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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

La version définitive de ce Vocabulaire de Maine de Biran est


parue chez Ellipses en 2000.

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Œuvres et Abréviations

Les abréviations et la pagination renvoient aux tomes des


Œuvres de Maine de Biran publiées chez Vrin.
A l’exception de l’Essai sur les fondements de la psychologie
et sur ses rapports avec l’étude de la nature, édité par Pierre
Tisserand, librairie Felix Alcan, Paris, 1932 ; et du Journal, édité par
Henri Gouhier, 3 vol., La Baconnière, Neuchâtel, 1954-1957.

___ Ecrits de jeunesse


I Influence de l’habitude sur la faculté de pensée
D Mémoire sur la décomposition de la pensée
A De l’aperception immédiate
Dis. Discours à la société médicale de Bergerac
RPM. Rapports du physique et du moral de l’homme
E Essai sur les fondements de la psychologie et sur
ses rapports avec l’étude de la nature
RSP Rapports des sciences naturelles avec la
psychologie. Ecrits sur la psychologie.
NC Nouvelles considérations sur les rapports du
physique et du moral de l’homme. Ecrits sur la physiologie
DMR Dernière philosophie : morale et religion
DEA Dernière philosophie : existence et anthropologie
CI Commentaires et marginalia, XVIIe siècle,
___ Commentaires et marginalia, XVIIIe siècle
C3 Commentaires et marginalia, XIXe siècle.
___ L’homme public
___ Correspondance

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Présentation
Les signes, les mots sont des « monuments fixes » de la langue.
Tout le problème est de les remettre en mouvement, de revenir aux
actes de pensée qui les créent, à l’activité libre qui leur donne vie et
chair. Trop souvent, nous dit Biran, on a confondu la pensée avec
des images, des symboles, des schémas ou des sensations. On a
pensé que ces mots-concepts devaient représenter et nous faire voir
quelque chose ou encore exprimer quelque sensation. Mais la pensée
n’est pas dans ces images, ces signes ou ces sensations : elle est
l’activité de conscience qui produit tous les concepts par quoi nous
réfléchissons le sens de notre existence et par lesquels nous
configurons le sens du monde. En trouvant dans la sphère de
conscience ce plan d’immanence de tous nos actes de pensée,
sphère d’où rayonnent aussi toutes les lignes signifiantes qui
supportent notre représentation (perceptive et scientifique) du
monde, Biran a ressaisi à sa racine la genèse des idées clés de la
philosophie : cause, substance, force, liberté, nécessité etc.
Le sens intérieur des concepts doit toujours être conquis contre
leur sens figuré. C’est pourquoi Biran ne cesse de revenir à l’acte de
naissance du concept, c’est-à-dire à la naissance même de l’acte qui
le crée. Le Vocabulaire de Biran a l’aspect d’une immense répétition
qui vise à refonder dans les actes de conscience le sens intérieur des
concepts philosophiques. Comme ceux-ci sont toujours sur le point
de se momifier dans la langue, de se dénaturer dans de mauvaises
représentations, elle combat par une écriture recommencée
indéfiniment et par une mise en variation continue des concepts le
devenir-image de la pensée qui tend à dominer notre modernité. De
ce recommencement, on trouvera ici la trace car chaque concept a
plusieurs genèses, qui sont autant de variations sur un même thème,
autant de manières de refonder son sens. Plus encore, tous les
concepts sont la répétition multiforme d’un même et unique acte
fondamental : l’effort en quoi consiste la pensée corporée. La
philosophie biranienne ne s’est pas voulue autre que cet effort
interminable par lequel la pensée se ressaisit dans son élément
propre, à rebours des fausses images qui la hantent. Elle n’a pas

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voulu être autre chose que la mise en évidence de cette activité de


pensée, libre et inaliénable, par laquelle le sens prend corps pour
nous.

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Le Vocabulaire de Maine de Biran

Absolu
*Ce terme désigne ce que les « êtres sont en eux-mêmes dans
l’absolu », hors de la conscience (RSP, 53).
** La philosophie biranienne naît du partage entre relatif et
absolu qui est aussi bien l’opposition entre sujet et objet. La
conscience n’est autre en effet que le rapport entre volonté et corps
propre et c’est pourquoi elle est essentiellement relation entre deux
termes hétérogènes. Ce qui est irrécusable, évident par soi, c’est
cette vie de relation en quoi consiste le sujet pensant, libre, existant.
Par contre, ce qui n’est jamais donné en quelque manière que ce soit,
c’est l’existence absolue, sans faille, sans fêlure, objective. Toute la
subjectivité s’enracine dans cette relation primordiale et on ne
trouvera aucun concept portant sur la subjectivité qui ne plonge dans
l’immanence de cette relation pour en livrer le sens intime : effort,
dualité primitive, aperception, existence, conscience, personne,
idées, facultés actives etc. Chacun de ces concepts dit cette
immanence à la fois une et hétérogène, la même et pourtant distincte,
cette différence en acte de la volonté et du corps dont dérive toute
notre vie intellectuelle et morale.
En revanche, l’absolu désigne toute réalité en soi, hors de la
conscience. Les problèmes de la métaphysique sont nés de ce qu’elle
a cru pouvoir partir d’existences absolues hors du moi. En
particulier de cet « être absolu de l’âme substance » (RSP, 85). La
métaphysique n’a pas pris garde à l’ordre de la connaissance parce
qu’elle n’a pas fait attention non plus à ce qui sépare l’absolu du
relatif : « Ces métaphysiciens confondent perpétuellement l’âme,
chose en soi, objet absolu de croyance, avec le moi sujet relatif de la
connaissance » (RSP, 85). Or, la seule voie pour penser est de partir
du donné, c'est-à-dire « du témoignage du sens intime, seul critérium
que nous ayons de la vérité métaphysique » (RSP, 79). Force est de
constater que l’absolu n’est jamais donné. Nous ne faisons jamais
l’expérience de l’absolu, nous ne nous connaissons pas absolument

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comme si nous étions des choses, nous ne connaissons rien


absolument. Dès que nous connaissons, le sujet est déjà là et l’absolu
est déjà relatif. Penser l’absolu implique contradiction : « Ce qu’on
appelle absolu cesse d’être tel pour nous dès que nous y pensons »
(RSP, 91). C’est la philosophie cartésienne qui aura le plus
fortement contribué à nous faire confondre l’absolu et le relatif, « la
vérité de fait : je pense et la vérité absolue : je suis une chose
pensante », l’existence individuelle et le sujet-chose (absolu, logique
et abstrait). Ainsi s’est ouverte la possibilité de parler de la pensée
et du sujet comme d’une chose-substance qu’on peut représenter
objectivement et dont la vérité est hors de l’expérience subjective :
objet matériel (physique) ou objet invisible (métaphysique et
théologie). Un pas de plus et on se dira que la substance est toujours
sous « raison de matière » ; alors le matérialisme dont le
cartésianisme « était gros » absorbera la métaphysique (DEA, 81).
*** La force de la philosophie biranienne est de refuser
d’ancrer la pensée dans l’absolu et le substantiel. Il y a un
commencement assignable de la pensée : il consiste dans la relation
d’effort. Jamais Biran ne changera sur ce point : le relatif est avant
l’absolu. Savoir pourquoi nous croyons à des choses absolues est
certes une question philosophique majeure (voir Croyance) mais qui
ne modifie en rien l’ordre de la connaissance : toute connaissance
part du moi (et donc du relatif) et toute notion absolue ne peut être
qu’une croyance qui en dérive. A ce double titre la philosophie de
Biran opère une critique puissante de la notion de substance en
même temps qu’elle fait tomber de son piédestal la notion centrale
du champ métaphysique et théologique : l’absolu.
Abstraction
* Biran note la pauvreté de la langue psychologique qui utilise
le même mot (« abstraction ») pour des usages bien différents. Or,
« abstraction » n’a pas le même sens selon qu’il s’agit de la
perception, de la réflexion ou de la croyance. Abstrait signifie certes
séparer mais la précision psychologique demande qu’on distingue :
abstraction modale ou passive, abstraction réflexive ou active,
abstraction réalisée ou objective.
** L’abstraction modale ou passive conduit aux idées
générales. Elle sépare les qualités sensibles des objets puis établit
des rapports d’identité, d’analogie ou de ressemblance qui sont

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autant de classements artificiels : « C’est ainsi que le terme abstrait


devient général » (C3, 237). Mais les sciences physiques et
naturelles, qui n’établissent que des rapports de comparaison et de
ressemblance entre qualités secondaires « jusqu’à ces rapports très
généraux appelés lois » embrassant la nature toute entière en un seul
« phénomène généralisé » (E, 422), sont incomplètes et illusoires.
L’abstraction réflexive sépare le sujet de tout ce qui n’est pas
lui, à savoir de toutes les qualités secondaires sensibles et
transitoires. Elle remonte ainsi jusqu’au fait primitif et y découvre
les idées simples réflexives d’un, de cause, de liberté, de substance,
d’identité etc. inhérentes au sujet de l’effort. Le moi "faisant
abstraction de tout ce qui n'est pas lui, (…) abstrait en même temps
les notions qui sont inséparables de son être propre et individuel"
(RSP, 44). C’est sur ces idées que se construira la métaphysique
nouvelle.
L’abstraction objective a deux moments. Elle sépare dans le
sujet les deux termes de la relation, volonté et corps et en fait des
inconditionnés (déduction). Elle réalise ensuite ces absolus hors du
sujet : elle en fait des objets de croyance (induction). Après avoir
séparé le fait primitif des modes transitoires par réflexion, le sujet
peut donc aussi séparer chaque terme du fait primitif de sa condition
pour en faire un absolu. En séparant par exemple la cause de son
effet, « il concevra une force absolue qui n'agit pas, mais qui a en
elle-même la possibilité d'agir" (RSP, 119). Dès que le la relation est
brisée, l’absolu surgit comme étant déduit du fait primitif.
Deuxième opération : ce qui a été conçu comme un
inconditionné (âme absolue-corps absolu) est transporté hors de la
sphère subjective (induction) et devient objet de croyance. La notion
qui correspond à une telle croyance se définit donc : « ce qui reste
quand on sépare de ce qui est connu par le moi comme lui
appartenant en propre, ce qui est connu ou cru appartenir à l’âme
telle qu’elle est hors du sentiment du moi ou de la pensée », ou ce
qui est cru appartenir au corps en soi. (RSP, 119). Les notions
d’âme-substance-immatérielle et d’étendue-substance-matériel
résultent de cette induction-réalisation hors du moi. On comprend
que ce que Biran nomme « notion » soit « la dernière des
abstractions à laquelle l’esprit humain puisse s’élever ». Ce que
Biran nomme « notion » est cette dernière abstraction après la

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

modale, la réflexive (RSP, 112), après encore la séparation absolue


des deux termes, à quoi s’ajoute leur réalisation. Réaliser une
abstraction consiste à la transporter hors du moi et toutes les notions
sont des "abstractions réalisées" (RSP, 118
*** Séparer a donc un sens passif, actif, objectif. Biran a retenu
du Kant de la dissertation de 1770 qu’il faut éviter « la très grande
ambiguïté du mot abstrait ». On notera que l’abstraction réfléchie est
la seule qui soit conforme à la vie psychologique : on ne peut en
effet mettre sur le même plan l’abstrait passif (abstractus) par
lequel l’attention désolidarise artificiellement une qualité d’un tout
et construit des collections arbitraires et le sujet qui fait abstraction
activement (abstrahens) de ce qui n’est pas lui. Car le sujet ne se
conçoit pas comme une partie séparé d’un tout mais comme une
identité indécomposable et première. Il est impossible que « le sujet
qui abstrait (abstrahens)" puisse "se prendre lui-même pour la chose
ou l'objet abstrait" (RSP, 45). On ne peut non plus mettre sur le
même plan l’abstraction active et l’abstraction objective car cette
dernière place à nouveau le sujet hors de lui-même : le sujet ne
saurait se connaître comme absolu même s’il peut toujours croire à
l’absolu de son âme ou de son corps.

Affection
*« Nous comprenons sous le titre général d’affections tous ces
modes simples et absolus du plaisir et de la douleur, qui constituent
une vie purement sensitive ou animale hors de toute participation du
moi » (E, 277).
Le résultat de l’analyse des facultés de l’être sentant et pensant
conduit progressivement Biran à distinguer chez le sujet sentant et
pensant quatre « classes de modifications » essentiellement
différentes et quatre « systèmes » qui leur correspondent, affectif,
sensitif, perceptif, aperceptif.
Le système affectif ou sensitif simple « comprend toutes les
affections internes ou externes de la sensibilité sans le secours de la
volonté ou la participation active du moi ». (A, 138).
** Biran découvre "une classe entière de facultés passives
exclusivement subordonnées aux impressions ou qui ne se
développent qu'avec elles et que par elles" (E, 277-278). Il y a une
vie affective en deçà de toute conscience et qui reste insaisissable

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par la conscience. La sensibilité passive est en effet "hors de toute


relation au moi et de toute relation connue à des existences
étrangères" (E, 277). L’on peut donc vivre et être affecté « sans
connaître sa vie propre » (E, 279). C’est pourquoi la vie affective est
aussi chez l’homme de l’ordre de l’impersonnel et de
l’irreprésentable, les affections se trouvant, « par leur nature hors du
système de la connaissance" (E, 279). Les affections forment la
trame d’une vie qui « opère en nous sans nous » et dont il ne peut y
avoir « qu'un sentiment vague », « sorte d'existence intérieure que
nous pourrions appeler impersonnelle puisqu'il n'y a point encore de
personne ou de moi capable d'apercevoir et de connaître". (E, 288)
Cette vie affective donne toutefois la tonalité de base de notre
existence. Qu’est-ce que notre tempérament si ce n’est en effet
l’enchaînement des affections variables qui s'impose à nous comme
un « destin » (E, 291) ? Comme "tout retour nous est interdit" sur ces
affections, nous voici placés devant "la partie de notre être sur
laquelle nous nous sommes le plus totalement aveuglés" (E, 291).
Maine de Biran disait déjà dans le Mémoire sur la décomposition de
la pensée : "Cette physionomie n'a point de miroir qui puisse la
réfléchir à ses propres yeux, ou la mettre en relief hors d'elle-même"
(D, 29) Il dira encore dans les Rapports du physique et du moral de
l'homme que l'âme sensitive « n'a point de prise pour se saisir sous
aucune de ses formes variables et disparaît à l'instant même que le
moi veut l'approfondir, comme Eurydice qu'un coup d'œil rejette
parmi les ombres » (RPM, 128). De cette situation « vient
l'impossibilité où chacun se trouve de connaître à fond ce qu'est un
de ses semblables comme vivant et sentant et de manifester ce qu'il
est en lui-même » (D, 29).
*** La description de la vie affective nous met-elle sur la voie
d’un inconscient psychologique ? Comme l’affection pure est hors
de la conscience, il n’y a évidemment pas d’inconscient
psychologique : la conscience est toute la psychologie. Par contre la
vie affective nous met sur la voie d’un inconscient organique. La vie
psychologique est sans cesse traversée par « l’étrangeté » de ces
affections obscures (répugnances, attraits, sympathies, bizarreries
etc.) qui, bien qu’elles soient formées hors du moi et se « trouvent
par là même hors de la chaîne de notre existence aperçue », influent
sur « l’état actuel de l’être sensible et intelligent » (E, 305).

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Cependant, les traces plus ou moins vives que ces affections ont
laissées dans la vie organique sont étrangères à toute conscience et à
tout souvenir conscient : elles ne «peuvent s’y réunir
(qu’)accidentellement en vertu de quelque association fortuite »
comme le montrent les rêves. Les états de délire, de manie, de
mélancolie etc. manifestent au dernier degré la persistance opiniâtre
de ces traces et leur enchaînement spontané. Dans la sphère de
l’inconscient sensible et vital, les affections pures ne sont ni la
personne, ni le moi, ni la pensée. Elles sont la vie sentante,
impersonnelle et aveugle, où on ne trouve ni temps, ni souvenir, ni
mémoire, bref la vie, insensible au moi, de l’organique.
Analyse
* L’analyse est une méthode d’investigation des facultés de
l’homme en vue d’aboutir à leur division. « L’analyse ou la division
naturelle des facultés de l’homme comme être organisé, vivant,
sensible et intelligent sera toujours un des problèmes les plus
importants et les plus difficiles dont la philosophie ait à s’occuper »
(Dis, 48)
** Deux principales sortes d’analyse sont envisageables
lorsqu’on traite de la science de l’homme. L’homme est « un être
mixte, infiniment composé » qui se définit par une multitude de
facultés différentes comprises en quatre ordres différents (ordre
physique, ordre physiologique, ordre psychologique, ordre des
facultés pratiques et d’application à la base de l’économie, de la
morale etc.) Chacun de ces ordres, où la variété des points de vue sur
l’homme est pourtant extrême, est une science. Malgré cette grande
complexité en chaque ordre, la division des sciences de l’homme se
calque sur la « nature mixte » de l’homme. C’est pourquoi « la
science unique qui a l’homme pour objet » se diffracte finalement en
deux points de vue essentiels, en deux analyses principales et très
différentes : l’analyse physico-physiologique, l’analyse
psychologique pure et pratique (moi, morale, culture).
Ces deux types d’analyse ou de méthode sont sous la
jurisprudence de deux facultés qui travaillent en un sens opposé, ce
qui explique leurs résultats irréconciliables : « L’imagination, qui se
représentant ce qui est hors de nous, s’attache exclusivement, dans
la formation de ses tableaux, à ce qui peut se voir, se toucher, se
décrire, et la réflexion qui se concentrant sur ce qui est en nous,

