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LA CRITIQUE

I La critique comme émancipation

a. Détachement de l'autorité et lutte contre les préjugés

Descartes : deux préjugés : le préjugé d'autorité (empêche l'usage de la raison) et le préjugé de


précipitation. Ce qui est important ce n'est pas « ce que pense autrui » / la pensée ne doit pas
prendre en compte l'autorité. Chez Descartes confiance d'un accès de la pensée à la vérité de
manière naturelle : opposition très forte entre ce qui vient d'autrui et ce qui est « en nous ». Pour
Descartes, faire l'usage de sa raison permet de trouver les vérités divines. Cette « méthode s'ouvre
donc sur un point de vue individuel, instauration d'une individualisme car il faut sentir « en soi »
que quelque chose est vrai. Le critère de vérité est l'évidence.

1ère des trois maximes du sens commun chez Kant et qu'il appelle la maxime de l'entendement.
« Penser par soi-même » : « maxime de la pensée sans préjugé », « le préjugé c'est la tendance à la
passivité », « L'Aufklärung c'est se libérer de la superstition » de « l’aveuglement où nous plonge la
superstition », du « besoin d'être guidé par d'autres, donc l'état dans lequel se retrouve une raison
passive ».

Marx : libération des préjugés de son époque. La conscience est hallucinée par des éléments dont
l'origine est purement sociale et qu'elle tient pour des vérités naturelles. Libération de la doxa
capitaliste pour voir que les marchandises n'ont pas de valeur en elle-même mais ne font que
cristalliser des rapports de production. Emancipation des théories du capitalisme de la valeur de la
marchandise ou de l'efficience du marché. Il faut lutter contre les superstitions qui nous empêchent
de faire le procès de la marchandise et des mécanismes d'appropriation et d'expropriation.

Le dernier plan d’exercice de la critique, enfin, touche aux conditions mêmes de la véridiction : à la
vérité dogmatique imposée par autorité, il s’agit alors d’opposer la conquête progressive de la
certitude, en tant qu’elle est le fruit de l’examen personnel.
Je dirai que la critique, c’est le mouvement par lequel le sujet se donne le droit d’interroger la vérité
sur ses effets de pouvoir et le pouvoir sur ses discours de vérité ; eh bien ! la critique, ce sera l’art
de l’inservitude volontaire, celui de l’indocilité réfléchie. La critique aurait essentiellement pour
fonction le désassujettissement dans le jeu de ce qu’on pourrait appeler, d’un mot, la politique de la
vérité.
C’est, dit Kant, parce que les hommes ne sont pas capables ou ne veulent pas se conduire eux-
mêmes, et que d’autres se sont présentés obligeamment pour les prendre sous leur conduite

On voit donc se dessiner ici, à partir des thèmes conjoints de l’Aufklärung et de l’Ausgang (de la
« sortie » de la minorité) une espèce d’alternative structurante entre attitude critique et attitude non-
critique qui fait intervenir le domaine et la dynamique même de la volonté. Cette dynamique
volontariste est d’ailleurs relayée par Kant lui-même lorsqu’il associe la définition de l’Aufklärung
non seulement à un moment historique mais aussi, et avant tout, à un « appel au courage » (QC ?,
p.40) : c’est le fameux « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ».

b. Un ethos individuel et collectif pour sortir de la minorité

Adresse au sujet chez Kant comme Descartes

Kant : « il est difficile à chaque homme pris individuellement de s'arracher à l'état de tutelle devenu
pour lui une nature » + « peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dépêtrer, par le propre travail
de leur esprit, de l'état de tutelle » +
+ par 40 : de la CFJ : « ouverture d'esprit » et donc aux autres : intersubjectivité.
« Mais qu'un public s'éclaire lui même, cela est même presque inévitable pourvu qu'on lui accorde
la liberté ».

II La critique comme politique

Le « bon sens » de Descartes était seulement sur le plan épistémologique de l'intersubjectivité


vs le sens commun chez Kant qui est sur le plan politique de l'intersubjectivité. Le sens
commun est la capacité de délibérer dans l'espace public.

Maxime 2 du sens commun : celui de la pensée élargie ou de la faculté de juger.

Le circuit des trois maximes du sens commun est pour les Lumières, une éducation politique du
jugement.

a. Les conditions de possibilité politiques de la critique chez Kant

Usage privé vs usage public.

