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Résumé
L'esclavage est attesté dans les sources juives, qui précisent le statut de l'esclave hébreu et celui de l'esclave étranger.
L'analyse des données montre que l'esclave hébreu vit plus un incident de parcours qu'une fatalité et que l'esclave étranger
garde sa dimension humaine : de ce fait le sort de l'esclave dans la législation juive est meilleur que celui de l'esclave du monde
gréco-romain.
Zusammenfassung
Die jüdischen Quellen bezeugen die Existenz der Sklaverei im Altertum und berichten genau über das Statut der hebräischen
Sklaven und dessen der ausländischen. Die Betrachtung der Grundlagen zeigen, dass der hebräische Sklave eher von einem
Wegzwischenfall in seinem Lebenslauf betroffen ist als von einem Verhängnis, und, dass der ausländische Sklave seine
menschliche Dimension beibehaltet : so dass sein Los besser da steht als desses vom Sklaven der grieschich-römischen Welt.
Bohrmann Monette. L'esclave dans la religion juive. In: Dialogues d'histoire ancienne, vol. 24, n°2, 1998. pp. 25-39;
doi : https://doi.org/10.3406/dha.1998.2389
https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1998_num_24_2_2389
Résumés
• L'esclavage est attesté dans les sources juives, qui précisent le statut de l'esclave hébreu et
celui de l'esclave étranger. L'analyse des données montre que l'esclave hébreu vit plus un incident
de parcours qu'une fatalité et que l'esclave étranger garde sa dimension humaine : de ce fait le sort
de l'esclave dans la législation juive est meilleur que celui de l'esclave du monde gréco-romain.
• Die judischen Quellen bezeugen die Existenz der Sklaverei im Altertum und berichten
genau uber das Statut der hebràischen Sklaven und dessen der auslàndischen. Die Betrachtung der
Grundlagen zeigen, dass der hebrâische Sklave eher von einem Wegzwischenfall in seinem
Lebenslauf betroffen ist als von einem Verhàngnis, und, dass der auslàndische Sklave seine
menschliche Dimension beibehaltet : so dass sein Los besser da steht als desses vom Sklaven der
grieschich-rômischen Welt.
L'esclave hébreu :
"Si ton frère, près de toi, réduit à la misère, se vend à toi, ne lui impose pas
le travail d'un esclave (eved). C'est comme un mercenaire (sakhir), un hôte
(tochav) qu'il sera avec toi ; il servira chez toi jusqu'à l'année du jubilé. Alors il
sortira de chez toi, lui ainsi que ses enfants ; il retournera dans sa famille et
recouvrera le bien de ses pères. Car ils sont mes esclaves à moi, qui les ai fait
sortir du pays d'Egypte ; ils ne doivent pas être vendus à la façon des esclaves.
Ne le régente point avec rigueur, crains d'offenser ton Dieu" (Lév. XXV 39-43).
"Si un voleur est pris sur le fait d'effraction... il doit réparer et s'il ne le
peut, il sera vendu pour son vol" (Ex. XXII 2).
Deux causes, et elles seules, entraînent la perte de la liberté : la misère et
le vol.
La misère implique le dénuement le plus complet, c'est-à-dire si la
personne a déjà été réduite à vendre ses biens meubles, son champ, sa maison,
et qu'elle n'a plus de quoi se nourrir ni s'abriter (T.B. Amkhin 30b). Les
commentateurs talmudiques en déduisent qu'il n'est pas permis à un homme de se
vendre dans un but lucratif (augmenter sa richesse, acquérir du bétail ou des
biens, cf. Sifra, ad Lév. XXV 39).
Si la personne a commis un vol pour lequel elle a été reconnue
juridiquement coupable et si elle est insolvable, le tribunal la vend comme esclave
pour qu'elle rembourse par son travail le montant du vol. La réparation est la
réponse au vol et non la prison qui n'existait pas dans les temps les plus
reculés : le fait qu'à l'époque biblique les Hébreux étaient nomades, pourrait
être une explication historique à l'absence de prisons, mais il semble que
- l'esclavage étant le reflet de la vie sociale et de l'éthique d'un peuple - cette
explication soit insuffisante.
