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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello
Œuvres et Abréviations
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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello
Présentation
Les signes, les mots sont des « monuments fixes » de la langue.
Tout le problème est de les remettre en mouvement, de revenir aux
actes de pensée qui les créent, à l’activité libre qui leur donne vie et
chair. Trop souvent, nous dit Biran, on a confondu la pensée avec
des images, des symboles, des schémas ou des sensations. On a
pensé que ces mots-concepts devaient représenter et nous faire voir
quelque chose ou encore exprimer quelque sensation. Mais la pensée
n’est pas dans ces images, ces signes ou ces sensations : elle est
l’activité de conscience qui produit tous les concepts par quoi nous
réfléchissons le sens de notre existence et par lesquels nous
configurons le sens du monde. En trouvant dans la sphère de
conscience ce plan d’immanence de tous nos actes de pensée,
sphère d’où rayonnent aussi toutes les lignes signifiantes qui
supportent notre représentation (perceptive et scientifique) du
monde, Biran a ressaisi à sa racine la genèse des idées clés de la
philosophie : cause, substance, force, liberté, nécessité etc.
Le sens intérieur des concepts doit toujours être conquis contre
leur sens figuré. C’est pourquoi Biran ne cesse de revenir à l’acte de
naissance du concept, c’est-à-dire à la naissance même de l’acte qui
le crée. Le Vocabulaire de Biran a l’aspect d’une immense répétition
qui vise à refonder dans les actes de conscience le sens intérieur des
concepts philosophiques. Comme ceux-ci sont toujours sur le point
de se momifier dans la langue, de se dénaturer dans de mauvaises
représentations, elle combat par une écriture recommencée
indéfiniment et par une mise en variation continue des concepts le
devenir-image de la pensée qui tend à dominer notre modernité. De
ce recommencement, on trouvera ici la trace car chaque concept a
plusieurs genèses, qui sont autant de variations sur un même thème,
autant de manières de refonder son sens. Plus encore, tous les
concepts sont la répétition multiforme d’un même et unique acte
fondamental : l’effort en quoi consiste la pensée corporée. La
philosophie biranienne ne s’est pas voulue autre que cet effort
interminable par lequel la pensée se ressaisit dans son élément
propre, à rebours des fausses images qui la hantent. Elle n’a pas
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Absolu
*Ce terme désigne ce que les « êtres sont en eux-mêmes dans
l’absolu », hors de la conscience (RSP, 53).
** La philosophie biranienne naît du partage entre relatif et
absolu qui est aussi bien l’opposition entre sujet et objet. La
conscience n’est autre en effet que le rapport entre volonté et corps
propre et c’est pourquoi elle est essentiellement relation entre deux
termes hétérogènes. Ce qui est irrécusable, évident par soi, c’est
cette vie de relation en quoi consiste le sujet pensant, libre, existant.
Par contre, ce qui n’est jamais donné en quelque manière que ce soit,
c’est l’existence absolue, sans faille, sans fêlure, objective. Toute la
subjectivité s’enracine dans cette relation primordiale et on ne
trouvera aucun concept portant sur la subjectivité qui ne plonge dans
l’immanence de cette relation pour en livrer le sens intime : effort,
dualité primitive, aperception, existence, conscience, personne,
idées, facultés actives etc. Chacun de ces concepts dit cette
immanence à la fois une et hétérogène, la même et pourtant distincte,
cette différence en acte de la volonté et du corps dont dérive toute
notre vie intellectuelle et morale.
En revanche, l’absolu désigne toute réalité en soi, hors de la
conscience. Les problèmes de la métaphysique sont nés de ce qu’elle
a cru pouvoir partir d’existences absolues hors du moi. En
particulier de cet « être absolu de l’âme substance » (RSP, 85). La
métaphysique n’a pas pris garde à l’ordre de la connaissance parce
qu’elle n’a pas fait attention non plus à ce qui sépare l’absolu du
relatif : « Ces métaphysiciens confondent perpétuellement l’âme,
chose en soi, objet absolu de croyance, avec le moi sujet relatif de la
connaissance » (RSP, 85). Or, la seule voie pour penser est de partir
du donné, c'est-à-dire « du témoignage du sens intime, seul critérium
que nous ayons de la vérité métaphysique » (RSP, 79). Force est de
constater que l’absolu n’est jamais donné. Nous ne faisons jamais
l’expérience de l’absolu, nous ne nous connaissons pas absolument
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Affection
*« Nous comprenons sous le titre général d’affections tous ces
modes simples et absolus du plaisir et de la douleur, qui constituent
une vie purement sensitive ou animale hors de toute participation du
moi » (E, 277).
Le résultat de l’analyse des facultés de l’être sentant et pensant
conduit progressivement Biran à distinguer chez le sujet sentant et
pensant quatre « classes de modifications » essentiellement
différentes et quatre « systèmes » qui leur correspondent, affectif,
sensitif, perceptif, aperceptif.
Le système affectif ou sensitif simple « comprend toutes les
affections internes ou externes de la sensibilité sans le secours de la
volonté ou la participation active du moi ». (A, 138).
