Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le fait vérifiable est qu’in vitro, c’est-à-dire dans une éprouvette, et non
dans le corps humain, la chloroquine est active contre le Sars-cov-2, le virus
du Covid-19. Que cette action in vitro existe sur nombre d’autres virus, sans
jamais avoir donné de bons résultats chez l’humain, voire en augmentant la
mortalité dans le cas du chikungunya, devrait pourtant inciter à une
certaine prudence.
L’affirmation, elle, balaie toute retenue : une étude chinoise vient de sortir.
Elle démontre que la chloroquine donne «une amélioration spectaculaire et
c’est recommandé pour tous les cas cliniquement positifs d’infection à
coronavirus chinois». Mais aujourd’hui, près de deux mois après ce scoop,
le monde attend encore la moindre corroboration de ce qui s’apparente de
plus en plus à un bluff médiatique.
Didier Raoult lance donc des études, suscitant par son attitude d’absolue
certitude, son aisance médiatique, un immense espoir, si grand que
personne, dans les médias ou au sein du personnel politique ne songe à le
questionner. Qui imaginerait qu’une figure respectée, au CV
impressionnant, se lancerait ainsi à l’aveuglette dans un coup de bluff ?
Tétanisés
Les études de Didier Raoult vont se succéder, accumulant des erreurs et des
approximations, mais aussi, plus grave, des truquages insensés. Ainsi dans
la première étude, sur 42 patients, parmi ceux traités par «le protocole
Raoult», l’un décède, trois sont hospitalisés pour aggravation. Et par un tour
de passe-passe (qu’en français s’apelorio une fraude), ils sont tous les quatre
exclus des résultats alors qu’ils auraient dû être considérés comme des
échecs de l’hydroxychloroquine.
Une seconde étude va être lancée dans la foulée alors que la première va être
publiée dans des conditions douteuses et immédiatement reniée par la
Société internationale de chimiothérapie antibactérienne. Et cette étude,
dans laquelle Raoult et son équipe choisissent quels patients traiter
(intervenant donc sur leur thérapeutique dans une maladie présentant 95%
de guérisons spontanées), est déclarée comme une simple étude
observationnelle (sans intervention des médecins sur le déroulé des
événements). Ceci permet d’éviter de devoir obtenir l’accord obligatoire de
l’Agence nationale de sécurité du médicament.
A LIRE AUSSI
Les épisodes précédents du Journal d’épidémie de Christian
Lehmann(https://www.liberation.fr/journal-epidemie-coronavirus-lehmann,101217)
Mais ce qui m’intéresse au premier chef, c’est le rationnel de Didier Raoult,
cette certitude que le serment d’Hippocrate (qui nulle part ne mentionne le
droit de se livrer à l’expérimentation humaine en freestyle), le diplôme de
médecin, et l’intuition personnelle, constituent une sorte de joker.
Rappelons-le encore une fois : Didier Raoult est microbiologiste, spécialiste
des virus, des bactéries. Il n’a aucune expérience en recherche
thérapeutique, et les erreurs grossières qu’il commet dans le déroulement de
ses études comme dans l’analyse de ses résultats ou ses processus de
publication ne sont pas liées comme il veut le faire croire à l’émergence d’un
nouveau paradigme, mais à la résurgence rance de ce qu’on espérait voir
disparaître, la toute-puissance intouchable et tyrannique de mandarins
incapables de se remettre en cause.