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RECHERCHE « CRITIQUE » EN CONTRÔLE DE GESTION : EXERCER SON

DISCERNEMENT

Dominique Bessire

Association Francophone de Comptabilité | « Comptabilité - Contrôle - Audit »

2002/2 Tome 8 | pages 5 à 28


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ISSN 1262-2788
ISBN 2711734188
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https://www.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit-2002-2-page-5.htm
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Dominique Brsstnr
RECHERCHE. CRITQUE '' EN CONTRÔLE DE GESTION : EXERCER SON DISCERNEMENT

Recherche ( critique ))
en contrôle de gestion :
exeîfcer s 0n d,is cernernent
Dominique BrssInE-

t în monagemenl
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Résuné Abstract Crîtical rosaarch
Les dernières decennies de recherche en ggo"gW:!*sût"ls_t_ss-tgisgle:
contrôle de gestion ont rru l'émergence dune During tbe |ast dccadet research in the feld of
multitude de perqpectives qui afichent leur oppo- rnanagement control has bem characterised by the
sition au structuro.fonctionnalisme ou au positi- ernergence ofa great uariery ofnends which chirn
visme et, pout c€tte raison, sont fiÉquemment th eir rej ea of structuro-functionnalism or ofp osi.
regroupées sous I'intitulé u courant critique >. lJne
tiaiçm and therefore are refrned to as < criti.cal >.
série de carts,:homologues foumit au chercheur
A series of homological maps prouidzs the schohr
les outils de discernement épistémologique
with toob wbirh can he/p him ts discriminzæ
susceptibles delui permeme doffrer ses choix en
among tbe diferent approarhes and to deuelop his
connaissance de muse, Ta carte qui synthétise les
e?istenological contcibusness, Tbe map utbich
r6ukats de I'andysg momre qu€ certaines pers-
sumrnarises the resub of tbe analysàs shows that
pectives de recherche ,, critiqtre D, tout en le
d&riant, ne font qrc tenforcer le paradigme natu- some pmpectiues, in sphe of wbat they ckim,
nliste, combimisn de matérialisme et de struc- tend n rànforce the nnturalistic paradigm which
turalisme. EIle révèle aussi la rareté de la référence comhines materia/isrn and stnr.cturalism. It also
au paradigme diamétralement opposé, le para- reaeals the paucity of the refermce to the Wrn*
digme cularraliste, qui croise humanisme et idea- tric paradîgm, cuburalism, uthich associates
lisme et qui, seul, accorde [a primauté à l'ête humanivn witlt idealism and is the only one to
humain etàsa soif de réalisation. insist orc tlte primacy of the harnan being.

Conespondonce: Dominique BEssnr


laboratoire orlânais de gestion (LOG)
IAE d'Orléans - Faculté de droit, d'économie et de gestion
Université d Orleans
Rue de Blois BP 6739 - 45067 Orlêns Cedex 2
E-mail : Dominique.Bessire@univ-orleans.fr
* I-laureur souhairc exprimer toute sâ gratirude à Genevieve Nifle et à Jeanne Meunier qui, par leur relecnrre
critique et sans concession, lui ont permis de progresser de manière décisive dans sa réflexion. Elle remer-
cie également ses deux rapponeurs qui, par un avis favorable, accompagné de remarques chaleureuses, ont
bien voulu accorder leur soutien à sa démarche.

CoMI'rABrLrÉ - CoNrRôI.p - Auprr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique BEssrnE
RECHERCHE " CRITQUE,' EN CONTRÔLE DE GESTON:
6 EXERCER SON DISCERNEMENT

Le corpus scientifique qui guide la recherche en contrôle de gestion s'inscrit à l'origine dans un
mouvement qui articule innovations instrumentales (calcul des coûts, contrôle budgétaire, tableau de
bord, etc.) et effort de conceptualisation, illustré de manière emblématique par les propositions
d'Anthony (1965). ks recherches se réfèrent alors principalement aux développements de la théorie
des organisations (école classique, école des relations humaines, approches contingentes, théorie
contracnrelle, etc.). Au-delà de la diversité des hypothèses qui les fondent, une finalité commune les
anime : donner aux entreprises les moyens d'accroître leur efficacité et leur efficience. Cet ensemble
de recherches forme ce que l'on a coutrune d'appeler le n courant orthodoxe >, qui est longtemps resté
non seulement le courant dominant, mais aussi le seul à êue considéré comme sciendfique.
À partir des années soixanteJ.ix, d'autres recherches, nourries par les apporrs de la sociologie et de
la philosophie, remeûent en cause cette orientatien. Fjlss constituent progressivement un ensemble de
plus en plus étoft, mais aussi de plus en plus hétérogène, aux contours assez flous. Ces recherches, en
effet, ne se rejoignent guère que dans leur colnmrure opposition au courant n orthodoxe )) et, pour cette
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raison, s'abritent volontiers sous des intinrl& vagues tels que courant n critique ) ou ( construcdvisme >.
Longtemps demeuré minoritaire, ce type de recherches asseoit peu à peu sa légitimité et connaît aujour-
d'hui un engouement croissant qui nous semble cependant reposer sur des bases mal assurées.
La prolifération des perspectives de recherche confronte en effet le chercheur à la quesdon du
choix d'un cadre théorique peftinent, sans qu il dispose des outils qui lui permettraient de prendre
une décision en connaissance de cause. Dans la jungle des théories, il erre sans boussole et peine à
trouver son chemin. Il arrive ainsi que la sélection d'une perspective théorique relève du hasard
(lecrures, rencontres, etc.), voire des efFets de mode. Le chercheur adopte alors une position relativiste
(toutes les théories se valent), mais sans en avoir nécessairement conscience. D'autres fois, le chercheur
adopte délibérément une posture n critique ) et se met en quête d'un référent théorique qui lui
permette d'accorder ses recherches à ses convictions ; armé de ses seuls bons sentiments, il peut cepen-
dant se fourvoyer et s'engager, à son insu, dans une voie à l'opposé de celle qriil croyait emprunter.
Dans les cas les plus extrêmes, la théorie ne semble avoir d'autre fonction que d'habiller, vaille que
vaille, les résultats de la recherche, potrr répondre aux impératifs supposés de la démarche scientifique.
Dans aucun des cas, la cohérence méthodologique n'est assurée.
la première ambidon de notre étude est donc de fournir au chercheur les outils de discernement
qui lui font aujourd'hui défaut et qui seuls lui permettraient d'exercer un choix en toute conscience. la
première panie de l'article pr&ente en conséquence un ensemble d'outils suscepdbles de satisfaire à cet
objectif, une c:rrte épistémologique générale et ses dédinaisons, dans le champ des logiques explicatives
de I'organisation d'une part et dans le des conceptions du contrôle de gesdon d'autre pan (1.).
"h*p
l,a seconde panie de I'article illustre I'usage qui peut être fait de ces cartes. Le choix du terrain
d'application, le courant de recherche n critique u, est dicté par plusieurs considérations. La première
est l'extrême confusion qui règne aujourd'hui, nous semble-t-il, au sein de ce courant ; le besoin de
repères Êables s'y manifeste avec d'autant plus d'acuité. Nous proposons donc au lecteur un premier
pârcours guidé dans ce champ foisonnant. La deuxième est notre volonté de restaurer le sens du mot
n critique o dans sa pleine acception. Ce qudificatif, sauf à en affaiblir inconsidérément le sens, ne
devrait en effet s'appliquer qu à des perspectives de recherche capables d'expliciter leurs fondements,
de manière à permettre au chercheur d'exercer son discernement ; le rejet affiché du paradigme
n onhodoxe ,> ne peut raisonnablement à lui seul tenir lieu de critèrel. [,a dernière raison réside dans
la finalité ultime de cette étude. Le repérage épistémologique ne consdnre en effet que la première

CoMpT BIurrE - Coll.rRôr-E - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2O02 (p. 5 à, 28)
Dominique Brsslnr
RECHERCHE. CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT 7
étape d'une entreprise plus vaste, à savoir I'identification de perspectives de recherche qui permettent
de renouveler notre conception du contrôle de gestion en le fondant sur des valeurs explicitées et en
le mettant au service de I'accomplissement simultané de la vocation des êtres humains et des organi-
sations dans lesquelles ils exercent leur activité. Comme nous le verrons, c'est au sein du courant
n critique > que ces pistes de recherche alternatives peuvent être identifiées (2.).

ffiffi= Construction d'outils de discernement 3

du concept de sens aux cartes épistémologiques


Notre recherche s'inscrit dans la perspective tracee par la théorie des cohérences (Nifle, 1986)2, qui
réserve une place centrale au concept de sens (1.1). Les multiples orientations que celui-ci emprunte
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peuvent être matérialisées sur des cartes susceptibles d'être déclinées, selon un principe d'homologie,
en autant de versions qu il y a de champs d'étude considérés (1.2). Hopper et Powell (1985) ont mis
en æuvre une démarche qui s'apparente à la nôtre ; il nous a donc semblé utile de comparer nos
approches respectives ( 1.3).

I;l';.,".'. Le concept de sens et son opérationnalisation


Le concept de sens apparaît dans les écrits en sciences de gestion depuis fon longtemps déjà, mais sous
des appellations variées. l-a théorie des cohérences humaines permet de le cerner avec plus de préci-
sion et ofte les moyens de matérialiser ses orientations possibles sur des séries de c:trtes.

