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CHRONIQUE «AUX PETITS SOINS»

Sida et Covid-19 :
«Aujourd'hui, c'est un peu
la même inconnue»
Par Eric Favereau (https://www.liberation.fr/auteur/1848-eric-favereau)
— 7 avril 2020 à 11:07

Dans la Marche des fiertés LGBT, à Paris, le 20 juin 1987. Jean-Marie Le Pen venait de
proposer l'instauration de «sidatoriums». Photo Alain Nogues. Sygma. Getty Images
Pionnier de la prise en charge des malades du
VIH et codécouvreur du virus, Willy
Rozenbaum souligne les différences mais
aussi certaines similitudes avec le Covid-19.

Sommes-nous en guerre, comme au temps des premières années du sida ?


«Cette expression ne me choque pas, dit Daniel Defert, président fondateur
d’Aides, en 1985, devenue la plus importante association de lutte contre le
sida en Europe. Mais à la différence du coronavirus, la guerre, ce sont les
malades du sida qui l’ont déclarée, et non les pouvoirs publics.» La
différence est de taille. Sida, Covid-19 : deux sigles qui ont peu à voir. Deux
histoires si différentes, éloignées l’une de l’autre de près de quarante ans.
Mais elles ont quelques points de fuite communs.

Drôle de clin d’œil


Les premiers cas de sida apparaissent au printemps 1981, sur les côtes des
Etats-Unis. Très vite, des cas surgissent aussi en France, dont va s’occuper
Willy Rozenbaum, alors jeune chef de clinique à l’hôpital Claude-Bernard
(futur hôpital Bichat). Willy Rozenbaum est une personnalité atypique,
originale. Au début des années 80, le sida n’intéressait pas les grands
mandarins. «Une maladie de pédés et de toxicos», disait-on. En 1982, ce
jeune médecin aura l’idée géniale de chercher dans les ganglions des
patients la trace d’un rétrovirus éventuel, ce qui sera à l’origine de la
découverte du rétrovirus par l’équipe de l’Institut Pasteur. Aujourd’hui,
l’histoire ne se répète pas. Mais comme un drôle de clin d’œil, la professeure
Françoise Barré-Sinoussi, distinguée du prix Nobel avec Luc Montagnier
pour avoir isolé le virus du sida, préside le Comité analyse, recherche et
expertise (Care)
(https://www.liberation.fr/france/2020/03/25/emmanuel-macron-empile-
les-conseils-scientifiques_1783026) auprès d’Emmanuel Macron sur le
coronavirus. Et Jean-François Delfraissy, longtemps directeur de l’Agence
de recherche contre le sida, préside, lui, le conseil scientifique
(https://www.liberation.fr/france/2020/03/16/un-conseil-scientifique-
pour-guider-le-gouvernement_1781993).

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Des médicaments faussement miracles


Willy Rozenbaum a pris de l’âge. A 74 ans, il continue de consulter à
l’hôpital Saint-Louis. Quand on l’interroge sur d’éventuels rapprochements
entre les deux épidémies, il reste un brin perplexe. Puis rappelle que toute
nouvelle épidémie a vu une course aux médicaments effrénée, avec des
dérapages inouïs. Ainsi en France, en 1985, ce sont deux grands pontes de la
médecine qui ont vanté devant des médias ébahis les mérites de la
cyclosporine (un médicament antirejet) pour guérir du sida, cela dans une
conférence de presse recevant l’appui de la ministre de l’époque. Quelques
jours plus tard, on apprenait que tous les patients étaient morts. «Il y a eu
aussi de la précipitation, poursuit Willy Rozenbaum. Avec le HPA-23, par
exemple, qui en 1985 a fait venir à Paris des grands d’acteurs d’Hollywood,
comme Rock Hudson, pour se faire soigner.»

Le mouvement s’est poursuivi avec le premier médicament, l’AZT.