En effet la condition de l'esclave hébreu est révélatrice à cet égard :
L'esclavage est la conséquence d'une situation économique (pauvreté) ou d'un
comportement individuel reprehensible (vol) et non une fatalité. Dans les deux
cas, l'esclavage est perçu avant tout comme une situation temporaire dans
laquelle l'idée de réparation prime sur celle de l'oppression.
Par ailleurs, l'esclave est juridiquement protégé. Un Hébreu ne peut être
vendu hors du pays, ni dans le pays à un étranger qui ne s'était pas converti au
judaïsme, loi que ne respecta d'ailleurs pas Hérode (A.J. XVI 1), blâmé à ce titre
par Flavius Josèphe qui lui reproche "d'abolir une coutume observée de tout
temps parmi nous et de s'élever ainsi au-dessus des lois". L'intérêt du passage
est de montrer que ces dispositions, qui remontent à l'époque biblique sont
toujours en vigueur du temps de Josèphe, qui en donne des précisions : "Nos
anciennes lois... ordonnaient que ceux qui auraient du bien paieraient le
quadruple de ce qu'ils auraient volé et que ceux qui n'en auraient point seraient
vendus comme esclaves... ce n'était qu'à ceux de leur même nation qu'elles
permettaient de les vendre, leur servitude ne pouvait être perpétuelle, à cause
que la septième année leur rendait la liberté". Josèphe traite Hérode de tyran
qui s'attire la haine de tous car "il croyait qu'il lui était permis de fouler aux
pieds les lois du royaume et d'établir de nouvelles peines" (édit. Lidis, p. 495).
Dans le cas où le voleur remboursait la valeur de son vol, il restait libre.
Son prix devait équivaloir exactement à celui de l'objet volé pour être
condamné, sinon il gardait sa liberté (T.B. Kiddouchin 18a). On constate que la
juridiction talmudique était plus clémente que celle énoncée par Josèphe où le
voleur devait rembourser le quadruple de la valeur volée2.
Par ailleurs, l'esclave devait être humainement bien traité. Son maître
avait l'obligation de bien le traiter et de ne pas lui infliger des corvées
humiliantes :
"L'esclave hébreu ne sera pas astreint à laver les pieds de son maître, à lui
mettre ses sandales, à porter des vases pour lui dans la maison des bains, à lui
prêter appui pour monter un escalier, ou à le transporter dans une litière, un
fauteuil ou une chaise à porteurs, toutes choses que les esclaves font pour leurs
maîtres... De même que tu n'es pas autorisé à changer le genre de travail d'un
mercenaire, de même tu n'imposeras pas à un esclave hébreu un travail
différent de son travail habituel. De là vient qu'il est dit que son maître ne doit pas
lui faire faire des choses servant au public, telles que le travail d'un tailleur ou
d'un boulanger. Si son occupation antérieure comprenait l'une de celles-là, il
peut l'accomplir sur l'ordre de son maître, mais celui-ci ne peut aucunement
modifier son ouvrage pour lui... Comme un mercenaire travaille le jour et non la
nuit, il en est de même de l'esclave hébreu" (Mekhilta, commentaire de Ex. 21 2)3.
2. Cf. Philon, De spec. leg. IV 2, "[Le voleur] devra rembourser le fruit de son vol au double, de
manière à expier son injuste profit par une peine fort juste"et "En règle générale les larcins se paient
en remboursant les objets volés au double de leur valeur"(zb/d. 11).
3. Cité par A. Cohen dans Le Talmud, Paris, 1933, p. 254.
4. À Rome à partir du Bas Empire, le droit de vie et de mort du maître sur l'esclave ainsi que les
excès des mauvais traitements infligés aux esclaves furent également restreints par la législation.
les cinquante ans célébrait la libération de tous les esclaves ainsi que la
restauration de la propriété familiale (Lév. XXV 10).
