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Sur la signification du « Parménide »

Author(s): Joseph Moreau


Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 134, No. 4/6 (AVRIL-JUIN.
1944), pp. 97-131
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41086687
Accessed: 17-04-2016 01:55 UTC

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Sur la signification du « Parménide »

De tous les dialogues platoniciens, le Parménide a paru le plus


déconcertant et le plus aride : déconcertant dans sa première partie,
où Ton voit le vieux Parménide accumuler contre la théorie des

Idées, professée par Socrate tout jeune, des objections d'allure


péremptoire, que reprendra Aristote dans sa polémique contre
Platon ; d'une aridité décevante dans la seconde, longue discussion
abstraite, conduite par le seul Parménide, ponctuée seulement
d'approbations impersonnelles du répondant, et qui met en œuvre
toutes les ressources de la sophistique pour aboutir à cette conclusion
que l'Un ne saurait être affirmé ni nié sans qu'une telle prise de posi-
tion n'entraîne tant pour lui-même que pour ce qui est autre que lui,
dans le cas de l'affirmation comme dans celui de la négation, des
conséquences contradictoires. Toutefois, si vaine qu'elle puisse
paraître, une telle conclusion n'est cependant pas dénuée d'ensei-
gnement ; cela serait non seulement contraire à l'usage des dialogues
platoniciens, dont les apories finales sont toujours instructives,
mais en contradiction expresse avec les déclarations formulées par
la voix de Parménide (135 d) à l'issue de l'entretien avec Socrate,
et renouvelées peu après (136 de) par la bouche de Zenon : la méthode
de discussion abstraite dont Parménide, dans la seconde partie du
dialogue, va donner un exemple, et qui au regard de la multitude
n'est qu'un vain bavardage (áSoXeo^ía), constitue en fait un entraî-
nement intellectuel indispensable à qui veut atteindre la vérité,
conquérir la plénitude consciente du savoir (voov), en s'affranchis-
sant des difficultés soulevées dans la première partie du dialogue
touchant la possibilité même du savoir. Jamais peut-être Platon n'a
pris un tel soin de marquer l'articulation des moments d'un dia-
logue ; et cette considération suffit à écarter le double point de vue,
trop longtemps accrédité, suivant lequel la première partie de notre
dialogue accuserait une rupture avec la théorie des Idées, tandis que
la seconde se réduirait à un exercice du pure virtuosité logique,
sans profit pour la pensée philosophique.
VOU CXXHV. - AVRIL- JUIN. - 1944 (»•• 4 A 6) 7
7

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Le but de la première partie du dialogue est donc seulement de


mettre en lumière, à la base même de la théorie de la connaissance,
une aporie qui ne saurait rester privée de solution. Socrate nous est
représenté dès le début de l'entretien, dans sa discussion avec
Zenon, comme ayant admis dès son jeune âge l'hypothèse des Idées,
laquelle consiste à définir des relations pures par quoi la pensée
s'affranchit des contradictions du Sensible, de sa multiplicité
mobile, dont la confusion logique était exploitée par la critique
zénonienne contre les adversaires du monisme parménidien ; et il
n'est pas douteux, si l'on en juge par la biographie intellectuelle de
Socrate dans le Phédon, en plein accord avec un passage capital de
la République (VII, 523 c-524 d), que les antinomies découvertes
par Zenon dans le Sensible (Parm. 127 e sq.) ne soient à l'origine de
l'idéalisme platonicien. Si le Sensible, en effet, avec les contradic-
tions qui lui sont inhérentes, possède une absolue réalité, s'il est
plus qu'un phénomène, la connaissance est impossible et la pensée
sans autorité : il ne peut y avoir de certitude scientifique et de dis-
cours cohérent que relativement à des essences stables, comme les
relations mathématiques ou les concepts a priori de l'éthique. Tel
est le stade initial de l'idéalisme, que le Socrate du Parménide n'a
point dépassé, puisqu'il hésite encore à admettre des Idées des
êtres naturels, des notions a priori de l'Homme, du Feu ou de l'Eau
(130 6c) ; il ne s'est point encore élevé à cette « physique a priori et
finaliste », à cette synthèse cosmologique envisagée cependant dans
le Phédon et la République et que réalisera le Timée. C'est cette
première étape de l'idéalisme qui fait l'objet du débat entre Socrate
et Parménide ; mais gardons-nous de croire que cet examen aboutit
au rejet de la théorie des Idées : pas un instant Parménide ne réfute
Socrate ; il le lotie finalement, au contraire, d'avoir si bien aperçu
la condition fondamentale de toute pensée discursive (135 c) ; le
père de l'Éléatisme, et aussi de l'idéalisme, ne saurait répudier une
doctrine qui, comme la sienne, identifie l'être à l'objet de la pensée
intellectuelle. Mais Socrate, de son côté, ne se refuse pas à l'examen
critique de sa doctrine ; la théorie des Idées est essentiellement
pour lui une hypothèse permettant de débrouiller la confusion du
Sensible ; or c'est un article de sa méthode, formulé dans le Phédon
(101 d), que toute hypothèse doit être soumise à un examen ultérieur,
jusqu'à ce qu'elle trouve son fondement absolu. C'est ainsi que lui-

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 99

même invitait Zenon, une fois liquidées les antinomies du Sensible


grâce à l'hypothèse des Idées, à dégager les antinomies inhérentes
aux objets intellectuels et impliquées dans l'exercice du discours
(129 6-130 a) ; on reconnaît là les difficultés dites de la « communion
des genres », celles qui seront examinées dans le Sophiste. D'autre
part, le Socrate du Phédon (100 d) ne se préoccupait pas encore de
définir avec précision la relation entre la chose sensible et l'Idée :
participation de la chose à l'idée, présence de celle-ci à la chose,
communion de l'une avec l'autre, ou toute autre métaphore qu'on
voudra ; aussi est-ce encore à, un approfondissement de l'idéalisme
qu'équivaudrait un effort pour saisir la nature intime de cette
relation.

C'est en ce sens qu'il faut interpréter, croyons-nous, les difficultés


que soulève Parménide contre la participation ; elles ne tendent
pas à eu établir l'impossibilité et à écarter de la sorte la théorie
des Idées; elles en repoussent seulement des conceptions plus ou
moins matérielles pour faire place à un idéalisme purifié. La parti-
cipation est, par hypothèse, la relation de la chose à l'idée ; or c'est
là une relation transcendental, qui n'a point d'équivalent parmi les
relations empiriques, les relations entre des choses ; aussi, lorsque
Parménide démontre que la chose ne saurait participer ni au tout
de l'idée ni à une partie de l'idée (131a-e), n'en faut-il point conclure
que la participation est impossible, mais seulement que l'idée n'est
pas chose étendue. Que si, délaissant cette conception grossièrement
spatiale, on regarde l'idée comme une représentation générale où
s'unifie une pluralité d'objets concrets, on se heurte alors à l'objection
dite du « troisième homme », celui-ci représentant le genre commun
des « hommes sensibles » et de « l'homme intelligible » ; et ainsi
l'Idée, principe d'unité, se redouble à l'infini (132 ab). Mais qui ne
voit qu'un tel raisonnement, lorsqu'il met sur le même plan l'Intel-
ligible et le Sensible pour les ranger sous une Forme supérieure,
convertit lui aussi l'idée en chose, réduit la représentation à son
contenu, c peinture muette », au mépris de l'acte intellectuel qui
conditionne toute représentation, fût-elle sensible ? Car la distinc-
tion de l'Intelligible et du Sensible, en dépit du langage allégorique
où parfois elle se traduit, n'exprime point une dualité réelle, celle de
deux représentations distinctes ; elle a une signification critique ;
elle affirme la subordination de tout objet représenté aux conditions

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intellectuelles de la représentation. Gardons-nous toutefois en vou-


lant échapper à ce réalisme de la représentation, d'assimiler celle-ci
à un simple phénomène mental, d'aboutir à un idéalisme psycho-
logique qui réduirait l'idée à un mode contingent de pensée, un
vóiQfxa ; un tel idéalisme, familier à la pensée moderne, n'est encore
qu'un empirisme. A l'idée, il faut un contenu objectif qui fait la
vérité des choses ; or si tout l'être de l'idée se résorbait dans la
pensée d'un sujet, dans le fait de conscience, cette participation des
choses à l'idée ferait d'elles toutes des modes pensants ; ce serait un
véritable panpsychisme, à moins qu'il n'y ait des modes pensants
qui ne pensent point (132 6c).
C'est bien à tort, à notre sens, que dans ces dernières lignes on
a voulu voir la condamnation de tout idéalisme ; ce que nous avons
appelé l'idéalisme psychologique seul est en cause ; la critique qui
en est faite prend seulement un tour de prime abord inattendu. Ce
qui est reproché à cette conception, ce n'est pas précisément son
subjectivisme, l'impossibilité d'atteindre une vérité objective ; on
suppose dans cette hypothèse même la validité de la connaissance,
la participation des choses à l'idée ; mais on montre qu'il s'ensuit de
là un panpsychisme inadmissible. Ce mode de réfutation s'avère
d'ailleurs, à y regarder de plus près, en connexion étroite avec l'argu-
ment précédent, celui qui concluait au troisième homme. La parti-
cipation, la relation transcendental de la chose à l'idée, s'actualise
dans la représentation, qui soumet la diversité des objets à l'unité
de l'esprit ; or il suffit que la réflexion manque à saisir l'activité
formelle de la représentation pour que celle-ci se réduise à son
contenu ; celui-ci dès lors, détaché de l'activité qui le soutient,
présente un caractère ambigu, peut être regardé tour à tour comme
objet représenté, ou comme mode représentatif. De là deux formes de
réalisme ; la première est le réalisme vulgaire, pour qui l'idée inces-
samment se convertit en chose, en sorte qu'il a beau la redoubler à
l'infini, jamais il n'atteindra l'acte intellectuel qui, clôturant la
série, apporte à l'idée la conscience ; l'autre forme du réalisme fait
de l'idée une chose mentale, une donnée de pensée, la pose initialement
comme fait de conscience ; à peu près ignorée dans la philosophie
antique et introduite ici comme antithèse de la précédente, cette
théorie s'est répandue dans la philosophie moderne où elle a usurpé
le nom d'idéalisme : mais faute elle-même de saisir l'acte intellectuel

