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LES DIFFICULTÉS DE GESTION DES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ EN

EUROPE.
Pour une lecture « institutionnelle »

David Giauque

Ecole nationale d'administration | « Revue française d'administration publique »

2009/2 n° 130 | pages 383 à 394


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ISSN 0152-7401
ISBN 9782909460147
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publique-2009-2-page-383.htm
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LES DIFFICULTÉS DE GESTION DES PARTENARIATS
PUBLIC-PRIVÉ EN EUROPE.
POUR UNE LECTURE « INSTITUTIONNELLE »

David GIAUQUE
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Professeur assistant, Université de Lausanne, Institut d’études politiques
et internationales (IEPI), membre du Swiss Public Administration Network (SPAN) 1

Résumé
Les partenariats public-privé se développent dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. De
nombreux acteurs, publics ou privés, y voient un moyen pour développer de nouvelles
infrastructures et prestations publiques à moindre coût et de manière sensiblement plus rapide et
plus efficace. Considérés sous l’angle de leur gestion, les PPP s’avèrent finalement bien plus
complexes qu’ils ne paraissent au premier abord. Fondé sur une revue de la littérature européenne
portant sur les expériences en cours sur le continent, l’article vise à faire état de la nature des
débats gestionnaires entourant cette nouvelle forme de coordination des activités étatiques. Il
relève plus spécifiquement les difficultés auxquelles la plupart des PPP sont confrontés, sur la
base d’une lecture institutionnelle.

Abstract
– The difficulties of managing PPPs : arguments in favour of the “institutional” analysis of
PPPs in Europe – PPPs are becoming more common in almost all OECD countries. Many
stakeholders, both public and private, see it as a means of developing new infrastructure and
public services at less cost and in a significantly faster and more effıcient manner. As far as their
management is concerned, PPPs are ultimately much more complex that they seem at first glance.
Based on a review of European literature on ongoing experiences across the continent, this
article seeks to report on the nature of the management debates on this new manner of
co-ordinating state activities, notably by pinpointing the diffıculties that most PPPs face, further
to an institutional analysis.

Les partenariats public-privé (PPP), qui constituent aujourd’hui une réalité dans la
majorité des pays de l’OCDE, n’échappent pas à ce que l’on pourrait qualifier de « nouvelle
tendance managériale » très largement développée d’ores et déjà dans les pays anglo-

1. Université de Lausanne, Institut d’études politiques et internationales (IEPI), Bâtiment administratif


de Vidy, 1015 Lausanne, Suisse. Email : david.giauque@unil.ch, tél. prof. : ++41 21 692 36 37.

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saxons 2. Les collectivités publiques se tournent de plus en plus vers la création de


partenariats pour concevoir, développer, construire ou financer des infrastructures et/ou des
services destinés aux citoyens-contribuables 3, eux-mêmes de plus en plus définis comme
clients 4. Ceci dit, si le développement des PPP est impressionnant dans certains pays
européens, les arrangements entre acteurs publics et privés en vue de l’atteinte d’objectifs
communs sont fréquents et ne sont pas toujours récents. Ainsi, certaines collectivités
publiques décentralisées, telles des communes ou municipalités pratiquent ce type
d’arrangement contractuel depuis de nombreuses années déjà 5.
L’objectif de cet article est double : s’appuyer sur des études de cas pour, ensuite, en
tirer des enseignements quant aux difficultés de gestion des PPP. Avant d’aborder
concrètement le sujet, évacuons toute possibilité de malentendu. Cet article se fonde sur la
littérature scientifique européenne pour en tirer ses principales données. Il est principale-
ment analytique et ne vise pas une description détaillée des PPP européens. Cependant, des
études de cas françaises, hollandaises, autrichiennes, suisses, allemandes sont sollicitées.
Des incursions dans la littérature scientifique anglo-saxonne sont également effectuées afin
de compléter nos propos et accentuer certaines des thèses que nous développons. Par
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conséquent, l’article ne vise pas à une comparaison systématique des expériences du
continent européen en matière de PPP. En effet, il n’est pas aisé de tenter une comparaison
d’expériences nationales en matière de PPP en Europe continentale. D’une part, les
traditions et modèles institutionnels sont très divers, ce qui implique bien évidemment des
réponses différentes à des problèmes apparemment semblables. Les régimes politiques ont
donc une influence importante sur les solutions que les collectivités publiques adoptent
pour résoudre leurs problèmes 6. D’autre part, les PPP recouvrent des expériences
particulières, difficilement comparables, servant des fins tout aussi spécifiques. De
nombreuses recherches démontrent que certains secteurs, tels que les domaines du social et
du médico-social, ont depuis longtemps adopté les PPP 7, alors que d’autres s’ouvrent plus
tardivement à cette pratique. Finalement, soulignons que certaines expériences de PPP sont
très récentes, ce qui rend leur évaluation évidemment difficile à réaliser.
Notre point de vue comporte donc un choix, celui de s’intéresser aux difficultés plutôt
qu’aux bonnes pratiques et aux succès. Cette approche a été retenue non seulement parce
que le lecteur intéressé à la problématique des PPP trouvera plus aisément des histoires à
succès que des récits critiques mais aussi parce que les enjeux des PPP prennent plus de
relief en abordant des problématiques « délicates » qu’en faisant une liste des bonnes
pratiques. Notons, finalement, que notre grille de lecture des problématiques gestionnaires
des PPP est largement empruntée aux théories « institutionnelles » des organisations 8. Une

