gallia. Ils ont également acquis des hôtels
de luxe à Costa Smeralda et aux Quatre Saisons à Florence, puis le fonds
d’investissement Mayhoola for Investment à Doha, devenu le premier
actionnaire de la marque de mode italienne Valentino (acquise en 2012 pour
700 millions d’euros). Dans le secteur du tourisme, le Qatar Luxury Group de
la Qatar Foundation a réalisé des investissements massifs en acheté 49 %
d’Alitalia, en reprenant l’ancienne clinique San Raffaele à Olbia (Sardaigne),
et en annonçant un investissement de 1,2 milliard d’euros » , rapporte Stefano
Piazza . L’Italie compterait le plus grand nombre de projets (50) soutenus par
le Qatar Charity. Le seul centre Al Houda de Rome, aurait reçu 4 millions
d’euros. Christian Chesnot et Georges Malbrunot ont démontré qu’en Italie, le
Qatar aurait consacré 22 millions d’euros à divers projets islamiques au profit
de l’Union des communautés et organisations islamiques d’Italie (UCOII),
branche italienne officielle des Frères. Elzir Izzedin, imam de Florence et
président de l’UCOII, a admis que son organisation avait bénéficié de « 25
millions d’euros en provenance du Qatar ». Piazza rappelle qu’un plan
encore plus large a été développé dans le cadre de l’opération « Heavy Rain »
lancée en 2015 par la Fondation qatarie, véritable « plan Marshall pour
l’Islam en Europe » qui implique 23 pays, dont la France, la Belgique, le
Kosovo et la Bosnie.
Le 24 mai 2016, le prince Hamad Bin Nasser al-Thani, membre de la
famille royale du Qatar, s’est rendu à Piacenza pour inaugurer avec les
principales autorités de la ville un nouveau centre islamique ; à Brescia pour
couper le ruban pour l’agrandissement de la mosquée locale ; puis deux jours
plus tard à Mirandola, dans la province de Modène, pour inaugurer un
nouveau centre de prière endommagé par le tremblement de terre de 2012 et
rénové. Piazza rappelle pour information que l’église paroissiale locale, moins
chanceuse en termes d’aide financière, demeure quant à elle, inutilisable. Le
28 mai suivant, le cheikh très actif était à Vicenza pour l’ouverture d’un
nouveau centre islamique et, le 5 juin, à Saronno (Varèse) pour inaugurer
cette fois-ci un nouveau complexe islamique avec une mosquée et une école
coranique. Ainsi, le site de Qatar Charity Organization indique que chaque
année, six millions d’euros sont consacrés à la « diffusion de l’Islam en
Italie » . Le site informe également le public de la planification des futurs
investissements d’infrastructures islamiques dans la péninsule et en particulier
14
en Sicile . Près de 2,5 millions d’euros doivent ainsi être dépensés par les
Qataris pour diffuser l’Islam dans « l’Al-Andalous » italien que les islamistes-
fréristes du monde entier rêvent de « restituer à l’islam », comme l’Espagne
arabo-islamique passée tant mythifiée. Le Qatar a ainsi investi en Sicile, où il
finance déjà plus d’une mosquée sur quatre. Il est également à l’origine d’une
université islamique pouvant accueillir 5 000 étudiants dans la petite ville de
Lecce, dans les Pouilles. L’arrivée de l’argent frais qatari dans le sud –
pauvre – de l’Italie a inévitablement suscité des appétits de la part des
politiques : c’est ainsi que Rosario Crocetta, l’ex-président de la Région
Sicile, a exhorté, dans un entretien avec Qatari TV Al- Jazeera, la fondation à
investir pour la construction d’un centre islamique pour les « réfugiés » de
Lampedusa. Et la Regione Siciliana , pour marquer son estime à l’endroit des
émirs du Golfe arabo-persique, a décerné en 2013 au président de la Qatar
Charity, Ahmed al-Kawari, le prix « Hommes et société ». Piazza rappelle
également que, « rien que par l’intermédiaire de la Qatar Charity, entre
2013 et 2017, 25 millions d’euros sont arrivés pour multiplier le nombre de
mosquées qui, dans de nombreux cas, restent illégales ».

Al-Jazeera : arme de guerre médiatique des


Frères-musulmans
Parallèlement à leur activisme associatif, politique et cultuel, les Frères
musulmans peuvent compter sur l’extraordinaire outil de propagande
multilingue et planétaire qu’est le groupe de médias Al-Jazeera. Celui-ci
compte en son sein la plus populaire des chaînes d’informations en continu du
monde arabe, laquelle a été co-créée de toutes pièces en 1996 par le Cheikh
du Qatar Hamad Ben Khalifa Al-Thani et n’a jamais cessé d’apporter son
soutien à La Confrérie, en particulier ses branches nationales diverses comme
Ennahda en Tunisie, le parti de la Justice et de la Liberté (PJL) en Égypte, le
parti de la Justice et du Développement (PJD) au Maroc, sans oublier al-Islah
au Yémen, le Hamas à Gaza ou encore l’opposition et la rébellion anti- Assad
en Syrie ou les Ikhwan anti- Haftar en Libye, etc. Depuis le début des
révolutions arabes, Al-Jazeera a mis l’islam politique au centre du jeu, sous
couvert de « pluralisme » et de dénonciation des « régimes autoritaires ».
Dans son entreprise de diffusion du message « démocratique islamique », Al-
Jazeera est parvenue de la sorte à apparaître comme un média moderne,
« neutre » et « objectif », qui donne la parole à tout le monde, mais toujours
en gardant le cap frériste et demeurant l’outil majeur – avec le sport – du soft-
power qatari.
Certes, la volonté de libéralisation de l’ex-émir, père de l’actuel souverain
Tamim, l’a conduit à laisser beaucoup d’autonomie à Al-Jazeera, qui est
devenue une chaîne de référence. Le média a également développé une
identité particulière : « Al-Jazeera ouvre son antenne à toutes les oppositions,
la chaîne de toutes les contestations, de défense des marginalisés, le porte-
voix des peuples », sauf des opprimés et des opposants au Qatar… La chaîne
et ses déclinaisons web comme AJ+ bénéficient en effet d’une apparente
pleine liberté éditoriale. Un des auteurs de cet ouvrage, Alexandre del Valle, y
a d’ailleurs été invité dans des talk-show, et des opposants laïques très anti-
Frères musulmans, comme la Syrienne athée – « islamophobe » Wafa Sultan,
y ont exprimé librement leurs idées. Mais parmi les « opposants » dans le
monde arabe, ceux qui ont le plus souvent la parole sont clairement les Frères
musulmans et les islamistes, vus « comme des acteurs politiques ordinaires
». Et si à l’international, les discours « progressistes » et démocratiques sont
permis, la ligne éditoriale et les alliés « progressistes » sollicités doivent avoir
de près ou de loin une utilité pour la légitimation de l’islam politique. Le but
de ce « soft power » est de donner une image moderniste, tolérante et
multiculturaliste d’une monarchie héréditaire qui promeut partout dans le
monde l’islamisme politique conquérant et anti-occidental…

L’indéfectible soutien qatari aux Ikhwan


Pour parvenir à se maintenir en tant que puissance régionale et préserver
un lien entre islam et modernité, mais aussi pour tenir une jeunesse en quête
d’ouverture sur le monde et en demande de plus de libertés, les Al-Thani ont
misé sur un islam politique en tous points hérité de la doctrine et de la
structure des Frères musulmans égyptiens, à leurs yeux plus souple que le
wahhabisme originel strict, qu’ils appliquent d’ailleurs avec plus de souplesse
que les grands-frères ennemis saoudiens. Les Al-Thani ont en réalité fait le
pari qu’en rompant avec un schéma religieux trop archaïque – le wahhabisme
saoudien – ils rassurent leurs interlocuteurs et partenaires occidentaux et
évitent toute forme de contestation sur le plan intérieur, à un moment
charnière de l’histoire du monde arabe, traversé par les révolutions. Ils
pensent aussi s’assurer la sympathie des populations qui, depuis 2010 et le
début des printemps arabes, aspirent à plus de libertés individuelles et sont en
demande d’une rupture politique. Les Ikhwan ont parfaitement compris cet
enjeu, et ils sont devenus pour cela les chantres d’un combat pour « la
démocratie islamique », tout en se gardant bien d’expliquer que celle-ci, une
fois obtenue, doit déboucher sur un Califat… Les Frères considèrent que le
déclin du monde musulman est le fait des anciennes puissances coloniales,
telles la France et l’Angleterre, mais qu’il est également le résultat d’une
désaffection des croyants pour la religion et d’une dépendance étroite des
pouvoirs politiques arabes à l’Occident. Suivant les préceptes de Sayyid Qutb,
leur aile dure est partisane d’un jihad qui doit conduire au rétablissement du
Califat, tandis que ses adeptes modérés parlent d’instauration d’États
islamiques plus compatibles avec le progrès et la modernité. Cette seconde
posture plus souple (mais poursuivant le même objectif final d’islamisation
planétaire) séduit d’autant plus le pouvoir qatari que l’Organisation frériste
rayonne à travers le monde via son système de filiales plus ou moins
officielles.
Interdits en Égypte, proches du pouvoir en Turquie, politiquement établis
en Tunisie avec le parti Ennahda, hégémoniques à Gaza, puis dans l’ouest de
la Libye et jadis maîtres du Soudan, les Frères musulmans ont développé une
position extrêmement solide à Doha et ont su pénétrer les rouages des
institutions financières et médiatiques locales, régionales et internationales de
l’émirat. La capitale qatarie est en fait devenue une sorte de sanctuaire pour
nombre de Frères exilés, dont certains se sont d’ailleurs retrouvés à la
direction générale ou à la rédaction en chef de la chaine de télévision Al-
Jazeera. Alors même que leur branche locale a été dissoute en 1999 – car une
partie de ses membres ne voulait plus avoir de liens structurels avec La
Confrérie en Égypte – les Frères bénéficient de l’appui presque sans faille de
la monarchie et d’une visibilité privilégiée grâce à Al-Jazeera. Le Qatar
héberge ainsi de nombreux leaders et propagandistes islamistes et surtout
l’élite des Ikhwan .
Dans un mémo préparé pour une conférence sur la sécurité du Golfe,
David B. Roberts émet l’hypothèse que la bienveillance qatarie envers les
Frères musulmans reposerait sur la difficulté du petit royaume à faire valoir sa
position en tant qu’État wahhabite sans tomber sous la coupe de l’ Arabie
saoudite, gardienne des deux lieux saints. Les Frères permettraient ainsi de
faire jouer une organisation autre que celle des clercs et érudits saoudiens, au
profit du système purement qatari, « évitant de dépendre d’académiques ou
de juristes saoudiens pour concevoir et fournir en personnel les systèmes
15
qataris à l’image wahhabite penchant inévitablement vers Riyad » . De
plus, l’attitude accueillante de Doha a permis au Qatar d’instrumentaliser la
nébuleuse frériste qui « allait se montrer utile dans le Printemps arabe ».
C’est notamment cette « utilité » qui a posé un problème aux pays du Conseil
de coopération du Golfe (GCC = Égypte, Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats
arabes unis entre autres), lorsque, lors de la révolte de 2011 en Égypte, le
Qatar a apporté son soutien aux Ikhwan . Après le coup d’État militaire
perpétré par la maréchal Al- Sissi en Égypte en 2013, le Qatar avait en effet
accueilli des leaders des Frères musulmans ayant fui le pays, et Al-Jazeera
s’était fait fort de les héberger dans un hôtel cinq étoiles, puis de leur donner
du temps d’antenne de façon récurrente pour qu’ils promeuvent leur cause.
Doha estime avoir beaucoup à gagner de la relation étroite avec les Frères,
car cela lui permet tout d’abord de garantir qu’ils ne tenteront pas de faire de
la politique dans ce pays tout en contribuant à élargir à l’extérieur la
« profondeur » stratégique de l’émirat à travers de futurs pouvoirs fréristes
susceptibles d’être « reconnaissants » envers leur riche parrain. Durant le
printemps arabe, les autorités du Qatar escomptaient ainsi se positionner dans
plusieurs pays arabes sur le plan économique et politique à la faveur d’une
alternance démocratique islamiste. C’est dans ce contexte général que
l’émirat a hébergé, depuis des décennies, nombre d’activistes et de fanatiques,
leur fournissant refuge, sponsoring, travail et soutien logistique et médiatique.
À cet égard, le cas de Youssef Al- Qardaoui est plus que révélateur… Un
autre exemple de liens personnels entre des éminences fréristes et le Qatar est
représenté par le cas de Rafiq Abdulsalaam, ex-ministre tunisien des Affaires
étrangères, gendre de Rachid Ghannouchi (le leader de Ennahda, version
locale des Frères), qui a été le responsable de la section des études et de la
recherche au centre d’Al-Jazeera à Doha. On peut également citer Ali Sallabi,
l’un des leaders des Frères musulmans en Libye, lié aux autorités du Qatar.

Jassim Sultan, la nouvelle tête pensante


et médiatique des Frères musulmans
Autre illustration de soutien à La Confrérie, le Qatar accueille Jassim
Sultan, l’une des figures des Ikhwan dans le monde arabe, médecin qatari
formé en Égypte, fondateur de la maison d’édition Takin et de l’Institut
Ennahda. Depuis son « autodissolution » officielle en 1999 au Qatar, La
Confrérie doit à ce spécialiste des médias et des réseaux sociaux (Sultan a
conseillé la direction éditoriale d’Al-Jazeera) le remplacement de l’ancien
organigramme pyramidal par une nébuleuse multipolaire en « étoile de mer »,
bien plus difficile à identifier. À sa manière, il a révolutionné son
fonctionnement en dissolvant la structure originelle de l’organisation à Doha,
considérant qu’elle serait beaucoup plus efficace sans cadre formaliste et sans
lien opérationnel direct avec celle du Caire. En clair, il a préféré miser sur
l’action et la technologie plutôt que de continuer à évoluer dans le cadre d’un
schéma organisationnel classique. Il préconise notamment d’utiliser Twittter
et Facebook pour répandre les idées de La Confrérie, mais aussi d’affaiblir
des multinationales occidentales dont les dirigeants sont souvent suspectés de
faire le jeu de régimes très contestés. Cette nouvelle organisation, qui ne
possède pas de structure de commandement officielle, concentre son action
sur la formation dans le cadre de la stratégie du Tamkine exposée plus haut.
Jassim Sultan invite ainsi à Doha chaque année des jeunes du monde entier
pour y être formés à la planification stratégique et à l’influence. À la manière
16
des séminaires d’Open Society de Georges Soros , les jeunes Européens
fréquentant l’enseignement privé musulman (35 établissements en France)
sont sélectionnés pour participer aux séminaires. Doha appuie cette stratégie
mondiale des Frères musulmans et soutient son organe clef, l’Institut
Ennahda, dans la mise en œuvre du « Projet » subversif de La Confrérie fondé
sur l’entrisme et la conquête par « étapes », via des structures cloisonnées et
17
autonomes (voir infra , pôle des Frères musulmans) .

Le paradis qatari des « jeunes fréristes »


égyptiens
L’anecdote qui suit mérite qu’on s’y arrête, car elle montre d’une certaine
manière comment les Frères musulmans ont fait du Qatar leur base arrière. En
cette soirée du mois de janvier 2014, nous avons rendez-vous avec un jeune
égyptien aux abords du souk de Doha. Il s’appelle Karim, il est ingénieur et
travaille dans le domaine des télécommunications. Ce trentenaire a quitté
le Caire où il vivait en raison d’un chômage endémique, mais aussi du fait de
ses positions politico-religieuses. En clair, c’est un opposant au régime,
proche des Frères musulmans. Doté d’une solide culture générale, très
élégant, Karim se dit « fin connaisseur des grands textes arabes et
islamiques », parmi lesquels ceux de Hassan al-Banna. « Fiancé » à une
française travaillant pour un grand groupe industriel implanté dans le Golfe, il
est apparemment peu pratiquant, mais se dit « adepte d’une lecture
respectueuse du Coran ». Il condamne farouchement la musique
« Rock’n’roll », est favorable au voile islamique, et il considère al-Banna
comme un « intellectuel visionnaire ». En fait, Karim est un Frère musulman
de la « nouvelle génération » : tout en ambiguïté. Il faut savoir que près de
300 000 égyptiens résident à Doha. Ils sont donc presqu’aussi nombreux que
les Qataris, et ils représentent de ce fait la plus importante communauté arabe
du pays après les sujets « de souche ».
Les relations diplomatiques entre l’émirat et l’Égypte sont certes très
tendues, puisque ces deux pays se livrent à un véritable bras de fer – le Caire
accuse Doha de financer le terrorisme islamiste et de soutenir les Frères
musulmans –, mais les Égyptiens n’en sont pas moins bien intégrés au Qatar,
notamment à la vie des entreprises : ils exercent leurs activités
professionnelles dans le secteur des services, et il n’est pas surprenant qu’on
retrouve un certain nombre de leurs compatriotes dans les médias, notamment
au sein du groupe Al- Jazeera, où ils travaillent dans les domaines du
journalisme et de la post-production. Karim nous explique sa vision d’un
« islam sage », qui devrait être accepté de tous, notamment en France. Il veut
aussi nous parler de la « dictature égyptienne » qui l’a contraint à s’exiler.
Évoluant dans l’univers du groupe Al-Jazeera où il compte plusieurs amis, il
ne manque jamais une occasion de sensibiliser les journalistes occidentaux de
passage « aux réalités du monde arabe ». Quand nous lui demandons pourquoi
il a choisi le Qatar comme terre d’accueil, comment il entrevoit l’avenir de
l’Égypte et ce qu’il pense de la France, voilà ce qu’il répond :
« Au Caire, je n’avais pas d’avenir. J’ai pourtant fait de longues études.
Il y avait aussi beaucoup de surveillance exercée sur moi par la police
secrète. Pourtant, je ne suis pas activiste. Je pense juste que le régime
égyptien est corrompu, comme tout le monde, et que nous devons avoir le
droit à une véritable démocratie. Je pense que cette démocratie est incarnée
par La Confrérie, qui construit des écoles, des hôpitaux, vient en aide aux
plus démunis alors qu’elle est elle-même persécutée depuis des décennies.
Face à cette réalité, des milliards de dollars sont alloués au gouvernement
chaque année, notamment par les États-Unis, mais le peuple n’en voit jamais
la couleur. Le régime préfère acheter des armes et faire profiter ses amis
plutôt que construire des écoles ou injecter cet argent dans le secteur
économique. Je suis donc venu ici pour travailler dans les télécoms, alors que
je devrais le faire dans mon pays, qui en a besoin. J’ai trouvé du travail par
l’ami d’un ami, une personne très sage et très pieuse, qui est toujours
solidaire des exilés égyptiens. Il s’agit d’un Frère, mais il ne veut pas qu’on
dise son nom, car il a de la famille pas loin du Caire (…). Ici, les Égyptiens
sont reconnus pour leur niveau d’éducation. Et puis on me laisse étudier
l’islam sans que cela suscite de méfiance. Je prends des cours auprès d’un
cheikh, car il y a plusieurs centres de formation près du souk (…). Ce cheikh
ne porte pas de longue barbe, il est très ouvert et très moderne, très au
courant des affaires du monde. Il nous encourage à étudier, à voyager, à
suivre ce qui se passe dans les médias, à parler aux gens, notamment aux
intellectuels et aux journalistes (…). Avec lui, je travaille beaucoup sur les
textes religieux, j’apprends à comprendre le monde et à diffuser le message
d’un islam qui doit être mieux accepté. En France par exemple, vous ne
comprenez pas l’islam tel qu’il est (…). On ne veut pas vivre comme au temps
du prophète. On est connecté au monde moderne, mais vous voyez les
musulmans comme des gens peu évolués, alors que vous, vous ne respectez
pas les femmes, vous écoutez du Rock qui est une musique perverse, vous
pratiquez le sexe librement et vous buvez de l’alcool, ce qui est interdit (…).
Le Qatar m’a donné les moyens de travailler, de fréquenter des gens comme
moi, qui ont la même vision de l’islam dans la société (…). Doha est en fait la
seule ville du monde ou vous pouvez toucher du doigt la réussite de l’alliance
entre la modernité et l’islam. Ici, nous sommes libres. Il y a la charià bien
sûr, mais elle n’empiète pas sur nos libertés personnelles si on la respecte
(…). En fait, les Frères musulmans ne veulent pas autre chose que le respect
de la charià dans la modernité. C’est ce qui fait qu’ici, ils peuvent vivre leurs
convictions en toute tranquillité, avec la bienveillance du gouvernement. Le
Qatar est en effet le seul pays arabe où les sympathisants des Frères sont
considérés, où ils peuvent travailler dans des grandes entreprises en obtenant
de bons jobs, et où ils ne sont pas persécutés. Je suis très reconnaissant à
l’émir et à son père avant lui, de les accueillir (…). Je ne peux pas vous dire
que le Qatar est la capitale des Frères musulmans, parce qu’être Frère
musulman, c’est davantage être en phase avec des idées qu’appartenir à une
organisation, et que La Confrérie est née en Égypte, qui est son vrai berceau.
Mais il est vrai que le Qatar nous protège. Doha est une plateforme, en même
temps qu’un sanctuaire. Ici, j’ai appris à comprendre les idées de La
Confrérie et l’importance de les diffuser. Pour moi, les pensées d’Hassan al-
Banna sont les bonnes, et le Qatar leur permet de continuer à vivre, car la
famille royale, je crois, a compris que c’était un visionnaire politique (…).
Vous savez, on a pas mal de Français qui viennent nous voir pour apprendre
l’Islam. Il y a même des femmes. Vous comprendrez alors le travail
formidable que les Frères font ici ».

Le Qatar pro-Ikhwan et ses frères ennemis


saoudiens et émiratis
La stratégie qatarie de soutien à la puissante Confrérie a fini par irriter
passablement plusieurs États arabes, en premier lieu l’ Arabie saoudite, qui
craint que la « démocratie musulmane » – et donc la soif de pouvoir prônée
par les Frères – se retourne un jour contre leurs régimes bédouin-féodaux.
C’est pourquoi, après l’avoir appuyée pendant des décennies, l’Arabie combat
chez elle La Confrérie depuis les années 1990, date à laquelle le Qatar, le
Soudan, et plus discrètement le Koweït, ont pris le relais, direct ou indirect.
De leur côté, l’Égypte du Maréchal Al- Sissi et son allié des Émirats arabes
unis, excédés par la diplomatie intrusive pro-frériste du Qatar, sont entrés en
guerre contre l’islam politique des Ikhwan , tant en Égypte, dans le Golfe
qu’en Libye notamment.
En juin 2017, plusieurs pays du Golfe ont instauré un embargo commercial
et diplomatique sur le Qatar. Deux semaines après le blocus, les mêmes pays
lui présentaient une liste en treize points à respecter si la monarchie voulait
mettre fin à son isolement. Si leurs griefs n’avaient rien de nouveau, on note
que la grande majorité des demandes avait trait aux rapports que la monarchie
qatarie entretient avec les Frères et son attitude complaisante à l’égard de
18
nombre d’organisations et personnalités terroristes . Ainsi, parmi ces
requêtes, il était demandé que Doha « arrête tout moyen de financement des
individus, groupes ou organisations classées terroristes par l’Arabie
saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Bahreïn, les États-Unis et
19
d’autres pays » , et que le Qatar remette certaines figures terroristes à leurs
pays d’origine – demande assortie d’une liste de noms comprenant des cadres
des Frères musulmans.
À l’heure où le golfe Persique est en proie à des tensions d’une extrême
intensité, il est utile de décrypter la stratégie politique du Qatar, mais aussi de
ses alliés turcs et des iraniens dans la région, ainsi que le positionnement clé
des Frères dans leur dispositif géopolitique, dont l’épicentre se trouve à Doha.
20
Mis à l’index par ses anciens alliés du Conseil de coopération du Golfe
(CCG), l’émirat s’est donc rapproché, non sans logique, de l’Iran et de la
Turquie, créant de la sorte une rupture géopolitique sans précédent dans la
région.
Alors que les États-Unis n’ont cessé, ces dernières années, de mettre la
pression sur le régime des mollahs, leurs alliés saoudiens et émiratis ont isolé
leur voisin qatari, l’accusant notamment de soutenir l’expansion de l’islam
politique et de s’être trop rapprochés de l’Iran chiite, ennemi de toujours. La
Turquie néo-ottomane quant à elle, s’est positionnée en tant que soutien
indéfectible du régime qatari. La raison de ce positionnement se trouve dans
le fait qu’Ankara joue sa propre carte face au régime saoudien afin d’imposer
sa vision de l’islam politique au Moyen-Orient, Erdogan, ardent soutient de
La Confrérie, voulant apparaître comme le nouveau calife ottoman
« protecteur des musulmans » face aux Occidentaux et leurs alliés. Au cœur
de ce jeu de relations internationales particulièrement complexe, les Frères
musulmans, on l’aura compris, jouent un rôle essentiel. En fait, le petit émirat,
la Turquie du président Erdogan et la République islamique d’Iran ont en
commun de s’être appuyés, à des degrés différents, sur les Frères musulmans
comme élément de leur diplomatie, de leur doctrine d’expansion et de leur
activisme politique. C’est donc dans ce contexte qu’il convient de replacer
l’évènement sordide qui a violemment opposé l’Arabie saoudite à la Turquie
et au Qatar, autrement dit l’ « affaire Khashoggi ».

L’Affaire Khashoggi, dommage collatéral de


la lutte entre Saoudiens et Qataro-turcs
autour des Ikhwan
Depuis plusieurs années, et surtout depuis le « Printemps arabe », une
guerre terrible, sur fond de meurtres (dont celui du journaliste saoudien
frériste Jamal Khashoggi), d’embargos et de stratégies d’influence se joue
entre l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, trois États qui se livrent à une
guerre d’influence pour imposer leur vision de l’Islam aux pays du Moyen-
Orient. Les Frères musulmans en sont l’un des principaux acteurs et l’une des
principales raisons. Si depuis le printemps 2017, l’Arabie saoudite a isolé
géopolitiquement le Qatar, elle a aussi soutenu des opposants à l’émir qatari,
membres de sa famille, en prévision d’un coup d’État. À l’heure où nous
écrivons ces pages, un certain nombre sont incarcérés à la prison centrale de
Doha, d’après le témoignage d’un ancien détenu français injustement
21
condamné, Jean-Pierre Marongiu . Voici ce que ce dernier nous expliqué
lors d’un entretien : « Lors de mes 5 années de détention, 4 ans et 9 mois
pour être exact, j’ai rencontré en prison une vingtaine de membres de la
famille royale incarcérés pour des raisons diverses. Problèmes financiers,
drogues, rixes, meurtres… Tous appartenaient à la branche bin Ali de la
famille régnante Al-Thani. Sheikh Talal bin Abdulaziz al-Thani avec lequel
j’ai eu des relations que l’on peut qualifier d’amicales durant 2 ans, est le
cousin direct de Sheikh Tamim et dans l’ordre généalogique de succession au
même rang que l’émir du Qatar. Au même rang sur l’arbre généalogique,
mais sur une branche différente. Sheikh Talal peut prétendre au trône en cas
de renversement par l’Arabie saoudite de la branche régnant actuellement
(…) ».
Ces opposants incarnent une tendance favorable à un rapprochement avec
Riyad et avec le jeune prince héritier Ben Salmane qui ne manque pas de
susciter une certaine fascination en dépit de ses excès. Ils ne représentent
peut-être pas une majorité de Qataris, mais dans tous les cas ils incarnent un
danger pour le jeune émir Tamim et ses protégés de La Confrérie, qu’ils
veulent éliminer. Le 14 septembre 2017 s’est d’ailleurs tenu à Londres un
rassemblement d’opposants à l’émir du Qatar. Il était organisé par un
dénommé Khalid Al-Hail, homme d’affaires qui réclame un changement de
régime à Doha. Fondateur d’une organisation appelée Parti national
démocratique du Qatar, il militait à l’époque pour que le Qatari Ben Abdallah
ben Jassem Al-Thani, soutenu par le prince-héritier saoudien Ben Salmane,
prenne le pouvoir au Qatar. Ce projet est extrêmement subversif pour Tamim,
car il signifierait une sorte de vassalisation du Qatar par les Saoudiens et un
renversement de la donne actuelle, sachant que le Qatar est accusé de ne pas
être solidaire de Riyad et de ses alliés – l’Arabie saoudite, les Émirats et
l’Égypte d’Al- Sissi – dans leur lutte contre la double menace qu’incarnent les
22
Frères musulmans et l’Iran .
C’est dans ce contexte que, le 2 octobre 2018, une affaire défraie ainsi la
chronique internationale et fait, les jours suivants, la Une de tous les journaux
de la planète : l’assassinat, dans les locaux du consulat saoudien d’Istanbul,
de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien de 59 ans. Ce dernier a été
assassiné puis son corps découpé en morceaux par les membres du commando
saoudien venu le tuer à l’intérieur même du consulat. En fait, ce rejeton d’une
riche famille saoudienne, devenu un chroniqueur prisé du Washington Post,
était une pièce-maîtresse de la nouvelle configuration des Frères aux côtés de
la Turquie et du Qatar, rivaux du royaume saoudien dans la course au
leadership panislamiste. Son assassinat a considérablement nui à l’image du
nouveau dirigeant « réformateur » saoudien, le prince-héritier Mohamed ben
Salmane (MBS). Pour rappel, Khashoggi, né le 13 octobre 1958 à Médine en
Arabie saoudite, avait notamment été rédacteur en chef à Al-Watan et à Al-
Arab News , avant de devenir chroniqueur au Washington Post . Connu pour
ses critiques envers le prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane, il
estimait que les réseaux sociaux et Internet donnent un espace de liberté
d’expression qui peut permettre d’affaiblir, puis à terme, de renverser les
dictateurs du Moyen-Orient.
Said Salmi, journaliste et chercheur en géopolitique très respecté dans le
monde arabe, qui collabore avec Al- Jazeera et connaissait personnellement le
journaliste assassiné, nous a expliqué à son sujet : « On tente de mythifier et
de lisser l’image de Jamal Khashoggi dans tout le monde arabe. La vérité,
c’est qu’il appartenait à la mouvance des Frères musulmans. Cette
mythification s’inscrit dans un contexte de rivalités géopolitiques entre le
Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite (…). Se venger de Khashoggi, c’était
se venger du Qatar ». C’est un fait. Khashoggi défendait les idées de
l’organisation islamo-politique des Ikhwan , et il ne s’en cachait pas. Mais
pourquoi se venger ? De quoi ? Khashoggi a en effet, durant un temps,
soutenu le régime wahhabite saoudien, conseillant au plus près celui qui fut le
très redouté chef des services secrets du royaume entre 1977 et 2001, Turki
al-Fayçal, devenu par la suite ambassadeur d’Arabie saoudite au Royaume-
Uni et aux États-Unis. C’est visiblement lors de l’arrivée au pouvoir du prince
héritier MBS, dont il dénonçait les méthodes brutales et le « despotisme »,
que tout a changé. Il a alors décidé de se ranger de façon plus significative du
côté des Frères, qu’il jugeait plus « progressistes », et dont il fréquentait les
dirigeants depuis toujours. Il est par ailleurs important de noter que
Khashoggi, qui avait séjourné en Afghanistan, connaissait aussi Oussama ben
Laden, qu’il appelait « son ami »…
Ainsi, lorsque le dissident saoudien fustigeait l’Arabie saoudite, ce n’était
pas l’islam politique qu’il dénonçait, mais le pro-occidentalisme et le
despotisme de MBS, le prince maudit qui a soutenu le pire ennemi des Frères
en Égypte : Al- Sissi ; puis qui a abandonné les jihadistes fréristes syriens qui
luttaient contre Bachar al-Assad sans oublier les islamistes libyens qui luttent
en ce moment même contre les troupes du général anti-islamiste Khalifa
Haftar appuyé par les Émirats, l’Égypte et la Russie notamment. Khashoggi
soutenait en fait corps et âmes les Frères musulmans et il s’était retourné
depuis quelques années contre l’Arabie saoudite parce qu’il pensait à raison
que les Frères musulmans poursuivent plus efficacement l’objectif
panislamiste d’instaurer dans tous les pays musulmans la charià puis d’y
rétablir à terme le « Califat ».
Entre les deux géants régionaux perse
et saoudien…
Au début de l’année 2011, nous avions traversé le détroit d’Ormuz – dont
le contrôle est partagé par le sultanat d’Oman et l’Iran, qui donne accès
depuis l’océan Indien au golfe Persique – à bord d’un bâtiment de la marine
Française, le BPC Mistral. À l’époque déjà, nous avions assisté à une
provocation des Pasdarans – les gardiens de la révolution iranienne et force
paramilitaire du régime de Téhéran –, dont trois vedettes étaient venues
harceler le navire sur lequel nous nous trouvions. En fait, ouvrir le feu aurait
été la dernière idée des Pasdarans. Comme nous l’avait confié un officier du
bord, « les Iraniens jouent les cow-boys, mais veulent juste nous montrer
qu’ils sont les maîtres de l’espace maritime ». Long d’une soixantaine de
kilomètres, large d’environ trente à quarante, et d’une profondeur de
70 mètres, ce détroit revêt une importance économique et géostratégique
particulière, puisqu’il demeure une voie commerciale importante du trafic
international des hydrocarbures. Près de 2 500 navires l’empruntent chaque
année, y faisant transiter plus de 20 % du commerce mondial du pétrole. Le
détroit permet en fait l’accès des pays producteurs d’hydrocarbures tels l’
Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, l’Irak et le Qatar. C’est dire si le
moindre accroc dans cette partie du Moyen-Orient peut avoir un impact
important pour les économies mondiales, la stabilité de la planète et, bien sûr
pour les pays du Golfe. Chacun des régimes de la région vit ainsi dans un
climat d’extrême instabilité, ne devant sa survie qu’à des jeux d’alliances
avec diverses puissances, à commencer par les États-Unis, qui y maintiennent
leur Ve flotte, basée à Bahreïn.
L’émirat du Qatar partage en fait le plus important champ de gaz naturel
off-shore avec l’Iran – appelé North Dome ou South Pars – situé à cheval sur
les eaux territoriales des deux pays. Il suffit d’avoir vécu à Doha pour savoir
que l’on s’y méfie de la puissance iranienne, a fortiori de son impérialisme
religieux. Et si de nombreuses familles qataries ont des ascendances persanes,
la population de l’émirat, comme son gouvernement, glorifie une forme
d’islamo-nationalisme que l’on peut qualifier d’extrême. Les services secrets
qataris se défient en permanence des Pasdarans, à leurs yeux les véritables
maîtres de l’Iran. Ces derniers détiennent des pans entiers de l’économie
iranienne ainsi qu’une milice armée de 125 000 hommes et de redoutables
services de renseignement à l’origine des vagues d’attentats survenus en
Occident et au Proche-Orient dans les années 1980. Tenants d’une politique
étrangère extrêmement dure, ils ont la mainmise sur une partie de l’industrie
gazière et pétrochimique de leur pays, et ils perçoivent de leur côté le Qatar
comme un État artificiel, en même temps qu’ils convoitent ses ressources
gazières sous-marines. Si depuis juin 2017, l’isolement de Doha par ses
voisins émiriens et saoudiens a poussé l’émirat à se rapprocher de l’Iran, leur
relation reste malgré tout très complexe.
Comme nous l’avons évoqué, le Qatar entretient aussi des relations
conflictuelles et ambiguës avec le Royaume d’Arabie saoudite, pourtant
wahhabite comme lui. Les Saoudiens considèrent leur petit voisin comme un
État vassal, et ils ont même envisagé à plusieurs reprises de l’annexer.
Géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient, Roland Lombardi analyse la
situation : « Il faut bien comprendre que la fameuse rivalité sunnites/chiites
est en train de devenir secondaire et que dans le monde arabe, on assiste à un
affrontement entre deux axes. Il y a celui du bloc Qatar/Turquie, thuriféraires
de l’islam politique, face au bloc Égypte/ Émirats arabes unis/Arabie
saoudite de Mohamed ben Salmane, clairement anti-Frères musulmans. Ne
perdons pas de vue que ce dernier bloc a le soutien total et assumé de la
Russie, le nouveau Juge de paix incontournable dans la région, mais
également de Donald Trump, qui a maintes fois déclaré son aversion envers
l’idéologie frériste et qui a surtout mis fin à la politique bienveillante des
anciennes administrations américaines vis-à-vis des Frères musulmans ».
Afin de se protéger de ses voisins, le Qatar a donc construit une stratégie
d’influence qui lui assure des alliances à l’extérieur du Golfe persique. Il a
multiplié les investissements en Europe et aux États-Unis et s’est surtout
positionné comme un soutien indéfectible des organisations révolutionnaires
et de certains mouvements jihadistes, l’idée étant toutefois d’apparaître
comme une État moderne combattant les dictatures corrompues en place.
Du chaos libyen aux tensions qui règnent aujourd’hui dans le golfe
Persique, en passant par un soutien financier généreux au Hamas, à Gaza, le
Qatar a en fait tissé une véritable toile diplomatique, médiatique et
paramilitaire via l’organisation des Frères musulmans. Le cheikh Tamim voit
La Confrérie comme la tenante d’un islam politique réformateur et
progressiste dont la doctrine répondrait aux attentes de populations arabes en
mal de démocratie. Il est vrai que lorsque l’on a connu la rigueur du
wahhabisme, on peut comprendre que les Qataris perçoivent l’islam des
Frères musulmans comme « moderniste ». C’est en tout cas ce qui est
expliqué à Doha. Cela permet à l’émirat de se positionner aux yeux du monde
comme un pays « modéré » – alors même qu’il reste dans les faits une
dictature – et de ne pas se mettre à dos ces Frères qui sont en train de lancer
un jihad politico-culturel global à travers tout le Moyen-Orient et qui
incarnent l’alternative aux régimes en place. Un membre de son entourage
nous confiait lors d’un entretien : « l’émir Tamim veut en réalité faire de
23
Doha une nouvelle Médine » , à savoir le centre international de l’islam
politique, certes « modernisé ».
Si la famille Al-Thani a ainsi permis le développement d’entreprises
internationales et d’institutions politiques plus ou moins solides, la réalité est
qu’à tous les étages du système, l’on retrouve des Ikhwan . En clair, Doha est
tenue par ces derniers, puisque ses membres sont représentés dans tous les
boards de ses grandes entreprises. À tel point qu’il est aujourd’hui quasi
impossible, pour Tamim, de s’en débarrasser sans que cela n’impacte toute la
vie politique, économique et sociale de l’émirat. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si la capitale qatarie a accueilli depuis des décennies des théoriciens
majeurs des Frères, tels Youssef al- Qardaoui ou Jassim Sultan, dont nous
avons parlé précédemment.
Nous l’avons vu, au début des années 2000, ce dernier a notamment
repensé tout le schéma organisationnel de l’organisation depuis le Qatar,
interconnectant toutes les sphères décisionnelles de la société qatarie les unes
aux autres, tout en veillant à avoir la mainmise sur Al- Jazeera, centre
névralgique de l’information et de la communication opérationnelle des
Frères à travers le monde. Jassim Sultan a misé sur le progrès et a « rénové »
le discours frériste, le teintant de modernisme. Il a donné un visage plus
fréquentable à La Confrérie, la dotant de nouveaux éléments de langage et
misant davantage sur la jeunesse, plus en phase avec la modernité. Elle est
ainsi devenue un élément de soft power du régime, ce qui déplaît aux
Saoudiens et aux Émiriens, qui la perçoivent comme une menace pour la
stabilité de leurs régimes. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a poussé les
deux pays à interdire sur leur territoire les ressortissants qataris, leurs services
secrets étant bien placés pour savoir, comme nous l’a confié un officiel
émirien, « qu’il y avait parmi eux des éléments de l’organisation espionnant
pour le compte de Doha, et bien sûr de l’organisation islamiste ». Ainsi isolé
par ses anciens alliés arabes, le Qatar a donc joué ces deux dernières années la
carte du rapprochement avec la république islamique d’Iran et surtout avec la
Turquie.

Les Frères, traits d’union entre Istanbul


et Doha
L’idéologie frériste a d’ailleurs joué un rôle essentiel dans la relation que
le Qatar a construite avec la Turquie. Le président turc Recep Taiyp Erdogan,
nous l’avons déjà dit, s’est en effet appuyé sur les Ikhwan lors de sa conquête
du pouvoir en 2002 et plus encore depuis 2013 et sa rupture avec l’aile
islamique modérée du mouvement de Fetullah Gülen. Il n’a eu ensuite de
cesse de soutenir son développement au Moyen-Orient, comme en Europe. Il
ne manque d’ailleurs jamais de faire le signe de ralliement des Frères – la
Rabia* – en public, Frères qu’il utilise clairement comme un
« outil d’influence » pour freiner l’expansion du wahhabisme saoudien au
Moyen-Orient et conquérir les masses arabo-musulmanes dans le cadre de sa
stratégie d’expansion néo-ottomane. Comme au Qatar avec Al-Jazeera, les
chaines de télévision turques sont également plus que complaisantes avec les
têtes pensantes de l’organisation, régulièrement interviewées. Notons enfin
que le président turc est considéré par le cheikh qatari Youssouf al-Qardaoui,
basé à Doha et protégé de la famille Al-Thani, comme le « prochain Calife de
l’Islam »… Doha et Ankara ont enfin en commun de financer les projets de
médias ou de centres culturels de plusieurs activistes fréristes à travers le
monde, notamment en Europe. Ces derniers – à l’instar de personnalités
comme Azam Tamimi, font souvent la navette entre les deux pays, tout en
entretenant des liens avec l’Iran via leurs relations avec des organisations
islamistes comme le Hezbollah ou le Hamas. Ce rapprochement turco-qatari
est à la fois une alliance stratégico-militaire – puisque l’armée turque est
présente à Doha, qu’elle « protège » contre l’ Arabie saoudite et les Émirats –
et économique. Le Qatar soutient en effet la Turquie à coups de milliards de
dollars, au moment où ses banques et son économie sont à la peine.
Comme dans toute alliance stratégique entre États, chacun de ces trois
pays, Iran, Qatar, Turquie, a bien entendu des intérêts particuliers à défendre.
Si le Qatar est le plus riche des trois, il est le plus petit et le moins puissant.
Avec une armée de 12 000 hommes composée pour l’essentiel de soldats
étrangers – en dehors de ses cadres – il ne dispose d’aucun moyen coercitif. Il
est donc totalement dépendant de ses alliés et, dans les faits, sous contrôle des
24
Américains qui disposent à Al Udeid de leur base la plus importante au
Moyen-Orient avec 10 000 hommes. La Turquie, elle, vit un moment difficile
de son histoire politique. Si bien sûr R.T. Erdogan conserve ses ambitions
néo-califales au Moyen-Orient, il est fragilisé sur le plan intérieur par la
défaite de son parti – l’AKP – aux élections municipales d’Istanbul de 2019 et
par la crise économique.
L’Iran, qui soutient quant à lui le Qatar depuis le Printemps 2017, vit une
situation extrêmement préoccupante. Compte tenu de l’embargo américain,
ses exportations de pétrole ont chuté de moitié, passant de 1 million de barils
à moins de 500 000 par jour et, avec une inflation de 40 %, sa monnaie a
perdu près de 50 % de sa valeur au marché noir. En outre, son territoire fait
face à un stress hydrique sans précédent : des millions d’Iraniens n’ont plus
d’accès direct à l’eau potable. La population, dans son ensemble, se montre
donc critique envers un gouvernement qui se préoccupe trop des affaires
extérieures, quand l’urgence sociale et économique se trouve à l’intérieur du
pays.
Le régime qatari, bien qu’il semble à priori stable et peu enclin à céder aux
pressions américaines, devra ainsi, tôt ou tard, faire des concessions face à un
Donald Trump qui ne veut pas entendre parler, à l’instar de son protégé
saoudien, d’alliance entre Téhéran et Doha. Comme l’explique Roland
Lombardi, « Trump est un businessman et un réaliste, notamment vis à vis de
l’Iran. S’il s’est aligné sur l’ancienne politique néo-conservatrice américaine
et qu’il fait appel à des faucons comme Bolton, ce n’est que pour des raisons
de politique interne et pour donner des gages à Israël. À terme, il fera en
sorte que la pression qu’il met sur l’Iran, de plus en plus isolé et très affaibli,
l’oblige à revenir à la table des négociations ». Plus largement, il faut
rappeler que malgré leur rapprochement, la Turquie, l’Iran et le Qatar n’ont
pas été alignés concernant les Printemps arabes. En Syrie notamment, l’Iran a
soutenu le plan de Bachar al-Assad aux côtés de la Russie, quand le Qatar a
financé les jihadistes d’Al- Nosra notamment. Enfin, Ankara et Doha doivent
se méfier d’une Confrérie qui a toujours fait passer ses intérêts avant ceux de
ses soutiens. Cela sans compter que l’ Arabie saoudite, comme les Émirats
arabes unis qui l’ont classé sur leurs listes des organisations terroristes,
n’entend rien céder au Qatar. Un diplomate émirien, interrogé au mois de
juin 2019, nous confiait, sous couvert d’anonymat : « Nous ne pouvons
tolérer une organisation qui adhère à une idéologie archaïque et
déstabilisatrice. Le fait que La Confrérie, soutenue par le Qatar, entretienne
depuis longtemps des liens avec des organisations terroristes n’est pas
acceptable. La politique de l’émirat représente une menace non seulement
pour la sécurité et la stabilité des États arabes, mais également pour la
sécurité des autres pays du monde. Le boycott du Qatar se poursuivra donc
tant que ses dirigeants continueront à saper la sécurité et la stabilité de la
région. Le soutien du Qatar, y compris financier, aux organisations
extrémistes et terroristes, et son ingérence dans les affaires intérieures
d’autres États, restent donc au cœur des préoccupations de la crise actuelle
(…)».

Quelle issue pour les Frères ?