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MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE • 101

où s'établit la relation de l'objet au sujet, non seulement elle ne


saurait atteindre le fondement de l'objectivité, mais en outre il ne
saurait y avoir pour elle de relations qu'entre faits de conscience ;
aussi la connaissance ne se rapporterait-elle jamais qu'à des phéno-
mènes conscients, sans pouvoir rencontrer des objets véritables. Au
total il résulte de ces deux objections connexes que la représentation,
à quoi pour l'idéalisme gnoséologique la participation est imma-
nente, ne se confond ni avec le représenté, ni avec le représentatif ;
elle est essentiellement un acte intellectuel, un se représenter.
Toutefois, cette solution activiste et immanentiste n'est pas
dégagée, à ce stade de notre dialogue, et l'on voit au contraire
Socrate, cherchant l'issue logique à cette aporie, se tourner vers la
conception qui regarde l'Idée comme un modèle transcendant, un
archétype éternel, un idéal de la nature, dont les objets d'ici-bas
sont des reproductions, faites à sa ressemblance. Ce point de vue,
qui prévaudra dans la cosmologie du Timée, si bien qu'on a cru
pouvoir soutenir que dans les derniers dialogues platoniciens la
théorie de l'imitation ou du paradigmatisme se substitue à celle de
la participation, caractéristique du Phédon et de la République, a
néanmoins son origine dans la teleologie des dialogues socratiques ;
et loin que par sa transcendance ontologique il repousse l'idéalisme
gnoséologique et condamne l'interprétation immanentiste de la
participation, il le prend au contraire pour base et le porte à son
accomplissement. Les antinomies du Parménide, qui dans la seconde
partie du dialogue se développent, comme le demandait Socrate, au
niveau de l'Intelligible, révéleront, après la phénoménalité de Sen-
sible résultée de la critique de Zenon, l'inconsistance d'un Univers
qui ne répondrait qu'aux déterminations élémentaires de l'enten-
dement ; mais pour qu'on puisse envisager l'Univers comme un
système organisé satisfaisant à plein la raison, encore faut-il que soit
écarté de l'Idée un réalisme matériel qui l'exclurait de toute relation,
rendrait impossible toute organisation. C'est en ce sens que la
conception immanentiste de la participation fraye la voie à la seule
forme d'ontologie que puisse accueillir l'idéalisme ; mais il faut en
revanche que le paradigmatisme lui-même soit affranchi de pareil
réalisme ; sans quoi, ainsi que le montre Parménide, il donne lieu à
son tour à l'objection du « troisième homme » : la ressemblance du
modèle avec la copie, à quoi se ramène dans cette hypothèse la parti-
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102 REVUE PHILOSOPHIQUE

cipation, suppose derechef la participation ou ressemblance à un


archétype commun, et ainsi à l'infini (132 de). Pour y échapper
encore, de même que précédemment la dualité de l'idée et de la
chose doit être éliminée cette fois celle de la copie et du modèle :
une telle dualité, sous sa forme pleinement matérielle, caractérise
l'opération de l'imitateur, qui reproduit un modèle déjà réalisé ;
le véritable artisan, qui produit une œuvre artificielle, se règle sur
un modèle idéal ; il doit cependant s'en donner une représentation
graphique ou mentale, image ou scheme, distincte de l'œuvre
réalisée. Mais l'art souverain qu'est la nature (Sophisle 2C5 <*),
s'étendant à l'organisation universelle, ne trouve aucun obstacle à
la réalisation de ses plans ; ici, la détermination organique parfaite
équivaut à la production effective et dispense de toute opération
matérielle, la matière n'ayant point d'être formel, mais seulement
objectif ou par représentation, et n'étant jamais en effet, ne mani-
festant de réalité qu'en raison de ce qu'il y a de partiel et d'indéter-
miné dans la représentation. Ainsi s'oppose à la fabrication la
création, aux ouvriers professionnels (8y)(j.ioi>pyoî) l'ouvrier naturel
((puToupyóç Rép. X, 597 d), celui dont les calculs déterminent les
essences contenues dans l'organisation de l'Univers, ce qui est en
même temps le rôle du Démiurge du Timée. Chez cet Ouvrier du
Tout, si l'on va au delà de l'expression mythique du récit, point
d'intervalle entre la conception et l'exécution, point de représenta-
tion du modèle distincte de l'œuvre réalisée, ce qui met un terme à
la régression partie de l'objection réaliste d'après une dualité qui ne
s'observe que dans l'activité des imitateurs ou celle des artisans.
Ce qui avec l'action du Démiurge se pourrait le plus approximati-
vement comparer, c'est encore la conduite éclairée de l'homme de
bien, le musicien parfait, qui cherche constamment l'harmonie dans
la totalité de sa sphère d'action, et dont l'idéal pratique, ne se pou-
vant déterminer qu'au contact des événements et des circonstances,
ne saurait notablement devancer par représentation l'acte à accom-
plir, mais en revanche ne saurait manquer d'être réalisé par la
volonté dès que l'intelligence l'a clairement conçu : nul mal n'est
volontaire, toute faute est ignorance. Plus encore dans la création,
organisation du Tout, la conception est si nécessairement et immé-
diatement suivie d'effet que le modèle ne saurait avoir d'existence
distincte de l'œuvre, fût-ce dans la représentation de l'auteur ; la

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 103

priorité du modèle signifie simplement que l'Univers est l'œuvre


d'une activité souverainement intelligente qui s'exprime dans le
système des Idées et par là détermine effectivement l'organisation
du Tout ; les Idées sont ainsi non des représentations, des êtres
psychiques, mais des objets absolus, les déterminations internes et
autonomes d'une pensée souveraine où se fonde la mesure de toutes
choses (Lois IV, 716 c), son activité ne se bornant pas à imaginer,
mais ayant pour effet de réaliser. C'est en nous seulement, en des
esprits particuliers comme le nôtre, que l'Idée, qui est en soi pure
forme, prend un contenu matériel, devient une représentation plus ou
moins abstraite, ayant besoin pour se réaliser d'une opération exté-
rieure et artificielle, qui consistera à isoler effectivement et à enclore
l'ensemble des conditions exclusivement définies dans chacune de nos

conceptions toujours partielles. La transcendance ontologique de


l'Idée,, impliquée dans le paradigmatisme, n'enveloppe donc aucun
réalisme qui s'oppose à l'interprétation idéaliste de la participation ;
elle correspond à une seconde étape de h'idéalisme, à un développe-
ment de la connaissance, qui, après avoir déterminé les impressions
au moyen de relations prises pour hypothèses, cherche dans la
synthèse totale, dans l'unité organique du Tout, le fondement des
hypothèses particulières ; elle exprime de la sorte en termes d'enten-
dement et de représentation objective, dans un système pleinement
unifié de relations, l'activité absolue de l'esprit, qui dans notre
pensée ne s'exerce jamais que sous des conditions contingentes et
entre des bornes restreintes.

Telle est l'interprétation idéaliste qui nous parait devoir être


dégagée des objections de Parme nide contre la participation ; elle
échappe en effet aux difficultés précédentes, toutes liées à un réa-
lisme matériel dont doit nous affranchir une dialectique plus habile
(133 6, 135 ab), et elle fait l'unité de la pensée platonicienne, issue de
la teleologie des dialogues socratiques pour aboutir à une synthèse
a priori de la nature où se lient organiquement les relations définies
par l'analyse mathématique, les hypothèses qui ont servi à la recons-
truction intellectuelle du donné. Mais c'est encore cette même inter-
prétation qui se montre capable de résoudre l'antinomie fondamen-
tale de la connaissance, auprès de laquelle les antinomies du Sensible,
développées par Zenon, ne sont plus qu'un amusement, les anti-
nomies mêmes des objets intellectuels, sur lesquels s'exercera Parme-

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104 REVUE PHILOSOPHIQUE

nide, n'étant qu'un entraînement pour la solution de celle-là. Cette


antinomie peut être formulée en ces termes : il n'est de connaissance
certaine que relativement à des essences absolues, des objets du pur
intellect ; or des essences absolues échappent par là même à toute
relation, et de ce fait à la connaissance ; les objets du pur intellect
sont inaccessibles à notre entendement, la vérité ne saurait entrer
dans notre pensée, et inversement Dieu, pensée absolue, ne saurait
rien connaître ni rien diriger des choses d'ici-bas ; ainsi l'hypothèse
des Idées, la thèse idéaliste, a pour revers l'antithèse agnosticiste,
écueil pour les « Amis des Idées » mis en cause dans le Sophiste
(248 a-e). Toutefois, ce n'est pas exactement en ces termes que cette
antithèse est formulée par le Parménide do notre dialogue ; il ne
professe pas, comme les Amis des Idées, que l'être absolu est exclu
de toute relation (8úva|xiç) ; mais regardant spécialement parmi les
idées celles dont l'essence consiste en une relation, il soutient que
c'est seulement avec des essences absolues comme elles qu'elles
peuvent entretenir la relation qui constitue leur essence : ainsi le
Double-en-soi, c'est seulement du Demi-en-soi qu'il saurait être
double ; la Domination-en-soi, ce n'est que de l'Esclavage-en-soi
qu'elle saurait être domination, tandis que tel demi, tel esclave, c'est
de tel double, de tel maître qu'il est la moitié ou l'escla'e. Autrement
dit, s'il y a dans l'Intelligible place pour la relation, celle-ci ne saurait
toutefois s'établir qu'entre des objets intelligibles, parallèlement
aux relations entre les objets sensibles, sans que jamais aucune
relation ne puisse relier le Sensible à l'Intelligible ; d'où il s'ensuit
que la connaissance, étant une relation, ne saurait nous permettre,
à nous, d'atteindre l'Intelligible, pas plus qu'à Dieu de condes-
cendre au Sensible (134 c-e). Sous cette forme que lui donne Parmé-
nide, l'antithèse agnosticiste manifeste d'autant mieux son vice
réaliste qu'elle fait un accueil partiel à l'idéalisme de la relation. Non
seulement, en effet, la relation doit trouver place dans l'Intelligible,
mais encore il n'est sans doute d'intelligible que les relations et les
synthèses intellectuelles qu'elles permettent ; seulement l'argumen-
tation de Parménide réalise tour à tour la relation dans chacun de
ses termes, ce qui aboutit à faire de l'Intelligible une représentation
qui double malencontreusement le Sensible, alors que l'Intelligible
consiste dans les relations mêmes par où la diversité sensible est
constituée en représentation. Une solution de l'antinomie peut dès

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ã. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 105

lors être fournie par l'idéalisme gnoséologique : s'il n'est d'absolu


que les relations instaurées par l'esprit entre les impressions sen-
sibles, l'absolu se trouve de la sorte immanent à la représentation ;
il n'est certes alors de vérité qu'hypothétique, comme celle des
théorèmes mathématiques ; la science se réduit à un système hypo-
thético-déductif pouvant servir de support aux entreprises de la
technique, mais sans portée ontologique. L'idéalisme moderne s'en
tient souvent à ce stade ; il rejette tout absolu ontologique ; il se
distingue néanmoins de l'empirisme en ce qu'il ne réduit pas la
réalité au contenu de la représentation ; faisant consister dans une
construction intellectuelle la mesure de la réalité et la vérité de la

représentation, il suppose au moins, en deçà de la représentation, une


activité radicale qui la détermine au moyen des relations, seules
notions absolues, et qui est elle-même l'absolu primordial. Mais par
là, cette attitude renferme un ressort pour se dépasser ; n'y eût-il
en effet de vérité qu'hypothétique, celle-ci ne s'en oppose pas moins,
par son caractère de nécessité logique, aux démarches contingentes
de la pcii&ée subjective ; le pur intellect, s'il ne s'affranchit jamais
complètement en nous des facteurs psychologiques, ne se réduit
cependant pas à un idéal abstrait, fruit d'une séparation arbitraire ;
l'idéal d'une intelligence séparée n'est pas comparable à une abstrac-
tion, un objet appauvri ; rien que pour être conçu, il suppose de la
part du sujet la conscience de son autonomie intellectuelle, de son
affranchissement de droit, où s'atteste l'actualité de la pensée
absolue, qui apporte le fondement ontologique de l'obligation, de la
norme logique. Ainsi l'idéalisme gnoséologique, par le fait même
qu'il garantit la valeur de la connaissance, qu'il reconnaît dans les
vérités hypothétiques du savoir mathématique, dans les relations
constitutives de l'objectivité, un absolu immanent à la représenta-
tion, proclame implicitement un absolu transcendant, un au delà de
la représentation (è7uéxeivoc tyjç ouaiocç), lequel n'est autre encore
que l'activité radicale de l'esprit, affirmée cette fois dans la plénitude
de son affranchissement souverain. Un tel absolu, s'il ne saurait
certes se réaliser dans notre esprit ni> acte pur qu'il est, entrer
comme objet dans la représentation, n'est cependant pas étranger
à notre pensée qui l'affirme comme son idéal ; même inaccessible à
nos efforts spirituels, le pur intellect n'en est pas moins présent
d'une manière secrète à notre entendement, où sa souveraineté du