,,:,:, t,1.1. r.F. sENs, uN coNcEpT CENTRAL3


Le sens est, dans la théorie des cohérences humaines, au principe de toute réalité. Il peut être défini
comme une ceftaine vision du monde qui sous-tend les actions et les représentations, individuelles ou
collectives, leur donne une orientation déterminée et en forge la cohérence. Ainsi défini, le concept de
.cerc subsume I'ensemble des acceptions usuelles du mot sens en français. Il englobe aussi, selon nous,
un certain nombre de notions déjà utilisées en sciences de gestion telles que les valeurs, les croyances,
l'idéologie, la culture, les théories de I'action, les paradigmes, etc. Il se rapproche en particulier étroi-
rement du concept de schème d'interprétatior?, notarnment dans la définition qu'en donne Bamrnek
(1984, p. 355) lorsqu elle y voit un schéma qui façonne notre expérience du monde, nous permet à la
fois d'en identifier er d'en inteqpréter les éléments pertinents et agit comme un ensemble d'hypotheses
fondamentales (quoique souvent implicites) sur le pourquoi et le comment des choses et des compor-
tements humains.

i fli, , LES cARrEs DE sENs


Le sens esr susceptible de se déployer dans de multiples directions qu il est possible de matérialiser par
une carte, dite carte des sens ou qtrte des coltérences, générée par deux axes, un peu à la façon dont on
ur:lise une rose des vents pour figurer la direction du zéphyr ou de l'aquilon, ou une boussole pour
s'orienter par rapporr aux quatre points cardinaux. Cette carte se décline en autant de versions qu il y
a de champs d'étude. la théorie des cohérences humaines distingue deux sones de canes : des cartes

CoupreurrrÉ - CoNrRôrr - Auorr I Tome 8 - Volume 2 - novembre 20O2 (p. 5 à 28)


Dominique Bxstnr
RECHERCHE.. CRITQUE EN CONTRÔLE DE GESTON
8 '
EXERCER SON DISCERNEMENT
:

spécifiques et des cartes générales. Les premières permettent d'analyser un objet particulier : une
entreprise, un concept (la qualité, la culture, etc.), un processus (l'aménagemenr du territoire, la
construction européenne, etc.). Les secondes se rangent en trois catégories : carres phénoménolo-
giques qui permettent de scruter des pratiques, cartes téléologiques qui aident à comprendre les
logiques à l'æuvre dans les processus de changement et enfin cartes épistémologiques qui sont spéci-
fiquement conçues pour analyser des théories et des logiques explicatives. C'est cette dernière carégo-
rie de cartes que nous utiliserons ici.

, l"l.e. IA coNsrRucrroN DEs cARrEs ÉprsrÉnaoloclelrEs


Toutes les canes épistémologiques spécifiques à un champ scientifique donné s'obtiennent par décli-
naison de la carte épistémologique générale dans ce champ. Les axes qui engendrenr cene cane épis-
témologique générale opposent verticalement rnatérialisme et idlalisme et horizontalemenr stTactara-
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lisme et humanismea (figure 1).

Figure 1

Carte épistémologique générale

idéalisme

CONSTRUCTIVISME
culturalisme

numantsme structuralisme

naturalisme
POSITIVISME
ET RÉALI5ME

matérialisme

PARADTGME # PARADTGME __+


INTERPRFTATIF STRUCTURO-FONCTIONNALISTE

Librement âdapté de Nifle (1 986 p. 206)

Lopposition entre mathialisme et idéalisme concrétise un débat qui parcourt la philosophie depuis
ses origines. Dans une perspective matérialiste, les choses sont ce qu elles sont et la fatalité règne en
maître ; la subjectivité5 est occultée et l'accent est mis sur les n fairs ,. Lidéalisme, tres présent dans la
philosophie allemande de la fin du XVIII. siècle (Kant, Fichte, etc.) jusqu à nos jours (Habermas),
renvoie en revanche à I'autonomie absolue du sujet et à son libre arbitre comme principes fondateurs.
En d'autres mots, tandis que le matérialisme voit en l'homme un être aliéné par des forces qui le
dépassent (ses instincts, les n lois , de la naû.lre, etc.), I'idéalisme souligne sa vocarion à s'émanciper.
l,a première orientation s'accorde à I'hypothese ontologique tandis que la seconde renvoie à I'hypo-
these téléologique (L,e Moigne, 1995, p.66-88).

CoMpTABIrxrÉ - CoNrnôrs - Auutr / Tome 8 - Volume 2 - novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique BFsstRE
-
RECHERCHE. CRITQUE '' EN CONTROLE DE GESÏON :

EXERCER SON DISCERNEMENT 9


Lopposition entre structuralisme et ltumnnisme est apparue plus récemment sur la scène épistémo-
logique ; elle constitue aujourd'hui au sein des sciences humaines une ligne de clivage essendelle (que
['on peut résumer, selon nous, à I'opposition entre paradigme structuro-fonctionnaliste et paradigme
interprétatif ou herméneutique). læ structurdisme réduit toute réalité à un assemblage implacable de
strucnrres qui gouverne nos choix individuels et collectifs ; la rationalité est érigée en valeur suprême.
Lhumanisme voit la réalité comme un monde d'expérience humaine, dont la compréhension passe
par la subjectivité humaine (Schiller, cité par l^alande, 1997). En d'autres mots, le structuralisme s'ex-
prime dans la recherche des lois qui regissent le monde tandis que I'humanisme considère la réalité
comme une construction humaine. La première orientation renvoie à l'hypothèse déterministe tandis
que la seconde peut être mise en relation avec I'hypothèse phénoménologique (Le Moigne, 1995,
p.66-88).
Ceme première analyse nous conduit à positionner approximativement les épistémologies positi-
vistes et réalistes en dessous d'une diagonale sud-ouest / nord-est et les épistémologies dites construc-
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tivistes au-dessus de cette diagonale.
Les deux axes génèrenr quarre paradigmes types : rationalisme idéaliste, naturalisme' animalisme
et culturalisme.
Le rationalisme idy'aliste esr, pour I'essentiel, un héritage de la pensée des Lumières. S'il fait de la
raison le principe explicarif du monde et la source de toute connaissance, il la met au service de
l'émancipation de I'humanité. C'esr donc en se conformant de plus en plus étroitement à ses lois que
se râlisera I'idâl de progres assigné à la société humaine.

Le naturalisme (ou rationalisme matérialiste) considère toute réalité comme un système (méca-
nique, biologique, économique, etc.) d'éléments abstraits (l'homme étant un de ces éléments parmi
d'autres), régi par des lois universelles, qui imposent à la n réalité , leurs diktats et qu il s'agit de décou-
vrir pour s'y adapter au mieux.
Dans le champ del'anirnalisme,le maître mot est possession. La valeur des hommes et des choses
se mesure à I'emprise qu'ils ont ou qu ils permettent d'avoir sur d'autres hommes ou d'autres choses.
Il faut avoir pour pouvoir et pouvoir pour avoir. La vie est une lutte incessante, conditionnée par les
insdncs et les affecs.
Le culturalisme inscnt I'homme dans un processus historique par lequel il apprend à se connaître
et à maîtriser la réalité. La culture est ici I'achèvement de la nature humaine et non son reniement.
C'est dans cette dernière perspective que s'inscrit notre réflexion.
Rationalisme idéaliste, naturalisme, animalisme, chacun de ces trois paradigmes types met en
valeur une ou plusieurs facenes de la râlité et en occulte d'autres : le rationdisme idéaliste privilégie
le plan des represenrations ; le naturalisme occulte la subjectivité et met l'accent sur le plan des opéra-
tions ; l'animalisme se concenrre sur les affects. Seul le culturalisme, de notre point de vue, est à même
de prendre l'ensemble des dimensions et plans de la réalité.

. de la carte épistémologique dans le champ


.,lll i']..,i Deux déclinaisons
des sciences de gestion
Chacune des quatre logiques explicatives identifiées cidessus définit tout un univers et s'investit dans
des questions de nature variée. Les deux cartes suivantes constituent des déclinaisons possibles de la

CoMprÂBIulÉ - CoNrRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique Brsstne
RECHERCHE.. CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON :
10 EXERCER SON DISCERNEMENT

carte épistémologique générale dans le champ des sciences de gestion. Elles matérialisent la cohérence
qui unit, âu sein d'un même paradigme, conception de I'organisation et manières d'appréhender le
contrôle de gestion.

: ,i.?,i:; . LEs coNcEprloNs DE roRGANIsArroN ET DU Rôr.E


DE THOMME EI\ SON SEIN
La présentation de la carte (figure 2) qui matérialise les logiques explicarives de l'organisation mérite-
rait sans doute un long exposé. Pour ne pas alourdir le texte, mais offiir cependant à nos lecteurs des
repères suffisants, nous avons choisi de réduire le commentaire autant que faire se peut et d'enrichir la
carte par des métaphores.