Les Frères musulmans ont tissé une toile gigantesque depuis Doha. Ils
s’appuient surtout sur les financements de l’émirat et ses moyens illimités.
Pour eux, le Qatar est à la fois un sponsor et un sanctuaire. Une source proche
du palais nous expliquait, en mai 2019, que « l’émir a bien pensé, un temps,
rompre avec La Confrérie. Lorsqu’il a pris la succession de son père en 2013,
il y a eu de nombreuses pressions des milieux qataris wahhabites les plus
conservateurs, lesquels ne veulent pas d’affrontement avec l’Arabie saoudite.
Puis il est revenu sur sa position (…). Aujourd’hui, il voit surtout que les
Américains ne tiennent plus la même ligne face à La Confrérie. Donald
Trump a été clair, il ne veut plus en entendre parler, et la considère très
dangereuse pour la stabilité de la région et du monde. En même temps, les
Américains ont besoin du Qatar pour des raisons militaires et diplomatiques,
et n’ont pas vraiment intérêt à fragiliser davantage le régime. De fait, Tamim
essaye de maintenir de bons rapports avec chacun, ce qui est sans aucun
doute difficile, mais c’est ce qui fait aussi sa force. Il s’agit là d’un calcul très
diplomatique de sa part, même si sur le fond, il sait que l’islam politique est
une voie à conserver. Pour lui, les Frères ne sont pas le sujet et, de façon
générale, les Qataris ne veulent pas en entendre parler. Il s’agit plutôt de
miser sur la voie politique qui peut apparaître comme une option politique de
moyen terme pour plusieurs pays de la région en proie à des crises politiques
graves, car les gens aspirent à autre chose qu’à des dictatures qui ne
répondent plus au besoin des populations arabes. On ne peut dire ce qu’il en
sortira, mais si une chose est certaine, c’est qu’ils ont un discours qui
redonne de l’espoir aux Arabes, car ils parlent de changement. L’Émir sait
que le monde arabe, dans sa globalité, aspire à de profonds changements
(…) ». Notre interlocuteur ne croit pas si bien dire. En effet, le Cheikh
Tamim continue de miser sur les Frères car il les considère comme une
alternative possible à de nombreux régimes et comme moyen de pression face
à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

Le Qatar : « honest broker » entre «


mécréants » occidentaux et jihadistes…
Il serait erroné de croire que le Qatar n’aide que les islamistes
« de gouvernement », car l’émirat a une main dans « l’islamisme soft » et
l’autre dans le jihadisme. Le Qatar, pays fragile, veut en fait être l’ami de
tous. Il a en fait toujours entretenu des relations étroites avec toute sorte de
mouvances islamistes radicales, des plus politiques aux plus violentes. Le
Hamas, groupe terroriste sunnite frériste le plus célèbre qui reçoit depuis
longtemps un soutien de Doha, dont le leader, Khaled Meshaal – récemment
remplacé comme leader politique du Hamas – est d’ailleurs « hébergé » par
l’émirat. Rappelons tout de même que le Hamas, bien qu’ayant une façade
politique qui a remporté des élections à Gaza, figure sur la liste des
organisations terroristes. À ce titre, le Qatar est normalement sommé
d’expulser ou d’extrader ses figures comme Khaled Meshaal et d’autres
25
jihadistes ayant bénéficié de « l’hospitalité qataro-bédouine » . Selon
le Consortium Against Terrorist Finance (CATF), la banque qatarie Qatar
Islamic Bank liée au Qatar Investment Authority (voir supra ), entretiendrait
des relations bancaires avec des institutions en lien avec des groupes
26
terroristes ou extrémistes . Ces informations ont été corroborées par de
nombreuses analyses du Trésor américain notamment.
Tout comme la Turquie, l’émirat se positionne comme un intermédiaire
incontournable entre les islamistes et leurs ennemis. Exemple parmi tant
d’autres : c’est au Qatar que les États-Unis négocient actuellement avec les
Talibans – qui y ont une représentation – l’avenir politique de l’Afghanistan.
On croise aussi dans la capitale qatarie des agents financiers de Daech. Doha
a été également accusé de soutenir financièrement, certes de façon non
officielle, via des riches qataris ou des « ONG d’Allah », d’autres
organisations islamo-terroristes : Al- Qaïda, ou Al- Nosra en Syrie (ex-
branche d’Al-Qaïda locale fondue depuis, sur demande de Doha, dans la
« coalition Hayat Tahrir al-Sham »). L’émirat dément clairement, certes, mais
les doutes persistent. En 2012, le Qatar s’était par exemple engagé à verser
250 millions de dollars au Hamas puis aurait également versé 175 millions de
dollars à des groupes affiliés aux Frères musulmans au Danemark, en France,
27
en Italie, et au Royaume-Uni . Dans une interview que nous avons faite de
28
lui le 9 avril 2019, Jean-Pierre Maronjiu , le Français qui fut détenu
arbitrairement au Qatar durant 1744 jours dont nous avons déjà évoqué le
nom, a d’ailleurs raconté qu’il a été au contact, durant sa captivité, de
plusieurs membres de fils de grandes familles qataries ayant rejoint l’État
Islamique, lesquels bénéficiaient d’un traitement VIP, avant d’être libérés.

D’Al-Nosra et Daech en Syrie,


au Hamas palestinien et aux Shabbab
somaliens
Le Qatar serait ainsi – avec le Koweït, la Turquie, l’Iran, l’ Arabie
saoudite – l’une des principales sources de financement et de parrainage des
islamistes dans le monde, des Frères musulmans « modérés » aux jihadistes
terroristes. Selon les autorités américaines et les services de renseignements
occidentaux, la Qatar Charity (QCO) précédemment citée aurait joué un rôle
29
majeur dans le soutien au jihadisme . Les chercheurs Daveed Gartenstein-
Ross et Aaron Y. Zelin, du think tank américain Washington Institute for
Near East Policy, estiment que la QCO aurait co-financé des mouvements
30
islamistes sous couvert d’aide humanitaire , et, avec d’autres associations
caritatives qataries des groupes agissant dans le Sahel comme le Mouvement
national de libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Dine, ainsi qu’ Aqmi et le
Mujao. Ces accusations ont été corroborées par le maire de la ville malienne,
Sadou Diallo. Le Qatar a d’ailleurs critiqué l’opération anti-terroriste
31
française dans le Sahel, dite « Serval » . Selon le gouvernement américain,
la Qatar Charity aurait été citée par Oussama ben Laden en 1993 comme l’une
des associations caritatives finançant les opérations d’Al- Qaïda au niveau
32
international . Jamal Ahmed al-Fadl, ancien membre d’Al-Qaïda et de la
Qatar Charitable Society (l’entité prédécesseur de la QCO), a confirmé la
33
relation entre les deux organisations . Dans le cadre d’un témoignage auprès
de la justice américaine en février 2001, il a révélé que l’ex-président de la
Qatar Charity, Abdullah Mohamed Youssef, était un membre d’Al-Qaïda et
du groupe islamiste soudanais Front Natioal Islamique de Hassan al-Tourabi.
Un document émanant du ministère de la Justice américain ainsi que le
34
rapport précité de Gartenstein – Ross et Zelin , ont d’ailleurs montré que le
Front Islamique syrien (groupe de six organisations jihadistes anti- Assad) a
bénéficié de financements de la QCO pour l’achat de matériel, ce que le
groupe jihadiste a d’ailleurs reconnu dans une vidéo montrant des
combattants en train de distribuer des vivres aux civils syriens provenant de
boîtes portant le logo de Qatar Charity.
En février 2015, Yahia Sadam, un responsable de l’aide humanitaire dans
le mouvement de libération soudanais Minni Minnawi, a quant à lui accusé
35

Qatar Charity d’avoir assisté les troupes soudanaises dans leurs raids
meurtriers contre la population civile via le « blanchissement » de fonds issus
de l’industrie pétrolière soudanaise. En Israël, la QCO figure sur une liste
noire de 163 organismes de bienfaisance entretenant des liens avec le
36
terrorisme , notamment le Jihad islamique et le Hamas. De façon publique,
le Qatar a salué, par la voix de Khalid al-Attiyah, le ministre des Affaires
étrangères qatari, le groupe jihadiste « rebelle » syrien Ahrar al-Sham, qui a
confisqué la rébellion anti-Assad aux modérés et participé à la dérive sectaire
et barbare de l’opposition en coopération avec Al- Nosra/ Hayat Tahrir al-
Sham, noms paravents d’Al-Qaïda en Syrie. Ahrar al-Sham a notamment
prêté main forte à Daech à Raqqa. Selon les mêmes sources, quatre ministères
régaliens du gouvernement qatari auraient eu des relations avec des groupes
armés en Syrie et en Libye : les Affaires étrangères, la Défense, les services
secrets, le Country’s intelligence agency, puis le Bureau de l’émir Tamim bin
Hamad al-Thani. En Syrie, le Qatar aurait apporté une aide financière et
militaire aux rebelles islamistes via des transferts de fonds à des
intermédiaires financiers en Turquie qui achetaient ensuite des armes en
Europe de l’Est pour les acheminer en Syrie. Dans le cadre d’un témoignage
auprès de la justice américaine en février 2001, il été a révélé que le président
à cette époque de la Qatar Charitable Society, Abdullah Mohamed Yousef,
aurait été un membre d’Al-Qaïda et du groupe islamiste soudanais National
37
Islamic Front, qui avait accueilli Oussama ben Laden dans les années 1990 .
Si en 2011, le Qatar a été loué par de nombreuses chancelleries
occidentales pour le rôle dans « la création d’un environnement propice au
Printemps arabe », il aurait dans le même temps soutenu, d’après le Trésor
américain et les services de renseignements occidentaux, les islamistes
radicaux qui allaient remplacer les dictateurs laïques en Tunisie, en Libye et
en Égypte, au Yémen, en Syrie ou ailleurs. Le général Jonathan Shaw, ancien
chef d’état-major adjoint de la Défense britannique, a d’ailleurs accusé le
Qatar et l’ Arabie saoudite de contribuer à la propagation de l’islam radical :
« sous prétexte d’éducation religieuse, le salafisme wahhabite a allumé la
mèche d’une authentique bombe à retardement mondiale. L’argent saoudien
et qatari est à la manœuvre et cela doit cesser », a-t-il déclaré. C’est ainsi
38
qu’un rapport publié par le Center on Sanctions and Illicit Finances a
identifié Doha comme la place financière concentrant le plus de dons privés
alloués à des groupes terroristes islamistes. Le Qatar abriterait en effet les
bailleurs de fonds des groupes djihadistes comme le Front Al- Nosra (syrien),
Al-Shabaab , Al-Qaïda au Maghreb islamique (Afrique du Nord). Les experts
de l’antiterrorisme rejettent l’argument selon lequel l’État qatari serait
« incapable » de tarir ce flux et de contrôler son territoire, ses institutions et
ses princes et riches donateurs, car sa population est dérisoire alors que ses
moyens financiers sont immenses. En réalité, Doha a longtemps refusé de
poursuivre efficacement les financiers des groupes islamistes et jihadistes, car
du point de vue de la raison d’État qatarie, ces groupes apparaissaient comme
des outils d’une vaste stratégie d’influence . Rappelons qu’après
l’inauguration par Doha – sous pression de l’Occident et des Nations Unies –
de la Financial Intelligence Unit en 2004, puis du Comité de lutte contre le
terrorisme, en 2010 (qui auraient pu contribuer à tarir les financements du
jihadisme), une seule transaction financière « suspecte » fut identifiée par ces
entités…
Mieux, d’après un rapport du Trésor américain rendu public fin
septembre 2014, le Qatar aurait financé un moment les jihadistes de l’État
39
Islamique . Certes, c’est depuis la base Al-Udai, à Doha, que s’envolent les
avions américains partis bombarder les jihadistes afghans ou syriens, mais le
Trésor américain nomme un certain Tariq al-Harzi, alors en charge de
l’accueil des jihadistes étrangers à la frontière turco-syrienne.
Al-Harzi a avoué avoir levé à lui seul au Qatar au moins deux millions de
dollars via des intermédiaires financiers du pays, dans le but de les reverser à
40
l’armée du Califat islamique . D’après des agences spécialisées dans le
financement du terrorisme, des milliards de dollars auraient été ainsi collectés
au Qatar de façon si publique que certains ont parlé de « Téléthon du
jihad »… Doha ne fit preuve alors d’aucune vigilance, les autorités qataries
ayant beau jeu de répondre que l’on ne peut empêcher les riches Qataris de
pratiquer l’aumône légale de façon privée…
Peu satisfait de cette version, l’ex-vice-président américain Joe Biden a
déclaré publiquement, en octobre 2014, lors d’une conférence du Forum John
F. Kennedy à l’Université d’Harvard, que « les alliés sunnites de l’Amérique
sont responsables du financement d’Al- Qaïda et Daech, notamment la
Turquie, l’ Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït ». Quant à David Cohen,
ex-sous-secrétaire américain pour le terrorisme et le renseignement financier
au Trésor US, il a affirmé qu’« il y a au Qatar des financiers du terrorisme
désignés comme tels par les États-Unis et les Nations Unies et qui ont
41
bénéficié de la protection de la loi qatarie » , notamment deux figures
proches de la dynastie Al-Thani que sont Khalifa al-Subaiy et Abd Al-
Rahman ben Umayr al- Nuaimi. Ces derniers figurent sur les listes noires du
terrorisme jihadiste dressées par Washington en décembre 2013 et par l’ONU
en août 2014. Pour ce qui est d’Al-Nuaimi, universitaire et homme d’affaires
qatari visé par des sanctions américaines depuis décembre 2014, cofondateur
42
de la fondation suisse Alkarama , il figure sur la liste noire terroriste de
l’Union européenne, des États-Unis et des Nations Unies pour avoir fondé le
groupe islamiste libanais Asbat al-Ansar puis des cellules irakiennes d’Al-
Qaïda depuis 2003 et d’Al-Shabaab en Somalie, via des paiements mensuels
s’élevant à deux millions de dollars. Il ne fut toutefois pas arrêté par les
autorités du Qatar et il put même bénéficier d’une protection garantie par ses
43
liens avec les élites du pays . Al-Nuaimi était en fait une figure de premier
plan de l’Université du Qatar – fondée par la famille royale en 1973, où il fut
même élu, en 2004, président du Centre arabe pour la recherche et les études
politiques. Il occupa par ailleurs des postes importants au sein de
l’Association de bienfaisance Mohammed Ben Eid al-Thani, de la Banque
islamique du Qatar et de la Qatar Football Association, qui donna naissance à
l’ONG « Coalition mondiale anti-agression ». Celle-ci soutint pendant des
années la « résistance » en Irak, en Somalie et à Gaza, en fait des groupes
44
jihadistes-salafistes . Quant à Khalifa Al-Subaiy, cet ancien employé de la
Banque Centrale qatarie a été identifié comme « un financier du terrorisme
basé au Qatar et un négociateur qui a agi au nom de la haute direction d’Al-
Qaïda dont l’un de ses hauts dirigeants Khalid Sheikh Mohammed lui-même
45
» (cerveau des attaques du 11 septembre capturé en mars 2003)
. Rappelons qu’Al-Subaiy vivait librement au Qatar alors qu’il était recherché
par les États-Unis pour terrorisme. Al-Subaiy et Al-Nuaimi ont pu maintenir
des relations étroites avec des dirigeants qataris, y compris au sein de la
dynastie Al-Thani, ce qui leur a permis d’échapper aux demandes
d’extradition. En Libye, la coalition islamiste (Salafistes et Frères
musulmans) – appelée « Aube libyenne » (Fajr Libya), aurait été l’un des
principaux bénéficiaires de ces aides. Les services occidentaux suspectent
également l’émirat du Qatar d’avoir livré des armements en Syrie, au Mali ou
en Libye, en violation des embargos sur les armes, notamment en direction de
Misrata, près de Tripoli, non loin des bases de Fajr Libya et de la coalition des
milices islamistes.
D’après les conclusions du rapport du Center on Sanctions and Illicit
Finance, reprises par le Trésor américain, ces deux cas illustreraient le double
jeu du Qatar. Depuis 2012, le Trésor américain a également identifié un autre
prédicateur, koweitien, celui-là, qui se rendait régulièrement au Qatar, Hajjaj
Al-Ajmi, qui déclare sur des vidéos ou devant des publics qataris respectables
que l’aide humanitaire en Syrie est importante mais que la priorité est de
46
soutenir les jihadistes . Dans le cadre de l’enquête des services de
renseignements britanniques sur le cas du jihadiste anglais Djihad John, l’un
47
des bourreaux officiels de l’État islamique , on a également découvert
qu’un certain Mohamed Al-Arifi, ex-recruteur des volontaires jihadistes
britanniques, séjournait régulièrement en toute tranquillité à Doha .
Aujourd’hui interdit de séjour au Royaume-Uni pour avoir préparé deux
Britanniques au jihad, Al-Arifi ne semble pas avoir été expulsé du Qatar
malgré son action de recruteur de jihadistes.
Certes, au Qatar, des lois récemment adoptées répriment le blanchiment
d’argent et le financement des organisations terroristes, mais leur mise en
48
application aurait fait preuve de « graves carences » . Face aux accusations
du Trésor américain selon laquelle Doha aurait permis à des ONG d’Allah de
récolter des fonds privés pour des motifs « humanitaires », via la zakat , afin
de les acheminer au profit de groupes jihadistes (cautionnant ainsi un vaste
trafic d’armes incluant des missiles anti-aériens envoyés en Syrie), le Qatar
rappelle que l’armée américaine dispose sur son territoire d’un centre de
commandement pour tout le Moyen-Orient, le Centcom et qu’il est « hélas »
impossible de contrôler tous les dons caritatifs effectués par les sujets qataris
ou autres. Et à ceux qui accusent ce drôle « d’ami » de l’Occident d’avoir été
le bailleur de fonds numéro 1 de la rébellion islamiste syrienne, avec 3
milliards de dollars dépensés rien que de 2011 à 2013, notamment au profit
du « Front Al- Nosra », le Qatar répond qu’il ne s’agissait point d’une
politique d’État, mais d’initiatives privées. Alors qu’il a une main dans les
affaires au sein de l’économie mondiale et des démocraties occidentales, ainsi
qu’une image de pays « pacifique » dont la seule arme serait le soft power, les
médias et le foot (« religion de l’Occident » qui permet d’endormir la
méfiance des « mécréants »), le Qatar aurait donc « une autre main » dans la
promotion de l’islamisme sous toutes ses formes.

La « tradition bédouine d’accueil »


L’un des deux auteurs du présent ouvrage ( Alexandre del Valle) se
souvient d’une rencontre orwellienne avec un haut diplomate qatari, cultivé et
courtois, qui lui expliquait – assez franchement d’ailleurs – que « le
Qatar n’accueille pas des terroristes, mais entretient des bonnes relations
avec tout le monde dans un soucis de dialogue entre l’Orient et l’Occident, en
tant que pont entre les Nations ». Il expliquait par ailleurs que la politique du
Qatar consiste à prendre acte du fait que l’islam politique des Frères
musulmans, qui joue le jeu des élections libres, est préférable aux coups
d’État et aux dictatures sanguinaires et corrompues qui nient les aspirations
des peuples. À la question suivante : « mais vous reconnaissez officiellement
les Talibans, aidez des jihadistes somaliens, financez le Hamas palestiniens et
nombre de jihadistes en Syrie, et vous avez même donné l’asile à des
recruteurs terroristes islamistes qui collectent des fonds sur votre sol de façon
publique et officielle ! », le diplomate répondit calmement : « Notre pays n’a
jamais accueilli des terroristes ou des financiers du jihadisme sur son sol,
mais la tradition bédouine, sacrée chez nous, veut que lorsque l’on accueille
des personnes en les estimant honnêtes, si l’on se rend compte après coup
qu’ils ont des liens des activités douteuses, nous pouvons difficilement leur
retirer d’un coup notre hospitalité, surtout s’ils se conduisent correctement
chez nous et si nous manquons de preuves contre eux (…). Je vous rappellerai
qu’au Qatar, société tribale, très traditionnelle encore très peu urbanisée il y
a quelques décennies, persiste une antique tradition bédouine qui consiste à
ne pas retirer une hospitalité offerte, et le fait de maintenir des liens avec des
rébellions et des groupes radicaux ailleurs, sans en cautionner bien sûr les
actes violents, sauf pour les résistances en Syrie et à Gaza, nous permet
d’aider nos amis occidentaux ou autres d’obtenir des libérations d’otages, de
rechercher des solutions et négocier avec toutes les parties comme
intermédiaire en faveur de la paix… ».
En fait, le diplomate, au demeurant ouvert, mais conscient que l’ « on ne
peut pas demander à des sociétés islamiques traditionnelles de devenir
modernes d’un coup, et qu’il faut de la patience », a nié que son pays ait
hébergé des terroristes ou laissé libre d’action des récolteurs de fonds pro-
jihadistes dans l’émirat. Mais après que nous ayons mentionné les noms des
figures jihadistes précitées, qui ont apparemment agi sur le sol qatari de façon
publique, il a finalement eu cette réponse au demeurant assez franche : «
nombre de pays arabes étant des dictatures qui empêchent l’islam politique
de s’exprimer par les urnes, il ne fallait pas s’étonner de la radicalisation des
islamistes, l’émirat ayant vocation finalement à favoriser partout une
représentation » démocratique » et libre de l’islam politique, meilleur moyen
de juguler la « réaction » jihadiste ». Par contre, il demeura plus silencieux
face à notre allusion au fait que le Qatar est favorable au système de
représentation démocratique des islamistes, à condition que l’émirat en soit
exempté et donc que les Ikhwan qui y sont hébergés n’y entreprennent aucune
action subversive.

Le Koweit, l’autre financier des Ikhwan en


Europe
Comme le Qatar ou la Turquie, le Koweït, dirigé par une famille régnante
indéboulonnable, les Al- Sabah (forte de 12 000 membres, dont dix forment le
Haut Conseil) protégée par l’Occident et dont l’émir-souverain actuel est
Sabah Al-Ahmed Al-Jaber, est l’un des principaux sponsors des Frères
musulmans en Europe et en Occident. C’est en fait en réaction à l’idéologie
nationaliste arabe gauchisante et laïque que, dans les années 1970, un courant
de pensée néo-islamiste s’est renforcé au Koweït, avec notamment l’accueil
des Frères musulmans égyptiens qui fuyaient les persécutions sous Nasser.
Officiellement reconnus par les pouvoirs publics, ceux-ci opèrent en toute
légalité dans ce pays sunnite, de rite malékite orthodoxe, mais miné par
l’influence d’oulémas wahhabites venus du Najd ( Arabie saoudite) dès le
e
XVIII siècle.
Comme nous l’avons vu plus haut ( chapitre II ), c’est aux Pays-Bas que
les Frères musulmans ont bénéficié des financements koweitiens dans le cadre
de leur plus important projet de Grande Mosquée et centre islamique, ladite
« Mosquée Bleue », située en banlieue d’Amsterdam (Sloterdjik). Le ministre
des Affaires religieuses du Koweït a fourni les 2 millions d’euros nécessaires
et paie les salaires de l’imam de la grande mosquée d’Amsterdam dont le
Koweït est propriétaire. Ces financements koweïtiens passent par le Europe
Trust Nederland, présidé par le ministre koweïtien des Affaires religieuses
(al-‘Awkâf), Mou t la k al-Qaraoui. D’après la revue américaine Middle East
Quaterly , le Europe Trust, basé en Grande Bretagne – grand allié du
Koweït – canaliserait « l’argent provenant du golfe Persique vers des
groupes bien disposés à l’égard des Frères musulmans en Europe,
49
principalement pour la construction de mosquées » . Codirigé par Ahmad
al-Râwi, cadre des Frères au Royaume-Uni et Nooh al-Kaddo, un Irakien qui
dirige le Centre culturel islamique d’Irlande (ICCI), le Europe Trust est lié au
Conseil européen de la Fatwa et de la Recherche, longtemps dirigé par Al-
Qardaoui. Al-Kaddo est par ailleurs mandataire du Human Appeal
International, association caritative liée au Hamas qui tient la plus grande
mosquée de l’Union européenne, la Mosquée al-Salâm à Rotterdam, aux
50
minarets de 50 mètres de haut, point le plus élevé de la ville . Aux États-
Unis, le célèbre Centre culturel islamique de New-York, lié aux Frères et
fondé par Muhammad ‘Abdul Ra’ouf, père de l’ancien imam de la mosquée
Ground Zero/Park 51, Faisal Ra’ouf, est également financé par le
51
gouvernement koweïtien . Le Europe Trust et sa Fondation NEFA ont en
outre acheté des propriétés en France, en Grèce, en Roumanie et en
Allemagne.
Les Pays-Bas ne sont pas les seuls bénéficiaires des largesses du Koweït.
En juin 2019, l’helvéto-tunisien Mohamed Karmous, dont nous avions évoqué
l’action prosélyte en Suisse (voir chapitre II ), créateur d’une dizaine
d’associations islamistes, a reçu un chèque de 140 000 dollars des mains
mêmes de l’ambassadeur du Koweït en Suisse, Bader Al-Tunaib, pour son
projet de « centre culturel islamique » et son « Musée des civilisations de
l’islam », initié dans les années 2000. En Suisse, le Koweït entend
officiellement contribuer à « renforcer la conscience à propos de l’islam
». Mohamed Karmous a également animé, à Genève, une fondation où
siégeait Youssef Al-Qardaoui : l’International Islamic Charitable
Organization, Sharq Koweit , créée en 1987. Ses buts officiels sont d’« aider
les nécessiteux, les malades, les orphelins, les victimes de catastrophes et de
famines, diffuser la culture islamique et faire connaître les principes de
l’éthique de la religion islamique ». Quelques mois plus tôt au début de
l’année 2019, l’ambassadeur du Koweit au Canada a offert à Samer Majzoub,
un leader de La Confrérie des Ikhwan au Québec, 76 000 dollars pour l’école
musulmane fondée à Pierrefonds, dans un quartier de Montréal.
Comme souvent, la frontière entre d’une par les Frères « présentables »,
adeptes du « Projet » d’islamisation pacifique de l’Occident par la Da’w à, et,
d’autre part, les mouvances jihadistes, est poreuse. C’est fort de ce constat
que lors d’une déclaration de 2003, un ancien coordinateur de la Sécurité
Nationale et du contre-terrorisme, Richard Clarke, avait dénoncé devant le
Comité du système bancaire du Sénat des États-Unis le fait que « plusieurs
opérations d’Al- Qaïda auraient été associées aux Frères musulmans
koweïtiens », ce qui qui a même inclut la tête pensante de l’attentat du
11 septembre 2001, Khalid Sheikh Mohammad, puis Ramzi Yousef, maître
d’œuvre de la première attaque du Word Trade Center en 1993. Clarke a
également affirmé que « le gouvernement koweïtien a fourni un financement
substantiel aux associations caritatives contrôlées par les Frères du Koweït,
comme la Lajnat al-Da’wa, désignée par le département du Trésor des États-
Unis et le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 9 janvier 2003, comme
soutien d’Al-Qaïda. » Malgré cela, Lajnat al-Da’wa possède toujours une
représentation dans le Michigan, le Colorado et en Virginie du Nord. D’après
des télégrammes publiés par Wikileaks concernant le financement du
terrorisme et diffusés par le New York Times, le Koweït serait « le seul pays
du Golfe où le financement du terrorisme n’a jamais pu être criminalisé, un
52
point-clé du transit » . Le rapport précité du Département d’État publié en
2013 dépeint le Koweït comme « l’épicentre du financement des groupes
terroristes en Syrie », sachant que nombre de légion islamistes anti- Assad
sont liées aux Frères et ont souvent été alliées à Al-Qaïda, notamment dans le
Nord-Ouest du Pays, Idlib, que le régime d’Assad et ses alliés russes essaient
de reprendre non sans difficulté. Pour arriver à leurs fins puis faire des
transactions, les terroristes de nombreux pays ont bénéficié des larges
capacités de recyclage des systèmes financiers du pays, souvent via des
banques peu regardantes, des « d’ONG d’Allah », des princes ou riches
hommes d’affaires privés. Certes, comme pour le Qatar, le Koweït ne finance
ni ne soutient officiellement le terrorisme, qu’il dénonce et combat par
ailleurs avec ses alliés occidentaux, mais l’appui aux jihadistes et aux groupes
terroristes s’effectue via des organismes charitables et des comptes bancaires
privés peu ou mal contrôlés. C’est ainsi qu’en février 2014, l’ancien Premier
ministre irakien chiite, Nouri al-Maliki, avait accusé le Koweït, le Qatar et l’
Arabie saoudite d’avoir indirectement « attaqué » la Syrie et l’Irak à travers
l’envoi de moujahidines et de fonds privés prélevés dans ces pays et destinés
à des groupes jihadistes divers. Les services occidentaux, russes et indiens
sont aujourd’hui convaincus que pratiquement tous les groupes salafistes-
jihadistes, de l’EI à Al- Nosra, en passant par les jihadistes maliens anti-
Français, AQMI, Boko Haram ou les Shabbab somaliens, ont bénéficié à un
moment ou à un autre de ces « dons privés » en provenance du Koweït, pays
de « transit » favori de la finance terroriste. D’après un rapport du Brookings
53
Institute , le Koweït serait même devenu un temps « une plaque tournante
du financement de la myriade de groupes rebelles en Syrie », à hauteur de
centaines de millions de dollars, chaque brigade pouvant collecter jusqu’à
trois millions de dollars par an. Selon des experts de la direction du
Renseignement militaire français (DRM), chaque groupe aurait reçu en
moyenne de 840 000 à 3 400 000 de dollars par an. Grâce à une législation
particulièrement laxiste au Koweït, des hommes d’affaire auraient fait
transiter des sommes colossales via la Turquie ou la Jordanie pour financer la
rébellion syrienne jihadiste tandis que des membres de la minorité chiite au
Koweït soutiendraient, quant à eux, le régime d’Assad. Ce paradoxe apparent,
en réalité dû au fait que ces pays gérés de façon clanique ne contrôlent pas
grand-chose, explique d’ailleurs en partie les attentats anti-chiites très
meurtriers qui ont été perpétrés dans le pays en « représailles ». Il est vrai que
le système bancaire du pays est dépourvu de normes de lutte contre le
blanchiment d’argent et favorise l’hawala, système islamique traditionnel non
traçable informatiquement de transferts de fonds de personnes à personnes,
donc qui corrobore en partie la thèse des Koweitiens et des Qataris selon
laquelle il est presque impossible de contrôler les flux privés.
Certes, les choses ont un peu changé depuis que les États-Unis et d’autres
pays occidentaux mais aussi Moscou ont exercé des pressions afin que le
Koweït, le Qatar mais aussi l’Arabie saoudite prennent des mesures claires
contre le financement du jihadisme. Conscients de ce problème majeur, les
pays occidentaux ont tenté de lutter contre cette opacité du système bancaire
et de la société koweitiennes lorsque, fin 2013, David S. Cohen, le sous-
secrétaire du Trésor américain chargé du terrorisme et du renseignement
financier, a reconnu officiellement que ce pays « ami » n’avait jamais aboli
des lois permissives qui ont permis de blanchir ou faire transiter en toute
impunité l’argent du terrorisme. C’est dans ce contexte que les autorités
koweïtiennes ont fini par adopter, pour la première fois, en juin 2013, une loi
créant l’infraction de « financement du terrorisme », puis mis sur pied un
groupe de travail chargé de dresser une liste noire des bénéficiaires des
paiements s’élevant à plus de 10 500 dollars. Toutefois, si les circuits
bancaires officiels sont moins ouvertement empruntés par les mécènes des
jihadistes, les circuits plus opaques comme l’ hawala permettent toujours à de
riches koweïtiens – comme à de riches qataris et saoudiens – de faire des dons
à des groupes terroristes via l’aumône légale ( zakat ) et des « ONG
d’Allah », rompues aux systèmes de transferts non traçables.

1 . Depuis 2008, les Qataris sont exonérés de taxe sur les plus-values immobilières et ils ne paient
pas d’impôt sur la fortune (ISF) pendant les cinq premières années de résidence en France.
2 . « La France signe un accord stratégique avec le fonds souverain du Qatar », Le Figaro ,
13 février 2014.
3 . Martinez à Cannes, Palais de la Méditerranée à Nice, Concorde Lafayette et l’hôtel du Louvre à
Paris ; hôtel Raffles (ex-Royal Monceau) et Peninsula ; l’hôtel d’Évreux sur la Place Vendôme,
hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis à Paris ; le Carlton de Cannes, etc.
4 . Entretiens avec l’auteur lors du colloque Sécurité et Société civile de juin 2018 à Lugano.
5 . Christian Chesnot, Georges Malbrunot, Qatar Papers. Comment l’émirat finance l’islam de
France et d’Europe , Michel Lafont, 2019.
6 . http://www.lopinion.fr/20-mai-2013/comment-qatar-finance-mosquees-france-270 .
7 . Lycée musulman privé, sous contrat avec l’État, et proche de l’UOIF.
8 . http://blogs.mediapart.fr/blog/mohamed-louizi/190315/college-lycee-averroes-de-luoif-larbre-
qui-cache-le-desert .
9 . Les comptes de Nectar Trust pour 2017 indiquent qu’elle entretient un partenariat avec le
Emaan Trust de Sheffield, un organisme de bienfaisance au sein duquel Ahmed Al-Rawi, ancien
président de la FIOE et membre éminent des Frères, est administrateur. Cf « Student rent payments
covertly funding Islamist projects – report », RT International, 10 juillet 2015.
10 . Andrew Norfolk, « A shadowy web traced back to Bradford », The Times ,ý 17 août 2015 ;
Camilla Turner, « Government donation to Muslim Charities Forum denounced as “madness” »,
The Telegraph , 23 septembre 2014.
11 . Idem.
12 . « NECTART TRUST – Filing history (free information from Companies House », sur
beta.companieshouse.gov.uk
13 . « Analyse de l’influence du Qatar », Daniel Pipes, « Qatar : U.S. Ally or Global Menace ? » ,
29 janvier 2019.
14 . Le centre islamique d’Ispica recevra 256 956 euros, celui de Catane 428 260 euros, celui de
Messine 879 000 euros et enfin 809 839 euros iront à Comiso, un lieu bien connu pour la présence
de la base des missiles OTAN.
15 . Ibid.
16 . Le néo-containment et les révolutions de couleurs contre la Russie.
17 . Des membres d’Al-Jazeera sont liés aux Frères musulmans : Yasser Abu Hillaleh,
présentateur égyptien Ahmad Mansur ou Wadah Khanfar ; l’ancien DG de la chaîne, membre de
l’organisation en Jordanie et l’un des proches collaborateurs de l’émir du Qatar ; Youssef Al-
Qardaoui et sa femme, qui siège au conseil d’administration ; etc. Des cadres des Frères ont utilisé
Al-Jazeera comme tremplin pour diffuser leur idéologie, notamment le guide suprême des Frères,
Mahdi Akef, ainsi qu’un membre du Conseil général d’orientation de confrérie, Al-Abdul Munim
Abdul Al-Futuh.
18 . Ibid.
19 . https://www.jeuneafrique.com/575688/politique/financement-du-terrorisme-le-qatar-a-
loffensive-pour-redorer-son-image/
20 . Créé en 1981, le Conseil de coopération du Golfe est une organisation régionale regroupant
six monarchies arabes du golfe Persique : l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats
arabes unis et le Qatar. Le 6 juin 2017, plusieurs pays du CCG ont rompu leurs relations
diplomatiques avec Doha, qu’ils accusent notamment de financer les Frères musulmans, considérés
comme organisation terroriste par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
21 . Jean-Pierre Marongiu est un homme d’affaire français expatrié au Qatar, qui fut dépouillé de
son entreprise par un membre de la famille royale qatarie, puis ensuite incarcéré durant près de
5 ans pour ne s’être pas laissé faire. Il est auteur du livre InQarcéré (éditions Les Nouveaux Auteurs
2019), dans lequel il raconte notamment ses années de détention aux côtés d’un membre éminent
de l’opposition qatarienne, Talal ben Abdulaziz al-Tani.
22 . Bien que chiite, l’Iran a toujours soutenu La Confrérie. Il existe une organisation chiite
iranienne liée aux Frères musulmans appelée Fedayin-é-islam. Le conseil de la guidance suprême
iranien a été calqué sur le conseil de la guidance de l’organisation des Frères musulmans.
23 . Médine est la deuxième ville sainte de l’islam après la Mecque. Mahomet s’y est installé après
son départ de la Mecque en 622, regroupant autour de lui des communautés tribales assez
hétéroclites. C’est depuis cette cité que les musulmans ont commencé à rayonner.
24 . La base d’Al Udeid au Qatar abrite notamment l’état-major de la coalition anti-jihadiste
dirigée par les États-Unis.
25 . Nawaf Obaid, « Trump will regret changing his mind about Qatar », 15 août 2018, Foreign
Policy , httpa ://foreign policy.com/2018/08/15/trump-will-regret-changing-his-mind-about-qatar/.
26 . Cf « US Tracks Saudi Bank Favored by Extremists », Wall Street Journal 27 juillet 2007,
« Bin Laden-linked bank not on U.S.terror list », Chicago Tribune , 3 novembre 2001.
27 . Ibid.
28 . Lire à ce sujet : InQarcéré , de Jean-Pierre Marongiu, (éditions les nouveaux auteurs, 2019)
o
29 . « Qatar Commits Usd 40 Million for Un Operations in Gaza », Wikileaks, Qatar Doha, n
09DOHA314_a, 24 mai 2009.
30 . http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/uncharitable-organizations .
31 . Idem.
32 . http://www.investigativeproject.org/documents/case_docs/2517.pdf .
33
. https://en.wikisource.org/wiki/United_States_of_America_v._Usama_bin_Laden/Day_2_6_February_2001
34 . http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/uncharitable-organizations
35 . http://www.sudantribune.com/spip.php?article53958 .
36 . http://www.danilette.com/article-e-supporter-le-ha-64799631.html .
37 . http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/uncharitable-organizations .
38 . « Qatar and Terror finance », http://www.defenddemocracy.org/media-hit/qatar-and-terror-
finance-part-1 .
39 . Jacques Marie Bourget, « Le Trésor américain accuse le Qatar de financer l’État Islamique »,
Monde Afrique, janvier 2015 ; http://www.mondafrique.com/le-tresor-americain-accuse-le-qatar-
de-financer-letat-islamique/ .
40 . Par Colin P. Clarke, Terrorism, Inc. : The Financing of Terrorism, Insurgency, and Irregular
warfare, Praeger Security international, Santa Barbara, 2015, p. 169.
41 . Cf, Center on Sanctions and Illicit Finance, « New FDD Report Reveals Depth of Qatar’s
Terror Financing », David Andrew Weinberg, FDD Press Release, 10 December 2014.
42 . https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl2249.aspx , 18 décembre 2013.
Home Press Center Press Releases « Treasury Designates Al-Qa’ida Supporters in Qatar and
Yemen, Treasury Designates Al-Qa’ida Supporters in Qatar and Yemen ».
43 . Le Trésor américain l’accuse d’avoir envoyé 500 000 euros à Abu Khalid al-Suri, membre
d’Al-Qaïda en Syrie et 250 000 dollars au groupe terroriste somalien Al-Shabaab.
44 . Cette dernière a même organisé, en 2007, des conférences avec l’Union des tribunaux
islamiques somaliens. Selon le Trésor américain, Abdulrahman al-Nuaimi aurait versé
600 000 dollars à Al-Qaida en Syrie alors qu’il était conseiller du gouvernement qatari. Il cofonda
une organisation caritative liée à la famille royale, la Fondation du cheik Eid ben Mohammed Al-
Thani.
45 . Cf Rapport par un rapport officiel « Qatar and Terror Finance », op. Cit.
46 . Andrew Gilligan, « Qatar, le club Med des terroristes », Courrier International, 4 septembre
2014.
47 . Abdel-Majid Abdel Bary ou Jihad John devint célèbre en Syrie en rejoignant le groupe de
bourreaux chargé des prisonniers occidentaux. Il décapita les otages James Foley, Steven Sotloff,
David Haines, Alan Henning, Peter Kassig, Haruna Yukawa and Kenji Goto. Né en 1990 à
Londres, il grandit dans le quartier chic de Maida Vale. Au départ versé dans le rap, ses tubes ont
été diffusés par la BBC. Nommé alors L. Jinny, il fit des concerts avec des grands noms. Il fut
fanatisé par le prédicateur londonien Anjem Choudary qui vantait Da’ech et qualifia les caricatures
de Charlie Hebdo d’ « acte de guerre ».
48 . David Andrew Weinberg « Analysis : Qatar still negligent on terror finance », Long War
Journal, 19 août 2015.
o
49 . Leslie Lebl, Middle East Quarterly, n d’été, « The islamist threat to European Security »,
Middle East Quartely, 2014.
50 . La Mosquée Bleue reçut 2 millions d’euros de la part du Koweït, propriétaire du bâtiment. Le
Koweït finance l’ETN et a fait nommer le ministre koweïtien des Affaires Religieuses, Moutlak al-
Qardaoui à la tête de l’European Trust Nederland. L’une des organisations musulmanes les plus
actives des Pays-Bas est dirigée par le ministère des Affaires religieuses du Koweït dont l’objectif
officiel est de propager l’islam aux non-croyants.
51 . Cf, Abigail R. Esman, Radical State : How Jihad Is Winning Over Democracy in the West
(État radical : Comment le jihad est en train de gagner sur la démocratie en Occident), Praeger,
New York, 2010.
52 . https://wikileaksactu.wordpress.com/tag/financement-de-terroristes/ .
53 . Elizabeth Dickinson, « Playing with Fire : Why Private Gulf Financing for Syria’s Extremist
Rebels Risks Igniting Sectarian Conflict at Home », The Saban Center for Middle East Policy ,
o
Analysis Paper, n 16, décembre 2013.
CHAPITRE V

Le Printemps arabe ou l’« islamisme


démocratique » des Ikhwan
« L’emprise politique des Frères musulmans sur la société arabo-islamique
ne cesse de croître. Partout, leur stratégie d’approche se fait simultanément
sur les plans social, éducatif et politique (…). Les Frères tentent, à leur
manière, de s’ouvrir et d’accepter de participer au jeu démocratique, en
vue d’intégrer leur mouvement aux institutions étatiques des pays
sécularisés. L’accusation de mécréance (kufr) a ainsi disparu de leur
vocabulaire. Selon la nouvelle doctrine, la conquête du pouvoir par les
Frères doit, comme l’a dit Mohamed Mehdi Akef (ndrl : Guide Suprême des
Frères), se faire par étapes et sans violence ».
Zidane Meriboute

Le modèle turc islamo-conservateur et les


révolutions arabes
Entre novembre 2011 et juin 2012, soit à peu près dix années après
l’accession de l’AKP au pouvoir en Turquie, et à la faveur du « Printemps
arabe » et des révolutions qui suivent, plusieurs partis politiques issus des
Ikhwan ont accédé au pouvoir et/ou remporté des victoires électorales en
Tunisie (Ennahda), au Maroc (PJD), ou en Égypte (PLJ), ceci en se référant
explicitement à la « voie islamo-démocratique » initiée par Erdogan et sa
1
formation islamiste, l’AKP . L’idée d’opposer Frères musulmans
(« démocrates musulmans, pro-occidentaux »), réputés « fréquentables »,
d’une part, aux « salafistes-jihadistes » (antidémocrates, terroristes et anti-
occidentaux), d’autre part, a de ce fait connu ses plus grands succès. L’idée,
appuyée apparemment par les faits, était que les islamistes sont pacifiques et
peuvent participer à des élections libres dès qu’on les y autorise, dès qu’ils
cessent d’être persécutés, l’exemple parfait étant offert par l’AKP turc, qui a
conquis le pouvoir démocratiquement, en remportant la quasi-totalité des
élections depuis 2002, sans pour autant rétablir la charià . Le « modèle
islamiste turc », en fait inverse absolu du kémalisme laïque (à la fois
acculturant, autoritaire et anti-pluraliste), serait la preuve absolue que les
anciens partisans de la charià et du Califat deviendraient des « démocrates »,
même imparfaits, comme Erdogan, puisqu’ils gouverneraient par des lois et
non par la terreur. Cette vision, à laquelle semblait croire sincèrement notre
diplomate du Qatar précité, est toutefois discutable même si elle apparaît
cohérente. Il est certes vrai que jusqu’aux répressions violentes des
manifestations pacifiques de la place Taksim et du parc de Gezi, à Istanbul au
printemps 2013, les leaders islamistes « modérés » de l’AKP (Erdogan et
surtout son ex-Premier ministre Abdullah Gül) avaient réussi à persuader
leurs interlocuteurs arabes et occidentaux qu’ils incarnaient une nouvelle
synthèse « islamo-démocratique » indigène, et que cette formule permettrait
même un décollage économique du pays, ce qui a été assez vrai jusqu’à peu.
Fort de ses nombreux succès politiques et économiques, le Président turc
Erdogan, alors encore Premier ministre, et son parti de gouvernement, l’AKP,
sont ainsi devenus les modèles de la plupart des mouvements islamistes issus
de La Confrérie arrivés au pouvoir démocratiquement. Néanmoins, non
seulement le néo-Sultan a montré une face autoritaire et répressive depuis le
coup d’État manqué de juillet 2016 contre lui attribué à Fetullah Gülen et aux
États-Unis, avec l’arrestation de milliers de journalistes, professeurs et
militants politiques puis le renvoi de milliers de fonctionnaires de police et de
la Justice, sans oublier la purge massive au sein de l’armée, mais les
« imitateurs » de l’AKP vainqueurs des premières élections arabes libres, de
Tunis à Rabat, ou Le Caire, n’ont pas démontré qu’ils avaient réellement
renoncé à leurs idéaux théocratiques. Ainsi, les opposants progressistes à
l’islamisme radical et aux dictatures, initiateurs des printemps arabes, ont vu
dans les dérives autoritaires graduelles et « agenda caché » de l’AKP,
d’Ennahda et du PJL de Mohamed Morsi, des preuves que pour les islamistes
de gouvernement, la démocratie serait bien plus un outil pour renverser « par
2
étapes » des pouvoirs militaires anti-islamistes qu’un idéal fondé sur la
liberté de conscience, l’égalité des sexes et des confessions, la sécularisation
et la séparation des pouvoirs. D’où la célèbre phrase du frériste Erdogan : «
la démocratie est comme un tramway, on s’arrête à la station que l’on veut ;
elle n’est pas un but en soi mais un moyen »…
Disciple de Necmettin Erbakan (le fondateur du Milli Görüs, équivalent
turc des Frères musulmans), le président turc Recep Taiyp Erdogan n’a pas
caché son désarroi lorsque son allié Morsi a été évincé du pouvoir en Égypte,
fin 2013, par son ennemi idéologique, Abdelfattah al- Sissi, devenu peu après
président. Pour le site de la TV Al-Arabiya, l’AKP serait même une « branche
des Frères », « donnant des opportunités commerciales à des hommes
3
d’affaires des Frères musulmans par exemple » . Erdogan maintient en effet
des relations serrées avec les Frères américains, rencontrant le président de
l’USCMO (United States Council of Muslim Organizations), organisation des
Frères aux États-Unis, mais aussi un des dirigeants du CAIR, que nous avons
évoqué plus haut. En 2017, Erdogan a hébergé le sommet de l’Organisation
de la Coopération Islamique, à laquelle l’USCMO et d’autres organisations
des Ikhwan ont été accueillis. Erdogan a envoyé une délégation pour
rencontrer les dirigeants du CAIR qui, en 2015, a publié une déclaration
s’opposant à l’appellation de génocide du massacre arménien en 1915.
Plusieurs groupes américains islamistes sont d’ailleurs devenus les avocats les
plus fervents d’Erdogan aux États-Unis. En 2014, l’ISNA (Islamic Society of
North America), une façade des Frères, organisa sa convention annuelle avec
à l’affiche trois personnalités liées au régime d’Erdogan, dont son conseiller
4
Ibrahim Kalin . Lors d’un rassemblement en mars 2018, Erdogan avait joint
le geste des Loups Gris (groupe suprémaciste turc) à celui des Frères
musulmans (la « Rabia »). En 2010, le journal turc Hurriyet Daily News
accusait le régime turc « de permettre au Hamas et aux Frères musulmans de
mener des activités politico-propagandistes sur le sol turc » , remarquant que
sous la férule de l’AKP, la Turquie s’était mise à accueillir de façon régulière
5
des conférences du Hamas et des Frères musulmans . L’article établit que
sur trois ans, le Hamas avait tenu sept conférences et levées de fonds à
6
Istanbul . Les sympathies d’Erdogan pour le Hamas sont connues et il a
7
rencontré Khaled Meshaal à plusieurs reprises .