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106 REVUE PHILOSOPHIQUE

moins se projette sous la forme de l'organisation que la réflexion


veut imposer à notre conduite et découvrir dans l'Univers. Car la
conception finaliste de l'Univers paraît être la seule compatible avec
l'actualité de la pensée absolue ; c'est en elle seulement, en tout cas,
que la connaissance peut prétendre dépasser l'objectivité et atteindre
la réalité d'un ordre transcendant ; avec elle, les Idées cessent de se
réduire à de simples relations pour s'élever à la dignité de Formes
absolues, d'archétypes éternels ; elle fournit ainsi la seule expression
de l'absolu qui se puisse communiquer à la pensée, constitue la
seule forme d'ontologie assimilable par l'idéalisme, et résout de la
sorte, sans rien sacrifier de la transcendance, l'antinomie capitale
de la connaissance, par la réduction de l'antithèse agnosticiste qui
nous interdirait la vérité absolue et retirerait à Dieu, intellect
absolu, toute communication avec l'Univers.
Il n'est donc, après avoir reconnu dans l'Idée une pure relation
ou une détermination plus ou moins complexe posée par l'intellect
(ce qui est la conception authentique de la République et du Phédon
et exclut toute objection réaliste contre la participation), qu'à se
reporter aux protestations de l'Étranger du Sophiste contre les
Amis des Idées, lesquelles annoncent déjà l'ontologie finaliste du
Timée et du Philèbe, pour être en mesure de faire face aux difficultés
de la transcendance, de surmonter cette antinomie de la connais-
sance, dont on ne saurait venir à bout, répétera Parménide, sans une
grande vigueur intellectuelle et un vaste entraînement dialectique
(135 a, d). La solution de l'antinomie n'est pas formulée; le Parmé-
nide ne donnera pas le mot de l'énigme ; mais il est aisé de le décou-
vrir dans les dialogues ultérieurs de Platon, auxquels le Parménide
constitue une utile, voire une indispensable préface. En effet, l'onto-
logie finaliste qu'ils édifient, si elle apporte un couronnement à la
science platonicienne en montrant dans un principe inconditionné,
dans le Bien, le fondement des hypothèses de la physique, si elle
fournit ainsi à la connaissance un objet absolu et transcendant, ne
contient pas explicitement la justification de l'ontologie elle-même ;
elle n'établit pas que la science ait besoin de se compléter en une
ontologie, que la connaissance ne puisse se contenter de l'objectivité,
qu'elle doive saisir dans son objet une réalité transcendante, et
requière d'autre absolu que l'activité radicale du sujet. Sans doute
la République avait-elle déclaré qu'un système hypolhético-déductif,

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE

partant de prémisses inconnues pour aboutir par une série d'inter-


médiaires inconnus à une conclusion également inconnue, ne saurait
mériter le nom de science (VII, 533 c) ; mais on aurait pu ne voir là
qu'une survivance du préjugé réaliste. Sans doute encore nous
indiquions nous-même tout à l'heure qu'une ontologie finaliste
semble nécessairement découler de ce qu'on affirme l'actualité de la
pensée absolue ; mais la finalité de l'Univers dans le Timée, l'action
de la Providence dans le Philèbe (28 d sq) sont affirmées tout d'abord
sur la foi de la tradition religieuse, et le Philèbe seulement tente de
démontrer directement l'actuelle royauté de l'Intellect par une
sorte d'équivalent cosmobiologique de l'argument ontologique ; ce
dialogue est aussi le seul, semble-t-il, qui s'efforce de faire sortir
l'ontologie d'une exigence de la critique, en montrant dans la
méthode de division, dans la dialectique descendante, qui dénombre
la hiérarchie des genres et découvre ainsi les articulations naturelles
de l'Être, l'unique moyen d'échapper à l'antithèse éristique de l'Un
et du Multiple (Phil. 15 d-17 a). Par ce trait, il éclaire la signification
du Parménide et notamment le rôle de la seconde partie comme
introduction aux dialogues ontologiques ; la première partie culmine
par une antinomie dont nous avons indiqué la solution dans l'onto-
logie finaliste, qui, sans la dérober à la connaissance, maintient
l'Idée dans sa transcendance. Mais à quoi bon sauvegarder la trans-
cendance de l'Idée ? Pourquoi ne pas se satisfaire de la solution
immanentiste fournie par l'idéalisme gnoséologique ? A ces ques-
tions, la seconde partie du dialogue constitue une réponse, en lais-
sant entendre, à travers le cliquetis des thèses et des antithèses, que
l'ontologie est réclamée par la gnoseologie elle-même, que la repré-
sentation ne se peut tenir stable sans saisir une organisation ; la
synthèse finaliste, où se résout l'antinomie gnoséologique, et que
réaliseront seulement les dialogues ultérieurs, l'exercice dialectique
du Parménide en établit anticipativement la nécessité.

La méthode employée à cette fin marque de nouveau la parenté


du Platonisme avec l'Éléatisme. Pour Platon comme pour Parmé-
nide, l'Être c'est l'Intelligible, et la forme de raisonnement opposée
par Zenon aux adversaires du monisme parménidien, l'antilogie,

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108 REVUE PHILOSOPHIQUE

par laquelle il développait les conséquences contradictoires de


l'hypothèse pluraliste, servait également au Socrate du** Phédon
(96 d-97 6 ; 100 e-101 c) à montrer le recours nécessaire à l'hypothèse
des Idées. C'est la même méthode qui va être appelée à résoudre les
difficultés de la participation et de la transcendance, en indiquant la
voie de l'ontologie finaliste ; issue de l'Éléatisme, elle va aboutir
entre les mains du Parménide platonicien à affranchir l'Intelligible
de sa rigidité géométrique, à l'arracher à son isolement et à l'immo-
bilité éléatique où l'emprisonnaient encore les Amis des Idées, et
pour le mettre en communion avec notre esprit, à y introduire
l'organisation et avec elle le mouvement, la vie et la pensée. Ainsi
utilisée, la méthode de Zenon, l'antilogie, subit une haute transpo-
sition ; tandis qu'en d'autres mains elle dégénérait en procédés éris-
tiques, elle devient ici un instrument de la dialectique platoni-
cienne, celle qui, réduisant les hypothèses (t<xç unoQèaeiç ávatpouaa,
Rép. VII, 533 c), au delà des systèmes hypothético-déductifs de la
science positive édifie L'ontologie. Pour cela, délaissant les trop
faciles ambiguités du Sensible, résolues par l'hypothèse des Idées,
c'est parmi les Idées elles-mêmes qu'elle s'exerce, exploitant dans
l'usage même des concepts une amphibolie qui jette la contradic-
tion parmi les purs objets intellectuels, engendre de la sorte des
antinomies véritables. A ce niveau, elle répond au vœu intial de
Socrate dans ce dialogue (129 e-130 a) ; mais en outre, précise Par-
ménide (136 a-c), l'antilogie doit recevoir son développement com-
plet, c'est-à-dire qu'après avoir examiné les conséquences de l'hypo-
thèse pluraliste par exemple (ce que faisait Zenon), il faut examiner
également les conséquences qui résultent de la négation de cette
même hypothèse, et, dans l'affirmative comme dans la négative,
envisager aussi bien les conséquences qui affectent le sujet même de
l'hypothèse (en l'espèce les plusieurs) que celles qui affectent les
sujets autres (en l'espèce l'Un), et cela en considérant le sujet en
question d'une part, et les sujets autres d'autre part, tant dans leurs
rapports, de part et d'autre, à soi que dans leurs rapports mutuels.
C'est sur ce scheme qu'est construite la seconde partie du Parménide,
l'exercice dialectique où Parménide prend pour thème, au lieu du
plusieurs, sa propre hypothèse, Y Un. La longue discussion, où l'on
énumère traditionnellement neuf hypothèses successives, s'articule
logiquement comme suit : on envisage d'abord l'hypothèse positive,

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE 109

l'Un est, et Ton examine ce qui en résulte tant pour l'Un lui-même
que pour les « autres choses », les sujets autres que lui. Mais, en raison
de l'amphibolie du concept de l'Un, qui peut s'entendre tantôt en
un sens absolu, tantôt en un sens (disons provisoirement) relatif,
l'hypothèse positive se subdivise ainsi :

A) Position absolue : VUn est, absolument; qu'en résulte-t-il pour


lui-même tant dans ses rapports à soi qu'avec les autres choses ?
- Sous quelque relation qu'on le considère, quelque catégorie
ou attribut qu'on lui veuille appliquer, des deux termes de la
contradictoire il ne peut recevoir aucun (lre hypothèse).

B) Position relative : VUn est, relativement ; à la même question que


tout à l'heure, on s apercevra que dans les mêmes conditions il
peut recevoir pour attributs aussi bien l'un que l'autre des deux
termes de la contradictoire (2e hypothèse) ; partant de cette
conclusion, un nouvel examen montrera qu'il ne les peut recevoir
qu'alternativement, par des vicissitudes qui se succèdent dans
le temps, mais ne peuvent s'articuler l'une à l'autre que dans
Yinslanlané, c'est-à-dire hors du temps (3e hypothèse).

B') Retour à la position relative : VUn est, relativement; il s'ensuit


que les autres choses dans leurs rapports à elles-mêmes, respec-
tivement et réciproquement, peuvent recevoir pour attributs
l'un et l'autre des termes de la contradictoire (4e hypothèse).
A') Retour à la position absolue : VUn est, absolument; il s'ensuit que
les autres choses, sous quelque relation qu'on les considère, ne
peuvent recevoir pour attribut aucun des termes de la contra-
dictoire (5e hypothèse).
L'hypothèse négative, à son tour, se subdivise de la même façon :
B) Négation relative : VUn n'est pas, relativement; néanmoins, il
peut être sujet de toutes les relations, en chaque catégorie recevoir
pour attributs les deux termes de la contradictoire (6e hypothèse).
A) Négation absolue : VUn n'est pas, absolument; il ne peut donc être
sujet d'aucune détermination, recevoir aucun attribut; il exclut
également les deux termes de la contradictoire (7e hypothèse).
B') Retour à la négation relative : VUn n'est pas, relativement; les
autres choses peuvent du moins recevoir l'apparence de toutes

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110 REVUE PHILOSOPHIQUE

les déterminations, en chaque catégorie admettre ainsi pour


attributs les deux termes de la contradictoire (8e hypothèse).
A') Retour à la négation absolue : VUn n'est pas, absolument ; lea
autres choses n'ont d'aucune détermination ni Tètre, ni l'appa-
rence, excluent ainsi à titre égal les deux termes de la contra-
dictoire (9e hypothèse).