** Biran découvre "une classe entière de facultés passives
exclusivement subordonnées aux impressions ou qui ne se
développent qu'avec elles et que par elles" (E, 277-278). Il y a une
vie affective en deçà de toute conscience et qui reste insaisissable
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Cependant, les traces plus ou moins vives que ces affections ont
laissées dans la vie organique sont étrangères à toute conscience et à
tout souvenir conscient : elles ne «peuvent s’y réunir
(qu’)accidentellement en vertu de quelque association fortuite »
comme le montrent les rêves. Les états de délire, de manie, de
mélancolie etc. manifestent au dernier degré la persistance opiniâtre
de ces traces et leur enchaînement spontané. Dans la sphère de
l’inconscient sensible et vital, les affections pures ne sont ni la
personne, ni le moi, ni la pensée. Elles sont la vie sentante,
impersonnelle et aveugle, où on ne trouve ni temps, ni souvenir, ni
mémoire, bref la vie, insensible au moi, de l’organique.
Analyse
* L’analyse est une méthode d’investigation des facultés de
l’homme en vue d’aboutir à leur division. « L’analyse ou la division
naturelle des facultés de l’homme comme être organisé, vivant,
sensible et intelligent sera toujours un des problèmes les plus
importants et les plus difficiles dont la philosophie ait à s’occuper »
(Dis, 48)
** Deux principales sortes d’analyse sont envisageables
lorsqu’on traite de la science de l’homme. L’homme est « un être
mixte, infiniment composé » qui se définit par une multitude de
facultés différentes comprises en quatre ordres différents (ordre
physique, ordre physiologique, ordre psychologique, ordre des
facultés pratiques et d’application à la base de l’économie, de la
morale etc.) Chacun de ces ordres, où la variété des points de vue sur
l’homme est pourtant extrême, est une science. Malgré cette grande
complexité en chaque ordre, la division des sciences de l’homme se
calque sur la « nature mixte » de l’homme. C’est pourquoi « la
science unique qui a l’homme pour objet » se diffracte finalement en
deux points de vue essentiels, en deux analyses principales et très
différentes : l’analyse physico-physiologique, l’analyse
psychologique pure et pratique (moi, morale, culture).
Ces deux types d’analyse ou de méthode sont sous la
jurisprudence de deux facultés qui travaillent en un sens opposé, ce
qui explique leurs résultats irréconciliables : « L’imagination, qui se
représentant ce qui est hors de nous, s’attache exclusivement, dans
la formation de ses tableaux, à ce qui peut se voir, se toucher, se
décrire, et la réflexion qui se concentrant sur ce qui est en nous,
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s’attache tout entière à ces modes les plus intimes, qui n’ont point,
hors de la conscience, de signe de manifestation, ni d’objet ou
d’image qui les mette dans un relief sensible. De là donc, deux
analyses ou deux méthodes de division essentiellement distinctes : la
première représentative et descriptive, c’est celle qui est propre aux
sciences anatomique et physiologique ; la seconde purement
réflexive, qui doit être exclusivement employée dans la science
propre des idées et des facultés du sujet pensant» (Dis, 50).
*** La concentration psychologique s’oppose à l’extériorisation
physico-physiologique. Ce sera la conviction essentielle de Biran,
une idée qu’il n’abandonnera jamais et par laquelle il préservera
continûment le sens la pensée de la menace de l’image. Alors que
l’analyse psychologique tend à individualiser en ramenant au sujet
simple et un, « force tout en dedans », l’analyse physiologique tend à
diviser en renvoyant vers l’objectivité composée ; cette dernière
s’offre aux sens externes semblablement à «une machine dont on
peut percevoir séparément les pièces, les ressorts ou imaginer les
mouvements ». Lorsque l’analyse physiologique s’applique alors à la
pensée, elle cherche à la traduire en symboles physiologiques, à la
décomposer. Pour elle analyser veut dire ex-pliquer et expliquer
consiste à traduire en images, par conséquent à décomposer en
figures, en espace, en lieux, "comme si un fait primitif avait besoin
d'être expliqué, et pouvait se représenter ou se transformer en images
sans changer de nature ou sans perdre sa nature de fait intérieur »
(DEA, 34).
Biran oppose donc radicalement les deux types d’analyse :
"L'analyse physiologique tend toujours (..) à décomposer des
fonctions considérées comme mouvements, et à les localiser dans les
sièges ou organes particuliers, en qui et par qui seuls, elles peuvent
être conçues; l'analyse idéologique ou intellectuelle ne décompose
jamais à proprement parler : les phénomènes intérieurs à qui elle
s'applique n'ont aucune analogie avec des mouvements conçus dans
l'espace. Avec elle tout tend essentiellement à se simplifier, à
s'individualiser; et l'idée de siège, de lieu se trouve nécessairement
exclue de toutes les notions sur qui elle peut s'exercer, comme de
tous les résultats auxquels elle peut atteindre" (Dis, 50)
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Attention
* « J’appelle attention ce degré de l’effort supérieur à celui qui
constitue l’état de veille des divers sens externes et les rend
simplement aptes à percevoir ou à représenter confusément les
objets qui viennent les frapper. Le degré supérieur dont il s’agit est
déterminé par une volonté positive et expresse qui s’applique à
rendre plus distincte une perception d’abord confuse » (E, 352). A
cette confusion s’oppose donc la clarté représentative de l’attention.