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

s’attache tout entière à ces modes les plus intimes, qui n’ont point,
hors de la conscience, de signe de manifestation, ni d’objet ou
d’image qui les mette dans un relief sensible. De là donc, deux
analyses ou deux méthodes de division essentiellement distinctes : la
première représentative et descriptive, c’est celle qui est propre aux
sciences anatomique et physiologique ; la seconde purement
réflexive, qui doit être exclusivement employée dans la science
propre des idées et des facultés du sujet pensant» (Dis, 50).
*** La concentration psychologique s’oppose à l’extériorisation
physico-physiologique. Ce sera la conviction essentielle de Biran,
une idée qu’il n’abandonnera jamais et par laquelle il préservera
continûment le sens la pensée de la menace de l’image. Alors que
l’analyse psychologique tend à individualiser en ramenant au sujet
simple et un, « force tout en dedans », l’analyse physiologique tend à
diviser en renvoyant vers l’objectivité composée ; cette dernière
s’offre aux sens externes semblablement à «une machine dont on
peut percevoir séparément les pièces, les ressorts ou imaginer les
mouvements ». Lorsque l’analyse physiologique s’applique alors à la
pensée, elle cherche à la traduire en symboles physiologiques, à la
décomposer. Pour elle analyser veut dire ex-pliquer et expliquer
consiste à traduire en images, par conséquent à décomposer en
figures, en espace, en lieux, "comme si un fait primitif avait besoin
d'être expliqué, et pouvait se représenter ou se transformer en images
sans changer de nature ou sans perdre sa nature de fait intérieur »
(DEA, 34).
Biran oppose donc radicalement les deux types d’analyse :
"L'analyse physiologique tend toujours (..) à décomposer des
fonctions considérées comme mouvements, et à les localiser dans les
sièges ou organes particuliers, en qui et par qui seuls, elles peuvent
être conçues; l'analyse idéologique ou intellectuelle ne décompose
jamais à proprement parler : les phénomènes intérieurs à qui elle
s'applique n'ont aucune analogie avec des mouvements conçus dans
l'espace. Avec elle tout tend essentiellement à se simplifier, à
s'individualiser; et l'idée de siège, de lieu se trouve nécessairement
exclue de toutes les notions sur qui elle peut s'exercer, comme de
tous les résultats auxquels elle peut atteindre" (Dis, 50)

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Aperception interne immédiate


* L’aperception interne immédiate est « ce sens de l’effort
immanent qui est le fond même de la vie de relation » et qui
constitue notre « existence personnelle » (DEA, 16). L’aperception
interne immédiate se rattache « au sentiment d’une force
hyperorganique appliquée à une résistance vivante organique (A,
153). Il existe donc un fait attesté par la conscience qui est
« l’aperception interne immédiate interne du moi, un simple,
identique, sujet réel, actuel et non point abstrait ou possible de tous
les modes de l’existence, toujours présent à lui-même comme
personne individuelle sans se concevoir jamais d’abord comme une
chose, sans pouvoir jamais se représenter ou s’imaginer de dedans en
dehors » (RSP, 236)
**L’aperception interne immédiate est le sentiment interne de
l’existence du moi individuel. Un tel sentiment est donné dès qu’il y
a saisie corrélative et immédiate de l’effort et de la résistance
organique. Nous touchons par cette aperception à un plan
d’immanence radicalement premier où le moi s’aperçoit existant
mais sans que cet état de conscience enveloppe encore aucune
sensation, perception, représentation ou réflexion. L’immanence
désigne ici cette sphère d’évidence personnelle et subjective où force
hyperorganique et corps propre sont liés en un même sentiment
existentiel. Elle signale la naissance du sujet à lui-même, l’apparition
de la conscience intime du sujet par un acte d’effort inaliénable et
intraduisible. Cette aperception où le sujet se reconnaît inclut une
temporalité propre constitutive du sentiment de l’identité subjective,
de sa permanence et de sa durabilité. « Le moi s’aperçoit donc
primitivement : (…) dès que le temps commence pour lui, ou qu’il
sent son existence liée à l’ordre des successifs, il se reconnaît et
s’entend lui-même comme un être identique permanent et durable »
(DEA, 217).
***On remarquera que dans l’aperception interne immédiate, le
sentiment d’existence enveloppe aussi bien la force-active que le
corps propre : « Le moi ne peut exister pour lui-même sans avoir le
sentiment ou l’aperception immédiate interne de la coexistence du
corps » (E, 382) Il est par conséquent inutile de vouloir montrer
l’existence du corps. Il est non seulement inutile mais absurde de
vouloir prouver par la raison que le corps existe alors que le

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

sentiment d’existence du moi enveloppe le corps propre. Prouver


une existence est en effet impossible ; l’existence du corps propre
immédiatement sentie ne peut aucunement être représentée
objectivement, ou encore être saisie par des images à la manière
d’une chose. Dès qu’il y a aperception, l’existence du corps est
donnée. La conscience est ainsi toujours conscience corporée.
L’aperception interne immédiate n’inclut pour cette raison aucun
« mode de connaissance extérieure et objective du corps » (E., 382)
mais une conscience intérieure, immédiate et subjective du corps.
Pour cette raison encore, l’expérience aperceptive prend
simultanément la forme du temps (activité) et la forme de l’espace
(corporéité) : « L’espace est comme la forme inséparable de
l’aperception immédiate du terme organique sur lequel la volonté se
déploie, et le temps est la forme même sous laquelle le moi existe en
s’apercevant qu’il agit » (RSP, 203).
Par opposition, l’aperception médiate externe désigne toute
aperception qui inclut une matière externe (et non l’espace interne
du corps) comme c’est le cas dans la perception.

Attention
* « J’appelle attention ce degré de l’effort supérieur à celui qui
constitue l’état de veille des divers sens externes et les rend
simplement aptes à percevoir ou à représenter confusément les
objets qui viennent les frapper. Le degré supérieur dont il s’agit est
déterminé par une volonté positive et expresse qui s’applique à
rendre plus distincte une perception d’abord confuse » (E, 352). A
cette confusion s’oppose donc la clarté représentative de l’attention.
** L’attention est un effort de la volonté appliquée aux
« sensations représentatives déjà coordonnées dans l’espace et le
temps » qu’elle s’attache à distinguer, éclaircir, ordonner. « Le
pouvoir de l’attention consiste donc à fixer les organes mobiles à
volonté, comme l’ouïe, le toucher, sur l’objet présent » et à rendre
son intuition plus claire (E, 354). Chacun fait facilement la
différence entre sentir et odorer (odorat actif), goûter et savourer
(goût actif), plus encore entre voir et regarder (vision active), écouter
et entendre (audition active), sentir passivement (tact) et toucher
activement : comment aurions-nous seulement l’idée claire d’un
corps étranger hors de nous comme de l’espace qui le constitue sans

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

le toucher actif ? Celui-ci nous signale l’existence d’une force


étrangère par « la représentation d’étendue tactile associée au
surcroît d’inertie ou de résistance invincible que l’individu ne peut ni
attribuer à ses organes, ni sentir comme le résultat direct de son
effort » (E, 375).
Se fixer sur l’objet, telle est la tâche de l’attention dont le travail
est uniquement de mieux représenter l’objet présent. Etre fixé par
l’objet voilà le résultat de l’attention car le sujet ne s’y aperçoit plus
que dans le résultat perceptif de son acte : « Accoutumés et
nécessités par notre nature d’êtres sentants à diriger sur eux (les
objets extérieurs) toute notre attention, nous finissons par leur
attribuer ce qui nous appartient en propre, et même jusqu’à l’action
qui nous les soumet » (E, 234).
***L’attention est la faculté symétrique de la réflexion. A
l’occasion d’une perception quelconque, la réflexion ramène le sujet
à l’acte qui la crée tandis que l’attention fait que le sujet s’oublie
dans le résultat perceptif. Il entre donc nécessairement de la passivité
dans l’attention : elle réside dans l’oubli de l’activité du sujet. A la
présence objective et représentable de l’objet fait face la durée
irreprésentable et subjective, mais première, du sujet. A l’oubli du
sujet répond la mémoire de ses actes en quoi consiste sa
personnalité.

Conscience
* La conscience naît de la mise en rapport ou en relation
d’effort de la volonté et du corps propre : « le fait relatif de
conscience » est « l’effort qui réunit indivisiblement matière et
forme » (D, 74) ; « La vie de relation ou de conscience a son
principe dans l’effort voulu » (E, 277)
Qu’ajoute cependant le terme de conscience à l’idée stricte de
rapport ou de relation d’effort ? Dès lors que le rapport subjectif est
constitué, que le sujet est compos sui, il est aussi cum scientia. Le
sujet existe et se sait exister dans le même moment : « Dans le moi la
science et l’existence sont identiques» (C3, 218)). La conscience
signale alors l’évidence et la certitude de la présence du sujet à lui-
même qui « n’existe pour lui-même qu’en tant qu’il se connaît »
(C3, 218). Le sujet a, par évidence totale, une science immédiate de
lui-même comme existant, pensant, moi, personne libre.

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

La conscience n’est autre que cette « lumière propre et


intérieure », cette évidence supérieure, qui est au même titre
conscience de soi (conscium sui), connaissance de soi (RPM, 108),
existence, pensée. « La conscience du moi constitue le fond de tout
ce que nous pouvons appeler une pensée (…) : exister (pour soi-
même), s’apercevoir ou connaître qu’on existe, penser, voilà autant
de synonymes qui peuvent être substitués l’un à l’autre sans rien
changer au fond des idées » (RSP, 89).
** Dans la relation d’effort, le sujet se sait exister : la
conscience est existence : « Avoir conscience de soi c’est exister
pour soi, mais être une chose ou une substance en soi, n’est pas
exister pour soi-même, ou se sentir exister.. »1. Dans la relation
d’effort, le sujet se sait immédiatement sujet individuel : la
conscience est individualité : « La pensée primitive n’est autre que la
conscience de l’individualité personnelle et exprimée par le mot je »
(DEA, 13). Dans cette même relation d’effort, le sujet se sait être
une personne libre ou un moi. La conscience est le moi ou la
personne : dès que l’effort est « voulu et senti alors l’homme est une
personne, il peut dire moi et le sentiment de son égoïté n’est autre
que celui de sa liberté de mouvoir et d’agir ». (DEA, 131)). Le sujet
sait encore qu’être pensant et être libre signifient la même chose
libre. La conscience est pensée ou activité libre : « L’homme sujet
pensant, actif ou libre par cela qu’il pense, sait très certainement
(certissima scientia et clamante conscientia) qu’il a en lui ou plutôt
qu’il est lui-même une force qui se porte d’elle-même à l’action sans
y être contrainte… » (DEA, 75).
Même l’âme est une notion qui ne peut s’étendre plus loin que
ce sentiment d’évidence intérieure, que ce savoir immédiat de soi
comme sujet pensant-existant-libre-individu-moi : « L’âme ignore sa
nature ou son essence comme objet ou comme noumène ; et qu’est-
ce qu’il nous est donné de connaître sous ce rapport ? Mais loin
qu’elle s’ignore comme moi, comme sujet pensant primitif de
conscience, c’est au contraire l’aperception la plus claire, la
connaissance la plus évidente qu’elle peut avoir et sans laquelle
même rien ne peut être perçu ou connu au dehors » (RPM, 52). La
conscience est l’horizon même du sujet, sa sphère de savoir et de
certitude, sa réalité existentielle irréfutable, son appropriation intime.

1 Ibidem, p 123.

15
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

*** « En sortant de la conscience, (…) il n’y a plus de science


propre de l’être pensant et de ses facultés » (D, 35). On ne saurait
annuler cette réalité première en la transportant dans la physiologie
ou la théologie. La science physiologique finit là où commence la
conscience (RPM, 116) ; la théologie commence là où la conscience
finit. Il faut donc doublement renverser l’ordre commun : le fait de
conscience devance toute science objective et toute religion, comme
le relatif précède l’absolu, l’existence l’essence, la liberté la
nécessité ou la grâce. Tous ceux qui susbtantialisent les propriétés
conscientes de l’homme ou considèrent qu’il n’est pas essentiel « à
ce principe actif et intelligent de se connaître ou d’avoir conscience
de ses propres opérations pour être et pour agir » (RPM, 30) font
fausse route. Tous ceux qui pensent que l’absolu est donné avant la
conscience aussi. : « Nous reconnaissons dès à présent que toutes les
questions élevées sur la substance même de l’âme ou l’essence du
sujet sont insolubles » (E, 608).
En réalité, la conscience est avant toute science et toute
philosophie. Elle est l’horizon unique et indépassable de la vie
humaine, le point de départ de toute connaissance philosophique ou
scientifique. Être homme, c’est vivre dans l’élément de la conscience
qui n’est ni pure corporéité, ni pure spiritualité, c’est être soi
uniquement dans cet élément et c’est donc aussi subir toutes les
variations internes à ce rapport. La pure conscience de soi qui naît
dans la relation de la volonté au corps peut se détendre et même
disparaître, après avoir passé par mille nuances déclinantes, dans les
états d’exaltation du corps ou dans les états d’extase mystique. Le
sujet y devient extérieur et étranger à lui (alienus), confondu à la vie
du corps ou fusionné à Dieu.

Corps
*Il revient à Biran d’être le premier philosophe à prendre en
compte le rôle du corps dans la genèse de la conscience et de toutes
les facultés intellectuelles. Il distingue trois appréhensions du corps :
le corps propre subjectif qui entre dans la conscience de l’effort ; le
corps objectif de l’anatomiste qui est le corps représenté sous la
forme de l’espace externe ; le corps absolutisé du métaphysicien qui
est la substance passive matérielle hors du moi que je crois être au
fondement de mon corps.

16
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

** Le corps propre est cette continuité de résistance interne à


l’effort et qui ne constitue pas encore un corps organique. Il y a une
appropriation intime de ce corps soumis à la motilité volontaire qui
ne réclame aucune médiation objective : « Le moi ne peut exister
pour lui-même sans avoir le sentiment immédiat interne de la
coexistence du corps : voilà bien le fait primitif. Mais il pourrait
exister ou avoir cette aperception, sans connaître encore son corps
comme objet de représentation ou d’intuition (…) » (E, 381). Dans
la conscience, le corps propre n’est donc pas connu objectivement
mais subjectivement.
Du coup, ce qui pose problème, ce n’est pas tant cette
connaissance et existence intimes du corps, évidentes par elles-
mêmes, mais la constitution d’une connaissance représentative du
corps. Biran veut dénoncer un faux problème : on est amené à nier la
conscience si l’on prend pour donné la connaissance objective du
corps en passant sous silence la présence immédiate du corps à la
conscience c’est-à-dire si l’on prend pour première la représentation
objective du corps alors qu’elle n’est « qu’un phénomène secondaire
et déjà composé » (E, 382). Les philosophes qui sont partis de ce
corps extérieur et objectif ont en effet mis en doute qu’on puisse le
mouvoir par la volonté. Si les moyens d’action (sur les nerfs, les
muscles etc.) de la volonté nous échappent, se sont-ils dits, ne peut-
on en conclure en effet que c’est le sentiment de vouloir qui est
illusoire (Hume)? Mais Biran oppose : « Quelle espèce d’analogie y
a-t-il entre la connaissance représentative de la position, du jeu, des
fonctions des organes, tels que peut les connaître un anatomiste ou
un physiologiste, et le sentiment intime de l’existence qui
correspond à ces fonctions, comme aussi la connaissance interne des
parties localisées dans le continu résistant (…) ? (E, 231).
On doit distinguer deux étapes dans la formation d’une
représentation objective du corps : à l’« étendue intérieure du
corps » purement subjective, s’ajoute une localisation interne des
parties du corps par l’exercice moteur en général, puis des
attributions objectives par l’exercice du toucher actif associé aux
autres sens externes. En premier lieu donc, "le système général
musculaire se trouve naturellement divisé en plusieurs systèmes
partiels, qui offrent autant de termes distincts à la volonté motrice.
Plus ces points de division se multiplient, plus l’aperception

17
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

immédiate interne s’éclaire et se distingue, plus l'individualité, ou


l'unité du sujet permanent de l'effort se manifeste par son opposition
même à la pluralité et à la variété des termes mobiles. En se mettant
hors de chacun, le moi apprend à les mettre les uns hors des autres, à
connaître leurs limites communes et à y rapporter les impressions"
(E, 208-209).
En second lieu, par le toucher actif le corps devient « objet de
représentation ou d’intuition » (E, 382). Le sujet localise
extérieurement les parties superficielles de son corps du fait d’une
double pression, d’une double résistance qui rend simultanément
présentes au moi les parties distinctes. Ce phénomène en chiasme
(touché-senti) n’est évidemment pas le même si la main touche un
corps étranger : la main rencontre une « résistance morte» qui n’est
pas le corps propre et qui ne renvoie pas à un sujet qui se dédouble
et par là se situe. Le toucher actif contribue donc, de l’intérieur du
corps, à nous approprier notre corps : il nous donne une
connaissance locale du corps, plus nette encore si elle se conjugue à
la vue. Mais cela ne suffit pas. Nous faisons la différence, justement
par cette expérience, entre ce « corps qui nous appartient et ceux qui
nous sont étrangers » (E, 384). Une véritable représentation
objective passe par la construction de « rapports de situation et de
distance » qui se fondent sur la coordination des parties dans un
espace tactile et visuel uniforme et impersonnel.
La représentation spatiale de notre corps doit prendre ainsi une
voie externe. L’espace étant la forme de toutes nos représentations
externes, notre corps ne pourra en effet être représenté objectivement
que s’il est représenté spatialement à la manière des autres objets.
Mais qu’est-ce qu’un objet pour nous ? Biran montre comment se
constitue l’idée d’objet. Un objet est d’abord l’unité de résistance
que je saisis comme n’étant pas moi dans la mesure même où elle
s’oppose à mon effort. On ne comprendra pas ce qu’est un objet si
l’on ne remonte pas au rapport simple qui le constitue (rapport moi/
non-moi) et à la formation des idées de qualités premières (étendue à
trois dimensions, solidité, inertie etc.) qui vont servir de base à la
physique et qui sont construites à partir de l’exploration d’une
résistance fixe, hétérogène et opposée au moi. Dès que le moi a
localisé hors du moi une résistance fixe, tous les modes sensibles

18
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

eux-mêmes (couleurs, qualités tactiles etc..) sont attribués à l’objet


externe (E, 395).
On conçoit alors qu’être son corps et se représenter son corps
comme un objet n’a pas la même signification puisque représenter
son corps comme objet signifie le représenter comme étranger et
extérieur à soi. Un pas de plus et nous passons du corps de
l’anatomiste à la croyance du métaphysicien en un corps absolutisé,
noumène extérieur, substance matérielle qui serait le fondement du
corps. Subjectif, objectif, absolu, voilà qui trace le mouvement
d’extériorisation du corps jusqu’à son extériorité pure comme objet
de croyance.
*** Biran n’a pas seulement fait entrer le corps dans la
conscience, il a dérivé toutes les connaissances humaines de la
relation de conscience. Nos facultés intellectuelles résultent d’une
individuation forme-matière opérée à des niveaux différents, et
quelque soit leur niveau, elles incluent ce rapport fondamental au
corps. Pas un acte, pas une pensée, pas une idée qui ne s’esquisse
dans l’horizon du corps. Le sens que prend le monde pour nous
(même au travers de la croyance) est immédiatement solidaire de
notre présence à nous-mêmes comme conscience corporée. L’avoir
méconnu a fait naître toutes les questions impossibles de la
métaphysique.

