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Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?

Les autres me révèlent parfois à moi-même différent de ce que je croyais être. Pourtant
généralement la conscience est ce guide lucide de mon action et semble me renseigner fidèlement
sur moi. Suis-je donc ce que j’ai conscience d’être ? Ou suis-je un autre ? Ne suis-je pas sans cesse en
train de devenir ce que je suis de sorte qu’il serait vain d’espérer savoir ce que je suis ou qui je suis ?

Le sujet présuppose qu’il existe une identité entre l’être et la conscience de l’être, une coïncidence
entre l’être et le savoir. Or une telle confusion est-elle possible, non pas seulement en général mais
en particulier, pour un être dans lequel la conscience joue un rôle essentiel qui semble le spécifier
parmi tous les autres êtres vivants. Mon être est-il entièrement accessible à ma conscience ? N’est-il
pas en partie constitué de phénomènes qui échappent à ma conscience alors partielle et
superficielle ?

Le sujet présuppose aussi que je peux à la fois être regardant et regardé par l’œil de la conscience. Or
le fait même de m’observer moi-même à travers une conscience réfléchie et non seulement
immédiate n’altère-t-il pas cet être que j’étais tant que je ne m’observais pas de manière réfléchie ?
Puis-je alors saisir cette altération ou suis-je condamné à voir mon être échapper indéfiniment à ma
conscience ?

En outre (et, peut-être, de ce fait), être suppose une certaine permanence ou, au contraire, suis-je
sans cesse en devenir de sorte que saisir la conscience que je prends de moi serait forcément une
synthèse schématique, inachevable et périmée, de sortir que mon être consisterait à n’être pas ce
que je suis ?

Le sujet nous pousse donc à nous interroger non seulement sur les capacités de lucidité de la
conscience concernant ce que je suis mais tout autant sur la nature même de mon être, sur son
essence et sur ce que la conscience modifie dans l’essence de l’être.

Nous nous demanderons d’abord dans quelle mesure la conscience peut prétendre apporter une
lucidité sur ce que je suis puis nous nous interrogerons sur la nature de cette identité qu’elle me
révèle : est-elle partielle, est-elle totale, est-elle possible ? Enfin nous essaierons de concevoir
comment cette dualité entre l’éclairage de la conscience et l’essence de l’homme doit être comprise
pour être sinon résorbée au moins acceptée (de quel être de l’homme parle-t-on ? Etre comme
substance générale ou être comme identité singulière ?)

I. Une coïncidence entre conscience et être.


1) La conscience est cette lumière sur soi, ce passage du simple sentiment de soi au
savoir que je suis, au savoir que ce sujet existe. Cette conscience, explique Kant dans
Anthropologie au point de vue pragmatique (texte déjà étudié) distingue l’homme
des choses et l’élève en dignité au-dessus d’elles.
Mais savoir que j’existe n’est pas savoir qui je suis. Qu’est-ce que cette conscience de
mon existence me révèle de mon être ?
2) La pensée est alors conçue comme la substance de mon être. Le corps n’est que le
véhicule de ma pensée. Parce que la conscience est la source de la certitude de mon
existence, il suffit que je pense pour exister. Je suis une substance dont toute
l’essence est de penser. (cf. Descartes, Méditations Métaphysiques, I et II, étudiées
en classe). Certes cette autonomie de la pensée n’évite pas, lorsqu’elle est unie au
corps, de subir les influences de celui-ci et, par lui, l’influence des corps extérieurs :
ce sont les passions du corps mais aussi leurs effets dans la mémoire et l’imagination.
En outre ce corps est particulier, unique même, il constitue une part de mon identité
mais je le possède par la conscience : lui aussi subit mon âme parla maîtrise que
celle-ci exerce sur lui, par l’usage ferme et résolu de la volonté dont elle est capable.
3) Par ailleurs, cet écart entre l’être observé et l’être observant est le caractère même
de l’être humain. Comme le fait remarquer Hegel dans Esthétique (texte aussi étudié
en cours), je ne me contente pas d’être comme une chose de la nature
immédiatement mais, par la conscience, je suis aussi spectateur de moi-même. Mon
identité est riche aussi de cette distance de soi à soi.

Transition : On a donc montré que je suis ce que j’ai conscience d’être et que je suis parce que j’ai
conscience d’être. La coïncidence de ma conscience et de mon être est possible parce que
conscience et être se confondent en l’homme, semble-t-il. Parce que justement mon être consiste en
la conscience d’être et d’être autrement qu’une simple chose. Mais en même temps que j’acquiers la
conscience, en même temps que je m’efforce de me réaliser, ne suis-je pas en train de me cacher
que je suis aussi ce corps animé de désirs dont beaucoup sont réprouvés, policées, canalisés. Se faire
être n’est-ce pas en même temps refuser de voir une part de ce que nous sommes et que ma
conscience ne peut définitivement ni absolument taire. Cette conscience n’est-elle pas alors aveugle
sur une partie de moi que je ne peux ignorer dans la mesure où en faire l’hypothèse de cette part
permettrait d’expliquer certaines pertes d’autonomie de ma conscience ?