Figure 2
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Conceptions de l'organisation

un projet

rationalisme; idéaliste :
une architecture

une structure
fonctionnelle

conflictualisme : mecantcsme:
une arène une machine

une exploitation
Librement adapté de Nifle (1987, p. 28)

Dans une perspective matérialiste,l'entreprise est considérée comme une simple exploitatizn, une
entité qui se résume à sa foncdon de producdon (Desreumaux, 1998, p.75). Lindividu est lui-même
réduit au rôle de facteur de production ; il n'est qu'un simple exécuranr, mû par la seule recherche de
son intérêt propre.
Dans une vision idy'aliste,l'organisation e$ conçue comme un projet qur se réêre à une Ênalité supé-
rieure. Les individus s'engagent au service d'un intérêt supérieur qui transcende les intérêa particuliers.
Lhomme est pris en compte dans sa volonté d'achèvement personnel et sa capacité à s'émanciper.
Dans une perspective stntcturaliste,l'organisation est vue comme une entité abstraite, vne structure
fonctionnelle dont l'archétype est la forme bureaucratique décrite par'W'eber. Lindividu (du dirigeant
au simple salarié) doit se plier aux normes impersonnelles qui lui sont imposées.
Dans une vision humaniste, I'entreprise est considérée comme une colnmanauté humaine qui
rassemble les salaries, les clients, les fournisseurs, les représentants de la collectivité au niveau local ou
national, en bref une organisation sociale (Desreumaux, 1998, p.75), dans laquelle chacun est acreur
et a à tenir un rôle qui lui est propre.

CoTVIPTABIûTÉ - Covrnôrs - Âuorr / Tome 8 - Volume 2 - nwembre 2002 (p. 5 \ 28)


Dominique Brsslnr
RECHERCHE " CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT 1l
Ces axes dessinent quatre quadran$, correspondant à autant de logiques explicatives de l'organi-
sation.
Dans le quadrant nord-est (rationalisme id.éaliste),la firme est vue comme une architecnrre hiérar-
chisée de fonctions et de compétences, conçue en vue d'un but supérieur qui constitue sa raison d'êûe,
mais lui reste extérieur. Lhomme n est considéré que par rappon à la fonction qu il occupe au service
de I'entreprise qui, elle-même, est évaluée sur la qualité de son organisation . Le leitmotiu est rationali-
sation. Ceme vision s'exprime notamment dans un certain nombre d'écrim fondateurs des sciences de
gestion, de Fayol à l'école du dzsign; en France, elle a fortement influencé le management des grandes
entreprises publiques.
Dans le quadrant sud-est (mécanicisme), l'entreprise est considérée comme une machine alimentée
par des flux de toute nature, matériels, financiers, humains, etc., qui doit s'adapter à son environne-
ment pour survivre. Lindividu n est qu un rouage impersonnel, un opérateur anonyme (devant sa
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machine, sur les marchés financiers, etc.), recevant et transmeftant des impulsions par le biais de
systèmes d'information de plus en plus sophistiqués. Les maîtres mots sont adaptation,
optimisation. Cette vision, initiée ou tout au moins promue par le taylorisme, s'est par la suite expri-
mée dans les versions les plus caricaturales des approches contingentes et est au fondement aujour-
d'hui de courants scientiÊques tels que la théorie contraduelle des organisations ou l'écologie des
populations.
Alors que, dans le quadrant sud-est, l'organisation est le jeu de forces impersonnelles (la technolo-
gie, les lois du marché, etc.), dans le quadrant sud-ouest (conflictualisme), elle est considérée comme
une arène oùr s'affrontent des individus ou des groupes d'individus aux objectifs divergents
(Desreumaux, 1998, p.75). [a Êrme et I'individu en son sein ne valent que par I'emprise qu'ils exer-
cent sur les choses et les êtres. Le pouvoir détenu, recherché, par les individus joue un rôle central.
Cette vision trouve une de ses expressions possibles dans les travaux de Cyert et March (1963). C'est
aussi cette logique, nous semble-t-il, qui inspire les discours, mais aussi les comportements, de
certaines firmes à tendance monopolistique6.
Dans le quadranr nord-ouest (concourance) apparaît I'entreprise par excellence, c'est-à-dire une
communauté humaine engagée dans un proJet qui transcende les intérêts particuliers, mais permet
aussi à chacun d'accomplir sa vocation propre. Le maître mot est service. Mis à pan les travaux de
R Nifle, encore peu diffirsés, cette conception a rarement été théorisée dans un ensemble cohérent7.
Les propositions de \foot (1968), contenues dans son ouvrage Pour une d.octrine de I'enneprise,
représentent une des tentatives les plus achevées en ce sens ; elles sont malheureusement aujourd'hui
méconnues.
Il convient de souligner que ces quatre quadrants ne font que décrire des idéaux types : les visions
de l'organisarion se déploient dans une infinité de directions et certaines approches ne sont pas
exemptes de contradictions. Néanmoins, il e$ presque toujours possible de repérer un rezr dominant.

, ,l,t\I, , LES CONCETTTIONS DU CONTRÔLE DE GESTION


La carte suivante (figure 3) permet de relier position épistémologique, vision de I'organisation et
conception du contrôle de gestion.

CoMI'[ABrr-rrÉ - CorgrRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -nwembre 2002 (p. 5 \ 28\


Dominique Bxstnr
RECHERCHE. CRITIQUE, EN CONTRÔLE DE GESTION :
12 EXERCER SON DISCERNEMENT

Figure 3
Conceptions du contrôle de gestion

contrôle de

contrôle
d'opportunité
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o" JiJli,"iinn

À l'entreprise conceptualisée comme une strucnre fonctionnelle correspond un contrôle dz confor-


mité - conformité à un modèle, à une norme, à une procedure, à un plan, etc. - (ou de hgalite). Ce
type de contrôle constitue l'application, dans le champ du contrôle de gestion, du modèle bureaucra-
tique décrit par'Weber ; il en presente les trois principatrx atributs : rationalité, autorité centrale et
impersonnalité (Maître, 1984, p.245). C'est le point de vue qui prévaut encore aujourd'hui dans
nombre d'administrations publiques.
À la firme considéree cornme une corrununauté humaine est associé un contrôle dbpportunité; l'enjeu
n est plus la conformité des acdons à des normes erftemes, mais leur cohérence par rapport aux buts que se
fixent les individus. Lopposition entre conuôle de conformité et contrôle d oppomrnité nous semble recou-
wir en parrie la distinction opéree par Lorino (199, entre paradigme du contrôle et paradigme du pilotage.

Dans la ûrme perçue conune une simple enploitation, I'accent est mis sur le contrôle de productiaité;
la préoccupation majeure est le contrôle des débits ; le rôle du contrôleur s'y apparente à celui d'un comp
table spécialisé qui doit enregistrer les quantit6 t input et d'oatput et surveiller les ratios entre ces éléments.
À la firme vue comme un projet correspond le contrôle de légitimité (ou contrôle politique au sens
le plus noble du terme), qui se réêre à un idéal et à un qystème de valeurs.
Ces deux axes délimitent quatre champs.
L,a logique de rationalité idéaliste s'incarne dans le modèle du contrôle rationnel: le déploiement
spatial et temporel des objectifs de l'organisation constitue la préoccupation majeure. Le cadre
conceptuel élaboré par Anthony (1965) constitue I'expression exemplaire de ce type de contrôle. Le
découpage en centres de responsabilité est supposé garantir la cohérence spatiale tandis que la segmen-
tarion en trois niveaux (planification stratfuique, contrôle de gestion et contrôle opérationnel) doit
garantir la cohérence entre le long terme et le couft terme.
Le contrôle optimisateur (ou mécanique) met I'accent sur la recherche de I'efficience maximale
(Porter, 1996). Son développement peut être associé avec I'essor de la comptabilité de gestion, et
notamment avec la mise en æuvre des coûts standards. Ce rype de conmôle a profondément imprégné

CoMprABlLrrÉ - CoNrRôLE - Auprr I Tome 8 - Volume 2 - nwemb re 2OO2 (p. 5 à 28)


Dominique Besstnt
RECHERCHE. CRITQUE N EN CONTRÔLE DE GESTION:
EXERCER SON DISCERNEMENT r3
ranr la pratique que la théorie. Période après période, il renaît sous une su{prenante variété de formes :
la reconfiguration des processus, le benchmarking,l'actiuity based costing, dans leurs versions les plus
caricaturales, les plus mécaniques (Bouquin, 1997, p.65), en sont des expressions modernes.
La logique de conflirs se matérialise dans des formes de contrôle manipuhteur, au service des inté-
rêts de la coalition dominante. Les rares recherches conduites dans cette perspective, regroupées sous
le vocable pluralism (Hopper et Powell, 1985, pp. 443-445) s'inspirent des travaux de Lindblom
(1959), Cyert et March (1963) et Allison (1969).
Dans la logique de concour*nce,le contrôle de gesdon est au service des autres fonctions de I'entreprise ;
il constitue un poled'er<pertise en évaluation, une &aluation qui ne se limiterait pas à la seule dimension
objective, mais inclurait fualement les autres dimensions de la râlité, sa dimension rationnelle @nune sa
dimension subjætive. Ses actions se réêrent expressément à la mission de l'enueprise et à ses valeurs. Elles
contribuent à l'achèvement des buts de I'organisation aussi bien qu à la râlisation personnelle des individus.
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.=- . -- Comparaison arrec la démarche proposée par Hopper et Powell
Plusieurs auteurs ont, dans leurs travaux, proposé une analyse comparative et critique des différentes
perspectives de recherche n critique , (Chua, 1986 et 1988 ; Cooper, 1983 ; Hopper et Powell, 1985,
pour citer les principales). Létude menée par Hopper et Powell (1985) mérite ici une attention parri-
culière, car elle est plus spécifiquement centrée corrune la nôtre sur la qualiûcadon épistémologique
(n
fundnmental theoraical and philosophical assumptions >) des diftrentes tendances de recherche. Les
deux auteurs ûansposent à cet effet dans le domaine du contrôle de gestion la carte élaborée par
Burrell et Morgan (1979) pour analyser les paradigmes sociologiques (figure 4).