** L’attention est un effort de la volonté appliquée aux
« sensations représentatives déjà coordonnées dans l’espace et le
temps » qu’elle s’attache à distinguer, éclaircir, ordonner. « Le
pouvoir de l’attention consiste donc à fixer les organes mobiles à
volonté, comme l’ouïe, le toucher, sur l’objet présent » et à rendre
son intuition plus claire (E, 354). Chacun fait facilement la
différence entre sentir et odorer (odorat actif), goûter et savourer
(goût actif), plus encore entre voir et regarder (vision active), écouter
et entendre (audition active), sentir passivement (tact) et toucher
activement : comment aurions-nous seulement l’idée claire d’un
corps étranger hors de nous comme de l’espace qui le constitue sans
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Conscience
* La conscience naît de la mise en rapport ou en relation
d’effort de la volonté et du corps propre : « le fait relatif de
conscience » est « l’effort qui réunit indivisiblement matière et
forme » (D, 74) ; « La vie de relation ou de conscience a son
principe dans l’effort voulu » (E, 277)
Qu’ajoute cependant le terme de conscience à l’idée stricte de
rapport ou de relation d’effort ? Dès lors que le rapport subjectif est
constitué, que le sujet est compos sui, il est aussi cum scientia. Le
sujet existe et se sait exister dans le même moment : « Dans le moi la
science et l’existence sont identiques» (C3, 218)). La conscience
signale alors l’évidence et la certitude de la présence du sujet à lui-
même qui « n’existe pour lui-même qu’en tant qu’il se connaît »
(C3, 218). Le sujet a, par évidence totale, une science immédiate de
lui-même comme existant, pensant, moi, personne libre.
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1 Ibidem, p 123.
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Corps
*Il revient à Biran d’être le premier philosophe à prendre en
compte le rôle du corps dans la genèse de la conscience et de toutes
les facultés intellectuelles. Il distingue trois appréhensions du corps :
le corps propre subjectif qui entre dans la conscience de l’effort ; le
corps objectif de l’anatomiste qui est le corps représenté sous la
forme de l’espace externe ; le corps absolutisé du métaphysicien qui
est la substance passive matérielle hors du moi que je crois être au
fondement de mon corps.
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Croyance
Croire est cet «acte primitif de l’esprit » (RSP, 74) qui attribue
immédiatement à tout ce que nous pouvons apercevoir ou percevoir
une existence absolue (être, substance, ou cause). Comme nous
n’apercevons pas cette existence absolue en elle-même, que nous ne
la percevons pas, que nous n’en avons aucune conscience ni aucune
expérience d’aucune sorte, elle est nommée « croyance ».
** Dans les Rapports des sciences naturelles avec la
psychologie, probablement écrits entre 1813 et 1816, Biran prend en
considération la croyance invincible de « tout homme dirigé par le
simple bon sens » que les choses existent absolument hors de nous.
Il remarque encore que « toutes les doctrines en général, tant celle
de métaphysique que de psychologie expérimentale, prennent pour
point de départ la réalité absolue de quelque être, substance ou
cause» (RSP, 53) et ressent le besoin d’intégrer cette dimension
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une connaissance, elle n’est pas elle-même une idée. « Cet absolu en
tant que tel, dont il y a croyance sans idée, ne saurait être l’origine
d’aucune connaissance ou idée » (RSP, 76). En tentant « une
dérivation impossible » de la connaissance à partir de la croyance, la
métaphysique a en réalité inventé des problèmes tout à fait
insolubles. Cependant l’ordre de l’absolu ne saurait en aucune façon
être le commencement de la connaissance : il est cet acte propre à
l’esprit par lequel est tracé son horizon mondain et objectal, sorte de
sphère vide et extérieure d’existentialité à laquelle ne correspond
nulle idée, nulle représentation, nulle connaissance mais qui
supporte virtuellement, à partir du sujet, toutes les lignes actuelles de
la connaissance intérieure ou extérieure.
L’ontologie n’est rien sans la psychologie parce que la seule
existence aperçue, la seule source de connaissance est le moi. Mais
la psychologie a besoin d’une ontologie limitée (la croyance) par
laquelle le corrélat d’un monde s’esquisse de l’intérieur du sujet et
leste sa connaissance d’une densité d’être. Elle la trouve dans le
sujet, dans cette loi de l’esprit qui impose au sujet connaissant de
supposer avant lui (antécédence) un premier principe inconditionné
(prius natura) ou une ratio essendi qui précèdent toute connaissance
acquise. N’imaginons pas toutefois que nous tenons là des « données
primitives in abstracto » : de telles croyances résultent
simultanément du fait concret de l’existence individuelle, de la
séparation par abstraction des deux éléments qui le composent et de
la tendance de l’esprit à réaliser ces termes. Les deux objets de la
croyance sont donc la volonté réalisée en âme-substance (ou en
cause absolue, force absolue, substance active, noumène intérieur) et
le corps réalisé en substance-matière (ou en substance absolument
passive, nature en soi, noumène extérieur) (RSP, 70-71).
Dualité primitive
* La conscience n’est ni forme, ni matière mais
« l’indissolubilité réelle » de deux éléments « distincts mais non
séparés » : la volonté et le corps.