2. Skelcher (Chris), « Public-Private Partnerships and Hybridity », The Oxford Handbook of Public
Management, Oxford University Press, pp. 347-370.
3. Pollitt (Christopher), « Reinvention and the Rest : Reform Strategies in the OECD World »,
L’administration dans tous ses états. Réalisations et conséquences, Lausanne, Les Presses Polytechniques et
Universitaires Romandes, 2003, pp. 217-236 ; Pollitt (Christopher), The Essential Public Manager,
Maidenhead/Philadelphia, Open University Press, 2003.
4. Giauque (David), « Le client, nouvelle figure disciplinaire de l’administration publique », Pyramides,
vol. (7), 2003, pp. 89-104.
5. Sadran (Pierre), « Public-private partnership in France : a polymorphous and unacknowledged
category of public policy », International Review of Administrative Sciences, vol. 70(2), 2004, pp. 233-251.
6. Pollitt (Christopher) et Bouckaert (Geert), Public Management Reform : a comparative analysis,
Oxford University Press, 2004.
7. Chauvière (Michel), « Secteur social et médico-social et formes successives du partenariat public-
privé en France », Télescope, vol. 12(1), 2005, pp. 53-64.
8. Meyer (J. W.), Rowan (B.), « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and
Ceremony », in Powell (Walter W.) et Di Maggio (Paul) (dir.), The New Institutionalism in Organizational

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bonne partie des travaux européens de recherche sur les PPP s’appuient en effet sur
l’approche « institutionnelle » 9 pour comprendre les phénomènes de mimétisme à l’œuvre
actuellement en matière de gestion des PPP. L’accent y est mis sur le système de valeur, les
rapports entre les partenaires publics et privés, l’utilité économique et la maîtrise des
risques à moyen et long terme.

LES PARTENARIATS, QUOI ET POURQUOI ?

Il n’est pas aisé de définir les partenariats public-privé, tant il faut bien admettre que
le nombre de publications sur la question est très important et surtout que les formes
partenariales deviennent de plus en plus inventives. À cela s’ajoute quelques débats pour
savoir quelles sont les frontières à définir dans le cadre de cette définition 10. Nous ne nous
lancerons pas dans un long débat sur les manières de définir les PPP. Mais il est toutefois
utile d’éclaircir quelques points pour que le lecteur comprenne ce sur quoi portent nos
propos.
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Nous fondant sur la littérature européenne 11, nous pouvons identifier certaines
caractéristiques majeures des PPP. Celles-ci sont :
v une coopération entre acteurs publics, acteurs privés et, éventuellement acteurs
associatifs,
v au sein de laquelle les différents acteurs peuvent réaliser leurs propres objectifs,
v tout en travaillant de manière commune sur la base de synergies potentielles,
v en partageant responsabilités, chances et risques,
v sur la base d’un contrat de coopération formalisé.
Évidemment, une telle définition s’avère très large mais nous la retenons ici dans la
mesure où elle est généralement partagée par tous les commentateurs scientifiques. Elle est
toutefois symptomatique du manque de précision qui caractérise ce nouveau type de
coordination des activités publiques. Que ce concept soit mal défini et nébuleux 12, y
compris dans le champ académique, n’échappe pas à l’observateur attentif 13.
Au cours des vingt dernières années, de nombreux pays européens ont manifesté un
intérêt croissant pour les PPP. Ceux-ci ont souvent été perçus comme un nouveau moyen

Analysis, The University of Chicago Press, Chicago, 1991, pp. 41-62 ; Di Maggio (Paul) Powell (Walter W.),
« The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields »,
American Sociological Review, 42 (2), 1983, pp. 147-160.
9. Les publications qui adoptent un point de vue « managérial », peu évaluatif et bien souvent
« prescriptif » sont mises à part.
10. Belhocine (Noureddine), Facal (Joseph) et Mazouz (Bachir), « Les partenariats public-privé : une
forme de coordination de l’intervention publique à maîtriser par les gestionnaires d’aujourd’hui », Télescope,
Vol. 12(1), 2005, pp. 2-14 ; Skelcher (Chris), « Public-Private Partnerships and Hybridity », op. cit.
11. Belhocine (Noureddine), Facal (Joseph) et Mazouz (Bachir), « Les partenariats public-privé : une
forme de coordination de l’intervention publique à maîtriser par les gestionnaires d’aujourd’hui », op. cit. ;
Burnham (June), « Local Public-Private Partnerships in France : Rarely Disputed, Scarcely Competitive,
Weakly Regulated », Public Policy and Administration, Vol. 16(4), 2001, pp. 47-60 ; Gerstlberger (Wolfgang)
et Schneider (Karsten), Öffentlich Private Partnerschaften. Zwischenbilanz, empirische Befunde und Ausblick,
Berlin, Sigma, 2008 ; Hammerschmid (Gerhard), « Le pénible parcours des partenariats public-privé en
Autriche », Télescope, Vol. 12(1), 2005, pp. 65-79.
12. Bovaird (Tony), « Public-private partnerships : from contested concepts to prevalent practice »,
International Review of Administrative Sciences, vol. 70(2), 2004, pp. 199-215.
13. Pour une telle discussion sur les différents points de vue prévalant sur les PPP au sein du champ
académique, voir l’article très intéressant de : Weihe (Guri), « Public-Private Partnerships : Adressing a
Nebulous Concept », 10th International Research Symposium on Public Management (IRSPM X), Glasgow
Caledonian University, Scotland, 2006.