Figure 4
Accounting schools and sociological paradigms

Radical change

RADICALHUMANISM RADICAL STRUCTURALISM

1
Radical

Subjectivism Objectivism
INTERPRETIVE FUNCTIONALISM

Pluralism
Social systems theory
Objectivism

Regulation
Source : Hopper eT Powell (1985, p. 432), adapté de Burrell et Morgan (1979, pp. 29-30)

CouprarnrrÉ - CoNrRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -nwembre 2OOZ (p.5 à,28)


Dominique Brsstnr
RECHERCHE " CRITQI,JE, EN CONTRÔLE DE GESTON:
t4 EXERCER SON DISCERNEMENT

Il convient d'abord de noter que lorsque nous avons conçu notre m&hodologie, nous ignorions
I'existence de la carte conçue par Burrell et Morgan (1979) pour analyser les paradigmes sociolo-
giques, et afortioril'usage que Hopper et Powell en avaient fait dans le champ du contrôle de gestion.
Cette convergence non préméditée nous semble être de nature à conforter la validité de la méthode de
travail adoptée : un même objectif - identifier les fondements épistémologiques des diffërents
courants de recherche en contrôle de gestion - nous a conduits à adopter une démarche comparable.
Cependant, notre analyse se distingue de la contribution d'Hopper et Powell sur plusieurs points,
notamment sur la nature des dimensions retenues, le rype de carte utilisée et la finalité ultimes.
Sur l'axe horizontal, Burrell et Morgan opposent subjectivisme et objectivisme ; sur I'axe vertical,
ils confrontent statu quo (regulztion) et changement radical. Ce choix nous paraît contestable. Tout
d'abord les dimensions subjective et objective de la rédité ne sont pas dans une relation d'opposition,
mais de complémentarité ; leur conjonction donne naissance à la dimension rationnelle (Bessire, 1999
ou 2001, voir aussi le schéma en annexe). Il est exact cependant que cenaines études (principdement
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les études d'inspiration inteqprétative) meûent davantage l'accent sur la dimension subjecrive et que
d'autres se concentrent sur Ia dimension objective.
En second lieu les deux axes n appartiennent pas, nous semble-t-il, au même univers. Pour prendre
une comparaison, iest un peu comme si on fournissait les coordonnées d'un lieu en indiquant sa lati-
tude et son altitude (au lieu de sa longitude) ; il est possible qu'en certaines zones il y ait des concor-
dances, mais elles ne sont pas suffisamment systématiques pour pouvoir s'orienter à coup sûr grâce
à une telle indication. Notre analyse est corroborée par I'examen de la carte de Hopper et Powell :
l'objectivisme et l'interprétativisme apparaissent chacun deux fois à detrx endroits diftrents.
Notre démarche se distingue encore sgr un autre point : nous ne nous sommes pas content& de
proposer une cztrte épistémologique unique, nous I'avons déclinée dans plusieurs champs des sciences
de gestion et en particulier dans le domaine du contrôle de gestion ; I'existence de ce jeu de cartes
accroît à notre avis le caractère opérationnel de la démarche, lui évite de rester à un niveau d'absrac-
tion trop élevé et facilite sa réutilisation eventuelle par d'autres chercheurs, dans le champ du contrôle
de gestion comme dans d'autres champs (marketing, ressources humaines, etc.).
Enfin, Hopper et Powell ont pour préoccupation principale la recherche d'une plus grande cohé-
rence méthodologique et adoptent implicitement une position relativiste - critiquée de façon argu-
mentée par Chua (1986) - qui n'est pas la nôtre. La ûnalité de notre travail dépasse la seule construc-
tion d'une typologie ; elle vise, comme nous l'avons déjà écrit en introduction, à permettre l'identifi-
cation de pistes de recherches alternatives, plaçant l'être humain au centre des préoccupations.

ffi Application à I'exploratio'du courant de recherche < critique > :


entre relativismes et radicalismes
l,a seconde panie de notre ardcle illustre I'usage qui peut être fait de ces diftrentes c:rrres en les appli-
quant à I'exploration du courant de recherche n critique ,. Leur construçdon repose sur le postulat
d'une correspondance entre position épistémologq.r., logique explicative de I'organisation et concep-
tion du contrôle de gestion. Afin de metre en évidence cette cohérence, nous adoptons donc succes-
sivement, pour explorer chacune des perspectives de recherche sélectionnées, chacun de ces trois
angles d'aftaque, après une brève présentation des concepts clés de I'approche théorique étudiée.

CouprerlurÉ - CoNrRôI-E - Auurr / Tome 8 - Volme 2 - novembre 2002 (p. 5 \ 28)


Dominique Brsslnr
RECHERCHE. CRITIQUE, EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT L5

Plusieurs tendances peuvent coexister au sein d'un même courant de recherche ; nous nous sommes
aûachés à repérer la tendance dominante, au risque d'un cenain schématisme.
Nous n avons pas, par ailleurs, pour ambition de fournir une revue exhaustive des recherches dans
le champ du contrôle de gestion, frrt-elle restreinte au courant u critique n9. Nore démarche se veut
en effet surtout pédagogique : elle montre oir et comment rassembler les indices nécessaires à I'analyse
d'une perspecrive théorique quelconque et à la déterminadon de son positionnement épistémolo-
gique. C'est pourquoi elle réutilise de manière qFstématique les informations apportées par d'autres
aureurs. Précisons ici qu il ne s'agit pas d'analyser les théories philosophiques ou sociologiques pour
elles-mêmes, mais pour l'usage qu en font les chercheurs en contrôle de gestion.
Enfin, comme nous I'avons indiqué plus haut, notre propre option épistémologique rompt avec
toute forme de relativisme. Dans cette seconde partie, nous proposons donc au lecteur un parcours
orienté : après avoir passé en revue des perspectives de recherche qui, peu ou prou, adoptent une posi-
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tion relativiste (2.1), nous examinons celles qui affichent des positions radicales (2.2). C-ette seconde
parde ne livre donc pas seulement des points de repère à notre éventuel lecteur, elle I'invite à exercer
son discernement et à prendre position. Pour le guider dans ce travail, nous présentons cidessous la
cane (figure 5) qui résume nos analyses.

Figure 5
Typologie des courants de recherche a critique u

contrôle de
légitimité

humanisme
ndical
CULTURALISME RATIONALISME
IDÉALISTE
approches

interprétatives

ANIMALISME

contrôle de
productivité

!'l;-,'. Deux figures du relativisme


Deux couranrs sonr ici analysés : le courant interprétatif qui se définit principalement par opposition
au strucnrralisme ; le courant structurationniste qui tente de relier humanisme et strucnrralisme. Ni
I'un ni I'aurre ne prennent nettement position par rapport à I'axe vefticâI, ôest-à-dire Par raPPoft à
I'opposition entre matérialisme et idéalisme.

CoMPTÂBfLrrÉ - CoNrRôt-t - Auprr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2OO2 (p.5 à28)


Dominique Bxstnr
RECHERCHE " CRITIQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON :
r6 EXERCER SON DISCERNEMENT

.. 2;I.I;..'.. (IN REIAITYISME TEMPERE : LES PERSPECTIVES INTERPRÉf,{ITVES'O


Conc4tts clés
Lapproche interprétative a donné naissance à une grande variété de perspectives telles que la
phénoménologie existentielle, I'interactionnisme, l'ethnométhodologie, la sociologie cognitive, etc.
(Chua, 1988, p. 60) ; ici l'accent est mis sur les seuls points communs. C'est chez W'eber quil faut
chercher I'origine de ces divers courants. Il fut le premier à affirmer que n la sociologie, en tant que
science sociale authentique, doit mettre en æuvre une méthodologie [...] significativement différente
de celle utilisée par les sciences de la nature D, et à se faire ainsi n I'apôtre d'une compréhension inter-
prétative des signiûcations, actions, intentions, etc. des individus qui contribuent à l'ordre social o
(Roslender, 1995, p. 66-67).
Les approches interprétatives mettent par conséquent I'accent sur ( la nature essendellement
subjective du monde socid et s'efforcent de le comprendre en partanr du cadre de réftrence de ceux
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qui sont I'objet de l'étude. [...] Ella se focalisent sur les significations individuelles et les perceptions
des gens, [...] elles suggèrent [qu ils] créent de manière continue leur râlité sociale en interaction avec
les autres. Le but d'une approche inteqprétative est d'analyser ces réalités sociales et la manière dont
elles sont socialement construites et négociées , (Hopper et Powell, 1985, p. 446).

Po sitî o n êp ist&no Ia gQ ue
Ces approches prennent donc en compte explicitement I'hypothèse phénoménologique (sur la
gauche de l'axe horizontal des diftrentes caftes), mais ne prennent pas position quant à la dimension
téléologique (axe venical). C'est pourquoi, sur la carte épistémologique, nous les situons sur l'axe
horizontd, avec une nette orientation ltumaniste (au sens que nous avons donné à ce terme dans la
première partie). Ce point de vue est conforté par les analyses de Chua (1986) et de Roslender (1995).

Logique organis ationne lle


En mettant I'accent exclusivement sur la dimension humaine de I'entreprise, les approches inter-
prétatives peinent à proposer une vue explicite de I'organisation, autrement que sous forme d'un
ensemble de relations interindividuelles.