La perforation de l'oreille était pratiquée par d'autres peuples dans
l'Antiquité5, pour lesquels elle signifiait la sujétion envers le maître ou encore
envers les dieux. Chez les Juifs elle se réalisait selon des formalités strictes : elle
incombait au maître qui devait la réaliser en public :
"Son maître lui percera l'oreille avec un poinçon (Ex.XXI 6). Il y a là une
signification symbolique... Pourquoi l'oreille plutôt que toute autre partie du
corps ? Parce que l'oreille a entendu au Mont Sinaï C'est de moi que les enfants
d'Israël sont esclaves (Lév. XXV 55). Ils ne sont pas les esclaves d'autres esclaves.
Or cet homme a décidé de se donner un maître. Qu'on lui perce donc l'oreille !
Il le fera approcher de la porte (Ex. 21 6). Pourquoi la porte ou le poteau, plutôt que
tout autre endroit de la maison ? Le Saint, béni-soit-Il, a dit : ces objets ont été
témoins en Egypte, lorsque je suis passé devant les linteaux et les deux poteaux,
et que j'ai déclaré C'est de moi que les enfants d'Israël sont esclaves, et non d'autres
esclaves, les faisant ainsi passer de la condition d'esclave à celle d'homme libre.
Et voilà que cet homme se donne un maître. Qu'on lui perce donc l'oreille
devant [la porte ou le poteau] !" (T.B. Kiddouchin 22b).
Préférer l'attachement au maître à la liberté était donc marqué d'un signe
infamant, la liberté étant le bien le plus précieux et la condition première de
la dignité de l'homme. Selon le Talmud, la dignité de l'homme se définit par le
fait qu'il n'est soumis à aucun de ses semblables, mais à Dieu qui l'avait libéré
de la servitude d'Egypte. La loi du jubilé qui affranchissait tous les habitants
du pays s'appliquait cependant aussi à l'esclave à l'oreille perforée, même si le
Pentateuque précise que l'esclave servira son maître éternellement (Ex. XXI 6).
En effet Josèphe confirme cette libération :
"Si un Hébreu a été vendu à un autre Hébreu, il demeurera six ans son
esclave ; mais en la septième année il sera remis en liberté. Si, lorsqu'il était
dans la maison de son maître, il avait épousé une femme esclave comme lui et
en avait eu des enfants, et qu'à cause de l'affection qu'il leur porte il aime mieux
demeurer esclave avec eux, il sera affranchi dans l'année du jubilé avec sa
femme et ses enfants" (A.J. IV 8 28).
L'esclavage de l'homme hébreu est donc par définition temporaire.
Lorsqu'il avait accompli son service (qui ne pouvait excéder six années) il
5. Chez les Lydiens, cf. Xénophon, Anab. III 1 31 ; les Carthaginois, cf. Plaute, Poen. V 2 21 ; les
Lybiens, cf. Plutarque, Sympos. II 1 4 . Voir aussi Juvénal, Sat. 1 102 et Pétrone, Sat. 102.
n'était plus obligé de servir les enfants ou les héritiers du maître. La mort du
maître le libérait. Selon Deut. 15 13, l'esclave ne devait pas être renvoyé les
mains vides. La somme qu'il était en droit de percevoir s'élevait (selon T.B.
Kiddouchin 17a) à trente sicles.
Ce rythme de six années se combinait avec celui plus long (cinquante ans)
du jubilé. Selon le Talmud "C'est l'abolition du jubilé qui marqua l'abolition de
l'esclavage" (T.B. Arakhin 29a). Il est difficile de dater cette abolition avec
précision. L'on sait que la loi du jubilé ne pouvait fonctionner que si tout le peuple
occupait le pays. Or après la destruction du royaume de Juda (588 a.C.) dans un
premier temps, puis lors du retour de l'exil (grâce à redit de Cyrus en 538 a.C.),
les Juifs en Palestine ne constituent plus les tribus au complet et de ce fait les
lois du jubilé n'ont plus été appliquées. L'esclave hébreu n'existe plus selon la
loi même si, ultérieurement des Juifs de Babylonie se sont trouvés privés de
certaines libertés sous les Perses sassanides.