Flash-back : les Frères à l’assaut du pouvoir,


ou l’OPA sur le « Printemps arabe »
Après s’être imposés en Égypte et grâce aux pétro-gazo-dollars générés
depuis des décennies par les monarchies wahhabites du Golfe, les Frères
musulmans ont organisé la réislamisation en profondeur – via la conquête des
cœurs et des esprits par l’éducation – de pays jadis sécularisés comme
l’Algérie, de la Syrie, la Tunisie, l’Égypte, ou adeptes d’un islam plus ou
moins « modéré », comme le Maroc ou la Jordanie. Ils ont même fait basculer
un temps le Soudan, nous l’avons vu, dans un régime théocratique géré par la
charià .
En Tunisie , après une période de répression durant le régime de Ben Ali,
les Frères, inspirés et appuyés par le néo-Sultan Erdogan, protecteur de tous
les partis arabes issus des Ikhwan , ont réussi à faire de leur mouvance,
Ennahda, un parti démocratique, réformiste et s’affichant même comme
« progressiste », c’est-à-dire ouvert à des alliances avec la gauche tiers-
mondiste. Ennahda prône intelligemment « l’adaptation au contexte » social
et démocratique tunisien qui ne serait « pas prêt pour la théocratie ». Stratégie
des « étapes » oblige. La priorité est par conséquent de prôner un État de droit
et la « justice sociale » au nom de « l’islam du juste milieu » ( Qardaoui/
Ghannouchi), au moyen d’une conquête démocratique graduelle du pouvoir.
Dans le pays qui a inauguré le « printemps arabe » avec la « révolution du
Jasmin », lors des élections de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011,
les progressistes et les libéraux avaient été battus par les islamistes d’Ennahda
forts de 40 % des suffrages et ils avaient choisi dans leurs rangs l’ex-Premier
ministre Hamadi Jebali (remplacé depuis par Ali Larayedh, puis par
l’indépendant Mohdi Jomaa, puis ensuite par un Premier ministre issu d’un
parti anti-islamiste vainqueur d’Ennahda). Ghannouchi assurait qu’Ennahda
était devenu un parti démocratique et qu’il n’imposerait pas la charià . Il
convenait cependant de relativiser cette affirmation, notamment à la vue de
certaines déclarations du dirigeant charismatique de l’islamisme tunisien qui,
8
dans son ouvrage, Les libertés publiques dans l’État islamique , rappelait
que la charià demeure « la source principale de toute législation ». Et
d’ajouter que « le rôle d’un chef d’État est d’accomplir la religion et
d’éduquer l’ Oumma selon l’islam ». Notons qu’Ennahda a fait montre d’un
fort pragmatisme lorsqu’il a assuré avoir renoncé tactiquement à la charià en
mars 2012, lors d’une conférence de presse. Avec cette concession
pragmatique, le parti avait évité l’éclatement de la coalition gouvernementale,
e
mais il adopta tout de même, lors du 9 congrès d’Ennahda organisé les 12-
16 juillet de la même année, une législation visant à criminaliser les
« atteintes au sacré », ce qui était en fait une façon de rétablir un pan de la
9
charià sans le dire clairement . Conséquence directe de ce rétablissement de
la censure, deux blogueurs, Jabeur Mejri et Ghazi Beji, furent condamnés à
sept ans et demi de prison pour « atteinte à la morale, diffamation et
perturbation de l’ordre public », suite à la publication de « caricatures » de
Mahomet sur Facebook. Beiji prit la fuite vers la France, tandis que Mejri a
fini par être gracié par le président Marzouki en 2014. L’attaque de la chaîne
de télévision tunisienne, le 11 octobre 2011, par des centaines d’islamistes
opposés à la diffusion sur Nessma TV du film « blasphématoire » Persepolis ,
fut un autre événement qui inquiéta les forces laïques. Elle incita l’intellectuel
tunisien Samir Amin à écrire cette phrase choquante pour certains : « les
élections, en Égypte comme ailleurs dans le monde, ne sont pas toujours le
meilleur moyen d’asseoir la démocratie, mais souvent celui de mettre un
10
terme à la dynamique des avancées démocratiques » . Dans une interview
11
d’octobre 2005 , Rached Ghannouchi rendait encore hommage au
12
« savantisme du cheikh Youssef El-Qardaoui » .
Persuadé qu’Ennahda menacerait les acquis du bourguibisme en Tunisie,
l’ancien ambassadeur tunisien à l’Unesco et ancien opposant à Ben Ali, Mezri
Haddad, auteur de La face cachée de la révolution tunisienne, Islamisme et
13
Occident, une alliance à haut risque , a dénoncé le double langage
d’Ennahda et des islamistes tunisiens, qui ont pris le pouvoir après la chute de
Ben Ali. L’auteur, philosophe politique et fondateur du Centre International
de Géopolitique et de Prospective (CIGPA), a alors attiré l’attention sur les
procédés, selon lui subversifs, des mouvements islamistes maghrébins issus
des Ikhwan qui tenteraient, comme leurs homologues turcs, d’utiliser
l’Occident et la démocratie pour mieux combattre les valeurs de la laïcité et
ainsi arriver « par étapes » à leurs fins théocratiques : l’application
progressive de la charià . Parallèlement au risque de confiscation progressive
de la démocratie par les Frères, la Tunisie a été en fait confrontée depuis la
chute de Ben Ali à une dérive violente et une montée de l’insécurité
imputables à des groupes islamistes salafistes-jihadistes qui représentent l’aile
la plus violente et incontrôlable de la révolution et qui entretiennent des
rapports ambigus avec Ennahda. Alors au pouvoir, ce dernier les a laissé
quadriller des villes et des quartiers entiers en toute impunité, de peur de
perdre sa base électorale islamiste. C’est dans ce contexte de relative impunité
que de nombreux athées, progressistes, leaders et intellectuels laïques ont été
régulièrement pris pour cibles par les salafistes et certaines milices,
notamment les « protecteurs de la révolution ». Ces derniers sont suspectés
d’avoir fait assassiner, le 18 octobre 2012, Lofti Lagdh, proche du
mouvement nationaliste laïc néo-bourguibiste Nidda Tounès, puis l’autre
grand opposant anti-islamiste de gauche, Chokri Belaid, tué le 6 février 2013,
et même Mohamed Brahmi, abattu le 25 juillet 2013 de 14 balles en pleine
14
tête par un jihadiste franco-tunisien . C’est dans ce contexte que la société
civile tunisienne et les forces progressistes, libérales, anti-islamistes, se sont
mobilisées en masse à partir du printemps 2013, obtenant finalement la
démission du Premier ministre Ali Larayedh en janvier 2014, conformément à
l’accord passé avec l’opposition prévoyant la formation d’un nouveau
gouvernement « neutre » composé de technocrates. Par cette démission, le
mouvement Ennahda, qui craignait un scénario de coup d’État militaire
comme en Égypte, avait accepté de se retirer alors qu’il demeurait la
formation majoritaire jusqu’aux prochaines élections. Depuis, les forces
progressistes, laïques ou nationalistes ex-bourguibistes (parti Nidaa Tounes )
se sont organisées. Le parti Nidaa Tounes ou Appel de la Tunisie,
formation lancée en avril 2012 par l’ancien proche de Habib Bourguiba, Béji
Caïd Essebsi (décédé durant l’été 2019) pour lutter contre Ennahda,
transformé en parti le 16 juin de la même année, est devenu, après sa victoire
aux élections législatives de 2014, la première formation du pays. Mais elle
s’est depuis divisée, et les Frères musulmans ont patiemment attendu
l’occasion de reprendre le pouvoir qu’ils n’avaient d’ailleurs perdu qu’à
moitié puisqu’ils avaient conservé des portefeuilles ministériels, infiltré les
administrations, l’enseignement, les mosquées, et demeuraient bien
représentés au Parlement. C’est ainsi qu’Ennahdha est arrivé en tête lors
d’octobre 2019, avec 52 sièges sur 217, donc premier parti, mais obligé de
composer avec d’autres pour bâtir une majorité.
Au Maroc , le PJD, qui n’est pas une émanation directe des Ikhwan , bien
qu’il s’en inspire, s’est plutôt bien prêté au jeu parlementaire. Sa stratégie a
consisté à s’allier aux forces royales qu’il avait pourtant combattues jadis – y
compris par le terrorisme – et à se réfugier dans une attitude
piétiste/conservatrice et sociale. Il n’a pourtant pas renoncé à la charià ,
présentée comme seule source légitime de la loi, et a proclamé qu’il utiliserait
15
« tous les moyens possibles pour aboutir [au] califat » . Toutefois, ce parti
préfère le « jihad de la da’wa » (prédication) à celui de la violence, tout en
soutenant, hors du Maroc, notamment en Palestine et à Gaza, le Hamas et en
accusant l’« Autorité palestinienne », plus modérée, d’être « laïque ». Lors
des élections du 25 novembre 2011, le PJD, avec 107 sièges, vainquit les
premiers révolutionnaires laïques du « mouvement du 20 février », qui
justifièrent d’ailleurs le boycott des élections par le fait que le PJD et le roi
16
Mohamed VI (pouvoir royal du « makhzen » ) se seraient alliés pour leur
couper l’herbe sous le pied et, ce faisant, pour empêcher une désacralisation
de la monarchie et une laïcisation du royaume qu’ils exigeaient. Ce projet
progressiste-républicain-laïque était autant redouté par le roi que par les
islamistes. Le PJD, qui réalisa le double du score du parti nationaliste Istiqlal,
prit alors la tête d’un gouvernement de coalition, comme en Tunisie,
bénéficiant même des réformes constitutionnelles « démocratiques » (Premier
ministre responsable devant le Parlement et doté de pouvoirs renforcés)
octroyées par le roi Mohamed VI. Ce dernier nomma ainsi Premier ministre
l’homme fort du PJD, Abelilal Benkirane, issu des Frères musulmans. Né en
1954, à Rabat, ce dernier a été membre, en 1975, de l’organisation clandestine
islamiste Chabiba islamiyya (Jeunesses islamiques), qui prônait le terrorisme
contre des partis d’extrême-gauche. On impute notamment aux Chabiba
l’assassinat, en 1975, du dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires
(USFP), Omar Benjelloun. En 1981, Benkirane fonda la Jamaa al-islamiyya,
puis en 1996, le mouvement tout aussi radical, « Unicité et réforme » (MUR).
Il s’allie alors au MPDC d’ Abdelkrim Khatib, proche du Roi Hassan-II. En
1998, le Mouvement populaire démocratique et constitutionnel (MPDC)
devient le PJD actuel, dont il est élu Secrétaire général en 2008. Certes,
Benkirane, qui représentait l’aile dure du mouvement islamiste dans les
17
années 1970-1980 , assura qu’il ne rétablirait pas la charià . Il dut
néanmoins répondre à la « demande d’islamisme » des masses qui avaient
voté pour son parti. Il est d’ailleurs apprécié par les adeptes de la charià pour
certaines de ses positions sociétales jugées obscurantistes par ses opposants
laïques : en 2004, par exemple, il avait dénoncé la réforme royale du code de
la famille ( moudawana ), qui repoussait l’âge légal de mariage pour les
femmes de 15 à 18 ans, limitait la polygamie et interdisait la tutelle du père
18
ou du frère sur les femmes . Il est connu, aussi, pour son refus de la liberté
de croyance, pour sa dénonciation des laïques, des prosélytes chrétiens et de
ceux qui veulent dépénaliser la consommation de nourriture durant le
ramadan. En 2010, il a même tenté de faire interdire la présence du chanteur
19
Elton John, accusé de « risquer d’encourager l’homosexualité au Maroc » .
Le 17 juin 2014, il expliquait devant les parlementaires, après avoir dénoncé
les mœurs des Européens, que « les femmes qui travaillent ne trouvent plus le
temps de se consacrer à leurs enfants et à leur famille (…). C’est une faute
(…). Les foyers marocains se sont éteints lorsque les femmes sont sorties pour
travailler. […] Vous qui êtes là, vous avez été éduqués dans des maisons où il
y avait des lustres. Ces lustres étaient vos mères. […] Nous sommes fiers, car
20
Dieu nous a honorés pour défendre cette dimension » . Les lignes qui
suivent indiquent également comment l’islamisme de matrice fréro-salafiste
gagne du terrain au Maroc en dépit même de l’attachement du roi à un islam
pacifique et soufi assez modéré, quoique classique : en dix ans, le mariage des
mineures, autorisé par les juges, a presque doublé (36 000 en 2013). Fondée
en partie sur la charià , la loi marocaine punit l’avortement, les relations hors
mariage (« fornication ») et ne protège pas les victimes de violences
sexuelles. Depuis que les islamistes sont au pouvoir, une vieille loi
chariatique a été remise au goût du jour qui permet la relaxe d’un violeur
d’une femme célibataire, dès lors qu’il prétend vouloir « l’épouser ». D’après
le Conseil national consultatif des droits de l’homme (CNDH), depuis
l’arrivée au pouvoir des fréristes du PJD, le droit des femmes et le respect des
libertés individuelles seraient en net recul. En réalité, les propos de Benkirane
sur les femmes ont eu pour but de séduire les islamistes radicaux. Certes, en
octobre 2013, le PJD et Benkirane, en baisse dans les enquêtes d’opinion, ont
dû former un nouveau gouvernement après le départ des députés de l’Istiqlal,
leur principal allié. Toutefois, après une période de baisse des intentions de
vote et les sondages, le PJD a de nouveau remporté les élections régionales du
4 septembre 2015 et su résister au mécontentement populaire en exploitant les
thèmes de la corruption et de la transparence. Lors des législatives
d’octobre 2016, il nomma un salafiste controversé comme tête de liste dans la
circonscription de Marrakech-Gueliz, Hammad El Kabbaj. Après un blocage
de plusieurs mois, en avril 2017, le parti accepta la nomination de Saaddine
Othmani, leader plus accommodant avec le pouvoir, comme chef du
gouvernement à la place du charismatique Benkirane.

Égypte : autoritarisme militariste versus


islamisme « frériste » ?
En Égypte, lors des législatives des 28 novembre 2011 et du 12 janvier
2012, les islamistes des partis Liberté et Justice (PLJ, Frères musulmans),
Nour (salafistes) et Wassat (« islamistes modérés »), battirent électoralement
le bloc égyptien libéral, avec 71 % des voix. Jusqu’au coup d’État perpétré
par le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi en août 2013, le PJL et son Président
Mohamed Morsi gagnèrent toutes les élections et référendums. Forts de leurs
succès, de leur appui populaire et des millions de dollars qui leur ont été
alloués par le Qatar, ils conquirent tous les pans du pouvoir et de
l’administration. Ils tentèrent de renforcer leur mainmise sur la société et sur
l’armée, défi majeur pour l’Égypte où, depuis soixante-dix ans, les véritables
dirigeants ont toujours été les militaires, qui contrôlent une large part de
21
l’économie du pays . Durant l’été 2012, l’alliance tactique contractée un
temps entre l’armée, issue de « l’ancien régime », et les Frères, avait semblé
aboutir à une victoire du Président Mohammed Morsi sur le pouvoir militaire,
lequel dut accepter la nouvelle constitution puis surtout la nomination d’un
nouveau chef des armées apparemment bien favorable à La Confrérie : le
maréchal Abdelfattah Al-Sissi, homme pieux dont la femme porte le voile
islamique intégral. Sous-estimé par Morsi et le PJL, Al-Sissi ne joua toutefois
22
pas le rôle que les Ikhwan attendaient de lui . Durant l’été 2013, Morsi fut
subitement renversé par un coup d’État militaire perpétré par Al-Sissi. Ce
dernier fit légitimer son acte par l’ampleur incroyable des manifestations de
masse organisées dans tout le pays (entre 20 et 20 millions d’Égyptiens dans
23
les rues) contre les Frères au pouvoir . Le PJL avait en effet très mal géré le
pays puis commis l’erreur de vouloir trop vite s’arroger tous les pouvoirs au
détriment de la société civile, de l’opposition, des minorités et surtout de
l’armée. Le maréchal Al-Sissi fut par la suite « élu » Président en 2014 à la
suite d’une répression impitoyable des Ikhwan . Depuis, ces derniers,
abandonnés par les salafistes pro-saoudiens, qui ont quant à eux rallié
tactiquement le nouveau raïs (lui-même en bons termes avec Riyad), sont
systématiquement pris pour cibles et ont le plus grand mal à refaire surface :
1 500 militants islamistes ont été tués par les forces de l’ordre et l’armée.
L’organisation est désormais interdite. Son Guide, Mohamed Badie, a été
24
condamné à la prison à perpétuité pour « espionnage » et « conspiration
contre l’Égypte ». Il a été remplacé par son adjoint Mahmoud Ezzat. Six cents
autres membres de La Confrérie ont été condamnés à mort, nombre d’entre
25
eux ayant vu leur peine commuée en prison à vie . Fin décembre 2013, le
gouvernement égyptien a déclaré officiellement les Frères musulmans
« organisation terroriste » et ses membres ont donc été interdits de manifester.
Mohamed Morsi a été condamné à mort. En avril 2016, la branche politique
de La Confrérie, le Parti de la construction et du développement (Al-Binaa wa
al-Tanmia), a sollicité, sans succès, une médiation du roi Salmane d’ Arabie
saoudite. Depuis, avec ses leaders emprisonnés, tués ou en exil,
l’organisation, déstructurée, et ses membres encore en liberté, se sont repliés
sur la sphère privée. Mais ils poursuivent leurs réunions clandestines et leurs
activités sociales, et ils demeurent encore influents à Al- Azhar. Leurs
membres étudient, se marient, créent des entreprises et continuent de distiller
leur idéologie de façon discrète et sans commandement hiérarchique. L’État
est bien incapable de contrôler ces liens et engagements sociaux.
Parallèlement, si une partie de la jeunesse frériste attirée par le discours de
Jassim Sultan entend agir sur les réseaux sociaux et de façon plus moderne,
une autre frange jeune, également déçue par la vieille garde du mouvement et
sa « résistance pacifique », prône l’action violente et alimente le jihad
d’organisations plus radicales liées à Al- Qaïda ou Daech, notamment dans le
Sinaï. Le 17 juin 2019, l’ex-président Mohamed Morsi, condamné pour
« terrorisme », pour le meurtre de manifestants en 2012 et pour « espionnage
au profit du Qatar » et du Hamas, meurt durant son procès au Caire. Depuis,
les Frères du monde entier pleurent la mort de l’ex- raïs , premier président
d’un pays arabe issu de La Confrérie, l’espoir déçu de la « révolution du
Nil ». Morsi a été enterré dans un quartier de l’est du Caire (Medinat à Nasr)
sous très haute surveillance.
Du côté de la Libye , depuis la chute du Guide de la « Jamahiriya »
libyenne, les clans rivaux et les milices qui ont fait la révolution n’ont
toujours pas désarmé. Et les Frères musulmans, très présents au sein de la
capitale et du pouvoir internationalement reconnu de Tripoli puis des milices
alliées au Premier ministre Fayez Al-Saraj, n’ont pas dit leur dernier mot. À la
différence des cas tunisien, marocain, égyptien et algérien, il n’existe
aujourd’hui pratiquement pas de contrepoids nationaux laïques et modérés
(armée, monarchie, forces laïques) face aux islamistes libyens, qu’il s’agisse
des branches « modérées » politiques ( Ikhwan ) ou des branches jihadistes-
salafistes qui ont pris possession de régions entières. À la différence du Maroc
et de la Tunisie, l’État et l’administration sont quasi inexistants en tant
qu’institutions stables unitaires. Il n’existe de surcroît aucune tradition
militaire solide et l’appartenance tribale prédomine. Le gouvernement central
ne parvient pas à désarmer les milices et les clans rivaux. De ce fait, les Frères
musulmans comptent jouer un rôle dans l’avenir, et, face aux forces
nationalistes du maréchal Al- Haftar, ils peuvent compter sur deux soutiens
extérieurs, particulièrement actifs en Libye et ailleurs aux côtés des Frères : la
Turquie et le Qatar.
Conscient de ces soutiens, Haftar joue à fonds la carte de l’Égypte d’Al-
Sissi, qui l’aide à combattre les Frères, ainsi que de ses alliés militaires des
Émirats arabes unis, de l’ Arabie saoudite et même de la Russie, puis, plus
discrètement, de la France, qui comptent sur lui pour rétablir un semblant
d’unité nationale et pour vaincre l’islam politique. Dans ce contexte, le
dernier Parlement libyen démocratiquement élu, rival de l’ancien de Tripoli et
basé à l’est, Tobrouk, en zone contrôlée par Khalifa Haftar, a voté au
printemps 2019, à une majorité des députés présents, la décision de
« criminaliser » les Frères musulmans en les classant comme « organisation
terroriste ». Ce vote est intervenu sur fond de lutte totale entre les « deux
Libye » (Est pro-Haftar nationaliste versus Ouest pro-Fayez Fayaz et pro-
Frères musulmans), au moment où le maréchal Haftar soutenu par le
Parlement de Tobrouk tente difficilement de reprendre militairement la
capitale, Tripoli, défendue par des milices islamistes (Misrata, etc), siège du
gouvernement d’union nationale dirigé par le Premier ministre Al-Sarraj,
reconnu par les Nations Unies.
Le Parlement de Tobrouk accuse Al-Sarraj de s’être allié avec des milices
islamistes et des partis issus des Frères musulmans. Il est vrai qu’à l’ouest du
pays, des figures de l’islamisme jihadiste, comme notamment le « gouverneur
militaire » de Tripoli, Abdelhakim Bel-Hadj, ancien combattant en
Afghanistan et proche d’Al- Qaïda en Irak jusqu’en 2005, ont scellé un pacte
avec les Frères musulmans qui entourent Saraj. Une alliance fréro-salafiste et
politico-jihadiste qui a semblé démentir les prophéties idylliques de ceux qui,
comme le philosophe-aventurier Bernard-Henri Lévy, ont encouragé
l’intervention militaire anti- Kadhafi censée faire naître rapidement une
26
nouvelle « démocratie libyenne ouverte » et un « l’islam libyen tolérant »
… Il est d’ailleurs de notoriété publique que Doha a financièrement et
27
politiquement soutenu la Brigade Tripoli de Belhaj , puis soutenu le Parti
libyen pour la justice et la construction (Hizb al-Dala wal Beena), une
organisation islamiste affiliée aux Frères musulmans. Enfin, les attentats
islamistes contre les ambassades américaine (14 septembre 2012) et française
(23 avril 2013) ont vite démontré, peu après le « printemps arabe », la
persistante force de frappe des islamistes de tous bords.

Yémen : Les Ikhwan attendent leur heure…


En 2011, le Yémen n’a pas été oublié par ce « printemps arabe », vite
devenu un long « hiver islamiste », selon la formule consacrée par Mezri
28
Haddad et les auteurs de ces lignes . Ce pays, certes très pauvre, mais qui
possède une vraie élite intellectuelle et une jeunesse militante instruite, s’est
fait remarquer avec le vaste soulèvement démocratique de la « place du
Changement » à Sanaa. Influencés par les précédents tunisien et égyptien, les
manifestants de la révolte yéménite de 2011 – qui désignait un mouvement de
grande ampleur – avaient suscité au départ maints espoirs : ils réclamaient
plus de démocratie, la fin de la corruption et de la mainmise du congrès
général du peuple (CGP, au pouvoir), ainsi que de meilleures conditions de
29
vie et le départ du Président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans .
Mais les jeunes bloggeurs et militants démocrates yéménites, bien que très
30
actifs, ont vite été dépassés par le parti islamiste Islah , issu des Frères
musulmans, bien plus organisé et alimenté financièrement. Les protestations
pacifiques ont également vite été dépassées par l’insurrection de combattants
tribaux. C’est dans ce contexte que le parti Al-Islah, appuyé par des réseaux
actifs de solidarité et même par l’Université des sciences et des technologies,
a détourné la révolution dès le mois de mars 2011, transformant ainsi une
révolte sociale en révolution politico-religieuse. Le nationaliste Saleh dut
démissionner en février 2012, et une élection présidentielle eut lieu. Bien
qu’émaillé de violences dans le sud du pays, le scrutin du 21 février 2012
permit l’élection du seul candidat soutenu par les partis loyalistes, le Frère
musulman Abdrabbo Mansour Hadi, élu avec 99,80 % des voix. Les
31
islamistes d’Al-Islah dominent depuis lors l’opposition du Forum Commun
, alliée opportunément, comme en Tunisie, aux révolutionnaires socialistes.
D’évidence, le printemps yéménite de 2011 a surtout bénéficié aux forces les
plus susceptibles de menacer la sécurité et l’unité de l’État :
– premièrement les islamistes Frères musulmans d’Al-Islah,
– deuxièmement les sécessionnistes « sudistes » qui réclament
l’indépendance des provinces méridionales (ex-République démocratique et
populaire sous la Guerre froide réunifiée au Yémen du Nord en 1990) ;
– troisièmement les islamistes proches d’Al- Qaïda, qui pilotent une
redoutable guérilla. Le Yémen, pays extrêmement pauvre où la famine
menace trois millions de personnes, est en effet devenu l’un des fiefs d’Al-
Qaïda, qui partage avec les tribus de juteux trafics.
– quatrièmement les rebelles chiites de rite zaydite du mouvement
Ansaruallah, dit « houthiste », du nom de leur dirigeant (mort en
32
septembre 2004), Hussein al-Houthi . Cette menace chiite-houthiste et
séparatiste, qui risquerait selon Riyad de permettre à l’Iran de prendre pied au
sud de l’Arabie, a motivé la constitution d’une coalition militaire arabe menée
par les Saoud, qui ont lancé, dès mars 2015, avec l’appui américain, égyptien
et émirati notamment, des raids militaires aériens très meurtriers contre les
positions des rebelles houthistes chiites-zaydistes et contre des milliers de
civils.
Ce chaos marqué par une véritable catastrophe humanitaire profite aussi à
de nouveaux protagonistes opportunistes, dont Al-Qaïda et l’État islamique,
installés sur les frontières de la partie centrale du pays, mais également aux
séparatistes sunnites du Sud, membres du Conseil de transition du Sud (STC),
qui n’ont jamais digéré la réunification des deux Yémen, en 1990. Cette
nouvelle donne a également contribué à diviser les deux États amis que sont l’
Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en désaccord sur l’ennemi
principal : les Frères musulmans pour Abou Dhabi, qui soutient face à eux le
STC ; et les chiites-houthistes pro-iraniens pour les Saoudiens, qui appuient
les forces gouvernementales fréristes, vues comme un moindre mal. Le STC
et les Émirats arabes unis désapprouvent l’alliance du président Abd Rabbo
Mansour Hadi et des Saoudiens avec les Frères musulmans du parti Islah. La
raison de cette alliance est que sur le plan géostratégique, la préoccupation
première de l’Arabie saoudite est l’arc chiite-iranien en pleine croissance, qui
inclut l’Irak, la Syrie alaouite liée à Téhéran, le Hezbollah libanais et les
minorités chiites du Golfe arabo-persiques travaillées par la propagande
iranienne ou parfois même armées par la République islamique (régime syrien
alaouite ; forces chiites du Hezbollah ; milices chiites irakiennes et chiites-
33
houthistes yéménites, etc) . Quant au Qatar, il a appuyé le parti Islah et les
Frères, le calcul étant de renforcer son rôle régional après l’éclatement du
printemps arabe puis de capitaliser sur une révolution portée par les Ikhwan .
Face au président Saleh, Doha a donc envoyé des millions de dollars au parti
Islah, au gouvernement Hadi, mais aussi, depuis sa chute, à des groupes
insurgés d’Al-Qaïda plus ou moins alliés des Ikhwan face aux Houthistes.
Une accusation corroborée par l’ambassadeur des EAU en Russie, Omar Saif
Ghobash, selon lequel le Qatar aurait collaboré avec Al-Qaïda au Yémen : «
Nos alliés qatariens ont informé Al-Qaïda de notre emplacement précis et de
34
ce que nous avions l’intention de faire » .

La genèse frériste de la rébellion islamiste


syrienne
Depuis le Printemps arabe et les révolutions consécutives à celui-ci, vues
comme une opportunité pour revenir sur le devant de la scène politique
syrienne après des décennies de violentes répression et de clandestinité, les
Ikhwan luttent plus que jamais, militairement et politiquement, contre le
régime « impie » du parti laïque-nationaliste Bass des Alaouites « apostats »
aux commandes de l’État depuis des décennies. Depuis le début des révoltes
anti- Assad de 2011, au départ démocratiques, les Frères musulmans ont joué
un rôle fondamental dans l’opposition, notamment en parvenant à dominer le
Conseil national syrien (CNS), avec le soutien indéfectible de la Turquie et du
Qatar. Habilement, ils ont su s’allier sur le plan politique et international à des
dissidents du régime, des intellectuels chrétiens, des opposants exilés en
Europe ou en Turquie, et des forces modérées, tout en en tissant des alliances
solides avec des combattants islamistes radicaux pro-saoudiens, pro-Turcs ou
pro-Qataris, voire même dans certains cas avec des branches locales d’Al-
Qaïda (Front al- Nosra/ HTS). Leur but était de profiter de ce chaos pour
édifier, sur les ruines escomptées du régime alors très affaibli, un État
35
islamique en Syrie sur le modèle de l’AKP turc . Dans un entretien accordé
36
au site kurdophone Kurdwatch , le porte-parole des Frères syriens, Zuhayr
Salim, avait rappelé que son mouvement, foncièrement hostile à l’idéologie
laïque-nationaliste du parti Baath au pouvoir, a pour objectif de « créer un
État islamiste pour tous, Arabes, Kurdes, Turcs, Circassiens, et tous les
37
autres qui vivent ici » . En Syrie, la nature « existentielle » de la guerre
opposant Ikhwan /islamistes sunnites, d’une part, et régime baassiste-alaouite
des Assad d’autre part, explique en partie son extrême violence. Pour les
Frères, le régime nationaliste-laïque, soviétoforme et « hérétique » des
Alaouïtes (« amis » des chrétiens, des chiites pro-iraniens, des Druzes et
même des « athées »), de surcroit à la tête d’un parti laïque-socialisant créé
par un chrétien, Michel Aflaq (parti Baas), est le pire ennemi idéologique,
politique et religieux qui soit. Cela explique aussi pourquoi les Frères syriens
se sont plus engagés dans la lutte armée et jihadiste dans ce pays que dans
ceux où ils jouissent de certaines libertés (Maghreb, Jordanie, etc). De ce fait,
en Syrie – tout comme dans d’autres pays fragmentés comme le Yémen ou la
Libye – il est parfois difficile de distinguer entre rébellion armée frériste et
jihadiste. Depuis 2013, les légions salafistes-jihadistes, de plus en plus
présentes en Syrie au sein de la rébellion, ont en effet souvent collaboré sur le
terrain du jihad avec les Frères-musulmans contre Bachar al-Assad. À ce
propos, l’armée syrienne libre (ASL) a été infiltrée de façon massive par les
Frères avant d’être phagocytée puis anéantie par Al-Qaïda et Daech dans le
cadre d’une véritable hybridation fréro-salafiste et jihadiste. Et en Syrie
comme à Gaza, le Qatar, parrain des Frères, a joué un rôle crucial dans le
financement des rebelles armés islamistes. D’ailleurs, depuis que les
Saoudiens ont fini par renoncer à financer les jihadistes salafistes, Doha est
restée avec la Turquie le dernier État encore engagé dans le soutien financier
aux groupes plus ou moins liés à la nébuleuse Al-Qaïda en Syrie (Al- Nosra
alias HTS ou Hayat Tahrir al-Sham).

1 . Voir Cousseron, Tancrède, 2010 : La nouvelle puissance turque, L’adieu à Mustapha Kémal ,
Paris Ellipses, 2012 ; puis del Valle, Alexandre, Politique Internationale, hiver 2011-2012,
« Printemps arabe, hiver islamiste ? », op. cit .
2 . Cf. Ben Mansour, Latifa Frères musulmans, frères féroces, Voyage dans l’enfer du discours
islamiste, Paris, PUF-CNRS, 2004, 263 p.
3 . https://english.alarabiya.net/en/perspective/alarabiya-studies/2013/10/14/Turkey-s-relationship-
with-the-Muslim-Brotherhood.html
4 . Samantha Rose, Samuel Westrop, « American Islamists Turn to Ankara », The Middle-East
Forum, 21 septembre 2017.
5 . Meir Amit, Intelligence and Terrorism Information Center, « Muslim Brotherhood in Turkey »,
2010, https://www.terrorism-info.org.il/en/18074/
6 . Ibid.
7 . Mirren Gidda, « Hamas still has some friends left », Time, 25 juillet 2014. Reuters, « Turkey’s
Erdogan meets Hamas leader Meshaal in Istanbul », 20 décembre 2015. Hurriyat Daily News,
« Turkish President Erdogan meets Hamas leader Mashal in Istanbul », 25 juin 2016.
8 . Ouvrage publié par le Centre d’études de l’unité arabe, Beyrouth, 1993, p. 48.
9 . Cf. Mezri Haddad, La face cachée de la révolution tunisienne, Op. cit., pp 49-57.
10 . Samir Amin, Le Monde arabe dans la longue durée : un printemps des peuples ? , Éditions Le
Temps des Cerises, Paris, 2011.
11 . Interview réalisée par Ala Iddin Al-Rachi, le 5 octobre 2005.
12 . Pour approfondir la pensée de Qardaoui, lire Le Licite et l’Illicite (alhallal wal haram ), 1992,
réédition 2000, ou encore, L’Éveil Islamique entre le rejet et l’extrémisme (As-Sahwah al-
islâmiyyah bayna al-djuhûd wa At-Tatarruf), 1984.
13 . Cf. Haddad, Mezri, La face cachée de la révolution tunisienne, Op. cit., pp 50-55.
14 . Cf. Bozonnet, Charlotte, « Tunisie : l’opposition entre laïques et islamistes au cœur des
législatives », Le Monde, 24 octobre 2014.
15 . Cf, entretien de Mostafa al Khalfi (membre du PJD) avec O. Ben Elmostafa, 2007, 76-80.
16 . Le Makhzen désigne le pouvoir royal et policier, voir glossaire.
17 . Cf. Isabelle, Mandraud, « L’islamiste Abdelilal Benkirane, chargé de former un gouvernement
er
au Maroc », Le Monde , 1 décembre 2011.
18 . « Polémique : Benkirane conseille aux Marocaines de s’occuper de leurs foyers », 22 juin
2014.
19 . Isabelle, Mandraud, « L’islamiste Abdelilal Benkirane, chargé de former un gouvernement au
er
Maroc », Le Monde , 1 décembre 2011.
20 . « Maroc : Benkirane ne veut pas que les femmes travaillent, Les associations de défense des
droits des femmes ont réagi aux propos sexistes tenus par le Premier ministre devant les
parlementaires », Le Point, Afrique, 19 août 2014.
21 . Ses activités vont des boissons et du papier de soie aux armements en passant par la
distribution.
o
22 . Cf. Marcou, Jean, « La « nouvelle » Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi », Diplomatie, n 70,
septembre-octobre 2014
23 . Duteil, Mireille ; Temmouri, Fatiha, « L’énigme al-Sissi », Le Point, no 2136 , 22 août 2013,
pp. 32-35.
24 . De Saint Perrier, Laurent, « Égypte : pour les Frères musulmans, c’est le moment de compter
ses amis », Jeune Afrique , 26 mai 2015.
25 . De Saint Perrier, Laurent, « Égypte : pour les Frères musulmans… », Op. cit. ; Pommier,
o
Sophie, « Égypte : les mirages de la démocratie », Politique Internationale , n 141, automne
2014, reproduit intégralement in annexe 1.3.5.
26 . Cf. Mezri Haddad, La face cachée de la révolution tunisienne , Op. cit.
27 . Belhaj était l’émir du « Libyan Islamic Fighting Group », affilié d’Al-Qaïda, jusqu’à sa
capture par la CIA à Bangkok en 2004. Après la révolution libyenne de 2011, il a fait son groupe
un parti politique, Al-Watan, et il a contesté les élections libyennes de 2012 avec un soutien
financier massif du Qatar.
28 . Alexandre del Valle, Randa Kassis, Le Chaos syrien, Printemps arabe et minorités face à
l’islamisme , Dow, Paris, 2016.
29 . Mauriac, Laurent. « Au Yémen, le président Saleh accepte de quitter le pouvoir » sur Rue89
24 (2011)
30 . Marine Poirier, « Yémen : mouvement révolutionnaire et logique de préservation du
système », « Le “printemps arabe” : un premier bilan », Alternatives sud, 2012, pp 109-120.
31 . Cf. Bonnefoy, Laurent, « Au Yémen, des Frères musulmans pas comme les autres », Orient
XXI , avril, 2014.
32 . Bonnefoy Laurent, « L’exception yéménite. », Alternatives Internationales décembre 2014 (n
°65), p. 17-17.
33 . Burdy, Jean-Paul, « Le « croissant chiite », un discours récurrent sur la menace iranienne à
l’épreuve de la realpolitik », 28 juin 2012, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-croissant-
chiite-un-discours.html , consulté le 3 avril 2014.
34 . « Qatar « informed » Al-Qaïda bombers says UAE diplomat », BBC, 20 juillet 2017,
accessible à l’adresse : https://bbc.in/32DS3pI .
35 . http://www.ikhwanonlin
36 . Intitulé « To hell with syrian (identity) ! We do not recognize Syria », 4 décembre 2011.
37 . Del Valle, Alexandre, « Printemps arabe, hiver islamiste », Politique Internationale , Op. cit.
CHAPITRE VI

Le nouveau « Printemps arabe 2.0 » et le


« soft power jihad »

Tamkine : Une « stratégie évolutive » de


conquête mondiale sur le long terme
Loin d’être restée une simple organisation pyramidale, la « Société » des
Ikhwan est devenue un mouvement hétérogène dont la cohésion est assurée
plus par les affinités idéologiques de ses membres, que par la direction
égyptienne. Au niveau mondial il n’y a plus de structure réellement
hiérarchisée et centralisée avec un sommet et une base obéissante. On a plutôt
affaire à une organisation horizontale et décentralisée. Ainsi, les organisations
liées aux Frères jouissent d’une très large autonomie, tout en suivant la ligne
d’une direction mondiale souple dont les déclinaisons européennes à elles
seules comprennent entre 300 et 350 centres. Ceci explique pourquoi les
membres éminents de structures fréristes affirment qu’ils ne sont pas
membres de La Confrérie. Un demi-mensonge…
Pour parvenir à leurs fins, les idéologues de La Confrérie ont mis au point
une véritable stratégie d’expansion « par étapes » qui fut révélée en 1992
lorsque la police égyptienne prit connaissance d’un plan secret, lors d’une
perquisition au domicile d’un membre. Ce manuel stratégique, appelé
Tamkine , qui sera confirmé plus tard par le fameux « Projet » saisi chez
Youssef Nada en Suisse (voir chapitre II ), a comme ultime but de prendre le
pouvoir et réaliser partout la Hakimiyya. Les trois étapes essentielles du plan
sont : 1/ diffuser leur vision totalitaire de l’islam sous couvert d’islam officiel
et de respect de la religion ; 2/ former-sélectionner les individus-clefs devant
transmettre la conception frériste partout où ils agissent, via le témoignage et
l’entrisme ; 3/ parfaire la phase finale de prise du pouvoir politique une fois la
société acquise et les élites préparées.
Le modus operandi consiste à prendre le contrôle du pouvoir suprême par
la constitution d’un vaste réseau décentralisé, puis la création de multiples
sections cloisonnées qui maillent toute la société, puis par l’infiltration et
l’entrisme dans l’enseignement, les ordres de médecins, d’avocats, les
banques et institutions financières, les syndicats, les centres hospitaliers, les
tribunaux et les partis politiques et médias (comme Al- Jazeera). La priorité,
que n’aurait pas démentie l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci
(réputé pour la priorité donnée à l’entrisme et au combat culturel), est donc la
formation des jeunes et des futures élites. La force des Frères est en effet
d’opérer n’importe où et à tous les niveaux de la société, dans les domaines
caritatif, sportifs, médiatiques, politiques ou éducatifs. Partout où ils
s’implantent, leur premier souci est d’établir des écoles, des cliniques, des
clubs sportifs, et de proposer des microcrédits sans riba (intérêt) aux
musulmans qui adhèrent à leurs principes idéologiques, lesquels ont été
définis par Hassan al-Banna et perfectionnés par son gendre, Saïd Ramadan.
Leur leitmotiv est le suivant : « Le savoir, c’est le pouvoir ». Et le savoir
passe par l’entrisme dans les petites écoles, les lycées, les universités et les
médias. L’accès final au pouvoir passe logiquement par des alliances
pragmatiques avec des partis politiques plus classiques et la subversion de
valeurs démocratiques, au niveau local, communal, régional, national et
même en dehors des pays musulmans.
Dans cette nouvelle configuration stratégique « évolutive » des Ikhwan ,
trois hommes ont joué ces dernières années un rôle fondamental dans la
modification du schéma opérationnel et organisationnel de La Confrérie, la
e
connectant davantage aux réalités islamistes du XXI siècle. Intellectuels
machiavéliques adeptes de l’utilisation des réseaux sociaux et des médias, du
cyber-Jihad et de la guérilla économique sur Internet, ce trio, appuyé par la
Turquie et le Qatar, a théorisé la nouvelle stratégie globale de conquête du
monde arabo-musulman et de l’Europe par les Frères ainsi que la cartographie
de l’organisation. Il est composé du Qatari Jassim Sultan, de feu le Saoudien
Jamal Khashoggi et du Palestinien naturalisé britannique Azzam Tamimi,
trois personnages centraux dans la nouvelle configuration stratégique des
Frères au niveau régional et mondial. Khashoggi, Jassim Sultan et Azzam
Tamimi, sur lequel nous reviendrons en détails plus loin, appartenaient à cette
nouvelle génération « d’islamistes-progressistes 2.0 », c’est-à-dire la
mouvance la plus transnationale et révolutionnaire au sens « démocratique »
du terme de l’islamisme sunnite, et parrainée par le Qatar et la Turquie d’
Erdogan. Une vision de l’islam politique résolument opposée à celle des
monarchies héréditaires pro-occidentales du Golfe qui privilégie non plus la
voie jihadiste-guerrière inaugurée par Saiyyd Qutb, mais celle, démocratique,
entriste, numérique, politico-démocratique et économique, « 2.0 » inaugurée à
grande échelle pour la première fois lors des Printemps arabes, variante locale
des fameuses « révolutions de couleurs » financées dans les années 2000 par
les États-Unis et les ONG de Georges Soros en Géorgie, en Ukraine et
ailleurs pour affaiblir les intérêts russes en Eurasie. Pour ces trois penseurs,
qui ont toutefois, comme Khashoggi et Tamimi, soutenu ou connu le jihad
guerrier de près, l’objectif ultime des Frères (Califat universel), reste le même
que celui des pères fondateurs Al-Banna ou Qutb, mais il ne peut être réalisé
qu’à condition de renverser au préalable, de façon asymétrique, tous les
régimes arabes dictatoriaux monarchiques ou sécularisés, qu’il s’agisse de l’
Arabie saoudite islamique mais rivale (dans la course au leadership
islamique), de l’Égypte honnie d’ Abdel Fatah Al-Sissi, ou encore la Syrie du
clan Assad-alaouite et du parti Baas anti-islamique honnis.
Depuis le début des Printemps arabes, La Confrérie a donc muté de
nombreuses manières sous l’influence et l’activisme de ces nouveaux
théoriciens, bien moins attachés à la structure égyptienne originelle et à son
système pyramidal que leurs prédécesseurs. Ils s’en sont d’ailleurs
officiellement démarqués, tout en préservant avec elle des liens forts. Ils ne
veulent en fait plus apparaître comme les tenants d’une structure uniforme,
trop hiérarchisée, trop lourde, préférant se concentrer sur des éléments de
langage et une communication adaptés aux pays dans lesquels se trouves leurs
affidés. Ils sont persuadés que leur réussite passe par leur implication dans le
monde des entreprises, des médias, dans la politique, les ONG, les clubs
associatifs. Ils agissent de façon plus globale, inscrivant leur lutte dans un
discours victimaire, se positionnant comme des « victimes de
l’islamophobie », plaçant hypocritement celle-ci au même niveau que
l’antisémitisme, en occultant l’admiration de leurs pères fondateurs pour le
nazisme et le fait que La Confrérie a toujours été judéophobe. Ses jeunes
membres sont par ailleurs beaucoup plus en phase avec le progrès technique,
les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et le monde des médias. Au
fez et à la barbe bien taillée, ils préfèrent le jean et les baskets de marque
américaine. Aux seuls versets du Coran, ils ajoutent un discours plus en phase
avec les mutations sociologiques que connaît le monde, et leurs geeks ont une
excellente maîtrise des réseaux sociaux. Ils tentent en fait de montrer qu’ils
s’adaptent à la société quand dans les faits, leurs objectifs restent les mêmes
sur le fond.

Jassim Sultan : la tête pensante médiatico-


stratégique du nouveau soft power jihad
L’architecte de la refondation des Frères dans le sens de plus de souplesse,
de modernité et de déhiérarchisation est le médecin et spécialiste des médias
basé au Qatar, Jassim Sultan . Depuis plus d’une décennie, ce dernier, qui a
conseillé stratégiquement la chaîne qatarie Al- Jazeera durant des années,
conduit un projet novateur nommé Ennahda , diffuse son savoir stratégique
et idéologique, publie des livres islamistes dans la maison d’édition Tamkine ,
et attire des Ikhwan influents et des jeunes recrues de toute la nébuleuse
frériste mondiale vers Doha. De Khartoum à Londres, en passant par Paris,
New York, Barcelone ou Berlin, Sultan sillonne le monde pour superviser des
séminaires. Son postulat est que la jeunesse arabe, forte de 15
millions d’âmes, est la clef de la future victoire des Frères au terme d’une
période de mutation géostratégique et idéologico-politique que des jeunes
bien formés et placés au bon endroit pourraient mener à bien. L’idée est donc
de former et mettre en orbite une élite qui représente certes seulement 1 % de
l’ensemble de la jeunesse arabe, mais dont le rôle peut être à terme
déterminant. Certains jeunes français présentés comme des espoirs des
Ikhwan ou comme « la relève » ( dixit Tariq Ramadan), tel le Français Nabil
Ennasri, sont partie prenantes de cette nouvelle stratégie élitaire initiée par la
nouvelle génération de penseurs politique des Frères basés au Qatar.
Dans son ouvrage paru en 2016, Mohamed Louizi, ex-membre repenti de
La Confrérie, confirme qu’au début des années 2000, les Frères musulmans
du Qatar ont décidé de se transformer en une sorte de « courant » de pensée et
d’action libérée des contraintes de la centralisation et de la hiérarchie
originelle. Il explique que si l’idéologie est bien entendu restée identique, tout
1
comme l’objectif du Tamkine , la structure administrative et son affiliation
organique au Tanzim International (organisation internationale frériste) a dû
évoluer vers plus de souplesse afin de survivre à des périodes de persécutions
telles que constatées en Égypte, dans les Émirats arabes unis, en Arabie
saoudite, ou en Syrie. C’est afin de pouvoir survivre à des périodes noires
qu’une partie des Frères qataris a accepté la mutation tactique, contrairement
à une autre tendance plus passéiste. Louizi explique que ces jeunes islamistes,
formés aux standards idéologiques de la maison-mère doivent pouvoir « se
fondre, un temps, dans un réseau puissant, le plus étendu possible, pour
avancer masqués et presque indétectables » . Une sorte de stratégie d’action
par le biais de plusieurs bandes organisées, jouissant d’une autonomie
d’action et de gestion, mais visant toujours le même cap. Pour cela, dans les
séminaires de formation supervisés par le « Frère » Jassim Sultan, les
dernières théories d’organisation et de planification stratégique sont
présentées, expliquées et mises en scène. Un ouvrage de référence développe
d’ailleurs cette nouvelle stratégie à la fois élitiste et « horizontale » : The
Starfish and the Spider : The Unstoppable Power of Leaderless
Organizations, d’Ori Brafmann et de Rod Beckstrom. Le point de départ de la
nouvelle stratégie de Sultan est le constat que la (vieille) structure des Ikhwan
, pyramidale, souvent qualifiée d’araignée ( Spider ), est trop vulnérable,
puisqu’il suffit de couper la tête d’une araignée pour tuer le corps des Frères
musulmans. À l’araignée, Sultan préfère l’étoile de mer ( Starfish ), dont les
branches sont autonomes les unes des autres, mais sont malgré cela
parfaitement interconnectées, sachant que la jambe coupée d’une étoile de
mer repousse puis donne naissance à une nouvelle étoile de mer dans un
processus de multiplication à l’infini. Jassim Sultan n’a même pas cherché à
dissimuler sa stratégie (expliquée sur la page Facebook concernant son projet
Ennahda), avec comme illustration une étoile de mer à cinq bras autonomes.
Ces cinq bras correspondent justement aux cinq piliers de sa stratégie
planifiée depuis sa base du Qatar depuis 2010 et qui commence à porter ses
fruits. Les « cinq piliers » du programme de Jassim Sultan sont les suivants :
1 – les C ERCLES autonomes, dénués de chef, fondés sur une forme
d’égalité horizontale entre les membres ;
2 – Le C ATALYSEUR , ou organisateur.
3 – l’ I DÉOLOGIE , qui demeure tout de même celle du fondateur Hassan al-
Banna et des autres figures de référence de La Confrérie ;
4 – le R ÉSEAU de diffusion de l’information et lobbies (fédérations
fréristes, associations « amies », idiots utiles, islamosphère et mouvances
islamo-gauchistes, milieux pro-palestiniens.
5 – le C HAMPION (Leader) : dont le rôle est d’établir et de promouvoir la
création des cercles.
Le nouveau plan des Ikhwan ne contredit pas les stratégies d’islamisation
planétaire en vue du Tamkine et du Califat universel, conçues jadis par
Hassan Al-Banna ( « cinquante points »), son gendre Saïd Ramadan (le
« Projet »), Youssouf Al- Qardaoui (jihad de la da’wa ), mais il les complète
et les met à jour, tel un logiciel. Il consiste toujours à prendre progressivement
le contrôle des cerveaux (enseignement) et des États (entrisme politique),
mais s’ajoute à cela un « soft power jihad », un « activisme 2.0 »,
déhiérarchisé, et même un volet de « jihad économique » qui consiste à faire
de l’entrisme dans les grandes entreprises, les syndicats de travailleurs, les
institutions internationales, etc. À la différence de la vieille garde égyptienne,
les nouveaux Frères musulmans qataris sont des spécialistes chevronnés des
réseaux sociaux, de la stratégie d’influence via les médias, et de la
théorisation de l’entrisme. Jassim Sultan est d’ailleurs un spécialiste reconnu
des médias et des réseaux sociaux. Ainsi, après avoir notamment conseillé la
direction d’Al- Jazeera, il a contribué à la naissance d’ AJ+, la structure web
de la chaîne qataro-frériste. Sultan préconise l’utilisation de Twitter et de
Facebook pour répandre les idées de La Confrérie mais aussi affaiblir des
multinationales dont les dirigeants sont souvent suspectés de faire le jeu de
2
régimes très contestés . Il est d’ailleurs intimement persuadé que les trois
éléments sont liés et permettront aux membres de la nouvelle génération
islamo-frériste de se positionner internationalement, à la fois comme leaders
d’opinion, mais aussi comme responsables ou cadres de grandes institutions
internationales. Pour lui, la guerre doit se faire via les réseaux sociaux, la
culture, l’information et l’infiltration. Sorte de docteur Mabuse qui n’a pas
hésité à révolutionner le schéma opérationnel de l’organisation, son
objectifest de former, depuis la capitale qatarie, des groupes de jeunes
appartenant à l’élite musulmane internationale et de leur apprendre à noyauter
des organisations internationales (grandes sociétés, ONG) afin qu’ils
deviennent la force motrice des prochaines révolutions arabes. Le pouvoir
qatari l’utilise à ses propres fins de stratégie et d’influence, persuadé que la
vision moderniste de ces suppôts d’un nouveau soft power jihad , à la fois
numérique et médiatique et économique, ne le menace en rien mais, au
contraire, lui permet de se donner l’image d’un émirat qui soutient la cause
des « opprimés », jusqu’à l’arrivée de la nouvelle garde.