Précautions par rapport à Frédéric-Guillaume II + Libéralisation politique comprenant le pourvoir


législatif.
Vers la paix perpétuelle : ces opinions « manifestées publiquement » ne représentent « aucun danger
pour l'Etat »
QL ? : Pour un « chef de l'Etat », « il est sans danger d'autoriser ses sujets à faire publiquement
usage de leur propre raison et à exposer publiquement leurs idées ».
Vers la paix perpétuelle : « il les laissera parler librement et publiquement »

La critique n'est pas seulement une émancipation mais c'est surtout la revendication d'un droit
garanti constitutionnellement à faire un usage public de sa raison. Cette usage ne dépend en effet
pas seulement d'une bonne volonté à employer cette raison mais également d'une raison politique
qui en permet l'usage.
Le deuxième plan opératoire de la critique comme attitude, est celui du droit, à travers la
revendication de droits naturels (« des droits universels et imprescriptibles ») contre l’abus d’un
pouvoir (politique, judiciaire, patriarcal), dont la demande d’obéissance vient alors à être tenue pour
illégitime. La critique pose ainsi la question des « limites du droit de gouverner » (p.39)

Pacte d'obéissance, du dogmatisme éclairer : « raisonnez tant que vous voulez mais obéissez »
Demande à l'autorité de garantir un droit à la critique, le pouvoir doit garantir la liberté d'expression
car pour Kant l'usage libre et public de la raison est la meilleure garantie de l'obéissance.

Foucault ne manque toutefois pas de relever la limitation politique fixée à l’attitude critique de
l’Aufklärung par Kant lui-même puisqu’à l’appel au courage répond le mépris tranquille de Frédéric
II : « Qu’ils raisonnent autant qu’ils veulent pourvu qu’ils obéissent » (cité in QC ?, p.40). On a là
ce que Foucault définira dans « Qu’est-ce que les Lumières ? » comme « le contrat entre le
despotisme éclairé et la libre raison : l’usage public et libre de la raison autonome sera la meilleure
garantie de l’obéissance, à la condition toutefois que le principe politique auquel il faut obéir soit
conforme à la raison universelle » (« Qu’est-ce que les Lumières ? », Dits et écrits IV, p.567).

Kant : critique de la raison dans ses prétentions souveraines dans la CRP et critique implicite de la
souveraineté politique. En effet, le souverain doit laisser faire (VPP et QL?) et un Etats des états,
« une république mondiale » est impossible « seul l'équivalent négatif d'une alliance permanente »
peut garantir la paix perpétuelle.

La critique est un problème politique et social (elle n'est plus seulement intellectuelle et
spéculative) : Marx choisit un terrain nouveau pour la critique, celui de l'élucidation des rapports
sociaux dans lesquels nous sommes pris. Point de vue de militant politique. Pense du côté de ceux
qui sont dans la minorité. Marx va plus loin que Kant en déplorant la dégradation des conditions de
travail et la dévoration de l'humain.

b. Une exhortation à l'action / à la révolution

« Aie le courage » vs « prolétaires de tous pays, unissez vous ! » (Manifeste du parti communiste).

Théorie politique de l'action dans le présent : le texte de Kant en est une sorte d'illustration.
L'homme doit être acteur volontaire.

La philosophie met un pied dans la politique.

III La critique comme mode de pensée réflexif (au présent)

a. Réflexivité : pas seulement une considération mais on se déprend, on se démarque de la chose


pour la juger, le jugement induit une mise à distance de l'objet, pour le connaître.

Au jument déterminant qui est objectif car il repose sur l'universalité, Kant oppose dans la CFJ le
jugement réfléchissant qui est subjectif et qui juge à partir du cas particulier. « Réfléchir son propre
état », utiliser la réflexivité pour comprendre son état présent. Pensée présento-centrique qui prend
en compte l'instant présent où je pense. Ce qui est universalisable dans le jugement de cisconstance
c'est la délibération et non le résultat du jugement.

Marx : la culture comme production des rapports sociaux + il faut partir de la vie réelle des hommes
et des rapports qu'ils entretiennent. Critique de l'économie politique est une critique de la modernité
car elle c'est une critique actuelle du capitalisme comme forme d'organisation socio-politique.
L'objectif de Marx est de révéler les lois économiques de la société qui lui est contemporaine.

Vs Descartes : plus une pensée de l'universalité et l'éternité, mais en s'interrogeant sur l'actualité id
ed nunc, on cherche ce qui constitue notre historicité.

b. Présent / actualité

Historicité vs éternité : le capitalisme est une phase transitoire pour Marx, pas une forme définitive
d'organisation économique.

vs Métaphysique, critique de l'actualité : Lumières vs Capitalisme.

