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Divorce franco-marocain et l’inefficacité de la Convention


bilatérale.
Par Noémie Houchet-Tran, Avocat.

- vendredi 7 mars 2014

Le 10 août 1981 était signée la Convention entre la République française et le Royaume


du Maroc relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire.

Contrairement à beaucoup de conventions bilatérales portant sur cette matière, la


Convention franco-marocaine a toujours vocation à s’appliquer aujourd’hui et les
règles de conflit de lois contenues dans la convention ne s’effacent pas par les règles
de conflit édictées ultérieurement par les règlements européens.

L’article 4 de la Convention énonce en outre que « la loi de l’un des deux Etats désignés
par la présente Convention ne peut être écartée par les juridictions de l’autre Etat que
si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public. »

En apparence, cette convention a donc vocation à s’appliquer quasi systématiquement


à un divorce franco-marocain.

Pourtant, force est de constater que “l’exception d’ordre public” est aujourd’hui
devenue la norme et que la convention est très souvent écartée par les juridictions :
• Lorsque le juge français doit prononcer le divorce de deux marocains (I)
• Lorsque le juge français doit apprécier la validité d’un jugement de divorce prononcé
au Maroc (II)

I. La difficile application du droit marocain par le juge français du divorce

Rappelons au préalable que le juge français sera notamment compétent pour


prononcer le divorce des époux dès lors qu’ils ont eu en France leur actuelle ou
dernière résidence commune, peu importe leur nationalité.

La même règle s’impose au juge marocain qui pourra donc connaître du divorce de
deux français résidant au Maroc.

Si les deux époux sont de même nationalité, ils pourront également saisir la juridiction
de leur pays d’origine.

Ainsi, deux marocains résidant en France pourront saisir indifféremment la


juridiction française ou la juridiction marocaine pour prononcer leur divorce.
Une fois la compétence de la juridiction admise, il faut s’intéresser à la loi appliquée
par le juge.

Au terme de l’article 9 de la Convention de 1981, « la dissolution du mariage est


prononcée selon la loi de celui des deux Etats dont les époux ont tous deux la nationalité
à la date de la présentation de la demande. Si à la date de la présentation de la demande,
l’un des époux a la nationalité de l’un des deux Etats et le second celle de l’autre, la
dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l’Etat sur le territoire duquel les
époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun. »

Autrement dit, si un juge français est saisi, il devra appliquer :


• Le Code de la famille marocain si le deux époux sont marocains
• Le Code civil français si au moins un des époux est français

L’application de la loi française par le juge français ne pose bien évidemment aucune
difficulté. L’application de la loi marocaine semble toutefois beaucoup plus
compromise…

Aujourd’hui, le droit marocain du divorce propose de très multiples formes de divorce,


difficilement compréhensibles par des juristes français.

Il existe des procédures consensuelles.

Les autres procédures sont soit réservées au mari, soit à la femme.

Deux procédures de divorce sont ainsi réservées au mari (TALAK) :


• le divorce révocable (RIJII)
• le divorce irrévocable (Baïn)

D’autres sont réservées à la femme et sont fondées sur :


• le préjudice ou le manquement de l’époux à l’une des conditions stipulées dans l’acte
de mariage, autrement dit la faute
• le défaut d’entretien, autrement dit le défaut de paiement en nature ou en monétaire
d’une pension alimentaire
• l’absence
• le serment de continence ou le délaissement

Cette liste est non exhaustive. Un rapport très instructif rédigé par des magistrats
français à l’issue d’un voyage d’étude en 2007 est accessible sur le net :
http://www.jafbase.fr/docMaghreb/EtudeDroitMarocain.pdf.

Si jusque là le juge français rejetait les répudiations et même plus généralement toutes
les formes de divorce réservées à l’époux, un arrêt de la Cour d’appel de Douai en date
du 19 janvier 2012 (n°11/ 00923) a étendu ce rejet à toutes les formes de divorce
discriminatoires, qu’elles soient réservées au mari ou à la femme.