Croyance
Croire est cet «acte primitif de l’esprit » (RSP, 74) qui attribue
immédiatement à tout ce que nous pouvons apercevoir ou percevoir
une existence absolue (être, substance, ou cause). Comme nous
n’apercevons pas cette existence absolue en elle-même, que nous ne
la percevons pas, que nous n’en avons aucune conscience ni aucune
expérience d’aucune sorte, elle est nommée « croyance ».
** Dans les Rapports des sciences naturelles avec la
psychologie, probablement écrits entre 1813 et 1816, Biran prend en
considération la croyance invincible de « tout homme dirigé par le
simple bon sens » que les choses existent absolument hors de nous.
Il remarque encore que « toutes les doctrines en général, tant celle
de métaphysique que de psychologie expérimentale, prennent pour
point de départ la réalité absolue de quelque être, substance ou
cause» (RSP, 53) et ressent le besoin d’intégrer cette dimension

19
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

objective à sa psychologie. Sa discussion du 7 juillet 1813 avec


Degérando et Ampère l’avait déjà convaincu de la nécessité de
« donner un fondement suffisant à l’existence des êtres, des causes et
des substances hors de nous » (RSP, 221). Toute la difficulté de
l’ontologie que Biran veut adjoindre ici à la psychologie est d’éviter
l’idéalisme qui proclame l’unique réalité du moi sans tomber dans le
scepticisme qui a beau jeu d’opposer à l’idéalisme sa contradiction
avec « les données réelles de l’existence ». Comment justifier
psychologiquement, à partir de la sphère intime, ces notions qui
posent un absolu hors de nous et que tout le monde accepte : être,
cause, substance, force, etc. ?
Pour ne pas ruiner le fondement même de sa philosophie, Biran
doit faire de l’ontologie une conséquence de la psychologie, ce qui
revient aussi à faire de la croyance un principe séparé de la
connaissance intime mais induit de cette connaissance : ce « principe
de croyance ou d’induction première (…) force l’âme à transporter
au dehors ce qu’elle conçoit primitivement en elle ou d’elle-même »
(RSP, 142). Les croyances dont l’esprit humain ne peut se passer, les
notions par lesquelles il leste le monde d’une densité ontologique, ne
sont donc rien de plus que « les résultats primitifs et nécessaires des
lois constitutives de l’esprit humain » (RSP, 68). Chaque sujet induit
de son propre sentiment d’être force, cause libre, subsistant dans
l’effort, consistant dans son corps, existant etc. les notions absolues
d’être, de cause, de substance, d’existence etc. Ces croyances ne sont
pas des connaissances : elles ne représentent rien, ne nous font rien
connaître mais forment l’horizon objectal de la subjectivité. Elles
dessinent pour nous et par nous ce « monde extérieur » distinct de
nous qui doit être progressivement rempli par la connaissance.
*** Ce principe d’induction qui nous commande de croire à des
substances et à des causes hors de nous et qui « se lie
immédiatement au fait primitif de notre existence individuelle »
(RSP, 164) explique que l’on ait pu confondre connaissance et
croyance, relatif et absolu, ou que l’on ait cherché à dériver la
métaphysique de l’ordre absolu. En voulant étendre « les principes
des croyances hors des limites où la nature les a circonscrits » (RSP,
73) la métaphysique d’un Descartes ou d’un Leibniz installe la
croyance à la racine de la connaissance. Mais aucune connaissance
ne peut dériver de la croyance car la croyance n’est pas elle-même

20
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

une connaissance, elle n’est pas elle-même une idée. « Cet absolu en
tant que tel, dont il y a croyance sans idée, ne saurait être l’origine
d’aucune connaissance ou idée » (RSP, 76). En tentant « une
dérivation impossible » de la connaissance à partir de la croyance, la
métaphysique a en réalité inventé des problèmes tout à fait
insolubles. Cependant l’ordre de l’absolu ne saurait en aucune façon
être le commencement de la connaissance : il est cet acte propre à
l’esprit par lequel est tracé son horizon mondain et objectal, sorte de
sphère vide et extérieure d’existentialité à laquelle ne correspond
nulle idée, nulle représentation, nulle connaissance mais qui
supporte virtuellement, à partir du sujet, toutes les lignes actuelles de
la connaissance intérieure ou extérieure.
L’ontologie n’est rien sans la psychologie parce que la seule
existence aperçue, la seule source de connaissance est le moi. Mais
la psychologie a besoin d’une ontologie limitée (la croyance) par
laquelle le corrélat d’un monde s’esquisse de l’intérieur du sujet et
leste sa connaissance d’une densité d’être. Elle la trouve dans le
sujet, dans cette loi de l’esprit qui impose au sujet connaissant de
supposer avant lui (antécédence) un premier principe inconditionné
(prius natura) ou une ratio essendi qui précèdent toute connaissance
acquise. N’imaginons pas toutefois que nous tenons là des « données
primitives in abstracto » : de telles croyances résultent
simultanément du fait concret de l’existence individuelle, de la
séparation par abstraction des deux éléments qui le composent et de
la tendance de l’esprit à réaliser ces termes. Les deux objets de la
croyance sont donc la volonté réalisée en âme-substance (ou en
cause absolue, force absolue, substance active, noumène intérieur) et
le corps réalisé en substance-matière (ou en substance absolument
passive, nature en soi, noumène extérieur) (RSP, 70-71).

Dualité primitive
* La conscience n’est ni forme, ni matière mais
« l’indissolubilité réelle » de deux éléments « distincts mais non
séparés » : la volonté et le corps.
La notion de « dualité primitive » implique une distinction
réelle entre les deux éléments de la conscience et en même temps
une unité réelle de ces deux éléments.

21
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

** Les deux éléments en jeu dans la conscience sont


hétérogènes et inséparables, distincts et unis. L’unité duelle de la
conscience n’est pas décomposable en deux réalités absolues
(matière et esprit). Voilà pourquoi « le sujet est indécomposable», et
c’est pourquoi encore ce que la dualité recouvre est « inexplicable ».
En recourant à ce concept, Maine de Biran cherche à éviter les
faux problèmes de la métaphysique. La métaphysique achoppe sur
« l’union mystérieuse du sujet et de l’objet » et tente par tous les
moyens, après avoir brisé cette unité réelle en deux termes
absolument distincts, de les unir à nouveau. La métaphysique a
inventé le problème du rapport de l’âme et du corps. Elle a fait de la
distinction réelle une distinction substantielle comme si chaque
terme de la dualité était une substance séparée et absolue. Elle a
ensuite essayé de réduire la fracture en dépliant chaque terme sur
l’autre terme. Mais on ne peut séparer dans le moi la volonté et le
corps. Le moi n'est ni corporel ni spirituel. "La dualité primitive (...)
constitue l'existence même du moi" (DEA, 197).
Il est tout aussi impossible d’expliquer cette union à partir de
l’un des deux termes pris séparément. Séparer (dualisme) puis tenter
de ramener l’un des éléments à l’autre (monisme) a été la source de
toutes les erreurs de la métaphysique : tantôt on spiritualise le moi,
tantôt on le matérialise. Pourquoi faire du duel une unité absolue
(principe matériel ou principe spirituel) alors que l’unité de
conscience est une relation ? « Voilà précisément ce qui fait la
difficulté du premier problème de philosophie : on voudrait savoir ce
qu’est en soi dans l’absolu cette cause moi qui n’existe et ne peut se
sentir que comme cause, on voudrait savoir aussi ce qu’est en soi cet
effet qui ne peut exister qu’au même tire d’effet, ou dans son rapport
à sa cause moi (…) (DEA, 244)
***Biran soutient pour ce motif que la dualité primitive ne
s’explique pas, que la raison n’a rien à démontrer à son sujet. Elle est
un fait : "Il ne s'agit point de prouver ce fait" (Essai, première partie,
introduction). Le désir de traduire un élément de la dualité en l'autre
élément de la dualité trahit en fin de compte la volonté de se
représenter objectivement ou absolument la conscience et scelle un
certain destin de la philosophie moderne. Dans ces Nouvelles
considérations sur les rapports du physique et du moral de l'homme
(101), Biran rappelle que l’union est la base indépassable de la

22
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

psychologie : "L'union est un fait primitif : aller au delà est


impossible". La conscience inclut une hétérogénéité irréductible et
c’est de l’intérieur de cette relation entre éléments hétérogènes que
nos facultés actives se forment, que notre pensée s’appréhende.

Effort
*L’effort est la relation causale entre la force hyperorganique et
la résistance organique d’où surgit le sentiment personnel d’exister.
Relation : « Le mode relatif d’effort (…) s’effectuant librement
comprend le sentiment intime d’une force vivante, lié à celui d’une
résistance organique » (D, 362). Existence personnelle : « Dès qu’il
y a déploiement de l’effort, il y un sujet et un terme de dépliement
constitués l’un par rapport à l’autre (…) Sans lui tout est passif et
absolu (..) Avec lui tout se rapporte à une personne qui veut, agit » et
qui conçoit toute existence sur le « modèle de la sienne propre » (D,
138).
** Dans sa correspondance avec Destutt de Tracy, Biran a bien
mis en évidence que l’effort est essentiellement relation. Dire que la
conscience est relation signifie qu’elle n’est jamais donnée comme
un absolu ainsi que la métaphysique le croit. Il faut considérer « le
moi dans la volonté une, ou la même, volonté qui n'est point d'une
manière absolue et abstraite de toute condition, mais seulement dans
la relation à l'ensemble des parties qui lui obéissent, dans un effort
essentiellement relatif, dont le terme, le corps résistant mais
obéissant, et le sujet de la force (qui n'existe comme force consciente
que dans la résistance à son action) sont inséparables et ne sont
constitués que l'un par rapport à l'autre". Biran ne cesse d’insister sur
« la corrélation essentielle », « l’indivisibilité », la « combinaison
intime », le « rapport de coexistence » etc. entre les deux éléments
de l’effort. La relation causale constitutive de l’effort implique que
la cause est sentie dans son effet organique, et que l’effet est senti
dans sa cause hyperorganique, d’une manière indissociable. Mais
cette relation causale peut encore être précisée : la volonté agit sur
toutes les parties du système moteur sous son influence. Ces parties
forment en même temps le terme d’application de sa puissance
(résistance) et la limite de sa puissance (consistance). Tout ce qui est
en dehors de cette relation ne consiste en rien pour le sujet et n’est
pas aperçu comme acte : « Le sens de l’effort que nous pouvons

23
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

appeler aussi le sens de l’aperception immédiate, à l’exercice


spécial duquel nous rattachons le sentiment de causalité et
d’individualité permanente, réside dans toutes les parties du système
moteur, qui, directement influencées par la volonté, circonscrivent le
domaine propre où s’exerce cette puissance. Tout ce qui s’opère en
dedans de ces limites est immédiatement aperçu comme acte ou
résultat d’acte voulu par le moi identique ; tout ce qui est en dehors,
ne dépendant plus de la même puissance, ne s’approprie plus aussi
au même mode d’aperception » (A, 124)
L’effort étant ainsi défini, Biran distingue deux modes
d’exercice de l’effort dans l’Essai : le premier, mode immanent et
continu, est «l’effort non intentionné ». Il constitue « le durable du
moi ou de la personne identique » indépendamment de toute
impression externe ou interne et est présent « dès que la même force
commence à se déployer sur la même inertie organique » (E, 322).
La durée est la trame de cet effort « immanent » car elle est « la
trace de l’effort fluant uniformément » (E, 323) ; en elle s’enracinent
le souvenir et la mémoire. Nous sommes ici à la base de
l’aperception et du sentiment de continuité de notre existence
personnelle.
Il y a en outre un mode ponctuel et actuel de l’effort qui vient
s’ajouter à l’effort immanent constitutif du moi et qui s’inscrit dans
cette durée par des actes intentionnels : la série successive des actes
du moi intentionné est le temps : « Le rapport de succession de ces
manières d’être variées, qui est ce que nous appelons le temps, a
pour premier terme ou pour antécédent nécessaire un sentiment de
durée uniforme qui n’admet elle-même aucune variété, et à laquelle
se réfère tout temps réglé et déterminé » (E, 322). Continuité de la
durée, discontinuité des actes intentionnés ou attentionnés sont les
deux faces de l’effort.
***Par sa philosophie de l’effort, Biran place au centre de sa
démarche l’activité. Aucun des termes de la relation d’effort n’a de
sens absolu en lui-même; il n’en acquiert que par sa relation à l’autre
terme. C’est donc une philosophie de l’activité et de la liberté, de la
durée et de l’existence qui s’affirme contre une tradition
philosophique qui aura privilégié la substance, l’essence et l’espace.

Fait primitif

24
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

* « Tout ce qui existe, (…) ne nous est donné qu’à titre de fait »
(E, 14) ? Notre existence ne nous est elle-même donnée qu’à titre de
fait (et non absolument). Elle est notre première connaissance
(conscience de soi). Le fait primitif demeure premier dans l’ordre de
la connaissance objective car il est toujours enveloppé dans notre
connaissance médiate objective et parce qu’à l’inverse « nous
pouvons avoir cette conscience de nous-mêmes sans la connaissance
d’aucune chose extérieure » (E, 19, note).
**La psychologie ne commence pas par l’absolu. Elle
commence par un fait. Ce fait est la conscience (compos sui ou
conscium sui) qui exprime l’exercice de la même force individuelle
sur le même terme corporel résistant. Aucun des termes (volonté-
corps) n’a de réalité absolue et n’est indépendant de cette relation
d’effort.
La primitivité du fait primitif doit alors s’entendre en quatre
sens : du point de vue de la connaissance, elle signifie l’antécédence
de la conscience (première connaissance) sur tout autre ordre de
connaissance ; du point de vue du sens intime elle signale le fait le
plus intérieur car ce fait se constate sans sortir de l’application
immédiate de la volonté au corps ; du point de vue de la relation
entre les deux termes, elle ramène au rapport le plus simple en tant
que tout rapport perceptif ou représentatif l’inclut comme son
élément formel ; du point de vue de la permanence, elle désigne le
rapport le plus fixe car il est toujours identique à lui-même, étant
« une même force déployée sur un seul et même terme ». Primitif
signifie ainsi : antécédence cognitive du soi sur les choses, priorité
aperceptive de l’intime sur toute aperception mêlant un élément
étranger, préséance du simple sur tout jugement d’extériorité,
précellence de l’identité sur toute variation. (E, 27)
*** Cette quadruple originarité du « primitif » dessine l’horizon
de toute la science des principes en ce sens qu’aucune étude
psychologique ne saurait traiter des notions psychologiques comme
la causalité, l’unité, l’identité, la substantialité etc. sans partir du fait
primitif.

Force hyperorganique
*Il y a une « force sui juris, hyperorganique et sur-animale par
sa nature qui ne peut se manifester en elle-même qu’intérieurement

25
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

et dans son exercice » (DEA, 133). «Cette force hyperorganique


comme hypersensible ne m’étant donnée que dans le sentiment
intime et radical qui accompagne son exercice dans l’effort actuel
que je crée et dans le mouvement phénoménal qui y est lié, je ne
saurais l’imaginer comme la localiser dans aucune partie de mon
organisation matérielle, sans en dénaturer l’idée propre » (A, 110).
**La force hyperorganique est l’élément formel de la dualité
primitive qui s’identifie à la conscience. L’introduction du concept
de force hyperorganique dans le Mémoire sur la décomposition de la
pensée est rendue nécessaire pour Biran au moment où il prend
connaissance des divisions que Bichat fait entre les divers modes de
la contractilité musculaire et de la sensibilité dans ses Recherches
physiologiques sur la vie et la mort. « Nous avons conclu la
nécessité d’admettre une force hyperorganique (…) qui par la
manière même dont elle se conçoit ou se sent doit échapper à toute
représentation ». (D, 426). Bichat confond à tort, selon Biran, la
contractilité animale et la volonté. Il ne distingue pas les
mouvements volontaires qui ne sont pas causés par la volonté mais
par « une réaction sympathique » du cerveau à des passions (alors le
cerveau est passif ou forcé) et la volonté qui se manifeste comme
force propre, sui juris (alors l’action cérébrale suit la volonté). Or,
« La motilité animale opère toujours par une réaction sympathique
tandis que la motilité libre proprement dite est le premier attribut
distinctif et caractéristique de l’homme, dirigé par un principe soi-
mouvant » (DEA,, 135).
Ainsi est tracée la ligne de séparation entre la psychologie et la
physiologie. La physiologie peut monter jusqu’aux contractions
animales mais elle est « obligée de s'arrêter devant les produits d'une
force hyperorganique, sur qui elle n'a aucune prise. » (DEA, 139) Il
est en effet impossible à la physiologie « de reconnaître par aucune
observation des organes externes ou internes quels sont les signes ou
les conditions originelles d’une volonté libre qui ne se manifeste
qu’à elle-même dans son exercice » (DEA., 132). Tout ce que la
physiologie peut faire est de déterminer négativement ces conditions
originelles. A l’inverse la psychologie commence par l’expérience
de quelque chose de plus que le jeu organique, par l’expérience
d’une force intérieure que « nous ne pouvons figurer ou
représenter » organiquement : « Il entre dans l’exercice de la

26
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

volonté appliquée à mouvoir le corps quelque chose de plus que dans


les fonctions de l’organisme nerveux et cérébral ; et ce quelque
chose de plus, sous quelque titre qu’on l’exprime, devra être
considéré comme la part nécessaire d’une force hyperorganique,
laquelle sera au cerveau et aux nerfs (quant à l’initiative et à la
priorité d’action) ce que ces organes sensitifs et moteurs sont aux
muscles contractiles et mobiles » (DEA, 158)
***En recourant au concept d’une force hyperorganique, Biran
trace un partage décisif entre psychologie et physiologie, observation
intérieure et observation extérieure, manifestation sui juris et
conditions organiques et peut conclure : « La psychologie est tout à
fait en dehors des doctrines ou expériences physiques et
physiologiques » (RPM, 105).