Le Frère musulman Khashoggi :


faux démocrate pro-occidental et vrai «
révolutionnaire 2.0 »
Khashoggi, la seconde tête pensante de la nouvelle stratégie 2.0 des Frères
musulmans soutenus par le Qatar et la Turquie, était en fait partie prenante du
soft power jihad pensé par Jassim Sultan et les jeunes fréristes férus de
communication web. En enquêtant – en collaboration avec la journaliste
Peggy Porquet, rédactrice en chef de site d’informations Globalgeonews.com
– sur les liens unissant Jamal Khashoggi aux Frères, puis en interrogeant
certains de ses proches, comme son ami de jeunesse, le Frère palestinien
3
Azzam Tamimi , le troisième larron évoqué plus haut, nous avons compris
que le journaliste et dissident saoudien avait pour projet de lancer un
Printemps arabe numérique qui devait s’appuyer sur le boycott de grandes
4
entreprises et d’institutions occidentales, dont les dirigeants locaux sont
considérés par La Confrérie comme trop proches des dictateurs arabes.
Pour ses défenseurs et pour ceux qui voient les Ikhwan comme des apôtres
de la « démocratie islamique », Khashoggi est devenu le symbole de la liberté
et du courage. Nombre de démocrates occidentaux voient même en lui une
sorte de nouveau Massoud. Pour les observateurs plus informés, le riche
dissident saoudien était en réalité au cœur de la nouvelle stratégie mondiale
des Frères et de ses parrains turc et qatari visant à lancer l’« acte II » des
révolutions arabes, destiné cette fois-ci à déstabiliser et à renverser plus
durablement que le premier, avorté, l’ensemble des régimes arabo-musulmans
soit pro-occidentaux soit hostiles aux Frères musulmans, qu’ils soient des
monarchies islamiques ( Arabie saoudite, Émirats, Maroc), des républiques
autoritaires (Égypte, Algérie) ou des dictatures laïques (Syrie de Bachar al-
Assad). Cela au moyen de campagnes de contestations métapolitiques et de
boycott économique principalement actionnées via les réseaux sociaux. Il est
vrai que les articles de Khashoggi publiés dans le Washington Post appelaient
à des « changements démocratiques » de régime dans le monde arabe, mais
l’objectif de l’organisation frériste n’en demeure pas moins de remplacer ces
derniers par des États islamistes, comme en attestent une longue littérature sur
les réseaux sociaux, et la prise de pouvoir des Frères musulmans en Égypte
entre 2012 et 2013. Bref, un véritable plan de « révolution islamiste globale »
par un jihad virtuel, culturel, médiatique, diplomatique et économique qui
inspirait toute l’action militante récente de Khashoggi. L’idée-force consistait
en fin de compte à poursuivre le jihad armé par un « jihad numérique et
économique 2.0 », fondé sur le boycott des grandes entreprises occidentales
liées aux régimes arabes et l’entrisme médiatico-politique et syndical.
Le parcours même de Khashoggi et de nombreuses figures des Frères (
Ghannouchi en Tunisie, Benkirane au Maroc, PJL en Égypte, ex-membres du
FIS en Algérie réhabilités par Bouteflika), passés du jihadisme originel à
l’islamisme démocratique façon Erdogan, illustre l’évolutionnisme frériste
qui rend parfois La Confrérie de Hassan al-Banna insaisissable. Rappelons
que Khashoggi ne s’est jamais caché d’être l’« ami » d’Oussama ben Laden,
qu’il a même « pleuré » le jour de sa capture par les Américains au Pakistan
et de sa mort, et qu’il n’a jamais renié son passé jihadiste en Afghanistan,
combat qu’il a lui-même affirmé poursuivre de façon plus « démocratique » et
« pacifique » dans le même but de parvenir un jour à une réislamisation-
désoccidentalisation générale des pays musulmans, fut-ce avec l’aide de
l’Occident démocratique naïf qui lui a déroulé un tapis rouge au cœur de la
bien-pensance médiatique newyorkaise et de Washington. À tous ceux qui le
présentent a posteriori comme un « démocrate » sous prétexte qu’il dénonçait
la dictature saoudienne, il faut rappeler qu’il a longtemps soutenu le régime
wahhabite saoudien lorsque ce dernier était le plus grand exportateur net de
salafisme jihadiste dans le monde, ce que le prince héritier saoudien MBS
dénonce précisément. Khashoggi fut d’ailleurs longtemps le proche conseiller
de l’ex-chef des services secrets du royaume entre 1977 et 2001, Turki al-
Fayçal, l’homme qui mit Oussama ben Laden en orbite en Afghanistan et qui
devint ensuite l’ambassadeur d’ Arabie saoudite au Royaume-Uni et aux
États-Unis. À l’arrivée au pouvoir de MBS, en 2015, Jamal Khashoggi a par
ailleurs failli rester en bon termes avec lui, mais l’opposition radicale de ce
dernier aux Frères musulmans – dont Khashoggi s’était déjà rapproché – puis
l’alliance anti-Frères renforcée de l’Arabie de MBS avec l’Égypte d’Al- Sissi
et les Émirats arabes unis (ennemis jurés de l’islam politique) de Mohamed
ben Zayed (MBZ), ont rendu leur entente stratégiquement et politiquement
impossible. Depuis lors, le journaliste frériste-saoudien, qui avait ses entrées
aux États-Unis en raison des liens de sa famille avec les milieux d’affaires,
politiques et de renseignement américains, n’a cessé de dénoncer les
méthodes « despotiques » du jeune Prince. Il avait probablement raison de le
faire, de son point de vue, et il n’a pas manqué de courage, mais il n’était pas
pour autant un prix Nobel de la paix. Et il avait choisi en connaissance de
cause le camp du néo-Sultan turc Erdogan et de l’émirat du Qatar, bêtes
noires de son propre pays, lequel n’allait pas lui en être gré, d’autant que son
intimité passée aux côtés de Ben Laden, de l’ancien patron des services
secrets ou de nombreux princes Saoud faisait de lui un dissident redoutable et
pas seulement un « traître ».

Le témoignage d’ Azzam Tamimi,


pilier des « nouveaux Ikhwan » et ami de
Khashoggi
Azzam Tamimi, né en 1955 à Hébron, est le troisième homme clef de la
nouvelle stratégie horizontale et numérique des Frères et de leur soft power
jihad. Comme Jassim Sultan, Al-Tamimi est un activiste radical qui a su
évoluer en présentant une image moderne et même « modérée », et comme
Sultan, il est aussi un homme de médias, puisqu’il préside la chaîne télévisée
Al-Hiwar, basée à Londres . Issu d’une grande famille palestinienne, Azzam
Tamimi dirige également depuis Londres l’Institut de la pensée politique
islamique. En 2004, ce « modéré » qui n’a jamais caché sa proximité
personnelle et familiale avec le Hamas, avait provoqué un scandale en
déclarant à la BBC : « sacrifier sa vie pour la justice en Palestine est une
noble cause. C’est le chemin le plus direct pour plaire à Dieu. Je le ferais si
j’en avais l’occasion ». Plus récemment, en mai 2018, Azzam Tamimi a
déclaré sur sa propre chaîne Al-hiwar TV, que « si le transfert de
l’ambassade des États-Unis à Jérusalem est porteur de symbole politique,
cela ne signifie pas grand-chose pour nous, car nous voulons la Palestine
5
dans son intégralité » . En mai 2008, Tamimi, lors d’un passage à Genève, il
avait aussi choqué les autorités israéliennes et les communautés juives
lorsque, dans le cadre de manifestations commémorant le soixantième
anniversaire de la « Nakba » (la « catastrophe » de la création d’Israël),
organisées par le Collectif (violemment antisioniste) « urgence Palestine », il
avait comparé la création de l’État hébreux à une sorte de « Shoah des
Palestiniens ». Étant donné son importance dans les nouveaux dispositifs des
Frères dans le monde et en Europe, nous sommes retournés le voir à Londres
6
en mars 2019 dans sa résidence de Londres où il nous a accordé un
entretien. Il a d’ailleurs commencé par avouer – ce qui est rare pour l’un de
ses membres – son appartenance formelle à La Confrérie puis son amitié avec
Sultan et surtout avec Khashoggi. Adepte de la nouvelle « révolution 2.0 »
numérique, il nous a livré une interview tout à fait exceptionnelle, dans
laquelle il a mis à nouveau en garde contre un « nouveau printemps arabe »,
invoquant la responsabilité des grandes firmes internationales dont le mode de
fonctionnement ainsi que le soutien aux États arabes ne seraient que le
prolongement d’une forme de colonialisme qu’il faudrait combattre avec des
méthodes nouvelles, adaptées, certes non violentes, à la différence du théâtre
d’opération palestinien. Nous avons choisi de reproduire ici l’intégralité de
notre entretien.
— Monsieur Tamimi, comment avez-vous rencontré Jamal Khashoggi ?
— J’ai rencontré Jamal Khashoggi pour la première fois en janvier 1992,
après le coup d’État en Algérie. En décembre 1991, le FIS avait remporté le
premier tour des élections législatives. Le deuxième tour était en train de se
tenir lorsque l’armée est intervenue et les a annulées. Elle a commencé à
poser les bases de ce que nous avons vu en Algérie pendant presque 10 ans
(…). À cette époque, Jamal est venu me rendre visite à Londres. Des amis
nous ont introduits. Il m’a alors proposé de mettre en place une organisation,
une sorte de lobby qui aurait pour but d’alerter l’opinion publique
occidentale sur les dangers des attaques contre la démocratie en Algérie. J’ai
demandé à en être en charge. Nous l’avons appelée « les amis de la
démocratie en Algérie ». 4 ou 6 mois, après nous l’avons transformée en une
organisation des Droits de l’Homme qui avait pour nom « Liberté pour les
Musulmans » (…).
— Selon vous, qui a ordonné l’assassinat de Khashoggi et quelle en était
la raison ?
— Nous savons, maintenant que l’information a été confirmée par les
Turcs et par la CIA, que Mohammad ben Salmane était le donneur d’ordre. Il
est impensable qu’un groupe officiel de Saoudiens aient pu voyager à
Istanbul pour commettre un assassinat au consulat d’ Arabie saoudite, sans
que MBS en ait eu connaissance. Au sein de cette dictature, le chef connaît
tout dans les moindres détails, il n’autorise personne à avoir de l’autorité, il
ne délègue pas. Les Saoudiens admettent que leurs hommes ont tué Jamal
Khashoggi mais ils refusent de coopérer avec les Turcs (…). Le fait est qu’ils
sont parvenus à effrayer les autres membres de l’opposition qui pourraient
rencontrer un destin similaire s’ils continuent de s’opposer à MBS.
— Selon vous, quelle était la raison principale de son assassinat ?
— Jamal Khashoggi a été assassiné pour un million de raisons mais
principalement à cause de ses colonnes dans le Washington Post. MBS a
accédé au pouvoir en 2015, et tente de donner l’image d’un homme moderne,
réformateur. Il dépense des millions de dollars aux États-Unis, au Royaume
Uni et probablement dans d’autres pays pour payer des lobbys dans le but de
l’améliorer. Mais avec ces quelques colonnes dans le Washington Post,
Jamal Khashoggi était en train de livrer au monde une version totalement
différente sur ce qu’il se passait vraiment en Arabie saoudite. Il ne s’est
jamais considéré comme un membre de l’opposition, mais il était très précis,
et accumulait des descriptions sur ce qu’était en train de faire Mohammad
ben Salmane : à savoir courir au désastre !
— Khashoggi fut longtemps proche du pouvoir saoudien. MBS redoutait-
il qu’il diffuse des secrets ?
— Jamal Khashoggi était le premier Saoudien à avoir l’opportunité
d’écrire régulièrement dans le Washington Post. Et c’est bien là qu’était le
danger ! Le Washington Post est l’un des principaux journaux aux États-Unis
et même à l’échelle mondiale. C’est une source d’informations et d’analyse.
MBS avait besoin de mettre les États-Unis dans sa poche. C’est la raison
pour laquelle il s’y est rendu pour un séjour de plus de 2 semaines. Il a
rencontré de grands hommes d’affaires, a essayé d’acheter leur loyauté et
leur sympathie. Mais Jamal Khashoggi faisait le contraire de tout cela. En
colère, Mohammad ben Salmane a donc essayé de le convaincre de revenir. Il
lui a même envoyé des messagers à l’occasion de réceptions. Son message
était : « Reviens et tu pourras travailler pour l’Arabie saoudite ». Mais Jamal
m’a dit qu’il n’avait aucun doute. Que s’il retournait là-bas, il irait
directement en prison. Certains de ses amis (…) avaient déjà été envoyés en
prison sans raison sérieuse. Donc, qu’est-ce qui pouvait attendre Jamal, étant
donné ses articles ? Il avait en effet écrit deux articles à charge contre
Mohammed ben Salmane. Le premier concernait l’Aramco et ce qu’il s’y
passait. Le second parlait des femmes en prison, des activistes ayant milité
pendant des années pour que les femmes aient le droit de conduire.
— Jamal disposait-il d’une liste de nom d’agents secrets saoudiens
infiltrés chez les Frères ?
— Je n’ai jamais entendu parler de cela. Vous pouvez me répéter ?
— Jamal s’apprêtait-il à publier une liste de noms d’espions saoudiens
infiltrés dans La Confrérie ?
— Je ne pense pas que cela soit vrai. Si cela était vrai, il me l’aurait dit
car j’étais très proche de lui. Je suis membre des Frères musulmans depuis
que je suis jeune. Il me l’aurait dit. MBS est fou. Il ne tolère aucune critique,
c’est pourquoi il l’a tué.
— Jamal projettait-il de renverser les dictatures arabes et de leur livrer
une guerre économique, de Riyad à Alger ?
— C’est une exagération. Jamal avait un projet plus ample. Nous en
avions d’ailleurs discuté à Londres la veille de sa mort. Nous avons passé
toute la journée ensemble et avons discuté de ses idées dont l’une évoquait
l’économie, mais cela ne concernait pas un boycott ou une destruction
économique, mais simplement de créer un site internet et de publier en arabe
certains des rapports en anglais, en français et dans d’autres langues au sujet
des conditions économiques dans les régions arabes. Jamal croyait que les
intellectuels arabes étaient limités en données économiques. Ce projet avait
donc pour but d’éduquer les intellectuels arabes sur ce qu’il se passe
économiquement dans leur société.
7
— Lors d’une une conférence au Al Sharq forum , Jamal expliquait que
la guerre contre les dictatures se déroule désormais sur les réseaux sociaux.
Trouve-t-on ses vidéos sur internet et préparait-il une guerre ?
— Jamal était un intellectuel sympathisant du Printemps arabe. C’est
l’autre raison pour laquelle MBS était en colère contre lui, comme les
Émirats arabes unis. Mohammad Bel Zayed à Abu Dhabi était très en colère
contre Jamal également. Je pense qu’il a poussé MBS à avoir la peau de
Jamal, qui n’avait pas d’organisation, pas d’argent et pas de pouvoir, mais
que des mots. Il expliquait l’importance de l’économie, d’œuvrer au
changement (…). Jusqu’à l’été 2016, il croyait encore que l’ Arabie saoudite
avait un meilleur régime que les autres pays du monde arabe, jusqu’à ce que
ses amis soient arrêtés (…). Parfois, les gens exagèrent son rôle Jamal. Je
maintiens qu’il a été tué par MBS à cause de ses articles au Washington Post.
— À travers son assassinat en Turquie, MBS avait-il un message pour
Erdogan ?
— Il est parfaitement possible d’interpréter cet assassinat ainsi . Mais
j’ai parlé avec des amis en Turquie très proches de M. Erdogan (…). Selon
eux, Les Saoudiens voulaient tuer Jamal à Istanbul, camoufler l’assassinat et
accuser la Turquie de l’avoir tué. C’était l’idée. C’est pourquoi ils voulaient
faire disparaître le corps, éliminer toute trace. Nous pensions qu’ils ont
utilisé de l’acide, mais les Turcs disent qu’il a été brûlé (…). Si le plan
Saoudien avait fonctionné, ils auraient dit : « mais où est notre Jamal
national, il a disparu à Istanbul. Les Turcs sont responsables de cela ». Je
pense que c’est ce qu’ils voulaient faire. Mais ils ne savaient pas que sa
fiancée était à l’extérieur, et qu’il était avec moi la veille. Il m’a dit qu’il
allait au consulat, donc je savais qu’il y allait (…). C’était un plan naïf, qui
pouvait marcher, mais cela n’a pas été le cas.
— Pourquoi le gouvernement français est-il inquiet de l’émergence des
Ikhwan en France et pourquoi sont-ils effrayés d’y voir la Turquie agir avec
les Frères ?
— Selon moi, c’est une tradition française que de maintenir un lien avec
les dictatures d’Afrique du Nord. Le gouvernement français ne veut voir
aucun changement en Algérie ou au Maroc. Ils ont été terrifiés par le
changement en Tunisie. La France est la mère de la démocratie en Europe
mais malheureusement, le gouvernement français est contre la démocratie
dans le monde arabe. C’est la principale raison. Ils utilisent la Turquie et les
Frères comme un prétexte. Pourquoi la France n’a-t-elle d’ailleurs pas
8
défendu le président démocratiquement élu en Égypte lorsque l’armée a pris
le pouvoir ?
— Vous évoquez Mohamed Morsi ?
— Oui. Pourquoi les démocraties occidentales sont-elles restées en
retrait quand Sissi est arrivé violemment au pouvoir, en massacrant des
centaines de personnes et en renversant le gouvernement démocratiquement
élu ? Il y a une réponse simple à cela : en France et dans la plupart des pays
du monde, on n’aime pas l’idée que la démocratie progresse ou prospère au
sein des pays arabes. Ils sont effrayés à l’idée que si les Arabes choisissent la
liberté, il n’y aura plus de corruption, plus de monopole, plus de pillage des
ressources. Je suis désolé de dire que les grandes sociétés européennes – ce
qui inclut la France – pillent les ressources du Tiers-Monde. C’est la
continuation de la colonisation. Elles sont effrayées à l’idée que les Arabes
aient leurs propres gouvernements et prennent leurs propres décisions, car
elles se disent qu’alors Israël ne sera probablement pas dans une bonne
position. Je suis désolé de dire qu’en Occident – je parle des gouvernements,
et non des personnes – la plupart des politiciens sont hypocrites. Ils ne
croient pas véritablement en la démocratie. La démocratie pour eux, mais pas
pour les autres, les droits de l’homme pour eux, mais pas pour les autres.
C’est probablement la plus importante leçon que nous avons apprise des
événements des huit dernières années. Je me souviens qu’avant 2011, lorsque
je traversais l’Europe, beaucoup de personnes étaient contentes pour les
Arabes. Même dans les centres villes des capitales européennes, des gens
installaient des campements, comme celui de la place Tahrir, car ils aimaient
cette dynamique, contrairement aux politiciens effrayés car cela n’allait pas
dans le sens de leurs intérêts impérialistes.
— Au Maghreb (Maroc, Algérie…), il y a eu une importante campagne de
boycott contre les firmes françaises ? Est-ce en lien avec ce que vous venez de
dire ?
— La situation économique au Maghreb, du Maroc jusqu’en Libye, est
très tendue. Ces pays sont riches. L’Algérie a du gaz et dispose de
nombreuses terres fertiles. La Libye a du pétrole, mais les gens sont encore
pauvres. Pourquoi sont-ils pauvres ? Parce que la loi favorise les élites,
anciennes comme nouvelles, et qu’elles collaborent avec les multinationales
en volant le bien-être des personnes de cette partie du monde. Si vous allez
dans ces pays, vous le constaterez vous-mêmes. Qui contrôle l’économie en
Algérie ? C’est l’armée. Qui gouverne en Algérie ? C’est l’armée. Qui fait du
commerce avec la France ? C’est l’armée. Vous allez au Maroc, qui fait tout
ça ? C’est le palais, et le palais fait du commerce avec qui ? Avec la France.
Il est donc tout naturel que les gens soient en colère.
— Certains activistes en Algérie et au Maroc disent que se battre contre
le pouvoir des firmes françaises ou internationales revient à se battre contre
le pouvoir local ? Pouvez-vous expliquer leur stratégie ?
— Si les gens sont oppressés (…), quel choix ont-ils ? Ils ne peuvent que
se résoudre à la violence. Comme nous l’avons vu, c’est mauvais, c’est
désastreux, c’est destructeur comme en Syrie. Cela n’a en effet pas aidé les
Syriens. Mais ils peuvent aussi résoudre le problème pacifiquement. Le
boycott est une façon pacifique, très efficace, de lutter. Il a d’ailleurs été
utilisé contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Il a également été
utilisé contre Israël (…). Si les Maghrébins sentent que certaines compagnies
dans certains pays sont actives contre leur bien-être, ils ont alors tout à fait le
droit d’utiliser le boycott comme moyen pacifique de faire pression (…) Dans
la réalité, aucune réglementation n’est appliquée ou respectée. Les firmes
exploitent les gens, ne les payent pas assez, et vendent leur marchandise à des
prix très élevés (…). Les gens sont en colère, sur le point d’exploser !
— Verra-t-on un nouveau Printemps arabe au Maghreb et au Moyen-
Orient ?
— C’est inévitable ! Il y aura une nouvelle révolution. Votre pays en est
le meilleur exemple. La révolution française a en effet connu beaucoup de
cycles. Révolution sur révolution, jusqu’à ce que la démocratie soit établie.
C’est exactement ce qu’il se passe dans le monde arabe. Aujourd’hui, au
moment où nous parlons, nous pouvons voir les prémices d’une nouvelle
révolution. Nous pouvons le constater en Algérie, au Soudan et mêmes à
travers certains mouvements en Égypte. Les gens de ces pays veulent de la
liberté, ils veulent s’émanciper. Ils vivent comme des animaux. Aujourd’hui
ou demain, il y aura donc une autre révolution. Le problème est que les
dirigeants de ces pays sont stupides. Mais savez-vous qui sont les plus
stupides ? Ce sont les politiciens des pays occidentaux qui sont en accord
avec ces dictateurs, car ils ne voient pas ce qui est en train d’arriver : C’est
une vague qui balayera les dictateurs. Les Arabes veulent leur liberté et leur
dignité, ils veulent retrouver leurs droits.
Cet entretien avec un membre éminent de La Confrérie en dit assez long,
car si l’on prend le temps de le décrypter, on y retrouve les thématiques
phares des Frères musulmans : anticolonialisme, anti-occidentalisme,
opérations de boycott contre les grandes sociétés internationales, et menaces
d’un nouveau Printemps arabe. Concernant Jamal Khashoggi, on y retrouve
les éléments clés de son positionnement. Car s’il a été odieusement assassiné,
il n’est pas la victime « libérale » que l’on dépeint dans les médias. C’était un
activiste clé de la stratégie belliciste des Frères. Tout le contraire de ce que
raconte d’ailleurs sa fiancée Hatice Cengiz – elle-même proche des Ikhwan .
À ce sujet, il est important de revenir sur le parcours de cette dernière, qui
accuse sans relâche les grandes démocraties de faire le jeu de l’ Arabie
9
saoudite et s’inscrit dans un discours victimaire .

La vérité sur Hatice Cengiz,


la fiancée islamiste de Jamal Khashoggi
La fiancée de Jamal Khashoggi mène campagne depuis plus d’un an pour
faire condamner les commanditaires de son meurtre, interpellant les
gouvernements occidentaux sur leur complaisance à l’égard du régime
saoudien. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle-même est proche de la nébuleuse
islamiste, et qu’elle soutient le régime autoritaire national-islamiste de Recep
Tayyip Erdogan. Trente-sept ans, le visage fermé, arborant le foulard
islamique serré en forme de türban typique des adeptes de l’AKP, Hatice
Cengiz se présente comme chercheuse et journaliste. Selon la presse turque,
elle est diplômée de la faculté de théologie d’Istanbul et d’histoire de
l’Université Sabahattin Zaim. Cengiz a publié divers articles et analyses dans
la revue Dis Politika ( Politique étrangère ), pour le site de l’agence de presse
du gouvernement turc Anadolu Agency, mais aussi pour l’ONG turque IHH, (
İnsani Yardım Vakfı ), pour laquelle elle a réalisé un rapport sur le sultanat
d’Oman. L’IHH, qui a des liens étroits avec l’AKP, est l’une des nombreuses
« ONG d’Allah » sur lesquelles s’est appuyé Recep Tayyip Erdogan pour
étendre son influence sur l’organisation des Frères musulmans à travers le
monde. Cette ONG a été impliquée dans plusieurs affaires liées à des groupes
terroristes, notamment Al- Qaïda dans les années 1990. Comme l’a affirmé
l’ex-juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière lors d’un entretien avec Alfred
de Montesquiou pour Associated Press en 2010 : « l’IHH avait des liens
clairs et durables avec le terrorisme et le jihad ». L’ex-juge français avait
témoigné devant une cour fédérale américaine en 2001, après avoir enquêté
sur des membres de cellules jihadistes affiliées à Al-Qaïda qui utilisaient
l’IHH comme couverture et qui auraient planifié un attentat avorté à
l’aéroport de Los Angeles en décembre 1999. L’IHH a par ailleurs été
accusée d’avoir envoyé différentes aides financières ou matérielles au
Hamas : en Allemagne, par le biais de collectes de fonds organisées dans les
mosquées par Milli Görüs, la plus grande organisation islamiste du pays, ou
encore lors de l’épisode fatal de la flottille de Gaza en 2010 et de son navire
amiral, le Mavi Marmara, acquis par l’ONG pour 1,8 million de dollars. Le
but de cette expédition était de contourner le blocus israélien en acheminant
des vivres. Cette affaire avait ouvert une grave crise diplomatique entre Israël
et la Turquie, neuf personnes de nationalité turque ayant été tuées par des
commandos israéliens.
Outre ses travaux, Hatice a notamment relayé sur les réseaux sociaux, le
8 décembre 2017, un appel de l‘ONG à un rassemblement à la mosquée Fatih,
à Istanbul, contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Ce
même jour, elle postait des photos d’elle posant devant la mosquée Al-Aqsa,
avec pour légende « Jérusalem capitale de la Palestine éternelle ». D’autres
photos prises en 2014 et 2015 la montrent, souriante, participer à une
rencontre avec des femmes de différentes nationalités au sein de Mazlumder,
une organisation islamiste de défense des droits de l’homme. Selon un rapport
écrit par le chercheur Steven G. Merley, Mazlumder a des filiales dans toute
la Turquie à l’instar de l’IHH, et fait état de « liens avec des organisations
islamistes liées au Hamas (…), et au Jamaat-e- Islami au Pakistan ». Créée
en 1991, « Mazlumder a précocement montré des signes de politisation, en
particulier pendant la guerre d’Irak, puis s’est alliée avec l’IHH en 2004
pour protester contre un sommet de l’OTAN à Istanbul. Un an plus tard,
l’ONG a commencé à se concentrer sur la rhétorique anti-israélienne.
Jusqu’en 2016, Mazlumder a été dirigée par Ahmet Unsal, un ancien député
de l’AKP de 2002 à 2007, qui lui aussi avait participé à l’opération de la
10
flottille de Gaza » . Plus récemment, Mazlumder a publiquement affirmé
son soutien aux Frères musulmans égyptiens, en appelant dans un
communiqué de presse, en 2015, à la « libération de Mohamed Morsi (…). »
L’organisation invitait alors « tous les acteurs consciencieux de la société
politique et civile à être fidèles à leurs principes et à s’unir contre
11
l’oppression » .

L’adhésion à l’idéologie des Frères


musulmans
Dans une interview accordée en février dernier à notre confrère de Paris-
Match , Régis le Sommier, grand reporter, Hatice se présentait comme étant
issue d’une « famille conservatrice ». Mais là encore, elle n’a pas tout livré de
ses convictions profondes et de ses liens avec la mouvance islamiste. Car
lorsque l’on analyse d’un peu plus près la nébuleuse autour d’elle, cette
dernière s’avère clairement proche de l’idéologie islamiste suprémaciste/néo-
califale des Frères musulmans qui prône notamment dans ses textes
fondateurs le martyr et le jihad. Si des détracteurs saoudiens ont mené de
façon certes exagérée et brutale une campagne de discrédit contre elle depuis
l’assassinat de Jamal, faisant remonter d’anciens messages dans lesquels cette
dernière soutenait clairement la Rabia (signe de ralliement des Frères
musulmans depuis le Printemps arabe), ou insinuant qu’elle était un agent des
services secrets turcs (le MIT), Hatice a plusieurs fois montré sa sympathie
pour les Ikhwan , notamment sur Twitter. En août 2014, elle a tweeté une
image des brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, ou encore relayé
une vidéo en lien avec la Rabia (effacée de YouTube entre novembre 2018 et
ce jour). En 2016, elle a écrit un message de sympathie envers Mohamed
Morsi, l’ex-président égyptien frériste. Entre ses détracteurs et des éléments
permettant d’avoir une image un peu plus précise des opinions de Hatice, on
peut constater qu’elle prend une place active dans la guerre qui se joue entre
le wahhabisme saoudien et les Frères musulmans turco-qataris pour le
leadership de l’islam sunnite au Moyen-Orient.
L’ex-fiancée de Jamal Khashoggi a en fait déclaré à la presse avoir
rencontré Jamal pour la première fois lors d’une conférence en 2018. On la
retrouve d’ailleurs le 6 mai de la même année au forum Al-Sharq, un think
tank dirigé par Wadah Khanfar, palestinien proche de l’organisation islamiste
et ancien directeur général d’Al- Jazeera. Lors de la conférence de Jamal,
Hatice retweete en direct l’intervention de celui qu’elle appelle alors le
« Professeur Khashoggi », prend des photos de son allocution depuis le fond
de la salle et s’adresse directement au community manager du forum,
s’interrogeant sur le fait que toutes les interventions aient été faites en anglais
et non en langue arabe. Le 22 septembre dernier, Hatice assiste à la dernière
conférence que donnera Jamal au forum Al-Sharq à Istanbul, prenant là
encore une photo depuis le fond de la salle, 11 jours avant l’assassinat de
Jamal Khashoggi. Un extrait vidéo de cette conférence dédiée aux
« tendances politiques de l’Orient après les Printemps arabes » a été publié à
titre posthume. On peut y voir le journaliste affirmer que les « réseaux
sociaux sont le nouveau champ de bataille », en référence à la stratégie de
guerre numérique contre les dictatures arabes et leurs alliés occidentaux
préconisée dès les années 2000 par Jassim Sultan. Invitée à s’exprimer au
Parlement européen le 19 février 2019, Hatice a fustigé les États occidentaux,
accusés de « protéger uniquement leurs intérêts économiques et financiers »
et de « ne pas avoir agi comme il le fallait à cet évènement ». Ironie du
destin : alors qu’Hatice déclarait récemment que « si on ne punit pas les
assassins, aucun journaliste ne pourra exercer son métier de façon sûre »,
elle soutient le président Erdogan, dénoncé par la presse et les ONG
internationales pour les nombreux emprisonnements de ses opposants et de
journalistes en Turquie.

Les stratèges du « jihad numérique et


économique » et le projet « DAWN »
Sur Internet, le « jihad économique et numérique » et l’arme du boycott
sont relayés par les réseaux liés à Khashoggi et ses proches, qui ont fait passer
le message à leurs sympathisants à travers le monde que la lutte contre
l’oppresseur est en marche. Le journaliste et chercheur Saïd Salmi analyse la
situation ressentie par les activistes : « En 2011, les régimes au Maroc, en
Algérie, en Oman et en Arabie saoudite n’ont pas répondu aux contestations
des Printemps arabes par les réformes politiques, sociales et économiques
nécessaires (…). Les persécutions sont revenues (…). Cela a engendré une
immense frustration, notamment chez les plus pauvres et dans les classes
moyennes (…) ». Il assure : « Bien sûr, Khashoggi appartenait à cette
mouvance qui veut renverser ces régimes, notamment dans le Golfe, et qui
annonce l’aube d’un nouveau Printemps arabe ». Et le prince héritier
d’Arabie saoudite, Mohamed ben Salmane, était assurément dans sa ligne de
mire.
Jamal Khashoggi voyageait beaucoup. Il intervenait également dans un
certain nombre de conférences organisées par des institutions satellites de La
Confrérie islamiste. De nombreuses photographies et vidéos en attestent. Fin
septembre 2018, à Istanbul, dans le cadre du Al-Sharq Forum, un think tank
dirigé par Wadah Khanfar, un Palestinien proche des Frères et ancien
directeur général d’Al- Jazeera, Jamal évoque la nouvelle stratégie que « la
mouvance islamiste » doit dorénavant suivre pour faire tomber les « tyrans »
du Moyen-Orient. Le journaliste saoudien insiste sur le fait que, face aux
régimes oppresseurs, « les réseaux sociaux sont devenus le nouveau champ
de bataille ». Un discours qui colle à la virgule près à celui du Qatari Jassim
Sultan, et qui a été largement suivi d’effets par les cyber-activistes islamistes
au Maroc, en Jordanie, en Arabie saoudite et en Algérie.
Durant cette même période, Khashoggi se rendit au Qatar afin d’y lever
des fonds pour une fondation dont il avait déposé les statuts en Janvier 2018,
dans l’État du Delaware, un paradis fiscal américain. Dénommée DAWN
(acronyme de Democracy for the Arab World Now ), celle-ci avait pour objet
de diffuser « un contre-récit dans le monde arabe et l’Occident face aux
sceptiques du Printemps arabe », selon Betsy Woodruff, journaliste qui a
enquêté sur l’affaire pour The Daily Beast . « Dawn était un projet que nous
avions pensé ensemble », nous a expliqué son vieil ami, Azzam Tamimi,
avec lequel il était à Londres la veille de son assassinat. À la question
suivante : Quel était précisément le propos de la DAWN fondation ?, Tamimi
nous a répondu assez clairement : « La DAWN fondation est très similaire à
l’organisation que j’ai mise en place avec Jamal en 1992 « les amis de la
démocratie ». Jamal en a parlé à certains de nos amis aux États-Unis à
Washington DC. Tous étaient d’accord sur le fait que les États-Unis étaient le
meilleur endroit pour l’y installer du fait des relations proches avec l’Arabie
saoudite. L’objet de l’organisation était d’éclairer le public américain sur
l’importance de soutenir le courant démocratique et non la dictature [au
Moyen-Orient, ndlr] car celle-ci était en train de détruire la société arabe ».

L’arme du boycott contre les sociétés


occidentales :
Danone, Total, Renault, Coca-Cola, etc
La société Central Danone , filiale marocaine de Danone, a été l’une des
entreprises victimes, au printemps 2018, de ce jihad économique et donc du
projet DAWN. Surfant sur une vague de contestation populaire liée à la
pauvreté endémique qui touche une grande partie du pays, des jeunes
sympathisants du Parti de la Justice et du Développement (PJD), « franchise »
locale des Frères, officiellement en sécession avec leur hiérarchie et sa
structure politique, ont appelé via Twitter et Facebook à boycotter ses
12
produits, soi-disant trop chers ou composés de produits haram . Des
rumeurs infondées qui, relayées par des centaines de milliers de posts sur les
réseaux sociaux, ont impacté le géant français de l’agroalimentaire. « En
ciblant ces sociétés occidentales, nous épuisons les économies locales et donc
les régimes que nous voulons abattre (…). Ce sont eux que nous visons. Car
nos élites politiques frayent avec les dirigeants de ces entreprises et font de
l’argent sur le dos des plus pauvres. Ce sont tous les mêmes ! (…). Pour nous,
ils ont trahi le mouvement des printemps arabes, au même titre que les pays
occidentaux qui les soutiennent (…) », nous a expliqué Hassan, 35 ans, cyber-
activiste marocain proche de La Confrérie. Un autre, jordanien, nous a
raconté : « c’est une nouvelle forme de Printemps arabe. Faire cette
campagne sur Internet, en utilisant les médias et les réseaux sociaux a été un
très bon test ! Nous avons démontré que c’était un moyen d’agir efficacement
sans être victimes de violences policières. Sur la toile, nous sommes plus
difficilement identifiables. Nous mobilisons des millions de gens en prenant le
minimum de risques pour un maximum de résultats. C’est une forme de jihad
économique sur Internet ».
En Jordanie, au mois de juin 2018, une autre campagne de boycott a
d’ailleurs visé une décision du gouvernement d’augmenter certaines taxes. En
tête du mouvement, on trouvait une organisation de médecins étroitement liée
à La Confrérie islamiste, qui a fragilisé le gouvernement. Idem en Algérie où
le constructeur automobile Renault – à l’instar d’autres sociétés comme
Sanofi, Total, Lesieur ou Coca-Cola –, a été, la même année, la cible d’une
campagne en ligne intitulée « laisse-la rouiller » appelant au rejet de la
marque. À chaque fois, on retrouvait un scénario identique à celui du Maroc.
Nous avons ainsi constaté, en étudiant des milliers de tweets et de posts sur
Facebook, que les cyber-activistes ciblaient toujours la même typologie de
produits – eau, huile, voitures, essence, médicaments, produits laitiers, etc. –,
diffusaient les mêmes discours anticolonialistes, les mêmes mots clés et les
mêmes logos. Parmi les faits les plus troublants, le dessin d’une main dont le
pouce est replié sur la paume et les quatre doigts levés vers le ciel. Appelé
13
Rabia* , ce geste popularisé par le président turc Erdogan et son ex-
homologue défunt Mohamed Morsi lors de leur meetings est, comme on l’a
vu plus haut, le signe de reconnaissance des Frères musulmans.

De Tunis à Riyad : un « Printemps arabe


économique et numérique 2.0 » ?
Dans le contexte géopolitique, idéologique et géo-économique dans lequel
est livrée la « guerre 2.0 » des Frères en vue de renverser l’ensemble des États
arabes qui leur sont hostiles, un pays hautement symbolique inquiète tout
particulièrement les analystes et les services de renseignement du Maghreb :
la Tunisie, berceau de la révolution du Jasmin. Point de départ des Printemps
ou « révolutions arabes », le pays de Habib Bourguiba, tiraillé entre les
fréristes d’Ennahda et les mouvances laïques et progressistes hostiles à
l’islamisme, figure en première ligne dans l’agenda des islamistes pour
constituer celui d’une nouvelle révolution. D’après des experts issus de divers
services de sécurité, la Tunisie serait – avec le Maroc et l’ Arabie saoudite –
l’un des pays-cibles favoris des Ikhwan et de leur « Printemps arabe
économique et numérique 2.0 ». En Tunisie comme au Maroc en effet, des
campagnes d’appels au boycott et au renversement direct ou indirect des
régimes en place sont encouragés de façon discrète et mais efficace par les
sections jeunesse des Ikhwan , très actives dans les universités, les milieux
associatifs et les réseaux sociaux.
Certes, si les Frères ne sont pas toujours à l’origine des révoltes dans ces
pays gagnés par une corruption endémique et une mauvaise gouvernance avec
ses conséquences en termes d’injustices, ils ont toutefois su récupérer l’élan
révolutionnaire. Après avoir encouragé et accompagné les campagnes de
boycott et de subversion, leurs structures web, et leurs réseaux militants ont
intensifié leur stratégie d’entrisme dans les entreprises, les milieux
intellectuels, universitaires et syndicaux. En Tunisie comme dans le reste du
Maghreb, la corruption généralisée, l’injustice qui lui est associée, puis la
cherté de la vie, ont grandement frustré les populations qui exigent des
réponses concrètes aux revendications de 2010 restées en fin de compte lettre
morte. D’où la stratégie révolutionnaire 2.0 visant à relancer dans l’ensemble
du monde arabe un nouveau « printemps arabe numérique » qui passe
notamment par la récupération démagogique des foyers et leviers de révolte
susceptibles d’affaiblir les régimes en place, notamment en associant ces
régimes musulmans « apostats » ou « traîtres » au diable occidental post-
colonial. Lorsque l’on regarde le CV d’un grand nombre de leaders de ce
mouvement prônant la guerre économique, on se rend compte qu’ils sont
souvent passés par Al- Jazeera et qu’ils ont été pour la plupart en contact avec
des officines américaines.

Stratégie commune ou collaboration tactique


irano-qatarie ?
Arabie saoudite versus Qatar et Turquie… l’affaire Khashoggi est en fait
le révélateur de nombreux événements qui se jouent actuellement dans le
golfe Persique et plus largement dans le monde arabe. Chacun l’aura compris,
le Moyen-Orient retient son souffle, espérant que cette terrible lutte
d’influence, avec dans les rôles principaux les Frères musulmans, et une
galerie de personnages obscurs, tels feu Jamal Khashoggi, Azzam Tamimi,
Jassim Sultan, autrement dit les nouveaux penseurs de l’organisation que
beaucoup en Europe prennent encore pour des intellectuels respectables, ne
dégénère pas en affrontement direct. Et quand ce ne sont pas eux qui
apparaissent, alors ce sont des seconds couteaux comme Hatice qui sont
chargés de faire culpabiliser les démocraties, et de se positionner en victimes.
Cette stratégie fonctionne ainsi depuis des décennies et a tendance à faire
oublier, bien souvent, les massacres perpétrés par les branches armées de La
Confrérie. L’on remarquera au passage qu’à l’instar d’Azzam Tamimi, tous
les personnages que nous avons cités dans le cadre de l’affaire Khashoggi ont
étrangement des liens directs avec Al-Jazeera, les Frères musulmans, le
Hamas, la Turquie, le Qatar et, parfois même, avec Al- Qaïda. Il est aussi utile
de préciser qu’une partie des soutiens de ces islamistes se trouvent à Téhéran,
allié tactique, comme nous l’avons expliqué, du Qatar dans la crise qui
l’oppose à l’Arabie saoudite, mais aussi sponsor du Hamas palestinien.
« Il suffit de souligner que durant la récente crise iranienne, l’émir du
Qatar s’est rendu en Iran pour une visite éclair de quatre heures. Il a
prétendu avoir tenté de convaincre l’Iran de ne pas « lancer des opérations
provocatrices contre des cibles américaines dans la région du Golfe ». Mais
les renseignements américains ont découvert que l’émir transmettait des
informations à l’Iran. Washington a pris alors la décision d’arrêter toute
coopération avec Doha », explique Abdel Rahim Ali, spécialiste de l’islam
politique et dont les ouvrages en la matière font autorité en Europe et dans le
monde arabe. Il faut comprendre que le Qatar et la Turquie utilisent en fait les
Frères musulmans pour étendre leur influence sur les populations arabes et
mettre en place un nouveau califat. Et ils le font au prix du chaos. « Ce que le
Qatar fait en Libye et en Syrie et qu’il continue à faire dans un grand nombre
de pays du monde. C’est ce qui a incité les pays arabes à le boycotter et à le
soumettre à un siège régional », explique Abdelrahim Ali. C’est aussi ce que
nous a expliqué le maréchal libyen Khalifa Bilqāsim Haftar, qui commande
l’Armée nationale libyenne (ANL) et que nous avons interviewé à Paris le
22 mai 2019, en marge de sa rencontre avec le président de la République
française Emmanuel Macron. Ce dernier a en effet une vision très claire de
leur stratégie, et du danger que cela représente.

L’avis du nationaliste libyen Haftar,


en guerre totale contre les Frères musulmans
Exilé aux États-Unis dans les années 1990 après s’être opposé au régime
de Kadhafi, qu’il avait pourtant servi en tant qu’officier général, cet
adversaire des Frères retourne en Libye en 2011 pour soutenir le soulèvement
populaire. Il participe notamment à la bataille du golfe de Syrte et devient
l’un des chefs militaires du Conseil national de transition (CNT). Très vite, il
considère que la révolution libyenne a été préemptée par des milices
islamistes incontrôlables qui n’ont aucun désir de se soumettre au contrôle
d’un quelconque gouvernement. Voulant mettre fin au désordre qu’elles font
régner dans le pays, il crée en 2014 l’Armée nationale libyenne (ANL).
Décrié par l’opinion publique et les médias, il ne tarde pas à se positionner
comme une alternative militaire et politique au gouvernement de Tripoli
reconnu par la communauté internationale dont il critique l’inaction, le
manque de moyens et la compromission avec les islamistes. Il réussit ainsi le
tour de force de fédérer autour de lui une partie des tribus bédouines et
d’anciens officiers militaires en désignant le responsable du chaos libyen : les
Ikhwan , « matrice originelle d’Al- Qaïda et de Daech » selon lui, soutenus
par l’émirat du Qatar et la Turquie, et dont l’objectif est d’instaurer un califat
qui régnerait sur l’ensemble des pays arabes. Stratégiquement, Haftar a
compris que les jihadistes veulent mettre la main sur le pétrole libyen pour
ensuite poursuivre leur avancée vers les pays du Maghreb et l’Égypte. Voici
ce qu’il raconte : « La Turquie et le Qatar soutiennent l’islam politique des
Frères musulmans (…). Les Qataris veulent leur part du gâteau ! Ils
cherchent à étendre leur mainmise sur la Libye afin de s’emparer de ses
richesses, ce qui n’est évidemment pas acceptable. D’autant qu’ils
soutiennent des organisations terroristes, à commencer par celle des Frères
musulmans qui a fait venir un grand nombre de combattants dans notre pays.
Leur stratégie consiste, à l’instar du Qatar, à nous dépouiller, pour ensuite
porter leur lutte vers l’Égypte, les pays du Maghreb, la Mauritanie et les pays
du Golfe. Comme Daech, ils veulent créer un empire et établir leur califat
dans toute la région. En réalité, ces mouvements sont liés, car il ne faut
jamais oublier que les Frères musulmans sont les pères spirituels du
terrorisme. Tout le monde sait que c’est leur organisation qui a attiré les
démons jihadistes vers l’Irak, la Syrie et la Libye (…)». Quoi qu’on pense de
lui, il est intéressant d’écouter le maréchal Haftar, car ce qu’il décrit n’est
autre que la stratégie globale de cette matrice du totalitarisme islamiste qu’est
l’organisation des Ikhwan, à l’œuvre dans le monde arabe comme en Europe.