IV. Savoirs situés et potentielle critique de Marx à Kant (v. cours de Szendy)

Bonne volonté + laisser faire politique permettant l'usage public de la raison : suffisant pour Marx ?

«Principe du gouvernement lequel trouve plus profitable pour lui même de traiter l'être humain, qui
est désormais plus qu'une machine, conformément à sa dignité ».
« Volonté décisoire de ne pas être gouverné » / volonté d'autodétermination serait-elle possible pour
Marx.

Critique par Marx des conditions de l'autonomie du sujet

L'arbitre chez Kant est lié à la faculté consciente d'agir. Il peut être affecté par les penchants
sensibles que par la raison, et il est seulement libre lorsqu’il est exclusivement affecté par la raison.
La liberté est donc le pourvoir de la raison pure d'être pratique. Quand l'arbitre se laisse uniquement
gouverner par la raison, que l'homme assume le devoir de la règle morale, c'est l'indépendance de la
volonté qui l'explique. La critique de Marx porte sur ce principe kantien de l'indépendance de la
volonté en tant que condition de l'autonomie morale du sujet.

Marx : détermination ou conditionnement de la conscience par les « conditions matérielles


d'existence » / conscience comme produit social et idées comme « émanations directes » du
comportement matériel.

L'idéologie allemande : « Kant se satisfaisait de la simple « bonne volonté »...., et rejetait dans l'au
delà la réalisation de cette bonne volonté, l'harmonie entre elle et les besoins »

Quels rapports entre la volonté et les conditions empiriques de production d'une volonté libre. Kant
n'exclut pas bien au contraire l'influence que peuvent exercer sur l'orientation libre de la volonté
autant une éducation morale qu'un ordre juridique moralement orienté puisqu'il montre que le
manque d'autonomie de la grande majorité des hommes est liée autant à la paresse et à la lacheté
des individus qu'à la manipulation exercée sur leur conscience par leurs « tuteurs ».

Marx pourrait argumenter contre Kant que la question d'une volonté libre ne peut pas être envisagée
seulement dans le contexte purement subjectif d'un sentiment (de paresse ou de lâcheté), ni même
dans un contexte objectif de rapports de domination ou de conditions politiques propices à
l'exercice de la raison, mais dans celui des intérêts liés à des positions sociales de pouvoir dont le
fondement est matériel, c'est à dire des positions sociales de classe.
La conscience ne peut plus être pensée comme structure spontanée d'accès à la vérité mais on doit
penser ses conditions réelles sociales et historiques. Descartes / Kant nous sommes des sujets
rationnels (la conscience explique la vie) vs Marx c'est la vie qui est condition de la conscience.
=> nouvel argument « transcendantal » de Marx au sens des conditions de possibilité cette fois-ci ne
tenant à pas à une émancipation, ou un contexte politique libéralisé mais à des « conditions
d'existence matérielles ».
On doit penser les conditions de possibilité de la pensée, le transcendantal n'est plus logique ou
mental mais social et historiques : transcendantal socio-historique (peut-être déjà inauguré par Kant
avec les adresses à mots couverts à FG II)

Kant inféodé au libéralisme


Marx : La pensée est inféodée d’intérêts qui sont des intérêts de domination politique. La
philosophie n'est pas neutre mais peut justifier un certain marché économique.
Le libéralisme kantien pourrait être accusé par Marx de répondre aux intérêts matériels de la
bourgeoisie dans sa phase ascendante.
Paragraphe 9 de Nietzsche : que des classes dominent d'autres classes, c'est ainsi que naît l'idée de
liberté « le libre arbitre est une invention des classes dirigeantes ».
+ réaffirmation de l'individu avec le « Aie le courage » : enjeux politiques et sociaux de la naissance
de l'individu qui permet l'établissement du capitalisme comme une société de granulats individuels.
Conclusion

Avec Kant la critique n'est plus seulement à l'échelle individuelle mais aussi à l'échelle collective.
La critique n'est plus seulement épistémologique mais elle devient politique, en ce sens Kant
articule les pensées de Descartes et de Marx.
On philosophe sur l'actualité et on analyse le présent ainsi on passe d'une théologie de l'éternité à
une politique de l'actualité. C'est un tournant pratique de la philosophie qui bouleverse les rapports
entre théorie et pratique (théorie dans toute pratique et la théorie fait).

Marx vs Kant : : conclusion articulée autour du terme de « minorité ». La « minorité » à laquelle


s'interesse Marx est la majorité de ceux qui travaillent qu'il sépare de ceux qui détiennent les
moyens de production.