6. Avoir été esclave en Egypte est constamment rappelé dans la prière biquotidienne du Juif et lors
du rituel de la Pâque juive.
7. Notons au passage que l'Egypte pharaonique ne connaît pas l'esclavage au sens gréco-romain du
terme et la désignation de l'esclave égyptien est proche de celle de l'esclave juif, à savoir
"serviteur". Le hiéroglyphe de ce que l'on traduit par esclave représente un pilon (marteau du
foulon) à côté de la représentation d'un homme ou d'une femme, et signifie, comme en hébreu,
"serviteur"(fóm) ou servante (hèmet) ; le même outil accompagné du hiéroglyphe désignant le dieu
signifie "serviteur de dieu" (prêtre).
socio-économique bien analysée par Hidemichi Ôta9 pour qui l'esclave "plongé
dans l'univers collectif d'un autre, après avoir perdu celui où il avait vécu
jusque là en tant qu'homme, devient un être dépendant sans groupe auquel se
rattacher". L'esclave est ainsi "un être humain assujetti, sans groupe
communautaire, menant une existence isolée et coupée de tout lien social".
Cependant cette notion de "dépendant sans communauté" n'est pas le
fait de la législation juive. Celle-ci s'efforce de préserver la dignité de celui
qui (Juif ou non Juif) a perdu sa liberté ; elle propose à l'esclave étranger le
choix de l'intégration. Même si une pression s'exerce alors sur l'esclave étranger
(obligation de la circoncision motivée par des impératifs d'ordre pratique, pour
rendre précisément la vie en commun possible) la finalité est bien d'intégrer
l'individu au sein du groupe. Le point de vue de Philon est explicite à cet
égard :
"C'est pourquoi ayant accordé à tous les nouveaux-arrivés [prosélytes]
un statut d'égalité et autant de faveurs qu'aux citoyens de naissance, il [Moïse]
exhorte les membres des anciennes familles à les honorer, non seulement par
des égards extérieurs, mais aussi par une amitié toute spéciale et une
particulière affection. Et c'est parfaitement justifié : car ces gens, rappelle-t-il, ont quitté
leur patrie, leurs amis, leurs parents, par amour de la vertu et de la foi ; il ne
faut pas qu'ils soient privés d'autres cités, d'autres parents, d'autres amis ; il
faut apprêter des refuges pour accueillir ces volontaires de la piété" (De spec. leg.
152).
Josèphe conforte cette attitude :
"Quiconque veut venir vivre chez nous sous les mêmes lois, le législateur
l'accueille avec bienveillance, car il pense que ce n'est pas la race seule, mais
aussi leur morale qui rapprochent les hommes" (С. Ap. 210).
"Nous au contraire nous ne croyons pas devoir imiter les coutumes des
autres, du moins nous accueillons avec plaisir ceux qui veulent participer aux
nôtres. Et c'est là, je pense, une preuve à la fois d'humanité et de magnanimité"
(ibid. 261).
Deux données éclairent aussi la situation de l'esclave en général : D il n'y
eut jamais de révoltes d'esclaves comme ce fut le cas dans le monde gréco-
romain. 2) Les villes de refuge (qui offraient l'asile à toute personne coupable
Bibliographie
10. Le nombre légendaire des soixante-dix savants juifs qui ont traduit la Bible hébraïque pour
donner la Septante, symbolise bien l'ouverture du Pentateuque aux Nations du monde.
11. "Les serviteurs sont libres par nature - aucun homme en effet n'est esclave de nature", Philon,
De spec. leg. II 69.