Rozenbaum : «Il y avait une telle pression, une telle demande… En 1986,
un essai contrôlé AZT contre placebo a été lancé. Mais l’essai a été arrêté
car il y a eu assez vite plus de décès versant placebo que dans celui avec
l’AZT. Mais on l’a arrêté de fait trop tôt, car ce n’est qu’après que l’on a vu
que l’AZT avait des effets bien limités.» Willy Rozenbaum, comme d’autres
qui ont vécu ces années-là, insiste sur «l’intérêt irremplaçable d’études bien
menées».

«Mais l’émotion était la même, souligne-t-il, et l’urgence. Au début, nous


n’avions pas de tests, il y avait un décalage énorme entre le nombre de
personnes malades et le nombre de personnes infectées et sans symptômes.
On ne savait pas quelle était la réalité de l’étendue de
l’épidémie. Aujourd’hui, c’est un peu la même inconnue. On doit être à au
moins un million de cas.»

A LIRE AUSSI
Covid-19 : peut-on connaître le nombre réel de cas en France ?
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nombre-reel-de-cas-en-france_1782635)

Dépister
C’est d’ailleurs sur la question du dépistage que Willy Rozenbaum se montre
le plus ferme, à l’appui de l’expérience passée. «Dans les premières années
du sida, on était tous un peu réticents face au dépistage. On se disait "à
quoi bon ?" Si on est infecté, pourquoi le faire vu qu’il n’y a pas de
traitement, et si on n’est pas infecté, alors il faut simplement continuer à
faire attention. Donc, on ne poussait pas trop au dépistage. Or on l’a
compris plus tard : si vous vous savez infecté, ça change tout, alors vous
faites attention et vous n’avez plus le même comportement. Donc, dès que
c’est possible, il faut dépister», tranche-t-il. Autre réflexion : «La grande
différence entre Covid-19 et le VIH, c’est que le Covid-19 est sacrément
contagieux, tout avance très vite. Et puis, le VIH, au début, induisait un
décès quasi inéluctable. C’était un pronostic de mort. Là, on est dans une
maladie dont les gens vont guérir naturellement à plus de 90%.»

D’autres questions se posent. Quid de la contamination forte aujourd’hui


des soignants, assez marginale dans le cas du sida ? «Il semble que
beaucoup de soignants ont été contaminés par le Covid-19 à un moment où
l’on ne prenait pas encore trop de précautions. Maintenant, ce n’est plus le
cas.» Il ajoute : «Ce qui est troublant et pénible, c’est de voir que des
soignants aujourd’hui peuvent être pointés du doigt, car perçus à risques.
Aujourd’hui, certaines personnes, connaissant mon métier, font un pas en
arrière quand elles me voient.»

Des «coronatoriums» ?
Une hypothèse alerte Willy Rozenbaum. «On a appris avec le VIH que pour
qu’une personne modifie son comportement, il faut qu’elle adhère aux
mesures prises. Là, on évoque le fait d’isoler des personnes, de faire donc
un dépistage ciblé, avec le risque en quelque sorte d’aller vers des
"coronatoriums"… Or, je sais d’expérience que c’est une mesure qui n‘est
pas une mesure optimale.»

Et puis, comme dans toutes les guerres, passées présentes ou à venir, il y a le


poids de la langue de bois, les arguments faussés, par exemple autour du
masque. «Pourquoi dire que le masque ne protège pas ? On sait bien qu’il
protège, mais qu’il y a un risque. Le risque est de croire que l’on est
protégé. Et de ne plus faire attention.»

Puis, comme pour conjurer le pire, Willy Rozenbaum aborde la situation en


Afrique. Dans un ultime rapprochement entre Covid-19 et le VIH, il
mentionne cette hantise que tous les historiques du sida partagent : que
l’explosion de cas observée avec le VIH se reproduise avec le Covid-19. Un
scénario catastrophe.

Eric Favereau (https://www.liberation.fr/auteur/1848-eric-favereau)

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