Conception du connôle de gestion


Les propos de Morgan (1988, p. 484) résument les implications d'une perspective interprétative
pour I'analyse du contrôle de gestion. o Le comptable donne de situations complexes telles que la vita-
lité économique d'une entreprise, I'impact d'un projet d'investissement ou I'efficience d'un qntème
de producdon, des représentations réductrices etvolontiers paniales. Mais ces représentations alimen-
tent à leur tour la construcdon du système qui permet de rendre "compre" des situations, de les main-
tenir ou de les changer. Iæs comptables interprètent la réalité, mais leurs inteqprétations consdtuent
autant de ressources pour la construction et la reconstruction permanentes de la réalité, dans la mesure
oir leurs rappofts sont utilisés pour façonner ou radonaliser les décisions futures. ,
Au contraire du courant traditionnel qui se focalise sur le pourquoi des choses et se concentre sur
la découverte de relations de causalité, les approches interprétatives s'interrogent sur le comment.
n Comment les individus, placés dans des contextes organisationnels diftrents, perçoivent-ils et orga-
nisent-ils un système de contrôle de gestion ? Quelles significations ce système génère-t-il ? Les règles
et processus de comptabilisation font-ils partie du dispositif de production de sens utilisé par les indi-

CoMPTABIUTÉ - CoNrRôLE -AuDn /Tome 8 -Volme 2 -novembre 2@2 (p. 5 à 28)


Dominique Brsstrc
RECHERCHE " CRITQIJE,, EN CONTRÔLE DE GESTTON :

EXERCER SON DISCERNEMENT 17

vidus au sein des organisations de travail et, si oui, comment les individus les utilisent-ils pour voir,
décrire et expliquer I'ordre des choses ? , (Chua, 1988, p.73)
En mettant l'accenr sur les perceptions des individus et leurs inteqprétations et en s'interrogeant
sur le commenr des choses, le contrôle de gestion tend à se présenter ici essentiellement comme un
contrô/z dbpportunité, une option cohérente avec I'humanisme qui sous-tend la sociologie d'inspira-
tion interprétative.

,-:41â,:,,.,,. t N RELATTVISME ÉTENDU : LES AppRocHEs sE RIIFERANT


À ra. rgÉORIE DE I-A STRUCTURAilONI1
ConcE* clés
l,a théorie de la strucnuation est issue de l'æuvre du sociologue britannique Giddens (1987). Elle
s'intéresse, selon Macintosh (1996, p. 179), o aux interactions entre la strucrure et I'individu dans la
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production, la reproduction, la régulation et le changement de I'ordre social. l,a strucnrre s'impose
aux individus lorsqu ils agissent et interagissent dans des arrangements spatiaux et temporels spéci-
fiques, mais résulte elle-même de ces actions et interacrions ,. Ce processus, connu sous le terme struc-
rurarion, témoigne de la dualité de la strucnrre et se déploie selon trois dimensions inextricablement
imbriquées : signification, domination et légitimation. Les strucrures de signification comprennent les
règles sémantiques imposées pour produire du sens ; les structures de domination correspondent aux
ressources utilisées pour produire du pouvoir ; les strucrures de légitimation sont constituées par les
normes et les valeurs impliquées dans la production d'une moralité.
IJopposition entre routine et situation de crise est également un élément clé de la théorie de la
strucruradon. Dans des situations de routine, les activités entreprises se répètent jour après jour, sans
que les individus aient besoin d'en prendre conscience. Des situations de crise se produisent lorsque
les routines établies de la vie sociale quotidienne sont secouées ou sapées de façon drastique. Dans de
telles situations, I'individu passe au premier plan et fréquemment remodèle I'ordre social existant.

Po sôtion,êpistêm o Io gi que
La théorie de la strucn-rration se présente comme une tentative pour relier detx positions épisté-
mologiques antagonistes, celle des sttwcturalistes qui considèrent la vie sociale comme le produit de
srrucrures sociales impersonnelles et objectives et celle des humanistes herméneutiques et interacdon-
nistes qui la voient comme le résultat d'une activité subjective et intersubjective. Nonobstant cette
prise de position, la théorie, comme l'indique le choix des concepts centraux (strucure, dualité de la
structure), concentre ses effons sur I'explication du strucnrrel. Par ailleurs, elle ne prend position ni
par rapport au matérialisme, ni par rappoft à I'idâlisme. Giddens lui-même a souligné l'extrême plas-
ticité de la théorie qu il a forçe. C'est pourquoi nous la positionnons au centre de la carte épistémob-
gique, à mi-chemin entre structuralisme et humanisme et enffe matérialisme et idéalisme.

Lo gQ ue mganàs ationne IIe


Les organisations sont étudiées par certains auteurs comme des systèmes d'interaction, dotés de
propriétés strucnuelles, qui impliquent I'activité située d'agents humains, reproduites à travers le
temps et l'espace, par d'autres comme des communautés discursives selon detrx modalités : la conver-
sation qui constitue n I'organisation-en-train-de-se-faire >) et le texte qui institutionnalise I'action
collective et contraint, mais aussi rend possible la conversation. Ici aussi, nous retrouvons le même

CoMpraBII^nÉ - CoNIRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique Brssrnr
RECHERCHE
"
CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTION :
18 EXERCER SON DISCERNEMENT

balancement, nous semble-t-il, entre I'entreprise structure fonctionnelle et l'enffeprise communauté


hurnaine, sans qu il soit fait explicitement réftrence à sa fonction de producdon ou au possible projet
qui l'a fait naître.

Conceptôon du con*ôle de gestion


Roberts et Scapens (1985) ont été apparemment les premiers auteurs à faire un usage systématique
de la théorie de la strucnuarion pour une recherche en contrôle de gestion. Macintosh (1996) conti-
nue cette tradition et analyse les systèmes de contrôle de gestion comme des modalités étroitement
imbriquées de la strucnrration dans les organisations.
En premier lieu, ces systèmes peuvent être considér6 comme une modalité majeure de la signifi-
câtion : les managers les utilisent pour interpréter les résultats passés, prendre des décisions et élabo-
rer des plans. La structure de signification dans ce cas correspond aux règles, concepts et théories
partaçs qui sont requis pour produire du sens dans les activités organisarionnelles et qui compren-
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nent diverses notions empruntées aux sciences économiques et de gestion, aussi bien que des
concepts comptables centrar.D( tels que les revenus, les actifs, les coûts et les resultats. Cependant, les
systèmes de contrôle de gestion ne constituent pas seulement un moyen neutre et objectif de trans-
meûre aux décideurs des significations économiques. Ils donnent aussi légitimité aux acrions et
interactions des managers au sein d'une organisation en mettant en avant certaines valeurs et certains
idéatrx quant à ce qui devrait être compté, ce qui devrait arriver, ce qui est considéré comme juste et
équitable et ce qui semble important. Ils justifient les droits de certains à demander des comptes à
d'autres ; ils rendent légitime le recours à des sanctions et à des récompenses. EnÊn, les systèmes de
contrôle de gestion constituent une ressource d'autorité cruciale dans les mains des responsables, en
leur donnant à tous les niveaux le moyen de coordonner et de contrôler d'autres individus ; ils iouent
par conséquent un rôle vital dans la structure de domination. Cependant, les propriétés structurelles
du contrôle de gestion ne sont jamais ni entièrement explicitées, ni complètement figées ; elles
Peuvent évoluer dans la mesure précisément oir ce sont les acteurs organisationnels qui les imposent
et les reproduisent.
Sur ce socle commun, le recours à la théorie de la structuration dans le champ du contrôle de
gestion a donné naissance à des interprétations divergentes qu illusrre de manière enemplaire le débat
entre Macintosh et Scapens (1990 ; Scapens et Macintosh,7996) d'une part et Boland (1993 er 1996)
d'autre paft, les premiers semblant mettre au premier plan la dimension strxtcture,les seconds parais-
sant privilégier la dimension agency (Northcott, 1998). C'est pourquoi nous situons les recherches
issues de ce courant Au centre de Ia carte dans la mesure oùr elles peuvent finalement s'accommoder de
difftrentes conceptions du contrôle de gestion. Là réside sans doute une des raisons de la popularité
de la théorie forgée par Giddens.

lrlj=.;,, Thois figures du radicalisme


D'aumes perspectives de recherche adoptent des positions tranchées et sont, à juste titre, qualifiées de
radicales. Ici s'affrontent un anti-humanisme radical qui nous semble inspirer aussi bien les perspec-
tives de recherche alimentées par le structuralisme radical que celles qui se réclamenr du post-moder-
nisme, et un humanisme tout aussi radical théorisé norammenr par Habermas.

CoMpTABTLnÉ - CoNrRôrB - AuDrr / Tome 8 - Volume 2 - novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique Bxstnr
RECHERCHE. CRITQUE, EN CONTRÔLE DE GESTION :

EXERCER SON DISCERNEMENT t9


'2,L1, IÆ, STRUCTLIRALISME RADICAL: LrN SUJETAIIÉNÉI2
ConcE* clés
Le strucnrralisme radical se réêre aux écrits les plus tardifs de Marx, généralement rassemblés sous
le vocable ( matérialistes o. Les diftrentes approches issues de ce courant meûent .tt 6'''ridç1çe n les
conflits fondamentaux qui simultanément sont générés par, et se reflètent dans, les stmcrures indus-
trielles et les relations économiques, comme I'appropriation du surplus, les relations de classes et la
strucrure de contrôle , (Chua, 1986, p. 619). Elles soulignent à quel point les potentialités des êtres
humains sont bridées par le système de domination prévalant qui les aliène et les empêche de se reali-
ser (ibid.).

Po sition êp istên o Ia gi4uc


Le structuralisme radical, au moins dans plus traditionnellesl3, considère le
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ses approches les
monde comme étant composé d'objets et de relations externes indépendantes de l'individu ; I'homme
est aliéné par des forces impersonnelles qui échappent à son atteinte. Sur la carte épistémologique, ce
courant nous semble correspondre à une vision natuïaliste du monde.