Ken Penjar , ou le récit d’un repenti frériste


des Émirats
L’accusation de vouloir « dominer l’Occident » est grave et peut même
paraître outrancière à des esprits ouverts non fascinés pour autant par
l’islamisme. Mais elle est portée par nombre d’anciens Frères musulmans,
« repentis », passés aux aveux et qui ont raconté ce qu’ils ont appris et vu de
l’intérieur de l’organisation. Nous avons mentionné en France les cas de
Mohamed Louizi ou Soufiane Zitouni, notamment. Celui de l’émirati Abdul
Rahman Khalifa Salem Sobeih al-Suwaidi, qui a passé 35 ans dans La
Confrérie, est tout aussi accablant. Auteur de l’essai-témoignage Ken Penjar
14
, Mon histoire avec l’organisation des Frères musulmans, Sobeih al-
Suwaidi accuse lui aussi les Ikhwan de projeter sciemment de « dominer
l’Occident » et, à terme, le monde entier. Il regrette à l’aune de ce constat que
l’organisation ait pignon sur rue dans ce même Occident. Alors Frère
musulman, Sobeih al-Suwaidi s’est retourné contre La Confrérie lorsque, en
2015, il a été arrêté en Indonésie avec de faux papiers et a subitement été
lâché par les Ikhwan . Rentré depuis à Dubaï, l’homme, né en 1964 dans une
famille proche du gouvernement, milite aujourd’hui activement contre les
Frères. Il explique que « les Frères musulmans étant persécutés dans
beaucoup de pays musulmans, en particulier en Égypte, l’Europe est devenue
une base arrière essentielle pour cette société secrète. Une grande partie des
dirigeants de l’organisation internationale [le Tanzim al-dawli] sont
d’ailleurs établis à Londres. Pour la plupart inconnus des services secrets
occidentaux, ils agissent à partir de structures, de sociétés, parfaitement
légales ». L’ancien membre de La Confrérie a d’ailleurs participé à nombre
de campagnes d’aide et secours dans le monde entier. Il révèle toutefois que si
l’action « charitable » des ONG d’Allah fréristes occupe une grande partie
des activités de l’organisation et de ses bénévoles, souvent animés de belles
intentions sociales et humanitaires au profit des plus démunis, les opérations
d’aide au jihad armé dans le monde, moins avouables, sont bien réelles et
persistantes, en dépit des dénégations. Durant trente-cinq ans, il a œuvré dans
des projets caritatifs aux quatre coins du monde, chaque opération permettant
d’ailleurs de générer des profits, lesquels peuvent alimenter à leur tour des
15
opérations jihadistes … Il cite le cas récent d’un certain Hassan El Dokki,
un Frère qui incitait de jeunes musulmans arabes à partir combattre en Syrie
16
. « Officiellement, le conseil de la Choura de La Confrérie – qui est un
conseil consultatif – l’a exclu, car nous ne devons surtout pas montrer vis-à-
vis de l’extérieur que nous sommes des extrémistes . Mais c’était de la
comédie. J’ai découvert que Saïd Nasser Al-Taniji, membre du conseil de la
Choura, était toujours en contact avec Hassan El Dokki », raconte le repenti
émirati. L’auteur de Ken Penjar affirme d’ailleurs avoir lui-même suivi un
entraînement militaire au Pakistan durant une « formation ». Le programme
comprenait de l’escalade, de la marche, des exercices physiques, ainsi que le
maniement de la Kalachnikov et « nous apprenions la manière de se
déplacer de jour comme de nuit, de porter les blessés, de se cacher, de se
camoufler », raconte-t-il. Sur le plan théorique, il confirme qu’officiellement,
l’extrémiste Sayyid Qutb, théoricien frériste majeur du jihadisme, aurait été
« désavoué par La Confrérie », mais il affirme qu’en réalité, Qutb serait
toujours officieusement enseigné aux Frères qui franchissent la « deuxième
barrière » de confidentialité de l’Organisation, rejoignant ainsi une structure
appelée « le cercle de la Mosquée »… Interviewé par Ian Hamel, depuis
Dubaï, il raconte qu’aux Émirats, l’association Islah, qu’il avait intégrée en
1978, avait accueilli notamment le père d’Al- Qaïda et mentor de Ben Laden,
Abdallah Azzam, et son adjoint d’alors Tamim al-Adnani, venus « récolter
des fonds et inciter des jeunes à partir faire le jihad en Afghanistan ». Il
raconte qu’il a dû étudier scrupuleusement Sayyid Qutb pour gravir des
échelons dans l’organisation. Il confirme par ailleurs que si le guide suprême
est en Égypte, les nouvelles structures principales de La Confrérie sont
aujourd’hui établies en Europe, parallèlement à celles du Qatar et de Turquie.
Conformément aux aveux de Azzam Tamimi et préconisations de Jassim
Sultan, il assure que les Ikhwan ne forment plus une organisation pyramidale
comme jadis, mais une multitude de structures indépendantes qui se cachent
derrière des entreprises, des sociétés, des associations parfaitement légales.
Plus inquiétant, il affirme « qu’aucun service occidental ne connaît
véritablement les hommes qui sont à la tête de tous ces organes dirigeants.
Moi-même je ne les connaissais pas ». Concernant la Turquie, il nie
l’affirmation selon laquelle l’islamisme turc néo-ottoman d’ Erdogan aurait
« fusionné » avec les Frères, mais confirme ce que nous avons démontré dans
le présent ouvrage à savoir que les Frères musulmans collaborent étroitement,
« signent des protocoles d’accord » non seulement avec les structures
islamistes turques, mais aussi, depuis les origines, avec la Jamaat-e- Islami au
Pakistan, en Inde, et au Bangladesh. La stratégie déployée tant en Occident
pour masquer l’ADN radical que dans les pays arabes pour échapper aux
répressions est conforme aux préconisations tant de Saïd Ramadan contenues
dans le « Projet » que dans celles de la nouvelle garde incarnée par Jassim
Sultan, Azzam Tamimi et Jamal Khashoggi : « les Frères n’agissent pas à
visage découvert. Ils ne créent pas d’associations “fréristes”, ils entrent
individuellement dans des associations qui n’ont pas de lien avec La
Confrérie et ils en prennent le contrôle petit à petit. Un peu à la façon
autrefois du Parti communiste. Lorsqu’il y a une catastrophe au Soudan,
l’association française noyautée va traiter avec une autre association locale
noyautée. Et pour renforcer l’opacité, on fera même parfois appel entre les
17
deux associations à un “mécène” » . Tout semble être dit.

1 . Voir glossaire .
2 . Cf, Observatoire de l’Islam politique et des Frères musulmans
http://www.ikhwan.whoswho/blog/archives/9997 .
3 . Azzam Tamimi est un Frère musulman palestinien-britannique, présentateur une chaîne tv
arabe, basée à Londres, Alhiwar TV . Il a dirigé l’Institut de la pensée politique islamique jusqu’en
2008 et a légitimé des attentats kamikazes.
4 . Cf notre enquête publiée le 2 décembre 2018 par le quotidien Corse Matin , avec
Globalgeonews.com
5 . Al-Tamimi s’exprimait sur les ondes de Al-Hiwar tv le 15 mai 2018.
6 . Interview réalisée avec Peggy Poquet, dont des extraits ont été diffusés par le site
globalgeonews.com
7 . Al-Sharq Forum est un groupe de réflexion à but non lucratif fondé en 2012, Wadah Khanfar,
ancien directeur général du réseau Al-Jazeera et proche des Frères.
8 . L’ancien président égyptien Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, avait fait
procédé à de nombreuses arrestations d’opposants, d’intellectuels et de journalistes. Parvenu au
pouvoir démocratiquement, mais dans le contexte post-révolution égyptienne, il a clairement utilisé
la démocratie comme moyen d’instaurer un régime islamique.
9 . Notre consœur Peggy Porquet a réalisé quant à elle, durant six mois, une enquête – à laquelle
nous avons collaboré – au sujet de cette dernière. Édifiante, nous avons choisi de la reproduire ici.
Elle a été publiée sur le site d’informations globalgeonews.com, en mai 2019.
10 . « Turkey, the Global Muslim Brotherhood, and the Gaza Flotilla », Jerusalem Center for
Public Affairs, 2011, http://www.jcpa.org/text/Turkey_Muslim_Brotherhood.pdf .
11 . Idem , http://www.jcpa.org/text/Turkey_Muslim_Brotherhood.pdf .
12 . Le terme haram signifie « illicite » dans ce cas précis.
13 . Rabia est l’acronyme de Ready For Brotherhood Independent Army : en français, prêt pour
l’armée indépendante de La Confrérie.
14 . « Ken Penjar » est le mot que lui a lancé un jour un policier de l’île indonésienne de Bata qui
signifie « Jetez-le en prison », d’où le titre de son essai-récit. Le livre est paru en arabe, édité aux
Émirats arabes unis, l’interview accordée à Ian Hamel est reproduite sur Oumma.com :
https://oumma.com/un-ancien-frere-musulman-emirati-denonce-la-confrerie-detourne-125-de-
laide-humanitaire-quelle-collecte/ .
15 . En se basant sur une fatwa, La Confrérie soustrairait à son profit, selon l’auteur, 12,5 % des
sommes recueillies.
16 . Ian Hamel, « Les Frères musulmans gardent des contacts étroits avec les terroristes », Le point
, 23 août 2019.
17 . Entretien avec Ian Hamel, oumma.com : https://oumma.com/un-ancien-frere-musulman-
emirati-denonce-la-confrerie-detourne-125-de-laide-humanitaire-quelle-collecte/ .
CHAPITRE VII

Les réseaux sociaux et l’antiracisme


politiquement correct au service de
l’expansion frériste
« L’islamophobie déplace la question du racisme sur le champ du religieux.
De fait, cela permet de réintroduire à haute dose le fait religieux dans le
débat public ».
1
Lydia Guirous
« Dans l’expression de l’islamo-gauchisme, tout se passe comme si seuls
les dominés, les anciens colonisés, avaient droit à une identité, mais non la
France, parce qu’elle est coupable. Il s’agit là d’un néo-vichysime. En effet,
Pétain n’a cessé de culpabiliser les Français. Que disent aujourd’hui les
islamo-gauchistes ? “Tout ce qui arrive à la France est naturel.” Je ne dis
pas qu’ils justifient les attentats. Mais enfin, si la France est l’une des
cibles privilégiées de l’islamisme, c’est peut-être selon eux, à mettre en
relation avec son passé. »
Jacques Julliar d

Les Frères, sel de l’alliance « islamo-


gauchiste »
L’expression « islamo-gauchiste », bien qu’étant fortement polémique,
n’en désigne par moins un phénomène palpable, celui d’une alliance entre des
forces islamistes subversives et des intellectuels, journalistes, militants ou
responsables politiques venus de la gauche radicale, qui refusent de dénoncer
l’islamisme sous prétexte de ne pas « stigmatiser l’islam », en réalité parce
que ce dernier est perçu comme un allié de circonstance contre des ennemis
communs : l’Occident judéo-chrétien, le sionisme, les États-Unis, le
nationalisme, etc. En 2002, ce fut le philosophe du CNRS Pierre-André
Taguieff qui, dans son ouvrage La Nouvelle Judéophobie , popularisa le
terme. Au départ, Taguieff entendait décrire le fait « qu’un certain tiers-
mondisme gauchiste se retrouvait côte à côte dans les mobilisations pro-
2
palestiniennes notamment, avec divers courants islamistes » . En 2016,
dans L’Islamisme et nous , il voyait dans la tenue de « réunions non mixtes »
et du « camp d’été décolonial » des Indigènes de la République (Reims,
août 2016) – « interdit aux Européens » – la confirmation que « l’antiracisme
est mis au service de l’islamisme et de l’islamo-gauchisme, ou instrumentalisé
3
pour la défense de causes ethnicisées » .
Utilisée également par des militants laïques de l’UFAL et dans la feuille
web Respublica , l’expression a été reprise par Alain Finkielkraut, Caroline
Fourest, Jacques Julliard, Élisabeth Badinter, Pascal Bruckner, ou encore
4
Bernard-Henri Lévy . L’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert déplore ainsi
une « collaboration d’une partie de la gauche avec l’islamo-fascisme,
donnant naissance à un islamo-gauchisme qui a des relais partout ».
Pour Jacques Julliard, l’islamo-gauchisme serait le fait d’une poignée
d’intellectuels d’extrême gauche, « peu nombreux mais très influents dans les
médias et dans la mouvance des droits de l’homme, qui ont imposé une
5
véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français » .
L’historien explique que ce qui attire la gauche dans « ce néo-cléricalisme
musulman qui s’est emparé d’une frange de l’intelligentsia », n’est pas tant
« le parti des pauvres, comme ils le prétendent ? (…) Du reste, allez donc
voir en Arabie saoudite si l’islam est la religion des pauvres . Je constate
plutôt que l’islamo-gauchisme est né du jour où l’islamisme est devenu le
vecteur du terrorisme aveugle et de l’égorgement. Pourquoi cette
e
conversion ? Parce que l’intelligentsia est devenue, depuis le début du XX
6
siècle, le vrai parti de la violence. » . Le journaliste et chercheur Alexandre
Devecchio identifie quant à lui « une nébuleuse rouge-verte » pour qui «
“la lutte des races” a remplacé la lutte des classes », face au « mâle blanc
occidental ».
Sans surprise, on retrouve les Frères musulmans au centre de cette alliance
paradoxale qui réunirait, face à des « ennemis » communs, les forces de la
gauche tiers-mondiste et celles de l’islamisme. Le 22 mai 2016, l’ex-Premier-
ministre Manuel Valls déclencha une violente polémique lorsqu’il qualifia
d’« islamo-gauchisme » « ces capitulations, ces ambiguïtés (des Insoumis)
avec les Indigènes de la République, les discussions entre Mme Clémentine
Autain et Tariq Ramadan, ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la
violence et de la radicalisation » , cela après que le site d’Ensemble, l’une des
composantes du Front de gauche dont Clémentine Autain était porte-parole,
avait appelé à se rendre à un meeting de Tariq Ramadan. Cette accusation
faisait suite aux discussions portant sur l’article 2 de la loi antiterroriste
relative à la fermeture des lieux de culte, rejetée par plusieurs membres de la
France insoumise ( Alexis Corbière, Danièle Obono, Ugo Bernalicis,
Stéphane Peu) et par le communiste Jean-Paul Lecoq. Ainsi, ceux-là mêmes
qui avaient refusé de voter la loi interdisant la burqa en 2010 déposèrent des
amendements contre l’article (rejetés en séance), déclarant que l’arsenal
législatif en place suffisait et que les fermetures de lieux de culte radicaux
étaient « inutiles, inefficaces et dangereuses » .
La polémique sur « l’islamo-gauchisme » arriva à son paroxysme lorsque
la députée de la France insoumise Danièle Obono participa aux 10 ans du
Parti des indigènes de la République (PIR), connu pour sa haine des
« Français souchiens », sa défense de l’islamisme, et ses causes communes
avec les Frères musulmans. Obono expliqua sans complexe que « le PIR fait
partie du mouvement antiraciste. […] Je défends l’idée de se battre à côté de
7
gens qui ont des désaccords avec moi » . Pour elle, « La radicalisation n’est
pas un concept scientifique suffisamment arrêté » , exprimant ses « doutes »
sur la notion même de radicalisation terroriste. Principal soutien moral et
médiatique des Frères musulmans et de l’islamisme en général en France, on
ne peut manquer d’évoquer le journaliste et militant trotskiste Edwy Plenel,
fondateur de Médiapart et ancien rédacteur en chef du Monde, auteur d’un
ouvrage victimiste devenu une lecture de référence pour les Frères
8
musulmans : Pour les Musulmans . Sa thèse est que les musulmans, presque
tous issus de l’immigration, seraient les « nouveaux Juifs », les victimes
absolues de la pire forme de racisme : « l’islamophobie ». Plenel y affirme
qu’« aujourd’hui, l’islam est devenu le bouc émissaire principal dans le
9
discours des intellectuels, politiques et médiatiques » . Il fustige la laïcité
actuelle, accusée d’agir en « refus des religions (…) minoritaires », à savoir
10
l’islam . Plenel assure que son ouvrage vise à « répondre à ceux qui
généralisent à tous une pratique détestable de certains – ce que l’on nomme
islamophobie » . L’ex-directeur du Monde prône ainsi la tolérance envers le
voile islamique, la burqa ou le burkini , qu’il qualifie de « vêtement comme
11
les autres » . Il défend ces signes prosélytes au nom d’une « laïcité
originelle » qu’il distingue du « laïcisme sectaire qui est à la laïcité ce que
l’intégrisme est aux religions » et qu’il voit comme « le cheval de Troie de
la banalisation de la xénophobie et du racisme par nos élites, permettant la
12
notabilisation de l’extrême droite » .
Cette alliance rouge-verte étonnante a poussé Mohamed Louizi, ex-
13
membre des Frères musulmans « repenti » , à suspendre son blog sur
Mediapart , en février 2016, pour dénoncer la complaisance avec l’islamisme,
14
les Frères musulmans et Tariq Ramadan . D’après Louizi, Mediapart serait
ainsi devenu « un instrument de propagande frérosalafiste antilaïcité et anti-
15
république (…) , la ligne éditoriale, plus que complaisante envers
l’islamisme et particulièrement envers les Frères musulmans pose d’énormes
problèmes déontologiques ». Au sein de Mediapart, déplore Louizi, «
l’idéologique se mélange au journalistique (…), en entretenant des proximités
avec des composantes islamistes ». L’ex-collaborateur de la revue online
avertit que lorsque l’on « reprend les éléments de langage des
« Frères musulmans » ( « islamophobie ») pour empêcher tout débat serein,
l’on est plutôt au service des « Frères » contre les intérêts communs de la
communauté nationale et aussi des citoyens de foi et/ou de culture
16
musulmane » .
Pour le philosophe Pascal Brukner, Edwy Plenel mais aussi le sociologue
du CNRS Vincent Geisser, auteur d’un pamphlet La Nouvelle islamophobie ,
17
ou encore l’islamologue François Burgat , soutien des Frères musulmans de
longue date, feraient partie « de plein droit » d’une mouvance qu’il a nommée
« islamosphère », constituée par des « agents d’influence », des intellectuels,
des politiques des associations agissant en « complices » subjectifs ou
18
objectifs des islamistes . Dans leur enquête, publiée dans Le Figaro-
Magazine , les journalistes Vincent Nouzille et Judith Waintraub ont décrypté
l’émergence de l’islamosphère qui agit comme une toile et « étend son
influence dans le monde intellectuel, politique, dans les médias et les réseaux
19
associatifs » . Cette mouvance rouge-verte, qui incarnerait un « néo-
cléricalisme musulman », saperait méthodiquement les fondements de la
France et de l’Occident en imposant une inversion permanente des valeurs,
une immigration sans limites et un changement de civilisation allant dans le
sens du projet d’islamisation des Frères musulmans et d’autres pôles de
l’islamisme mondial. Pour la gauche, « l’islamiste n’est donc jamais
responsable de sa manière de croire et de pratiquer l’islam, comme le
terroriste n’est jamais pleinement responsable de ses actes ». En revanche, la
société occidentale et les Occidentaux seraient « les véritables responsables
20
» de ce qui leur arrive .
Vincent Geisser classe dans cette catégorie non pas uniquement la critique
des musulmans , mais celle de la religion musulmane et même de l’islamisme.
L’auteur accuse comme « facilitateurs d’islamophobie » des associations
animées par des musulmans de naissance, comme Ni Putes ni Soumises et
SOS-Racisme, mais aussi des imams modérés comme Souheib Bencheikh et
Dalil Boubakeur, le philosophe pakistanais athée Ibn Warraq, auteur de
21
l’essai Pourquoi je ne suis pas Musulman , l’ex-président de France Plus,
Arezki Dahmani, coupable d’avoir dénoncé le « lobby islamiste », et même
l’ex-président de SOS Racisme et député PS, Malek Boutih. Révélant la
motivation profonde de son discours, Geisser avoue préférer à l’islamophobie
le terme plus juste d’« islamistophobie », qui permettrait de blâmer comme
anti-musulmans ceux qui dénoncent également l’islamisme radical et pas
22
seulement l’islam . Conformément à la vulgate révolutionnaire marxiste,
Vincent Geisser accuse Dalil Boubakeur et Souheib Bencheikh de défendre
une « conception tutélaire de l’isla m » et surtout de « légitimer une gestion
sécuritaire de la communauté musulmane, appelant à une collaboration avec
les services policiers, comme si la masse des musulmans de France, par
naïveté ou immaturité, était susceptible d’être manipulée par des
23
organisations “islamo-terroristes” » . Est également mis en pâture le
journaliste-reporter à Marianne , Mohamed Sifaoui, accusé lui aussi d’être lié
aux « cercles du pouvoir de l’État algérien » anti-islamistes.
Dans la même logique de négation du danger islamiste et jihadiste,
Thomas Deltombe, auteur de L’islam imaginaire : la construction médiatique
24
de l’islamophobie en France (1975-2005) , explique comment le petit écran
et les journaux auraient progressivement « fabriqué un islam imaginaire »,
sous l’effet conjoint de la « course à l’audience et d’une idéologie
pernicieuse de stigmatisation de l’ « Autre » musulman » . Selon lui, les
« musulmans » seraient un bloc intouchable, victime par essence de l’État
occidental et des discours sur le terrorisme, de sorte que les médias et les
politiques auraient progressivement construit une véritable islamophobie
nationale qui irait bien au-delà de l’extrême-droite ou des racistes mais qui
25
serait devenue « structurelle » . Dans leur ouvrage Islamophobie : la
26
contre-enquête , Jean-Christophe Moreau et Isabelle Kersimon ont voulu
vérifier si les innombrables plaintes contre « l’islamophobie » présentées par
le CCIF ou autres organes dits anti-racistes ou anti-islamophobes
correspondaient à des faits réels et aussi graves qu’ils le disaient. Ils ont été
surpris par la légèreté des plaintes et le manque de preuves et ont conclu à une
véritable opération d’usurpation qui relaierait assez fidèlement les stratégies
convergentes des Frères musulmans, de l’OCI, de l’ISESCO et autres pôles de
l’islamisation décrits plus haut et dont l’objectif est de faire interdire, au
niveau onusien et occidental, le « blasphème ». Cela permet de se conformer
en fin de compte aux commandements liberticides et suprémacistes de la
charià (censure et délit de blasphème), sous couvert de lutte contre la
« diffamation des religions » assimilée à du racisme. Cette « lutte contre la
diffamation des religions » de l’OCI est organisée comme une guerre sainte
mondiale contre les droits de l’homme, estiment les auteurs. Spécialiste du
droit, Jean-Christophe Moreau montre notamment que le « flottement
juridique » inhérent aux nouvelles législations françaises en matière
d’antiracisme « accrédite l’idée que toute critique intéressant de près ou de
loin la religion musulmane pourrait n’être qu’une forme particulière de
27
xénophobie » . Ceci en vertu d’une interprétation littérale de l’article 48-1
de la loi sur la liberté de la presse qui donne aux associations qui se proposent
dans leurs statuts de combattre le racisme le droit d’ester en justice et de se
porter partie civile contre des auteurs. C’est de cette façon que l’écrivain
Michel Houellebecq, en 2001, puis Charlie Hebdo, en 2007, furent attaqués
en justice, accusés de stigmatiser les musulmans et l’islam.
Plus intéressant encore, les deux auteurs dévoilent le postulat racialiste des
« anti-islamophobes » et leur croyance dans la notion de responsabilité
collective, puisqu’ils veulent poursuivre des auteurs et des propos non pour
des faits réellement commis, mais pour ceux que d’autres pourraient
commettre sous « l’influence » présumée de leurs discours. Les auteurs
dénoncent ainsi « l’inflation sémantique de la notion d’islamophobie » .
Après avoir décortiqué la typologie des « actes islamophobes » présentée par
le CCIF, ils dévoilent le véritable objet de la lutte contre « l’islamophobie »
qui consiste à assimiler les simples critiques ou caricatures à des délits de
28
droit commun. Avec la négation permanente du problème islamiste , la
« lutte contre l’islamophobie » participe en fin de compte d’une vision
suprématiste au bénéfice d’un islamisme conquérant hostile aux valeurs des
sociétés non musulmanes d’accueil. Grâce à cette stratégie victimaire, les
Frères musulmans, qui œuvrent à contrôler les communautés musulmanes
d’Europe, ont réussi à persuader les musulmans et les élites d’Occident que
les adeptes de Mahomet seraient traités « comme les colonisés jadis », voire
« comme les Juifs dans les années 1930 » et sous la Collaboration…

L’amalgame avec l’antisémitisme et la


stratégie de la réductio ad hitlerum
Dans leur stratégie de conquête asymétrique par le jihad du « verbe » et de
la culpabilisation des consciences, les pôles de l’islamisation mondiale
comptent tout particulièrement sur l’aide rhétorique, idéologique et politique,
des forces dites « antiracistes » d’extrême-gauche, qui n’hésitent jamais,
comme les Frères musulmans, à activer l’arme de la reductio ad hitlerum et
du victimisme paranoïsant visant à faire croire que les musulmans aujourd’hui
seraient traités aussi mal que les Juifs hier… Qu’il s’agisse de politiques
comme Olivier Besancenot, de Jean-Luc Mélenchon, de Clémentine Autain,
de Danièle Obono, de cautions morales et associations « antiracistes » comme
le MRAP, la Ligue des droits de l’homme, le CCIF, ou de journalistes et
intellectuels comme Pascal Boniface, Edwy Plenel, Vincent Geisser, Thomas
Guénolé, des forces et personnalités « progressistes » médiatiquement
influentes œuvrent depuis des années à faire admettre l’idée que
l’islamophobie d’aujourd’hui serait l’équivalent de l’antisémitisme d’hier.
C’est ainsi qu’après les attentats de l’hyper-casher et de Charlie Hebdo, Jean-
Luc Mélenchon avait comparé le sort des musulmans dans la République
française à celui des protestants massacrés lors de la Saint-Barthélémy et des
29
Juifs génocidés par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale… . Pour
Cécile Duflot (Europe Écologie – Les Verts), « les ressorts de l’usage de
l’islamophobie aujourd’hui sont un peu les mêmes que les ressorts de l’usage
30
de l’antisémitisme » . Dans les années 2000, Vincent Geisser, auteur de la
31
Nouvelle islamophobie , dénonçait déjà l’islamophobie comme
« facilitateur » de racisme et d’extrême-droitisme dans le but de discréditer-
diaboliser tous ceux qui combattent l’islamisme radical. De son côté, l’ex-
Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique, Ekmeleddin
Ihsanoglu, n’a pas hésité à appuyer sur le « point Godwin », notamment
lorsqu’il a déclaré en septembre 2010 que « nous nous dirigeons vers un
32
paradigme ressemblant à l’antisémitisme des années 1930 » . En Belgique,
l’islamologue belge Michaël Privot, anciennement militant des Frères
33
musulmans , a pu affirmer que « l’islamophobie et l’antisémitisme, ce sont
34
les deux faces d’une même pièce » , le même « nom de l’Occident judéo-
35
chrétien » … Cette vision outrancièrement victimiste, qui consiste à faire
croire aux musulmans qu’ils sont traités en Occident comme les Juifs jadis
victimes de pogroms ou de génocide, est très explosive, car l’histoire et la
polémologie montrent qu’il est très facile de faire croire à un groupe, pour le
souder et le monter contre un autre, qu’il est davantage persécuté qu’il ne l’est
réellement, puis, corrélativement, de le convaincre que tous ses maux sont la
faute de l’Autre, dont il doit se dissocier. La conséquence de cette
représentation est que ce groupe victimisé et flatté dans un narcissisme
communautaire morbide finit par ne plus être capable de se remettre en
question. La suite logique consiste à s’auto-exclure de la société
environnante, foncièrement hostile, et à se « désassimiler ». Les sociétés
occidentales, qui baignent dans cette doxa depuis des décennies, en paient
déjà le prix en matière de difficulté d’intégration et de radicalisation islamiste.

« Paranoïsation » et « désassimilation »,
« Paranoïsation » et « désassimilation »,
l’antiracisme dévoyé afin de réislamiser
Bien que les Frères musulmans et d’autres mouvances islamistes sachent
très bien que les musulmans ne sont pas persécutés dans les démocraties
occidentales, la stratégie des lobbies islamistes mondiaux consiste à distiller
au sein des communautés musulmanes d’Occident un sentiment de
persécution. L’idée est de les pousser à ne surtout pas s’intégrer aux mœurs
locales « impies » et laïques, au nom d’un « droit à la différence » et d’un
antiracisme dévoyés à dessein. Pour illustrer cette stratégie de
« désassimilation », rappelons les propos prononcés en février 2008 par
Recep Taiyyp Erdogan à Cologne, devant 1 600 turco-musulmans
d’Allemagne, en réaction à ceux de la chancelière Angela Merkel qui avait
réclamé une plus forte intégration des Turcs à la culture allemande : «
36
l’intégration ou l’assimilation est un crime contre l’humanité » . Quand on
sait que la vision fondamentaliste de l’islam chère au président turc, lui-même
protecteur des Frères musulmans, est distillée au sein des communautés
turques d’Europe depuis les années 2000 (avec le soutien du ministère turc de
la Religion, Diyanet), et que, depuis juillet 2017, le Conseil français du culte
musulman a été présidé par un proche d’Erdogan ( Ahmet Ogras), cela laisse
augurer du devenir du « vivre-ensemble » tant préconisé par ceux-là mêmes
(multiculturalistes) qui sapent ses fondements. La stratégie de conquête-
soumission des suprématistes islamistes consiste en fait à pérenniser ou créer
l’« extériorité » des musulmans puis à les pousser à vivre de façon séparée
des « mécréants ».
Ce processus de « ghetto volontaire » se nourrit de la contagion
paranoïaque, qui permet de pousser des musulmans victimisés à se radicaliser
et à se ranger progressivement, par « réaction », sous la bannière protectrice et
l’ordre sans frontière de la charià . Les plus extrêmes voient dans le jihadisme
l’aboutissement final de cette stratégie de la partition, mais le processus de
« désengagement-désassimilation » est assuré en amont par les lobbies
islamiques officiels qui « dénoncent » le terrorisme tout en niant sa nature
islamiste. L’objectif sécessionniste poursuivi par les pôles de l’islamisme
mondial, jihadistes ou institutionnels, est certes combattu par les États
musulmans nationalistes ( Émirats arabes unis, Égypte, Jordanie, Algérie,
Syrie d’ Assad, Kazakhstan), qui craignent le nouvel impérialisme vert tourné
contre leur souveraineté nationale, et appuyé par le Qatar, la Turquie néo-
ottomane d’Erdogan, le Pakistan, et les Frères musulmans. Toutefois, en dépit
des rivalités opposant États et pôles islamistes entre eux dans la lutte pour le
leadership musulman mondial, ces pôles ont réussi à rendre une partie des
communautés musulmanes d’Occident hostiles à leurs pays d’adoption ou de
naissance perçus comme « mécréants », « pervers », et « hostiles aux
musulmans et à l’islam ». La force mobilisatrice des pôles violents comme
non-violents du totalitarisme islamiste consiste en fait à motiver le musulman
qui se sentirait « exclu », à ne plus se conformer aux mœurs et ordres des
« ennemis infidèles de l’islam ».

Le CCIF : le victimisme « antiraciste » au


service du suprématisme panislamique
D’après un rapport de la DGSI cité plus haut, « Les Frères musulmans se
veulent une machine à fabriquer des « citoyens confessionnels », mus par le
seul avenir de leur communauté religieuse (…) . Le réseau des Frères est bâti
autour de l’imperméabilité de la communauté. Les attaques, qu’elles soient
internes ou externes à la Oumma, ne sont pas gérées de la même manière.
Lorsque l’attaque vient de l’extérieur, la stratégie est triple :
décrédibilisation, victimisation et appartenance » . Toujours selon l’étude
précitée, « la première réussite de cette guérilla informationnelle et
idéologique est de parvenir à confondre dans l’opinion cible et l’opinion
générale les discriminations anti-musulmans (rejet massif et haineux de
l’islam en tant que religion, sanctionné par les lois de la République), et le
rejet du fondamentalisme musulman (lui légitime, puisque contraire aux
valeurs de la République, notamment en matière de laïcité et de droits
humains) . » Parmi les relais de cette stratégie subversive, on trouve en
premier lieu le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), lobby
« antiraciste » proche des Ikhwan et d’autres structures qui n’y sont pas
directement liées : milieux d’extrême gauche ou militantisme associatif
indigéniste… « L’amalgame se fait dès lors dans l’opinion publique entre
critique du fondamentalisme et racisme anti-musulman », poursuivent les
rédacteurs du rapport de la DGSI. « Le point le plus insidieux de cette
stratégie s’avère être la réappropriation et le retournement des valeurs
républicaines et des luttes pour les droits humains au service de la défense du
37
fondamentalisme » .
Selon l’ancien fonctionnaire du ministère de l’intérieur spécialiste de
l’islam, Bernard Godard, le CCIF serait « directement issu des jeunes
réislamisés par les réseaux fréristes et accompagnés par Ramadan », et son
38
fondateur-président, Samy Debah , ancien prédicateur du Tabligh devenu
proche des Frères musulmans, serait issu de cette « nouvelle génération
venue à l’islam par les réseaux fréristes, l’UOIF ou le Collectif des
39
musulmans de France proche de Tariq Ramadan » . D’après Laurence
Marchand-Taillade, présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise,
Debah et le CCIF voudraient faire « passer la France pour un État raciste
auprès des institutions européennes par le biais de rapports (dont les chiffres
ont été largement contestés dans l’ouvrage « Islamophobie la contre-
enquête ») ” et ils « dénigreraient des lois de 2004 et 2010 » sur le voile et la
burka . Le 17 septembre 2015, le CCIF aurait par ailleurs « signé une
convention de partenariat avec un islamiste marocain, Amine Nejdi, qui
prône le Jihad armé contre les mécréants, la lapidation des fornicatrices et le
port du voile intégral, comparant les femmes non voilées à des sucreries qui
40
attireraient les mouches, sur le site de sa mosquée, à Nancy » .
L’action du Collectif contre l’islamophobie en France est en fait un cas
d’école du lobbying islamiste visant à faire taire toute critique de la religion
musulmane ou même de l’islamisme radical et à faire croire que leur critique
de même que celle du terrorisme constituerait en elles-mêmes des
« marques » de haine envers les musulmans. Dans le cadre de cette stratégie
victimaire et d’inversion des rôles, le CCIF s’inspire à la fois de l’action de
l’Organisation de la coopération islamique (OCI), de l’ISESCO (voir infra )
et des stratégies mises en place par les Frères musulmans. Aux côtés du
MRAP ou d’autres officines « antiracistes » issues notamment de l’extrême
gauche – qui avaient d’ailleurs initialement diabolisé Charlie Hebdo en
l’accusant de « racisme antimusulman » –, le CCIF recense les « actes
d’islamophobie », à partir de dépôts de plaintes et de signalements divers,
sans vérification préalable et sans jamais attendre les verdicts des jugements,
puis assure une assistance juridique auprès des « victimes », telles que les
femmes refusant d’ôter leur voile ou leur burka dans les lieux publics. Le
CCIF recommande de signaler les actes et propos islamophobes via des lettres
aux autorités, des courriers types ou encore des signalements au Conseil
supérieur de l’audiovisuel. Depuis 2015, le volume total est passé de 7 000
plaintes à 90 000. Des émissions traitant de l’islam, comme le dossier Tabou
de M6 (1 600 saisies) ou encore certains propos d’Éric Zemmour (5 800
saisies), ont été accusées d’islamophobie par les signataires des plaintes. En
2012, TF1 avait reçu une lettre de « mise en garde » à la suite de la diffusion
d’extraits de négociations entre Mohamed Merah et les services de
renseignement pendant le siège de son appartement à Montauban. Le Conseil
est également intervenu auprès de la chaîne Numéro 23 en raison de la
diffusion, le 17 février 2013, de l’émission Hondelatte Dimanche : « L’islam
est-il soluble dans la République ? ».
Dans le Nouvelobs, Yves Delahaie a estimé que « le collectif est loin
d’être motivé par le combat du racisme envers les musulmans mais est bel est
bien porteur d’un combat idéologique visant à défier la République dans ses
41
principes laïcs » . Malgré son parti pris, les liens du CCIF avec la
mouvance des Ikhwan et ses exagérations quant à la comptabilisation des
actes « islamophobes » – qui nous ont été confirmées tant par des cadres du
Renseignement territorial et de la DGSI que par des responsables de la
mosquée de Paris – le CCIF a été reconnu « d’intérêt général » en juin 2011.
Il est même membre consultatif du Conseil économique et social des Nations
Unies. En juillet 2004, il avait par exemple qualifié d’acte « islamophobe » la
simple « fermeture d’une école coranique à Grisy-Suisnes », qui avait
pourtant été ouverte illégalement et dont la fermeture était motivée par
42
l’agression de trois journalistes par quatre personnes, parmi lesquelles son
directeur, Mohamed Hammami (imam tunisien proche du mouvement
intégriste Tabligh), et son fils Moshen, entretemps condamné pour coups et
blessures puis soumis à une mesure d’expulsion en 2012, notamment suite à
des prêches incitant au jihad et à la haine envers les Juifs. Malgré cela,
l’imam Hammami parviendra à gagner contre l’État français en recours
administratif et ne sera pas expulsé. En mars 2007, le CCIF avait dénoncé la
demande de fermeture de la mosquée de Noisy-le-Grand car les voisins de la
mosquée se plaignaient de voir des « barbus » alors que ce lieu de culte avait
été ouvert en violation des règles d’urbanisme par une association
salafiste refusant tout droit de visite aux autorités ! En octobre 2006, le CCIF
s’était indigné d’un « rassemblement de personnalités à Lyon contre la venue
de Hani Ramadan », qui a pourtant justifié, on l’a vu, les châtiments
corporels et la lapidation. En juillet 2012, après qu’une animatrice pratiquant
le jeûne musulman avait provoqué un accident de la route dans lequel furent
blessés des enfants suite à son malaise dû à sa non-alimentation, le Collectif
dénonça cette fois-ci le licenciement, à Gennevilliers, de quatre animateurs
qui refusaient eux aussi de s’alimenter au travail pendant le Ramadan, ceci
alors même que le licenciement s’appuyait sur une clause du contrat de travail
prévue par la mairie (communiste) et qui engageait les employés à « veiller à
ce que les enfants et eux-mêmes se restaurent et s’hydratent
43
convenablement » . Bien que le licenciement fût motivé par des raisons de
sécurité, le CCIF affirma qu’ « identifier le jeûne comme altérant la capacité
au travail est […] stigmatisant et insultant pour l’ensemble des musulmans
44
dans le monde » . Autre exemple : deux semaines seulement après l’attentat
meurtrier perpétré par le jihadiste Nemouche dans le Musée juif de Bruxelles,
le porte-parole d’alors du Collectif, Marwan Mohammad, né le 13 septembre
1978 à Paris, affirmait que la focalisation des autorités sur le terrorisme
islamiste était « statistiquement irrationnelle » au regard du nombre d’actions
commises, par exemple, par les mouvements séparatistes…
Les collaborations du Collectif avec des milieux institutionnels et publics
sont officielles. Son directeur exécutif actuel, Marwan Mohammad, ex-trader
et enseignant, a été notamment « conseiller spécial auprès du Bureau des
institutions démocratiques et des droits humains » de l’OSCE (jusqu’en
2016). La chercheuse Élisabeth Schemla a pourtant révélé dans son livre
L’Islam, épreuve française qu’il adhérerait à une vision suprémaciste et
prosélyte de l’islam. Elle a notamment reproduit une de ses déclarations choc,
prononcée à la mosquée d’Orly fin d’août 2011 : « Qui a le droit de dire que
la France dans trente ou quarante ans ne sera pas un pays musulman ? Qui a
le droit ? Personne dans ce pays n’a le droit de nous enlever ça. Personne
n’a le droit de nous nier cet espoir-là. De nous nier le droit d’espérer dans
une société globale fidèle à l’islam. Personne n’a le droit dans ce pays de
définir pour nous ce qu’est l’identité française ». Cette profession de foi
islamiste a été reproduite lors du procès en diffamation intenté par le CCIF à
45
l’encontre de l’éditorialiste du Figaro , Ivan Rioufol . Le CCIF a par
ailleurs invité Nader Abou Anas et Rachid Abou Houdeyfa – le controversé
imam salafiste de Brest, connu pour ses prêches extrémistes – à participer à
son dîner annuel en 2014, sachant que Houdeyfa, alias Rachid El Jay, avait
déclaré à de jeunes musulmans suivant ses séminaires sur l’islam que « Ceux
qui aiment la musique écoutent le diable. Videz vos téléphones et vos MP3 !
46
» . Le 29 novembre 2015, Marwan Muhammad prit pourtant directement la
47
défense de Houdeyfa . Rappelons qu’Houdeyfa avait été visé par une
enquête préliminaire par le parquet de Brest pour avoir promis notamment
que ceux qui écoutaient de la musique seraient « transformés en singes et en
porcs ». Lors d’un repas du CCIF, son fondateur, Samy Debah, qualifia
Houdeyfa « d’homme d’une grande qualité », sachant que l’imam de Brest,
qui avait qualifié lors du congrès annuel des Frères au Bourget les lois
françaises anti-burqa de « scélérates et discriminantes », avait déclaré, lors du
salon de la femme musulmane de Pontoise en septembre 2015 : « si la femme
sort sans honneur ; qu’elle ne s’étonne pas que les hommes abusent de cette
femme-là, l’honneur étant assuré par le voile »… Il est vrai que pour Debah
et le CCIF, les mesures légales d’expulsion ou d’interdiction d’imams
radicaux constitueraient « une ingérence dans le discours religieux ». Malgré
ces faits, l’imam salafiste de Brest défendu par le CCIF est devenu un
« référent laïcité » après avoir obtenu un diplôme de l’université de
48
Rennes1 en « Religions, droit et vie sociale » .
Recommandant à ses adhérents et sympathisants de « maintenir une
vigilance sur les réseaux sociaux », le CCIF, très actif sur Twitter et
Facebook (36 600 followers et 124 000 personnes aimant sa page Facebook),
interpelle systématiquement les modérateurs afin de faire supprimer les
comptes « problématiques ». D’après l’ancien journaliste du quotidien Le
Monde Yves Mamou, la stratégie du CCIF consisterait à repérer un adversaire
idéologique puis à le dénoncer comme « raciste » ou « islamophobe » afin de
faire supprimer ses comptes. À titre d’exemple, Fatiha Boudjalat,
cofondatrice du mouvement laïc Viv(r)e la République, Leila Ourzik, artiste
peintre originaire de banlieue, ou encore Olivier Aron, dentiste et ancien élu,
ont vu leurs comptes Facebook supprimés en raison de leur supposée
« islamophobie ». Quant au journaliste-éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol,
il affirme avoir été la cible d’un véritable harcèlement judiciaire de la part du
CCIF, ceci pour avoir dit, en novembre 2012, sur les ondes de RTL, qu’une
campagne nationale du CCIF contre l’islamophobie, baptisée « Nous (aussi)
sommes la nation » (avec le logo vert et blanc du CCIF et un couple de
convertis avec leurs enfants et l’épouse voilée), détournait le Serment du jeu
de paume . La campagne, qui aurait d’ailleurs été financée en partie par la
49
fondation Open Society de Soros , fut jugée trop partie-prenante par la
RATP qui ne permit pas l’affichage dans ses structures. Ivan Rioufol et le
directeur de l’émission de RTL On refait le monde , Marc-Olivier Fogiel,
furent ainsi attaqués en justice par le CCIF.