Tel est le squelette de la discussion dialectique du Parménide ; si


l'on excepte l'épisode de la troisième hypothèse, dont nous préci-
serons la signification, elle a une structure rigoureusement dichoto-
mique, disposée en une sinueuse symétrie, et converge vers cette
conclusion : la position et la négation de l'Un aboutissent à de»
conséquences identiques, aussi bien pour l'Un lui-même que pour
les autres choses, mais, de quelque façon qu'on entende l'hypothèse,
également inadmissibles ; prises en un sens absolu, la position
comme la négation entraînent des conséquences négatives, l'exclu-
sion des deux termes de la contradictoire, ce qui est incompatible
avec le principe du tiers exclu ; prises en un sens relatif, elles entraî-
nent l'une comme l'autre des conséquences positives, l'admission
simultanée des deux termes de la contradictoire, ce qui est incom-
patible avec le principe de non-contradiction ; l'Un donc, de quelque
façon qu'on l'entende, ne saurait être ni affirmé, ni nié ; c'est un
concept qui ne saurait faire l'objet d'aucune énonciation, sans
ruiner le discours qui l'énonce. Telle est la conclusion apparente de
l'antilogie ; mais nous sommes avertis que cette ample dissertation
n'est qu'un jeu (7rpay[xaTei(í)87) 7rai8i<xv, 137 b); déjà Socrate, dans
le Lysis, avait joué pareillement de l'antilogie pour renverser l'une
après l'autre toutes les thèses possibles sur l'amitié ; mais ici comme
là une attention plus grande prêtée au développement des thèses
doit nous permettre de discerner entre elles et d'élaborer une conclu-
sion constructive.
Que le rejet de toute énonciation de l'Un ne sait pas sérieusement
la conclusion à tirer du Parménide, que la formule finale de
ce dialogue n'exprime qu'une conséquence artificieusement outrée
pour provoquer le retour de la réflexion sur les thèses antécédentes,
c'est ce que fait particulièrement ressortir un examen plus appro-
fondi de la septième et de la neuvième hypothèse, qui correspondent
à l'acception absolue de l'hypothèse négative. Si j'énonce l'Un pour

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE * 111

le nier absolument, il s'ensuit que ni lui ni les choses autres que lui,
sous quelque relation qu'on les considère, ne peuvent recevoir pour
attribut aucun des termes de la contradictoire ; cette hypothèse est
donc à rejeter, au même titre que toutes les autres, étant par ses
conséquences incompatible avec le principe du tiers exclu, comme
d'autres le sont de la même manière avec le principe de non-contra-
diction. La conclusion de cette hypothèse est ainsi un élément de
la conclusion finale ; mais c'est à condition de l'entendre d'une
façon toute formelle, celle qui apparaît dans le tableau synoptique
ci-dessus, qui montre la correspondance symétrique de toutes les
hypothèses. Mais si je renonce à toute énonciation de l'Un, ce
qu'exige au fond (Parménide le note au terme de la septième hypo-
thèse, 164 b) la négation absolue de l'Un, l'hypothèse ainsi entendue
en son sens profond n'aboutit plus à des conséquences qui heurtent
le tiers exclu ; je ne suis pas conduit à dire que l'Un n'est ni A ni
non-A ; je m'abstiens seulement de rien dire de lui, ni non plus
(comme il suit de la neuvième hypothèse) des choses autres que lui.
Le discours qui l'énonce n'est pas ruiné, comme il parait l'être dans
les autres cas, par les conséquences contradictoires de l'hypothèse ;
mais c'est tout discours qui se trouve radicalement interdit. L'hypo-
thèse de la négation absolue, ainsi prise en son plein sens, rompt sa
symétrie avec les autres hypothèses, et au lieu de concourir à la
formule de la conclusion finale, elle contribue à en rectifier l'inter-
prétation. La conclusion du Parménide n'est pas qu'il faut renoncer
à toute énonciation de l'Un ; ou alors (tel est l'enseignement précis
de la septième et de la neuvième hypothèse) il faut en même temps
renoncer à tout discours ; mais supposé qu'on veuille sauver la
possibilité du discours, il faudra parmi les diverses formes d'énon-
ciation de l'Un, entre toutes les hypothèses que passe en revue la
discussion dialectique, en découvrir à la réflexion quelqu'une qui
ne soit pas ruinée par ses propres conséquences.
On conçoit maintenant les raisons du choix de l'Un comme
thème de la discussion dialectique. Les antinomies de Zenon sur le
Multiple n'apportaient à la thèse idéaliste qu'un appui initial, un
secours indirect ; elles mettaient en évidence la non-substantialité
du Sensible, la nécessité de définir l'Être véritable par les conditions
de l'intelligibilité. C'est ce qu'avait fait Parménide en déclarant
l'Être un, éternel, immobile. Nul objet en effet ne saurait entrer dans

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112 REVUE PHILOSOPHIQUE

notre pensée ni se prêter au discours sans participer à une Idée,


sans être subsume sous un concept un et toujours identique à soi-
même, et sans s'intégrer en outre dans l'unité de la représentation.
L'unité apparaît ainsi comme une détermination qui accompagne
singulièrement toutes les autres à la façon d'un indice commun, et
d'autre part les embrasse toutes ensemble ; la réflexion sur l'Un
apparaît donc particulièrement propre à résoudre les difficultés de
la participation, à éclairer les conditions de la représentation, à
promouvoir l'idéalisme. En appliquant à sa propre hypothèse, l'Un,
la méthode antilogique de Zenon, le Parménide de Platon va donc
réaliser un progrès intellectuel à partir des positions et par les voies
mêmes de l'Éléatisme ; l'idéalisme platonicien ne pouvait donc plus
adroitement attester sa filiation à l'égard d'une doctrine qu'il
n'aurait su renier sans parricide.

* *

Le rôle des deux premières hypothèses va donc être de dénoncer


dans l'affirmation de l'Un une amphibolie, une dualité d'acceptions,
l'une et l'autre inadmissibles, et d'orienter par là vers une concep-
tion plus profonde de l'unité de la représentation. Si l'on affirme
l'Un, c'est-à-dire l'unité de l'Être, en un sens absolu et exclusif de
toute pluralité, il s'ensuit que l'Un, c'est-à-dire l'Être, ne saurait
comporter de parties (ce serait là en lui une pluralité), ni être regardé
comme un tout (un tout ne se pouvant définir qu'en relation avec
des parties). Étant sans parties, il n'a ni commencement ni fin ni
milieu, ne saurait être par suite ni droit ni circulaire, n'a donc
aucune configuration. Il s'ensuit de là encore qu'il ne saurait être
contenu ni en soi ni en autre chose ; il n'est donc nulle part dans
l'espace, ne peut se trouver dès lors ni en mouvement ni en repos.
Par des raisonnements analogues, dont on ne peut reproduire ici
le détail, on démontre de même qu'il ne peut être ni identique ni
différent, ni semblable ni dissemblable, ni égal ni inégal, tant à
soi-même qu'à autre chose, et pareillement ni plus vieux ni plus
jeune ni de même âge que soi ou qu'autre chose, ce qui a pour effet
de l'exclure absolument du temps. N'étant à aucun moment du
temps, l'Un, ainsi entendu, n'a jamais part à l'être ; l'unité de l'Être,
prise en ce sens absolu et exclusif, exclut jusqu'à l'être même, voire
jusqu'à l'Un; l'Un ou l'Être, dans cette acception, n'a même pas l'être

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 113

qu'il faut pour être un ; il ne peut être par conséquent objet de


science, ni d'opinion, ni de sensation, ni de dénomination. Plus que
la série des doubles négations précédentes, incompatibles avec le
principe du tiers exclu, cette conséquence finale révèle le sens de la
discussion de la première hypothèse : il est une acception où la
thèse parménidienne de l'unité de l'Être est inadmissible, parce
qu'elle irait à rencontre de son propre dessein, définir l'Être véri-
table comme l'objet de la connaissance intellectuelle. Certes l'être
objectif, que saisit l'entendement, est assujetti à l'unité formelle de
la représentation ; mais celle-ci n'est pas exclusive de toute plura-
lité ; elle admet nécessairement une diversité interne, faute de quoi
ce serait le vide dans la conscience. C'est en ce sens qu'un philosophe
contemporain a jnontré que la science ne saurait réaliser son idéal
d'unification absolue de tous les phénomènes sans faire évanouir
son objet ; c'est là ce qu'il appelle le paradoxe épistémologique. En
cette rigueur d'unité, l'être, contrairement à l'exigence idéaliste,
cesserait de s'identifier au connaissable ; son immobilité et son
éternité, qu'affirmait Parménide, exprimeraient moins sa plénitude
que son impuissance à se manifester dans l'espace et le temps, à se
communiquer, sous quelque catégorie que ce soit, à la connaissance :
transcendance débile dénotant que cet Un absolu n'est point un
être, mais seulement une condition transcendentale de l'Être. De
même que la négation absolue de l'Un, l'absence de toute détermi-
nation, dans les septième et neuvième hypothèses, interdit l'accès à
la connaissance et à l'Être, de même ici la position absolue de l'Un,
l'exigence d'une unification exclusive de toute diversité, abolit la
connaissance et absorbe l'Être, que l'idéalisme ne peut concevoir en
dehors de la représentation, unité du divers.
Il faut donc se tourner vers une autre acception de la thèse par-
ménidienne de l'unité de l'Être ; c'est celle qu'envisage la deuxième
hypothèse. Il faut entendre l'unité de l'Être de telle sorte que
l'unité n'absorbe pas l'être, comme dans la première hypothèse,
mais de sorte que à la fois l'Être soit un et que l'Un soit être. Ce n'est
pas que l'êire soit la même chose que l'Un ; mais en même temps que
l'Être est un, l'Un participe à l'être ; le contenu de la représentation
est soumis à la forme de l'Un, sans que l'Un fasse évanouir l'objet
de la représentation ; au contraire, il s'y exprime. Cette réflexion
sur la forme et le contenu de la représentation fait donc apparaître
TOMI CXXIIY. - AVRIL-JUIN. - 1944 N«* (4 A 6) S
8