Dans cet arrêt, qui semble assez logique au regard de la motivation des décisions
rendues par la Cour de cassation rejetant les répudiations précisément en raison de
leur caractère unilatéral, le juge français refuse d’appliquer le droit marocain dès lors
que la forme de divorce est réservée soit au mari soit à la femme. La Cour d’appel va
ainsi modifier le fondement du divorce retenu par les premiers juges, à savoir la faute
de l’époux, et prononcer le divorce pour “discorde”, l’une des seules formes de divorce
ouverte indifféremment aux deux époux.
Cet arrêt est d’ailleurs particulièrement représentatif d’un divorce franco-marocain
puisque le mari avait obtenu plusieurs années auparavant un jugement de divorce au
Maroc qui n’avait tout simplement pas été reconnu par la France… Entretemps celui-ci
s’était remarié et était donc en France en situation de polygamie…

En bref, si le divorce n’est pas consensuel, autant oublier de suite l’application du droit
marocain par le juge français et ce en violation totale de la Convention franco-
marocaine.

Dès lors que la forme de divorce est réservée à l’un ou à l’autre des époux, le juge
français y verra une discrimination et fera jouer l’ordre public. Les époux marocains
ont donc tout intérêt à s’entendre un minimum s’ils veulent que leur divorce échappe
à l’application de la loi française.

II. L’inapplicabilité des jugements de divorce marocains en France

Deux cas principaux peuvent se poser :


• Les deux époux, de même nationalité ou de nationalités différentes, sont résidents du
Maroc et ont obtenu une décision de divorce là-bas ;
• Les deux époux de même nationalité marocaine, sont résidents français mais ont
obtenu leur divorce là-bas en raison de leur nationalité commune.

La question de l’applicabilité en France des décisions marocaines va se poser lors de


plusieurs événements :
• Lors de la demande de transcription du jugement de divorce marocain sur l’état civil
du ou des époux français ;
• Lors de l’exécution forcée de la décision marocaine sur le territoire français :
recouvrement d’une pension alimentaire ; problème portant sur la “garde” de
l’enfant…
• Lors de l’introduction d’une seconde demande en divorce par l’un des époux devant
le juge français.

Première hypothèse : l’un des époux est français et doit faire mentionner son divorce
sur son acte de naissance pour pouvoir notamment se remarier. Ici, l’article 14 de la
Convention nous indique que par exception les décisions passées en force de chose
jugée peuvent être publiées ou transcrites sans exequatur sur les registres d’état civil.

La réalité est bien différente puisque le Procureur de la République de Nantes, chargé


de contrôler l’opposabilité des décisions étrangères, va très souvent, voire quasi
systématiquement, inviter les parties à procéder à l’exequatur…

Il faudra donc vous battre devant un magistrat français pour prouver que la
procédure marocaine était conforme à l’ordre public français.

Deuxième cas : vous voulez faire exécuter de force la décision marocaine en France et
ce peu importe votre nationalité : il vous faudra passer là-aussi par la procédure
d’exequatur et celle-ci est très loin d’être gagnée !

Pour rappel, pour accorder l’exequatur à une décision étrangère, le juge français doit
aujourd’hui vérifier que trois conditions sont remplies :

«  Pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français


doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du
juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre
public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi ; le juge de
l’exequatur n’a donc pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle
désignée par la règle de conflit de lois française. »

Le coût de grâce aux décisions marocaines a été donné avec les 5 décisions rendues le
17 février 2004 par la Cour de cassation.

La Cour de cassation et les juridictions du fond ont ensuite rejeté systématiquement


toutes les demandes d’exequatur de jugements de divorce prononcés sur demande
unilatérale du mari. L’arrêt de la Cour d’appel de Douai précité laisse à penser que le
refus d’exequatur devra s’étendre aux jugements de divorce prononcés sur demande
unilatérale de l’épouse…

Troisième situation : l’un des époux introduit une nouvelle requête en divorce devant
le juge français en dépit de l’existence d’une décision marocaine.

Il aura bien raison puisque cette dernière décision n’aura que très peu de chances
d’être reconnue par le juge français !! L’autorité de la chose jugée a donc une portée
toute relative lorsque la chose a été jugée au Maroc…

La Convention franco-marocaine semble toutefois avoir vocation à s’appliquer quand


il ne le faut pas !

En effet, il arrive parfois que la seconde juridiction soit saisie avant que la première
n’ait eu le temps de rendre sa décision.