Habitude
*Les deux premiers mémoires de Biran sont consacrés à
l’influence de l’habitude sur la faculté de penser. Y sont analysés les
effets de l’habitude sur les sensations d’une part et les opérations de
l’entendement d’autre part. Biran constate que, par répétition et
exercice, les sensations s’émoussent alors que les opérations de
l’entendement se précisent. Les premières sont liées à « un stimulus
intérieur » organique qui monte l’organe à la hauteur de l’excitation
répétée et la rend insensible. Les secondes sont liées à un
mouvement volontaire qui est facilité par la répétition et devient
automatique.
** L’habitude est la pierre de touche de la compréhension de la
génération des facultés. Elle est l'élément génétique de l’analyse des
facultés, « l’épreuve » majeure à partir de quoi on peut faire le
partage entre passivité et activité, entre ce qui revient au principe
vital et ce qui revient à la volonté. D'une part, il y a évanouissement
et dégradation des impressions sensorielles à proportion de leur
passivité (le principe vital se monte à la hauteur de l’excitation qui
finit par ne plus être sentie), d’autre part facilité et promptitude des
perceptions à proportion de leur lien avec la motricité volontaire (le
pouvoir moteur est facilité). L'habitude dégrade ce qui n’est pas en
notre pouvoir et elle renforce par ailleurs ce qui est notre pouvoir.
C’est pourquoi Biran distingue habitudes passives et habitudes
actives. Comme il n'y a que notre faculté motrice qui soit en notre

27
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

pouvoir, toutes nos opérations intellectuelles résultent d’un exercice


de la volonté devenu habituel par répétition motrice ; Biran cite
Bonnet : "Que sont les opérations de l'âme, sinon des mouvements et
des répétitions de mouvements" (I, 126).
***
L’habitude a deux aspects. Positif : principe d’altération,
d’engourdissement et « pour ainsi dire de mort » dans la sensibilité,
elle ouvre cependant le chemin à l’intelligence en rendant toutes ses
opérations plus promptes et plus faciles. Négatif : à mesure qu’elle
rend les opérations de l’intelligence plus faciles, elle efface la
démarcation entre volontaire et involontaire. Ainsi dans la
perception visuelle par exemple, là où un effort moteur joue sur
l’organe sensoriel, l’habitude rend les mouvements moteurs si faciles
et associe si bien une multitude de mouvements que toutes les
impressions se confondent en une « sensation indivisible » de
distance, de couleur, de figure, de forme qui semble revenir de
l’objet externe. Tel est l’effet négatif de l’habitude sur les facultés
actives : elle ramène quasiment la perception à la passivité de la
sensation en dépouillant le sujet de son action volontaire, en lui ôtant
la conscience de son activité. Ne subsistent que les résultats
perceptifs coupés de l’activité volontaire.
Il revient à la réflexion de lutter contre cette érosion de
l’activité propre du sujet. « L’habitude tend sans cesse et dans toutes
les natures à agrandir le domaine de cette spontanéité qui caractérise
ses produits. Elle domine à la fois sur l’instinct animal qu’elle
continue et sur la volonté humaine qu’elle obscurcit et limite. En
rendant spontanés et aveugles dans leurs déterminations les
mouvements ou actes volontaires éclairés par la conscience,
l’habitude les ferait dégénérer en un pur automatisme si l’activité du
vouloir, qui leur imprime d’abord son caractère ne luttait
constamment contre cette force aveugle qui lui dispute l’empire »
(DEA, 163-164).

Homo duplex
*L’homme est « double dans l’humanité, simple dans la
vitalité ».
** Biran emprunte cette notion à l’ouvrage de Boerhaave
Praelectiones academicae de morbis nervorum (1761) où celui-ci a

28
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

cette formule : « homo simplex in vitalitate et duplex in


humanitate ». Il trouve dans cet ouvrage de quoi tracer une
séparation entre les fonctions sensori-motrices en notre pouvoir et
les fonctions vitales qui ne sont pas en notre pouvoir. Dès qu’on
s’occupe d’analyser les facultés de l’homme, force est de reconnaître
que « la science de la pensée n’est pas toute la science des facultés
de l’homme » (D, 45). « L’homme commence à sentir assez
longtemps avant d’apercevoir et de connaître ; il vit dans les
premiers temps en ignorant sa vie » (D, 90). Il y a ainsi en l’homme
des facultés passives liées à l’organisation vitale (à la sensibilité
physique) et qui constituent la « vitalité simple ». Ces facultés sont
l’objet de la physiologie qui peut éclairer le jeu de leurs fonctions.
Au contraire, le fait que le sujet actif puisse naître à lui-même
comme pensant et non plus simplement comme sentant, nécessite
une « science de la pensée » qui prenne en compte les facultés
actives de l’individu. L’homme est donc double dans l’humanité en
ce que « le mode d’existence passive auquel sont probablement
réduits une multitude d’êtres organisés s’allie dans l’homme avec
l’aperception et l’exercice des facultés supérieures » (D, 45). A
l’inverse, nous nous rapprochons de l’état affectif qui constitue
l’existence « d’une multitude d’êtres vivants (…) toutes les fois que
notre nature intellectuelle s'affaiblit ou se dégrade ; que la pensée
sommeille ; que la volonté est nulle ; que le moi est comme absorbé
dans les impressions sensibles ; que la personne morale n'existe plus
; toutes les fois enfin que notre nature, mixte, double dans
l'humanité, redevient simple dans la vitalité » (E, 285-286).
Si la physiologie a donc un rôle précis dans la science de
l’homme, il est de circonscrire d’abord ses propres limites : « En
nous faisant mieux connaître l’homme simple dans la vitalité, sous
l’aveugle et unique impulsion de l’organisme, elle nous conduirait
jusqu’à la source exclusive des déterminations libres et réfléchies qui
constituent hors de sa sphère, l’homme double dans l’humanité » (A,
61). La formule de Boerhaave fait donc apparaître un « sujet
double » objet de deux sciences ; elles doivent trouver leur frontière,
et faire le partage de ce qui revient en l’homme à la force
hyperorganique d’une part, à la force organique de l’autre ; elles
doivent assigner la naissance du sujet pensant et les limites de « ce
qui n’est pas lui ou de lui » (D, 44).

29
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

*** La nature « mixte si mystérieuse » de l’homme ne saurait


être dénouée par aucun moyen rationnel. La métaphysique comme la
physiologie peuvent la constater mais ne peuvent la contester en
tentant, pour l’une, de spiritualiser la force organique, pour l’autre,
de matérialiser la force hyperorganique. « Nous disons que la dualité
se manifeste avec une évidence immédiate par le fait de sens intime
et qu’elle ressort même jusqu’à un certain point de l’expérience
d’une force hyperorganique, sur qui elle n’a aucune prise. Comment
entendre la coexistence de deux forces contraires et opposées dans
un sujet qui sent et meut et agit, qui est à la fois passif et actif ? C'est
là sûrement un mystère inexplicable, car c'est l'homme même qui ne
peut lire du dehors dans le fond de son être, ni se voir lui-même
comme étant lui et un autre " (DEA, 139).

Idée
*L’idée est un acte réfléchi (souvent relié aux signes
conventionnels du langage) par lequel le sujet aperçoit ce qui est en
lui. On distinguera les idées simples de réflexion qui « ne sont que le
fait primitif analysé et exprimé dans ses différents caractères » (E,
219) et les idées abstraites modales où dominent les résultats
perceptifs des diverses opérations du moi.
**Dans la première philosophie de Biran (les deux mémoires
sur l’habitude), l’idée est considérée comme une copie de
perception. Retraçons le mécanisme de production de l’idée. Biran
voit dans le mouvement lié à l’effort une marque par laquelle la
volonté se manifeste. C’est sur elle qu’il faut s’appuyer pour
remettre à nouveau à disposition une impression active. Si un
mouvement est réeffectué pour faire resurgir une perception
quelconque d’objet, il produit une seconde perception (qui
n’enveloppe pas l’impression directe de l’objet sur nous) qui est une
copie de la première perception et que Biran appelle idée (I, 150).
Dans ce cas, le mouvement devient signe de l’idée, il sert à rappeler
l’idée. Par exemple « Le mouvement ou l’effort reproduit dans la
main, lorsqu’elle figure ou tend à figurer le solide, est le signe de
l’idée de forme. Les mouvements vocaux seront aussi les signes des
impressions auditives ou leurs idées » (I, 153) ; les mouvements du
tact et de la vue sont signes des idées distance, d'étendue etc.

30
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Du fait même de cette genèse de l’idée, il y a proximité entre


l’idée et la représentation dans la première philosophie de Biran. Au
travers de l’idée qui est une copie de perception la pensée cherche en
effet à représenter : « L’action de la pensée, en l’absence des objets,
n’est que la représentation de celle qui a été exercée sur les sens par
ces objets » (I, 283). Dans sa première philosophie Biran considère
même que l’intelligence « est toute entière dans la faculté de
représentation » (I, 250). Plus l’idée rappelle alors l’activité que le
sujet a mis dans une perception, plus elle représente, moins elle est
vide ou mécanique. Biran distingue pour cette raison deux sortes
d’idées relativement à l’activité du sujet : soit ce sont les résultats
perceptifs seuls qui sont représentés et nous avons des idées-images.
Soit l’activité volontaire du sujet est enveloppée dans la
représentation et nous avons des idées-copies. On les distingue
aisément en ce que les idées-images peuvent se reproduire
spontanément (imagination) et donc involontairement alors que les
idées-copies ne sont rappelées que volontairement. Toutefois on
notera que, image ou copie, l’idée reste tournée vers l’extérieur : la
perception figurative est la mémoire de l’idée, sa reproduction est
son but.
Dès le Mémoire sur la décomposition de la pensée Biran se
rend compte que l’idée représentative contient en réalité plus de
passivité que d’activité. Les représentations passives de la vue en
sont la preuve. Si, dans l’histoire de la philosophie, le sens visuel a
paru par excellence le sens idéel, c’est en vertu de la confusion entre
réel, idée et image, qui séduira tant l’idéalisme. Il est bien net
pourtant que le déploiement de l’effort est quasiment imperceptible
dans la vision qui semble tout recevoir de la lumière extérieure. Les
représentations visuelles sont en réalité sans « effet de réflexion » :
elles ne sont que des modes où « l’agent qui représente disparaît où
se cache sous la chose représentée » (D, 196). Le tort fut sans doute
de prendre la vue comme type de la pensée et d’accepter la
représentation comme modèle de l’activité. « C’est en ramenant au
sens de la vue les principes et la langue de la psychologie qu’on a pu
être conduit à en exclure les faits de réflexion ou d’aperception
interne et à mettre tout le système intellectuel en représentation,
toute la pensée en images » (E, 367).

31
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

La réalité de l’idée ne peut être comprise à partir de sa fonction


représentative. Il faut même se demander si les idées qui ne
représentent rien en tant qu’elles sont uniquement des actes ne sont
pas finalement les idées les plus fondamentales pour la psychologie.
C’est sur cette question que s’ouvre le Mémoire sur la
décomposition de la pensée : « N’y a-t-il pas des idées propres et
individuelles correspondant à certaines facultés ou modes d’exercice
d’une même puissance considérés hors des résultats sensibles ou
extérieurs » (D, 24).
En prenant conscience de la nature véritable de ces idées
réfléchies qui correspondent aux opérations du sujet, Biran découvre
ainsi ce qui démarque sa propre philosophie du sensualisme et de
l’idéologie : "La pensée n'est pas toute en sensations et en images, ni
en facultés et propriétés réceptives du cerveau et de ses différentes
parties. Les sièges divers des matériaux ne sont pas ceux des
opérations mêmes qui les élaborent, encore moins des idées ou des
sentiments réfléchis qui correspondent à l'exercice de ces
opérations, à des points de vue pris uniquement dans la conscience
du sujet » (D, 43). Force est de reconnaître que tout ne se réduit pas
à des images ou à des sensations : bien plus, « il faut convenir que
tous les modes ou actes dont nous ne pouvons acquérir les idées par
aucune voie, autre que notre intime réflexion, sont absolument
irreprésentables et intraduisibles par de tels moyens » (D, 40).
*** Il fallait distinguer idées simples réfléchies et idées
abstraites modales, opérations et résultats perceptifs d’opérations,
actes et images-représentations. Comment retracer la genèse des
idées si l’on ne part pas de cette activité fondamentale du moi avant
toute représentation ? Et comment réussir cette genèse si on ne voit
pas que les idées qui expriment cette activité sont intraduisibles dans
le langage de la réceptivité passive, de l’imagination ou de la
matérialité : « N'y a t-il pas des pensées, des vouloirs intimes, qui ne
peuvent en aucune manière se lire au dehors, ni se représenter par
aucune sorte d'images? Pour les concevoir, ne faudrait-il pas être
identifié avec la force active et sciemment productive de tels actes,
avec le moi lui-même qui se sent ou s'aperçoit dans ses opérations,
mais ne se voit point comme objet, ne s'imagine point comme
phénomène ? » (D, 326).

32
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Les idées simples de réflexion


* Ce sont les idées obtenues «en réfléchissant sur nous-mêmes,
ou sur le sentiment de notre existence individuelle, comme il arrive
pour les termes : force, cause, identité, etc. » (RSP, 229). Ces idées
simples (cause, unité, identité, liberté, simplicité, permanence, force
etc.) dévoilent le sens que notre existence psychologique a pour nous
et c’est pourquoi elles « n’ont point d’objets qui puissent se
représenter ou se figurer d’aucune manière aux sens externes et à
l’imagination ». C’est sur elles que la psychologie doit se construire
en ce qu’elles entrent « comme éléments subjectifs et régulateurs
dans tout ce que le moi peut connaître hors de lui ou en lui » : elles
sont par conséquent « les éléments véritables de la science des
principes » (E, 265-266).
** Biran montre la « dérivation commune et immédiate du fait
de conscience » de toutes ces idées (E, 265). Le danger est de
confondre ces idées réflexives avec les idées générales alors qu’elles
ne relèvent pas des mêmes facultés : les idées qui sont abstraites de
la conscience par réflexion « conservent la même forme
individuelle » alors que les idées qui sont obtenues par comparaisons
et analogies, en vertu de cette « pente naturelle de l’imagination et
des sens à associer » les objets particuliers en classes et en genres,
restent générales. La réflexion conserve à l’idée son sens individuel,
l’imagination généralise : "Il y a une différence essentielle entre les
idées abstraites réflexives qui nous font concevoir l'un, le simple
dans le multiple, et les idées générales qui comprennent toujours le
multiple sous l'unité artificielle du signe, et ces deux sortes d'idées se
réfèrent à des opérations d'esprit ou des facultés différentes" (E,
428-429).
Les idées simples réflexives sont « toujours individuelles et
simples ». Qu’elles soient séparées par réflexion de toutes les
qualités sensibles variables ne veut pas dire qu’elles sont irréelles ;
qu’elles ne présentent pas d’objet qui puisse se « manifester aux sens
ou se concevoir par l’imagination » ne veut pas dire qu’elles sont
abstraites (E, 428). Ce sont au contraire les plus réelles et les plus
concrètes des idées en ce sens « qu’elles se rapprochent toujours
davantage de l’unité réelle ou de la vérité même du fait primitif de
conscience à mesure qu’elles sont plus abstraites, c’est-à-dire plus
complètement séparées de toutes les qualités sensibles ou

33
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

impressions sensibles dont se composent les objets hors de nous »


(E, 260). La réalité des idées simples de réflexion vient de la réalité
même du fait primitif de conscience : « Les idées abstraites de
réflexion jouissent par elles-mêmes d’une valeur propre et réelle,
indépendante de toute application aux choses du dehors, ou plutôt
qui peut s’altérer par cette application même » (E, 269).
***Les idées simples de réflexion sont « les opérations ou
formes propres sous lesquelles le sujet actif et intelligent s’aperçoit
lui-même » (D, 166). Elles constituent « le fond primitif et naturel
des connaissances de l’individu » (D, 166) qui doit servir de point
d’appui à toute science (E, 265). En dévoilant ce sens originaire que
le monde prend pour nous, Biran renvoie au néant l’explication
métaphysique qui part d’un absolu hors de la conscience. Si l’on
admet que ces idées réfléchies viennent du fait de conscience, si l’on
fait voir que « toute idée de substance, de cause, d’unité etc. prend
son origine dans ce fait ou n’en est qu’une expression particulière,
qu’une forme généralisée dans le langage », que devient la
métaphysique ? « Ne serait-il pas prouvé enfin qu’elle n’est qu’une
chimère ? Et en même temps la psychologie ne justifierait-elle pas
bien ces titres à sa réalité comme science d’un ordre particulier de
faits internes, qui tous viennent se rattacher à un fait premier et
vraiment générateur de toute science ? » (E, 612).