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de coordination efficace pour combattre les déficits des premières vagues de privatisations
qui ont eu lieu principalement dans les pays anglo-saxons 14. Par ailleurs, les PPP ont été
largement soutenus par des institutions de poids. Ainsi en est-il par exemple des institutions
de l’Union Européenne (Commission européenne, Banque européenne pour la reconstruc-
tion et le développement, notamment) ou d’organismes internationaux tels que le Groupe
de la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD),
le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), ou encore l’OCDE 15.
Relevons également le rôle de grands cabinets de conseil et d’audit qui ont joué, dans
certains pays comme en Suisse par exemple 16, un rôle de think tank en vue d’apporter leur
soutien au modèle des partenariats 17. Ces faits expliquent en partie pourquoi les PPP ont
connu un développement si important ces dernières années.
En parcourant les ouvrages et articles portant sur les PPP en Europe 18, de nombreux
motifs sont proposés pour expliquer cet engouement collectif pour les PPP : la décentra-
lisation opérée dans les différents pays européens visant à redonner aux collectivités locales
plus d’autonomie décisionnelle ; les problèmes financiers auxquels ces dernières sont
confrontées ; les prises de décisions des institutions européennes largement favorables au
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développement des PPP ; l’image positive dont bénéficient les entreprises du secteur privé
– à tout le moins avant la crise financière internationale sévissant actuellement et qui est de
nature à remettre en cause l’aura dont bénéficie le management privé – que les collectivités
publiques tentent d’instrumentaliser pour augmenter leur légitimité ; la valorisation des
nouvelles pratiques de management, dites de « nouvelle gestion publique », au sein des
organisations publiques ; la multiplication et la complexification des attentes à l’égard des
autorités publiques ; la possibilité d’attirer des financements privés ; le partage des risques ;
la diminution de la taille du secteur public au profit d’autres formes organisationnelles
mixtes ; etc. Autant d’attraits, de motifs ou de croyances qui, se conjuguant, offrent des
conditions favorables au développement des partenariats. Les attentes à l’égard des
partenariats sont donc extrêmement importantes, mais sont-elles raisonnables ?

LES PPP : UNE ANALYSE « INSTITUTIONNELLE »


DES PROBLÈMES DE GESTION

Sous l’angle de la gestion, les PPP posent de nouveaux défis aux différents acteurs
impliqués et notamment aux autorités et organisations publiques. Cette section a pour
objectif d’évoquer certains d’entre eux. Pour ce faire, nous adopterons un point de vue

14. Hammerschmid (Gerhard), « Le pénible parcours des partenariats public-privé en Autriche »,


Télescope, vol. 12(1), 2005, pp. 65-79.
15. OCDE, Des partenariats locaux pour une meilleure gouvernance, Paris, OCDE, 2001.
16. Voir, à cet égard, le site internet www.ppp-schweiz.ch qui n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien
actif de PricewaterhousCoopers SA.
17. Lienhard (Andreas), « Les partenariats public-privé (PPP) en Suisse. Expériences, risques et
possibilités », Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 72(4), 2006, pp. 587-604.
18. Pollitt (Christopher), « Decentralization. A central concept in contemporary public management »,
The Oxford Handbook of Public Management, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 371-397 ; Osborne
(David) et Gaebler (Ted), Reinventing Government : How the Entrepreneurial Spirit Is Transforming the Public
Sector, New York, Plume Book, 1993 ; Skelcher (Chris), « Public-Private Partnerships and Hybridity »,
op. cit. ; Lienhard (Andreas), « Les Partenariats Public Privé (PPP) en Suisse. Expériences, risques et
possibilités », op. cit.

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« institutionnel » 19 pour procéder à une telle analyse. En effet, les apports des théories
institutionnelles, dites également néo-institutionnelles, nous paraissent particulièrement
adéquates pour commenter les problèmes de gestion rencontrés dans le cadre des
partenariats. Les théories néo-institutionnelles 20 considèrent les structures formelles des
organisations comme symboliques, c’est-à-dire comme étant des mythes rationalisés. Elles
perçoivent les organisations comme étant en recherche de légitimation, interne et externe,
afin de faire face aux pressions de l’environnement. Cette recherche de légitimation conduit
les ensembles organisés à adopter des règles et procédures formelles que l’environnement
valorise afin d’augmenter leur légitimité et obtenir des ressources. Du reste, l’adoption de
ces règles et procédures est fortement influencée par les mythes rationalisés qui sont
véhiculés à l’endroit de ces règles et procédures. Ainsi, au fil du temps, le « comporte-
ment » des organisations s’institutionnalise, c’est-à-dire qu’elles en viennent à reproduire
des modes d’action stables ; donc, plus une organisation fonctionne à partir de modes
d’action institutionnalisés, plus il est difficile d’y introduire des changements. Cette
perspective s’intéresse par conséquent aux valeurs, aux mythes, aux routines, aux normes
qui sont institutionnalisées, qui influencent les structures et les actions des gestionnaires
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dans les ensembles organisés. Adopter une telle perspective institutionnelle suppose donc
de notre part que nous nous intéressions au symbolisme, avec croyances, procédures et
valeurs qui fondent aussi les activités réalisées en mode PPP. Venons-en maintenant aux
défis de gestion posés par les PPP.

Une gouvernance plus complexe ? La persistance des normes institutionnelles

Si la définition claire et non équivoque des droits et devoirs de chacun des partenaires
est bien souvent considérée comme un premier pas vers le succès des PPP 21, force est de
constater que sa réalisation n’est pas aisée. Premièrement, il n’est pas imaginable que les
contrats puissent être exhaustifs, c’est-à-dire qu’ils puissent prendre en considération tous
les cas de figure et anticiper les évolutions contextuelles pouvant affecter les relations entre
partenaires 22. En conséquence, les rôles sont toujours plus ou moins flous, les responsa-
bilités en découlant également, de même que les droits et devoirs de chacun. Aussi, les
formes de coordination de type « bottom-up » ont-elles tendance à générer des problèmes
de transparence 23. L’évaluation des PPP actuellement en cours en Allemagne, en Autriche,
aux Pays-Bas, en Suisse et en France semble confirmer ce premier constat. Toutefois, si ces
problèmes de transparence sont finalement assez classiques dans la mesure où tous les
acteurs sont stratégiques et ne dévoilent jamais véritablement toutes leurs cartes avant de
jouer, ils ne peuvent en aucun cas être sous-estimés. Ils influent en effet sur la capacité des
autorités publiques à réguler et contrôler les PPP, surtout si ceux-ci sont de type