L’application classique des règles de droit international privé conduit pour le juge
français saisi en second :

soit de se dessaisir au profit du premier juge qu’il estime régulièrement saisi et de


stopper de facto la procédure française ;
soit de continuer l’instance en divorce introduite en France s’il estime que la décision
étrangère à venir n’apparait pas pouvoir être reconnue par la France.

Au regard de la jurisprudence, il est clair que le juge français aurait tout intérêt à
continuer le divorce en France comme si rien ne se passait au Maroc puisque la
décision marocaine ne pourra très certainement pas être exécutée en France.

Mais ici il semble que la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 24 octobre 2012
(n°11/25278), veille à la complication en imposant d’appliquer l’article 11 de la
Convention qui indique que dans une situation dite de litispendance , le juge français
saisi en second ne doit ni se dessaisir ni continuer le divorce, mais “sursoir à statuer”
en attendant le prononcé de la décision marocaine.

Pourquoi attendre le prononcé d’une décision qu’on ne reconnaitra pas ?

Cela ne fait que retarder très longuement l’issue du divorce…


Ici, l’application de la Convention empire la situation des époux.

Récemment, cette fois en matière d’union et non de désunion, le juge français a encore
eu l’occasion d’écarter la convention franco-marocaine pour permettre le mariage
d’un couple homosexuel franco-marocain sur le territoire français et ce au nom de
notre nouvelle conception de l’ordre public international.

En conclusion, il apparaît que la Convention franco-marocaine brouille davantage les


pistes aujourd’hui pour les couples qu’elle ne clarifie leur situation : elle leur fait
croire qu’un divorce au Maroc est possible, tandis qu’il n’aura que très peu de chances
d’être reconnu en France, sauf peut-être pour les divorces consensuels. La convention
leur offre également une arme pour retarder la décision française qui sera seule
réellement applicable sur le territoire français. Peut-être faudrait-il penser soit à
abroger purement et simplement cette convention, soit à rédiger une autre convention
rapprochant les deux législations sur le fond afin d’harmoniser nos droits.

Un petit conseil pour les couples mixtes ou pour les marocains résidant en France :
préférez pour l’instant le divorce en France.

Noémie HOUCHET-TRAN

Avocat au Barreau de Paris


nhtavocat.com

Vos commentaires
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Le 2 février à 17:43 , par Deparis
Divorce prononcé au Maroc

Bonjour maître,

Mon ex-épouse et moi avons divorcé par consentement mutuel en 2019. Le divorce a
été prononcé, définitivement, au Maroc oú nous étions résidants. Je suis de retour en
France depuis le 29/09/2019 et je souhaite faire reconnaître notre divorce sur les
registres d’état civil. Puis-je réaliser une requête aux fins de constatation de la force
exécutoire en saisissant le président du TGI de mon actuel lieux de résidence ?

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Le 24 novembre 2019 à 00:20 , par Neyla
Divorce franco marocain

Bonjour
Ma tante de nationalité marocaine et qui possède un titre de séjour français en règle
depuis toujours, vient d’apprendre que son mari franco marocain, en séjour au Maroc,
a entamé une procédure de divorce au Maroc. Ils sont mariés depuis 30 ans et leur
domicile conjugal est en France ( et ce depuis toujours). Ils ne se rendent que très
rarement au Maroc, mais cette fois ci mon oncle a prétexté une urgence familiale, pour
s’y rendre seul et donc entamer la procédure là bas. Durant ces 30 ans de mariage mon
oncle a été naturalisé français.
Ma tante est très inquiète, elle se demande si le divorce pourra être prononcé au
Maroc sans qu’elle ne soit au courant ? Si c’est le cas, pourra-t-elle contester la
procédure dexequature de ce jugement ?Va-t-elle recevoir à son domicile ( en France)
une convocation pour une conciliation au tribunal marocain ? N’ayant plus de lien
avec son pays, elle refuse de s’y rendre depuis longtemps et que se passera t il pour
elle, si elle ignore la convocation marocaine qu’elle pourrait recevoir ?
Je vous remercie

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Dernière réponse : 17 septembre 2018 à 09:32
Le 16 septembre 2018 à 22:27 , par Li li
Aide juridictionnelle refuser

Bjr
Suite à ma séparation avec mon mari monsieur marocain de nationalité française veut
divorces.
jai fait une demande de rsa J’ai apris que etant propriétaire au Maroc et en France.
Je ne pouvais pas bénéficier de l aide juridictionnelle mais je ne trouve aucun article
de lois l attestant ! Ou puis-je chercher merci

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Le 17 septembre 2018 à 09:32 , par Houchet-Tran
Aide juridictionnelle

Chère Madame,

Tout dépend de vos revenus et ressources. Vous pouvez adresser votre demande en
France ou au Maroc, selon le lieu de la procédure de divorce.