Idée de cause
* Idée simple de réflexion. Le sentiment d’être cause est
intimement lié au sentiment du moi ou fait primitif de conscience.
En effet, « ce fait primitif originaire de toute connaissance, doit être
tel qu’il emporte avec lui le sentiment indivisible de la cause et de
son effet, du sujet et de son mode permanent ». (RSP, 8) L’idée de
cause est donc une idée simple de réflexion.
** Biran rend hommage à deux auteurs d’avoir perçu que le
principe de causalité est la clé de la métaphysique : Ancillon père
(« Le principe de causalité, a dit un philosophe très judicieusement,
est le père de la métaphysique » -E, 225) ; Leibniz («Leibniz a
supérieurement vu que le principe de causalité, tel que nous pouvons
le connaître sans sortir de nous-mêmes, est le grand pivot de toute la
métaphysique »-RPS, 101). En ce principe réside en effet le mystère

34
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

de l’ordre de génération du réel, du commencement de ce qui existe,


d’une première cause.
Toute la question est de savoir si ce principe est réel, formel,
catégorial ou bien encore imaginaire. La réponse de Biran est que ce
principe reçoit toute sa réalité du fait primitif. Nous n’existons pas
sans avoir le sentiment d’être cause. Ce sentiment d’être cause n’est
ni une forme logique, ni un absolu abstrait (catégorie), ni l’ordre
accoutumé de l’imagination. En partant de la forme logique, de la
catégorie abstraite, de l’ordre imaginaire, nous n’aboutissons jamais
en effet à ce sentiment intime d’être cause. Et en voulant confondre
ce sentiment avec la succession physique des phénomènes, nous
dénaturerons « la valeur que ce principe conserve toujours malgré
nous-mêmes au fond du sens intime » (E, 226). L’idée de cause n’est
ni a priori, ni phénoménale : elle a « son type primitif et unique dans
le sentiment du moi » (E, 227).
D’où trois erreurs majeures : faire de la causalité un
transcendant, à savoir une loi a priori de l’esprit (catégorie) ou une
chose en soi (noumène), (Kant); faire de la causalité un « fait connu
par l’expérience » extérieure, c’est-à-dire un fait d’habitude illusoire,
(Hume ; E, 229) ; faire de la causalité l’ordre de succession des
choses, (sens commun). Trois manières de supprimer l’activité du
moi et de dissimuler l’origine réelle de l’idée de cause. Or une telle
idée ne saurait être figée dans l’absolu, bloquée dans l’extériorité,
saisie par représentation sans perdre tout son sens relatif et intime :
« L’effort ou le mouvement n’est représenté qu’autant que nous
nous séparons entièrement de l’être auquel nous l’attribuons ; ainsi
par cela même que le dernier est connu comme objet ou phénomène
étranger, il ne peut être senti dans sa cause, ni par conséquent sa
cause ne peut être senti comme en lui ou comme il est lui-même »
(E, 232).
*** Ni le physicien, ni la métaphysicien n’ont compris l’origine
de l’idée de cause. Ils ont senti qu’ils avaient besoin de cette idée,
comme l’homme de bon sens. Mais ils ont cru qu’il fallait la
représenter phénoménalement (succession dans l’ordre expérimental,
RSP, 33) ou absolument (cause en soi) alors qu’on ne peut s’en faire
aucune « idée représentative ou image » (RSP, 32), qu’ici
« l’imagination n’intervient pas », « que la cause ou force productive

35
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

quelle qu’elle soit, n’est pas de son ressort ou ne saurait jamais être
représentée » (E, 35).
La métaphysique se reconnaît à sa confusion perpétuelle du
relatif et de l’absolu, « de la chose en soi, objet de croyance, avec le
moi, sujet relatif de la connaissance » (RSP, 85). La nécessité pour
l’esprit de dépasser la succession phénoménale et de remonter
jusqu’à un terme supérieur à la série, premier commencement (prius
natura), cause absolue, aurait dû lui faire soupçonner que le
problème n’était pas de se faire une représentation de la cause,
physique ou métaphysique, mais tenait à la nature même de notre
esprit. Elle aurait dû comprendre « que nous avons d’autres facultés
que l’imagination qui, si elle était seule, ne s’élèverait jamais jusqu’à
la notion d’un premier nécessaire et inconditionné » (RSP, 36). C’est
en effet une loi de notre esprit qui nous force à transporter dans la
nature, hors du moi, l’idée de cause de même qu’elle nous porte à en
faire un absolu métaphysique. Le tort était de prendre cette
dérivation pour une origine réelle, de ne pas prendre en compte
l’induction de l’esprit, sa tendance à croire à une origine
métaphysique absolue de l’idée de cause ; cette tendance pouvait
déboucher sur l’absolu, mais elle transportait seulement hors du moi
l’idée de cause qui est l’expression de notre existence subjective.
En réalité, du moi à la nature, de la nature à la métaphysique,
tout ce qui est saisi comme force physique ou cause absolue ne l’est
qu’au travers de notre propre sentiment d’être cause : « Le principe
de causalité s’étend toujours du moi, à un être ou objet qui n’est pas
moi » (RSP, 187).

36
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Idée de force
* L’idée de force (idée simple de réflexion) dérive du sentiment
interne propre à la conscience d’être cause productive et libre. Nous
ne pouvons par suite concevoir aucune force d’impulsion, y compris
dans le monde matériel, indépendamment du sentiment de notre
force. « L’idée de force ne peut être prise originellement que dans la
conscience du sujet qui fait l’effort, et lors même qu’elle est tout à
fait abstraite du fait de conscience, transportée au dehors et tout à
fait déplacée de sa base naturelle, elle conserve toujours l’empreinte
de son origine » (E, 220). Biran dit ainsi de cette idée qu’elle est une
« donnée primitive au-dedans de nous-mêmes » (DEA, 219).
** Dans la conscience, le sujet sent et aperçoit qu’il est une
« force agissante ». En effet, « le sujet sentant et moteur (…) se sent
et s’aperçoit immédiatement, dès qu’il existe pour lui-même à titre
de personne moi, comme une force ou cause productive » (DEA,
106). C’est cette idée qui sert ensuite de type à toutes nos idées de
force : « Il y a aperception interne immédiate ou conscience d’une
force qui est moi et qui sert de type exemplaire à toutes les notions
générales et universelles de causes, de forces, dont nous admettons
l’existence réelle dans la nature ». (DEA, 212)
Lorsqu’on abstrait cette force de la conscience et qu’on la
sépare de la conscience, nous avons l’idée de force absolue : « Si
l’on abstrait de la conscience de notre propre force ou de notre
sentiment de moi qui fait l’effort, l’exercice un et pour ainsi dire
matériel de cette force agissante, on aura l’idée ou la notion de force
absolue ou possible » (E, 222). La force absolue désigne une réalité
posée en soi hors de la conscience. En transportant hors de nous la
force que nous apercevons clairement en nous, nous en
obscurcissons la signification. La métaphysique inverse en général
l’ordre de la connaissance en partant de l’absolu (ici la force
inconditionnelle) au lieu de partir du « relatif individuel », à savoir
de la conscience. Elle ne peut alors comprendre la genèse des
notions qu’elle utilise. Et elle ne peut non plus comprendre leur
champ de validité.
***C’est ainsi que Leibniz « a construit la nature avec des
éléments pris dans l’activité du moi » en faisant de la force le
principe de la physique alors que l’idée de force reçoit son sens de
l’élément actif de la dualité et ne peut servir de principe qu’à la

37
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

psychologie. Leibniz psychologise toute la nature lorsqu’il la


comprend à l’image de notre activité. Il rend sa science physique
abstraite, irréelle. (E, 223)

Idées de liberté et de nécessité

* L’idée de liberté (idée simple de réflexion) « n’est autre chose


que le sentiment de notre propre activité ou de ce pouvoir d’agir, de
créer l’effort constitutif du moi » (E, 250)
L’idée de nécessité est le « sentiment de notre passivité ». C’est
une idée négative (« privation de liberté ») qui ne peut apparaître que
sur le fond de ce sentiment positif de liberté, dans ces états où je me
sens entraîné malgré moi ou contre ma volonté.
**La liberté n’est pas un problème philosophique. Mettre la
liberté en problème, c’est contredire un fait évident et faire naître
toutes les spéculations inutiles de métaphysique.
*** L’homme n’est ni pure liberté, ni passivité pure. La liberté
n’est pas un état mais un effort permanent qui menace à chaque
instant de retomber en passivité, en absence de pensée, en «nullité
d’idées », en « bêtise » et qui, en retour, ne peut jamais s’affranchir
absolument de la passivité pour s’exhausser en pure pensée, pure
spiritualité : « Il y a en nous un fond de passivité invincible à toute
notre activité, comme un fond d’activité inaccessible à toute notre
passivité » (E, 251).

Idée de substance
* L’idée de substance vient du moi (en tant qu’idée simple de
réflexion) où elle s’identifie au double sentiment d’une subsistance
de l’effort et d’une consistance du corps. Mais, dès qu’on sort du
moi, cette idée se dénature pour signifier une réalité séparée du moi
et existant en soi. Par là elle ajoute « quelque chose de plus » au fait
de conscience ou « affirme une chose au-delà du moi » (DEA, 85) :
chose pensante (âme en soi) ou chose étendue (objet en soi). Il faut
séparer les deux significations : « Avant la notion de substance,
d’être absolu est le sentiment du moi individuel et relatif d’où la
notion est déduite ; celle-ci ne constitue pas le fait primitif, elle n’ y
entre même pas directement » (RSP, 239).

38
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

** Toute la question est de comprendre « l’origine vraie de


l’idée de substance » (E, 223). L’idée de substance dérive
conjointement « de l’un et de l’autre des deux éléments de la
conscience » (E, 22O), à savoir de la force et de la résistance
organique. C’est pourquoi deux « idées-mères » se retrouvent en
elle : l’idée de quelque chose qui subsiste à travers le changement et
l’idée d’un substratum, sujet d’attribution de toutes les modifications
passives du corps. On peut alors dire que de la conscience provient
l’idée de substance active comme l’idée de substance passive à la
condition d’ajouter que ces idées « prises en nous-mêmes » ne sont
toutefois pas contenues en nous-mêmes. Si le fait de conscience
implique le sentiment d’une subsistance de l’effort et celui d’une
constance du corps, ces deux idées se dénaturent et s’obscurcissent
en passant précisément du dedans au dehors, du sujet à la réalité
objective. Jamais le fait de conscience ne coïncide avec l’expérience
de la substantialité, jamais le sujet ne s’aperçoit lui-même comme
substance. « Le sentiment de moi n’est pas, ne peut pas être celui de
la substance même de l’âme ou de la chose sentante ou pensante (…)
Chercher à objectiver le moi ou à la saisir par le dehors, c’est comme
si l’on voulait se mettre à une fenêtre pour le voir passer » (DEA,
91).
Comment se forme alors l’idée de substance active (force-
substance) et celle de substance passive (corps-substance) ? Dans un
premier temps donc, l’idée de substance active trouve certes à
s’appuyer sur le « mode total de l’effort qui reste identique dans ses
deux termes (la force et la résistance) » (E, 220). Mais dans un
deuxième temps, qui est le moment propre où l’idée de substance se
dénature sous la pression de l’imagination, « quelque chose de plus »
est postulé, une chose pensante hors de la pensée actuelle. Parce que
« le moi, sujet de toutes les attributions actives subsiste seul tant que
l’effort subsiste » (E, 220), on a ainsi voulu en conclure faussement
qu’il était possible de penser la conscience sous un « mode
substantiel » (Descartes) ou de ramener la force à la substance
(Leibniz). Mais l’idée de substance ou de chose contrevient à
l’aperception centrale du Je : « Le je n'est pas la substance abstraite
qui a pour attribut la pensée, mais l'individu complet dont le corps
propre est une partie essentielle, constituante » (CI, 38).

39
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

L’idée de substance active n’a pu s’imposer de l’intérieur à la


conscience. Elle provient en fait de l’idée de substance passive au
travers d’un travail de la représentation sur l’élément de la
conscience qui peut le plus facilement s’extérioriser : la résistance
organique. Comme nous ne faisons pas cette résistance, comme elle
est toujours passivité, « nous sommes plus disposés par là à la
séparer de nous-mêmes » (E, 222). L’idée de substance passive se
forme à partir du continu résistant organique. L’imagination voit
dans la résistance intérieure (sentie comme une sorte de substratum
des qualités sensibles) quelque chose qu’on peut « exprimer »
ou « représenter » sous « raison de matière », c’est-à-dire un
« substratum extérieur » (RSP, 239).
Bientôt elle en fera l’espace commun des qualités sensibles.
Dans un ultime mouvement de subtilisation de la matière, elle pourra
même faire abstraction de l’espace lui-même et ne considérer ce
substratum que sous « raison logique » (en tant que « soutien passif
d’attributs, modes ou qualités sensibles », ou encore sujet général
d’attribution de tous les « modes conçus et représentés sans être
sentis ou intérieurement aperçus ») (DEA, 219, RSP, 239).
Une fois cet élément de la conscience objectivé hors de la
conscience comme substance passive, rien n’empêche l’imagination
de substantiver aussi l’élément actif : alors « Le moi se prend ou
s’imagine lui-même comme un mode de la substance étendue du
corps». L’expérience chez presque tous les hommes montre que le
corps est confondu d’abord avec la substance matérielle et
qu’ensuite le moi est confondu avec le corps matériel (RSP, 111).
C’est donc en saisissant les éléments de la conscience du dehors de
la conscience que l’idée mixte de substance (passive et active) a pu
se former: « Si la notion de substance n’était donnée ou suggérée
primitivement à l’âme par le dehors, jamais le sujet pensant ne la
tirerait de son propre sein ». (DEA, 219 et 221). La perception et
l’imagination rapportent à l’étendue externe la « double unité »
(unité de force et unité de résistance) « absolument irreprésentable
aux sens et à l’imagination » (E, 387) parce que sentie de l’intérieur
de manière indivisible. Et ensuite elles introduisent dans le moi
l’étendue externe, la substance matérielle, qui n’y étaient pas. (E,
387-388).

40
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

*** L’idée obscurcie de substantialité ouvre la porte aux erreurs


les plus graves pour ce qui concerne la psychologie en ce qu’elle fait
du sujet un objet : « Il y a une erreur ou amphibologie du langage qui
tient à ce que l’on veut toujours parler du sujet comme d’une chose
ou d’une substance » (RSP, 238). Cet objet se dédouble même en
objet sensible ou objet intelligible, il est confondu à la machine
organique ou absorbé en Dieu par la grâce : « Nous n’avons pas
besoin de partir ex abrupto de la notion de substance ou de la chose
sentante ou pensante mais je dis de plus que cette notion d’une chose
ou d’un être à part qui n’est pas le moi ou qui est en dehors de la
conscience dénature entièrement le propre sujet de la science de
l’homme intérieur en la faisant passer soit dans le domaine de la
physique (…), soit dans celui de la théologie » (DEA, 81).
L’impératif est de revenir au vrai sujet, ni purement physique (il ne
faut pas le matérialiser dans l’absolu), ni purement spirituel (il ne
faut pas le spiritualiser dans l’absolu) en prenant conscience que
« l’application de la loi de substance à la psychologie exclut
précisément la propre idée d’un sujet psychologique». (DEA, 241).

Idées d’unité et d’identité (idées simples de réflexion)


* « L’unité est entière et indivisible dans le moi qui se reproduit
ou s’aperçoit constamment dans l’effort sous la même forme une »
« Le type primordial, fixe, unique de toute identité, se trouve
dans le moi ». (E, 244-245)
** La pluralité interne du corps ou externe de la nature n’est
conçue qu’en rapport avec l’unité fondamentale du moi. Les objets
ne sont saisis à leur tour comme « étant un » qu’en tant que le moi
leur rapporte son unité.
*** L’unité et l’identité comprennent en elles le multiple et le
différent du corps. L’identité et l’unité ne sont pas des formes vides,
des entités logiques : « C’est la conservation d’un même sujet en
relation originelle et permanente avec le même terme organique qui
fait la véritable identité de la personne » (E, 245).

Imagination
* Dans ses premiers mémoires sur l’habitude Biran sépare deux
modes de reproduction des perceptions : un mode actif que Biran
nomme mémoire et un mode passif qu’il appelle imagination « parce

41
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

qu’il s’applique principalement aux images de la vue ». Si la


mémoire est toujours un effort, l’imagination se caractérise elle par
une « production spontanée d’images » exaltant des forces sensitives
ou exaltée par elles (I, 155). Cependant, associé à l’effort, Biran
montre que l’imagination favorise par ses habitudes notre faculté
représentative.
A partir du mémoire sur la décomposition de la pensée,
imaginer signifie représenter d’une manière objective : « faculté
d’imaginer ou de se représenter les choses du dehors » (E, 62). Du
fait de sa nature représentative, l’imagination se trouve être
charnière entre les intuitions organiques et les représentations
psychologiques, entre « la faculté spontanée d’intuition » qu’on
trouve chez tous les animaux et la perception objective dont
l’homme seul est capable. L’imagination peut donc se définir
comme la faculté médiate entre notre organisation intérieure et notre
activité de pensée, entre l’agrégation spontanée des perceptions
passives organiques (image intuitive) et la combinaison active des
résultats de nos perceptions volontaires (image objective) :
«L’imagination ou la faculté d’intuition interne, forme pour ainsi
dire le lien des deux natures, ou si l’on aime mieux des deux sortes
d’éléments qui constituent l’homme double (duplex in humanitate)
(RPM, 147) ; (E, 434, note).
**Dans la première philosophie de Biran, l’imagination est
considérée « comme une modification de la sensibilité propre de
l’organe cérébral » (I, 158). Contrairement à ce qui se passe dans
l’organe sensoriel en lequel la trace d’une impression passée et une
impression actuelle ne peuvent persister ensemble, dans le cerveau,
du fait d’une propriété vibratoire semblable à celle qu’on trouve en
l’œil, les impressions sensorielles successives sont conservées au fur
et à mesure, fixées et réunies. L’influence sur notre faculté
perceptive de ce « centre unique qui reçoit, combine, transforme,
échange" les produits répétés de chaque sens est importante. Biran
met longuement en évidence les effets des habitudes de
l’imagination associée à «l’exercice uniforme et répété de notre
faculté perceptive » (I, 204). Il considère à cette époque que les idées
sont des images et voit alors trois avantages à l’imagination :
l’imagination spatialise le temps, elle rend simultané ce qui est
successif ; l’imagination compose le divers, elle synthétise les séries