Cosmopolitisme kantien aboutit sur une alliance économique : Marx : « conspiration cosmopolite
du capital » dans La Guerre Civile en France ; « hypocrisie du cosmopolitisme bourgeois ». La
vision cosmopolitique est faussement universaliste pour Marx et répond à des intérêts
économiques : « pays brumeux du cosmopolitisme, des nobles cœurs en général » (L'idéologie
allemande »).

L'autorité n'est plus ce qui s'impose mais ce qui doit pouvoir être soumis à un libre examen.

La limite constitue en séparant.

Nietzsche : la généalogie comme critique des valeurs morales emporte avec elle la critique de la
raison. Critique de la croyance qu'il y ait une vérité ou même une rationalité émancipatrice.

L'Auklärung est un changement de rapports entre la raison, la volonté et l'autorité.

La critique est aussi une attitude, un ethos. Kant décrit non seulement ce que doit être une « attitude
critique » chez tout homme en indiquant qu'il doit avoir le courage d'utiliser son propre
entendement mais par l'acte même d'écrire un texte sur sa propre actualité, sa propre réalité sur son
temps, Kant semble illustrer son propos. C'est bien d'une certaine forme de « courage » qu'il s'agit
quand il soutient indirectement la révolution française et de demander une libéralisation politique à
mots à peine couverts à FGII dans un contexte de forte censure.

Geste philosophique de réflexion sur son propre présent, Kant met la philosophie dans la politique
et dans la critique politique.

Ces trois plans définissent ainsi des sites pratiques de questionnement et, on pourrait dire, de
problématisation, qui à chaque fois mettent en crise un ensemble de relations de pouvoir et même la
manière dont ces relations font jouer ensemble le pouvoir, la vérité et le sujet. C’est bien ce nœud
de relations qui constitue pour Foucault le « foyer de la critique »
Ce qui retient l’attention dans cette formule, en écho à la fin de l’exposé de Foucault, c’est la
référence non pas seulement à quelque chose comme l’autonomie mais à une véritable
autodétermination du sujet de la critique qui « se donne le droit » d’exercer son jugement et de
mettre en œuvre sa volonté contre un certain « nexus de pouvoir-savoir ». Bref, le renversement
auquel Foucault fait allusion en terminant son intervention, est un acte de volonté, un acte délibéré
qui procède d’une décision volontaire (individuelle ou collective, est-il précisé)
Quiconque lit aujourd’hui tous les opuscules polémiques de Kant ne peut qu’être frappé de leur
portée véritablement subversive. Prenez « Qu’est-ce que les Lumières ? » et vous êtes certain de
semer la panique chez tous les adeptes de l’un des « trois imposteurs ». Comment ? N’avoir pas
besoin de prêtre pour penser, pas besoin de commandant pour vous dire comme vous devez agir ?
Ce M. Kant est dangereux pour la paix de nos cités ! On ne doit pas oublier non plus que Kant a
clairement pris parti pour la révolution française et qu’il l’a défendue dans ses écrits – y compris
dans des circonstances difficiles où il lui a fallu ruser avec la censure de la monarchie prussienne.
[3] Quand David Simard écrit que « la différence fondamentale entre Marx et Kant est que ce
dernier ne préconise pas la révolution », on pourra répondre que si Kant ne « préconise » pas la
révolution, il a soutenu la seule qu’il ait l’occasion de connaître. Du reste, Marx non plus ne
préconise pas la révolution puisque cette dernière est un phénomène objectif qui découle
nécessairement des contradictions entre le développement des forces productives et le maintien de
rapports de production qui ont fait leur temps.

Ainsi, l’individu, au sens où l’entendent la philosophie morale et le droit moderne, est-il un produit
du développement historique – comme Hegel, Marx tient pour un grand mérite du mode de
production capitaliste d’avoir précisément produit cet individu libre. Cet individualisme moderne,
celui qui pose les individus comme personnes libres et égales qui ne peuvent accepter d’autre
autorité que celle qu’ils établissent en commun par un contrat, Marx le tient pour un progrès majeur
de « l’histoire universelle ». Mais c’est de ce point de vue qu’un marxiste peut trouver avec un
kantien une sorte de « consensus par recoupement ». Le principe universaliste de l’impératif
catégorique exprime de la manière la plus précise les tâches mises à l’ordre du jour par la « vie
concrète », comme le dit David Simard. Bref, il y a de bonnes raisons de réintroduire Kant dans la
liste des penseurs de référence, pour qui reste fidèle à l’idéal de cette émancipation des travailleurs
qui doit être l’émancipation de l’humanité toute entière.

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