La notion de « dualité primitive » implique une distinction
réelle entre les deux éléments de la conscience et en même temps
une unité réelle de ces deux éléments.
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Effort
*L’effort est la relation causale entre la force hyperorganique et
la résistance organique d’où surgit le sentiment personnel d’exister.
Relation : « Le mode relatif d’effort (…) s’effectuant librement
comprend le sentiment intime d’une force vivante, lié à celui d’une
résistance organique » (D, 362). Existence personnelle : « Dès qu’il
y a déploiement de l’effort, il y un sujet et un terme de dépliement
constitués l’un par rapport à l’autre (…) Sans lui tout est passif et
absolu (..) Avec lui tout se rapporte à une personne qui veut, agit » et
qui conçoit toute existence sur le « modèle de la sienne propre » (D,
138).
** Dans sa correspondance avec Destutt de Tracy, Biran a bien
mis en évidence que l’effort est essentiellement relation. Dire que la
conscience est relation signifie qu’elle n’est jamais donnée comme
un absolu ainsi que la métaphysique le croit. Il faut considérer « le
moi dans la volonté une, ou la même, volonté qui n'est point d'une
manière absolue et abstraite de toute condition, mais seulement dans
la relation à l'ensemble des parties qui lui obéissent, dans un effort
essentiellement relatif, dont le terme, le corps résistant mais
obéissant, et le sujet de la force (qui n'existe comme force consciente
que dans la résistance à son action) sont inséparables et ne sont
constitués que l'un par rapport à l'autre". Biran ne cesse d’insister sur
« la corrélation essentielle », « l’indivisibilité », la « combinaison
intime », le « rapport de coexistence » etc. entre les deux éléments
de l’effort. La relation causale constitutive de l’effort implique que
la cause est sentie dans son effet organique, et que l’effet est senti
dans sa cause hyperorganique, d’une manière indissociable. Mais
cette relation causale peut encore être précisée : la volonté agit sur
toutes les parties du système moteur sous son influence. Ces parties
forment en même temps le terme d’application de sa puissance
(résistance) et la limite de sa puissance (consistance). Tout ce qui est
en dehors de cette relation ne consiste en rien pour le sujet et n’est
pas aperçu comme acte : « Le sens de l’effort que nous pouvons
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Fait primitif
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* « Tout ce qui existe, (…) ne nous est donné qu’à titre de fait »
(E, 14) ? Notre existence ne nous est elle-même donnée qu’à titre de
fait (et non absolument). Elle est notre première connaissance
(conscience de soi). Le fait primitif demeure premier dans l’ordre de
la connaissance objective car il est toujours enveloppé dans notre
connaissance médiate objective et parce qu’à l’inverse « nous
pouvons avoir cette conscience de nous-mêmes sans la connaissance
d’aucune chose extérieure » (E, 19, note).
**La psychologie ne commence pas par l’absolu. Elle
commence par un fait. Ce fait est la conscience (compos sui ou
conscium sui) qui exprime l’exercice de la même force individuelle
sur le même terme corporel résistant. Aucun des termes (volonté-
corps) n’a de réalité absolue et n’est indépendant de cette relation
d’effort.
La primitivité du fait primitif doit alors s’entendre en quatre
sens : du point de vue de la connaissance, elle signifie l’antécédence
de la conscience (première connaissance) sur tout autre ordre de
connaissance ; du point de vue du sens intime elle signale le fait le
plus intérieur car ce fait se constate sans sortir de l’application
immédiate de la volonté au corps ; du point de vue de la relation
entre les deux termes, elle ramène au rapport le plus simple en tant
que tout rapport perceptif ou représentatif l’inclut comme son
élément formel ; du point de vue de la permanence, elle désigne le
rapport le plus fixe car il est toujours identique à lui-même, étant
« une même force déployée sur un seul et même terme ». Primitif
signifie ainsi : antécédence cognitive du soi sur les choses, priorité
aperceptive de l’intime sur toute aperception mêlant un élément
étranger, préséance du simple sur tout jugement d’extériorité,
précellence de l’identité sur toute variation. (E, 27)
*** Cette quadruple originarité du « primitif » dessine l’horizon
de toute la science des principes en ce sens qu’aucune étude
psychologique ne saurait traiter des notions psychologiques comme
la causalité, l’unité, l’identité, la substantialité etc. sans partir du fait
primitif.
Force hyperorganique
*Il y a une « force sui juris, hyperorganique et sur-animale par
sa nature qui ne peut se manifester en elle-même qu’intérieurement
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Habitude
*Les deux premiers mémoires de Biran sont consacrés à
l’influence de l’habitude sur la faculté de penser. Y sont analysés les
effets de l’habitude sur les sensations d’une part et les opérations de
l’entendement d’autre part. Biran constate que, par répétition et
exercice, les sensations s’émoussent alors que les opérations de
l’entendement se précisent. Les premières sont liées à « un stimulus
intérieur » organique qui monte l’organe à la hauteur de l’excitation
répétée et la rend insensible. Les secondes sont liées à un
mouvement volontaire qui est facilité par la répétition et devient
automatique.