42
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

d’impressions et procède par mise en tableaux, au point qu’une seule


impression fait renaître toute la composition ; l’imagination crée un
ordre causal fixe de priorité et de postériorité, elle retrace les
impressions dans l’ordre même où elles se sont produites, introduit
un ordre dans la nature ainsi qu’une curiosité stimulante pour tout ce
qui semble lui échapper.
En ceci elle perfectionne notre pensée représentative puisqu’elle
facilite la saisie instantanée d’une multitude de qualités, qu’elle est
capable, à partir de la moindre apparence d’un objet perçu, « de
restituer ses formes, ses dimensions, presque toute sa clarté
première », et enfin, qu’elle contribue à ordonner la nature. Un
individu embrasse donc toujours plus que ce que ces sens ne lui
montrent : le mérite en revient à l’imagination. De ce point de vue
impossible de nier « une influence si marquée sur les progrès et
l'extension de notre faculté perceptive" ( I, 183).
Mais l’imagination a aussi des habitudes sensibles négatives
lorsqu’elle n’est plus liée à la représentation. Indépendante de la
volonté, livrée à la spontanéité de ses associations, elle crée
maintenant « des idées ou plutôt des fantômes vagues et
indéterminés se ralliant à des êtres chimériques ou réels » et produit
superstition, illusions, erreurs, « folies bizarres ou atroces de
l’esprit », croyances de toutes sortes, idoles, délires mystiques (I,
204-205). Par un usage abusif des termes généraux de la langue,
« termes appellatifs et métaphoriques », l’imagination procède par
analogie, généralisation, métaphorisation, fait passer du concret à
l’abstrait, du propre au figuré, enchaîne l’esprit dans de vaines
constructions philosophiques, dans des conceptions chimériques etc.
Notre humanité peuplée de démons et de chimères, en sa part
ignorante, noire et terrifiée, sort droit de l’imagination livrée à elle-
même.
*** Après les mémoires sur l’habitude, l’imagination est prise
pour le symbole de l’analyse physico-physiologique dans la science
de l’homme. C’est pourquoi Biran revient dans l’Essai sur la place
de l’imagination dans sa première philosophie : «J'étais dans l'âge
où, l'imagination prédominant sur la réflexion, veut tout attirer à
elle. Prévenu pour les doctrines qui mettent l'entendement en images,
je croyais pouvoir étudier la pensée dans les mouvements du
cerveau » (E, 4). Il attribue cette erreur à la surestimation de la vue

43
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

dans ce premier système en quoi a consisté aussi toute l’erreur de la


métaphysique depuis Platon. Car, « la vue est éminemment le sens
qui compose; c'est par là qu'il est celui de l'imagination » (D, 195).
« La vue est le sens particulier de l'imagination, et c'est précisément
parce qu'il a usurpé une sorte de domination sur toutes les facultés,
par la continuité et la facilité de son exercice, que nous avons
d'autant moins de dispositions à réfléchir, à apercevoir, à
reconnaître ce qui est en nous, ou ce qui est nous, que nous en avons
davantage pour représenter, imaginer et reconnaître ce qui est
dehors » (E, 194).
Bien des philosophies n’ont conçu l'intelligence qu’au travers
de la représentation passive de la vue, en particulier les idéalistes.
Du fait de la vibratilité propre à l’organe de la vue, la même image
demeure présente et se reproduit spontanément après un intervalle de
temps, si bien que « l’effet de représentation est toujours égal à lui-
même, la copie se confond à l’original, l’illusion avec la réalité »
Mais, demande Biran, « où est ici le type original et réel ? » (D,
193). Les idéalistes ne pouvaient mieux choisir que la vue pour
déréaliser le monde. Contre l’histoire la psychologie et celle de la
philosophie, la pensée doit chercher à retrouver la source réelle des
idées, non dans les images, mais dans les actes du sujet ; car
« l’histoire de la psychologie nous prouve par une multitude
d’exemples, que la faculté de l’imagination, toujours prédominante
même chez les philosophes, les porte sans cesse à exclure du champ
propre de la connaissance tout ce qui ne rentre pas directement dans
son point de vue et ne peut se plier à ses lois » (E, 62).

Intuition
*L’intuition est la partie représentative de la perception : les
perceptions sont composées de deux parties dont l’une « représente
sans affecter pendant que l’autre affecte sans représenter » (Dis, 13).
Elle est, dans l’organe, un « mode primitif de coordination dans
l’espace » par quoi une représentation de ce qui frappe l’organe est
donnée, représentation avec laquelle le moi peut se combiner
facilement (E, 316). L’intuition apparaît donc spontanément et sans
participation du moi par le simple effet de l’habitude : sous le « titre
d’intuition immédiate passive », Biran entend cette « faculté

44
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

spontanée dans son exercice, indépendante de la pensée ou de toute


opération réflexive » (Dis, 18).
** La notion d’intuition peut paraître paradoxale : elle n’inclut
aucune « participation expresse » de l’activité du sujet. Elle n’est pas
encore une perception active et elle n’est plus du tout une sensation
affective. Moyen terme entre la sensation passive et la perception
active, l’intuition est en réalité cette représentation passive par quoi
le moi est informé qu’un objet externe touche une partie de son
corps. On peut la placer entre, d’une part, l’influence de l’habitude
« passive, conditionnelle et prédisposante » (I,177) qui affaiblit
graduellement les impressions affectives et qui facilite, distingue,
précise les impressions liées au jeu d’un organe mobile, et d’autre
part « l’intervention et l’exercice direct de la motilité » volontaire (I,
177). Là où l’organe n’est plus affecté sans pourtant être encore mû
volontairement, là où en lui, l’impression est peu affective et l’effort
encore inaperçu, là où en lui, la force affective et la force motrice
s’équilibrent, il y a intuition c’est-à-dire représentation d’objet :
« L’organe peut être tellement constitué, et l’agent externe auquel il
est soumis, d’une telle nature, que les impressions reçues soient très
peu affectives d’une part, pendant que l’effort est comme inaperçu
dans son déploiement peu intense, d’autre part. Il y a là un certain
rapport entre les deux forces, qui ne permet guère d’assigner quelle
est celle à qui appartient l’initiative et la prédominance. La nullité
d’action directe exclut le caractère sensitif, la faiblesse de l’action
motrice exclut le caractère aperceptif, l’individu ne se sent, ni n’agit
et pourtant le phénomène de la représentation s’accomplit, il y a un
objet extérieur ou intérieur passivement perçu » (D, 143).
Dans l’Essai, Biran considère que certaines sensations ont ainsi
une « partie perceptive » qu’il faut distinguer « sous le titre
d’intuition, en la considérant dans son état de simplicité native, avant
même son union avec le moi, confondue d’abord avec l’affection qui
l’absorbe et l’offusque. Cet élément intuitif ressort de l’impression
générale à mesure que celle-ci perd son caractère affectif ou excitatif
par l’influence de l’habitude » (E, 315). Ces sensations à
prédominance perceptive plutôt qu’affective obéissent à la loi de
l’habitude qui veut que par la répétition, « moins nous les sentons,
mieux nous les percevons » (I, 163). Toutefois, reste à savoir ce qui

45
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

se représente sans le moi en elles et pourquoi le moi peut-il s’y


associer plus facilement qu’avec les impressions affectives.
Ce qui se représente en chaque sens est la projection dans un
espace de la pression d’un corps sur notre corps ou encore « la
représentation médiate ou immédiate d’un objet ayant des parties
contiguës, distinctes, les unes hors des autres ». (DEA, 251). Les
couleurs « se projetant naturellement pour nous dans un espace »
peuvent être l’emblème d’un tel processus. « Que l’intuition soit
simple comme l’est une seule couleur ou composée comme celle du
spectre colorée, toujours y a-t-il des parties contiguës, juxtaposées
ou coordonnées dans un espace que le moi est nécessité à mettre
hors de lui » (E, 318). Le moi reçoit ainsi cette forme spatiale et il la
« reçoit toute formée et en vertu de lois de l’organisme, étrangères à
la puissance du vouloir » (E, 316) comme si la couleur était
appliquée sur ses yeux ou placée au-devant de lui.
L’union du moi à de telles intuitions est rendue plus facile car la
matière en jeu est inaffective et a déjà une forme spatiale : « Le moi
ne sympathise point avec les intuitions comme avec les affections ; il
ne s’identifie jamais avec les premières comme avec les secondes,
par cela seul que l’intuition est indifférente et plus ou moins dénuée
des modes du plaisir et de la douleur. Elle n’est point sujette comme
l’affection à s’exalter spontanément au point d’absorber tout
sentiment du moi ; et dès qu’elle s’unit avec lui, elle conserve avec
plus d’uniformité et de constance le nouveau caractère de relation
qui lui est ajouté » (E, 316).
*** L’intuition est une pièce nécessaire dans l’analyse des
facultés pour comprendre la transition entre la sensation passive et la
perception active. Comment expliquer, sans cette première
représentation objective spontanée, que divers animaux vont
atteindre, dès après leur naissance, « l’objet visible approprié par la
nature à leur besoin de nutrition » ou, pour nous, ces « formes
bizarres » qui se succèdent dans la nuit, ces « images légères et
mobiles » qui accompagnent aussi bien les délires que le retour
périodique des besoins (Dis, 18) ? Mais plus encore, en faisant de
l’intuition la base matérielle de la perception, Biran rend déjà
compte de l’emprise majeure de l’image qui va progressivement
remonter de la vie organique vers toutes les facultés intellectuelles
(A, 148) : « L’intuition peut (…) exprimer très bien tout ce que

46
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

l’âme voit et perçoit spontanément, en elle ou hors d’elle, sans effort


de sa part ou sans acte aperçu, soit que cet effort ne s’exerce pas
réellement, soit qu’il se confonde avec le résultat composé du mode
sensible et de l’effort de manière à ne pouvoir s’en distinguer dans la
conscience » (A, 152). Cette confusion de l’effort avec l’image ou le
résultat représentatif de la perception sera source de tous les dangers
parce que la philosophie et la psychologie feront aussi de la pensée
une image et une représentation d’objet.

Mathématique
*L’objet mathématique et le sujet métaphysique sont des
analogues. Le toucher actif réduit à sa plus simple expression,
(fiction d’une main réduite à un ongle pointu que la volonté déplace
sur un plan solide) nous ferait appréhender simultanément, par la
succession d’une même action appliquée à une même résistance
externe, une unité se reproduisant égale à elle-même « dans le sujet
réfléchi et dans le terme objectif de l’effort » (D, 205). Se
découvrirait le fondement de l’unité métaphysique (sujet interne) et
de l’unité mathématique (point externe).
** Le « toucher actif établit seul une communication directe
entre l’être moteur et les autres existences » note Biran (D, 203). Il
inclut ainsi un rapport simultané de la volonté au « corps propre et
étranger ». Si l’on reprend la fiction de l’ongle, la succession de
points résistants forme ainsi une ligne géométrique, base d’une
« géométrie linéaire » sans épaisseur, sans profondeur, sans
sensation autre que celle de notre effort accompagné d’une
résistance invincible externe. Le fondement des mathématiques n’est
autre que le sujet : « L’être intelligent réduit au sens que nous
venons de supposer tirerait en quelque sorte de lui-même toute la
géométrie et il se trouverait bien plus rapproché que nous le sommes
(…) du véritable objet mathématique. Cet objet qui n’existe pour
nous qu’en abstraction (…) serait pour lui la seule réalité existante
analogue à son moi, aussi fixe, aussi permanent aussi invariable que
lui » (E, 386). Quelque soit alors le degré de complexité
mathématique, on pourra ainsi affirmer que « les propositions qui se
généralisent ne sont que des rapports identiques qui se
compliquent » (E, 564).

47
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Le rapport simple (sujet-objet) est enveloppé dans tout rapport


plus complexe, « la double unité » est inhérente à tout « ce que
percevons, sentons, concevons en nous et hors de nous ». Sur ce
rapport simple se fondent les propriétés essentielles que le physicien
attribue aux corps comme la résistance, l’impénétrabilité, l’inertie :
« Ce qui constitue relativement à nous l’essence propre de corps
extérieur ou de matière, n’est pas autre chose que cette force de
résistance directement opposée à l’action que notre volonté
détermine » (D, 207).
*** La mathématique n’est pas empirique, elle n’est pas idéale.
Seule la psychologie met en évidence son fondement. On peut certes
schématiser les propositions mathématiques par signes et par figures.
Mais ces schémas, pour être compris, ne doivent pas renvoyer aux
sens ou à l’imagination mais aux actes du sujet. La mathématique
n’est pas affaire de sens ou d’imagination : elle se conçoit sans se
figurer en tant qu’elle est une synthèse d’actes portant sur un terme
résistant externe, à savoir l’établissement de rapports et de
proportions d’où résultent des relations « constantes universelles,
nécessaires » (E, 568) : « Ce n’est pas aux sens que s’adressent la
ligne, les points mathématiques et leurs divers modes de
coordination » (E, 79).
Mémoire
* « Les traces de nos vouloirs (…) ne se réveillent que par
l’exercice de la même force à qui elles doivent leur origine : c’est
cette répétition d’exercice qui constitue la mémoire ou le rappel
proprement dit ». (E, 497).
** La mémoire ne concerne pas toutes les traces (affections,
sensations, images, idées etc.) mais les seules traces du vouloir. Elle
n’est donc pas un « dépôt des images » ou un réservoir passif. Elle
est au contraire une faculté active car tout rappel d’actes est
nécessairement la répétition intérieure de ces actes. Lorsque des
actes ont été liés à des signes institués et que la «liaison des signes
aux idées a été régulièrement faite » (E, 499) la mémoire repose sur
ces signes. C’est pourquoi Biran distingue trois sortes de mémoire
par le seul critère de la liaison du signe et de l'idée : mémoire
mécanique« si les signes sont absolument vides d'idées » ; mémoire
sensitive si le signe n’exprime qu’un concept vague, une
modification affective, « une image fantastique quelconque» ;

48
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

mémoire intellectuelle si le signe s'accompagne, lors du rappel, « de


l'évocation claire de l'idée » (I, 225).
*** Il y a à distinguer ce qui constitue d’un côté la trame
personnelle des actes du sujet, son « existence continuée » et de
l’autre sujet les séries impersonnelles d’images, représentations,
modifications qui renaissent spontanément. Biran met sur la
première ligne la réminiscence personnelle (actes), la réflexion et la
mémoire, sur la seconde ligne la réminiscence modale (résultats
d’actes et modification passives), l’attention et l’imagination (D,
159). Le partage entre actif et passif en l’homme se joue sur cette
frontière : rappel intellectuel ou sensitif-mécanique, prédominance
de l’acte ou de son résultat, mode de reproduction volontaire ou
spontané.

Métaphysique :
*Pour Biran, la métaphysique doit être « la science des
principes ou des commencements de nos idées et opérations de tout
ordre » (D, 60), ou la « science des facultés propres au sujet
pensant » (A, 8), ou encore la « science des premières notions de
l’esprit humain et des premières raisons des choses » (RSP, 49)
** Principes, idées, notions, facultés propres, l’objet de la
métaphysique peut varier mais cette variation revient au même : la
métaphysique est d’abord une science qui traite du fait primitif et de
la dérivation des idées et des facultés actives à partir de ce fait
primitif. De ce point de vue on peut l’identifier à la psychologie
pure. Elle est en effet cette science qui dégage par réflexion ce qui
revient au moi et qui dérive toutes les notions fondamentales le
concernant. Elle a donc pour domaine ce « sujet qui s’abstrait lui-
même (…) de toute représentation externe et qui s’aperçoit sous ces
attributs d’unité, de simplicité, de permanence qui conviennent aussi
à l’objet dans le point de vue mathématique » (E, 78). Elle est donc
« science de l’esprit ou du moi » (E, 81). Par cela elle est une science
de l’existence (car elle part de la conscience et la conscience est
conscience d’exister) et ne saurait en aucun cas partir du possible ou
de l’absolu, commencements abstraits considérés « avant et hors du
sujet constitué » (A, 51).
Replacée dans le cadre de la dualité primitive qu’est la
conscience, et considérée dans sa capacité réflexive, la métaphysique

49
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

est le pendant de la mathématique. L’une traite de l’unité d’action


(sujet métaphysique) d’où dérive la connaissance subjective, l’autre
de l’unité de résistance (objet mathématique) d’où dérive la
connaissance objective. « La science métaphysique a sa source dans
le fait primitif de conscience, où le sujet de l’effort est constitué par
rapport au terme qui résiste. Ce terme séparé de tout ce qui n’est pas
lui sert de fondement à toutes les conceptions mathématiques, tandis
que ce sujet abstrait par la réflexion est le point central d’où partent
et où se rallient toutes les notions du métaphysicien » (E, 564). C’est
ainsi que la métaphysique remonte par réflexion jusqu’au sujet
séparé de toute représentation externe et l’aperçoit sous des attributs
propres mais isomorphes à l’objet mathématique (unité, simplicité,
permanence) (E, 78).
*** La métaphysique est toute entière psychologique. Son
domaine est le fait primitif de conscience et elle ne saurait avoir un
autre commencement ni ne doit avoir un autre territoire que ce fait
premier. On ne pourra plus contester « à une métaphysique ainsi
circonscrite dans un champ tout psychologique la réalité et la
certitude ou l’évidence même de son objet ». Pourvu qu’on s’en
tienne à cette circonscription, la métaphysique ainsi bornée serait
alors une « science positive, celle des faits de sens intime liés les uns
aux autres, et à un premier fait évident par lui-même qui lui servirait
de base, de principe, comme elle en servirait elle-même à toutes les
autres sciences » (E, 619).
Perception
* « J’appellerai perception toute impression non affective à
laquelle le moi participe par son action, consécutive à celle d’un
objet extérieur » (E, 281).
** Après les affections et les intuitions qui peuvent s’unir au
moi sans sa participation active et qui sont donc des sensations,
Biran traite du « concours actif du moi » sur ces impressions, ce qui
suppose que l’organe qui reçoit l’impression soit en même temps
sous le pouvoir moteur. Les perceptions ne naissent donc que si le
sujet est actif, attentif. L’attention (« intention vivante » dans les
organes mêmes) est la condition de toute perception, ce sans quoi
aucune représentation objective ne peut être produite (E, 357).
***Biran a nettement mis en évidence la loi du rapport inverse
de la représentation et de l’affection. Plus une impression nous

50
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

affecte moins elle est susceptible de prendre un caractère


représentatif, moins elle nous affecte (intuition), plus elle est capable
d’entrer dans une représentation objective, c’est-à-dire une
perception.
Les produits perceptifs montrent une intelligence tournée vers le
monde et l’action. Mais être tendu vers l’extériorité présente aussi
un danger : « Le sens de la perception, et celui de l’intuition, en
particulier, dominent dans l’organisation humaine, et jusque dans sa
nature intellectuelle. Plus nous trouvons de facilité et de plaisir à
représenter ou imaginer ce qui est au dehors, moins nous sommes
disposés à apercevoir ou à réfléchir ce qui est en nous ou ce qui est
nous… » (A, 148).

