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Résumé
A partir d'une analyse des avantages-inconvénients du recours au privé dans la gestion des déchets domestiques, ce texte
resitue les enjeux des conceptions « idéaliste » et « réaliste » de la gestion privée des déchets à partir des questions suivantes :
Quelle est l'ampleur du recours au privé dans la gestion des déchets urbains solides ? Pourquoi telle administration municipale
décide-t-elle de confier la gestion des déchets domestiques de son territoire à l'entreprise privée, en tout ou en partie, alors que
l'autre effectue les mêmes tâches en régie ? Quels sont les avantages et les inconvénients, managerial et économiques, du
recours au privé ? Enfin, lorsqu'il y a recours au privé, à quel modèle organisationnel fait-on confiance pour maximiser les
rendements du service ?
Léonard Jean-François, Leveillée Jacques. Les administrations municipales et la gestion des déchets urbains : la tentation du
privé. In: Politiques et management public, vol. 7, n° 1, 1989. Quel projet pour les administrations et les entreprises publiques
? Actes du Troisième Colloque International - Québec - 3-4 novembre 1988 - (Première partie) pp. 79-94;
doi : https://doi.org/10.3406/pomap.1989.2868
https://www.persee.fr/doc/pomap_0758-1726_1989_num_7_1_2868
Jean-François LÉONARD*
Jacques LÉVEILLÉE*
A l'occasion d'une brève synthèse historique sur la gestion des déchets solides
en milieu urbain, Savas (1981) écrit qu'un bon nombre de villes américaines se
retrouvent aujourd'hui dans la position qui était la leur au XVI Ile et au XIXe
siècles, soit celle de confier à l'entreprise privée le soin de collecter, de transporter
et de disposer de leur déchets. Dans la majorité des cas, toutefois, les
administrations publiques urbaines conservent, sur la gestion du service, la responsabilité
qu'elles ont enlevée à l'entreprise privée au cours de la première moitié du 20e
siècle.
Quelle est l'ampleur du recours au privé dans la gestion des déchets urbains
solides ? Pourquoi telle administration municipale décide-t-elle de confier la
gestion des déchets domestiques de son territoire à l'entreprise privée, en tout ou
en partie, alors que l'autre effectue les même tâches en régie ? Quels sont les
avantages et les inconvénients, managerial et économiques, du recours au privé,
à quel modèle organisationnel fait-on confiance pour maximiser les rendements
du service ? Voilà les quelques questions qui sont à l'origine de notre texte et
qui introduisent aux différentes sections de celui-ci.
Ampleur du recours Les discussions actuelles sur la privatisation et le fa ire-fa ire dans la gestion des
au privé dans la services municipaux ont incité certains auteurs à dénombrer les catégories
gestion des déchets d'administrations publiques locales et métropolitaines ayant recours, en tout ou en partie,
urbains solides à l'entreprise privée pour gérer la collecte, le transport et la disposition des déchets
urbains solides. Ces compilations ne sont malheureusement pas systématiques,
eu égard à l'analyse comparative internationale ou même nationale. Elles
signalent, par contre, des tendances qu'il importe de noter parce qu'elles alimentent
les craintes et les espoirs des intervenants municipaux impliqués dans la gestion
des déchets urbains.
Ainsi définie, la privatisation n'est plus une formule utilisée dans la gestion des
déchets urbains solides, du moins en Amérique du Nord. Par contre, des variantes
plus ou moins « pures » existent, en particulier aux États-Unis et au Canada.
Me David et Schick (1987, p. 473) en identifient trois formes : la franchise, la
compétition directe et la « contractuelle ». La première réfère aux systèmes de
franchises en vigueur depuis le début du XXe siècle : la municipalité reconnaft
alors telle corporation ou entreprise apte à faire la collecte des déchets pour
une zone particulière. C'est un système qui est peu répandu actuellement. La
seconde élimine les barrières géographiques et laisse à l'entreprise privée le champ
libre pour établir un prix de service sur tout le territoire. Sur une même rue,
trois compagnies différentes peuvent recueillir les déchets résidentiels, chaque
individu « contractant » avec la compagnie de son choix. Ce système est largement
répandu pour la collecte des déchets commerciaux, industriels et institutionnels
aux U.S.A. et au Canada. Ainsi, à New- York, il y a plus de deux cents compagnies
différentes qui s'occupent de ce type de marché. Cependant, il n'est à peu près
pas en vigueur pour ce qui est des déchets résidentiels. C'est ce qui se rapproche
le plus de la privatisation à l'état pur tel que définie supra.
(1) Union des municipalités du Québec, Rapport de la Commission d'Étude sur les Municipalités,
Montréal, 1987, p. 240.