** L’habitude est la pierre de touche de la compréhension de la
génération des facultés. Elle est l'élément génétique de l’analyse des
facultés, « l’épreuve » majeure à partir de quoi on peut faire le
partage entre passivité et activité, entre ce qui revient au principe
vital et ce qui revient à la volonté. D'une part, il y a évanouissement
et dégradation des impressions sensorielles à proportion de leur
passivité (le principe vital se monte à la hauteur de l’excitation qui
finit par ne plus être sentie), d’autre part facilité et promptitude des
perceptions à proportion de leur lien avec la motricité volontaire (le
pouvoir moteur est facilité). L'habitude dégrade ce qui n’est pas en
notre pouvoir et elle renforce par ailleurs ce qui est notre pouvoir.
C’est pourquoi Biran distingue habitudes passives et habitudes
actives. Comme il n'y a que notre faculté motrice qui soit en notre
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Homo duplex
*L’homme est « double dans l’humanité, simple dans la
vitalité ».
** Biran emprunte cette notion à l’ouvrage de Boerhaave
Praelectiones academicae de morbis nervorum (1761) où celui-ci a
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Idée
*L’idée est un acte réfléchi (souvent relié aux signes
conventionnels du langage) par lequel le sujet aperçoit ce qui est en
lui. On distinguera les idées simples de réflexion qui « ne sont que le
fait primitif analysé et exprimé dans ses différents caractères » (E,
219) et les idées abstraites modales où dominent les résultats
perceptifs des diverses opérations du moi.
**Dans la première philosophie de Biran (les deux mémoires
sur l’habitude), l’idée est considérée comme une copie de
perception. Retraçons le mécanisme de production de l’idée. Biran
voit dans le mouvement lié à l’effort une marque par laquelle la
volonté se manifeste. C’est sur elle qu’il faut s’appuyer pour
remettre à nouveau à disposition une impression active. Si un
mouvement est réeffectué pour faire resurgir une perception
quelconque d’objet, il produit une seconde perception (qui
n’enveloppe pas l’impression directe de l’objet sur nous) qui est une
copie de la première perception et que Biran appelle idée (I, 150).
Dans ce cas, le mouvement devient signe de l’idée, il sert à rappeler
l’idée. Par exemple « Le mouvement ou l’effort reproduit dans la
main, lorsqu’elle figure ou tend à figurer le solide, est le signe de
l’idée de forme. Les mouvements vocaux seront aussi les signes des
impressions auditives ou leurs idées » (I, 153) ; les mouvements du
tact et de la vue sont signes des idées distance, d'étendue etc.
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Idée de cause
* Idée simple de réflexion. Le sentiment d’être cause est
intimement lié au sentiment du moi ou fait primitif de conscience.
En effet, « ce fait primitif originaire de toute connaissance, doit être
tel qu’il emporte avec lui le sentiment indivisible de la cause et de
son effet, du sujet et de son mode permanent ». (RSP, 8) L’idée de
cause est donc une idée simple de réflexion.
** Biran rend hommage à deux auteurs d’avoir perçu que le
principe de causalité est la clé de la métaphysique : Ancillon père
(« Le principe de causalité, a dit un philosophe très judicieusement,
est le père de la métaphysique » -E, 225) ; Leibniz («Leibniz a
supérieurement vu que le principe de causalité, tel que nous pouvons
le connaître sans sortir de nous-mêmes, est le grand pivot de toute la
métaphysique »-RPS, 101). En ce principe réside en effet le mystère
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quelle qu’elle soit, n’est pas de son ressort ou ne saurait jamais être
représentée » (E, 35).
La métaphysique se reconnaît à sa confusion perpétuelle du
relatif et de l’absolu, « de la chose en soi, objet de croyance, avec le
moi, sujet relatif de la connaissance » (RSP, 85). La nécessité pour
l’esprit de dépasser la succession phénoménale et de remonter
jusqu’à un terme supérieur à la série, premier commencement (prius
natura), cause absolue, aurait dû lui faire soupçonner que le
problème n’était pas de se faire une représentation de la cause,
physique ou métaphysique, mais tenait à la nature même de notre
esprit. Elle aurait dû comprendre « que nous avons d’autres facultés
que l’imagination qui, si elle était seule, ne s’élèverait jamais jusqu’à
la notion d’un premier nécessaire et inconditionné » (RSP, 36). C’est
en effet une loi de notre esprit qui nous force à transporter dans la
nature, hors du moi, l’idée de cause de même qu’elle nous porte à en
faire un absolu métaphysique. Le tort était de prendre cette
dérivation pour une origine réelle, de ne pas prendre en compte
l’induction de l’esprit, sa tendance à croire à une origine
métaphysique absolue de l’idée de cause ; cette tendance pouvait
déboucher sur l’absolu, mais elle transportait seulement hors du moi
l’idée de cause qui est l’expression de notre existence subjective.
En réalité, du moi à la nature, de la nature à la métaphysique,
tout ce qui est saisi comme force physique ou cause absolue ne l’est
qu’au travers de notre propre sentiment d’être cause : « Le principe
de causalité s’étend toujours du moi, à un être ou objet qui n’est pas
moi » (RSP, 187).