L" g q* organis atia nne IIe


Les conditions sociologiques jouent le premier rôle dans la détnition des n règles du jeu , (prix de
marché du capital et du navail, type et degré de concurrence, etc.) (Tinker et Neimark, 1988, pp.57-
58). Les organisations ne sont que les instruments des forces sociales intéressées au maintien de la divi-
sion du travail et de la distribution du pouvoir et des richesses dans la société (Cooper, 1983, p.277).
Cette manière de voir l'organisation renvoie à une logique mécaniciste (quadrant sud-est de la carte),
une perspective cohérente avec la position épistémologique naturaliste.

Conceptîan du connôle dc gestion


Le contrôle de gestion dans cette perspective n n est plus considéré comme une activité de service
techniquement rationnelle qui serait dissociée de relations sociétales plus larges. Au contraire, la
démarche comptable, en tant que discours véhiculant un mode spécifique de rationalité calculatoire,
est considérée comme constitutive de - et constituée par - les macro-conflits entre les différentes
classes o (Chua, 1986, p. 623). Les techniques de comptabilité de gestion sont donc vues comme des
dispositifs conçns pour garantir la reproduction des intérêts du capital et de ses agents managériaux,
et comme un moyen de discipliner et de contrôler la force de ravail. Par conséquent ces techniques
jouent (ou sont susceptibles de jouer) un rôle crucial dans la redistribudon des richesses.
Dans la mesure où le contrôle de gestion est présenté dans cette approche comme le simple produit
de forces capitalistes, il semble logique de le considérer comme ressoftant du modèle mécanique. Ce
point de vue est paftagé par Preston et dl. (1992, p.562) lorsqu'ils mettent en évidence, audelà d'ap-
parentes divergences, les points communs entre les analyses ( conventionnelles ,, proposées par
exemple par Chandler et Daems (1979), Kaplan (1984) ou Johnson et Kaplan (1987), et des
approches plus critiques telles que celles offertes par Neimark et Tinker (1986) ouHopper et al.
(1936) : < Ces études, en dépit d'approches théoriques différentes, considèrent la démarche comptable
comme la réponse à des impératifs économiques, recherche du profit dans un cas, appropriation du
surplus dans I'autre. u

CoupranurrÉ - CoNrRôLE - Aupn / Tome 8 - Volume 2 - novembre 2002 (p. 5 à 28)


Dominique Brsstnr
RECHERCHE " CRITIQUE , EN CONTRÔLE DE GESTON :
20 EXERCER SON DISCERNEMENT

,,.,:..-,,2:O,,,,, LE POST:MODERNISME DE FOUCAUTI: UN SUJET INCARCÉ,RÉI4

Concepts clls

Le post-modernisme (également appelé post-structuralisme) est fortement représenté dans la


philosophie française contemporaine par une lignée d'auteurs qui va de Bataille à Derrida en passant
par Foucault, Latour, Ricæur, Baudrillard, etc. Le post-modernisme, audelàd'une grande diversité de
perspectives, peut se caractériser par une remise en qluse radicale du concept de modernité et par sa
focalisation sur le rôle du langage. Nous nous limiterons ici à I'analyse de la perspecdve tracée par
Foucault ; ce dernier est en effet, parmi les philosophes post-modernes, celui qui a eu à ce jour la plus
grande influence sur les recherches en contrôle de gestion.

Foucault s'est en particulier efforce de montrer comment les pratiques sociales depuis l'âge clas-
sique se sont accompagnées d'une expansion continue des dispositifs de surveillance et de discipline
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des coqps sociatx et des populations humaines (Knights et Collinson, 1987, p. 459).

Dans Surueiller et punir (1998), l'æuvre qui a sans doute eu la plus grande influence sur les études
en contrôle de gestion, Foucault distingue deux modes de domination dans I'histoire occidentale. Le
mode traditionnel se caractérise par des extrêmes de violence infligée aux corps, tandis que le mode
disciplinaire se singularise par des formes subtiles de correction et de dressage. Ce dernier mode de
domination a remplacé le précédent au cours du X\,Iile siècle, avec pour résulrat l'adoption par un
nombre croissant d'organisations - hôpitaux, usines, immeubles de logement, écoles, etc. - du mode
disciplinaire propre atrx prisons. Le Panopticon conçu par Bentham représente pour Foucault
I'archétype du mode disciplinaire : son architecture permet d'observer et de surveiller étroitement les
occupants, sans que ces derniers puissentetrx-mêmes voir leurs surveillants. Parallèlemenr à I'expan-
sion de ce nouveau mode de domination, une nouvelle fonction cruciale de normalisation, remplie
par des groupes professionnels spécifiques (par exemple les médecins pour la santé), a progressive-
ment émer#.
Toute la gamme des organisations au sein de la société contemporaine apparaît ainsi comme un
champ de pouvoir unifié, n encapsulé, dans un appareil bureaucratique, militaire et administratif, La
prison n'est que la forme extrême d'un pouvoir qui convertit les corps et leurs potentialités en quelque
chose d'utile et de dôcile et qui ne réside pas dans les choses, mais dans un réseau de relations étroite-
ment imbriquées. Ce pouvoir n est pas maintenu par un appareil d'État visible, encore moins par des
systèmes de valeurs partages, mais est investi, transmis et reproduit par tous les êtres humains dans
leur existence au jour le jour.

Po s îtio n ép istêm o Io gî q uz

Foucault et, plus généralement, l'ensemble des post-modernes, ne s'intéressent pas aux individus
en tant qu'acteurs humains. Que ce soit dans la méthode archéologique ou dans la méthode génâlo-
gique (qui conespondent chacune à deux phases distinctes de la pensée du philosophe), le sujet est
u décentré ,. Dans la première période, I'autonomie du discours est poussée par Foucault à telle
enseigne que le sujet connaissant disparalt, pour être remplacé par le seul souci du discours. La ques-
tion n est pas de savoir qui tient le discours, mais quel discours est tenu et d'oir ce discours est tenu.
Dans la période suivante, les individus qui occupentle Pano?ticon et, au-delà, toutes les formes
possibles d'organisation, se réduisent à des silhouettes dans un théâtre d'ombres. Pour toures ces

CoMpTABIIxÉ - CoNTRôLE - Auprr / Tome 8 - Volume 2 - novembre 2002 (p, 5 \ 28)


Dominique BEsslnr
RECHERCHE " CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTION :
EXERCER SON DISCERNEMENT 2L
raisons, Foucault, tout au moins pour cette période, peut être considéré avec quelque raison comme
un anti-humaniste.
Cene analyse est cohérente âvec I'orientation quasi strucnrraliste des premiers écrits de Foucault,
qui emprunte largement aux enseignements de son maître Althusser et qui a souvent été soulignée par
ses critiques : dans les discours et les règles variés qui régulent et gouvernent les pratiques discursives,
Foucault apparaît en permanence à la recherche de traits communs, d'éléments invariants. Selon nous,
ceme orientation est encore visible dans les travaux de la période généalogique tels que Surueiller et
punir (1998) : le sujet reste à fécan des préoccupations théoriques centrales tandis que la recherche de
principes génériques dans une diversité d'organisations suggère un intérêt pour ( le semblable dans le
diftrent ) et la volonté de mettre en évidence les points communs dans une grande diversité de
pratiques organisationnelles.
Foucault rejette en outre avec d'autres post-modernes l'idée d'un progrès possible de l'humanité :
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selon lui, il riexiste pas de stade plus avancé, pas de monde meilleur ou de choses telles que la maîtrise
de la nature ; I'approche de Foucault est donc ainsi délibérément anti-moderne. Enfin, l'investigation
génâlogique, en se concenûant sur le superficiel et I'inatendu, reflète le point de vue selon lequel la
réalité est telle qtielle apparaît. Tous ces éléments font converger le courant post-moderne vers une
même orientation, celle proposée par le matérialisme.
Combinaison de strucnrralisme et de matérialisme, I'approche de Foucault, telle qdelle se présente
dans Surueiller et ?anir, doit donc selon nous être positionnée dans le quadrant sud-est de la carte épis-
témologique ( natura Ii sme).

Lo gi que organîs atio nne lle


l-e Panopticoz constitue un modèle de foncionnement généralisable à toutes les organisations :
pour reprendre les termes mêmes de Foucault (1998, p.264), n la prison ressemble âux usines, aux
écoles, aux q$ernes, aux hôpitaux, gd tous ressemblent aux prisons ,. Iæs formes organisationnelles
sont ainsi vues comme des manifestations transitoires de relations de domination-subordination et
comme de simples matérialisations d'un jeu de forces sous-jacentes. Une nouvelle métaphore la -
prison - remplace la métaphore traditionnelle de la machine. n Sous cet angle, Foucault et Weber ne
sont pas sans lien, car le mode de domination "bureaucratique" est aussi le mode "disciplinaire" de
domination. læ.s individus peuvent certes entrer dans des organisations données ou en sortir, mais ils
passent I'essentiel de leur vie dans des formes organisationnelles bureaucratiques, ou tout au moins
dans un espace de vie qui est modelé et calibré par sa confrontation avec la bureaucratie. Si, pour
'Weber,
la vie humaine se déroule dans la n cage de fen de la bureaucratie, pour Foucault elle prend
place dans le cadre institutionnel de I'incarcération o (Burrell, 1988, pp. 231-233).IJorganisation
décrite à panir de Surueiller et punir nous semble donc se référer à une logique mécaniciste.