82 Jean-François LEONARD - Jacques LÊVEILLÉE
TABLEAU 1
FORMULE INSTITUTIONNELLE DE COLLECTE
DES DÉCHETS RÉSIDENTIELS (1)
Formule N % &
Régie 20.6 37
53(2) 42.1
26/ov
Faire-faire 59
47 37.3 4<3)
Mixte
(1) Les données canadiennes ont été recueillies auprès des villes de 10.000 habitants et plus en 1981-
1982 : réponse de 126 municipalités sur une possibilité de 205. Les résultats américains proviennent
d'une compilation des données du 1976 Municipal Year Book et concernent les municipalités des
zones métropolitaines.
(2) Comprend quelques privatisations « pures ».
(3) Pour parvenir à 100 %, il faut probablement estimer que 4 % des villes américaines expérimentent
un système de compétition : « There are few cities today which consciously foster such direct
competition between the public and the private sectors » (Savas 1977, p. 718).
Les administrations municipales et la gestion des 83
déchets urbains : la tentation du privé
Les justifications, Pour les administrateurs municipaux, la privatisation des services urbains est donc
les avantages et les à nouveau à l'ordre du jour. A nouveau, parce que, historiquement, à peu près
inconvénients du tout ce qui s'appelle aujourd'hui « services municipaux » était, d'une façon ou
recours au privé de l'autre, privatisé au XIXe siècle : que ce soit la distribution de l'eau, de la glace,
la collecte des déchets, l'entretien des parcs, l'assistance sociale, l'éducation, le
transport, etc.
Par delà ces réalités historiques, la raison la plus couramment avancée comme
justification pour la privatisation, c'est la croyance que le privé est plus efficace,
qu'il peut, mieux que le secteur public, atteindre des objectifs fixés dans les délais
prévus. Cette croyance repose sur un certain nombre d'analyses économiques
qui montrent la performance comparative des secteurs privé et public en termes
de coûts et de productivité avant et après la privatisation de la collecte des déchets
(Me David, 1985, p. 606 ; McDavid-Shick, 1987, p. 484).
84 Jean-François LEON A RD - Jacques LÊVEILLÊE
A cela, il faut ajouter les fortes pressions qui existent pour réduire, ou à tout le
moins stabiliser, les dépenses publiques et pour augmenter la productivité des
services municipaux. Ces pressions sont fortement liées au mouvement de déséta-
tisation qui a cours depuis les années 1970 et, dans le cas des villes et des
collectivités locales, aux contraintes fiscales qui limitent fortement leur capacité à
assurer de la même façon qu'auparavant la distribution des services urbains. Ainsi, le
recours à l'une ou l'autre forme de privatisation apparaft comme une alternative
attrayante au monopole public.
Outre ces avantages différenciés applicables à des villes de tailles variées, une
analyse globale tend à montrer que le secteur privé spécialisé dans la collecte des
déchets a une organisation du travail non seulement différente mais aussi plus
souple et moins coûteuse (Ecodata, 1984 ; Ferris-Graddy, 1986) : les employés
du secteur privé travaillent plus que ceux du secteur public puisque, pour le même
salaire, ils ont moins de congés et de vacances ; le secteur privé utilise du personnel
moins qualifié pour faire chaque tâche et il utilise des travailleurs à temps partiel
au besoin ; en outre, il décentralise plus et coordonne mieux les ressources
d'encadrement puisqu'il donne aux contremaftres la responsabilité de l'équipement et
de la main-d'œuvre, particulièrement le droit d'engager et de congédier. Ces
différents éléments jouent en faveur de la plus grande efficacité du secteur privé
puisqu'il semble utiliser moins de main-d'œuvre pour donner le même service.
Modèle La revue des avantages et des inconvénients du recours au privé dans la gestion
d'aménagement du du service de collecte, de transport et de disposition des déchets laisse à entendre
recours au privé que la décision de faire appel, ou non, à l'entreprise privée, est toujours complexe.
Posons, pour les fins de notre analyse, que la décision a tout de même été prise
de recourir à l'entreprise privée. S'agira-t-il d'un abandon total des diverses étapes
du service à l'entreprise privée ? Si oui, souhaitera-t-on que la situation évolue
à l'avantage d'une gestion monopolistique ou d'une gestion compétitive entre les
entrepreneurs privés ? Est-ce que ces entreprises seront uniquement des entreprises
de type capitaliste ? Quelle part fera-t-on aux entreprises communautaires ? Enfin,
86 Jean-François LEON A RD - Jacques LÈVE IL LÊE
quelles seront les conséquences d'une telle option sur les dimensions « publiques »
de la gestion du service de collecte et de disposition des déchets ?
Quel secteur privé ? Cette interrogation ouvre la voie à un double questionnement : de type
philosophique et de type administratif ou managerial.
Comme nous l'avons déjà souligné, les motifs invoqués par les villes ayant adopté,
de façon consciente, un système compétitif de gestion des déchets sont à la fois
d'ordre économique (réduction des coûts) et d'ordre administratif (constitution
d'un secteur témoin).