19. Pour une vision synthétique des théories institutionnalistes, voir notamment : Scott (Richard W.),
« The Adolescence of Institutional Theory », Administrative Science Quaterly (32), 1987, pp. 493-511 ; Scott
(Richard W.), Institutions and Organizations, London, Sage, 1995.
20. Rouleau (Linda), Pour une approche globale des fondements des théories néo-institutionnelles,
Théories des organisations, Presses de l’Université du Québec, 2007.
21. Hofmeister (Albert) et Borchert (Heiko), « Public–private partnerships in Switzerland : crossing the
bridge with the aid of a new governance approach », International Review of Administrative Sciences,
Vol. 70(2), 2004, p. 217-232 ; Jacobson (Carol) et Soi (Sang Ok), « Success factors : public works and
public-private partnerships », International Journal of Public Sector Management, vol. 21(6), 2008, pp. 637-
657.
22. Hammerschmid (Gerhard), « Le pénible parcours des partenariats public-privé en Autriche », op. cit.
23. Pollitt (Christopher), « Decentralization. A central concept in contemporary public management »,
The Oxford Handbook of Public Management, Oxford University Press, 2007, pp. 371-397.

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« contractuel ». P. Sadran ainsi que J. Burnham montrent de façon particulièrement


intéressante la difficulté à laquelle les autorités publiques françaises, notamment locales, se
trouvent confrontées lorsqu’il s’agit de « piloter » les activités partenariales 24. P. Sadran
estime que ce problème tient, en partie, de la faiblesse traditionnelle des mécanismes
d’évaluation et d’appui des autorités publiques.
D’autres spécialistes des PPP notent la complexification en termes de gouvernance
qu’imposent ces nouvelles formes de coordination. Mike Rowe remarque, par ailleurs, le
peu d’intérêt, voire de compétences, des autorités politiques à résoudre les problèmes
susmentionnés, c’est-à-dire à enjoindre les partenaires à plus de transparence afin d’assurer
une coordination plus efficace 25. Les constats évoqués ci-dessus posent également la
question de l’imputabilité (accountability) dans le cadre des PPP. L’objectif d’imputabilité
(qui est responsable de quoi ?) n’est pas une question facile à résoudre dans le contexte des
affaires publiques contemporaines 26 et plus encore dans le cadre de partenariats dont la
transparence, en matière de gestion, laisse encore largement à désirer.
Il va sans dire que la transparence est donc un objectif à atteindre dans le cadre des
PPP et qu’il en va ainsi de la capacité étatique à « surveiller » et réguler ces nouvelles
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formes de coordination. Cependant, comme nous avons essayé de le démontrer, la
complexification de la gouvernance qu’induisent ces nouvelles formes de coordination
partenariales n’est guère de nature à faciliter la tâche aux autorités publiques dans leurs
efforts de pilotage, de régulation et d’appui des PPP. Mais alors comment expliquer cette
difficulté ? L’apport des théories institutionnelles nous est ici d’un grand secours. En effet,
les institutions, qu’elles soient publiques ou privées, sont historiquement constituées et les
origines de leur création continuent largement à orienter leur fonctionnement et à
déterminer leurs structures. Autrement dit, le mécanisme de path dependency 27 explique
pourquoi il est compliqué de réunir des acteurs d’univers différents en vue de l’atteinte
d’objectifs communs. Les fonctionnements organisationnels publics et privés, de même que
les codes de conduite, les routines, sont assez divergents de sorte qu’une compréhension
commune des devoirs et droits de chacun et les difficultés de régulation de ces nouvelles
formes de coordination peuvent largement s’expliquer par les us et coutumes propres à
chacun des univers des partenaires. Dès lors, la persistance des normes institutionnelles,
phénomène largement documenté, constitue un obstacle majeur dans la gouvernance des
PPP tant il faut bien admettre que l’émergence de nouvelles normes de conduite partagées,
c’est-à-dire leur institutionnalisation dans un nouveau contexte partenarial, nécessite du
temps. Or la condition temporelle n’est pas toujours réunie dans les PPP.

Des logiques institutionnelles et des valeurs en concurrence

Si l’imputabilité, la régulation et la transparence ne sont pas évidentes à obtenir et à


réaliser dans le cadre des PPP, l’existence de logiques institutionnelles et de valeurs

24. Burnham (June), « Local Public-Private Partnerships in France : Rarely Disputed, Scarcely Com-
petitive, Weakly Regulated », op. cit. ; Sadran (Pierre), « Public-private partnership in France : a polymorphous
and unacknowledged category of public policy », International Review of Administrative Sciences, vol. 70(2),
2004, pp. 233-251.
25. Rowe (Mike), « Abusive partnerships. New forms of governance, new forms of abuse ? »,
International Journal of Sociology & Social Policy, vol. 26(5/6), 2006, pp. 207-219.
26. Bouckaert (Geert) et Halligan (John), Managing Performance, New York, Routledge, 2008.
27. Pierson (Paul) et Skocpol (Theda), « Historical Institutionalism in Contemporary Political Science »,
in Katznelson (Ira) et Milner (Helen V.) (dir.), Political Science : State of the Discipline, W.W. Norton, 2002,
pp. 693-721.

