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L’e-santé au service de la relation patient-médecin ?

Par  Pierre Philip


Publié le 29/06/2017
https://sante.lefigaro.fr/article/l-e-sante-au-service-de-la-relation-patient-medecin-/

AVIS D’EXPERT - La médecine est une science qui se nourrit des dernières
technologies et elle n’échappe pas à la transformation numérique profonde que
notre société va connaître, explique le Pr Pierre Philip (CHU de Bordeaux).

Les dernières études médico-économiques montrent que 70 % des coûts de santé dans
les sociétés occidentales vont porter dans les années à venir sur les maladies chroniques
non infectieuses (cancer, cardiologie et troubles du métabolisme). Cette inflation des coûts
s’explique par un vieillissement de la population et, de fait, un accroissement des
traitements dans la durée. Elle intègre aussi une médecine plus intelligente qui va traiter,
souvent avec des médicaments plus chers, les patients avant que les complications
n’apparaissent. Ce concept de «prévention secondaire», définie par l’OMS comme «des
actions destinées à agir au tout début de l’apparition du trouble ou de la pathologie afin de
s’opposer à son évolution», est une des clefs de voûte de la médecine personnalisée de
demain.

La médecine est une science qui se nourrit des dernières technologies et elle n’échappe
pas à la transformation numérique profonde que notre société va connaître. Le décret du
28  avril 2017, publié dans les derniers jours de l’exercice du précédent
gouvernement,    légifère sur les nouvelles filières médicales, et on a vu apparaître des
formations spécialisées transversales comme la médecine du sport, la nutrition appliquée
ou la médecine du sommeil qui portent de nouveaux concepts. La création de ces
nouvelles formations démontre bien comment nous sommes passés d’une médecine
d’organes (cardiologie, pneumologie, neurologie…) à des médecines transversales qui
intègrent des dimensions biologiques mais aussi largement comportementales (activité
physique, alimentation ou hygiène du sommeil). Ces nouvelles spécialités médicales sont
propices au développement d’une médecine de précision qui combine des biomarqueurs
(la glycémie, par exemple), des médicaments (les hypoglycémiants) mais aussi des
comportements (par exemple l’activité physique).

Révolution technologique
L’objectif médical et économique de la médecine de précision n’est donc plus de délivrer
et de rembourser des médicaments mais plutôt de fournir au patient un maintien d’une
glycémie normale qui reposera sur une bonne alimentation, un nombre de pas quotidiens
suffisants et, bien sûr, une dose adaptée de médicaments. La matérialisation de cette
«solution thérapeutique» va passer par des objets connectés, des systèmes d’information
et de décision, et des programmes comportementaux de prise en charge des malades ; ce
qui va créer un nouvel eldorado économique pour les entreprises investies dans cette e-
santé.

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Les grandes majors du numérique (Google, Amazon, IBM…) l’ont bien compris, et ce n’est
pas un hasard si le directeur du Google Lab n’est autre que le Dr Thomas Insel, qui a
dirigé durant douze années le National Institute of Mental Health (NIMH) aux États-Unis.
Ce choix révèle bien que les enjeux de ce marché reposeront autant sur la révolution
technologique que sur l’acceptabilité de cette dernière. Les années 2010 ont vu
l’avènement de nos objets connectés qui étaient censés ouvrir de nouveaux marchés pour
les fabricants d’ordinateurs et de téléphones. Si cette démarche est louable, en particulier
dans le cadre de la médecine de précision, elle n’en repose pas moins sur l’idée que le
patient va engager une relation privilégiée avec ces objets pour suivre son état de santé.
Ce qui est loin d’être un fait acquis, comme le prouve notre expérience sur les dispositifs
médicaux.

Craintes infondées
Mon équipe de recherche s’est spécialisée en informatique émotionnelle et développe des
agents conversationnels animés qui interviennent, aux côtés des médecins, pour aider au
diagnostic des maladies chroniques. Ces agents font le lien entre le patient et son soin et,
dans le futur, devront aider les malades à mieux appréhender leur état de santé et leurs
comportements. J’ai eu récemment des échanges avec des collègues soignants qui
s’inquiétaient du développement des agents conversationnels (Watson, Siri, Alexa,
Cortana…), les percevant comme des concurrents capables de se nourrir eux-mêmes
grâce à l’intelligence artificielle des dernières données médicales et de devenir plus
savants que les savants.

Les robots, par leur infatigabilité et leur servilité, sont aussi perçus comme des outils du
capitalisme qui vont remplacer les humains dans le domaine de la prise en charge des
maladies. Cette croyance se nourrit de craintes infondées principalement liées à un
manque de connaissance des besoins futurs de la santé. La première question qui se
pose n’est pas, pour les soignants, «pourrais-je dans le futur garder mon niveau d’activité
professionnelle» mais plutôt «comment va-t-on maintenir l’état de santé de nos
concitoyens avec la bombe à retardement du vieillissement, la sophistication croissante
des interventions thérapeutiques (par exemple fibrinolyse en phase aiguë de l’AVC) et
l’éclatement territorial de la population».

L’e-santé va jouer un rôle majeur dans ces défis sociétaux en permettant une médecine
personnalisée qui visera, en jouant sur les traitements et les comportements, à prévenir la
survenue de complications chez ces malades chroniques. Cette nouvelle médecine
promue dès 2015 par le président Obama (cf. «The Precision Medicine Initiative») devra
s’implanter en France si l’on veut maintenir l’accès au soin chez nos concitoyens qui sont
confrontés à la désertification médicale et à une perte croissante d’autonomie liée au
vieillissement. Comme l’ont bien compris nos collègues américains, c’est l’acceptabilité
des nouvelles solutions, et pas uniquement les progrès technologiques, qui va permettre
cette mutation médicale et numérique.

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