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Idée de force
* L’idée de force (idée simple de réflexion) dérive du sentiment
interne propre à la conscience d’être cause productive et libre. Nous
ne pouvons par suite concevoir aucune force d’impulsion, y compris
dans le monde matériel, indépendamment du sentiment de notre
force. « L’idée de force ne peut être prise originellement que dans la
conscience du sujet qui fait l’effort, et lors même qu’elle est tout à
fait abstraite du fait de conscience, transportée au dehors et tout à
fait déplacée de sa base naturelle, elle conserve toujours l’empreinte
de son origine » (E, 220). Biran dit ainsi de cette idée qu’elle est une
« donnée primitive au-dedans de nous-mêmes » (DEA, 219).
** Dans la conscience, le sujet sent et aperçoit qu’il est une
« force agissante ». En effet, « le sujet sentant et moteur (…) se sent
et s’aperçoit immédiatement, dès qu’il existe pour lui-même à titre
de personne moi, comme une force ou cause productive » (DEA,
106). C’est cette idée qui sert ensuite de type à toutes nos idées de
force : « Il y a aperception interne immédiate ou conscience d’une
force qui est moi et qui sert de type exemplaire à toutes les notions
générales et universelles de causes, de forces, dont nous admettons
l’existence réelle dans la nature ». (DEA, 212)
Lorsqu’on abstrait cette force de la conscience et qu’on la
sépare de la conscience, nous avons l’idée de force absolue : « Si
l’on abstrait de la conscience de notre propre force ou de notre
sentiment de moi qui fait l’effort, l’exercice un et pour ainsi dire
matériel de cette force agissante, on aura l’idée ou la notion de force
absolue ou possible » (E, 222). La force absolue désigne une réalité
posée en soi hors de la conscience. En transportant hors de nous la
force que nous apercevons clairement en nous, nous en
obscurcissons la signification. La métaphysique inverse en général
l’ordre de la connaissance en partant de l’absolu (ici la force
inconditionnelle) au lieu de partir du « relatif individuel », à savoir
de la conscience. Elle ne peut alors comprendre la genèse des
notions qu’elle utilise. Et elle ne peut non plus comprendre leur
champ de validité.
***C’est ainsi que Leibniz « a construit la nature avec des
éléments pris dans l’activité du moi » en faisant de la force le
principe de la physique alors que l’idée de force reçoit son sens de
l’élément actif de la dualité et ne peut servir de principe qu’à la
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Idée de substance
* L’idée de substance vient du moi (en tant qu’idée simple de
réflexion) où elle s’identifie au double sentiment d’une subsistance
de l’effort et d’une consistance du corps. Mais, dès qu’on sort du
moi, cette idée se dénature pour signifier une réalité séparée du moi
et existant en soi. Par là elle ajoute « quelque chose de plus » au fait
de conscience ou « affirme une chose au-delà du moi » (DEA, 85) :
chose pensante (âme en soi) ou chose étendue (objet en soi). Il faut
séparer les deux significations : « Avant la notion de substance,
d’être absolu est le sentiment du moi individuel et relatif d’où la
notion est déduite ; celle-ci ne constitue pas le fait primitif, elle n’ y
entre même pas directement » (RSP, 239).
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Imagination
* Dans ses premiers mémoires sur l’habitude Biran sépare deux
modes de reproduction des perceptions : un mode actif que Biran
nomme mémoire et un mode passif qu’il appelle imagination « parce
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Intuition
*L’intuition est la partie représentative de la perception : les
perceptions sont composées de deux parties dont l’une « représente
sans affecter pendant que l’autre affecte sans représenter » (Dis, 13).
Elle est, dans l’organe, un « mode primitif de coordination dans
l’espace » par quoi une représentation de ce qui frappe l’organe est
donnée, représentation avec laquelle le moi peut se combiner
facilement (E, 316). L’intuition apparaît donc spontanément et sans
participation du moi par le simple effet de l’habitude : sous le « titre
d’intuition immédiate passive », Biran entend cette « faculté
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Mathématique
*L’objet mathématique et le sujet métaphysique sont des
analogues. Le toucher actif réduit à sa plus simple expression,
(fiction d’une main réduite à un ongle pointu que la volonté déplace
sur un plan solide) nous ferait appréhender simultanément, par la
succession d’une même action appliquée à une même résistance
externe, une unité se reproduisant égale à elle-même « dans le sujet
réfléchi et dans le terme objectif de l’effort » (D, 205). Se
découvrirait le fondement de l’unité métaphysique (sujet interne) et
de l’unité mathématique (point externe).
** Le « toucher actif établit seul une communication directe
entre l’être moteur et les autres existences » note Biran (D, 203). Il
inclut ainsi un rapport simultané de la volonté au « corps propre et
étranger ». Si l’on reprend la fiction de l’ongle, la succession de
points résistants forme ainsi une ligne géométrique, base d’une
« géométrie linéaire » sans épaisseur, sans profondeur, sans
sensation autre que celle de notre effort accompagné d’une
résistance invincible externe. Le fondement des mathématiques n’est
autre que le sujet : « L’être intelligent réduit au sens que nous
venons de supposer tirerait en quelque sorte de lui-même toute la
géométrie et il se trouverait bien plus rapproché que nous le sommes
(…) du véritable objet mathématique. Cet objet qui n’existe pour
nous qu’en abstraction (…) serait pour lui la seule réalité existante
analogue à son moi, aussi fixe, aussi permanent aussi invariable que
lui » (E, 386). Quelque soit alors le degré de complexité
mathématique, on pourra ainsi affirmer que « les propositions qui se
généralisent ne sont que des rapports identiques qui se
compliquent » (E, 564).