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114 REVUE PHILOSOPHIQUE

une dualité de termes, l'Un et l'Être, tels que cependant ils ne


puissent être séparés Tun de l'autre dans la représentation ; il est
entre eux une distinction critique, mais une liaison objective : le
contenu ne peut être saisi que dans l'unité de la conscience, l'unité se
présente toujours comme celle de l'objet ; d'où il suit que des deux
termes nécessaires à la formule de cette hypotbèse, aucun, pas plus
l'Un que l'Être, ne se pouvant détacher objectivement de l'autre,
leur dualité, issue de la critique, se dédouble à l'infini, dans YÊlrequi
est un comme dans l'Un qui est être la réflexion pouvant indéfiniment
distinguer l'Un et l'Être, sans# rompre jamais leur mutuelle adhé-
rence. C'est en ce sens que l'Être affirmé dans cette hypothèse,
YÊtre qui est un, en même temps qu'il est un comporte une pluralité
infinie de parties ; mais, en raison de son adhérence kl1 Être qui est un,
Y Un lui-même qui est être comportera une égale pluralité ; la plura-
lité infinie de l'Être va ainsi se doubler de la pluralité infinie de l'Un,
c'est-à-dire de la série infinie des nombres ; car, de même que l'Être
qui est un se dédouble à l'infini, de même, avec la dualité de l'Un et
de l'Être et un troisième terme, le Différent, qui figure leur relation,
sont donnés tous les éléments nécessaires à la constitution de toutes
les catégories de nombres, de quoi déterminer de l'Être la pluralité
infinie. L'Un-Être affirmé dans cette hypothèse, à la différence de
l'Un de la première hypothèse, qui n'était ni tout ni parties, est donc
à la fois tout et parties, un tout égal à la totalité de ses parties (145 c),
qui sont en nombre infini. Cette pluralité infinie de parties dont
chacune est une et donala totalité, tout. comme un groupe quel-
conque d'entre elles, est exprimable par un nombre, dénote un être
adéquat au nombre, un être identique à l'objet de la détermination
mathématique. Tel semble avoir été l'être de Parménide, « tout
entier homogène et continu » ; mais à son objectivité mathématique,
il prétendait unir la réalité métaphysique, comme chez les philo-
sophes modernes qui font de l'étendue une substance ; pareillement,
dans la présente hypothèse, l'Un conserve son sens d'unité totale,
d'unification absolue de l'être, à côté de celui d'unité élémentaire,
de détermination des parties singulières. De là, au sein même de la
deuxième hypothèse, qui du plan de l'entendement et des relations
mathématiques n'élimine pas l'absolu métaphysique, une amphi-
bolic qui se traduit à travers toutes les catégories par des consé-
quences contradictoires, par l'affirmation de toutes les paires d'attri-

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE • 115

buts opposés dont nous avons vu, lors des négations résultant de ta
première hypothèse, se constituer progressivement la série. Du fait
qu'il est tout, aussi bien que parties, l'Un-Être, tout illimité qu'il
est en pluralité, aura limites et figure, droite ou circulaire, sera
contenu en soi autant qu'en autre chose, sera en mouvement aussi
bien qu'en repos, identique et différent, semblable et dissemblable,
contigu et non coiitigu, égal et inégal tant à soi-même qu'aux
aulres choses ; à l'égard du temps, plus vieux et plus jeune que soi-
im-ine il devient et il est, et tout autant il n'est ni ne devient ; vis-à-vis
«ifs outres choses, plus vieux et plus jeune il est et il n'est pas, il ne
devient pas et il devient.
De toiles contradictions, isf-u-'S de la position relative de l'Un,
ont un tout autre caractère que les conséquences déduites de sa
position ou de sa négation absolues. Ces conséquences consistaient
dans la négation simultanée. Là l'antinomie pouvait se résoudre par
la suppression de l'hypothèse : je puis m'abstenir de nier l'Un
absolument, comme d'exiger sa position absolue ; je n'ai qu'à
renoncer dans le premier cas à toute énonciation, m'interdisant par
là tout accès à la représentation et à l'être, à reconnaître dans le
second que l'exigence d'unification n'est qu'une condition trans-
rendentale de la représentation et de l'être. Il y a une symétrie parfaite
entre les conclusions gnoséologiques de la première et de la septième
hypothèse : l'Un, si c'est absolument qu'on le nie ou qu'on l'affirme,
n'est nullement objet de représentation, ni même de dénomination
(142 a, 164 ab) ; au contraire, de la position relative de l'Un-Être,
il s'ensuit (c'est la conclusion gnoséologique de la deuxième hypo-
thèse) que cet Un, qui développe son infinie pluralité dans l'espace
et dans le temps, est nécessairement objet de représentation ; il y a
de lui science, opinion, sensation, dénomination et détermination
de toute sorte (155 d). Plus moyen donc d'échapper à la contra-
diction positive issue de cette hypothèse en se réfugiant hors de la
représentation. Tandis que, tout à l'heure, les conclusions gnoséo-
logiques de l'hypothèse nous rejetaient hors de la représentation et
abolissaient l'hypothèse, éliminant ainsi le scandale de ses consé-
quences qui heurtaient le tiers exclu, cette fois la conclusion gnoséo-
logique nous impose le maintien de l'hypothèse, dont les consé-
quences contradictoires équivalent dès lors à une dislocation interne
de la représentation. Entre toutes les antinomies que nous révèlent les

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116 REVUE PHILOSOPHIQUE

discussions du Parménide, celle qui présentement nous occupe, contra-


diction inhérente à la représentation en tant que telle, est la plus
voisine des antinomies kantiennes ; elle s'identifie précisément
à ce que Kant appelle les antinomies mathématiques, procède
des mêmes sources dialectiques et appelle la même solution. Elle
concerne l'objet de la représentation tel qu'il est défini en toute
rigueur par la pensée mathématique et provient, nous l'avons
signalé, de ce qu'à l'objet mathématique on attribue la réalité de
l'absolu métaphysique ; dominant l'ambiguïté toute extérieure du
sensible (129 a-«), cette antinomie de l'Être, intrinsèquement un et
plusieurs, équivaut littéralement à celle du fini et de l'infini, du
continu et du discontinu, que concernent les deux premières anti-
nomies kantiennes. Il est à noter seulement que, dans cette deuxième
hypothèse du Parménide, c'est principalement à l'espace que se
rapporte l'opposition de la limite et de l'illimité, et que c'est l'analyse
de l'existence et du devenir dans le temps qui donne lieu à l'étude
du continu et du discontinu. Ainsi s'éclairera la signification, si
souvent mal appréciée, de la troisième hypothèse. Elle se présente
explicitement comme une reprise des conclusions de la deuxième
hypothèse ; elle rassemble ces conclusions dans une formule générale,
afin d'en rechercher les conditions de possibilité : l'Un, s'il est de la
manière que nous venons d'exposer, s'il est un et plusieurs autant
que ni un ni plusieurs et s'il a part au temps, n'est-ce pas une néces-
sité pour lui de né revêtir ces états qu'alternativement (155 c) ? Et
la suite de l'analyse montrera que ces alternatives d'être et de
non-être ceci ou cela supposent des moments de transition, de
devenir ou de s'en venir. États #t transitions se succèdent dans le
temps, mais l'articulation d'un état et d'une transition ne peut
s'effectuer que dans l'instantané, c'est-à-dire hors du temps. Or
cette analyse, qui aboutit à reconnaître implicitement dans la
discontinuité du temps la condition du mouvement, est la contre-
partie des développements sur l'être et le devenir dans le temps à la
fin de la deuxième hypothèse. A la base de ces développements se
trouvait en effet l'idée de la continuité du temps, qui permet certes
au rapport des âges de deux individus, l'un plus vieux, l'autre plus
jeune, de tendre progressivement vers l'unité comme vers une
limite, mais sans l'atteindre jamais (154 d-155 a), et qui à la rigueur
interdirait le mouvement lui-même, puisque l'instant présent, le

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉDINE » 117

maintenant, est toujours une immobilisation du devenir (152 6-e).


On reconnaît ici l'écho des célèbres arguments de Zenon sur le mou-
vement ; destinés vraisemblablement dans l'intention de leur
auteur à montrer que la négation du mouvement, reprochée au
monismfe parménidien, est impliquée tout aussi bien dans le
pluralisme de ses adversaires (cf. 128 cd), ces arguments reçoivent ici
une transposition qui les fait contribuer à la promotion de l'idéa-
lisme éléate. Le monisme, s'il ne se contente pas de l'exigence
stérile de l'Un, s'il veut à l'Un accorder l'être, accueille en lui le
dualisme, et par là le pluralisme. Si l'absolu est dans l'objet de la
représentation intellectuelle, comme le voulait Parménide et
comme c'est le vœu initial de tout idéalisme, alors monisme et plu-
ralisme cessent de s'opposer pour se confondre ; l'Être dans la repré-
sentation, dans l'espace et dans le temps, est à la fois un et plusieurs,
fini et infini, continu et discontinu ; la représentation du mouvement
lui-même n'est possible que sous ces conditions contradictoires ; tel
est le point que souligne particulièrement le développement incident
de la troisième hypothèse. Cette antinomie de la représentation
mathématique étant mise en lumière, c'est dans les hypothèses
suivantes qu'il en faudra chercher la solution, ainsi que les bases
d'une théorie satisfaisante de la représentation et de l'Être. Mais
pour ainsi dégager le sens de la discussion dialectique du Parménide,
sans doute ne nous est-il pas interdit (et nous avons usé de cette
liberté en commençant par les septième et neuvième hypothèses)
d'intervertir dans notre examen l'ordre de succession, purement
formel, des hypothèses.
Disons tout de suite que la cinquième hypothèse, qui se com-
porte à l'égard de la première comme la neuvième vis-à-vis de la
septième, et qui envisage les conséquences résultant pour les autres
choses de la position absolue de l'Un, comme la neuvième pour les
mêmes autres choses les conséquences de sa négation absolue, ne nous
apportera aucun éclaircissement nouveau ; c'est bien là une réplique
toute formelle : l'Un, si c'est absolument qu'on le nie ou qu'on
l'affirme, exclut toute représentation des autres choses comme de soi.
Où donc trouverons-nous la solution des antinomies mathéma*
tiques ? L'unique voie est celle qu'indiquera Kant, celle de l'idéa-
lisme transcendental ; consécutif à l'idéalisme substantialiste, qui
se détourne du réalisme naïf et dénie la réalité au Sensible pour la
8*

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118 REVUE PHILOSOPHIQUE

reconnaître seulement aux objets intellectuels, l'idéalisme que nous


appellerons transcendental distingue réalité et objectivité : les
objets de l'entendement sont vrais, sans contenir rien de réel ;
distincts par hypothèse de la prétendue réalité sensible, ils ne ren-
ferment pas davantage l'absolu, la réalité métaphysique. Détachée
ainsi de l'absolu, la représentation des objets dans l'espace et dans
le temps est débarrassée des contradictions qui la disloquaient ;
elle se réduit essentiellement à un réseau de relations définies, mais
pouvant se développer à l'infini, aussi loin que l'imagination, dans
le sens de l'accroissement comme dans celui de la division, lui peut
fournir d'indéterminé et de matière, sans qu'il résulte jamais de
cette infinité toujours virtuelle quoi que ce soit qui contredise
l'exigence intellectuelle de déterminé et de fini. Or cette orientation
de l'idéalisme n'est pas étrangère à la pensée de Platon ; c'est dans
la même direction que Kant qu'il doit chercher la solution des
antinomies mathématiques de la deuxième hypothèse ; cet idéa-
lisme gnoséologique n'est toutefois pour lui qu'une étape sur la voie
de l'ontologie : au delà des objets de l'entendement il cherche à
atteindre l'absolu de l'Être ; la dialectique n'est pas pour lui, comme
pour la Critique de la liaison pure, une illusion fatale de l'esprit
humain, mais l'effort méthodique de la raison pour saisir le réel.
C'est dans la sixième hypothèse, première instance de l'hypo-
thèse négative, que nous trouvons l'expression de ce niveau d'idéa-
lisme où se définissent, en dehors de toute réalité et de toute trans-
cendance, les conditions de la représentation objective. « L'Un, s'il
n'est pas », tel est l'énoncé de cette hypothèse ; pour que cet énoncé
ait un sens, pour qu'il ne nous rejette pas, comme l'énoncé de la
septième et de la neuvième hypothèse, de la négation absolue, hors
de toute représentation, il faut entendre cette négation en un sens
relatif, entendre que cet Un qui n'est pas, qui n'a point de réalité
absolue, se définit cependant comme objet de représentation et de
pensée, en sorte que nous ne puissions confondre cette formule :
t l'Un, s'il n'est pas » avec cette autre : « le non-un, s'il n'est pas ».
Ainsi, dans cette sixième hypothèse, ce qui de cet Un qui n'est pas
est affirmé tout d'abord, c'est sa position gnoséologique : il y a de lui
représentation et science, et c'est de là que vont se déduire ses
autres déterminations, procédé exactement inverse à celui des trois
hypothèses principales que nous avons étudiées jusqu'ici. Déduites