II. Cet être même de la conscience comme prise de distance de soi à soi conduit à une
altération de mon être voire à une aliénation.
1) Toute pensée n’est pas consciente. Leibniz Nouveaux essais sur l’entendement
humain. L’identité consciente est au mieux une synthèse de mon identité réelle,
c’est-à-dire d’une multitude de pensées trop petites pour être conscientes mais qui
n’en sont pas moins actives dans la détermination de mon être.
2) Mais une autre part de ma pensée m’échappe : des souvenirs passés et des désirs
déterminent mon être conscient sans que je m’en rendre compte. Ce déterminisme
permet de se représenter l’homme come habité par un autre moi que le je conscient
(« je est un autre » en quelque sorte, en reprenant le mot de Rimbaud). Les
exigences du ça (pulsions sexuelles refoulées) opposées à celle du surmoi (interdits
moraux hérités de la famille) produit le compromis du moi conscient, seul tolérable à
la conscience (à expliquer avec vos connaissances de Freud et de la psychanalyse).
3) Enfin je me crois autonome dans mes choix et mes goûts, je crois qu’elles me sont
propres. Or ces choix et ces attirances autant que ces répulsions semblent tout
autant résulter d’influences qui, à force d’être subies, deviennent inaperçues. Ces
habitudes devenues comme naturelles conditionnent ma perception du monde et de
moi et les jugements que je porte sur eux. Elles créent ce que Bourdieu appelle des
habitus, c’est-à-dire des dispositions à appréhender le monde d’une manière plutôt
qu’une autre. Ces dispositions, je les crois miennes alors qu’elles m’ont été imposées
par les groupes sociaux qui m’ont influencé à commencer par la famille. Ma liberté
n’existe que dans la prison de mes œillères sociales mais je ne puis facilement
changer de prison et encore moins vivre en fugitif, sans port d’attache.
Transition : Nous avons donc montré que je ne suis pas seulement ce que j’ai conscience d’être et
même que je peux me tromper sur ce que je suis. Pourtant cette prise de conscience de l’insuffisance
de ma conscience pour me révéler mon être n’est-elle pas l’essence même de mon être : un être
pour qui il est essentiellement question de son être. Cette inquiétude fondamentale naît de la
conscience (elle est ontologiquement attachée à la conscience), elle naît de l’interdit et de la réalité
qui imposent un décalage entre mes désirs et leur satisfaction, décalage qui n’existe ni dans le ventre
maternel où la satisfaction des besoins est immédiate et permanente ni dans l’unité primitive des
humains d’avant leur déchirure infligée en punition par Zeus selon le mythe rapporté par Platon dans
le Banquet.

III. Conscience et temporalité


1) Je peux prendre conscience de moi, apprendre à me connaître comme celui qui
justement n’est pas simplement ce qu’il est. Je me découvre comme celui qui se fait
être mais aussi que son passé et les déterminismes qu’il subit le font être. Je peux
ainsi apprendre à me connaître au-delà de la cécité immédiate de ma conscience,
non pas à travers une introspection qui chercherait un moi figé comme un
instantané mais à travers la prise en considération de mon perpétuel devenir.
2) La présence en lui de la conscience fait que l’homme se caractérise par cette
interrogation sur soi. Qui suis-je ? La question même de savoir qui je suis n’a de sens
que parce que je suis un être conscient, n’a de sens que pour un être qui, ne se
contente pas d’être immédiatement mais mène une double existence : en soi comme
toutes les choses de la nature mais aussi pour soi. Pour répondre à cette question de
savoir qui je suis, l’homme ne se contente pas d’être et d’observer cet être par
l’introspection mais il se fait être par la pratique, par son action sur lui-même et sur
le monde extérieur, œuvre dans laquelle il peut se reconnaître, dans laquelle il se
réalise, ce qui est littéralement se faire être. La conscience n’est plus alors seulement
un savoir mais un mode d’être : la conscience ouvre en moi une inquiétude sur mon
être qui m’incite à la combler en m’efforçant d’être pour ma conscience. Je suis
essentiellement un être qui se fait être pour sa conscience.

Mais si je ne suis pas ce que je suis, comment le savoir alors ? Sinon par la conscience. Je suis
conscient de ne pas être ce que je suis. Je suis donc conscient d’être celui qui sait qu’il n’est pas ce
qu’il est et qu’il est ce qu’il n’est pas. Je suis conscient de ne jamais être tout à fait ce que j’ai
conscience d’être.

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