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Métaphysique :
*Pour Biran, la métaphysique doit être « la science des
principes ou des commencements de nos idées et opérations de tout
ordre » (D, 60), ou la « science des facultés propres au sujet
pensant » (A, 8), ou encore la « science des premières notions de
l’esprit humain et des premières raisons des choses » (RSP, 49)
** Principes, idées, notions, facultés propres, l’objet de la
métaphysique peut varier mais cette variation revient au même : la
métaphysique est d’abord une science qui traite du fait primitif et de
la dérivation des idées et des facultés actives à partir de ce fait
primitif. De ce point de vue on peut l’identifier à la psychologie
pure. Elle est en effet cette science qui dégage par réflexion ce qui
revient au moi et qui dérive toutes les notions fondamentales le
concernant. Elle a donc pour domaine ce « sujet qui s’abstrait lui-
même (…) de toute représentation externe et qui s’aperçoit sous ces
attributs d’unité, de simplicité, de permanence qui conviennent aussi
à l’objet dans le point de vue mathématique » (E, 78). Elle est donc
« science de l’esprit ou du moi » (E, 81). Par cela elle est une science
de l’existence (car elle part de la conscience et la conscience est
conscience d’exister) et ne saurait en aucun cas partir du possible ou
de l’absolu, commencements abstraits considérés « avant et hors du
sujet constitué » (A, 51).
Replacée dans le cadre de la dualité primitive qu’est la
conscience, et considérée dans sa capacité réflexive, la métaphysique
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Psychologie
*Génériquement, la psychologie est « la science des faits
intérieurs » (E, 50).
** Si l’on se place du point de vue de l’origine (la « source »)
des faits intérieurs, la psychologie est pure ou elle est mixte. Si l’on
se place du point de vue de la genèse de la connaissance, « la
psychologie explique la génération des connaissances humaines et
(…) forme à elle seule la théorie de toutes les théories » (Dis, 49) :
elle est alors « science première » ou « philosophie première » (RSP,
14, 213).
La psychologie est pure (ou « synthétique et rationnelle »)
lorsqu’elle est science des facultés actives ou encore « science de
l’esprit ou du moi » (E, 81) ; cette science pure sépare, afin de la
ressaisir, la nature du moi de tous les modes sensibles transitoires et
contingents qui peuvent s’y adjoindre. Tant qu’on ne sait pas ce que
le sujet est et ce qu’il met de lui-même dans sa connaissance du
monde, aucune connaissance ne trouve de point d’appui. C’est
pourquoi Biran écrit : « La psychologie seule assigne ce fond ou
cette base dans la conscience du moi » (RPS, 15).
La psychologie est mixte (ou « analytique et expérimentale »)
quand « elle ne considère les faits de l’intelligence que dans leur
point de contact avec ceux de la sensibilité ». Souvent, cependant,
elle part de ces « faits composés » du moi et du sensible hétérogène
comme s’ils étaient simples, se borne à l’analyse des sensations et
tombe dans la confusion. Seule une précise distinction en ce point de
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Psychologie pratique
*L’éducation et la morale relèvent de la psychologie pratique en
tant que « direction » des facultés (E, 85) et non plus de la
psychologie en tant que genèse de la connaissance (la psychologie
comme « science première »), ou de la psychologie en tant que
généalogie des facultés (la psychologie pure et mixte).
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Réflexion
*La réflexion "se concentrant sur ce qui est en nous, s'attache
tout entière à ces modes les plus intimes, qui n'ont point hors de la
conscience de signe de manifestation, ni d'objet ou d'image qui les
mettent dans un relief sensible" (Dis, 50) « Lorsque (un) effort ou
(un) acte est suivi ou accompagné d'un mode quelconque que
l'individu attribue uniquement à sa puissance, mais en distinguant le
résultat de l'acte lui-même qui prédomine simultanément dans la
conscience, nous appellerons réflexion cette aperception redoublée
dans le mouvement d'une part, et son produit sensible de l'autre" (D,
154).
** Là où la matière de l’acte est un acte, nous avons réflexion.
Dans la réflexion, le sujet prend pour terme de son effort des actes
déjà effectués. La réflexion est le seul mode d’activité du sujet où
celui-ci n’agit pas sur un « terme ou un objet extérieur, dont
l’impression distrait ou absorbe le sentiment interne de la cause qui
concourt à la produire » mais directement sur ses propres actes (E,
483).
Un sens présente un aspect éminemment réflexif : l’ouïe dès
lors que s’établit un couplage avec la voix. « Activée par la voix
articulée, l’ouïe est le sens immédiat de la réflexion », ou encore « le
sens de l’entendement » ; « l’individu qui émet le son et s’écoute a la
perception redoublée de son activité. Dans la libre répétition des
actes que sa volonté détermine, il a conscience du pouvoir qui les
exécute, il aperçoit la cause dans son effet et l’effet dans sa cause, il
a le sentiment distinct des deux termes de ce rapport fondamental, en
un mot, il réfléchit » (E, 483).