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concurrentielles peut constituer une explication crédible à cet état de fait. Les scientifiques
intéressés par les phénomènes organisationnels ont démontré dans maintes recherches que
les logiques institutionnelles, les valeurs, les normes et les codes orientent les actions des
acteurs 28. Or, les participants aux PPP ne sont pas tous guidés par les mêmes référentiels,
loin s’en faut. L’étude du projet Adonis, un projet partenarial lancé par le gouvernement
fédéral autrichien visant la mise en place d’un réseau national de radiocommunication
hautement sécuritaire à l’intention des organismes d’urgence (police, incendie, ambulances,
armée), révèle que son échec est largement dû à l’absence d’intérêts communs des
différents acteurs impliqués 29. G. Koppenjan, en développant une analyse comparative de
neuf études de cas sur la constitution de partenariats aux Pays-Bas, confirme que la création
d’un référentiel commun est fondamental dans l’émergence de la confiance entre les parties
prenantes 30 et que son absence peut largement expliquer les échecs des PPP analysés. Cette
étude confirme très largement d’autres investigations qui soulignent que la confiance au
sein d’ensembles organisés est tributaire de la définition préalable d’un référentiel commun,
de valeurs partagées 31. Il en va de même dans le cadre des partenariats 32. Aussi, bien
souvent, faute d’entente et d’accords sur les manières de coopérer, de décider ensemble et
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de s’organiser, les partenaires finissent-ils par solliciter des formes plus traditionnelles de
coordination, telles que le contracting out qui comporte l’avantage, du moins aux yeux de
certains acteurs, de mieux séparer les responsabilités qui incombent à chacun. En
présentant trois études de cas de PPP ayant pour objectif le développement urbain aux
Pays-Bas, E.H. Klijn et G.R.Teisman mettent en lumière les difficultés auxquelles les
acteurs sont confrontés dans la recherche d’un accord sur les valeurs qui conduisent leurs
actions 33, confirmant ainsi l’influence de ce facteur dans le succès des PPP. Cette question
des valeurs et des logiques d’action prend toute son importance notamment dans le cadre
de la discussion portant sur les standards ou attentes des différents partenaires dans les PPP.
Ainsi, W. Gerstlberger et K. Schneider aboutissent à l’observation selon laquelle les
partenaires privés des PPP allemands visent bien souvent à diminuer ou restreindre les
investissements qu’ils doivent consentir, augmenter les taxes des usagers/clients et
diminuer les standards de qualité. Il en va de leurs intérêts en quelque sorte, alors que cette
situation n’est pas avantageuse du point de vue de l’acteur public 34.

28. Giauque (David), « Coordination et coopération au sein d’ensembles organisés : une affaire de
confiance », Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie, vol. 39(4), 2002, pp. 453-470.
29. Hammerschmid (Gerhard), « Le pénible parcours des partenariats public-privé en Autriche »,
Télescope, Vol. 12(1), 2005, pp. 65-79.
30. Koppenjan (Joop F.M.), « The Formation of Public-Private Partnerships : Lessons from nine
Transport Infrastructure Projects in the Netherlands », Public Administration, vol. 83(1), 2005, pp. 135-157.
31. Lane (Christel) et Bachmann (Reinhard) eds, Trust Within and Between Organizations. Conceptual
Issues and Empirical Applications, New York, Oxford University Press, 1998.
32. Jacobson (Carol) et Soi (Sang Ok), « Success factors : public works and public-private par-
tnerships », op. cit. ; Teicher (Julian), Alam (Quamrul) et Van Gramberg (Bernadine), « Managing trust and
relationships in PPPs : some Australian experiences », International Review of Administrative Sciences,
vol. 72(1), 2006, p. 85-100.
33. Klijn (Erik-Hans) et Teisman (Geert R.), « Institutional and Strategic Barriers to Public-Private
Partnership : An Analysis of Dutch Cases », Public Money & Management, July, 2003, pp. 137-146.
34. Gerstlberger (Wolfgang) et Schneider (Karsten), Öffentlich Private Partnerschaften. Zwischenbilanz,
empirische Befunde und Ausblick, op. cit.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394


390 DAVID GIAUQUE

Le problème de la confiance dans les partenariats : entre logiques d’action


et institutionnalisation
Comme nous l’évoquons dans le cadre de la section précédente, les partenariats
associant des acteurs provenant de secteurs différents ne sont pas aisé à gérer notamment
si l’on évoque la question de la confiance. L’économie des conventions 35, largement
inspirée des théories institutionnelles, démontre que les échanges marchands, la coopéra-
tion économique, ne sont imaginables que si des règles communes orientent les actions. Ces
conventions ont pour principale utilité de suspendre l’indétermination des comportements,
l’incertitude comportementale, et la suspicion d’opportunisme qui peuvent se développer
dans le cadre des échanges marchands et non-marchands. L’économie est en effet une
science sociale, une réalité constituée d’intérêts passionnés, de mythes rationalisés.
L’économie est construite sur la base de symboles et en sécrète 36. Les conventions
constituent ainsi des guides d’action indispensables pour pouvoir penser la coopération et
la coordination des activités 37, y compris et surtout dans le contexte particulier des
partenariats. Les logiques d’action en présence, se fondant sur des valeurs non conver-
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gentes ou difficilement conciliables, peuvent empêcher, à l’image du projet Adonis
commenté précédemment, que ne se forme une vision commune du projet. Or, cette
situation ne permet pas le développement d’un intérêt communément partagé. Souligner
l’importance des logiques d’action revient à admettre l’existence de mondes différents
guidés par des principes également dissemblables ou distincts 38. Ce constat est central dans
la mesure où il met en évidence l’importance d’un référentiel commun dans la création et
le développement des PPP, non seulement pour permettre la coordination des activités, mais
également pour autoriser la coopération, celle-ci se fondant très largement sur la confiance
entre acteurs.
Or, la confiance est un mécanisme social sensible qui s’appuie très largement, comme
nous l’expliquent les théoriciens institutionnalistes, sur une institutionnalisation, c’est-à-
dire sur des processus par lesquels des actions sont répétées dans les organisations jusqu’à
devenir des routines, des codes, des normes. Les structures organisationnelles, les règles,
les procédures sont aussi le résultat de croyances et sont donc fortement symboliques. C’est
la raison pour laquelle les PPP se heurtent bien souvent à la difficulté de « création » de
codes communs susceptibles d’orienter la coopération. Encore faut-il, par ailleurs, que ces
routines soient considérées comme légitimes par toutes les parties prenantes 39, ce qui n’est
pas évident dans la gestion des partenariats.