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU t PARMÉDINE • II*

d'une telle position, les conséquences qui s'ensuivent ne sauraient


dès lora heurter l'axiome d'identité, condition la plus générale de
l'exercice de la pensée ; et c'est une des ruses de la dissertation dialec-
tique du Parménide que de masquer sous le développement symé-
trique des hypothèses les divergences qui les opposent et qui per-
mettent d'apercevoir entre elles un ordre de progression. Ce n'est
qu'une apparence superficielle si, dans le schéma de cette vaste
antilogie, les conséquences de la sixième hypothèse paraissent
répéter celles de la deuxième. L'Un qui n'est pas ne reçoit pas
simultanément et intrinsèquement, comme l'Un qui est, toutes les
paires d'attributs contradictoires ; il est seulement susceptible
d'entrer en relation, objet défini de pensée, avec tout autre objet de
pensée, avec tout autre terme de la représentation ; il peut être
sujet de toutes les relations, être ainsi semblable et dissemblable,
égal et inégal, mais comme il est explicitement précisé, dissem-
blable aux autres choses et semblable à soi-même, et dissemblable
en tant seulement qu'il est d'autres choses dissemblables de lui,
inégal pour répondre à l'inégalité des autres choses à l'égard de lui
(161 a-d). C'est dans l'altérité donc, immédiatement liée à la déter-
mination de l'Un comme tel (160 de), que se trouve la base des rela-
tions dont est tissée la représentation et qui rendent possible le
discours. C'est parce qu'il représente seulement un objet déterminé,
et non une réalité adéquate au Tout, c'est pour cela que l'Un qui
n'est pas n'est pas disloqué par les contradictions internes de l'Un
qui est, qu'il peut recevoir sans contradiction, sous des rapports
différents, des prédicats opposés, qu'il peut même à la fois être et
n'être pas. S'il doit en effet, par hypothèse, a ne pas être », au sens
réaliste du mot, il lui faut pour cela être « qui n'est pas » et ne pas
être « qui est », tout comme pour « être », toujours au sens réaliste, un
sujet quelconque doit ne pas être « qui n'est pas » et être « qui est ».
C'est ce sens relatif, ou plus précisément relationnel, de l'être que
dégagera, mais sans dépasser la netteté de ces formules de la sixième
hypothèse, l'Étranger du Sophiste, et qu'il opposera au substantia-
lisme de l'Être parménidien pour rendre compte de la possibilité de
l'erreur, et plus généralement du discours ; il montrera qu'une
négation s'unit indissolublement à une affirmation, sans qu'il résulte
de là une contradiction quelconque, dans l'assertion de tout juge-
ment ; il établira qu'il y a une vérité dans la négation aussi bien que

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120 REVUE PHILOSOPHIQUE

dans l'affirmation, et en ce sens un être du non-être. A quoi, appli-


quant ici les conséquences de la troisième hypothèse, le Parménide
ajoute encore que cet Un qui n'est pas, passant de l'être au non-être,
c'est-à-dire pouvant être, sous des rapports différents, sujet d'une
affirmation ou d'une négation, est susceptible de changement, de
naître et de périr, bien qu'il demeure cependant en repos, c'est-à-dire
identique à soi-même en sa détermination propre. Sous cet aspect
encore nous voyons l'idée de relation assouplir l'interprétation
éléatique du principe d'identité, arracher l'Être à son isolement
inerte, le rendre accessible à la connaissance tout en le délivrant de
ses contradictions internes, et du même coup orienter vers la solution
des difficultés soulevées dans la première partie contre la parti-
cipation.

Mais l'idéalisme platonicien, nous le savons, ne renonce pas à


tout absolu et à toute transcendance. Si l'absolu dans sa forme
unitaire, tel qu'il est envisagé dans la première hypothèse, échappe
à toute représentation et correspond ainsi à l'objection agnosticiste
de la première partie, si l'absolu réalisé dans la représentation,
selon le point de vue de la deuxième hypothèse, qui correspond à
celui de l'Idée réifiée et devenue imparticipable, si ce nouveau point
de vue aboutit à disloquer la représentation dans les antinomies, il
faut envisager une autre conception de l'absolu, integrable dans la
représentation telle que les conditions s'en trouvent définies dans la
sixième hypothèse. C'est une telle conception de l'absolu que nous
offre la quatrième hypothèse. Remarquons d'abord que l'absolu ne
saurait manquer d'être équivalent au Tout. Or ni l'Un de la première
hypothèse ne saurait être un tout (du moins représentable), puisqu'il
est exclusif de parties ; pas davantage l'Un étalé dans la représen-
tation, celui de la deuxième hypothèse : équivalent expressément à
la totalité de ses parties, à ses parties toutes ensemble, il ne répond
pas en effet à la définition exacte d'un tout. Le tout ne se réduit
pas à la totalité de ses parties, à toutes ses parties ; car alors, pour
être partie du tout, une partie devrait être partie de toutes les parties,
par conséquent partie d'elle-même, ce qui est impossible (157 cd).
Le tout est donc autre chose que la totalité ou la somme des parties ;
il en est l'unité formelle. Intermédiaire entre l'unité absolue, trans-

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 121

cendante à toute représentation, et la détermination élémentaire,


l'unité réitérable dans les unités de l'arithmétique et totalisable dans
le nombre, apparaît donc une unité d'une troisième sorte, celle de
l'unifié, irréductible au total des parties qu'on y compte, objet
transcendant pour la connaissance de type analytique, mais qui
cependant exprime dans la représentation, sous la forme de l'organi-
sation, l'unité transcendante de l'acte créateur. Ce n'est que dans
une telle conception, celle d'un tout organique, que l'absolu peut
être accessible à la connaissance, que l'ontologie peut s'édifier dans
le cadre de l'idéalisme. Les conditions de réalisation d'un tel tout
sont, en effet, d'une part la diversité des choses autres que l'Un, d'autre
part l'Un dans sa fonction unifiante ; or les conditions de la repré-
sentation, selon la sixième hypothèse, se trouvaient également dans
une diversité, une altérité, qui seule permet l'application de la déter-
mination intellectuelle, toujours relative ; la concordance est frap-
pante, et va jusqu'à une communauté de formules, entre ces vues du
Parménide et la démarche du Philèbe, qui, après avoir reconnu dans
l'opposition de l'Un et du Plusieurs la condition essentielle du
discours (tcov Xóycav ocutcov áoávaxóv ti xaí áyYjpcav 7cá0oç èv Y)fñv
15 d), fait d'eux ensuite, sous les noms de Limite et d'Illimité, les
composantes naturelles de l'Être (¿>ç è£ êvòç [xèv xaí tcoXXûv 8vtcùv
tûv áeí XeyofiivGw eivai, 7répaç Se xaí á7reípiav èv auTotç aiifi-
9UT0V è^ovTcov 16 c). On observe ici ce passage du gnoséologique à
l'ontologique, que nous découvrons en examinant, après la sixième,
la quatrième hypothèse du Parménide. De l'une à l'autre, l'Un
change de signification : la détermination élémentaire par l'enten-
dement et la pleine unification rationnelle, confondues pour engen-
drer les antinomies de la deuxième hypothèse, trouvent maintenant
leur subordination normale, signalant du même coup dans les
autres choses (Ta áXXa) une double acception correspondante.
Celles-ci sont d'une part, par opposition à l'Un de détermination,
les unités multiples totalisées dans le nombre, d'autre part, par
opposition à r Un-Tout, les parties mêmes du Tout (153 a-e). Aussi
est-ce en vain que les conséquences de la quatrième hypothèse
veulent faire apparaître pour les autres choses, dans cette position
intermédiaire de l'Un, des contradictions analogues à celles qui
arrivent à l'Un lui-même dans la deuxième hypothèse : elles seraient
à la fois semblables et dissemblables à elles-mêmes, respectivement

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in REVUE PHILOSOPHIQUE

et réciproquement, et affectées de même de tous les attributs opposés.


Mais tout cela s'entend aisément et sans contradiction en fonction
de la distinction entre l'illimitation caractéristique des éléments du
nombre, leur pluralité infinie, tant dans le sens de la division que dans
celui de l'accroissement, et l'unité de synthèse, la limite nécessaire à la
définition de tout nombre singulier, comme de n'importe quel élément
d'un Tout fini. C'est de cette union de la Limite et de l'Illimité que
naît, suivant le Philèbe, toute réalité existante (ysyevT) fiivrjv oòcrtav
27 ¿>), et ce dialogue cherchera la cause de cette genèse, de cette
production à l'existence (yévecxiv eîç oùaiav 26 d) ; il remontera
ainsi jusqu'au principe suprême de l'ontologie finaliste. Le mérite
du Parménide, c'est qu'il contribue à nous faire voir, à partir de la
gnoseologie, la nécessité de cette ontologie; il s'efforce en effet de
montrer qu'en dehors de l'organisation par l'Un absolu de la diver-
sité soumise aux déterminations de l'entendement, celles-ci ne
sauraient trouver1 de point d'application stable, que sans la coopé-
ration de la raison unifiante l'entendement ne saurait que tâtonner
dans la pénombre du phénomène, n'apercevrait jamais d'objet
véritable.