On comprend pourquoi Biran associe plutôt la réflexion à un
redoublement qu’à une réflexion en miroir, sorte de lumière
réfléchie sur elle-même en quoi consiste la spéculation. Le fait est
que Biran parle simultanément, à propos de la réflexion, de
« perception redoublée », « d’action redoublée », de « réflexion
redoublée », « d’aperception interne redoublée ». Lorsque la voix
répète le son entendu et que l’ouïe répète intérieurement ce son
articulé, la perception sonore est en effet redoublée (son entendu
extérieurement et intérieurement) ; l’action du moi est aussi
redoublée par une double répétition (répétition de l’écoute du son
extérieur (articuler), et répétition intérieure de l’articulation
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Résistance
*La résistance désigne le terme d’application de la volonté.
Toutes les parties mobiles du corps qui obéissent et résistent à une
même volonté entrent dans « le sentiment fondamental d’une
résistance organique » (A, 124). La résistance organique se définit
alors comme « continuatio resistentis » (continuité de résistance) (E,
206)
** La résistance organique est l’élément matériel de la dualité
primitive en quoi consiste la conscience. Avec cette notion Biran
ouvre une perspective entièrement neuve sur le corps. Le corps
s’appréhende d’abord « sur un mode primitif intérieur » comme
étant cette « étendue vague et illimitée appartenant au corps
propre ». De la version remaniée du Mémoire sur la décomposition
de la pensée (1805) jusqu’à l’Essai sur les fondements de la
psychologie (1811-1812) Biran décrit cette «sorte d’étendue
intérieure » (D, 432), cet « espace intérieur du corps propre », ou
encore ce « contenu résistant intérieur », comme une masse une
indivisible soumise à la volonté et non encore divisée en parties
organiques distinctes mobiles (A, 124-125). Il faut donc opposer à la
discontinuité de la représentation du corps, partes extra partes, la
continuité primaire du corps aperçue de l’intérieur de l’effort. « Ce
sentiment de résistance uniforme et continue, inséparable de l’effort
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Signe
* La fonction du signe est le rappel de l’idée.
**Lorsque, par la répétition de mouvements volontaires qui ont
formé des perceptions, le sujet perçoit à nouveau les produits
perceptifs en l’absence même d’impressions directes, il en a les
idées, et ces mouvements deviennent signes naturels de ces idées en
même temps que les marques par laquelle la volonté s’est
manifestée.
Lorsque ces mouvements initiaux sont eux-mêmes étendus par
un « acte réfléchi » à d’autres manières d’être par le moyen des
signes artificiels (de convention), le domaine du rappel s’étend à
d’autres impressions (plus fugitives) et à d’autres mouvements
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pas non plus constituée par le signe. C’est au contraire le signe qui
suppose l’aperception et c’est exactement sur le modèle aperceptif
que le signe acquiert ce pouvoir réflexif de faire entrer le multiple
dans l’unité : le moule de toute langue « c’est l’esprit humain » (E,
430).
Troisième vie
* La troisième vie est la vie spirituelle qui, au travers de
l’expérience de la grâce, tend à « l’absorption en Dieu par la perte du
sentiment de moi et l’identification de ce moi avec son objet réel,
absolu, unique » (DEA, 322).
** La science de l’homme a trois cercles : la vie animale
simple, la vie humaine double, la vie spirituelle ou troisième vie dont
le principe est la grâce. (DEA, 26). La psychologie, seule base réelle
de la connaissance commence et finit avec le moi, dans la seconde
vie. La vie machinale du corps et la vie spirituelle, où l'esprit
purement réceptif se dégage du registre personnel pour s’absorber
par amour et passion en Dieu, sont en réalité symétriques. Car la
physiologie et la théologie dépossèdent le sujet de son activité : "Les
deux extrêmes se touchent; la nullité d'efforts ou l'absence de toute
activité emporte la nullité de conscience ou du moi, et le plus haut
degré d'activité intellectuelle emporte l'absorption de la personne en
Dieu ou l'abnégation totale du moi, qui se perd de vue lui-même"
(Journal, II, 188).
***Alors que la première philosophie de Biran aura cherché à
donner une physiologie de la pensée, sa dernière philosophie sera
tentée par une théologie de la pensée, ce qui au fond revient au
même : objectiver la pensée, absolutiser la pensée, déposer le moi
dans le matériel ou l’immatériel, dans le corps ou en Dieu. « C’est
ici que les systèmes physiologiques et théologiques, tout éloignés
qu’ils paraissent, peuvent se rejoindre dans une même idée, à savoir
celle d’une force indépendante de la volonté » (Journal, II, 318).
Sans aucun doute à partir de 1818, le sentiment d’un exercice de la
liberté de plus en plus difficile (une vraie crise morale) pousse
Biran vers la théologie et la religion, vers la recherche d’un point
d’appui fixe et absolu. Mais c’est aussi sa force philosophique que
d’avoir senti et dit tout ce que cette recherche a d’inconciliable avec
les principes de sa psychologie : l’inclination théologique ne
supprime pas les lois élémentaires de la psychologie. "Changez cet
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