Conception da contrôlc de gestion


Dans la perspective tracée par Foucault, le contrôle de gestion peut s'analyser à la fois comme une
formation discursive et comme une modalité disciplinaire.
Les pratiques discursives comprennent par exemple les procédures de préparation, de soumission,
de révision et d'approbation des budgets, les réunions pour discuter et analyser les résultats de gestion
et les qystèmes d'incitation liés à l'afteinte d'objectifs Ênanciers. Ce régime comptable est légitimé en
vertu de son statut apparemment scientifique d'instrument neutre, objectif et quantitatd tel qu il est
habituellement décrit dans les ouvrages et les périodiques de gestion.

CoMI'[ABnxrÉ - CoNTRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2O02 (p. 5 \ 2Â)


Dominique Brslnr
RECHERCHE * CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTION :

22 EXERCER SON DISCERNEMENT

Le caractère disciplinaire du contrôle de gestion a été analysé par Miller et O'kary (1987). Loin
de constituer une pratique neutre, le contrôle de gestion fait en râlité parde d'un réseau de relations
de pouvoir-savoir qui se consûuit au sein de la vie sociale et organisationnelle. la comptabilité est un
élément essentiel dans le processus de normalisation socio-politique de la gestion, conçu pour rendre
visibles toutes les formes de I'activité individuelle dans la quête de l'efficience organisadonnelle. Si les
deux auteurs se sont concentrés sur l'essor, au cours de la période 1900-1930, de deux techniques
fondamentales de la comptabilité de gesdon, la budgétisation et les cotts standards, pour défendre
leur thèse, ils sont persuades que la construction de la personne organisationnellement utile se pour-
suit activement encore aujourd'hui, la comptabilité redéfinissant ses termes et ses objectifs en tant que
pratique socide pour améliorer sa contribution à une gestion socio-politique efûcace.
Le contrôle de gestion, dans cette double perspective, comme formation discursive et comme
modalité disciplinaire, façonne - et est simultanément façonné par - des forces anonymes, enracinées
dans des pratiques discursives ou des relations de pouvoir-savoir impersonnelles qui échappent à l'em-
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prise humaine ; il peut donc être considéré comme vn connôle de type mécanique.

"',':-'yft ;,': i UHUMAMSME RADICAL: UN STIJET RESPONSABLET5


Conc4rts clis
Lhumanisme radical (dénommé n théorie critique ) par ses initiateurs) se réfère aux premiers écrits
de Marx, qui sont souvent présentés comme plus idâlistes que ses écrits postérieurs. Ce courant est
issu des recherches effecnrées par les membres de I'Institut pour la recherche sociale, fondé à Francfort
en L923, dont les plus éminentes figures sont Horkheimer, Adorno et Marcuse. Habermas est aujour-
d'hui fhéritier de cette tradition.
Laughlin (1987) identifie trois caractéristiques clés dans ce courant. En premier lieu, les théori-
ciens u critiques , (au sens étroit du terme) considèrent que la théorie doit toujours exercer quelque
effer sur les phénomènes pratiques du n monde réel n. En second lieu, ils remettent en cause le stata
quo et insistent sur la nécessité d'une transformation en vue d'une vie meilleure, avec toutes les impli-
cations éthiques que cela comporte. Ils adoptent enfin une position inverse de celle du post-moder-
nisme qui répudie I'idéal de progres. Lhumanisme radical affiche en effet un objectif de discernement
et d'émancipation : le premier vise à permettre aux individus de voir au-delà de leur existence auto-
enchaînée ; le second revendique pour eux pouvoir et responsabilité dans le monde social qu ils
construisent eux-mêmes. Les théoriciens de l'école de Frandort plaident pour un monde dans lequel
ce seraient les idéaux humanistes, et non plus les buts matérialistes, qui régneraient. Ils appréhendent
enfin les organisations dans leur contexte historique et social et cherchent à identifier le sens caché des
phénomènes pour révéler les forces susceptibles de produire le changement.
Au sein du courant n critique c'est la pensée d'Habermas qui s'est revéléejusqu'à présent comme
>r,

la perspective la plus féconde pour la recherche en contrôle de gestion. Habermas utilise trois concepts
centraux qu il appelle o le monde vécu ,, n les systèmes ) et ( la colonisation intérieure ,. n Le "monde
vécu" est un type d'espace culturel qui donne son sens et sa nature à la vie sociétale. Bien que séparée
et distincte des "systèmes" (techniques) plus tangibles et plus visibles, c'est cette réalité sociale qui
donne aux différents systèmes leur sens et s'efforce de guider leur comportement ) (Laughlin, 1987,
p,486). La sphère technique (les systèmes) reste normalement enfermée au sein du n monde vécu ,,,
mais il peut arriver qu elle déborde le monde vécu et conduise à une u colonisation intérieure D poten-

Co!û.f,ABn"rrÉ - CoNTRôLE -Auprr / Tome 8 - Volume 2 -novembre2@2 (p. 5 à 28)


Dominique Brsstn-o
RECHERCHE. CRIT]QUE " EN CONTRÔLE DE GESTON :
EXERCER SON DISCERNEMENT 23
tielle de ce dernier. Habermas insiste fortement sur le double rôle du langage dans l'évolution. Nos
compétences discursives spécifiques sont responsables de I'accroissement de la diftrenciation entre le
monde vécu er les systèmes, et au sein même de ces systèmes ; ôest ce processus qui a permis le progres
de la société de l'âge mphique à l'âge moderne, mais c'est aussi ce processus qui a dans le même temps
ouvert la possibilité pour le monde technique de s'affianchir de ses limites et de coloniser la vie sociale.
Parce que cette aptitude discursive est le principal moteur des développements sociétaux au travers des
temps, iest en augmentant nos compétences dans ce domaine que le changement pourra être promu.

Po siti o n êpistêmo Io gi quc


Lhumanisme radical met I'accent sur les perceptions des individus et leurs interprétations. Il
insiste sur la signification du faceur humain à la fois dans le processus d'évolution historique et dans
le processus d'acquisition du savoir ; il manifeste ainsi son attachement à la tradition humaniste. Par
aillqur5, avec un engagement puissant en faveur d'une émancipation générale de I'homme et un accent
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imponant sur le âcteur humain comme force active de changement, l'æuvre d'Habermas affiche
nettement une orientation idéaliste.
La perspective tracée par Habermas se présente ainsi comme une tentative pour échapper au natu-
ralisme et pour promouvoir le culturalisme, conjugaison d'idâlisme et d'humanisme. Cette analyse
reçoit une confirmation indirecte dans le débat tres vif qui oppose précisément les théoriciens se réfé-
rant à l'humanisme radical atrx philosophes post-modernes. Ces derniers, nous l'avons vu avec
Foucault au travers de Suraeiller et punir, adoptent fréquemment une position épistémologique natu-
raliste, à I'exact opposé du culturalisme.

In S, q* mganis ationne lle


Les travaux de Laughlin (1987 et 1991) représentent jusquà présent la tentative la plus aboutie
pour intégrer les appors de la théorie n critique , dans la recherche en contrôle de gestion. la notion
de schème d'interprétatioz organisationnel semble étroitement reliée à celle de ( monde vécu o tandis
que les design archetypasl6 (dispositifs organisationnels de toutes sortes, dont le système de conrôle de
gesdon constitue un élément crucial) représentent un qrpe spécifique de u systèmes , qui peuvent dans
ceftains c:$ outrepasser la sphère sociale : par exemple l'avènement d'une crise financière peut ( par
son influence sur les dzsign arcbetyprs entraîner des changements majeurs t...] qui à leur tour pourront
coloniser les schèmes d'interprétation décisifs de l'organisation, selon un processus n réussi ,, mais
régressif de colonisation interne (l,aughlin, 1991, pp. 218-219). Les théoriciens n critiques u consi-
"
dèrent ainsi que les organisations sont potentiellement menacées par un envahissement de la logique
de système (ou logique mécaniciste : quadrant sud-est de la carte des logiques organisationnelles) ; en
affichanr leur volonté de memre les organisations au service des hommes et non I'inverse, ils plaident,
nous semble-t-il, pour une logique de concourancr (quadrant nord-ouest).

Conception du connôle de gestion


Le contrôle de gestion est le plus souvent envisagé comme un ensemble de techniques dont le
développement doit être encouragé pour améliorer I'efficience de I'organisation. Habermas considé-
rerait vraisemblablement cette situation comme < une conséquence aftendue et compréhensible d'un
débordement de la sphère technique sur la sphère sociale, mais rien exigerait pas moins un change-
ment de cetre situation inéquitable , (Laughlin , 1987, p. 487).Si c'est le langage qui est responsable
du divorce enre la sphère reônique et la sphère sociale, c'est aussi le langage qui générera le change-

CoMplABILrrÉ - Coll.rRôrr - Auorr / Ibme 8 - Volume 2 -novembre 20O2 (p.5 à28)


Dominique Brsstnr
RECHERCHE. CRITIQUE,' EN CONTRÔLE DE GESTON :
24 EXERCER SON DISCERNEMENT

ment. ( C'est parce que les discours comptables se sont limités jusqu à présenr à discuter des modali-
tes alternatives de mesure de concepts tels que les cofits ou les profim, ou de I'efficience plus ou moins
grande des systèmes d'évaluation (par exemple dans les décisions d'investissemenr), qu ils ont restreinr
notre compréhension de la conception des systèmes comptables. t...] il faut que nous changions le
processus linguistique et le vocabulaire que nous utilisons pour décrire la nature des systèmes comp-
tables et pour engager le processus nécessaire à I'accomplissement de véritables changements de ces
systèmes dans la pratique , (ibid.).
Habermas ne s'intéresse en effet à la compréhension des phénomènes que dans le but de promou-
voir des changements durables et significatifs. Selon Laughlin (ibid.), ( cette éthique er cerre intendon
[...] devraient guider toute approche générale dans l'analyse des systèmes comptables mis à l'æuvre en
pratique ).
Pour ces raisons, les recherches sur le contrôle de gestion se réftrant à l'humanisme radical peuvent
être considérées comme une tentative pour échapper au modèle du contrôle mécanique, qui met
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I'accent sur la conformité et la productivité, afin de promouvoir un contrôle de type concourant, axé
sur l'oppornrnité et la légitimité.