C'est particulièrement la huitième hypothèse, la dernière qu'il


nous reste à examiner, qui apporte cette contribution, en dévelop-
pant les remarques capitales sur l'Un-limite et la pluralité infinie
qui occupent une place centrale dans le développement de la qua-
trième hypothèse et sont amorcées déjà vers la fin de la deuxième
(153 a-e). Nul doute que nous n'ayons là affaire à un leit-motiv
d'importance primordiale ; l'orchestration finale qu'il reçoit dans le
développement de la huitième hypothèse, l'impression étrange sur
laquelle il nous laisse, parvenus presque au terme du dialogue, sa
répétition en écho dans le bref morceau sur la neuvième hypothèse,
tout concourt à sa mise en valeur. L'énoncé de cette hypothèse est la
reprise de la sixième : « l'Un, s'il n'est pas », en vue de rechercher
cette fois ce qu'il en résulte pour les autres choses ; mais nous
sommes cette fois en mesure de mieux préciser le sens de cette
formule. Il ne s'agit pas, bien entendu, de la négation absolue de
l'Un ; « l'Un, s'il n'est pas », disions-nous précédemment, cela équi-
vaut à dire : l'Un, s'il n'a pas de réalité absolue ; ce que nous rejetions
par cette hypothèse, c'était, non certes le réalisme naïf depuis
longtemps liquidé, mais le substantialisme qui réalise les objets de

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » 1*3

l'entendement et de la représentation mathématique ; nous enten-


dions nous replier dans un idéalisme transcendental qui définit les
conditions de l'objectivité et s'interdit tout accès à la réalité absolue.
Mais nous avons reconnu depuis qu'il peut y avoir un autre absolu
que la substance mathématique disloquée par les antinomies ;
c'est celui de l'unité organique du Tout. Dès lors la formule : « l'Un,
s'il n'est pas » doit s'entendre : si l'on refuse d'accepter cette forme
d'absolu qu'est l'organisation, si l'on s'en tient à une position étroi-
tement gnoséologique, qui se garde de prétendre dépasser l'objecti-
vité, qu'en va-t-il résulter pour les autres choses que l'Un, c'est-à-
dire pour la connaissance des divers objets ?
Il faut se rappeler tout d'abord que la science platonicienne,
pas plus que la nôtre, ne saurait se borner à relever des constances
empiriques ; elle est une physique mathématique, qui s'efforce de
reconstruire déductivemcnt, à partir d'hypothèses convenablement
choisies, une représentation intellectuelle qui coïncide aussi exacte-
ment que possible avec les apparences sensibles, qui permette de
les coordonner et de les prévoir. Cette construction suppose, outre
les relations mathématiques définies qui jouent provisoirement le
rôle de limite, un divers auquel; elles s'appliquent, la diversité
homogène de la pure extension, qu'elles objectivent en la détermi-
nant. C'est ainsi que le substrat amorphe de l'imagination, l'exten-
sion, pur non-être, s'érige en étendue objective prise communément
pour une substance ; et c'est en ce sens qu'on déclare parfois que la
science ne peut se résoudre en un système de relations, qu'elle exige
le concept de chose. Nous croyons avoir dénoncé l'illusion de ce
réalisme, raidissement de l'idéalisme, et qui se heurte à l'écueil des
antinomies ; ces prétendues choses qu'exigerait la science ne sont
que des objets étendus déterminés, à partir de la pure extension,
par les relations déterminantes. La présence, dans la physique
mathématique, de quantités mesurées, comme les masses et les
forces, irréductibles à la pure relation et au nombre, ne l'empêche
pas de n'être qu'un système hypothético-déductif, susceptible de
coïncider plus ou moins exactement avec l'expérience, mais qui ne
tire pas d'elle sa vérité, ni ne saurait en retour lui garantir une
réalité. Son objectivité n'est que l'expression de la puissance de
l'esprit sur une matière dont l'essence est pure privation. Or c'est
d'un tel savoir, dont la conception répond strictement à l'idéalisme

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124 REVUE PHILOSOPHIQUE

gnoséologique, que la huitième hypothèse veut, à notre avis, faire


éclater l'insuffisance. Dans une telle interprétation, en effet, le
progrès de la science ne peut consister que dans un accroissement de
précision, permettant d'obtenir une coïncidence plus exacte avec le
sensible, une prévision plus rigoureuse et des possibilités d'action
plus sûres ; mais cet accroissement de précision est conditionné
lui-même par un progrès de l'analyse, qui cherche à atteindre, dans
le domaine du mesurable (fluent ou statique), des éléments (ondes ou
corpuscules) de plus en plus petits. Or en un tel domaine, avec une
telle méthode, la division peut aller à l'infini ; jamais on n'atteindra
le minimum indivisible (to afiixpOTocTov). Le progrès de l'analyse
matérielle nous fait ainsi assister à la fuite de l'atome, qui indéfi-
niment se dérobe, au point que les oscillations élémentaires ne se
prêtent plus qu'au calcul statistique. La science du xxe siècle devait
amener cette faillite de l'imagination aux spéculations de l'enten-
dement, les privant de l'appui réaliste qu'elle leur avait si long-
temps prêté. La réalité ne réside pas plus dans le monde des vibra-
tions et des atomes que dans celui des couleurs et des sons ; dans l'un
comme dans l'autre, dans celui de l'imagination mécaniste comme
dans celui de la perception sensible, l'entendement ne saisit, à des
échelles diverses, que des apparences superficielles, des effets d'en-
semble, des régularités statistiques. C'est ce que, par une anticipation
géniale, à l'aide de la seule réflexion sur l'infinité, l'illimitation du
divers que se doit nécessairement soumettre la détermination
mathématique, montrait Platon dans la huitième hypothèse du
Parménide : si l'on rejette l'Un de synthèse (nous verrons précisé-
ment bientôt comment le concevoir), si l'on n'admet que l'Un de
détermination, principe des opérations mathématiques, son appli-
cation ne donnera lieu qu'à des unités provisoires, indéfiniment
divisibles, où l'on pourra toujours distinguer un commencement, un
milieu et une fin : « quoi que saisisse la pensée pour l'être d'un de
ces termes, avant le commencement toujours il apparaît un autre
commencement, après la fin encore un reste, une autre fin, et au
milieu, d'autres points plus médians que le milieu, de plus petits
points, impossible qu'il est d'atteindre en eux l'unité singulière, vu
an'i] n'y a point d'un » (165 ab). « C'est par groupes de plusieurs, par
consequent, que, touteL autant qu'elles sont, les autres choses les
unes à l'égard des autres seront autres ; une par une en effet, il nry

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU • PARMÉNIDE > 125

■aurait pas moyen, puisqu'il n'y a point d'Un. Mais chez elles, à ce
qu'il a l'air, la singularité d'une masse est infinie pluralité ; et en
prît-on ce qui semble être le moindre morceau, tel un songe dans le
sommeil, c'est plusieurs qu'il apparaît instantanément au lieu de un
qu'il semblait être, et, au lieu du moindre possible, immense il
apparaît par rapport à l'émiettement issu de lui... C'est à l'échelle de
telles masses, donc, que les autres choses, les unes à l'égard des
autres, sont autres, si, en l'absence supposée d'Un, elles sont autres »
(164 cd).
Ainsi, dans une physique purement mécaniste, qui rejette
l'unité organique de l'Univers, il n'est de déterminations que provi-
soires et finalement d'uniformités que statistiques ; il en est d'une
telle représentation soi-disant scientifique comme de ces peintures
en trompe l'œil (olov ecrxtaypa^fiiva 165 c) dont parle si souvent
Platon : de près, c'est un fourmillement confus d'ombres et de
couleurs, qui de loin procure l'illusion du relief et de la réalité. C'est
que Platon connaît une autre méthode pour la constitution définitive
de la science : c'est, au delà de l'analyse matérielle, incapable d'at-
teindre son terme et de fournir un point d'appui stable à la déduction
mathématique, la méthode dialectique de division par genres, qui
définit, par un calcul finaliste, la nature et le nombre des essences
nécessaires à la réalisation de l'Un-Tout, à l'organisation de l'Uni-
vers ; suivant en quelque sorte les articulations de la nature, elle
découvre une hiérarchie d'essences, saisit à chaque degré des unités
réelles, et ne s'arrête que devant des espèces indivisibles, laissant
seulement dans l'indétermination le nombre des individus de chaque
espèce (Phèdre 265 de, (277 b ; Philèbe, 16 de). C'est ainsi que la
physique mathématique trouve enfin une base dans des essences
réelles, qu'elle se délivre du nominalisme des systèmes hypothético-
déductifs, qu'elle peut prétendre à une vérité catégorique. On voit
en quel sens on peut dire que la science doit se compléter par une
ontologie ; ce n'est pas. qu'elle exige pour objet une substance, bien
au contraire ; mais la vérification absolue que ne peut lui fournir
l'expérience sensible, le fondement de réalité qu'elle ne peut atteindre
dans l'imagination mathématique, elle doit le réclamer à la synthèse
dialectique ; faute de quoi, plus ses analyses gagneront en profondeur
et plus ses constructions seront complexes, plus il y aura concurrence
entre des systèmes de reconstruction divers, également compatibles

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126 REVUE PHILOSOPHIQUE

avec les apparences, et que plus rien dès lors ne saurait départager ;
les théories scientifiques ne pourront ainsi dépasser la vraisemblance ;
elles ne seront jamais que science du comme si.

*
* ♦

La discussion des hypothèses du Parménide nous paraît donc


s'orienter vers cette conclusion, en parfait accord avec les tendances
générales du Platonisme, à savoir que la physique mathématique
doit se subordonner à une cosmologie, qui exprime elle-même une
ontologie finaliste. Nous ne ferons donc point appel, pour résoudre
l'énigme de ce dialogue, à l'expédient d'un de ses interprètes les plus
récents et des mieux autorisés (A. E. Taylor, The Parmenides of
Pialo, Oxford, 1934), qui ne voit dans la dialectique des hypothèses
qu'une parodie des raisonnements d'où procédaient les objections de
Ja première partie contre la théorie des Idées : à raisonnera la manière
des étatisants (telle serait la suggestion à retirer de ce dialogue) ce
n'est pas seulement la participation platonicienne, c'est aussi la
thèse parménidienne de l'unité qui, en quelque sens qu'on la prenne,
apparaît elle-même intenable, ainsi que d'ailleurs sa négation. De
fait, on peut montrer dans la seconde partie, notamment dans le
développement de la deuxième hypothèse, le retour de certains
arguments dirigés contre la participation, arguments que l'on
traite volontiers de sophistiques, à moins qu'on ne voie prérisément
avec Taylor, dans leur reprise complaisante, une intention satirique.
Or la plupart de ces prétendus sophismes ont à leur base, comme on
l'a maintes fois signalé, la confusion entre la relation elle-même,
envisagée comme une essence, et son application à un relatif ; ils
supposent, par exemple, que la relation de grandeur est elle-même
une chose grande, confusion que dissipera explicitement le Sophiste
(256 a sq.), en montrant qu'un objet quelconque est toujours le
même que soi et autre que tel ou tel objet différent de lui, sans qu'il
soit pour cela ce qu'est le même et ce quest Vautre. Mais une telle
distinction, d'apparence purement logique, a une portée gnoséo-
logiqüe ; sa découverte implique qu'on s'élève du réalisme du repré-
senté à l'idéalisme le la représentation ; tant qu'on demeure sur le
premier de ces plans, les prétendus paralogisme* s'imposent en
vertu de la nécessité logique ; aussi comprend-on qu'il faille, pour les