Savas (1981) rallie probablement ces deux courants d'analyse lorsqu'il constate
que les villes ayant adopté le système compétitif ne se sont pas, à ce jour, données
les moyens de tirer tous les avantages d'une comparaison « pédagogique » entre
les secteurs, pour le plus grand bien du service lui-même et des citoyens-usagers.
Une dernière remarque concerne la supervision exercée par le secteur public sur
le secteur privé. Dans toutes nos villes, il s'agit d'une supervision obligée puisque
la responsabilité des villes à l'égard de l'enlèvement, du transport et de la
disposition des déchets est inscrite dans les lois les régissant. La reconnaissance de cette
responsabilité ne préjuge cependant pas du type de supervision que les services
administratifs sont disposés à exercer. S'agira-t-il d'une supervision
bureaucratique tatillonne qui risque d'inhiber toute velléité d'innovation ? Cette supervision
s'accompagnera-t-elle d'une recherche pour adapter le service au futur ou pour le
maintenir conforme à un certain passé ? Est-ce que cette supervision saura inspirer
les comportements des employés de la base, aussi bien privés que publics ? De
telles questions nous incitent à une réflexion sur la partie « publique » du système
compétitif de gestion des déchets.
Les administrations municipales et la gestion des 89
déchets urbains : la tentation du privé
Quel secteur public ? Sous ce titre nous soulevons quelques interrogations sur les éléments du « public »
qui contribuent, ou pourraient contribuer, au système compétitif de gestion dont
nous cherchons à préciser les enjeux.
Il est sûrement trop tôt pour rendre compte des changements qui se sont opérés
dans les villes sur ce plan. Par contre, il semble bien que les départements ayant eu
la responsabilité quasi-exclusive sur tout le secteur de la gestion des déchets ne
seront plus jamais seuls à se prononcer sur la question. De nouveaux associés
administratifs, au sein des départements actuels, et plus probablement dans des
structures parallèles, feront leur apparition pour véhiculer une vision moins
sectorielle de la problématique des déchets. De l'ingénierie pure, il y aura peut-
être passage graduel vers l'ingénierie sociale et l'écologie sociale.
supérieurs et intermédiaires, soit ceux et celles qui sont les gardiens attitrés des
normes bureaucratiques ? Comment sont associés les fonctionnaires et employés
manuels de la base qui, de fait, sont les co-gestionnaires obligés du service de
collecte, de transport et de disposition des déchets au niveau de la rue (street-
level bureaucracy) ? La réponse à de telles questions exige que la réflexion porte
sur la philosophie qui sous-tend l'édifice du mode compétitif de gestion, ou de
tout autre mode. Nous en dirons quelques mots dans un instant.
En plus des agents publics déjà pris en considération par notre interrogation sur
le contenu du secteur public, il importe de se demander quelle place occupent
les usagers et les contribuables des services municipaux, en particulier dans le
secteur de la gestion des déchets.
Les groupes constitués et les groupes de type associatif engagés dans le secteur
de la gestion du déchet ne posent pas de problèmes quant à leur statut. Ils font
des pressions sur les autorités politiques et administratives, ou ils font des affaires.
Qu'en est-il, en contrepartie, de tous ceux et toutes celles qui, dans leurs
milieux de vie respectifs, sont de plus en plus interpellés, en tant qu'individus, pour
apporter une contribution à la gestion du service des déchets ? Ne formant ni une
circonscription électorale, ni un district scolaire, ni un territoire de Centre Local
de Services Communautaire (CLSC), sur quelle base est-il possible de concevoir
l'organisation minimale de leur association au mode de gestion compétitif des
déchets ? Que pourrait signifier le concept de « circonscription des besoins » en
matière de déchets ou de « Centres Locaux de Gestion des Déchets » dans une
ville de l'importance de Montréal ? Que pourrait-on retenir de la littérature
plus générale sur la « démocratie des usagers » ?
Quel modèle Les questions qui parsèment ce texte laissent entendre que la résolution de l'énig-
de gestion ? me sur le modèle de gestion ne sera pas de tout repos. Nous l'introduisons tout
de même pour réfléchir sur les interdépendances entre les divers éléments de
réflexion que nous avons avancés. Sur un continuum de
centralisation-décentralisation, nous imaginons à cette fin la configuration des agents privés et publics
comme faisant partie d'un mode compétitif de gestion des déchets, et laissons à
chacun le soin d'organiser les aménagements mitoyens.
Conclusion Ces dernières références indiquent bien que la gestion des déchets obéit de moins
en moins au stéréotype que l'on accole aux secteurs techniques de l'intervention
publique. Nous avons cherché à en rendre compte en soulevant plusieurs
interrogations. Il sera utile de revoir ces questions au terme de l'étude que nous menons
actuellement sur la gestion intégrée des déchets urbains solides à Montréal.
BIBLIOGRAPHIE
FER RIS, J.,GRADDY, E. (1986) ,« Contracting out : For what ?With whom ?»,
Public Administration Review, vol. 46, N° 4, July/August, pp. 332-344.