Des coûts de transaction parfois importants ?


La multiplication des parties prenantes à la définition et à la mise en œuvre de projets
« publics » sur la base d’une structure partenariale rend les activités de coordination

35. Gomez (Pierre-Yves), « Information et conventions : le cadre du modèle général », Revue française
de gestion, (112), 1997, pp. 64-77 ; Orléan (André) (dir.), Analyse économique des conventions, PUF, Paris,
2000 ; Théret (Bruno), « Nouvelle économie institutionnelle, économie des conventions et théorie de la
régulation : vers une synthèse institutionnaliste ? », La lettre de la régulation, (35), 2000, pp. 1-4.
36. Latour (Bruno), Lépinay (Vincent Antonin), L’économie science des intérêts passionnés. Introduc-
tion à l’anthropologie économique de Gabriel Tarde, La Découverte, Paris, 2008.
37. Giauque (David), « Les partenariats, une affaire d’adhésion et de valeurs. Contribution théorique à
l’élaboration d’une problématique », Télescope, Vol. 12(1), 2005, pp. 16-30.
38. Boltanski (Luc) et Thévenot (Laurent), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris,
Gallimard, 1991.
39. Ménard (Claude), L’économie des organisations, La Découverte, Paris, 1997.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394


LES DIFFICULTÉS DE GESTION DES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ EN EUROPE 391

particulièrement coûteuses, à la fois en termes monétaires et temporels. Ces coûts de


transaction, relevés dans les différentes évaluations produites concernant les expériences
européennes en matière de partenariats, et qui font référence aux efforts que doivent
déployer les partenaires pour assurer une bonne coordination de leurs activités, sont bien
souvent sous-estimés par les collectivités publiques 40. En économie, les institutionnalistes
se sont fait une spécialité de ces questions de coûts de transaction. Ils ont montré que la
coordination des activités économiques par le marché comporte des coûts, notamment le
choix des partenaires dans l’échange, la recherche d’information, le fait de se mettre dans
une situation de dépendance à l’égard d’autres acteurs, etc. 41. Ils soulignent que plus les
actifs sont spécifiques, ce qui rend les investissements nécessaires pour s’engager dans une
relation contractuelle (les technologies à mettre en œuvre, les problèmes de langues et de
traduction, les systèmes de contrôle à établir pour s’assurer de la « fidélité » du partenaire,
etc.), plus la dépendance à l’égard du partenaire est importante et plus le risque est élevé,
du fait d’une plus grande incertitude comportementale notamment.
Aussi, la volonté des autorités publiques de s’associer à des organisations du secteur
privé pour mener à bien des projets d’envergure, notamment pour diminuer la facture,
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peut-elle parfois s’avérer un pari coûteux. Mais comme il est bien souvent difficile
d’estimer ces coûts de transaction, les acteurs des PPP préfèrent tenter l’expérience, quitte
à tirer des conclusions ensuite. Une telle stratégie, pour empirique et pragmatique qu’elle
puisse paraître, se fonde très largement sur une croyance, comme la plupart des actes
managériaux du reste 42, celle d’un gain de productivité potentiel et la possibilité de
légitimer plus aisément des projets si ceux-ci sont réalisés en collaboration avec des
entreprises privées.

L’institutionnalisation des PPP, une affaire de temps


La perspective institutionnelle insiste également beaucoup sur l’aspect historique du
développement des structures organisationnelles ainsi que des normes, procédures, codes et
autres routines qui en sont constitutives. L’institutionnalisation est un processus et, en tant
que tel, elle nécessite du temps. Or, en la matière, force est de constater que le temps des
organisations publiques ne correspond pas à celui des entreprises privées. Temps long pour
les unes, qui ont pour mission la réalisation de politiques publiques dont les effets ne sont
mesurables que sur le moyen-long terme. Temps court pour les partenaires privés qui ont
pour objectif la réalisation de bénéfices, voire de plus-values boursières afin de contenter
des actionnaires intéressés à connaître la valeur actionnariale de leurs investissements. En
conséquence, la perspective temporelle diverge entre les partenaires, ce qui n’est pas une
révélation mais qui n’est pas sans poser quelques problèmes dans le cadre des PPP, comme
il est possible de s’en douter.
Or, nous l’avons vu, la coopération et la coordination des activités entre partenaires
nécessitent l’instauration d’un minimum de « sens commun », de règles partagées et
acceptées par les différentes parties prenantes. Cette institutionnalisation, c’est-à-dire
littéralement ce processus conduisant à la création d’une institution partenariale, ne peut se

40. Gerstlberger (Wolfgang) et Schneider (Karsten), Öffentlich Private Partnerschaften. Zwischenbilanz,


empirische Befunde und Ausblick, op. cit. ; Gerstlberger (Wolfgang) et Schneider (Karsten), « Public Private
Partnership in deutschen Kommunen », WSI Mitteilungen, (Oktober), 2008, pp. 556-562.
41. De Alessi (Louis), « Property Rights, Transaction Costs, and X-Efficiency : An Essay in Economic
Theory », American Economic Review, 1983, pp. 64-81 ; Williamson (Oliver E.), « The Economics of
Organization : The Transaction Coast Approach », American Journal of Sociology (3), 1987, pp. 548-577.
42. Alter (Norbert), L’innovation ordinaire, PUF, Paris, 2005.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394


392 DAVID GIAUQUE

réaliser qu’avec du temps. Étant donné que la plupart des partenariats s’avèrent bien
souvent ponctuels, limités dans le temps, les échanges intermittents entre acteurs ne sont
guère en mesure de générer autre chose que des accords de circonstance. Ces accords
devront être renégociés constamment à la moindre difficulté. Cet aspect constitue
évidemment une faiblesse des PPP et a fait l’objet de nombreuses études et recensions 43.
Par ailleurs, la question que nous venons de traiter est à mettre en lien avec la difficulté de
faire partager les risques, notamment sur le long terme, par tous les partenaires.