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU t PARMÉNIDE • 127

percer à jour, s'engager dans une réflexion critique sur les conditions
de la représentation. C'est à quoi correspond la discussion dialec-
tique du Parménide ; elle ne perd pas de vue le problème soulevé
dans la première partie ; en dépit de ses conclusions négatives, elle
n'a pas seulement une intention polémique ; elle a une portée cons-
tructive ; elle jette les bases d'une solution, parce qu'elle a procédé à
un élargissement et à un approfondissement du problème.
Ces travaux de fondations, le Sophiste en saura faire son profit.
Quelques-uns des passages Ic6 plus profonds de ce dialogue ne
tirent leur sens que des discussions du Parménide, qu'ils condensent
et dont ils mettent en valour les résultats ; ils nous apportent ainsi
la confirmation de notre interprétation, en môme temps qu'ils en
justifient l'inspiration générale. Ce n'est point en effet un parricide
(241 d) que l'entreprise de l'Étranger éléate ; c'est l'œuvre d'un
disciple dont la fidélité s'atteste mieux dans son effort à promouvoir
l'idéalisme éléate que s'il l'immobilisait dans le raidissement de
l'Être ; et c'est ainsi que Platon lui-même, dès le Parménide, loin
d'exercer, croyons-nous, sa verve satirique, entend manifester sa
filiation à l'égard de l'éléatisme. Nul doute, pour commencer, que
la negation même du non-être, qui traduit l'inertie de l'Être parmé-
nidien dans toute sa rigueur, exclusive de l'erreur et même du
discours, ne procède néanmoins, au regard de Platon, d'un point
de vue idéaliste ; il n'est pour s'en convaincre qu'à examiner sur
quels arguments (237 6-239 a) il fait reposer cette négation ; c'est
par une application rigide du principe d'identité, qui est la loi de la
pensée, qu'il fait voir que le non-être ne peut dans aucun jugement
tenir lieu d'attribut ni sujet : il n'est aucun sujet dont on puisse
dire « il n'est pas », sans lui donner par là au moins l'être d'un objet
de pensée, comme à l'Un de la sixième hypothèse ; pris à son tour
comme sujet, le non-être ne saurait recevoir aucun attribut ; de lui
on ne peut sans contradiction absolument rien dire, ni qu'il est (ce
qu'interdisait Parménide), ni même qu'il n'est pas ; rien que pour
le nier, il faudrait en faire un objet de pensée, un être. C'est là
l'argumentation même de l'idéalisme moderne contre la chose en soi.
Mais c'est surtout dans les pages ultérieures du dialogue, quand il
examine sous son aspect positif la thèse de ceux qui affirment l'unité
du Tout (tcjv ev to 7cãv XeyóvTcov 244 ò), que l'Étranger éléate se
montre tributaire des discussions du Parménide. L'examen critique

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128 REVUE PHILOSOPHIQUE

de cette thèse comporte deux moments successifs. D'abord l'affir-


mation même de l'unité de l'Être fait apparaître une dualité de
termes, l'Un et l'Être, fatale à toute doctrine moniste, à moins
qu'elle ne trouve un biais pour identifier ces deux termes, dont Tun,
/'í/n, est le nom, l'autre, l'Être, est la chose. Or si l'identification
s'effectue dans la chose, le nom, qui est par essence un relatif (il est
toujours le nom de quelque chose), en se confondant avec la chose
perd son essence relative, sa fonction de nom ; il n'est plus le nom de
rien (^ [iTjSevòç ôvofxa avayxaaOTQcreTai Xéysiv 244 d) ; c'est l'issue
réaliste, qui absorbe la représentation dans l'opacité de la chose,
aboutit à l'agnosticisme. Si au contraire l'identification s'effectue
dans le nom, si c'est la chose qui se réduit au nom, le nom garde sa
fonction, mais il n'est plus le nom que d'un nom : le nom « un »
notamment n'est le nom que de l'unité, et il n'y a d'unité que celle
du nom (244 d). Paradoxe tout apparent, car l'idéalisme gnoséolo-
gique, réduisant l'être à l'objet de la représentation, s'accommode
sans difficulté d'un tel nominalisme ; il ne reconnaît d'unité que
celle qu'apportent les déterminations de l'entendement. Ainsi la
dualité d« l'Un et de l'Être n'est un écueil que pour le réalisme qui
fait de l'Être une chose en soi.
Toutefois le nominalisme, nous l'avons vu, n'est qu'une étape
pour l'idéalisme platonicien, qui aperçoit l'absolu dans l'unité
organique du Tout ; et c'est à dégager cette conception que tend le
second moment de l'examen critique de la thèse moniste. Admet-on,
en effet, que l'Être est un Tout, au sens où l'entendait Parménide,
qui se le représentait comme une sphère homogène et bien équi-
librée ; autrement dit, voit-on l'absolu dans l'objet de la représen-
tation mathématique, alors un tel tout, nécessairement divisible,
fait de parties, ne peut recevoir l'unité que comme une affection
s'ajoutant à la totalité de ses parties, à ses parties toutes ensemble
(TcáOoç (lèv too èvòç ëxstv ini toïç (xépeai 7r5tartv 245 a) ; c'est de
cette façon qu'étant une totalité il pourra avoir en même temps
l'unité d'un tout (îtav ts ov xat 6Xov iv eîvai). Mais l'Être ainsi
unifié ne saurait aucunement se confondre avec l'Un absolu, celui
de la première hypothèse ; bien qu'ayant écarté la chose en soi,
nous retombons encore une fois, avec le réalisme de l'objet mathé-
matique, sur la dualité de l'Un et de l'Être ; ce n'est plus cette fois,
comme dans le réalisme vulgaire, la dualité de la représentation

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE • 129

(de l'Un déterminant) et de la chose, mais celle de l'objet réalisé et de


l'absolu de l'Un. Dualité fatale à la thèse de l'unité du Tout, et qui
était déjà la source des antinomies de la deuxième hypothèse. En
vain songerait-on, pour y échapper, à sacrifier l'absolu, à abandonner
l'unification de l'Être ; de deux choses l'une, en effet : ou tout en
renonçant à cette unification on laisserait subsister en soi le Tout,
l'Un dans sa transcendance, et la dualité ne serait pas réellement
réduite ; en outre l'Être, séparé du Tout, ne sera pas tout lui-même,
sera partiellement non-être, ce qui est contradictoire ; ou au
contraire, il n'est absolument pas d'Un ni de Tout, et alors la dualité
certes est réduite ; mais la seconde difficulté subsiste, aggravée :
l'Être n'arrive pas à être, ni même à devenir. Pour être ou devenir,
en effet, quoi que.se soit, ne fut-ce qu'une partie, il la faut être ou
devenir entièrement, ce qui est impossible autrement qu'en ayant
part à l'Un et au Tout. Nous voici de nouveau en présence de ce que
nous regardions comme le leit-motiv fondamental du Parménide ;
les choses autres que l'Un, les unités multiples, la pluralité infinie à
déterminer par le nombre, ne recevra de l'entendement que déter-
minations provisoires, tant qu'elle ne se soumettra pas à l'organi-
sation par l' Un-Tout ; les nombres arithmétiques eux-mêmes n'ont
respectivement qu'une unité nominale, et ne sont pas des êtres ou
des Idées, tant qu'on ne les peut faire correspondre à des conditions
élémentaires de l'unité de la nature ; ainsi les choses autres que l'Un
ne sortiront de leur illimitation et ne deviendront des êtres qu'en se
constituant, comme l'exige la quatrième hypothèse, en parties
organiques de l'Un, parties dont chacune est une unité et un tout à
sa manière. On ne peut donc songer pour sauver le monisme, pour
échapper à la dualité de l'Un absolu et de l'Être unifié, à aban-
donner l'unification de l'Être ; ce serait ruiner l'Être ; et c'est la
conclusion même de notre interprétation du Parménide, telle que
l'illustre le développement de la huitième hypothèse, qui se condense
dans cette formule de l'Étranger du Sophiste : « Ni l'Être ni le
Devenir ne peuvent être affirmés comme réels, si l'on ne fait place à
l'Un et au Tout parmi les réalités. » (outs ouaíav outs yéveaiv ¿>ç
oSaav Set Tcpocrayopeiisiv to Iv 9¡ to oXov cv toïç o&ai 'ir¡ TiOévToc
245 d.)
Il est aisé maintenant d'apercevoir comment se résout la dualité
incriminée ; il n'est qu'à renoncer au réalisme de l'objet, lequel n'a
vom cxxxxv. - AVEiL-juiN. - Id44 («•■ 4 a 6) 9
9

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130 REVUE PHILOSOPHIQUE

accès à l'Être réel qu'en participant à l'Un, em se prêtant à l'organi-


»atkm par l'Un. Une simpte réflexion suffît d'ailleurs à montrer que
l'objet étalé dans la représentation, déterminé par l'entendement,
et épuisable par l'analyse mathématique ne saurait contenir l'absolu,
*ire équivalent au Tout. Un objet, en eiîet, ne saurait se suffire ; il
n'est jamais en soi et par soi, mais toujours pour un sujet. Cette
réflexion, qui aboutit au moins à l'idéalisme gnoséologique, introduit
d'ailleurs à l'ontologie ; car ce n'est pas seulement ie sujet corrélatif
de l'objet de notre représentation contingente qui doit être inclus
dans la notion du Tout, mais le sujet absolu de la pensée souveraine,
idéal dont la nôtre tire tout son sens, sa valeur et son être. Si donc
l'absolu ne peut être un objet, ni résider dans un objet, l'objet, lui,
peut être absorbé dans l'absolu, être l'objet d'une pensée absolue.
L'absolu est alors un sujet transcendant, une pensée qui se pense
elle-même en pensant les objets et qui s'exprime dans l'organisation
de l'Univers. L'Être, ainsi entendu, n'a plus l'unité inerte d'une
substance, d'un objet réifié, mais une unité d'organisation ; l'Univers
est un organisme vivant, où réside une Âme, et dans cette Âme tin
Intellect, une Pensé«. C'est dans cette conception finalement, que
développeront le PkUèbt et le Timée, mais dont le Sophiste donne
une formule célèbre (248 e-249 a), que se résolvent, nous l'avons dit,
les difficultés soulevées dan* ia première parti« du Parméniie, le
problème de la participation et l'antinomie de la connaissance. H
n'y a de connaissance objective, affranchie de la subjectivité, de la
relativité empirique, que celle qui détermine la diversité empirique
au moyen des relations établies par l'activité de l'entendement ;
une telle représentation, tissée de pures relations, est, par hypo-
thèse, imnaanente à l'esprit, et échappe aisément à toutes les diffi-
cultés issues de l'opposition réaliste de l'idée et de la chose, ainsi que
de l'isolement réciproque où seraient maintenus l'objet et le sujet
par ìt suèstantialisme. Mais c#s difficultés reparaissent dès qu'on
cherche pour la connaissance des objets transcendants ; elles se
résolvent cette fois si l'on considère que l'absolu ne peut consister
que dans la synthèse totale, le système autonome des relations où
t'exprime et devient pour soi-même consciente ta pure activité
spirituelle. Pour une conscience partielle, pour autant qu'elle n'est
pas immédiatement adhérente à i' Intellect souverain, la représen-
tation de l'absolu ne saurait sans doute jamais être que symbolique ;

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J. MOREAU. - LA SIGNIFICATION DU « PARMÉNIDE » Î3Î

Platon en convient et y insiste à maintes reprises, notamment dan»


le Timée (29 cd ) ; mais cet intervalle à combler par le progrès de
la pensée, même si elle doit toujours demeurer en reste sur son idéal,
n'équivaut pas à cet obstacle irréductible que le substantialisme
opposait à la connaissance. C'est dans ce développement de l'onto-
logie à partir de l'idéalisme critique, dans ce souverain élargissement
de l'horizon kantien, que nous paraît résider la marque propre du
Platonisme et des systèmes modernes qui en dérivent ; et c'est
parce qu'ils nous enseignent à discerner et à gravir ces degrés de la
connaissance que les paradoxes et l'exercice dialectique du Parmé-
nide constituent encore, après plus de vingt siècles de réflexion
philosophique, un véritable manuel d'idéalisme.
Jo9eph Moreau.

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