Le « jihad judiciaire » des « coupeurs de


langues »
Cette expression désigne le combat judiciaire coordonné et orchestré par
des organisations affiliées aux Frères musulmans ou autres lobbies islamistes.
L’objectif majeur poursuivi dans ce « jihad judiciaire » est l’intimidation des
adversaires de l’islamisme, l’atteinte de ceux-là sur le plan financier et moral,
ainsi que leur stigmatisation médiatique. En somme, paralyser tout discours
critique vis-à-vis de l’islamisme en particulier et de l’islam en général, les
intégristes confondant souvent les deux. En 2016, le CCIF incrimina une
personnalité de premier plan pour « injure à caractère racial » : Laurence
Rossignol, ex-ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes.
Cette dernière avait déclaré sur RMC « Les femmes voilées sont assimilables
à ces nègres américaines qui étaient pour l’esclavage ». Une plainte fut
immédiatement déposée devant la Cour de Justice de la République, et une
procédure fut également engagée auprès du Tribunal correctionnel et du
Tribunal administratif de Paris. En 2017, l’association tenta cette fois-ci de
faire condamner en diffamation Gilles Clavreul, délégué interministériel à la
lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), qui avait osé mettre en
évidence la présence de personnalités antisémites dans certains évènements
organisés par le CCIF.
Animé par des islamistes notoirement liés aux branches françaises des
Frères musulmans (notamment l’UOIF), le Collectif œuvre parfois de concert
avec des forces communautaristes rouges-vertes radicales comme
l’association des « Indivisibles », créée en 2007, qui prétend « déconstruire »
les préjugés ethno-raciaux tout en défendant les femmes en burqa et en ne
dénonçant que l’islamophobie et les formes occidentales de racisme ; le MIB
(Mouvement de l’immigration et des banlieues créé en 1995), axé sur la
dénonciation du « racisme institutionnel » dont seraient systématiquement
victimes les enfants d’immigrés extra-européens musulmans, assimilés à des
« néo-colonisés » ; ou encore l’association des « Indigènes de la
République », créée en 2005. Houria Bouteldja, sa porte-parole, qualifie les
Français de souche de « souchiens », de « colonisateurs héréditaires », et les
fils de colonisés, d’« opprimés par filiation », en vertu de la thèse terrifiante
de la supposée « responsabilité collective » héréditaire des Européens et
50
du fameux « continuum colonial » . Les Indigènes de la République prônent
de ce fait une forme d’intolérance « à rebours » fondée sur la diabolisation de
l’histoire des seuls Européens réduits à l’islamophobie, à la négrophobie, aux
51
croisades, à la colonisation et au fascisme .
Au cœur de ce dispositif surfant sur un « antiracisme » à l’origine bien
légitime mais dévoyé depuis, se trouvent notamment le MRAP, lié aux
Indigènes de la République, et la Ligue des droits de l’homme, longtemps
dirigée par Michel Tubiana, elle aussi liée à l’extrême-gauche et au PCF, des
e
entités que les auteurs de ces lignes ont eu l’occasion de croiser à la 17
chambre correctionnelle de Paris à plusieurs reprises. Depuis une vingtaine
d’années en effet, la Ligue et le MRAP, qui ont littéralement préparé le terrain
du CCIF, ont été parties civiles de nombreux cas supposés
« d’islamophobie ». Une islamophobie qui commencerait avec la simple
critique de l’islam et même de l’islamisme, « injustement » associés au
terrorisme. Défendant alors l’UOIF, la Ligue des droits de l’homme avait
considéré, en 1999, la demande du ministère de l’Intérieur de reconnaître le
« droit à changer de religion » inscrit dans une « Charte de l’islam
républicain » proposée par Jean-Pierre Chevènement comme une forme de
« racisme antimusulman »… En 1995, au moment des attentats commis par le
GIA algérien en France, la Ligue faisait partie du comité de soutien à Tariq
Ramadan qui venait d’être interdit de séjour en raison de liens supposés entre
le Centre islamique de Genève, géré alors par lui et son frère Hani, et d’ex-
52
membres du GIA . Cette stratégie d’alliance rouge-verte du MRAP sur fond
de procès apparut encore plus évidente lorsque le Mouvement, alors dirigé par
l’élu communiste de Saint-Denis Mouloud Aounit, prit la défense des jeunes
filles voilées converties à l’islam radical refusant de retirer leur uniforme
islamiste à l’entrée des lycées en criant à « l’islamophobie ». Ainsi le MRAP
cofonda-t-il la « Ligue de l’anti-islamophobie » en partenariat avec la Ligue
53
des droits de l’homme et la commission « Islam et laïcité » …
Depuis des années, ces Ligues de vertu « antiracistes » justicialistes
(MRAP, Ligue des droits de l’homme, CCIF, HALDE, etc) sont parvenues à
imposer un ordre lexical et juridique islamiquement correct et de plus en plus
liberticide. Elles ont réussi, via les procès et la diabolisation, à asseoir leur
domination idéologique et morale sur nombre de médias, de milieux
intellectuels et de politiques, de ce fait intimidés. Opposées à la loi sur les
signes religieux ostensibles à l’école, qui interdit le voile islamique, et aux
lois postérieures anti-burqa (2010), ces nouvelles générations d’associations
« antiracistes » ont renoncé à la fois à la laïcité républicaine et au féminisme
prônés jadis par le PS, SOS Racisme ou par la courageuse association Ni
Putes Ni Soumises, bête noire des nouveaux antiracistes qui les accusent
« d’islamophobie ». Elles ont en fait troqué les valeurs universalistes et
individualistes de jadis et la défense des droits de l’homme et des individus
libres contre un communautarisme victimaire « ethno-différentialiste » à la
fois radicalement anti-occidental et anti-judéo-chrétien.
Pour Amar Dib, grand acteur et observateur de l’islam de France depuis
des années, conseiller du recteur Dalil Boubakeur et adepte d’un islam
français ouvert et loyal envers les valeurs de la République et de l’Occident,
s’il est impératif de « dialoguer avec toutes les tendances et avec tous, y
compris des personnes issues des Frères musulmans ou très attachées à un
islam dogmatique, comme Marwan Mohamad, qui représentant une tendance
qui a, qu’on le veuille ou non, un écho en France, il faut toutefois rester
vigilant et faire attention à la dérive de la paranoïa de la chasse à
« l’islamophobie » . L’islam doit avoir sa part de contradicteurs. L’on doit
être capables d’être zen, d’accepter la critique, d’éviter le repli, et on doit
faire attention à la dénonciation problématique de l’islamophobie supposée
ambiante. Je pense que chacun a le droit de penser ce qu’il veut d’une
religion et donc de l’islam, y compris de le « craindre ». Pour ma part, je suis
très à l’aise avec ma part de dogme. Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent
de l’islam, tant que l’on n’empiète pas sur la liberté de chacun. Je rappelle
que même le Prophète Mahomet a accepté des contradicteurs internes et
externes, qu’il a laissé le choix de son successeur à d’autres, et qu’il y eut des
débats houleux à l’époque de Omar Bin Khattab, y compris sur le choix de la
version définitive du Coran, qui fut tranchée par Omar après moult
discussions et débats. Il ne faut pas craindre la critique, d’où mon idée de
faire toujours de l’éducation la priorité, elle seule permet de lutter contre
l’extrémisme et le repli, contrairement à la chasse aux « islamophobes » ou
au dogmatisme étroit du repli ». Difficile d’être plus clair .

Infiltration et da’wa pro-frériste-


communautariste dans l’enseignement
En avril 2013, le CCIF et une association Salaam (à Sciences-Po) ont
organisé un colloque à l’École de Hautes Études de Sciences sociales (EHSS),
intitulé « L’islamophobie en questions » , qui présentait le « rejet de l’islam »
54
comme une « négation occidentale de l’altérité » . Cette inversion est
intellectuellement intéressante, car c’est justement le monde musulman et la
loi islamique qui nient les minorités et l’altérité non musulmanes alors que
l’Occident démocratico-libéral accorde une pleine liberté de mouvement et
d’expression aux mouvances de l’islam les plus prosélytes et aux musulmans.
Le colloque était organisé sous « la direction scientifique du sociologue,
chargé de recherche à l’EHESS, Marwan Muhammad », ce qui permettait de
donner un vernis « scientifique » à une opération de négation du problème
islamiste ramené à une « construction islamophobe ». Dans un jargon
sociologisant typique, mais qui véhicule la paranoïa victimaire analysée plus
haut, la brochure du colloque expliquait que « dans le contexte hexagonal, la
« question musulmane » est au cœur de nombreuses controverses remettant
en cause la légitimité de la présence des musulmans (ou présumés) ainsi que
la visibilité de l’Islam pratiqué sur le territoire national. Cette hostilité,
revendiquée ou implicite, à l’encontre des musulmans se manifeste, au moins
depuis la fin des années 1970, par une forte inflation de discours et de
55
pratiques de disqualification et de discrimination » .

« Le hijab day » ou la banalisation du voile


islamique à Science-Po
Ces dernières années, les Frères musulmans ont désigné comme priorité
absolue pour l’Europe et la France de mettre l’accent sur l’enseignement,
notamment à travers la création d’établissements scolaires, ce qui revient en
fin de compte à renouer avec la stratégie initiale d’Hassan al-Banna, lui-
même enseignant. Les Ikhwan jugent d’ailleurs tout aussi crucial de contrôler
l’enseignement de la langue arabe et l’apprentissage de la culture musulmane
dans des écoles privées et associations culturelles qui échappent au prisme
« laïque » des structures publiques « infidèles ». Plus d’une centaine de ces
structures d’enseignement sont aujourd’hui dirigées ou en lien avec des
personnalités de La Confrérie. Ils se composent d’écoles privées musulmanes
ou sous contrat, d’écoles coraniques et d’organismes en ligne.
L’enseignement privé musulman est d’ailleurs devenu la première source de
diffusion de la pensée religieuse auprès des enfants, avec environ 7 000 élèves
répartis sur le territoire national. L’Île-de- France, les Hauts-de-France et le
Grand Est concentrent une majorité de ces établissements. Les écoles
coraniques reliées à des mosquées sont quant à elles en forte expansion,
certaines entretenant des liens avec des imams reconnus pour leurs prêches
radicaux. Selon une étude publiée par l’Institut d’Études de l’islam et des
sociétés du monde musulman (IISMM), on compte aujourd’hui en France six
établissements scolaires musulmans sous contrat avec l’Éducation nationale ;
500 écoles coraniques et on estime à 35 000 le nombre d’enfants qui y suivent
des cours.
Créée en septembre 2012, Salaam Science Po Paris, présidée par Yacine
Benmohammed, officiellement répertoriée comme « association culturelle »
de type loi 1901, « a pour but de promouvoir la culture musulmane dans
l’enceinte Sciences Po Paris [dont] la finalité(…) est de contribuer à faire
découvrir et à donner l’image la plus juste de la culture musulmane ».
L’association a notamment été à l’origine, en avril 2016, du fameux « Hijab
Day » qui se proposait de « démystifier le tissu tout en mettant l’accent sur la
56
stigmatisation vécue par de nombreuses femmes voilées en France » . Elle
illustre parfaitement la stratégie d’infiltration frériste dans les grandes écoles.
« Salaam Sciences Po Paris relaie des publications de la galaxie féministe
musulmane et de personnalités et structures très influentes de la galaxie des
Frères Musulmans comme Marwan Muhammad et Havre de Savoir » (HDS)
57
. Toujours dans ce cadre d’entrisme « universitaire » et de subversion de
l’enseignement républicain, les Frères musulmans ont développé une vraie
stratégie d’islamisation de la connaissance. C’est dans ce contexte que l’un
des responsables de la Fédération des organisations islamiques en Europe
(FOIE), Abdellah Benmansour, a publié un texte en 2006 intitulé « Cellule de
la pensée » ( Magazine Al-Europiya ), qui réfute globalement l’approche
philosophique occidentale (« prison obscure créée autour de la pensée de
Darwin, Marx, Durkheim et Freud »), au profit d’une approche
« islamique ». Benmansour écrit que la civilisation occidentale, celle « des
quatre murs » aurait pour but de nier toute existence de Dieu dans l’univers,
pour que l’homme jouisse du bonheur dans la perversité, précisant que dans la
pensée islamique, « la priorité est accordée au religieux, en attendant de
confirmer ou de contredire ce qu’avance la Raison »…
L’association des Étudiants musulmans de France (EMF) est aussi issue
des Frères musulmans et dépend de leur association nationale, Musulmans de
France. Fondée entre 1986 et 1989 en tant qu’« Union islamique des étudiants
de France » par Zouhair Mahmood et Abdallah Ben Mansour, l’EMF est
aujourd’hui dirigée par Anas Saghrouni, également chargé de mission
jeunesse au sein des Musulmans de France. Son leitmotiv est de « servir,
aider et défendre l’étudiant ». Habilement, l’EMF gomme en apparence toute
référence à la culture religieuse. Son discours fédérateur a été amplifié – à
l’occasion d’une énième polémique autour du port du voile – par Maryam
Pougetoux, représentante (voilée) de l’Union nationale des étudiants de
France à l’Université Paris IV. Dans le cadre de leur alliance avec le syndicat
de gauche UNEF, qui a accueilli sur ses listes des représentants EMF, les
EMF ont fait leur la rhétorique de défense des « opprimé-e-s et victimes de
violences physiques et verbales, racistes, islamophobes, sexistes,
homophobes, antisémites », un peu à la manière d’AJ + (voir infra ).
Partenaire du Secours Islamique, les EMF ont édité avec le CCIF un guide
dédié aux seuls étudiants musulmans, intitulé « Stop à l’Islamophobie »,
véritable manuel d’auto-défense des musulmans pratiquants dans l’exercice
de leurs droits religieux à l’université ou dans la vie active. Parallèlement, le
Réseau Musulman des Grandes Écoles fédère les étudiants et actifs
musulmans en vue de leur insertion professionnelle, organisant à cet effet des
afterworks , et brunchs, auxquels ont participé Muslim’INT, Salaam Sciences
Po, El Furqan-Essec ou encore l’Association des Étudiants Musulmans de
Dauphine.

Les nouvelles générations fréristes


témoignent
En ce soir de mai 2019, nous avons un rendez-vous avec Abdel Rahman,
un jeune égyptien de 32 ans qui a fui son pays lors de la prise de pouvoir par
le Maréchal Al- Sissi, car il risquait la prison en raison de son appartenance à
La Confrérie. La France est devenue sa terre d’accueil. Il parle couramment le
français, il est titulaire d’un bac + 5 en sociologie, et il a travaillé pour
plusieurs organisations non gouvernementales, notamment en Irak. D’allure
plutôt sympathique, son look est très sportwear , et il boit du vin modérément.
Voici ce que nous explique ce jeune cadre « sympathique » proche des Frères
musulmans, qui a choisi la France comme terre d’asile : « La France est
islamophobe. Vous, les journalistes, avez donné une image de l’Islam
totalement stupide, au Moyen-Orient comme ici. Les Frères musulmans
incarnaient une voie démocratique, nationale et religieuse qui était la seule
voie en Égypte. Elle d’ailleurs la voie en Europe aussi, car l’Europe est aussi
une terre musulmane, puisque nous incarnons la deuxième religion. Vous
devez composer avec nous. Ne pas le faire, c’est vous comporter comme des
dictateurs, et de toute façon vous n’avez pas le choix (…). Vous devez
accepter le voile, car vous devez respecter nos libertés et celles des femmes
musulmanes. Si vous ne le faites pas, c’est que vous faites preuve de racisme,
et cela conduira à une fracture (…). Vous ne pouvez plus supporter les
dictateurs du monde arabe comme vous le faites depuis cent ans. Nous ne
sommes plus à l’époque des accords Sykes et Picot. Car plus personne ne
vous craint, et cela se retournera contre vous. Je suis désolé de vous le dire,
mais je connais votre langue, et sans aucun doute beaucoup mieux vos grands
auteurs français que vous ne connaissez la langue arabe et nos écrivains.
Vous devez donc nous respecter et nous traiter d’égal à égal. D’abord dans
nos pays, mais ici, aussi. De toute façon, il y a un courant de fond chez les
jeunes Arabes. Nous savons maintenant faire la guerre sans avoir besoin de
combattre. En utilisant Internet, la télévision, la presse. (…). Un nouveau
Printemps arabe se prépare, vous verrez. Il ne ressemblera pas au précédent,
qui nous a coûté trop de vies et de gens emprisonnés et torturés. Le prochain
est déjà en train de se préparer avec internet, une organisation, une
communication et de nouveaux moyens qui dépassent les frontières. En fait,
vous n’avez rien compris à ce qui est en train de se passer, vous ne voyez rien
venir. Le prochain printemps arabe viendra d’Internet. Il aura un impact chez
vous en France, comme dans le reste de l’Europe ». Le discours du jeune
homme, prophétique, est à la limite de l’arrogance, mais sans hésitation et,
d’une certaine manière, « illuminé », très sûr de son bon droit. Il pose l’islam
à la fois comme une victime du racisme et du colonialisme, et la France – et
plus généralement l’Europe – comme un pays colonialiste qui soutient les
dictatures arabes et leurs persécutions. Il nous met en garde contre une
nouvelle révolution qui transformera inéluctablement nos démocraties
occidentales sommées d’expier leurs fautes « coloniales » passées et leur
« islamophobie » en acceptant le suprémacisme islamiste et son
communautariste revanchard. Il positionne dans les faits l’Occident comme
un ennemi. Une posture qui répond au schéma préconisé par les trois figures
de la nouvelle garde frériste mondiale, dont nous avons parlé plus haut, et en
particulier par Jassim Sultan, véritable « calife des média et des réseaux
sociaux ».

AJ+ ou l’Al-Jazira du Net,


conçue pour attirer les « progressistes »
Dans le cadre du « soft power jihad » numérique et de la « prédication
2.0 » préconisés par la « nouvelle garde » des Frères incarnée par Jassim
Sultan, le penseur majeur des Ikhwan et ancien conseiller stratégique d’Al-
Jazeera basé au Qatar, un nouvel instrument de da’awa qui mise en plein sur
la convergence rouge-verte ou « islamo-gauchiste » analysées plus haut
mérite l’attention : AJ+, média internet lancé en 2014 par le groupe Al-
Jazeera Media Network, diffusé en quatre langues (anglais, espagnol, arabe et
français) et donc destiné en grande partie à un public occidental. Ce rejeton
d’Al-Jazeera dans la web sphère – en partie contrôlé par des Frères
musulmans qataris – est parvenu depuis quelques années à mobiliser toute une
jeunesse arabo-musulmane et occidentale, tant islamiste que progressiste, en
instrumentalisant les combats des forces de gauche : antiracistes, écologistes,
« indigénistes », tiers-mondistes, ceci dans une logique d’élargissement des
luttes transversales contre l’ordre judéo-chrétien occidental établi. AJ+ publie
de courtes vidéos sous-titrées via les réseaux sociaux, (YouTube, Twitter,
Face book), particulièrement adaptés aux publics de « jeunes qui ont un mode
de consommation de l’information différent », ainsi que l’expliquait en 2018
la directrice syro-palestinienne de la rédaction, Dima Khatib à Libération . Le
but du nouveau média digital est pour elle d’« être la voix de tout le monde »
et d’« offrir plus d’espace aux moins privilégiés, faire entendre la voix de
58
ceux qui n’en ont pas » . AJ+ en anglais, lancée en septembre 2014,
compte 929 000 abonnés sur Twitter et 11 millions sur sa page Facebook, et
en français 14 000 followers sur Twitter et 120 000 sur Facebook, les vidéos
les plus populaires dépassant souvent les 500 000 vues. Confiants qu’ils sont
en leur talents de communication et de séduction de publics aux luttes
« convergentes », les concepteurs d’AJ+ utilisent à merveille les outils de
l’expression graphique et vidéographique puis des messages audio et visuels
chers aux jeunes adeptes du web zapping plus que de la télévision.

La promotion du voile et l’obsession pour le


conflit israélo-palestinien
AJ+ défend systématiquement, sous couvert d’antiracisme, d’égalité et de
liberté, le port du voile islamique, assimilé à une forme de « droit de la
femme » : en janvier 2018, le portrait de Amena Khan, une bloggeuse
devenue la première femme voilée à être l’égérie de L’Oréal (elle s’est
finalement retirée après que ses tweets polémiques sur Israël eurent été
exhumés), a été mis en valeur pour de célébrer « la liberté de porter le voile ».
Le média qatari vante aussi le « Hijab Cosplay », évènement pendant lequel
des femmes voilées se déguisent en super-héroïnes. Lorsqu’ Emmanuel
Macron a dénoncé le fait que des femmes sont obligées de porter le voile
islamique contre leur volonté, AJ+ a décrété que le président « a réussi à
énumérer tous les clichés liés au voile en une seule phrase ». Parmi les autres
grands thèmes de prédilection : la dénonciation des « oublis » de l’histoire, du
passé colonial de l’Occident, de « l’islamophobie » ou encore le pointage
d’actes et symboles « racistes », imputables aux seuls Occidentaux, etc. Le
message est presque chaque fois doublé d’une image de la « France raciste »,
de l’Europe « oppressive » et de l’Occident « spoliateur ». Le traitement de
l’actualité nationale et internationale est systématiquement utilisé pour faire
passer une vision clivée et clivante du fort et « Mal absolu » (Occident
islamophobe-raciste et les dictatures arabes anti-islamistes) contre le faible (le
musulman victime et ses alliés progressistes antiracistes tiers-mondistes de
tous poils), le premier étant tout ce qui se trouve du côté de l’État et des
forces de l’ordre, le second invariablement le migrant, les minorités et les
chômeurs. La stratégie d’AJ+ consiste ici à jouer sur l’indignation, légitime
ou non, d’un grand nombre de Français à propos de la « persécution » des
minorités, des Palestiniens et des « exclus » sociaux et économiques, ceci afin
d’inciter une adhésion de principe à AJ+ et de fédérer un front « rouge-vert »
en faveur des « opprimés ». Plus habile, AJ+, bien que lié à un État (le Qatar)
et à une organisation islamiste, les Frères musulmans, dont les valeurs
intégristes condamnent l’homosexualité et toutes les mœurs non approuvées
par la charià , propose comme autres thématiques favorites, dites
« inclusives », l’égalité femmes-hommes, les droits LGBT, les
discriminations sociales. Pour des raisons tactiques, le média prétend être
« progressiste » et donc très indépendant du régime qatari qui le finance
pourtant. En réalité, Aj+ ne critique jamais ni le Qatar ni les Frères
musulmans, qu’il défend d’ailleurs souvent directement ou insidieusement. Il
se montre en revanche très critique envers les ennemis privilégiés de
l’émirat : Israël, l’ Arabie saoudite et l’Égypte en particulier. Dans une
59
enquête publiée dans le magazine Marianne , Hadrien Mathoux a expliqué
sa conviction que derrière le progressisme apparent d’AJ+ (féminisme pro-
voile couplé à la défense des LGBT, écologisme et antiracisme), se cacherait
en fait « un instrument du soft power et de propagande en faveur de l’émirat
60
du Qatar ». Dans un autre article sur AJ+ et sa communication subversive ,
Hadrien Mathoux cite une « enquête » d’AJ+ sur la condition des ouvriers au
Qatar qui commence par des questionnements apparemment critiques et se
transforme vite en spot pro-émirat… Dans cette vidéo de 9 minutes, après
3 minutes, rien n’est dit sur la confiscation des passeports des ouvriers, sur le
fait qu’ils n’ont aucun droit devant les tribunaux qataris face à des
autochtones et sur le fait qu’ils triment 12 heures par jour sous une chaleur
écrasante, ni même du salaire mensuel (750 riyals qataris ou 176 euros),
insuffisant pour vivre dans l’émirat. Le reporter se rend sur un chantier de
stade de foot et souligne que « les ouvriers travaillant spécifiquement à la
construction de stades sont protégés par le Workers’ Welfare Standards, une
série de mesures adoptées par le Qatar en 2014 ». Les ouvriers du stade Al-
Rayyan se disent tous « très heureux ». La vidéo se termine avec l’interview
de travailleurs qui dansent et rient ensemble… Le média paraît ainsi relayer «
de façon inclusive les problématiques des sociétés contemporaines » chères
aux générations « ouvertes sur le monde » : droits des femmes et des
minorités sexuelles, lutte contre le racisme, etc.
Dans la version francophone d’Aj+, la ligne conductrice métapolitique du
média est de faire accroire que l’appartenance à la France républicaine serait
en soi un problème pour les musulmans et les fils de colonisés d’Afrique du
fait de leur « oppression » intrinsèque. D’où le repli communautariste.
Comment, en effet, se dire membre ou solidaire d’une nation
« laïcarde intolérante », donc « islamophobe », qui pratiquerait un « racisme
d’État », soumettrait les réfugiés à des examens « inhumains » et des
« déportations », et obligerait les communautés d’origine extra-européenne-
musulmane à se « désintégrer en s’intégrant », selon la formule prêtée à Tariq
Ramadan. Sans surprise, AJ+ soutient le « travail social » des Frères
musulmans dans le monde (construction d’hôpitaux et d’écoles) qui œuvrent
souvent de concert avec des ONG pro-migrants, caritatives, pro-minorités et
qui défendent les « défavorisés ». Cet œcuménisme activiste des Frères
« prouverait » qu’ils incarnent l’avant-garde d’un « islam modéré », certes
identitaire, mais dont l’épanouissement serait une nécessité pour l’ensemble
des « opprimés ». Des Frères musulmans, on retiendra ces clips d’AJ+
montrant qu’ils répandent les « principes islamiques de justice dans le monde
» et que le grand-père de Ramadan, Hassan al-Banna, aurait eu pour seul but
de « lutter contre la corruption, les inégalités, et le pouvoir colonial », se
limitant ainsi à prôner pacifiquement, les « valeurs islamiques au sein des
gouvernances politiques » à la seule fin noble de « promouvoir une société
plus morale ».
Bien que s’affichant « antiraciste », Aj+ développe une véritable
« fascination pour la notion de races » , d’après Hadrien Mathoux. Depuis
janvier, AJ+ a ainsi sollicité des signataires de l’appel du PIR de 2005 comme
Christine Delphy et Nacira Guénif-Souilamas ou Imen Habib. Une des
journalistes d’AJ+, Widad Ketfi, a participé une conférence sur les « paroles
non blanches » le 13 avril 2016, sur le thème de « La blanchité dans les
médias ». Toute la société occidentale est analysée à l’aune de l’oppression
« coloniale » infligée aux « racisés » non Blancs. Mathoux souligne ainsi
l’omniprésence des Indigènes de la République (PIR), l’obsession pour le
conflit israélo-palestinien, la promotion du voile islamique, le soutien à Tariq
Ramadan. Un combat pro-Frères et pro-islamiste noyé dans un océan de
vidéos-clips dénonçant le « racisme » anti-Noirs, le combat des « racisés »
(les non-Blancs), etc. Le média web dénonce ainsi le manque de
« personnages noir-e-s » dans la saga Harry Potter et au journal télévisé, « le
féminisme blanc ethnocentrique », qui serait « injuste envers les femmes de
couleur », comme l’explique par exemple dans un clip Fania Noël, militante
au collectif afro-féministe Mwasi. Sont aussi convoqués des
« chercheurs académiques » – surtout issus du CNRS – spécialistes des
« études de la blanchitude ». On peut citer notamment Christine Delphy, qui
juge les féministes françaises historiques comme Elisabeth Badinter «
complètement allumées (…), racistes », car « islamophobes ». Un autre spot
de la web-tv pose la question suivante : « Le féminisme blanc français serait-
il islamophobe et raciste ? ». Nombre de ces « experts » sollicités par AJ+
sont en fait des membres fondateurs du Parti des indigènes de la République
(PIR). L’État d’Israël n’est dépeint que sous l’angle « d’oppresseur des
musulmans palestiniens ». Tentant ainsi d’amener à la cause antisioniste les
milieux LGBT, l’un des clips d’AJ+ en français accuse Israël de faire du «
pinkwashing » (défendre les LGBT+ pour améliorer son image), ce qui est
assez culotté de la part d’un média financé par un pays où l’homosexualité est
punie de mort.
Le but clairement affiché est de prouver que « l’islamophobie » et le
racisme sont omniprésents en Occident, en Europe, et notamment en France :
expulsion d’une migrante enceinte dans un train à Menton ; violences contre
une femme « agressée car voilée » à Vélizy, « violente interpellation »
d’une autre en niqab à Montpellier ; musulmane voilée « forcée » de quitter la
salle de sport de l’Aquaboulevard à Pari ; Montpelliérain coiffé de keffieh et
refusant d’ouvrir son sac-à-dos expulsé d’un cinéma par un garde
« islamophobe et sécuritaire », etc. AJ+ publie sans surprise nombre de
contenus très favorables à Tariq Ramadan, qualifié de « professeur et
d’intellectuel suisse » et qui rendent hommage à ses « combats » et soutiens
(#FreeTariqRamadan), sans toutefois aborder les raisons de sa mise en
examen, jugées « injuste » et « islamophobe ». L’épouse de Tariq Ramadan et
d’autres soutiens fréristes anonymes sont d’ailleurs sollicités pour dénoncer le
« lobby judaïste », la « persécution » de Tariq et l’éternel conflit israélo-
palestinien. Un autre clip vidéo dénonce le Conseil des sages de la laïcité,
créé par le ministère de l’Éducation nationale et son ministre Blanquer, en
donnant la parole au CCIF. Un autre chasseur d’islamophobes sollicité, Asif
Arif, par ailleurs animateur d’émissions, invite des musulmans qui expliquent
pourquoi il faut « habituer » les jeunes filles « aux bienfaits du voile dès
l’âge de 7 ans ». Les deux « experts » précités accusent le Conseil des sages
de la laïcité de propager « un athéisme militant, anti-religieux à l’égard des
musulmans en priorité ».

Soutien total au BDS,


la campagne de boycott anti-Israël
L’engagement politique d’AJ+ en faveur de « la Palestine » et contre l’État
israélien est également constant puisqu’il diffuse entre deux et trois vidéos
chaque jour sur ce thème fort « transversal », propice à la « convergence des
luttes », donc susceptible de créer des connivences islamo-gauchistes. Le
soutien au BDS, le mouvement de « Boycott, désinvestissement, sanctions
contre l’État d’Israël », chère à la gauche tiers-mondiste et aux Frères
musulmans en particulier, qui y voient une arme de « soft power jihad » et
61
de guerre économique, remplit cette fonction . La parole est ainsi donnée
régulièrement à Imen Habib, responsable de la campagne BDS en France, par
ailleurs signataire de l’appel des Indigènes de la République ou encore à
Ghislain Poissonnier, « magistrat » engagé dans la cause palestinienne. La
journaliste d’AJ+ Widad Ketfi affirme notamment que « le BDS dérange
alors qu’il est non violent et qu’il s’inspire de la lutte contre l’apartheid en
Afrique du Sud ». Nelson Mandela est d’ailleurs souvent évoqué dans les
vidéos aux côtés de Malcom X afin de stigmatiser le « régime d’apartheid
israélien »… Autre thème commun à la gauche radicale anti-occidentale et
aux Frères musulmans, le Hamas est systématiquement présenté sous des
jours heureux, gommant ainsi sa violence barbare faite d’enfants endoctrinés
à devenir des islamikazes. L’État hébreu est quant à lui accusé « d’asphyxier
Gaza dans l’indifférence générale (…) afin de pour punir les Gazaouis
d’avoir élu le Hamas lors des élections de 2006 ». Grand soutien de Tariq
Ramadan, c’est le journaliste du Monde diplomatique pro-cubain, pro-Hamas
et pro-Hezbollah, Alain Gresh, proche des Frères, qui est interviewé : « Est-
ce que certains États ne sont pas au-dessus du droit international ? Et
jusqu’où la communauté internationale laissera Israël s’étendre ? » En fait,
cette omniprésence de la lutte antisioniste et de la défense du Hamas dans les
clips d’AJ+ n’est pas surprenante, puisque le Qatar dépense des millions de
dollars annuels pour soutenir le groupe islamo-terroriste frériste à Gaza.

Une société française « anti-migrants et


islamophobe »
Du discours d’AJ+ sur la France, il ressort que ce pays mépriserait
foncièrement ses autochtones (Gilets jaunes), qu’il les considérerait comme
des moins que rien, qu’il pillerait leurs savoirs et richesses, et qu’il
poursuivrait une « chasse aux migrants » systématique, déléguée
officieusement par l’État républicain « islamophobe » et « xénophobe » à des
« néo-nazis » identitaires, ceci en toute impunité. Aj+ dénonce le supposé fait
que cette France post-coloniale raciste et repoussante tenterait de ramener au
second plan les personnes « racisées » – victimes de naissance –, en tant que
« néo-colonisés de l’intérieur. La France jacobine laïcarde et colonialiste
demeurerait indifférente aux « morts dans les hôpitaux » des laissés-pour-
compte, voire complice de persécutions et « ségrégations d’État » (ghettos et
cités de migrants) qui rappelleraient l ’apartheid ou la ségrégation aux États-
Unis dans les années 1960. Ces autorités républicaines laïcardes, toujours plus
intolérantes et « islamophobes », mettraient ainsi en prison quiconque
refuserait de révéler, lors de gardes à vue, le code de déverrouillage de leur
téléphone. Tout cela sur fond d’images de camps de la mort qui rappellent
celles des Juifs examinés par les nazis dans les ghettos et camps de
concentration… L’on voit ainsi qu’il ne s’agit pas seulement de dénoncer des
autorités dans leurs failles et manquements, mais de laisser entendre qu’elles
menacent la vie de tout qui ne serait pas de leur bord.

Les pays anglo-saxons communautaristes,


cibles de choix
Aux États-Unis, les objectifs d’AJ+ sont encore plus limpides, si l’on
compare les contenus en français (Twitter et Facebook) avec ceux diffusés en
anglais (sur Youtube notamment). Comme en France, on y trouve moult
références et interviews de propagandistes attachés à véhiculer l’image
mythifiée du « musulman opprimé », brimé ou tué, cibles des racistes et des
« islamophobes ». Quant aux institutions américaines, AJ+ les présente
comme étant structurellement intolérantes et racistes. L’une des sources
privilégiées de la plateforme est le réseau d’experts de l’ISPU, Institute for
Social Policy and Understanding, dont le média utilise massivement les
statistiques. Alors qu’on ne trouvera que très peu de références dans la
version française du site, la version anglophone insiste bien plus encore sur
les questions de la place de l’islam à proprement dit et sur le sort des
musulmans. Sur Twitter, Aj+ communique ce genre de messages : « Plus
besoin d’être musulman-e pour être stigmatisé aux États-Unis : en avoir
l’apparence suffit » ; ou encore « Outre-Atlantique la religion peut jouer sur
62
une décision de justice ET la couverture médiatique » .
La chaîne Youtube d’AJ+ traite régulièrement ces sujets consistant à faire
croire que la société américaine (où le voile islamique et le communautarisme
sont pourtant bien plus acceptés qu’en France), légitimerait une
« islamophobie d’État », elle-même forme de justification d’un racisme au
« faciès ». L’exercice est habile car il permet aux Frères d’Al-J+ de susciter la
mobilisation solidaire des minorités « visibles ». Les méthodes d’occultation
et d’insinuations relatives à un « racisme indirect » ou induit, donc impossible
à prouver car fondé sur des procès d’intention, sont utilisées pour faire de
l’activisme islamique l’avant-garde mobilisatrice des « opprimés ». Cet
islamisme « progressiste », qui met sous son aile protectrice les Noirs, les
Latinos et même les asiatiques ou LGBT, développe ainsi une capacité
particulière à questionner le pouvoir dans le cadre de la lutte contre la
« Droite sioniste » de Donald Trump et contre les institutions américaines
« islamophobes » et ségrégationnistes par essence. Ceci en niant que les États-
Unis ont mis en place depuis les années 1970 une vaste politique de
« discrimination positive ». Dans ce contexte, les termes utilisés pour
présenter les Frères comme des partisans d’un « islam universaliste-
réformiste », favorable au causes « sociales » et en faveur de l’émancipation,
sont élogieux. Et le Qatar n’est jamais égratigné.
AJ + a été accusée par nombre d’observateurs et de milieux anti-islamistes
d’être liée aux Ikhwan et de pratiquer la takiya , le mensonge ou la
dissimulation légale islamique. En réalité, reléguer AJ+ au rang de producteur
de fake news n’est pas aisé. Nombre de ses informations sont factuellement
plus ou moins fondées, mais orientées et instrumentalisées à d’autres fins, ce
qui est la définition même de la désinformation. AJ + aime ainsi solliciter des
« professeurs », des « avocats », des « juristes », parfois très gallonés au
niveau académique, et ils renvoient à des sources souvent vérifiables, à des
médias occidentaux établis, tel le New York Times , ou à des sources sérieuses
et reconnues tel le Pew Research Center. Par exemple, lorsqu’un reportage sur
l’islam dans les prisons diffusé sur sa chaîne Youtube en version anglaise
mentionne la « lutte difficile » pour obtenir l’entrée du culte musulman dans
le milieu carcéral, le fait n’est pas entièrement faux en soi, mais ce qu’AJ+ ne
mentionne pas, ce sont les raisons sécuritaires qui freinent l’insertion
d’aumôniers de prisons, d’imams le plus souvent intégristes, surreprésentés au
sein de l’islam nord-américain. Et aucune mention n’est faite de la difficulté
rencontrée jadis par les minorités catholiques et juives pour pratiquer leur foi
dans un contexte de refus initial.
D’une manière générale, AJ+ maximise l’utilisation à son profit des
valeurs de tolérance et des thèmes de la société « inclusive-diversitaire » et
« multiculturelle ». Ainsi pouvait-on lire sur la page d’accueil du site
anglophone : « Nous nous engageons à recruter les meilleurs talents
indépendamment de la race, la religion, la couleur, l’origine nationale, le
sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’âge, le statut d’ancien
combattant protégé, le statut d’invalide ou d’autres caractéristiques
juridiques protégées », comme si des militants islamistes très conservateurs
en matière de tradition, de sexualité et de famille, pouvaient sincèrement
respecter les « minorités » sexuelles ou autres lobbies LGBT hostiles à la
morale monothéiste !
En fait, à travers Aj+, les Ikhwan ont su intelligemment appliquer sur le
Web la stratégie subversive victorieuse qu’ils ont poursuivie dans le monde
réel durant les révolutions arabes et maintenant dans le cadre de leur « soft
power jihad » : ils mettent l’infidèle « oppresseur » (arabe dictatorial ou
occidental) dans une position de dilemme insoluble qui l’accule à user de
moyens liberticides et autoritaires s’il veut empêcher la progression de la
propagande islamiste « soft ».

Le « jihad sémantique » au service du projet


frériste
Nous l’avons évoqué : c’est notamment depuis Doha qu’a été pensée la
stratégie religieuse et financière ayant vocation à diffuser la culture
suprémaciste islamiste en France et en Europe, notamment à travers les
moyens de communications modernes, l’entrisme tous azimuts et les
« transversalités des luttes » évoquées plus haut. S’il est bien sûr, tout à fait
naturel qu’un État se préoccupe du rayonnement de sa culture à l’étranger, on
a vu dans les pages qui précèdent comment le Qatar œuvre à faciliter en fait
l’émergence de l’islamisme, avec des éléments de langage toujours bien
pensés, toujours ciblés, qui consistent à mélanger islam et islamisme, mais
surtout à pousser les nouvelles générations de musulmans en France et en
Europe – y compris les nouveaux convertis – à s’imprégner de culture
coranique, pour ensuite l’imposer dans la société. Car c’est en France, étape
importante du projet de conquête des Frères – et du Qatar –, que sont le plus
diffusés ces éléments de langage qui, parfois, font redondance avec ceux
utilisés par les salafistes ou d’autres courants idéologiques plus violents. En
ce sens, La Confrérie agit en véritable matrice intellectuelle de la dialectique
islamiste, avec un discours parfois complexe à décrypter, y compris pour des
musulmans n’ayant pas le bagage nécessaire à la compréhension littérale ou
interprétative des textes. Les penseurs de l’UOIF l’ont bien intégré et,
conformément à la doctrine de leur maison mère, ils ont su en jouer. C’est
ainsi que les mouvances islamistes – La Confrérie en tête – entendent
« islamiser » une partie de la société, en imposant en son sein une dialectique
qui a pour objectif d’être, à terme, banalisée dans le langage courant. Ce
phénomène peut conduire la classe politique, comme les journalistes, à
commettre parfois des méprises en matière d’interprétation du discours
islamiste, les Frères musulmans jouant allègrement la carte du double langage
pour « perdre » leurs interlocuteurs ou, tout simplement, les rassurer.

L’avis des professionnels du renseignement


et de la lutte anti-terroriste
Il y a quelques années, nous avions eu un entretien pour la chaîne de
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télévision Arte avec Michel Guerin , qui fut l’un des patrons de l’anti-
terrorisme à La DST. Ce combattant de l’ombre insistait déjà, à l’époque, sur
le fait que la menace contre la France était extrême. Il expliquait : « (…) La
France cristallise les griefs de la mouvance islamiste internationale du fait de
sa politique en ce qui concerne la laïcité, de sa présence en au Liban et
Afghanistan et la répression qu’elle mène sur les groupes islamistes en
France (…) Et s’il y a un danger à craindre, ce sont bien les Frères
musulmans, qui ont des appuis internationaux très importants via certains
États ». Il faisait notamment référence au Qatar. Pour rassurer leurs
interlocuteurs, les Frères français aiment utiliser les mots « progressisme » et
« réformateurs », se gardant bien de spécifier que le progrès ne concerne que
celui de l’avancée de leur cause, et que le réformisme, dans la pensée
islamiste, n’a jamais signifié aller vers plus de liberté mais, au contraire,
retourner aux fondements de l’islam.
Un autre officier du renseignement intérieur français spécialiste de l’anti-
terrorisme, que nous avons rencontrés à Paris au mois de mai 2019, nous
expliquait quant à lui : « l’organisation des Frères musulmans est très
politisée et ses dirigeants ont compris que la France leur offrait un terrain de
débats très ouvert (…). Contrairement au Maghreb et au Proche-Orient, les
médias y sont totalement libres et, depuis une trentaine d’années, les idées
communautaires, tiers-mondistes et anticolonialistes ont été perçues comme
extrêmement importantes à défendre au nom d’un certain pluralisme.
L’antisionisme est quant à lui devenu d’une certaine manière le cache-sexe de
l’antisémitisme, et ils ont donc l’impression qu’on les laisse tout dire. Ajoutez
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à ça que n’importe qui peut monter une association loi 1901 à objet
culturel (…). Sous couvert d’une partie de leurs associations, ils diffusent
ainsi leurs discours fondamentalistes ou soit-disant antisionistes qui peuvent
tourner la tête à bien des gamins (…). L’affaire Finkielkraut est à ce titre
intéressante. Car lorsqu’il s’est fait insulter lors de la manifestation des
Gilets jaunes, les insultes qui lui ont été assénées étaient totalement en phase
avec le discours colporté par l’organisation (…). L’un des types qui l’a
agressé vient d’une région bien déterminée, où ils sont très actifs (…). Mais
la vérité est que les Frères sont devenus des gens intéressants pour une
certaine presse de gauche qui a mis en avant leurs idées au nom de la justice
sociale et du principe démocratique, sans vraiment se soucier d’aller à la
source de leurs textes. Du coup, les islamistes en ont joué à fond (…). Il faut
comprendre que la France incarne en Europe une dimension particulière à
leurs yeux. C’est le pays de la liberté d’expression, celui des Lumières et des
révolutions, celui des intellectuels (…). Si vous parvenez à porter votre
combat politique en France, alors cela vous donne une fenêtre d’expression
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européenne. Les membres de l’OLP , comme certaines organisations
marxistes, l’avaient déjà compris dans les années 70 (…). Après, cela
n’excuse en rien les hommes et femmes politiques qui ont fermé les yeux sur
la prolifération de ces idées, à fortiori quand on sait que nous n’avons pas
cessé de faire des rapports sur La Confrérie et sa filiale française depuis la
fin des années 90 pour alerter des risques qu’elle représentait (…). Car elle
est bien présente sur tout le territoire français et, contrairement aux âneries
que l’on entend ces derniers mois dans la presse, les sympathisants de
l’organisation islamique de France sont bien plus qu’une poignée. Ce n’est
pas un parti où l’on compte des gens qui sont encartés (…). Ils ont des
dizaines de centres culturels dans les différentes régions de France, des
dizaines d’associations, des librairies islamiques. Ils attirent aussi des
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dizaines de milliers de visiteurs à chacun de leurs salons et, croyez-moi, on
y croise plus d’un type fiché chez nous (…) Il y a d’ailleurs un ras-le-bol
d’une partie de nos gars [il parle des agents du Renseignement français,
ndlr] qui ne comprennent pas pourquoi on n’est pas plus sévère avec eux. La
réalité est que le nombre de leurs sympathisants augmente chaque année (…).
Il faut agir avant que ça éclate, ce qu’aucun de nos politiques n’a eu le
courage de faire, car il y a le Qatar et la Turquie derrière eux, qui sont des
pays avec lesquels nos grandes sociétés font du business ».

