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6| Cours d’introduction à la grammaire générative en 2ème Année à la FLA de l’UEH (Prof : E.

Rosena)

1.2. Le fonctionnalisme et la grammaire fonctionnelle de Martinet


Le fonctionnalisme étudie le système langagier, mais dans son rapport avec la société. Il a pris
naissance à partir des travaux des membres du Cercle de Prague notamment les russes Nikolaï
Troubetskoï et Roman Jakobson. La première des neuf thèses de Prague considère la langue comme
un système fonctionnel. Autrement dit, elle est un système de moyens d’expression, et comme tout
produit de l’activité humaine, elle a une finalité. L’idée générale est que la fonction de la langue
détermine sa structure. D’où la nécessité de définir les fonctions du langage.

1.2.1. Les fonctions du langage


Jacobson (19631) a repris et a approfondi la classification de Bühler (19342) en s’inspirant de la théorie
cybernétique (Shannon & Weaver, 19493) pour proposer six facteurs constitutifs de l’acte de
communication. Chaque facteur correspond à une fonction du langage (5).

5.
CONTEXTE
(fonction référentielle)

DESTINATEUR………MESSAGE………DESTINATAIRE
(fonction expressive) (fonction poétique) (fonction conative)

CONTACT
(fonction phatique)

CODE
(fonction métalinguistique)

Selon ce schéma de la communication, un destinateur envoie un message à un destinataire. Ce


message requiert un code, un contexte et un contact. Le contexte (ou référent) serait la réalité objective
(les choses du monde) à laquelle renvoie le message. Et le contact serait le canal physique et la
connexion psychologique qui permettraient d’établir et de maintenir la communication.

Les fonctions correspondantes sont :

a) la fonction référentielle selon laquelle le langage est utilisé pour transmettre des informations
objectives. Dans ce cas, les énoncés parlent du monde et renvoient au référent. l’utilisation du mode
indicatif et de la 3e personne sont des indices de la fonction référentielle dans le discours.

b) la fonction expressive ou émotive qui concerne l’expression des affects du destinateur à l’égard de
ce dont il parle. Cette fonction est patente dans les interjections et latente au niveau phonique,
grammatical et lexical. Les indices de cette fonction dans le discours sont entre autres le subjonctif
et la 1re personne.

1
Essais de linguistique générale, tome 1, Paris, Minuit.
2
Bühler (1934 ) Sprachtheorie, Jena, Fischer.
3
The mathematical theory of communication, Urbana, The University of Illinois Press.
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c) la fonction conative selon laquelle l’énoncé vise à produire de l’effet sur le destinataire. Le vocatif
ou l’interpellation et l’incantation, l’utilisation de l’impératif et de la 2e personne sont autant
d’indices de cette fonction.

d) la fonction phatique exprimant un contact entre les protagonistes parce qu’elle vise à établir, à
maintenir voire interrompre la communication, à capter l’attention de l’interlocuteur (Ex : tu
comprends ? hm-hm), à tester le fonctionnement du circuit (Ex : allô ! tu es là ? tu m’entends ?).

e) la fonction métalinguistique (ou de glose) selon laquelle l’énoncé informe sur le mode de sa
production, sur le code (Ex : que veux-tu dire ? qu’entends-tu par… ? tu comprends ?).

f) et la fonction poétique qui met l’accent sur le message et qui ne se réduit pas à la poésie, car toute
tournure qui conventionnellement ou relativement donne l’impression de sonner mieux qu’une
autre participe aux indices de cette fonction. (Ex : "ma sœur et moi" peut sonner mieux que "moi et
ma sœur" ou peut-être l’inverse).

1.2.2. La grammaire fonctionnelle de Martinet


La linguistique de Martinet repose sur une extension de la notion de pertinence phonologique de
Troubetskoï (19644) selon laquelle le phonème en tant qu’unité phonologique minimale a pour fonction
de distinguer les mots de la langue (Ex : les mots /bɔt/ et /pɔt/ qui partagent les phonèmes /ɔt/ se
distinguent seulement par le voisement de /b/ car celui-ci est bilabiale et occlusif comme /p/). Martinet
parle plutôt de pertinence communicative pour faire référence au fait que la fonction de tout objet
linguistique (unité et structure formelle) implique la communication. Ainsi, le caractère fonctionnel de
sa linguistique implique une analyse des énoncés de la langue en référence à leur mode de contribution
dans la communication. D’où sa définition de la langue comme instrument de communication
doublement articulé. La première articulation consiste en la combinaison de monèmes, unités
minimalement significatives. La seconde articulation, quant à elle, implique la combinaison de
phonèmes, unités minimalement distinctives. La double articulation reflète donc deux types de
pertinence, une significative, et l’autre distinctive. Et elle permet la transmission de quantités de
messages, vu que la combinaison de monèmes (lesquels forment une classe ouverte) permet de former
une infinité d’énoncés et que celle de phonèmes (formant une classe fermée) rend possible la formation
de milliers de monèmes.

1.2.3. Monème : définition et classement


Martinet appelle monème, toute unité de sens à laquelle correspond un élément de forme. Le monème
est donc un signe, au sens saussurien du terme. Selon lui, c’est l’opération de commutation qui permet
de dégager les monèmes. Certains monèmes appartiendraient au lexique, d’autres à la grammaire.
Martinet distingue parmi les monèmes, ceux qui sont conjoints de ceux qui sont libres.