Nous ne pratiquons cependant pas l’aide juridictionnelle aussi je vous renvoie vers un
confrère le faisant.

Respectueusement,

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Dernière réponse : 20 août 2018 à 14:58
Le 16 août 2018 à 21:41 , par Alia Rh

Bonjour Maitre, couple marocain souhaitant divorcé en France. Est-ce que le divorce
par acceptation est-il possible s’il vous plait ? Vu que le consentement mutuel n’est pas
accepté au Maroc
Merci

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Le 20 août 2018 à 09:10 , par Houchet-tran
Divorce de couple marocain

Chère Madame,

Il est possible de divorcer par consentement mutuel ici en France.

Afin de pouvoir demander un divorce par consentement mutuel, vous et votre conjoint
devez non seulement être d’accord sur le principe du divorce mais également sur le
règlement de l’intégralité de ses conséquences (logement, répartition des biens,
prestation compensatoire/pension alimentaire, garde des enfants). Vous devez
également impérativement prendre chacun un avocat.
Veuillez noter que nos honoraires pour une procédure de divorce par consentement
mutuel sont calculés sur une base forfaitaire de 2 190,40 € hors taxes (la TVA n’étant
pas applicable si vous résidez au Maroc).

A défaut d’accord total entre vous, vous serez contraint d’engager une procédure
unilatérale pour laquelle nos honoraires sont calculés sur une base horaire de 300
euros hors taxes pour l’avocat associée et 200 € hors taxes pour l’avocat collaborateur.

Il y a deux grandes étapes dans la procédure et il faut généralement compter entre 4 et


8 heures par étape selon la complexité de l’affaire.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à revenir vers nous.

Cordialement,

Le 20 août 2018 à 14:58 , par Houchet-tran


Précisions pour couple marocain

Madame,

En précision de mon message précédent, je vous indique que la convention franco-


marocaine parle de « décision » judiciaire donc il convient de faire attention aux
nouveaux divorces par consentement mutuel français qui se font maintenant devant
notaire (et non plus devant un juge). Il est ainsi préférable de soit continuer avec le
divorce par consentement mutuel en faisant entendre les enfants si vous en avez (on
repasse alors ici devant le juge), soit de passer par un "faux" contentieux, lequel
permet d’obtenir une décision de justice reconnue au Maroc.

N’hésitez pas à revenir vers nous pour plus d’information.

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Le 13 janvier 2016 à 22:21 , par racha
Divorce franco marocain qui dure 5 ans et pas bouclé à ce jour

Bonjour Maitre, J’aurai une question mon compagnon est marocain et son ex
compagne egalement. Ils se sont marié en 2007 à la mairie en ile de france. Ils n’ont
pas declaré leur divorce au consulat marocain de ce fait leur mariage n’est reconnu
qu’en France. Apres 6 mois de vie commune, Monsieur a souhaité divorcer et a donc
entamé les demarches de divorce. Le soucis est que son ex ne se presentait pas au
plaidoirie. Ensuite il a changé d’avocat qui depuis maintenant 3 ans tente de
prononcer ce divorce est en vain cela a etait rebouté. Une precision mon compagnon
n’a eu ni enfant avec elle, ni bien commun ... Dernierement moi le juge a rebouté son
affaire en indiquant que le divorce doit se faire selon le droit marocain ! une seconde
affaire a été lancé dans ce sens selon le divorce CHIKAK mais affaire à nouveau
rebouté. On est à bout pourquoi est si compliqué que cela. Que pouvions nous faire ?

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https://www.village-justice.com/articles/Divorce-franco-marocain-
inefficacite,16369.html

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