L’avis d’un expert franco-marocain


de l’islamisme radical : Youssef Chiheb
Youssef Chiheb est un spécialiste reconnu de l’islamisme, de l’islam de
France, des problématiques urbaines, des territoires sensibles, ainsi que des
mutations du monde arabe contemporain. Par ailleurs docteur en géographie
humaine, il a été expert auprès du Programme des Nations Unies pour le
Développement et Chargé de mission au Service central du renseignement
territorial afin d’assister ce service dans l’analyse de l’évolution de l’islam
politique et la compréhension de la radicalisation en France. Conférencier et
formateur à l’École nationale supérieure de Police, il est également directeur
de recherche au centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)
présidé par Eric Denécé. Il a récemment publié un rapport très éclairant sur
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les éléments de langage de l’islam salafo-wahhabite en France, diffusé par
le CF2R, qui s’intéresse aussi à la sémantique des Frères musulmans adaptée
au schéma démocratique et institutionnel. Voici ce qu’il nous a expliqué :
« Partant d’un constat, que l’Islam s’est transformé, au fil des siècles,
d’une religion monothéiste en idéologies qui l’ont conduit à devenir une
religion politique, politisée et politisable, il était nécessaire de décrypter son
vocabulaire pour décoder son ADN. En Islam, les éléments de langage sont à
la fois polysémiques, métaphoriques et très élastiques, au même titre qui est
la langue arabe littéraire. Le langage théologique est à la fois politique,
philosophique et/ou juridique. Chaque terme, décontextualisé ou
recontextualisé de son cadre temporel peut être interprété différemment d’une
mouvance à l’autre. Le terme jihad n’a pas la même signification chez les
wahhabites, les sunnites ou chez les Frères. Il n’a pas non plus le même sens
chez les littéralistes (Effort) que chez les radicaux (Combat) (…). Les
islamistes, ou plutôt les salafistes, ne dérogent pas à cette règle, celle de
l’attachement viscéral à la langue de la révélation. Sur le plan théologique il
ne peut y avoir de dichotomie entre l’islam (révélation) et la langue arabe
(langue de la révélation) pour préserver le coran de l’usurpation. En
revanche, sur le plan idéologique, historique et géopolitique, le monde arabe
ne peut survivre en dehors de l’islam. Les islamistes se sentent dépositaires
de la révélation sacrée qu’est le saint coran révélé en langue arabe, par
Gabriel à Mahomet. En France, les islamistes utilisent habilement la langue
arabe pour couper les Français de confession musulmane de la langue de
Molière qu’ils considère comme une langue hybride, imbibée d’une
sémantique laïque et illégitime, car elle a renoncé à la langue originelle du
christianisme, d’où le déclin de celui-ci.
En parallèle, l’usage de la langue arabe est un handicap pour les services
du renseignement, un marqueur identitaire et communautaire et un signe
idéologique, dixit le salafisme par référence aux pieux prédécesseurs qui ne
parlaient que la langue arabe (…). Partant du principe que le salafisme est
un retour aux sources théologiques, sociétales et politiques qui ont fait la
« gloire » de l’islam et des musulmans, les salafistes distillent les éléments de
langage pour une prédication efficace et une réislamisation et reconversion
des masses d’une génération sans repères. Tout d’abord, la toponymie qui
fait référence aux icônes historiques de l’islam. De plus en plus de jeunes de
la troisième, voire de la quatrième génération se font baptiser Mohamed,
Bilal, Islam, Oussama… Quant aux convertis, faute de capacité à changer
leur état civil, ils excellent dans les « nouveaux prénoms », alias Abou ceci ou
Abou cela… Ensuite, le nom des lieux de cultes qui portent des noms de
conquérants de chefs de guerre, dont Tariq Ibnou Ziyad, le conquérant de
l’Espagne chrétienne. Aucune mosquée ne porte le nom d’un savent ou
scientifique musulman tels Avicenne, Averroès, Ibnou Haytam qui furent de
brillants médecins, mathématiciens ou astrophysiciens. Également, l’usage
excessif du mot As-Sunna (la tradition prophétique) pour discréditer les
chiites d’Iran, qualifiés de kawarijs (…).
Concernant les Frères musulmans, Youssef Chiheb confirme la thèse
même de cet ouvrage selon laquelle les Ikhwan projetteraient de détruire la
démocratie en l’infiltrant et la retournant : « Les Frères musulmans sont, eux,
solubles dans le jeu démocratique tout en étant hostile à la démocratie dans
sa définition occidentale. Ils cooptent les intellectuels, pénètrent les corps
intermédiaires, infiltrent les élites, dont l’objectif final est la conquête du
pouvoir (Maroc – Tunisie- Turquie – Égypte). Tariq Ramadan incarne cette
stratégie de ce que j’appelle » l’islam politiquement et médiatiquement
correct ». Les éléments de langage sont bien distillés, le discours est lissé et
policé. Ils se qualifient eux-mêmes de » Franc-maçon musulmans ». Pas de
référence au jihad, réfutation du terrorisme, pas de marqueur identitaire, ni
prosélytisme ostentatoire. Ils constituent un terreau pour l’émergence d’un
parti politique en Europe en général et en France en particulier. Une posture
de démocratie acceptant le verdict des urnes, sans séparation des pouvoirs
(laïcité), sans abolition de la charià (dixit le scandale du moratoire sur la
lapidation proposé par l’icône des fréristes, Tarik Ramadan lors de son débat
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avec Nicolas Sarkozy ). La démocratie est un cheval de Troie pour
s’emparer du pouvoir afin déconstruire les valeurs cardinales des
démocraties (liberté de conscience, égalité Femmes – Hommes, réforme
sociétales progressistes…). Les Frères musulmans se concentrent sur les
vulnérabilités philosophiques, juridiques et sociétales des démocraties
occidentales. Ils tablent et parient sur leur déclin endogène en suivant le
cycle des civilisations en ligne parabolique : émergence, apogée et déclin,
puis la naissance d’une autre, en l’occurrence l’islam politique, tel le sphinx
qui renaît de ces cendres ».
En ce qui concerne la fabrique de ces éléments de langage, Youssef
Chiheb reprend : « L’intrusion des éléments de langage islamiste en France
s’est effectuée en quatre séquences. La première étant la conséquence de la
mainmise des pays du Maghreb sur le culte musulman en France. La
République ne pouvant financer le culte, laïcité oblige, s’est fait piéger en
délégant implicitement la gestion du fait religieux et de l’islam en France aux
deux pays rivaux, au regard du poids démographique de leur diaspora
(l’Algérie – Maroc). Des Imams autoproclamés ou téléguidés par Rabat et
Alger avaient une double mission : le partage des mosquées (dixit les
organisations religieuses) et les cours d’arabisation pour les jeunes Français,
issus de l’immigration. La seconde séquence étant un prosélytisme téléguidé
par les prédicateurs et les financiers de l’ Arabie saoudite et du Qatar. Les
premiers proposent la prise en charge de formation d’Imams dans les
universités de Médine, de la Mecque et de Riyad, l’envoi de dizaine de
milliers de livres théologiques et de Coran, sous forme de dons. Les Qataris,
en quête de notoriété, financent les programmes d’arabisation, les
subventions aux associations culturelles (sans le R) et les départs pour
l’Omra (petit pèlerinage). La troisième séquence, et c’est la plus attentatoire
à la sécurité nationale, s’est enclenchée depuis la guerre du Golfe, passant
par les attentats du 11 septembre 2001 pour finir avec l’affaire des
caricatures de Mahomet, publié par Charlie Hebdo. Enfin, la quatrième
séquence, et c’est la plus difficile à contrôler, est le fruit d’un usage optimal
de la « cyber-islamisation » via les sites islamistes qui saturent les réseaux
sociaux. Les plus grands prédicateurs wahhabites sont entourés de
professionnels des nouvelles technologies de communication pour contourner
les filtres conventionnels des services du renseignement et pour wahhabiser et
salafiser les zones de relégation territoriales où vivent la majorité des
musulmans de France. L’objectif stratégique étant l’élimination des Imams
jadis contrôlés par les pays du Maghreb, détachés en France, et d’implanter
des jeunes Imams Français made in Arabie saoudite parfaitement bilingues,
de préférence des convertis pour dédiaboliser le wahhabisme et le salafisme
en France et en Europe (…) ».
On le comprend à la lecture de ces lignes, il y a une stratégie du langage
pensée par les mouvances islamistes, les Frères étant à la pointe dans ce
domaine. Dans ce contexte de banalisation de la sémantique islamiste, nous
avons également demandé à Youssef Chiheb ce qu’il pensait de la
« standardisation » de mots quasiment absents du vocabulaire français il y a
encore quinze ans, comme les termes haram ou halal , à l’origine véhiculés
par les Frères de l’UOIF et largement repris dans le domaine courant,
notamment dans le cadre de l’affaire des cantines scolaires et de l’interdiction
de proposer du porc à des enfants musulmans. Voici ce qu’il explique : « La
banalisation de certains éléments de langage est la conséquence de la
saturation médiatique et la fascination pour ce langage polysémique. Les
deux mots haram et halal (illicite – licite) traduisent la pensée islamiste qui
repose sur une approche binaire : le mal et le bien, l’adoration et la
mécréance, le musulman et le reste, le paradis et l’enfer… Quant à l’irruption
du terme halal dans le vocabulaire français, il est dicté par des règles de
marketing qui en a fait une niche économique, dixit aujourd’hui « le bio »,
ciblant une communauté musulmane (viande halal , rayon aux supermarché
halal , boissons halal , vêtements halal , banques halal (finance islamique),
produits touristiques halal (le hajj )… Un marché estimé à plus de trois
milliards d’euros en France. En parallèle, la ségrégation sociale et/ou
territoriale fournissent cette banalisation du langage islamiste et alimentent,
de manière informelle, la langue française de référence. Ces mêmes éléments
de langage islamiste désagrègent le socle social et modélisent les formes les
plus élaborées du communautarisme subi ou choisi. Le vivre ensemble cède,
de plus en plus, de la place au vivre entre soi et au multiculturalisme (au nom
de la diversité) dans ses formes les plus corrosives. Les islamistes n’en pas
demandent pas autant ! »
Plus largement, concernant l’utilisation d’une dialectique frériste, il nous a
semblé essentiel de comprendre comment des mots, voir des expressions
sémantiques banalisées, ainsi que le double discours, pouvaient servir le
projet politique des Ikhwan et de l’UOIF dans l’Hexagone. Là encore, la
réponse de l’expert est intéressante : « Les Frères musulmans considèrent
que la démocratie est un moyen et non un objectif. Ils croient aux institutions,
aux élections et au pluralisme politique, ce qui est le contraire des salafistes
qui réfutent le corpus démocratique dans tous ses aspects. Chaque année, lors
la rencontre annuelle de l’ex-UOIF au Bourget, ils invitent des prédateurs de
Turquie, d’Égypte et d’Europe pour consolider, coopter et intégrer la
jeunesse, les intellectuels musulmans modérés dans une perspective de
former, à terme, un parti politique avec un ancrage territorial dans les
banlieues des grandes métropoles. Les Frères considèrent que leurs militants
sont avant tout des électeurs et constituent un gisement électoral. Leur double
discours se manifeste par leur icône Tariq Ramadan qui défend une certaine
forme de laïcité, une démocratie électorale et non politique, un vivre
ensemble constitué d’une mosaïque de vivre entre soi… Bref, d’une société
selon le modèle anglo-saxon, en utilisant habilement une sémantique élaborée
pour hypnotiser la France et ré-islamiser les Français issus de l’immigration.
Ses prises de position ambigües sur l’abolition de la charià, sur la lapidation
de la femme pour adultère ou sur le port du hijab ou du Burkini en
témoignent ».

Témoignages d’un acteur de terrain :


Naëm Bestandji
Militant féministe et laïque, Naëm Bestandji a longtemps travaillé dans le
domaine socio-culturel auprès des enfants et des adolescents des quartiers
populaires. Confronté depuis les années 1990 à l’avancée de l’intégrisme
musulman dont, dit-il, « les filles sont toujours les premières victimes par le
contrôle des corps et des déplacements », ce Français de culture musulmane
dresse une expertise de terrain très éclairante sur la façon dont il a vu le
discours frériste se répandre et toucher un certain nombre de jeunes. Lors
d’un entretien que nous avons eu le 29 juillet 2019, il expliquait : « quand on
parle des tentatives d’infiltration des Frères musulmans dans la société
française, on imagine qu’elles participent d’une démarche toujours planifiée
et consciente. Mais ce n’est pas exactement ainsi que cela fonctionne. Il y a
bien sûr une idéologie frériste qui est diffusée. Mais à chacun ensuite de la
faire vivre sur le terrain, à côté des projets fréristes planifiés (créations de
mosquées, de centres « culturels » musulmans, d’actions auprès d’élus
locaux, etc.) qui nourrissent les initiatives individuelles. Il peut s’agir
simplement d’individus qui se sont imprégnés de cette idéologie et qui la font
ressortir ensuite sur leur lieu de travail (…). Par exemple, quand je
travaillais dans le socio culturel, j’ai vu des animateurs de quartiers qui ne
disaient plus « bonjour », mais salam aleikoum aux jeunes dont ils avaient la
charge. Ce n’était bien sûr en aucun cas un signe de radicalisation de leur
part. Ils diffusaient cependant un signal qui n’était pas celui de la laïcité,
transmettant là une identification religieuse sur la base d’éléments de
langage, premier pas vers le communautarisme religieux. J’ai vu aussi de
plus en plus de jeunes vérifier qu’il n’y avait pas de graisse animale,
contenant potentiellement des traces de porc, dans les biscuits, ce qu’ils ne
faisaient pas avant (…). La surveillance de ceux qui font le ramadan ou pas
est également apparue à cette époque, dans les années 90. Avec le voile, le
contrôle de la nourriture des uns et des autres et les formules verbales
religieuses en arabe étaient les premiers résultats visibles du travail des
Frères sur le terrain. Certains, parmi ces animateurs, écoutaient Tariq
Ramadan ou Qardaoui, sans être pour autant dans une logique construite
d’entrisme. Ils font juste ressortir leurs convictions extrémistes à partir de ces
discours qui sont ceux des Frères musulmans. Et c’est par là que cela
commence (…). En fait, il faut bien comprendre que les Frères cherchent
d’abord ce qu’ils appellent la « réislamisation des musulmans » avant
d’entamer l’islamisation de la société. Ils fonctionnent ainsi, étape par étape.
Tout cela a été progressif, car leur logique s’est construite sur des décennies.
Ainsi, avec le temps, dans les quartiers populaires, il y a eu une
normalisation du voile et des discours religieux, y compris dans les
associations non religieuses et les clubs de sport. Le discours religieux est
devenu normal, alors que ceux qui le propagent ne se définissent pourtant pas
comme des islamistes (…). De mon point de vue, la menace est réelle, car les
islamistes politiques sont différents, dans la méthode et la temporalité, des
jihadistes qui veulent tout et maintenant. Les Frères musulmans sont très
patients, prêts à attendre. Ils utilisent la stratégie des petits pas. Qui aurait
ainsi imaginé, il y a dix ans, qu’on en arriverait à la problématique du
burqini, même si tous les Frères ne reconnaissent pas ce vêtement ? Ils ont en
réalité tout fait pour banaliser le voile par leurs actions, et on en est arrivé
là ! Ainsi, une fois que les burqinis seront acceptés dans les piscines, il y en
aura de plus en plus, dont les fillettes accompagnant leurs mamans. Des
femmes seront contraintes de le porter, agissant sous la pression morale
islamiste. Et une fois que cela fera bien partie du paysage, ils pourront passer
à l’étape suivante : réclamer l’apartheid sexuel par des horaires aménagés.
Leur stratégie est de tendre à l’occupation visuelle de l’idéologie islamiste à
travers le voile, avec une temporalité très longue (…). C’est pour cela que les
islamistes ciblent surtout la jeunesse. Comme ils savent, par exemple, qu’ils
ne peuvent pas abolir la loi de 2004 à court terme, ils misent sur les jeunes.
Ils comptent sur eux, futurs citoyens et élus de la République, pour supprimer
cette loi dans 15 ou 20 ans. » Naëm Bestandji résume en fait par son
expérience du terrain ce que n’ont pas vu venir les politiques. Car au nom
d’un islam en apparence compatible avec la laïcité et la république, les
Ikhwan ont imposé leur dictat visuel et sémantique en toute tranquillité et,
surtout, avec le soutien à peine voilé d’une partie de nos élites.

Abdelrahim Ali, l’expert égyptien des Frères


qui alerte les Occidentaux
À propos des musulmans français , nous avons également questionné
Abdelrahim Ali, grand patron de presse et spécialiste de l’islamisme, par
ailleurs député égyptien. Consterné par la naïveté française et occidentale, et
auteur de nombreux ouvrages sur les Ikhwan , cet expert des Frères, qui a créé
à Paris le Centre d’études du Moyen-Orient (CEMO) et connaît très bien la
France, nous explique que « la diffusion d’idées erronées sur les groupes de
l’Islam politique en Occident et leurs rôles dans leurs pays respectifs, puis le
fait de dire qu’il s’agit d’institutions démocratiques persécutées par des
dictatures, a largement contribué à faire pénétrer ces mouvements
extrémistes en Europe. Or, cette situation doit cesser ou du moins, il faut
écouter l’interprétation et les analyses de ceux qui ont un point de vue
différent, qui ont connu ces organisations, observé leurs idées et se sont
opposés à elles, ainsi qu’à leurs dirigeants, leurs cadres et leurs partisans
dans de nombreux débats » .
Ce patron de presse musulman égyptien, très hostile au totalitarisme
islamiste, qui passe la moitié de l’année à Paris, et qui est probablement l’un
des meilleurs spécialistes de La Confrérie en Égypte et dans le monde, ajoute,
apparemment plus inquiet que les autorités françaises elles-mêmes ont laissé
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prospérer les Ikhwan depuis 40 ans : « vous devez savoir que l’Union des
organisations islamiques de France (comme elle s’appelait avant le milieu
des années quatre-vingt-dix) a été fondée en 1983 à partir de l’union de 6
petites organisations qui sont devenues aujourd’hui 250 organisations et
associations possédant 170 mosquées partout en France, et deux écoles
secondaires : le lycée al-Kindy dans la banlieue de Lyon, et Averroès à Lille.
Si nous examinons les méthodes d’enseignement dans ces écoles, et le style
des sermons dans les mosquées, nous constatons une séparation entre les
garçons et les filles dans les classes, et l’enseignement de la matière du jihad
en le définissant comme le combat contre les non musulmans, outre l’appel à
des valeurs contraires aux valeurs de la République française. Ajoutons à
cela que les membres de l’organisation ont juré une fidélité parfaite aux idées
du fondateur Hassan al-Banna et qu’ils ont prêté allégeance au Guide de
l’organisation selon le système de l’allégeance suivi à l’intérieur du groupe,
et qu’ont admis nombre de ceux qui ont quitté le groupe comme Mohammad
Louizi, Tharwat al-Kharbawi ou Mukhtar Nouh. L’allégeance signifie la
fidélité à la stratégie définie par Al-Banna en six étapes : la construction de
l’individu musulman selon la méthode des Frères, la construction de la
famille musulmane, la construction de la société musulmane, la construction
du gouvernement islamique, la construction du califat islamique, et la
domination du monde. Il n’est donc pas étrange que le nom « Union des
organisations islamiques en France » soit devenu en 1995 « Union des
organisations islamiques de France », ce qui montre que l’organisation a
commencé à considérer la France comme l’un des pays auquel doit être
appliquée la stratégie en 6 étapes, et qui doit être transformé à un certain
moment, déterminé par « la puissance, les fonds et la situation politique » en
État islamique, ou plutôt en État frériste ».

1 . Lydia Gourys, Allah est Grand, la République aussi , 2014, J. C Lattès, Paris.
2 . Sonya Faure et Frantz Durupt, « Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression
médiatique », Libération.fr, 14 avril 2016.
3 . L’Islamisme et nous. Penser l’ennemi imprévu , éditions CNRS, 2017.
4 . Sonya Faure et Frantz Durupt, op.cit.
5 . Jacques Julliard, « Qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ? », Le Figaro, 26 août 2016.
6 . Idem .
7 . Pr opos tenus sur BFM TV également.
8 . La Découverte, 2014.
9 . Cité dans par Nouzille & Waintraub, 2017, p. 53.
10 . Anastasia Vécrin, « Edwy Plenel : “Islamiser la question sociale induit une guerre de tous
contre tous” », Libération , 6 octobre 2014.
11 . Edwy Plenel, « Un vêtement comme les autres »…, Mediapart, 14 août 2016.
12 . Anastasia Vécrin, « Edwy Plenel : Islamiser la question sociale induit une guerre de tous
contre tous », Libération , 6 octobre 2014.
13 . Mohamed Louizi, « Je me désabonne », Savoir ou se faire avoir, 5 mars 2016.
14 . Une affiche d’une conférence conjointe de Plenel et Ramadan, le 17 janvier 2015, source :
http://wiki.damocles.co/wiki/Fichier:Edwy_Plenel_1.jpg
15 . Bruckner, Pascal (2017a), Un racisme imaginaire : la querelle de l’islamophobie , Grasset,
272p.
16 . Louizi, Mohamed (2016), « Je me désabonne », Savoir ou se faire avoir, 5 mars 2016,
http://www.blog.sami-aldeeb.com/2016/03/30/je-me-desabonne/
17 . Bruckner, Pascal, « Ils haïssent la France, non parce qu’elle les opprime, mais parce qu’elle
les libère », Le Figaro-Magazine , 7 octobre 2017, pp. 54 – 55.
18 . Le Figaro , 26 août 2016.
19 . Nouzille & Waintraub, Op. cit .
20 . Feertchak (2016)
21 . L’Âge d’Homme, Paris, 1999.
22 . Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie, Op. cit , p. 104.
23 . Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie… ibid , p. 105.
24 . Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2005.
25 . Http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L__islam_imaginaire-
9782707153319.html .
26 . Éditions Plein Jour, 2016.
27 . Isabelle Kersimon et Jean Christophe Moreau, Islamophobie, La contre-enquête, paris, Plein
Jour, 2016, p. 150.
28 . « Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman” », de
A. Hajjat et M. Mohhamed, éd. La Découverte, 2013.
29 . Dans une émission (« Les Grandes questions », avec G-Frantz-Olivier Giesbert) dédiée aux
attentats de Charlie Hebdo et à l’islamisme radical, auquel l’auteur de ces lignes participait aux
côtés de Ghaleb Bencheikh et de Jean-Luc Mélenchon, ce dernier refusa catégoriquement de
critiquer l’islam politique ou même l’islamisme radical comme cause du terrorisme jihadiste.
Mélenchon fit le procès du seul catholicisme et botta en touche lorsqu’on lui demanda de désigner
la menace islamiste.
30 . Projet d’accord de majorité – 2014/2019 – be gov be. brussels, p. 113.
31 . La Nouvelle islamophobie , La Découverte, sur le vif, Paris, 2003.
32 . « En Europe, nous entrons dans une nouvelle phase dans les sentiments et les politiques
hostiles à l’islam. Cela a commencé après le référendum sur les minarets en Suisse (…). Aux États-
Unis, c’est un phénomène nouveau, qui remonte aux attentats du 11 septembre 2001. (…). Prenez
le cas de cet appel à brûler le Coran (…). Ou prenez les caricatures du prophète Mahomet (…)
c’étaient des caricatures barbares », cité in « Entretien avec Ekmeddin Ihsanoglu, Secrétaire
général de la Coopération islamique », Forum Algérie-Monde, http://www.algerie-
monde.com/forums/threads/9765-Ekmeleddin-Ihsanoglu-secr%C3%A9taire-
g%C3%A9n%C3%A9ral-de-l-Organisation-de-la-conf%C3%A9rence-islamique .
33 . Voir « Le système Frères musulmans : illustration par le cas Privot »,
https://www.cclj.be/actu/politique-societe/systeme-freres-musulmans-illustration-par-cas-privot .
34 . Voir le « Dossier spécial – Menace terroriste – RTBF télévision » (Belgique) du 18 janvier
2015 ; voir son ouvrage Quand j’étais frère-musulman, La Boîte de Pandore, Bruxelles, 2017.
35 . Le Monde , 18 octobre 1998.
36 . « L’assimilation est un crime contre l’humanité », déclara Tayyip Erdogan, à Cologne, le
11 février 2007, http://pointdebasculecanada.ca/turquie-erdogan-aux-turcs-dallemagne-
lassimilation-est-un-crime-contre-lhumanite/ .
37 . « Rapport 2018 sur l’état des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France »
38 . Sylvain Mouillard et Bernadette Sauvaget, « Au Collectif contre l’islamophobie, de la suite
dans les données » sur liberation.fr, 3 avril 2016.
39 . Bernard Godard, La question musulmane en France : Un état des lieux sans concessionss,
Fayard, 2015, 352 p.
40 . Laurence Thailarde, « Législatives : Samy Debah, le candidat du CCIF ? », Communiqué de
presse, 6 juin 2017.
41 . http://fr.wikipedia.org/wiki/Collectif_contre_l%27islamophobie_en_France
42 . Rappelons les faits : le 11 mars 2004, trois journalistes de Canal + qui s’étaient présentés
devant le château de Ville-Main qui abritait cette école coranique clandestine avaient été
violemment agressés et s’étaient fait voler la caméra. Hospitalisé, l’ingénieur du son nécessita 97
jours d’incapacité de travail. Mohamed Hammami, imam de l’association Foi et pratique (Tabligh),
alors âgé de 72 ans, et son fils, Mohsen Hammami, ont été condamnés à quatre mois de prison avec
sursis.
43 . Elsa Sabado, « Les organisateurs de colonies de vacances confrontés au Ramadan », La croix ,
31 juillet 2012.
44 . « Tu jeûnes tu sors », site islamophobie.net :
https://www.islamophobie.net/2012/07/31/licenciement-colonie-vacances-ramadan/ .
45 . En 2012, Tariq Ramadan avait invité Marwan Muhammad à parler de la situation des
musulmans en France durant son émission Press TV (média iranien), Vidéo disponible sur le site de
Tariq Ramadan / WebArchive et sur http://tariqramadan.com/press-tv-tariq-ramadan-et-marwan-
muhammad-mai-2012/ .
46 . http://www.islamophobie.net/articles/2014/05/26/diner-ccif-2014-marwan-muhammad .
47 . https://www.facebook.com/Cheikh.abouhoudeyfa/posts/910145045688582# .
48 . L’université de Rennes précise qu’avec ce diplôme, Rachid Abou Houdeyfa pourra être l’un
« des référents laïcité dans divers domaines de la vie professionnelle ou associative (…) qui sont
amenés à éclairer, du point de vue du droit, de multiples situations quotidiennes où la question
religieuse est susceptible de croiser les règles de l’État républicain et laïc »… https://france3-
regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/rennes-imam-brest-archeveque-rennes-
obtiennent-leur-diplome-religion-1388665.html .
49 . http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2013/06/tandis-que-la-gauche-alerte.html .
50 . Voir sites toutesegaux.free.fr et oumma.com.
51 . L’« appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial ; ou « Appel des Indigènes de la
république », publié dix mois avant le déclenchement des émeutes des banlieues françaises en
janvier 2005, incarne cette tentative d’essentialiser les immigrés musulmans et d’en faire des
soldats de la nouvelle révolution contre l’ordre occidental établi : « Discriminatoire, sexiste,
raciste, la loi anti-foulard est une loi d’exception aux relents coloniaux. La France a été un État
colonial… […]. La décolonisation de la République reste à l’ordre du jour ! », in François Darras
(J.F. Kahn), « Et maintenant, les nouveaux racistes ! », Marianne , 26 février-4 mars 2005.
52 . Caroline Fourest, La tentation obscurantiste , op. cit, p. 37.
53 . Face à ses dérives de la lutte antiraciste, une étude du Collectif Contre TOUS les Racismes,
intitulée « Les liaisons dangereuses du MRAP », publiée en février 2004 par des militants
antiracistes dissidents, mit en évidence « l’antiracisme sélectif » du MRAP, dont la cause ne serait
« plus celle du combat contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples » mais celle d’un
antisionisme viscéral et de la défense des islamistes radicaux ou des mouvements ethnicistes
ouvertement anti-juifs ou anti-français, « minimisant ainsi les actes antisémites lorsqu’ils sont
commis par des “arabo-musulmans” ». Parmi les rédacteurs du rapport : Bernice Dubois, ex-
membre du MRAP ; Morad El Hattab, écrivain, le scientifique Alexandre Feigenbaum, ancien du
MRAP ; Kébir Jbil, président de l’association des Musulmans laïques, Rachid Kaci, ex-président de
Democratia ; Belkacem Lounes, président du Mouvement mondial berbère ; Simon Midal, ex-
membre de la LICRA ; Kavéh Museihni, président du mouvement des étudiants iraniens
laïques, etc.
54 . https://www.saphirnews.com/agenda/Colloque-L-islamophobie-en-question_ae228191.html .
55 . Idem .
56 . https://fr-fr.facebook.com/salaam.sciencespo/ .
57 . Note DGSI
58 . Jérôme Lefilliâtre, « Avec AJ +, Al-Jazeera séduira le genre Oumma », Libération,
16 novembre 2018.
59 . « AJ+ français : quand la propagande du Qatar se cache derrière un progressisme féministe et
LGBT », marianne.net , le 25 avril 2018.
60 . « Quand AJ+ transforme une enquête sur la vie des ouvriers au Qatar en clip de propagande »,
marianne.net , 24 octobre 2018.
61 . https://www.bdsfrance.org/ , le site du BDS, explique que « La campagne BDS (Boycott
Désinvestissement Sanctions) a été lancée par la société civile palestinienne en 2005, suite à des
dizaines d’années de lutte contre Israël et sa politique d’apartheid . Les Palestiniens font appel aux
citoyens de conscience du monde, afin que prenne fin le plus long conflit de l’histoire récente, en
leur demandant de boycotter tous les produits israéliens, mais aussi de pratiquer un boycott sportif
, culturel et universitaire . Ils nous demandent également de faire pression sur les entreprises
étrangères, notamment européennes, afin qu’elles arrêtent leur collaboration avec cet État
criminel. »
62 . Site du Institute for Social Policy and Understanding ISPU, https://www.ispu.org/ .
63 . L’autre Al-Qaïda – Arte – 2007 – Emmanuel Razavi et Stéphan Villeneuve.
er
64 . Association à but non lucratif qui relève de la loi du 1 juillet 1901, dans les domaines
culturel, social, sportif, humanitaire, etc.
65 . L’Organisation de libération de la Palestine, créée au Caire le 28 mai 1964
66 . Jusqu’à 170 000 visiteurs en 2019 selon le site Rassemblement Annuel des MF.
67 . Le vocabulaire islamique : Mots clés du langage théologique religieux et politique de l’islam
salafo-wahhabite – Youssef Chiheb, Rapport de recherche, 25 Juillet 2019.
68 . https://www.youtube.com/watch?v=PruffAs3VTI .
69 . Abdelrahim Ali est un spécialiste de l’islam politique de renommée internationale. Ses
ouvrages en la matière font autorité – aussi bien dans le Moyen-Orient qu’en Europe – dont
certains sont traduits en plusieurs langues (ses deux ouvrages « Daech, la redistribution des cartes
dans un monde bouleversé » et « l’État des frères musulmans, l’Europe et l’expansion de
l’organisation internationale » sont édités à Paris aux éditions de l’Harmattan). Il est enfin député
au parlement égyptien depuis 2015.
En guise de conclusion…
« La civilisation occidentale, qui a longtemps été brillante en raison de sa
perfection scientifique, et qui a subjugué le monde entier avec les produits
de cette science pour ses États et ses nations, est maintenant en faillite et en
déclin. Si l’État juif devient un fait, et les peuples arabes le réalisent, ils
chasseront les Juifs qui vivent au milieu d’eux dans la mer.
1
Hassan al-Banna

Réislamisation, entrisme, sémantique,


boycott et victimisation : le projet frériste
Cet ouvrage, le lecteur l’aura compris, s’appuie sur plus de quinze années
de recherches, d’enquêtes et de reportages durant lesquelles nous sommes
allés à la rencontre de hauts responsables, de cadres et de militants de La
Confrérie islamiste en Égypte, en Turquie, au Qatar, en Arabie saoudite, en
Jordanie, en Israël et en Palestine, au Liban, en Algérie, au Maroc, en
Angleterre et en Espagne. Qu’il s’agisse d’ Azzam Tamimi, de Mohamed
Habib, de Fadl Taha, de Mahfouz Azzam, de Gamal al-Banna (le frère
d’Hassan al-Banna), d’Abu Tariq, d’Essam El Erian, ou encore de Tariq
Ramadan avec lequel Alexandre del Valle a débattu, sans oublier de simples
quidams comme Abdel et Karim dont nous avons parlé, nous avons réalisé
auprès d’eux des dizaines d’heures d’entretiens, écrits, sonores ou vidéos, et
compulsé – souvent grâce à leurs indications – des centaines de pages de
documents originaux émanant de leur organisation. Chaque fois, nous nous
sommes fait un devoir de les écouter et de demeurer dans l’empathie, pour
comprendre au mieux leurs revendications, analyser leurs paroles, décrypter
sereinement leur projet, et mesurer la portée réelle de leur « mission »
d’islamisation. Notre objectif était de réaliser un ouvrage qui soit le plus
fiable et le plus sourcé possible, afin d’étayer notre propos par des faits
indiscutables. Nous avons également confronté nos analyses, usant de
méthodologie journalistique et de rigueur scientifique, au prix parfois
d’interminables discussions, et d’innombrables recoupements.
Systématiquement, nous avons fait la part des choses, distinguant bien
l’islam pratiqué pacifiquement par nombre de musulmans dans le monde, de
l’islamisme mortifère qui prône le Jihad conquérant. Nous sommes en effet
clairement partisans du dialogue entre les cultures et les religions comme de
la coopération entre les rives occidentales et orientales de la Méditerranée,
que ce soit en matière économique, environnementale, politique, culturelle et
sécuritaire. Pour nous, l’islam en tant que religion pratiquée de manière privée
et purgée de ses dispositions politico-guerrières chariatiques n’est pas le
problème – même si l’islamisme en est le continuum déviant. La présence de
musulmans issus de sociétés non européennes dans nos pays pluralistes n’est
pas davantage un problème en soi, dès lors qu’ils adhèrent en tant que
citoyens à un projet démocratique et laïque respectueux des traditions, des
identités, des principes et des valeurs de nos sociétés européennes,
indissociables de la liberté d’expression, de l’égalité entre les sexes et bien sûr
de cette fraternité qui lient les citoyens entre eux et à la Nation. Nous en
sommes d’ailleurs tellement convaincus qu’en contrepoint de nos
interlocuteurs islamistes, nous nous sommes donnés pour devoir de travailler
le plus souvent avec des acteurs de terrain issus de l’immigration musulmane
qui luttent contre le fondamentalisme religieux.
Nous avons ainsi évoqué la question centrale de la « privatisation » de
l’islam et de sa nécessaire adaptation aux sociétés occidentales avec des
responsables religieux musulmans comme le recteur de la mosquée de Paris,
Dalil Boubakeur, les frères Souheib et Ghaleb Bencheikh ou l’imam
Chalghoumi. Nous avons également nommé et interrogé – entre autres – des
spécialistes tels Youssef Chiheb, l’expert du Centre Français de Recherche
sur le Renseignement (CF2R), passé maître dans l’art du décryptage de la
dialectique islamiste, Naëm Bestandji, ce militant qui lutte courageusement
pour la laïcité et le respect de la liberté des femmes dans les quartiers, ou
encore la philosophe algérienne Razika Adnani, qui établit les conditions de
l’émergence d’un « islam réformé ». Ces intellectuels nous ont ainsi expliqué
et démontré, à partir de leurs travaux et de leurs constats sur le terrain,
comment les islamistes, à commencer par les Frères et leurs concurrents
salafistes, ont construit un projet global de conquête au nez et à la barbe des
pouvoirs publics.
Un « Projet » qui a été théorisé dans des textes officiels, dont l’objectif
final est la soumission de la planète aux lois de l’islamisme. Un « Projet » qui
va de la réislamisation des jeunes musulmans laïcs via un repli
communautaire de type séparatiste (« désassimilation »), à l’entrisme dans les
entreprises, les syndicats, l’éducation nationale, les milieux associatifs « anti-
racistes » et les clubs de sport, en passant par l’occupation publique de
l’espace sonore et visuel, ou encore par la stratégie de boycott économique de
grandes marques sur les réseaux sociaux.
Le pire, durant tout la période durant laquelle nous avons enquêté, étant
que les responsables islamistes eux-mêmes, à l’instar d’un Azzam Tamimi,
confirment ces constats inquiétants, pointant ainsi du doigt les « puissances
coloniales » que sont la France, l’Angleterre ou l’Espagne, qu’ils déclarent
vouloir faire chuter en raison de leur soutien aux dictateurs du monde arabe.
Ainsi que tous ces interlocuteurs nous en ont fait prendre conscience,
l’islamisme s’est en fait banalisé dans l’Hexagone et dans une partie de
l’Europe, devenant peu à peu partie intégrante du paysage social, étant
confondu avec l’islam supposé « modéré » grâce à l’utilisation du discours
victimaire des Frères musulmans qui condamnent à tout va
« l’islamophobie », dans le cadre d’une stratégie de désinformation visant à
soumettre à la « reductio ad Hitlerum » tous ceux qui s’opposent à la tentative
frériste et dénoncent ses dérives sectaires.
En quelques décennies, La Confrérie a en effet réussi à faire croire qu’elle
incarnait la parole des musulmans d’Europe et de France, parvenant à se
positionner comme un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics,
installant son projet politico-religieux comme la seule issue possible pour une
soi-disant « meilleure intégration » sociétale des musulmans.
Telle une avant-garde islamiste qu’ils sont d’ailleurs fiers d’incarner, les
Ikhwan ont réussi à imposer leur dictat idéologique aux leaders politiques,
intellectuels et médiatiques des sociétés « mécréantes » qu’ils ont infiltré en
profondeur depuis des décennies, profitant cyniquement du manque de
profondeur historique, analytique et patriotique de leurs adversaires politiques
qui n’ont hélas pas jugé important d’écouter les nombreuses mises en garde
des grandes centrales de renseignement pourtant très claires, envoyées à tous
les échelons de responsabilité administrative et politique depuis les années
1990.
Il convient d’ailleurs de rendre hommage à la communauté du
renseignement français, laquelle a été la première à alerter sur le fait que
l’organisation des Frères musulmans incarnait un réel péril pour notre société.
Dès son implantation en France, ses responsables opérationnels – aux RG, à
la DST puis à la DGSI – ont en effet très vite compris les liens complexes qui
existaient entre La Confrérie et les milieux jihadistes. Ils ont également mis
en exergue, dans plusieurs rapports, la notion de double discours frériste, ainsi
que la mise en place d’un vaste de réseau d’associations, de centres culturels
et de librairies à travers le territoire français.
Il semble pourtant que peu, en France, aient accepté de regarder la vérité
en Face.

La nouvelle trahison des clercs,


ou l’« orwellisation des esprits »
« Nous détenons la vérité lorsque notre connaissance s’accorde avec la
réalité (…) La vérité se trouve d’abord en nous ; ne pas l’accepter, c’est ne
pas s’accepter (…)», disait le grand philosophe allemand Georg Wilhelm
Friedrich Hegel. Une pensée qui s’accorde très bien à l’époque que nous
vivons, où le totalitarisme islamiste, habillé de ses faux-semblants, a séduit
bon nombre de militants tiers-mondistes et d’extrême gauche, qui n’ont pas
cherché à connaître la vérité sur ses origines et ont accepté ses contrevérités
tels des postulats, gommant ou reniant dans le même temps tout ce qui les
ramenait à leur propre histoire. Cette orwellisation des esprits – qui consiste à
dire et imposer le contraire de ce qui est – a opéré un retournement sans
précédent de notre société qui en a fini par oublier d’où elle venait, et a
renoncé à ses propres idéaux au profit d’un discours qui ne peut conduire
qu’au chaos civilisationnel et au mépris de soi.
Le projet de conquête frériste passe par la déconstruction de notre identité
et la réduction à néant de notre pensée. Or « c’est dans le vide de la pensée
que s’inscrit le mal », disait Hannah Arendt, la philosophe et journaliste
américaine connue pour ses travaux sur le totalitarisme. En France – comme
en Espagne, en Italie et en Angleterre où opèrent les Frères musulmans – ce
vide de la pensée a trouvé son incarnation la plus naïve chez une partie des
alliés institutionnels de l’islamisme qui, n’ayant aucune connaissance de
l’histoire du Maghreb, du Moyen-Orient et des groupes activistes qui y
opèrent, ont cédé à la tentation du discours victimaire, séduisant à leurs yeux.
Qu’importait pour eux que la cause fût juste, pourvu qu’elle fût belle…
Toutefois, il n’y a pas que des naïfs qui ont été aveuglés par la doctrine
frériste. Il y a aussi ceux qui servent l’islam politique consciemment, par
intérêt financier ou personnel. Nous en avons croisé tant, durant toutes ces
années – chercheurs, consultants, élus ou conseillers politiques – qui vantaient
les mérites de La Confrérie sur commande du Qatar, de la Turquie ou de l’
Arabie saoudite, ou parfois aussi, par peur de se retrouver ostracisés (nous
l’avons constaté dans le monde universitaire).
En trente ans, la France, devenue la cible d’une stratégie de déstructuration
menée par les Ikhwan préalable à leur projet de conquête de la République a
donc fini par ne plus être fidèle à elle-même, perdant la plupart de ses repères.
Elle a désacralisé ses propres institutions, remisé ses mythes fondateurs au
profit d’autres importés depuis les rives orientales de la Méditerranée, et
permis la déconstruction de son historicité. Elle a, dans les faits, perdu peu à
peu sa fierté, et s’est fracturée.
La France humaniste et sa cohésion nationale, son histoire et son identité
sont ainsi remises en question au profit d’un discours communautariste dont
l’un des objectifs immédiats est de laisser la place à une souveraineté
indigéniste-séparatiste préalable au califat.
Cette France culpabilisée et trahie par ses clercs s’est ainsi retrouvée prise
dans l’engrenage d’une crise existentielle sans précédent, car s’inscrivant
dans une période de convergence de crises politique, identitaire, migratoire,
éducative, sociale et économique qu’elle n’avait pas connue depuis la
révolution française. Une convergence des crises qui a également frappé de
plein fouet les grandes puissances historiques, déboussolées par
l’effondrement du monde bipolaire, autrefois caractérisé par la lutte entre les
États-Unis et l’ex-URSS, au profit d’un monde nouveau, devenu celui-ci
multipolaire, déterminé par l’émergence de nouvelles puissances
économiques.
Dans le contexte hexagonal, le pouvoir élu, les institutions économiques,
policières et judiciaires, comme l’éducation nationale et les médias, sont ainsi
devenus aux yeux de La Confrérie les symboles d’une civilisation occidentale
prête à s’effondrer. Ce déclin de l’Occident est constaté et assimilé à une
opportunité pour le triomphe de l’islam par l’incontournable Youssouf Al-
Qardaoui, qui prévoit une islamisation « pacifique » de l’Europe perçue à la
fois comme une victoire sans épée et comme une « rédemption ». Dans cette
configuration suprémaciste et panislamiste portée par les Frères et leurs États
sponsors, notamment le Qatar et la Turquie d’ Erdogan, le néo-Sultan qui
définit l’Europe impie comme un « continent en voie de putréfaction », la
France tient une place majeure. Pays de la laïcité républicaine honnie, des
Lumières et avant cela « fille aînée de l’Église » et des Croisades, ce « phare
de l’Humanité » est pour l’ensemble des islamistes le verrou idéologique
occidental à faire sauter.
Par une étrange ruse de l’Histoire, les fossoyeurs de la Raison et des
Lumières, qui défendent aujourd’hui les barbus alors qu’ils ont « bouffé du
curé » jadis, luttent avec acharnement contre l’installation de crèches de Noël
dans les mairies tout en légitimant le port du voile, la halalisation des espaces
publics et privés, ainsi que la rupture du jeune du Ramadan et le retour du
délit de blasphème en matière d’islam. Ce sont aussi ceux-là qui, au nom de la
liberté d’expression, considèrent que la défense du port du Burkini – véritable
symbole d’apartheid sexuel – serait un « acte féministe », un « droit des
femmes », à l’instar de Taous Hammouti, la militante et porte-parole de
l’Alliance citoyenne, par ailleurs proche des Frères, qui est à l’origine de
2
l’opération de Grenoble le 23 juin 2019, et qui se qualifie de Rosa Parks
musulmane.
Ruse de la raison idéologique, ceux qui traitent de fascistes, de racistes et
d’islamophobes les détracteurs des Ikhwan et de l’islamisme totalitaire
défendent dans les faits une idéologie théocratique et fascisante dont les
principaux théoriciens – Hassan al-Banna, Sayyid Qutb, Saïd Ramadan et
Youssef al-Qardaoui – ont glorifié sans complexe le régime nazi, ont
collaboré avec l’Axe ou avec des figures nazies officielles (voir chapitre I ),
mais se permettent de culpabiliser la société française, comme l’ensemble des
sociétés européennes, en faisant passer leur projet panislamiste pour une
nouvelle forme d’anticolonialisme, d’indigénisme, et même d’antiracisme !
Ces nouveaux obscurantistes 2.0, adeptes du double langage orwellien,
soutenus par des idiots utiles disciples de la « nouvelle trahison des clercs »,
sont en fait les complices d’une idéologie suprémaciste, raciste, et
judéophobe, sous couvert d’antisionisme, « ur-fasciste » (fascisme religieux),
pour paraphraser le défunt Umberto Eco.
Ces idéologues, qui auraient pu être les protagonistes du roman de
Georges Orwell, 1984, ont-ils pour autant gagné la partie ? Nous ne voulons
pas le croire. Car le défaitisme serait leur meilleur allié. Il est temps que
politiques, chercheurs, journalistes, représentants associatifs et institutionnels
apprennent à ne plus céder à une prise d’otage rhétorique qui les entraîne,
malgré eux, à perdre chaque jour davantage de terrain. Il est utile, à cet effet,
de rappeler que les lobbies islamo-gauchistes qui ont poussé à soutenir l’
Ayatollah Khomeiny en 1979, formé à l’école des Frères musulmans et
parfois qualifié de « Gandhi iranien », ont permis de mettre au pouvoir un
homme qui a fait exécuter à tour de bras ses opposants et envoyé des enfants
de douze ans se faire sauter sur des mines lors de la guerre Iran-Irak. Ce sont
souvent les héritiers ces mêmes lobbies qui, quarante ans plus tard, ont appelé
à soutenir les organisations islamo-rebelles des Printemps arabes – le plus
souvent des émanations de l’organisation des Ikhwan , à l’instar de la Libye
ou de la Syrie.
Ne nous leurrons pas. Il faudra des années pour parvenir à reconstruire une
France qui se regarde en face, qui assume son histoire – ses moments glorieux
comme les plus sombres – et ose s’opposer à un totalitarisme islamiste qui ne
dit pas son nom, sans se sentir « coupables d’islamophobie ». Pour cela, il
faudra d’abord que les maires, les députés, les enseignants, les policiers, les
magistrats, les journalistes, les représentants associatifs se réapproprient le
sentiment de fierté nationale, premier barrage nécessaire au fascisme
islamiste. Il faudra enfin se tenir face à ces puissances émergentes qui jouent
la carte de la déstabilisation à l’intérieur même de nos frontières.
Nous avons en effet démontré le rôle trouble du Qatar et de la Turquie
dans le financement et le soutien aux organisations fréristes dans l’Hexagone.
Ces deux pays, par ailleurs pourvoyeurs de fonds, d’hommes et d’armes au
profit des groupes Jihadistes – qui sont soi-disant nos alliés dans la lutte
contre le terrorisme – soutiennent un Jihad global qui s’étend des chaos libyen
et syrien aux eaux du golfe Persique. Ils ont chacun, en fonction de leur
agenda et de leurs intérêts géopolitiques, l’absolue conviction que les
changements du monde induisent de nouvelles potentialités en termes de
stratégie d’influence, et que celle-ci passe autant par une réislamisation de
l’Europe que par leur emprise sur l’ensemble du Moyen-Orient. Ces États,
soyons clairs, doivent être mis face à leurs responsabilités. Car à force de les
laisser continuer à soutenir l’islam frériste en toute impunité, ils participent
d’une situation qui risque tôt ou tard de déboucher sur une confrontation
intérieure sur notre territoire, tant la société se fracture.
« Je pense que nous gagnerons contre le terrorisme. Je suis en revanche
beaucoup plus inquiet de la radicalisation de la société et du mouvement de
fond qui l’entraîne », affirmait le 24 mai 2016, Patrick Calvar, alors directeur
général des services de renseignement intérieur (DGSI), lors d’une audition
3
devant des parlementaires . Il ajoutait : « vous aurez une confrontation entre
l’ultra droite et le monde musulman – pas les islamistes, mais bien le monde
musulman. (…). Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous
appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à
un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires
». Des propos alarmistes, révélateurs d’une société française inquiète de
l’envahissement islamiste, et donc tentée par l’amalgame entre islam et
4
islamisme. Selon une étude réalisée par OpinionWay pour Sciences Po et le
Cevipof en juin 2018, 60 % des Français interrogés disaient en effet penser
que « l’islam représente une menace pour la République ».
En avril 2018, la Commission nationale et consultative des droits de
5
l’Homme (CNCDH) rendait quant à elle son rapport annuel sur le racisme,
l’antisémitisme et la xénophobie en France. Si l’étude mettait en exergue le
fait que les Français restent tolérants vis-vis de l’islam malgré la période de
tension liée aux attentats, elle pointait du doigt le fait que cette religion reste
un objet de défiance pour près de quatre français sur dix, qui estiment qu’elle
représente une menace pour l’identité nationale, 58 % d’entre eux jugeant le
voile incompatible avec les valeurs de la république. Pour 42 % des personnes
interrogées, l’interdiction de montrer l’image de Mahomet constituait
également une entrave aux principes de la République. « L’évolution de
l’opinion à l’égard des musulmans va globalement dans le sens d’un moindre
rejet. L’opinion négative d’une partie des Français reste cependant marquée
par leur perception d’une religion conquérante et par le sentiment que
certaines pratiques musulmanes sont peu compatibles avec le vivre ensemble.
Il en ressort une gêne vis-à-vis des pratiques culturelles et religieuses les plus
visibles dans l’espace public », expliquait ainsi l’étude. Tout cela est
inquiétant.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Le fait que la société se fissure et se
montre suspicieuse vis-à-vis de l’islam est en soi une victoire pour les Frères
musulmans, qui jouent de ce ressentiment pour faire des musulmans français
des citoyens à part, voulant les attirer dans les mailles de leurs filets.
C’est donc un ensemble de postures qu’il faut adopter pour en finir avec
un totalitarisme théocratique et suprémaciste qui risque de nous mener à la
confrontation entre Français. La première d’entre elles est de faire face à la
vérité, de nommer les choses, comme nous l’avons fait tout au long de ce
livre, et d’en finir avec les organisations fréristes et salafistes en les fermant,
au même titre que sont fermées les associations qui prônent le néonazisme. La
seconde est de renouer avec notre roman national, et de nous réconcilier avec
notre histoire. En ce sens, l’éducation nationale et les enseignants jouent un
rôle déterminant. Le reste est affaire de courage politique et de fermeté.
Si l’on n’agit pas de la sorte, alors les Frères musulmans et les autres pôles
de l’islamisme conquérant, actifs dans nos sociétés « ouvertes » à tous les
vents totalitaires, auront gagné.
La France n’aura alors plus qu’un seul choix : celui de la soumission.