La lancinante question du transfert effectif des risques


Étant donné la présence d’une multiplicité de logiques d’action et de stratégies
d’acteurs concurrentes, il est évident que le partage des risques entre partenaires ne va pas
de soi. P. Edwards et J. Shaoul observent, dans le cas de projets développés en
Grande-Bretagne, que bien souvent les PPP se montrent incapables de réaliser un réel
transfert de risques, notamment vers les partenaires privés 44. Sont notamment en cause, les
techniques financières et comptables estimant les coûts et risques encourus par les acteurs
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privés. Dans la plupart des cas, des coûts et risques non prévus apparaissent en « cours de
route », lorsque le partenariat développe ses activités, notamment lors de l’intervention de
tiers (lobbies, autres organisations publiques ou départements, utilisateurs/usagers ou
même des politiques) 45. Ce fut le cas en Suisse, par exemple, pour la conception et la
construction d’un nouveau stade de football à Zurich en PPP 46. Les partenaires publics et
privés s’étaient largement entendus sur les grands objectifs et étaient prêts à démarrer le
projet lorsqu’une association de protection de l’environnement s’est immiscée dans le
débat, avec le soutien d’une partie des riverains du reste, pour remettre en cause le projet
au motif qu’il n’aurait pas été pensé sous l’angle de la congestion automobile qu’il serait
susceptible de créer. Le recours déposé par cette association menaçait donc de retarder
considérablement le projet. Dès lors, les acteurs initialement impliqués ont préféré
abandonner plutôt que de continuer à travailler sur une infrastructure à haut risque 47. Cet
exemple est bien évidemment révélateur : les acteurs privés rechigneront bien souvent à
participer à des projets dont ils estiment les risques élevés. D’autre part, en cas d’échec des
PPP ou de surcoût des projets, voire de désistement des partenaires privés, ce sont les
collectivités publiques qui bien souvent passent à la caisse. Les citoyens sont donc sollicités
pour éponger les éventuels déficits ou dépassements budgétaires. Évoquons, à ce propos, un
autre cas helvétique : l’exposition nationale Expo.02, plus grand projet partenarial à

43. Lienhard (Andreas), « Les Partenariats Public Privé (PPP) en Suisse. Expériences, risques et
possibilités », op. cit. ; Teicher (Julian), Alam (Quamrul), Van Gramberg (Bernadine), « Managing trust and
relationships in PPPs : some Australian experiences », op. cit.
44. Edwards (Pamela) et Shaoul (Jean), « Partnerships : for better, for worse ? », Accounting, Auditing
& Accountability Journal, vol. 16(3), 2003, pp. 397-421.
45. Sur la question des conséquences non anticipées des actions, voir le magnifique ouvrage de
P. Selznick, considéré comme l’un des auteurs phares de la perspective institutionnaliste des organisations :
Selznick (Philip), TVA and the Grass Roots. A study in the Sociology of Formal Organization, Harper & Row,
New York, 1966.
46. Pour comprendre les enjeux de ce cas en termes de politiques publiques, voir : Knoepfel (Peter),
Olgiati (Mirta), Warin (Philippe), « Analyse de politiques publiques – grands exercices d’application »,
Matériel de cours de l’IDHEAP, 2006. Document se trouvant sur : http://www.idheap.ch > publications
47. Certains milieux politiques, soutenus par des intérêts privés, ont ensuite utilisé cet exemple pour
remettre en cause le droit de recours des associations accusées de ralentir inutilement la réalisation de projets
d’envergure, voire même de nuire à la croissance nationale en détruisant des emplois. Le peuple suisse refusa
d’approuver une telle loi en fin 2008.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394


LES DIFFICULTÉS DE GESTION DES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ EN EUROPE 393

caractère national 48. À ses débuts, des promesses de financement colossales ont été faites
par les entreprises privées, de sorte que 50 % du financement devait provenir d’acteurs
privés. Devant les retards pris dans les différents travaux, de même que face au scepticisme
des analystes quant au succès de la manifestation, les financements privés, de même que les
partenaires privés impliqués, se sont réduits très fortement pour ne constituer qu’une part
infime du budget global de cette aventure 49. Mais comme les travaux étaient d’ores et déjà
bien avancés, l’État fédéral n’a eu d’autre issue que de mettre la main au porte-monnaie et
donc de compléter lui-même le budget pour faire en sorte que la manifestation puisse
néanmoins se dérouler dans les meilleures conditions. Cet exemple illustre combien il est
difficile de procéder à un réel transfert de risques dans le cadre des PPP.
*
* *
Une dernière discussion s’impose pour conclure ce tour d’horizon, certes non
exhaustif mais largement fondé sur les dernières parutions portant sur le sujet : les PPP
tiennent-ils leurs promesses ou, autrement dit, répondent-ils aux attentes placées en eux ?
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Il n’est pas ici dans notre intention d’évaluer les impacts des PPP en termes d’efficience ou
de qualité de services. Rappelons, simplement, que certains commentateurs estiment que
les PPP permettent d’atteindre des gains d’efficience de l’ordre de 10 à 30 % environ 50.
D’autres remettent très sérieusement en question ce genre d’estimations : ils évaluent les
gains éventuels bien plus modestement, voire même suggèrent que les PPP peuvent
conduire à des surcoûts 51 si les coûts de transaction et de coordination ainsi que les
externalités sont pris en considération 52, ce qui est bien évidemment rarement le cas. Une
certitude cependant : il n’existe à l’heure actuelle aucune évidence empirique clairement
établie suggérant la supériorité de cette nouvelle forme de coordination, que ce soit en
termes d’efficacité ou d’efficience. Qu’elle puisse avoir des effets bénéfiques indirects, tels
que l’échange de compétences entre organisations publiques et entreprises privées, la
possibilité de créer de nouvelles synergies, de plus rapidement développer des infrastruc-
tures ou des services, n’est pas contesté non plus. Par contre, si l’on prend le point de vue
de la gestion, on peut constater que de nombreux défis subsistent. Il serait ici illusoire de
vouloir tenter des recommandations universelles. Le succès ou l’échec des PPP dépendent
très largement des contextes institutionnels propres à chacun d’eux et de leur architecture
spécifique. Néanmoins, les observateurs s’accordent à souligner que certains facteurs
doivent être réunis pour que les PPP deviennent des histoires à succès. Parmi ceux-ci
figurent : une vision partagée ; un engagement de la part de tous les participants ; une
définition du temps commune ; une communication transparente et ouverte fondée sur la
confiance ; la volonté de faire des compromis ; le respect mutuel ; un soutien politique ;