Psychologie
*Génériquement, la psychologie est « la science des faits
intérieurs » (E, 50).
** Si l’on se place du point de vue de l’origine (la « source »)
des faits intérieurs, la psychologie est pure ou elle est mixte. Si l’on
se place du point de vue de la genèse de la connaissance, « la
psychologie explique la génération des connaissances humaines et
(…) forme à elle seule la théorie de toutes les théories » (Dis, 49) :
elle est alors « science première » ou « philosophie première » (RSP,
14, 213).
La psychologie est pure (ou « synthétique et rationnelle »)
lorsqu’elle est science des facultés actives ou encore « science de
l’esprit ou du moi » (E, 81) ; cette science pure sépare, afin de la
ressaisir, la nature du moi de tous les modes sensibles transitoires et
contingents qui peuvent s’y adjoindre. Tant qu’on ne sait pas ce que
le sujet est et ce qu’il met de lui-même dans sa connaissance du
monde, aucune connaissance ne trouve de point d’appui. C’est
pourquoi Biran écrit : « La psychologie seule assigne ce fond ou
cette base dans la conscience du moi » (RPS, 15).
La psychologie est mixte (ou « analytique et expérimentale »)
quand « elle ne considère les faits de l’intelligence que dans leur
point de contact avec ceux de la sensibilité ». Souvent, cependant,
elle part de ces « faits composés » du moi et du sensible hétérogène
comme s’ils étaient simples, se borne à l’analyse des sensations et
tombe dans la confusion. Seule une précise distinction en ce point de

51
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

contact de ce qui revient à l’intelligence d’une part, à la sensibilité


passive de l’autre, fait naître la science de l’homme, « composée de
deux ordres de fait absolument différents » (E, 82). Car, en l’homme,
facultés passives et facultés actives sont unies en une même « nature
mixte ».
La psychologie est « science première » (RPS, 14) (ou théorie
des théories) quant elle ouvre, non à la seule connaissance du moi,
non à la seule connaissance de l’homme mais à l’élucidation de la
structure même de la connaissance impliquée dans toute science de
la nature. Ce lien entre le moi et la nature est la clé du monde. On
peut en effet reprocher à toute science de la nature de considérer les
faits étudiés « comme s’ils étaient simples et absolus et sans relation
au sujet qui les perçoit, à la substance en qui ils sont inhérents, à la
cause efficiente qui les produit » (RSP, 12). Il revient
particulièrement à la psychologie d’éclairer le sens des notions de
cause et de substance que la science suppose malgré tout dans ses
successions et ses séries phénoménales. Il ne s’agit certes pas de
reprocher au physicien de croire qu’il y a des causes ou des réalités
absolues. Une telle croyance dérive des lois mêmes de l’esprit
humain. Mais de chercher à « deviner ou à concevoir par
l’imagination ce qu’elle sont en elles-mêmes », ce qui produira
toutes sortes de cosmogonies et de théogonies absurdes et contraires
aux faits (RPS, 21). En réalité les notions de cause et de substance
dérivent du sujet et ne sont transposées qu’après coup et par
induction hors de la conscience. De là vient la croyance en « un être
qui agit » ou en une « force qui agit » auxquels les physiciens
« pensent malgré eux ». Si les physiciens sortent si souvent de leur
méthode d’observation, c’est en raison de ce « principe de croyance
ou d’induction première qui force l’âme à transporter au dehors ce
qu’elle conçoit primitivement en elle » (RPS, 142). Replacer la
conscience avant la science permettra de limiter la prétention
explicative de la science.
*** Avec Biran, la psychologie devient la science centrale des
sciences de l’homme mais aussi la science première des sciences de
la nature. Elle retient dans son horizon la totalité du savoir en
ramenant celui-ci à ses conditions ultimes de possibilité : le sujet.
Biran explique pourquoi les limites propres des sciences du
vivant et des sciences de la nature sont fixées par la psychologie,

52
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

pourquoi en somme la méthode descriptive de toutes ces sciences ne


s’éclaire qu’en étant limitée par la méthode réflexive de la
psychologie. La psychologie pure tente de justifier à quels titres une
connaissance est « réelle » et « de déterminer ce que nous pouvons
connaître de réel ». Comme le sujet est le seul point de départ réel,
l’objet de la psychologie est d’abord de mettre à découvert ce fond
réel subjectif et de le séparer de tous les phénomènes sensibles
externes. Une fois ce pouvoir du sujet délimité, on saura ce qui
revient aussi aux facultés passives qui constituent l’autre face de la
science de l’homme. On remarquera que le passif n’est délimité à
son tour qu’à partir de l’actif : « Ce n’est qu’en nous élevant au
dessus des facultés passives que nous pouvons les connaître » (E,
83).
Ne croyons pas ici que la psychologie pure nous conduise vers
une compréhension de l’homme comme esprit pur : la connaissance
des faculté actives propres à l’homme ne signifie pas que l’homme
est coupé de son corps. Au contraire, la psychologie met en évidence
que le sentiment du moi n’est pas inné mais naît dans la relation de
la force hyperorganique au corps. Le sujet se saisit alors à la fois
« dans sa libre détermination et dans ses produits ». Dira-t-on que les
choses externes agissent sur ce corps et provoquent en lui mille
impressions différentes ? Mais tout l’enjeu de la psychologie est de
montrer que la connaissance ne débute pas par ce monde extérieur :
elle débute par l’action du sujet sur ses organes sensibles : « N’y a t-
il pas une expérience toute intérieure, qui pour n’être pas séparée de
l’extérieur, n’en est pas moins distincte, et devient la source propre
d’un système d’idées simples et de connaissances vraiment
premières et fondamentales, qui ne peuvent en aucune manière venir
du dehors ? »(E, 106).
Une fois mis en évidence le rôle propre du sujet dans la
formation des idées et dans la connaissance, il est plus facile de
comprendre la nature mixte de l’homme et la manière dont jouent
sur lui « une infinité d’impressions obscures ou de modes sensibles,
variables à chaque instant, confus, tumultueux, désordonnés par leur
nature » (E, 82). Cette partie de l’homme « inconnue et
incommensurable par sa nature » est seulement dévoilée par le rôle
d’obstacle qu’elle joue relativement à la saisie du moi par lui-même.
C’est pourquoi les facultés passives qui constituent l’homme ne sont

53
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

jamais connues directement mais indirectement sur cette ligne de


contact (Dis, 82) où le moi commence de s’échapper à lui-même :
songes, somnambulisme, vésanies, délires, manies, aliénation
mentale etc. Il y a des conditions organiques et cérébrales « qui
agissent respectivement de manière absolument semblable pour
opprimer ou suspendre l’action régulière de la volonté et de la
pensée, produire ainsi les phénomènes correspondants du sommeil,
des songes, du délire, le désaccord des sensations, l’absence du
jugement, l’abolition ou la mort du moi» (Dis, 106). La psychologie
de la vie quotidienne et la psychopathologie n’ont de sens que si la
psychologie pure est constituée et met en relief les limites de
l’explication physiologique.
Parce que la psychologie assigne enfin la source de toute
connaissance, elle met aussi en évidence la primauté des lois de
l’esprit sur les conditions d’objectivité des sciences de la nature.
« La psychologie, par la nature même du sujet auquel elle s’attache,
se place en avant des faits extérieurs et doit assigner les conditions
d’objectivité des existences et des causes (…) C’est la psychologie
qui doit fixer les limites des sciences naturelles et les empêcher de
s’égarer dans des recherches oiseuses ou de vaines hypothèses
explicatives » (RPS, 214-215). Si l’on peut en effet rendre compte à
partir de la psychologie des notions (être, force, cause, substance
réelle etc.) tacitement supposées par les sciences de la nature, à
l’inverse, on ne peut en aucun cas prétendre expliquer, à partir de
l’usage que les sciences de la nature font de ces notions, l’existence
psychologique (le moi) pas plus d’ailleurs qu’aucune autre existence
(Dieu, le monde). Le physicalisme est un danger mortel dès lors
qu’il prétend constituer à lui seul la science de l’homme : il ne décrit
que ce que l’on peut représenter de l’homme, sa « surface », son
« enveloppe matérielle » (RPS, 25) et est impuissant à décrire ce qui
ne se représente pas, ne s’imagine pas : l’homme intérieur.

Psychologie pratique
*L’éducation et la morale relèvent de la psychologie pratique en
tant que « direction » des facultés (E, 85) et non plus de la
psychologie en tant que genèse de la connaissance (la psychologie
comme « science première »), ou de la psychologie en tant que
généalogie des facultés (la psychologie pure et mixte).

54
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Il n’y a qu’une méthode éducative et morale : l’exercice des


facultés actives et donc de la volonté qui les crée toutes. Pour cette
raison, diviser entendement et volonté comme on le fait
ordinairement en éducation est une erreur.
**La culture de l'esprit, comme la culture morale, repose sur de
faux principes. On s'est imaginé qu'il suffisait de donner l'occasion à
l'enfant d'avoir des sensations ou des affections pour l'éduquer. On a
voulu se persuader qu'il faut mener les enfants "par l'attrait du plaisir
et faire marcher toujours en avant les sensations et les images" (E,
354, note). Une telle méthode paraît en contradiction avec les
principes fondamentaux de la psychologie. Comment la sensibilité et
l'imagination pourraient-elles être la source unique de nos facultés
actives, seules facultés éducables ? Le sensualisme ne semble pas
s'être pénétré de la difficulté de cette question. Pour cette raison, il
est manifeste que le sensualisme ne propose pas véritablement de
"méthode d'éducation". Pour lui, la sensation est l'unique principe du
développement de nos facultés comme s'il suffisait "de multiplier les
causes de sensations" pour voir se perfectionner les facultés actives.
L'absence de toute activité intellectuelle dans une telle
éducation condamne définitivement la méthode sensualiste aux yeux
d'une psychologie réelle. « Pour bien juger des esprits (…), il faut
avoir moins égard à ce qu’ils savent qu’à la manière dont ils le
savent » (E, 86). Il faut toujours revenir à l’activité et non s’en tenir
aux résultats : on évitera ainsi le « brillant de l’imagination » qui fait
une « vaine science », et l’accumulation de mémoire qui fait une
« science livresque ». Exercer l’activité, et donc les facultés actives
d’attention, jugement, réflexion, voilà tout ce que peut se proposer
l’éducation. La connaissance approfondie de l'ordre et du rapport de
développement des facultés passives et actives, leur équilibre, et le
cas échéant, voire le plus fréquent, leur disjonction, leur dérèglement
réciproque enseigne en effet que les seules facultés actives ont
besoin d’être cultivées tandis que les facultés passives, se
développant spontanément, ont plutôt besoin d’être réprimées dans
la première éducation (E, 90-91).
Pas plus que la « culture exclusive de la mémoire ou de
l’imagination » (E, 87) ne conduit à l’éducation, elle ne peut donner
une morale. A défaut d'aller construire en nous une maîtrise de ce
que nous sommes, nous allons trop souvent chercher "hors de nous"

55
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

"les causes de certaines modifications qui altèrent souvent notre


humeur, nos idées, nos jugements". (E. 98) Nous prétextons le
désordre du monde quand il ne tient qu'à nous d'ordonner notre
esprit par une action morale bien établie. En matière de morale, le
stoïcisme est bien plus convaincant que le sensualisme. Il n’y a en
effet pas d’autre morale que « l’empire sur soi » (E, 95) source de
toutes les grandes qualités d’âme, et ce qui manque au sensualisme,
c'est au fond une philosophie de la volonté. La culture de la volonté
porte en elle « le grand art de bien vivre, de bien agir, de bien
penser » en quoi consiste la morale.
Cette culture permet aux facultés actives d’étendre leur emprise
(« jusqu’à un terme illimité ») sur les affections et de produire cette
alliance heureuse de la vie sensible et de la vie intellectuelle : "Sans
doute la volonté n'a absolument aucun empire sur les affections, ni
même aucune influence directe sur ses sentiments moraux mais elle
en a un sur les idées et les images de l'esprit en tant surtout qu'elles
sont liées à des signes institués; et ces images peuvent à leur tour
réveiller les affections et les sentiments à qui elles sont associées par
la nature ou les habitudes. De là, la possibilité d'exciter certaines
affections de l'âme sensitive, et par suite certaines révolutions sur les
organes de la vie intérieure, par un certain régime intellectuel, une
certaine direction imprimée à la volonté ou à l'entendement, comme
d'influer sur ces facultés par un certain régime soit physiologique,
soit moral. Nous rendre sereins et contents de nous-mêmes ou de nos
propres actes - c'est tout…" (RPM, 148)
***Education et moralité sont la pierre de touche de la validité
des doctrines psychologiques. "Si toute doctrine psychologique, dont
l'application morale est nulle ou dangereuse, doit être par là même
réputée comme fausse, toute méthode d'éducation qui ne s'appuie pas
à son tour sur des principes constitutifs de notre nature et de l'ordre
réel de la subordination de nos facultés, ne peut être que vicieuse ou
incomplète" (E., 94). Dans une philosophie de l’activité, la seule
éducation possible est celle qui nous approprie le plus à notre
pouvoir actif, la seule morale possible est celle qui nous fait dominer
le mieux notre vie double, sentante et pensante. Il n’y a pas d’autre
alternative et d’autre horizon pour nous que la liberté au sein de
cette vie.

56
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

Réflexion
*La réflexion "se concentrant sur ce qui est en nous, s'attache
tout entière à ces modes les plus intimes, qui n'ont point hors de la
conscience de signe de manifestation, ni d'objet ou d'image qui les
mettent dans un relief sensible" (Dis, 50) « Lorsque (un) effort ou
(un) acte est suivi ou accompagné d'un mode quelconque que
l'individu attribue uniquement à sa puissance, mais en distinguant le
résultat de l'acte lui-même qui prédomine simultanément dans la
conscience, nous appellerons réflexion cette aperception redoublée
dans le mouvement d'une part, et son produit sensible de l'autre" (D,
154).
** Là où la matière de l’acte est un acte, nous avons réflexion.
Dans la réflexion, le sujet prend pour terme de son effort des actes
déjà effectués. La réflexion est le seul mode d’activité du sujet où
celui-ci n’agit pas sur un « terme ou un objet extérieur, dont
l’impression distrait ou absorbe le sentiment interne de la cause qui
concourt à la produire » mais directement sur ses propres actes (E,
483).
Un sens présente un aspect éminemment réflexif : l’ouïe dès
lors que s’établit un couplage avec la voix. « Activée par la voix
articulée, l’ouïe est le sens immédiat de la réflexion », ou encore « le
sens de l’entendement » ; « l’individu qui émet le son et s’écoute a la
perception redoublée de son activité. Dans la libre répétition des
actes que sa volonté détermine, il a conscience du pouvoir qui les
exécute, il aperçoit la cause dans son effet et l’effet dans sa cause, il
a le sentiment distinct des deux termes de ce rapport fondamental, en
un mot, il réfléchit » (E, 483).
On comprend pourquoi Biran associe plutôt la réflexion à un
redoublement qu’à une réflexion en miroir, sorte de lumière
réfléchie sur elle-même en quoi consiste la spéculation. Le fait est
que Biran parle simultanément, à propos de la réflexion, de
« perception redoublée », « d’action redoublée », de « réflexion
redoublée », « d’aperception interne redoublée ». Lorsque la voix
répète le son entendu et que l’ouïe répète intérieurement ce son
articulé, la perception sonore est en effet redoublée (son entendu
extérieurement et intérieurement) ; l’action du moi est aussi
redoublée par une double répétition (répétition de l’écoute du son
extérieur (articuler), et répétition intérieure de l’articulation

57
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

(entendre)) ; la réflexion est encore redoublée (la cause est réfléchie


dans l’effet, l’effet dans la cause) (D, 177) ; et l’aperception interne
enfin, où le sujet s’aperçoit se modifier lui-même sans le secours
d’aucune cause étrangère, est pareillement redoublée « dans le
mouvement d’une part et son produit sensible de l’autre ». (D, 154)
Telle est la voie unique de l’intelligence : le sujet « entend » de la
même manière « toutes les idées qu’il conçoit, tous les actes qu’il
détermine » (E, 484).
Quoique mise en jeu dans l’aperception vocale-auditive et les
productions intellectuelles qui en dérivent, la réflexion dépasse cette
sphère : pour toutes les facultés elle est par excellence ce qui permet
la distinction de l’actif et du passif, de ce qui a été pensé et de ce qui
est seulement image. Les actes ou opérations que le sujet effectue
continuellement sont facilitées par l’habitude mais en retour
l’habitude dissimule au sujet sa propre activité. S’il n’y avait pas ces
effets de l’habitude rendant spontané et passif ce qui est libre et actif,
si donc seul l’effort était seul présent, le sujet aurait conscience de
ses actes dans l’aperception interne immédiate et le sujet « pourrait
être dit les réfléchir puisque, dans la libre répétition de ces
mouvements (…) il aurait la connaissance du pouvoir ou de la cause
qui les effectue » (E, 478). La nécessité d’un « retour » à soi et donc
d’un redoublement de l’aperception provient de ce que le sens de
l’effort s’efface au profit des résultats perceptifs externes. Seule la
« réflexion concentrée » « pourra nous rendre le sentiment distinct
de notre effort ou plutôt nous redonner la première idée de notre
activité exercée dans la perception même, nous faire apercevoir
l’unité de cause dans la variété des effets qu’elle produit, l’unité de
substance dans la multiplicité des modes et de là nous conduire, par
une suite de progrès (…) à concevoir l’unité, l’identité d’un principe,
d’une notion fondamentale, dans la variété des conséquences ou des
idées qui s’en déduisent » (E, 478)
***La réflexion ne désigne aucune réflexion optique, aucune
spéculation chez Biran. Elle est au contraire une action du sujet sur
ces propres actes par laquelle il reprend conscience du sens de son
activité. « Dans ce rapport primitif qui fonde la conscience, le
sentiment propre du sujet peut prédominer sur l’affection propre ou
terme organique, ou vice versa (...) Il est vrai que pour avoir la
conscience de son action comme telle, pour que le moi puisse se

58
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

connaître dans ses actes propres, il ne suffit pas de sentir, d’être


affecté, ni même toujours de voir au dehors, de se représenter ». Il
lui faut au contraire faire retour sur soi, agir à nouveau sur son
action, bref réfléchir. Biran trouve un livre de Degérando tiré de
l’Histoire comparée des systèmes de philosophie (1804) un texte
tout à fait conforme à sa pensée : "L'action par laquelle l'esprit se
réfléchit ainsi, ne peut être expliquée que par la détermination qu'il
se donne à lui-même, et cette détermination est un acte primitif, c’est
un vouloir libre" (D, 109). L'Essai donnera la même explication de
cette auto-détermination de l'esprit en soutenant que l'esprit peut "se
connaître en agissant sur lui-même ». La réflexion est un
redoublement parce qu'elle est une action de l'esprit sur lui-même.
Par ce retour actif sur lui-même le sujet libère en même temps la
puissance propre de la pensée des résultats perceptifs ou images qui
la trahissent.