1 . Cinq secteurs de Hasan al-Banna : une sélection du Majmu à Rasail al-Imam al-Shahid Hasan
al-Banna . Presses de l’Université de Californie. p. 106. traduit et annoté par Charles Wendell.
2 . Rosa Parks est l’une des figures emblématiques de la lutte contre la ségrégation raciale aux
États-Unis, devenue célèbre pour son activisme dans les années 1950.
3 . https://www.publicsenat.fr/lcp/politique/renseignement- interieur-craint-une-confrontation-
entre-lultra-droite-monde- musulman-14.
4 . https://www.youscribe.com/BookReader/IframeEmbed?
productId=2919098&width=auto&height=auto&startPage=3&
displayMode=scroll&documentId=3213787&fullscreen=1&token=
5 . https://www.cncdh.fr/sites/default/files/essentiels_rapport_racisme_2018_vdef_1.pdf
Glossaire
Abbassides – Dynastie de califes (750-1258) descendante d’Abbas, oncle du
prophète Mahomet, qui a pris la tête du Califat, à Bagdad (Irak), entre 750
et 1258. C’est pourquoi le Califat islamique de Daech sera proclamé en
avril 2014 en Irak près de Bagdad.
Aqida – Certitude en arabe. Désigne les articles de la foi islamique qui
fondent une adhésion de fidélité du musulman à ses dogmes aux termes
d’un contrat moral. Les six principaux articles de foi issus des ahadith
sont : Allah (Dieu), Tawhid (unicité), mala’ika (« les régisseurs »),
koutoub (les écrits, surtout le Coran), ses prophètes ( nabi ) et émissaires (
roussoul ) ; le qiyama , ou jour du rétablissement, le jugement ; puis le
qadar , bon ou mauvais. L’ouvrage de référence est « Al Aqida al
wasitiyya » de Ibn Taimyya*, référence du salafisme. L ’aqida fonde
l’action et l’engagement des jihadistes.
Al wala wa’l bara (« loyauté et désaveu », en arabe) – Expression chère aux
salafistes qui signifie qu’un bon musulman devrait rester loyal seulement
envers ses coreligionnaires et haïr et désavouer les non-musulmans.
Ayatollah – « S igne de Dieu », du terme arabe ayât ( signe), employé pour
désigner les versets du Coran. Ayatollah est devenu un titre hiérarchique
utilisé chez les chiites duodécimains (qui croient en l’existence d’une
lignée de douze imams). Second dans la hiérarchie, l’Ayatollah exerce un
pouvoir à la fois administratif et religieux.
Bay’a – Terme très prisé dans la mouvance islamiste et jihadiste qui désigne
le serment d’allégeance au souverain (émir, calife, etc) dans le monde
islamique à l’époque médiévale ou dans la jihadosphère actuelle.
Bidaà – Innovation religieuse n’ayant pas été pratiquée par les « salafs »
(« les pieux ancêtres »), et par conséquent blâmée par les tenants d’un
islam rigoriste tels que les salafistes et les wahhabites.
Califat ( Al-Khilafa , « succession », en arabe) – Succession du pouvoir
instauré à Médine par Mahomet qui régit la Oumma . Territoire et
population musulmane qui y vivent et reconnaissent l’autorité d’un
« calife » (« successeur ») dans l’exercice politique du pouvoir. La chute
définitive de l’Empire ottoman et l’abolition du Califat par Atatürk en
1924 ont été les points de départ du panislamisme, qui, à partir des Frères
musulmans (1928), réclame le rétablissement du Califat dont un hadith a
« prévu » la disparition ainsi que la restauration à la fin des temps. Prenant
ce hadith à la lettre, les mouvements jihadistes-salafistes réclament un
« califat suivant la voie prophétique » (« Khilafa à la minhaj an-nubuwa
»).
Chahâda – Profession de foi musulmane : « Il n’y a de divinité que Dieu et
Mahomet est son Envoyé ». L’énoncé de cette formule devant témoin est
la seule condition requise pour devenir musulman.
Charià – Litt., en arabe, « voie » tracée par la loi divine. Loi canonique de
l’islam tirée du Coran et des Hadith. Dans certains États musulmans,
comme le Soudan ou l’ Arabie saoudite, la Charià est la norme de droit
exclusive.
Chiites – Litt. « scission, section, partie ( shià ) ». Partisans d’Ali et de ses
descendants, les chiites récusent la légitimité de tous les Califes instaurés
après l’assassinat d’Ali (661).
Chiisme – Mahomet étant décédé sans avoir désigné son successeur (calife),
un groupe minoritaire se regroupa autour d’Ali, son cousin et gendre. Ce
groupe ( Shià-tu Ali = Parti d’Ali) estimait que les qualités d’Ali (piété,
justice) et sa parenté avec le prophète en faisaient le meilleur successeur.
Mais il fut écarté par ses rivaux après avoir accédé au Califat et fut
assassiné en 661 par un kharidjite qui lui reprochait d’avoir accepté la
conciliation avec son rival Moàwiyya, qui devint calife. Moàwiyya fit
assassiner les fils d’Ali : Hassan et Hussayn (669-680). À la mort de
Hussayn, le chiisme se développa avec le culte des martyrs et la
constitution d’un clergé et d’une « école » propres, qui se divisera en
plusieurs branches (Duodécimains, Ismaéliens, Druzes, Alaouites, etc).
Coran – De la racine arabe qr ’, réciter, lire. Texte sacré de la révélation
islamique, transmise par l’ange Gabriel à Mahomet. Les rationnalistes
(mutazilites) et les chiites pensent que le Coran est d’inspiration divine
mais créé, et donc en partie humaine et interprétable, tandis que les
sunnites-orthodoxes estiment qu’il est « incréé », « Dieu fait texte », pur
miracle, donc ininterprétable, parfait, complet, intouchable (« kamil wal
chamil »).
Dar al-harb – Litt. « demeure ou zone de la guerre ». Espace géographique,
juridique, et politico-spirituel avec lequel les musulmans habitant le
territoire de l’islam ne peuvent entretenir que des rapports de guerre du
fait que le dar al-harb refuse d’embrasser l’islam.
Dar al-islam – Litt. « demeure de l’islam ». Territoire à l’intérieur duquel la
souveraineté et le pouvoir politique sont directement exercés par des
Musulmans. Dans le dar al-islam , les minorités religieuses non-païennes
peuvent être tolérées moyennant une soumission totale au pouvoir
temporel islamique et le paiement du Tribut.
Dar al-sulh – Litt. « demeure de la conciliation ou de la vérité » . Territoire
du dar al-harb à l’intérieur duquel les autorités impies permettent aux
musulmans de prêcher l’islam en liberté. L’islam pouvant y progresser
pacifiquement, une sorte de trêve ( sulh, aman ), qui n’est pas la paix (
salam ), est accordée momentanément aux Harbiyyûn , habitants du dar
al-harb . Pour les Frères musulmans, le dar al-sulh européen est devenu,
en raison de sa réceptivité au prosélytisme islamiste, dar al-shahada,
demeure du « témoignage », ou dar al-da’wa , demeure de l’annonce »,
donc zone d’extension pacifique de l’Islam.
Dawla (État en arabe) – Ce terme est utilisé par les jihadistes comme
l’abréviation de Daech, anagramme de quatre mots arabes désignant (D de
dawla , A de al-islamiyya ; ‘Ei de ‘ Irak et Sh de Sham = synonyme de
Syrie) : État islamique en Irak et en Syrie). Plusieurs médias arabes dont
Al- Jazeera préfèrent appeler Daech « Tanzim al-Dawlat »
(« organisation de l’État », sous-entendu islamique).
Da’wa – Invitation ou appel, en arabe. Désigne aussi la prédication. Les
islamistes l’utilisent beaucoup pour qualifier un prosélytisme tant
politique que religieux, et les Frères musulmans en font un outil majeur
pour conquérir l’Europe, vue comme maison de la prédication (dar al-
da’awa).
Daech – Acronyme arabe d’« État Islamique en Irak et au Levant » (« Al-
dawla al islamiyya fi- l’irak wa al-sham »).
Dhimmi – Terme issu de l’arabe « Ahl al-dhimma » (littéralement les « gens
du pacte »). Désigne les Juifs et les chrétiens (et autres monothéistes)
vivant en terre d’islam et acceptant de se soumettre aux lois islamiques.
En échange, et moyennant le paiement d’un impôt ( jiziya ), le dhimmi
peut pratiquer son culte, mais ne peut en aucun cas commander un « vrai
Croyant », ni porter les armes et il doit accepter la supériorité du
musulman ainsi que son prosélytisme sans réciprocité.
Dönme – Terme turc désignant les Juifs ottomans devenus musulmans au
e
XVII siècle à la suite de la conversion du kabbaliste Sabbataï Tsevi qu’ils
considéraient comme le messie. Ces israélites ottomans, bien que
pratiquant extérieurement l’islam, auraient conservé des coutumes juives,
comme les marranes d’Espagne. Par extension, les islamistes et
nationalistes antisémites qualifient souvent de dönme les musulmans
laïques pour les discréditer et diaboliser.
Ennahda ( Harakat en-Nahḍa , en arabe « Mouvement de la Renaissance »)
– Parti politique islamiste tunisien issu des Frères musulmans, créé en
juin 1981 sous le nom de Mouvement de la tendance islamique
(MTI). Son leader, Rached Ghannouchi, resta en exil en Europe jusqu’au
printemps arabe. Longtemps interdit, Ennahda fut légalisé en mars 2011 et
obtient 89 députés au sein de l’Assemblée constituante. Il perdit les
élections en 2014, mais retrouva sa position en 2016. Il demeure une force
politique majeure.
FOIE – Fédération des Organisations Islamiques en Europe. Fondée en
1990, la FOIE est représentée par plusieurs filiales nationales, dont l’ex-
UOIF (Musulmans de France). Cette fédération a créé le Conseil
Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR) dirigé par Youssef Al-
Qardaoui jusqu’en novembre 2018.
Fqih – Savant religieux en islam.
Madhhab – Voie suivie dans l’interprétation des sources traditionnelles de
l’islam, le Coran et la Sunna . Il se réfère au Fiqh , la jurisprudence
musulmane.
Hadith – Litt. « dits » . Faits, gestes, propos (dits) et silences, de Mahomet
consignés sous forme de récits dont l’ensemble constitue une « coutume »
ou « tradition » ( sunna ). Le hadith constitue l’exemple de la perfection
que le musulman doit s’efforcer d’atteindre.
Hakimiyya – « Souveraineté absolue de Dieu » ou « règne de Dieu sur
terre » pour les Ikhwan : objectif ultime de triomphe temporel mondial de
l’islam qui rejoint celui du Califat.
Hanbalisme – Quatrième école juridique sunnite, issue de l’imam Ahmed
Ibn Hanbal (m ; 855). Doctrine officielle des Wahhabites. Le hanbalisme,
qui s’opposa au mutazilisme (école philosophico-juridique rationaliste qui
e
régna un temps sous les Abbassides et disparaîtra, persécutée, au XIII
siècle), déclare que le Coran et la Tradition doivent être reçus comme
sans interprétation ni allégorique ni spéculative (d’où le rejet des droits de
la raison).
Harrafa – « Falsificateur », terme désignant les juifs accusés dans le Coran et
la tradition islamique (hadith de la Sunna) d’avoir opéré une
« falsification » ( tahrif ) des écritures saintes originelles juives qui
auraient « annoncé » l’islam.
Hijra ( Hégire) – Litt. « rupture, émigration, exil, ou séparation », en arabe.
Exil du Prophète à Médine (622). Début de l’ère musulmane et donc du
calendrier musulman. L’ hijra est aujourd’hui désignée par les djihadistes
comme l’émigration obligatoire vers une terre d’islam, dans le but d’y
rejoindre la cause du Jihad armé et vivre sous les seules lois légitimes de
la charià sous le Califat.
Ijtihâd « Effort » d’interprétation des textes sacrés. Dans les écoles du
sunnisme officiel (hanbalisme ; hanafisme ; shaféisme et malikisme), les
portes de l’ Ijtihad ont été « fermées », c’est-à-dire tout exégèse close,
e
depuis le X siècle avec le durcissement orthodoxe et anti-mutazilite
voulu par Al- Ghazali.
Ikhwan – Littéralement « Frères » (pluriel de Akh ) en arabe. Désigne la
Société des Frères musulmans ( jamiat al-Ikhwan al-muslimin ),
raccourcie en Frères musulmans ou Ikhwan . A ne pas confondre avec la
milice wahhabite du roi Ibn Saoud en 1912 ( l’Ikhwan au singulier) qui
l’aida à conquérir l’ Arabie saoudite.
Ibn Hanbal – ou « Imam Aḥmad » (780-855), faqîh -jurisconsulte
traditionaliste ( muhaddith ) fondateur de la ( madhab ) hanbalite, la plus
littéraliste des quatre madhahib (école juridiques) sunnites. Pour lui, les
sources scripturaires sont le fondement de la loi. Il a ainsi rassemblé la
plus importante collection de ahadith ( mousnad ). Il s’opposa au calife
abbasside Al-Ma’amun qui officialisa le dogme mutazilite du « Qoran
créé », madhab la plus rationaliste de l’islam qu’il qualifia d’hérésie.
Référence du salafisme et des Frères, il est la bête noire, avec Taimiyya,
des modernistes/rationalistes.
Ibn Taymiyya – jurisconsulte sunnite ultra-traditionaliste (1263-1328),
influent au sein du madhhab hanbalite. Il légitima le jihad comme acte
islamique sacré face aux Mamelouks et aux Mongols qui menaçaient le
califat abbasside et refusa toute forme d’associationnisme ( shurk ) ou
d’innovation ( bida’a ), excommuniant l’ensemble des philosophes et leur
opposant la foi « authentique » ( al aqida ) et la méthodologie des salafs (
al manhaj ). Il demeure une source majeure du salafisme, wahhabite
comme frériste.
Jâhiliyya – Période d’ignorance, de barbarie et d’impiété précédant la
révélation islamique
Jihad – Effort, combat personnel en vue du perfectionnement moral et
religieux (jihad majeur). Il peut conduire au « combat sur la voie de
Dieu » (« fi sabil’illah »), guerre religieuse légale contre les Apostats, les
dissidents, les Infidèles et les Païens refusant de se convertir à la « vraie
foi ».
Jiziya – Impôt de capitation frappant les non-musulmans juifs, chrétiens ou
sabéens, autorisés en contrepartie à conserver leur culte. Voir Dhimmi .
Kufr – Terme arabe signifiant « mécréance ; incroyance ; athéisme ; refus ».
Dans l’islam, il s’emploie à propos de toute croyance autre que l’islam,
ainsi que de l’athéisme et de l’apostasie.
Ligue islamique mondiale – ONG panislamique mondiale fondée en 1962 à
La Mecque par le prince Fayçal d’Arabie avec les représentants de 22
pays ainsi que Saïd Ramadan. Son but est de réislamiser les sociétés
musulmanes, aider les minorités musulmanes à prospérer et promouvoir la
charià partout dans le monde.
Makhzen – (en arabe, « magasin ») désigne, dans le langage familier au
Maroc, le Pouvoir royal et policier puis tout un système de népotisme, de
privilèges de grandes familles reposant sur leur proximité avec ce Pouvoir.
Murshid – Guide ou maître en arabe, dérivé de la base r-sh-d , qui désigne
l’intégrité et la maturité. Ce terme honorifique désigne au départ les
guides spirituels soufis mais a été repris par les Frères musulmans dans
leur structure confrérique religieuse et hiérarchique.
Mûshrikûn – ceux qui associent à Dieu d’autres divinités, coupables du
péché et de l’erreur de Shurk (voir ce mot ), polythéistes, mais aussi selon
certaines interprétations du Coran, trinitaires chrétiens qui ne précisent pas
leur stricte allégeance au monothéisme.
Nizam, la Tanzim – Litt., en arabe « une système et non une organisation ».
Concept central du penseur jihadiste Abou Moussab al- Suri, auteur de l’
Appel à la résistance islamique mondiale (2005), qui préconise la création
de cellules d’individus solitaires commettant des attaques terroristes en
Europe.
Ouléma (sing àlim ) – Litt. « savants ». Exégètes et juristes musulmans
habilités à commenter les textes sacrés.
Oumma – De l’arabe « maman » ( oum ), et de l’expression « al Oumma
al’islamiyya » qui désigne la « Communauté-nation » panislamique qui
réunit tous les musulmans du monde indépendamment des pouvoirs
politiques nationaux. La Oumma ne connaît aucune limite de temps ou
d’espace et constitue une extra-territorialité politico-juridique et
civilisationnelle. Elle peut se développer dans un État « infidèle » dont
elle conteste la légitimité du pouvoir.
Rabia – Acronyme de Ready For Brotherhood Independent Army ( « prêt
pour l’armée indépendante de La Confrérie »). Symbolisé par la main en
jaune (couleur du Hamas frériste), dont le pouce est replié sur la paume et
1
les quatre doigts levés vers le ciel, Rabia , fait référence au square Rabia
al Adawiyya au Caire, où Ikhwan et armée se sont affrontés en 2013. Le
signe R4bia (4 en arabe), devenu le symbole de ralliement des Frères, a
été popularisé par Mohammed Morsi et Recep Taiyyp Erdogan lors de
meetings .
Shahada – En arabe « témoignage » ou « attestation », la « shahada » est la
profession de foi musulmane ( « il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet est
son prophète »), un des cinq piliers. Les Frères musulmans désignent
également par ce terme les territoires non musulmans où le jihad guerrier
est proscrit si les mécréants s’ouvrent au témoignage ( shahada ) de
l’islam, d’où la notion de dar al shahada.
Shurk – De l’arabe chirk , « associé », péché majeur visant à associer
d’autres divinités ou êtres sacrés qu’Allah, alors que seul le Dieu unique
peut être adoré en vertu du principe de tawhid (unicité) . Pour les
islamistes et sunnites stricts, les chrétiens adeptes de la Trinité, les
alaouites, druzes, voir les chiites et les polythéistes sont des mushrikun (
« associateurs »).
Sunna – De l’arabe « cheminement » ou règle. Désigne dans le Coran la « loi
immuable » de Dieu ou Tradition, sous l’expression « sunna Allah »
(« règles de Dieu »). Le Coran énonce que ces dernières ont été prescrites
à tous les Prophètes.
Sunnite – Branche « orthodoxe » majoritaire de l’islam (90 %) s’opposant au
chiisme pour des conceptions différentes du droit et du monothéisme et
quant à la succession de Mahomet. Les Sunnites se subdivisent en quatre
écoles juridiques : malikite, hanbalite, hanafite, chafi’ite, dont les
e
doctrines et interprétations des textes sacrés sont inchangées depuis le XI
siècle.
Taghout – De l’arabe al-Taghiyya (« force destructrice absolue » ou
« tyrannie »). Dans le coran, al-taghout désigne le diable, celui qui appelle
à l’athéisme et à la « mécréance », qui « prétend connaître le destin », qui
« veut être idolâtré, et qui « croit aux jugements qui ne sont pas de Dieu
». Désigne pour les salafistes tous les gouvernements dirigés par des
« tyrans » qui n’appliquent pas la charià , collaborent avec les « croisés »
ennemis de l’islam ou en guerre avec des musulmans, ou qui répriment les
mouvements islamistes radicaux/salafistes.
Takiyya – Litt. « dissimulation », terme empreinté à la tradition chiite et
soufie caractérisant l’attitude des confréries musulmanes minoritaires ou
persécutées (y compris les islamistes) qui dissimulent leur appartenance
ou mentent aux interlocuteurs potentiellement menaçants ou à séduire
dans une logique de survie ou de subversion.
Takfir – Litt. « excommunication », en arabe, prononcée contre le kafir (
« infidèle/ingrat »), accusation qui justifie la mise à mort selon la charià .
Le terme est à l’origine du nom du groupe terroriste Takfir wal Hijra
(excommunication et émigration), initialement donné par la police à la
Jama’a al-Muslimoun ( « association des musulmans »), fondé en 1971 à
partir d’une scission des Frères musulmans par le penseur Moustafa
Shukri (1942-1978), lui-même inspiré par Sayyid Qutb. L’émigration
symbolise la rupture avec la société musulmane « illégitime » qualifiée de
kufr, et l’excommunication justifie le meurtre de musulmans déclarés
« apostats ».
Tamkine (ou « projet Tamkine ») – Stratégie d’islamisation globale des
Frères musulmans. Ce terme est apparu publiquement en 1992, lorsque la
police égyptienne mit la main sur le « Document de Tamkine ». Ce texte
secret de treize pages vise, via un vaste réseau d’institutions, à faire
accéder la mouvance au pouvoir en Égypte et à répandre son idéologie
dans le monde.
Tanzimat (« réorganisation » en turc) – Désigne les réformes de l’Empire
ottoman initiées en 1839 par le sultan Abdlülmecid via la promulgation
d’une Constitution suivie de l’élection d’un premier Parlement ottoman
(dissout deux ans plus tard par Abdülhamid II). Ces réformes visant à
restaurer la splendeur ottomane à travers la modernisation, la
centralisation administrative, une relative occidentalisation, une
réaffirmation nationale et surtout une nouvelle citoyenneté sécularisée
fondée sur la fin du statut d’infériorité des esclaves, des non-musulmans et
des femmes, furent stoppées en 1876 par le sultan Abdülhamid et
conspuées par les oulémas sunnites de la péninsule arabique et les sunnites
orthodoxes en général, en particulier par les salafistes précurseurs des
Frères musulmans, qui voulaient une réforme contraire, c’est-à-dire
revenant à l’islam pur et dur des ancêtres ( as-Salaf ) hostile aux
« innovations » ( bida’a ). Les Tanzimats ont inspiré les modernistes
(Jeunes-Turcs, kémalisme, etc).
Tawtine – Litt. « localisation, acclimatation » en arabe. Projet des Frères
musulmans visant à conquérir des territoires privés pour inscrire l’islam
dans le récit national des nations européennes, via l’acquisition de biens,
de lieux de prières, écoles. Ce projet vise un objectif de
conquête/domination islamique du monde entier appelé Tamkine . Le
tawtine profite de la banalisation d’un double discours, l’un en arabe
adressé aux proches des Ikhwan , et l’autre dans la langue des
Occidentaux, plus consensuel et dissimulé.
Tawhid – « Unicité » en arabe. Concept moniste qui se distingue de l’idée
d’unité, chère aux Chrétiens, puisqu’il exclut catégoriquement l’idée de
Trinité. Tawhid est aussi le nom d’une maison d’édition des Frères
musulmans.
Wahhabisme – Mouvement politico-religieux puritain ultra-orthodoxe
e
d’origine hanbalite né au XVIII siècle en Arabie. Doctrine officielle de
l’actuel Royaume saoudien et source du salafisme avec le hanbalisme dont
il n’est qu’une « réforme » fondée sur le culte absolu du « tawhid »
(« unicité ») et la lutte contre toute forme d’« associationnisme » ( shurk ).
Zakat – Litt. « purifier » en arabe, troisième pilier de l’islam qui renvoie à la
charité. Les musulmans doivent en principe reverser 2,5 % de leurs
richesses dans des œuvres de charité chaque année. La zakat permettrait
aux donateurs de « purifier » ses possessions .

1 . Voir glossaire .
Index
Abdallah, roi 51 , 93 , 220
Abdelkrim, Farid 178
Abdel Rahman, Omar 265-266 , 273-274
Abdelwahhab, Mohamed Ibn 178
Abduh, Mohamed 63 , 131 , 178
Abidin, Huma Mahmoud 223 , 243
Abou Houdeyfa, Rachid 457-458 , 502
Abou Marzook, Mohamed 281
Abou Marzuk, Moussa 220
Abu Halima, Mahmoud 273
Aflaq, Michel 388
Ahmed Khodja, Bouziane 296
AJ+ 315 , 399 , 469 , 472-485 , 502
Akef, Mohamed Mehdi 45 , 107 , 276 , 278 , 362-363
Al-Abdallah, Hussein 305
Al-Afghani, Jamal Eddine 43 , 63 , 131 , 138 , 178
Al-Amoudi, Abdulrahman 219
Al-Arifi, Mohamed 352
Al-Assad, Bachar 89 , 314 , 331 , 339 , 345-346 , 359-361 , 387-388 , 401 , 450
Al-Assad, Hafez 88-89 , 294
Al-Attiyah, Khalid 346
Al-Azhar 21 , 52 , 85 , 99-104 , 107 , 130 , 221 , 267 , 379
Al-Bagdadi, Abou Bakr 19 , 30 , 80 , 260 , 269-270 , 299
Al-Bayanouni, Ali Sadr ad-din 90 , 280
Al-Bouti Mohammad Said Ramadan 238 , 267
Al Dabahi, Mohammed 206
Aldebe, Mahmoud 206
Al Dhahabi, Muhammad 81
Al-Fadl, Jamal Ahmed 345
Al Fayçal, Turki 331 , 403
Al Ghazali 242-243 , 523
Al-Halbawi, Kamal 151
Al-Hamadi, cheikh Ahmad 307
Al-Harzi, Tariq 349
Al Hudaybi, Hassan 74 , 80 , 266
Al-Husseini, Abdel-Kader 92
Al-Husseini, Amine, alias Grand Mufti de Jérusalem 43 , 66-70
Ali, Abdel Rahim 426 , 500 , 502
Ali-khan, Arif 222
Al-Jazaïri, cheikh Abu Bakr 200 , 238 , 243
Al-Jazeera 32 , 71-72 , 116 , 136 , 164 , 216 , 243 , 313-315 , 317-319 , 322 , 330 ,
336-337 , 362 , 392 , 396 , 399 , 418 , 420 , 425-426 , 433 , 472 , 502 , 521
Al-Kaddo, Nooh 357
Al Kawari, Ahmed 313
Al-Khattab, Ibn 227 , 465
Al-Maktoum, Cheikh Hamdan bin Rachid 160
Al-Malawi, Fayçal 112 , 178 , 191 , 243
Al-Masri, Abu Ayyub 270
Al-Mawardi 236-237
Al-Mawdoudi, Sayid Abul Ala, alias Maulana Mawdoudi 82-83 , 93 , 107 , 215
Al-Muslimoun (revue) 93 , 158
Al-Nabulsi, Mohamad Ratib 184
Al-Nadawi Al Hindi, Abderrahman 167
Al Nosra 285 , 340 , 343-344 , 346 , 348 , 353 , 360 , 387 , 389
Al-Nuaimi, Abdul Rahamn Bin Umair 243 , 280 , 299 , 350-351 , 362
Al-Qaïda 19 , 65 , 79 , 81 , 86 , 107 , 111 , 123 , 166 , 212 , 220 , 247 , 249-255 ,
258-263 , 265 , 267-275 , 278-280 , 283-285 , 294-296 , 299 , 301 , 343 , 345-347 ,
349-351 , 359-360 , 362 , 380 , 382 , 384-389 , 415 , 426 , 428 , 431 , 502
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) 345 , 348 , 360
Al-Qardaoui, Youssef 13 , 26 , 32-33 , 71-72 , 102 , 107 , 110-112 , 114-118 , 133-134 ,
136 , 138 , 151 , 153 , 155 , 160 , 162-169 , 171 , 174 , 178 , 181 , 183-184 ,
187-188 , 190-192 , 200 , 205-206 , 236-237 , 241 , 243 , 246 , 272 , 279-281 , 283
, 301 , 319 , 336-337 , 357-358 , 362 , 369-370 , 389 , 398 , 498 , 510 , 512 , 522
Al Rawi, Ahmed 146 , 150 , 243 , 357 , 362
Al-Sabah 356
Al-Sabbagh, Nizar Ahmad 214
Al-Sadate, Anouar 70 , 77 , 85-86 , 261 , 263-264 , 274
Al-Sarraj, Fayez 380-381
Al-Sayed, Ahmad Mohammed 305
Al-Siba’i, Mustafa 88
Al-Sissi, Abdel Fattah 87 , 100-101 , 243 , 318 , 325 , 329 , 331 , 366 , 377-378 , 381 ,
389 , 394 , 403 , 411 , 470
Al-Subaiy, Khalifa 350-351
Al-Suri, Abu Musab 295 , 526
Al-Takfir wal-Hijra 81 , 275 , 528
Al-Tamimi, Zakariya 90
Al-Thani, ben Abdallah ben Jassem 329
Al-Thani, Hamad bin Khalifa 301 , 305 , 314
Al-Thani, Mohammed Ben Eid 350 , 362
Al Thani, Sheikh Talal bin Abdulaziz 328 , 362
Al-Thani, Tamim bin Hamad 314 , 328-329 , 335-336 , 341 , 346
Altikriti, Anas 151 , 281 , 288-290
Al-Tourabi, Hassan 85 , 247-250 , 299 , 345
Al-Zarkaoui, Abu Musab 251 , 270 , 299
Al-Zawahiri, Ayman 19 , 80 , 86 , 249 , 260-266 , 269 , 274-275 , 299
Al-Zayat, Ibrahim 147 , 174 , 209-210
Al-Zindani, Abdul Majeed 166 , 271-272 , 279
Al-Zomar, Abboud 86
Ansar Beit al-Maqdis 275
Aounit, Mouloud 462
Arabie saoudite 20 , 81 , 84-85 , 93 , 125 , 166 , 188 , 220 , 223-224 , 228 , 243 ,
249 , 256 , 260 , 267 , 283 , 299 , 302-303 , 317-318 , 325-331 , 333-334 , 338 ,
340-342 , 344 , 347 , 349 , 356 , 360-362 , 379 , 381 , 385-386 , 394 , 397 , 401 ,
403 , 406-407 , 409 , 414 , 419-421 , 424-426 , 437 , 475 , 494 , 504 , 509 , 519 ,
524
Arafat, Yasser 251
Arendt, Hannah 60 , 509
Asif, Arif 479
Atätürk, Mustapha 30-31 , 52-54 , 78 , 240 , 518
Autain, Clémentine 438 , 446
Averroès (lycée islamique) 180 , 184 , 193-195 , 201 , 243 , 308 , 501
Awad, Mokhtar 277
Awad, Nihad 218 , 226
Ayachi, Mohsen 201
Azzam, Abdallah 19 , 80 , 123 , 254 , 260 , 266-269 , 274 , 299 , 431
Azzam, Mahfouz 262-264 , 504
Azzouzi, Karim 149
Badinter, Élisabeth 437 , 478
Bajrafil, Mohamed 236-238
Banque islamique du Qatar 282 , 299 , 305 , 343 , 350
Baradei, Yassine 153
Barouni, Ridha 215
Bassaev, Chamil 227
Belaid, Chokri 372
Belfield, David Theodore, alias Daoud Salahuddin 95 , 137
Bel-Hadj, Abdelhakim 382
Beltrame, Arnaud 17
Bencheikh, Ghaleb 502 , 505
Bencheikh, Souheib 442-443 , 505
Ben Laden, Oussama 12 , 19 , 80-81 , 123 , 155 , 249-250 , 260 , 262 , 265-267 , 270 ,
272 , 274 , 284 , 299 , 331 , 345 , 347 , 402-403 , 431
Ben Makhlouf, Chakib 146
Ben Mansour, Abdallah 176-177 , 468
Benmohammed, Yacine 467
Ben Salman Mohammed, alias MBS 224 , 329-331 , 334 , 379 , 403 , 406-409 , 420
Ben Yaïch, Naïma 184
Ben Zayed, Mohamed (MBZ) 403 , 409
Bernalicis, Ugo 438
Besancenot, Olivier 446
Besson, Sylvain 156 , 243 , 285
Bestandji, Naëm 497 , 499 , 505
Beyens, Yacine 149
Bin Shibh, Ramzi 295
Blanquer, Jean-Michel 479
Boniface, Pascal 446
Boubakeur, Dalil 179 , 231-232 , 234 , 243 , 442-443 , 464 , 505
Bourguiba, Habib 41 , 372 , 424
Boussenna, Abdelmonaïn 184
Bouteldja, Houria 461
Boutih, Malek 442
Bouyafa, Yahya 149
Brahmi, Mohamed 372
Brémond, Lieutenant-Colonel 47 , 107
Breze, Lahj Thami 1 , 2
Bruckner, Pascal 437 , 441 , 502
Burgat, François 196 , 441
Cachemire 83
Caïd Essebsi, Béji 372
Califat islamique 23 , 27-31 , 49 , 52-54 , 62 , 107 , 164 , 228 , 240-241 , 260-261 ,
270 , 316 , 332 , 349 , 365 , 501 , 517-519 , 522-523
Calvar, Patrick 514
Carré, Olivier 77 , 80 , 107
Cengiz, Hatice 414-419 , 425
Chesnot, Christian 301 , 307 , 311 , 362
Chevènement, Jean-Pierre 234 , 462
Chiheb, Youssef 490 , 492-493 , 495 , 502 , 505 , 541
Clarke, Richard 359
Clavreul, Gilles 460
Clinton, Bill 220 , 224 , 243
Clinton, Hillary 221 , 223-224 , 243
Cohen, David 349 , 362
Corbière, Alexis 438
Corbin, Jeremy 199
Cruz, Ted 226
Dahmani, Arezki 442
Daoud Salahuddin, David Theodore Belfield 95 , 107 , 137
Dashan, Mohamed Nour 90 , 152
Debah, Samy 452 , 458 , 502
Delahaie, Yves 454
De La Villardière, Bernard 252 , 541
Delphy, Christine 477-478
Deltombe, Thomas 443
Del Valle, Alexandre 41 , 107 , 243 , 315 , 354 , 389 , 504
De Montesquiou, Alfred 415
Denécé, Eric 490 , 541
Deuber, Erica 128 , 131-132
Diaz-Balart, Mario 226
Dib, Amar 231-232 , 464
Duflot, Cécile 447
Dumontou, René 129
El-Béchir 85 , 248
Elder Camara, Dom 129
Elibiary, Mohamed 222
El Kabbaj, Hammad 377
El-Karoui, Hakim 109 , 187 , 230-231 , 233-235 , 243
El-Marayati, Salem 222
Elzir, Izzedin 311
Emerson, Steve 220 , 243
Émirats arabes unis 160 , 180 , 225 , 234 , 243 , 283 , 299 , 302 , 304 , 318 , 325-326 ,
329 , 331 , 334 , 338 , 340 , 342 , 362 , 381 , 385 , 397 , 401 , 403 , 409 , 429 ,
431 , 433 , 450
Ennasri, Nabil 183 , 243 , 396
Erbakan, Nehmettin 210 , 366
Erdogan, Recep, Taiyyp 20 , 31 , 41 , 72 , 88 , 164 , 200 , 206 , 210 , 229 , 243 , 285
, 327 , 337-338 , 364-368 , 389 , 394 , 402-403 , 409 , 414-415 , 419 , 423 , 432 ,
449-450 , 502 , 511 , 526
Étienne, Bruno 132 , 243
Ezzat, Mahmoud 379
Faraj, Abdessalam 86
Fogiel, Marc-Olivier 459
Formentini, Mario 153
Friedli, Richard 132 , 243
Gad al-Haq Ali 102
Garaudy, Roger 72 , 107 , 170
Geisser, Vincent 196 , 441-443 , 446-447 , 502
Genequand, Charles 130-131
Genoud, François 120-121 , 128 , 243
Ghannouchi, Rached 98 , 319 , 369-370 , 402 , 522
Ghozlan, Martine 161 , 243
Giesbert, Franz-Olivier 437 , 502
Gresh, Alain 107 , 243 , 481
Guénif-Souilamas, Nacira 477
Guerin, Michel 487
Guirous, Lydia 435 , 502
Gül, Abdullah 365
Habib, Imen 477 , 480
Habib, Mohamed 34 , 41 , 44 , 87 , 504
Haddad, Mezri 41 , 371 , 383 , 389 , 541
Hadi, Abdrabbo Mansour 384-386
Hadid, Marwan 267
Haftar, Khalifa 314 , 331 , 381 , 427-428
Halawa, Hussein 161
Hamas 19 , 31 , 33 , 79 , 87 , 92 , 98 , 137 , 163 , 166 , 219-220 , 224-225 , 243 ,
248 , 251-258 , 260 , 268 , 272 , 279-281 , 283-285 , 287-289 , 299 , 301 , 309 ,
314 , 335 , 338 , 342-344 , 346 , 354 , 357 , 367-368 , 373 , 380 , 389 , 404 ,
415-416 , 418 , 426 , 480-481 , 526
Hamdan, Oussama 99
Hamel, Jacques 17
Hammami, Mohamed 455 , 502
Hanbal, Ibn Ahmad 52 , 62-63 , 243 , 523-524
Hardan, Muhammad 269
Hassan-II, roi 374
Hayat Tahrir al-Sham 343 , 346 , 387 , 389
Haytam, Ibnou 492
Hijab Cosplay 474
Himmat, Ali Ghaleb 118 , 209 , 282-283
Hitler 33 , 43 , 66-69 , 71-72 , 107 , 120 , 124 , 128
Hollande, François 304
Houellebecq, Michel 445
Huber, Ahmed 120-121 , 128 , 243
Hussein, Chérif 48-51 , 107
Hussein, Rached 222
Ibn Zyad, Tariq 213 , 492
Ibram, Youssouf 161
Ihsanoglu, Ekmeleddin 447 , 502
Imâm Khattabi 238
Iqioussen, Hassan 183 , 198-199 , 202
Jaballah, Ahmed 38 , 161 , 188
Jamaat al-Tawhid 167
Jama’at-é Islami 82-84 , 107 , 217 , 248 , 416 , 432
Jamad, Allal 202
Jasser, Zuhdi 246-247 , 299
Jebali, Hamadi 31 , 369
Jomaa, Mohdi 369
Julliard, Jacques 436-437 , 502
Kadhafi, Mouammar 115 , 282 , 382 , 427
Kalin, Ibrahim 367
Karmous, Muhammad 154-155 , 243 , 308 , 358
Karmous, Nadia 154-155 , 308
Képel, Gilles 66 , 107 , 299
Kersimon, Isabelle 444 , 502
Khamenei, Ali (Guide suprême) 97 , 136 , 243
Khamis, Ayman 213
Khanfar, Wadah 362 , 418 , 420 , 433
Khasoggi, Jamal 327 , 330-331 , 393-394 , 400-410 , 413-414 , 417-421 , 425-426 , 432
Khatib, Abdelkrim 374
Khomeiny, Ruhollah, Ayatollah 20 , 79-80 , 96-98 , 107 , 137 , 512
Kouachi, frères 81
Larayedh, Ali 369 , 372
Lasfar, Amar 26 , 178 , 180-181 , 184 , 201 , 243
Lawal, Amina 143
Le Bras, Jeanne 101 , 107
Lecoq, Jean-Paul 438
Le Sommier, Régis 417
Lévy, Bernard-Henri 382 , 437
Lewis, Bernard 70 , 113
Lindh, John Walker 272
Livingstone, Ken 33 , 199
Lombardi, Roland 334 , 339 , 541
Louizi, Mohamed 193 , 243 , 245 , 299 , 396-397 , 429 , 440-441 , 501-502
Macron, Emmanuel 229-231 , 304 , 427 , 474
Mahmood, Zuhair 177 , 188 , 191 , 468
Majid, Mohamed 222
Majzoub, Samer 358
Malbrunot, Georges 301 , 307-308 , 311 , 362
Mansur Escudero 169-170
Marchand-Taillade, Laurence 452
Marongiu, Jean-Pierre 328 , 343 , 362
Mathoux, Hadrien 475 , 477
Mavi Marmara 285 , 415
Mélenchon, Jean-Luc 446 , 502
Merah, Mohamed 81 , 454
Meriboute, Zidane 21-22 , 41 , 107 , 363
Merkel, Angela 449
Merley, Steven 281 , 299 , 416
Meshaal, Khaled 98 , 256-258 , 272 , 280 , 342 , 368 , 389
Messahli, Saida Keller 187 , 196
Milli Görüs 161 , 200 , 210-211 , 243 , 366 , 415
Minnawi, Minni 346
Mitterrand, François 132 , 191 , 201
Mohamed VI, roi 243 , 373-374
Moreau, Jean-Christophe 444 , 502
Morsi, Mohamed 87 , 98 , 100-101 , 222 , 243 , 276-277 , 366 , 377-380 , 410 , 417-
418 , 423 , 433 , 526
Moubarak, Hosni 115 , 222
Moujahed Hassan, Mahmoud 161
Muhammad, Marwan 204 , 231-232 , 456-457 , 464-465 , 468 , 502
Muslimische Brüder 209
Nada, Hazim 153
Nada, Youssef 121 , 153 , 155 , 158-159 , 282-283 , 285-286 , 392
Najah, Mohamed 236 , 238
Nakrachi, Bacha Mahmoud 77
Nasr Aboul, Mohamed Ahmed 85
Nasreddin, Ahmed Idris 283
Nasser, Gamal Abdel 69-70 , 74 , 76-78 , 94 , 107 , 123-124 , 131 , 222 , 282 , 356
Navab Safavi 97
Nawawi Riyad Salihim 169
Nimeiry, Jaafar Muhammad an- 248 , 299
Nouh, Mukhtar 501
Noureddine Aoussat 238
Nouzille, Vincent 441 , 502
Nuqrachi Pacha 73
Obama, Barak Hussein 221-223 , 225-226
Obono, Danièle 438-439 , 446
Ogras, Ahmet 232 , 449
Orwell, Georges 107 , 512
Othmani, Saaddine 377
Oubrou, Tareq 25 , 111-112 , 232 , 236 , 239 , 241-243
Pasqua, Charles 169 , 234
Pasquini, Abd al-Rahman Rosario 152
Peillon, Antoine 79 , 107
Piazza, Stefano 133 , 153 , 206-208 , 243 , 306-308 , 311-313 , 541
Piccardo, Davide 153
Piccardo, Hamza 152 , 243
Poissonnier, Ghislain 480
Porquet, Peggy 268 , 400 , 433 , 541
Privot, Michaël 448 , 502
Qutb, Sayyid 33 , 75-84 , 86 , 93 , 96-97 , 107 , 131 , 163 , 178 , 200 , 215 , 222 ,
228 , 254 , 260-261 , 263-264 , 266-267 , 274 , 316 , 394 , 431 , 512 , 528
Rafuiq, Haras 208
Rahn, Robert 124
Ramadan, Bilal 125-126 , 139
Ramadan, Hani 70 , 95 , 125-126 , 139-145 , 154 , 177 , 183 , 197 , 199 , 223 , 243 ,
455 , 462
Ramadan, Saïd 70 , 92-96 , 107 , 118-120 , 122-128 , 130 , 137-139 , 158-159 , 209 ,
393 , 398 , 432 , 512 , 525
Ramadan, Tariq 19 , 25-26 , 28 , 41 , 58 , 69-70 , 92 , 96 , 105-107 , 111 , 113 , 119
, 125-128 , 130-140 , 153 , 165 , 178 , 183-184 , 187 , 196-198 , 236-238 , 243 ,
249 , 310 , 396 , 438 , 440 , 452 , 462 , 476-477 , 479 , 481 , 492-493 , 496 , 498
, 502 , 504
Ramadan, Yasser 125-126 , 139
Ra’ouf, Faisal 357
Ra’ouf, Muhammad ‘Abdul 357
Rashid Alkarawi, Mutlaq 151
Rathke, Jeff 225
Razavi, Emmanuel 99 , 107 , 252 , 268 , 299 , 502
Razeq, Abdel 104
Rida, Rachid 52 , 63 , 131 , 178
Rioufol, Ivan 457 , 459
Rossignol, Laurence 460
Sabah Al-Ahmed Al-Jaber 356
Sabra, Khalilah 226
Sabri Erbakan, Mehmet 210
Sadam, Yahia 346
Saif Ghobash, Omar 386
Salameh, Mohammed 273
Saleh, Ali Abdallah 383-384 , 386 , 389
Salim, Zuhayr 388
Salmi, Said 330 , 419
Sami, Ahmed 201
Sansal, Boualem 1 , 43
Sarkozy, Nicolas 165 , 198 , 229-230 , 243 , 304 , 493
Sawalha, Mohammed 279 , 286-289 , 299
Sayid Sabiq 200
Schulte, Reinhard 132 , 243
Shabbab 285 , 344 , 348 , 350 , 360 , 362
Shatar, Munsef 149
Shemlal, Karim 149
Shukri, Mustafa 81-82 , 86 , 528
Sifaoui, Mohamed 443
Soekirman, Remy 150
Soros, George 320 , 394 , 459
Sultan, Jassim 215 , 319-320 , 336 , 380 , 393 , 395-400 , 404-405 , 419-420 , 425 ,
432 , 472
Tabatabai, Ali Akbar 95 , 137
Taguieff, Pierre André 436
Taha, Fadl 252-253 , 504
Taimiyya, Ibn 62-63 , 107 , 178 , 242-243 , 274 , 517 , 524
Tamimi, Azzam 107 , 151 , 268 , 338 , 393-394 , 400 , 404-405 , 421 , 425-426 , 432-
433 , 504 , 506
Taqwa Bank 121 , 155 , 209 , 243 , 282-286
Trager, Eric 276-278 , 299
Trump, Donald 226-227 , 243 , 334 , 339 , 341 , 362 , 483
Ul-Haqq, Zia 82
Unsal, Ahmet 416
Valls, Manuel 242-243 , 438
Véliocas, Joachim 140 , 202 , 243
Waintraub, Judith 441 , 502
Widad, Ketfi 477 , 480
Woodruff, Betsy 420
Yakan, Fathi 90 , 98
Yasin, Abdul Rahman 273
Yasin, Sheikh Khalid 150
Yousef, Ramzi 273 , 359
Youssef, Abdullah Mohamed 345 , 347
Youssef, Ahmed 541
Zahawi, Nadhim 289-290
Zapatero, José Luis Rodriguez 170
Ziegler, Jean 128-129 , 131-132 , 243
Zitouni, Soufiane 194-195 , 243 , 429
Remerciements
Les auteurs de cet ouvrage tiennent à remercier, pour leur collaboration et
conseils : Pierre Conesa, Youssef Chiheb, Eric Denécé, Peggy Porquet,
Stefano Piazza, Mezri Haddad, Bouziane Ahmed Khodja, Donia Bouzar,
Razika Adnani, Roland Lombardi, Ahmed Youssef et le centre d’études du
Moyen-Orient.
Notre reconnaissance va également à Eric Doucet, François Blot, José
Fernandez, Myriam Maestroni et Cécile Martin-Cocher. Leur soutien
indéfectible nous fut précieux.
Nombre d’enquêtes et de grands reportages sur les milieux jihadistes
n’auraient pu être réalisés depuis quinze ans sans le soutien de Bernard de
Lavillardière, Frédéric Pons, Marc Charuel, de la chaîne de télévision Arte ,
du site GlobalGeonews, du Figaro Magazine et du Magazine Valeurs
Actuelles.
Nous avons enfin une pensée toute particulière pour le regretté Jean-
Manuel Escarnot, journaliste à Libération , avec qui nous avons partagé tant
d’aventures et d’enquêtes sur les milieux jihadistes en Europe et au Moyen-
Orient. Ce livre, dont il voulait voir l’achèvement, lui est dédié.
Des mêmes auteurs
Alexandre Del Valle :
2018, La stratégie de l’intimidation, du terrorisme jihadiste à l’islamiquement correct, L’Artilleur,
Paris.
2016, Comprendre le chaos syrien, des révolutions arabes au jihad mondial (avec Randa Kassis) ,
L’artilleur, 2016, Paris.
2016, Les vrais ennemis de l’Occident ; L’artilleur, Paris.
2015, Le chaos syrien, printemps arabe et minorités face à l’islamisme radical (avec Randa Kassis,
Préface de Renaud Girard), L’artilleur, Paris.
2014, Le complexe occidental , Editions du Toucan/L’artilleur, Paris.
2012, Pourquoi tue-t-on les chrétiens dans le monde aujourd’hui ? (Préface de Denis Tillinac),
Maxima, Paris.
2005, Le Dilemme turc, les vrais enjeux de la candidature d’Ankara, (avec Emmanuel Razavi) Les
Syrtes, Paris.
2004, La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste ? (Préface de Jean-Pierre Péroncel-
Hugoz), Les Syrtes, Paris.
2002, Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des Démocraties (préface de Rachid Kaci) , Les Syrtes,
Paris.
2000, Guerre contre l’Europe, Bosnie-Kosovo-Tchétchénie : Les Syrtes, Paris.
1998, Une idée certaine de la France (ouvr. coll, dir Alain Grioterray, avec Eric Zemmour, Gilles
William Goldnadel, Christian Jellen, etc), Editions France -Empire.
1999, L’avenir des Balkans après la Guerre du Kosovo (ouvr. coll , avec Alain Bournazel, Général
Pierre Marie Gallois, etc), L’Age d’Homme, Paris/Lausanne.
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2009, Manhattan, Beyrouth, Kaboul, Dijon : au cœur de la guerre, Ed. de Bourgogne.
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Jean-Claude Barreau, Liberté, Égalité, Immigration ? , 2016
Thierry Baudet , Indispensables frontières (traduit de l’anglais), 2015
Richard Booker & Christopher North, La grande dissimulation – Histoire secrète de l’UE (traduit de
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Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux, Comment l’islam va transformer la France et
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Collectif, Autopsie d’un déni d’antisémitisme – Autour du procès fait à Georges Bensoussan , 2017
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Jean-Louis Vullierme, Miroir de l’Occident – le nazisme et la civilisation occidentale , 2014 (en
poche : Le nazisme et la civilisation , 2018)
Tous les titres sont aussi disponibles en version numérique.

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