4
Principe de phonologie, Paris, Klincksieck.
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1.2.3.1. Monèmes conjoints


Les monèmes conjoints sont constitutifs de complexes et se comportent comme un seul élément. Par
exemple, "gaité" est un monème qui renvoie à une expérience (joie) et est formé de "gai+té" qui sont
pour cela deux monèmes conjoints. On parle de synthème pour nommer une séquence de monèmes
conjoints. Les monèmes conjoints d’un synthème peuvent être en composition, dans ce cas ils existent
séparément (Ex : autoroute, vide-poche). Ils sont en dérivation lorsque l’un d’entre eux est un affixe
(Ex : maisonnette, lavage). Composition et dérivation peuvent être endocentriques si les conjoints
n’affectent pas le rapport du synthème avec le reste de l’énoncé (Ex : il est venu par la
route/l’autoroute ; il a pénétré dans la maison/maisonnette). Elles sont exocentriques si les conjoints
affectent le rapport du synthème avec le reste de l’énoncé (Ex : je l’ai mis dans le vide-
poche/*vide/*poches ; elle procède au lavage/*lav/*age).

1.2.3.2. Monèmes libres


Contrairement aux monèmes conjoints, les monèmes libres ne font pas partie d’aucun complexe mais
peuvent s’associer librement. Le monème "donnait" est la combinaison de "donn+ait" qui, chacun, peut
être combiné à d’autre monèmes (Ex : donn+erai ; mange+ait). Les monèmes d’une séquence comme
"avec le sourire" sont tous libres. Une séquence de monèmes libres est nommée syntagme.
On parle de syntagme autonome (Ex : l’an dernier, en voiture, avec mes valises) lorsque le syntagme
se comporte comme un monème autonome (Ex : hier, vite), i.e. lorsqu’il précise une circonstance de
l’énoncé.

1.2.4. La phrase
Martinet, à la suite de Meillet(1903)5, considère la phrase comme une séquence qui suffit à elle-même
et dont les unités constitutives sont liées entre elles par des rapports grammaticaux. La phrase a un
monème central, le prédicat, désignant un état de chose ou un évènement et sur lequel l’attention est
attirée. Ce n’est que par rapport à lui que marque la fonction des autres monèmes. Martinet entend par
fonction « un lien entre deux éléments». Par exemple, le monème qui occupe la fonction sujet désigne
un participant actif ou passif de l’événement ou de l’état de chose que marque le prédicat (Ex : il
danse ; il souffre ; il est linguiste). Le monème sujet se distingue d’un monème complément par sa
présence nécessaire6 (Ex : *(L’enfant) parle (français)).

1.2.4.1. Détermination et Expansion


Il y a détermination lorsqu’un monème (au moins) accompagne un autre pour en préciser le sens (Ex :
les enfants ; le petit prince ; il mange la soupe). Parmi les monèmes déterminants, certains ne peuvent
être déterminés. Ils sont des « déterminants non déterminables » nommés modalités (Ex : le bateau ; il
mangeait). Martinet oppose les modalités qui sont des monèmes déterminants aux monèmes

5
Introduction à l’étude comparative des langues indoeuropéennes, Paris Hachette.
6
Le prédicat est dit actualisé par le sujet. Martinet parle d’actualisation pour expliquer la formation du message
linguistique. Un monème devient message lorsqu’un autre l’accompagne pour créer un contexte, i.e. pour le fixer dans la
réalité. Les deux forment un syntagme prédicatif ou un syntagme indépendant, i.e. un segment qui, à lui seul, peut
constituer le message (Ex : il y avait fête).
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fonctionnels (connecteurs) dont le rôle est de marquer les rapports de deux autres monèmes (Ex : il
vient avec son sac).

Martinet appelle expansion tout élément supplémentaire ne modifiant pas les relations et la fonction
des éléments formant la phrase. Tout autre élément de la phrase, à l’exception de l’actualisateur, est
une expansion du monème prédicatif. Il reconnait deux types d’expansions : la coordination lorsque
l’élément supplémentaire a la même fonction qu’un élément de l’énoncé (Ex : Il vend et achète des
meubles) ; et la subordination qui est marquée par la position de l’élément supplémentaire, soit à
gauche du prédicat en français (Ex : Les chiens mangent la soupe) ou par un monème fonctionnel (Ex :
La poussière de la route). L’élément supplémentaire peut être de types divers (Ex : bien plus grand ;
absolument sans argent ; très vite ; la robe rouge ; la robe qui est longue ; la robe de balle ; la très belle
robe, etc.)

Détermination et subordination couvrent les mêmes phénomènes. Le monème déterminant ou


supplémentaire est nommé satellite par rapport à celui qu’il détermine ou dont il dépend qui est un
noyau.

1.2.4.2. Fonctions primaire et non primaire


Martinet distingue la fonction primaire de la fonction non primaire. La fonction primaire est celle
qu’occupent les monèmes constituant la phrase (Ex : Le directeur a dicté une lettre au secrétaire). La
fonction non primaire est celle occupée par des monèmes rattachés à un segment de la phrase (Ex : Le
directeur de la banque a dicté une lettre de quatre page au secrétaire particulier qu’il avait fait venir).
Le terme prédicatoïde est attribué à tout monème constitutif d’une séquence occupant une fonction
primaire étant susceptible d’être le prédicat de la séquence dans un autre contexte (Ex : "fait venir"
dans la séquence "particulier qu’il avait fait venir ".

 Références
Martinet A., 1985, Syntaxe générale, Paris, A. Colin.
Martinet A., 1989, Fonction et dynamiques des langues, Paris, A. Colin.
Martinet A., 2008, élément de syntaxe générale, Paris, A. Colin (5e éd).
Paveau M.-A. & Sarfati G.-E., 2008, les grandes théories de la linguistique, Paris, A. Colin.
Bougnoux D., 1993, sciences de l’information et de la communication, Paris, LaRousse

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