Résistance
*La résistance désigne le terme d’application de la volonté.
Toutes les parties mobiles du corps qui obéissent et résistent à une
même volonté entrent dans « le sentiment fondamental d’une
résistance organique » (A, 124). La résistance organique se définit
alors comme « continuatio resistentis » (continuité de résistance) (E,
206)
** La résistance organique est l’élément matériel de la dualité
primitive en quoi consiste la conscience. Avec cette notion Biran
ouvre une perspective entièrement neuve sur le corps. Le corps
s’appréhende d’abord « sur un mode primitif intérieur » comme
étant cette « étendue vague et illimitée appartenant au corps
propre ». De la version remaniée du Mémoire sur la décomposition
de la pensée (1805) jusqu’à l’Essai sur les fondements de la
psychologie (1811-1812) Biran décrit cette «sorte d’étendue
intérieure » (D, 432), cet « espace intérieur du corps propre », ou
encore ce « contenu résistant intérieur », comme une masse une
indivisible soumise à la volonté et non encore divisée en parties
organiques distinctes mobiles (A, 124-125). Il faut donc opposer à la
discontinuité de la représentation du corps, partes extra partes, la
continuité primaire du corps aperçue de l’intérieur de l’effort. « Ce
sentiment de résistance uniforme et continue, inséparable de l’effort

59
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

commun déployé sur une masse inerte et solidairement mobile en ses


diverses points » (A, 124) précède toute localisation et toute division
du système musculaire en pluralité de termes mobiles. Mettre les
« uns hors des autres » ces termes mobiles, distinguer leurs limites,
savoir y rapporter les impression sensibles résultera d’un
apprentissage par l’intermédiaire du sens du toucher et par la
répétition des mouvements particuliers internes sur les organes.
*** Comprendre la résistance organique comme élément de la
conscience modifie totalement la compréhension de ce qu’est la
pensée. La pensée n’est pas immatérielle, elle n’est pas spirituelle.
Elle enveloppe toujours un rapport au corps comme «objet
immédiat » du vouloir, comme « terme immédiat de déploiement de
la force motrice » (DEA, 243). En retour, en tant que cette étendue
intérieure fait partie du fait primitif, « elle ne peut se représenter
sous aucune image » et c’est pourquoi Biran oppose à l’étendue
intérieure et irreprésentable du corps propre l’étendue extérieure et
représentable de la perception : « Je dis que cette forme d’espace
extérieur qui est l’objet de la vue ou du toucher, diffère
essentiellement de celle qui constitue le terme propre de l’effort,
l’objet de l’aperception immédiate dont le moi est inséparable » (E,
206).
Sensation
* « Je continuerai à appeler sensation tout mode composé d’une
affection immédiate variable, et du sentiment un, identique, de la
personnalité qui s’y joint, en tant que l’impression est rapportée à
un siège organique » (A, 144)
** Dans la sensation, le moi compose avec les affections
simples de l’organisme. Il n’y a en effet sensation que lorsque le moi
est déjà constitué et qu’il peut alors localiser certaines affections
dans les parties du corps « où l’influence de la volonté peut
s’étendre » (A, 143).
Pour faire la différence entre l’affection avec laquelle le moi
compose et qui peut être localisée et l’affection qui ne devient
sensible pour le moi qu’accidentellement et sans être localisée, deux
critères importent : d’une part que l’organe affecté soit soumis à la
volonté, d’autre part que « l’affection ne soit pas assez vive pour
absorber tout autre sentiment » (A, 143), qu’elle ne prédomine pas
sur la sensibilité en provoquant une réaction sympathique ou

60
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

antipathique du centre cérébral (E, 289) qui fera que nous


deviendrons ces affections (comme on devient triste ou gai, heureux
ou malheureux etc.) sans «que nous puissions les apercevoir, sans
nous en rendre compte, ni les rapporter à leurs sièges ou à leurs
causes organiques » (E,290)
Premièrement donc, pour qu’il y ait sensation, une relation
accidentelle du moi à l’affection ne suffit pas, il faut que l’affection
puisse se combiner plus intimement au moi et finisse par être
localisée dans une partie du corps. Or « rien ne se localise pour l’être
sensitif qui n’a pas encore mu ou agi » (E, 288). Le terme de
sensation ne convient pas aux affections qui ne peuvent entrer en
combinaison avec l’effort moteur qui a précisément pour terme
d’application l’organe affecté : sans cette relation à l’espace corporel
interne, le sujet ne peut rapporter l’affection à quelque organe que ce
soit. Que l’affection touche une partie mobile du corps soumise à la
volonté et alors le moi rapportera l’impression à cette partie
déterminée du corps où il sentira une résistance partielle occupant le
même lieu que la résistance organique. Dans ce denier cas seulement
la sensation est localisée parce que le même organe est terme pour
l’effort et qu’en même temps il est affecté. On comprend pourquoi la
sensation composée concerne particulièrement les sens externes qui
entrent tous plus ou moins dans le sens de l’effort et sont par ailleurs
percutés par les parties matérielles du monde ( « corps solides et
fluides » pour le toucher, « molécules odorantes et sapides » pour
l’odorat et le goût, « impression immédiate des rayons lumineux »
pour l’œil, «ondulations sonores » pour l’oreille). Biran conclut :
« toute affection rapportée à un siège organique ou à un lieu du
corps, est alors une sensation proprement dite », et donc « un
composé de premier ordre » (D, 434).
Deuxièmement, le moi peut très bien être submergé par le
mouvement des impressions affectives lors même qu’elles viennent
coïncider avec lui. Le fait que le moi puisse ainsi « s’identifier ou se
confondre » avec ces affections, soit du fait d’une réaction
instinctive du centre cérébral comme pour les sentiments de douleur
ou de plaisir, soit en étant absorbé par « un sentiment confus de la
vie générale absolue », montre que la sphère affective n’a pu être
combinée à l’effort moteur, que la « matière est toujours prête à

61
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

l’emporter sur la forme » (E, 313) et qu’en réalité, ici, « la matière


prévaut sur l’acte perceptif » (D, 142)
Il faudra donc que l’affectibilité de l’organe soit atténuée par
l’habitude pour que soit mise en évidence la dimension
représentative de la sensation. Mais même dans ce cas, certains sens
resteront plus affectibles que d’autres. Pour cette raison Biran fait
une distinction essentielle « entre ces sens externes, dont les uns sont
plus particulièrement constitués en rapport de dépendance des causes
excitatives de l’affectibilité immédiate qui y prédomine toujours sur
la mobilité volontaire, tandis que dans les autres, cette affectibilité
étant très subordonnée, et pouvant même être comme nulle, la partie
perceptive (…) prédomine dans la sensation totale et, s’isolant même
de tout composé affectif, peut constituer à elle seule ce mode
complet et mixte que j’appelle perception » (A, 144-145). Biran
différencie les sensations à dominante affective, goût, odorat et tact
passif, qui sont au service des lois de l’instinct nutritif et les
sensations à dominante représentative de la vue, ouïe et toucher
actif : ces derniers sont « les sens de la connaissance, les instruments
ou les moyens de toutes les communications physiques et morales, à
qui se rattache le développement progressif de nos facultés les plus
élevées » (A, 145).
***L’idée centrale de l’analyse de la sensation est que la
sensation est un mode composé d’une forme unie à une matière
variable : « Cette forme n’est point inhérente à l’affectibilité (…)
mais elle suit l’exercice du sens intérieur de l’effort » (D, 434). La
sensation est le premier ordre de facultés dans lequel une
décomposition est possible entre forme et matière. Qu’il y ait, en
toute sensation, composition entre le moi et des affections suppose le
moi constitué. Biran le montre par une « expérience intérieure » :
écartons toutes causes d’impression extérieures, « que les yeux
soient ouverts dans les ténèbres, l’ouïe tendue dans le silence de la
nature, l’air et tous les fluides ambiants au repos, les instruments de
la vie organique dans un parfait équilibre ; que le corps reste
immobile, mais que tous ses muscles soient contractés par un effort
voulu ; nous trouvons dans le sens immédiat de cet effort le
fondement unique de l’existence personnelle ou ce qui fait
proprement le durable de notre être. Maintenant toutes les
impressions variables et accidentelles de la sensibilité viennent

62
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

coïncider, tant que la veille dure, avec ce mode actif et fondamental,


uniformément continué mais elles ne s’y unissent pas toutes de la
même manière » (E, 312-313). Lorsque le moi est constitué et qu’il
n’agit pas, il a donc deux unions possibles avec des impressions
organiques internes ou externes : l’union passive à dominante
affective (sensation affective), l’union passive à dominante
représentative (sensation intuitive). On les distinguera de deux autres
unions possibles, l’union participative dans laquelle le moi par « son
concours actif » donne à l’impression son unité personnelle
(perception) et l’union active dans laquelle « c’est le moi lui-même
qui agit pour produire la sensation » (aperception) (RSP, 10).
En faisant de la sensation le premier mode composé de la vie
consciente (le moi s’identifiant à la conscience pure sans
impressions externes est ici l’antécédent de tous les modes), Biran
contourne le dualisme métaphysique : on ne fera pas sortir le moi de
la sensation matérielle et on ne fera pas sortir la matière du moi. Il
faut renvoyer spiritualisme et matérialisme dos à dos : la conscience
est dualité, la sensation est encore dualité, c’est-à-dire relation de
l’unité formelle à la multiplicité matérielle du monde par
l’intermédiaire de la multiplicité continue du corps (E, 312). A peu
près tout ce qui compte aux yeux de Biran, dans l’analyse
métaphysique en ce domaine, aura échoué sur l’analyse de la
sensation, Descartes, Leibniz, Locke, Kant et surtout Condillac,
faute d’avoir mis en évidence le rôle du moi dans la genèse de la
sensation et dans sa localisation.

Signe
* La fonction du signe est le rappel de l’idée.
**Lorsque, par la répétition de mouvements volontaires qui ont
formé des perceptions, le sujet perçoit à nouveau les produits
perceptifs en l’absence même d’impressions directes, il en a les
idées, et ces mouvements deviennent signes naturels de ces idées en
même temps que les marques par laquelle la volonté s’est
manifestée.
Lorsque ces mouvements initiaux sont eux-mêmes étendus par
un « acte réfléchi » à d’autres manières d’être par le moyen des
signes artificiels (de convention), le domaine du rappel s’étend à
d’autres impressions (plus fugitives) et à d’autres mouvements

63
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

(moins intenses). Tout signe artificiel re-marque la volonté et n’a


donc de sens « qu’enté sur les signes naturels » (I, 154).
Signifier ne veut rien dire d'autre que rappeler une idée, c’est-à-
dire présenter une perception en son absence, représenter. Les signes
« servent à l’individu à se remettre dans un état où il a déjà été et
fournissent ainsi une prise à sa volonté un point d’appui pour se
modifier lui-même » (I, 153).
Parce que la fonction du signe est le rappel, il est le soutien
premier de la mémoire. Il n’y a rappel que de ce qui est en notre
pouvoir, le mouvement de l’effort, et il n’y a d’idée que si il y a
répétition de mouvement. Les signes artificiels ont pour but de
rendre indéfiniment disponible les actes effectués et de permettre au
sujet de réfléchir à ce qu’il contemple, de penser en idées (I, 155).
Avec les signes artificiels, le sujet "multiplie ses moyens de
correspondance, soit au dehors, soit avec sa propre pensée » (I, 153).
En tant que naturels, les signes-mouvements sont donc « nécessaires
à la formation de nos premières idées », en tant que naturels ou
artificiels, ils sont « l’unique soutien de la mémoire » (I, 154)
Dans les mémoires sur l’habitude, la fonction du signe étant de
représenter, tout repose sur le rapport entre signe et idée. Or, la
répétition nous dérobe progressivement notre sens de l’effort comme
nous ne le voyons que trop avec les signes du langage : « Nous
parlons trop souvent à vide en croyant penser » (I, 224). Souvent les
signes sont « vides d’idées », séparés de tout « effet représentatif ».
Ou alors on fait un usage des signes comme s’ils pouvaient nous
servir à tout représenter et nous faire aller au-delà « des bornes de la
représentation ». Mais le sujet ne peut représenter que ce qui est
représentable, à savoir une liaison équilibrée entre force motrice et
impression sensorielle.
Dans sa première philosophie, Biran fait donc une grande place
à la fonction représentative du signe institué. La Décomposition
place au contraire l’activité du sujet avant la représentation
perceptive. Biran soutient alors que le signe institué est un
« monument fixe », ou un « point d’appui fixe », moins destiné à « la
reproduction directe des images » qu’au « rappel des actes ayant
essentiellement concouru à la perception distincte ». Dans l’Essai
Biran montre définitivement que nos premiers signes se rapportent à
l’aperception où le sujet se saisit comme distinct du terme qui

64
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

résiste. La distinction cause/effet explique en effet le rapport


sujet/attribut et rend raison de l’emploi des signes comme « Je,
« est », « moi » etc. (E, 490). En retour l’institution de ces signes
donne appui à la réflexion pour éclaircir durablement toutes les
notions concernant notre existence.
Mais c’est surtout l’examen de la fameuse querelle des réalistes
et des nominalistes dans l’Essai qui éclaire la place du signe. Biran
s’aperçoit que cette querelle repose sur une erreur : soit on donne
plus de réalité aux idées qu’aux signes généraux (réalisme), soit on
donne moins de réalité aux idées qu’aux signes généraux
(nominalisme). Mais quelque solution qu’on choisisse, on ne fait pas
la différence entre imagination et réflexion. Le nominaliste pense
que la pensée se réduit aux signes parce qu’il pense secrètement
« qu’il n’y a d’objets de la pensée que ce qui se réduit à
l’imagination » (E, 431) et le réaliste pense que tout signe général
renvoie à une réalité substantielle absolue pour une raison au fond
identique, parce qu’il n’y a de signe que pour une réalité qui peut
« se manifester aux sens ou se concevoir par l’imagination » (I, 429).
Aucune des parties adverses ne voit que le fondement du signe
réside dans l’activité propre du sujet, que le signe puise sa réalité
dans cette existence relative. C’est pourquoi, conclut Biran, il faut
renvoyer les adversaires dos à dos : "Il entre bien moins de réel dans
nos idées générales que ne le supposaient les réalistes et bien plus
que n'en admettaient les nominaux". (E, 428)
***La pensée n’est pas réductible à l’image et au signe. D’où
vient la réalité d’une idée réflexive si ce n’est de son lien au fait
primitif ? L'idée réflexive universalisable est en même temps la plus
individualisée comme l’est par exemple la notion d’essence de
l’homme dont nous avons une idée très claire (mais sans image)
puisqu’elle constitue le moi. A l'inverse, l'idée générale est la plus
impersonnelle et aussi la plus irréelle des idées. Jamais les idées
réflexives ne sont que des signes-images, ou ne renvoient à des
genres absolument réels comme l’ont cru nominalistes et réalistes.
On doit dire au contraire que "dans l'emploi de signes d'idées
abstraites universelles comme ceux de substance, de cause, de force,
d'unité, de même, etc., il y a toujours une existence réelle présente à
l'esprit, indépendamment du signe conventionnel » (E, 430). Le réel
de la pensée n'est pas dans le signe, l'universalité de la pensée n'est

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

pas non plus constituée par le signe. C’est au contraire le signe qui
suppose l’aperception et c’est exactement sur le modèle aperceptif
que le signe acquiert ce pouvoir réflexif de faire entrer le multiple
dans l’unité : le moule de toute langue « c’est l’esprit humain » (E,
430).
Troisième vie
* La troisième vie est la vie spirituelle qui, au travers de
l’expérience de la grâce, tend à « l’absorption en Dieu par la perte du
sentiment de moi et l’identification de ce moi avec son objet réel,
absolu, unique » (DEA, 322).
** La science de l’homme a trois cercles : la vie animale
simple, la vie humaine double, la vie spirituelle ou troisième vie dont
le principe est la grâce. (DEA, 26). La psychologie, seule base réelle
de la connaissance commence et finit avec le moi, dans la seconde
vie. La vie machinale du corps et la vie spirituelle, où l'esprit
purement réceptif se dégage du registre personnel pour s’absorber
par amour et passion en Dieu, sont en réalité symétriques. Car la
physiologie et la théologie dépossèdent le sujet de son activité : "Les
deux extrêmes se touchent; la nullité d'efforts ou l'absence de toute
activité emporte la nullité de conscience ou du moi, et le plus haut
degré d'activité intellectuelle emporte l'absorption de la personne en
Dieu ou l'abnégation totale du moi, qui se perd de vue lui-même"
(Journal, II, 188).
***Alors que la première philosophie de Biran aura cherché à
donner une physiologie de la pensée, sa dernière philosophie sera
tentée par une théologie de la pensée, ce qui au fond revient au
même : objectiver la pensée, absolutiser la pensée, déposer le moi
dans le matériel ou l’immatériel, dans le corps ou en Dieu. « C’est
ici que les systèmes physiologiques et théologiques, tout éloignés
qu’ils paraissent, peuvent se rejoindre dans une même idée, à savoir
celle d’une force indépendante de la volonté » (Journal, II, 318).
Sans aucun doute à partir de 1818, le sentiment d’un exercice de la
liberté de plus en plus difficile (une vraie crise morale) pousse
Biran vers la théologie et la religion, vers la recherche d’un point
d’appui fixe et absolu. Mais c’est aussi sa force philosophique que
d’avoir senti et dit tout ce que cette recherche a d’inconciliable avec
les principes de sa psychologie : l’inclination théologique ne
supprime pas les lois élémentaires de la psychologie. "Changez cet

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

ordre essentiel de la nature humaine, substituez l'influence


immédiate d'une autorité extérieure quelconque à l'autorité ou à
l'évidence de la conscience; qu'une force étrangère prenne la place
de la spontanéité du vouloir et de la liberté d'action, et vous détruirez
l'homme moral, vous anéantirez du même coup et la science et la
vertu » (DMR ; 86).

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Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello

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