Conclusion : vefs d'autres voies de recherche ?

Appliquée à I'exploration du courant n critique o, I'utilisation de cartes épistémologiques met en


lumière les enjeux liés au choix d'un cadre théorique. Au-delà de leur opposition affichée au courant
n traditionnel ,, les perspectives de recherche se réclamant du courant n critique , relèvent en réalité
d'options épistémologiques très différentes, voire antagonistes. Il y a plus uoublant : cerraines
approches n critiques D, comme celles se référant au strucnrralisme radical ou à la pensée de Foucault,
telle du moins qu elle s'exprime dans Surueillrr et punir, partagent en fait avec les approches < ortho-
doxes , les mêmes options épistémologiques et s'enracinent au sein du paradigme naturaliste. La
critique manque alors son but : au lieu de se faire remise en car.lse, elle se pose en réaménagemenr du
même paradigme. Une authentique critique suppose selon nous de rompre radicalement avec le maté-
rialisme et le struduralisme pour adopter une approche diamétralement opposée, ancrée au sein du
paradigme culturaliste qui croise idâlisme et humanisme. Force est de reconnaître que cette position
épistémologique est aujourd'hui rarement adoptée de manière délibérée par la recherche en contrôle
de gestion : au sein du courant n critique ), nous riavons à ce jour repéré que les ûarraux se réclamant
de I'humanisme radical d'Habermas. Il y a pounant urgence à s'engager dans cette voie : I'acnralité ne
cesse de nous rappeler à quelles catastrophes mène la négation de l'humain.

CoMPTABILTTÉ - CoNTRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 - nwembre 2002 (p. j 28)


^
Dominique Brsstnn
RECHERCHE. CRITIQIJE, EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT 25
Annexe
Les dimensions et plans de la réalité

Plan des relations Plân des représentations


ou plan des affects ou plan de l'imaginâire
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Dimension Dimension
objective Plan des opérations rationnelle
ou plan des faits

lloles opposées. C'est pourquoi nous définirons briève-


ment chacun des termes utilisés en nous référant
l. On notera que critique, critère et discernement principalement à lalande (1997).
sont des mots tous trois issus de la racine indo-
Subjectivité, objectivité et rationalité sont, dans la
européenne her - ou sher- (Grandsaignes 5.
théorie des cohérences humaines, les trois dimen-
d'Hauterive, 1994).
sions constitutives de la réalité. Conjuguées deux
2. De larges extraits de cet ouvrage et d'autres écrits
à deux, elles engendrent trois plans : plan des rela-
de R Nifle peuvent être consultés sur son site web
tions (ou des affects), plan des opérations (ou des
à I'adresse coherences.com. Pour des exemples
faits), plan des representations (ou de I'imaginai-
d'applications dans le domaine des sciences de
re). La figure placée en annexe pennet de visuali-
gestion, le lecteur pourra se reporter par exemple
ser ces articulations. Pour une explication
à Bessire (1998, 1999 et 2001) et à Bessire et
détaillée, voir Bessire (1999 ou 2001).
Meunier (2001).
3. la question du sens est alr cæur de nombreux tra- 6. n Je suis votre concurrent, je verx votre clientèle,
vaux en sociologie, notamment ceux entrepris par mon but est de prendre votre place dans les rayons
-1es des magasins et dans I'estomac des consomma-
éthnométhodologues dans le sillage de
Garfinld (1967) ; elle est par exemple centrale teurs >, ainsi s'exprimait D. Ivesrcr, alors directeur
dans les écrits de Veick (1995). Mais là oir les général de Coca-Cola, en 1995, devant ses pairs
théoriciens de l'enactnenr parlent de n produc- de I'Association américaine des industriels du sofi
tion n du reas, la théorie des cohérences humaines drinh (Le Mondz,g juiller.l999, p. l)
est centrée sur le discernement de celui-ci. Elle se 7 ks aspirations idâlistes et humanistes ne sont
rapproche ainsi de la volonté exprimée par pas absentes de la réflexion sur les organisations,
Habermas de favoriser un processus tAuftlàrang mais il nous semble que les propositions qui ont
(linéralement éclaircissement). pu être émises ici et là ont souvent été instrumen-
4. La plupan des mots du vocabulaire philosophique elisées, I'efiicience et llefficacité de l'organisation
ont de multiples acceptions, parfois radicdement prenant le pas sur d'autres considérations.

CoMpr^B[-rrÉ - CoNrRôLE - Auprr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 20O2 (p. 5 à 28)


Dominique Bessru
RECHERCHE. CRITIQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON:
26 EXERCER SON DISCERNEMENT

8. Notons aussi que l'étude de Hopper et Powell ne AmroNv RN. (1965), Pknning and Control Systems,
@uvre pas exactement le même champ. Elle englo- a Framework for Analysis, Harvard Universiry
be aussi bien le courant o onhodoxe > que le cou- Graduate School of Business Administration.
rant o critique o ; en revanche, elle ninclut pas cer- Division of Research, Boston, Massachusetts.
tains des développements les plus récents de ce der- BenruNpx J.M. (1984), o Changing interprecive
nier courant, et notamment le post-modernisme. schemes and organizational restructuring : the
9. liimporance donnée aux écrits anglophones tra- example of a religious order o, Administratiue
duit leur primauté historique et la sélection n" 29, pp. 355-372.
Science Quarterly,
bibliographique a privilégié un petit nombre de Brssnr D. (1998), " logiques d'entreprise et drsign
textes ( emblématiques o. Le courant critique ali- du contrôle de gestion : une comparaison entre le
mente auiourd'hui de nombreuses recherches commerce de détail integré et la banque cornmer-
francophones d'une grande richesse, qui ne sont ciale Finance-Connôle-Snatégie, volume l, no 4,
",
pas citées ici, faute de place. décembre, pp. 5-37.
Ce paragraphe s'appuie principalement sur les BessnsD. (1999), n Définir la performance n,
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10.
articles de Hopper et Powell (1985), de Roslender Comptabilité-Connôle-Audit, vol. 5, t. l, sep-
(199r, de Chua (1986 et 1988) et de Morgan tembre, pp. 127-150.
(1988). Bessnn D. (2001) n Gestion de I'immatériel : fonde-
11. [,a presentation de la théorie de la structuration ments d'une méthodologie générale d'evaluation
est adaptée de Macintosh (1996). et de contrôls,,, $ciences dz gestion, n" 28, prin-
temps, pp. 137-168 (avec le concours du C.RI.)
12. La présentation s'inspire essentiellement de
Bessnr, D. et MrusrcRJ. (2001), o Conceptions de
Hopper et Powell (1985), de Chua (1986) et de
(199r. la gouvernance, modèles d'entreprise et positions
Roslender
épistémologiques : une typologie
13. I.es recherches s'appuyant sur les ûavaux de ", in de Le
Bnusrenre H. et RerMsouRG P éd.. Finance dbn-
Braverman (1974) marquent la volonté de ûouver treprise, pers?ectiues tltéoriques et a?plications,
un meilleur équilibre entre humanisme et structu- Economica, pp. 185-21 l.
ralisme.
Bor-tNo RJ. (1993), n Accounting and the interpre-
14. La présenation de la pensée de Foucault est essen- tive act ", Accounting, Organizatioru and Sociery,
tiellement tirée de Burrelhl (1988) et de Roslender vol. 18, n" 2-3,pp.125-146.
(1995), la description des logiques organisation-
Bor"qNo RJ. (1996), n Vhyshared meanings have no
nelles correspondantes se réêre à Burrell (1988) et place in structurâtion theory : a reply to Scapens
les implications pour le conuôle de gestion emprun-
and Macintosh r, Accounting, Organizatioru and
tenr à Roslender (1995) et à Macintosh (1996). Sociery, voI. 21, n" 7-8, pp. 691-697.
l5.Cette présentation se réère principalement à BouqtnN H. (1997), La comptabilité dz gestion,
Hopper et Powell (1985), l^aughlin (1987 et universitaires de France, collection o Que
Presses
l99l), Roslender (1995) et Macintosh (1996).
", n" 3175.
sais-ie ?
16. Faute de ffouver un équivalent satisfaisant, nous BnnwnuaN H. (1974), Labor and Monopoly Capital:
avons renoncé à traduire cette expression. the Degradation ofVorh in the Twentieth Century,
Monthly Rwiew Press, New York
BunnEn G. and MoncaN G. (1979), Sociological
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Reuieut,voL63, n" 3, pp. 689-718. n" 2, pp.22l:235.

CorvrprarurrÉ - CoNrRôLE - Auon / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2002 (p. 5 \ 28)


Dominique Besstn"r
RECHERCHE. CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON
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