48. Le caractère partenarial de cette manifestation est du reste contesté par certains observateurs. Pour
notre part, nous estimons que ce projet correspond à un partenariat dans la mesure où la façon dont a été conçu
et développé le projet, notamment en lien avec des partenaires privés, correspond à bon nombre de critères
figurant dans la définition des PPP.
49. Voir le rapport du Contrôle fédéral de finances intitulé « Expo.01/02 : Auftrag mit unbeschränkter
Haftung Sonderuntersuchung zur Landesausstellung im Drei-Seen-Land » sur la page internet suivante :
http://www.efk.admin.ch/pdf/4252_Bericht-deutsch.pdf
50. Gerstlberger (Wolfgang) et Schneider (Karsten), « Public Private Partnership in deutschen Kommu-
nen », op. cit. ; Partnerships Commission on Public Private, Building Better Partnerships : The Final Report
of the Commission on Public Private Partnerships, London, Institute for Public Policy Research, 2001.
51. Huxham (Chris) et Vangen (Siv), « What makes partnerships work ? », Public-Private Par-
tnerships : theory and practice in international perspective, London, Routledge, 2000, pp. 293-310.
52. Vaillancourt Rosenau (Pauline), « The strengths and weaknesses of public-private policy par-
tnerships », Public-Private Policy Partnerships, Westwood, MIT, chapter 13, 2000.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394


394 DAVID GIAUQUE

l’apport de conseils externes ; l’acceptation d’une prise de risque et, finalement, une claire
distinction des rôles et responsabilités 53.
Ces recommandations confirment qu’une lecture « institutionnelle » des PPP en
Europe peut véritablement s’avérer pertinente. Cette lecture « institutionnelle » a la
particularité de focaliser l’attention sur le « symbolisme », les valeurs, les normes et les
codes dans les organisations. Les théories institutionnelles énoncent que les ensembles
organisés sont en recherche de légitimité, notamment pour faire face aux pressions
environnementales. Cette légitimité peut leur permettre de lever les « ressources »
nécessaires pour l’accomplissement de leurs activités. Aussi, l’adoption de nouvelles
méthodes de gestion, l’adaptation des structures organisationnelles, notamment en fonction
des « modes managériaux » en vigueur, constituent-elles des stratégies visant à atteindre
cette légitimité pourvoyeuse de ressources. Les PPP, en tant que nouvelle forme
organisationnelle réunissant des acteurs des secteurs privé, public et associatif, peuvent
donc se lire en fonction de la perspective susmentionnée. Ils correspondent à une forme
organisationnelle hybride construite autour de valeurs publiques et privées. Ces organisa-
tions hybrides visent à faire face à de nouvelles contraintes environnementales, notamment
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pour financer des projets d’envergure, en associant des particularités publiques et privées.
De cette manière, elles tentent d’augmenter leur légitimité pour s’ouvrir l’accès à de
nouvelles ressources. Toutefois, cette « hybridation » ne se gère pas sans difficulté,
notamment si l’on considère les PPP sous l’angle de l’institutionnalisation, c’est-à-dire du
processus conduisant à la génération de nouvelles valeurs, normes, ou conventions
« hybrides ». Par ailleurs, les théoriciens « institutionnalistes » relèvent une tendance au
mimétisme des structures organisationnelles dans le cadre des processus d’institutionnali-
sation. Dès lors, ces phénomènes d’imitation, dans le cadre des PPP, vont-ils remettre en
cause les valeurs portées par les acteurs publics ou les acteurs privés vont-ils s’approprier
des valeurs publiques ? Quelles conséquences pour la démarcation entre les différentes
sphères ? Certains auteurs s’inquiètent d’ores et déjà de ces tendances mimétiques entre
secteurs privé et public au point de pouvoir identifier un déclin des normes publiques au
profit de prescriptions managériales courantes dans les entreprises privées 54... Un
développement à suivre dans tous les cas.

53. Jacobson (Carol) et Soi (Sang Ok), « Success factors : public works and public-private par-
tnerships », op. cit.
54. Moynihan (Donald P.), « The Normative Model in Decline ? Public Service Motivation in the Age
of Governance », in Perry (James L.) et Hondeghem (Annie), Motivation in Public Management. The Call of
Public Service, Oxford University Press, 2008, pp. 247-267.

Revue française d’administration publique no 130, 2009, pp. 383-394

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